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MEMOIRE
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Malle BOUVIER
Courriel :[email protected]
MEMOIRE DE RECHERCHE
MASTER professionnel Dveloppement conomique et coopration internationale
Sous la direction de Catherine Baron,
Anne universitaire 2009-2010
LA MICROFINANCE AU SENEGAL,
VECTEUR OU ALTERNATIVE A LA
MONDIALISATION ?
Remerciements
Pour ses conseils et sa disponibilit, je remercie Mme Catherine Baron.
Je remercie M. Julien Sciau (Fondation Grameen-Crdit Agricole) et M. Alexandre Coster
(Microcred S.A.) pour leur participation.
Pour mavoir permis deffectuer un stage au Sngal, je remercie lquipe de la Mission
Economique de Dakar, et plus particulirement M. Franois-Xavier Flamand.
Pour mavoir permis deffectuer mon premier stage au sein dune Institution de Microfinance,
je remercie lquipe de Microcred Madagascar, et plus particulirement M. Franois-Xavier
Poste.
Enfin, je remercie M. Eloi Pom pour ses prcieux conseils et corrections.
Avertissement : LIEP de Toulouse nentend donner aucune approbation, ni improbation dans
les mmoires de recherche. Ces opinions doivent tre considres comme propres leur
auteur.
Table des sigles
ACDI : Agence Canadienne pour le Dveloppement International ACEP : Alliance de Crdit et dEpargne pour la Production ADEPME : Agence de dveloppement et dencadrement des PME (Sngal) AFD : Agence Franaise pour le Dveloppement BCEAO : Banque Centrale des Etats dAfrique de lOuest BEI : Banque Europenne dInvestissement BIMAO : Banque des Institutions Mutualistes dAfrique de lOuest (Sngal) BM : Banque Mondiale BRS : Banque Rgionale de Solidarit (Sngal) CICM : Centre International du Crdit Mutuel CMS : Crdit Mutuel du Sngal DID : Dveloppement International Desjardins DSRP : Document Stratgique de Rduction de la Pauvret FCFA : Franc CFA (monnaie de la BCEAO) FENU : Fonds d'quipements des Nations-Unis FMI : Fonds Montaire International FNPEF : Fonds National de Promotion de l'Entrepreneuriat Fminin (Sngal) GEC : Groupement dpargne et de crdit IMF : Institution de Micro Finance. KFW : KfW Bankengruppe (quivalent allemand de lAFD) MEC : Mutuelle dEpargne et de Crdit MEF : ministre de lconomie et des finances (Sngal) MFR : Projet Microfinance en Milieu Rural MPE : Micro et Petite Entreprise NPI : Nouvelles Politiques Industrielles OCDE : Organisation de Coopration et de Dveloppement Economique OMD : Objectifs du Millnaire pour le Dveloppement ONG : Organisation Non Gouvernementale PARMEC : Projet dAppui la Rglementation des Mutuelles dpargne et de Crdit PED : Pays en Dveloppement PDEM : Pays Dvelopps Economie de March PME : Petite et Moyenne Entreprise PNUD : Programme des Nations-Unis pour le Dveloppement SA : Socit Anonyme SARL : Socit Anonyme Responsabilit Limite SFD : Systme de financement (ou systme financier) dcentralis SNMF : Stratgie Nationale de Micro Finance (Sngal) UEMOA : Union Economique et Montaire Ouest Africaine
0
Sommaire
Introduction gnrale .......................................................................................................................................... 1
I. La microfinance au Sngal : manation de la mondialisation juxtapose au pr-existant financier ............................................................................................................................................................. 8
A. Offre et demande de produits financiers au Sngal avant les annes 1990 ............................................. 10
1.La structuration d'un secteur bancaire classique au Sngal ............................................................. 10
2.La demande de services financiers : vulnrabilit et non-dualit ....................................................... 13
3.Les pratiques informelles de financement........................................................................................... 18
4.Pratiques informelles, reflets de solidarits traditionnelles ................................................................. 22
B.L'impact du paradigme de la mondialisation sur lessor de la microfinance au Sngal .............................. 26
1.Le paradigme de la mondialisation et du dveloppement................................................................... 26
2.La microfinance : outil du paradigme conomique mondial au Sngal ............................................ 37
C.Juxtaposition de la microfinance au prexistant financier ............................................................................ 42
1.La dynamique actuelle de la finance informelle et des banques classiques ...................................... 42
2.L'essor de la microfinance dans la continuit du prexistant financier ............................................... 48
II. La microfinance au Sngal pilote par linternational : vers luniformisation de loffre ? ........ 55
A.La microfinance au Sngal: un secteur dynamique intgr dans la sous-rgion ....................................... 57
1.Les indicateurs de la microfinance au Sngal .................................................................................. 57
2.Des opportunits de financement pour les partenaires extrieurs .................................................... 62
B.Le rle volutif de la coopration internationale ........................................................................................... 66
1.Les principaux bailleurs, sources de la politique microfinancire sngalaise ................................... 66
2.Lambiguit de la vision commerciale de la microfinance ................................................................... 70
3.La rorientation des aides pour une offre microfinancire durable et attractive ................................. 73
C.La microfinance sngalaise intgre dans les flux financiers privs internationaux .................................. 78
1. Argumentaire pour un accs aux marchs financiers ....................................................................... 78
2.Les voies daccs aux marchs financiers .......................................................................................... 80
3.Une condition pralable : se rapprocher des normes et standards internationaux ............................ 84
D.Vers luniformisation dun modle au Sngal?............................................................................................ 89
1. L'mergence de modles de rfrence .............................................................................................. 89
2. La permanence de la diversit ........................................................................................................... 93
Conclusion ...................................................................................................................................................... 101
Bibliographie ................................................................................................................................................... 101
Liste des tables ............................................................................................................................................... 108
Annexes .......................................................................................................................................................... 109
1
Introduction
"Nous nous sentons capables d'un autre idal
et nous voulons imaginer un monde o
chacun retrouve la libert de conduire son destin
et participe l'conomie de son environnement.
Certains vivent dj cette utopie, qui devient ainsi ralit."
(Charte de l'Alda, 1981, p 1).
En 1997, l'Organisation Non Gouvernementale (ONG) Results organisait Washington le
premier sommet du microcrdit, lanant ainsi une campagne de neuf ans dite Campagne des
sommets du microcrdit. Cet vnement a rassembl 2 900 participants en provenance de
137 pays. Ce fut un vritable succs mdiatique, qui a propuls le sujet de la microfinance
dans les mass mdia. La success story de la Grameen-Bank, cre en 1983 par Mohammed
Yunus au Bangladesh, a galement contribu nourrir un dbat mondial autour de la
microfinance, dans lequel les mdia ont jou un rle important. Le prix Nobel de la paix
attribu M. Yunus en 2006 peut tre considr comme la conscration de la reconnaissance
mondiale de la microfinance. Nous chercherons indirectement dans ce travail de recherche
analyser la nature de cette reconnaissance.
Qu'est ce que la microfinance? Elle se dfinit aujourd'hui comme loffre de services financiers
(pargne, prt, assurance) aux exclus du systme bancaire classique1. Le microcrdit est
une composante de la microfinance, mais ne la recouvre pas entirement. Cest un crdit de
faible montant propos aux exclus des systmes bancaires classiques. Les services financiers
englobs dans la dfinition de la microfinance concernent les microcrdits, mais aussi la
microassurance, lpargne, etc. Ces services sont dlivrs par des Institutions de Microfinance
(IMF), qui peuvent relever de statuts institutionnels trs varis (socit anonyme, mutuelle,
1 On entendra ici tout institution qui reoit des capitaux, change de la monnaie, accorde des prts des taux dintrt variables, excute pour le compte de tiers toutes oprations de ce genre et se charge de tous services financiers. Ces institutions bancaires dites classique proposent leurs services des particuliers et des ENTREPRISES FORMELLES, c'est--dire inscrites aux registres du commerce et soumises aux rgles officielles comme la dclaration des revenus et le paiement des impts.
2
cooprative, etc.). Cest la microfinance sous ses diffrentes composantes et formes qui sera
tudie dans ce travail, sous langle de lconomie solidaire.
Le choix de cet angle peut paratre curieux car la finance solidaire et la microfinance sont
souvent considres comme deux activits part entire. La finance solidaire se distinguerait
de la microfinance en ayant comme objectif premier l'accroissement du capital social, tandis
que la microfinance est parfois utilise comme simple instrument individuel palliatif
l'exclusion d'une population pauvre ou sans garantie du systme bancaire. Nous choisirons ici
de parler de la pauvret selon une approche relative : le seuil de pauvret est fix par
rapport la distribution des niveaux de vie de l'ensemble de la population, avec comme
rfrence le revenu mdian. A travers ce prisme, la pauvret pose aussi un problme
d'exclusion ; l'homme ne se ralise qu'au sein de rapports sociaux et les ingalits de richesse
sont des sources de discrimination ; la pauvret le rend donc vulnrable sur plusieurs
plans, ce que nous dvelopperons dans la premire partie de ce mmoire. La microfinance, en
permettant dinvestir dans des activits gnratrices de revenus grce laccs aux produits
microfinanciers, contribue rduire cette vulnrabilit, et donc indirectement rduire la
pauvret dans le sens large du terme. Ainsi, grce laugmentation de ses revenus issue de
son investissement, le micro-entrepreneur est capable dinvestir dans lhygine, lducation, la
culture, etc. Nous partons donc du postulat que la microfinance peut avoir un effet positif sur
le capital social de ses bnficiaires. En cela, elle peut tre classe dans le courant de
lconomie solidaire.
