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UNIVERSITE PAUL CEZANNE AIX-MARSEILLE III FACULTÉ D’ECONOMIE APPLIQUÉE L’industrie de la mode : Innovation et propriété intellectuelle Master II Philosophie Economique Réalisé par : JARIR Soufiane Encadré par : Mr Jean Magnan de Bornier 2011

Mémoire Industrie de La Mode Innovation Et PI

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  • UNIVERSITE PAUL CEZANNE AIX-MARSEILLE III

    FACULT DECONOMIE APPLIQUE

    Lindustrie de la mode : Innovation et proprit

    intellectuelle Master II Philosophie Economique

    Ralis par : JARIR Soufiane Encadr par : Mr Jean Magnan de Bornier

    2011

  • Master II Philosophie conomique

    REMERCIMENTS

    Je tiens dans un premier temps remercier Monsieur Jean Magnan de

    Bornier, pour mavoir confi ce travail de recherche, pour le temps qu'il a

    bien voulu me consacrer ainsi que pour son aide et ses prcieux conseils

    au cours de llaboration de ce Mmoire.

    J'exprime ma gratitude tous les consultants et internautes rencontrs

    lors de mes recherches et qui ont accept de rpondre mes questions

    avec gentillesse.

    Enfin, j'adresse mes plus sincres remerciements tous mes proches et

    amis, qui m'ont toujours soutenu et encourag tout au long de la

    ralisation de ce mmoire.

  • Master II Philosophie conomique

    TABLE DES MATIERES

    Introduction gnrale.......................................................................................................1

    Partie 1 Les bases et caractristiques de lindustrie de la mode

    amricaine.11

    Chapitre 1 : Le fonctionnement et les spcificits de lindustrie de la mode

    amricaine.11

    Section I Aperu sur lindustrie de la mode amricaine.12

    1. Le processus de conception dune collection......12

    2. Les niveaux de segmentation de la mode amricaine......13

    3. La dconcentration de lindustrie de la mode amricaine...15

    Section II Les spcificits de lindustrie de la mode..17

    1. Une industrie progressive et innovante.17

    2. Des biens positionnels..18

    3. Le rle de la concurrence..19

    Chapitre 2 : Limitation dans la mode amricaine...............................................21

    Section I Contrle du limitation par le cartel : The Fashion Orginators

    Guilds..21

    1. Fashion Orginators Guilds 21

    2. Design Piracy Prohibition Act ...24

    Section II Intensification du piratage aprs la chute de la Fashion Orginators

    Guilds..26

    1. Un faible rgime de protection des DPI dans la mode amricaine. 26

  • Master II Philosophie conomique

    a. Droit dauteur..26

    b. Marque27

    c. Brevet..29

    2. Quelques exemples de piratage de designs.30

    Partie 2 Le paradoxe du piratage dans la mode amricaine33

    Chapitre 1 : Un quilibre avec un faible rgime de protection des DPI :

    Comment ?.........................................................................................................................33

    Section I Le piratage au service de linnovation.34

    1. Lobsolescence induite34

    2. Le lancrage.40

    Section II Des explications alternatives..42

    1. Lobstacle de la doctrine amricaine du copyright. 42

    2. Lobstacle politique46

    3. Lavantage du premier sur le march..49

    Chapitre 2 : La mode dans lUnion Europenne et les Etats-Unis : Analyse

    comparative...53

    Section I La forte protection des DPI dans la mode en Europe..........................54

    1. Le droit des dessins et modles....54

    2. Dessins et modles communautaire non enregistrs57

    3. Droit dauteur.57

    Section II Comparaison entre the High IP rgime de LUE et le Low IP

    regime des EU58

    Partie 3 Linnovation dans un monde de comptitivit sans

    DPI...64

    Chapitre 1 : Les Industries innovantes dans un espace ngatif de protection

    des DPI...64

  • Master II Philosophie conomique

    Section I Les caractristiques des industries et la dynamique dinnovation65

    1. Musique.65

    2. Tatouages...67

    Section II Dautres industries stables dans espace ngatif de DPI..70

    1. Cuisine70

    2. Logiciels libres72

    Chapitre 2 : Lefficacit des DPI : la vision utilitariste de lencouragement

    linnovation.74

    Section I Est ce rellement une incitation ?..............................................................74

    Section II Quelques rflexions pour des solutions alternatives au droit

    dauteur.75

    Conclusion.........................................................................................................................79

    Bibliographie.....................................................................................................................81

  • Master II Philosophie conomique

    1

    Introduction gnrale

    Les libertaires saccordent tous dire que le droit de proprit sur des ressources

    tangibles est un droit indniable. Ainsi les biens immobiles comme une maison ou

    une terre et les biens mobiles comme un ordinateur ou une table font lobjet

    dappropriation et de cession. De mme, le droit de proprit sur notre propre

    corps est indiscutable avec une rserve sur son alinabilit qui reste encore lobjet

    de controverse. Les partisans de la libert sont donc universellement favorable au

    droit de proprit sur les ressources tangibles, cependant, mesure quon sloigne

    du tangible vers lintangible, la question devient plus floue. Le droit contre le

    chantage ou le droit de prserver sa rputation par exemple, tout deux des droits

    qui relvent de la catgorie de lintangible, provoquent une certaine division des

    avis au sein des spcialistes de la question. Ainsi on a la plupart des libertaires qui

    prennent position contre une loi concernant le chantage et contre lide du droit de

    rputation. Le concept de la proprit intellectuelle figurant dans la case de

    lintangible, est lui aussi trs discut. Plusieurs questions se posent son sujet :

    Avons-nous des droits individuels sur les crations intellectuelles que ca soit des

    livres ou des inventions ? Est ce que le systme juridique doit protger de tels

    droits ?

    Dans ce qui suit on va dabord dfinir les diffrents instruments du droit de la

    proprit intellectuelle de manire brve puis on examinera les principaux points de

    vue sur les questions cits prcdemment.

    Proprit intellectuelle :

    La proprit intellectuelle est un concept large qui recouvre plusieurs types de

    droits lgalement reconnus, dcoulant dun certain type de crativit intellectuelle.

    Ces droits sexercent sur la catgorie de lintangible et plus prcisment sur des

    ides exprimes ou ralises sous forme dun objet tangible. Plus distinctement la

    proprit intellectuelle est un droit dexclusivit accord sur des crations

    intellectuelles. Il est rparti en deux branches. La premire, celle de la proprit

    littraire et artistique qui sapplique aux uvres de lesprit. Elle se compose du droit

    dauteur, du copyright et des droits voisins. La seconde branche est celle de la

    proprit industrielle, elle regroupe d'une part la protection des crations utilitaires

    par le brevet d'invention et le certificat d'obtention vgtale, et d'autre part, les

  • Master II Philosophie conomique

    2

    signes distinctifs, protgs travers la marque commerciale, le nom de domaine et

    l'appellation d'origine.

    Ce qui va suivre portera sur la dfinition des quatre formes de protection de la

    proprit intellectuelle savoir : le droit dauteur, les marques, les brevets et les

    secrets commerciaux.

    Le droit dauteur et le copyright :

    Le droit dauteur ou le copyright est un droit accord aux auteurs "duvres

    originales", telles que des livres, des articles, des films ou des programmes

    informatiques. Il donne le droit exclusif de reproduire l'uvre, de prparer des

    travaux drivs et dexcuter ou de prsenter sa cration. Le droit dauteur ne doit

    pas tre enregistr pour naitre, il vient l'existence automatiquement au moment

    o l'uvre est fix sur un moyen d'expression tangible et dure pour la vie de

    l'auteur plus une certaine dure (70 ans pour la plupart) qui diffre selon les pays et

    les cas.

    Juridiquement le droit dauteur est lensemble des prrogatives exclusives dont

    dispose un crateur sur son uvre de lesprit originale. (Wikipedia : Droit

    dauteur1). Il se compose dun droit moral et de droits patrimoniaux.

    Les droits moraux sont essentiellement lis la personnalit de lauteur et

    regroupent le droit de revendiquer la paternit de luvre, le droit de dcider du

    moment et des modalits de sa publication (droit de divulgation), le droit de

    sopposer toute dformation ou mutilation de luvre (droit au respect de

    luvre), le droit de sopposer toute utilisation pouvant porter atteinte la

    rputation ou lhonneur de lauteur. En droit franais, ils comportent galement

    le droit de retrait et de repentir , c'est--dire qu'un auteur a le droit de demander

    le retrait de son uvre de la circulation, en change d'une compensation des

    personnes engages dans sa distribution et qui jouissent par ailleurs d'un droit de

    priorit en cas de remise en circulation de ladite uvre. (Wikipedia : Proprit

    littraire et artistique2)

    Quant aux droits patrimoniaux, ils ont un rle de rmunration de l'auteur pour

    chaque utilisation de son uvre. Ils ne sont accords que pour une dure limite

    1 http://fr.wikipedia.org/wiki/Droit_d'auteur#Droit_moral 2 http://fr.wikipedia.org/wiki/Propri%C3%A9t%C3%A9_litt%C3%A9raire_et_artistique#Le_droit_d.27auteur

  • Master II Philosophie conomique

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    qui varie selon les pays et la nature de l'uvre. lissue de la dure de protection,

    l'uvre entre dans le domaine public, et peut tre librement utilise par tous. Ces

    droits donnent le choix exclusif des modalits de publications, de reproduction,

    dadaptation et de traduction de ses uvres pour un temps donn. Son rle

    fondamental est en effet de permettre l'auteur d'obtenir une rmunration pour

    son travail en le protgeant de la copie non autorise de ses uvres. (Wikipedia :

    Droit dauteur3)

    Contrairement aux droits patrimoniaux, les droits moraux sont inalinables,

    perptuels et imprescriptibles : un auteur ne peut pas les cder (mais ils sont

    transmis par hritage car perptuels), ils n'expirent pas et il est impossible d'y

    renoncer.

    Le droit d'auteur europen est souvent oppos au copyright amricain. La

    principale diffrence tient au fait que par exemple en France, comme en Allemagne,

    on attache sauf exception le bnfice initial du droit une personne physique

    (l'auteur ou ses hritiers) et le refuse aux personnes morales ( l'exception notable

    des uvres collectives pour lesquelles gnralement l'diteur, personne moral, est

    titulaire du droit), alors que le copyright reconnat des droits l'diteur ou au

    producteur.

