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PATRIMOINE INDUSTRIEL DE LA VALLÉE DE LA ROMANCHE ÉVOLUTION DES RELATIONS ENTRE UNE ARCHITECTURE ET SON MILIEU CHARMETTE Vianney Mémoire développé sous la di- recon de Benjamin CHAVARDES ENSAL - Master 1 - Mai 2013

MEMOIRE - "Patrimoine industriel de la vallée de la Romanche"

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Evolution des relations entre une architecture et son milieu. ENSAL_Master 1_2013

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PATRIMOINE INDUSTRIEL DE LA VALLÉE DE LA ROMANCHEÉVOLUTION DES RELATIONS ENTRE UNE ARCHITECTURE ET SON MILIEU

CHARMETTE VianneyMémoire développé sous la di-rection de Benjamin CHAVARDESENSAL - Master 1 - Mai 2013

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REMERCIEMENTS

A mon directeur d’étude, monsieur Benjamin Chavardés, pour son suivi bénéfique.

A messieurs Vincent Veschambres et Jean-Yves Quay, enseignants à l’ENSAL, pour leurs fructueux conseils.

A Laurence Clément, du musée de la Romanche, monsieur Thierry Poulain, architecte du patrimoine, et monsieur Jean-François Lyon-Caen, professeur à l’école d’architecture de Gre-noble, pour leur aide indispensable.

A mon père, pour avoir éveillé ma curiosité sur le sujet et m’avoir soutenu ensuite.

Fig. 0 de couverture : Centrale de Livet II, au début du XXe siècle.

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SOMMAIRE

INTRODUCTION 4

LE LIEU 7Approche théorique de la notion de lieu 8La vallée de la Romanche : quel lieu ? 11La vallée de la Romanche : quelle évolution du lieu ? 17Graphe de synthèse : évolution du lieu 26

L ’ ARCHITECTURE 27Identifier les architectures d’intérêt de la vallée 28Evolution architecturale dans la vallée de la Romanche 36Le patrimoine industriel de la vallée 42Graphe de synthèse : évolution de l’architecture 47

LE DIALOGUE 48Identification des liens entre le patrimoine industriel et la vallée 49Le dialogue, un processus temporel 58Graphe de synthèse final 69

CONCLUSION 70

BIBLIOGRAPHIE 72

TABLE DES ILLUSTRATIONS 74

ANNEXES 76

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INTRODUCTION

Tout de suite, la première impression : la vallée de la Romanche est un lieu fort. On a à faire à une vallée de montagne étroite, située à l’entrée des Alpes, à une vingtaine de kilomètres de Grenoble. Encaissée selon une orientation sud-ouest/nord-est entre deux massifs, Belledonne et Taillefer, elle est parcourue par les eaux-vives, tortueuses et bruyantes du torrent de la Romanche. La montagne est sublime. Austère, mais grandiose. Les cimes blanches et noires, écorchées derrière le brouillard, surplombent des pans d’éboulis particulièrement abrupts. De grandes forêts, aux couleurs chaleureuses à l’automne, se disputent le fond de vallée avec de rares parcelles de verdure, avant de venir lécher le dénivelé. La lumière du soleil se fait désirer. Au fond, au plus près de l’eau, se succèdent quelques petits villages tyiques de moyenne-mon-tagne. Gavet, puis Rioupéroux et enfin Livet, réunis dans la commune de Livet-et-Gavet.

Le plus souvent, on longe rapidement ces villages en voiture pour se diriger vers les stations de ski de l’Oisans (l’Alpe d’Huez, les Deux Alpes). Ce couloir de circulation, très fréquenté en saison, traverse des villages-rues endormis. Peu de voitures s’arrêtent. Le bistrot au bord de la route semble fermé. Pas d’habitants dans les rues, les volets sont clos. Les lieux publics sont désespérement vides. Plus loin, il y a ces bâtiments délabrés, d’anciennes usines qui ont subi le temps. Et puis il y a le silence de la montagne. On a l’impression qu’il absorbe tout. L’ambiance, associée au climat, est peu chaleureuse. Le paysage dur. Et parfois les fu-mées des usines restantes, font que la région est tout ce qu’il y a de plus répulsif pour celui qui n’en est pas natif. On ne fait souvent que passer.

Et pourtant, si on prête l’oeil, depuis la route on peut voir ci-et-là des constructions étonnantes. Leur style architectural peu banal attise la curiosité. Certaines sont implantées au bord de la Romanche, ce sont des centrales hydroélectriques. Toutes ne sont pas visibles depuis la route nationale. Ces bâtiments sont accompagnés de divers éléments de métal et de béton qui émergent de part et d’autre dans les lieux. Des conduites forcées, canaux, digues, lignes électriques, pylônes, et même les traces d’un ancien chemin de fer. Les nombreuses usines abandonnées témoignent à leur tour de l’ancien empire industriel qui s’est développé au début du XXe siècle grâce à l’exploitation des eaux vives de la Romanche.

L’avenir de tous ces éléments industriels est aujourd’hui remis en question par un gros projet d’EDF. Une nouvelle centrale hydroélectrique, unique, souterraine, est en cours de réa-lisation et est censée venir remplacer les anciennes installations, obsolètes. Mais ces dernières ne devraient-elles pas être protégées ? Ces industries étant nées dans un dialogue avec le pay-sage, on peut aussi supposer que leur architecture a joué un rôle essentiel dans l’évolution de celui-ci, qu’il soit naturel ou social. Les exemples de la chocolaterie Menier ou des immeubles canuts lyonnais montrent que le patrimoine architectural, en jouant un rôle essentiel dans la constitution du paysage, peut-être de grande valeur. C’est dans cette optique-là que l’on se propose d’étudier le cas de la vallée de la Romanche.

On se demande à partir de là si la qualité de ce patrimoine ne pourrait pas aller au-delà de la simple question sur la forme architecturale ? Vient la problématique suivante : le pay-sage de la vallée de la Romanche et l’architecture des centrales hydroélectrique, depuis leur création (fin XIXe) jusqu’à nos jours, ont-ils développé des interactions de valeur ? Il s’agit en fait de distinguer deux figures, le lieu (paysage naturel, urbain et social de la vallée) et l’ar-chitecture (centrales hydroélectriques, leurs infrastructures, usines et autres bâtiments remar-

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Fig. 1 : Un paysage fort ; lignes aériennes en dessous des Clavaux.

Fig. 2 : Depuis la route, sommet de la centrale hydroélectrique des Vernes et façade de celle de Livet.

Fig. 3 : Paysage industriel à la chocolaterie Menier de Noisiel.

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quables), puis de comprendre le dialogue que les deux ont pu entretenir jusqu’à aujourd’hui. De cette question principale en découle d’autres.

L’intérêt d’étudier le cas de cette vallée de montagne est que, dans ce territoire plutôt rural et au caractère aussi fort, une architecture industrielle prend une dimension autrement plus importante. Que resterait-il de l’image de la vallée si on enlevait ces architectures ? La relation entretenue entre des constructions et leur site peut prendre plusieurs formes, instaurer divers rapports de forces. Qu’est-ce qui fait que l’architecture industrielle participe au paysage ? Est-ce de façon positive ou non ? Beaucoup de gens ont par exemple les pylônes électriques en horreur...

Mais tout l’intérêt de ce questionnement repose sur l’hypothèse que leurs histoires respectives aient pu se faire ensemble. De cette façon, le but est de voir quelles ont pu être les dynamiques mutuelles au cours du siècle passé. On propose d’abord de se pencher sur l’histoire du lieu (qu’est-ce qui a caractérisé le lieu durant ces différentes périodes, en termes de perception sensible, de géographie, d’urbanisme et de repères sociaux ?), puis sur celle de l’architecture industrielle (quels changement a-t-elle subi jusqu’à aujourd’hui ? Le rap-port avec son environnement a-t-il évolué avec elle ?) De cette manière on pourra étudier l’évolution des rapports de force entre chacun (est-ce que l’architecture a eu le moindre impact physique irréversible sur le paysage naturel ? Est-ce que la conscience paysagère des constructeurs est restée la même jusqu’à aujourd’hui ?) Constances, variations, irrémédiables changements sont au coeur de ces interrogations.

Le sujet pose finalement la question de tout ce que représente cette architecture indus-trielle pour le territoire et de sa capacité à faire patrimoine. Est-ce que son lien avec le paysage porte la même valeur que l’intérêt historique, technique et architectural ? Et par rapport à la population locale, quel rôle jouent ces édifices dans la mémoire collective et l’attachement identitaire ? La finalité de ce mémoire est d’interroger l’avenir de cet ensemble architectural pour la vallée, en abordant la question du patrimoine industriel sous l’angle de son rapport au paysage.

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CHAPITRE 1

LE LIEU

Le lieu est une notion vague, mais qui nous semble évidente. Le terme est employé à tout va, sans se rendre compte de tout ce qu’il implique en termes d’espaces, de sensations, et d’ap-propriation. Le lieu est tout : il est site, architecture, paysage, environnement, milieu, cadre de vie, atmosphère, territoire et vallée à la fois. Mais il est surtout espace de relations. En quoi la vallée de la Romanche forme lieu ?

Fig. 4 : Vue sur Rioupéroux et la vallée de la Romanche depuis le hameau des Clos.

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Approche théorique de la notion de lieu

Le genius loci

Les architectes cherchent depuis toujours à définir ce qu’est l’espace. Les significations pro-posées sont innombrables, et toutes sûrement plus ou moins justes. Mais il y’en a une que l’on retiendra pour cette étude, et qui fait apparaître l’idée abstraite d’esprit du lieu.

L’espace concret, celui que l’on parcourt tous les jours, serait selon Kevin Lynch par-faitement structuré, selon un schéma assez clair : un noeud (point de référence) + des parcours orientés (réseau autour du nœud) + une limite (enceinte) + un district (une zone d’action définie par la limite)1. Une organisation assez ouverte, qui laisse place à de nombreuses confi-gurations. Sur les bases de cette qualification rationnelle, certains ont développé une réflexion imaginant, comme le dit Heidegger, que «les espaces reçoivent leur être des lieux et non de l’espace»2. Christian Norberg-Schulz, dans son livre Genius Loci, explique à son tour que l’espace est composé de la structure vue ci-dessus ainsi que d’un caractère : «le caractère lui, dénote l’atmosphère générale qui représente la propriété la plus compréhensive de n’importe quel lieu»3. C’est ce caractère d’ambiance qui signifie le lieu. C’est le ressenti premier, l’intui-tion lorsque l’on se trouve quelque part, l’expérience du lieu. «Un lieu est un espace doté d’un caractère qui le distingue» continue-t-il. C’est le genius loci.

Prenant en compte le temps comme variable, Norberg-Schulz estime aussi que le lieu est un espace paradoxal, qui évolue forcément, tout en étant obligé d’assurer une certaine sta-bilité du genius loci. Cette condition est nécessaire pour que l’homme puisse toujours retrou-ver le genius loci et ainsi investir un lieu : c’est la stabilitas loci. Pour autant, aucune structure spatiale n’a de condition fixe et éternelle. En règle générale, les lieux changent, et parfois même rapidement. On se demande alors comment cette stabilité peut être compatible avec la dynamique de la transformation ? L’auteur apporte une réponse simple : «thème avec varia-tions». En d’autres mots, «mettre au jour l’identité du lieu et l’interpréter de façon nouvelle.» Et Alfred North Whitehead de compléter : «l’art du progrès, c’est la préservation de l’ordre dans le changement, et du changement dans l’ordre.»4 On comprend donc par là qu’il est pos-sible de conserver l’identité d’un lieu tout en assumant sa capacité à changer, en l’ajustant à nos besoins, en gardant éveillée une conscience du lieu.

Relations de l’homme au lieu

Il est évident que le genius loci implique une relation de l’homme à l’espace. Et cette relation offre la possibilité de s’attacher au lieu.

Cela peut passer par une «prise existentielle». Ce terme cher à Norberg-Schulz désigne l’acte d’habiter, un besoin fondamental de l’homme. C’est le but de l’architecture, concrétiser l’espace existentiel en orientant l’homme dans son milieu et en lui permettant de s’y identi-fier. «L’homme reçoit le milieu et le focalise sur les édifices et les choses» écrit l’auteur. En construisant, l’homme se crée donc un «paysage culturel» à partir du paysage originel qu’il investit. L’importance de la perception sensible qui y est liée est telle, selon Kevin Lynch, que

1 Kevin Lynch cité dans Genius Loci, Christian Norberg-Schulz, 19972 Martin Heidegger, Essais et conférences, 19583 Christian Norberg-Schulz, Genius Loci, 19974 Alfred North Whitehead cité dans Genius Loci, Christian Norberg-Schulz, 1997

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l’image d’une ville européenne, par exemple, se construit plus sur des significations associées à des formes que sur les formes elles-mêmes.

Construire implique donc un rapport au lieu originel, qui passe par la découverte de potentiels et de caractères. On dit alors que l’on pactise avec le genius loci, que l’on devient ami d’un milieu donné. «Les peuples nordiques doivent être amis du brouillard, de la glace et des vents froids ; ils doivent ressentir la signification poétique qui existe dans le fait d’être submergé par le brouillard. [...] Ce qui ne veut pas dire que leurs implantations ne doivent pas les protéger des forces naturelles»5, écrit Norberg-Schulz.

La prise existentielle recouvre en fait un phénomène bien simple, qui n’est autre que l’attachement identitaire. L’auteur géographe Michel Deshaies dit à ce propos que «le paysage est chargé de symboles et considéré comme le révélateur de l’identité culturelle d’un peuple»6. Que ce soit par la compréhension du genius loci ou par un investissement du lieu à travers des implantations construites, l’homme se trouve des repères perceptifs qui lui permettent de se structurer une mémoire du lieu. Par antonymie, l’anthropologue Marc-Augé a défini le terme de non-lieu (un parent du junkspace de Koolhaas) comme étant les endroits où aucune appro-priation de l’espace n’est possible pour l’homme : «si un lieu peut se définir comme identitaire, relationnel et historique, un espace qui ne peut se définir ni comme identitaire, ni comme relationnel, ni comme historique définira un non-lieu.»7 On peut donc insister sur le fait que l’élévation de symboles facilite l’attachement identitaire, la forme la plus explicite étant bien sûr le monument.

Paysage, territoire, environnement, cadre, lieu,... quelle différence ?

Si l’on sait maintenant ce qui est constitutif d’un lieu, on va essayer d’en distinguer des ty-pologies essentielles pour notre étude, selon les échelles, les rapports que l’homme entretient avec, ou bien les contenus exacts.

Tout d’abord, le paysage. C’est un terme apparu pour la première fois à la Renais-

5 Christian Norberg-Schulz, Genius Loci, 19976 Michel Deshaies cité dans Vallée de la Romanche : pays, paysage et flux, TPFE de Guillaume Simonin,7 Marc Augé, Non-Lieux, introduction à une anthropologie de la surmodernité, 1992

Fig. 5 : Un supermarché, «non-lieu» absolu.

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sance en tant que genre pictural. A l’origine, il était déjà très lié à une perception sensible du lieu. La montagne, telle qu’elle est vue à l’époque du peintre Caspar David Friedrich, est considérée comme le paysage romantique par excellence. Le terme paysage désigne dans son sens premier un lieu naturel, caractérisé par l’interaction entre un relief, de la végétation et de l’eau. Mais il peut également identifier un lieu artificiel. Comme tout autre lieu, le paysage a un centre, une orientation et une étendue. Il est fait d’une imbrication de sous-lieux, comme l’entend Norberg-Schulz en le qualifiant de «phénomène de lieu complexe en comprenant d’autres». Notons que la paysage est un concept très (trop ?) subjectif. En effet, un paysage est avant tout affaire de sensations personnelles. De ce fait, on est facilement amené à penser qu’il ne peut se définir qu’à travers le regard qu’on lui porte. Augustin Berque nuance ce constat en disant que le paysage «ne réside ni seulement dans l’objet ni seulement dans le sujet, mais dans l’interaction complexe de ces deux termes»8. De plus, le paysage a fait naître depuis seulement quelques siècles une certaine conscience paysagère, c’est-à-dire que l’on a appris à assimiler les potentiels et caractères de ce paysage, et à les prendre en compte lors d’interven-tions. Le paysage est ainsi parvenu à un équilibre entre la société et son environnement.

Le paysage peut désigner d’autres réalités. On parle aussi de paysage urbain ou de paysage social. Le premier est un lieu artificiel caractérisé par l’interaction entre un ensemble étendu de pleins et de vides construits, l’horizon, et la géographie. Le second introduit la notion de cadre de vie, définie par l’habitabilité d’un lieu artificiel. Constitué d’une situation d’implantation, d’une configuration spatiale et d’articulation entre les éléments de l’espace, le cadre de vie est fondé sur la construction d’un paysage culturel et sur la prise existentielle.

Une fois cette prise existentielle exécutée et le genius loci explicité, on peut alors parler de territoire. Ce terme de géographe fait lui aussi l’objet de nombreuses interpréta-tions. On considérera ici le territoire comme un lieu clairement délimité, une zone finie et identifiable, qu’un groupe d’individus s’est approprié. C’est une propriété collective à grande échelle, marquée de repères. Le territoire est ainsi une affaire de frontières, dans le bon sens du terme, comme le soulevait Heidegger : «la limite n’est pas ce où quelque chose cesse, mais bien, comme les Grecs l’avaient observé, ce à partir de quoi quelque chose commence à être.»9 En vérité, les territoires n’ont pas de limites dans le sens où ils ont la possibilité de toujours

8 Augustin Berque cité dans Paysages et territoires de l’industrie en Europe, Simon Edelblutte, 20109 Martin Heidegger, Essais et conférences, 1958

Fig. 6 : Le paysage comme genre pictural : «Le voyageur contemplant une mer de nuages», de Caspar Da-vid Friedrich, 1820.

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plus s’étendre, ce qui n’est d’ailleurs pas sans poser problèmes. Dans le cas de la vallée de la Romanche, le territoire est clairement délimitée par la géographie même du lieu.

Pour finir sur quelque chose de plus pragmatique, il y a l’environnement. On le dé-finit comme un paysage culturel de courte portée. C’est le paysage immédiat, celui qui nous entoure au plus près et qui nous influence le plus directement. Cadre de vie ou site naturel, l’environnement est quelque chose de déterminé par son rapport à l’homme et son potentiel d’appropriation. Dans le cas d’une vallée comme celle de la Romanche, à la géographie très afirmée, tout le lieu est tellement renfermé qu’il est presque entièrement environnement, de l’amont à l’aval. Finie et clairement délimité, la vallée devient alors un milieu. Cette poly-valence dans la définition de la vallée comme lieu multiple est ambigue, et nécessite d’être clarifiée.

La vallée de la Romanche : quel lieu ?

Fig. 7 : La carte ci-dessus est nécessaire pour comprendre l’organisation de la vallée.

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Un lieu défini à plusieurs échelles

Le paysage, on l’a vu, relève d’une imbrication d’échelles, qui pour la cohérence de l’étude sont à définir de façon claire. Car on rappelle que le sujet porte sur les relations entre une archi-tecture, parfois de l’ordre de la simple maison, et un lieu qui s’étend sur 15 km, voire au-delà.

On distingue donc dans un premier temps l’échelle architecturale. Elle se concentre sur le bâtiment, qui varie de la maison à l’usine, et son site d’implantation, y compris les équi-pements hydroélectriques proches (conduites forcées, pylônes, canaux d’amenée,...)

Il y a ensuite l’échelle locale. Cette vision élargie du site intègre l’environnement, na-turel comme urbain, lié au(x) bâtiment(s) considéré(s). A titre d’exemple, la centrale de Livet II est suffisamment proche du village pour que l’on prenne l’urbanisme de celui-ci en compte.

Puis il y a l’échelle de la vallée, ou en tout cas de la portion étudiée, de 15 km de long, qui se nomme le val de Livet-et-Gavet. C’est certainement l’échelle la plus importante. Bien

Livet

Livet

Rioupéroux

Fig. 8 : La centrale des Vernes : échelle architecturale, locale, et de la vallée.

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qu’on en n’ait jamais une vision d’ensemble, à cause de la géographie étriquée, c’est à cette échelle que l’on considère le paysage naturel influent. C’est également à cette échelle que s’étendait l’empire industriel hydroélectrique de la Romanche : on pouvait de fait parler d’une petite vallée industrielle.

Pour terminer, abordons l’échelle régionale, celle de l’Oisans. Etendue aux alentours de la vallée, c’est une zone qui intègre Vizille et Grenoble en aval, ainsi que les massifs monta-gneux de Belledonne, Taillefer et des Ecrins (source de la Romanche et lieu de construction de quelques barrages). Car l’hydroélectricité du val de Livet a aussi eu des conséquences à cette échelle.

Une géographie particulièrement marquée

La Romanche prend sa source dans le massif du Pelvoux, et se termine dans le Drac, un des af-fluents de l’Isère. Ce sont 80 km de paysages variés de montagne qui se succèdent, dont le val de Livet ne représente qu’une petite partie de 15 km. Ce segment, enclavé et isolé, encaissé et étroit (500m de largeur moyenne seulement), serpente entre des versants abrupts et de grands pics écorchés qui surplombent la vallée, culminant parfois à 2526 m (Le Grand Sorbier). La vallée manque par conséquent d’ensoleillement, l’ubac étant presque toujours à l’ombre. Elle est également considéré comme une vallée de basse montagne. Rioupéroux, à peu près au centre, se trouve à 600 m d’altitude.

En amont, au-dessus de Livet, se trouve la plaine de Bourg-d’Oisans, qui est le centre économique, commercial et touristique de la région. En aval, il y a la plaine de Vizille, indus-trialisée elle aussi (beaucoup de papeteries), qui représente la dernière ville d’envergure avant d’entrer dans le coeur des Alpes.

Entre les deux, ce ne sont pas moins de 250 m de dénivelé, soit 26m/km. Le torrent de la Romanche est donc très vif. De nombreuses chutes d’eau le rejoignent tout au long de la descente. Ses eaux impétueuses, qui sinuent entre les éboulis, étaient sujettes à des crues fréquentes. Son régime est dit «glaciaire», c’est-à-dire qu’il est dicté par la fonte des neiges (débit fort en été / faible en hiver). Sa présence est très importante puisque, comme tout cours d’eau de vallée, il l’oriente et la structure, sur la longueur comme sur la largeur. Il est ainsi primordial de bien distinguer le fond de la vallée, qui concentre autour de la rivière le bâti et la végétation, et les immenses flancs pentus et rocailleux, bien plus imposants dans le paysage.

Si, de par sa faible altitude et donc son manque d’enneigement, Livet-et-Gavet n’était pas destiné aux sports d’hiver à succès, les deux conditions réunies de l’eau et de la pente étaient cependant idéales pour y développer l’hydroélectricité.

Un lieu qui laisse une forte impression

Même si très crainte, la montagne a toujours nourri un imaginaire romantique, faits de lieux retirés et empreints de mystère, mêlant l’austère et le très beau. L’envergure d’un paysage de montagne est surtout à l’origine du mot «sublime», qui qualifie ce qui nous dépasse en tant qu’hommes, et qui a longtemps inspiré littéraires, philosophes, peintres.