Une fois ce point clarifi, il faut prciser que la microfinance est souvent tudie dans sa
dimension locale. Elle occupe ce titre une position particulire dans lconomie solidaire. En
effet, linstar de lensemble des initiatives de ce champ danalyse conomique, la lgitimit
et lefficacit de la microfinance suppose un ancrage territorial fort, une relation de proximit
pour mobiliser lpargne et octroyer des crdits, et donc un encastrement des activits
dans la socit do limportance de la contextualisation. Selon J.M Servet, la microfinance
est ainsi caractrise par le faible montant des oprations, la proximit non seulement
spatiale, mais aussi mentale et sociale entre lorganisation et sa population cible, et la
pauvret suppose des clients ou lexclusion quils subissent (J.M.Servet, 2006). Lauteur
insiste dans cette dfinition sur la proximit gographique et culturelle, ce qui nous amne
parler dune dimension locale prpondrante de la microfinance.
3
Cette dernire naurait alors a priori pas de liens avec le concept de mondialisation, qui
dsigne l'expansion et l'harmonisation des liens d'interdpendance entre les nations, les
activits humaines et les systmes politiques l'chelle du monde. De la sorte, selon certains
auteurs, la mondialisation est un phnomne international par nature, puisquelle concerne
des relations entre les tats ou plutt entre des agents appartenant des tats diffrents,
alors que la microfinance est un phnomne local qui spanouit dans un espace beaucoup
plus limit et dont les acteurs sont des personnes qui le plus souvent se connaissent (Lelart,
2008). Une autre diffrence peut tre souligne : la mondialisation est par nature globale, et
runit en cela lensemble de lconomie, mais aussi la culture, tandis que la microfinance
concernerait prioritairement les activits de finance. Enfin, Lelart (2008) distingue les deux
concepts sur les plans gographique et temporel : la mondialisation et la microfinance
concernent chacune tous les pays, mais la premire est plutt laffaire des pays du Nord, la
seconde concerne davantage les pays du Sud .
Nanmoins, la volont de diffuser une modle microfinancier lchelle mondiale ds le
dbut des annes 2000, bas sur lexprience de la Grameen Bank, et relay par les mdia
nous amne repenser les rapports entre la mondialisation et la microfinance. L'engouement
que la microfinance a suscit, linspiration ne de l'exprience de la Grameen Bank,
dmontrent la naissance d'un consensus autour de ce phnomne, au niveau mondial. Les
organisations financires internationales, tel que le FMI2, sont aujourdhui les premires
reconnatre les performances de la microfinance dans les pays du Sud, comme outil de lutte
contre la pauvret, et la promouvoir. Cette approbation laisserait supposer que la
microfinance nest pas contraire aux politiques de dveloppement actuelles. Cela tant, on
peut donc supposer que la microfinance ne serait a priori pas inadapte au paradigme
conomique dominant dans le processus de la mondialisation, savoir le no-libralisme.
Subsquemment, la microfinance est avant tout un outil financier. Il est donc lgitime de se
demander si elle ne permettrait pas la lgitimation du rfrentiel conomique nolibral au
cur de la mondialisation. Cette lgitimation seffectuerait par un outil au service des
2 Fond Montaire International
4
pauvres , ce qui conforterait l'ide que le no-libralisme, grce l'outil du march,
contribue l'amlioration du bien-tre de tous comme lont thoris les penseurs libraux et
nolibraux.
Les dfenseurs d'une vision avant tout sociale de la microfinance soulvent eux-mmes
lambigut de la microfinance. [Son] objectif est alors de lutter contre la pauvret et la
prcarit sociale par linclusion financire. En permettant aux plus dmunis de crer ou de
prenniser leur activit, les dfenseurs de la microfinance militent pour lexistence dun
cercle vertueux entre le microcrdit, lactivit professionnelle et lautonomie (Jgourel,
2008). Dans cette citation, l'inclusion financire, autrement dit l'intgration de personnes
pauvres dans le systme financier nolibral, permettrait de lutter contre la prcarit sociale.
La microfinance a donc un objectif social, en tant premirement un outil conomique et
financier. Cette synthse vient de fait elle aussi lgitimer l'aspect social et vertueux du no-
libralisme, qui rgule les ingalits grce au march (ici, microfinancier).Un questionnement
demeure donc, qui se doit d'tre clairci travers une tude plus approfondie du lien (ou des
liens) entre la microfinance et la mondialisation emmene aujourd'hui par le nolibralisme.
Ainsi, le travail de recherche dvelopp ci-aprs tchera de dmonter que la microfinance, si
elle n'est pas qu'un outil de lgitimation de la mondialisation, en est au moins une manation,
c'est dire un rsultat de sa dynamique.
Dans la mesure o nous posons comme hypothse lencastrement de la microfinance dans un
contexte conomique, social et politique, une tude de cas spcifique un pays savrait
indispensable. Si le secteur de la microfinance est le plus dvelopp en Asie en termes de
volume des bnficiaires3, sa croissance actuelle en Afrique est rvlatrice dune nouvelle
dynamique. De plus, l'Afrique est le premier continent rcipiendaire de l'Aide Publique au
Dveloppement4, ce qui implique fortement les institutions financires internationales sur ce
territoire. Or, cette introduction fait le postulat que les politiques de ces dernires ne sont pas
trangres l'explosion de la microfinance.
3 Selon lenqute de MicroBanking Bulletin, 70% des clients sont en Asie et 20% en Amrique latine (2008). 4 En 2007, lAPD nette lAfrique sest chiffre 38.7 milliards USD, soit 37 pour cent de laide totale de lOCDE (organisation runissant 31 pays en vue de promouvoir la dmocratie et lconomie de march).
5
LAfrique de l'Ouest, plus prcisment l'Union Economique et Montaire Ouest Africaine
(UEMOA)5, est la principale zone d'intervention des bailleurs et investisseurs franais, ce qui
en facilite l'tude. Pour plus de prcisions, il convient de centrer lanalyse sur un seul pays, en
tudiant donc un contexte particulirement prcis. Cela implique que cette recherche na pas
vocation la gnralisation des hypothses quelle dfend. L'conomie sngalaise est l'une
des plus dynamiques de la zone en termes de croissance du PIB et dinvestissements
trangers6, de mme que son secteur microfinancier. Le potentiel de croissance de ce dernier
est consquent puisque le taux de pauvret au Sngal atteint 54%7 et que la part du secteur
informel dans lconomie reste encore consquente, en gnrant la grande majorit de la
cration demplois8. La demande potentielle sngalaise en produits microfinanciers reste par
consquent importante.
Il parat donc pertinent dtudier dans quelles mesures la microfinance sintgre-t-elle dans le
processus de la mondialisation, travers l'exemple du Sngal.
Pour cela, il faut comprendre dans quelles conditions la microfinance a merg au sein de la
socit sngalaise (en prcisant les spcificits de cette mergence dans les zones rurales et
urbaines), sur quel terreau. En effet, le prexistant financier la microfinance est riche et dual
(prts informels vs secteur bancaire classique). La rencontre des deux a encourag la
naissance de la microfinance, comme nous largumenterons par la suite. Nanmoins, les
politiques de dveloppement, inspires par le nolibralisme, ont galement construit la
microfinance sngalaise telle quelle se dveloppe aujourdhui. Il conviendra donc dtudier
la nature de linfluence de chacun de ces facteurs dans le cas du Sngal. Cette tude ne sera
possible quavec le prise en compte de lvolution de la microfinance sngalaise depuis les
annes 1990, vers plus d'acteurs, plus de bnficiaires, plus de financements, plus de crdits
distribus, plus d'encadrement, etc.
Pour ce faire, la mthodologie utilise sappuie sur plusieurs sources. Une documentation
dense permet dapporter des lments de rponse thorique la problmatique, en runissant
5 LUEMOA a t cre par le Trait sign Dakar le 10 janvier 1994, et comprend actuellement 8 pays. Objectifs : convergence, harmonisation des politiques conomiques et montaires, comptitivit de la zone. 6 Du moins, avant la crise conomique mondiale, Cf. Annexes 1 et 2 7 Cf. Annexe 2 ; le taux de pauvret = seuil de 2 dollars par jour. 8 Cf. Rapport sur lemploi au Sngal : Le secteur informel gnre 97% des crations , Le Soleil, 14 octobre 2007
6
des travaux universitaires dans les domaines de lconomie du dveloppement, de lconomie
solidaire mais galement de la sociologie et de lanthropologie. Les travaux choisis ont pour
objet la microfinance en gnral, ou sappuient sur un terrain prcis qui nest pas forcment le
Sngal (Inde, Bnin, etc.). Une recherche parallle base sur lactualit du Sngal, les
donnes conomiques et financires des IMF implantes dans ce pays et de lUEMOA,
permettront dillustrer concrtement les arguments avancs pour les appliquer la
problmatique pose dans le cadre du Sngal. Des entretiens raliss avec des acteurs
franais investissant dans la microfinance au Sngal permettront leur tour de rpondre
certaines questions poses par ce travail de recherche. Enfin, notre tude se concentrera avant
tout sur les grandes structures microfinancires au Sngal, qui sont installes dans les zones
urbaines, car elles reprsentent la quasi-totalit du march au Sngal en termes de volume
des crdits distribus et de clients. De plus, peu de donnes existent sur la microfinance rurale
dans ce pays. Le ministre sngalais en charge de la microfinance prcise seulement que :
En dpit des efforts conjoints du Gouvernement et des bailleurs de fonds pour un maillage
du territoire national, la finance rurale continue doccuper une place ngligeable dans le
secteur de la microfinance 9.
On observe toutefois des zones de forte concentration (Dakar et This : 40% des IMF) et des
zones rurales peu touches (Diourbel, Fatick, Kolda, Matam et Tambacounda)10.
Nanmoins, le cas des IMF modestes, notamment en zones rurales sera aussi voqu,
ponctuellement, et surtout en fin de ce document.
Sur cette base, nous essayerons d'tudier dans quelles conditions ont eu lieu la naissance et
lvolution de la microfinance au Sngal, et surtout quel y est le rle des acteurs
internationaux. Il sera opportun de percevoir les liens qui se crent entre le local et le global,
travers lexemple de la microfinance et de la mondialisation. Cela afin de dmontrer que
lvolution de la microfinance au Sngal est intimement lie la dynamique de la
mondialisation.
