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Maëlle BOUVIER Courriel :[email protected] MEMOIRE DE RECHERCHE MASTER professionnel « Développement économique et coopération internationale » Sous la direction de Catherine Baron, Année universitaire 2009-2010 LA MICROFINANCE AU SENEGAL, VECTEUR OU ALTERNATIVE A LA MONDIALISATION ?

Memoire Bouvier Maelle

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MEMOIRE

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  • Malle BOUVIER

    Courriel :[email protected]

    MEMOIRE DE RECHERCHE

    MASTER professionnel Dveloppement conomique et coopration internationale

    Sous la direction de Catherine Baron,

    Anne universitaire 2009-2010

    LA MICROFINANCE AU SENEGAL,

    VECTEUR OU ALTERNATIVE A LA

    MONDIALISATION ?

  • Remerciements

    Pour ses conseils et sa disponibilit, je remercie Mme Catherine Baron.

    Je remercie M. Julien Sciau (Fondation Grameen-Crdit Agricole) et M. Alexandre Coster

    (Microcred S.A.) pour leur participation.

    Pour mavoir permis deffectuer un stage au Sngal, je remercie lquipe de la Mission

    Economique de Dakar, et plus particulirement M. Franois-Xavier Flamand.

    Pour mavoir permis deffectuer mon premier stage au sein dune Institution de Microfinance,

    je remercie lquipe de Microcred Madagascar, et plus particulirement M. Franois-Xavier

    Poste.

    Enfin, je remercie M. Eloi Pom pour ses prcieux conseils et corrections.

    Avertissement : LIEP de Toulouse nentend donner aucune approbation, ni improbation dans

    les mmoires de recherche. Ces opinions doivent tre considres comme propres leur

    auteur.

  • Table des sigles

    ACDI : Agence Canadienne pour le Dveloppement International ACEP : Alliance de Crdit et dEpargne pour la Production ADEPME : Agence de dveloppement et dencadrement des PME (Sngal) AFD : Agence Franaise pour le Dveloppement BCEAO : Banque Centrale des Etats dAfrique de lOuest BEI : Banque Europenne dInvestissement BIMAO : Banque des Institutions Mutualistes dAfrique de lOuest (Sngal) BM : Banque Mondiale BRS : Banque Rgionale de Solidarit (Sngal) CICM : Centre International du Crdit Mutuel CMS : Crdit Mutuel du Sngal DID : Dveloppement International Desjardins DSRP : Document Stratgique de Rduction de la Pauvret FCFA : Franc CFA (monnaie de la BCEAO) FENU : Fonds d'quipements des Nations-Unis FMI : Fonds Montaire International FNPEF : Fonds National de Promotion de l'Entrepreneuriat Fminin (Sngal) GEC : Groupement dpargne et de crdit IMF : Institution de Micro Finance. KFW : KfW Bankengruppe (quivalent allemand de lAFD) MEC : Mutuelle dEpargne et de Crdit MEF : ministre de lconomie et des finances (Sngal) MFR : Projet Microfinance en Milieu Rural MPE : Micro et Petite Entreprise NPI : Nouvelles Politiques Industrielles OCDE : Organisation de Coopration et de Dveloppement Economique OMD : Objectifs du Millnaire pour le Dveloppement ONG : Organisation Non Gouvernementale PARMEC : Projet dAppui la Rglementation des Mutuelles dpargne et de Crdit PED : Pays en Dveloppement PDEM : Pays Dvelopps Economie de March PME : Petite et Moyenne Entreprise PNUD : Programme des Nations-Unis pour le Dveloppement SA : Socit Anonyme SARL : Socit Anonyme Responsabilit Limite SFD : Systme de financement (ou systme financier) dcentralis SNMF : Stratgie Nationale de Micro Finance (Sngal) UEMOA : Union Economique et Montaire Ouest Africaine

  • 0

    Sommaire

    Introduction gnrale .......................................................................................................................................... 1

    I. La microfinance au Sngal : manation de la mondialisation juxtapose au pr-existant financier ............................................................................................................................................................. 8

    A. Offre et demande de produits financiers au Sngal avant les annes 1990 ............................................. 10

    1.La structuration d'un secteur bancaire classique au Sngal ............................................................. 10

    2.La demande de services financiers : vulnrabilit et non-dualit ....................................................... 13

    3.Les pratiques informelles de financement........................................................................................... 18

    4.Pratiques informelles, reflets de solidarits traditionnelles ................................................................. 22

    B.L'impact du paradigme de la mondialisation sur lessor de la microfinance au Sngal .............................. 26

    1.Le paradigme de la mondialisation et du dveloppement................................................................... 26

    2.La microfinance : outil du paradigme conomique mondial au Sngal ............................................ 37

    C.Juxtaposition de la microfinance au prexistant financier ............................................................................ 42

    1.La dynamique actuelle de la finance informelle et des banques classiques ...................................... 42

    2.L'essor de la microfinance dans la continuit du prexistant financier ............................................... 48

    II. La microfinance au Sngal pilote par linternational : vers luniformisation de loffre ? ........ 55

    A.La microfinance au Sngal: un secteur dynamique intgr dans la sous-rgion ....................................... 57

    1.Les indicateurs de la microfinance au Sngal .................................................................................. 57

    2.Des opportunits de financement pour les partenaires extrieurs .................................................... 62

    B.Le rle volutif de la coopration internationale ........................................................................................... 66

    1.Les principaux bailleurs, sources de la politique microfinancire sngalaise ................................... 66

    2.Lambiguit de la vision commerciale de la microfinance ................................................................... 70

    3.La rorientation des aides pour une offre microfinancire durable et attractive ................................. 73

    C.La microfinance sngalaise intgre dans les flux financiers privs internationaux .................................. 78

    1. Argumentaire pour un accs aux marchs financiers ....................................................................... 78

    2.Les voies daccs aux marchs financiers .......................................................................................... 80

    3.Une condition pralable : se rapprocher des normes et standards internationaux ............................ 84

    D.Vers luniformisation dun modle au Sngal?............................................................................................ 89

    1. L'mergence de modles de rfrence .............................................................................................. 89

    2. La permanence de la diversit ........................................................................................................... 93

    Conclusion ...................................................................................................................................................... 101

    Bibliographie ................................................................................................................................................... 101

    Liste des tables ............................................................................................................................................... 108

    Annexes .......................................................................................................................................................... 109

  • 1

    Introduction

    "Nous nous sentons capables d'un autre idal

    et nous voulons imaginer un monde o

    chacun retrouve la libert de conduire son destin

    et participe l'conomie de son environnement.

    Certains vivent dj cette utopie, qui devient ainsi ralit."

    (Charte de l'Alda, 1981, p 1).

    En 1997, l'Organisation Non Gouvernementale (ONG) Results organisait Washington le

    premier sommet du microcrdit, lanant ainsi une campagne de neuf ans dite Campagne des

    sommets du microcrdit. Cet vnement a rassembl 2 900 participants en provenance de

    137 pays. Ce fut un vritable succs mdiatique, qui a propuls le sujet de la microfinance

    dans les mass mdia. La success story de la Grameen-Bank, cre en 1983 par Mohammed

    Yunus au Bangladesh, a galement contribu nourrir un dbat mondial autour de la

    microfinance, dans lequel les mdia ont jou un rle important. Le prix Nobel de la paix

    attribu M. Yunus en 2006 peut tre considr comme la conscration de la reconnaissance

    mondiale de la microfinance. Nous chercherons indirectement dans ce travail de recherche

    analyser la nature de cette reconnaissance.

    Qu'est ce que la microfinance? Elle se dfinit aujourd'hui comme loffre de services financiers

    (pargne, prt, assurance) aux exclus du systme bancaire classique1. Le microcrdit est

    une composante de la microfinance, mais ne la recouvre pas entirement. Cest un crdit de

    faible montant propos aux exclus des systmes bancaires classiques. Les services financiers

    englobs dans la dfinition de la microfinance concernent les microcrdits, mais aussi la

    microassurance, lpargne, etc. Ces services sont dlivrs par des Institutions de Microfinance

    (IMF), qui peuvent relever de statuts institutionnels trs varis (socit anonyme, mutuelle,

    1 On entendra ici tout institution qui reoit des capitaux, change de la monnaie, accorde des prts des taux dintrt variables, excute pour le compte de tiers toutes oprations de ce genre et se charge de tous services financiers. Ces institutions bancaires dites classique proposent leurs services des particuliers et des ENTREPRISES FORMELLES, c'est--dire inscrites aux registres du commerce et soumises aux rgles officielles comme la dclaration des revenus et le paiement des impts.

  • 2

    cooprative, etc.). Cest la microfinance sous ses diffrentes composantes et formes qui sera

    tudie dans ce travail, sous langle de lconomie solidaire.

    Le choix de cet angle peut paratre curieux car la finance solidaire et la microfinance sont

    souvent considres comme deux activits part entire. La finance solidaire se distinguerait

    de la microfinance en ayant comme objectif premier l'accroissement du capital social, tandis

    que la microfinance est parfois utilise comme simple instrument individuel palliatif

    l'exclusion d'une population pauvre ou sans garantie du systme bancaire. Nous choisirons ici

    de parler de la pauvret selon une approche relative : le seuil de pauvret est fix par

    rapport la distribution des niveaux de vie de l'ensemble de la population, avec comme

    rfrence le revenu mdian. A travers ce prisme, la pauvret pose aussi un problme

    d'exclusion ; l'homme ne se ralise qu'au sein de rapports sociaux et les ingalits de richesse

    sont des sources de discrimination ; la pauvret le rend donc vulnrable sur plusieurs

    plans, ce que nous dvelopperons dans la premire partie de ce mmoire. La microfinance, en

    permettant dinvestir dans des activits gnratrices de revenus grce laccs aux produits

    microfinanciers, contribue rduire cette vulnrabilit, et donc indirectement rduire la

    pauvret dans le sens large du terme. Ainsi, grce laugmentation de ses revenus issue de

    son investissement, le micro-entrepreneur est capable dinvestir dans lhygine, lducation, la

    culture, etc. Nous partons donc du postulat que la microfinance peut avoir un effet positif sur

    le capital social de ses bnficiaires. En cela, elle peut tre classe dans le courant de

    lconomie solidaire.

