327
Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Mehdi SAYED - Ma Vie de Clandestin en France

Embed Size (px)

DESCRIPTION

Mehdi SAYED - Ma Vie de Clandestin en France

Citation preview

  • Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert

  • Mehdi Sayed

    Avec la collaboration de Virginie Lydie

    Ma vie de clandestin en France

    17 ans derrance dans la France dendessous

    Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert

  • Afin de protger la vie prive des protagonistes, certainslieux et noms ont t modifis. La bote PandoreBruxelles Paris Retrouvez toute notre actualit surhttp : //www. laboiteapandore. fr ISBN : 978-2-9600741-8-5 -EAN : 9782960074185Dpt lgal : D/2011/11906/02Toute reproduction ou adaptation dun extrait quelconque dece livre par quelque procd que ce soit, et notamment parphotocopie ou microfilm, est interdite sans autorisation critede lditeur.

    Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert

  • Tu es jamais voyageur, de mme que tu ne peux ttablir

    nulle part .Ibn Arab

    Merci aux gardes-ctes franais, italiens et tunisiens qui,en ce mois de janvier 2011, en plein cur de la rvolutiontunisienne, ont permis de sauver Mehdi et 25 autrespersonnes : des hommes, mais aussi des enfants, quivoulaient tenter leur chance en Europe. Mehdi en tait sacinquime tentative.

    Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert

  • AVANT-PROPOSCe livre est une histoire vraie, celle de Mehdi Sayed.

    Jaurais prfr que Mehdi soit un personnage de roman salongue drive naurait exist que dans mon imagination mais le destin a voulu quil soit de chair et dos.

    Le destin, allez savoir pourquoi, a galement voulu que jedevienne sa confidente et ma plume sest prte ses paroles,avec la volont dy rester le plus fidle possible. Question derespect, dauthenticit aussi.

    Je connais Mehdi depuis plusieurs annes. sa mmoire sesont donc ajouts des documents en ma possession, des gensquil ma permis de rencontrer et tout ce dont jai t letmoin impuissant en France (les procs, la prison, lartention) et dans son pays dorigine, la Tunisie, depuis sonexpulsion en aot 2009. Tmoin, je le suis galement de sasouffrance, un mal-tre qui le ronge chaque jour un peu plus,faisant dire un spcialiste des migrations et de lexil qui laun jour rencontr : Celui-l, par exemple, il est foutu !

    Mehdi nest pas foutu. Il a encore la force de se relever et,pour cela, je ladmire, mais chaque fois quil retombe, sesplaies souvrent un peu plus. Lenfant qui voulait braver sondestin, ce beau gosse que les copains surnommaient Montana,est devenu un homme dchir, un clandestin qui la Francesest toujours refuse, et dont il rve encore, comme dunematresse inaccessible. Ces deux-l ne se sont jamais compris.Lui, ne sachant comment sy prendre, cumulait lesmaladresses. Elle, moqueuse et cruelle, laccusait de tous lesmaux ou, pire, elle lignorait. Elle a fini par le jeter.

    Aujourdhui encore, Mehdi est dans lincapacit dadmettreque, sil na pas eu ses papiers, cest dabord parce quil ne lesa jamais demands. Ils ne mont pas laiss le choix,explique-t-il. Si je donnais mon identit, jtais sr de me faire

    Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert

  • expulser ! Le cycle infernal tait entam : dlinquance,prison, durcissement du code dentre et de sjour destrangers ses chances samenuisaient avec le temps. Il fautquil se bouge, quil se batte insistaient les spcialistes dudroit des trangers. Le problme, cest que la simple ide defaire une dmarche administrative le paralysait : Demain ! Aujourdhui, en attendant demain, il espre toujours que laFrance finira par laccepter, convaincu quaprs toutes cesannes passes souffrir en prison pour rien, cause despapiers , elle pourrait lui donner une chance. Ce nest bienvidemment pas lavis de ladministration, ni de la justice quila interdit de territoire. En parler le met en colre. Il est dansle dni, dans lincapacit de se confronter cette ralitdouloureuse : Jai pass la moiti de ma vie en France, entout plus de 17 ans. Pour elle, jai failli mourir je ne sais pascombien de fois Pourquoi elle ne ma jamais donn machance ? Juste une fois

    Mehdi ne comprend pas sa vie, ses checs rpts : Est-ceque cest mon destin, de souffrir ? se demande-t-ilinlassablement. Il ne souffre pourtant pas de dficienceintellectuelle , comme jai pu le lire dans un rapport deprison. Si tel tait le cas, parlerait-il larabe (sa languedorigine), le franais, litalien, le roumain, et mme quelquesmots danglais alors quil na presque pas frquent lcole ?Ces langues, il les a apprises au gr de ses rencontres, par latl En franais, qui ne lui a jamais t enseign, il ma critdes dizaines de lettres, noirci des carnets entiers : un franaisphontique, certes, mais qui peut le lui reprocher ? Lesdifficults de Mehdi sont dun autre ordre, le fruit dunesuccession de traumatismes et de souffrances accumules :trop de diffrences entre la vie idalise et la vie relle (qui,pour tout compliquer, se mlangent parfois), trop de stress,dangoisses

    Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert

  • Lautre jour, je regardais une bille dans un jeu de flipper.Elle ricochait de bumper en bumper et je ne pouvaismempcher de penser Mehdi. Jy repense et je ressens sadouleur, sa rvolte impuissante, je le revois senrouler dansune couverture, comme pour se protger des chocs, ouabsorber toutes sortes de substances, des tueurs de douleur.Dans ces moments-l, il ne faut certes pas esprer uneconversation acadmique. En revanche, dans les moments ole calme revient dans sa tte, et heureusement, il y en aencore quelques-uns, tre en sa compagnie est un rel plaisir :souriant, drle, attentionn, il tonne par sa culture Uneculture trs diffrente de celle que nous apprenons lcoleou au bureau ; la sienne est base sur lobservation et sur ceregard trs particulier quil pose sur la socit. Confiez-lui unappareil photo. Il ne connat pas la technique, mais il a lil,la sensibilit, la capacit de capter ce que nous ne pouvonspas voir : des qualits rares, quil ne peut cependant pasexploiter faute de moyens, faute davoir les cls pour vivredans un monde o ladministratif la emport sur lhumain,faute aussi de faire confiance aux autres et surtout lui-mme. Cest pourtant grce ces qualits que ce livre existeaujourdhui.

    Comme une bille dans un jeu de flipper Limage me vientet me revient. Suivre Mehdi, comprendre ce quil veutexprimer, ou ne pas exprimer, relve parfois de la hautevoltige. Il lui arrivait de me donner des pistes pour que jetrouve, sa place, ce que lui-mme narrivait pas dire etlorsque je trouvais, non sans pester contre le temps perdu, ildevenait intarissable, soulag de partager son fardeau.Dautres fois, le soir surtout, ses penses se culbutaient,rebondissaient, zigzaguant la vitesse de lclair, ou alors ilrestait muet, prostr sous sa couverture mme le sol. Ilfallait laisser passer les priodes de stress, lui demander de

    Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert

  • reformuler, une fois, dix fois, poser les questionsdiffremment, tenter de dmler lcheveau dans lequel ilsemptrait, dcrypter le sens de ses paroles Heureusement,jai pu compter sur laide dAmina, mdiatrice interculturelleen ethnopsychiatrie et grande connaisseuse de la culturemusulmane, pour me donner certaines cls. Jen profite pourla remercier. Jai aussi vrifi toutes sortes de dtails : la datedes manifestations contre la guerre du Golfe, celle de la mortdu prsident Mitterrand, la valeur de la lire italienne en 1991,le prix de la cocane en 1998 Je ne pourrai jamais avoir lacertitude que tout ce quil ma dit est rigoureusement exact,mais il mest arriv dtre la premire tonne quand, surcertains des points les plus incroyables de sa vie, jai acquis lacertitude que ce quil racontait stait rellement produit.

    Lorsque jai entendu parler du cas de Mehdi, la toutepremire fois, jtais dubitative : aucun papier, plusieursidentits, jamais la bonne, un enfant de sept ans quil navaitpas reconnu, un casier judiciaire long comme une partitiondorgue de barbarie (on ne comptait plus les passages enprison et les interdictions de territoire), une bonne dizaine depassages en centre de rtention Certes, je cherchais un casdifficile pour complter mon documentaire sur limmigrationirrgulire, un ni-ni (ni rgularisable, ni expulsable), unedouble peine Mais ce cas-l me paraissait exagr. Quavait-il fait pour vivre autant dannes en prison ? Je limaginaispassant de la drogue par containers entiers, arrachant les sacsdes vieilles dames, saucissonnant de braves commerantsdans leur arrire-boutique Il avait suffi dun bref coup detlphone avant notre rendez-vous, que jentende sa voix,rauque, brise, hache par lmotion, pour donner tort monimagination, mais rien ne me prparait pour autant auxwagons dmotions, un vritable convoi, quil trimbalaitderrire lui. Fausse vie, fausse identit, mais vrai

    Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert

  • dsespoir , devait dire de lui une amie. Elle navait pas tort.Mehdi ma beaucoup parl de lui, mais pas seulement de

    lui. O quil soit, libre ou enferm, il a rvl de vritablestalents de fixeur , minformant de tout ce quil jugeaitintressant. Tel un guide touristique, il ma fait visiterquelques-uns de ses squats (la tour carre de Marseille ; labriaux poubelles de Paris-Belleville avec, juste en face, la cagedescalier du restaurant chinois ; le local qui pue la pisse, sousles WC du foyer des Mriers, prs du cimetire du Pre-Lachaise). Il ma fait dcouvrir la face cache de certainsbars, lieux de rencontres et de renseignements, pivots delconomie informelle ; il ma montr des chantiers o il avaittravaill (du grand immeuble en cours de rhabilitation lappartement, plus modeste, du simple particulier). Je laiaussi accompagn dans toutes sortes de structures : chezMdecins du monde, aux urgences, en addictologie, dans lesservices sociaux, les associations de dfense des trangersJai frquent les parloirs des maisons darrt de Grasse et deBordeaux, ceux des centres de rtention du Mesnil-Amelot,de Nice, de Bordeaux, de Toulouse. Jai assist de multiplesaudiences, en correctionnelle, en cour dappel, au 35 bis(chambre du tribunal de grande instance qui statue sur lalgalit ou non du maintien des trangers en rtentionadministrative). Depuis son expulsion, jai aussi dcouvert laTunisie, pas celle des htels-clubs, mais celle de ces portsatteints de sinistrose o les jeunes nen peuvent plusdattendre un avenir qui les a oublis, guettant la mer et, au-del, lItalie. L-bas, Mehdi ma fait rencontrer sa famille, unegrande famille comme il me lavait dcrite, avec ses allianceset ses rivalits, ses pressions et ses non-dits Une atmosphrechaleureuse, mais vite touffante. Tout le monde observe toutle monde. Il ma prsent plusieurs expulss, tous dchirs ettous sauf un envisageant un nouveau dpart. Les

    Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert

  • difficults, la rue, la prison, la rtention ils connaissent. Ilsen parlent comme autant derreurs de jeunesse, mais aussicomme autant dpreuves surmontes qui leur donnent unstatut daventurier Statut quils ne conserveront quau prixdune nouvelle tentative !

