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René Bleuzen A Bénodet, “ le Mineret” La construction du "Minaret" est inscrite dans l'histoire de Bénodet La situation exceptionnelle de Bénodet, entre baie et estuaire; ses belles plages au centre-ville, protégées par le rideau de Sainte-Marine ; le standing de ses hôtels et les services prévus pour l'accueil des visiteurs ont fait sa notoriété de capitale du tourisme de la Comouaille. Dans son important parc hôtelier, le "Minaret" est de ceux qui font rêver. Certes, il n'est pas le plus ancien, ni le plus grand, ni le plus titré; mais son nom seul est évocateur de "Mille et une nuits", et son architecture confirme la volonté du bâtisseur de posséder une demeure typique d'une autre culture, celle des pays de l'Islam. "La construction et l'aménagement du domaine ont été réalisés entre /926 et 1928," mais l'idée de cette demeure originale à Bénodet a germé dans l'esprit de mon oncle au cours d'un séjour au Maroc, en 1921," nous conte Bernard Serret, qui avait 9 ans lors des travaux, et qui suivait pas à pas son protecteur, Maurice Heitz-Boyer. 1/7

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René Bleuzen

A Bénodet, “ le Mineret”

La construction du "Minaret" est inscrite dans l'histoire

de Bénodet La situation exceptionnelle de Bénodet, entre baie et estuaire; ses belles plages au centre-ville, protégées par le rideau de Sainte-Marine ; le standing de ses hôtels et les services prévus pour l'accueil des visiteurs ont fait sa notoriété de capitale du tourisme de la Comouaille. Dans son important parc hôtelier, le "Minaret" est de ceux qui font rêver. Certes, il n'est pas le plus ancien, ni le plus grand, ni le plus titré; mais son nom seul

est évocateur de "Mille et une nuits", et son architecture confirme la volonté du bâtisseur de posséder une demeure typique d'une autre culture, celle des pays de l'Islam. "La construction et l'aménagement du domaine ont été réalisés entre /926 et 1928," mais l'idée de cette demeure originale à Bénodet a germé dans l'esprit de mon oncle au cours d'un séjour au Maroc, en 1921," nous conte Bernard Serret, qui avait 9 ans lors des travaux, et qui suivait pas à pas son protecteur, Maurice Heitz-Boyer.

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L'histoire commence au Maroc Nous sommes en 1921. Le Pacha de Marrakech, Hadj Thami El Glaoui, grand ami de la France, souffre d'une grave affection urinaire. Le docteur Maurice Heitz-Royer , professeur à l'Académie de Chirurgie de Paris, est chef de service dans la clinique de la rue Pitchiny, dans le XVI ème. Le Maréchal Lyautey, Résident général de France au Maroc, fait appel au chirurgien de renom et lui demande de se rendre à Marrakech pour opérer le Glaoui. Le docteur proteste, préférant opérer dans son établissement parisien, mais il se rend aux raisons de Lyautey qui affirme que, dans l'intérêt de la France, le Pacha ne peut quitter son pays. Maurice Heitz-Boyer va donc à Marrakech, accompagné de son épouse et d'un assistant. Le Glaoui est opéré, tout se passe bien, et il demande au docteur de rester à ses côtés jusqu'à complet réta-blissement. En quelques semaines se noue entre les deux hommes une solide amitié qui ne se démentira pas et qu'ils se témoi-gneront durant toute leur vie. Durant ce séjour à Marrakech, Maurice Heitz-Boyer est en admiration devant les monuments, les palais et les mosquées: cette architecture le séduit, et c'est là que naît l'idée d'une résidence de ce type à Bénodet. La construdion de "KerMadalen" A Paris, Maurice Heitz-Boyer fait appel à l'architecte Laprade qui a acquis la notoriété en bâtissant le palais de l'Exposition Coloniale. Laprade établit les plans de la "villa", dont la réalisation sera confiée à l'entreprise Botta. Pour le gros--oeuvre, l'entrepreneur fait appel à des maçons et des cimentiers italiens dont les anciens bénodétois se souviennent encore.

