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Marcel MAUSS (1904) “ Les Eskimo ” Un document produit en version numérique par Jean-Marie Tremblay, bénévole, professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi Courriel: [email protected] Site web: http://pages.infinit.net/sociojmt Dans le cadre de la collection: "Les classiques des sciences sociales" Site web: http://www.uqac.uquebec.ca/zone30/Classiques_des_sciences_sociales/index.html Une collection développée en collaboration avec la Bibliothèque Paul-Émile-Boulet de l'Université du Québec à Chicoutimi Site web: http://bibliotheque.uqac.uquebec.ca/index.htm

Mauss Les Esquimo

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  • Marcel MAUSS (1904)

    Les Eskimo

    Un document produit en version numrique par Jean-Marie Tremblay, bnvole,professeur de sociologie au Cgep de Chicoutimi

    Courriel: [email protected] web: http://pages.infinit.net/sociojmt

    Dans le cadre de la collection: "Les classiques des sciences sociales"Site web: http://www.uqac.uquebec.ca/zone30/Classiques_des_sciences_sociales/index.html

    Une collection dveloppe en collaboration avec la BibliothquePaul-mile-Boulet de l'Universit du Qubec Chicoutimi

    Site web: http://bibliotheque.uqac.uquebec.ca/index.htm

  • Marcel Mauss (1904), Les Esquimo 2

    Cette dition lectronique a t ralise par Jean-Marie Tremblay,bnvole, professeur de sociologie au Cgep de Chicoutimi partir de :

    Marcel Mauss (1904)

    Les Eskimo

    Une dition lectronique ralise partir du texte de Marcel Mauss(1921), Les Eskimo. Extrait de la revue Anne sociologique, n 7,1904, pp. 225 230. Texte reproduit in Marcel Mauss, Oeuvres. 3.Cohsion sociale et division de la sociologie (pp. 68 73). Paris: Lesditions de Minuit, 1969, 734 pages. Collection: Le sens commun.

    Polices de caractres utilise :

    Pour le texte: Times, 12 points.Pour les citations : Times 10 points.Pour les notes de bas de page : Times, 10 points.

    dition lectronique ralise avec le traitement de textesMicrosoft Word 2001 pour Macintosh.

    Mise en page sur papier formatLETTRE (US letter), 8.5 x 11)dition du 11 octobre 2002ralise Chicoutimi, Qubec.

  • Marcel Mauss (1904), Les Esquimo 3

    Les Eskimo par Marcel Mauss (1904)

    Marcel Mauss (1921), Les Eskimo. Extrait de la revue Anne sociologique, n 7,1904, pp. 225 230. Texte reproduit in Marcel Mauss, Oeuvres. 3. Cohsion sociale etdivision de la sociologie (pp. 68 73). Paris: Les ditions de Minuit, 1969, 734 pages.Collection: Le sens commun.

    Le livre de M. Nelson 1 est, dans une certaine mesure, un vnementsociologique. Il nous signale, d'une faon dfinitive, l'existence d'un tot-misme caractris chez les Esquimaux de l'Alaska ; ou, plus exactement, chezles Unalits et dans les tribus avoisinant immdiatement la mer de Bering, aunord de la rivire Kushkokwim. M. Powell, dans la prface ce volume desReports, lui attribue une juste importance. Jusqu'ici les Esquimaux avaient tl'un des groupes sociaux les plus importants qui chappaient l'hypothsed'un totmisme primitif universel, et voil qu'ils semblent rentrer sous sajuridiction.

    1 E.-W. Nelson, The Eskimo about Bering Strait . 18 th Annual Report of the Bureau of

    American Ethnology, 1896-1897. Pare I. Washington, 1899 (1902).