    La situation kafkaenne de Mehdi ma fait prendreconscience de lnorme gchis humain engendr parlhypocrisie et lincohrence de nos socits : celles du Suddont certaines rgions doivent leur dveloppement largentde lmigration (la lgalit ou lillgalit ntant pas laproccupation majeure) et qui encouragent indirectement lesjeunes, travers leur pesanteur et leffet miroir de russitesindividuelles, chercher ailleurs lmancipation et larespectabilit ; celles du Nord qui ne peuvent se passerdimmigrs, tant dun point de vue dmographiquequconomique, mais dont les gouvernements tiennent, pourdobscures raisons peut-tre parce que la peur est un cimentdu pouvoir des discours scuritaires qui ne sont pas sansrappeler ceux de la guerre froide : comme si les clandestinsavaient remplac un pril rouge tomb en dsutude.

    Mehdi nest ni un saint, il ne cherche dailleurs pas se fairepasser pour tel, ni un criminel. Il nest pas non plus unpersonnage de roman. Comme je lai dit plus haut, jauraisprfr cela : ce rcit naurait pas t le reflet de ces annesgches qui ne reviendront pas et de ces blessures dont soncur saigne encore. Il a pay cher, trs cher, ses rves deFrance : plus de huit ans passs en prison, dont 49 mois auseul motif de sa situation irrgulire. Sans compter lesmultiples interdictions de territoire : 31 ans si on lesadditionnait. Quand je dis a, les regards sont sceptiques : Ila d en faire Oui, mais pas tant que a ! Des juges, despoliciers, ladmettent en apart : On leur pourrit la vie (auxclandestins) jusqu ce quils craquent, quils finissent par dire

    Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert

  • qui ils sont, ou quils deviennent transparents, clochards endautres termes. L, plus personne ne sintresse eux, partle SAMU social. Certains se suicident aussi Dommagescollatraux de la lutte contre limmigration irrgulire : voilqui fait froid dans le dos ! Oui, mais lui, insistent les bonnesgens, avec un casier judiciaire pareil Avouez quil lacherch ! Pourtant, bien y regarder, en quoi est-il sidiffrent des autres ? Un mauvais dmarrage, une interdictionde territoire, la mconnaissance des rgles dune socit dontil a toujours t exclu, la crainte dinstitutions qui, pour cequil en a appris, lenvoient systmatiquement en prisonEncore une fois, la question se pose : toutes ces annesgches pour quoi ? Et tout cet argent dpens pour quoi ?Pour lexpulser au bout de dix ans denfermement et deprocdures Pour quune fois de plus, comme 70 % desexpulss, il regarde la mer et, au-del, lautre rive. Combiende tentatives devra-t-il faire encore avant dtre entendu oude grossir les rangs des victimes de lmigration irrgulirevers lEurope ? Plus de 16 000 morts depuis 1988 dont prsde 5 000 dans le seul canal de Sicile1.

    On ne sort pas indemne dune telle aventure. Aujourdhuiencore, je me sens coupable de ne pas avoir russi laider,coupable dimpuissance. Jai hberg Mehdi pendant quatremois, de janvier mai 2009. Pour quel rsultat ? Impossiblede faire une assignation rsidence sans passeport. Pas mmele temps de monter un dossier dtranger malade qui, desurcrot, ne lenthousiasmait gure : Je ne veux pas quonmaccepte par piti ! Nouveau contrle didentit, nouvellepeine de prison, trois mois, et cette fois, lexpulsion.

    Je ne te demande pas qui tu es, ni do tu viens, je tedemande quelle est ta souffrance , disait Pasteur. En mai2009, un juge posait enfin la question et mandatait un expert.Une chance croyait-on, malgr les trois mois de prison qui lui

    Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert

  • taient nouveau infligs. Nous tions confiants, persuadsque lexpert mandat ne pouvait que confirmer ltat de stresspost-traumatique constat par plusieurs mdecinspsychiatres. Un mois et demi plus tard, dans la mme salle,nous coutions, incrdules, le rapport dexpertise faisant suite trente minutes dentretien en maison darrt : un vritablelynchage qui ne constatait aucun trouble, voquant unepersonnalit manipulatrice et profiteuse Selon ce mmerapport, les traumatismes subis durant lenfance taient tropanciens pour laisser des squelles autres que ngligeables. Laconclusion dconseillait mme toute prise en chargepsychothrapeutique. Parole dexpert ! 2 Au fur et mesureque la lecture avanait, les yeux du juge se fronaient, desmurmures de dsapprobation slevaient, les lvres de Mehditremblaient Si javais pu lui parler, cet expert, je me seraistonne que son rapport contredise ce quavaient constattrois autres mdecins avant lui. Je lui aurais demandpourquoi de nombreux spcialistes tablissent le lien entre lesabus subis durant lenfance et le dveloppement, lgeadulte, de troubles psychiatriques et neurobiologiques, destress post-traumatique, de comportements addictifs,dinadaptation la vie quotidienne, de conduites suicidairesJe lui aurais fait remarquer que si tous ceux qui multiplientles tentatives de suicide nont dautre objectif que dattirerlattention, alors cet objectif doit tre sacrment important :au point dy risquer sa peau chaque fois ! Jajouterais queMehdi na jamais essay de profiter de moi, sauf considrerquun lit dappoint dans le salon et un paquet de cigarettes,cest de labus. Il se sentait redevable et tentait de se rendreutile : en me fournissant des informations, des contacts, enme montrant ce que je naurais pas vu sans son aide. Il voulaitaussi maider faire des travaux et quand je refusais son aide,il ponait ou peignait mes murs la nuit, en cachette Mes

    Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert

  • coups de gueule ny changeaient rien. Jai honte de ce jour oje lai rabrou aprs quil meut ramen deux normes sacspleins dobjets htroclites, des cadeaux, ngocis aux pucesdu dimanche contre un coup de main. Il savait que jaimais labrocante et il esprait me faire plaisir. Nos rapports taientfaits de hauts et de bas. Le pidestal sur lequel il me plaait, etdont je tombais parfois, ne lempchait pas de transformer mavie en un invraisemblable capharnam. Quand il tait l etquil dmontait mon chauffe-eau pour allumer sa cigarette, jervais de lenvoyer en Patagonie. Quand il ntait pas l, passdeux ou trois jours savourer le calme retrouv, ma vie taitune sorte de grand vide que comblaient ses coups detlphone. On parlait longuement, surtout le soir quand, avecla nuit, lui venaient les angoisses et les ides noires. Mehdiaimait la vie, mais pas sa vie quil voulait rgulirementquitter et ma crainte tait qu force de sautodtruire, il nenarrive au point de non-retour. Pour poursuivre les soinspsychothrapeutiques quil avait entams et retrouver un peude stabilit, il aurait eu besoin de temps et de scurit. Fichpour cause dinterdiction de territoire, il navait ni lun nilautre.

    En France, dont il ne connat pas les rgles de la vie ordinaire , cest--dire en dehors de la clandestinit et dela prison, il lui aurait aussi fallu faire lapprentissage de la viesociale et des dmarches administratives. Aujourdhui,expuls vers son pays, o il a le droit de vivre, mais dont ilconnat encore moins les rgles, et o le chmage touche 30 40 % de la jeunesse, ses perspectives de rinsertion sontextrmement rduites. Sa mre lve les yeux et les mains versle ciel : Mon fils, il est revenu fou ! Le problme desexpulss nest pas spcifique la Tunisie, il est partout uneralit. Loin des yeux, loin du cur, personne ne seproccupe de leur devenir et la majorit dentre eux cherche

    Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert

  • un nouveau moyen de regagner lEurope, un objectif qui leurtient de raison de vivre, et qui fait deux les meilleursambassadeurs de la harga : Si mme eux veulent repartir,cest que vraiment, a doit tre mieux de lautre ct ! Sujettabou, sujet qui fche, lEurope qui contribue, via laide audveloppement, financer la lutte contre lmigrationclandestine dans les pays du Maghreb (matriel, campsdtrangers, formation des policiers) ne se proccupe gurede ceux quelle expulse.

    Mehdi disait souvent que, pour lui, ctait trop tard, mais ilavait envie que ce livre serve aux jeunes qui rventdEurope, pour quils sachent la vrit en esprant quils neferont pas les mmes conneries ! Jaimerais que son vu seralise. Il en faut du courage pour se dvoiler comme il la faitet pour accepter que de telles confidences soient renduespubliques. O est le bien ? O est le mal ? La rponse estcomplexe. Devons-nous juger ou essayer de comprendre ?Jaimerais qu travers lhistoire de Mehdi, ce livre nousinterroge sur ces jeunes en dsesprance, sur leursfrustrations dtre carts dune Europe qui leur est pourtantfamilire, sur la violence feutre de nos socits. Je rve dene plus rver , nous dit-il et, de cela, on en rve pour lui,mais est-ce bien raliste ? Il sait quau nord de laMditerrane, quelques encablures, un jour de chantierrapporte autant que quinze jours de travail au sud, et que lesjeans fabriqus quinze centimes deuro de lheure dans sonpays se vendent plus de cent euros dans les ntres. Il sait que,mme sil trouve du travail dans son pays, il ne gagnera passuffisamment pour tre indpendant et avoir son proprelogement, en dehors de la famille. La rue, la prison mme,sont plus faciles supporter que le poids des regards. Danscette histoire, dans son histoire, la fois extrme etemblmatique des harragas3, les brleurs de frontires,

    Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert

  • Mehdi a fait bien plus que brler, il sest consum. La partiede flipper dure depuis trop longtemps, et il nest pas dacier. Ilest de chair et dos, un tre humain qui ne demande qu trereconnu comme tel. Le lire, cest lui reconnatre ce droit.

    Virginie Lydie

    Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert

  • PRAMBULEJe regarde la mer et, au-del, lItalie. Combien de fois ai-je

    risqu ma vie pour latteindre ? La premire fois, javais onzeans et dj, personne ne se proccupait de savoir o jtais. Ladernire fois, ctait en pleine rvolution, le jour o Ben Alinous a dit Je vous ai compris. Ce jour-l, il a fait commebeaucoup dentre nous ici : il a mis les voiles. Il a fait la hargacomme on dit, sauf que lui, au lieu de prendre le premierbateau venu, il a utilis son avion prsidentiel. Ce jour-l,14 janvier 2011, tandis que larme et la population formaientdes barrages pour lutter contre les milices et les attaquants,des centaines de jeunes se prcipitaient sur le port avec labndiction des militaires, mais le bateau sur lequel je suismont tait aussi dboussol que nous. Pendant quatre jours,sans boire, sans manger, jai cru revivre le cauchemar de maprcdente traverse, treize ans plus tt. Tout a pour quoi ?Pour revenir une fois de plus mon point de dpart ?

    Je regarde la mer. Le temps ne passe pas vite, comme silstait arrt. Pourtant, la vie est courte, si courte quhier etaujourdhui se confondent. Les souvenirs se bousculent dansma tte, prcis et confus la fois. Quest-ce que je fais l ? Est-ce que je sais au moins qui je suis ? Je pense mes pres :celui qui ma conu et celui dont jai tant rv, mon oncle quiest mort en laissant ses enfants, mes cousins, mes frres Etparmi eux, Malik. Pourquoi, Malik ? Pourquoi es-tu parti, toiaussi, au pays dont on ne revient jamais ? Pourquoi mas-tulaiss seul sur cette terre ? Ta tte a explos comme celle denotre pre et depuis, la mienne explose chaque jour un peuplus Mais moi, mme la mort ne maccepte pas !