La silhouette décharnée des sommets, la roche granitique omniprésente, la faible lu-mière, le peu d’espaces constructibles, les forêts agrippées à la montagne, le climat rude,

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l’étroitesse entre les deux versants et le manque de points de fuite rendent le paysage assez oppressant. Cette hostilité, appuyée par une quasi monochromie et un sentiment d’enferme-ment entre le sommet des crêtes et les plaines en amont/aval, ne font pas de cette vallée un paysage conventionnellement admis comme attrayant. Mais ce serait oublier la beauté des rares jeux de lumière, les changements dus aux saisons qui nuancent l’impression instantanée d’un paysage immuable, le brouillard mystérieux qui descend sur les versants, les névés blancs qui sillonnent les creux de la sombre montagne. Un environnement grandiose, du romantisme à l’état sauvage.

L’élément essentiel de cette vallée est, bien évidemment, le torrent. Il est partout. Si vous ne le voyez pas vous l’entendez. Il ondule, saute et serpente entre les gros rochers de granit, avec une dynamique et une puissance à faire pâlir les immenses pics déchirés et les pentes interminables d’éboulis. Là où le torrent s’écoule dynamiquement selon une direction horizontale, les cimes instaurent plutôt une verticalité solennelle entre terre et ciel. Georges Sand écrivait : «de limpides ruisseaux coulent silencieusement sur la mousse ; puis tout à coup le torrent furieux qu’ils rencontrent les emporte avec lui et les précipite avec fracas dans de mystérieuses abîmes.» Fait intéressant, le nom de village «Rioupéroux» a deux étymologies possibles : le «ruisseau dans les pierres», ou le «ruisseau de la peur». C’est tout dire.

La présence humaine et le lieu artificiel

Cette vallée est occupée depuis bien longtemps. Essentiellement rurale à l’origine, elle a réussi à devenir en moins d’un siècle l’une des régions industrielles françaises les plus à la pointe. Comment cette présence humaine se manifeste-t-elle dans le paysage ?

On retrouve encore aujourd’hui quelques traces d’anciennes cultures, sur quelques terrains généralement plats, désormais occupés par des jardins ouvriers et familiaux. Au-jourd’hui, Livet-et-Gavet est une commune urbanisée. Mais, contrainte par la géographie, l’urbanisation s’est faite de façon morcelée le long de la Romanche. Si bien que l’on peine à parler véritablement de ville entre Vizille et Bourg-d’Oisans. Avec 1300 habitants seulement aujourd’hui (alors que l’on avait atteint un pic de 3000 dans les années 50), la commune n’en a de toute façon pas l’ambition. Parlons plutôt d’une succession de villages, plus ou moins

Fig. 9 : Aperçu du paysage de la Romanche.

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importants - Rioupéroux est le chef-lieu - séparés par des hameaux de taille réduite (comme les Clavaux) ou des constructions isolées (centrale des Roberts), qui alternent entre les deux rives selon la disponibilité des terrains.

L’axe de circulation principal est la départementale D1091, anciennement N91. Elle suit bien sûr l’orientation de la vallée, sur la rive gauche du torrent. Très fréquentée en pleine saison touristique, ça reste un axe structurant pour toute la région, quel que soit le mois. C’est autour de cet axe de fond de la vallée, qui était une route commerciale importante vers l’Italie puis une voie ferrée, que s’est développée la région.

A Livet, c’est l’industrie qui est au plus près de la route. Le coeur du village s’est étendu en périphérie. Rioupéroux, longtemps inhabité, s’est construit sous la forme d’un «vil-lage-rue», avec le centre administratif et commercial le long de la D1091. Quelques quartiers se sont faits un peu plus à l’écart, sous la forme de cités ouvrières. Enfin, Gavet étant le village le plus ancien, le nouvel urbanisme du début XXe a tout simplement prolongé l’ancien noyau rural le long de la route qui le traversait. Depuis peu, une déviation contourne le village et lui permet de respirer, mais lui enlève du coup la possibilité d’exploiter la route pour se dévelop-per. Aucun tissu urbain ne semble avoir fait l’objet d’un véritable aménagement réflechi.

Diverses typologies de fonctions bâties ont pris place dans la vallée. On a ainsi les usines, soit à l’intérieur des villages (Livet) soit à l’extérieur (Gavet et Rioupéroux). Elles arborent des formes très variées, parfois typiques (toitures en sheds, longs hangars, usines tubulaires) parfois beaucoup moins (usines à étages, constructions atypiques). La plupart ont disparu, celle de Gavet fonctionne encore, les autres tombent en ruines.

On peut également parler des logements. Grossièrement, ce sont 50% d’habitations vernaculaires anciennes et 50% de logements plus récents et modernes. Parmi ces derniers, il y a une sorte de foisonnement typologique qui n’aspire pas à une cohérence d’ensemble. On trouve pêle-mêle des villas des années 20, composant les cités-jardins ; des logements ouvriers (immeubles, villas ou maisons mitoyennes) dans les cités correspondantes ou au sein même des villages; des immeubles de 3 à 4 étages alignés le long de la départementale ; des immeubles plus atypiques en périphérie des villages (introduction de coursives, d’ornements, ...) ; sans oublier une série de logements collectifs d’après-guerre. Enfin, on peut rapidement évoquer le pavillon Keller, une immense bâtisse très soignée dans son dessin qui abritait le logement du grand patron de la vallée. Se détachant sans complexe dans le paysage urbain, elle joue un rôle prépondérant à la fois de repère et de poste d’observation.

Fig. 10 : La D1091 (Route de l’Oisans) qui traverse Rioupéroux.

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Venons-en à ce qui constitue le coeur de notre sujet, les centrales hydroélectriques, implantées pour la quasi-totalité au bord du torrent. Cette situation les rend très proches du paysage naturel. Même si elles répondent toutes du même programme, ces constructions ponctuelles ont fait l’objet de recherches architecturales à chaque fois particulières, que l’on développera plus tard. Surtout, elles constituent pour la plupart des symboles rappelant le passé industriel glorieux de la vallée. Leur répartition, évoque le fait que cette situation passée s’étendait sur toute la vallée. Quelques centrales sortent du lot en termes de soin architectural.

A ces centrales sont liés divers éléments industriels qui, sans avoir fait l’objet d’un dessin architectural, restent les constructions ayant le plus d’impact sur le paysage. En effet, ils émergent un peu partout dans la vallée, notamment à des endroits où il n’y a rien d’autre. On voit donc courir en fond de vallée et sur les versants des canaux de dérivation, des conduites forcées, des pylônes électriques, des vestiges de chemin de fer. Ce sont eux qui font véritable-ment le lien entre les différents lieux qui se succèdent sur 15 km. A ces éléments destinés au fonctionnement des centrales et des usines, il est possible de rajouter les ponts et tracés viaires, très intéressants aussi. On peut également citer les barrages, qui ne sont pas dans la vallée, mais suffisamment proches pour avoir eu des conséquences sur les lieux.

Il existe autrement de nombreux équipements et services, liés au développement in-dustriel : dispensaires, écoles, mairies,... Pour limiter le corpus d’étude aux éléments les plus remarquables, nous n’aborderons pas ces édifices.

Centrales, usines, annexes, infrastructures et réseaux de fonctionnement forment un ensemble industriel marqué par le temps et marqueur du paysage, auquel Simon Edelblutte, géographe, attribue le nom de «géosystème industriel»10. C’est un système spatial primaire qui se voit souvent complété de sous-systèmes secondaires, formant ainsi des agglomérations d’édifices industriels répétitifs, jusqu’à devenir des villes-usines. Celui de Livet-et-Gavet est coincé en fond de vallée. Pas très peuplé, il accueille peu d’activités diversifiées (puisque c’est l’industrie qui fait l’essentiel de l’économie de la région) et se trouve donc incapable de polari-

10 Simon Edelblutte, Paysages et territoires de l’industrie en Europe, 2010

Fig. 11 : Conduite forcée de Rioupéroux et canal de dérivation des Clavaux.

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ser les régions voisines. On essayera de démontrer que ces caractéristiques sont justement dues au rapport entre l’architecture et le lieu. On verra en outre que ces géosystèmes sont soumis à des dynamiques de développement et de régression assez fortes.

Chacun de ces éléments participe à former un ensemble plus ou moins cohérent, dont le genius loci semble faire encore sens au XXIe siècle. Il témoigne de la formidable épopée industrielle qui s’est déroulée au sein de ce paysage grandiose, et de l’identité qui s’est forgée dans ce lieu.

La vallée de la Romanche : quelle évolution du lieu ?

Nous allons mettre en évidences les différentes transformations (morphologiques et percep-tives) dans le but de comprendre l’évolution des usages et du regard porté sur la montagne. Pour cela, un découpage chronologique de la période étudiée (fin XIXe - aujourd’hui) a été nécessaire, qui sera le même pour le reste du mémoire. Chaque paragraphe suivant abordera ainsi une phase clé de l’histoire de la vallée.

Phase 1 (... - fin XIXe) - Avant les centrales

Avant de devenir un fleuron de l’hydroélectricité, le val de Livet n’était qu’une autre vallée de basse montagne rurale et pauvre. Elle abritait pourtant déjà les prémices d’un futur paysage industriel.

La route, datant de l’Antiquité Romaine, était l’une des deux seules, avec celle de la Maurienne, permettant de rejoindre l’Italie par les Alpes. Devenue carrossable durant la seconde moitié du XIXe siècle, elle fut proclamée route impériale, puis utilisée pour le com-merce. Elle ne traversait alors qu’une succession de hameaux agricoles. Les cultures, essen-tiellement de céréales et de pommes de terre, se faisaient sur des parcelles plates, plus rare-ment en pente. Il y avait aussi de l’élevage, capable de s’adapter au relief difficile. Mais la topographie, la nature des sols, et les dégâts causés par l’eau ont toujours rendus l’agriculture dans la vallée de la Romanche très pénible, même si nécessaire pour subvenir aux besoins de la population locale.

Le torrent, responsable de crues catastrophiques, fut finalement endigué vers 1830, à la demande des agriculteurs justement. Ce ne sont donc pas des terrassements ou des creu-sements dans la roche qui ont fait l’objet des premiers aménagements de l’environnement naturel, mais bien le cours d’eau. D’où son importance dans l’appropriation du territoire par les montagnards. Le reste du paysage restait globalement intouché.

L’industrie était déjà présente dans la vallée. En plus de quelques moulins qui se suc-cédaient le long de la Romanche, il y avait un haut-fourneau, présent depuis le XVIIe siècle, qui exploitait le bois des forêts, le minerai de fer abondant dans la région, ainsi que la force du torrent. Ces proto-industries, courantes à l’époque dans les Alpes, concentraient au même endroit lieu de production d’énergie et de fabrication. Puis le haut-fourneau laissa place à une papeterie, à Rioupéroux, vers 1870. La première conduite forcée de la région, qui existe encore actuellement, fut installée pour l’occasion. L’énergie hydraulique était encore mécanique et ne passait pas par la production d’électricité.

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Phase 2 (fin XIXeme - 1905) - Période pionnière

L’énergie hydroélectrique se développait doucement depuis les années 1880. On l’appelait la «houille blanche», en opposition à la «houille noire» produite à l’aide du charbon. Le terme lui-même désigne le paysage, les glaciers blancs et purs qui dominent la région, l’eau vive des cascades et des torrents, synonyme de progrès pour les hommes des montagnes. Ce sont les mêmes roches, torrent et relief, qui tyrannisaient les habitants de la vallée jusqu’alors. Les moulins individuels se multiplièrent. Ils furent les premiers à se convertir à l’hydroélectricité. Mais la modernisation des Alpes avait un prix.

Attirant de plus en plus de monde, la papeterie vit naître autour d’elle le village de Rioupéroux, à l’endroit même où rien d’autre n’existait. Destinée à désenclaver la vallée, une voie de chemin de fer fut créée par les industriels de la région et la société des Voies Ferrées du Dauphiné (VFD) en 1896. Elle reliait Jarrie (proche de Vizille) à Bourg-d’Oisans. Les répercussions de cette voie qui vint doubler la route auront été considérables sur le paysage, et pourtant il n’en reste que peu de traces aujourd’hui. Cette voie ferrée a marqué un axe fort structurant toute la vallée, le long duquel le village de Rioupéroux, par exemple, vint s’urba-niser.

C’est en 1897 que la première centrale hydroélectrique de la Romanche vit le jour, à Livet. L’installation, modeste, fut la première d’une longue série. Mais le transport de l’éner-gie était encore mal développé. Les usines durent venir s’implanter à proximité du site. On retiendra donc que la contrainte de l’implantation de la centrale est à l’origine de tout le déve-loppement bâti observé.

Quant à la population ouvrière, elle était alors essentiellement constituée de locaux. Seuls quelques français venus de l’extérieur de la vallée furent nécessaires pour compléter la main d’œuvre sur les nombreux chantiers. En 1901, la population était de 1761 habitants (plus qu’aujourd’hui !). Rien que la papeterie employait près de 400 personnes. Le problème c’est que les ouvriers étaient saisonniers, et retournaient travailler aux champs l’été, au plus fort de l’activité industrielle. Il n’y avait pas d’attachement de la population dans la vallée.

Fig. 12 : La route de l’Oisans et Rioupéroux au début du XXe siècle.

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En 1905 furent également édifiées les centrales des Clavaux et de Pont-de-Gavet (cette dernière n’existe plus).

Phase 3 (1905 - 1918) - Période pittoresque

C’est durant cette période faste que le val de Livet devint un empire industriel. En effet, le destin de la vallée fut définitivement changé avec l’arrivée de Charles Albert Keller au village de Livet. Cet industriel et entrepreneur de génie développa l’hydroélectricité à Livet et avec, l’urbanisme de toute la vallée. En 1905, Keller fit construire la seconde centrale de Livet, accolée à la première. Le bâtiment arbore une façade en structure métallique et complétement vitrée, sonnant l’idéologie du progrès, l’exaltation de la puissance technique, d’un nouveau symbolisme industriel faisant référence à la nature et à l’eau. Loin des schémas modestes des constructions pionnières, la centrale de Livet II est la première d’une série qualifiée de «pit-toresque». Le but pour l’ingénieux Keller est en partie de favoriser la «prise existentielle» de l’homme dans la vallée.

Ces premières centrales impliquèrent un aménagement conséquent du torrent de la Romanche. Mais le barrage de Rioupéroux, qui retenait les eaux pour la centrale des Clavaux, n’était encore fait que de bric et de broc. Des rochers, de la terre et du bois étaient enlevés et replacés à la main en guise de vannes. On vit apparaître à côté les premiers pylônes électriques en bois, ainsi que les conduites forcées en fer. Ces éléments, qui constituaient le géosystème industriel naissant de la vallée, engendrèrent les premières métamorphoses du paysage. L’in-dustrie et le progrès technique s’imposaient au lieu naturel. En retour, la géographie complexe du lieu continuait d’obliger à un éclatement des différents organes de ces installations.

De plus, dès 1905 le transport du courant s’améliora. On résonnait de plus en plus à l’échelle de la vallée, voir au-delà. Les centrales n’avaient plus seulement pour ambition d’alimenter les usines locales et pouvaient fournir la moitié de l’électricité de Grenoble. Les réseaux de toutes sortes (transport d’énergie comme voies de communication) dépassèrent la vallée.

Arriva la Première Guerre Mondiale. Les usines du Nord et de l’Est de la France étaient occupées. L’Etat en appela donc à la «houille blanche» pour la fabrication de milliers de tonnes d’obus en fonte synthétique. La guerre favorisa donc largement le développement de l’industrie dans la vallée. Fort de cette hausse d’activité, Keller fit édifier, entre 1916 et 1918, une autre centrale en aval de Livet pour pourvoir aux besoins énergétiques croissants. C’est la centrale des Vernes, avec son architecture remarquable, son jardin touristique et sa fontaine monumentale qui, plus que toutes les autres, devint un emblème de l’affirmation du pouvoir hydroélectrique dans le paysage de la Romanche et de l’émancipation de la population vis-à-vis de la montagne.

D’autres centrales suivirent : la centrale des Roberts en 1915 et Rioupéroux en 1917. Des usines les rejoignirent également et formèrent de façon spontanée des agglomérations autour des villages existant, qui passèrent au statut de villes-usines embryonnaires, reliées entre elles par un axe de communication fort dans le paysage. Quatre grandes sociétés s’im-plantèrent à Livet-et-Gavet : SKL à Livet, SEAEU aux Clavaux, CUAE à Gavet, et UAP11 à

11 Sigles pour Société Keller et Leleux; Société d’Electrochimie/électrométallurgie des Aciéries Elec-triques d’Ugine; Compagnie Universelle d’Acétylène et d’Electrométallurgie et Usine d’Aluminium de Péchiney.

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Rioupéroux, qui remplaça en 1912 la papeterie. Durant cette période pittoresque, le géosys-tème s’étoffa, entraînant un accroissement général de la population et la création de nouveaux services (cinéma, commerces, écoles, gymnase,...) désirés dans le cadre de la politique pater-naliste des patrons.

Phase 4 (1918 - 1937) - L’entre-deux guerre

L’entre-deux guerres fut une période de développement économice et social important pour la vallée. Les industries étaient devenues suffisamment importantes pour enfin stopper l’exode rural. La commune elle-même n’avait plus rien de rural, et multipliait les logements destinés aux ouvriers (apparition des «multicellulaires»). En termes de démographie, et malgré le départ d’une partie conséquente après la crise de 1930, le nombre d’habitant avait doublé : 2 652 habitants en 1936 ! La population étrangère était de plus en plus présente, jusqu’à repré-senter la moitié des habitants, car les ouvriers français ne suffisaient plus. Beaucoup d’Italiens, d’Espagnols, de Russes, de Polonais et de Chinois formaient ainsi une population largement cosmopolite, cas rare dans le milieu montagnard. Explication simple : la population suivait l’activité industrielle. Mais est-ce que l’architecture qui s’est développée dans la vallée n’a pas aussi eu son effet sur cette population très fluctuante ?

Fig. 13 : L’urbanisme rural de Gavet dans les années 1910.

Fig. 14 : Vue générale des usines de Livet construites entre 1902 et 1920.

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D’une part, les centrales constituaient un espace symbolique d’un genre inédit, dont l’image atypique fut reportée sur certaines usines majeures, notamment à Livet. Dans leur dialogue avec le paysage, elles faisaient apparaître le genius loci, que la population pouvait s’approprier. D’autre part, la création de cités ouvrières, notamment de Firminy vers 1920 de la Salinière en 1926, en plus des hôtels le long de la route et d’immeubles collectifs autour des usines, permit de sédentariser les travailleurs. Le paternalisme rondement mené par Keller est ses concurrents multipliait en parallèle les avantages sociaux et les services dédiés aux ouvriers, encore plus enclins à rester. Un véritable culte de la personnalité fut d’ailleurs voué à Keller, concrétisé dans la construction de son propre manoir, le «pavillon Keller», qui domine encore actuellement la vallée, du haut de ses pilotis de béton.

Autrement, la seule construction notable fut celle de la centrale double de Bâton en 1927. Dans le mêm temps, le réseau de lignes aériennes se déployait toujours plus, commen-çait à venir lécher les versants et à sortir de la vallée. Un évènement majeur, enfin, arriva, à une nouvelle échelle, atteinte par l’évolution du transport du courant. Les centrales, qui s’alignaient tout le long de la Romanche, se faisaient concurrence pour son exploitation. Son régime, encore irrégulier, était dicté par la fonte de neiges et les manœuvres des vannes des centrales amont. Cela conduisit dans un premier temps les exploitants à perfectionner les amé-nagements du cours d’eau, dont la pleine maîtrise, finalement atteinte, rendit Livet-et-Gavet à la pointe dans son domaine. Et cette mainmise n’est pas négligeable, comme l’exprime Nor-berg-Schulz : «lorsque la terre est partiellement contrôlée et conformée, des rapports amicaux s’instaurent et le paysage naturel devient paysage culturel ; c’est le milieu où l’homme a dé-couvert sa place significative à l’intérieur de la totalité»12. Dans un second temps, cela entraî-na la construction du barrage-réservoir du Chambon en 1937. Cet immense ouvrage, l’un des premiers de cette ampleur dans les Alpes, permit enfin de régulariser le débit de la Romanche. Mais par-dessus tout, il représentait la puissance de l’homme et sa capacité à maîtriser la na-ture. Les transformations du paysage engendrées furent tellement radicales qu’on pouvait sans hésitation parler d’un nouveau paysage : lac artificiel, engloutissement de villages, etc. La montagne n’avait finalement plus rien d’immuable.

12 Christian Norberg-Schulz, Genius Loci, 1997

Fig. 15 : La centrale des Vernes, un nouveau monument pour la vallée (projet de 1915).

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Phase 5 (1945 - 1960) - La stagnation d’après-guerre

Désormais capable d’ouvrages titanesques, l’homme va s’évertuer à développer l’hydroélec-tricité en dehors des vallées pionnières. Les incroyables chantiers, tel que le Sautet (1930-1935) ou Serre-Ponçon (1945-1962), nécessitèrent des moyens colossaux, «saisissants face à la fragilité des écosystèmes construits depuis des millénaires et pourtant à la base des équi-libres de grands paysages alpins»13 explique un auteur dans l’ouvrage Alpes Electriques. Les barrages définirent des paysages neufs, grandioses, insolites, qui paraissaient à leur tour tout aussi immuables que le paysage remplacé.

Les usines et centrales de la vallée étaient, elles, toujours en pleine activité. La popu-lation ré-augmenta de façon significative puisqu’elle atteignit le sommet de 3 154 habitants en 1954 (données EHESS), avant de rediminuer progressivement. Les populations italienne et polonaise firent souche aux côtés des familles françaises. Une identité se constitua dans cette société ouvrière nouvellement formée, qui aspirait de plus en plus à des revendications sociales.

En 1940, durant la guerre, Charles Albert Keller décéda. Son esprit innovant parti, les industriels n’entreprirent plus rien d’autre dans le val de Livet, mise à part la reconversion de leurs activités électrochimiques et électrométallurgiques. De plus, la production d’énergie électrique, touchée par la crise des années 30, avait du mal à s’en remettre, au point que l’Etat du nationaliser cette énergie en 1946. Les centrales et les équipements raccordés passèrent sous le contrôle d’EDF. Aucun nouveau chantier ne fut lancé durant cette période, exceptés des travaux de modernisation à l’intérieur des installations. La même année, la voie ferrée ferma, et ne participa plus ni au réseau intérieur ni aux connexions avec l’extérieur. On observe en outre une stagnation générale de l’urbanisme.

Enfin, le développement du tourisme allait bon train depuis les années 30 dans cer-taines vallées alpines, de même que les sports d’été avec les lacs artificiels formés par les barrages. Les stations de ski de l’Oisans commencèrent dans les années 50. Ces expansions d’activités hors de la vallée contribuèrent fortement à sa chute économique.

13 Collectif, Alpes électriques : paysages de la houille blanche, 2011

Fig. 16 : Le paysage créé par le barrage du Chambon (1960).

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Phase 6 (1960 - 1980) - Le déclin

La conjoncture industrielle française générale, plus le développement concurrentiel des bar-rages hydroélectriques et du tourisme dans le reste des Alpes, entraînèrent l’industrie de Li-vet-et-Gavet dans une spirale fatale.