9 Extrait de la Lettre de politique sectorielle en Microfinance, plan daction 2005-2010 , page 21 10 Source : http://senegal.planetfinancegroup.org/FR/microfinance.php
7
Ainsi, le postulat selon lequel la microfinance est une manation, de la mondialisation soulve
de nombreuses questions auxquelles il conviendra de trouver, pour le moins, des dbuts de
rponses. Quelle forme prend cette manation ? Peut-on considrer la microfinance comme un
outil ou une alternative la mondialisation ? Dans quelles mesures la mondialisation a-t-elle
impact le systme financier au Sngal ? Quelles est la nature des cet impact et de
limplication des bailleurs de fonds et des investisseurs privs ? Peut-on parler d'une
microfinance pilote par l'international, c'est--dire influence? Enfin, l'impact de la
mondialisation entrane-t-elle l'uniformisation d'un modle d'IMF? Ces questions s'organisent
autour d'une problmatique gnrale : Dans quelles mesures la mondialisation a inspir et
inspire encore la construction du secteur microfinancier au Sngal?
Pour rpondre ces interrogations, il conviendra d'tudier dans un premier temps les
conditions de la naissance de la microfinance au Sngal. Cette tude tentera de dmontrer
quaussi bien le prexistant financier que les politiques internationales de dveloppement ont
permis lmergence de la microfinance au Sngal. Une fois ces points clarifis, lhypothse
que la sphre internationale influence le secteur de la microfinance au Sngal sera dfendue
plus prcisment dans une deuxime partie. On y dmontrera galement les consquences de
cette influence, notamment en termes duniformisation des modles. En effet, les acteurs
internationaux publics et privs tendent imposer un modle microfinancier de rfrence.
Nanmoins, nous verrons que cette tendance nempche pas la permanence de la diversit de
loffre microfinancire, riche au Sngal, notamment grce la force de ses institutions de
microfinance intermdiaires.
8
I. LA MICROFINANCE AU SENEGAL : EMANATION DE
LA MONDIALISATION JUXTAPOSEE AU PRE-
EXISTANT FINANCIER
Dale W. Adam et Delbert A. Fitchett (1994) font lhypothse que les systmes de financement
dans les pays en dveloppement forment un continuum compos des transactions
financires allant du simple prt consenti des parents ou amis, jusqu'aux banques
strictement rglementes par une banque centrale .
Ce continuum recense les systmes de financement selon leur degr de formalisation, de la
finance informelle la finance telle qu'on la pratique dans les PDEM11. Comme le prcisent
les deux auteurs, dans de nombreux pays en dveloppement, le centre de ce continuum est une
zone plus ou moins floue qui ne se prte pas une catgorisation dichotomique.
Pourrait-on appliquer cette thorie notre objet dtude, savoir, les pratiques financires,
dont la microfinance au Sngal ? On peut remettre en cause lemploi du terme
continuum , qui suppose lacceptation dterministe dun dbut et dune fin, dune
formalisation vidente des pratiques financires dans les pays industrialiss. Or, ce nest pas
forcment le cas. Nous pouvons cependant conserver lide dune zone centrale des pratiques
financires plus ou moins floues dveloppe par Dale W. Adam et D.A. Fitchett. Lide de
centre est en effet judicieuse si on ladmet comme la convergence de plusieurs pratiques
financires vers une nouvelle, mergeant de ces pratiques. De cette hypothse, nous partons
du postulat qu'au Sngal tout du moins, le centre de ce continuum pourrait tre la
microfinance, ne de la convergence des pratiques financires prexistantes. Cette proposition
sinspire de la nature mme de la microfinance, qui se prsente comme un mode de
financement alternatif entre les pratiques informelles et le systme bancaire classique.
La microfinance est en effet ne de la volont politique internationale d'une plus grande
formalisation du financement dans les Pays en Dveloppement (PED). Ce principe est avanc
11 Pays Dvelopps conomie de March
9
par les grands bailleurs de fonds ds la fin des annes 1980 en s'appuyant sur un nouveau
postulat de l'conomie du dveloppement. Le dveloppement a dsormais pour objectif
l'intgrit humaine et la rduction de la pauvret. Dans ce contexte, la microfinance apparat
comme un moyen de formaliser les pratiques financires, tout en rduisant la pauvret en
permettant aux plus dfavoriss daccder des prts.
Par ailleurs, si on tudie plus en avant les caractristiques de la microfinance, elle peut tre
comprise comme permettant le passage de relais entre un prt informel et un prt formel.
Nanmoins, dfinir la microfinance comme le centre dun continuum financier au Sngal
n'en supprime pas pour autant son flou. En effet, la microfinance sngalaise regroupe
diffrentes ralits, en fonction de la nature de linstitution proposant des services
microfinanciers (groupement, cooprative, mutuelle) et du contexte local dans lequel
linstitution uvre (zone urbaine, priurbaine, rurale, prt individuel ou collectif, prexistant
financier).
Si cette partie insistera sur les pratiques de la microfinance urbaine, lensemble des ralits de
la microfinance sngalaise devra tre pris en compte, sous le prisme de lhistoire des
pratiques financires au Sngal. Leur analyse permettra de dterminer les conditions
dmergence de la microfinance. Mme si certains auteurs parlent de lexplosion du secteur
de la microfinance dans les annes 1990 (Lelart, 2008), nous prfrerons dfendre le postulat
que la microfinance s'est construite de manire volutive au Sngal.
Ainsi, aussi bien le prexistant financier que les politiques de dveloppement ont eu une
influence sur lessor du secteur au Sngal. Cette dynamique a cr une imbrication de
systmes, offrant une alternative de financement pour les exclus du systme bancaire
classique, mais sans crer pour autant de rupture.
10
A. Offre et demande de produits financiers au Sngal avant
les annes 1990
La priode de dcolonisation n'a pas entran de restructuration du secteur financier, imposant
le secteur bancaire classique12 comme modle de financement dans les PED. Les individus ou
groupes sociaux peuvent tre acteurs de cette financiarisation croissante dans les pays du Sud,
ou la subir. Cette deuxime option concerne en fait les trois quarts de la population du Sud, et
conduit un phnomne de marginalisation (JM Servet, 2004). Cela cr une segmentation de
la population entre une minorit offrant les garanties pour accder aux services financiers
formels (30 % seulement des entreprises sngalaises ont une patente) et une majorit n'y
ayant pas accs, et subissant les contraintes du secteur financier informel.
1. La structuration d'un secteur bancaire classique au Sngal
Au moment des Indpendances, un secteur bancaire s'est structur dans les anciens pays
coloniss, composs de banques commerciales et de banques de dveloppement. Au Sngal,
l'Indpendance vis vis de la France a t obtenue le 18 juin 1960. Les banques
commerciales en provenance de l'ancien pays colonisateur ont t les premires s'implanter
(BNP et Socit Gnrale en 196213). Ces dernires fonctionnaient comme leurs homologues
en Europe, selon le mme systme de garantie et de recherche de la rentabilit. Les mnages
les plus modestes sont alors exclus de leur logique. Quant aux banques de dveloppement
leur but tait de soutenir l'conomie nationale avant tout, en finanant de grands projets,
comme la construction d'infrastructures, la croissance industrielle, ou le secteur agricole.
La reforme bancaire de 1975 introduite par la BCEAO a supprim la distinction faite entre
banques commerciales et banques de dveloppement. Sur le plan rglementaire, des normes
12 Dfini en introduction 13 Le Crdit Agricole s'implantera au Sngal en 1984.
11
prudentielles plus strictes ont t imposes aux banques suivant la nature des activits qu'elles
finanaient. Dans ces conditions, les banques ont favoris les financements d'activits juges
rentables, ngligeant de plus en plus les petites et moyennes entreprises sngalaises14.
Cette politique sest creuse dans les annes 1980, lorsque les deux systmes de financements
officiels ont connu une crise importante, que ce soit en Afrique Subsaharienne, en Asie ou en
Amrique Latine. Cette crise s'est manifeste par la faillite de nombreuses anciennes banques
de dveloppement. Sur les sept banques prsentes l'poque en Afrique de l'Ouest (zone
franc), quatre ont fait faillite, au Togo, au Niger, au Bnin et en Cte d'Ivoire. La Banque de
dveloppement au Sngal connaissait pour sa part de grandes difficults, et a organis son
repli vers une clientle trs spcifique : socits d'tat, import-export, zones et cultures
d'exportation, amnagements hydro-agricoles (Doligez, Gentil, 1996). Le financement des
mnages ou des petites entreprises sngalaises ne faisait pas partie des priorits des
politiques de dveloppement, l'amlioration des grands quilibres (quilibre montaire, dette
extrieure, chmage et inflation) restant la proccupation principale.
Quant aux banques commerciales, elles ont t soumises une importante rforme suite
cette crise financire mondiale. La nouvelle structuration du systme bancaire s'est en
particulier traduite par la liquidation de huit banques dont cinq du secteur public et trois du
secteur priv. Elle a t accompagne d'une libralisation partielle des taux d'intrt, de
l'allocation du crdit et de la cration d'un march montaire ayant pour objectif d'encourager
le dveloppement d'un systme financier moins administr, plus flexible et plus concurrentiel.
La restructuration de 1989 a t un succs en ce que le systme bancaire a t assaini.
Nanmoins, l'essentiel de la clientle des banques tait toujours compos de grandes
entreprises, et aucune dmarche spcifique n'tait prvue pour le financement des PME
(Petites et Moyennes Entreprises) sngalaises, de plus en plus dlaisses (Harouna Djibo,
2005). Ds lors laccs au crdit, notamment le crdit rural qualifi de crdit risqu par
nature tait devenu de plus en plus difficile, particulirement pour les petits producteurs la
14 Cf. Annexe 3
12
base. En effet, les banques assujetties des contraintes prudentielles plus fortes, ont rduit
leurs engagements, au dtriment des activits agricoles et rurales15.