    Je regarde la mer. Elle nest plus bleue, elle est rougecouleur de sang et mes yeux nen peuvent plus de la voir. Levent souffle. Jenfonce mon bonnet de laine sur la tte. Mes

    Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert

  • doigts frlent mon oreille droite, mon oreille de chien commeils disaient autrefois, quand jtais trop petit pour medfendre et que tout le monde se moquait de moi. Quand ellesest dchire, je devais avoir trois ou quatre ans, pas plus. Jecourais aprs une vache, je lui criais dessus et je lui jetais descailloux. Jtais fier de faire peur un animal aussi gros, maisil y avait une crevasse. La vache la vite Pas moi. Aprs, jene me rappelle pas vraiment de ce qui sest pass. Je sais quetoute la famille me cherchait. Une grande famille, plusieurscentaines de personnes Ils mont retrouv, oblig ! Ma mrema ramen la maison, puis chez un homme qui recousaittout. Le problme, cest quil recousait mal et de travers.Depuis, cest toute ma vie qui va de travers. Rien ne sestjamais pass comme je laurais souhait. Jen ai longtempsvoulu cette oreille. Je la tenais pour responsable et elle meparaissait hideuse Je voulais russir, envoyer de largent ma mre, pour quelle ait une belle maison et quelle soit firede son fils. Je voulais aussi mettre de largent de ct pour mefaire oprer et peut-tre rompre le mauvais sort qui mepoursuit. Maintenant, ce nest pas grave, plus rien nadimportance, pas mme mon sourire qui a disparu avec lesannes de prison. Ma tte se bloque. Jai 33 ans, pas dargent,et je nai rien fait de ma vie, part un enfant que je nai pas vugrandir.

    Je baisse un peu plus le bonnet sur mon oreille. Je la cachecomme jaimerais pouvoir me cacher, mloigner jamais dela honte et de la famille. Je pense ma mre. Ma mre, ellessont quatre. Celle qui ma mis au monde et trois autres : lamre de Malik, une tante dans la banlieue de Tunis, et magrand-mre, Mahbouba, que jai retrouve toute ratatine, lesyeux dlavs par la cataracte, mais dansant le rap comme unejeune fille de 20 ans. Petit, jallais de lune lautre, je meserrais contre elles, leurs caresses me rconfortaient, et puis

    Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert

  • jai commenc devenir nerveux, mloigner de tout et detout le monde. Je ne supportais plus quon me touche. Jedisparaissais, quelques heures, quelques jours, des semainesentires, des mois parfois Personne ne savait vraiment ojtais. Est-ce que quelquun sen proccupait ? Maman,Alhabiba, jai tant err dans ma vie que parfois, je ne saismme plus qui tu es. Me pardonneras-tu un jour ? Je voulaisfuir tout a, cette misre et tout le reste Ceux qui mavaientfait tant de mal et ceux, aussi, qui pleuraient par ma faute. Terappelles-tu de toutes ces fois o je courais me rfugier dansla montagne ? Et la premire fois, quand je suis parti pourlItalie, ten souviens-tu, au moins ? Je te voyais si peuAlhabiba, pourquoi tant de souffrances ? videmment,jaurais pu rester, vivre cach dans la montagne et venir tevoir de temps en temps, mais je voulais que tu sois fier de moiet que personne ne dise : Mehdi, cest un incapable ! Etvoil ! Une fois de plus, jai chou, je nai pas tenu mapromesse.

    Je regarde la mer. Elle mappelle, encore et toujours.Alhabiba, quand jtais en France, je sais que tu avais mal parma faute, surtout avec tout ce quon racontait mon sujet : Mehdi, il est avec la mafia , Mehdi, il a pris dix ans , Mehdi il est mort. Mais depuis que je suis revenu, expuls,je sais que tu as encore plus mal. Tu me crois fou, et tu as sansdoute raison. Ne tinquite pas, je vais mloigner. Si je reste,il y aura un drame, tt ou tard, et cela je ne le veux pas. Jerrele long du chemin qui surplombe la mer, mon bonnet de lainesur la tte, les yeux rivs vers le sol. Les cannettes de bire secomptent par milliers, celles que boivent les expulss pouroublier leurs souffrances et leurs rves de France.

    Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert

  • IIl tait un enfant qui rvait dun pre, dun hros grand et

    fort et marchant dans la mer, ses longs cheveux flottant dansle vent. Un jour, ce pre a explos et son sourire sest teint, nelaissant quune lgende. Lenfant tait dsespr. Il avait tantrv de ce pre quil lavait fait sien. Il nen voulait pasdautre, et surtout pas le vrai qui ntait ni grand, ni fort, etqui navait rien dun hros. Plus lenfant grandissait, plus lesgens disaient quil lui ressemblait, et plus il voulait senloigner, de peur quun jour, on ne les confonde.

    Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert

  • SEPT ANS,LA RAGE ET LA HAINE

    Tunisie. Fin 1983 dbut 1984. Bourguiba, sois gentil, rends le pain 80 millimes

    Bourguiba, sois gentil Ce jour-l, jtais fier dtre aux cts de mon pre, crier

    comme lui, comme tous les hommes de la famille, commebeaucoup de gens un peu partout dans le pays. Je criais detoutes mes forces et je lanais des cailloux quand, soudain,mon pre ma tir par lpaule.

    On sen va Vite !Je nai pas vu la suite. Les gaz lacrymognes me brlaient

    les yeux, mais jentendais les coups de feu de la police et lescris de fureur des manifestants. Ils continuaient se bagarreret tout casser : les voitures, les vitrines Rien ne semblaitpouvoir les arrter. Ils avaient la rage et la haine, et jepartageais ce sentiment sans savoir que dans quelques mois,jen comprendrais la signification.

    Dans mes plus lointains souvenirs, jadorais mon pre. Ilsouriait tout le temps et je le suivais partout. Il mapprenait pcher, nager Il voulait que japprenne me dbrouillerseul. Je me rappelle le jour o il ma pouss dans la mer, duhaut des rochers. Mes hurlements ont aussitt t stopps parleau de mer et lcume qui sengouffraient dans ma gorge etmon nez.

    Fais les mouvements, comme la plage !Je navais pas pied. Je montais, je redescendais et plus je

    me dbattais, plus jtouffais. Quand mon pre a plong pourme rcuprer, javais presque oubli quil mavait pouss, tropheureux dtre sauv. Il rigolait en me bousculant.

    Regarde ! Par ta faute, je suis tremp

    Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert

  • lpoque, je riais encore avec lui.Aprs les manifestations, le prix du pain est redevenu

    comme avant, mais le sourire de mon pre a disparu. Ses riresont cd la place au silence, puis la colre quand il a dcesser de pcher aux explosifs, seul moyen de nourrir safamille. Plus personne navait le droit den acheter ou denpossder, et encore moins de sen servir Pas cause delcologie, cette poque, personne ne sen proccupait, mais cause de la monte des islamistes. Se faire prendre avec unearme ou de la dynamite, ctait comme signer son arrt demort. Les mois ont pass, des mois marqus par la faim. lamaison, ma mre avait beau faire des miracles, il ny avaitplus assez manger pour nous tous, mon frre, mes troissurs, et mes trois cousins qui taient comme mes frresdepuis la mort de leur pre, quelques annes plus tt Leurmre ne sen tait jamais remise et quand elle tait tropfatigue, ils logeaient chez nous. Pour eux, ctait pratiqueparce que notre maison, une pice pour tre plus exact, setrouvait tout prs de la mer, mais on tait entasss comme dessardines dans une bote. Les parents dormaient derrire unepetite cloison. De leur ct, les enfants taient tte-bche,filles et garons spars par une planche. Les filles se levaient six heures. Elles devaient juste se prparer pour lcole. Lesgarons, mme ceux qui allaient lcole, se levaient cinqheures pour travailler. Moi, je nallais pas encore en classe etjtais trop petit pour rapporter de largent, mais je me levaisen mme temps que mes frres. Je navais pas le choix vu legrand bazar que ctait, et mon pre memmenait avec lui. Peu peu, avec la faim, il a commenc me considrer commeune bouche inutile nourrir. Il snervait de plus en plussouvent contre moi.

    Allez, rame !Je ramais le plus fort possible. Les paules me faisaient mal,

    Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert

  • jen avais les larmes aux yeux, mais je me taisais. Pendant cetemps, il prparait les poissons quon avait remonts. Une foisarrivs quai, je laidais nettoyer le bateau, une barque dedeux mtres, laver le matriel, et mme vendre lespoissons On gagnait entre cinq et six dinars par jour, parfoisvingt ou trente mais ctait rare, et parfois rien du tout. Ilpouvait se passer une semaine, et mme deux, sans quonpche un seul poisson. Durant ces priodes, ctait vraiment lamisre et mon pre allait au march, sans rien vendre, justeses bras, dans lespoir de nous ramener un peu de pain, du rizet des pommes de terre.

    Jai commenc dtester mon pre un jour de fte. Ma

    mre avait achet un kilo de viande et des bananes. Elle avaitdonn deux centimtres de banane, pas plus, chacun dentrenous et mis le reste dans le frigo. Ce jour-l, jai vol. Monpre tait furieux contre moi, ivre aussi. Il ma attach contreun arbre, a pris un cble et ma fouett le dos jusquau sang.

    Tu as vu comment on traite les voleurs ?Personne nest intervenu, part Malik, mon cousin, mon

    frre. a sufft ! Tu fais un fds et tu le traites comme a ? Si cest mon fils, il nest pas un voleur !Malik lui a pris le bras et lui a arrach le cble des mains. Il a faim Il na que six ans. Quest-ce que tu veux quil

    comprenne ?Mon pre sest dgag de ltreinte de son neveu. Il a lev la

    main comme pour le frapper, mais 17 ans, Malik tait uneforce de la nature et mon pre sest loign en faisant desgrands gestes.

    Tu nas qu toccuper de lui, puisque tu es si malin ! compter de ce jour, ma mre a attach le frigo avec une

    chane et un cadenas, et je nai plus parl mon pre.

    Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert

  • La mre de Malik a dcid de me garder quelques temps.Elle soignait mes blessures. Elle maimait comme son fils, neme grondait jamais et quand jtais triste, elle mettait ma ttesur son paule et elle membrassait. Je suis rest plusieursmois avec elle. Quand elle tait trop fatigue, jallais chezdautres tantes, parfois chez ma mre. Je passais de bras enbras, je faisais de mon mieux pour travailler, me rendre utile,faire plaisir mais en ralit, personne ne savait quoi faire demoi. Il a mme t question de menvoyer en Allemagne, chezdes cousins. Malik disait que ce serait bien pour moi. Lui aussirvait daller en Europe pour y faire sa vie, mais son frre antait dj parti et lautre, Hamid, allait encore lcole.Hamid travaillait bien, il tait sage comme une image etpersonne naurait imagin quil quitterait son pays, quatre ansplus tard, pour braquer une banque en France. En attendant,Malik veillait sur lui, sur sa mre et sur moi. lpoque, je mefichais pas mal de lEurope.

    Moi, ce que je veux, cest rester avec toi. Si tu vas en Allemagne, tu feras lcole et tu deviendras

    quelquun dimportant ! Et toi, tu seras avec moi ? AprsJe baissais les yeux pour quil ne voie pas mes larmes, mais

    il les sentait. Ne tinquite pas, je viendrai te voir Mais pas tout de

    suite Plus tard ! Wallah, tu jures ? Je jure.Quil jure ou pas, dans le fond, a navait pas dimportance.

    Au bled, personne navait largent pour me faire voyager et enAllemagne, personne ntait press de maccueillir.