Le val tout entier sombra dans un lent déclin économique. Là où le paysage était plus que favorable au développement de l’hydroélectricité, il l’était beaucoup moins pour des acti-vités de loisirs vers lesquelles se tournèrent la plupart des villages alpins. Quant aux centrales, contrôlées par EDF, elles ne faisaient plus qu’alimenter en électricité domestique les villes de la région, jusqu’à Grenoble. La dernière, la centrale de Pierre-Eybesse III (1959), était un bâtiment technique sans aucune dimension architecturale. L’hydroélectricité ne représentait plus rien dans la vallée ; son développement se faisait désormais en dehors, avec les barrages. Durant ce lent dépérissement, le paysage de la Romanche resta globalement inchangé, jusqu’à l’apparition des friches.

Le sens premier du mot «friche» désigne une terre non-exploitée, inculte. Les friches industrielles sont un paysage à priori transitoire, mais qui persiste parfois plusieurs années et marquent durablement le paysage. Cette étape de la friche, qui en zone densément peuplée peut faire l’objet d’appropriations intéressantes, entraine dans la plupart des cas une dégrada-tion de l’image de territoires entiers. Les usines locales fermèrent les unes après les autres. La délocalisation de l’usine de Livet en 1967 fut le premier gros coup dur. Avec elle, c’était 70 ans d’histoire, et un symbole de la vallée qui disparaissaient. Le traumatisme se lisait dans le paysage avec l’apparition d’espaces sauvages et résiduels. Les usines de la rive gauche s’éva-nouirent, tandis que celles de la rive droite se désagrègent encore aujourd’hui. La Romanche ressemblait à un cimetière qui voyait se succéder les vestiges d’un passé glorieux. Les friches entretenaient l’image négative d’un échec, qui se répercuta sur l’ensemble du géosystème.

Si certaines familles restèrent attachées à la région et continuèrent de travailler dans les rares industries encore ouvertes (usines à Gavet, Péchiney à Rioupéroux), le gros de la

Fig. 17 : Les usines en fin de vie de Livet (1960).

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population s’en alla. Elle n’était plus que de 1 875 habitants en 1982. Puis ce fut la voie ferrée qui disparut totalement, au profit de l’élargissement de la route en nationale. L’axe industriel structurant devint un couloir de circulation. A partir de ce moment, le paysage ne se vivait plus qu’à 90 km/h.

Phase 7 (1980 - aujourd’hui) - Une renaissance difficile

Quelques usines firent de la résistance. L’usine de Gavet, devenue FerroPEM, a réussi sa re-conversion dans l’électrochimie. Quant aux usines Péchiney, à Rioupéroux, elles auront tenu jusqu’en 1994, avant d’être démantelées en 1998, laissant un hectare vide derrière elles, à côté de la centrale. Ce fut le dernier gros coup dur porté aux habitants.

La vallée continue malheureusement de se désemplir. Pire, les industries abandonnées deviennent des friches sauvages laissées aux mains du temps. Les usines désaffectées laissent ainsi apparaître des ruines. C’est le cas de l’ensemble de Livet, qui se trouve dans un état suspendu, entre caractère morbide et valeur esthétique, tel que le décrit Murielle Hladik dans son essai Habiter le temps ou la poétique des ruines. Selon les critères occidentaux (qu’elle compare aux critères japonais), les vestiges de Livet tiennent de l’esthétique du sublime, qui caractérise également la montagne, et qui rend compte d’un topos poétique à part entière. On peut ainsi citer ce qu’elle raconte sur l’île de Gunkanjima : «le lieu, aujourd’hui totalement délaissé, dégage un sentiment de nostalgie et d’échec : l’échec d’une utopie sociale et de la modernité.»14 Ce constat pessimiste exprime l’idée que ces friches renvoient une image parti-culièrement négative sur laquelle il convient de s’interroger. Car, comme le dit très bien Jean-Yves Bonnerue dans son travail sur l’architecture industrielle, «l’indécente apparence de ruine des friches industrielles ne doit en aucun cas masquer leur éventuel intérêt architectural»15.

Malgré cette déchéance, la commune a entrepris quelques travaux pour se relever. De nombreuses dérivations de la route départementale permettent aux centres des villages de res-pirer de nouveau. Des logements ont été construits, afin de moderniser le parc immobilier. Le passé industriel glorieux est mis en valeur. La centrale des Vernes, par exemple, a été classée Monument Historique en 1994 (le seul édifice hydroélectrique en France). Elle est de cette manière devenue un fragment «officiel» de la mémoire collective, pérennisé pour éviter que toute l’histoire de la vallée ne retombe dans l’oubli.

La région n’en a pas fini avec l’hydroélectricité. Après la construction du double bar-rage de Grand’Maison et du Verney en 1985, aujourd’hui EDF entreprend un autre gigantesque chantier : la construction d’une centrale souterraine, en remplacement de six encore existantes. Si la plupart des installations anciennes sont à échelle humaine, les constructions contempo-raines tiennent d’un rêve quasi prométhéen. La neuvième centrale franchit un nouveau cap en se cachant sous terre, le respect de l’environnement étant devenu une problématique telle que même des réalisations de cette ampleur se sentent obligées de s’effacer par tous les moyens devant le paysage de montagne, pourtant mainte fois transformé.

Pour clore ce chapitre, on ne peut qu’insister sur le fait que le paysage de la Romanche que nous avons aujourd’hui sous les yeux est le fruit d’un long processus complexe dans le-quel l’implantation industrielle liée à l’hydroélectricité a joué un rôle prépondérant. A la fois sur les transformations du lieu naturel ; à la fois sur l’établissement des lieux artificiels (le géo-

14 Murielle Hladik, Habiter le temps, ou la poétique des ruines, 201015 Jean-Yves Bonnerue, L’architecture industrielle, notion de patrimoine élargi, 1987

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système industriel) ; et à la fois sur les interactions entre les deux, basées essentiellement sur des perceptions sensibles et un attachement identitaire. Au milieu de tous ces changements si-multanés, le genius loci, le caractère du lieu qui permet qu’on s’y attache, a subi des variations qui n’ont pas enlevé grand chose à ce paysage fort. «Et un lieu fort», explique Norberg-Schulz, «présuppose l’existence d’une correspondance significative entre le site, l’implantation dans ce site et le détail architectural. Le lieu artificiel doit savoir ‘‘ce qu’il veut être’’, selon les termes de Louis Kahn, par rapport au milieu naturel.»16 Après avoir regardé les évolutions de la vallée dans son ensemble, nous allons donc maintenant nous intéresser aux influences de l’architecture hydroélectrique sur son environnement naturel.

16 Christian Norberg-Schulz, Genius Loci, 1997

Fig. 18 : Apparition de la friche de Rioupéroux : état des usines en 1896, puis en 1992, et enfin en 1993 avec la découverte de la plus ancienne conduite forcée de la vallée.

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Graphe de synthèse : évolution du lieu

ACTIVITÉ INDUSTRIELLE

Proto-industrie Indigènes =

=

?

Rural

Villages-Usines

Villes-Usines

Friches

Conservation

Renaissance

Indigènes + français

Locaux + français + immigrés

Locaux + immigrés

Locaux

Locaux

Locaux + français + immigrés

Activité nouvelle/Progrès

Développement

Stagnation

Déclin

Disparition

Nouvelle activité

POPULATIONPAYSAGE

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CHAPITRE 2

L ’ ARCHITECTURE

Le lieu n’est qu’un ensemble global, un rassemblement de paysages naturels et d’implanta-tions artificielles. Sa structure et son caractère ne sont définis que par les différents éléments qui le composent, et les relations qui existent entre eux. Cette étude a pour ambition de voir quelle peut être la portée de l’architecture sur le lieu. En tant que cadre de vie privilégié des hommes, elle est source d’atmosphères diverses et de représentations, que nous allons mettre en évidence.

Fig. 19 : Coupe d’origine du projet pour la Centrale des Vernes (1916).

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Identifier les architectures d’intérêt de la vallée

On a beau avoir à faire à un milieu rural, il n’en reste pas moins que Livet-et-Gavet, de par son passé de ville-usine, présente un panel assez large de constructions à étudier. Le sujet abordé nous permet de limiter le corpus d’étude aux éléments suivants.

Les centrales hydroélectriques

Bien entendu, ce sont les centrales qui nous intéressent en premier lieu. Représentatives de l’essor industriel qui a touché la vallée, elles amenèrent aussi à l’époque un programme nou-veau et moderne dans le monde de l’architecture industrielle.

Edifice technique par excellence, la conception d’une centrale hydroélectrique répond à un cahier des charges bien spécifique (cf. annexes). Le bâtiment de base est contraint par l’orientation du site, les machines qu’il abrite, et les pièces annexes qui le juxtaposent (poste transformateur, salle des commandes, bureaux, vestiaires, etc.) L’eau fait également l’objet d’aménagements conséquents pour son acheminement jusqu’aux turbines.

Les centrales de Livet-et-Gavet étaient au nombre de huit : centrale double de Bâton, centrale double de Livet, centrale des Vernes, centrale des Roberts, centrale de Rioupéroux, centrale double des Clavaux, centrale de Pierre-Eybesse et la centrale du Pont-de-Gavet. Il nous en reste sept en l’état; celle du Pont-de-Gavet est en ruines.

Si elles répondent toutes du même fonctionnement vu précédemment, elles n’ont ce-pendant pas toutes reçu le même soin architectural. Le corpus est donc constitué de bâtiments très simples et banals, semblables à des hangars, autant que d’édifices très dessinés, aux mul-tiples décorums et jeux de volumes. Ceci dépend autant du voeu du constructeur, que de la période ou de la situation de l’édifice.

Dans son ouvrage Cathédrales Electriques, J-C. Ménégoz établi un classement ty-pologique simple des centrales hydroélectriques alpines : celles de la période pionnière (fin XIXe) et celles de la période pittoresque (début XXe). Les premières sont caractérisées par une conception simple mais efficace. Ce sont des halles type hangar industriel rectangulaire allongé, à pont roulant, généralement en pierre granitique de la région. En tuiles mécaniques,

Fig. 20 : La centrale de Livet I (vers 1902) est de type «pionnier».

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la toiture à deux pans est sur charpente métallique (ferme Polonceau) et doublée au niveau du faîtage pour la ventilation (lanterneaux). Les façades sont percées de baies disposées selon des travées régulières, avec un soin différent apporté à chaque fois à l’ouverture (rectangulaire, arc plein cintre,...) et à l’encadrement (brique, ciment moulé,...). Ce schéma de base, que l’on pourrait presque qualifier de vernaculaire tant il s’est construit selon des critères adaptés au rude climat local, a ainsi servi aux centrales de Livet I (1898), des Clavaux (1905), des Roberts (1915), et de Rioupéroux (1917).

Mais le plus intéressant reste le type pittoresque. En fait parfaitement atypique, il donne à chaque fois naissance à de nouvelles architectures, curieuses et insolites, même si contraintes par le même programme. Leurs ambitions vont au-delà des centrales pionnières, puisqu’il s’agit d’afficher avec fierté le progrès technique, voire de le mettre en scène. L’ar-chitecture devient monumentale, et répond aux exigences fonctionnelles selon des influences éclectiques mêlant choix pittoresques et modernité constructive (utilisation du fer, du béton et du verre).

Les réalisations de Piero Portaluppi dans les alpes italiennes entre 1912 et 1930 en sont des exemples très marquants. Face à ces réalisations fantasques, les admirateurs n’hésitent pas employer le terme de «cathédrales électriques». On est alors aux balbutiements de ce que l’on appelle aujourd’hui le régionalisme critique, théorie développée par Kenneth Frampton dans laquelle les préceptes de l’architecture moderne viennent dialoguer avec les particularités d’un site. L’architecture met en exergue l’esprit du lieu, elle «transforme un état de nature en état de culture»1, tel que l’énonce Ugo Ribeiro dans son travail sur le régionalisme critique. Trois centrales de la Romanche sortent ainsi du lot, les trois étant du fait du même client : l’industriel Charles Albert Keller.

1 Ugo Ribeiro, Régionalisme critique : influence du lieu sur l’architecture, 2011

Fig. 22 : Centrales pittoresques de Crevoladossola (1925) et de Cadarese (1929), par l’architecte Piero Portaluppi.

Fig. 21 : Livet II (vers 1905) est de type «pittoresque».

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Livet II (1905) est l’extension d’une des premières centrales hydroélectriques de la vallée, composée autrefois de deux corps de bâtiment typiques des constructions pionnières. La nouvelle centrale s’insère selon un plan trapézoïdal. Sa façade principale, toute vitrée, est très travaillée : une structure légère en fonte, rythmée par de multiples ornements floraux, sug-gère une volonté à la fois de transparence (signifier la fonction du bâtiment) et le rapport direct au paysage, soit par réflexion directe soit par allusion aquatique. Le vocabulaire industriel de l’époque est ainsi appliqué directement en référence au paysage de la Romanche. A l’intérieur de l’usine, d’autres éléments, tels que les escaliers ou les carreaux de sol ont également fait l’objet de soins particuliers.

La centrale des Vernes (1918) est l’œuvre de l’architecte grenoblois d’Art Nouveau Emile Rabilloud. Elle constitue un véritable exercice de style architectural. Son plan rectan-gulaire et ramassé fait référence aux villas italiennes de Palladio ou aux dessins de Claude Ni-colas Ledoux, tandis que le dessin général de ses façades (ouvertures, angles, couronnements, bandeaux intermédiaires) mélange les genres de façon harmonieuse. L’architecture éclectique renvoie un sentiment de brutalité, mais reste élégante avec tous ses éléments purement déco-ratifs (lampes extérieurs, dessin des menuiseries métalliques des baies, frontons, bandeaux de briques/ciment moulé, briques émaillées, etc.). L’utilisation de ciment moulé clair, en blocs préfabriqués, pour les encadrements, chaînages d’angle et couronnement, contrebalance assez bien le remplissage en pierres jointoyées (moellons sombres de schiste local) qui réfèrent di-rectement à l’environnement alentour. De la pierre de taille vient constituer le soubassement. La toiture terrasse est une dalle en béton armé posée sur des fermes métalliques triangulées. Le reste des constructions (poste haute tension côté sud et bâtiment des vannes au-dessus de la fontaine) est en béton armé. La qualité principale de cette centrale se trouve dans la mise en scène de l’énergie hydroélectrique, de l’acheminement de l’eau jusqu’au départ des lignes. La chambre de mise en charge prend la forme d’une fontaine monumentale, seul élément de la centrale visible depuis la route, qui joue le rôle de déversoir quand les turbines ne sont pas en activité, et qui sert aussi de portique aux lignes haute-tension. Quant à la chute dans les conduites forcées (22 m), elle est tout simplement mise en évidence par l’impressionnant es-calier à double-volée, qui emprunte le même vocabulaire matériel que la centrale, et qui relie les deux niveaux du jardin à la française. Le canal de fuite enfin apparaît sous le bâtiment puis le longe sur le côté ouest - à l’image d’une douve autour de son château - jusqu’au torrent.

Fig. 23 : Détail de la façade de Livet II.

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Pour terminer, la centrale double de Bâton (1925 - 1927) est une usine caverne amé-nagée dans le granit de Belledonne. On ne voit que la façade d’entrée. Simple, symétrique, puissante, rationnelle, elle démontre la technicité qu’elle abrite, tout en ayant été dessinée dans le détail. La pierre a notamment fait l’objet d’une mise en œuvre soignée. Sa référence la plus évidente est la centrale de Bas-Laval, construite à fleur de roche dans le Grésivaudan, en 1906.

Toutes ces centrales sont, on l’a vu, très liées à tout un ensemble d’équipements et d’infrastructures qui méritent aussi notre attention.

Les infrastructures hydroélectriques

Les centrales sont accompagnées de toutes sortes d’éléments annexes nécessaires à leur fonc-tionnement, qui agissent directement sur le paysage. Ces équipements purement techniques ont une forme qui va à l’essentiel, et sont donc les plus représentatifs du caractère industriel de la vallée.

Fig. 24 : Axonométrie de la Centrale des Vernes.

Fig. 25 : Façade de la centrale de Bâ-ton.

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Le torrent est l’élément du paysage qui a fait l’objet du plus d’aménagements. Digues, barrages prises d’eau, vannes, canaux d’amenée (ou biefs) ont ainsi modifié le cours naturel de la Romanche sur près de 15 km, au gré des évolutions techniques et des besoins. Aux pierres érodées et aux éboulis sont progressivement venus s’ajouter le béton et le fer. Aux côtés des soubresauts rapides du torrent courre une eau canalisée, d’une platitude et d’un calme décon-certants.

Plus discrètes, les conduites forcées serpentent à travers la montagne sur des kilo-mètres entiers, donnant ainsi une nouvelle échelle au géosystème industriel. Souterraines ou en surface, en béton ou en acier, elles tracent la pente, et symbolisent la puissance concentrée des eaux vives dans un cylindre de 4m de diamètre. Le rassemblement de plusieurs conduites devant les centrales créent la plupart du temps des enchevêtrements impressionnants d’acier. En outre, les marques du temps sont particulièrement fortes sur ces conduites. La rouille leur donne un aspect de ruines originales, qui n’a rien à voir avec celui des ruines en pierre.

C’est la même rouille qui recouvre les pylônes électriques. Ces arbres artificiels sont aujourd’hui essentiellement en métal, mais il pouvait aussi être en béton ou en bois. De dimen-sions et de formes variables (le pylône droit, le pylône raquette, etc.), ce sont des structures toujours simples qui font généralement l’objet d’une vraie conception (en fonction du paysage dans lequel ils s’implantent, des lignes qu’ils auront à porter, des conditions de montage, etc.). Exemple : par mesure de sécurité, certains énormes pylônes sont peints en rouge et blanc, ce qui les rends plus visibles par les pilotes d’hélicoptères. D’autre part, les lignes aériennes qu’ils portent strient le ciel sur des kilomètres. Aujourd’hui, beaucoup de ces anciennes lignes ont été enterrées.

Les usines

Distinguons d’abord quelques typologies de base : - hangars à toitures double pans et lanterneaux : proche du modèle pionnier des centrales, ce fut le schéma dominant dans toute la vallée, car le plus adapté à la fois au cahier des charges et aux conditions locales- hangars à toitures en sheds : ce type, le plus courant à l’époque dans le domaine industriel, n’était pas très répandu dans le val de Livet, notamment parce que les toitures n’étaient pas

Fig. 26 : Barrage-prise d’eau des Cla-vaux.

Fig. 27 : Conduite de la centrale de Pierre Eybesse.

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adaptées aux chutes de neiges, et que l’électricité était suffisamment abondante pour ne pas avoir besoin d’ouvertures en toiture. Il ne s’en recensait que quelques-unes à Rioupéroux et à Livet.- bâtiments à étages : rares car peu adaptés à l’industrie électrochimique/électrométallur-gique, il y eu cependant quelques spécimens dans les papeteries de Rioupéroux et à Livet- usines tubulaires : apparu au milieu du siècle dernier seulement et spécifiques à certaines industries, il est logique de ne pas en avoir dans la vallée de la Romanche, exceptée une à l’usine de Gavet - hangars métalliques aveugles : de même, présents uniquement à l’usine de Gavet

Ces constructions dépendaient bien sûr du type d’industrie abritée : électrochimie, électrométallurgie, papeterie, hauts-fourneaux, etc. Les modèles de bases variaient ainsi selon les exigences : hauteurs des halles, fermées/à l’air libre, nombre et dimensions des baies et des lanterneaux, présence de cheminées, traitement esthétique, matériaux utilisés (pierre jointoyée puis enduite pour le remplissage, brique, charpentes métalliques ou de bois, structures en bé-ton armé, couvertures en tuiles mécanique puis en tôle ondulée).

Très nombreuses, elles formaient des agglomérations denses de bâtiments relativement bas, très souvent resserrés pour rendre plus efficace le réseau de chemins de fers interne. La Romanche voyait ainsi parfois s’aligner des murs pignons juste au-dessus d’elle. On trouvait quatre concentrations importantes : à Rioupéroux, aux Clavaux, à Gavet et à Livet. Seules ces deux dernières sont encore debout, mais les usines de Livet ne fonctionnent plus et tombent en ruines. Les deux premières ont chacune laissé d’immenses espaces vides inoccupés dans le paysage. Mais à l’origine, leur implantation était dictée par le torrent, les centrales, ainsi que par l’urbanisme des villages. Le noyau rural de Livet avait par exemple contraint les usines de la rive droite à rester sur une bande étroite.

Quelques hautes cheminées de briques se dégageaient parfois, donnant l’échelle dans la vallée sous la forme de repères verticaux qui disparaissait régulièrement sous d’épaisses fumées, ce qui est encore parfois le cas à Gavet.

Terminons en parlant du fait que même les usines ont profité parfois de traitements originaux, dus à des contraintes techniques ou par simple soucis formel, notamment à Livet. Citons ainsi une halle de stockage dont un mur de briques est en moucharabieh ; le beau bâti-

Fig. 28 : Usines de Livet, sur la rive gauche, avec au centre les laboratoires de la SKL (vers 1925).

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ment, jumeau des Vernes, des anciens laboratoires des usines Keller et Leleux (aujourd’hui en partie effondrée) ; ou encore le bâtiment de fabrication des ferro-alliages qui marquait l’entrée de l’ancienne usine, décoré à la «mode» Keller (briquettes émaillées et colorées).

Le géosystème industriel de la vallée, bien qu’en partie disparu, est donc bien fourni, et présente de nombreuses qualités architecturales. Mais Livet-et-Gavet n’est pas en reste, car bien d’autres constructions liées à cet environnement industriel mériteraient qu’on leur porte attention.

Les logements

Le développement de la vallée a amené son lot d’habitations nouvelles, d’abord autour des usines, puis sur toute parcelle disponible, selon la politique d’urbanisation de chaque vil-lage-usine.

Sur les 15 km se mélangent ancien habitat vernaculaire issu du passé rural et construc-tions plus modernes. Différents types ressortent : - la maison individuelle : citons les maisons de cadres de la Salinière, les maisons de village et les anciennes fermes- les maisons ouvrières mitoyennes : on en trouve sur la route de Gavet, mais elles formaient la majeure partie des cités ouvrières (Cité de Firminy, Cité du Maroc, etc.)- les multicellulaires : nom donné aux logements collectifs de tailles modestes, dont on re-trouve plusieurs spécimens à Livet et Rioupéroux- les immeubles : souvent des hôtels pour les anciens ouvriers célibataires, ils s’en sont construit quelques-uns le long de la route, en particulier dans le centre de RioupérouxLes constructions nouvelles font la part belle au béton, qui permet des mises en œuvre rapides (bienvenues dans cet environnement rude) et par contre moins en accord avec le genius loci. Certains logements se permettent également des dessins inhabituels et des exercices de style (coursives, ornementation, etc.), essentiellement à Livet encore une fois.

Parmi tous ces exemples, on peut se pencher sur la cité ouvrière de la Salinière (1927), inspirée des théories sur les cités-jardins développées par E. Howard à la fin du XIXe siècle. Elle apporta un confort non négligeable aux employés et cadres des usines. Sa situation profite d’un vaste terrain légèrement en pente séparé des usines de Rioupéroux par le torrent. Der-rière un plan assez libre et aéré, qui apporte à chaque maison son jardin, régissent en fait des principes hiérarchiques très stricts (cf. plan en annexe). A l’entrée de la cité se situent ainsi les grandes bâtisses solitaires de 15 pièces des patrons, entourées chacune d’un petit parc. Puis on trouve les bâtisses, un peu moins grosses, des ingénieurs. Les maisons qui suivent,

Fig. 29 : Cité ouvrière des usines Keller à Livet (vers 1915).