Paralllement lassainissement des secteurs bancaires classiques, la dcennie 80 a vu
voluer les politiques de crdit dans les pays du Sud, du fait du tarissement des sources de
financement extrieures (en raison de la crise montaire mondiale). Dans le cadre des
Programmes d'Ajustement Structurel, la priorit est la rsorption des grands quilibres
financiers, entranant le retrait des tats des systmes de crdit, considrs trop coteux. Une
politique de hausse des taux d'intrt est applique, pour contribuer laugmentation de la
part de l'pargne nationale dans le financement des investissements.
Du fait d'une politique des grands quilibres, et de la recherche de rentabilit par les banques
commerciales, la plupart des acteurs conomiques sngalais sont exclus du systme bancaire
classique.
15 Source : le Ministre Des Petites et Moyennes Entreprises, de lEntrepreneuriat Fminin et de la Microfinance au Sngal. Etude n3 du Diagnostic approfondi du secteur de la microfinance et analyse des opportunits dinvestissement.
13
2. La demande de services financiers : vulnrabilit et non-dualit
Une majorit de la population sngalaise est exclue des circuits de financement formel en
raison de la faiblesse et de l'inconstance de ses revenus.
a. Incapacit, vulnrabilit et rpression financire
J.M. Servet (2004, page 61) parle d'incapacit financire pour expliciter ce fait, intimement
li un phnomne d'exclusion bancaire. Une exclusion bancaire se produit quand les
personnes ne peuvent plus vivre normalement dans leur socit en raison d'un handicap dans
l'accs l'usage de certains moyens de paiement et de financement, selon M. Servet. Or, la
structuration du secteur bancaire sngalais telle qu'elle est dcrite succinctement dans la
partie prcdente a fortement exclu une grande partie de la population sngalaise, trop peu
bankable et n'offrant pas assez de garanties. En fait, la majorit des mnages sngalais n'a
pas accs aux services de prts bancaires classiques en raison de sa vulnrabilit.
Le terme de vulnrabilit est dfini par E. Baumann (2003). Elle est corrle, selon lauteure,
aux alas de la vie humaine, aux problmes lis l'environnement conomique et politique et
aux sinistres naturels de toutes sortes. E. Baumann prcise que la vulnrabilit varie fortement
en fonction du milieu d'appartenance, des aires culturelles et du niveau de vie. Elle est
d'autant plus forte que le mnage est pauvre, et a peu ou pas d'pargne pour faire face aux
vnements imprvisibles. Sur le plan financier, la vulnrabilit a pour consquence des
dpenses imprvisibles. Concernant les dpenses prvisibles, on peut citer celles ralises
annuellement pas les mnages sngalais, troitement lies aux prescriptions de la vie sociale
et de la religion musulmane. Ces dpenses sont difficilement compressibles mais sont prvues
et donc intgres dans la gestion financire des foyers. Par exemple, chaque famille
sngalaise considre comme une obligation le fait de tuer un mouton pour la fte de l'Ad-el-
Kebir. Ainsi, chacune le prvoit dans ses dpenses et fait en sorte d'pargner ou d'emprunter
14
en consquence durant toute l'anne16. La rentre scolaire engendre galement des dpenses
prvisibles, une fois l'an. Par contre, pour les vnements tels que les catastrophes naturelles,
les dcs ou les maladies, l'anticipation des dpenses est trs difficile, voire impossible.
C'est pourquoi, pour faire face aux dpenses imprvisibles, les mnages sngalais les plus
pauvres, exclus du systme bancaire formel, ont recours au financement informel.
Dans ce genre de contexte, la thorie de la rpression financire est souvent avance. En rgle
gnrale, la rpression financire se rfre aux effets dexclusion dus la rglementation
troite du systme financier classique.
Selon J.M Servet (2004, page 165), elle se dfinit plus prcisment par la runion de trois
conditions :
Une forte tanchit entre les organisations informelles et formelles.
Le taux de participation de la population aux pratiques informelles est inversement proportionnel leur capacit d'accs aux institutions formelles.
Les pays dont le systme formel est fortement rglement connaissent un degr de dveloppement des pratiques financires informelles plus lev que les pays aux institutions moins rglementes.
Au Sngal, ces conditions ne sont pas remplies, notamment la premire, comme nous le
verrons par la suite.
Pourtant, l'inexistence de la rpression financire n'empche pas pour autant l'existence d'un
systme financier dual. Qu'en est-il au Sngal?
b. La non-dualit des pratiques financires
Un systme financier dual se caractrise par lexistence de deux grandes familles de pratiques
financires (au Sngal avant les annes 1990, le secteur bancaire classique et le secteur
informel) qui ne se mlangent pas. Des frontires existent entre les pratiques de lune et celle
de lautre, empchant les particuliers et les entreprises davoir recours aux deux.
16 Exemple tir de mon exprience en tant que stagiaire la Mission Economique de Dakar en 2007.
15
Concernant le Sngal, l'insuffisance des offres des banques commerciales a de tout temps t
avre. Des prts de faible volume, une clientle ne prsentant pas de garanties matrielles,
sont coteux grer (de l'octroi la rcupration) et sont risqus. Les principaux risques sont
les suivants :
Alas climatiques et conomiques (vulnrabilit).
Information insuffisante sur l'emprunteur (manque de transparence, non tenue de cahiers de comptabilit par exemple).
Une grande partie des oprateurs conomiques et des mnages sngalais n'ont alors pas
recours aux prts formels et se tournent vers l'informel.
Cependant, l'inverse n'est pas forcment avr dans le contexte du prexistant financier la
microfinance sngalaise. Des oprateurs conomiques disposant de comptes bancaires dans
des institutions rglementes peuvent eux aussi avoir recours aux services informels. C'est ce
que rvle une enqute mene en 1989 (Hane, Gaye, 1994)17. Opre auprs de 45 PME
tenues par des artisans et commerants uvrant dans les principales villes sngalaises
(Dakar, This, Saint Louis)18, elle met en lumire que la plupart des oprateurs ont des
relations avec les banques (97,8 % dont 57,8 % ont des comptes dans plusieurs banques),
mais ont galement recours l'informel. Cette enqute claire donc sur les pratiques
financires poreuses des PME avant les annes 90, c'est--dire avant lexplosion de la
microfinance. Les PME ayant accs aux prts bancaires classiques ont galement recours aux
services financiers informels. Lenqute recense plusieurs raisons ce comportement.
Les chefs d'entreprises formulent en effet plusieurs reproches l'gard des banques
commerciales classiques :
Des contacts jugs difficiles. Les entrepreneurs pensent que l'on n'accorde pas toute l'attention requise pour comprendre les problmes des PME.
Des visites peu frquentes de la part des gestionnaires des dossiers des PME. Ils se contenteraient de jugement partir de documents comptables ou de statistiques, ce qui ne satisfait pas les entrepreneurs.
17 Cf. Annexe 4, chantillon des rsultats des questionnaires de lenqute. 18 84% des PME de lchantillon sont actives dans les domaines du commerce et du transport (artisanat : 7% ; industries de transformation : 9%)
16
L'insuffisance des crdits accords. Ni leur fractionnement, ni leur forme ne conviendrait aux PME, qui manqueraient de lignes de crdit pour financer l'expansion notamment.
Des comportements abusifs de la part des banques : rupture de crdit pour des PME en phase d'expansion, diminution unilatrale du montant et des types de crdit partir d'informations non vrifies et trop htivement exploites.
La lenteur avec laquelle les banques rpondraient aux sollicitations des PME, leur faisant souvent manquer des opportunits commerciales.
L'inadaptation des garanties, juges exorbitantes par la moiti des sujets sonds. Ils estiment que les banques demandent des garanties hypothcaires portant sur des immeubles dont la valeur dpasse trs largement (deux trois fois) le montant des crdits consentis.
L'obligation d'expertises, finances par les PME, qui cotent cher et dont les banques ne tiendraient finalement pas compte.
L'obligation (souvent selon les sonds) des PME de constituer des dpts importants en garantie d'oprations.
Le non-respect de la parole donne de la part de certains interlocuteurs bancaires quand des engagements seraient dj pris par les chefs d'entreprise sur la base d'accords de principe verbaux.
Ces reproches signalent que les promoteurs de PME au Sngal percevaient la fin des
annes 1980 le secteur bancaire comme tant incapable de satisfaire pleinement et rapidement
leurs besoins. Selon les PME interroges, ce serait mme les insuffisances du secteur bancaire
qui auraient entran la cration d'un march parallle du financement. C'est pourquoi elles y
ont eu recours.
Outre les entrepreneurs, les mnages sngalais raliseraient le mme calcul selon J.M. Servet
((2004, page 165). En effet, les mnages qui peuvent sans difficult avoir accs aux
institutions financires formelles ne sont pas les acteurs les moins actifs des institutions et
rseaux financiers informels .
De plus dans les pays fortes traditions familiales, comme au Sngal, les solidarits
occupent une place importante. Pour satisfaire leurs besoins financiers, les mnages qui ont
accs aux services bancaires classiques narrtent pas pour autant de sappuyer sur des
17
rseaux diffrents, au sein desquels ils bnficient de certains avantages. Ce sont des
protections et des solidarits familiales et de proximit.
Ainsi, tant les mnages que les PME au Sngal multipliaient, avant lexplosion de la
microfinance, leurs sources de financement.
18
3. Les pratiques informelles de financement
Une fois dfinies les pratiques de financement des PME et dune minorit de la population qui
a accs aux services bancaires classiques, il convient de dtailler les pratiques de financement
utilises par les mnages exclus de ces services classiques. Elles sont plus communment
qualifies de pratiques informelles , Leur non respect aux rgles dictes par les
institutions financires classiques et les structures tatiques ne les rend pas moins complexes.
a. Dfinition de l'informalit financire
Linformalit financire est galement qualifie de finance non organise , non
institutionnelle , parallle , ou encore spontane et instable . La diversit de ces
adjectifs offre une vision globale des activits de financement informel. Il s'agit de toutes les
transactions financires (emprunts et dpts) qui ne sont pas rglementes par une autorit
rglementaire centrale ou par un march financier central (Adams et Fitchett, 1994).