    En attendant, je suivais Malik partout. Avec lui, je narrtaispas de parler et de faire le clown, sauf quand il memmenait

    Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert

  • la pche avec mon pre Il disait que a lui faisait du repos.Moi, a me mettait en colre et je le frappais.

    Tu veux faire la boxe ? Allez Gauche DroiteMalik pchait souvent avec mon pre. Il esprait quon

    finirait par se rconcilier, mais nos rapports se rduisaient un bref regard. Un jour, le filet sest accroch quelque chose.Comme on ne russissait pas le dgager, Malik a plong,puis il est remont la surface, trs excit.

    Une bombe Cest une bombe !La mer tait encore parseme dobus qui dataient de la

    guerre. Celui-l tait norme : peut-tre deux cents kilos ! Auprix de la dynamite, ctait mieux quun coffre au trsor.Comme il tait pris dans le sable et quil tait trop lourd pourtre remorqu avec notre bateau, Malik la attach unepetite balise rouge, comme celles qui servent reprer lesfilets. Ensuite, on est rentrs au port. Le soir mme, Malik etmon pre taient en grande discussion avec lun de mesoncles qui possdait un zodiac. Le lendemain matin, avant lelever du soleil, on est tous partis la recherche de lobus :Malik, loncle au zodiac, mon pre et moi. On la retrouvfacilement. Malik et mon pre ont russi le dsensabler,mais le soleil se levait et mon oncle ne voulait pas prendre lerisque de le ramener.

    Cest trop dangereux. On reviendra cette nuit.La nuit venue, une grande dispute a clat entre mon pre

    et mon oncle. La lune clairait faiblement la mer et ontournait en rond depuis une heure, peut-tre plus. La baliserestait invisible.

    Cest toi ! Tu veux garder la bombe pour toi tout seul et

    tu las vole. Mais non Tu en as parl quelquun dautre ?

    Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert

  • Personne Je te jure ! Si on ne la retrouve pas, je te tue !Le silence sest fait pesant. On a scrut la mer, longtemps,

    jusqu ce que Malik finisse par reprer la balise. Elle ntaitpas trs loin. Il a plong aussitt et quand il est remont, on atout de suite compris, son sourire, que la bombe tait endessous. Ce ntait pas une partie de plaisir de lattacher auzodiac et de la remorquer, mais a nempchait pas mon preet mon oncle de continuer se disputer.

    Tu ne vas pas me faire croire quune bombe de ce poids,a se dplace tout seul !

    Qui te dit quelle sest dplace ? Tu es encore en train de maccuser ? Tu tais le seul tre au courant. Dautres pcheurs ont d voir la balise. Ils ont trouv la

    bombe et ils ont essay de la dplacerMalik a essay dintervenir. Arrtez tous les deux. La balise tait sa place. Cest juste

    quon la cherchait au mauvais endroit. Tu nous prends pour des imbciles ?Il a laiss tomber, mort de rire. Un autre problme nallait

    pas tarder venir : lobus tait bien trop lourd pour treramen terre. On a d le dposer dans la mer, le plus prspossible de notre maison et, comme personne ne faisaitconfiance personne, on a tous surveill la plage pendantdeux jours jusqu ce quun autre oncle, qui possdait untracteur, nous aide le sortir de leau et le cacher derrireun bosquet darbustes. Ensuite, il a fallu surveiller le bosquet,jusqu ce que mon pre et Malik dcoupent lobus pour sortirlexplosif. Ils ont pris ce dont ils avaient besoin, ils ont donnune part loncle au zodiac, une part loncle au tracteur, etont vendu le reste dautres pcheurs.

    Avec la dynamite, on mangeait nouveau notre faim, mais

    Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert

  • il fallait faire attention. On pchait dans les criques, prs delle, du ct du phare, et aussi dans une pave rouille avecdes grandes salles, des chelles et, dans le fond, des milliersde poissons Lpave, ctait le plus impressionnant. chaque bombe lance, leau jaillissait, limmense carcassetremblait et, comme par magie, les poissons remontaient lasurface, prts tre ramasss. Dautres fois, on pchait sur lacte, prs de chez nous. Jtais trop jeune pour manipuler lesexplosifs, mais je surveillais la route. Malik me faisaitconfiance. Toutes les deux minutes, il levait la tte dans madirection et je lui faisais signe : la main tendue vers larrire sije voyais la police, la douane ou les militaires ; vers lavant sitout allait bien. Il pouvait alors lancer la bombe. Ensuite, jecourais les rejoindre dans leau. Je portais une nasse autourde la taille, la mme que celles que portaient mon pre etMalik, en plus petite, et je les aidais ramasser les poissonsqui flottaient, lpine dorsale brise par londe de choc. Ilfallait faire vite parce que mme quand on pchait lcart,mme quand on avait limpression quil ny avait personne, onvoyait surgir les gens du quartier. Ds quils entendaient lebruit des explosions, ils se jetaient leau pour rcuprer lespoissons, ceux qui taient le plus lcart.

    Eh On ne risque pas pour vous Si vous voulez dupoisson, vous lachetez, sinon faites comme nous !

    On avait beau leur crier dessus, a ne servait rien. En plus,ils taient de la famille.

    Dans une famille, il y a toujours des tratres, des hypocrites,

    des jaloux La police politique a t alerte et une quinzainede personnes ont t arrtes. Parmi elles, Malik, mon pre etmoi. Les hommes des brigades nous ont emmens dans unbtiment qui ressemblait une prison. Au dbut, ils ne montrien fait, ils mont juste enferm dans une petite pice. Je ne

    Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert

  • savais pas ce qui se passait, mais jentendais des cris, deshurlements Javais peur. Ensuite, ils sont venus me chercheret ils mont emmen dans un local o se trouvaient mon preet un autre homme. Mon pre tait nu, juste un caleon, et iltait attach sur une chaise, la tte baisse, des traces decoups sur tout le corps. Ses jambes, surtout, taient bleues.Lautre homme gmissait. Ils lavaient fait asseoir sur unebouteille casse et il se vidait de son sang. Je revois tout a,jai envie de vomir Lhomme des brigades ma jet par terre.Je navais quun caleon, moi aussi, et le sol tait glacial.

    Puisque tu ne veux pas parler, on va faire parler ton fils.Il ma donn des coups de pied. Ensuite, il ma attach sur

    une chaise, il a cras sa cigarette sur ma jambe avant de lajeter par terre, puis il a plant des seringues dans ma cheville.Elles taient relies un gnrateur par un fil lectrique. Il acommenc balancer le courant, de plus en plus fort. Ilfumait beaucoup, cigarette sur cigarette, et il crasait sesmgots sur mon corps Des larmes coulaient des yeux demon pre. Il pleurait, mais a servait quoi ? Je medemandais o tait Malik. Est-ce quils lavaient tu ? Est-ceque, moi aussi, jallais mourir ? On tait tous spars etpersonne ne savait exactement ce qui se passait, qui disaitquoi. On a t relchs au bout de quelques jours, unesemaine peut-tre. Aprs tout, on ntait que des pcheurs

    Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert

  • LE MEKTOUB sept ans, je me sentais un homme. Je navais pas parl,

    pendant larrestation, et tout le monde, mme mon pre,mavait flicit. Jtais fier de me dire que, dsormais, jtaisprt affronter tous les dangers et que rien ne pourrait jamaismatteindre. Pourtant, en quelques mois, ces belles certitudesse sont envoles et ma vie a bascul. Tout a commenc par lamort de Kenza.

    Kenza avait 13 ans. Elle tait magnifique, elle rigolaittoujours, elle travaillait bien lcole et elle venait dtreadmise au lyce. Elle tait la fiert de la famille. Le matin desa mort, mon pre avait ramen des boukachech4 la maison.Kenza les prparait, accroupie, quand, soudain, elle sest mise crier.

    Quest-ce que tu as ? Il ma piqu Jai mal !Sur le coup, jai cru quelle plaisantait comme elle le faisait

    souvent, mais jai vu son orteil gonfler. Il ny avait quelle etmoi la maison. Les autres taient partis au march. Jaiattach son doigt de pied avec un petit bout de tissu, jaiaspir son sang et je lai crach. Javais dj vu mon pre fairela mme chose. Ensuite, je lui ai nettoy le pied avec de leauet je lai emmene dans la petite chambre, l o dormaient lesparents. Elle avait mal, mais elle souriait.

    Je lai laisse dix heures du matin pour aller au march.Une fois arriv, je me suis install, comme dhabitude, lendroit o les vhicules sarrtent. Jattendais larrive destravailleurs pour monter des cageots de fruits dans lescamions qui les transportaient. Les bonnes journes, jegagnais un ou deux dinars que je mettais dans ma poche etque je ramenais ma mre. Quand je la voyais contente,jtais le plus heureux de la terre. Ce jour-l, Mustapha, un

    Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert

  • ami de la famille est venu me voir. Il avait lair bizarre, gnIl me prsentait ses condolances. Jtais tonn. Je necomprenais pas pourquoi il disait a.

    Tu nes pas au courant ? Non. Quest-ce qui se passe ? Ma grand-mre est morte ?Quand il a vu que je ne savais pas, il sest mis bredouiller

    et il est parti trs vite. Oui Je crois Ce doit tre ta grand-mreCinq ou six voitures sont passes devant moi.Elles roulaient toute allure, pleines de gens de ma famille.

    Quelque chose de grave stait produit. Je les ai suivies encourant. Je ne les voyais plus, mais je continuais de courir,comme si je sentais o elles allaient. Je me suis retrouvdevant lhpital. Ils taient tous l : mon pre, ma mre, mesoncles, mes tantes Tous devant la porte en train de crier etde pleurer. Un mdecin est venu.

    Qui est le pre de la fille ?Mon pre sest approch de lui. Suivez-moi. Les autres, rentrez chez vous.Comme personne ne bougeait, il sest fch. Vous nallez pas rester ici ! Allez Rentrez chez vous.

    Tout va bien !On a fait demi-tour. Je ne comprenais rien. Je ne savais

    mme pas qui tait lhpital. Lun de mes cousins maramen jusquau caf, au croisement de la route qui menaitchez lui. Il ne disait rien et je nosais rien demander. Il madonn quelques millimes.

    Prends un taxi et rentre chez toi.Quand je suis arriv, la famille tait dj rassemble au

    grand complet devant la maison : ma mre, mes tantes, mesoncles, mes cousins, mes cousines, mes surs Seuls Kenzaet mon pre manquaient. Ensuite, mon pre est revenu,livide. Ma mre et lune de mes tantes se sont vanouies. Les

    Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert

  • autres femmes hurlaient en se prenant dans les bras. Kenza elle est morte Kenza elle est morteJe me suis prcipit dans la maison. Le frigo tait renvers.

    Par terre, des fils lectriques et la claquette de ma surbaignaient dans leau Jai donn des coups de pied au frigoKenza Ce matin encore, elle me faisait la bise et elle merassurait :

    Ne tinquite pas, a va aller !On pleurait encore Kenza quand Malik est mort son tour.

    Malik parlait souvent de son pre dont il voulait suivre lestraces : un homme bon et gnreux, grand et fort, aim detous et qui faisait tout pour sa famille. Il mavait racontcomment son pre stait avanc dans leau, les mains en lair,comment il avait hsit ce jour-l Peut-tre quil ne voyaitplus les poissons, mais il y avait quelque chose dautre,quelque chose de bizarre. Il avait mis la main derrire sa tte,et il tait tomb en avant dans un bruit dexplosion. Il navaitplus de main droite, la tte moiti arrache Ce jour-l, lamer stait teinte de rouge, emportant avec elle celui dont,moi aussi, javais fait mon hros, avec ses cheveux longs,luttant contre des poissons gants, comme ceux que javaisvus, un jour, sur une mosaque. Est-ce quil tait mort envoulant combattre lun de ces monstres ?

