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7/26/2019 Memoire.des Forets
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Introduction 1
Louis-Ren des Forts
Mmoire de matrise dAmlie Averlansous la direction de Nathalie Barberger en 1999.
Introduction
Louis-Ren des Forts, n en 1918 Paris, sintresse de prs tous les
arts. Critique musical dans les annes trente, critique littraire, il est aussi
peintre, et Jean Roudaut mentionne dans sa biographie lexposition de ses
peintures et dessins au Centre Pompidou la fin des annes soixante-dix.
Son uvre littraire occupe, elle, toute la seconde moiti du vingtime
sicle. Des Mendiants, publis en 1943 Ostinatopubli en fragments puis au
Mercure de France en 1997, schelonne cette uvre disparate : lemportement
desMgres de la merou desPomes de Samuel Woodtranche en effet avec le
style pur de La Chambre des enfants, lpanchement verbal du Bavard
avec la parole maintenue mais fragile dOstinato. Et cette disparit se retrouve
dans lensemble mme que constitue chacun de ces ouvrages, qui semblent,
chaque fois de faon particulire, rendre compte de multiples mouvements
sensibles.
Pour men tenir la musique considre comme moyen dexpression, jy vois surtout le milieu conducteur
o le double courant de la pense et de lmotion a le plus de chance de stablir, cet change soprant par la
mdiation dun idiome particulier, heureusement dlivr de la scorie des mots soumis il est vrai une syntaxe non
moins stricte et mme plus savante que celle laquelle est astreint lcrivain , mais o le rythme a toujours valeur
souveraine. 1
Cest ces mouvements, sur lesquels L.-R. des Forts attire notre attention
dans Voies et dtours de la fiction, que nous nous intresserons ici, parce que
lauteur mme semble dtourner le langage, et sen servir tel un musicien, voire
un peintre : le verbe dire semble en effet seffacer devant les verbes donn
couter et voir . Dans cette uvre, le rythme na-t-il pas valeur
souveraine ?
1Voies et dtours de la fiction, Fata Morgana, 1985, p. 10.
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Introduction 2
Savons-nous seulement ce que nous avons direet mme si nous crivons pour direquelque chose? 2
L.-R. des Forts nous fait nous poser ces questions : Quest-ce quun
narrateur ? Mais aussi, quest-ce quun lecteur ?
DansLe BavardetLa Chambre des enfants, ces deux instances sont mises
en scne. Le lecteur, violemment interpell par le narrateur du Bavard,
lauditeur de La Chambre des enfants, le littrateur dUne Mmoire
dmentielle, la lectrice et le jeune dramaturge de Dans Un miroir, nous
troublent quant au statut leur assigner, quant leur identit mme. Mais celle-
ci nest-elle pas nie ? L.-R. des Forts ne privilgie-t-il pas le rythme intrieur,
la complexit de ces mouvements, leur puissance motionnelle, et non leur
valeur ? Celle-ci, mise en suspens, lauteur ne fait-il pas de cette manire
entrer le temps chaque nouvelle lecture de ces rcits ?
Les nouvelles de La Chambre des enfants, publies en revue ds 1948,
sinscrivent dans la continuit du Bavard, publi en 1946. Mais des Forts,
comme sil voulait chapper aux classifications , change de genre, et de style
mme avec Les Mgres de lamer, dont la publication suit celle du recueil denouvelles dans les annes soixante. Cest aprs le couronnement de ce recueil
par le Prix des Critiques, que lon redcouvre Le Bavard, qui neut, souligne
Dominique Rabat, presquaucun lecteur lors de sa parution. La Chambre
des enfantssemble en clairer le projet. Les faisant dialoguer lun avec lautre,
ces deux ouvrages paraissent mme se complter, et nous clairent quant la
dmarche de lauteur face au rcit. Un rcit dont L.-R. des Forts dstabilise la
forme et le sens. Cette dstabilisation est dailleurs ritre dansLeMalheur au
lido, ddi Pierre Klossowski, L.-R. des Forts renouant ainsi avec le rcit dans
les annes quatre-vingt.
Quest-ce quun Songe, nous suggre Samuel Wood, si ce nest la
projection imaginante dune ralit intrieure complexe, et soumise aux lois du
temps ? Ds lors, quest-ce que le Mensonge, pour L.-R. des Forts, sinon la
mise en forme de celle-ci, trange sans doute comme les mtaphores des
rves
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Introduction 3
Prendre forme est si contraire leur nature
Quil ne sert rien de leur faire violence,
Elles ne respirent librement quen nous-mmes 3
Cette libert du mouvement, ses contradictions, et sa fuite, ne sont-ellespas mises en scne travers la forme mme du Bavard, auquel Georges Bataille
portait son admiration ? travers la forme mme du recueil de nouvelles, La
Chambre des enfants, suivant le mme mouvement ludique que la parole du
Bavard?
Songe, Mensonge, la vrit ne se ferait-elle pas jour par le mensonge,
dansLaChambre des enfantsetLe Bavard?
Nous verrons ainsi que les espaces, dans ces deux ouvrages, sont ceux dun
jeu ou dune mise en scne, celle de la ralit intrieure , de sa complexit,
de ses mouvements inextricables. Mouvements qui sont galement ceux du
narrateur et du lecteur. L.-R. des Forts met en effet aussi en scne ce quest
lacte dcrire et de lire, ce qui nous amnera parler de lespace littraire tel un
espace de confusion des songes. Soulignant ce qui nous apparat comme des
affinits littraires, mais aussi picturales, nous nous demanderons enfin si L.-R.
des Forts ne reste pas singulirement inclassable .