Plusieurs de ces ouvriers sont restés dans le pays, certains y ont fait souche: c'est ainsi que les descendants des Primatesta, Bossi, et Cécilio en sont à la troisième génération. Le Glaoui, qui tient à témoigner sa grande reconnaissance, envoie à Bénodet une équipe d'une dizaine d'ouvriers marocains spécialistes de la mosaïque et de la décoration. Ils ne noueront pas avec les bénodétois comme l'avaient fait les italiens. Leurs amples djellabas inspiraient aux habitants une certaine retenue, voire de la crainte. Leur arrivée fut rocambolesque : ils avaient perdu leur interprète en cours de route, aucun ne savait le français, et naturellement les bénodétois ignoraient leur langue. Et il ne fut pas simple d'assurer leur nourriture: musulmans pratiquants, ils ne consentaient à consommer de la viande qu'à la condition que l'animal soit sacrifié devant eux, tourné vers La Mecque, selon les rites de leur religion Tous repartirent à la fin du chantier. Mais ils ont laissé à Bénodet une oeuvre remarquable. D'abord à l'intérieur où ils ont décoré de mosaïques superbes l'appartement réservé au Pacha, toutes les salles du hamman et la cheminée du salon. Et surtout dans le parc, dans l'ensemble du jardin où le travail a été très soigné, où les sujets témoignent de l'ingéniosité et de la créativité du maître d'oeuvre. Tout ce qui n'était pas réservé à la végétation, où voisinaient les plantes rares et exotiques, a été utilisé intelligemment par de véritables artistes. Les galets qui ont servi à réaliser les décors extérieurs proviennent de la grève de Tréguennec, et certains, paraît-il, de Ploumanach. Il a fallu les trier soigneusement suivant leurs teintes et nuances qui vont du noir au gris-clair et au rose, et selon leur taille pour réaliser les bordures, les formes géométriques ou les motifs floraux et autres.

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Ainsi une longue allée pavée d'un motif en damier va de l'entrée de la villa vers la plage; dans sa partie pentue elle est encadrée de deux larges escaliers aux marches constituées de toutes petites pierres soigneusement nivelées. Devant l'escalier d'accès de l'immeuble figure une belle boussole dont l'aiguille pointe vers le nord ; tout près, deux poissons noirs, tête-bêche. Au fond de la piscine à eau de mer, une sirène attend le baigneur. Partout, figures géométriques ou images stylisées montrent combien les auteurs de ce décor ont oeuvré pour faire de cette résidence un lieu de rêve. La villa Le docteur avait voulu une villa de style marocain, mais aussi dotée de tout le confort moderne, agréable à vivre, et il ne regarda pas à la dépense pour y parvenir. Dès que le visiteur franchit le seuil, il est frappé par l'espace vertical du hall. Au beau milieu, un très bel escalier dont les marches en dalles de faïence ont un nez en bois dur. Le palier intérieur est encadré de deux murets de granit supportant chacun une belle sphère également taillée dans la même pierre. Flanquant cet escalier" au niveau du premier étage, un autre petit escalier hélicoïdal, très étroit; gainé de lattes à claire-voie, conduisait au solarium. Il fut conçu par Laprade pour le Palais de l'Exposition Coloniale, et remonté ensuite à KerMadalen. La grande salle de réception était toute vitrée du côté estuaire: le docteur s'y installait pour admirer les couchers de soleil, la lumière découpant les hauts pins

de Sainte-Marine comme sur une estampe japonaise. Ses proches ne manquaient pas de lui rappeler le spectacle les jours où il était distrait. Dans le sous-sol, il avait fait forer un puits qui alimentait toute la maison en eau froide ou chaude, y compris le hammam et sa salle de sudation. La confection du toit en terrasse, appelé "solarium", avait posé quelques problèmes: il avait fallu confectionner des dalles de ciment posées sur le matériau étanche pour pouvoir prendre des bains de soleil.