Fig. 30 : Logements de cadres, à la Sali-nière (1927).

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mitoyennes et de dimensions plus modestes, sont réservées aux cadres. Et enfin les petites maisons individuelles avec jardins mitoyens sont pour les employés administratifs. A l’échelle de la cité, l’ensemble paraît homogène. Mais, exceptés son plan étudié et la signature régionale du soubassement en pierre, l’architecture n’accorde finalement que peu d’importance à l’esprit local : constructions en béton, enduits de couleur, lignes ornementales sur l’enduit rappelant des colombages (très local...), toitures à très fortes pentes et à pans coupés, trois étages assez hauts sous plafond, nombreuses et diverses ouvertures, ...

Le concept de hiérarchisation a une portée encore plus large, puisque la séparation est très marquée avec les ouvriers, en particulier immigrés, à qui on réserve généralement des lo-gements collectifs précaires, les casernements. D’un confort minimal exacerbé par la rudesse du climat, le reste des logements n’apporte en fait aucune réflexion sur l’organisation spatiale, et n’évite pas l’écueil de l’entassement des ouvriers. On apprécie en revanche qu’aucun bâ-timent trop imposant ou hors échelle (telles que les barres de logements typiques de années 50-60) ne soit venu envahir le paysage.

Le dernier logement qui nous intéresse n’est autre que l’immense villa de quatre étages de Keller, située à l’entrée des anciennes usines de Livet, et qui domine la Romanche. Sa vo-lumétrie complexe est formée de deux corps de bâtiment juxtaposés, avec chacun son entrée et sa cour fermée. La toiture à pans coupés est typique de l’époque de l’entre-deux guerre. Au soubassement, l’appareil de schiste est classiquement laissé apparent, tandis qu’il est protégé d’un enduit sur le reste du corps de bâtiment. Les ornementations propres aux œuvres de Kel-ler sont nombreuses (inscription «Keller et Leleux» en céramique émaillée, pierres en sailli qui forment un bossage rustique, etc.). Plus remarquables encore, ce sont les deux volumes audacieux sur pilotis, en béton, du dernier étage. Ils ont vraisemblablement été construits en 1925 après le bâtiment principal. L’un abrite un jardin d’hiver agrémenté de jeux d’eau, l’autre le bureau de Keller, depuis lequel celui-ci avait pleine vue sur les environs. Enfin, le pavillon Keller est lui aussi régi par une hiérarchisation, verticale cette fois-ci. L’appartement luxueux du dernier étage, de 15 pièces, était réservé au grand patron et sa famille. A l’étage en-dessous, le sous-directeur, puis plus bas les cadres de la Société Keller et Leleux.

En somme, un regard rapide porté sur l’architecture de la vallée de la Romanche révèle un ensemble de réalisations très intéressantes. C’est leur lien plus ou moins fort avec l’industrie qui est à l’origine de leur existence, et c’est principalement leur lien plus ou moins fort avec le contexte qui leur donne leur qualité, ou qui détermine à minima leur caractère. Et c’est avec ce même contexte que l’architecture de la vallée a évolué au fil des décennies.

Fig. 31 : Pavillon Keller à Livet (vers 1915).

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Evolution architecturale dans la vallée de la Romanche

Phase 1 (... - fin XIXeme) - Avant les centrales

Le val rural de Livet-et-Gavet, dominé par un environnement naturel rude, n’était que ponctué de maisons, fermes et moulins modestes. Typiques des constructions robustes de l’époque dans l’Oisans, celles-ci étaient en pierre locale et en bois (qui ne manquaient pas), avec des toitures à double pente en ardoise. Une architecture vernaculaire que l’homme chercha rapi-dement à dépasser.

En revanche, les papeteries de Rioupéroux étaient déjà bien implantées. Sur quelques photos anciennes, on remarque que le modèle des halles rectangulaires à toitures double-pente et lanterneaux était largement dominant. L’équipement d’une papeterie permettait en outre d’élever les machines et donc d’avoir des bâtiments à plusieurs étages. Les murs en pierre étaient enduits de blanc, et les baies, multiples, déjà assez grandes. L’ensemble, assez banal en définitive, jouissait cependant d’une certaine cohérence. Deux cheminées en briques se déta-chaient. On peut également voir quelques maisons hautes border la route de Rioupéroux. Elles devaient sûrement abriter commerçants et artisans.

Phase 2 (fin XIXeme - 1905) - Période pionnière

Marquée par une architecture simple et rationnelle, encore vernaculaire, la période pionnière posa tout de même les bases des implantations urbaines de la vallée.

Les premières centrales hydroélectriques se faisaient évidemment sur le modèle pion-nier. A l’extérieur, on les prenait pour des ateliers traditionnels, des granges. Les machines, encore relativement petites et faciles à mettre en place, ne nécessitaient pas encore de pont roulant, de grandes portes ou d’autres dispositions architecturales précises. Le plan était rec-tangulaire, et l’implantation contrainte par le cours de la Romanche (de laquelle le bâtiment

Fig. 32 : Papeteries de Rioupéroux (1887).

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devait rester proche pour rejeter l’eau) et le relief (qui définit les terrains constructibles). Les murs en pierre étaient parfois protégés d’un enduit (voir la centrale des Clavaux). Les encadre-ments de baies commençaient à être soignés (utilisation de la brique, d’œil de bœuf pour les murs pignons), la plupart du temps uniquement sur la façade la plus visible. Autrement on ne trouvait presque pas d’ornementation.

Les endiguements se faisaient encore en pierre et ciment. Mais certains ouvrages, comme le pont de la Salinière, alliaient déjà fer et béton. Les conduites forcées à l’air libre étaient en fer, les souterraines en béton. Et les pylônes droits en bois.

Pendant ce temps, le long de l’axe communication principal de la vallée, qui vit la voie ferrée apparaître, des immeubles d’habitations commençaient à sortir de terre, dans un style plus urbain que vernaculaire. La hauteur moyenne était de 3 étages, et hormis pour le soubassement où elle était laissée apparente, la pierre était enduite. Mais seule la façade côté route était traitée. Les balcons n’étaient de fait pas orientés vers le dégagement de la vallée. Les toitures à deux pans en ardoise étaient sur charpente bois.

Phase 3 (1905 - 1918) - Période pittoresque

Cette faste période fut celle de la modernisation de la vallée, permise par le désenclavement de la voie ferrée, et de la libération de son architecture, qui se nourrissait de plus en plus d’in-fluences extérieures.

Le style pionnier des centrales, tout d’abord, évolua un peu (plus de machines donc plus grande longueur ; nouvelles aptitudes structurelles permettaient plus grande largeur, comme pour la centrale des Roberts qui atteignit 20 m de large ; pont-roulant demandait plus de hauteur ; esthétisation des ouvertures ; ...). Mais c’est assurément avec les centrales pitto-resques que l’architectura s’émancipa par rapport aux constructions traditionnelles. Les ré-férences dépassaient la tradition. La centrale des Vernes (1918) introduisit ainsi les premiers toits terrasses, qui avant l’utilisation du béton armé étaient proscrits car non résistants face au climat local. D’autres techniques nouvelles apparurent. Le ciment moulé, œuvre du gre-noblois Vicat, permit la préfabrication, facilitant ainsi les chantiers, et l’ornementation pas chère (fausse pierre). Dans un autre registre, la deuxième centrale de Livet (1905) montra les possibilités offertes par le fer et le verre, qui venaient composer de façon impressionnante une façade toute entière, ponctuée de nombreuses ornementations en métal.

Très décorés ou très sobres, ces bâtiments élégants ont toujours été dessinés avec un effet de mesure et de variété. Une prise de conscience sur l’importance de l’image avait eu lieu, en particulier chez Keller. Dans un domaine industriel concurrentiel et dans le besoin

Fig. 33 : Centrales typiques du style pionnier : Clavaux I et Pont-et-Gavet (1905).

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d’attacher une population, l’architecture apportait une réponse de choix pour magnifier cet ensemble industriel. Surtout que contrairement à l’image travestie des manufactures (usines royales très répandues au XVIIIe siècle), l’architecture dans la vallée de la Romanche mettait sans complexe en valeur la fonction même de ces bâtiments. Une tendance qui se vérifia avec les aménagements de Piero Portaluppi en Italie.

En ce qui concerne les logements, ils se multiplièrent dans des styles divers et variés importés de Grenoble, selon une volonté d’urbanisation de la vallée. Les immeubles, toujours un peu plus hauts, continuaient de pousser le long de la route. Beaucoup moins excentriques que les centrales, qui profitaient elles d’un prestige supplémentaire, on assistait pourtant pas moins à une émancipation vis-à-vis du style régional, portée par l’arrivée tardive de références architecturales depuis l’extérieur, et les exigences de confort de l’époque. Les constructions d’un ou deux étages, en pierre et bois, persistaient cependant pour les casernements et dortoirs destinés aux ouvriers.

Les usines, elles, prirent le même chemin multiformel, tout en restant très déterminées par leur fonction. Comme pour les centrales, on avait à faire à de longs bâtiments rectangu-laires, des halles de largeur précise pour abriter les machines sans piliers porteurs intermé-diaires. Les ossatures métalliques permettaient une construction plus simple et rapide qu’avec la pierre. Elles étaient en contrepartie moins en lien avec le lieu. De plus, le relief limitant les extensions, les nouvelles usines venaient surtout densifier des implantations existantes. Les usines Keller et Leleux sur la rive gauche n’avaient pas de terrain plat disponible et durent s’accommoder de la pente. Notons également le remplacement en 1912 des papeteries de Rioupéroux. La modernisation des installations aura entraîné la chute d’une cheminée, l’appa-rition d’une usine en toitures à sheds, ainsi que quelques extensions vitrées. Enfin, pour les aménagements du cours d’eau, le béton et l’acier s’imposèrent devant la pierre, qui formait déjà la majeure partie des biefs. Avec le développement des lignes à haute tension, les pylônes d’acier fleurissaient de plus en plus le long du torrent et au-dessus des canaux. Ils furent pour certains le sujet d’un nouveau dessin (pylônes à raquette sur le canal d’amené de la centrale des Clavaux). De même, les ponts en acier (pont des Roberts, ou pas-serelle haubanée au-dessus de Rioupéroux) jouirent d’un certain soin dans leur mise en œuvre. Leur rapport au paysage, et notamment à l’eau, étant très important, et cela justifiait leur aspect travaillé, qui proposait tantôt une grande légèreté, tantôt des lignes plus chargées.

Fig. 34 : La construction de la centrale des Roberts (1915).

Fig. 35 : Détails ornementaux de la centrale des Vernes.

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Phase 4 (1918 - 1937) - L’entre-deux guerre

L’apport de nouvelles techniques constructives durant la première moitié du XXe et l’évo-lution de la maîtrise du territoire alpin entraîna des modifications profondes à l’échelles ar-chitecturale. Bien entendu, c’est le béton qui le premier vint bouleverser l’architecture de la vallée. Devenu un matériau majeur dans le monde de la construction, son intérêt économique et sa rapidité de mise en œuvre favorisa son usage dans la vallée. Les nouvelles centrales (Clavaux II) et usines le préfèrent à la pierre. L’émancipation par rapport à l’architecture lo-cale et traditionnelle est totale. Cette volonté est affirmée par Keller lui-même, qui ajoute à son pavillon le fameux étage sur pilotis en béton armé. C’est par la même occasion l’avène-ment de la toiture-terrasse. Les constructions sont plus brutes, mais autorisent en contrepartie des baies encore plus grandes et des volumes plus importants. A noter tout de même que les exigences techniques restant les mêmes, la conception des nouvelles centrales et usines resta similaire aux premières. Les ouvrages industriels avaient cependant abandonné le souci esthé-tique propre au pittoresque, et versaient dans le fonctionnalisme.

Les écluses, barrages, vannes et canaux de dérivation qui modelaient la Romanche n’étaient eux-aussi conçus que dans un soucis d’efficacité technique. Rien ne venait troubler l’essentiel fonctionnel de leurs lignes, qui avaient en plus la grâce de suivre les tracés naturels du paysage. Plus que toute autre construction dans la vallée, c’est de leur rapport au paysage que naissait leur qualité architecturale.

Les nouvelles formes d’expression architecturale se trouvaient ailleurs, dans les grands barrages (barrage du Sautet, du Chambon) qui se construisaient au-delà de la vallée. De conception différente selon la nature des sols recevant les ancrages et selon la taille de l’ouvrage, les barrages présentaient un panel assez diversifié de formes (barrages-poids, bar-rages-voûtes, barrages-contreforts,...). Le béton eut alors tout le loisir d’exprimer sa grande puissance plastique, dans des courbes élégantes en contraste avec des soutènements immenses.

Si l’on revient dans le val de Livet, la construction de la cité ouvrière de la Salinière amena l’urbanisme que la commune ne réussit jamais à appliquer au cœur de ses villages. A l’écart de l’axe routier, la Salinière a pu librement développer un schéma d’organisation rationnel et hiérarchisé, bien plus que dans les zones industrialisées de la vallée qui ont gran-di de façon spontanée et désordonnée. La présence de jardins est un véritable luxe dans ces gorges de basse montagne, et le confort est au rendez-vous. C’est le seul exemple important de la vallée en termes de modernité appliquée au logement. Bien que l’on ait évité dans ce milieu, encore récemment rural, les affres de la révolution industrielle subis par les villes, ce

Fig. 36 : Modernisation du canal d’amenée pour la centrale des Clavaux

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manque d’amélioration des conditions de vie dans le reste de la vallée demeure tout de même bien étrange. Surtout lorsque l’on sait que les idées modernes et hygiénistes, incarnées par le familistère de Guise ou les écrits de Ruskin, ont fait du chemin depuis le XIXe. On peut éven-tuellement mettre cela sur le compte de l’isolement de la région, encore prononcé malgré tout.

Phase 5 (1945 - 1960) - La stagnation d’après-guerre

L’immobilisme général qui toucha la vallée après la guerre n’épargna pas l’architecture. Après acquisition des centrales par EDF, les évolutions architecturales ne consistaient plus qu’en la disparition d’éléments ou la rénovation d’autres. Les toitures en tuiles mécaniques et ardoises furent presque systématiquement remplacés par des bacs aciers ou du zinc. Certains ornements furent supprimés, tel que le couronnement en ferronnerie de Livet II, plus important qu’on ne pourrait le penser.

La construction de Pierre-Eybesse III fut particulièrement représentative du tournant définitif pris par l’architecture de la Romanche. La centrale dénotait en effet du reste de la vallée. Elle appartenait à la famille récente des hangars industriels en béton. Sa toiture à faible pente reposait directement sur des portiques en acier. Les murs était en béton armé, de faible épaisseur. Les pignons, autrefois très travaillés, devinrent aveugles, tandis que les murs gout-tereaux n’étaient ouverts que par un bandeau horizontal et d’étroites fentes verticales.

Les lignes électriques aériennes elles, immanquablement, se multipliaient. Devant leur surnombre, les anciens pylônes furent remplacés par des plus adéquats, mais aussi plus imposants. Le reste des constructions de la vallée ne bougea pas tellement. Ce qui n’évita pas l’accumulation de styles architecturaux dans la vallée, qui finit par engendrer une hétérogénéi-té dérangeante.

Phase 6 (1960 - 1980) - Le déclin

Ce manque de dynamisme architectural ne fut pas sans conséquences. L’industrie de la vallée vieillissait lentement, et son image n’évoluant pas, elle n’entretenait plus les mêmes liens avec le paysage. La «prise existentielle» devenant de plus en plus difficile, la représentation que l’on se faisait du lieu était de plus en plus insignifiante. Au-delà des problèmes économiques auxquels devaient faire face les entreprises, c’est bien aussi le manque d’innovation en termes

Fig. 37 : Centrale de Pierre-Eybesse III, ou la fin d’une architecture audacieuse.

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d’architecture et d’urbanisme qui amorça la chute généralisée.

La seule apparition fut celle de l’usine tubulaire de Gavet. Piranèse au temps de l’acier. Et c’est autour de cette dernière usine encore en activité que furent construits les hangars in-dustriels aveugles qui bordent aujourd’hui la route. Le site, fermé au public forcément, ne présente plus qu’une image dévalorisée au reste de la vallée. L’industrie n’affirmait plus son identité au sein du paysage naturel avec la même fierté.

Tout comme les infrastructures, les bâtiments existants étaient marqués par le temps. Beaucoup n’abritaient plus d’activités et tombaient en ruines. Pour les usines, les squelettes d’acier porteurs se mirent à nu derrière des murs en briques, pierre ou béton délabrés. La seule centrale à atteindre cet état de dépérissement fut Pont-de-Gavet. Les autres centrales, encore utilisées, restaient assez bien conservées, en tout cas leur bâtiment principal.

La vallée vit sinon les premiers logements collectifs modernes, dans un style de l’époque reconnaissable entre mille (toiture plate ou à pente unique, ouvertures abondantes, volets en persienne, l’immanquable soubassement en pierre pour ne pas trop dénoter,...). Sans être immenses, ces logements très ouverts au paysage dépassaient l’échelle de ceux qui exis-taient, et arborait un autre aspect matérial (béton enduit coloré). Pas totalement dénués d’in-térêt, ils n’eurent cependant pas de portée identitaire suffisante, ce qui s’explique par leur manque d’originalité et la période néfaste durant laquelle ils sont apparus.

Avec les derniers bâtiments industriels construits, ce fut la couche de trop. L’identité du val de Livet semblait déjà perfectible à cause de son éclectisme, mais restait signifiante grâce au rapport instauré avec le paysage environnant. Les constructions pauvres qui s’accu-mulaient depuis la Seconde Guerre Mondiale finirent malheureusement par rompre la règle de la stabilitas loci. «Cette perte d’identification», comme l’appelle Norberg-Schulz, «empêche le processus de rassemblement, elle est donc responsable de l’actuelle perte de lieu»2.

Pour conclure, nous n’aborderons pas spécifiquement la dernière phase, qui ne re-présente pas grand chose architecturalement parlant. On peut juste dire que dans le but de se relever, Livet-et-Gavet doit faire l’effort de re-comprendre le lieu, pour y participer de façon créative, le nourrir et contribuer à son histoire. Le chantier de la 9ème centrale est assez signi-ficatif. Aujourd’hui c’est l’enfouissement et l’automatisation qui prônent. Dans l’hypothèse où le respect écologique de l’environnement ne serait qu’un prétexte, on peut raisonnablement

2 Christian Norberg-Schulz, Genius Loci, 1997

Fig. 38 : Logements des années 70 et perte de lieu.

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penser que la nouvelle centrale a été enterrée par peur de ne pas savoir se réapproprier le genius loci de la vallée. Par sa prise de distance avec le paysage, la solution retenue est donc discutable. Mais c’est surtout le devenir du patrimoine industriel restant qui pose question.

Le patrimoine industriel de la vallée

Le patrimoine industriel, une reconnaissance récente

«Mais pourquoi se préoccuper à ce point-là du patrimoine industriel ? Ne peut-on pas laisser la rouille dévorer les traces des derniers hauts-fourneaux, passer un coup de bulldozer sur les usines abandonnées, et ne plus songer à ces machines périmées, à ces murs décrépis, couverts de tags ?»3 demande Marina Gasnier dans son ouvrage sur le patrimoine industriel.

L’architecture industrielle traîne depuis longtemps une perception négative, après avoir paradoxalement représenté l’image très positive du progrès. Cela découle de l’am-biance des sites abandonnés. Il y a plus de romantisme dans un château médiéval que dans un haut-fourneau rouillé, des vestiges de cheminées, ou des bassins pollués. C’est à dire des friches dans lesquelles la végétation anarchique rend les lieux à la fois inesthétiques et dange-reux. Sans compter les cicatrices portées au grand paysage naturel. Cette perception négative est également due à la notion de deuil, qui engendre une certaine perte de repères. Le trauma-tisme conduit à une négation du passé industriel. Il faut attendre d’avoir dépassé cette phase pour accepter de redécouvrir un patrimoine qui entre-temps a rouillé, ou bien a été vandalisé.

Dans tous les cas il y a un rejet du bâtiment industriel en désuétude. «Le patrimoine commence toujours avec la protestation. Ensuite il peut progresser» estime toutefois François Loyer avec optimisme4. Il s’agit tout simplement, comme l’écrit à son tour Jean-Yves Bon-nerue, «de transformer un dégoût ancestral pour une architecture dont le défaut est de s’af-firmer comme une architecture du travail, en un intérêt pour une architecture du passé dont la qualité majeure est de ne pas cacher sa fonction.»5 Cette prise de conscience n’a eu lieu en France qu’avec un demi-siècle de retard sur les anglais et les scandinaves, qui ont eux com-mencé à se passionner pour leur industrial heritage dans les années 40. C’est en 1983 que fut finalement créée la cellule du patrimoine industriel au sein de la sous-direction de l’Inventaire.

Mais pourquoi cet d’intérêt soudain pour l’architecture industrielle ? Pour le com-prendre, il faut revenir à la définition même de patrimoine, pour laquelle Lévy et Lussault proposèrent en 2004 : «ensemble de représentations, d’attributs fixés sur un objet non contem-porain (œuvre, bâtiment, paysage, site,...) dont est décrétée collectivement l’importance in-trinsèque qui exige qu’on les conserve.»6 Cette «importance intrinsèque» se retrouve bien dans la qualité de l’architecture industrielle, qui laisse certains encore perplexes (créations d’architecte ou d’ingénieur ? architecture de l’industrie ou architecture industrialisée ?). Ma-rina Gasnier rajoute que «ces bâtiments ne sont pas seulement des supports de mémoire, de la matière ethnologique et des prouesses techniques, ce sont aussi tout simplement des monu-ments dont la vision nous procure une émotion esthétique souvent considérable». Ces édifices voués à l’industrie et aux transports, souvent signés de la main d’architectes-ingénieurs, valent

3 Marina Gasnier, Patrimoine industriel et technique, 20114 Table ronde, Les perspectives de la recherche : patrimoine et architecture, urbanisme et paysages, 20085 Jean-Yves Bonnerue, L’architecture industrielle, notion de patrimoine élargi, 19876 Lévy et Lussault, cités dans Paysages et territoires de l’industrie en Europe, Simon Edelblutte, 2010

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autant que bien des chefs-d’œuvre de l’architecture civile ou religieuse. Ils représentent en plus la majeure partie de l’innovation architecturale de ces deux derniers siècles.

Mais comme ça l’a déjà été évoqué plusieurs fois, la valeur patrimoniale de l’architec-ture industrielle se trouve aussi dans le fait que ce sont des constructions où se sont forgées des identités. Il y a un devoir de mémoire inévitable. Dans une société de plus en plus mondialisée, la perte de ces témoins d’une époque nous effraie. Louis Bergeron explique ainsi qu’au mo-ment «où notre société aborde une autre phase de croissance économique caractérisée sans doute par des structures industrielles radicalement différentes, il est nécessaire qu’elle puisse comprendre qu’il est contre son intérêt de se couper de son passé industriel et technique, proche ou ancien.»7

Là où toute cette mécanique identitaire gagne encore en importance, c’est dans son étendue. Peut-être encore plus dans un site industriel que pour un monument antique, une vieille ville médiévale, ou un paysage rural préservé. La physionomie de régions entières a été remodelée par l’extraction de la houille noire, la sidérurgie ou l’exploitation de la houille blanche. Les ouvrages d’art qui en sont issus et qui ont puissamment façonné leur environne-ment méritent, à ce titre, d’être pris en compte, tant sur le plan de l’architecture que de l’his-toire économique et technique dans laquelle ils s’inscrivent. Ni plus ni moins que le pont du Gard.