2Ibid., p. 16.
3Pomes de Samuel Wood, Fata Morgana, 1988, p. 17.
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Le songe ou la vrit, une ralit intrieure parcellaire et volutive 4
Introduction :
DuBavardLa Chambre des enfants, la dmarche de lauteur semble tre
celle dune mise en jeu ; cest--dire dune mise en scne ; dun jeu, avec les
diffrents mouvements de lintriorit ou du songe. L.-R. des Forts semble
effectivement faire du songe un enjeu , cest--dire un centre dintrt, mais
cest--dire aussi un en-jeu ou jeu intrieur, mis en scne. Quest-ce quun
songe ? Le songe nest-il que mensonge ?Opposant lide le mouvement, au classement le d-classement ,nous
verrons que L.-R. des Forts nous semble vritablement proche de Bataille.
Portant un regard attentif aux espaces, dans La Chambre des enfants et Le
Bavard, lauteur ne met-il pas en scne une ralit intrieure volutive et
parcellaire, et ce, travers lenvahissement de lespace par les personnages ? Un
espace ds lors en mouvement, aux limites fuyantes et de forme clate par les
diffrentes dynamiques en jeu. Nous remarquerons en effet que nous pouvons
situer ces espaces, non pas selon une topographie, mais chronologiquement,
suivant une volution temporelle linaire ou narrative.
Nous nous intresserons dans cette perspective au couloir et
lantichambre deDans Un miroir, tels des psycho-sites , qui rendent compte
de ces mouvements ; car cette nouvelle nest-elle pas rvlatrice dune volution
intrieure, menant jusquau rcit de songe ? De plus, nous verrons, travers
lclatement spatial et temporel mis en lumire dans le premier et dernier
espace du Bavard, que cette ralit intrieure suit une progressive
complexification. Cependant, du fait de limaginaire veill par leur titre
suggestif, Le Bavard, publi en 1946, et La Chambre des enfants, publie en
1960, semblent sinscrire dans une volution temporelle inverse. Le
cheminement opr par L.-R. des Forts, ce jeu, lintrieur mme du Bavard,
ne semble-t-il pas tre celui dun retour aux sources du songe ?
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I. Le songe, ou l en-jeu
1) Un corps intrieur : de la structure lespace intime
Une structure significative
Les nouvelles et les quatre squences du Bavard, paraissent en effet se
refermer sur elles-mmes. Leur structure narrative tmoigne dailleurs de ce
cloisonnement interne. Dans La Chambre des enfants, le rcit du narrateur
ouvre et clt la nouvelle lintrieure de laquelle le discours des enfants occupe
la scne. Ainsi, la nouvelle souvre et se clt sur une description qui enserre ces
diffrentes voix dans un cadre, dlimit par la dernire phrase du narrateur,
avant que la premire phrase des enfants ne frappe loreille de Georges :
Mais enfin cet autre argument suffirait-il le convaincre de linanit de ses scrupules que ceux-ci nen
seraient pas dissips ou le seraient-ils quautant vaudrait renoncer sur-le-champ faire le guet derrire la porte de la
chambre des enfants, puisque cest prcisment pour clairer la nature de ces scrupules quil porte un intrt aussi
exagr ce bavardage dcoliers en cong.1
De cette description, le fil semble avoir t interrompu par les voix
enfantines. Un fil repris la fin de la nouvelle :
De mme quil naura pu quitter son poste aussi longtemps que les voix enfantines se seront fait entendre
derrire la porte, de mme il prouve maintenant jusquau vertige la fascination de leur mutisme et communie avec
eux dans lespoir de leur dlivrance qui sera ainsi comme la sienne. 2
Ici, la rptition des mmes rseaux lexicaux, ainsi que lanalogie des
dveloppements thmatiques et du retour au prsent dnonciation la fin de
chacune des deux phrases, peuvent nous donner le sentiment quune parenthse
sest ouverte aprs la dernire phrase du rcit du narrateur, et sest referme
avec la reprise de ce rcit, confrant cette nouvelle son aspect cloisonn. On
1La Chambre des enfants, in La Chambre des enfants, Paris, Gallimard, LImaginaire , 1960, p.66.
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remarquera que la deuxime citation est construite en deux temps, que la
reprise anaphorique de mme rend similaires. Le prsent mis en vidence
dans le deuxime temps est ainsi li lantriorit confre au premier temps.
Cette antriorit nous renvoie lincipit de la nouvelle dont nous avons un
exemple travers la premire citation. Cette premire citation, qui fait valoir
que lauditeur ne quittera pas son poste, semble rsume dans la premire
partie de la seconde phrase o il est dit quil naura pu quitter son poste .
On remarquera encore lanalogie de ces deux citations qui font prcder le
prsent dnonciation de la porte de la chambre des enfants. Le lecteur
semble ainsi tre pass de Georges, faisant le guet derrire la porte , aux voix
enfantines, pour revenir derrire la porte . De mme qu lintrieur de cette
chambre, Georges entend des changes de voix, le lecteur peut observer que la
description du narrateur circonscrit ces diverses prises de paroles. La
typographie mme du texte met cette caractristique en lumire ; aux lignes
serres du dbut et de la fin de la nouvelle, font pendant les multiples retours
la ligne, les blancs typographiques, et les tirets qui diffrencient prcisment les
tirades des enfants. Le sentiment que les changes des enfants sinsrent
lintrieur mme dune premire nonciation qui ouvre et clos la nouvelle est
trs explicite. De mme, les premires pages du Bavard, rattaches au dernierchapitre, forment un cadre lintrieur duquel sinsrent les quatre squences
qui mettent en scne le Bavard. Le je qui crit et qui est suivi par le prsent
dnonciation, laisse alors place un pass et un je ou narrateur-hros, mis
en scne dans ces diffrentes squences.