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    Les principaux textes se trouvent pages 322 et suivantes. Ce qui en ressortest ceci : les Unalits et autres tribus voisines sont diviss en clans totmiqueset les gens de mme clan portent le mme nom animal, et se considrent touscomme parents. Il y a jusqu' quatre clans de noms diffrents dans un seulvillage. Les clans jouent un rle dans la vie religieuse ; en particulier, lors desftes masques, des individus reprsentant les espces totmiques accomplis-sent un certain nombre de danses rituelles. Le totem Unalit a, en effet, nonseulement une importance juridique mais encore une importance religieuse. Ila le mme genre de vertus que celles qu'on lui attribue ailleurs, et les gens du gerfaut portent, dans leurs carquois, des plumes de leur totem pour rendreleurs flches fatales. - Le totem sert surtout de blason, de marque de proprit,mme sur les objets donns autrui, ou la communaut. Il est hrditaire,suivant la ligne paternelle, semble-t-il.

    Les documents de M. Nelson ont suscit immdiatement, sinon une criti-que ngative, du moins une interprtation qui les rendrait singulirementmoins dmonstratifs. M. Boas 1, dans sa conclusion, pense que le totmismealaskan n'est nullement comparable une organisation totmique vritable ;que c'est simplement une espce d'emprunt juridico-religieux, fait par lesEsquimaux de cette rgion leurs voisins Indiens de la cte N.-O. du Pacifi-que. Il se rattacherait plutt l'institution des marques de proprit, celle dupotlatch et celle des masques de fte, ces deux dernires tant videmmentempruntes ces tribus indiennes, avec une bonne partie de la mythologie etdu folk-lore (mythe du corbeau pre). M. Boas prend encore davantage Je ceque M. Nelson a laiss de ct le grave problme de la nature de la parentqu'tablit le nom totmique. Mais il va trop loin lorsqu'il va jusqu' nierl'existence d'un vritable lien juridique, dont M. N. nous rvle au moins laralit s'il ne nous rvle pas les dtails. Ajoutons qu'il semble mme exister,dans certains villages, des phratries ; et il deviendra difficile de soutenir unethorie qui rduirait un simple appareil de convention ce totmismeEsquimau qui, s'il est d'origine trangre, est, pour le moins, plus qu'accli-mat. Enfin, les arguments par lesquels M. Boas soutient son hypothse del'emprunt peuvent tre contredits. Tout ce qu'il considre comme originaire-ment indien ne l'est pas ncessairement, et, pour notre compte, nous nevoyons rien de vraiment identique au potlatch kwakiutl dans les rites et lescoutumes du kashim esquimau que justement les Indiens Tinn ont adopt desEsquimaux. La question reste ouverte. Il est certain qu'il faudra la traiter, danstoute son ampleur, et surtout recueillir au plus vite d'autres renseignements surces intressantes populations.

    1 F. Boas, The Eskimo of Baffin Land and Hudson Bay . Bulletin of the American

    Museum of Natural History, 1901, vol. XV (1902).

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    Un autre rsultat des observations de M. Nelson, c'est l'tude peu prscomplte du kashim, sorte de maison des hommes , o les mles de lalocalit mangent le repas que leur apportent leurs femmes, o les enfants sontsolennellement initis. Les fonctions religieuses sont, pour la plupart, rem-plies dans le kashim.

    M. Nelson nous donne de plus une importante description des grandesftes rgulires qui se clbrent dans ces maisons.

    La plupart sont consacres, selon M. N., qui exagre sa pense et les faits,au culte des morts. En tout cas, la fte des morts est l'une des plus notables, etdes plus instructives ; car nous y voyons fonctionner sur le vif une institutionconsidrable, rpandue dans toute l'aire de la civilisation esquimau. Dans cettefte, le mort est reprsent par son namesake le porteur de son nom, quilui est identifi ; car, chaque mort, le premier n de la localit porte le nomdu dernier disparu. L'institution est un peu plus complique, mais passons.D'autres ftes ont encore pour but l'vocation des mes des morts (celle desmes d'enfants en particulier). D'autres enfin, bien que destines surtout a lamultiplication du gibier, et l'incantation des armes, sont adresses aux mesdes animaux tus la chasse pour les prier de rentrer dans d'autres corps (ftedes vessies), et reoivent, de cette interprtation, une assez curieuse colora-tion.