Les critères définissant un patrimoine industriel

Sur les bases d’une reconnaissance de potentiel patrimonial à l’architecture industrielle, il a fallu rapidement édicter des critères plus pragmatiques de «sélection» d’exemples significa-tifs à sauvegarder, seul moyen possible pour éviter une politique déraisonnée de protection à outrance.

La première base fut énoncée dans la Charte de Venise, en 1964, qui ne concernait pourtant pas du tout le patrimoine industriel : «chargée d’un message spirituel du passé, les œuvres monumentales des peuples demeurent dans la vie présente le témoignage vivant de leurs traditions séculaires.» Cela se développe dans l’article 3 : «La conservation et la restau-ration des monuments visent à sauvegarder tout autant l’œuvre d’art que le témoin d’histoire.» On peut également citer l’article 7, qui énonce que «le monument est inséparable de l’histoire dont il est le témoin et du milieu où il se situe.» Il y eut ensuite la convention de l’UNESCO, pour la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel. L’article 1 dit ceci : «sont consi-dérés comme patrimoine culturel les groupes de constructions isolées ou réunies qui, en rai-son de leur architecture, de leur unité, ou de leur intégration dans le paysage, ont une valeur exceptionnelle du point de vue de l’histoire, de l’art ou de la science.» Cet article distingue également 3 types d’échelle pouvant être protégées : édifices/monuments ; groupes/ensembles ; sites/territoires/villes.

Avant d’aller plus loin, et pour éviter toute confusion, citons Louis Bergeron qui dis-tingue trois types de bâtiment industriel sujets à patrimonialisation : - le patrimoine immergé : ses traces sont ténues, difficilement identifiables, mais encore pré-sentes dans le paysage ;- le patrimoine travesti : désigne des bâtiments industriels qui n’en ont pas l’air, car l’archi-tecture magnifie parfois autre chose que seulement la fonction (cf. manufactures du XVIIIe) ;

7 Louis Bergeron cité dans Paysages et territoires de l’industrie en Europe, Simon Edelblutte, 2010

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- le patrimoine au grand jour : affirme sans complexe sa nature, présente des archétypes (comme les hangars métalliques passe-partout, caractéristiques de notre époque) qui du fait de leur banalité sont peut-être ceux qui sont le plus en danger.Cela permet de mieux appréhender les différentes caractéristiques de ce nouveau patrimoine.

La première est la dimension mémorielle. Elle a fait l’objet de nombreux écrits de so-ciologie, tous unanimes sur son importance. Par comparaison avec la notion d’histoire, Pierre Nora donne une explication sur ce que signifie être «objet de mémoire» : «La mémoire installe le discours dans le sacré, l’histoire l’en débusquerait. L’histoire ne s’attache qu’aux conti-nuités temporelles, aux évolutions et aux rapports des choses. La mémoire s’enracine dans le concret, dans l’espace, le geste, l’image et l’objet. La mémoire est un absolu et l’histoire ne connaît que le relatif.»8 La justification la plus souvent évoquée pour une patrimonialisation est en effet que le bâtiment est représentatif d’une époque. De ce fait, on retiendra que les mo-numents dotés d’un fort contenu symbolique et social sont les plus à même de faire patrimoine.

Mais la reconnaissance patrimoniale n’est jamais bien loin non plus de considéra-tions d’ordre esthétique. L’architecture industrielle est souvent porteuse d’une image atypique (caractéristique des usines travesties), qui signifiait à l’époque une volonté de renforcer la notoriété d’une entreprise face à la concurrence, et de glorifier la technique. Le patrimoine in-dustriel est par conséquent aussi porteur de savoir-faire. La Chocolaterie Menier, par exemple, raconte l’histoire du métal, du béton, et du chocolat. Une valeur pédagogique apparaît alors. Mais l’univers de la chocolaterie constitue aussi dans son ensemble le témoignage d’une dy-nastie industrielle et d’une population ouvrière. La question de la relation au paysage ainsi soulevée est essentielle, bien que peu souvent mentionnée dans les textes officiels.

En résumé, l’intérêt patrimonial d’un bien s’évalue en examinant un ensemble de cri-tères historiques, artistiques, scientifiques et techniques. Les notions de rareté, d’exemplarité et d’intégrité des biens sont aussi prises en compte. Mais que se passe-t-il ensuite ?

Quel avenir pour le patrimoine industriel ?

On ne peut définitivement pas adopter une démarche unique de muséification du patrimoine bâti. Il se pose toujours derrière la question de la nouvelle destination à donner aux sites in-dustriels désaffectés. Cela semble évident, mais en vérité, la patrimonialisation de l’industrie

8 Pierre NORA cité dans Patrimoine industriel et technique, Marina Gasnier, 2011

Fig. 39 : Patrimoine travesti : la manufacture royale des Gobelins, Paris (construits en 1627).

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aura longtemps été coincée entre le gel stérile et la destruction amnésique. Il est désormais pri-mordial, dans une perspective d’un patrimoine moteur d’évolution, et non uniquement objet de nostalgie, de prôner une action concertée et réfléchie pour la conservation sélective d’éléments reconnus exemplaires.

Souvent polluées, victimes d’une mauvaise image, délabrées à un point de non-re-tour, la reconversion de friches industrielles n’est pas une mince affaire. Pourtant, beaucoup d’exemple réussis existent. On peut citer les filatures Le Blan à Lille, réhabilitées dans les années 80 en logements sociaux par les architectes P. Robert et B. Reichen. Dans une autre démarche et à une autre échelle, il y a aussi le Volklinger Hutte, ou «route de la culture in-dustrielle» (en 1999), qui prône plutôt une forme de tourisme industriel. Le plus connu de ces exemples reste celui du bassin de la Ruhr et de son Emscher Park (en Rhénanie-Westphalie, Allemagne). L’opération consistait à détourner l’usage premier des divers éléments qui com-posait ce gigantesque site. Certains silos sont ainsi devenus des murs d’escalade, et de nom-breux équipements techniques ont fait l’objet d’interventions artistiques.

Ce dernier cas très réussi est manifeste de la nouvelle considération accordée aux pay-sages industriels. On oublie trop souvent que les paysages mêlent traces du passé et du présent, et qu’ils sont, comme le disait Béguin en 1995, «une mémoire qui enregistre et totalise.»9 Ils ont aussi un potentiel patrimonial. Mais ce n’est que depuis récemment que l’on cherche à conserver des sites industriels entiers. L’exemple typique de Saltaire, en Angleterre, interroge ainsi : sauvegarder l’ensemble permet-il de sauvegarder le paysage ? Cette question rhétorique évoque la nécessité de bien souvent garder aussi le cadre originel, et même naturel, du site industriel.

Le patrimoine industriel actuel et potentiel de la Romanche

Nulle autre évolution technique et sociale que l’hydroélectricité n’a à ce point affectée le ter-ritoire alpin, excepté peut-être le tourisme. Les nombreux barrages et centrales reflètent une épopée tant par la prouesse technique de leur construction que par leur qualité architecturale. Tout cela rejoint l’idée que la vallée de la Romanche regorge d’un patrimoine de valeur.

C’est le problème de la gestion d’installations anciennes et vieillissantes qui a éveillé le problème patrimonial. En 1985 au musée Dauphinois de Grenoble, une exposition intitulée «Cathédrales Electriques» tenta de mettre à la vue de tous cet héritage à sauvegarder. Avec le musée Hydrelec, créé à Vaujany en même temps que le barrage du Verney, ce sont les pre-mières manifestations de la volonté d’exposer une fierté régionale. S’en suivit l’ouverture du musée de la Romanche à Rioupéroux, puis l’intervention du label «Patrimoine en Isère».

9 Béguin (1995), cité dans Paysages et territoires de l’industrie en Europe, Simon Edelblutte, 2010

Fig. 40 : Réinventer les usages pour conserver le paysage : l’Emscher Park.

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De fil en aiguille, la centrale des Vernes devint en 1994 le premier édifice français d’hydroélectricité classé au titre des monuments historiques. Ca ne s’arrêta pas là puisque sont inscrits à l’Inventaire Général l’église de Livet (pour ses vitraux), le pavillon Keller, ainsi que la plus ancienne conduite forcée retrouvée à Rioupéroux, lors de la destruction de Péchiney en 1998. Ces constructions ne bénéficient toutefois d’aucune protection particulière, contrai-rement à des édifices classés. Le tourisme patrimonial est également lancé dans la région en 1995, avec le premier circuit intitulé «Epopée de la Romanche» de l’APHID10, initialisé par André Ducluzaux.

Cette reconnaissance dans la vallée n’aura pas été vaine. Si EDF compte bel et bien supprimer les ouvrages jugés inesthétiques, tels que les conduites, canaux, lignes et une grand part des centrales (Pierre-Eybesse, Roberts, Rioupéroux, les Clavaux), la société s’est engagée à sauvegarder la façade vitrée de l’usine de Livet et la centrale des Vernes. Mais forcément, après tout ce que ce mémoire a essayé de montrer, le choix d’EDF pose question. Tous ces éléments qui prennent une place considérable dans le paysage sont injustement jugés indési-rables, et n’ont pas encore été traités. Il faudrait aller au-delà d’une seule et unique conduite forcée, et s’interroger sur d’autres infrastructures techniques remarquables. Anecdote qui va dans ce sens : l’architecte en chef des monuments historiques en charge de la rénovation des Vernes a tenu à laisser debout les pylônes devenus inutiles de la centrale (lignes souterraines), pour la simple et bonne raison qu’ils participaient selon lui à la mémoire du lieu. Cet acte «gratuit» est révélateur de la persistance d’une image d’un lieu, de repères, de témoins histo-riques, et donc d’un paysage formant patrimoine. De la même manière, ne devrions-nous pas protéger la cité de la Salinière ? La centrale des Roberts, typique de la période pionnière ? Ou bien encore celle, incroyable, de Bâton ? Si une préservation globale est illusoire, et de toute façon peu pertinente, on peut envisager de préserver la lecture de la cohérence du système, du lieu, à partir de ces quelques témoins majeurs.

Cette relation entretenue conjointement par l’architecture industrielle et la vallée de la Romanche demeure un enjeu important dans une optique patrimoniale. C’est cette relation, déjà largement évoquée, que nous allons maintenant mettre en évidence.

10 Association pour le Patrimoine et l’Histoire de l’Industrie du Dauphiné

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Graphe de synthèse : évolution de l’architecture

ACTIVITÉ INDUSTRIELLE REPRÉSENTATIONARCHITECTURE INDUSTRIELLE

Proto-industrie Projet Utopie

Activité nouvelle/ProgrèsCréation

«centrales pionnières» Nouveauté + Modèles

DéveloppementDéveloppement

«centrales pittoresques» Symboles de progrès

Stagnation Stagnation Symboles régionaux

Déclin Stagnation + Abandon Stagnation

DisparitionVieillissement + Ruines + Des-

truction + Friches Rejet

Nouvelle activité ? Remise en question Patrimoine

Destruction Une image dans un livre

Conservation Un édifice réhabilité

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CHAPITRE 3

LE DIALOGUE

Dans ce genre de paysage que constitue la vallée de la Romanche, l’évolution subie par le lieu ne s’est pas faite seule. Pour reprendre des notions géographiques appropriées, il y a forcément eu un amont (des causes), et un aval (des conséquences). Au regard de ce que nous avons pu découvrir jusqu’à présent, l’architecture industrielle semble avoir joué ce double rôle, qu’il convient de caractériser en tant que processus temporel.

Fig. 41 : Le monument hydroélectrique des Vernes, constitutif de son paysage (projet de 1915).

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Identification des liens entre le patrimoine industriel et la vallée

Avant de s’attaquer à une analyse dans le temps, on va s’attacher à trouver les typologies essentielles de relations et tout ce qu’elles impliquent. Mais tout d’abord, voici deux notions fondamentales qui montrent bien la portée des enjeux associés à chaque type.

S’implanter

Toutes les interrelations qui ont pu être mises en évidence démarrent par l’implantation de lieux artificiels dans la vallée. Il est primordial de comprendre les tenants et aboutissants de cet acte primaire. Primaire à quel point ? «Avant de poser pierre sur pierre, l’homme a posé la pierre sur la terre pour marquer un lieu dans l’univers inconnu»1 écrit Vittorio Gregotti. Voilà l’évidence que l’architecture, à l’origine, n’est rien d’autre qu’une prise de contact, un enraci-nement dans un lieu. Et cela engendre des marques d’appropriation sur le lieu. La question est de savoir si ces marques sont assumées ou non.

Une implantation architecturale rendrait donc possible l’expérience du lieu. «Le but essentiel de la construction de l’architecture est donc celui de transformer un site en un lieu, ou plutôt de découvrir les sens potentiels qui sont présents dans un milieu donné» continue Norberg-Schulz. Cela passe par le vécu physique, sur place, autant que par le regard, proche ou lointain, qui s’accroche aux logiques et aux exhubérances de ces implantations. Mais pour parvenir à toucher le visiteur, il est nécessaire d’acquérir une certaine conscience paysagère, de comprendre le paysage dans lequel on intervient, ses limites, son vocabulaire, son caractère.

Ce processus de prise de site a un impact fondamental à échelle humaine, ce qui ne l’empêche pas de souvent concerner de vastes étendues (15 km en ce qui nous concerne). «Les endroits de ce milieu construit par l’homme sont avant tout des implantations à différentes échelles [...] qui transforment la nature en paysage culturel.»2 Cette constatation de l’auteur norvégien met en évidence le fait qu’il y ait plusieurs échelles d’implantation, et donc de dia-logue et d’influences.

1 Gregotti, cité dans Régionalisme critique : influence du lieu sur l’architecture, Ugo Ribeiro, 20112 Christian Norberg-Schulz, Genius Loci, 1997

Fig. 42 : L’implantation de la centrale de Livet II interrogea le torrent, la cascade et les forêts derrière elle, ainsi que les usines déjà présentes ou non.

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Pour finir, l’acte de l’implantation introduit également, toujours d’après Nor-berg-Schulz, un premier rapport «figure-fond» avec son environnement, quelle que soit la forme finale de la construction. Il va plus loin et affirme qu’en cas «d’altération de ce dit rap-port, les implantations en viennent à perdre leur identité.»3 On comprend par là que la relation définie avec le paysage est garante de l’identité du lieu, et qu’il faut donc l’entretenir.

L’attachement identitaire

C’est dans cette identité du lieu que peut se construire l’identité d’une population. L’implanta-tion, en tant qu’accaparation d’un bout de terre, induit forcément une forme d’appropriation, et donc un attachement identitaire. «Les lieux ainsi identifiés relèvent de l’histoire locale des groupes sociaux et de leurs inscriptions visibles ou invisibles»4 résume ainsi Augustin Berque.

Cet attachement est à l’origine de l’acte d’habiter, puisque l’homme habite lorsqu’il réussit à s’orienter dans un milieu et à s’identifier à lui, ou plus simplement lorsqu’il expéri-mente la signification d’un milieu. Ainsi, «l’identité de l’homme dépend de l’appartenance au lieu» explique Norberg-Schulz. Les auteurs Moore et Lyndon continuent : «les rêves qui accompagnent les actions de l’homme seront nourris par les lieux dans lesquels les gens vivent.»5 Le territoire, empreint de significations, dépasse donc la seule dimension fonctionna-liste prônée par les modernistes et influence l’être humain de par ce caractère qui le distingue. C’est d’ailleurs ce que défend la théorie du régionalisme critique.

Cet attachement au lieu peut se concrétiser par diverses expression architecturales, selon différents degrés d’appartenance, desquels vont naître différents type de rapport archi-tecture/paysage.

Type 1 - Le besoin

C’est le tout premier type de lien qui existe entre les centrales hydroélectriques et le paysage : les centrales ont besoin des conditions naturelles qui constituent la géographie de la vallée, à savoir l’eau et le dénivelé. Tout ce patrimoine industriel est donc né d’un dialogue. Et c’est un paradoxe car à la base, l’eau, la roche et la pente rendaient la vie très difficile dans la région. Ce sont ces ressources qui ont finalement permis l’essor industriel incroyable que l’on connaît. L’invention de l’expression «houille blanche» aura d’ailleurs à elle seule engendré un change-ment bénéfique du regard porté sur le massif alpin. En effet, elle exprime clairement ce besoin en mettant en valeur la provenance de l’énergie électrique, à savoir les glaciers et les torrents.

Mais l’homme va ensuite s’attacher à dépasser cette idée qu’il dépend de son environ-nement. Il va chercher à prendre le dessus en faisant oublier ce besoin derrière l’expression toujours plus imposante du progrès technique (en construisant sur des chutes toujours plus hautes ou des usines toujours plus décorées). L’architecture donne ainsi la capacité d’équili-brer un rapport de force entre l’homme et son environnement, qui est longtemps resté pour lui un ensemble de ressources à exploiter pour survivre. Guillaume Simonin explique d’ailleurs qu’il est nécessaire à un moment de «remettre en cause la vision de l’environnement comme une ressource énergétique, quantifiable et maîtrisée, pour redéfinir un paysage dans tout sa

3 Christian Norberg-Schulz, Genius Loci, 19974 Augustin Berque, cité dans Paysages et territoires de l’industrie en Europe, Simon Edelblutte 20105 Moore et Lyndon, cités dans Paysages et territoires de l’industrie en Europe, Simon Edelblutte 2010

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dimension sensible et symbolique»6, et en découvrir les significations.

TYPE 2 - La contrainte

Typiquement, le phénomène géographique (relief, végétation, nature du sol, présence d’eau) commande l’implantation, dans son orientation, sa taille, et sa position par rapport au reste du lieu. Ajoutée au peu d’ensoleillement, la géographie complexe n’a donné que très peu de terrains constructibles, les plus exposés étant à la base réservés à l’agriculture.

Les centrales devaient se trouver suffisamment proches du torrent pour rejeter l’eau, et ne pouvaient être construites, à cause des machines, que sur une parcelle plane. Des adap-tations étaient possibles selon ce que proposait l’endroit. La centrale de Bâton n’entretient ainsi aucun rapport avec la rivière puisqu’elle profitait d’une chute d’eau aménagée dans la montagne. On remarque d’autre part que, lorsque l’on parle de bâtiments industriels, le cahier des charges techniques dicte aussi ses propres règles. La nature du bâtiment plus le lieu où il s’implante forment ensemble une double condition sine qua non. Les centrales n’eurent pas bien d’autre choix non plus que de s’installer au plus près du torrent. Les usines suivirent, puis ce furent une majeure partie des logements et activités qui rejoignirent le fond de vallée, là où pourtant le soleil manque cruellement. La contrainte de départ laissa au final les versants presque vierges.

La géographie complexe aura aussi forcé un éclatement de la disposition des divers organes techniques à travers la vallée. Les centrales se succèdent sur la Romanche à intervalles réguliers, les usines et les logements se retrouvent parfois à rechercher des terrains construc-tibles à l’écart des bourgs, etc. L’ensemble éparpillé témoigne en fait d’une nécessité générale d’adaptation au milieu. Cette configuration très peu dense est néanmoins propice à un dialogue plus étroit avec l’environnement, à une véritable prise de site. La place que prit l’axe de com-munication fut ainsi primordiale pour relier ces implantations des quatre coins de la vallée. Il permit de palier à la contrainte géographique, comme il avait pu le faire en désenclavant cette

6 Guillaume Simonin, Vallée de la Romanche : pays, paysage et flux, TPFE, 2002

Fig. 43 : Centrale des Roberts (1915) : pour les centrales hydroé-lectriques, la pente et l’eau sont les deux conditions sine qua non.

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ancienne région rurale, qui vivait depuis longtemps en quasi autarcie.

Les implantations industrielles ont à leur tour contraint le paysage. Cela est évident lorsqu’on regarde les aménagements réalisés pour la maîtrise du torrent. Les endiguements, les vannes et les nombreux canaux ont instauré un nouveau cours pour la Romanche. De même pour les aménagements des cascades. Il y a donc eu à un moment un inversement du rapport de force, qui provoqua parfois des changements irréversibles dans le paysage.

TYPE 3 - L’impact physique

L’impact physique, si on y réfléchit bien, est en fait la suite logique d’une contrainte du lieu naturel qui a été dépassée par la force. C’est un rapport violent, qui se fait essentiellement de l’homme sur son environnement. Dans le sens inverse, on relèvera uniquement les marques du temps laissées par l’environnement.

L’impact physique implique donc la destruction d’un élément naturel, au profit d’un élément artificiel. L’implantation est le premier impact physique effectué par l’homme. Elle est acte de destruction : destruction d’un arbre, de la couche de terre sur laquelle on construit, ou d’un espace vide. Il est impératif d’assumer l’impact physique, même sur la nature que l’on tend aujourd’hui à rendre intouchable ; ce n’est pas une fin en soi à condamner, mais un moyen. Guillaume Simonin écrit à ce sujet que «si tout venait à s’immobiliser, toute conscience du paysage disparaîtrait au profit d’un paysage muséifié, déconnecté de la société.» Il conclut en écrivant que «la capacité d’une société à transformer son paysage, à l’adapter à ses besoins, est le gage d’une conscience paysagère.»7 Seule cette conscience peut permettre de justifier des conséquences physiques parfois très traumatisantes.

Effectivement, la transformation de la physionomie d’un paysage est le phénomène qui révolte le plus la conscience collective, car c’est l’image que les lieux donnaient d’eux-mêmes qui est directement touchée. Pour autant, les modifications apportées au torrent, qui a été de loin l’aspect du paysage le plus métamorphosé, n’ont pas vu beaucoup de résistance. Sûrement parce qu’elles faisaient partie d’un progrès bénéfique pour la vallée. Aujourd’hui, de façon généralisée, le conservatisme est de plus en plus de mise, car on attaque une identité qui s’est construite et qui refuse de changer. A l’époque, l’identité de la population ne s’était pas encore suffisamment attachée au paysage, plutôt rude à vivre.

Un barrage induit un traumatisme autrement plus grand, car il est capable de complé-tement transformer le visage d’une vallée entière. Son impact est tellement important qu’il y a un avant et un après le barrage, contrairement à la vallée de la Romanche qui s’est transformée progressivement.

TYPE 4 - L’influence

L’influence décrit l’impact, non subi, d’un élément extérieur. Ses conséquences ne sont pas moindres qu’un impact physique, juste moins évidentes. C’est une relation établie dans le sens du paysage sur l’architecture, notamment des centrales. En effet, le lieu artificiel ne peut pas influencer un lieu naturel déjà construit, il n’a que des impacts physiques.

7 Guillaume Simonin, Vallée de la Romanche : pays, paysage et flux, TPFE, 2002

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L’architecture vernaculaire est représentative de la notion d’influence. Conçu en har-monie avec son environnement, ce type de bâti naît du sol et des ressources de la région où il s’implante, et sa conception prend en considération l’ensemble des contraintes locales. Elle présente donc une bonne résistance à l’égard des risques naturels de la région. Cette inscrip-tion adaptée au territoire (et non pas contrainte) s’exerce également au niveau social. Les ac-teurs locaux sont impliqués, ce qui génère des démarches de concertation et un certain renfor-cement du rapport identitaire entre les habitants et le territoire. L’architecture vernaculaire leur propose en quelque sorte de «pactiser avec le genius de la localité dans laquelle ils doivent vivre»8 comme l’écrit Norberg-Schulz.