Pendant longtemps, les activits du secteur informel taient considres comme
relativement marginales et cantonnes des affaires sociales : solidarit pour faire face
des frais de funrailles, de maladie ou de scolarit.
Des travaux ont cependant dnonc le cot lev de ce type de financement et le pouvoir
excessif et monopolistique des emprunteurs informels, souvent qualifis d'usuriers (Gurin,
2005).
Des investigations menes au Sngal en 1991 en zone rurale et en milieu urbain confirment
cette propension (ATOBMS, 1991). La rmunration acquise par les prteurs est peine
infrieure 12% du montant du principal, pour un prt accord pour une semaine. Pour un
prt accord pour un mois, le taux est de 12,3% en moyenne. Calculs sur l'anne, les taux
d'intrt sont de 29 900 % pour un prt remboursable au bout d'une semaine (soit quasiment
une multiplication par 30) et de 300 % si on prte pour un mois.
Selon Baumann (1998), la prfrence psychologique pour le prsent au Sngal renvoie au
taux d'actualisation des emprunteurs, calcul partir de considrations personnelles. Le fait de
19
disposer dune somme immdiatement annihilerait le cot de laccs au financement. En cela,
les pratiques informelles peuvent tre perues comme dangereuses pour lemprunteur qui
nanticipe pas sa capacit de remboursement. Ainsi :
Au Sngal [], le prix auquel les milieux populaires consentent pour accder un prt ne
correspond qu'exceptionnellement, et toutes proportions gardes, un prix de march. Lors
de la dtermination du prix de l'argent, des considrations non conomiques interviennent
autant, sinon plus que des considrations conomiques (Baumann, 1998)
Entre les lignes de cette citation, une des lgitimations explicites de la microfinance depuis sa
cration apparat : il sagit de formaliser laccs au crdit pour viter les drives et les abus
des prts informels.
Nanmoins, pour d'autres auteurs, tels que Jean-Michel Servet (2006), il ne faut pas simplifier
la ralit des pratiques de financement informelles : La croyance populaire voulait que ces
activits ne comprennent que les prts usuriers ainsi que des crdits la consommation
ngligeables, accords la plupart du temps des amis
Il existe en effet plusieurs systmes de financement informel, comprenant des degrs de
complexit divers. Comme l'explique J.M. Servet, les pratiques informelles sont susceptibles
d'tre complmentaires ou concurrentes des services proposs par les dispositifs
microfinanciers. De plus, nous verrons qu'elles relvent de comportements sociaux
traditionnels complexes : issues de solidarits traditionnelles, les pratiques informelles
renforcent ou crent d'autres solidarits. Il convient donc de les tudier plus en dtail.
b. Exemples de pratiques informelles au Sngal
Au Sngal, les systmes de financement informels, nombreux, se sont dvelopps pour
rpondre aux problmes spcifiques que connat ce pays. Nous dvelopperons ici les
exemples des associations villageoises d'pargne, des tontines de salaris, mais aussi des
diffrents types de prts informels auxquels ont recours les mnages ou les petites entreprises.
Cette liste non exhaustive a notamment t construite grce aux travaux conjoints de C.
Dupuy et J.M. Servet, (1994).
20
L'pargne associative est une forme d'pargne collective, ou solidaire, entre des individus se
reconnaissant d'un mme groupe social. Les associations se crent en fonction de critres
d'appartenance particuliers. On trouve par exemple dans le village de Mendior (Casamance),
quatre associations, des hommes, des jeunes non maris, des musulmans et des femmes du
Boulouf19. Lpargne associative est difficilement dtectable car elle est totalement intgre
la vie quotidienne ; elle ne ncessite pas de dmarche particulire comme se rendre dans une
officine par exemple. Les cotisations verses par les individus dpassent rarement les 10 000
FCFA par an (15 euros environ); elles sont extrmement fractionnes, et donnent lieu des
versements journaliers ou hebdomadaires de quelques centimes ou quelques francs. Le plus
souvent, c'est une association villageoise qui rcolte, gre et redistribue l'argent pour le
financement d'un projet collectif destin augmenter les potentialits conomiques du village
(puits, grenier, etc.).
Il existe galement de nombreuses tontines au Sngal, dont le principe rpond gnralement
au financement d'un besoin individuel. Elles regroupent des ralits trs diverses. Elles
peuvent tre composes uniquement d'hommes, de femmes ou tre mixtes, entre salaris d'un
mme bureau ou habitants d'un mme quartier. Leur taille diverge, de trois cinquante
membres, voire beaucoup plus. Les sommes collectes vont de quelques centaines plusieurs
millions de FCFA20. Les mises des membres peuvent tre identiques ou dpendantes du
niveau de revenus de chacun. Leur raison d'tre reste pour autant la mme : des individus se
runissent pour mettre en commun rgulirement une partie de leurs conomies et rcolter
tour de rle les sommes ainsi runies. L'affectation de l'pargne tontinire concerne
d'avantage la consommation que l'investissement21. Elle peut par exemple servir l'achat de
matires premires pour un artisan, ou de stocks de marchandises pour des petits revendeurs.
Nanmoins, selon l'tude mene par Claude Dupuy et Jean Michel Servet (1994), cette
pargne est souvent destine rgler des problmes, autrement dit la consommation
prive.
19 Le Boulouf dsigne un groupe d'habitants vivant sur la rive droit du fleuve Casamance. Il est peupl du peuple Bluf Eblufayi en diola (singulier : Abluf) ou Ejugutayi) 20 Pour information, 100 FCFA =15 cents dEuro ; 1 Million FCFA= 1 527 Euros. 21 Cf. Annexe 5 pour les rsultats dune enqute sur lutilisation des fonds des tontines.
21
Dautres outils informels viennent financer la consommation prive des mnages :
Les rglements en fin de mois (un moyen pour les commerants de fidliser leur clientle), sont extrmement dvelopps Dakar ou Kaolack.
La vente avec paiement chanc de biens durables. Le client paye le bien un prix lev, et ngocie un terme de paiement. Ce systme fonctionne dans les magasins o aucun prix n'est affich ou pour les vendeurs ambulants qui sillonnent surtout les villages et les quartiers priurbains. Des tournes rgulires leur permettent de rcolter les sommes dues.
L'opration de vente rachat-immdiat. C'est une forme d'usure cache, puisque cette dernire, dfinie comme un prt montaire avec intrt, est fortement condamne par l'islam. Une personne dsirant un prt de 50 000 FCFA (76 euros environ) se rend chez un commerant qui lui vend pour 75 000 FCFA (115 euros environ) de marchandise en indiquant au client o il pourra les revendre immdiatement pour obtenir 50 000 FCFA en liquide (la boutique d'un ami ou d'un membre de la famille du commerant gnralement). L'intrt non officiel est dans ce cas trs lev : 25 000 FCFA (38 euros), soit 50% de la somme dsire.
Les petits entrepreneurs sngalais vont recourir ces outils, ainsi qu' d'autres, comme le
prt fournisseur ou le prt d'argent (liste non exhaustive). Dans cette dernire catgorie, on
trouve par exemple les prts d'argent avec partage des bnfices. Une fois que le bnfice
tirer de l'affaire est connu et prsente un intrt pour le futur prteur, celui-ci avance les fonds
et suit, tel un associ, l'opration du dbut la fin, depuis l'achat de la marchandise jusqu' la
livraison aux clients et l'encaissement du prix de vente. Il supervise toutes les dpenses
intermdiaires (les frais de transport, de manutention et de ddouanement, etc.). En gnral, la
rmunration porte sur la moiti du bnfice ralis. Mais il arrive que le contrat porte sur un
montant fix d'avance payer par l'emprunteur quel que soit le bnfice ralis. Dans le
secteur du commerce de dtail et de la pche artisanale, les partenaires avertis et engags pour
des oprations renouvelables peuvent aussi dcider de partager le bnfice en trois parties
gales: l'une est destine au prteur, la seconde l'emprunteur et la troisime est remise dans
l'affaire en guise de fonds de roulement ou de provision pour investissement futur (par
exemple achat d'une senne tournante, d'une cantine, etc.) (Hane, Gaye, 1994).
Ainsi se droulaient les pratiques financires informelles au Sngal avant lexplosion de la
microfinance.
22
4. Pratiques informelles, reflets de solidarits traditionnelles
Les pratiques informelles de financement s'appuient sur des solidarits traditionnelles,
dautant plus fortement au Sngal que la socit entire sorganise autour de rseaux de
solidarit. Paralllement, on peut souligner que le recours aux pratiques informelles cre
galement des solidarits.
Les pratiques informelles de financement et les solidarits traditionnelles sorganisent donc au
sein dun cercle vertueux, les secondes encourageant les premires, et les premires
prennisant les secondes.
a. Des pratiques adosses la proximit et la confiance
L'informalit se base sur la confiance et la proximit des acteurs. En effet, la proximit serait
un pralable essentiel l'instauration de la confiance, notamment selon les conomistes de la
proximit (Pecquer, Zimmermann, 2004).
On parle de proximit institutionnelle, pour dfinir l'existence de solidarits traditionnelles,
d'une culture commune, qui lie les membres d'une mme famille, ou des connaissances. Cette
proximit est corrle le plus souvent une proximit gographique. Comme le souligne
Zimmermann (2004), la proximit gographique est une notion qui vient enrichir celle de la
coordination des acteurs conomiques (ou proximit organise).
Ce sont deux thmes au fondement de lconomie de la proximit. La proximit gographique
se traduit par la distance kilomtrique entre deux entits (individus, organisations, villes...),
pondre par le cot temporel et montaire de son franchissement, ainsi que par la subjectivit
des individus.
