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ET LA FACE CACHéE DES MC GILLES OUELLET Ambassadeur de la culture populaire québécoise, MC Gilles est devenu le porte-voix d’un patrimoine musical snobé et ridiculisé par plusieurs. Possédant plus de 50 000 disques, le résidant de Sainte-Anne-de-la-Pérade nous parle de son attachement à la ruralité et à l’héritage des générations qui nous précèdent, et plus précisément de celui de son grand-père Ouellet. Derrière le fameux chapeau de cow-boy de son personnage, découvrons la petite histoire de Dave-Éric Ouellet! Par Marie-Anne Alepin PHOTO: ALAIN LEFORT 2 mars 7 JOURS 103

Mc Gilleslequebecunehistoiredefamille.com/sites/default/files/7_jours... · arrivé en Nouvelle-France et qu’il est l’ancêtre de tous les ... c’est notre capa-cité à rire

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et la face cachée des

Mc Gilles

OuelletAmbassadeur de la culture populaire québécoise, MC Gilles est devenu le porte-voix d’un patrimoine musical

snobé et ridiculisé par plusieurs. Possédant plus de 50 000 disques, le

résidant de Sainte-Anne-de-la-Pérade nous parle de son attachement à la

ruralité et à l’héritage des générations qui nous précèdent, et plus précisément

de celui de son grand-père Ouellet. Derrière le fameux chapeau de cow-boy de son personnage, découvrons la petite

histoire de Dave-Éric Ouellet! Par Marie-Anne Alepin

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Connaissiez-vous l’histoire de vos ancêtres avant le tournage de la capsule Le Québec, une histoire de famille?Oui, un peu. Mon grand-père paternel, Hermel, avait déjà fait faire son arbre généa-logique et possédait un livre sur l’histoire des Ouellet. Je savais que René est le premier arrivé en Nouvelle-France et qu’il est l’ancêtre de tous les Ouellet. Je connaissais également l’histoire de la rivière Ouelle, et le fameux récit où on y a repoussé Phipps. La lignée de ma grand-mère paternelle, Aurore Lagacée, est issue du Nouveau-Brunswick. Du côté de ma mère, la famille Malenfant, les origines sont plus difficiles à retracer, puisque son père a été placé dans un orphelinat et a été adopté par la suite. J’aimerais connaître les racines, les origines de cette famille, mais les archives sont bloquées, je pense… pour 100 ans. Quel était le métier de votre grand-père Ouellet?Si mon grand-père avait appartenu à l’époque moderne, il serait devenu un homme de let-tres. Il était très politisé et lisait son journal tous les jours. Résidant de Saint-Pierre-de-Lamy, un petit village de 100 habitants, près de Rivière-du-Loup, il a été cultivateur et bûcheron, comme la plupart des gens de son temps. Pour faire des études à l’époque, il fallait entrer en religion. Mon grand-père a donné le plus bel héritage qui soit à ses 13 enfants: des études et un métier. Il y a un prêtre, deux policières, un ingénieur, etc. En fait, il leur a donné ce qu’il aurait aimé avoir lui-même. Il était mon plus grand modèle.

Quand j’étais jeune, il me parlait de politique. Les gens ont des préjugés et pensent que les cultivateurs ne sont pas politisés. Pourtant, ce sont les personnes les plus intéressantes, car elles sont très près de la vie. Où avez-vous grandi? À Québec. Mais pendant ma petite enfance, l’été, j’allais souvent dans le Bas-du-Fleuve. Mes deux parents viennent de ce coin de pays: mon père, de Saint-Pierre-de-Lamy, et ma mère, du village Lac-des-Aigles. J’avais donc le meilleur des deux mondes, puisque je vivais en ville et que je passais mes fins de semaine et l’été à la campagne, chez mon grand-père. C’était le paradis terrestre! Pour un petit gars, voir un homme cultivé sur un tracteur, c’est le modèle masculin absolu. est-ce que la terre appartient toujours à la famille?Oui, mon oncle a repris la maison, et la terre a été reboisée. Émotionnellement, ça me déchire le cœur de savoir que des gens ont passé leur vie à enlever des arbres, à dessou-cher, à ôter des roches, et là, en cinq ans, de