    Une fois ce point clarifi, il faut prciser que la microfinance est souvent tudie dans sa

    dimension locale. Elle occupe ce titre une position particulire dans lconomie solidaire. En

    effet, linstar de lensemble des initiatives de ce champ danalyse conomique, la lgitimit

    et lefficacit de la microfinance suppose un ancrage territorial fort, une relation de proximit

    pour mobiliser lpargne et octroyer des crdits, et donc un encastrement des activits

    dans la socit do limportance de la contextualisation. Selon J.M Servet, la microfinance

    est ainsi caractrise par le faible montant des oprations, la proximit non seulement

    spatiale, mais aussi mentale et sociale entre lorganisation et sa population cible, et la

    pauvret suppose des clients ou lexclusion quils subissent (J.M.Servet, 2006). Lauteur

    insiste dans cette dfinition sur la proximit gographique et culturelle, ce qui nous amne

    parler dune dimension locale prpondrante de la microfinance.

  • 3

    Cette dernire naurait alors a priori pas de liens avec le concept de mondialisation, qui

    dsigne l'expansion et l'harmonisation des liens d'interdpendance entre les nations, les

    activits humaines et les systmes politiques l'chelle du monde. De la sorte, selon certains

    auteurs, la mondialisation est un phnomne international par nature, puisquelle concerne

    des relations entre les tats ou plutt entre des agents appartenant des tats diffrents,

    alors que la microfinance est un phnomne local qui spanouit dans un espace beaucoup

    plus limit et dont les acteurs sont des personnes qui le plus souvent se connaissent (Lelart,

    2008). Une autre diffrence peut tre souligne : la mondialisation est par nature globale, et

    runit en cela lensemble de lconomie, mais aussi la culture, tandis que la microfinance

    concernerait prioritairement les activits de finance. Enfin, Lelart (2008) distingue les deux

    concepts sur les plans gographique et temporel : la mondialisation et la microfinance

    concernent chacune tous les pays, mais la premire est plutt laffaire des pays du Nord, la

    seconde concerne davantage les pays du Sud .

    Nanmoins, la volont de diffuser une modle microfinancier lchelle mondiale ds le

    dbut des annes 2000, bas sur lexprience de la Grameen Bank, et relay par les mdia

    nous amne repenser les rapports entre la mondialisation et la microfinance. L'engouement

    que la microfinance a suscit, linspiration ne de l'exprience de la Grameen Bank,

    dmontrent la naissance d'un consensus autour de ce phnomne, au niveau mondial. Les

    organisations financires internationales, tel que le FMI2, sont aujourdhui les premires

    reconnatre les performances de la microfinance dans les pays du Sud, comme outil de lutte

    contre la pauvret, et la promouvoir. Cette approbation laisserait supposer que la

    microfinance nest pas contraire aux politiques de dveloppement actuelles. Cela tant, on

    peut donc supposer que la microfinance ne serait a priori pas inadapte au paradigme

    conomique dominant dans le processus de la mondialisation, savoir le no-libralisme.

    Subsquemment, la microfinance est avant tout un outil financier. Il est donc lgitime de se

    demander si elle ne permettrait pas la lgitimation du rfrentiel conomique nolibral au

    cur de la mondialisation. Cette lgitimation seffectuerait par un outil au service des

    2 Fond Montaire International

  • 4

    pauvres , ce qui conforterait l'ide que le no-libralisme, grce l'outil du march,

    contribue l'amlioration du bien-tre de tous comme lont thoris les penseurs libraux et

    nolibraux.

    Les dfenseurs d'une vision avant tout sociale de la microfinance soulvent eux-mmes

    lambigut de la microfinance. [Son] objectif est alors de lutter contre la pauvret et la

    prcarit sociale par linclusion financire. En permettant aux plus dmunis de crer ou de

    prenniser leur activit, les dfenseurs de la microfinance militent pour lexistence dun

    cercle vertueux entre le microcrdit, lactivit professionnelle et lautonomie (Jgourel,

    2008). Dans cette citation, l'inclusion financire, autrement dit l'intgration de personnes

    pauvres dans le systme financier nolibral, permettrait de lutter contre la prcarit sociale.

    La microfinance a donc un objectif social, en tant premirement un outil conomique et

    financier. Cette synthse vient de fait elle aussi lgitimer l'aspect social et vertueux du no-

    libralisme, qui rgule les ingalits grce au march (ici, microfinancier).Un questionnement

    demeure donc, qui se doit d'tre clairci travers une tude plus approfondie du lien (ou des

    liens) entre la microfinance et la mondialisation emmene aujourd'hui par le nolibralisme.

    Ainsi, le travail de recherche dvelopp ci-aprs tchera de dmonter que la microfinance, si

    elle n'est pas qu'un outil de lgitimation de la mondialisation, en est au moins une manation,

    c'est dire un rsultat de sa dynamique.

    Dans la mesure o nous posons comme hypothse lencastrement de la microfinance dans un

    contexte conomique, social et politique, une tude de cas spcifique un pays savrait

    indispensable. Si le secteur de la microfinance est le plus dvelopp en Asie en termes de

    volume des bnficiaires3, sa croissance actuelle en Afrique est rvlatrice dune nouvelle

    dynamique. De plus, l'Afrique est le premier continent rcipiendaire de l'Aide Publique au

    Dveloppement4, ce qui implique fortement les institutions financires internationales sur ce

    territoire. Or, cette introduction fait le postulat que les politiques de ces dernires ne sont pas

    trangres l'explosion de la microfinance.

    3 Selon lenqute de MicroBanking Bulletin, 70% des clients sont en Asie et 20% en Amrique latine (2008). 4 En 2007, lAPD nette lAfrique sest chiffre 38.7 milliards USD, soit 37 pour cent de laide totale de lOCDE (organisation runissant 31 pays en vue de promouvoir la dmocratie et lconomie de march).

  • 5

    LAfrique de l'Ouest, plus prcisment l'Union Economique et Montaire Ouest Africaine

    (UEMOA)5, est la principale zone d'intervention des bailleurs et investisseurs franais, ce qui

    en facilite l'tude. Pour plus de prcisions, il convient de centrer lanalyse sur un seul pays, en

    tudiant donc un contexte particulirement prcis. Cela implique que cette recherche na pas

    vocation la gnralisation des hypothses quelle dfend. L'conomie sngalaise est l'une

    des plus dynamiques de la zone en termes de croissance du PIB et dinvestissements

    trangers6, de mme que son secteur microfinancier. Le potentiel de croissance de ce dernier

    est consquent puisque le taux de pauvret au Sngal atteint 54%7 et que la part du secteur

    informel dans lconomie reste encore consquente, en gnrant la grande majorit de la

    cration demplois8. La demande potentielle sngalaise en produits microfinanciers reste par

    consquent importante.

    Il parat donc pertinent dtudier dans quelles mesures la microfinance sintgre-t-elle dans le

    processus de la mondialisation, travers l'exemple du Sngal.

    Pour cela, il faut comprendre dans quelles conditions la microfinance a merg au sein de la

    socit sngalaise (en prcisant les spcificits de cette mergence dans les zones rurales et

    urbaines), sur quel terreau. En effet, le prexistant financier la microfinance est riche et dual

    (prts informels vs secteur bancaire classique). La rencontre des deux a encourag la

    naissance de la microfinance, comme nous largumenterons par la suite. Nanmoins, les

    politiques de dveloppement, inspires par le nolibralisme, ont galement construit la

    microfinance sngalaise telle quelle se dveloppe aujourdhui. Il conviendra donc dtudier

    la nature de linfluence de chacun de ces facteurs dans le cas du Sngal. Cette tude ne sera

    possible quavec le prise en compte de lvolution de la microfinance sngalaise depuis les

    annes 1990, vers plus d'acteurs, plus de bnficiaires, plus de financements, plus de crdits

    distribus, plus d'encadrement, etc.

    Pour ce faire, la mthodologie utilise sappuie sur plusieurs sources. Une documentation

    dense permet dapporter des lments de rponse thorique la problmatique, en runissant

    5 LUEMOA a t cre par le Trait sign Dakar le 10 janvier 1994, et comprend actuellement 8 pays. Objectifs : convergence, harmonisation des politiques conomiques et montaires, comptitivit de la zone. 6 Du moins, avant la crise conomique mondiale, Cf. Annexes 1 et 2 7 Cf. Annexe 2 ; le taux de pauvret = seuil de 2 dollars par jour. 8 Cf. Rapport sur lemploi au Sngal : Le secteur informel gnre 97% des crations , Le Soleil, 14 octobre 2007

  • 6

    des travaux universitaires dans les domaines de lconomie du dveloppement, de lconomie

    solidaire mais galement de la sociologie et de lanthropologie. Les travaux choisis ont pour

    objet la microfinance en gnral, ou sappuient sur un terrain prcis qui nest pas forcment le

    Sngal (Inde, Bnin, etc.). Une recherche parallle base sur lactualit du Sngal, les

    donnes conomiques et financires des IMF implantes dans ce pays et de lUEMOA,

    permettront dillustrer concrtement les arguments avancs pour les appliquer la

    problmatique pose dans le cadre du Sngal. Des entretiens raliss avec des acteurs

    franais investissant dans la microfinance au Sngal permettront leur tour de rpondre

    certaines questions poses par ce travail de recherche. Enfin, notre tude se concentrera avant

    tout sur les grandes structures microfinancires au Sngal, qui sont installes dans les zones

    urbaines, car elles reprsentent la quasi-totalit du march au Sngal en termes de volume

    des crdits distribus et de clients. De plus, peu de donnes existent sur la microfinance rurale

    dans ce pays. Le ministre sngalais en charge de la microfinance prcise seulement que :

    En dpit des efforts conjoints du Gouvernement et des bailleurs de fonds pour un maillage

    du territoire national, la finance rurale continue doccuper une place ngligeable dans le

    secteur de la microfinance 9.

    On observe toutefois des zones de forte concentration (Dakar et This : 40% des IMF) et des

    zones rurales peu touches (Diourbel, Fatick, Kolda, Matam et Tambacounda)10.

    Nanmoins, le cas des IMF modestes, notamment en zones rurales sera aussi voqu,

    ponctuellement, et surtout en fin de ce document.