    Une seconde diffrence concerne la dimension morale du droit dauteur qui nest

    pas totalement respecte par le copyright. Le droit moral de lauteur est reconnu

    par tous les pays de Common Law qui ont adhr la Convention de Berne, tels

    que le Canada ou le Royaume-Uni. Malgr leur adhsion cette convention, les

    tats-Unis n'appliquent le droit moral qu'au niveau national, et pour certains types

    d'uvres seulement.

    Le brevet :

    Le brevet est un titre de proprit qui confre son titulaire un droit exclusif

    d'exploitation sur une invention pour une dure limite et sur un territoire

    dtermin. En contrepartie, l'invention doit tre divulgue au public. Les modalits

    de dure, de porte technique et de porte gographique sont dfinies par le

    lgislateur. Le lgislateur dfinit galement les conditions d'obtention et d'exercice

    d'un brevet. Le demandeur doit dcrire l'invention de manire suffisamment claire

    3 http://fr.wikipedia.org/wiki/Droit_d'auteur#Droits_patrimoniaux

  • Master II Philosophie conomique

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    et complte pour qu'un homme du mtier puisse reproduire l'invention la lecture

    du brevet (Wikipedia : Brevet4). La prtendue invention doit ensuite tre

    conforme trois critres indispensables :

    1) La nouveaut : l'invention doit tre nouvelle et ne pas avoir t divulgue

    auparavant au public par quelque moyen que ce soit et en quelque lieu que ce

    soit ;

    2) L'inventivit : le brevet doit tre une rponse un problme technique trs

    difficile rsoudre par une personne comptente dans le domaine considr

    et ce problme technique tant exprim en rfrence l'tat de la technique

    la date de l'invention ;

    3) L'applicabilit : l'invention doit pouvoir faire l'objet d'une application

    industrielle, c'est dire qu'elle doit revtir un caractre technique.

    L'obtention et la conservation du monopole confr par le brevet s'accompagnent

    du paiement de taxes l'office comptent. Le but du brevet est d'viter le recours

    au secret industriel (la formule exacte du Coca-Cola par exemple) et ainsi viter que

    lon dispose d'un monopole trop longtemps et quon ne puisse alors aboutir la

    mme invention qui peut tre bnfique la collectivit. Par rapport au secret

    industriel, le brevet permet donc au demandeur de se protger contre l'exploitation

    de la mme invention par un tiers en change de la divulgation de cette invention.

    Il reprsente donc un mode d'arbitrage : le monopole temporaire accord son

    titulaire lui fournit les incitations ncessaires l'innovation, tandis que l'obligation

    de divulgation prserve la capacit de la socit tirer rapidement parti de

    l'invention brevete.

    Les marques :

    Une marque est un mot, une phrase, un symbole, ou un dessin servant identifier

    la source des marchandises ou des services vendus, et pour les distinguer des

    produits ou services des autres.

    Le droit des marques empche les concurrents de contrefaire une marque, c'est--

    dire dutiliser des marques confusment similaires pour identifier leurs propres

    produits et services. Pour tre valide, la marque doit remplir trois critres :

    4 http://fr.wikipedia.org/wiki/Propri%C3%A9t%C3%A9_intellectuelle#Brevets

  • Master II Philosophie conomique

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    1) Elle doit tre distinctive au regard du consommateur moyen (par exemple : le

    caractre distinctif nest pas respect quand il sagit dune dnomination

    dsignant une caractristique du produit ou du service ou une dnomination

    ncessaire, gnrique ou usuelle) ;

    2) Elle doit tre licite (ne pas conduire le consommateur en erreur, ne pas tre

    contraire aux bonnes murs) ;

    3) Elle ne doit pas porter atteinte aux droits antrieurs. (il peut s'agir d'une

    appellation d'origine contrle, d'une marque antrieure enregistre ou

    notoirement connue, d'une dnomination sociale, d'un droit d'auteur, d'un

    nom).

    Contrairement au copyright et au brevet, le droit des marques peut durer

    indfiniment si le propritaire continue utiliser la marque. Aux tats-Unis le droit

    d'appropriation dune marque commerciale s'acquiert par l'usage, en Europe il

    s'acquiert par l'enregistrement.

    Le secret commercial :

    Un secret commercial peut tre une formule confidentielle, un appareil ou un

    lment d'information qui donne son titulaire un avantage concurrentiel tant qu'il

    reste secret (un exemple serait la formule de Coca-Cola). Les secrets commerciaux

    peuvent inclure des informations qui ne sont pas assez nouvelles pour tre soumis

    la protection des brevets, ou pas assez original pour tre protg par le droit. La loi

    du secret commercial est utilise pour empcher les dfournements du secret

    commercial, ou les dommages-intrts pour ces dtournements.

    La protection des secrets commerciaux est obtenue en dclarant que les dtails d'un

    sujet sont secrets. Thoriquement il peut durer indfiniment mais linconvnient est

    quun concurrent qui invente indpendamment l'objet d'un secret commercial peut

    obtenir un brevet sur le dispositif ou le processus et effectivement empcher

    l'inventeur original (le dtenteur du secret commercial) d'utiliser l'invention.

  • Master II Philosophie conomique

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    Le problme de base :

    Une ide peut tre transmise, partage, discute et amliore tout comme elle peut

    tre garde sous cl par le propritaire. La question est quelle est la bonne

    combinaison pour optimiser lintrt gnral ? Le partage et la libre utilisation des

    crations ou la protection des uvres par le droit dauteur et autres. Concilier entre

    lintrt de la socit et celui des crateurs est un vrai casse-tte, mais doit-il

    indniablement passer par la protection des crations intellectuelles pour garder un

    bon niveau dinnovation et de crativit ? Certes la proprit intellectuelle sest

    tablit dans notre socit mais do est ce quelle tire sa lgitimit ?

    Une lgitimit trs conteste qui sillustre avec des prises de position partages

    parmi les spcialistes de la question. On a de ceux qui soutiennent toutes les formes

    de proprit intellectuelle imaginables, jusquaux francs opposants des droits de la

    proprit intellectuelle. Il faut signaler ici que le dbat concerne gnralement le

    systme du brevet et du droit dauteur, les marques et le secret commercial tant

    moins problmatique.

    Les dfenseurs de la proprit intellectuelle (PI) justifient sa lgitimit soit par des

    arguments utilitaristes soit par son assimilation au droit naturel. Brivement

    largument utilitariste suppose que nous devons choisir des lois et des politiques qui

    maximiseraient la richesse et lutilit gnrale. Selon cette logique les biens

    publiques rduisent la quantit de richesse un niveau sous optimal. Ainsi la

    solution propose est celle de la protection des ressources matrielles et

    immatrielles par le systme de la PI en accordant des monopoles d'auteur et des

    brevets qui vont encourager les auteurs et les inventeurs innover et crer encore

    plus. Cette vision utilitariste standard dincitation et de motivation des crateurs (en

    leur assurant le recouvrement de leur investissement et un certain bnfice) laisse

    toutefois une marge de manuvre pour la diffusion et la divulgation des

    innovations cres. Cest donc lquilibre entre protection et diffusion de la cration

    intellectuelle, qui est sens tre tablit par le biais des instruments de la proprit

    intellectuelle.

    Cette perspective est naturelle pour la quasi-totalit des conomistes. Ils trouvent

    que ce droit sert le bon fonctionnement de la socit et lassimilent trs facilement

    un systme dallocation de ressources rares. Cependant on a dun autre cot

    plusieurs spcialistes qui saccordent sur la non-ncessit dun niveau de protection

    aussi lev et dautre encore qui rfutent le concept mme de proprit

    intellectuelle.

  • Master II Philosophie conomique

    7

    Il n'est pas du tout vident que les lois de PI conduisent un changement, une

    augmentation ou une diminution de la richesse globale. On peut donc se demander

    si le droit d'auteur et le brevet sont vraiment ncessaires pour encourager la

    production de nouvelles crations, et si les gains supplmentaires en matire

    d'innovation l'emportent sur les cots normes du systme de proprit

    intellectuelle. Les tudes conomtriques ne permettent pas de conclure des gains

    nets de richesse avec le systme actuel de PI. Peut-tre y aurait-il mme plus

    d'innovation en labsence du droit dauteur et du brevet : Plus d'argent pourrait tre

    consacr pour la recherche et le dveloppement sil nest pas dpens sur les

    brevets et les poursuites judiciaires. Aussi, les entreprises seraient incites innover

    davantage si elles ne peuvent plus compter sur un quasi monopole de longue

    dure.

    Les opposants de la proprit intellectuelle se munissent gnralement darguments

    empiriques pour mettre en vidence la dangerosit ou bien linutilit de la

    protection des uvres intellectuelles, quelles soient industrielles ou artistiques. Le

    livre Against intellectual Monopoly 5 des professeurs Boldrin et Levine en est un

    parfait exemple. Il rassemble un grand nombre de cas concrets o la proprit

    intellectuelle a caus plus de tort que de bien. Il prsente par exemple lhistoire de

    James Watt et du moteur vapeur qui, protg par un brevet pendant 25 ans,

    aurait retard la rvolution industrielle dune dcennie, ou encore le cas des logiciels

    libres qui nont pas eu besoin de protection pour se dvelopper et maintenir un bon

    niveau dinnovation. Le livre a connu un cho considrable chez les spcialistes de

    la proprit intellectuelle mais de toute vidence pas autant chez les artistes et les

    inventeurs.

    La conception de la proprit intellectuelle comme un droit naturel et moral cre ce

    sentiment dinjustice chez linventeur ou lartiste lorsque sa cration est pirate .