Lespace dun songe
Cest dans limaginaire de ce hros que semble entrer le lecteur ; car L.-
R. des Forts semble projeter, dans ces espaces, ce qui se passe lintrieur
mme du personnage. De mme, cest lintrieur mme du hros que le lecteur
semble entrer en dpassant la premire nonciation dans La Chambre des
enfants. Georges est celui qui songe dans une demi-somnolence , puis qui
2Ibid., p. 89.
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revient lui la fin de la nouvelle ; le hros dUne Mmoire dmentielleest
encore celui qui essaie de se rappeler, de se remmorer des vnements de
son enfance, et qui rve. Le lecteur peut alors constater que si le discours des
enfants lui est rapport dans La Chambre des enfants, cest parce que ces voix
ont frapp loreille de Georges ; de mme, sil peut imaginer les diffrentes
scnes que le hros dUne Mmoire dmentielleessaie de se remmorer, cest
parce quil les voit travers les yeux de celui-ci.
La progression thmatique du rcit cadre, nous indique que Georges dans
La chambre des enfants, et que le hros dUne Mmoire dmentielle,
constituent le sujet principal de la narration. La progression thme constant
est dominante dans Une Mmoire dmentielle, progression qui prvaut dans
lincipit : il crut suit par exemple il connut , puis de nouveau il crut ,
il dcouvrit , il senfuit , il jugea , il en conclut , il sy laissa
prendre , il senfona , il se rappelait 3 la structure du texte fait ainsi
soprer une focalisation de lattention sur un personnage dont le lecteur semble
faire une introspection par la suite. Car cette focalisation est dj resserre, dans
un premier temps, sur les sensations, la pense ou les doutes de ce personnage
central. Georges, dansLa Chambre desenfants, stonne de ne pouvoir faire
rebours le chemin parcouru jusqu la chambre des enfants, mais
Il stonne surtout de ce malaise quil juge hors de proportion avec sa cause , et maintenant quil se
trouve comme fortuitement derrire cette porte, cest pour stonner que ce trouble indfinissable [] le maintienne
imprieusement son poste 4.
Ici, la rptition du verbe pronominal stonner , nous prouve que cest
bien de lintrieur du hros que le narrateur nous donne une description. Unhros qui semble referm sur lui-mme, abasourdi par ses propres motions.
Car le narrateur insiste prcisment sur les motions que ressent Georges. En ce
dbut de nouvelle, la honte suit le malaise, puis la perplexit. Le hros est la
proie de sentiments contradictoires, semble-t-il causs par une dichotomie
entre ce quil sait , et ce quil lui semble savoir, ce quil juge hors de
3Une Mmoire dmentielle, in La Chambre des enfants, d. Cite, pp. 93/94.4La Chambre des enfants, p. 65.
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proportion , et le trouble indfinissable quil ressent, entre ce que signifient
ces voix et la rsonance intrieure quelles provoquent chez lui.
2) Un songe fantasmatique : un scnario imaginaire dun sujet mis enscne
A limage de la structure mme de cette nouvelle, les personnages se
referment sur eux-mmes, devenant spectateurs et acteurs du spectacle mis
en scne. Ces scnes imaginaires, les hros en sont les principaux acteurs, et
semblent tre spectateurs de leurs propres songes. Georges, dans La Chambre
des enfants, entends et se fait entendre. Simaginant coutant la porte de la
chambre des enfants, il est ce mystrieux personnage, celui qui a la fois les
yeux et la bouche ferms , restant dans lombre mme des voix mises en
scne . Georges est en effet ce personnage muet que les enfants veulent faire
parler, mais aussi ce voyeur frustr, simple auditeur qui ne voit pas ce qui se
joue dans la chambre. Il est la fois auditeur et acteur, ce dont tmoignent les
diffrentes insertions du discours du narrateur entre deux propos changs par
les enfants. Par exemple,
[]Il [Georges] se demande un instant si les enfants ne seraient pas passs son insu dans la pice voisine
[]5 , ou encore
il se demande si cest pour donner plus de solennit sa dclaration que Paul saccorde une longue pause.
Ou se tiendrait-il fig [] ? Ou encore se serait-il associ la gaiet subite de ses camarades [] ? 6
Si chacun deux a parl pour lui7, leurs silences sont de plus doubls
par le discours intrieur de Georges. Dans lombre de ces voix, le narrateur fait
alors tat de limagination de lauditeur chafaude partir de ce quil nentend
plus. Un discours intrieur empreint de doutes quant la concidence de ces
5Ibid., p. 70.6Ibid., p. 73.7Ibid., p. 89.
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images cres mentalement avec ce quil ne voit pas. Ce discours intrieur est un
discours muet , il est rapport de manire indirecte par le narrateur, et non
dans un discours direct comme lest celui des enfants.