    Malik a suivi les traces de son pre. Il est mort comme lui,

    en pchant la dynamite. Ce jour-l, mon grand frre nousaccompagnait et moi, je surveillais la route. Rien signaler.Jai tendu la main vers lavant, mais le bruit dexplosion qui asuivi ntait pas le mme que dhabitude. Jai tourn la tte.Malik titubait. Il est tomb en arrire et, tout autour de lui, lamer sest teinte de rouge, comme il me lavait maintes foisracont.

    Malik

    Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert

  • Je me suis prcipit en hurlant son nom. Je courais, jenageais Il ne bougeait plus. Quelque chose de bizarre, de lacervelle, schappait de sa tte et ses yeux taient sortis deleurs orbites. Les gens du bled, comme chaque fois quilsentendaient le bruit des explosions, se sont prcipits, mais cejour-l, ils nont ramass aucun poisson. Leurs cris, commeceux des femmes le jour de la mort de Kenza, rsonnentencore dans ma tte.

    Le jour de lenterrement, une file de voitures de plusieurskilomtres bloquait la route. Malik tait aim de tout lemonde et il tait mort de la mme manire que son pre avantlui. Ma sur, Kenza, et maintenant, Malik, plus que monfrre Les gens disaient quon navait pas de chance, maisquon ny pouvait rien, que ctait le mektoub, notre destinJe hassais ce destin qui venait de faire disparatre ceux quejaimais le plus. Pour moi, ctait comme la fin du monde.Jtais en tat de choc. Jai mis une couverture sur ma tte,pour ne plus voir personne, et je suis rest plusieurs heures,plusieurs jours, sans bouger. Je refusais de manger et lorsquema mre, mes tantes, ou mes surs insistaient, je me mettaisen colre. Je rclamais mon frre, Malik, et aussi son pre,Anouar, notre pre Papa ! Personne ne comprenait.

    Ton pre, il est l !Personne narrivait me faire entendre raison. Anouar

    Malik Tout se mlangeait dans ma tte. Je voulais voirMama, la mre de Malik, mais on me disait quelle tait tropmal. Je ne voulais pas rester chez moi, persuad que ce ntaitpas chez moi et quon mavait enlev. Finalement, je suis all lhpital, puis chez une tante qui habitait ct de Tunis, et jeme suis un peu apais. Jai mme retrouv le sourire endcouvrant lamour.

    Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert

  • MON PREMIER AMOURJavais huit ans, elle en avait dix et elle sappelait Lela. Le

    jour o elle ma pris par la main pour memmener chez elle,juste ct de la maison o habitait ma tante, ma nouvellemaman, il ny avait personne.

    Viens.Elle ma entran dans la chambre, elle a enlev ses

    vtements et elle sest allonge. Il fait chaud. Tu devrais faire comme moi.Comme jhsitais, elle sest mise rire. Tu as peur ?Je me suis dshabill mon tour, je me suis allong prs

    delle et on est rests comme a, lun contre lautre, sansbouger, main dans la main, puis elle ma fait un bisou et ellema demand si elle pouvait toucher mon sexe.

    Le feu enflammait mes joues. Ctait agrable, mais je ne lecontrlais pas et il sest mis durcir. a la faisait rire. Moi,jtais gn et je ne savais pas quoi faire alors je ne faisaisrien.

    Tu peux toucher le mien, si tu veux.Jai aval ma salive et jai mis ma main entre ses jambes.

    Ctait chaud et doux, mais a na pas dur longtemps. On aentendu des bruits de pas et des voix.

    Vite ! Rhabille-toi.Je suis sorti par la fentre. Jtais boulevers, javais envie

    de la revoir, de recommencer. En mme temps, javais honte.Elle aussi, je crois Par la suite, on sest vits et quand on secroisait, on se disait bonjour dun air gn. Finalement,comme jallais mieux et que ma tante ne pouvait pas megarder ternellement, je suis rentr chez moi.

    Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert

  • CE DONT ON NE PARLE PASJhabitais un peu chez mes parents, un peu chez tout le

    monde, le plus souvent chez Khalil, un cousin loign qui taitaussi mon meilleur ami. Son pre tait mort un an plus tt etil vivait avec sa mre et son frre handicap. Quand la mrede Khalil est tombe malade, je naurais jamais imagin quonpuisse autant souffrir. Elle navait pas les moyens daller lhpital et elle avait peur pour son fils handicap. Elle semfiait dun homme en particulier qui, de temps en temps, lefaisait travailler dans son picerie. En change, il lui donnaitdes bonbons et un peu de nourriture. Elle naimait pas cethomme. Khalil mavait racont quun jour, il tait venu chezelle, avec lun de ses copains, et quil lavait menace avec uncouteau. Depuis, elle en avait peur.

    Quand je me rappelle cette femme, Mama, les larmes meviennent aux yeux. Elle tait la plus pauvre du village, mais ane lempchait pas de partager avec moi le peu quelle avaitpour elle et ses fils. En change, je lui ramenais du poisson etquand je nen avais pas, je volais une poule. Le jour de samort, jtais chez elle. Khalil soccupait de son frre, il essayaitde le tenir distance pour quil ne soit pas encore plusperturb de voir sa mre dans cet tat. Pour lui aussi, ctaittrop dur. Dans le quartier, tout le monde parlait de cettefemme, tout le monde tait daccord pour dire que sasituation tait trop triste, mais personne ne laidait, personnene faisait venir un docteur, pas mme ceux qui avaient delargent. Pourquoi ? Elle ma pris dans ses bras et elle mamurmur quelque chose propos des gens.

    Ne leur en tiens pas rigueur Allah sait ce quils ont dansle cur.

    Jai pris un torchon, je lai mouill avec de leau frachepour lui tamponner le front et les tempes, mais a ne suffisait

    Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert

  • pas. Elle avait mal, trop mal, et je souffrais avec elle. Jai vuses yeux tourner, de la salive sortir de sa bouche, et elle acess de bouger.

    Deux ou trois mois plus tard, je rentrais de lcole avec

    Khalil quand trois hommes se sont approchs de nous. Parmieux, lpicier dont la mre de Khalil avait peur et un autre qui, part boire, ne faisait pas grand-chose de sa vie. Il y avaitaussi un homme de ma famille, un cousin. Ils nous ontdemand de les aider ramener des chaises pour un mariage.Elles taient soi-disant entreposes du ct du cimetire. Jesavais, je sentais, quil ne fallait pas leur faire confiance.

    Viens Khalil, on rentre !Le plus balze ma attrap et il a commenc me frapper.

    Ensuite, ils nous ont emmens de force vers le cimetire, ilsnous ont fait descendre dans une sorte de caveau o personnene pouvait nous entendre, et ils nous ont attachs. On taitterroriss et eux, ils rigolaient. Ils ont commenc par Khalil.Quand jai vu ce quils lui faisaient, quand jai entendu ses cris,je nen croyais ni mes yeux ni mes oreilles. Et celui de mafamille, il faisait comme les autres Ils samusaient nousfaire souffrir, ils ont mme arrach un ongle Khalil avec uncouteau. Ils sortaient, ils revenaient Personne ne pouvaitentendre nos hurlements. Ils nous ont relchs au bout detrois jours en nous menaant de recommencer et de senprendre notre famille si on parlait. Ils navaient mme pasbesoin de dire a. Ils savaient quon garderait le silence. Khalilest parti de son ct et moi, jai couru en trbuchant jusquun ancien btiment militaire. Jai pris lescalier, je suisdescendu le plus bas possible et je me suis cach. Je suis restprostr, recroquevill dans le noir, en bas des marches,pendant des heures et des heures. Le froid engourdissait moncorps et je narrivais plus penser. Quand je me suis relev,

    Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert

  • des milliers daiguilles transperaient ma chair, comme pourme faire sentir que jtais toujours en vie. Jai fini par sortir etjai crois le vieux Mansour. Il habitait au bord de la route quimenait chez moi. Il ma attrap par le bras.

    Te voil, toi ! O tu tais pass ? Et Khalil, il nest pasavec toi ? Tout le monde vous cherche

    Je narrivais pas parler tellement jtais choqu. Il malongtemps regard. Je crois quil a compris parce quil avaitles larmes aux yeux. Il a relch mon bras, il a mis la main surmon paule et il ma conseill de ne rien dire.

    Laffaire a t vite classe. Nos pleurs et leurs rirescontinuaient de rsonner dans nos ttes et aujourdhuiencore, ils rsonnent mais on sest contents de baisser latte pendant que la police nous sermonnait cause de lafamille qui sinquitait. La famille, une grande famille,plusieurs centaines de personnes qui passent leur temps sobserver. Comment peut-on croire que personne ne savaitque trois dentre eux profitaient du frre de Khalil, des plusfaibles, de ceux qui nont rien

    Jtais de plus en plus nerveux. Je nallais presque plus en

    classe et quand jy allais, a se passait mal avec le professeur.Mes parents ont essay de me changer dcole. Ils montenvoy du ct de chez ma tante Tunis, pour que japprennela mosaque. lpoque, je rvais encore de princesses, depoissons fabuleux et de hros qui combattent les monstresJe rvais de crer tous ces personnages, pice par pice, et deles fixer dans une sorte de bonheur ternel. Cette cole meplaisait, mais largent manquait. Jy suis rest six mois, letemps de me dire que ce mtier, il aurait t bien pour moi.Ensuite, je suis revenu et jai retrouv lcole de mon quartiero je ne faisais pas grand-chose, part me bagarrer. On faisaitde grandes quipes et on se battait jusqu ce que le

    Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert

  • professeur intervienne. Je commenais devenir fort, rapide,et tous les copains me voulaient avec eux, mais pour moi, ilny avait plus de printemps, plus dt, plus dautomne, etmme plus dhiver. Jai pass des annes les viter, les trois,mais ce ntait pas facile et quand je les voyais marcher enfaisant rouler leurs paules, quand je voyais quils meregardaient et quils se moquaient de moi, de mes vtementsdchirs et de mes claquettes rafistoles avec du fil de fer,javais la haine et la honte, mais je ne pouvais rien faire, riendire. Personne ne sen rendait compte parce que je rigolaistoujours et que jtais gentil avec tout le monde, mais moncur saignait et quand il me faisait trop mal, je partais merfugier dans la montagne. Je restais seul, pendant desheures, des jours parfois, jusqu ce que je retrouve la paix.

    Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert

  • LHOMME LAUDI GRISEJe partais, je revenais, personne ny faisait vraiment

    attention. Mes grandes surs staient maries. Mon frrean et mon cousin, le frre de Malik qui tait, lui aussi,comme mon frre, taient partis en Europe, chacun de leurct. Avec mon pre, on avait pris lhabitude de signorer et,mme quand je travaillais avec lui, on ne se parlait pas. Quant ma mre, elle avait bien assez faire avec la cuisine, leraccommodage des filets de pche, mon petit frre, Fathi, etsurtout, ma petite sur qui venait de natre. Bref ! 11 ans, jeme dbrouillais seul, ce qui arrangeait bien tout le monde. Jefaisais toutes sortes de boulots : charger et dcharger descaisses, garder des moutons, nettoyer des bateaux Un jour,jai mme plong trois fois de suite dans la mer, du haut de lafalaise pour un Allemand qui voulait faire une photo. Il metraitait comme un animal de cirque, me donnait des picescomme on donne des cacahoutes un singe et moi, jerisquais ma vie pour a, pour quelques millimes Mais le plussouvent, je prenais la petite barque que mon pre nutilisaitplus depuis quil avait un bateau moteur. Je partais en findaprs-midi pour jeter les filets et je reprenais la mer lematin, vers 5 heures, pour les relever. Les jours o je prenaisdu poisson, le march devenait mon domaine, ma scne dethtre, surtout en t, quand il y avait du monde.