voir les épinettes qui ont pris le dessus. Tout ce qu’on fait est éphémère. C’est touchant quand on y pense. Mais, en même temps, c’est normal de reboiser. Et je ne parle pas que de cette terre, je parle aussi du reste du Québec.Vous êtes attaché au Québec rural. D’où vient votre attachement au passé? Le Québec se divise en deux, et je trouve ça dommage. Ces jours-ci, il y a le clivage gauche/droite, en politique, mais l’autre gros clivage est le monde rural opposé au monde urbain. Une moitié du Québec vit en ville, et l’autre, à la campagne. Les deux groupes se parlent très peu et ont des préjugés l’un envers l’autre. Je vis présentement à la cam-pagne, à Sainte-Anne-de-la-Pérade, et je vois que les gens du village ont une vision très particulière de la ville, quand ils m’en parlent. On me demande si c’est dangereux de prendre le métro! De leur côté, les gens de la ville me demandent si tout le monde se connaît à la campagne, s’ils sont tous parents, et ils s’imaginent que ça doit sentir le purin tout le temps. En plus, le village où je vis est réputé

pour le poisson des chenaux… Mais ça ne dure qu’un mois et demi par année. cette dualité semble vous préoccuper...Il va falloir un jour que ces deux Québec se rencontrent. Notre force, ici, c’est notre capa-cité à rire de nous. Et j’essaie de me moquer autant de ce qui se fait en ville que de ce qui se fait à la campagne, pour trouver un point de rapprochement. Le drame, c’est qu’il y a plus

de monde dans les cimetières que dans les villages. Chez nous, à Sainte-Anne-de-la-Pérade, il y a plusieurs maisons à vendre en ce moment. Dans les petites places, il y a de très jeunes et de très vieilles personnes, mais pas de jeunes dans la vingtaine. Celui qui part étudier ne revient pas. Il y a des gens qui se font construire de belles grandes maisons modernes à la campagne, alors qu’il y en a 150 ancestrales à vendre. Je ne connais pas la solution encore pour freiner l’exode rural. On parle du Plan Nord, mais peut-être pourrait-on faire le Plan Sud? Laval et Longueuil sont rendues des villes presque aussi grosses que celle de Québec. On concentre la population. Mais c’est un phénomène mondial. Il y a plus d’urbains que de ruraux aujourd’hui sur la

terre. Tout ça pour dire que c’est quelque chose qui m’inquiète. Je suis très intéressé par le patrimoine, par le fait de savoir d’où on vient. J’ai acheté une maison ancestrale construite en 1880, que j’ai retapée. C’était l’ancienne banque du village, qui appartenait à M. Tibi Lanouette. Si j’avais acheté cette mai-son à Montréal, ça m’aurait coûté une fortune! est-ce que les Ouellet sont des musiciens? C’était une famille très studieuse, très calme. Mon grand-père était très religieux. Je me souviens de la croix de la tempérance, chez lui. Donc, pas de sacres, pas d’alcool et pas d’abus… Les fêtes se terminaient vers 22 h 30. Beaucoup de gens ont une vision négative de la religion, mais moi, je la vois comme le point de rassemblement dans le village. Le perron de l’église, c’était important pour garder l’es-prit communautaire. Quand j’y retourne, il y a des gens qui disent: «C’est le p’tit-fils à Hermel.» C’est fascinant, cette mémoire et cette vie de communauté. M’sieur Mc Gilles, avez-vous une histoire de famille à nous raconter?Mon grand-père nous faisait conduire son tracteur, à mon frère et à moi, sur ses genoux. C’était la liberté, c’était merveilleux! On allait dans le rang Neuf, où il y avait des restes de maisons, des solages, une école vide. Il me disait qu’auparavant il y avait eu des dizaines de familles, mais que c’était fini, qu’il n’y avait plus personne. Il disait que, plus tard, la même chose arriverait dans sa rue et qu’un jour il serait enterré dans le cimetière et que ce cime-tière disparaîtrait à un moment donné. Il me racontait alors son histoire où il s’était enfargé dans ce qu’il croyait être une racine lorsqu’il était parti bûcher. En fait, c’était une pierre tombale. Il me disait que tout finit par finir et que les choses sont éphémères et qu’un jour quelqu’un s’enfargerait dans sa tombe.Quand avez-vous commencé à utiliser le pseudonyme Mc Gilles?J’ai commencé à l’Université de Montréal, où je gère la radio, CISM. C’était ça, mon vrai travail. Auparavant, j’ai aussi étudié en sciences politiques, à l’Université Laval. Ce que je fais le mieux, c’est de gérer un OSBL,

le CarDinal Ouellet Né eN 1944, à La Motte, près d’aMos, Marc oueLLet est NoMMé archevêque de québec, eN 2002, puis préfet de La coNgrégatioN pour Les évêques, à roMe, eN 2010. soN NoM est souveNt MeNtioNNé quaNd iL est questioN de successioN papaLe.PH