    On retrouve le fondement moral du droit de la proprit chez plusieurs

    philosophes et essentiellement chez John Locke. John Locke dans son livre trait

    du gouvernement civil donne une autre vision de la proprit intellectuelle. Il conoit

    la proprit en gnral comme un droit naturel et prexistant dans la socit. En

    partant de lide que la libert est un droit naturel de lhomme, nous sommes

    videmment propritaire de notre propre corps (sinon, cest de lesclavage). Ainsi

    Locke considre que les ressources physiques ou intellectuelles dpenses dans un

    travail, nous donnent un droit de proprit consubstantiel sur le produit de ce

    5 http://www.dklevine.com/general/intellectual/against.htm

  • Master II Philosophie conomique

    8

    travail. La proprit quun travailleur libre a sur son corps stend aux fruits de son

    travail proportion de ce quil y a mis de lui-mme. On est donc la en prsence

    dune thorie de la proprit fonde sur la libert de lhomme, qui reconnait la

    proprit sur les biens matriels ou immatriels comme droit naturel.

    Toutefois Locke prcise que ltendue de cette proprit est restreinte la

    condition que cette appropriation ne soustrait pas indment des ressources dont la

    collectivit pourrait bnficier. On retrouve ici deux interprtations de cette

    provision qui sont opposes. On peut dire que les ressources ncessaires la

    cration dune uvre sont toujours l aprs sa cration, donc donner une proprit

    exclusive son crateur ne soustrait rien du tout aux ressources communes. Les

    lments prexistants restent donc disponibles pour les autres et la proprit sur

    l'uvre ne retranche rien la communaut. Lautre interprtation se place sur un

    point ex post du processus de cration. Elle consiste considrer quune fois

    luvre cre, la proprit sur celle-ci la retranche des ressources disponibles et

    donc rduit la richesse commune. La proprit intellectuelle doit donc tre

    svrement limite. Cette analyse explique le faible cho des dtracteurs de la

    proprit intellectuelle qui se focalisent sur des arguments de lordre de lintrt

    gnral et de lutilit sociale et ngligent daborder le sujet sur le terrain de la

    morale.

    Nanmoins, il est difficile de porter le dbat sur ce terrain l, vu la forte volont

    politique et conomique favorable dans son ensemble au concept de la proprit

    intellectuelle. On peut remarquer cette volont affiche dans le dernier G8

    Deauville, o les chefs dtats ont exprim leur engagement dans la dfense de la

    proprit intellectuelle indiqu dans le texte labor Deauville : Nous

    renouvelons notre engagement prendre des mesures fermes contre les violations

    des droits de proprit intellectuelle dans l'espace numrique, notamment par des

    procdures permettant d'empcher les infractions actuelles et futures (Dclaration

    du G8, Deauville)6. Les grands de la production du film et de la musique quant

    eux, nhsitent pas demander la collaboration des fournisseurs daccs internet

    pour lutter contre le piratage numrique. La justification est purement utilitariste et

    le discours est le mme : Permettre l'innovateur de recevoir une rmunration

    pour ses efforts et faciliter la diffusion des connaissances. Ce raisonnement apparait

    tout fait logique et bien fond, dailleurs il nest pas critiqu en lui-mme par les

    contradicteurs de la PI mais cest plutt son efficacit qui est mise en cause. Un

    6http://www.g20-g8.com/g8-g20/g8/francais/en-direct/actualites/un-nouvel-elan-pour-la-liberte-et-la-

    democratie.1313.html

  • Master II Philosophie conomique

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    concept jug trop obsolte par certains et notamment dans une socit

    dinformation et de numrisation. Dautres, sans remettre en cause le principe de la

    proprit intellectuelle, dnoncent ses excs. Si on reconnat le bon sens et la

    logique de largument si sduisant de lutilitarisme, on ne peut pas fermer les yeux

    sur les nombreuses anomalies empiriques significatives. Jen ai cit quelques unes

    prcdemment tir du livre Against Intellectual Monopoly , et ce mmoire en fera

    son objet principal puisquon va traiter un cas trs intressant qui concerne

    lindustrie de la mode amricaine.

    Un article des professeurs Raustiala et Springman The Piracy Paradox a connu un

    cho important au sein des spcialistes de la PI et servira de base ce travail.

    Lessentiel de leurs propos consiste expliquer lanomalie suivante :

    Une industrie qui offre une large varit de produits dans des marchs plus vastes

    que ceux des films, des livres et de la musique et cela avec un trs faible rgime de

    protection de la proprit intellectuelle. Limitation dans ce secteur y est

    naturellement trs prsente et pourtant linnovation, la crativit et linvestissement

    y sont trs dynamique. La principale activit de cette industrie est de concevoir de

    nouveaux designs de vtements originaux qui feront le profit de lentreprise.

    Cependant les designs de vtements nayant pas de protection assure par la loi

    amricaine, copier un design est devenu une pratique normale dans le secteur. On

    peut constater cela trs facilement en faisant un tour dans les magasins ou en

    feuilletant les revues de modes. Par contre la marque commerciale qui est elle

    protge par la loi, nest pas concerne par ce phnomne.

    En suivant les affirmations de la thorie utilitariste sur le sujet, il est clair que cette

    situation ne concorde pas. Selon le raisonnement utilitariste, ce phnomne

    dimitation devrait dtruire linitiative et la motivation des designers pour produire

    de nouvelles crations. Alors quen ralit les maisons de mode continuent

    innover et produire grande chelle. Cest cette contradiction que Raustiala et

    Springman expliquent dans leurs article en partant de lide que limitation nest pas

    destructive pour linnovation mais plutt bnfique celle-ci et ils appellent ca :

    The Piracy Paradox (le paradoxe du piratage).

    Dautre part, lindustrie de la mode semble satisfaite de la situation actuelle du

    rgime de protection de la proprit intellectuelle, puisquelle na pas mis de

    contestation sur le sujet depuis lintervention de lorganisme Fashion Originators

    Guilds entre 1936 et 1940. Les entreprises de mode prennent d'importantes et

    coteuses mesures pour protger la valeur de leurs marques, mais ils semblent

  • Master II Philosophie conomique

    10

    largement accepter l'appropriation des dessins et modles sans raction assez

    vigoureuse. Limitation est mme souvent considrer comme un "hommage" son

    talent et la clbrit de la firme. Cette situation reflte un tat dquilibre stable de

    lindustrie de la mode amricaine dans un rgime de faible protection de la PI.

    Pour analyser ce paradoxe on va suivre le plan suivant : Ce mmoire est compos

    de trois parties. La premire partie est une prsentation de lindustrie de la mode

    amricaine, son fonctionnement et ses caractristiques. On examinera les

    spcificits de lindustrie de la mode et le phnomne dimitation des designs qui

    existe dans ce domaine, en distinguant entre le copiage de design et la contrefaon

    qui nest pas concern par cette analyse. Lors de la deuxime partie, on sattaquera

    lexplication de cette situation dquilibre dont on qualifie lindustrie de la mode

    amricaine, premirement travers les phnomnes dobsolescence induite et de

    dancrage qui restent le noyau de ce travail, puis on va considrer les explications

    alternatives qui pourraient exister tel que lobstacle politique ou juridique. Ensuite

    nous verrons dans la mme partie, une comparaison entre la mode en Europe et

    aux Etats-Unis qui peuvent tre diffrentes au niveau du rgime de proprit

    intellectuelle mais pas autant au niveau du comportement des deux industries. La

    troisime partie sera consacre des implications plus larges du cas de lindustrie de

    la mode en largissant lanalyse dautres secteurs similaires celui de la mode.

  • Master II Philosophie conomique

    11

    Partie 1 Les bases et caractristiques de lindustrie de la mode

    amricaine

    Chapitre 1 : Le fonctionnement et les spcificits de lindustrie de la mode

    amricaine

    LEurope, les Etats-Unis et en faible proportion le Japon, constituent eux trois

    lessentiel du march de la mode mondiale. Aux Etats-Unis, cette industrie compte

    parmi les secteurs les plus importants et les plus prospres dans lconomie

    nationale, avec plus de 750 milliards de dollars de chiffre daffaire annuel. Cette

    industrie connat une concurrence trs acharn, lesprit de comptitivit est devenu

    un mode de vie adopter mme pour la survie de routine. Dans ce cas, la cration

    de designs innovants de manire continue, est une activit vitale pour les maisons

    de haute couture.

    Les firmes les plus importantes du domaine se concentrent gographiquement dans

    les villes de New York et Los Angeles. Loffre y est dploye sur plusieurs

    segments, allant de la haute couture jusqu'aux vtements basiques. Les entreprises

    de la mode amricaine comme Ralph Lauren ou Calvin Klein narrte pas de

    produire de nouvelles conceptions de manire rgulire et les commercialisent

    chaque saison sous forme de collections qui seront ensuite prsents dans les

    dfils de mode.

    Afin de bien cerner cette industrie qui fait lobjet de ce mmoire, on commencera

    par dterminer les tapes de production dune nouvelle collection, depuis la

    conception jusqu la commercialisation. Ensuite nous identifierons les segments de

    produits qui existent dans lindustrie amricaine de la mode et on examinera la

    dconcentration de ce secteur et ses consquences. Dans un second temps, on

    voquera les principales spcificits de lindustrie et principalement lomniprsent

    phnomne dimitation et de copiage qui persiste dans ce milieu et qui ne semble

    pas trop dranger les acteurs de lindustrie.

  • Master II Philosophie conomique

    12

    Section I Aperu sur lindustrie de la mode amricaine

    1. Le processus de conception dune collection :

    Gnralement la mode suit un systme de saisons couvrant une priode de six mois

    : Automne/Hiver et Printemps/t. Mais de plus en plus de maisons de mode

    souhaitant augmenter leurs ventes, font mme jusqu' quatre collections par anne :

    Automne/Hiver, Holliday (collection des ftes), croisire ou Early Spring et

    finalement Printemps/t. Avant que les collections narrivent sur le march, elles

    passent par plusieurs tapes. Les collections sont conues six huit mois l'avance.

    La premire tape consiste faire ressortir les styles vestimentaires du moment, il

    faut donc flairer la mode de demain. Pour ce faire, il existe plusieurs terrains

    explorer. Il y a d'abord les salons de mode tels que Premire Vision et Tex

    World Paris, Pitti Uomo et Pitti Immagine Florence. Puis il y a les dfils

    de mode. Mais aussi, le lche vitrine et lobservation des gens dans les rues qui

    restent le moyen le plus pertinent pour cerner la tendance du moment.