    Allez-y Allez-y Poisson frais ! Dans une demi-heure,

    a va monter le prix Profitez maintenant ! Poisson fraisRegardez, il bouge ! Profitez

    Un immigr qui passait ses vacances au bled sest approchde moi.

    Combien le tout ? Dix dinars.

    Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert

  • Laisse-les cinq. cinq dinars, je prends.Jhsitais, parce que cinq dinars, ce ntait vraiment pas

    grand-chose, mais il a continu me baratiner. Tu sais, jhabite en France. L-bas, jai un grand bateau et

    je pche des poissons bien plus gros quici La preuve,regarde ma voiture.

    Ctait une Audi grise. Elle est belle, hein ? 100 000 dinars ! Et encore, celle-l,

    ce nest rien, jen ai trois autres en France.100 000 dinars Comment pouvait-on transporter

    100 000 dinars ? Je mimaginais avec un beau costume et lespoches dbordant de billets. Il me parlait de sa vie. Il disaitque jtais un bon pcheur et que si je venais en France, il meferait travailler. Je me suis mis rver. Je ne me suis mmepas demand pourquoi avec de si grosses voitures, il nepouvait pas payer dix dinars.

    Daccord, cinq dinars. Merci. Y a pas de quoi.Il ma fait mettre le poisson dans le coffre. Le lendemain, il

    est revenu pour acheter tout mon poisson et il ma propos deme ramener chez moi, dans sa voiture. Jtais trop fier dtredans cette voiture incroyable avec la musique fond.Jimaginais que ctait la mienne. Il sest arrt, nous tionsdj arrivs, et il ma fait la bise.

    Je repars cet aprs-midi en France.Je lai regard, les yeux pleins despoir. Moi aussi, jaimerais aller en France. Daccord. Le jour o tu viens, ne te casse pas la tte. Tu

    me tlphones. Tu auras une bonne place et un logement.Il ma donn une carte de visite et un pot de Nutella, mais il

    ne ma pas pay. Il disait quil repartait aujourdhui et quilnavait pas eu le temps de retirer largent la banque. Une

    Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert

  • bote de Nutella contre trois kilos de poissons ! Jai baiss latte, jtais trop timide pour insister, mais il a bien vu quejtais du.

    Donne-moi ton tlphone. Si jai quelque chose pour toi,je tappelle. Promis !

    Je lui ai donn le numro du Hanout, lpicerie ct dechez moi, et je lai regard faire demi-tour dans sa bellevoiture.

    Plus un seul jour ne passait sans que je rve de la France. Jejetais mes filets de plus en plus loin dans lespoir de la voir,mais avec ma petite barque, je nallais pas bien loin. Jai servide guide un homme daffaires qui pchait le dimanche. Ilmemmenait sur son bateau, une vedette avec un bon moteur,et il me demandait de lui montrer les bons coins.

    En France. Les poissons, l-bas, ils sont gros comme a !Il croyait que je plaisantais et a le faisait rire. Ou en Italie si tu prfres Ils sont moins gros, mais cest

    plus prs.Il riait encore plus fort.Jai fait le tour des ports de la rgion. Je me faisais

    embaucher par des pcheurs en esprant que leur bateausapprocherait de lEurope. Je scrutais lhorizon et parfois, sesctes me paraissaient si proches quil me semblait les voir.

    Oh ! Mehdi. Tu rves ou quoi ?

    Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert

  • ALLER-RETOUR POUR UN RVEJe ntais pas le seul rver. Carlos, Manahi, Achour et

    Mahmoud ne parlaient que de lEurope. Mahmoud, le plusg, avait 30 ans. Cest la premire personne qui jai parl demon projet. Je suis all le voir un jour o il pchait pied. Iltait seul.

    Mahmoud, il faut que je te parle. Vas-y ! Jen ai marre de ce bled. Il faut que je parte.Il a lev les bras au ciel. Moi aussi, je voudrais partir, mais avec quoi ? Le

    problme, cest largent Je te jure, Mehdi, si tu as un tuyaupour partir gratuit, je suis le premier te suivre !

    Mahmoud navait jamais voulu se marier. Il rvait duneEuropenne.

    L-bas, les femmes, elles sont trop magnifiquesLes autres taient pareils. Ils rvaient de partir, mais ils

    navaient pas largent. Je les voyais presque chaque soir, aucaf. Achour tait persuad quen Europe, il trouverait dutravail.

    Comme a, je pourrai macheter une voiture.Manahi, qui avait 22 ans, parlait de faire de largent avec la

    drogue. Tout le monde prend de la cocane l-bas. Cest sr que si

    je trouve un moyen dy aller, jy vais, je fais du business, pleinde business et je reviens millionnaire.

    Carlos on le surnommait comme a cause de sescheveux blonds qui formaient une grosse boule, commeValderamma5 trouvait que ctait une bonne ide.

    Moi aussi, et dans deux ou trois ans, je rentre et jouvreun restaurant.

    Pourquoi vous ne prenez pas un bateau si vous voulez

    Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert

  • tant partir ? Ce nest pas ce qui manque dans les parages.Ils mont regard comme sils avaient eu une rvlation.Deux jours plus tard, il faisait nuit et je rentrais du port

    avec mon pre quand jai aperu des ombres bord dunbateau que je connaissais : un douze mtres, tout neuf, avecun moteur de deux cent cinquante chevaux. Il appartenait des gens importants qui pchaient pour le plaisir. Je les avaisaids, deux jours plus tt, dcharger leurs affaires et ilsmavaient remerci dune pice. Aprs leur dpart, jtaisrest longtemps regarder ce bateau. Je mimaginais seulmatre bord, voguant vers la France, pays de la libert,galit, fraternit Jai ralenti, jai attendu que mon presloigne, puis je suis retourn vers le quai. Comme je mendoutais, ce ntaient pas les gens riches qui taient bord,mais mes copains, ceux qui voulaient partir en Europe. Ilsavaient vol mon ide et ils commenaient dj sloignerSans moi.

    Eh !Jai plong et jai grimp bord. Quest-ce que tu fais ? Tu es fou ? Je pars avec vous. Et merde !Ils nont pas insist. Il fallait faire vite et, surtout, ne pas

    attirer lattention.Ils ont pris la direction de lItalie, Mazzara, la boussole

    soixante, mais on a mis plus de temps que prvu parce que laboussole sest casse en tombant. On essayait de garder le cap.On croisait dautres bateaux, et a nous rassurait. a signifiaitquon tait sur la bonne route. Le matin, on a fini par voir leslumires dune ville. Plus on approchait, plus elle nousparaissait immense. On navait aucune ide de lendroit o ilfallait aller, mais on a repr une plage, juste en face de nous,avec des immeubles derrire. On a accost, pleins gaz sur le

    Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert

  • sable, en poussant des cris de victoire. On riait, on chantait,on dansait On tait trop contents. Les belles villas, avecleurs jardins qui donnaient sur la plage, nous donnaient unavant-got du paradis et des pastques mres pointsemblaient nous attendre pour le petit-djeuner.

    Mehdi, tu nous en ramasses une ?Le paradis na pas dur longtemps. On se partageait la

    pastque, assis contre le bateau, quand des carabiniers ontsurgi. Il en venait de partout et ils nous encerclaient. Aucundentre nous na russi senfuir.

    On navait pas accost Mazzara, comme prvu, mais Trapani, ce qui, de toute faon, ne changeait rien pour nous.On ne parlait pas litalien, on navait aucune ide de ce que lescarabiniers allaient faire de nous, mais on sentait bien quenotre manire de dbarquer comme a, sur une plage de laville, ne leur avait pas plu. On comprenait aussi qu leursyeux, on navait pas des ttes possder un bateau de douzemtres flambant neuf. On sest tous retrouvs en garde vue,puis dans une prison et deux jours plus tard, on est passs, unpar un, devant un juge. Quand linterprte ma demand monnom, jai hsit.

    MohamedOn mavait dit quen Europe, tout le monde nous appelait

    Mohamed. Mohamed comment ? Rahil.Rahil : celui qui a quitt son pays pour toujours. Mohamed Rahil. Tu en es certain ? Oui. Ce ne serait pas plutt Mehdi Sayed ? Non, Monsieur. Je mappelle Mohamed Rahil. Cest bizarre On nous a signal la disparition dun

    Mehdi Sayed.

    Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert

  • Jessayais de ne pas bouger, de ne pas montrer que mesjambes commenaient trembler.

    Ce nest pas moi. Ce nest pas ce que disent tes amis. Ce ne sont pas mes amis Je ne les connais mme pas !Mon nouveau mensonge a fait sourire linterprte. Naie pas peur, on ne va pas te frapper !On a tous t identifis. Le propritaire du bateau avait eu

    connaissance du vol avant mme notre arrive en Italie.Ctait un homme important, un homme apprci dans lequartier, et il navait pas mis longtemps savoir qui avaitdisparu en mme temps que son bateau. Linterprte nous aexpliqu quon allait devoir rentrer chez nous, que ctaitmieux pour tout le monde, et les carabiniers nous ont faitsigner des papiers.

    Quinze jours plus tard, ils nous faisaient monter dans uncamion, puis bord du ferry Tirrenia. On a pass huit heuresdans une grande salle, nous cinq, plus deux autres, despoliciers et une cinquantaine de passagers. Carthage, despoliciers tunisiens sont monts bord pour nous rcuprer.

    Ils criaient : La main dans la main de ton frre.On est descendus comme a, lun derrire lautre, la main

    dans la main, et ils nous ont conduits jusque dans une grandesalle. L, ils nous ont demand de nous mettre contre le muret ils se sont approchs de nous :

    Sayed, Mehdi.Lun des policiers ma attrap par les cheveux. lpoque,

    ils taient longs. Cest ton vrai nom ? Cest mon vrai nom. Et tu nes pas recherch ? Non.

    Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert

  • Tu es sr ?Le problme, cest que jtais sur la liste des personnes

    recherches pour le vol du bateau. Les policiers nous ontemmens dans un autre commissariat, mais je ny suis restque quelques heures. Jtais encore un bb et ils ne savaientpas quoi faire de moi Alors ils mont relch et je suis rentrchez moi, comme si je revenais de la montagne.

    Cette fois, ma mre ma pris dans ses bras, plus longtempsque dhabitude, et elle ma regard dans les yeux. Ellepleurait. Ensuite, elle ma donn manger, silencieuse, et lavie quotidienne a repris son cours. Cest cette poque quejai commenc pcher aux explosifs.

    Tu trouves quil ny a pas eu assez de morts dans lafamille ?

    Ma mre avait russi me coincer dans la partie qui luiservait de cuisine. Elle tait furieuse. Jessayais de luiexpliquer que je navais pas le choix, que ctait le seul moyende gagner de largent, que je faisais attention Mais elle nevoulait rien entendre. Je suis parti en claquant la porte.Javais limpression que ctait la premire fois quelle seproccupait de moi et je lui en voulais. Jen voulais aussi cette mer pleine de sang qui, chaque jour, me narguait un peuplus : Pauvre tu es, pauvre tu resteras ! Chaque bombelance contre elle tait comme un cri de rvolte.

    Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert

  • DEUXIME ESSAILt est arriv et, avec lui, son cortge de vacanciers et de

    frimeurs. Comme chaque anne, ils revenaient au bled avecleurs grosses voitures et leurs quatre chanes en or autour ducou.

    Arrtez de rver. Ils vous font croire que cest de lor,mais cest du plaqu or !

    Lhomme qui nous mettait en garde sappelait Marwan. Ilavait pass onze ans en France et il nous parlait toujours dufroid, des banlieues, du chmage, du ras-le-bol de se fairetraiter de bougnoule longueur de journe

    Et toi, arrte de nous casser la tte !Mais il continuait. Vous ne vous demandez mme pas pourquoi, au bout de

    trois semaines, ils nont plus dargent pour acheter descigarettes ?

    Non, on ne voulait rien savoir. On prfrait couter ceuxqui avaient des airs de notables et dont les mensonges nousfaisaient rver. On ne pouvait pas sempcher de les regarderavec envie, surtout vers quatre ou cinq heures de laprs-midi,quand ils prenaient la route, la musique fond, en directionde lusine de vtements. On savait quils allaient tenter leurchance avec les filles qui attendaient le bus la sortie dutravail, leur proposer de les raccompagner en voiture, leurfaire le grand cinma :

    a fait une semaine que je te suis. Tu me plais. Je nepense qu toi. Jai envie de me marier avec toi et de teramener en France

    Il y en avait toujours quelques-unes pour tomber dans lepige et nous, on se sentait frustrs parce quon navaitaucune chance. Alors on parlait des filles qui cdent et qui,parfois, se retrouvent enceintes sans personne pour venir les

    Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert

  • chercher. Elles taient considres comme des prostitues etleur vie tait foutue. Une fille sest suicide cause de a. Uneautre a plac son enfant au foyer Bourguiba avant daspergerses vtements dessence et dy mettre le feu. Elle est reste envie, mais dfigure. On conseillait nos surs de se marieravec quelquun du bled plutt quavec un homme qui vientdEurope et qui est plein de mensonges. On se mettait nous-mmes en garde contre les filles qui venaient en vacancesSurtout contre celles qui ne nous regardaient pas :

    Tu vois, celle-l, qui vient avec son foulard pour faire lafille correcte, elle essaie de trouver un musulman quilaccepte parce quen France, elle a tellement zigzagu, gauche, droite, que plus personne ne veut delle.

    a ne nous empchait pas de trouver des exceptions dsque loccasion sen prsentait.

    Fatima tait mon exception. Son visage, ses yeux, sabouche Tout chez elle tait joli et quand elle me parlait de laFrance, on aurait dit quelle voulait me faire venir au Paradis.Elle me chuchotait des mots damour tout en me racontantdes histoires incroyables sur Cannes et les stars de cinma,Monaco et les yachts des milliardaires, Saint-Tropez etBrigitte Bardot qui allait jusquau Canada pour sauver lesbbs phoques.

    Tu es le seul, Mehdi. Je naime que toi. Moi aussi, je taime Cest loin le Canada ? Trs loin ct de lAmrique. Et tu viendrais me voir si jtais au Canada ? Pourquoi pas Je ne toublierai jamais.La veille de son dpart, on a fait lamour, ou pour tre exact,

    ce qu notre ge on appelait faire lamour, persuads de nejamais se revoir, elle en France et moi au Canada, loin, trsloin

    Le dpart de Fatima mavait rendu morose et la fin de

    Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert

  • lt, je nen pouvais plus de voir partir tous les immigrs. Ilsvenaient, ils repartaient et moi je restais. Je me suis jur quectait la dernire fois et qu la premire occasion, je mettraisle cap sur lItalie.

    Loccasion sest prsente trois mois plus tard. Mes ancienscompagnons de traverse taient sortis de prison et ils nepensaient qu une chose : repartir !

    Mehdi, cette fois, on a besoin de toi.Ils avaient eu connaissance dun bateau qui ntait pas sorti

    depuis longtemps, un bateau beaucoup moins luxueux que leprcdent et dont le propritaire tait mort, mais ils voulaientprendre un minimum de risques.

    On te montre le bateau, tu le prends et tu nous rcuprescette nuit, devant la maison de Manahi.

    Je nai pas hsit une seconde. Daccord, mais jemmne quelquun. Qui ? Khalil.Ils ont discut, pour le principe, mais ils connaissaient tous

    Khalil et ils savaient quil ntait pas bien.Jai couru jusqu la maison de mon ami, persuad quil

    ressentait la mme chose que moi et que sil restait ici, il allaitdevenir fou. Comme je my attendais, Khalil tait chez lui. Ildormait.

    Lve-toi, on va en Italie. O a ? En Italie En France O tu veux, mais loin dici ! Je ne peux pas, Mehdi Pas maintenant.Je nai pas russi le convaincre. Il avait peur et il ne se

    sentait pas bien, alors on sest serrs dans les bras et on sestfait quatre bises.

    Ce nest pas grave, tu me rejoindras quand a ira mieux.Ne tinquite pas, je te tlphonerai.

    Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert

  • Il a eu un lger sourire. Comment tu vas me tlphoner ? Je nai pas de

    tlphone. Ne tinquite pas. Je trouverai un moyen. Mehdi, mon frre, Inch Allah. Dieu soit avec toi.Je lai quitt, le cur lourd, et je suis rentr chez moi, cinq

    minutes, peine. Jai pris une veste, un briquet, un tournevis,et je suis parti sans rien dire. Pas mme au revoir. Ctaitmieux pour tout le monde. 8 heures du soir, jtais sur lequai. Les images de Khalil et de tout ce quon avait vcurevenaient sans cesse dans ma tte. Pour me donner ducourage, jessayais de penser Fatima qui vivait en France etque je reverrais bientt. Je suis mont sur le bateau, jai forcle cadenas de la cabine avec un tournevis et jai pntr lintrieur, la peur au ventre. Je savais quil fallait couper lesfils lectriques, mais le briquet nclairait pas bien et je navaisjamais fait ce genre de choses. Je les ai rapprochs au hasard,les mains tremblantes, jusqu ce que le bruit du moteur mefasse sursauter. Je navais pas fait attention la douane, nimme la police, mais il tait trop tard pour y penser. Jai misla premire, jai dmarr doucement, sans bruit, puis je suissorti.

    Carlos, Manahi, Achour, Mahmoud : ils mattendaient tousles quatre lendroit convenu. Quand ils mont vu, ils ontsaut dans la mer et ils sont monts sur le bateau. Ils taienttremps. Mahmoud avait pris des ptes et un paquet de saucetomate, mais on navait rien pour les faire cuire. Ellesattendraient lItalie. Cette fois, la boussole ne sest pas casseet on est arrivs sans problme Mazzara.

    Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert

  • IIIl tait un enfant qui rvait de voler comme loiseau quil

    ntait pas. Au pays interdit, tout lui semblait possible.Comme Icare, il joua avec le feu, gris de libert, inconscient,insouciant, jusqu ce que ses ailes, encore fragiles, finissentpar senflammer. La chute fut terrible. Il se releva, bless,titubant, mais ne savoua pas vaincu pour autant. Il navaitplus dailes, mais quimporte ! Il lui restait ses jambes etjamais elles ne lavaient trahi. Il poursuivit son rve, encoreEt encore

    Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert

  • LES ROIS DU MONDECette fois, notre arrive sur les ctes siciliennes sest faite

    dans la plus grande discrtion. On a cach le bateau et on sesttout de suite spars en deux groupes. Carlos est devenu moncompagnon de route. Il voulait aller Cannes, o vivait lunde ses frres, mais on navait pas dargent et aucune ide de lamanire dont on pouvait y arriver, surtout au milieu de lanuit. On a fini par trouver une gare, puis un train pourPalerme. Comme on navait pas de billet, on jouait cache-cache avec les contrleurs. Ils nous faisaient descendre parune porte, on remontait par une autre. Ils ont fini parabandonner la partie, morts de rire. ce moment-l, on taitles rois du monde !

    La gare de Palerme sest rvle nous en mme temps quele soleil. Tout nous paraissait beau, immense. On a regard gauche, droite et finalement, on sest dirigs vers un petitjardin o il y avait plein dArabes, des Tunisiens surtout Onse serait crus chez des voisins ! Cest l que jai fait laconnaissance de Walid. Il avait lair dattendre quelquun et jesuis all lui demander une cigarette. Il men a donn deux.

    Tu viens darriver ?Sur le coup, je me suis senti gn. a se voyait tant que a

    que je venais direct du bled ? Hier. Tu es seul ? Non.Je lui ai montr Carlos. Avec ses cheveux blonds friss qui

    formaient une grosse boule autour de sa tte et ses yeux verts,il ne passait pas inaperu.

    Eh ! On dirait Valderrama !Walid venait de la mme rgion que nous. Il tait heureux,

    en Sicile, mais il avait la nostalgie du bled et il tait content de

    Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert

  • parler. Moi, la nostalgie, je ne lavais pas encore et la fatiguecommenait se faire sentir.

    Tu sais o on peut trouver un endroit o dormir ? Ungarage ou quelque chose comme a

    On va voir avec ma femme. Elle est au march et ne vapas tarder revenir.

    Merci, mon frre. Je cherche aussi du travail. Tu es jeune ! Mais je travaille depuis longtemps. Je peux tout faire. Vraiment ?Quelques minutes plus tard, une femme sapprochait de

    nous. Elle tait grande, belle, avec de longs cheveux noirs, etelle portait quatre sacs de courses.

    Je te prsente ma femme. Elle sappelle Maria. Et lui, cest qui ? Mehdi. On est presque voisins. Il vient darriver.Elle tait Italienne, mais elle parlait bien larabe. Salam Aleikoum.On se faisait encore des politesses quand Carlos, qui tait

    rest lcart, sest approch de nous. Maria a eu unmouvement de recul. Il faut dire quavec ses cheveux laValderrama et son pantalon dchir, il avait une drledallure. Elle sest retourne vers son mari et ils ont discut enitalien. Ensuite, Walid ma pris un peu part.

    Tu peux venir chez nous, mais pas lui. Maria ne lui faitpas confiance.

    Je ne sais pas pourquoi, mais je ne pouvais pas abandonnerCarlos

    Non Non Je ne le laisse pas. Cest mon ami.Finalement, on les a suivis dans leur immeuble. Ils nous ont

    fait monter chez eux, puis Maria ma emmen dans unechambre.

    Tu vois, cest un petit lit, juste pour une personne Il ny

    Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert

  • a pas assez de place pour deux. Ce nest pas grave, on va dormir tte-bche.Elle navait pas lair trop content, mais finalement, elle a

    accept. Daccord, mais juste pour cette nuit.Le soir, elle a fait de la chorba6 spcialement pour nous et

    le lendemain, elle ma fait visiter la ville.Le jour suivant, jai emmen Carlos faire un tour. Jtais trs

    fier de faire le guide videmment, on sest perdus. On atourn toute la nuit et quand on a retrouv limmeuble deWalid et de Maria, le jour commenait se lever. Carlos taitfurieux. Il disait que cette ville tait nulle et que ctait ladernire fois quil me suivait, alors jai continu me perdre,seul. Jtais curieux de tout, des magasins, des immeubles Jeme suis mme retrouv au milieu dune manifestation. QuandMaria ma vu revenir, avec des tracts plein les poches, elle aclat de rire.

    Et bien, tu ne perds pas de temps, toi ! Tu comprends cequi est crit au moins ?