Ce discours restant dans lombre des vnements est celui du narrateur,
lui-mme spectateur et acteur dans LeBavard. Le narrateur-hros fait tat de
ce discours muet ou non articul, que sont ses motions, lentre du bar
maritime :
Le cabaret o nous pntrmes, le visage rougi par un vent dhiver coupant comme des lames de couteaux,
les cheveux couverts de neige et les souliers humides, tait envahi par la foule la plus grouillante dhommes et de
femmes dansant ou riant, attabls devant des verres, que jeusse encore vue. Je dois avouer que japprciais beaucoup
les rires bruyants, le crissement des souliers sur le parquet, les interpellations de diverses natures, et le plus souvent
grossires que couvrait avec peine un orchestre dont la musique aigre claboussait les murs et aussi la densit des
consommateurs qui sgayaient, dansaient, trinquaient dans une pice relativement exigu o lon net pas cru
possible dintroduire un nouveau client [].8
Ici, L.-R. des Forts nous donne une image intrieure du hros. Cette
vision fantasmatique du Bavard perce travers lapposition subjective des
adjectifs qui doublent les substantifs : la foule est grouillante dhomme et de
femmes , les rires sont bruyants , les interpellations grossires , la
musique aigre et la pice exigu ; ralit intrieure qui se fait
particulirement jour travers lemploi de verbes de perception ou dadverbes :
il apprciai[t] beaucoup les rires bruyants , les interpellations le plus
souvent grossires que couvrait avec peine lorchestre, dans cette pice
relativement exigu o lon net pas cru possible dintroduire un nouveau
client . La description de cette scne est une vritable radioscopie, ou clich
intrieur de ce que ressent le hros. De mme, le hros dUne Mmoire
dmentielledevient ainsi spectateur et acteur principal du songe mis en scne :
Il le rve tel quil aurait d tre, sinon comme il a t fait. Sans vergogne il habite ce corps qui ne fut pas le
sien et qui, n dun rve mthodiquement labor, figure en intrus parmi des souvenirs intacts ; mais plus rel que ce
qui a t rel, plus prsent que ce qui nappartient quau pass, plus vif en somme que ce qui a t vcu, et il en
8Le Bavard, Paris, Gallimard, LImaginaire , 1973, pp. 22/23.
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oublie jusqu son origine btarde. Ce qui tait faux contamina ce qui tait vrai, mais lensemble prit la couleur de la
vrit. 9
Le littrateur est spectateur de souvenirs intacts , de ce qui tait
vrai ; et acteur, dans la mesure o ces vnements sont doubls par son ombremme.
Le rve est ici plac en tte de phrase, et ainsi mis en valeur ; Deux
temps distincts se fondent en un : le pass se mle au prsent pour constituer un
tout dans le rve-souvenir : ainsi, il habite un corps chimrique qui
figure parmi ce qui appartient au pass. Il le rve tel quil aurait d tre,
sinon comme il a t fait . Le temps de lirralit se mle au potentiel pour
constituer un tout, prsent en rve. De mme, les intrusions du littrateur sefondent aux souvenirs intacts. Ce qui appartient au pass est doubl par le
prsent, runis dans une autre ralit, btarde , qui vient doubler les faits
originels : pass et prsent se fondent en un rve-souvenir qui ralise le
songe de ce littrateur . Les limites temporelles semblent dissoutes dans la
mise en scne de cette ralit intrieure dveloppe dans son rcit : les
temps composs du pass ainsi que le prsent sont alors remplacs par un seul
et mme temps, limparfait : ce qui tait faux contamina ce qui tait vrai ; le
faux se mle alors au vrai dans un pass simple, ensemble imaginaire qui
prit la couleur de la vrit . De plus, lemploi du substantif couleur nous
renvoie limage dun mouvement discontinu, un mouvement qui semble faire
cho lmotion ou aux rythmes intrieurs du narrateur.
II. Des psycho-sphres : du ngatif lavant-scne, uneralit intrieure informe
Nous avons donc essay de voir dans quelles mesures L.-R. des Forts
faisait de ces rcits une mise en scne dun jeu intrieur, et du songe un enjeu.
Mais ne met-il pas en scne lvolution mme de ce jeu intrieur menant
9Une Mmoire dmentielle, p. 93.
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jusqu sa mise en scne. Une volution fragmente, clate par diffrentes
instances. A travers la nouvelle Dans Un miroir, nous constaterons que le
cheminement menant jusquau rcit fantasmatique de Lonard passe par
diffrents espaces, ayant leur propre structure interne clate, mais nanmoins
lis entre eux. Car ce sont les personnages qui envahissent ces espaces, et qui
leur confrent une ralit. Ces sphres littralement, ces tendues du
pouvoir sont en effet des mises en scne de ce qui semble se jouer
lintrieur mme des personnages, tels des psycho-sites ou psycho-
sphres . On constatera une volution intrieure travers leur volution
spatiale, qui mne, dans le premier chapitre, de lantichambre lextrmit
du couloir, dans lequel nat le rcit de songe de Lonard.
1) Lantichambre : lespace du ngatif
Dans Dans Un miroir, lantichambre est chronologiquement le premier
espace travers par les personnages, ainsi plac en ouverture de la nouvelle.
Cite quatre fois dans les cinq premires pages, puis de nouveau quatre fois,
vingt pages plus loin10, lantichambre est un espace de transit qui mne vers un
autre espace, une autre phase, mais qui fait aussi retour.