    Aprs la collecte d'informations, le designer ralise ce quon appelle un Trend book.

    Cest un carnet de tendance o sont regroupes les ides qui vont tre la base de la

    nouvelle collection. Le styliste sinspire des lments qui lui semblent rpondre

    lesprit du moment pour crer sa propre collection.

    Ensuite, partir des diffrents lments trouvs, se mettent en place des thmes.

    Chacun de ces thmes comporte les matires qui vont tre utiliss, les diffrentes

    formes de vtements, les couleurs et tout ce qui touche de prs ou de loin les

    futures collections. Ainsi, chaque page dun Trend Book sera accompagn d'un

    chantillon textile, de dessins techniques, d'illustrations de mode et de photos

    rfrences. Ces Trend Books peuvent anticiper la mode sur deux trois saisons.

    Une fois quon a fix les ides et les thmes, les designers vont crer leurs

    collections avec une ou deux saisons d'avance. Il faut affiner le choix des ides et

    tissus qui feront partie de la collection, prvoir les broderies et les petits accessoires

    (attaches, boutons, clips, etc.). Ensuite, une collection comprend comme dans le

    trend book plusieurs groupes diffrents. Par exemple, pour un thme sur la plage,

    une dizaine de pices (vtements) seront ralises avec pour ide la mer, une autre

    partie sur le soleil, une autre sur le sable, etc. Selon l'ampleur de la marque, ca peut

    aller jusqu' six groupes.

  • Master II Philosophie conomique

    13

    Chaque modle est dcrit en dtail par un dessin technique montrant clairement

    tous les dtails, avec diffrents points de vue (de face, de dos voire de ct quand

    cest ncessaire).

    Une fois ce travail achev, la prsentation de la collection sera faite sous forme de

    dessins techniques prcisant lchantillon textile ou la rfrence du tissu choisi.

    Le modliste, partir de ces dessins techniques, ralise un patronage des

    vtements. cette tape le modliste et le designer travaillent ensemble pour

    ajuster les vtements imagins aux contraintes de la ralit.

    Enfin, le modliste produit des prototypes qui donneront vie aux dessins et

    permettront de mesurer la concordance avec ce que le designer a pens. Il peut

    alors y avoir des modifications ou des amliorations. La partie cration arrive son

    terme une fois que les dernires modifications sont faites.

    Une fois que le patron de chaque dessin est ralis, la phase d'industrialisation

    dbute. Il s'agit essentiellement du travail du patronnier et du gradeur.

    Le patronnier est charg, partir du patron comportant les pices principales du

    vtement, de crer l'ensemble des pices techniques annexes telles que les

    doublures, certains thermocollants, ainsi que les gabarits de montage.

    Le gradeur est charg de driver du modle ralis dans une taille de rfrence, la

    taille de base, un modle dcrit dans toutes les tailles produire.

    Une fois que le patron de chaque modle a t industrialis, le vtement est

    produit en plus ou moins grande quantit selon la distribution prvue. C'est la

    partie confection du vtement. Les vtements sont ensuite emballs et expdis

    dans les diffrents points de vente.

    2. Les niveaux de segmentation de la mode amricaine :

    Les produits de lindustrie du textile sont typiquement segments dans de grandes

    catgories qui forment une sorte de pyramide de la mode. Dans le haut de la

    pyramide (figure A ci-dessous), on trouve exclusivement une catgorie de styliste

    qui inclue trois diffrents types de produits.

    Premirement, on a les produits de la haute couture ( High fashion ) qui sont

    adresss une clientle particulire. Cest un mtier rduit un petit nombre de

    designers qui fabriquent des vtements personnaliss conus presque exclusivement

    pour les femmes et vendus des prix trs levs. Juste en dessous on trouve des

  • Master II Philosophie conomique

    14

    entreprises beaucoup plus grandes qui font de la conception de vtements de prt-

    -porter pour les femmes et les hommes. Ce mme niveau est encore segment en

    collections de prestige et en collections bas prix (dites Bridge ) offertes par de

    nombreux designers de grande renomm. Un autre niveau plus bas on retrouve

    des produits dune catgorie ( Better Fashion ) encore plus large qui se compose de

    vtements prix modrs ciblant une importante tranche de consommateurs moins

    aise. Puis une dernire catgorie de vtements de base, adress une clientle qui

    naccordent pas trop dintrt la mode ou na pas les moyens pour. La figure A

    illustre cette pyramide :

    Le premier critre de segmentation est le prix. Il augmente mesure quon remonte

    la pyramide. Cependant la dimension qui nous intresse ici, est le travail ou leffort

    fournit dans la conception et le design des vtements. Dans la catgorie des

    produits de haute couture, de prt--porter et dans la catgorie bridge , on trouve

    un gros travail de conception avec un rythme trs rapide de changement des

    tendances. Dans les autres catgories les designs changent trs lentement et leffort

    consacr la conception est trs faible.

    Les entreprises produisant des vtements de haute couture ont souvent dautres

    lignes de production pour des catgories de clients moins aiss. On peut retrouver

    plusieurs entreprises de mode qui ratissent tous les niveaux de la pyramide. Par

    exemple la maison Giorgio Armani qui produit essentiellement des vtements de

  • Master II Philosophie conomique

    15

    haute couture, a galement une activit dans le niveau du prt--porter via son

    tiquette de Giorgio Armani, puis dans la catgorie Bridge avec les marques

    Emporio Armani et Collezioni Armani, mais aussi dans la catgorie Better o elle

    soccupe de la distribution dans les centres commerciaux travers Armani

    Exchange brand.

    3. La dconcentration de lindustrie de la mode amricaine :

    La concentration a au moins deux sens. Elle peut signifier un processus , cest

    dire, le mouvement par lequel une part croissante de lappareil productif se

    trouve matrise par un nombre de plus en plus rduit de centres de dcisions . Elle

    est aussi, indiquer un rsultat , cest dire la structure bien souvent ingalitaire

    laquelle aboutissent ces processus. Aussi, lorsque nous parlons de concentration

    dans une industrie, nous signifions la fois le renforcement du pouvoir des plus

    grands groupes dans ce type d'activit et la structure de march qui en rsulte

    (Morvan, Y., 1991). Cependant, selon la nature des relations entre les activits

    concernes, on distingue trois types de concentration :

    La concentration horizontale : cest le cas o des entreprises ayant une activit

    similaire dcident de se regrouper. Cette stratgie permet de gagner des parts de

    march, d'liminer des concurrents et de former un oligopole voire un monopole.

    La concentration verticale : une entreprise rachte ses fournisseurs et ses

    distributeurs. Elle a pour but de matriser toute la chane de production, ce qui

    permet de contrler davantage le produit et sa qualit. Cette stratgie permet de

    gagner des clients.

    La concentration conglomrale : cest la situation o des entreprises rachtent

    d'autres entreprises n'ayant pas la mme activit. Cest dans le cadre dune politique

    gnrale qui obit la logique de diversification des risques.

    Les facteurs dterminant les processus concentrationnistes rsultent des rythmes

    divergents de croissance des firmes, les unes croissant plus vite que les autres

    (Morvan, 1991). On distingue deux modes de croissance : interne et externe.

    Dans la croissance interne, la concentration apparat comme un phnomne driv

    de lexpansion de firmes dsireuses daccrotre leurs chelles de production et leurs

    parts de march...en achetant des actifs nouveaux. Mais comme il faut se

    dvelopper en lanant de nouveaux produits, en investissant dans leur conception,

    fabrication et diffusion, en imposant une marque et une notorit, la croissance

    interne est un processus lent et risqu. Cela explique le choix d'un certain nombre

  • Master II Philosophie conomique

    16

    de firmes de prendre le contrle dactifs disponibles dans dautres entreprises

    (croissance externe). Dans la mesure o les actifs contrls sont dj prts tre

    productifs, le second mode de croissance est plus rapide. En permettant

    lentreprise daccrotre rapidement sa capacit de production, il lui conomise, en

    outre, les longs dlais de maturation de son investissement et les risques associs.

    La croissance externe revt deux formes principales :

    La fusion, lorsque deux (ou plus) entreprises dimportance comparable dcident

    de runir leur patrimoine respectif pour donner naissance une nouvelle entreprise.

    Les anciennes entreprises cessent alors dexister (Hadjila, K., 2000)

    Lacquisition, soit lorsquune entreprise achte une autre, celle-ci cessant en

    principe dexister, soit dans une acception plus large lorsquune entreprise achte

    les actions dune autre (tout ou une partie), celle-ci subsistant alors comme une

    filiale. Bien que le terme de Fusion et Acquisition soit devenu le terme gnral qui

    dsigne les formes de concentrations, dans la ralit, ce sont les acquisitions qui

    dominent le march (Cnuced, 2000)

    Globalement, les industries cratives amricaines tel que celles du film, de la

    musique ou de ldition, sont de plus en plus concentrs. Un petit nombre

    dentreprises se partagent la quasi-totalit de la production de lindustrie et

    contrlent elles seules le march. La mode amricaine se distingue des autres

    industries culturelles par un degr de concentration relativement faible. Elle

    comprend un grand nombre de firmes de diverses tailles qui concourent la

    cration et la conception de vtements originaux sans quaucune entreprise ou petit

    groupe dentreprises ne reprsente une grosse part du march.

    Cette dconcentration dans le secteur de la mode est thoriquement contradictoire

    avec la persistance du faible systme de protection de la PI adopt. En effet, la

    thorie conomique suppose que les firmes qui oprent dans un march concentr

    ont besoin de moins de protection de la proprit intellectuelle et spcialement

    quand elles possdent un pouvoir de contrle sur le march (un accs privilgi aux

    distributeurs par exemple). Elles sont ainsi capables dexercer ce pouvoir pour

    viter les passagers clandestins ( free-riders ) et sassurer de la collecte des bnfices

    sur les innovations quelles accomplissent. Apparemment cette thorie ne se

    confirme pas sur le terrain, puisque les industries du film, de la musique et de

    ldition, bien quelles soient trs concentrs, ont demand et obtenu une

    protection trs large de leurs proprits intellectuelles, et paradoxalement,

    lindustrie dconcentre de la mode qui selon la mme thorie requiert une plus

  • Master II Philosophie conomique

    17

    forte protection, ne semble pas se proccuper rellement de ltat des lois de la PI

    qui ne protgent pas du tout les designs.