Sur certains aspects, les édifices industriels de la Romanche ont quelque chose de vernaculaire, notamment les centrales pionnières, que l’on pouvait facilement confondre avec de l’habitat traditionnel de l’Oisans. Mais ce caractère disparut rapidement, avec la diffusion de l’architecture moderne, au profit d’expressions libérées des influences locales. On préfé-rera alors au terme de vernaculaire celui de régionalisme critique. Celui-ci, d’après Lewis Mumford, implique un transfert du lieu et de ses propriétés vers l’architecture, pour que les gens se sentent chez eux. On parle alors bien d’influence. Cela témoigne d’une vraie résistance du lieu dans la conception architectural. Mais il ne s’agit pas d’une contrainte ! Il faut plutôt se dire que l’environnement est un matériau d’une infinie richesse pour le projet architectural, qui s’impose à nous mais que l’on choisit de prendre en compte ou non. Dans cet ordre d’idée, Norberg-Schulz défend que «l’acte de base de l’architecture est de comprendre le vocabulaire du lieu». Car l’architecture en appelle aux signes culturels, symboliques et esthétiques que l’on peut tirer de l’environnement. C’est un processus de conscientisation du lieu. Seulement voilà, «comment notre perception du paysage devient-elle perception esthétique ? comment acquiert-on cette conscience ?»9 questionne Gregotti. Encore un problème de genius loci.

TYPE 5 - L’intégration

Cette typologie défend l’idée que l’architecture ne fait pas que s’inscrire dans le paysage, mais peut l’intégrer à part entière. On ne remplace rien, on accompagne un ancien paysage dans une évolution dictée par l’élément construit.

8 Christian Norberg-Schulz, Genius Loci, 19979 Gregotti, cité dans Régionalisme critique : influence du lieu sur l’architecture, Ugo Ribeiro, 2011

Fig. 44 : Une grange vernaculaire du début XXe, aux Clavaux, rénovée avec de la tôle ondulée.

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Une intégration se fait à des degrés variables. Le degré du compromis, entre se fondre totalement et la contradiction violente, Norberg-Schulz lui attribue le terme de «classique». «Il y a des lieux où les forces et l’ordre sont arrivés à trouver un équilibre : c’est l’architec-ture classique. Ses formes communiquent à la fois l’appartenance et la liberté. L’inscription classique se manifeste par une présence caractérisée et bien distincte, dans son rapport avec l’environnement.»10. L’architecture du val de Livet est classique.

L’intégration est souvent permise par la prise en compte pertinente des influences du contexte. D’une autre manière que l’architecture vernaculaire, la centrale de Bâton est aus-si un archétype de l’intégration totale, que Norberg-Schulz qualifie de «romantique». Quant aux infrastructures hydroélectriques elles s’intègrent bien au paysage. Elles participent à son envergure, à sa géographie, et ne s’imposent jamais par rapport à autre chose puisqu’elles ex-ploitent justement cet environnement. Les pylônes électriques, controversés en plaine, jouent sur les flancs rocailleux avec la verticalité et la légèreté pour devenir un élément à part entière de la montagne. D’autres fois, noyés dans les forêts de sapins, on dirait l’un d’entre eux. En ce qui concerne les conduites forcées, leur échelle est celle des falaises, de même pour les teintes grise et rouille qu’elles présentent. De plus, leur serpentement au milieu des éboulis rappelle la dynamique des ruisseaux de la montagne. Livet II exploite aussi ce registre de la référence pour s’intégrer (sa façade rappelle la limpidité et la dynamique des eaux vives). Son dessin et ses proportions accompagnent en plus très bien la cascade qui se trouve derrière. On retrouve le schéma figure-fond.

Dernier point mais pas des moindres, les friches et bâtiments en ruines qui forment depuis récemment une partie du paysage sont très intéressants du point de vue de l’intégra-tion. Murielle Hladik remarque avec justesse que «dans le processus de déconstruction et de décomposition de l’artefact bâti, les lois de la nature semblent vouloir reprendre leurs droits.

10 Christian Norberg-Schulz, Genius Loci, 1997

Fig. 45 : Construction de la centrale des Vernes (1917), entre référence à un palais et influences locales dans la mise en oeuvre, les Vernes sont l’exemple parfait d’une implantation «classique».

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[...] La ruine s’intègre progressivement dans un milieu naturel.»11 Elle éveille de ce fait une certaine fascination, et dans le même temps, elle rassure, tel que l’explique encore Murielle Hladik : «la ruine nous procure cette impression rassurante de se fondre dans la nature. Elle est surtout rassurante pour ceux qui pensent que l’architecture ou la technique des hommes sont une blessure contre l’ordre naturel des choses.» Un retour à la poussière en quelque sorte.

TYPE 6 - La mise en valeur

La conception architecturale peut aussi jouer des différents éléments du site pour le mettre en valeur, faire ressortir ses qualités d’atmosphère, picturales ou de composition spatiale. Inver-sement, une implantation adéquate ou un élément naturel peut, s’il est bien utilisé, mettre en valeur le bâtiment (exemple de la cascade derrière la centrale de Livet II).

C’est tout d’abord par son aptitude à rassembler que l’architecture peut mettre en valeur un lieu. Si on empêche ce processus de rassemblement, il y a perte de lieu. Heidegger confirme cela avec sa théorie du «pont» : «léger et puissant, le pont s’élance au-dessus du fleuve. Il ne relie pas seulement deux rives déjà existantes. C’est le passage du pont qui seul fait ressortir les rives comme rives. [...] Il unit le fleuve, les rives et le pays dans un mutuel voi-sinage. Le pont rassemble autour du fleuve la terre comme région.»12 Le paysage acquiert une valeur en soi, au travers du pont. La centrale de Livet II est le «pont» qui rassemble la cascade derrière elle et la Romanche juste en-dessous. Aurait-ce été le cas avec une autre architecture ? Les anciennes centrales de Livet montrent bien que pas forcément.

Mais quelles sont les différentes formes de mise en valeur du paysage ? Norberg-Schulz parle d’abord de la référence. D’après lui, les lieux artificiels font référence à la nature selon deux modalités majeures13 : - «L’homme aspire à préciser la structure naturelle.[...] C’est donc dans ce but qu’il construit ce qu’il a vu. Là où la nature suggère un espace délimité, il crée une enceinte, là où la nature apparait centralisée, il érige un monument, là où la nature indique une direction il ouvre un chemin» ;- «L’homme doit exprimer par des symboles sa connaissance de la nature. [...] Un caractère naturel est traduit dans un édifice par des propriétés adéquates qui rendent ce caractère ma-nifeste, afin qu’il devienne un objet culturel».

Ensuite, un projet hydroélectrique, de par sa nature, révèle la géographie alpine et ses potentiels. Il suffit de voir le spectaculaire siphon de l’Argentière, qui affirme d’un élan majestueux le paysage fracturé dans lequel il s’inscrit. Les équipements hydroélectriques jouent également beaucoup de la géographie de la vallée pour mettre en valeur la topographie : les conduites forcées empruntent la ligne de la plus grande pente, et les galeries d’amenée s’alignent sur les courbes de niveau, tandis que les lignes électriques relient le fond de la vallée aux paysages d’altitude en soulignant le parcours aérien le plus court.

Les plus remarquables restent néanmoins les aménagements techniques de béton et de fer du torrent, qui racontent la contradiction entre son profil mouvementé et une course plus apaisée, soulignant la puissance ou la tranquillité des écoulements. C’est donc dans leur capa-cité à aménager un territoire et à dialoguer avec la géographie de la montagne, plus que dans

11 Murielle Hladik, Habiter le temps, ou la poétique des ruines, 201012 Martin Heidegger, Essais et conférences : bâtir, habiter, penser, 195813 Christian Norberg-Schulz, Genius Loci, 1997

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leur dessin, que ces infrastructures peuvent nous parler à nous, architectes. On se rend compte autrement que l’eau aura longtemps séduit les constructeurs de la vallée. Cette fascination at-teint son paroxysme avec la centrale des Vernes, qui est entièrement conçue autour de la mise en scène de son parcours. Quant à Livet II, elle a la propriété de refléter le paysage alentour, et de lui donner d’autant plus d’importance. C’est une sorte d’hommage que ces architectures rendent au lieu qui les accueille.

TYPE 7 - La confrontation

Il s’agit d’une mise en concurrence de deux images, celles du lieu artificiel et du lieu naturel. Le rapport ambigu ainsi établi est capable de faire naître autant d’incohérence que d’harmonie. Il peut effectivement permettre éventuellement l’intégration par le contraste, selon le degré employé. Nourrir la contradiction participe à caractériser un lieu, à révéler sa substance en donnant corps à chaque élément qui le compose. Car la prise de conscience paysagère est immédiate lorsque la confrontation lieu naturel/artificiel est engagée. C’est une autre sorte de mise en relation, plus subtile, mais aussi plus difficile à obtenir. La centrale des Vernes est dans cette logique-là. Sous ses allures de palais renaissance étrange, sa conception globale était en rupture avec l’architecture vernaculaire qui régnait alors.

L’exemple le plus parlant est l’aménagement de la Romanche. Sa course torrentielle folle longe pendant plusieurs centaines de mètres le profil artificiel plus calme des canaux. Un véritable oxymore, qui révèle une certaine vigueur, elle-même en contradiction avec les masses immuables des montagnes alentours. Cette confrontation met au final parfaitement en valeur l’élément majeur de la vallée.

TYPE 8 - La domination

Résultat d’une confrontation de degré maximal, la domination est un rapport de forces qui ne se fait que dans un sens. Ce rapport déséquilibré a des conséquences indiscutables sur la repré-sentation que l’on se fait d’un lieu et sur la manière dont on le vit. C’est pourquoi la montagne a pendant longtemps effrayé l’homme, avant que celui-ci ne prenne le dessus avec l’industrie hydroélectrique et ne change complétement son regard dessus. Les barrages, comme l’étale-ment péri-urbain, les aciéries du bassin de la Ruhr, les terrils de Lens, ou les plaines agricoles,

Fig. 46 : Siphon de l’Argentière, Hautes-Alpes

Fig.47 : La Romanche contradictoire : prise d’eau à Rioupéroux (début XXe).

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sont des situations où le lieu artificiel a formé le paysage, et domine son territoire.

En fait, le rapport de force dans la vallée n’est pas si évident. Malgré la domination claire et nette du paysage de montagne, en terme de présence dans le lieu, sur les petites ag-glomérations coincées en fond de vallée, à échelle humaine interviennent d’autres modes de perceptions qui peuvent parfois jouer en faveur des constructions industrielles. L’exemple le plus significatif est le pavillon Keller. Sa partie sur pilotis a été consciemment élevée au maxi-mum de hauteur, dans le souci d’établir un rapport panoptique au paysage.

Les nombreux aménagements du lit de la Romanche, souvent sur de très grandes lon-gueurs, sont quant à eux bien la preuve de la domination exercée sur le courant naturel. Cela est d’autant plus vrai au niveau de Livet, où la rivière est littéralement encadrée par les pignons successifs des usines et la centrale électrique. De même pour les pylônes, qui sont venus sur-monter des promontoires rocheux à première vue inaccessibles. Sans oublier les quelques che-minées, que l’on retrouve surtout à Gavet, et dont les fumées ont longtemps envahit la vallée. L’ensemble des infrastructures manifeste donc la mainmise industrielle sur toute l’étendue du territoire, et tendent à rétablir, avec difficulté, l’équilibre.

On relèvera en outre que, dans ce paysage naturel, là où le sous-système «eau» a été complétement dompté par l’homme, les falaises immuables des flancs de la montagne, elles, exercent toujours leur oppression sur le lieu. Il existe donc une hiérarchie au sein même du paysage naturel.

Type 9 - La structuration du territoire

Dans un rapport de domination, l’élément gagnant (artificiel ou non) peut instaurer de véri-tables lignes directrices qui viennent structurer un paysage tout entier. Les vallées industrielles sont des cas typiques, puisque la direction naturelle imposée par la géographie conduit im-manquablement à un aménagement longitudinal. C’est encore plus vrai en montagne, où la géographie est plus prononcée que nulle part ailleurs. Les réseaux multiples suivent donc

Fig. 49 : Usines de Livet : domination au bord de la Romanche.

Fig. 48 : La position panoptique du pa-villon Keller.

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toujours la direction naturelle de la vallée, et viennent même la souligner. Norberg-Schulz fait alors l’observation suivante : «comment peut-on rassembler, en termes d’espace, une vallée ? La solution la plus simple, la solution vernaculaire, réside dans l’adaptation directe à l’es-pace naturel. Dans une vallée clairement définie, on voit souvent la formation d’une rangée parallèle à la direction du territoire, le long de la voie naturelle des communications.»14 L’ur-banisme de Livet-et-Gavet, avec la construction de la voie ferrée, n’a pas échappé à cette règle. Y compris la cité de la Salinière qui, pourtant, aurait tout à fait pu proposer un plan libéré de cette orientation.

Les repères le long de ce linéaire (pylônes, cheminées d’usines, pavillon Keller, la route, les ponts,...) participent tous à une image structurée du territoire chez la population, qu’elle soit locale ou de passage. Exemple typique : les pylônes électriques, du fait de leur nombre et de leur situation créent des jalons puissants dans le lieu. La vision globale du pay-sage est cependant restreinte par les virages successifs du val, ce qui ne permet pas de se situer par rapport à tous ces repères. Il n’empêche que la représentation mentale faite de l’espace concret décrit par Lynch est, en définitive, bel et bien régie par la structure de l’environnement naturel, que l’architecture est venue appuyer, renforcer, et ponctuer de repères.

Le dialogue, un processus temporel

Phase 1 (... - fin XIXeme) - Avant les centrales

La zone était encore assez rurale. Les cultures agricoles, extrêmement limitées par la géo-graphie du lieu, se faisaient sur les rares plaines alluviales du val à l’ensoleillement suffisant. Certains montagnards trouvaient parfois le courage de s’occuper de parcelles en pente. Cette agriculture n’eut qu’impact très restreint, en fond de vallée. La population tentait tant bien que mal de survivre dans cet endroit hostile. On peut toutefois supposer que les habitants avaient su réaliser une «prise existentielle», à travers une architecture vernaculaire forcément austère mais aussi très adaptée à son contexte.

14 Christian Norberg-Schulz, Genius Loci, 1997

Fig. 50 : Rioupéroux, un urbanisme dirigé et dirigeant.

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Les quelques moulins qui exploitaient le courant de la Romanche n’avaient pas d’autre choix que de la côtoyer au plus près. En revanche, les bâtiments de la papeterie exprimaient déjà le désir de s’extirper d’une tradition trop soumise à son environnement : enduit blanc qui masquait la pierre, ouvertures multipliées, etc.

L’exploitation de la Romanche se faisait de façon ponctuelle, sans aménagement en-core très conséquent, excepté l’endiguement démarré en 1829 et quelques barrages, dont les vannes se manipulaient encore à la main avec les matériaux offerts par le site.

Pour finir, la route concrétisa la première structuration du territoire, dans le sens de la vallée. Ce linéaire fut marqué par de multiples concentrations habitées tout le long, mais aucun repères.

Phase 2 (fin XIXeme - 1905) - Période pionnière

Les débuts de la houille blanche furent discrets. Les industries ne polarisaient pas encore l’es-pace car le manque de technique ne leur permettait pas de s’imposer dans le paysage. De plus, la prédiction du progrès de la vallée, qui regorgeait d’une énergie insoupçonnée, ne se fit que dans la tête d’industriels venus de l’extérieur démarrer leur exploitation. Les locaux en étaient encore à subir leur environnement.

Tout d’abord, la période fut marquée par les premiers aménagements de l’eau à l’échelle de la vallée : chutes d’eau canalisées pour leur exploitation (Livet I, en 1898), construction du barrage de Rioupéroux (en 1905 pour alimenter la centrale des Clavaux), endiguements sup-plémentaires en pierre pour se protéger du torrent, etc. Mais sans encore de réelle maîtrise du torrent.

Avant que ne soit installée la voie ferrée, la géographie de la vallée la gardait dé-sespérément isolée du reste de la France. L’autarcie et la constitution d’une identité locale apparaissaient plus comme des obligations. Le train vint finalement impacter le paysage en élargissant un peu plus l’axe dynamique de la vallée, déjà souligné par le torrent et la route. L’urbanisme se développa alors autour de cet axe et à partir des premières implantations indus-trielles concentrées dans le fond de la vallée, sans aller trop au-delà de la route et des usines. L’agriculture encore très présente empêchait la commune de passer du statut de ville rurale à industrielle. On peut également mettre en évidence le fait que la voie ferrée constitua, avec

Fig. 51 : La route ne traversait à la fin XIXe que de maigres parcelles agricoles.

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la route et les premières conduites forcées, un repère linéaire à l’échelle de la vallée, sem-blable au torrent, mais empreint d’autres significations (progrès industriel, communication avec l’extérieur, connexion interne,...). Le long de cette ligne structurante, les cheminées de Rioupéroux constituaient les seuls repères verticaux de l’époque, donnant une échelle, permet-tant d’identifier un lieu particulier, et servant de symboles. Une présence d’autant plus forte lorsqu’elles crachaient leur fumée, participant ainsi à l’atmosphère du lieu.

Ajoutons que ces infrastructures faisaient la liaison entre les différents systèmes in-dustriels dispersés à travers la vallée, sans logique d’organisation autre que la proximité néces-saire avec les centrales, faute d’un transport électrique suffisamment développé.

Le lieu avait encore une influence très forte sur les constructions. Comme le montrent les constructions pionnières, elles étaient toujours conçues dans le respect des traditions et l’adaptation au contexte, mais sans réelle conscience paysagère, qui ne sera acquise que plus tard.

Phase 3 (1905 - 1918) - Période pittoresque

Avec l’arrivée des constructions atypiques de Keller, c’est une nouvelle conscience paysa-gère qui émerge. La question majeure de cette phase fut la fameuse «que veut être l’édifice ?» de Louis Kahn. On eut ainsi à faire aux premières élaborations de symboles et de monu-ments riches en significations, nécessaires à la prise existentielle. Car l’hydroélectricité était synonyme d’une prospérité sans précédente pour Livet-et-Gavet, jusqu’alors engoncée dans sa situation rurale perdue. Les projets les plus utopiques prirent naissance, et donnèrent à la population une image bien plus positive de ce milieu en mutation. Les éléments ayant le plus d’impact furent plus facilement acceptés, les changements du cadre de vie avec.

Ces transformations ne pouvaient pas ne pas être acceptées. «La structure du lieu n’est pas une condition fixe, éternelle. En règle générale, les lieux se transforment.» Nor-berg-Schulz pointe du doigt la mutabilité d’un lieu. Car on ne désire pas, on l’a vu, se retrouver avec un paysage embaumé, dont on aurait perdu toute conscience. Le lieu doit être dynamique, à condition de conserver le genius loci. Mais «c’est uniquement lorsque nous comprendront nos lieux que nous serons en mesure d’y participer de manière créative, ainsi que de contri-buer à leur histoire» rajoute l’auteur. Cela impliquait une prise de conscience paysagère, qui se formalisa dans les ouvrages pittoresques, à l’opposé de ce que représentait l’architecture vernaculaire. Les centrales et usines construites par Keller à Livet exprimèrent en effet le be-soin de renforcer par des artifices l’identité du lieu, liée autant aux industries qu’au paysage. C’est ainsi que l’on dépassa l’image de la montagne comme décor à admirer et à peindre. Plus qu’un paysage à la fois hostile et romantique, ce devint aussi un lieu auquel on commençait à s’attacher.

La population locale cherchait de plus en plus à s’émanciper des contraintes de ce lieu naturel. La pierre n’était plus utilisée qu’en parement et remplissage, les toitures-terrasses commençaient à apparaître, et de nouvelles références formelles arrivaient de l’extérieur de la vallée. L’architecture eut ainsi une influence indéniable sur l’évolution de la société, sur le caractère des habitants et surtout sur leur usage du lieu, du temps et des saisons, que l’industrie outrepassait. La seule contrainte de laquelle on ne parvenait pas à se défaire était l’implanta-tion sur le site. Du coup, on la mettait en valeur, comme ce fut le cas d’abord pour l’ensemble des équipements hydroélectriques, puis pour les centrales de Livet et des Vernes, ce qui permit

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aux habitants de mieux assimiler le paysage et son genius loci.

En fait, il ne s’agissait plus de s’adapter au contexte, mais de dialoguer avec lui, par-fois par confrontation. Il suffit de voir la centrale de Livet II, qui constitua la première vraie tentative de mise en valeur du lieu. Cela se fit toutefois sans parvenir à dominer ce contexte, notamment parce que dans cette évolution progressive on n’arrivait pas encore à se détacher totalement du style pionnier, comme le montra la construction des Roberts, pourtant arrivée dix ans après Livet II, et peu de temps avant les Vernes.

Avec les Vernes justement, Keller alla encore plus loin qu’avec Livet II. Grâce à l’ar-chitecture, il fit de sa nouvelle centrale un véritable monument touristique dédié à la technique et à l’eau. Outre la mise en scène particulièrement bien faite de cette dernière, il y eut aussi une mise en valeur de la déclivité du terrain par l’escalier et le jardin. Le corps principal de la centrale était cependant invisible depuis la route. Qu’à cela ne tienne : une sorte d’autel fut construit à l’étage supérieur pour indiquer l’endroit. Ce signal, dans une certaine fascination pour l’eau, prit la forme d’une fontaine monumentale.

Fig. 52 : Le jardin et la fontaine monumentale de la centrale des Vernes (1918).

Fig. 53 : L’urbanisme de Rioupéroux (vers 1920).

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En ce qui concerne les logements, les formes importées de Grenoble sur le bord de la route principale apparaissait en rupture avec l’habitat simple qui en formait la majeure partie. Mais leur rapport à la route (la façade arrière, comme en ville, n’était pas traitée) fonctionnait bien mieux que n’aurait pu le faire une maison traditionnelle, que ce soit dans leurs dimen-sions, leur disposition alignée, ou dans l’occupation des rez-de-chaussé par toutes sortes d’ac-tivités. Les logements, comme les usines, du fait de leur relative banalité n’avaient néanmoins toujours pas la capacité de faire mémoire. En contrepartie, ils constituaient un urbanisme de basse montagne, et étaient parvenus à faire de la commune une «ville-usine». Ils lui donnèrent une densité, une atmosphère, une organisation, une autre sorte d’identité en lien beaucoup moins direct avec le paysage.

Autrement, on pouvait déjà observer une certaine mise à distance des usines par rap-port au paysage : leur implantation était liée aux centrales, leur forme pas plus que ça adaptées au milieu, et elles se trouvaient suffisamment rassemblées ensemble pour ne pas miter le site et se retrouver directement confrontées au paysage. Même à Livet, où la formation d’une mu-raille en surplomb de la rivière leur permettait de la dominer, le seul rapport entretenu avec elle se fit justement pour la plupart par le biais d’un unique mur pignon.