Lantichambre, - espace antcdent - nest-elle pas lanti-chambre ou
chambre noire, celle du ngatif ? En photographie, la chambre noire est celle dudveloppement, lieu alchimique o limage est encore obscure ; de plus, cest
une chambre intrieure ou lieu de pro-cration . Lantichambre, dans La
Chambre des enfants, est en effet le lieu de lattente. A la fois on y perd son
temps et on sy attarde : Louise retient Lonard dans cet espace son
10Dans Un miroir, in La Chambre des enfants, d. Cite, p. 136, p. 137, p.139, / p. 152, p. 153, et p. 154.
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arrive dans lappartement. Elle-mme met peu de hte traverser
lantichambre o elle sattarde sans vergogne11.
Car cette sphre est celle du dveloppement, cest--dire celle des
confidences , ou encore, comme celle des palais raciniens12, cest lespace des
entretiens ou du dialogue . Cest mme lchange dialogu des deux
protagonistes, le langage mme, qui structure cette sphre, structure rejoignant
ici celle que Lacan assigne linconscient.
Car aux yeux du lecteur, cet espace ne prend forme que par rapport ce
dialogue. Les marques typographiques du texte lui signalent quil entre dans une
premire sphre circonscrite, cest--dire paradoxalement cerne, par des
blancs typographiques, signes de silence et du vide. On constate que le volume
de cet espace se mesure par rapport laccumulation des tirets qui mettent en
avant les diverses prises de parole des personnages. A la premire phrase de
Lonard concide son introduction dans lantichambre :
- Sera-t-il content de me voir ?
- Mon Dieu, proteste [Louise] gaiement, mais il ne vit que pour linstant o il entendra votre voix danslantichambre 13
Le langage, visuellement morcel par ce dialogue, confre ds lors cet
espace une ralit informe.
Ces changes de voix, ou plutt ces clats de voix sont de ce point de vue
trs rvlateurs. Eclates, cest--dire spares, ces voix le sont par des blancs
suggestifs. Et pourtant elles sinscrivent dans un mme mouvement que la
vhmence du ton anime. Aux interrogations de Lonard suivent les
exclamations de Louise, et inversement, confrant ainsi au ton une oscillation
priodique. Parfois ces voix saffrontent par exclamatives interposes, ou au
contraire sinsrent dans le mme mouvement interrogatif. Le mouvement
semble ainsi ininterrompu et fluctuant, du fait du changement du timbre vocal
et de sa rsonance mme, que le lecteur imagine la lecture de ces points
expressifs.
11Ibid., p. 136.12Cf. R. Barthes, Sur Racine, d. Seuil, 1963, p. 10.
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A la matrialisation de ces motions, sajoute la force des propos. A travers
la brivet des tirades perce la rapidit de leur nonciation qui se veut
percutante. Une vritable cacophonie file par des propos dcals, dsordonns
ou fuyants. Ce dcalage est par exemple marqu par une tentative de
renversement du reproche nonc : - Sil me parle, ce nest jamais que pour
viter mes questions ! , lance Lonard, dont Louise reprend le propos en
disant : - Et vous vous plaignez de son silence ! ; la reprise est ici effectue
par le rappel du verbe parler , par un substantif appartenant un champ
lexical commun, nanmoins oppos, le silence . Durant toute cette scne, ces
deux personnages paraissent vritablement en dcalage, suggr par les
diffrentes oppositions de structure du dialogue, que nous avons mis en
lumire. Ce mouvement ainsi induit, impute lantichambre une dynamique
interne, laquelle sajoute des propos fuyants, transgressant les limites
circonscrites par les blancs.
Ces propos fuyants ce sont ceux, elliptiques, ou ceux des questions sans
rponse, voire des questions en chos :
Louise. - Pensez-vous quil prendrait au srieux une telle sottise, lui qui vit chaque jour dans lattente de
votre visite ?Lonard . - Il mattend, mais dans quelles dispositions ? Est-ce avec espoir ou avec effroi ? Que sais-je de
votre frre ?
- Vous tes celui quil souhaiterait et quil lui est difficile dtre pour vous. Et cependant vous laveztouch, il vous appartient tout entier !14
Ces tirades suivent une progressive cohrence : A lattente suit il
mattend ; et au que suis-je pour votre frre ? , le vous tes celui qui
de Louise. Cependant, le sentiment dominant est ici celui dune fuite que cettestructure en cho met en lumire : les questions se suivent et restent sans
rponse, tout comme les propos elliptiques des deux personnages. Dans cette
perspective, cet espace parat vritablement morcel, informe, du fait du
dveloppement clat que lui confre ce dialogue.
Un dveloppement, cest--dire aussi un veil ou une latence.
13Dans Un miroir, p. 137.
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Ces propos sont en effet souvent obscurs et confus ; Le sens du dialogue
sefface au profit du mouvement de lnonciation, ou du babil des personnages
qui semblent ne former quun.
Encore une fois ce sont les marques typographiques du texte qui nous
invitent fondre ces diverses prises de parole en un seul et mme mouvement :
Lonard. Mais ce fameux remde que vous me suggriez
Louise. aura servi du moins allger vos rapports en dissipant dans votre esprit ce rve naf dune
intimit accessible par la seule mdiation du langage, et dans le sien ce qui en serait plutt comme le cauchemar.