    Une autre thorie peut savrer possible dans ce cas : on peut expliquer la

    persistance du faible rgime de protection de la PI par la difficult que trouve les

    acteurs du secteur, vu leur nombre, sorganiser et faire pression auprs du

    Congress pour obtenir dinclure les designs de vtements dans le champ de

    protection du droit dauteur.

    Cette hypothse est tout fait plausible mais ne peut pas tre retenue comme il sera

    expliqu plus tard dans la deuxime partie consacr exclusivement ce sujet.

    Section II Les spcificits de lindustrie de la mode

    1. Une industrie progressive et innovante :

    Lindustrie de la mode en gnral est une industrie progressive base sur une

    innovation et une crativit constante dans les designs qui constituent le cur de

    lindustrie. Baumol William clbre conomiste contemporain distingue deux sortes

    de secteurs : le secteur progressif et non progressif. Ce dernier comporte les

    industries qui par la nature de leurs activits sopposent la progression et la

    croissance. Le secteur de lart vivant (opra, orchestre symphonique) est par

    exemple un cas o la recherche de profits supplmentaires et laccroissement de la

    productivit sont bloqus par la sacralit de lessence mme de ce secteur. La

    fameuse phrase on ne peut pas jouer Mozart plus vite illustre bien la nature

    intrinsquement non progressive du secteur de lart vivant. Ceci suppose une

    augmentation des cots pour ce genre dactivits (car si la productivit stagne, le

    cot du travail augmente) ; Ainsi le maintien dune activit comme lart vivant

    devient un choix politique de socit, il peut tre considr comme un luxe rserv

    ceux qui peuvent se loffrir.

    Lindustrie de la mode nest pas dans ce cas de figure ; elle est progressive et se doit

    dtre innovante en permanence. Les changements dans les designs, la technologie

    et les techniques organisationnelles quelle adopte ne touchent pas lidentit de

    cette industrie bien au contraire. Linnovation fait partie de lidentit de

    lindustrie, cest le carburant sans lequel elle ne peut pas avancer. En fait, il ny a pas

    de sanctuaire que ces changements ne pourraient pas investir pour obtenir des

    gains de productivit et de qualit. La mode, o dominent le tour de main et le

    savoir-faire, est aussi fortement concerne par lintgration de nouvelles

    technologies et lapplication de savoirs scientifiques. En somme, lindustrie de la

  • Master II Philosophie conomique

    18

    mode nest pas un luxe pour la socit et ce titre ne peut faire lobjet des mmes

    procdures de dcision politique quun orchestre symphonique ou un opra. Cest

    une activit conomique qui contribue dans certains cas la comptitivit

    conomique dun pays et engendre toute une srie deffets externes positifs sur le

    plan de la connaissance et de linnovation.

    2. Des biens positionnels :

    Les biens positionnels dits Positional Goods , sont des biens dont la valeur pour

    ceux qui en jouissent est lie la perception de cette valeur par les autres :

    positional goods are bought because of what they say about the person who buys them; they are a

    way for a person to establish or signal their status relative to people who do not own them

    (Matthew B., 2009). Certes, les biens produits par lindustrie de la mode ne sont

    pas uniquement dfinis par cette caractristique de positionnalit : la valeur dune

    cration de mode est aussi relative la qualit, lauthenticit et linnovation de

    conception ralise. Cependant, la plupart des produits de modes sont caractriss

    dans une certaine mesure, par cette proprit de positionnalit : cette aptitude

    placer le propritaire dans une certaine position sociale, le distinguer des autres.

    Autrement dit, la satisfaction que peuvent engendrer ces biens pour les

    consommateurs nest pas seulement lie lutilit du bien et sa qualit mais aussi

    linformation quils vhiculent concernant la position sociale du consommateur.

    Cette proprit des produits de la mode impliquent des effets dcisifs sur la

    structure des industries. Elle influence par exemple la disposition payer du

    consommateur, la quantit de biens vendusetc. Il est donc important pour

    lindustrie de la mode de maintenir cette proprit pour ces produits ou plutt de la

    renouveler chaque fin de cycle du produit. Car le bien positionnel est par nature

    en permanence menac par son propre succs. Sa pertinence, en tant que bien

    confrant un statut particulier, se dgrade au fur et mesure quil gagne en

    popularit.

    En fait, le bien positionnel est sujet une dynamique deux faces : son attrait

    augmente quand certains le possdent puis il diminue quand la plupart lont

    acquis (Foray D., 2010). Quand le bien atteint un niveau trs grand de popularit,

    sa proprit de bien positionnel disparait, et sa valeur diminue aux yeux de ceux qui

    taient les premiers le dtenir. Lassimilation de cette dynamique est primordiale

    pour la comprhension de la thorie fondamentale de ce mmoire : en effet la

    notion de bien positionnel joue un rle dcisif dans la dynamique dinnovation au

  • Master II Philosophie conomique

    19

    sein de lindustrie de la mode. Cette dynamique repose sur le dclin de la

    positionnalit des produits de mode qui est d deux facteurs :

    La diffusion de copies bon march qui attnue le degr de distinction procur par

    larticle original par simple association ;

    Le simple fait que larticle original conquiert de nouveaux segments de march en

    diminue sa valeur en tant que bien positionnel.

    3. Le rle de la concurrence :

    Lenvironnement concurrentiel de lindustrie de la mode explique en grande partie

    son caractre innovant et lui impose de dvelopper une crativit constante pour

    assurer sa survie. La situation concurrentielle est bien dcrite par la fameuse courbe

    en U inverse : In general, there is an inverted-U relationship between competition and

    innovation : firms have little incentive to innovate if they are not stimulated by competition, but too

    much competition discourages innovation as firms are not able to reap the benefits of their efforts.

    There is, therefore, an optimal degree of competition (Aghion, 2006)7.

    Lindustrie de la mode se trouve dans cet quilibre concurrentiel qui assure un

    niveau stable dinnovation. Le march comporte un nombre dentreprises optimal

    pour une comptition avantageuse lindustrie : ni trop de firmes (ce qui

    crerait des conditions de concurrence pure et parfaite, nfastes linnovation) ni

    pas assez (ce qui crerait des conditions de monopole galement dfavorables) 8

    On retrouve dans cette industrie les caractristiques dune concurrence

    monopolistique, base sur la diffrenciation des produits et des services et qui est

    trs propice linnovation. Lindustrie est donc caractrise par un mlange de

    concurrence acharne et de monopole qui agit comme un puissant stimulant

    linnovation. Les rgles du jeu sont donc la crativit et linnovation dans le but de

    fonder et dvelopper les caractres distinctifs de la marque ou du produit et ainsi

    accroitre sa part de march.

    Lactivit de lindustrie de la mode dgage une croissance conomique importante

    intrinsque la crativit et linnovation constante des designers. Cette crativit est

    dune part stimule par la concurrence qui existe entre les firmes pour dvelopper

    7 P. Aghion, A primer on innovation and growth , Bruegelpolicybrief, 2006 8 Foray, D. lindustrie du luxe et lconomie de la connaissance , 2010

  • Master II Philosophie conomique

    20

    des produits nouveaux qui vont satisfaire la clientle, et dautre part grce la

    concurrence sur le march des produits aprs la ralisation des nouvelles crations.

    Il est reconnu que la concurrence pour linnovation favorise la diversit et

    lintensit de celle-ci. Quant la concurrence sur le march des produits, son rle

    dans lincitation linnovation, bien quavr dun point de vue empirique, reste

    encore sujet controverse. Enfin, dernier lment, et non le moindre : le

    patrimoine accumule au fil des crations passes est un bien public sur lequel

    fonder les crations ultrieures. Toute restriction daccs ce bien public est

    contre-productive :

    Quune invention permette dautres innovateurs de se mettre au travail sur

    linvention suivante, est un moteur essentiel de la croissance, dans la ralit comme

    dans les modles de croissance (Foray, 2010).

    En rsum, sont favorables linnovation :

    la concurrence pour linnovation et la crativit ;

    la concurrence sur le march des produits ;

    la diffusion du patrimoine culturel accumule loccasion des crations et

    innovations antrieures ;

  • Master II Philosophie conomique

    21

    Chapitre 2 : Limitation dans la mode amricaine

    Limitation dans lindustrie de la mode a toujours exist, elle sest intensifi de plus

    en plus avec le dveloppement et lexpansion du secteur et a pris une ampleur

    particulire aux Etats-Unis. Entre les deux guerres, limitation des designs

    europens tait devenue une sorte de tradition amricaine et les crateurs parisiens

    taient les plus frapps par cette pratique. Cependant les moyens et la technologie

    de lpoque ntaient pas bien dvelopps pour imiter une conception et la

    commercialiser aussi rapidement que de nos jours, dautant plus que les maisons

    majeures de la haute couture parisienne ont tacitement mis en place des rgles pour

    stopper ces pratiques qui sinstallaient confortablement dans le milieu. Ainsi,

    assister un dfil de mode parisien ntait plus donn tout le monde, un filtrage

    tait tablit pour viter les imitateurs reconnus et les photos et dessins tait interdits

    de publication avant une certaine date. Malgr toutes ses dispositions, limitation a

    continu sa progression dans lindustrie amricaine de la mode et est toujours

    omniprsente actuellement. Nanmoins la situation de cette industrie a connu un

    important rebondissement en 1932 avec ltablissement dun cartel national ayant

    pour objectif de limiter le phnomne dimitation dans le rang des designers

    amricains. Nous allons voir dans ce chapitre comment travers le temps, les

    acteurs de lindustrie de la mode amricaine ont ragit face au piratage des designs

    et puis on examinera ltat du rgime de protection de la proprit intellectuelle et

    le degr de dveloppement des pratiques de copiage dans le secteur.