    Sur cette base, nous essayerons d'tudier dans quelles conditions ont eu lieu la naissance et

    lvolution de la microfinance au Sngal, et surtout quel y est le rle des acteurs

    internationaux. Il sera opportun de percevoir les liens qui se crent entre le local et le global,

    travers lexemple de la microfinance et de la mondialisation. Cela afin de dmontrer que

    lvolution de la microfinance au Sngal est intimement lie la dynamique de la

    mondialisation.

    9 Extrait de la Lettre de politique sectorielle en Microfinance, plan daction 2005-2010 , page 21 10 Source : http://senegal.planetfinancegroup.org/FR/microfinance.php

  • 7

    Ainsi, le postulat selon lequel la microfinance est une manation, de la mondialisation soulve

    de nombreuses questions auxquelles il conviendra de trouver, pour le moins, des dbuts de

    rponses. Quelle forme prend cette manation ? Peut-on considrer la microfinance comme un

    outil ou une alternative la mondialisation ? Dans quelles mesures la mondialisation a-t-elle

    impact le systme financier au Sngal ? Quelles est la nature des cet impact et de

    limplication des bailleurs de fonds et des investisseurs privs ? Peut-on parler d'une

    microfinance pilote par l'international, c'est--dire influence? Enfin, l'impact de la

    mondialisation entrane-t-elle l'uniformisation d'un modle d'IMF? Ces questions s'organisent

    autour d'une problmatique gnrale : Dans quelles mesures la mondialisation a inspir et

    inspire encore la construction du secteur microfinancier au Sngal?

    Pour rpondre ces interrogations, il conviendra d'tudier dans un premier temps les

    conditions de la naissance de la microfinance au Sngal. Cette tude tentera de dmontrer

    quaussi bien le prexistant financier que les politiques internationales de dveloppement ont

    permis lmergence de la microfinance au Sngal. Une fois ces points clarifis, lhypothse

    que la sphre internationale influence le secteur de la microfinance au Sngal sera dfendue

    plus prcisment dans une deuxime partie. On y dmontrera galement les consquences de

    cette influence, notamment en termes duniformisation des modles. En effet, les acteurs

    internationaux publics et privs tendent imposer un modle microfinancier de rfrence.

    Nanmoins, nous verrons que cette tendance nempche pas la permanence de la diversit de

    loffre microfinancire, riche au Sngal, notamment grce la force de ses institutions de

    microfinance intermdiaires.

  • 8

    I. LA MICROFINANCE AU SENEGAL : EMANATION DE

    LA MONDIALISATION JUXTAPOSEE AU PRE-

    EXISTANT FINANCIER

    Dale W. Adam et Delbert A. Fitchett (1994) font lhypothse que les systmes de financement

    dans les pays en dveloppement forment un continuum compos des transactions

    financires allant du simple prt consenti des parents ou amis, jusqu'aux banques

    strictement rglementes par une banque centrale .

    Ce continuum recense les systmes de financement selon leur degr de formalisation, de la

    finance informelle la finance telle qu'on la pratique dans les PDEM11. Comme le prcisent

    les deux auteurs, dans de nombreux pays en dveloppement, le centre de ce continuum est une

    zone plus ou moins floue qui ne se prte pas une catgorisation dichotomique.

    Pourrait-on appliquer cette thorie notre objet dtude, savoir, les pratiques financires,

    dont la microfinance au Sngal ? On peut remettre en cause lemploi du terme

    continuum , qui suppose lacceptation dterministe dun dbut et dune fin, dune

    formalisation vidente des pratiques financires dans les pays industrialiss. Or, ce nest pas

    forcment le cas. Nous pouvons cependant conserver lide dune zone centrale des pratiques

    financires plus ou moins floues dveloppe par Dale W. Adam et D.A. Fitchett. Lide de

    centre est en effet judicieuse si on ladmet comme la convergence de plusieurs pratiques

    financires vers une nouvelle, mergeant de ces pratiques. De cette hypothse, nous partons

    du postulat qu'au Sngal tout du moins, le centre de ce continuum pourrait tre la

    microfinance, ne de la convergence des pratiques financires prexistantes. Cette proposition

    sinspire de la nature mme de la microfinance, qui se prsente comme un mode de

    financement alternatif entre les pratiques informelles et le systme bancaire classique.

    La microfinance est en effet ne de la volont politique internationale d'une plus grande

    formalisation du financement dans les Pays en Dveloppement (PED). Ce principe est avanc

    11 Pays Dvelopps conomie de March

  • 9

    par les grands bailleurs de fonds ds la fin des annes 1980 en s'appuyant sur un nouveau

    postulat de l'conomie du dveloppement. Le dveloppement a dsormais pour objectif

    l'intgrit humaine et la rduction de la pauvret. Dans ce contexte, la microfinance apparat

    comme un moyen de formaliser les pratiques financires, tout en rduisant la pauvret en

    permettant aux plus dfavoriss daccder des prts.

    Par ailleurs, si on tudie plus en avant les caractristiques de la microfinance, elle peut tre

    comprise comme permettant le passage de relais entre un prt informel et un prt formel.

    Nanmoins, dfinir la microfinance comme le centre dun continuum financier au Sngal

    n'en supprime pas pour autant son flou. En effet, la microfinance sngalaise regroupe

    diffrentes ralits, en fonction de la nature de linstitution proposant des services

    microfinanciers (groupement, cooprative, mutuelle) et du contexte local dans lequel

    linstitution uvre (zone urbaine, priurbaine, rurale, prt individuel ou collectif, prexistant

    financier).

    Si cette partie insistera sur les pratiques de la microfinance urbaine, lensemble des ralits de

    la microfinance sngalaise devra tre pris en compte, sous le prisme de lhistoire des

    pratiques financires au Sngal. Leur analyse permettra de dterminer les conditions

    dmergence de la microfinance. Mme si certains auteurs parlent de lexplosion du secteur

    de la microfinance dans les annes 1990 (Lelart, 2008), nous prfrerons dfendre le postulat

    que la microfinance s'est construite de manire volutive au Sngal.

    Ainsi, aussi bien le prexistant financier que les politiques de dveloppement ont eu une

    influence sur lessor du secteur au Sngal. Cette dynamique a cr une imbrication de

    systmes, offrant une alternative de financement pour les exclus du systme bancaire

    classique, mais sans crer pour autant de rupture.

  • 10

    A. Offre et demande de produits financiers au Sngal avant

    les annes 1990

    La priode de dcolonisation n'a pas entran de restructuration du secteur financier, imposant

    le secteur bancaire classique12 comme modle de financement dans les PED. Les individus ou

    groupes sociaux peuvent tre acteurs de cette financiarisation croissante dans les pays du Sud,

    ou la subir. Cette deuxime option concerne en fait les trois quarts de la population du Sud, et

    conduit un phnomne de marginalisation (JM Servet, 2004). Cela cr une segmentation de

    la population entre une minorit offrant les garanties pour accder aux services financiers

    formels (30 % seulement des entreprises sngalaises ont une patente) et une majorit n'y

    ayant pas accs, et subissant les contraintes du secteur financier informel.

    1. La structuration d'un secteur bancaire classique au Sngal

    Au moment des Indpendances, un secteur bancaire s'est structur dans les anciens pays

    coloniss, composs de banques commerciales et de banques de dveloppement. Au Sngal,

    l'Indpendance vis vis de la France a t obtenue le 18 juin 1960. Les banques

    commerciales en provenance de l'ancien pays colonisateur ont t les premires s'implanter

    (BNP et Socit Gnrale en 196213). Ces dernires fonctionnaient comme leurs homologues

    en Europe, selon le mme systme de garantie et de recherche de la rentabilit. Les mnages

    les plus modestes sont alors exclus de leur logique. Quant aux banques de dveloppement

    leur but tait de soutenir l'conomie nationale avant tout, en finanant de grands projets,

    comme la construction d'infrastructures, la croissance industrielle, ou le secteur agricole.

    La reforme bancaire de 1975 introduite par la BCEAO a supprim la distinction faite entre

    banques commerciales et banques de dveloppement. Sur le plan rglementaire, des normes

    12 Dfini en introduction 13 Le Crdit Agricole s'implantera au Sngal en 1984.

  • 11

    prudentielles plus strictes ont t imposes aux banques suivant la nature des activits qu'elles

    finanaient. Dans ces conditions, les banques ont favoris les financements d'activits juges

    rentables, ngligeant de plus en plus les petites et moyennes entreprises sngalaises14.

    Cette politique sest creuse dans les annes 1980, lorsque les deux systmes de financements

    officiels ont connu une crise importante, que ce soit en Afrique Subsaharienne, en Asie ou en

    Amrique Latine. Cette crise s'est manifeste par la faillite de nombreuses anciennes banques

    de dveloppement. Sur les sept banques prsentes l'poque en Afrique de l'Ouest (zone

    franc), quatre ont fait faillite, au Togo, au Niger, au Bnin et en Cte d'Ivoire. La Banque de

    dveloppement au Sngal connaissait pour sa part de grandes difficults, et a organis son

    repli vers une clientle trs spcifique : socits d'tat, import-export, zones et cultures

    d'exportation, amnagements hydro-agricoles (Doligez, Gentil, 1996). Le financement des

    mnages ou des petites entreprises sngalaises ne faisait pas partie des priorits des

    politiques de dveloppement, l'amlioration des grands quilibres (quilibre montaire, dette

    extrieure, chmage et inflation) restant la proccupation principale.

    Quant aux banques commerciales, elles ont t soumises une importante rforme suite

    cette crise financire mondiale. La nouvelle structuration du systme bancaire s'est en

    particulier traduite par la liquidation de huit banques dont cinq du secteur public et trois du

    secteur priv. Elle a t accompagne d'une libralisation partielle des taux d'intrt, de

    l'allocation du crdit et de la cration d'un march montaire ayant pour objectif d'encourager

    le dveloppement d'un systme financier moins administr, plus flexible et plus concurrentiel.

    La restructuration de 1989 a t un succs en ce que le systme bancaire a t assaini.

    Nanmoins, l'essentiel de la clientle des banques tait toujours compos de grandes

    entreprises, et aucune dmarche spcifique n'tait prvue pour le financement des PME

    (Petites et Moyennes Entreprises) sngalaises, de plus en plus dlaisses (Harouna Djibo,

    2005). Ds lors laccs au crdit, notamment le crdit rural qualifi de crdit risqu par

    nature tait devenu de plus en plus difficile, particulirement pour les petits producteurs la

    14 Cf. Annexe 3

  • 12

    base. En effet, les banques assujetties des contraintes prudentielles plus fortes, ont rduit

    leurs engagements, au dtriment des activits agricoles et rurales15.