Lonard. ou inversement dmontrer que sans elle aucune intimit ne saurait stablir entre
nous ? 15
Situ la fin de cette premire tape, cet extrait met en avant une
compltude du dialogue, contrairement au dbut de cette tude o nous avons
vu que ces voix saffrontaient, ou sinsraient dans un mme mouvement tout en
tant disjointes. Ici, les phrases sont suspendues, pour reprendre leur
cheminement dans la bouche de lautre. Lonard et Louise sont
clairement distingus, contrairement certaines tirades qui ne sont pas
prcdes de la nomination de leur nonciateur. De ce fait, dcoule un vritable
balancement entre les deux personnages. Cest littralement un change, ochacun file le propos de lautre avant de lui redonner la parole. Les dernires
phrases de ce passage rendent ce mouvement dchange, cest--dire daller-
retour , encore plus explicite :
Louise Rappelez-vous que vous ne devez jamais rien obtenir contre son gr !
Lonard Cest--dire que je dois renoncer presque tout ?
Louise A tout ce quil ne voudra pas vous donner.
Lonard Et vous laisser le reste ?
Louise Et luilaisser le reste ! 16
Sil y a ici une latence , cest celle dune progressive prise de conscience
dun cart combler, et que ce vacillement met en lumire :
14Ibid., pp. 137/138.15Ibid., p. 148.16Ibid., pp. 148/149
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Les phrases se juxtaposent et paraissent suivre un mouvement daller-
retour clos par labsence : ajoutes la construction ou stichomythie, les
propositions suivent le mme schma de progression : Cest--dire que je
fait pendant A tout ce que , et Et vous laisser / Et luilaisser ;
obtenir suit, chez Lonard, renoncer , puis vouloir donner ,
laisser , repris dans la phrase quasi-anaphorique de Louise. Car il y a un
cart, entre ces deux dernires phrases, mis en exergue par litalique lui qui
reprsente le frre absent de Louise. De plus, la progression temporelle est
significative dune progression vers labsence. Au prsent suit le futur, et ce
passage se clt sur linfinitif, temps impersonnel et intemporel.
Ce jeu parat ici faire cho au jeu du Fort-Da que Freud remarque chez les
enfants. Ce jeu daller-retour de la bobine que lenfant accomplit, symboliserait
la prise de conscience dun cart entre lui et sa mre, dont il exorciserait ainsi
labsence. Dans lespace de lantichambre, L.-R. des Forts met cette
caractristique en lumire travers le jeu de balancement et dcart des tirades
des personnages.
Le mouvement et la distance entre Louise et Lonard se fait
progressivement jour travers leurs propos dcals ; on remarquera ds lors
que lcart et les mouvements physiques de ces deux protagonistes sontvritablement tnus voire inexistants, comme si ces deux tres taient souds.
Nanmoins, L.-R. des Forts signale certains mouvements dans les
didascalies , plus consquentes la fin de ce passage. Ces mouvements tnus
manifestent un lan de capture. Ici, rpulsion et attirance se confondent. L.-R.
des Forts semble ainsi insister sur une progressive dissociation confuse,
mettant en scne lveil de la sexualit enfantine ; lauteur met en scne le fait
que Lonard et Louise tentent de se saisir lun lautre par le regard :
[Lonard] fait une subite volte-face comme pour prendre Louise au dpourvu en rduisant brusquement la
distance que de propos dlibr il avait mise entre son regard et le sien 17.
[Louise] dsarme [] se mord la lvre et se dtourne [] pour se dissimuler 18
17Ibid., p. 142.18Ibid., p. 141.
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Quelques pages plus loin, cest elle qui fixe Lonard, le regardant si droit
dans les yeux quil en parat dcontenanc 19.
Si Lonard est d-contenanc , Louise, ds-arme , se d-tourne
pour se dissimuler, nanmoins prise, plus loin, au d-pourvu . Les regards
lancs par les personnages sont des tentatives de capture. Une capture ou
mouvement induit par la rptition du prfixe de- , qui cre une dynamique
partant de lintrieur vers lextrieur, ou de lun des personnages, vers celui qui
provoque ce mouvement. Il faut ds lors constater un double mouvement : celui
qui procde dune volont de blesser, et donc de repousser lautre, doubl par
une volont de le saisir.
2) Du couloir la coulisse ou le glissement de lintrieur vers lextrieur
Suivant cette progression, les personnages entrent dans une seconde
tape, un deuxime espace. Le couloir est la zone des bouleversements
organiques et de la construction de soi. Lauteur insiste sur le corps du
personnage et sur sa progressive autonomie, avant de faire passer celui-ci dans
la coulisse. Car le couloir est un espace intermdiaire qui, avant de mener de
lintrieur vers lextrieur, semble se pervertir en coulisse . Nous verrons
alors dans quelles mesures, dans cette zone intermdiaire quest le couloir, L.-R.
des Forts met en lumire une naissance du dsir, prcdant le rcit
fantasmatique de Lonard.
Le couloir, lespace dun bouleversement organique
Le couloir est un espace intermdiaire, un espace central : il occupe la
moiti de lespace littraire, cest--dire son centre20, mais aussi la plus large
partie de son temps21, qui se mesure au nombre de pages significatif.
L.-R. des Forts en fait un espace de formation ; dans un premier temps
cette caractristique se fait jour visuellement, car aux lignes clates de
19
Ibid., p. 147.20Ibid. ; dbut de la nouvelle : p. 135 espace du couloir : pp. 149/172 fin de la nouvelle : p. 191
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lantichambre fait pendant la densit du corps du texte de cet espace. De plus,
luniformisation de lespace de lantichambre par le discours, soppose ici la
mixit du discours et du rcit. De manire aussi significative, le couloir mne du
premier au deuxime chapitre ; ou chronologiquement de lintrieur de
lantichambre, espace du ngatif du langage, la bibliothque, dans laquelle se
trouve le narrateur. Cette zone est en effet dcompose par la mise en acte de
caractristiques faisant cho aux dveloppements antrieurs : celles dune
ralit intrieure informe. Ces instances mettent en lumire le corps et
lautonomie de Louise. Cet espace est structur ou dstructur par la dynamique
de chacuns de ces points sinsrant dans un mme mouvement, celui dun
bouleversement organique et dune mise en acte symbolique, qui prfigurent la
sparation foncire de Louise et Lonard.