    Section I Contrle de limitation par le cartel : The Fashion Orginators Guilds

    1. Fashion Orginators Guilds

    En 1932, un groupe de fabricants de mode amricains, se sentant menacs par la

    prolifration des imitations bon march dans le secteur, avaient dcid de mettre en

    place un plan de contre attaque. La rgle dans cette poque tait la pratique

    universelle de copier les styles et les conceptions originales. Ctait all si loin que

    pas un modle exclusif ntait assur de le rester assez longtemps ; une robe

    expose dans un premier temps 60 $ pouvait tre dupliqu 25 $ dans les jours

    qui suivent et des prix encore plus bas ensuite. Les fabricants ont donc dcid de

    prendre des mesures directes pour empcher la copie. Ils crrent alors, la Fashion

    Orginators Guild . Un rassemblement de quelques grandes firmes du secteur ayant

  • Master II Philosophie conomique

    22

    pour but commun de surveiller les dtaillants et de garder la trace des dessins

    originaux (les robes portaient des tiquettes de la Guilde distinguant un design

    original dune imitation). Les dtaillants et les fabricants devaient signer une

    dclaration de coopration dans laquelle ils sengageaient vendre exclusivement

    des crations originales et pour ceux qui ne sy conformaient pas, ils taient

    soumis au boycott. En plus de cet engagement, les membres de la Guilde qui

    traitaient avec des dtaillants non cooprant se voyaient imposes de lourdes

    amendes.

    Au dbut la guilde regroupait douze maisons de couture leadeurs dans lindustrie.

    Elle avait tablit un bureau denregistrement des designs et invitaient dautres

    firmes joindre le cartel. A la fin de lanne 1933, la guilde comptait 60 membres et

    avait reu des dclarations de coopration de la part de 4000 dtaillants o ils

    sengageaient ne pas vendre ou acheter des copies de designs originaux

    appartenant aux membres de la guilde. Durant son existence, la Guilde a t

    efficace dans le maintien de l'ordre et la limitation du piratage pour ses membres.

    En 1936, plus de soixante pour cent des vtements pour femmes vendus plus de

    10,75 dollars (environ 145 $ en dollars de 2005) ont t vendus par les membres de

    la Guilde.

    Le premier effet des accords de coopration conclus avec les dtaillants tait que la

    protection des designs ne s'tendait pas aux vtements bas prix. En effet, puisque

    les fabricants appartenant la Guilde commercialisaient exclusivement des

    vtements dont le prix tait suprieur 16.75 $, les autres catgories de vtements

    bon march nentraient pas dans le champ de surveillance de la Guilde. Cependant

    mesure que la puissance de la Guilde saccroissait, dautres rgles se mettaient en

    place pour donner plus de prrogatives et de marge de manuvre la guilde.

    Beaucoup de restrictions ont t fixes et les grands magasins se contentaient de les

    respecter jusqu' ce que la Guilde ait commencer se mler des catgories de

    vtements bas prix. Le problme entre les dtaillants et les 250 fabricants et

    socits affilies de la Guilde, sest dvelopp progressivement. Il est venu la suite

    dune srie d'incidents que les dtaillants ont considrs comme un abus de

    position clair de la Guilde. Un exemple qui dcrit trs bien le genre dincident qui a

    men la chute de la Guilde est le cas du magasin Strawbridge & drapier

    en Philadelphie, o un enquteur de la Guilde exigeait, avec une certaine arrogance,

    quune robe, son avis une copie, soit retir de la vente et que le nom du fabricant

    lui soit dvoil. Les dirigeants du magasin savaient qu'ils avaient une entente avec la

    Guilde, mais ils avaient compris que l'accord les laissait libres de dcider quelles

  • Master II Philosophie conomique

    23

    robes taient des imitations et lesquelles ne ltaient pas. Ils ont refus la demande

    de l'enquteur et deux jours plus tard, tous les fabricants de la Guilde ont reu une

    petite carte rose pour les informer que le magasin avait t coupable de refus

    catgorique de cooprer. Comme sanction, les ordres de Strawbridge & drapier

    ntaient plus pourvoir. En quelques jours la mme chose s'tait passe

    Bloomingdale Manhattan et HR White Co. Boston. Les trois magasins

    sont membres de la Associated Merchandising Corporation fonde en 1916.

    Vers le milieu de lanne 1936, tous sauf quatre des 20 membres de la Associated

    Merchandising Corporation avaient t vincs par la Guilde.

    Les marchands en dtail taient perturbs par cette expansion des activits et des

    pouvoirs de la Guilde et cette augmentation considrable des sanctions lencontre

    de leurs camarades. Ils taient daccord pour se conformer aux volonts de la guilde

    dans le sens dune lutte contre la copie des designs originaux coteux, mais

    accorder la mme attention aux vtements de bas prix tait une autre affaire. Ces

    vtements prix abordables taient achets en grande quantit et constituaient une

    importante partie du bnfice des dtaillants. En plus, les consommateurs de ce

    genre de produits ne prtaient pas une grande attention lauthenticit des

    vtements. Lirritation des dtaillants sintensifiait avec le ton dictatorial des

    communications de la Guilde et la situation devenait de plus en plus tendue

    notamment cause dune nouvelle dclaration de coopration envoy par la

    Guilde o elle imposait des restrictions supplmentaires. Les dtaillants qui avait

    dans un premier temps accept de ne pas vendre des copies de designs couteux

    (suprieur 16,75 dollars), taient maintenant tenus de ne pas vendre de copies du

    tout mais aussi de laisser aux professionnels de lautorit de la Guilde le soin de

    dterminer ce qui tait ou n'tait pas une copie. Aprs l'incident de Strawbridge

    & drapier , la guerre t ouvertement dclare. Chaque reprsentant des intrts

    des dtaillants dans le pays avait pris une position - la plupart d'entre eux contre la

    Guilde. Ils accusaient la Guilde de concurrence injuste et dabus de pouvoir dans le

    but de monopoliser l'industrie du textile. La position gnrale des commerants

    tait limpossibilit de la coopration avec la Guilde sauf sur la base des termes

    d'origine.

    Par la suite, les affaires ports en justice naboutirent pas dans un premier temps

    des rsultats en faveur des dtaillants, mais dautres affaires sen suivirent et le

    conflit grandissait de jour en jour jusqu'en 1941 o la Guilde dans laffaire contre la

    Federal Trade Commission fut reconnue coupable pour concurrence dloyale et

    pour violation des lois antitrust; notamment les actes de Sherman et Clayton .

  • Master II Philosophie conomique

    24

    La dfense de la Guilde, qui avanait que ses pratiques taient raisonnables et

    ncessaires pour protger le fabricant, louvrier, le commerant et le

    consommateur contre le flau du piratage des crations originales qui frappent

    lindustrie de plus en plus svrement , fut rejete par la cour suprme amricaine.

    2. Design Piracy Prohibition Acts

    Entre 2006 et 2010, pas mal de projets de lois ont t adresss au Congress

    amricain, visant la modification du titre 17 du code des Etats-Unis pour fournir

    une protection sui generis aux designs de mode pour une priode de trois ans. Les

    actes auraient prolong la protection lapparence globale dun vtement, y

    compris son ornementation. Lensemble de ces projets ne passrent pas le stade de

    la commission dtude et naboutirent donc aucune modification de la loi. La plus

    rcente tentative a t lintroduction le 5 aot 2010, par le snateur Chuck Schumer

    avec dix Co-parrains, du projet de loi numro S 3728. Le Comit snatorial a vot

    l'unanimit ce projet de loi pour quil passe au Snat. C'est le plus loin quun des

    projets de lois concernant la protection des designs a pu progresser depuis 2006. Il

    faut tout de mme noter que ce projet de loi portant le nom de The Innovative

    Design Protection and Piracy Prevention Act (IDPPPA) a recueillit le soutien de la

    American Apparel et Footwear Association (AAFA) qui tait oppose aux prcdents

    projets de lois.

    LIDPPPA propose comme ses prdcesseurs damender le chapitre 13 du

    Copyright Act, mais limine lobligation denregistrement auprs du Copyright

    Office. En outre, ce projet envisage une protection consacr uniquement pour les

    modles originaux. Pour tre original, un modle devra tre le rsultat de leffort

    cratif du designer et devra fournir une variation non ngligeable et non utilitaire

    par rapport aux conceptions antrieures pour le mme type darticles 9. En dautres

    termes, une simple variation sur un thme ne sera pas protge. Un styliste ou un

    couturier souhaitant poursuivre en justice un copieur pour contrefaon devra

    prouver que son modle est protg par le copyright et quil y a eu effectivement

    copiage. LIDPPPA dfinit une copie comme un modle substantiellement

    identique dans son apparence visuelle globale aux lments dorigine dun dessin ou

    modle protg 10. Le plaignant devra en outre prouver que le dessin ou le modle

    9 Traduction du texte de loi de lIDPPPA : provide a unique, distinguishable, non-trivial and non-utilitarian

    variation over prior designs for similar types of articles 10 Traduction du texte du projet de loi

  • Master II Philosophie conomique

    25

    protg, ou bien une image de celui-ci, tait disponible dans un ou plusieurs

    endroits, de telle manire, et pour une dure telle, que lon peut raisonnablement

    dduire de lensemble des faits et des circonstances que le contrefacteur la vu ou en

    a eu connaissance.

    LIDPPPA contient une exception pour les couturiers et couturires domicile : il

    leur sera possible de reproduire un seul exemplaire un modle original pour leur

    usage personnel, ou lusage personnel dun membre proche de la famille. De plus,

    les modles crs avant la promulgation de la loi feront partie du domaine public.

    En revanche les pnalits pour fausse reprsentation augmenteraient de 500 $

    5000 $ et de 1.000 $ $ 10.000. Les "vtements" qui seraient protgs par la

    prsente loi sont ceux des femmes, des hommes et les vtements pour enfants ainsi

    que les bagages, sacs main, portefeuilles et montures de lunettes. Cette loi a t

    dote dune couverture mdiatique trs importante, elle a reu un soutien plus large

    que les projets prcdents et notamment par la Intellectual Property Owners

    Association et le Council of Fashion Designers of America .