    Bien sr, cest contre la guerre du Golfe ! Vas-y, lis !Jai pris un air concentr en rcitant les slogans que javais

    entendus, mais je narrivais mme pas dchiffrercorrectement les lettres.

    Toi, tu nas pas d aller beaucoup lcole. Regarde19 janvier 1991.

    Grce ce tract et la patience de Maria, jai commenc lire et parler litalien. Jai aussi trouv du travail sur lesmarchs. Je dchargeais les camions vers 5 heures du matinet le midi, je rechargeais la marchandise qui navait pas tvendue. a me rapportait entre 10 000 et 15 000 lires, ce quinous a permis de tlphoner au bled depuis une cabine. Lafamille de Carlos avait le tlphone, mais le temps quils

    Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert

  • aillent chercher ma mre, il tait trop tard. On navait plus decrdit. Jai russi la joindre quelques jours plus tard. Ellentait pas trop contente.

    Mehdi Quest-ce que tu fais en Italie ? Ne tinquite pas ! Tout va bien pour moi et jai dj

    trouv du travail. Bientt je tenverrai de largent. Je nai pas besoin de ton argent Tu es bien trop jeune

    pour rester tout seul en Italie ! Va chez Hamid, Toulon, ilsaura quoi faire

    Ne tinquite pas, je te dis. Je vais aller chez Hamid, maispas tout de suite

    Mehdi, tu es sr que tout va bien ? Il ny a pas de problme. Jai trouv du travail et je suis

    chez des amis. Tu nes pas avec la mafia au moins ? Mais non !Je la sentais inquite, triste aussi, et cette fois, javais de la

    peine parce que je savais quil se passerait du temps, peut-tredes annes, avant quon se revoie.

    Largent que je gagnais me permettait de ramener de lanourriture Maria et des cigarettes Carlos qui ne sortaitpour ainsi dire jamais. Il disait quil avait mal au dos.

    Quand je serai en France, avec la famille, a ira mieuxMehdi, sil te plait

    En plus du tabac, il me demandait de lui ramener du shit.Je ne sais pas pourquoi, mais je suis incapable de dire non etles gens en profitent. Quand Maria sest aperue quil fumait,et quen plus il menvoyait faire ses courses, elle sest mise encolre.

    Mehdi, cest un enfant, et cest lui qui se lve 5 heurespour travailler pendant que toi, tu restes au lit toute lajourne te rouler des joints !

    Elle la mis la porte et il est parti Catane o, parat-il, les

    Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert

  • clandestins trouvaient facilement du travail.Carlos tait mon dernier lien avec le bled et jtais triste de

    le voir partir, mais je ne lai pas suivi. Palerme, javais dutravail, une chambre et surtout, javais fait la connaissance deClara qui habitait juste en face de chez Walid et Maria. Onstait fait des petits signes, de balcon balcon, ds lapremire semaine, et on tait sortis ensemble au bout de 15jours. On prenait le scooter quelle utilisait pour aller lcole,et on roulait jusque dans la montagne. L, on sasseyait danslherbe, loin de tout le monde, pour faire le bouche--bouche.

    Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert

  • ANDIAMO BAMBINO !Aprs le dpart de Carlos, Walid ma propos de me

    prsenter quelquun, un voisin qui pouvait me donner un bontravail. Il ma emmen dans limmeuble qui tait juste en facedu sien, au premier tage Lappartement de Clara ! Jtaispaniqu. Est-ce que son pre voulait me tuer ?

    Lhomme qui nous a ouvert la porte a embrass Walid avantde poser un regard svre sur moi.

    Ce nest pas toi que je vois rder autour de ma fille ?Jtais muet, incapable de rpondre. Fais attention Si tu tapproches trop prs, je te tue.Il a d voir mes jambes trembler et il sest mis rire. Mais non, je plaisante !Au bled, a ne se serait pas pass comme a Il maurait tu

    dabord. Ensuite, on aurait plaisant ! Je ntais pas vraimentrassur quand il a referm la porte, mais il tait avec safemme et il nous a invits djeuner. Clara, dont en ralit iltait le beau-pre, tait lcole. Il parlait de beaucoup dechoses, mais pas de travail, et je nosais pas lui poser dequestion. la fin du repas, il a fini par me demander si jeconnaissais bien la ville. Il cherchait un livreur pourtransporter des habits.

    Oui, pas de problme.Il ma donn un sac de sport, ladresse et des consignes. On va faire un essai. Tu vas l-bas et quand tu vois une

    voiture faire trois appels de phare, tu tapproches delle. Si lechauffeur tappelle et te demande le sac de Salvo, tu luidonnes. Sil te demande autre chose, tu ne lui donnes pasCompris ? Ensuite, tu reviens.

    Jai pris le sac en faisant oui de la tte. Allez, file ! Tu ne parles avec personne. Tu nouvres pas

    le sac.

    Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert

  • Ctait beaucoup dhistoires pour des vtements, mais jaifait comme il me la demand. Quand je suis revenu, uneheure et demie plus tard, il buvait du whisky avec Walid et unautre homme, un Italien comme lui.

    Tu veux un verre de coca ?Je ntais pas encore dans le monde des hommes, mais je

    men approchais. Il ma flicit et il ma donn cent mille lires.Cent mille lires pour avoir livr un sac de vtements ! Je nenrevenais pas.

    Trois jours plus tard, Salvo ma demand de porter unnouveau sac. Je ne comprenais pas pourquoi les clients nevenaient pas le chercher eux-mmes, surtout sils avaient unevoiture, mais je ne posais pas de questions. Jtais content quele pre de Clara maccorde sa confiance et puis, porter dessacs, ctait moins fatigant, et surtout beaucoup mieux payque charger et dcharger des caisses sur le march. Jaienvoy un premier mandat ma mre, par lintermdiaire deWalid, le cur gonfl de fiert.

    Le premier mois, jai juste fait des livraisons Palerme. Jevoyais rgulirement Salvo, que je commenais considrercomme mon beau-pre, et son ami, Renato. Ils taientcontents de moi et ils menvoyaient de plus en plus loin. Ilsmhabillaient bien, ils me payaient le train et mme lhtel.

    Andiamo bambino !Je suis all Naples, Rome, Milan, et mme Venise.

    chaque fois, ils me donnaient un sac de sport et toutes lesindications pour que je ne me trompe pas. Je ne devais pasouvrir le sac, juste le remettre la personne qui me faisaitsigne, dans la voiture. Je me doutais bien quils me faisaienttransporter des choses interdites, mais je ne savais pasvraiment de quoi il sagissait Jusquau jour o la douane afait des contrles dans le train. L, jai vraiment eu peur.Heureusement, mon sac tait au milieu des affaires dune

    Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert

  • famille avec plusieurs enfants. Les douaniers ne nous ont pascontrls et comme jtais aussi un enfant, ils nont pas faitattention moi, mais cette fois, avant de descendre, je nai pasrsist. Jai jet un coup dil dans le sac. Sous les vtements,il y avait dautres sacs et, lintrieur, des paquets de poudreblanche. Jai livr la marchandise lhomme qui mattendaitet jai repris le train pour Palerme. Pendant tout le trajet, jenai pas arrt de penser. Jtais comme tous les enfants, lamafia meffrayait et me fascinait, et lide de la ctoyer meremplissait dune certaine fiert. En mme temps, je necomprenais pas. Jtais du parce que Salvo vivait demanire ordinaire dans un immeuble ordinaire. Pour moi, centait pas normal : les gens de la mafia possdaientforcment des villas luxueuses. Cest peut-tre pour a que jene mtais pas mfi Je me sentais trahi. Pourquoi personnene mavait dit la vrit ? Walid devait tre au courant EtMaria ? Et Clara ? Est-ce quelle savait ce que faisait son beau-pre ? Est-ce quelle avait servi dappt ? Lide me paraissaitimpossible, mais plus je la chassais, plus elle revenait. Jepensais ma mre. Je ne mimaginais pas lui dire que jetravaillais pour la mafia. Ce serait trop la honte, aussi, si elleapprenait que son fils tait en prison, ou si son corps luirevenait cribl de balles Tu as vu, ton fils, comme il arussi ! Quand je suis all voir Salvo, javais le cur lourd,mais ma dcision tait prise. Je lui ai dit que je voulais arrterparce que javais de la famille qui mattendait en France et quicommenait sinquiter. Il na pas insist. Il ma juste dit queje pouvais revenir le voir si javais besoin de travail et il madonn largent de la dernire livraison.

    Si tu dois partir, tu pars aujourdhui. Cest mieux pourtout le monde Y compris pour Clara.

    Daccord. Et surtout, noublie pas de donner de tes nouvelles !

    Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert

  • Jai dit oui en pensant non et je suis parti.

    Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert

  • PREMIERS PAS EN FRANCECarlos ne passait pas inaperu et javais bon espoir de le

    retrouver avant de quitter la Sicile. Je suis all Catane o,trs vite, des gens mont indiqu lendroit o il passait sesjournes : dans un club tunisien. Je ne me souviens pas dunom, mais il y avait des jeux, des tables de ping-pong, de lamusique Et au bar, il y avait Carlos !

    Mehdi ! Quest-ce que tu fais l ? Jen avais marre de Palerme. Et toi ? Moi, jen ai marre dici. Il ny a que du travail desclave. Pourquoi tu nes pas parti Cannes ? Cest ce que jallais faire Mais je me suis renseign. Cest

    risqu de passer en train. Il faut descendre Vintimille etaprs, il faut quelquun pour venir nous chercher.

    Ton frre, Cannes, il ne peut pas faire a ? Non. Il na pas de carte de sjour, pas de permis de

    conduire et il dit que cest trop risqu pour lui de passer enItalie et pour moi de passer en France.

    Mais si tu dis quici, il ny a que du travail desclave, a nesert rien de rester. On va partir.

    Et aprs ? Ne tinquite pas, jai une solution. Laquelle ? Je te le dirai demain. Pourquoi demain ?Jai mis mon doigt devant la bouche, comme pour signifier

    que ctait un grand secret. Tu me fais confiance ou pas ?Le lendemain, on tait dans le train, puis dans le ferry

    bord duquel le train tait mont pour traverser le dtroit deMessine. Il faisait un temps magnifique et, sur le pont, lesvoyageurs profitaient du soleil et du paysage. Carlos tait

    Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert

  • inquiet. Cest quoi ta solution ? Aprs Regarde lEurope : elle nous tend les bras !Jai profit de lattente Villa San Giovanni pour tlphoner

    Nacer, un cousin de ma mre qui habitait Marseille. Mehdi a fait plaisir de tentendre. Quest-ce que tu

    deviens ?Il a chang de voix quand je lui ai demand de venir me

    chercher Vintimille. Impossible, ma voiture est en panne ! Si tu veux, je

    tenvoie de largent. Non, merci, ce nest pas dargent dont jai besoin.Jai hsit appeler Hamid, mon oncle qui travaillait

    Toulon. Je ne laimais pas. Je le trouvais dsagrable, mais jenavais pas trop le choix. Comme je my attendais, il na pastard me faire la morale.

    Tu sais que ta mre sinquite pour toi ? Je sais. Hamid, il faut que tu maides passer la

    frontire.Il ntait vraiment pas content, mais il a fini par accepter. Cest pour ta mre que je fais a. Appelle-moi avant

    darriver Vintimille.Je suis revenu en souriant vers Carlos. Alors, ta solution ? Pas de problme !Le trajet tait interminable. Deux jours plus tard, vers

    3 h