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Dans ce qui est maintenant le square Marteville, le docteur avait installé, sous l' égide de l’Institut Pasteur, un vivier pour l'étude de la biologie marine. (La municipalité y a installé plus tard des sanitaires publics). Il communique avec la villa, ainsi que le garage à bateau qui est de plain-pied sur la petite plage, par un souterrain qui existe encore et qui passe sous la route de corniche. La prise d'eau de mer se trouvait en aval du petit phare. Le parc était entièrement aménagé et Maurice Heitz-Boyer avait voulu y voir, sans attendre" un décor de grands arbres. Il acheta donc de grands pins dans la campagne de Combrit-Plomelin et fit transformer un véhicule équipé de deux treuils spécialement pour ce transport. Comme le pont de Cornouaille n'existait pas encore" les convois passaient par Quimper. Pour l'anecdote, il arriva qu'au déchargement de l'un des pins on trouva dans ses branchages une banderolle que des quimpérois avaient tendue en travers de la route pour signaler une fête...

Le minaret et la chambre du Glaoui

Nous avons dit la reconnaissance que le Glaoui vouait au docteur, et ce sentiment était réciproque. Pour recevoir son illustre ami, Maurice Heitz-Boyer voulut une chambre ou il pourrait se croire dans un îlot boisé. Le "minaret", destiné à recevoir cette chambre dans le plan initial, n'était pas assez haut au gré du constructeur: il le fit rehausser à deux reprises pour avoir vue sur l'océan par dessus les pointes de Sainte-Marine et de Saint-Gilles. Quant à la chambre, elle est encore en l’état, ainsi que la salle de bain attenante avec son revêtement de mosaïque. Les portes ont encore leur peinture d’origine ; seul le plafond a été refait. Durant la durée des travaux, nous dit Bernard Serret, le docteur descendait toutes les semaines de Paris, veillait à tout, créait de nouveaux décors à mesure que le chantier avançait.

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"Rien n'était trop beau, l'argent ne comptait pas: cette construction aura été sa douce folie." Et pour éviter le risque d'avoir des voisins bruyants, il acheta et transforma en dépendances la propriété de Mademoiselle Helmont.

KerMadalen reçut des personnalités célèbres

Maurice Heitz-Boyer baptisa son palais de Bénodet KerMadalen, du pré-nom de son épouse, Madeleine Deveille. De 1928 à 1940, ils y ont reçu de grands personnages, de hauts dignitaires de l'armée, de l'administration, des méde-cins... Outre le Glaoui qui y fit plusieurs séjours, citons le Maréchal Foch, un intime du docteur qui l'a assisté jusqu'à son dernier soupir; le Maréchal Franchet d'Espérey ; les généraux Weygand, Gouraud, etc... Sans crainte de se tromper, on peut dire que Maurice Heitz-Boyer et Ker-Madalen ont contribué à faire connaître Bénodet dans l'aristocratie parisienne au cours de ce deuxième quart de siècle. Le docteur avait des vues sur le fort du

Coq En 1926, dès le début des travaux de construction, le docteur Heitz-Boyer devint locataire du fort du Coq pour un loyer de 500 Francs par an. Le maire l'annonça au cours d'une séance de Conseil, et on dit que la population s'en émut. Trois ans plus tard, la Marine lui renouvelle le bail: le prix est augmenté, et l'acte précise que le terrain est destiné à la culture de plantes médicinales ! Un arrangement intervient: un sentier piétonnier est prévu pour le public entre l'ouvrage et la côte. En 1944, le docteur s'adresse à nouveau à la municipalité et lui demande

de lui "laisser" le fort contre une parcelle de terre qu'il possède à la pointe Saint-Gilles. La municipalité refuse, et entre-prend une procédure d'expropriation, qui échoue. Nouvelles tentatives du Docteur auprès de la Marine en 1945 et 1946, et nouvelles propositions à la municipalité, qui les repousse. Le fort du Coq est devenu propriété communale en 1990. Le Minaret devient un hôtel-restaurant