La proximit organise nest quant elle pas dessence gographique mais relationnelle. Par
proximit organise, on entend la capacit quoffre une organisation de faire interagir ses
membres. Lorganisation facilite les interactions en son sein, en tous cas, les rend a priori
plus faciles quavec des units situes lextrieur de lorganisation.
23
La premire facilite la seconde selon Zimmerman(2004). Ainsi, la proximit gographique
facilite la coordination, dans la mesure o :
Elle simplifie la rencontre et donc la mise en relation entre les agents, grce proximit institutionnelle.
Elle peut, lorsque la relation est tablie, faciliter linteraction directe par le recours au face face.
Elle est susceptible de compense un dfaut ou une insuffisance de proximit de nature non essentiellement gographique (organisationnelle ou institutionnelle).
Une fois cette prcision donne, intressons-nous la question de confiance, au cur des
analyses des systmes locaux. En favorisant les interactions locales, la confiance participe
construire un avantage dterminant dans le succs des systmes locaux. La confiance
faciliterait donc la proximit organise si on lapplique aux thories de lconomie de
proximit.
Les penseurs de cette cole ajoutent que la proximit, cognitive et gographique, produit des
externalits au profit des membres dun groupe, travers un effet club , un processus de
construction dun dedans par rapport au dehors.
Les pratiques de financement informel au Sngal rpondent ces trois critres (proximit
gographique, organise et effet club ), do la pertinence de les tudier sous le prisme de
lconomie de proximit.
Au Sngal, le niveau de la confiance interpersonnelle est le plus lev dAfrique22. 50% des
enquts par lAfrobarometer en 2009 dclare faire beaucoup confiance aux autres. De
faon gnrale, les individus qui sont fortement intgrs dans la socit prsentent des taux de
confiance interpersonnelle plus levs. Lenqute rvle galement que la confiance semble
augmenter avec lge et lappartenance communautaire.
Cette confiance interpersonnelle sillustre au Sngal dans les rapports financiers. Comme
nous lavons expliqu dans la partie prcdente, les caractristiques du financement informel
22Afrobarometer briefing paper n XX, mai 2009. Baromtre sur le niveau de confiance interpersonnelle. Enqute avec une question dans quelles mesures faites-vous confiance aux personnes que vous connaissez ?
24
(tontine, pargne solidaire), suppose une confiance entre des individus appartenant un mme
groupe (famille, quartier, communaut, ethnie, etc.), ce qui cr une proximit organise et un
effet club . Les systmes locaux de financement informel tel que nous les avons dfinis
prcdemment ne pourraient galement pas exister sans une proximit gographique et
culturelle, tels que nous les avons dfinis ci-dessus.
Au Sngal, la confiance et la proximit sont donc au centre des relations financires
informelles, et permet l'mergence de systmes endognes de financement, flexibles, qui
prennent en compte les comportements de chaque acteur de l'interaction.
Le souci de reproduire le systme social et de resserrer les liens de solidarit familiaux et
amicaux au nom de la tradition seraient un des ciments de cette situation selon E.
Baumann, qui a ralis une enqute sur la reprsentation du crdit Dakar en 1998.
Ainsi, les rapports de confiance et de proximit permettent la tradition orale de marquer
encore aujourdhui la vie sociale dans le milieu informel. On se contente de la parole donne
quand tous les lments devant susciter la confiance sont runis. (Hane, Gaye, 2004).
La confiance, favorise par lexistence de solidarits familiales et amicales fortes au Sngal,
et la proximit, sont donc les terreaux de la prennit des systmes de financement informel.
b. Articulation entre les sphres professionnelle et familiale
L'informalit qui s'appuie sur des solidarits dfinit ainsi une articulation trs troite entre la
sphre professionnelle et la sphre prive (Baumann, 2004). Il semble quE. Baumann part du
postulat quune frontire est toujours rige entre la gestion de lactivit gnratrice de revenu
et celle de la vie quotidienne des mnages. Or, certains mnages notamment en milieu rural,
ne font pas toujours cette distinction. Par exemple, un mnage peut dvelopper une agriculture
de subsistance en revendant le surplus pour dgager revenus. La vie familiale et lactivit
professionnelle sont dans cet exemple troitement mls. Nanmoins, il est intressant de
dvelopper la thorie dE. Baumann, qui savre pertinente dans la majorit des cas.
25
L'pargne des mnages constitue un mode de prvention non ngligeable et peut prendre la
forme de biens privs (vaisselle, ustensiles de cuisine, tissu). Nanmoins, lorsqu'une activit
professionnelle connait des difficults, l'pargne des mnages, au lieu d'tre rserve la
consommation familiale, est roriente pour honorer des commandes de biens intermdiaires
ou de stocks futurs. Ainsi, l'pargne prive constitue galement l'pargne professionnelle.
Un autre lien entre la sphre prive et la sphre professionnelle permis par l'informalit est la
diversification horizontale pour se prmunir de chocs. Un commerant sngalais, au lieu
d'agrandir sa boutique, va prfrer ouvrir d'autres points de vente dans des lieux stratgiques
et les confier un membre de sa famille, rpondant par l, en mme temps, aux obligations de
solidarit familiale, trs importantes au Sngal.
Le transfert de vulnrabilit se dploie galement vers l'amont et l'aval de lactivit du micro-
entrepreneur informel. Ce dernier va fidliser ses fournisseurs et sa clientle, le tout formant
une grande famille . Nanmoins, la logique familiale rend dlicate la sanction de retards ou
de situations d'insolvabilit.
De mme, le transfert de vulnrabilit dans la sphre conomique informelle se traduit par une
non-application des normes fiscales, des normes de scurit routire, d'hygine publique, etc.
Par exemple, un chauffeur de taxi son compte va refuser l'entretien et l'assurance de son
vhicule.
Nanmoins, la gestion de la vulnrabilit s'appuyant sur des solidarits traditionnelles et la
non-application des normes est de plus en plus difficile depuis les annes 1990, du fait dune
volont politique nationale et internationale dune plus grande formalisation et dun meilleur
encadrement des activits financires. De nouvelles institutions financires sont donc
ncessaires, un secteur intermdiaire entre les banques et l'informel, qualifi gnralement de
financement semi formel et qui pourrait s'apparenter la microfinance.
26
B. L'impact du paradigme de la mondialisation sur lessor de
la microfinance au Sngal
Les experts saccordent dater l'explosion de la microfinance au Sngal dans les annes
1990. Nanmoins, nous souhaiterions dmontrer que :
Il y a dans la microfinance, comme dans la mondialisation, une certaine continuit,
dautant plus que certaines institutions de microfinance existaient dj quand on ne parlait
que de finance informelle. Il en tait ainsi des mutuelles ou des coopratives dpargne et de
crdit qui sont souvent les IMF les plus importantes et qui ont t implantes, en Afrique par
exemple, ds les lendemains de la dernire guerre. Les programmes dappui en faveur de
certains secteurs, de certains mtiers, de certaines populations existent depuis longtemps, tout
comme les ONG qui sintressent souvent au crdit (Lelart 2008).
On pourrait donc remettre en cause lide dexplosion du secteur de la microfinance au
Sngal dans les annes 1990, qui suppose une apparition soudaine. Au contraire, il
conviendra de dmontrer que la microfinance est ne de plusieurs inspirations : le prcdent
financier au Sngal que lon a dcrit dans une premire partie, mais aussi le paradigme
dominant des politiques de dveloppement dans les annes 1980 et 1990. La microfinance
s'inscrit donc dans une dynamique de construction particulire, dans laquelle la
mondialisation nest pas trangre.
1. Le paradigme de la mondialisation et du dveloppement
La citation de Lelart ci-dessus (2008) peut tre applique lvolution de la microfinance au
Sngal, ceci dans le but de mettre jour un lien potentiel entre microfinance et
mondialisation. La mondialisation aurait-elle permis, voire crer l'explosion de la
microfinance? Pour cela, il faut d'abord prciser de quelle mondialisation parle-t-on.
27
a. La mondialisation : Histoire et dfinitions
La mondialisation est le plus souvent envisage sous le seul angle de la mondialisation
conomique, conue comme le dveloppement acclr des changes de biens et de services,
accentue depuis la fin des annes 1980 par la cration de marchs financiers au niveau
mondial.
Or, comme l'explicite Brunel (2007)23 et Carrou (2005), la mondialisation est avant tout un
processus, qui a dbut ds le premier sicle aprs Jsus Christ, en sorganisant autour de
lempire Romain, dans lespace mditerranen. Une seconde mondialisation s'est ensuite mise
en place autour de lAtlantique, culminante au XIXe sicle. On parle d'conomie-monde
(F. Braudel, 1979). A cette poque, la diffusion conomique est avant tout le fait de l'Europe,
dont les grandes dcouvertes ont entran une colonisation et une exploitation systmatique.
Cette diffusion est bien mondiale, puisqu'au XIXe sicle, la colonisation concernait les quatre
cinquimes des territoires mergs (F. Braudel, 1979).
On pourrait dater la premire phase dexpansion de la mondialisation telle que nous la
connaissons aujourd'hui entre 1870 et 1914 (Barrot, 2007), qui a vu l'institutionnalisation
progressive des rapports internationaux et la naissance des premires organisations
internationales. La priorit tait donne la rgulation du commerce international. Aprs un
coup darrt li aux grands conflits mondiaux marquant la premire moiti du XXe sicle, la
mondialisation a repris ses droits ds les annes 1970.
Cest cette dernire phase, qui dure actuellement, qui nous intresse tout particulirement
dans ce mmoire. Selon Adda (2006), cette mondialisation, avant tout conomique, se serait
instaure durant la Guerre Froide, comme labolition de lespace mondial sous lemprise
dune gnralisation du capitalisme, avec le dmantlement des frontires physiques et
rglementaires.