C’est vers l’eau qu’il faut se tourner pour voir une réelle évolution dans le rapport au paysage. Elle n’était plus juste une ressource exploitée, mais faisait depuis lors partie de l’ar-chitecture. La mise en scène de son cheminement depuis le canal d’amenée jusqu’à la sortie de l’usine aux Vernes est assez représentatif de cette tendance. Notons d’ailleurs que ce fut la seule centrale de la vallée à capter ses eaux directement à la sortie de la centrale amont, à savoir Livet II, ce qui évita d’avoir à construire un autre barrage, par «respect» (notion jeune à l’époque) pour la rivière. Mais le rôle des ouvrages d’art sur le torrent fut aussi important dans leur rapport étroit à ce flux naturel. Ainsi, le pont des Roberts, de son dessin très horizontal, unissait les deux rives et, avec, les deux versants. Le fait de n’avoir en plus aucun pilier inter-médiaire rendait le dialogue avec le torrent subtil, puisqu’il jouait sur la confrontation entre la direction du pont et celle de la rivière. Ce pont, avec d’autres, participa à la structuration du territoire. On pouvait désormais franchir le torrent depuis la route : la totalité du fond de vallée se trouvait désormais à portée de main.

Enfin, avec le développement du transport du courant, les pylônes en acier formèrent un réseau supplémentaire de lignes aériennes traçant le territoire. Ils permettent de franchir des distances plus grandes, et donc de détacher un peu les centrales des concentrations d’usines existantes, comme le firent les Vernes et les Roberts.

Phase 4 (1918 - 1937) - L’entre-deux guerre

Sur la base des idées initiées par les réalisations de Keller, la vallée se développa ensuite avec la volonté d’élaborer une identité du lieu. Les inscriptions type «Société Keller et Leleux» et les carreaux de céramique émaillée devinrent une marque de fabrique identifiable sur les bâ-timents appartenant à la société. Sans justification ni fonctionnelle ni esthétique, ils servaient essentiellement de repères et facilitaient l’attachement identitaire.

En parallèle, le bâti industriel convergeait vers une indépendentisation vis-à-vis du paysage contraignant de la montagne. Dans un premier temps, les implantations ne répon-daient presque plus de la géographie contextuelle, comme le montraient les Vernes et Clavaux II. Puis la maîtrise totale de l’eau fut enfin acquise sur la totalité des 15 km. D’une part grâce à

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l’utilisation nouvelle du béton qui s’imposa dans le lit de la Romanche à la place de la pierre. Basé sur la préfabrication, il permit aussi à côté d’effectuer des chantiers sans problème durant les rudes hivers de la région. D’autre part grâce aux barrages édifiés à l’époque qui renver-sèrent de façon spectaculaire le rapport de forces. Ils s’imposèrent comme de véritables monu-ments paysagers, exposant les ardeurs techniques des ingénieurs de l’époque.

D’une envergure moindre et plus proches de notre cas, certaines constructions eurent l’ambition à leur tour de devenir des monuments. Il ne faut pas y voir une lubie d’industriels mégalomanes mais plutôt une stratégie d’appropriation d’un territoire à la base assez hos-tile, par la figuration d’une activité industrielle d’un nouvel ordre. Sigfried Giedion explique d’ailleurs que «la monumentalité prend son origine dans l’insurmontable besoin humain de traduire en symboles ses propres activités et son propre destin»15. Outre la centrale des Vernes dont nous avons déjà parlé, le pavillon Keller devint à son tour un repère important dans la val-

15 Siegfried Giedion, cité dans Genius Loci, Christian Norberg-Schulz, 1997

Fig. 54 : Aancienne usine de Livet ; le décorum permet de reconnaitre la «marque Keller».

Fig. 55 : Le pont de la centrale des Roberts (1915), unificateur de paysage.

Fig. 57 : Cheminées d’équilibre des Clavaux II (1931) : monument tech-nique par la verticale.

Fig. 56 : Le barrage du Sautet (1935), un monument technique sur le Drac.

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lée, à côté de la route, signalant l’entrée de l’immense domaine industriel «Keller et Leleux». Les parties sur pilotis se démarquaient par leur audace et leur besoin d’avoir une vue efficace sur l’ensemble du village de Livet. Cette tentative de domination du paysage dans son rap-port à la hauteur devint, presque sans le vouloir, un monument marquant des lieux. Certaines usines de Livet cultivaient également cette appropriation d’un lieu par l’image, mais plutôt en arborant fièrement l’insigne «Société Keller et Leleux» et les carreaux émaillés bleus. Ces éléments symboliques témoignaient, aux côtés de la centrale hydroélectrique, de la mainmise du célèbre patron sur une bonne partie de la vallée. D’autres éléments plus techniques que le pavillon Keller, telles que les cheminées d’équilibre de Clavaux II (180m de haut !), travail-laient aussi la verticalité monumentale. A Gavet, ce sont les cheminées basses de la fonderie qui, avec leur succession de colonnes de fumée battues par les vents, dominaient le paysage.

Mais malgré cette volonté de s’affirmer dans l’environnement de la montagne, celle-ci restait bien entendu largement dominante. Exception faite du vieux village des Clots, au-des-sus de Rioupéroux, indépendant du développement industriel de la vallée, les pentes restaient désespérément vierges, puisque l’homme n’avait pas besoin de les exploiter. Leur présence dans le lieu représentait un vide considérable, oppressant tout le fond de vallée sur 15 km..

Si on s’arrête rapidement sur le développement des cités ouvrières, on remarque qu’elles furent conçues afin de favoriser l’enracinement de la population, qui n’avait plus peur de la montagne comme lieu de vie. Le rapport à l’extérieur entretenu par le biais des jardins fut en ce sens capital.

Dernier point, la centrale de Bâtons, construite en 1927, entretenait un rapport incer-tain avec son environnement. Pour reprendre la maxime de Kahn, on ne savait pas trop ce que le bâtiment voulait être : la centrale était en termes d’innovation technique très avancée, et même spectaculaire (exploitation d’une chute de plus de 1000m !), mais elle se retrouvait cachée dans la falaise. Ne montrant qu’un bout de façade, qui plus est difficilement accessible, elle ne participait que très peu à la construction identitaire sur le lieu. Le rapport au paysage ne se faisait pas là à l’échelle de la vallée, mais à l’échelle architecturale uniquement, par la caractérisation d’une atmosphère bien particulière et d’une intégration totale au paysage. In-tégration en fait nécessaire pour l’exploitation de la chute d’eau et la limitation des dégâts liés aux pierres lâchées par la falaise.

Phase 5 (1945 - 1960) - La stagnation d’après-guerre

Les nouvelles stratégies d’EDF, après avoir acquis les centrales hydroélectriques, témoi-gnèrent d’une perte totale de conscience paysagère, semblable à celle qui entrait en jeu avec le développement du tourisme.

Les interventions pour la modernisation de l’équipement ne prenaient plus trop en considération le paysage. Pierre-Eybesse III, la dernière construction hydroélectrique au bord de la Romanche, n’entretenait aucun rapport particulier au paysage : entre la falaise de Ga-vet, dans l’ombre, et le cours d’eau, sans travail ni de forme ni de matière, elle n’était qu’un hangar lambda comme beaucoup d’autres allaient s’élever après lui. Dans le même temps, les fonctionnaires décidèrent plusieurs destructions d’équipements regrettables. Citons quelques pylônes désuets ainsi que le couronnement de Livet II en fer forgé, qui avait mine de rien son importance dans la mise en relation avec le paysage, en particulier la cascade derrière.

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C’est à partir de là que le paysage de la vallée arrêta d’évoluer et resta globalement le même jusqu’à aujourd’hui, gelé indirectement par le manque de vigueur architecturale. C’était beaucoup moins le cas en amont de la vallée, où les barrages-réservoirs se multipliaient. Une question se pose alors : est-ce qu’une fois le cadre de vie dominé, on n’en fait plus rien ? C’est ce que tendrait à prouver le cas de la Romanche, même si cela va à l’encontre de l’axiome du stabilitas loci, qui suppose le changement dans la constance.

Un pas fut tout de même franchi à cette époque. Les pylônes s’élevèrent de plus en plus haut sur les pentes, qui ne pouvaient plus être considérées vierges. L’homme ne dominait toujours pas complétement son paysage, mais il était en tout cas présent partout. La montagne ainsi plus ou moins domptée, pouvait enfin être considérée comme un cadre de vie satisfaisant, et le pic de population fut atteint.

Dernière remarque. Durant cette période qui fut aussi celle de la Reconstruction fran-çaise d’après-guerre, Livet-et-Gavet échappa fort heureusement aux délires modernismes des «barres» de logements. On imagine sans problème les dégâts qu’aurait pu occasionner cette architecture à l’échelle démesurée, dans un paysage de ce type, très étroit, pas du tout adapté. On a vu s’élever à la place des immeubles de logements de dimensions raisonnables, mais sans bien plus de caractère.

Au final, on vit apparaître une grande hétérogénéité bâtie, non respectueuse du gé-nie du lieu. Car comme l’écrit Jean-Yves Bonnerue, «ce qui fait l’unité d’un site, ce sont les relations qui existent entre les différents éléments qui le composent.»16 Or, la vallée de la Romanche présente de plus en plus d’incohérences déjà entre ses architectures, mais aussi un manque de conscience paysagère dans les nouvelles implantations. Ce tournant dans le dia-logue entraîna malheureusement une rupture de la stabilitas loci fatale pour la vallée.

16 Jean-Yves Bonnerue, L’architecture industrielle, notion de patrimoine élargi, 1987

Fig. 58 : La façade de Livet II a perdu son couronnement, un détail qui fait tout de même une différence dans le paysage.

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Phase 6 (1960 - 1980) - Le déclin

Sombrant progressivement dans l’oubli, au fur et à mesure que disparaissaient les activités industrielles, l’empire industriel de la Romanche mena à un lieu fait de nouvelles perceptions négatives. Ces changements furent essentiellement provoqués par l’apparition de friches. Les centrales, encore exploitées par EDF, ne furent pas concernées, si ce n’est celle de Pont-et-Gavet dont il ne nous reste plus que les arcs soutenant la sortie des galeries souterraines. Ce sont les usines de Livet qui, les premières, furent touchées par cette maladie de la «friche industrielle». Sur la rive gauche, il n’en reste presque plus rien excepté un long bâtiment, qui rappelle, dans sa position esseulée, le passé du site. De l’autre côté, les bâtiments, formant un paysage désolé et vide au milieu d’une montagne grise et austère, se délabrent lentement. Ces jeunes ruines prennent la forme de squelettes d’acier émergeant entre des tas de briques patinées. Contrairement aux idées reçues, ces images peuvent être aussi belles que celles de ruines antiques en pierres massives. Certains équipements vieillissant sont venus conforter cette vision, comme les conduites forcées ou la voie ferrée. On ne retrouve de la seconde que des restes incrustés dans les rochers de la montagne, des percées et des cheminements curieux parfois visibles tout le long de la vallée.

Ces vestiges posent la question des traces laissées au fil des ans, de la mémoire d’un lieu qui n’existe plus. Qu’elles prennent la forme de cicatrices dans un paysage (voie ferrée, friche industrielle vide de Rioupéroux, ruine de Pont-et-Gavet, etc.) ou d’éléments concrets d’architecture (bâtiments effondrés de Livet, équipements marqués par le temps, éléments évocateurs comme la plus ancienne conduite forcée de Rioupéroux) leur impact est impor-tant, autant sur le paysage que sur la représentation que la population s’en fait. En voyant ainsi disparaître son activité principale, le territoire perdit aussi l’identité sur laquelle il s’était construit. L’arrêt général de l’activité industrielle s’étant fait sur une période allongée de plu-sieurs décennies (il n’est même pas encore complet, avec l’usine de Gavet qui tourne toujours), la population a eu beaucoup de mal à s’en remettre et envisage donc toujours d’un mauvais œil la ré-exploitation de ces sites qu’elle rejette. Cela va encore plus loin, puisque l’image nouvellement très négative que ces friches projettent de la vallée touche aussi les visiteurs extérieurs. Baudelle, un auteur géographe, pense que «les représentations spatiales, en réalité fondamentalement paysagères, sont ici d’une importance capitale, surtout chez les personnes extérieures et y compris chez ceux qui ne sont jamais venus, car les traces visuelles d’un sys-tème antérieur au surplus dégradées, compromettent l’adaptation. L’image de marque de ces

Fig. 59 : Des ruines d’un genre nouveau ; usines délabrées à Livet.

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agglomérations, passéiste et dévalorisée, est en effet détestable et tend même à se dégrader.»17

La friche est donc bel et bien un élément du paysage qui agit dans le temps sur son environnement. Ce n’est généralement qu’une phase transitoire, mais elle laisse des marques bien visibles dans le paysage, proportionnellement au temps durant lequel elle a été laissée à l’abandon.

Elles ne sont cependant pas le seul élément remarquable de cette période. La construc-tion de l’usine tubulaire de Gavet mérite à son tour qu’on s’y intéresse, puisqu’elle signa l’ap-parition unique de la typologie du «Piranèse d’acier». Parente verticale des conduites d’acier enchevêtrées, elle ne présentait en revanche pas la même qualité paysagère puisqu’elle ne prennait absolument pas en compte son environnement. Elle était de toute façon presque in-visible puisque cachée dans le site FerroPEM, qui comprennait d’autres éléments industriels dommageables. On regrette ainsi fortement le hangar qui longe la route, une muraille aveugle, sans échappée visuelle sur plus de 200m, qui canalise les flux sans jamais les accrocher.

17 Baudelle, cité dans Paysages et territoires de l’industrie en Europe, Simon Edelblutte, 2010

Fig. 60 : La friche industrielle de Rioupéroux ; une cicatrice d’un hectare dans le paysage.

Fig. 61 : La route et le nouveau rapport au paysage, vécu à 90km/h, au niveau de la centrale des Roberts

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Mentionnons pour finir la destruction de la voie ferrée, remplacée à l’usage par la route nationale (désormais départementale) qui aura fait naître pour la première fois un rapport de mouvement autre que celui du torrent. On découvrait ainsi le paysage de la vallée à 90km/h. La fontaine des Vernes devint ainsi indispensable pour signaler le centrale, presque invisible pour le conducteur non averti. Ce nouveau flux, semblable à celui emprunté par l’eau, s’ac-corde avec les lignes aériennes et celles des canaux de dérivation. La présence sonore double (voitures + eau) est également devenue un aspect important et neuf dans la perception du pay-sage.

Phase 7 (1980 - aujourd’hui) - Une renaissance difficile

Friches industrielles, perception à 90 km/h, nouvelles usines déconnectées de leur environne-ment,... La négation du paysage industriel à la fin du XXe présente une image très dégradée du lieu, qui parvient avec peine à relever un ensemble architectural et un ensemble paysager en même temps.

En plus de poser la question du devenir de ces édifices, le projet d’EDF pose celle du devenir du paysage. Il est en effet intéressant de noter qu’EDF vend sa centrale souterraine comme «mieux intégrée au paysage». Forcément, si on ne la voit pas... Cela veut-il dire que pour EDF les anciennes constructions n’étaient pas intégrées ? Voilà un jugement de valeur précipité que nous essayons de corriger depuis 60 pages. Ce qui est certain c’est qu’on aura un bâtiment n’entretenant plus aucun dialogue, par respect bas de plafond d’un «label HQE». Attitude louable, certes, mais regrettable. Une nouvelle centrale, avec une image résolument contemporaine, n’aurait-elle pas pu servir à retrouver une identité dans cette vallée sans porter atteinte aux constructions existantes ? Par peur de prendre des risques, on n’ose plus affirmer l’identité du lieu. Le genius loci est voué à ne plus évoluer. Ce chantier traduit une tendance contradictoire, récente mais éprouvée qui, grâce à des connaissances toujours plus poussées de la nature, nous effacent de plus en plus devant elle.

D’un autre côté, ce projet a fait apparaître le besoin de conserver une mémoire, à tra-vers diverses actions qui prennent parfois l’allure de simples suggestions d’un état passé (le geste absurde de garder les pylônes des Vernes, la préservation de la façade de Livet, etc.). Ces sauvegardes concernent le plus souvent les bâtiments jouant un rôle incontestable de monu-ments dans la vallée, parmi lesquels on trouve les Vernes, Livet II, et le pavillon Keller. Les nombreuses transformations de la route, des déviations qui évitent l’intérieur des villages, nous proposent de redécouvrir ces monuments (on peut de nouveau passer devant la centrale de Livet), et paradoxalement nous font traverser la vallée le plus vite possible.

En somme, avec cette nouvelle façon de parcourir le territoire, l’efficacité prend le pas sur la découverte et ne nous offre plus la possibilité de profiter du spectacle. Dans le même temps, contempler quoi ? Une centrale souterraine ? La crise de la conscience paysagère gé-nérale semble bien partie pour mener la région à sa perte. Nous devons apprendre à relire notre paysage et notre patrimoine. «Le seul moyen véritable de sauver ces désorganisations du paysage et du fonctionnement est de rénover les liens que le site a rompu avec son environne-ment»18, pense Jean-Yves Bonnerue. Dans ce but, il faut reprendre le dialogue, tari depuis un bon bout de temps, en tenant compte ses engrenages extrêmement complexes aperçus dans ce mémoire.

18 Jean-Yves Bonnerue, L’architecture industrielle, notion de patrimoine élargi, 1987

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Graphe de synthèse final

exploitation de ressources pour survivre + peur + romantisme

exploitation de ressources pour modernisation

émancipation

cadre de vie

deuil + dégradation

cadre de vie + loisirs

tourisme

REPRÉSENTATION DU PAYSAGE

?

+ -

GENIUS LOCI DIALOGUE

Adaptation

Adaptation + Structuration

Mise en valeur + Influences + Inté-gration + Maîtrise + Repères

Inversement rapport force + Atta-chement identitaire

Nul

Intégration + Marques phys.

Intégration + Témoins + Repères

ARCHITECTURE INDUSTRIELLE

Projet

Création «centrales pionnières»

Développement «centrales pittoresques»

Stagnation

Stagnation + Abandon

Vieillissement + Ruines + Des-truction + Friches

Remise en question

Destruction Conservation

cons

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CONCLUSION

«Cette mémoire, solidifiée dans la brique, le fer ou le ciment, s’est peu à peu étendue au paysage tout entier, qu’il soit rural ou urbain. Par son effet de masse, par la répétition de ses modules, mais aussi par les contraintes dues à la nécessité de construire des équipements et des logements pour une main-d’œuvre ouvrière qu’il fallait fixer sur place, l’entreprise in-dustrielle a engendré une morphologie urbaine spécifique, des paysages sociaux, longtemps considérés comme inintéressants voir sinistres, mais dont on redécouvre aujourd’hui les ver-tus.»1 [Marina Gasnier]

L’importance du patrimoine industriel est de plus en plus reconnue dans la constitution du paysage urbain, et son avenir de moins en moins incertain. Une prouesse au regard des friches inconvenantes qu’elle nous a souvent léguées. Rappelons que les immeubles du quartier de la Croix-Rousse, à Lyon, ont été construits en fonctions des grands métiers Jacquard, installés dans les appartements des Canuts (ouvriers de la soie au XIXe). Seulement voilà, il existe aussi des sites industriels en dehors des villes, qui ont tout autant façonné leur environnement.

Le cas de la vallée de la Romanche et son impact sur un paysage aussi fort que celui des montagnes de l’Oisans est significatif. Que ce soient des usines, des cités ouvrières, des chemins de fer, des digues, des barrages, des pylônes ou bien encore et surtout des centrales hydroélectriques, c’est au gré des innovations techniques, du développement bâti et des fluc-tuations démographiques que cet ensemble a pu, sur plus d’un siècle, donner corps au paysage. Mais cela ne s’est pas fait en sens unique. Les ressources naturelles, contraintes géographiques et atmosphères sensibles propre à un milieu de montagne ont en retour nettement influencé les constructions humaines. Sans l’un, sans l’autre, ou dans le cas d’une relation ratée entre les deux, la vallée de la Romanche n’aurait certainement pas le même visage. Le dialogue ainsi instauré entre environnement industriel et paysager est très complexe. D’abord parce qu’il prend plusieurs formes (contrainte, transformation physique, intégration,...), impliquant divers enjeux pour le paysage comme le cadre de vie des habitants, et ensuite parce qu’il est le résultat d’un long processus d’interactions, entretenues ou non par l’architecture.

Ce qu’il nous reste de cette architecture est en ce moment-même remis en question par le projet d’une nouvelle centrale venant remplacer les équipements obsolètes. Pourtant, il est désormais clair que cet héritage industriel a acquis une incontestable valeur patrimoniale. Celle-ci se trouve bien sûr dans la qualité architecturale des édifices hydroélectriques pitto-resques, dans le témoignage d’un glorieux passé que représentent les plus anciennes conduites forcées, et dans la démonstration technique des premiers barrages de béton. Mais il faut savoir regarder au-delà de ces critères communs. La majorité des constructions industrielles du val de Livet-et-Gavet ont forgé un rapport étroit et à chaque fois particulier avec l’endroit, concréti-sant de ce fait le génie du lieu et favorisant l’attachement identitaire à ces 15 km d’éboulis, de conifères et d’eaux vives.

Car c’est dans ce dialogue, fait de compositions harmonieuses, d’images significatives et de belles ambiances que se trouve la clé du caractère si particulier de l’endroit. C’est par ce dialogue que la montagne austère et les constructions techniques peu reluisantes sont devenues indissociables et ont pu rendre, ensemble, le lieu fascinant. C’est ce dialogue qui fait que le patrimoine industriel de la Romanche mériterait vraiment que l’on s’en occupe. A partir de là, forcément se pose la question du «qu’est-ce qu’on en fait ?»

1 Marina Gasnier, Patrimoine industriel et technique, 2011

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En somme, parti d’une simple curiosité le long d’un trajet auquel beaucoup sont ac-coutumés, ce mémoire a permis d’entrevoir les liens qui peuvent jouer entre l’architecture et son environnement, en s’attachant à comprendre ce cas précis. Bien que la liste des relations mises en évidence était non exhaustive et n’ait pas pu être analysée autant qu’il l’aurait fallu, la méthode générale, nécessaire pour clarifier le rôle de chaque partie avant de les étudier ensemble, semble avoir porté ses fruits. Ceci étant, d’autres moyens auraient sûrement pu être utilisées aussi. On peut enfin se poser question sur la portée des recherches. Est-ce que le corpus se devait d’être aussi large ? Est-ce qu’il fallait étudier autant de types de bâtiments (centrales, infrastructures, usines, logements,...) ? Ne fallait-il pas sinon se concentrer sur une zone de la vallée en particulier ? Ou alors peut-être qu’il aurait été pertinent de se cantonner à l’influence de l’architecture sur le paysage ressenti, et pas l’inverse, peut-être. Ce travail ayant montré que tout était lié à l’échelle de la vallée entière, on serait tenté de dire que la seule solu-tion était bien une analyse élargie. Mais dans ce cas, on regrettera que l’étude ait survolé un tas de choses. Notamment à l’échelle architecturale, où les études typologiques de lien au paysage auraient pu être plus poussées. Le cas de la centrale de Livet à lui seul méritait au moins dix pages... Malheureusement, il manque les documents descriptifs de ces différents édifices, no-tamment d’archives, indispensables. Il aurait fallu alors effectuer un relevé complet. Avant de conclure, relevons qu’une démarche sociologique plus sérieuse aurait été bénéfique. Interroger quelques habitants actuels sur la vallée et des personnes extérieures qui y sont attachées aurait certainement permis de mieux cerner les enjeux liés à la représentation que l’on se fait du lieu.