Après le décès de Maurice HeitzBoyer en 1951, sa veuve décide de vendre KerMadalen. La propriété sera achetée par les époux Lozach qui exploitaient l’Hôtel Spéranza. Ils ont aussitôt aménagé leur nouvelle acquisition en hôtel-restaurant qu'ils ont baptisé "Le Minaret". Il est maintenant tenu par leur fille, Madame Kervran, et ses enfants. En 1983 la bâtisse a été surélevée ; Dans l' esprit des plans de Laprade, et avec l’agrément des Bâtiments de France, un étage comprenant sept chambres tout confort, avec ascenseur , a été édifié sur le toit-solarium, ce qui augmente la capacité de l’hôtel. De l’avis général, cette adjonction n’a en rien altéré l’esthétique de l’ensemble, bien au contraire. En même temps, le même architecte, Rémy Le Herre, conçoit une construction originale sur la terrasse dominant la Corniche : autour de la vasque, un poly-gone coiffé d’un dôme en lamellé-collé, où les exploitants ont ouvert un bar, l’ Alhambra. Le Minaret et l’ Alhambra font désormais partie du paysage bénodétois. On ne songe plus à s’étonner de ces constructions insolites : chacun reconnaît au contraire que la cité offre là un en-semble original qui n’a pas d’équivalent dans la région.

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Le docteur Maurice Heitz-Boyer Maurice Heitz-Boyer était d'origine alsacienne. En 1870, suite à l'annexion de l'Alsace par l'Allemagne, ses parents s’exilèrent et son père, médecin généraliste, s’installa à Paris. Né en 1880, Maurice Heitz-Boyer a donc tàit ses études à Paris. En 1902 il s'est marié à Madeleine Deveille, dont les parents étaient propriétaires de la ferme de Keradennec, à Ergué-Armel. Docteur en médecine, chirurgien, spécialiste en urologie, il devient chef de service en clinique, rue Pitchiny. C'était un praticien éminent, et un esprit fécond. Il est l'inventeur du bistouri électrique, de la première table chirurgicale radio, d'un davier pour la réduction des fractures. Il est aussi le premier à oser et réussir l’opération de la prostate en une seule intervention. Et tellement préoccupé, assure son neveu, de se rendre utile, de venir en aide, qu'il n'a jamais songé à prendre des brevets de propriété pour tous les progrès qu'il a fait réaliser à la chirurgie. Maurice Heitz-Boyer a connu la Bretagne en venant en vacances chez ses beaux-parents, à Keradennec, et le site de l'estuaire de l'Odet le séduit. A partir de 1921 il loue la villa de Mademoiselle Feuillet, sur la corniche de l'estuaire, et le ménage y passe régulièrement les mois de juillet, août et septembre, jusqu'à la construction de KerMadalen. Les époux continueront d'habiter Paris, mais ils seront souvent à Bénodet. Ils reçoivent beaucoup, et Madame aimait à plaisanter sur le fait qu'elle tenait restaurant à Bénodet. En 1940, Maurice Heitz-Boyer quitte Paris à l'arrivée des Allemands, comme ses parents avaient fui l'Alsace en 1870. Avec

sa famille, il se rend au Maroc où il savait trouver refuge près du Glaoui, à Marra-kech. Son neveu Bernard Serret est du voyage. Le docteur a soixante ans, il a cessé d'exercer, ce qui ne l'empêche pas de venir en aide à ses confrères de Marrakech qui l'appellent souvent en consultation. C'est au Maroc, dans sa propriété de Soulha, à vingt kilomètres de Marra-kech, que le docteur Heitz-Boyer est décédé en 1951. Conformément à sa volonté, il a été enterré dans le bled. Son épouse est également décédée au Maroc en 1968. Son corps repose dans le caveau familial à Ergué-Armel.

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Bernard Serret, qui nous a conté 1 'histoire du Minaret, vit aujourd 'hui une retraite paisible dans sa propriété de Parc an Bruck, à Gouesnac 'h, entouré de l'affection des siens. Tout enfant, il s'est initié aux plaisirs de l'eau et de la voile à Bénodet, et il se destinait à la Marine. Il avait vocation à préparer Navale lorsque la guerre éclata. Au Maroc, il est confronté à d'autres exigences et il est devenu agrumiculteur. Ille serait peut-être resté, si

le nouvel État Marocain n'avait exproprié l'agriculteur français qu'il était. Revenu au pays, il a retrouvé ses amis de la plaisance, et fait le bonheur du Yacht Club de l'Odet dont il deviendra le président, jusqu'au jour ou une santé précaire le contraindra à passer la main. Le souvenir qu'il garde de son oncle: " Un grand homme, une sommité médicale; pas toujours facile à vivre, mais toujours prêt à rendre service.»

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