Plus prcisment, les principales caractristiques de la mondialisation actuelle sont l'explosion
des changes commerciaux, le rle prpondrant des firmes multinationales, et avant tout, la
23 Cf. Annexe 6, article de Sylvie Brunel sur la mondialisation
28
constitution d'un march financier international. L'aspect financier est ainsi un lment
primordial de la mondialisation contemporaine, ce qui n'tait pas le cas dans les phases
prcdentes. Cela s'explique par l'augmentation des changes sur le plan international, plus
importante que l'augmentation de la production de richesses. Une fois internationaliss, les
changes financiers ont t drguls. On applique communment la rgle des trois D pour
expliquer ce phnomne :
Drglementation ds 1971 : suppression par tous les tats de toutes les barrires juridiques aux changes financiers.
Dsintermdiation : les banques sont remplaces par des marchs boursiers dmatrialiss pour organiser les changes, ce qui permet leur instantanit.
Dcloisonnement : communication entre les marchs financiers, rapide et continue, grce aux NTIC.
Cette mondialisation a aussi t permise par lunification des modles conomiques dans le
monde, dont la fin des annes 1980 a t le terreau (C. Grataloup, O. Dolffus et J. Levy,
1998). Le capitalisme sest ainsi impos depuis la chute du bloc socialiste et la fin de la
bipolarisation du monde. La libralisation a depuis t encourage par des organisations
internationales telles que lOCDE (Organisation de Coopration et de Dveloppement
Economique) ou lOMC (Organisation Mondiale du Commerce).
Paradoxalement, la mondialisation actuelle s'est accompagne d'un phnomne de
rgionalisation dans le monde entier. On parle aussi d'intgration rgionale qui revt
plusieurs degrs : la zone de libre change (suppression des barrires pour les changes entre
les parties de l'accord), l'union douanire (adoption d'un tarif extrieur commun), le march
commun (harmonisation des marchs de facteurs) et l'Union Economique et Montaire
(harmonisation des politiques conomiques et monnaie unique). Des unions montaires
peuvent aussi voir le jour sans l'instauration pralable d'un march commun. C'est le cas par
exemple de la zone du Franc CFA en Afrique de l'Ouest, l'origine de l'UEMOA (Union
Economique et Montaire de l'Ouest Africain). Le secteur de la microfinance au Sngal sest
appuy sur cette rgionalisation, ce que nous verrons plus en dtail par la suite.
29
b. Le paradigme nolibral de la mondialisation
Le terme de nolibralisme est aujourdhui trs utilis, pourtant il nexiste aucun consensus ni
sur sa dfinition ni sur ses origines. Il sagit donc ici de sintresser la naissance du no-
libralisme pour en comprendre le sens et son rle dans la mondialisation. Pour ce faire, il
faut se pencher premirement sur le courant libral.
Au sens large, le libralisme prne une socit fonde sur la libert d'expression des individus
dans le respect du droit du pluralisme et du libre change des ides. Pour les auteurs libraux
franais (Turgot, Condillac, Say), le libralisme conomique est essentiellement lapplication
de la philosophie librale aux actes conomiques. Lconomie n'est qu'un des domaines de
l'activit humaine o l'tat n'a pas de lgitimit intervenir autrement que comme un acteur
conomique sans privilges particuliers, et dans le plus petit nombre de domaines possibles :
la protection des citoyens, l'excution de la justice et la dfense contre d'ventuels agresseurs.
Les conomistes libraux jugent inutile et dangereuse toute intervention supplmentaire,
considrant que l'initiative prive relevant de comportement rationnel et guide par le march,
est mme de suppler avantageusement la plupart des fonctions de l'tat. Les libraux
jugent galement que l'extension de la sphre d'intervention de l'tat conduirait une
prgnance immatrisable de la sphre publique au dtriment de l'initiative prive, et donc
des inefficacits chroniques, voire des drives totalitaires (A. de Tocqueville, B.
Constant et J. S. Mill). Adam Smith et lcole classique anglaise prnent galement un rle
trs limit de l'tat, rduit trois devoirs : protger les membres de la socit, les dfendre,
riger et entretenir des ouvrages et institutions publiques.
Quant la signification du mot nolibralisme, elle a beaucoup vari au cours du temps.
Finalement, sinscrit-il dans la continuit du libralisme, en sadaptant aux contextes
conomique et politique du milieu du XVIIIe sicle ou est-il au contraire synonyme de
rupture ? Le dbat nest toujours pas tranch aujourdhui mais il convient de le dvelopper ici,
afin den faire merger une dfinition large et consensuelle, tant que faire se peut, du no-
libralisme. Cette dfinition servira ensuite de terreau au dveloppement de notre
argumentation.
30
Selon Lippmann, la vritable transition du libralisme au no-libralisme intervient aprs
1870. Comme A. Smith, Lippmann voit dans le march, aid par des institutions adquates :
un outil permettant aux hommes dlaborer un champ de connaissances communes sur
lequel ils peuvent btir des solutions de compromis leurs conflits dintrt (F. U. Clave,
2005).
Nanmoins, selon Lippmann, le laisser-faire lui-mme aurait caus le dclin du libralisme ; il
rejoint en ce point lanalyse Keynsienne datant de 193124. Pour les deux penseurs, le laissez-
faire repose sur la croyance en une bienveillance universelle, ce qui conduit un dualisme fort
entre le domaine tatique rgi par les lois des hommes et le domaine conomique fond par
des lois naturelles, et donc une inefficacit. Il en dcoulera une nouvelle conception du
libralisme, lorigine des politiques keynsienne o lthique et les politiques conomiques
tatiques priment dans la recherche du bien commun.
Par opposition, le nolibralisme dfend lautre part du dualisme. La politique et lconomie
sont deux sphres autonomes et indpendantes, la deuxime primant sur la premire (E.
Mulot, 2002). La politique serait alors un obstacle aux comportements conomiques, les seuls
mme dassurer le bien commun et la coordination des rapports interpersonnels dans une
socit. Les checs des politiques keynsiennes dans les annes 70 ont permis de donner un
nouveau souffle aux thories nolibrales, qui ont triomph depuis dans le monde entier, en
dfendant l'efficacit absolue du march tout en remettant au got du jour les thories de la
main invisible dveloppe par Smith. Cest dans ce contexte que les politiques
conomiques encouragent la drgulation et la drglementation se sont dveloppes (G.
Dostaler, 2000).
Pour conclure sur ce dbat, on retiendra que le nolibralisme sest inspir des thories
librales en les appliquant toutes les sphres de la socit, dans une conception extrme de
lefficacit du march et de la rationalit des individus. Il se caractrise ainsi par :
une limitation du rle de l'tat en matire conomique, sociale et juridique;
l'ouverture de nouveaux domaines d'activit la loi du march;
24 La fin du laisser faire, Keynes
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une vision de l'individu en tant que "entrepreneur de lui-mme" ou "capital humain" que celui-ci parviendra dvelopper et faire fructifier s'il sait s'adapter, innover.
La mondialisation se trouve aujourdhui sans paradigme concurrent suffisamment fort pour
contester le march en tant que croyance universelle et principe organisateur (Gurin, Servet,
2003). Le nolibralisme est donc le paradigme dominant aujourd'hui, et conduit la
mondialisation.
c. Influence sur les politiques de dveloppement
Dans les annes 1980, la crise de la dette touche les pays en dveloppement, en commenant
par l'Amrique Latine, puis en s'tendant sur tous les continents. Les institutions
multilatrales prnent alors des stratgies de dveloppement favorables au march, selon le
paradigme conomique dominant chez les bailleurs de fond. La mondialisation et le march
veulent tout imprgner, notamment grce aux institutions financires internationales telles
que la Banque Mondiale ou le FMI (Stieglitz, 2002). Dans ces conditions, il parat opportun
de comprendre comment le thme de la lutte contre la pauvret (dvelopp ds les annes
1930) s'est greff la logique mercantile des grandes institutions internationales dans les
annes 1980.
i. Intgration de la lutte contre la pauvret dans le discours des
bailleurs
Ds les annes 1930, le dveloppement tait intimement li l'ide de croissance. Il faudra
attendre les annes 1960 pour que se dveloppe une approche orthodoxe du dveloppement
consistant reproduire mimtiquement le modle dindustrialisation capitaliste, dont les
tats-Unis reprsentaient lexemple. Cette tendance sest notamment traduite par la dfinition
de programmes de dveloppement standardiss, trs semblables les uns aux autres, et suivant
tous le mme modle daccumulation du capital et le mme schma linaire des tapes de la
croissance conomique dveloppes par Rostow en 1960 (Alexei Jones, 2005). Les
32
institutions de Bretton Woods devinrent les promotrices de cette approche du dveloppement.
Dans ce contexte, la pauvret tait considre comme un faible accs aux biens de
consommation du fait d'un manque de revenu. La croissance conomique devait permettre
elle seule d'augmenter le revenu par habitant et ainsi de rduire la pauvret dans son acception
conomique.
Au Sngal plus particulirement, le premier plan de dveloppement standardis est mis en
place en 1979. Il sagit du premier Plan dAjustement Structurel (PAS)25. Des politiques
nolibrales sont instaures, privilgiant la stabilisation dans un premier temps, puis
l'ajustement. Le PAS privilgie ainsi des dispositions lgislatives favorisant l'initiative
conomique, le fonctionnement du march et les investissements trangers propices au
dveloppement, permettant entre autres l'ajustement spontan des agents conomiques la
situation locale et l'environnement mondial 26.
Ces prcisions correspondent bien aux composants de la thorie nolibrale prciss dans la
partie prcdente.
Sur le plan des finances publiques, il sagit dliminer progressivement le dficit en
comprimant les dpenses telles que la masse salariale, en vue de dgager une pargne
publique pouvant financer les investissements.