Suivant ce fil conducteur, le premier temps est celui dune sparation
physique.
Sparation marque par la concidence du dpart de Lonard avec lentre
de Louise dans le couloir. Celle-ci nous donne ds lors le sentiment dtre un
lectron libre , en manque dune part delle-mme. Dans tout ce passage,
Louise semble vouloir trouver le moyen dexorciser ce manque ; une progressivevolution prsente dabord Louise dans un tat dinstabilit :
Il ne reste plus alors qu entrouvrir de nouveau la premire [porte] qui donne sur lentre du couloir o
Louise se tient adosse au battant de la sienne, les yeux mi-clos, dans une attitude de souriante expectative, savourant
visiblement sa victoire. Mais bientt, comme pousse par une curiosit irrsistible, elle sengage son tour dans le
couloir, glisse pas feutrs devant la porte referme prcautionneusement son passage pour se prsenter de dos,
elle aussi, dans ltroite ouverture de la seconde, le buste prsent inclin en avant, les deux mains prenant appui sur
ses genoux, la tte lgrement tourne de ct comme pour mieux tendre loreille aux propos changs dans la
chambre de son frre. Cependant, en juger son visage qui exprime plutt la dconvenue il semble que les voix
derrire la porte se soient tues son approche, et cest vraisemblablement ce qui la dcide abandonner presque
aussitt sa faction pour remonter le couloir en sens inverse et, sans rien perdre de son allure somnambulique, regagne
cette fois sa chambre dont elle fait claquer brutalement la porte. 22
Une dynamique ici mise en lumire traverse Louise.
21Ibid., lespace du couloir occupe 23 pages, sur un total de 56 pages.22Ibid., pp. 149/150.
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Cette dynamique est manifeste dans les tournures impersonnelles qui
devancent ses dplacements : il ne reste plus alors qu entrouvrir de
nouveau se rattache comme pousse par une curiosit irrsistible et
cest vraisemblablement ce qui la dcide . Les dplacements, induits par
les verbes de mouvement, soulignent aussi une trajectoire significative dun
aller-retour : Louise se tient adosse sengage glisse remonte en sens
inverse le couloir pour regagner sa chambre . A ce cheminement, sajoute
celui des phrases, longues, juxtaposant les propositions, les syntagmes, mais
tayant surtout ce mme mouvement. Les adverbes placs en tte de phrase
mettent en valeur la progression de Louise alors , un demi-tour mais
bientt , qui se conclut par le renversement de la progression initiale
cependant . Dans cette mise en acte du Fort-Da, dont nous avons vu la
manifestation latente prcdemment, Louise est amene puiser lespace par
une sorte de conjuration du vide, engendr par labsent dont elle suit la
trace . Cet loignement-rapprochement est renforc par une figuration du
mouvement inversequi contamine ce passage. Dans un premier temps, au verbe
de mouvement suit une pause descriptive ; un schma repris dans la seconde
phrase, mais invers dans la troisime. De plus, les focalisations accomplies
dans les descriptions, ritrent ce mouvement inverse. Dans la premire partiede cette citation, la description suit un progressif largissement ; linverse,
dans la seconde description, L.-R. des Forts opre une focalisation rapproche,
pour revenir en fin, au premier cadrage. Louise semble ainsi prendre peu peu
forme : ses yeux, son attitude, son buste, ses mains, sa tte, son oreille, puis de
nouveau son visage et son allure, se trouvent tour tour au centre de cette
focalisation.
Cest alors un certain dsuvrement que celle-ci essaie de palier par desactions dsordonnes, mettant en valeur lactualisation dun bouleversement
organique :
Mais il semble quau lieu de sengager dans le couloir, elle se dirige vers le rduit communiquant avec la
salle manger, qui lui sert la fois de rduit et de pice dbarras ; il est difficile toutefois de prciser si de l elle
nest pas pass sans transition dans la cuisine, comme latteste peu aprs le tintement caractristique de la vaisselle
manipule avec une brutalit surprenante, soit par pure nervosit, soit dessein pour que nul nignore la nature de sa
besogne ni surtout le lieu trs cart o elle saccomplit. Et cest sans doute afin de souligner encore davantage sa
prsence lointaine quelle se met fredonner bouche ferme une rengaine qui se mle gaiement au clapotis de leau,
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au fracas devenu assourdissant des assiettes et des couverts quon dirait jets en vrac et sans mnagement dans
lvier.23
On retrouve le mme mouvement de dcomposition qui traversait le
passage prcdent.Au couloir se mlent le rduit, la salle manger, la cuisine et
lantichambre. Au classement, L.-R. des Forts substitue vritablement
lclatement spatial. Seule une progression temporelle permet de suivre le trajet
de Louise, qui est lui-mme morcel : les charnires entre les propositions
mettent cette caractristique en lumire : au lieu de , elle se dirige vers ,
toutefois , sans transition , peu aprs , soit soit , afin de . Le
fil de la trajectoire est emml, suspendu, pour reprendre son cheminement.Mais cest un cheminement dsordonn, qui souligne le bouleversement
organique qui sopre. Les mouvements de Louise, leur brutalit, la nervosit de
celle-ci et les assiettes comme jetes en vrac et sans mnagement attestent
un certain manque de coordination. Nanmoins, elle essaie dacqurir une
prsence , elle semble saccomplir grce ses travaux ; le terme mme de
besogne amenuise lorigine alinante de ce travail. Dans un premier temps seul
les bruits de la vaisselle rsonnent, cest alors bouche ferme que le son de
la voix de Louise se joignant au clapotis de leau , se fait entendre. Un
bouleversement sensoriel se fait jour travers la propagation dondes sonores
qui envahissent ce passage ; une propagation ou une croissance interfre :
la brutalit des gestes de Louise fait tonnement cho au tintement de la
vaisselle , tel le fracas assourdissant des assiettes la rengaine, mle au
clapotis de leau . Ces sensations auditives suivent une pente ascendante : le
tintement de la vaisselle est devenu assourdissant aprs laccumulation
des syntagmes.