    Paralllement lassainissement des secteurs bancaires classiques, la dcennie 80 a vu

    voluer les politiques de crdit dans les pays du Sud, du fait du tarissement des sources de

    financement extrieures (en raison de la crise montaire mondiale). Dans le cadre des

    Programmes d'Ajustement Structurel, la priorit est la rsorption des grands quilibres

    financiers, entranant le retrait des tats des systmes de crdit, considrs trop coteux. Une

    politique de hausse des taux d'intrt est applique, pour contribuer laugmentation de la

    part de l'pargne nationale dans le financement des investissements.

    Du fait d'une politique des grands quilibres, et de la recherche de rentabilit par les banques

    commerciales, la plupart des acteurs conomiques sngalais sont exclus du systme bancaire

    classique.

    15 Source : le Ministre Des Petites et Moyennes Entreprises, de lEntrepreneuriat Fminin et de la Microfinance au Sngal. Etude n3 du Diagnostic approfondi du secteur de la microfinance et analyse des opportunits dinvestissement.

  • 13

    2. La demande de services financiers : vulnrabilit et non-dualit

    Une majorit de la population sngalaise est exclue des circuits de financement formel en

    raison de la faiblesse et de l'inconstance de ses revenus.

    a. Incapacit, vulnrabilit et rpression financire

    J.M. Servet (2004, page 61) parle d'incapacit financire pour expliciter ce fait, intimement

    li un phnomne d'exclusion bancaire. Une exclusion bancaire se produit quand les

    personnes ne peuvent plus vivre normalement dans leur socit en raison d'un handicap dans

    l'accs l'usage de certains moyens de paiement et de financement, selon M. Servet. Or, la

    structuration du secteur bancaire sngalais telle qu'elle est dcrite succinctement dans la

    partie prcdente a fortement exclu une grande partie de la population sngalaise, trop peu

    bankable et n'offrant pas assez de garanties. En fait, la majorit des mnages sngalais n'a

    pas accs aux services de prts bancaires classiques en raison de sa vulnrabilit.

    Le terme de vulnrabilit est dfini par E. Baumann (2003). Elle est corrle, selon lauteure,

    aux alas de la vie humaine, aux problmes lis l'environnement conomique et politique et

    aux sinistres naturels de toutes sortes. E. Baumann prcise que la vulnrabilit varie fortement

    en fonction du milieu d'appartenance, des aires culturelles et du niveau de vie. Elle est

    d'autant plus forte que le mnage est pauvre, et a peu ou pas d'pargne pour faire face aux

    vnements imprvisibles. Sur le plan financier, la vulnrabilit a pour consquence des

    dpenses imprvisibles. Concernant les dpenses prvisibles, on peut citer celles ralises

    annuellement pas les mnages sngalais, troitement lies aux prescriptions de la vie sociale

    et de la religion musulmane. Ces dpenses sont difficilement compressibles mais sont prvues

    et donc intgres dans la gestion financire des foyers. Par exemple, chaque famille

    sngalaise considre comme une obligation le fait de tuer un mouton pour la fte de l'Ad-el-

    Kebir. Ainsi, chacune le prvoit dans ses dpenses et fait en sorte d'pargner ou d'emprunter

  • 14

    en consquence durant toute l'anne16. La rentre scolaire engendre galement des dpenses

    prvisibles, une fois l'an. Par contre, pour les vnements tels que les catastrophes naturelles,

    les dcs ou les maladies, l'anticipation des dpenses est trs difficile, voire impossible.

    C'est pourquoi, pour faire face aux dpenses imprvisibles, les mnages sngalais les plus

    pauvres, exclus du systme bancaire formel, ont recours au financement informel.

    Dans ce genre de contexte, la thorie de la rpression financire est souvent avance. En rgle

    gnrale, la rpression financire se rfre aux effets dexclusion dus la rglementation

    troite du systme financier classique.

    Selon J.M Servet (2004, page 165), elle se dfinit plus prcisment par la runion de trois

    conditions :

    Une forte tanchit entre les organisations informelles et formelles.

    Le taux de participation de la population aux pratiques informelles est inversement proportionnel leur capacit d'accs aux institutions formelles.

    Les pays dont le systme formel est fortement rglement connaissent un degr de dveloppement des pratiques financires informelles plus lev que les pays aux institutions moins rglementes.

    Au Sngal, ces conditions ne sont pas remplies, notamment la premire, comme nous le

    verrons par la suite.

    Pourtant, l'inexistence de la rpression financire n'empche pas pour autant l'existence d'un

    systme financier dual. Qu'en est-il au Sngal?

    b. La non-dualit des pratiques financires

    Un systme financier dual se caractrise par lexistence de deux grandes familles de pratiques

    financires (au Sngal avant les annes 1990, le secteur bancaire classique et le secteur

    informel) qui ne se mlangent pas. Des frontires existent entre les pratiques de lune et celle

    de lautre, empchant les particuliers et les entreprises davoir recours aux deux.

    16 Exemple tir de mon exprience en tant que stagiaire la Mission Economique de Dakar en 2007.

  • 15

    Concernant le Sngal, l'insuffisance des offres des banques commerciales a de tout temps t

    avre. Des prts de faible volume, une clientle ne prsentant pas de garanties matrielles,

    sont coteux grer (de l'octroi la rcupration) et sont risqus. Les principaux risques sont

    les suivants :

    Alas climatiques et conomiques (vulnrabilit).

    Information insuffisante sur l'emprunteur (manque de transparence, non tenue de cahiers de comptabilit par exemple).

    Une grande partie des oprateurs conomiques et des mnages sngalais n'ont alors pas

    recours aux prts formels et se tournent vers l'informel.

    Cependant, l'inverse n'est pas forcment avr dans le contexte du prexistant financier la

    microfinance sngalaise. Des oprateurs conomiques disposant de comptes bancaires dans

    des institutions rglementes peuvent eux aussi avoir recours aux services informels. C'est ce

    que rvle une enqute mene en 1989 (Hane, Gaye, 1994)17. Opre auprs de 45 PME

    tenues par des artisans et commerants uvrant dans les principales villes sngalaises

    (Dakar, This, Saint Louis)18, elle met en lumire que la plupart des oprateurs ont des

    relations avec les banques (97,8 % dont 57,8 % ont des comptes dans plusieurs banques),

    mais ont galement recours l'informel. Cette enqute claire donc sur les pratiques

    financires poreuses des PME avant les annes 90, c'est--dire avant lexplosion de la

    microfinance. Les PME ayant accs aux prts bancaires classiques ont galement recours aux

    services financiers informels. Lenqute recense plusieurs raisons ce comportement.

    Les chefs d'entreprises formulent en effet plusieurs reproches l'gard des banques

    commerciales classiques :

    Des contacts jugs difficiles. Les entrepreneurs pensent que l'on n'accorde pas toute l'attention requise pour comprendre les problmes des PME.

    Des visites peu frquentes de la part des gestionnaires des dossiers des PME. Ils se contenteraient de jugement partir de documents comptables ou de statistiques, ce qui ne satisfait pas les entrepreneurs.

    17 Cf. Annexe 4, chantillon des rsultats des questionnaires de lenqute. 18 84% des PME de lchantillon sont actives dans les domaines du commerce et du transport (artisanat : 7% ; industries de transformation : 9%)

  • 16

    L'insuffisance des crdits accords. Ni leur fractionnement, ni leur forme ne conviendrait aux PME, qui manqueraient de lignes de crdit pour financer l'expansion notamment.

    Des comportements abusifs de la part des banques : rupture de crdit pour des PME en phase d'expansion, diminution unilatrale du montant et des types de crdit partir d'informations non vrifies et trop htivement exploites.

    La lenteur avec laquelle les banques rpondraient aux sollicitations des PME, leur faisant souvent manquer des opportunits commerciales.

    L'inadaptation des garanties, juges exorbitantes par la moiti des sujets sonds. Ils estiment que les banques demandent des garanties hypothcaires portant sur des immeubles dont la valeur dpasse trs largement (deux trois fois) le montant des crdits consentis.

    L'obligation d'expertises, finances par les PME, qui cotent cher et dont les banques ne tiendraient finalement pas compte.

    L'obligation (souvent selon les sonds) des PME de constituer des dpts importants en garantie d'oprations.

    Le non-respect de la parole donne de la part de certains interlocuteurs bancaires quand des engagements seraient dj pris par les chefs d'entreprise sur la base d'accords de principe verbaux.

    Ces reproches signalent que les promoteurs de PME au Sngal percevaient la fin des

    annes 1980 le secteur bancaire comme tant incapable de satisfaire pleinement et rapidement

    leurs besoins. Selon les PME interroges, ce serait mme les insuffisances du secteur bancaire

    qui auraient entran la cration d'un march parallle du financement. C'est pourquoi elles y

    ont eu recours.

    Outre les entrepreneurs, les mnages sngalais raliseraient le mme calcul selon J.M. Servet

    ((2004, page 165). En effet, les mnages qui peuvent sans difficult avoir accs aux

    institutions financires formelles ne sont pas les acteurs les moins actifs des institutions et

    rseaux financiers informels .

    De plus dans les pays fortes traditions familiales, comme au Sngal, les solidarits

    occupent une place importante. Pour satisfaire leurs besoins financiers, les mnages qui ont

    accs aux services bancaires classiques narrtent pas pour autant de sappuyer sur des

  • 17

    rseaux diffrents, au sein desquels ils bnficient de certains avantages. Ce sont des

    protections et des solidarits familiales et de proximit.

    Ainsi, tant les mnages que les PME au Sngal multipliaient, avant lexplosion de la

    microfinance, leurs sources de financement.