Le document-cadre de politique conomique et financire soumis au Groupe consultatif pour
le Sngal en dcembre 1986 marque une rupture dans lapproche de cet ajustement. En effet,
le programme dajustement moyen et long terme 1985-1991, appel maintenir les acquis
obtenus dans la rduction de la demande, a t centr sur la promotion des exportations et la
mise en uvre des politiques sectorielles. Cest ce titre quont t adoptes les Nouvelles
Politiques Industrielles (NPI) en juillet 1986, le dsengagement de ltat dans les activits
marchandes en 1987 ainsi quune nouvelle approche en matire dinvestissements. Aussi, le
25 Un programme dajustement structurel est un programme de rformes conomiques mis en place par le Fonds montaire international (FMI) ou la Banque mondiale (BM) afin daider les pays touchs par de grandes difficults conomiques. Certaines dispositions de ces plans agissent sur la conjoncture et d'autres sur les structures. Leur laboration rsulte d'une ngociation entre un pays endett et le FMI. Les crdits pour la mise en place du programme sont dbloqus par tranches successives mesure de son avancement. 26 Cf. le rapport annuel du FMI, 1980
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systme des incitations industrielles a t rvis afin de rendre le secteur plus comptitif sur
les marchs intrieurs et extrieurs.
Nanmoins, l'chec de ce modle dans les annes 80 (Sachs parlera ds 1979 de croissance
perverse impulse par le modle de dveloppement traditionnel dans les PED) a entran une
crise de lgitimit des politiques des grands bailleurs internationaux.
Cest dans ce contexte qua t rig le discours de lutte contre la pauvret comme corolaire
aux politiques de dveloppement. Cette apparition concide aussi avec laffaiblissement du
bloc socialiste dans le contexte de la Guerre froide et avec limposition de lconomie
nolibrale capitaliste, ouvrant la nouvelle re de la mondialisation ds le dbut des annes 90
(cf. la partie prcdente). Lintgration de lutte contre la pauvret dans les politiques de
dveloppement pourrait alors tre perue comme un outil de lgitimation du modle de
lconomie nolibrale mondialise (G. Van Parys, 2005).
Par ailleurs, lapparition de la pauvret dans les discours de dveloppement est galement lie
aux travaux dAmartya Sen datant des annes 198027. Il interpelle les dcideurs politiques
concernant limpact de la pauvret sur la capacit des individus tre libres et faire des
choix. Dans cette ide, A. Sen privilgie les rformes sociales de mme que des amliorations
dans lducation et la sant publique, en tant que corolaires indispensables une croissance
conomique prenne et profitable tous. La pauvret nest plus seulement dfinie en termes
conomiques ; ses incidences sur le capital social sont progressivement prises en compte.
Ces travaux ont fortement influenc les politiques de dveloppement. Ainsi, la lutte contre la
pauvret, dans le nouveau projet international, srige en pendant social, facteur de droits et
de libert, rendu possible grce la mondialisation conomique. Fidle cette dynamique, la
devise de la Banque Mondiale devient : Notre rve est un monde sans pauvret .
Dans cette optique, outre les politiques de caractre standard autour du rtablissement des
quilibres macro-conomiques et financiers internes et externes, des mesures plus
27 Lire ce sujet : Collective Choice and Social Welfare (1970), On Economic Inequality (1973, 1997), Poverty and Famines (1981), Choice, Welfare and Measurement (1982).
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contextualises et localises se sont imposes dans les annes 1990 et 2000. Ces outils sont
venus porter une logique damlioration des capacits mais aussi de bonne gouvernance.
ii. La promotion de la dcentralisation pour une bonne
gouvernance
La prise de conscience de l'chec des politiques de dveloppement mises en place dans les
annes 1980, trouve galement une explication dans la marginalisation des populations, non
intgres leffort de dveloppement standard. Elle est donc suivie de l'mergence de la
notion de participation.
Les Cadres Stratgiques de Lutte contre la Pauvret (CSLP) mis en place en 1999 ont ainsi
innov par rapport au PAS, dans le contenu et dans la conception des programmes
macroconomiques. L'action contre la pauvret s'y dessine notamment en termes d'une
rflexion et d'une action collective largement ouvertes la participation de la socit
civile. En se concentrant sur laccumulation de capital et sur la construction dinfrastructures,
les interventions de dveloppement avaient en effet largement ignor les populations et le rle
quelles pouvaient et devaient jouer dans leur propre processus de dveloppement (Alexei
Jones, 2005).
"Un rapport d'valuation externe indique que les trois quarts des PAS chouent. Le FMI lui-
mme reconnat que cet chec peut s'expliquer entre autres par le fait que ces programmes ne
sont pas mens par la population elle-mme 28
Une srie dtudes commandites par la Banque mondiale ont finalement rapport les
bienfaits que la participation tait susceptible dapporter dans lefficacit et la russite des
projets de dveloppement, comme en tmoigne par exemple une tude de 1975 portant sur
une cinquantaine de projets de dveloppement rural en Afrique29. La participation populaire y
28 Ronald Janssen, in Bretton Woods contre syndicats, Labor Magazine, 200114(cit dans Notre rve : un monde sans pauvret, Isabelle Antal-Kapamadjian). 29 Local participation may mean involvement in planning, including assessment of local needs. Even if local people do not participate in planning, at the very minimum, they should be informed of the plans designed for their areas if they are expected to consent and to cooperate in program implementation , Lele, U. J., The Design of Rural Development: Lessons from Africa, Johns Hopkins Press, 1975.
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fut identifie comme un lment crucial pour obtenir ladhsion des populations et leur
coopration dans le droulement du projet.
Le terme de gouvernance, conue comme un mouvement de dcentrement de la prise de
dcision, avec une multiplication des lieux et des acteurs impliqus dans cette dcision, dont
la socit civile, entre alors dans les discours du dveloppement. Le terme renvoie la mise
en place de nouveaux modes de rgulation plus souples, fonds sur le partenariat entre
diffrents acteurs.
Cette nouvelle notion peut nanmoins tre considre comme un nouvel outil
conomique . En effet, pour certains chercheurs, lessor du terme de gouvernance vient
renforcer le tournant nolibral des annes 1980, en participant la dcomposition de ltat.
Par exemple, pour Jean-Christophe Mathias (2009) :
Le glissement du gouvernement la gouvernance dmontre que l'on est pass d'une
civilisation de la souverainet populaire incarne dans la loi rpublicaine, garante de
l'intrt gnral, une socit pragmatiste, particulariste et utilitariste, garante d'intrts
conomiques singuliers, dans laquelle la notion de bien commun n'a plus de place vritable .
Dans ce cadre, la dcentralisation apparat comme un corollaire ncessaire la mise en place
dune bonne gouvernance . Cest en tout cas le parti pris de la Banque Mondiale, qui
considre que la gouvernance en Afrique nest bonne que si elle est locale, cest--dire au plus
prs des populations devant tre administres. La gouvernance telle que dfinie par les
bailleurs doit ainsi laisser le plus de place possible la participation dmocratique de la
socit civile.
Au Sngal, la politique de dcentralisation est dabord hsitante. Tout en reconnaissant des
entits dcentralises ds son Indpendance, le Sngal peine relcher significativement le
contrle de l'tat central sur les centres locaux de dcision (Piveteau, 2005). Il faudra attendre
1996 pour assister un vritable renforcement de la dcentralisation avec l'instauration dun
contrle de lgalit a posteriori pour les collectivits locales et la cration de dix rgions. La
prise en compte de la participation de la population civile sinscrira aussi dans les annes
2000 travers les politiques de croissance en faveur des pauvres, qui mettront laccent sur la
participation des populations, notamment des organisations de la socit civile, dans la mise
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en uvre de la politique de rduction de la pauvret en favorisant des stratgies d'intervention
au niveaux rgional et local, plus proches des populations30.
Ainsi la mondialisation, avant tout conomique aujourdhui, sexprime dans les politiques de
dveloppement par une empreinte nolibrale caractristique ds les annes 1980. Celle-ci se
traduit par une prise en compte croissante de lindividu et de ses capacits, dans une optique
de lutte contre la pauvret et de bonne gouvernance.
30 Selon lUnit de Coordination et de Suivi de la Politique Economique (UCSPE) du Ministre de l'Economie et des Finances (MEF) du Sngal, http://www.dsrp-senegal.org/strategies.htm#croissance
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2. La microfinance : outil du paradigme conomique mondial au Sngal
Il est possible de rendre plus explicite les notions de mondialisation et de rfrentiel
nolibral la lumire de la microfinance. En effet, cette dernire peut se concevoir comme
une manation de la mondialisation, concentrant les grandes caractristiques du paradigme
nolibral conduisant la mondialisation et les politiques de dveloppement.
a. La vibration du march pour lutter contre la pauvret
Lexplosion de la microfinance, notamment au Sngal, peut perue lie la mondialisation,
comme une illustration des nouvelles proccupations conomiques dtermines au niveau
mondial dans les annes 1980 et 1990.
La microfinance telle quelle a explos cette poque serait alors un lment concurrentiel
essentiel, la vibration du march offerte aux plus pauvres. La microfinance est en effet
souvent prsente comme un outil de lutte contre la pauvret, correspondant ainsi aux
prceptes des politiques de dveloppement sappuyant sur le march ds la fin des annes 80.
Plus prcisment, la microfinance serait la rponse aux checs des PAS, et correspondrait la
redfinition des moyens mis en place par les bailleurs qui ont comme objectif dans les annes
90 la lutte contre la pauvret. En effet, plusieurs organismes et agences ont progressivement
ralis et reconnu que la marginalisation des populations tait une des principales faiblesses
de leurs interventions de dveloppement. Diverses tudes31 ont contribu cette prise de
conscience selon laquelle lexclusion des bnficiaires dans le droulement des projets de
dveloppement, et notamment de dveloppement rural, avait t lorigine de lchec de
nombreux projets. La microfinance, dfinie comme loffre de services financiers aux exclus
du systme financier classique, promeut le micro-entrepreneuriat32 ; en cela, elle est venue
rpondre cette prise de conscience, en instaurant au centre de la cration de richesse,
31 Alexei Jones cite : Uphoff N., Fitting projects to people , 1985 ; T