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l’ancêtre de tOus

les Ouelletrené hoûallet serait né vers 1639 à

saint-Jacques-du-haut-pas, paroisse voisine des Jardins du Luxembourg, de parents aisés. son père est contrôleur général des finances du royaume de

france, puis il sera receveur général de la province du poitou. selon la tradition

familiale, rené serait arrivé en Nouvelle-france en 1663, mais aucun document

ne le confirme. Nous savons qu’en 1666 il a pris pour épouse anne river, une fille du roi devenue veuve. Jean talon

lui-même assiste à la signature du contrat de mariage. Les mariés

s’installent à l’île d’orléans. anne meurt prématurément, et rené sera accusé du

meurtre du mari d’une femme qu’il convoitait. faute de preuves, il est

acquitté. il va vivre à rivière-ouelle et épouse Marie-thérèse Migneault,

une jeune veuve avec enfants, en 1679. en plus des trois enfants du premier

mariage, rené aura huit autres enfants et 103 petits-enfants. il meurt en 1722. il est considéré comme un héros pour avoir été de ceux qui ont repoussé les soldats de l’amiral sir William phipps

dans leur tentative de débarquer à rivière-ouelle, en 1690.

De gauche à droite: Jean-Baptiste, arrière-grand-père,

et Hermel, grand-père de MC Gilles. les petits devant:

son oncle, Jean-Yves, et son père, Walterl’arrière-grand-père de MC Gilles conduisant sa «voiture» en 1914, à Saint-Clément

la maison des grands-parents Ouellet à Saint-Pierre-de-lamy. enfant, MC Gilles y passait ses étés et ses fins de semaine.

«Je suis très intéressé par le patrimoine, par le fait de savoir d’où on vient.»

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Depuis 1840 environ, la croix de bois noire, dite «croix de tempérance», était présente dans beaucoup de foyers, alors qu’il y avait une grande campagne antialcoolique dans la province.

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car je réussis à augmenter les revenus et à diminuer les dépenses. Donc, à la station, il y avait un trou dans la programmation. J’avais des disques drôles et je voulais faire une émis-sion, mais sous un pseudonyme pour faire une différence entre Dave Ouellet, celui que je suis, et le personnage. Je voulais utiliser un nom qui n’existe plus chez les jeunes. À Québec, nous avions fondé l’association Sauvons les Gilles, parce que tout le monde a un père, un oncle ou un ancien gérant qui s’appelle Gilles. Nous avions une théorie lou-foque qui disait que, d’ici 20 ans, il n’y aurait plus de Gilles et que notre société allait s’ef-fondrer, car elle était gérée majoritairement par des Gilles. Avec un nom comme MC Gilles, on ne peut pas se prendre au sérieux. Ça me donne une belle liberté d’action! comment votre carrière a-t-elle pris son envol?J’ai commencé en politique, à l’Université Laval, et je gérais en même temps CHYZ, la radio de l’université. J’ai fait ça durant trois ans. Il y a eu un vaste combat avec Radio-Canada qui, à l’époque, voulait avoir notre fréquence. La société d’État a perdu devant le CRTC. C’est ça qui m’a fait connaître à Québec. Ensuite, j’ai déménagé à Montréal pour travailler à la direction générale de CISM. J’ai créé mon émission, parce qu’il y avait un trou dans l’horaire à combler. Je suis arrivé après Louis-José Houde, qui venait de faire Dollaraclip à MusiquePlus. Les Denis Drolet commençaient à être connus pour leur humour un peu absurde. Moi, j’étais entre les deux, car je fais un peu d’humour absurde, avec de la musique. Je suis arrivé au bon moment. Ensuite, Infoman m’a contacté pour animer une chronique, et Paul Arcand aussi. Ce que je fais semble bizarre, et c’est pour ça que ça marche. Si quelqu’un cherche, par exemple, une chanson enregistrée sur disque de Michel Jasmin, moi, je l’ai, ou de Guy Lafleur qui chante du disco, moi, je l’ai.Vous avez beaucoup de 33 tours… Mon oncle prêtre, Jean-Yves Ouellet, recevait à l’époque beaucoup de musique en cadeau. Un jour, il m’a tout donné. C’est ma collection