  • 18

    3. Les pratiques informelles de financement

    Une fois dfinies les pratiques de financement des PME et dune minorit de la population qui

    a accs aux services bancaires classiques, il convient de dtailler les pratiques de financement

    utilises par les mnages exclus de ces services classiques. Elles sont plus communment

    qualifies de pratiques informelles , Leur non respect aux rgles dictes par les

    institutions financires classiques et les structures tatiques ne les rend pas moins complexes.

    a. Dfinition de l'informalit financire

    Linformalit financire est galement qualifie de finance non organise , non

    institutionnelle , parallle , ou encore spontane et instable . La diversit de ces

    adjectifs offre une vision globale des activits de financement informel. Il s'agit de toutes les

    transactions financires (emprunts et dpts) qui ne sont pas rglementes par une autorit

    rglementaire centrale ou par un march financier central (Adams et Fitchett, 1994).

    Pendant longtemps, les activits du secteur informel taient considres comme

    relativement marginales et cantonnes des affaires sociales : solidarit pour faire face

    des frais de funrailles, de maladie ou de scolarit.

    Des travaux ont cependant dnonc le cot lev de ce type de financement et le pouvoir

    excessif et monopolistique des emprunteurs informels, souvent qualifis d'usuriers (Gurin,

    2005).

    Des investigations menes au Sngal en 1991 en zone rurale et en milieu urbain confirment

    cette propension (ATOBMS, 1991). La rmunration acquise par les prteurs est peine

    infrieure 12% du montant du principal, pour un prt accord pour une semaine. Pour un

    prt accord pour un mois, le taux est de 12,3% en moyenne. Calculs sur l'anne, les taux

    d'intrt sont de 29 900 % pour un prt remboursable au bout d'une semaine (soit quasiment

    une multiplication par 30) et de 300 % si on prte pour un mois.

    Selon Baumann (1998), la prfrence psychologique pour le prsent au Sngal renvoie au

    taux d'actualisation des emprunteurs, calcul partir de considrations personnelles. Le fait de

  • 19

    disposer dune somme immdiatement annihilerait le cot de laccs au financement. En cela,

    les pratiques informelles peuvent tre perues comme dangereuses pour lemprunteur qui

    nanticipe pas sa capacit de remboursement. Ainsi :

    Au Sngal [], le prix auquel les milieux populaires consentent pour accder un prt ne

    correspond qu'exceptionnellement, et toutes proportions gardes, un prix de march. Lors

    de la dtermination du prix de l'argent, des considrations non conomiques interviennent

    autant, sinon plus que des considrations conomiques (Baumann, 1998)

    Entre les lignes de cette citation, une des lgitimations explicites de la microfinance depuis sa

    cration apparat : il sagit de formaliser laccs au crdit pour viter les drives et les abus

    des prts informels.

    Nanmoins, pour d'autres auteurs, tels que Jean-Michel Servet (2006), il ne faut pas simplifier

    la ralit des pratiques de financement informelles : La croyance populaire voulait que ces

    activits ne comprennent que les prts usuriers ainsi que des crdits la consommation

    ngligeables, accords la plupart du temps des amis

    Il existe en effet plusieurs systmes de financement informel, comprenant des degrs de

    complexit divers. Comme l'explique J.M. Servet, les pratiques informelles sont susceptibles

    d'tre complmentaires ou concurrentes des services proposs par les dispositifs

    microfinanciers. De plus, nous verrons qu'elles relvent de comportements sociaux

    traditionnels complexes : issues de solidarits traditionnelles, les pratiques informelles

    renforcent ou crent d'autres solidarits. Il convient donc de les tudier plus en dtail.

    b. Exemples de pratiques informelles au Sngal

    Au Sngal, les systmes de financement informels, nombreux, se sont dvelopps pour

    rpondre aux problmes spcifiques que connat ce pays. Nous dvelopperons ici les

    exemples des associations villageoises d'pargne, des tontines de salaris, mais aussi des

    diffrents types de prts informels auxquels ont recours les mnages ou les petites entreprises.

    Cette liste non exhaustive a notamment t construite grce aux travaux conjoints de C.

    Dupuy et J.M. Servet, (1994).

  • 20

    L'pargne associative est une forme d'pargne collective, ou solidaire, entre des individus se

    reconnaissant d'un mme groupe social. Les associations se crent en fonction de critres

    d'appartenance particuliers. On trouve par exemple dans le village de Mendior (Casamance),

    quatre associations, des hommes, des jeunes non maris, des musulmans et des femmes du

    Boulouf19. Lpargne associative est difficilement dtectable car elle est totalement intgre

    la vie quotidienne ; elle ne ncessite pas de dmarche particulire comme se rendre dans une

    officine par exemple. Les cotisations verses par les individus dpassent rarement les 10 000

    FCFA par an (15 euros environ); elles sont extrmement fractionnes, et donnent lieu des

    versements journaliers ou hebdomadaires de quelques centimes ou quelques francs. Le plus

    souvent, c'est une association villageoise qui rcolte, gre et redistribue l'argent pour le

    financement d'un projet collectif destin augmenter les potentialits conomiques du village

    (puits, grenier, etc.).

    Il existe galement de nombreuses tontines au Sngal, dont le principe rpond gnralement

    au financement d'un besoin individuel. Elles regroupent des ralits trs diverses. Elles

    peuvent tre composes uniquement d'hommes, de femmes ou tre mixtes, entre salaris d'un

    mme bureau ou habitants d'un mme quartier. Leur taille diverge, de trois cinquante

    membres, voire beaucoup plus. Les sommes collectes vont de quelques centaines plusieurs

    millions de FCFA20. Les mises des membres peuvent tre identiques ou dpendantes du

    niveau de revenus de chacun. Leur raison d'tre reste pour autant la mme : des individus se

    runissent pour mettre en commun rgulirement une partie de leurs conomies et rcolter

    tour de rle les sommes ainsi runies. L'affectation de l'pargne tontinire concerne

    d'avantage la consommation que l'investissement21. Elle peut par exemple servir l'achat de

    matires premires pour un artisan, ou de stocks de marchandises pour des petits revendeurs.

    Nanmoins, selon l'tude mene par Claude Dupuy et Jean Michel Servet (1994), cette

    pargne est souvent destine rgler des problmes, autrement dit la consommation

    prive.

    19 Le Boulouf dsigne un groupe d'habitants vivant sur la rive droit du fleuve Casamance. Il est peupl du peuple Bluf Eblufayi en diola (singulier : Abluf) ou Ejugutayi) 20 Pour information, 100 FCFA =15 cents dEuro ; 1 Million FCFA= 1 527 Euros. 21 Cf. Annexe 5 pour les rsultats dune enqute sur lutilisation des fonds des tontines.

  • 21

    Dautres outils informels viennent financer la consommation prive des mnages :

    Les rglements en fin de mois (un moyen pour les commerants de fidliser leur clientle), sont extrmement dvelopps Dakar ou Kaolack.

    La vente avec paiement chanc de biens durables. Le client paye le bien un prix lev, et ngocie un terme de paiement. Ce systme fonctionne dans les magasins o aucun prix n'est affich ou pour les vendeurs ambulants qui sillonnent surtout les villages et les quartiers priurbains. Des tournes rgulires leur permettent de rcolter les sommes dues.

    L'opration de vente rachat-immdiat. C'est une forme d'usure cache, puisque cette dernire, dfinie comme un prt montaire avec intrt, est fortement condamne par l'islam. Une personne dsirant un prt de 50 000 FCFA (76 euros environ) se rend chez un commerant qui lui vend pour 75 000 FCFA (115 euros environ) de marchandise en indiquant au client o il pourra les revendre immdiatement pour obtenir 50 000 FCFA en liquide (la boutique d'un ami ou d'un membre de la famille du commerant gnralement). L'intrt non officiel est dans ce cas trs lev : 25 000 FCFA (38 euros), soit 50% de la somme dsire.

    Les petits entrepreneurs sngalais vont recourir ces outils, ainsi qu' d'autres, comme le

    prt fournisseur ou le prt d'argent (liste non exhaustive). Dans cette dernire catgorie, on

    trouve par exemple les prts d'argent avec partage des bnfices. Une fois que le bnfice

    tirer de l'affaire est connu et prsente un intrt pour le futur prteur, celui-ci avance les fonds

    et suit, tel un associ, l'opration du dbut la fin, depuis l'achat de la marchandise jusqu' la

    livraison aux clients et l'encaissement du prix de vente. Il supervise toutes les dpenses

    intermdiaires (les frais de transport, de manutention et de ddouanement, etc.). En gnral, la

    rmunration porte sur la moiti du bnfice ralis. Mais il arrive que le contrat porte sur un

    montant fix d'avance payer par l'emprunteur quel que soit le bnfice ralis. Dans le

    secteur du commerce de dtail et de la pche artisanale, les partenaires avertis et engags pour

    des oprations renouvelables peuvent aussi dcider de partager le bnfice en trois parties

    gales: l'une est destine au prteur, la seconde l'emprunteur et la troisime est remise dans

    l'affaire en guise de fonds de roulement ou de provision pour investissement futur (par

    exemple achat d'une senne tournante, d'une cantine, etc.) (Hane, Gaye, 1994).

    Ainsi se droulaient les pratiques financires informelles au Sngal avant lexplosion de la

    microfinance.

  • 22

    4. Pratiques informelles, reflets de solidarits traditionnelles

    Les pratiques informelles de financement s'appuient sur des solidarits traditionnelles,

    dautant plus fortement au Sngal que la socit entire sorganise autour de rseaux de

    solidarit. Paralllement, on peut souligner que le recours aux pratiques informelles cre

    galement des solidarits.

    Les pratiques informelles de financement et les solidarits traditionnelles sorganisent donc au

    sein dun cercle vertueux, les secondes encourageant les premires, et les premires

    prennisant les secondes.

    a. Des pratiques adosses la proximit et la confiance

    L'informalit se base sur la confiance et la proximit des acteurs. En effet, la proximit serait

    un pralable essentiel l'instauration de la confiance, notamment selon les conomistes de la

    proximit (Pecquer, Zimmermann, 2004).

    On parle de proximit institutionnelle, pour dfinir l'existence de solidarits traditionnelles,

    d'une culture commune, qui lie les membres d'une mme famille, ou des connaissances. Cette

    proximit est corrle le plus souvent une proximit gographique. Comme le souligne

    Zimmermann (2004), la proximit gographique est une notion qui vient enrichir celle de la

    coordination des acteurs conomiques (ou proximit organise).

    Ce sont deux thmes au fondement de lconomie de la proximit. La proximit gographique

    se traduit par la distance kilomtrique entre deux entits (individus, organisations, villes...),

    pondre par le cot temporel et montaire de son franchissement, ainsi que par la subjectivit

    des individus.