    Nanmoins le snateur Feinstein qui tait lun des porteurs du projet en compagnie

    de Schumer a demand que le texte retourne au comit pour plus de clarification,

    une nouvelle discussion, et un nouveau vote. La Retail Industry Leaders Association

    (RILA) a salu cette dcision en dclarant : Nos membres craignent que si ce

    projet de loi est adopt, il se traduise par une augmentation des litiges coteux qui

    serait source d'incertitude tous les niveaux de l'industrie de la mode et limiterait la

    capacit de la grande majorit des familles amricaines profiter de vtements de

    mode des prix abordables 11. Le dbat interminable continue donc entre

    opposants et partisans de la protection des designs mais cette fois semble tre la

    bonne pour trancher sur le sujet. Nanmoins, il faut noter que globalement les

    ractions et les efforts de lindustrie de la mode restent trs modestes face

    lenvahissant phnomne de limitation. Cest un point trs intressant qui sera

    lobjet dune profonde analyse dans les sections ultrieures de ce mmoire.

    11 Traduction de larticle : http://fashionlaw.foxrothschild.com/articles/design-piracy-prohibition-act/

  • Master II Philosophie conomique

    26

    Section II Intensification du piratage aprs la chute de la Fashion Orginators

    Guilds

    1. Un faible rgime de protection des DPI dans la mode amricaine

    Depuis la chute de la Fashion Originators Guild , limitation sest rapidement

    rpandu dans les Etats-Unis. Les firmes de lindustrie de la mode ont, dans

    quelques occasions, exerc une pression pour obtenir lextension de la protection

    lgale pour leurs designs. Pour autant, les efforts engags dans ce sens sont plus ou

    moins faible et le systme de protection de la PI est rest le mme que celui du

    temps de la Guilde. A cot de la tendance actuelle de progression et dextension du

    champ de la proprit intellectuelle en gnral, le phnomne de limitation qui

    prvaut dans le monde de la mode, semble de plus en plus anormal. Jusqu'

    prsent, lindustrie de la mode opre dans ce quon va appeler, un quilibre de

    faible protection de la PI. C'est--dire que les trois formes de protection (marque,

    brevet et droit dauteur) couvrent de faon trs limit les designs et que ce faible

    niveau de protection lgal est politiquement stable. Les efforts occasionnels qui on

    t fait pour modifier le systme de protection relatif aux designs de mode, nont

    donc pas abouti et le rgime est rest le mme pour plus de six dcennies. On va

    donc brivement considrer chaque instrument de protection des designs et tenter

    dclaircir lenvironnement lgal de la proprit intellectuelle concernant la mode.

    a. Droit dauteur

    Le systme juridique de la proprit intellectuelle nexclut pas spcifiquement les

    designs du champ de protection. Ce manque de protection dont ptissent les

    designers dcoule plutt dune doctrine gnrale du copyright. : La rgle veut que

    les articles utilitaires nintgrent pas la catgorie des articles protgs par le

    copyright. On veut dire ici par articles utilitaires, tous les articles ayant une

    fonction intrinsque utile pour la socit. Plus simplement, les produits qui ont une

    fonction utilitaire ne bnficient pas dune protection pour leur contenu esthtique

    ou informationnelle. Cest donc les biens genre les vtements, les luminaires, les

    meubles, bref tous les biens dont lexpression crative va de paire avec lutilit

    pratique du bien. Ainsi, selon la loi amricaine on trouve quune esquisse

    bidimensionnelle dun design est protge par le copyright puisquelle est

    considre comme une uvre picturale. Cependant, un article de mode en trois

    dimensions, une robe conue partir de cette mme dernire esquisse, nest pas

    protge et donc limitateur qui se sert de cette robe comme modle, ne commet

  • Master II Philosophie conomique

    27

    aucune infraction vis--vis de la loi. En fait, la loi ne sapplique que lorsque le

    composant esthtique, cratif de larticle est sparable de sa fonction utilitaire.

    Pour bien illustrer cette rgle et son application sur les designs de mode, prenons

    lexemple dun bijou cousu sur un vtement. Les deux composantes du design (le

    bijou et le vtement) sont sparables et donc protgeables, dans le sens o le bijou

    ne contribue pas au caractre utile du vtement. Mais bien sr trs peu de design de

    mode sont sparable de cette faon; dans la plupart des vtements, les lments

    expressifs ne sont pas boulonns mais sont une partie intgrante de la forme du

    vtement lui-mme, ils sont instills dans la coupe d'un manchon, la forme d'une

    jambe de pantalon et les variations de conception sont multiples et donnent lieu la

    varit, la diversit et la richesse des modes. En consquence, les lois du copyright

    ne sont pas applicables pour quasiment tous les articles de modes, laissant ainsi

    cette industrie oprant dans une sorte de libre espace dimitation.

    b. Marque

    Le Trademark est un instrument indispensable pour les entreprises de la mode, il

    permet de maintenir une position de prestige pour certaines marques de vtements.

    Dailleurs les firmes investissent lourdement dans la surveillance et la prservation

    de leurs marques contre la contrefaon. Il faut bien faire la diffrence entre

    limitation de designs et lappropriation de marques commerciales. La premire

    pratique nest pas considre comme une contrefaon dans le cadre de la loi des

    marques commerciales. Les vtements de H&M, par exemple, sont des copies de

    designs crs par de grandes maisons de haute couture mais commercialises sous

    une autre marque. Cette catgorie est celle qui nous intresse dans ce travail.

    Toutefois, Il est possible que la loi des marques dans de rares occasions protge les

    designs de modes, cest le cas darticles qui intgrent visiblement la marque

    commerciale dans leur design de faon ce quelle soit une partie intgrante du

    design. Lexemple le plus illustratif est certes celui de la marque Burberry et son

    tissu carreaux comme signe distinctif (protg par la loi de la marque

    commerciale) qui est incorpor dans le design de plusieurs vtements et accessoires

    de la firme. Cest ainsi que de plus en plus de crateurs ont commenc intgrer de

    manire explicite et visible un logo protg dans leurs designs. Les sacs main

    Louis Vuitton couvert des lettres LV est un autre exemple. Ainsi la marque

    commerciale fournit une source de protection significative contre le piratage de

    design. Seulement, il faut noter que cette forme de protection rduit

    considrablement la libert de cration chez les designers. Le fait est que pour la

    plupart des produits de lindustrie de la mode, la marque est soit inscrite

  • Master II Philosophie conomique

    28

    lintrieur du vtement ou bien dissimul dans une petite portion du vtement

    comme un bouton ou une fermeture clair. La figure B illustre la distinction entre

    lappropriation de design et la contrefaon de marque.

    En plus du Trademark le code amricain des marques commerciales prvoit aussi

    un autre instrument de protection : le Trade Dress. Cest un concept initialement

    limit l'emballage d'un produit mais qui a t largi par de nombreux tribunaux

    d'appel pour venir englober la conception complte d'un produit. Certains

    tribunaux sont alls jusqu' soutenir que le Trade Dress implique l'image totale

    d'un produit, tel que des combinaisons de taille, de forme, de couleur, de texture,

    de graphisme ou mme de techniques de ventes particulires.

    Plusieurs des attributs couverts par le Trade Dress sont la cl de lattrait des

    designs de mode. Ainsi le Trade Dress peut jouer un rle significatif dans la

    protection des designs. Nanmoins, son champ de protection est le mme que celui

    du copyright, puisque cet instrument est lui aussi limit aux designs non utilitaire

    mais encore aux designs dont les attributs sont communment reconnus pour

    dsigner la source du produit (la marque). Cest ce qui est appel le standard de

    Source-Dsignating . La cour Suprme amricaine a not dans une affaire portant

    sur la protection du Trade Dress , que trs peu de designs de modes sont

    susceptibles dtre conforme au standard de Source-Dsignating et donc bnficier

  • Master II Philosophie conomique

    29

    dune protection. Cela sexplique par le fait que le design des produits sert

    pratiquement toujours des fins autres que laffichage de la source ou du moins

    natteint que rarement cette particularit dtre exclusivement dsignateur dune

    marque. En consquence, une firme de mode qui chercherait une protection sous

    le Trade Dress pour ses designs, est tenue de prouver que ses designs ont acquis

    un sens secondaire, c'est--dire que les gens identifie des attributs du design

    comme une signature de la marque . En effet les designs de mode ne rpondent

    que rarement ce standard. Il est vident que les consommateurs apprcie un

    vtement de par ces attributs (sa coupe, sa couleur, sa texture) sans les identifier

    comme dsignateurs dune quelconque marque. Nanmoins, quelques

    consommateurs de mode avertis peuvent associer la marque Chanel plusieurs

    dattributs : les couleurs contrastantes, la signature du col, les quatre poches de

    lemblmatique veste femme de chanel...etc. Mais bien videmment, peu de designs

    rpondent suffisamment ce standard pour bnficier de la protection du Trade

    Dress qui reste finalement un outil de protection tout aussi impertinent que le

    copyright dans le secteur de la mode.

    c. Brevet

    Le brevet peut galement (en thorie) protger un design darticle de mode. Le

    droit des brevets prvoit une disposition spciale pour le design darticles

    confectionns et leur offre une dure de quatorze ans de protection condition que

    ces designs soient nouveaux et originaux. Toutefois le brevet pour design choue

    lui aussi abriter les articles de mode et cela cause de son intransigeance

    concernant le caractre nouveau du design. Car contrairement au copyright qui

    admet les conceptions comportant un minimum de crativit et de nouveaut, le

    brevet pour design est disponible exclusivement pour les designs qui sont vraiment

    nouveaux et qui ne sont pas de simples drivs danciens designs. Parce que la

    majorit des designs de mode sont des remakes ou des produits drivs de designs

    existants, ils sont alors hors du champ de protection du droit de brevet.

    En plus, il existe un second obstacle lefficacit du brevet dans la protection des

    articles de modes. Cet obstacle est celui de la procdure de brevetage qui demande

    de grands moyens financiers, une longue dure dattente (18 mois en moyenne) et

    qui naboutit pas certainement la protection demand. Compte tenu de la courte

    dure de vie des designs de mode, le brevet pour design est un outil trop lent et

    trop incertain pour avoir une quelconque pertinence dans ce domaine.