    L'tude des rites funraires des Esquimaux du dtroit de Bering seraitdigne d'intrt, surtout de ceux qui concernent l'enterrement et le cimetire(un curieux quivalent de la rame qu'Ulysse plante sur le tumulus de sonfidle Elpnor). - La magie, son systme, l'institution des angekoks et leurspouvoirs surnaturels, leurs rvlations, leurs esprits, leurs amulettes sontparticulirement bien tudis. Mais nous signalons tout a fait part lesexcellentes observations de M. N. sur les rites oraux. Ce sont le plus souventdes chants attachs des danses, mais bien distincts, par leur efficacit sp-ciale, des purs amusements chorgraphiques et vocaux ; ils consistent enformules simples et monotones, force vocatoire, rptes d'ordinaire collec-tivement, et souvent attaches des travaux d'ordre conomique.

    La plus grande partie du livre est consacre une considrable monogra-phie technologique, la collection de M. Nelson ayant t une des plus compl-tes qui aient t rapportes. - Sur la morphologie sociale de ces Esquimaux,nous avons aussi de bons renseignements, en particulier propos des diversesformes de l'habitation (longue maison d'hiver et tente de petite famille en t).- Le point o les observations de M. Nelson ont le plus mal port est

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    videmment la vie morale et juridique de ces socits, encore qu'il nous donnede bons aperus sur la vendetta, les chants de dnigrement, etc. ; mais, sur laparent, ses indications sont trop sommaires, surtout par rapport l'intrt dela question (voir un type remarquable de droit du dernier n). Mais il nousindique une remarquable forme de commerce, qui se prsente sous l'aspectd'un contrat rel, personnel, gnral, obligeant l'acheteur changer tout cequ'il possde avec le vendeur. Il est vident que les Esquimaux sont parmi lespopulations les plus intressantes au point de vue d'une tude comparative dessystmes de proprit et d'change ; voir, par exemple, un remarquable ritequi fait que le vendeur retient toujours une parcelle (d'me ?) de la chosevendue.

    A propos des Esquimaux de la terre de Baffin et de la baie d'Hudson, M.Boas et ses informateurs n'ont pas non plus attach grande attention (au moinslors de la publication) aux phnomnes juridiques. On sait que M. Boas a tl'un des premiers explorateurs de ces rgions, o il a conquis ses galonsd'ethnographe. Ce livre doit tre considr comme un supplment aux recher-ches publies dans le VIth Report du Bureau of American Ethnology, et il estsurtout compos des nouvelles observations prises, sur les instructions de M.Boas, par trois rsidents Europens, chez les Kinipetu de la terre de Baffin, etles Aivilik de l'ouest de la baie d'Hudson.

    Toute une premire partie est consacre une tude dtaille de latechnologie de ces tribus, o nous signalons particulirement l'existence d'ins-truments de pierre (palolithiques), assez rarement constate chez lesEsquimaux.

    Mais c'est surtout propos des phnomnes religieux que ce livre estremarquable, et il complte, pour ainsi dire dfinitivement, les recherches deM. Boas sur ces mmes tribus. En premier lieu, ils nous fournissent des docu-ments incomparables sur l'institution du tabou esquimau et sur le tabou engnral. Nous avons quelquefois parl de l'intrt que prsentent, parmi lestabous, les tabous purement sympathiques (qui ne supposent pas ncessaire-ment la prsence d'un dieu ou d'un esprit personnel). Parmi les taboussympathiques, les plus intressants peut-tre sont les tabous de mlange, dugenre de ceux qui dfendent, encore de nos jours, le mlange du gras et dumaigre dans l'estomac d'un dvot catholique ou juif. Les capitaines Comer etMutch, le Rev. Peck en ont collig, pour M. Boas, une liste considrable etremarquablement homogne, dans ces tribus. Ils sont du type suivant : Lesaumon a une me trs puissante ; il ne faut pas cuire du saumon dans un potdont on s'est servi pour faire bouillir d'autre chair ; on le cuit toujours quelque distance de la hutte (?). Les chaussures dont on s'est servi pour la