    La proximit organise nest quant elle pas dessence gographique mais relationnelle. Par

    proximit organise, on entend la capacit quoffre une organisation de faire interagir ses

    membres. Lorganisation facilite les interactions en son sein, en tous cas, les rend a priori

    plus faciles quavec des units situes lextrieur de lorganisation.

  • 23

    La premire facilite la seconde selon Zimmerman(2004). Ainsi, la proximit gographique

    facilite la coordination, dans la mesure o :

    Elle simplifie la rencontre et donc la mise en relation entre les agents, grce proximit institutionnelle.

    Elle peut, lorsque la relation est tablie, faciliter linteraction directe par le recours au face face.

    Elle est susceptible de compense un dfaut ou une insuffisance de proximit de nature non essentiellement gographique (organisationnelle ou institutionnelle).

    Une fois cette prcision donne, intressons-nous la question de confiance, au cur des

    analyses des systmes locaux. En favorisant les interactions locales, la confiance participe

    construire un avantage dterminant dans le succs des systmes locaux. La confiance

    faciliterait donc la proximit organise si on lapplique aux thories de lconomie de

    proximit.

    Les penseurs de cette cole ajoutent que la proximit, cognitive et gographique, produit des

    externalits au profit des membres dun groupe, travers un effet club , un processus de

    construction dun dedans par rapport au dehors.

    Les pratiques de financement informel au Sngal rpondent ces trois critres (proximit

    gographique, organise et effet club ), do la pertinence de les tudier sous le prisme de

    lconomie de proximit.

    Au Sngal, le niveau de la confiance interpersonnelle est le plus lev dAfrique22. 50% des

    enquts par lAfrobarometer en 2009 dclare faire beaucoup confiance aux autres. De

    faon gnrale, les individus qui sont fortement intgrs dans la socit prsentent des taux de

    confiance interpersonnelle plus levs. Lenqute rvle galement que la confiance semble

    augmenter avec lge et lappartenance communautaire.

    Cette confiance interpersonnelle sillustre au Sngal dans les rapports financiers. Comme

    nous lavons expliqu dans la partie prcdente, les caractristiques du financement informel

    22Afrobarometer briefing paper n XX, mai 2009. Baromtre sur le niveau de confiance interpersonnelle. Enqute avec une question dans quelles mesures faites-vous confiance aux personnes que vous connaissez ?

  • 24

    (tontine, pargne solidaire), suppose une confiance entre des individus appartenant un mme

    groupe (famille, quartier, communaut, ethnie, etc.), ce qui cr une proximit organise et un

    effet club . Les systmes locaux de financement informel tel que nous les avons dfinis

    prcdemment ne pourraient galement pas exister sans une proximit gographique et

    culturelle, tels que nous les avons dfinis ci-dessus.

    Au Sngal, la confiance et la proximit sont donc au centre des relations financires

    informelles, et permet l'mergence de systmes endognes de financement, flexibles, qui

    prennent en compte les comportements de chaque acteur de l'interaction.

    Le souci de reproduire le systme social et de resserrer les liens de solidarit familiaux et

    amicaux au nom de la tradition seraient un des ciments de cette situation selon E.

    Baumann, qui a ralis une enqute sur la reprsentation du crdit Dakar en 1998.

    Ainsi, les rapports de confiance et de proximit permettent la tradition orale de marquer

    encore aujourdhui la vie sociale dans le milieu informel. On se contente de la parole donne

    quand tous les lments devant susciter la confiance sont runis. (Hane, Gaye, 2004).

    La confiance, favorise par lexistence de solidarits familiales et amicales fortes au Sngal,

    et la proximit, sont donc les terreaux de la prennit des systmes de financement informel.

    b. Articulation entre les sphres professionnelle et familiale

    L'informalit qui s'appuie sur des solidarits dfinit ainsi une articulation trs troite entre la

    sphre professionnelle et la sphre prive (Baumann, 2004). Il semble quE. Baumann part du

    postulat quune frontire est toujours rige entre la gestion de lactivit gnratrice de revenu

    et celle de la vie quotidienne des mnages. Or, certains mnages notamment en milieu rural,

    ne font pas toujours cette distinction. Par exemple, un mnage peut dvelopper une agriculture

    de subsistance en revendant le surplus pour dgager revenus. La vie familiale et lactivit

    professionnelle sont dans cet exemple troitement mls. Nanmoins, il est intressant de

    dvelopper la thorie dE. Baumann, qui savre pertinente dans la majorit des cas.

  • 25

    L'pargne des mnages constitue un mode de prvention non ngligeable et peut prendre la

    forme de biens privs (vaisselle, ustensiles de cuisine, tissu). Nanmoins, lorsqu'une activit

    professionnelle connait des difficults, l'pargne des mnages, au lieu d'tre rserve la

    consommation familiale, est roriente pour honorer des commandes de biens intermdiaires

    ou de stocks futurs. Ainsi, l'pargne prive constitue galement l'pargne professionnelle.

    Un autre lien entre la sphre prive et la sphre professionnelle permis par l'informalit est la

    diversification horizontale pour se prmunir de chocs. Un commerant sngalais, au lieu

    d'agrandir sa boutique, va prfrer ouvrir d'autres points de vente dans des lieux stratgiques

    et les confier un membre de sa famille, rpondant par l, en mme temps, aux obligations de

    solidarit familiale, trs importantes au Sngal.

    Le transfert de vulnrabilit se dploie galement vers l'amont et l'aval de lactivit du micro-

    entrepreneur informel. Ce dernier va fidliser ses fournisseurs et sa clientle, le tout formant

    une grande famille . Nanmoins, la logique familiale rend dlicate la sanction de retards ou

    de situations d'insolvabilit.

    De mme, le transfert de vulnrabilit dans la sphre conomique informelle se traduit par une

    non-application des normes fiscales, des normes de scurit routire, d'hygine publique, etc.

    Par exemple, un chauffeur de taxi son compte va refuser l'entretien et l'assurance de son

    vhicule.

    Nanmoins, la gestion de la vulnrabilit s'appuyant sur des solidarits traditionnelles et la

    non-application des normes est de plus en plus difficile depuis les annes 1990, du fait dune

    volont politique nationale et internationale dune plus grande formalisation et dun meilleur

    encadrement des activits financires. De nouvelles institutions financires sont donc

    ncessaires, un secteur intermdiaire entre les banques et l'informel, qualifi gnralement de

    financement semi formel et qui pourrait s'apparenter la microfinance.

  • 26

    B. L'impact du paradigme de la mondialisation sur lessor de

    la microfinance au Sngal

    Les experts saccordent dater l'explosion de la microfinance au Sngal dans les annes

    1990. Nanmoins, nous souhaiterions dmontrer que :

    Il y a dans la microfinance, comme dans la mondialisation, une certaine continuit,

    dautant plus que certaines institutions de microfinance existaient dj quand on ne parlait

    que de finance informelle. Il en tait ainsi des mutuelles ou des coopratives dpargne et de

    crdit qui sont souvent les IMF les plus importantes et qui ont t implantes, en Afrique par

    exemple, ds les lendemains de la dernire guerre. Les programmes dappui en faveur de

    certains secteurs, de certains mtiers, de certaines populations existent depuis longtemps, tout

    comme les ONG qui sintressent souvent au crdit (Lelart 2008).

    On pourrait donc remettre en cause lide dexplosion du secteur de la microfinance au

    Sngal dans les annes 1990, qui suppose une apparition soudaine. Au contraire, il

    conviendra de dmontrer que la microfinance est ne de plusieurs inspirations : le prcdent

    financier au Sngal que lon a dcrit dans une premire partie, mais aussi le paradigme

    dominant des politiques de dveloppement dans les annes 1980 et 1990. La microfinance

    s'inscrit donc dans une dynamique de construction particulire, dans laquelle la

    mondialisation nest pas trangre.

    1. Le paradigme de la mondialisation et du dveloppement

    La citation de Lelart ci-dessus (2008) peut tre applique lvolution de la microfinance au

    Sngal, ceci dans le but de mettre jour un lien potentiel entre microfinance et

    mondialisation. La mondialisation aurait-elle permis, voire crer l'explosion de la

    microfinance? Pour cela, il faut d'abord prciser de quelle mondialisation parle-t-on.

  • 27

    a. La mondialisation : Histoire et dfinitions

    La mondialisation est le plus souvent envisage sous le seul angle de la mondialisation

    conomique, conue comme le dveloppement acclr des changes de biens et de services,

    accentue depuis la fin des annes 1980 par la cration de marchs financiers au niveau

    mondial.

    Or, comme l'explicite Brunel (2007)23 et Carrou (2005), la mondialisation est avant tout un

    processus, qui a dbut ds le premier sicle aprs Jsus Christ, en sorganisant autour de

    lempire Romain, dans lespace mditerranen. Une seconde mondialisation s'est ensuite mise

    en place autour de lAtlantique, culminante au XIXe sicle. On parle d'conomie-monde

    (F. Braudel, 1979). A cette poque, la diffusion conomique est avant tout le fait de l'Europe,

    dont les grandes dcouvertes ont entran une colonisation et une exploitation systmatique.

    Cette diffusion est bien mondiale, puisqu'au XIXe sicle, la colonisation concernait les quatre

    cinquimes des territoires mergs (F. Braudel, 1979).

    On pourrait dater la premire phase dexpansion de la mondialisation telle que nous la

    connaissons aujourd'hui entre 1870 et 1914 (Barrot, 2007), qui a vu l'institutionnalisation

    progressive des rapports internationaux et la naissance des premires organisations

    internationales. La priorit tait donne la rgulation du commerce international. Aprs un

    coup darrt li aux grands conflits mondiaux marquant la premire moiti du XXe sicle, la

    mondialisation a repris ses droits ds les annes 1970.

    Cest cette dernire phase, qui dure actuellement, qui nous intresse tout particulirement

    dans ce mmoire. Selon Adda (2006), cette mondialisation, avant tout conomique, se serait

    instaure durant la Guerre Froide, comme labolition de lespace mondial sous lemprise

    dune gnralisation du capitalisme, avec le dmantlement des frontires physiques et

    rglementaires.