Malgré tout, cela n’a pas empêché d’avoir à terme une vision d’ensemble satisfaisante sur le problème architecture-lieu. Pour un travail plus approfondi, une première piste prospec-tive serait de faire des comparaisons avec d’autres cas. Soit un cas d’architecture industrielle en milieu urbain, et la colline lyonnaise de la Croix-Rousse en est un très intéressant ; soit un avec un autre genre architectural en milieu rural (le tourisme ? l’agriculture ? la notion de patrimoine est-elle aussi importante ?). Comme le proposait le TPFE de Guillaume Simonin, étudié dans le cadre de ce travail, une autre piste, plus orientée projet d’architecture serait de proposer une nouvelle vie à la vallée de la Romanche sur la base de ce qui a été vu, en prenant en compte les nouvelles problématiques liées au développement durable et aux flux automo-biles, qui offrent une autre perception de ce paysage et de son patrimoine, naturel ou construit.

Fig. 62 : L’influence de l’esprit du lieu sur la centrale des Vernes.

Fig. 63 : Immeubles canuts et paysage urbain lyonnais.

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BIBLIOGRAPHIE

Ouvrages

NORBERG-SCHULZ Christian, 1979 : Genius Loci, Milan, Gruppo Editoriale Electra, trad. française 1981, 213 p.

EDELBLUTTE Simon, 2009 : Paysages et territoires de l’industrie en Europe : héritages et renouveaux, Paris, Editions Ellipses, 272 p.

SICHERI Fabrice, 1992 : La Romanche au temps des usines, Grenoble, Presses universi-taires de Grenoble, 204 p.

MÉNÉGOZ Jean-Claude et LYON-CAEN Jean-François , 1989 : Cathédrales électriques, Grenoble, Editions du Musée dauphinois, 159 p.

Collectif (sous la direction de GOUY-GILBERT Cécile), 2011 : Alpes électriques, paysage de la houille blanche, Dire l’entreprise, 160 p.

HLADIK Murielle, 2010 : Habiter le temps, ou la poétique des ruines, En ligne (http://www.kwansei.ac.jp/s_sociology/attached/6899_57183_ref.pdf), Kyôto, Research Center for Japanese Studies, 9 p.

HEIDEGGER Martin, 1954 : «Bâtir, habiter, penser», dans Essais et conférences, Pfullin-gen, 1954, trad. française 1958, 171 p.

AUGÉ Marc, 2007 : Non-lieux, introduction à une anthropologie de la surmodernité, Seuil, 100 p.

GASNIER Marina, 2011 : Patrimoine industriel et technique : perspectives et retour sur 30 ans de politiques publiques au service des territoires, Lieux Dits, 304 p.

Ouvrages cités

Collectif (sous la direction de BERQUE Augustin), 1994 : Cinq propositions pour une théo-rie du paysage, Seyssel, Editions Champ Vallon, 122 p.

LYNCH Kévin, 1960 : L’image de la cité, Cambridge, MIT Press, trad. française 1969, 194 p.

BERGERON Louis et DOPEL-FERRÉ Gracia, 1996 : Le patrimoine industriel : un nou-veau territoire, Editions Liris, 127 p.

Travaux d’étudiants

SIMONIN Guillaume, 2002 : Vallée de la Romanche : pays, paysage, entre flux, TPFE, ENSA Lyon, 33 p.

RIBEIRO Ugo, 2011 : Le régionalisme critique : l’influence du lieu sur l’architecture, Rap-port d’études, ENSA Lyon, 37 p.

BONNERUE Jean-Yves, 1987 : L’architecture industrielle, notion de patrimoine élargi, TPFE, EA Lyon, 190 p.

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Internet

www.isere-patrimoine.fr/2288-les-centrales-de-la-romanche-en-question.htm

www.wikipedia.org/wiki/Patrimoine_industriel

www.wikipedia.org/wiki/Livet-et-Gavet

www.association-lafabrique.org

Autres

LOYER François, LOHR Evelyne, HECKER Anne et BELHOSTE Jean-François, 2008 : Table-Ronde « Les perspectives de la recherche : patrimoine et architecture, urba-nisme et paysages », Revue d’histoire des chemins de fer n°39, mis en ligne 2011 (http://rhcf.revues.org/1028)

LEFÈVRE Pierre, 2000 : «L’art du paysage à Emscher Park : génie hydraulique et ingénie-rie culturelle», dans Les Annales de la Recherche Urbaine n°85, janvier 2000, p. 190 - 195

Collections du Musée de la Romanche, Route des Alpes, Rioupéroux, 38220 Livet-et-Gavet

Collectif, 1964 : Charte internationale sur la conservation et la restauration des monuments et des sites (Charte de Venise), adoptée par ICOMOS en 1965

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TABLE DES ILLUSTRATIONS

Figure 0 : Auteur inconnu, début XXe, tirée de Alpes électriques, paysage de la houille blanche, Collectif, 2011

IntroductionFigure 1 : Vianney Charmette, 2013Figure 2 : Vianney Charmette, 2013Figure 3 : Aurelynx, 2008, http://www.flickr.com/photos/aurelynx/6175035269

Chapitre 1Figure 4 : Vianney Charmette, 2013Figure 5 : http://www.lamontagne.fr/auvergne/actualite/departement/cantal/mau-riac/2011/10/24/commerce-carrefour-market-devient-hypermarche-et-ouvre-ses-portes-mer-credi-26-octobre-13631.htmlFigure 6 : Caspar David Friedrich, 1818 : Le Voyageur contemplant une mer de nuages, huile sur toile, 74.8 x 94,8 cm, Hambourg KunsthalleFigure 7 : Vianney Charmette, 2013Figure 8 : Vianney Charmette, 2013Figure 9 : Vianney Charmette, 2013Figure 10 : Vianney Charmette, 2013Figure 11 : Vianney Charmette, 2013Figure 12 : Auteur inconnu, début XXe, tirée de La Romanche au temps des usines, F. Si-cheri, 1992Figure 13 : collection du Musée de la RomancheFigure 14 : Auteur inconnu, début XXe, tirée de La Romanche au temps des usines, F. Si-cheri, 1992Figure 15 : Emile Rabilloud architecte, 1915, collection du Musée de la RomancheFigure 16 : A. Bourgin, 1960, tirée de Alpes électriques, paysage de la houille blanche, Collectif, 2011Figure 17 : J-F. Parent, 1960, tirée de Alpes électriques, paysage de la houille blanche, Col-lectif, 2011Figure 18 : A. Ducluzaux,1998, tirée de La Houille Blanche, de Belledonne à la Romanche, A. Ducluzaux, 1998

Chapitre 2Figure 19 : Emile Rabilloud architecte, 1915, collection privée d’EDFFigure 20 : Auteur inconnu, 1902, collection du Musée de la RomancheFigure 21 : Auteur inconnu, 1905, collection du Musée de la RomancheFigure 22 : Collection M. Jakob, non datée, tirée de Alpes électriques, paysage de la houille blanche, Collectif, 2011Figure 23 : Vianney Charmette, 2013Figure 24 : Auteur inconnu, non datée, tirée de Cathédrales électriques, J-C. Ménégoz et J-F. Lyon-Caen, 1989Figure 25 : Vianney Charmette, 2013Figure 26 : Hervé Charmette, 2008Figure 27 : E. Robert, 2011, tirée de Alpes électriques, paysage de la houille blanche, Col-lectif, 2011Figure 28 : Auteur inconnu,vers 1925, collection du Musée de la RomancheFigure 29 : Vianney Charmette, 2013Figure 30 : Vianney Charmette, 2013Figure 31 : Auteur inconnu, vers 1915, collection du Musée de la RomancheFigure 32 : Collection Devilaine, 1887, collection du Musée de la RomancheFigure 33 : Auteur inconnu, vers 1905, collection du Musée de la RomancheFigure 34 : Auteur inconnu, 1915, tirée de La Romanche au temps des usines, F. Sicheri,

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1992Figure 35 : Vianney Charmette, 2013Figure 36 : Auteur inconnu, non datée, collection du Musée de la RomancheFigure 37 : Auteur inconnu, non datée, http://www.isere-patrimoine.fr/2289-les-six-cen-trales.htm#par29992Figure 38 : Vianney Charmette, 2013Figure 39 : http://sijavaisunblog.blogspot.fr/2011/08/visite-de-la-manufacture-des-gobelins.htmlFigure 40 : http://www.flickriver.com/photos/tags/emscherpark/interesting/

Chapitre 3Figure 41 : Emile Rabilloud architecte, 1915, collection du Musée de la RomancheFigure 42 : Vianney Charmette, 2013Figure 43 : Vianney Charmette, 2013Figure 44 : Hervé Charmette, 2008Figure 45 : Auteur inconnu, 1917, collection de Thierry Poulain architecte du patrimoine Figure 46 : A. Bourgin, non datée, tirée de Alpes électriques, paysage de la houille blanche, Collectif, 2011Figure 47 : Auteur inconnu, non datée, tirée de Alpes électriques, paysage de la houille blanche, Collectif, 2011Figure 48 : Vianney Charmette, 2013Figure 49 : E. Robert, 2011, tirée de Alpes électriques, paysage de la houille blanche, Col-lectif, 2011Figure 50 : Auteur inconnu, non datée, tirée de Alpes électriques, paysage de la houille blanche, Collectif, 2011Figure 51 : Collection Devilaine, début XXe, collection du Musée de la RomancheFigure 52 : Auteur inconnu, 1918, collection du Musée de la RomancheFigure 53 : Auteur inconnu, vers 1920, tirée de Alpes électriques, paysage de la houille blanche, Collectif, 2011Figure 54 : Vianney Charmette, 2013Figure 55 : Hervé Charmette, 2008Figure 56 : http://www.isere-patrimoine.fr/2346-chronologie-de-l-isere.htmFigure 57 : Vianney Charmette, 2013Figure 58 : Auteur inconnu, non datée / E. Robert, 2011, tirées de Alpes électriques, paysage de la houille blanche, Collectif, 2011Figure 59 : Vianney Charmette, 2013Figure 60 : Vianney Charmette, 2013Figure 61 : Vianney Charmette, 2013

Conclusion

Figure 62 : E. Robert, 2011, tirées de Alpes électriques, paysage de la houille blanche, Col-lectif, 2011Figure 63 : http://www2.ac-lyon.fr/lyc69/lp-sermenaz/spip.php?article358

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ANNEXES

NB : Les plans, coupes et élévations en annexes sont présentés sans échelle.

Situation géographique 77

Quelques situations particulières 83

Autres 84

La centrale des Vernes 86

Etudes typologiques 88

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Situation géographique

Annexe A1 : Situation de la vallée de la Romanche à échelle régionale [Vianney Charmette, 2013, à partir de Google Map]

Annexe A2 : Plan de la commune de Livet-et-Gavet [collection du Musée de la Romanche]

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Annexe A3 : Situation de la commune de Livet-et-Gavet [Vianney Charmette, 2013, à partir de Google Map]

Annexe A4 : Situation des centrales hydroélectriques et barrages-prises d’eau de la vallée [Vianney Charmette, 2013, à partir d’une carte IGN]

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Annexe A5 : Ancien plan Cassini de la vallée, XVIIIe [www.geoportail.fr]

Annexe A6 : Carte d’Etat-Major de la vallée, 1866 [www.geoportail.fr]

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80

Annexe A7 : Coupes transversales le long du val de Livet [Guillaume Simonin, 2002]

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Livet

Rioupéroux

Gavet

Les Clavaux

La Salinière

Les Roberts

Annexe A8 : Carte topographique du val de Livet [Guillaume Simonin, 2002]

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Annexe A9 : Etudes d’implantation de trois centrales hydroélectriques [Vianney Charmette, 2013]

Centrale de Rioupéroux

Centrale des Vernes

Centrale de Livet II

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Quelques situations particulières

Annexe B1 : Plan schématique de la cité de la Salinière [collection du Musée de la Romanche]

Annexe B2 : Plan schématique des usines Keller et Leleux [collection du Musée de la Romanche]

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Autres

Annexe C1 : Schéma de fonctionnement général d’une centrale hydroélectrique [Vianney Charmette, 2013]

Annexe C2 : Evolution de la population de la commune entre 1901 et 1936 [Fa-brice Sicheri, 1992]

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Annexe C3 : Plaquette de présentation du projet EDF pour la nouvelle centrale hydroélectrique de la Romanche [plaquette EDF, 2011]

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La centrale des VernesAnnexe D1 : Plan sché-matique de fonctionnement de la centrale des Vernes [Vianney Charmette, 2013, à partir d’un plan de Jean-Claude Ménégoz et Jean-François Lyon-Caen]

Annexe D2 : Elévation nord de la centrale des Vernes [Jean-Claude Mé-négoz et Jean-François Lyon-Caen, 1989]

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Annexe D4 : Coupe Nord-Sud sur la centrale des Vernes [Jean-Claude Mé-négoz et Jean-François Lyon-Caen, 1989]

Annexe D5 : Repérage en coupe des matériaux du bâtiment des Vernes [Alain Tillier architecte des monu-ments historiques, 2006]

Annexe D3 : Elévation Est de la centrale des Vernes [Jean-Claude Ménégoz et Jean-François Lyon-Caen, 1989]

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Etudes typologiques

Annexe E1 : Situations typologiques à Rioupéroux [Vianney Charmette, 2013, à partir de Google Map]

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DA

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CITÉ

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UVR

IÈRE

S

Rioupéroux, vers ?Rioupéroux, vers 1970Rioupéroux, vers 1920

Gavet, vers 1910

Logements ouvriers des usines de Livet, vers 1920

«La Cantine», Pierre-Eybesse, vers 1896

Maisons d’ingénieurs, entre Riou-péroux et Gavet, vers 1920

Maison de directeur, La Salinière, 1926 Pavillon Keller, Livet, vers 1910-1925

Maisons d’employés, La Sali-nière, 1926

Maisons d’employés, La Salinière, 1926

Maisons mitoyennes, Gavet, vers ?

Multicellulaire de Rioupéroux, vers 1920

Rioupéroux, vers ?

Annexe E3 Partie 1 : Typologies des logements de la vallée de la Romanche liés à l’industrie [Vianney Charmette, 2013, à partir de documents du musée de la Romanche et de photos personnelles]

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Annexe E2 Partie 1 : Tableau typologique des centrales hydroélectriques de la vallée de la Romanche [Vianney Charmette, 2013, à partir de Google Map, des documents du Musée de la Romanche et de photos personnelles]

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91

LIVE

T I

- 189

8LI

VET

II -

1905

CLAV

AUX

I - 1

905

PON

T-ET

-GAV

ET19

05 -

1955

ROBE

RTS

- 191

5PRISE D’EAU- HAUTEUR C H U T E

CARACTÉRISTIQUES P A Y S A G È R E S

TYPES DE R E L AT I O N S PAYSAGÈRES

RÉFÉRENCED I M E N S I O N S - MATÉRIAUX

TYPE AR-C H I T E C -T U R A L

Pionnier

Barrage de l’Infernet

-59 m

Base : 16 x 40 m (x2)Haut. : 8 m

-murs pierre locale,

toiture ardoise, vitrage incolore,

encadrements brique

Base : 28 x 40 mHaut. : 11 m

-façade fer / verre

et béton, cou-ronnement fer,

toiture ?

Base : 16 x 32 mHaut. : 13,5 m

-murs enduits, toi-ture tuiles méca-niques (ardoise à l’origine), vitrage incolore, linteaux

brique

Base : ?Haut. : ?

-murs pierre

locale, toiture ?, vitrage incolore,

encadrements brique

Base : 20 x 68 mHaut. : 13,5 m

-murs enduits, sou-bass. pierre locale,

pierre d’angle, toiture tuiles mé-caniques, vitrage incolore, encadre-

ments brique

Barrage de l’Infernet

-59 m

Barrage mo-bile sur rive gauche, en

aval de Riou-péroux

-31 m

Barrage mo-bile sur rive

droite, en aval de Gavet

-59 m

Barrage mo-bile sur rive

droite, en aval des Vernes

-41 m

Pionnier

Pionnier

Pionnier

PittoresqueCrystal Pa-lace, Joseph Paxton, 1851

A n c i e n n e grange quel-leconque, Li-vet-et-Gavet

B e s o i nContrainte P-AInfluence P-AMise en va-leur A-PD o m i n a -tion A-P/P-AStructurat° A-P

B e s o i nContrainte P-AInfluence P-AIntégration P-A

B e s o i nIntégration A-PConfrontation

B e s o i nContrainte P-AInfluence P-AIntégration P-AMise en va-leur A-P/P-AConfrontationStructurat° A-P

Définit le paysage en succession de 1er plan, arrière-plan, etc. ; réf. ar-chitecturales au torrent (rythme façade, verre translucide,...) ; plan contraint ; reflète le pay-sage dans la façade ; style en rupture avec la tradition

Centrale peu contrainte par géographie assez large ; aucune réf. au paysage par les matériaux ; pré-sence proche et longitudi-nale par rapport au torrent ; intègre le torrent (canal de fuite sous la centrale)

B e s o i nC o n t r a i n t e P a y s a g e - A r -c h i t e c t u r eInfluence P-AIntégrat° P-A

Importance de la chute d’eau (non prise en compte ici) ; bâti coincé entre la montagne et le torrent ; rapport direct au torrent par les deux pignons ; pierre + ardoise font réf. au lieu

Importance des arcades de sortie de conduites (non prise en compte ici) ; très proche des ca-ractéristiques de Livet I

Présence proche et longi-tudinale par rapport au tor-rent très marquée ; domine le torrent mais est dominé par le versant derrière ; pas de réf. au lieu par les ma-tériau ; rapport important entretenu avec la route

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Annexe E2 Partie 2 : Tableau typologique des centrales hydroélectriques de la vallée de la Romanche [Vianney Charmette, 2013, à partir de Google Map, des documents du Musée de la Romanche et de photos personnelles]

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93

RIO

UPÉ

ROU

X - 1

917

VERN

ES -

1918

BÂTO

N I

pui

s II

- 192

5 pu

is 19

27CL

AVAU

X II

- 19

31PI

ERRE

-EYB

ESSE

III

- 19

59PRISE D’EAU- HAUTEUR C H U T E

CARACTÉRISTIQUES P A Y S A G È R E S

TYPES DE R E L AT I O N S PAYSAGÈRES

RÉFÉRENCED I M E N S I O N S - MATÉRIAUX

TYPE AR-C H I T E C -T U R A L

Pionnier

Barrage mobile sur

rive gauche, en aval des

Roberts-

69 m

Base : 20 x 76 mHaut. : 17,5 m

-murs pierre locale, toiture ?, vitrage

incolore, encadre-ments brique

B e s o i nContrainte P-AInfluence P-AIntégration P-ADominat° A-P

B e s o i nContrainte P-AImp. phys. A-PInfluence P-AI n t é g r a -tion P-A/A-PMise en va-leur A-P/P-AConfrontation

B e s o i nContrainte P-AImp. phys. A-PInfluence P-AIntégration P-ADominat° P-A

B e s o i nConfrontationDominat° A-P

B e s o i nContrainte P-AConfrontationDominat° P-A

Base : 20 x 22 mHaut. : 16 m

-murs pierre locale, chaînage d’angle + couronn. + encadre-ments en ciment mou-lé, soubass. pierre taille, vitrage coloré, annexes béton armé

Base : ?Haut. : ?

-murs pierre,

vitrage incolore, corniches béton

Base : 16 x 74 mHaut. : 18,4 m

-murs béton armé,

toiture béton armé, vitrage

incolore, encadre-ments brique

Base : 17 x 58 mHaut. : env. 10 m

-murs béton armé, toiture tuiles mé-caniques, vitrage

incolore

Canal de fuite de Livet II

-22 m

Chutes d’eau aménagées

dans la mon-tagne

-560 m puis

1050 m

Barrage mo-bile sur rive gauche, en

aval de Riou-péroux

-31 m

Barrage mobile sur

rive gauche, en aval des

Clavaux -

44 m

Pittoresque

Pionnier (avec

reprise de la partie haute en terrasse

vers 1954)

Hangar industriel

Pittoresque

Centrale de Bas-Laval,

1906

Taille basse (invisible de-puis la route) + présence proche et longitudinale par rapport au coude du torrent très marquée ; domine le torrent ; réf. au lieu par la pierre ; im-plantation contrainte par torrent + anciennes usines

Mise en scène du paysage (eau = fontaine + pente = escalier) ; se démarque de paysage (volumé-trie + béton) et en même temps y fait réf. (matière) ; peu de rapport entrete-nu avec le torrent ; rap-port important à la route

Intégration totale à la montagne (volume + matière) ; rapport nul au torrent et à la route

Implantation transver-sale au sens de la vallée et du torrent ; pas de réf. au lieu par les matériaux ; volumétrie imposante

Rupture totale ; bâti contraint entre les usines sur promontoire rocheux et le torrent ; pas de réf. par les matériaux ; conscience paysagère nulle = le bâ-timent subi son paysage

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PATRIMOINE INDUSTRIEL - ROMANCHE - HYDROÉLECTRICITÉ - GENIUS LOCI - PAYSAGEINDUSTRIAL HERITAGE - ROMANCHE - HYDROELECTRICITY - GENIUS LOCI - LANDSCAPE

C’est désormais chose acquise, le patrimoine industriel a façonné beaucoup de nos villes, dans leur urbanité fonctionnelle, leurs architectures audacieuses et leur atmosphère particulière. Qu’en est-il en milieu rural ? Dans la vallée de montagne de la Romanche, l’hydroélectrici-té a permis au siècle dernier l’essor d’un véritable empire industriel dont nous interrogeons aujourd’hui l’héritage, menacé. Entre des versants abrupts, sur un torrent impétueux et sous un climat rude, l’architecture industrielle a du tantôt s’adapter, tantôt s’imposer, voire même s’intégrer au paysage austère et à la géographie marquée du lieu. De cette façon directement confrontée au genius loci, au caractère de l’endroit, elle a entretenu pendant près d’un siècle un dialogue avec son environnement, impliquant des formes diverses de rapports et des enjeux multiples. Le but de ce travail est ainsi de savoir si cette relation a pu engendrer durant son évolution, comme en milieu urbain, l’apparition d’autres valeurs que celles communément admises par le terme patrimoine.

This is now a common idea, industrial heritage shaped many of our cities, in their functional planning, dashing architecture and so special atmosphere. What about rural places ? In the mountain valley of the Romanche, hydroelectricity fostered industrial empire growth at the nearly twentieth century, which we now wonder the threatened legacy. Between steep slopes, on the impetuous torrent and in a harsh climate, industrial architecture sometimes had to adapt, other times had to obtrude, even integrate austere landscape and constraining geography. In this way, directly confronted with the genius loci, the spirit of the location, it maintained for decades a dialog with its own environment, inducing various types of relation and many different issues. At least, the purpose of this work is to know if this relation, during its long evolution, could lead to new values, other than ones commonly involved in the term heritage, in the same way than urban case.

PATRIMOINE INDUSTRIEL DE LA VALLÉE DE LA ROMANCHEEvolution des relations entre une architecture et son milieu