  • Master II Philosophie conomique

    30

    Cette vision globale sur le cadre juridique concernant la protection des designs de

    mode, confirme clairement ce quon a avanc au dbut de cette section : Lindustrie

    de la mode est dans tat dquilibre avec une faible protection de la PI. Cette

    situation est bien sr favorable lexpansion de limitation qui est dailleurs devenue

    une sorte de tradition dans le secteur.

    2. Quelques exemples de piratage de designs

    Comme dit prcdemment, limitation est une pratique omniprsente dans la mode

    amricaine, mais ce quil faut prciser, cest quelle ne se limite pas de grands

    dtaillants (H&M, C&A) qui copient les designers dlite. Cest plutt une

    pratique commune entre les designers, les grandes maisons de couture et les

    dtaillants (la Figure C). Lexemple quon prsente ici (Figure C) est une copie faite

    par Allen B. Schwartz qui dclare dans sa biographie je suis vnr et applaudit

    pour lextraordinaire travail que je fais et qui est celui de ramener les tendances des

    dfils de mode dans les rayons de vente en un temps record

    Limitation se produit en gnral dans la mme saison ou anne pendant laquelle

    loriginal dun habit apparat, seulement le cas de la chaussure Gommino cre

    en 1978 par J.P Tod dmontre que limitation peut aussi se faire avec un dcalage

    dans le temps. La Gommino , que vous pouvez voir sur la Figure D, a trouv un

    grand public dans les annes quatre vingt. Puis par la suite dans les annes 2000, o

    plusieurs designers ont lanc leurs propres versions de la chaussure et ont

  • Master II Philosophie conomique

    31

    galement connu un grand succs (quelques exemples de la chaussure revisits sur

    la Figure E).

    Evidemment cet exemple nest gure la rgle parce quil est rare quun design de

    mode survive plus dune saison. Cest dailleurs ce caractre phmre des

    tendances de mode combin avec la rapidit croissante de la production et de la

    distribution des copies qui provoque la plus grande protestation des designers. Le

    copiage sest dautant plus acclr avec laide de la photo numrique, les

    plateformes de conception numrique et internet. Puis au niveau de la fabrication,

    avec la sous-traitance global, les technologies de fabrication plus souples et les tarifs

    du textile qui sont de plus en plus bas. Ces lments nouveaux dans le secteur de la

    mode rendent la tache trs facile pour les dtaillants. En effet, ds quun design est

    reconnu comme la tendance du moment, ou peut tre mme plus tt, sa copie est

    disponible dans les magasins. Le rsultat est celui que nous connaissons

    aujourdhui : lenvahissante pratique dappropriation des designs de la part de

  • Master II Philosophie conomique

    32

    firmes de modes de toutes tailles et sur tous les niveaux du march. Une situation

    qui peut tre vu positivement par certains comme elle peut tre considr nfaste

    pour lindustrie et la progression de linnovation dans le secteur.

    Du point de vue des industries culturelles en gnral, le problme du piratage est

    plac au centre de leurs proccupations. On peut percevoir ceci, en regardant le

    combat que mne lindustrie du disque contre les rseaux de Peer-to-Peer ou bien

    en faisant un tour sur les sites internet des associations comme la Recording

    Industry Association of America (RIAA) ou la Motion Picture Association of America

    (MPAA), qui affichent clairement leur dtermination pour stopper le piratage. Ce

    qui nest pas du tout le cas de lindustrie de la mode qui na pas rellement amorcer

    une initiative notable contre le piratage des designs. En effet comme on a vu

    auparavant, les diffrents projets de loi qui ambitionnaient lintroduction des

    designs de mode dans le spectre du droit dauteur, nont jamais connu de succs. Et

    mme en considrant que cette protection des designs puisse tre mise en place, on

    ne peut pas balayer les soixante dix ans pass sans protection depuis la chute de la

    Guilde.

    En considrant les opportunits qui se sont prsents pour modifier la loi et les

    amnagements qua connus le copyright en faveur dautres domaines, il est curieux

    de voir subsister cet quilibre de lindustrie de la mode et cette passivit que semble

    avoir les acteurs du secteur face la situation. Par ailleurs, quelques observations

    mises de lintrieur du monde de la mode peuvent expliquer cette attitude de

    lindustrie : limitation est largement accepte sur tous les niveaux du secteur de la

    mode. Par les dtaillants parce quelle leur est profitable et par les designers qui la

    considrent comme une flatterie, un dfi motivant ou qui ny accordent pas trop

    dattention. Il est vrai quil ya parfois des plaintes sur des cas dimitation de design

    et dans de rares occasions il est mme question de poursuites judiciaires (Ctait le

    cas dYves Saint Laurent qui en 1994 a poursuivi en justice Ralph Lauren pour une

    imitation point par point dun design de robe). Cependant, il est assez vident que

    limitation des designs reoit trs peu dattention de la part de lindustrie de la

    mode, chose qui peut tre considr comme une anomalie du point de vue de la

    thorie utilitariste. Cest justement cet quilibre stable de lindustrie de la mode

    considr anormal vu la protection fournit aux designs qui va tre tudier dans la

    partie suivante.

  • Master II Philosophie conomique

    33

    Partie 2 Le paradoxe du piratage dans la mode amricaine

    Chapitre 1 : Un quilibre avec un faible rgime de protection des DPI :

    Comment ?

    Comment est ce que lindustrie de la mode a gard cet tat dquilibre pendant si

    longtemps dans un espace juridique dfavorable la protection de leurs proprits

    intellectuelles ? Cest la question capitale laquelle ce mmoire essaye dapporter

    une rponse. Les autres industries cratives soutiennent que la menace du piratage

    est un obstacle au dveloppement de leur industrie et ragissent frocement contre

    le piratage de leurs produits. Que ce soit la musique, le film ou ldition, toutes ses

    industries ont obtenu lextension des lois dans le sens quelles voulaient et des

    protections lgales ont t tablis pour couvrir les biens quelles produisent.

    Dans ce cadre, on a vu la cration de nouvelles lois spciales comme la Digital

    Millennium Copyright Act et la Sonny Bono Copyright Term Extension Act .

    Puis au niveau international, des traits bilatraux ont t conclut pour une plus

    large couverture et cela principalement travers l'accord sur les aspects des droits

    de proprit intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC) qui a pour objectif

    d'intgrer les droits de proprit intellectuelle (droits d'auteur, marques de fabrique

    ou de commerce, brevets, etc.) dans le systme de lOMC. En comparaison comme

    il a dj t dvelopp, lindustrie de la mode na fait aucun effort significatif dans

    ce sens malgr quelle reconnat clairement la gnralisation du phnomne de

    limitation dans le secteur. Pendant 70 ans, les acteurs influant de lindustrie nont

    pas russit utiliser linstrument politique pour dbloquer la situation. Cette

    indiffrence ou au moins cette attitude de laissez-faire porte confusion.

    Lincomprhension est dautant plus grande quand on sait quil nya pas dobstacle

    notable lintroduction des produits de la mode dans le champ de protection, sujet

    quon va aborder en dtail dans la deuxime section de ce chapitre. Llucidation de

    cette affaire est de toute vidence bnfique la progression du dbat sur

    lefficacit du droit dauteur et du concept de proprit intellectuelle de manire

    globale.

    Dans ce qui suit, sera prsent deux thories fondamentales pour expliquer la

    continuit de lindustrie de la mode dans cet quilibre stable avec un faible systme

    de protection de la PI. La conclusion essentielle qui se dgage partir de ces deux

    thories est que le manque de protection pour les designs dans le secteur de la

  • Master II Philosophie conomique

    34

    mode nest pas particulirement nocif pour les principaux concerns, et quils ne

    sont donc pas incits le changer. En fait ce systme peut paradoxalement mieux

    servir les intrts de l'industrie quun systme de forte protection des designs de

    mode.

    Section I Le piratage au service de linnovation

    1. Lobsolescence induite

    Nos habits sont des biens qui au del de leur fonction premire (couvrir,

    rchauffer) sont un moyen daffichage social. La majorit des types de vtements

    sont qualifis de biens positionnels. Ce sont des biens dont la valeur est troitement

    lie la perception de cette valeur par les autres. Une dfinition fournit par The

    Economist est trs illustratif de ce concept : les biens comme un marteau ou une

    machine laver sont achets pour leur utilit intrinsque. Les biens positionnels

    sont achets pour ce quils disent propos de leur propritaire. Cest un moyen

    pour une personne dtablir et de signaler un certain statut par rapport aux

    personnes qui ne possdent pas ces biens : voitures de luxe, vacances dans les

    stations les plus en vogue, vtements de designers la mode 12. En consquence,

    lachat de biens positionnels est dpendant de ce que les autres achtent. Donc la

    dsirabilit dun bien positionnel augmente quand peu de gens le possdent puis

    baisse lorsque beaucoup de gens le possdent. Une voiture de luxe, par exemple, est

    plus dsirable quand seulement quelques gens lont achet mais quand tout le

    quartier en a une, sa valeur diminue et elle perd donc cette capacit diffrencier le

    propritaire de la foule. De la mme manire, lattrait dun vtement de mode

    dpend en grande partie de lexclusivit quil procure certaines personnes. Cette

    positionnalit se dfinit sur deux niveaux : la marque et la particularit du style

    vestimentaire. Des chaussures ou une robe de Prada ou dYves Saint Laurent ont

    une valeur prestigieuse parce que les gens en vogue la possdent et que les autres

    non. Ce prestige diminue mesure que ces styles se diffusent une plus large

    clientle.

    Cette observation nest pas nouvelle, Jean Cocteau a not cette notion

    dobsolescence de lattractivit quand il a dclar : l'art produit des

    choses laides qui deviennent souvent plus belle avec le temps. La Mode, d'autre

    12 http://www.economist.com/economics-a-to-z/p#node-21529537

  • Master II Philosophie conomique

    35

    part, produit de belles choses, qui deviennent toujours laides avec le temps 13.

    Georg Simmel a lui aussi not la mme chose : mesure quune mode se rpand,

    elle court peu peu a sa perte 14. Ce processus dobsolescence dattractivit se

    produit pour deux raisons :

    Premirement, la diffusion de copies bon march peut ternir limage de larticle

    origina