    Plus prcisment, les principales caractristiques de la mondialisation actuelle sont l'explosion

    des changes commerciaux, le rle prpondrant des firmes multinationales, et avant tout, la

    23 Cf. Annexe 6, article de Sylvie Brunel sur la mondialisation

  • 28

    constitution d'un march financier international. L'aspect financier est ainsi un lment

    primordial de la mondialisation contemporaine, ce qui n'tait pas le cas dans les phases

    prcdentes. Cela s'explique par l'augmentation des changes sur le plan international, plus

    importante que l'augmentation de la production de richesses. Une fois internationaliss, les

    changes financiers ont t drguls. On applique communment la rgle des trois D pour

    expliquer ce phnomne :

    Drglementation ds 1971 : suppression par tous les tats de toutes les barrires juridiques aux changes financiers.

    Dsintermdiation : les banques sont remplaces par des marchs boursiers dmatrialiss pour organiser les changes, ce qui permet leur instantanit.

    Dcloisonnement : communication entre les marchs financiers, rapide et continue, grce aux NTIC.

    Cette mondialisation a aussi t permise par lunification des modles conomiques dans le

    monde, dont la fin des annes 1980 a t le terreau (C. Grataloup, O. Dolffus et J. Levy,

    1998). Le capitalisme sest ainsi impos depuis la chute du bloc socialiste et la fin de la

    bipolarisation du monde. La libralisation a depuis t encourage par des organisations

    internationales telles que lOCDE (Organisation de Coopration et de Dveloppement

    Economique) ou lOMC (Organisation Mondiale du Commerce).

    Paradoxalement, la mondialisation actuelle s'est accompagne d'un phnomne de

    rgionalisation dans le monde entier. On parle aussi d'intgration rgionale qui revt

    plusieurs degrs : la zone de libre change (suppression des barrires pour les changes entre

    les parties de l'accord), l'union douanire (adoption d'un tarif extrieur commun), le march

    commun (harmonisation des marchs de facteurs) et l'Union Economique et Montaire

    (harmonisation des politiques conomiques et monnaie unique). Des unions montaires

    peuvent aussi voir le jour sans l'instauration pralable d'un march commun. C'est le cas par

    exemple de la zone du Franc CFA en Afrique de l'Ouest, l'origine de l'UEMOA (Union

    Economique et Montaire de l'Ouest Africain). Le secteur de la microfinance au Sngal sest

    appuy sur cette rgionalisation, ce que nous verrons plus en dtail par la suite.

  • 29

    b. Le paradigme nolibral de la mondialisation

    Le terme de nolibralisme est aujourdhui trs utilis, pourtant il nexiste aucun consensus ni

    sur sa dfinition ni sur ses origines. Il sagit donc ici de sintresser la naissance du no-

    libralisme pour en comprendre le sens et son rle dans la mondialisation. Pour ce faire, il

    faut se pencher premirement sur le courant libral.

    Au sens large, le libralisme prne une socit fonde sur la libert d'expression des individus

    dans le respect du droit du pluralisme et du libre change des ides. Pour les auteurs libraux

    franais (Turgot, Condillac, Say), le libralisme conomique est essentiellement lapplication

    de la philosophie librale aux actes conomiques. Lconomie n'est qu'un des domaines de

    l'activit humaine o l'tat n'a pas de lgitimit intervenir autrement que comme un acteur

    conomique sans privilges particuliers, et dans le plus petit nombre de domaines possibles :

    la protection des citoyens, l'excution de la justice et la dfense contre d'ventuels agresseurs.

    Les conomistes libraux jugent inutile et dangereuse toute intervention supplmentaire,

    considrant que l'initiative prive relevant de comportement rationnel et guide par le march,

    est mme de suppler avantageusement la plupart des fonctions de l'tat. Les libraux

    jugent galement que l'extension de la sphre d'intervention de l'tat conduirait une

    prgnance immatrisable de la sphre publique au dtriment de l'initiative prive, et donc

    des inefficacits chroniques, voire des drives totalitaires (A. de Tocqueville, B.

    Constant et J. S. Mill). Adam Smith et lcole classique anglaise prnent galement un rle

    trs limit de l'tat, rduit trois devoirs : protger les membres de la socit, les dfendre,

    riger et entretenir des ouvrages et institutions publiques.

    Quant la signification du mot nolibralisme, elle a beaucoup vari au cours du temps.

    Finalement, sinscrit-il dans la continuit du libralisme, en sadaptant aux contextes

    conomique et politique du milieu du XVIIIe sicle ou est-il au contraire synonyme de

    rupture ? Le dbat nest toujours pas tranch aujourdhui mais il convient de le dvelopper ici,

    afin den faire merger une dfinition large et consensuelle, tant que faire se peut, du no-

    libralisme. Cette dfinition servira ensuite de terreau au dveloppement de notre

    argumentation.

  • 30

    Selon Lippmann, la vritable transition du libralisme au no-libralisme intervient aprs

    1870. Comme A. Smith, Lippmann voit dans le march, aid par des institutions adquates :

    un outil permettant aux hommes dlaborer un champ de connaissances communes sur

    lequel ils peuvent btir des solutions de compromis leurs conflits dintrt (F. U. Clave,

    2005).

    Nanmoins, selon Lippmann, le laisser-faire lui-mme aurait caus le dclin du libralisme ; il

    rejoint en ce point lanalyse Keynsienne datant de 193124. Pour les deux penseurs, le laissez-

    faire repose sur la croyance en une bienveillance universelle, ce qui conduit un dualisme fort

    entre le domaine tatique rgi par les lois des hommes et le domaine conomique fond par

    des lois naturelles, et donc une inefficacit. Il en dcoulera une nouvelle conception du

    libralisme, lorigine des politiques keynsienne o lthique et les politiques conomiques

    tatiques priment dans la recherche du bien commun.

    Par opposition, le nolibralisme dfend lautre part du dualisme. La politique et lconomie

    sont deux sphres autonomes et indpendantes, la deuxime primant sur la premire (E.

    Mulot, 2002). La politique serait alors un obstacle aux comportements conomiques, les seuls

    mme dassurer le bien commun et la coordination des rapports interpersonnels dans une

    socit. Les checs des politiques keynsiennes dans les annes 70 ont permis de donner un

    nouveau souffle aux thories nolibrales, qui ont triomph depuis dans le monde entier, en

    dfendant l'efficacit absolue du march tout en remettant au got du jour les thories de la

    main invisible dveloppe par Smith. Cest dans ce contexte que les politiques

    conomiques encouragent la drgulation et la drglementation se sont dveloppes (G.

    Dostaler, 2000).

    Pour conclure sur ce dbat, on retiendra que le nolibralisme sest inspir des thories

    librales en les appliquant toutes les sphres de la socit, dans une conception extrme de

    lefficacit du march et de la rationalit des individus. Il se caractrise ainsi par :

    une limitation du rle de l'tat en matire conomique, sociale et juridique;

    l'ouverture de nouveaux domaines d'activit la loi du march;

    24 La fin du laisser faire, Keynes

  • 31

    une vision de l'individu en tant que "entrepreneur de lui-mme" ou "capital humain" que celui-ci parviendra dvelopper et faire fructifier s'il sait s'adapter, innover.

    La mondialisation se trouve aujourdhui sans paradigme concurrent suffisamment fort pour

    contester le march en tant que croyance universelle et principe organisateur (Gurin, Servet,

    2003). Le nolibralisme est donc le paradigme dominant aujourd'hui, et conduit la

    mondialisation.

    c. Influence sur les politiques de dveloppement

    Dans les annes 1980, la crise de la dette touche les pays en dveloppement, en commenant

    par l'Amrique Latine, puis en s'tendant sur tous les continents. Les institutions

    multilatrales prnent alors des stratgies de dveloppement favorables au march, selon le

    paradigme conomique dominant chez les bailleurs de fond. La mondialisation et le march

    veulent tout imprgner, notamment grce aux institutions financires internationales telles

    que la Banque Mondiale ou le FMI (Stieglitz, 2002). Dans ces conditions, il parat opportun

    de comprendre comment le thme de la lutte contre la pauvret (dvelopp ds les annes

    1930) s'est greff la logique mercantile des grandes institutions internationales dans les

    annes 1980.

    i. Intgration de la lutte contre la pauvret dans le discours des

    bailleurs

    Ds les annes 1930, le dveloppement tait intimement li l'ide de croissance. Il faudra

    attendre les annes 1960 pour que se dveloppe une approche orthodoxe du dveloppement

    consistant reproduire mimtiquement le modle dindustrialisation capitaliste, dont les

    tats-Unis reprsentaient lexemple. Cette tendance sest notamment traduite par la dfinition

    de programmes de dveloppement standardiss, trs semblables les uns aux autres, et suivant

    tous le mme modle daccumulation du capital et le mme schma linaire des tapes de la

    croissance conomique dveloppes par Rostow en 1960 (Alexei Jones, 2005). Les

  • 32

    institutions de Bretton Woods devinrent les promotrices de cette approche du dveloppement.

    Dans ce contexte, la pauvret tait considre comme un faible accs aux biens de

    consommation du fait d'un manque de revenu. La croissance conomique devait permettre

    elle seule d'augmenter le revenu par habitant et ainsi de rduire la pauvret dans son acception

    conomique.

    Au Sngal plus particulirement, le premier plan de dveloppement standardis est mis en

    place en 1979. Il sagit du premier Plan dAjustement Structurel (PAS)25. Des politiques

    nolibrales sont instaures, privilgiant la stabilisation dans un premier temps, puis

    l'ajustement. Le PAS privilgie ainsi des dispositions lgislatives favorisant l'initiative

    conomique, le fonctionnement du march et les investissements trangers propices au

    dveloppement, permettant entre autres l'ajustement spontan des agents conomiques la

    situation locale et l'environnement mondial 26.

    Ces prcisions correspondent bien aux composants de la thorie nolibrale prciss dans la

    partie prcdente.

    Sur le plan des finances publiques, il sagit dliminer progressivement le dficit en

    comprimant les dpenses telles que la masse salariale, en vue de dgager une pargne

    publique pouvant financer les investissements.