de base. Aussi, j’ai géré un marché aux puces à Sainte-Foy pendant trois ans. Les gens jetaient les livres et les disques qui ne se ven-daient pas. Je ne peux accepter qu’on jette ces choses. Alors, je les ramassais. Ma collection est impressionnante, je possède environ 50 000 disques. Tout notre «terroir musical» qui ne passe pas à la radio reflète beaucoup plus notre identité que ce qui joue à la radio. Moi, je suis juste le messager. Certains trou-vent ça hilarant, et d’autres sont touchés. Au Québec, on est des «jeteux»: Radio-Canada jette plein de trucs, les archives du Canada ne conservent pas les documents de la culture populaire… Quand on veut faire des recher-ches sur La Poune, il faut travailler fort! Pourtant, c’est un personnage marquant. En culture populaire, il y a une chanson sur tous les sujets. Nomme-moi un sujet, il y a une chanson là-dessus. avez-vous un lien de famille avec la Poune? On est finalement tous parents, car on des-cend tous de René Houâllet. Mais c’est sûre-ment de loin puisque, elle, c’était Ouellette, avec «ette», et moi, c’est Ouellet. Moi, c’est toute sa troupe qui m’intéresse, et surtout la situation des femmes: Manda Parent, la Bolduc… Je m’intéresse toujours à l’éphé-mère, et Rose Ouellette, elle, a réussi à être à la mode tout le temps, jusqu’à la fin. Elle enregistrait des pubs de bière! J’ai même un livre de mise en forme qu’elle a fait passé 70 ans. La Poune a aussi fait un disque de Noël où elle raconte comment elle célèbre cette fête et remercie son public. C’est aussi touchant que drôle.

Quels sont vos projets pour la prochaine année?Je fais l’émission Les folies du vendredi, avec Paul Arcand, au 98,5 FM. Je continue régu-lièrement à faire de la radio indépendante pour sept radiodiffuseurs au Canada et en France, en diffusion simultanée à l’émission Va chercher le fusil à CISM. Je suis égale-ment à Infoman tous les jeudis à Radio-Canada. Je couvre ce que les grands médias ne couvrent pas: des festivals méconnus, des événements occultes.

rOse Ouellette Dite la POune (1903-1996)Rose-Alma Ouellette prend le pseudonyme de La Poune, conseillé par Olivier Guimond père, pour qu’il rime avec le sien, Ti-Zoune. Comédienne et humoriste, elle a été la reine du burlesque au Québec. Elle a dirigé deux théâtres: le Théâtre Cartier et le fameux Théâtre National.PH

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• Le patronyme Ouellet (y compris Ouellette) se trouve en 11e position dans le palmarès des noms de famille au Québec, avec près de 34 000 porteurs.

• Plusieurs étymologies existent pour ce nom de famille. Jean Cournoyer, dans son Dictionnaire des noms du Québec, dit que Ouellet vient de Houel, qui désigne, en ancien français, un cultivateur qui possédait une houe ou un marchand de houe, un instrument aratoire en fer pour remuer la terre.

• René Hoûallet est l’ancêtre de tous les Ouellet et Ouellette du Québec.

• Le nom de Rivière-Ouelle vient de l’un des directeurs de la Compagnie des Cent-Associés, Louis Houel, et non d’un Ouellet.

Sites de l'Association des Ouellet-te www.ouellet-te.comhttp://lequebecunehistoiredefamille.com/communaute/ouellet-te

Ouellet EN bREf

Coffret 2 CD Les grands classiquesLes folies du vendredi, vendredi à 9 h, 98,5 FMInfoman, jeudi 19 h 30, à Radio-CanadaPour tout savoir sur les activités de MC Gilles, visitez le www.mcgilles.com.

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