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    chasse au morse ne peuvent pas tre portes la pche au saumon ; et on nepeut pas travailler des tiges de souliers tant que le premier saumon n'a past pris et plac sur une tige de soulier , etc., etc. Chasses, gibiers, instru-ments, moments, vtements, travaux, repas, tout cela est divis, class entreles diffrentes saisons, les diverses circonstances de la vie. Entre toutes chosesqui ont un intrt direct, sont dresses des espces de Cloisons formes d'in-terdictions troites, qui empchent les mlanges, les Contacts, les contagionsquasi surnaturelles. Avec les textes talmudiques, nous ne connaissons pas dedocuments plus significatifs sur la question. Sans compter que, leur lumire,un bon nombre d'usages connus chez les autres Esquimaux s'claire d'unefaon dfinitive,

    Ces usages forment le centre de la vie morale et religieuse de ces socits.A eux se rattachent de remarquables rites de la confession, qui annule lepch, et c'est des transgressions ou la rgulire observance que sontattribus les heurs et malheurs de toute leur vie prcaire. Ils forment enfin laraison du mythe fondamental chez les Esquimaux, celui de Sedna, la dame dela mer, matresse des animaux marins (qui ne sont d'ailleurs que les produitsde ses doigts coups) qui, lorsqu'un tabou a t transgress, sent du mal sesdoigts et retient alors le gibier hors de la porte des tablissements. Nouspossdons enfin, de ce mythe, une version complte et circonstancie, et uneversion moins complte, la terre de Baffin, mais d'autant plus intressantequ'elle se rattache, mme par le nom de la desse, la mythologie groenlan-daise. Peut-tre nous trouvons-nous ici simplement en face du mythe le plusvolu de cette srie, peut-tre sommes-nous en prsence du mythe origineldont les quivalents groenlandais d'une part, alaskans de l'autre, ne seraientque des copies dfigures ? Ne tranchons Pas cette question aussi rapidementque M. Boas.

    Nous avons enfin un recueil de mythes, lgendes et contes, considrablemme capital, parce que maintenant on peut rpter, sur la mythologie et latradition esquimau, les tudes faites sur les mythes et contes indo-europens.M. Boas ouvre cette voie qu'il avait dj, autrefois, commenc battre. Nousne citerons pas les dtails intressants de ces contes, ni les renseignementsqu'ils contiennent concernant la magie, et qui illustrent remarquablement lesobservations contenues dans l'autre partie du livre.

    Les indications concernant les ftes sont un peu trop sommaires et necompltent pas assez celles que M. Boas a donnes autrefois. Mais nous nepouvons nous retenir de signaler notre auteur un fait important. Dans sapremire relation, il nous a parl de la division des Aiviliks en ptarmigans(poules des neiges) et en canards eiders, suivant que les gens sont ns en hiver

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    ou en t. Nous les voyons ici, dans la fte de Quailertertang, diviss en gensd'hiver et gens d't, recevoir la visite d'un reprsentant de Sedna et porter lesornements de ces animaux. Ne serions-nous pas l en prsence de cultesthrio-morphiques difficilement explicables si on n'admet pas la prexistenced'un totmisme ?

    Les Esquimaux sont, maintenant, parmi les groupes sociaux dits primitifs,l'un des mieux connus. Mais tout restera en suspens tant que nous ne seronspas fixs sur leur organisation juridique et leur systme de parent. Nousvoudrions voir cette question mise l'ordre du jour de l'ethnographie la plusurgente. Il est impossible d'en rester aux tableaux de Morgan et aux indica-tions de Rink.

    Fin de larticle.