    Le document-cadre de politique conomique et financire soumis au Groupe consultatif pour

    le Sngal en dcembre 1986 marque une rupture dans lapproche de cet ajustement. En effet,

    le programme dajustement moyen et long terme 1985-1991, appel maintenir les acquis

    obtenus dans la rduction de la demande, a t centr sur la promotion des exportations et la

    mise en uvre des politiques sectorielles. Cest ce titre quont t adoptes les Nouvelles

    Politiques Industrielles (NPI) en juillet 1986, le dsengagement de ltat dans les activits

    marchandes en 1987 ainsi quune nouvelle approche en matire dinvestissements. Aussi, le

    25 Un programme dajustement structurel est un programme de rformes conomiques mis en place par le Fonds montaire international (FMI) ou la Banque mondiale (BM) afin daider les pays touchs par de grandes difficults conomiques. Certaines dispositions de ces plans agissent sur la conjoncture et d'autres sur les structures. Leur laboration rsulte d'une ngociation entre un pays endett et le FMI. Les crdits pour la mise en place du programme sont dbloqus par tranches successives mesure de son avancement. 26 Cf. le rapport annuel du FMI, 1980

  • 33

    systme des incitations industrielles a t rvis afin de rendre le secteur plus comptitif sur

    les marchs intrieurs et extrieurs.

    Nanmoins, l'chec de ce modle dans les annes 80 (Sachs parlera ds 1979 de croissance

    perverse impulse par le modle de dveloppement traditionnel dans les PED) a entran une

    crise de lgitimit des politiques des grands bailleurs internationaux.

    Cest dans ce contexte qua t rig le discours de lutte contre la pauvret comme corolaire

    aux politiques de dveloppement. Cette apparition concide aussi avec laffaiblissement du

    bloc socialiste dans le contexte de la Guerre froide et avec limposition de lconomie

    nolibrale capitaliste, ouvrant la nouvelle re de la mondialisation ds le dbut des annes 90

    (cf. la partie prcdente). Lintgration de lutte contre la pauvret dans les politiques de

    dveloppement pourrait alors tre perue comme un outil de lgitimation du modle de

    lconomie nolibrale mondialise (G. Van Parys, 2005).

    Par ailleurs, lapparition de la pauvret dans les discours de dveloppement est galement lie

    aux travaux dAmartya Sen datant des annes 198027. Il interpelle les dcideurs politiques

    concernant limpact de la pauvret sur la capacit des individus tre libres et faire des

    choix. Dans cette ide, A. Sen privilgie les rformes sociales de mme que des amliorations

    dans lducation et la sant publique, en tant que corolaires indispensables une croissance

    conomique prenne et profitable tous. La pauvret nest plus seulement dfinie en termes

    conomiques ; ses incidences sur le capital social sont progressivement prises en compte.

    Ces travaux ont fortement influenc les politiques de dveloppement. Ainsi, la lutte contre la

    pauvret, dans le nouveau projet international, srige en pendant social, facteur de droits et

    de libert, rendu possible grce la mondialisation conomique. Fidle cette dynamique, la

    devise de la Banque Mondiale devient : Notre rve est un monde sans pauvret .

    Dans cette optique, outre les politiques de caractre standard autour du rtablissement des

    quilibres macro-conomiques et financiers internes et externes, des mesures plus

    27 Lire ce sujet : Collective Choice and Social Welfare (1970), On Economic Inequality (1973, 1997), Poverty and Famines (1981), Choice, Welfare and Measurement (1982).

  • 34

    contextualises et localises se sont imposes dans les annes 1990 et 2000. Ces outils sont

    venus porter une logique damlioration des capacits mais aussi de bonne gouvernance.

    ii. La promotion de la dcentralisation pour une bonne

    gouvernance

    La prise de conscience de l'chec des politiques de dveloppement mises en place dans les

    annes 1980, trouve galement une explication dans la marginalisation des populations, non

    intgres leffort de dveloppement standard. Elle est donc suivie de l'mergence de la

    notion de participation.

    Les Cadres Stratgiques de Lutte contre la Pauvret (CSLP) mis en place en 1999 ont ainsi

    innov par rapport au PAS, dans le contenu et dans la conception des programmes

    macroconomiques. L'action contre la pauvret s'y dessine notamment en termes d'une

    rflexion et d'une action collective largement ouvertes la participation de la socit

    civile. En se concentrant sur laccumulation de capital et sur la construction dinfrastructures,

    les interventions de dveloppement avaient en effet largement ignor les populations et le rle

    quelles pouvaient et devaient jouer dans leur propre processus de dveloppement (Alexei

    Jones, 2005).

    "Un rapport d'valuation externe indique que les trois quarts des PAS chouent. Le FMI lui-

    mme reconnat que cet chec peut s'expliquer entre autres par le fait que ces programmes ne

    sont pas mens par la population elle-mme 28

    Une srie dtudes commandites par la Banque mondiale ont finalement rapport les

    bienfaits que la participation tait susceptible dapporter dans lefficacit et la russite des

    projets de dveloppement, comme en tmoigne par exemple une tude de 1975 portant sur

    une cinquantaine de projets de dveloppement rural en Afrique29. La participation populaire y

    28 Ronald Janssen, in Bretton Woods contre syndicats, Labor Magazine, 200114(cit dans Notre rve : un monde sans pauvret, Isabelle Antal-Kapamadjian). 29 Local participation may mean involvement in planning, including assessment of local needs. Even if local people do not participate in planning, at the very minimum, they should be informed of the plans designed for their areas if they are expected to consent and to cooperate in program implementation , Lele, U. J., The Design of Rural Development: Lessons from Africa, Johns Hopkins Press, 1975.

  • 35

    fut identifie comme un lment crucial pour obtenir ladhsion des populations et leur

    coopration dans le droulement du projet.

    Le terme de gouvernance, conue comme un mouvement de dcentrement de la prise de

    dcision, avec une multiplication des lieux et des acteurs impliqus dans cette dcision, dont

    la socit civile, entre alors dans les discours du dveloppement. Le terme renvoie la mise

    en place de nouveaux modes de rgulation plus souples, fonds sur le partenariat entre

    diffrents acteurs.

    Cette nouvelle notion peut nanmoins tre considre comme un nouvel outil

    conomique . En effet, pour certains chercheurs, lessor du terme de gouvernance vient

    renforcer le tournant nolibral des annes 1980, en participant la dcomposition de ltat.

    Par exemple, pour Jean-Christophe Mathias (2009) :

    Le glissement du gouvernement la gouvernance dmontre que l'on est pass d'une

    civilisation de la souverainet populaire incarne dans la loi rpublicaine, garante de

    l'intrt gnral, une socit pragmatiste, particulariste et utilitariste, garante d'intrts

    conomiques singuliers, dans laquelle la notion de bien commun n'a plus de place vritable .

    Dans ce cadre, la dcentralisation apparat comme un corollaire ncessaire la mise en place

    dune bonne gouvernance . Cest en tout cas le parti pris de la Banque Mondiale, qui

    considre que la gouvernance en Afrique nest bonne que si elle est locale, cest--dire au plus

    prs des populations devant tre administres. La gouvernance telle que dfinie par les

    bailleurs doit ainsi laisser le plus de place possible la participation dmocratique de la

    socit civile.

    Au Sngal, la politique de dcentralisation est dabord hsitante. Tout en reconnaissant des

    entits dcentralises ds son Indpendance, le Sngal peine relcher significativement le

    contrle de l'tat central sur les centres locaux de dcision (Piveteau, 2005). Il faudra attendre

    1996 pour assister un vritable renforcement de la dcentralisation avec l'instauration dun

    contrle de lgalit a posteriori pour les collectivits locales et la cration de dix rgions. La

    prise en compte de la participation de la population civile sinscrira aussi dans les annes

    2000 travers les politiques de croissance en faveur des pauvres, qui mettront laccent sur la

    participation des populations, notamment des organisations de la socit civile, dans la mise

  • 36

    en uvre de la politique de rduction de la pauvret en favorisant des stratgies d'intervention

    au niveaux rgional et local, plus proches des populations30.

    Ainsi la mondialisation, avant tout conomique aujourdhui, sexprime dans les politiques de

    dveloppement par une empreinte nolibrale caractristique ds les annes 1980. Celle-ci se

    traduit par une prise en compte croissante de lindividu et de ses capacits, dans une optique

    de lutte contre la pauvret et de bonne gouvernance.

    30 Selon lUnit de Coordination et de Suivi de la Politique Economique (UCSPE) du Ministre de l'Economie et des Finances (MEF) du Sngal, http://www.dsrp-senegal.org/strategies.htm#croissance

  • 37

    2. La microfinance : outil du paradigme conomique mondial au Sngal

    Il est possible de rendre plus explicite les notions de mondialisation et de rfrentiel

    nolibral la lumire de la microfinance. En effet, cette dernire peut se concevoir comme

    une manation de la mondialisation, concentrant les grandes caractristiques du paradigme

    nolibral conduisant la mondialisation et les politiques de dveloppement.

    a. La vibration du march pour lutter contre la pauvret

    Lexplosion de la microfinance, notamment au Sngal, peut perue lie la mondialisation,

    comme une illustration des nouvelles proccupations conomiques dtermines au niveau

    mondial dans les annes 1980 et 1990.

    La microfinance telle quelle a explos cette poque serait alors un lment concurrentiel

    essentiel, la vibration du march offerte aux plus pauvres. La microfinance est en effet

    souvent prsente comme un outil de lutte contre la pauvret, correspondant ainsi aux

    prceptes des politiques de dveloppement sappuyant sur le march ds la fin des annes 80.

    Plus prcisment, la microfinance serait la rponse aux checs des PAS, et correspondrait la

    redfinition des moyens mis en place par les bailleurs qui ont comme objectif dans les annes

    90 la lutte contre la pauvret. En effet, plusieurs organismes et agences ont progressivement

    ralis et reconnu que la marginalisation des populations tait une des principales faiblesses

    de leurs interventions de dveloppement. Diverses tudes31 ont contribu cette prise de

    conscience selon laquelle lexclusion des bnficiaires dans le droulement des projets de

    dveloppement, et notamment de dveloppement rural, avait t lorigine de lchec de

    nombreux projets. La microfinance, dfinie comme loffre de services financiers aux exclus

    du systme financier classique, promeut le micro-entrepreneuriat32 ; en cela, elle est venue

    rpondre cette prise de conscience, en instaurant au centre de la cration de richesse,

    31 Alexei Jones cite : Uphoff N., Fitting projects to people , 1985 ; T