Aprs le bouleversement et la substitution de labsent par laction, cest une
progressive matrise quacquiert Louise, et une progressive stabilit qui domine.
Au bouleversement sensoriel suit maintenant la stabilit lie limage que
Louise acquiert delle-mme.
23Ibid., pp. 151/152.
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Il faut attendre un assez long moment avant de la voir se profiler sur la surface brillante du miroir, occupe
dune main remettre en ordre sa coiffure et de lautre passer distraitement un essuie-meuble sur le socle de la
commode. 24
A lagitation prcdente fait pendant la coordination et laisance desmouvements de Louise qui conjugue deux activits synchroniquement, alors
que faire la vaisselle tait auparavant une vritable preuve . Laisance se
retrouve dans le mouvement mme de la phrase qui varie les allitrations. Les
consonnes nommes liquides [l] et [m] sont ainsi fondues au chuintement
prolong du [s]. Et de manire suggestive, la rptition du [wa] de coiffure et
de voir attirent notre attention sur le miroir , situ en fin de proposition.
Mais dj elle a quitt la partie visible de lantichambre et sloigne du mme pas dcid en direction de la
cuisine o elle sattarde quelque temps fureter avant de reparatre nouveau dans le champ du miroir, munie dune
pelle manche court quelle dpose sur la console et dun balai avec lequel elle se met en devoir de frotter la
moquette par amples gestes semi-circulaires, de plus en plus lents mesure que se rduit la surface pargne ; puis,
dun seul mouvement rectiligne et bien orient, elle dplace le petit tas de poussire en laccompagnant avec son balai
jusqu lentre du couloir, quelques pas de la porte qui, par prudence, est repousse prudemment du pied. 25
Lespace qui fait cho la dernire citation prend toute son importance
lorsque se fait jour lunit et la coordination corporelle de Louise, en tmoignentles adjectifs qui qualifient ses mouvements. La surface brillante du miroir ,
ou le champ du miroir est la phase que Lacan dfinit comme fondatrice dans
la constitution du moi chez lenfant. Cette zone dans laquelle Louise semble
puiser une vritable force, ne propage dans un premier temps que des rayons ou
clats du personnage, dont nous avons une image plus unifie dans ce passage.
A lattente suit lactualisation, lvaporation la concrtisation : on notera que
lassez long moment antrieur se transforme en mais dj ; lattitudedistraite en pas dcid ; ou que enfin est doubl par nouveau . Ici,
Louise semble tmoigner dune progressive auto-suffisance quatteste cette
scne de mnage qui semble vritablement prendre une tournure rotique. Les
balai et pelle manche court ou symboles phalliques, semblent ici
caractristiques de lorganisation libidinale de Louise.
Mais, alors que Lonard rapparat,
24Ibid., p. 152.25Ibid., pp. 152/153.
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elle se laisse relever avec un rire nerveux, sattarde pousseter ses genoux pour dissimuler sa gne, puis
sans transition elle scarte de lui et, zigzaguant comme une aveugle, remonte le corridor jusqu lantichambre o
elle se plante devant le miroir, les deux paumes poses en ventail sur son visage comme si par ce geste elle esprait
effacer toute trace de confusion.26
Louise parat tre entre dans une phase de changements.
Son rire, ses gestes, son attitude gnrale sur lesquels insiste L.-R. des
Forts, semblent altrs par les adjectifs les qualifiant : nerveuse, gne,
aveugle, zigzaguant, Louise nest plus dans le couloir mais dans le corridor,
lespace mme semble stre amenuis. Le corridor, espace rduit du couloir
fait dailleurs tonnement cho au petit tas de poussire prcdemment
dpos lentre du couloir qui semblait symboliser la rduction ,
labsence mme de Lonard. Car maintenant Louise est littralement dtache :
dtachement soulign par le mouvement de la locution adverbiale sans
transition . Aux mouvements ou volont dincorporation dans lantichambre,
semble se substituer ici la sparation, lentrelacement ou le dsordre.
Ainsi, L.-R. des Forts semble vritablement jouer avec les diffrents
temps qui constituent chacune de ces psycho-sphres , caractrises par leur
mouvement et leur clatement, mais suivant nanmoins une volutionsignificative dune progressive extriorisation des latences dfinies dans
lantichambre .
La coulisse ou lavant-scne
Nous glissons maintenant du couloir la coulisse . Le dialogue, dj
prsent dans lantichambre fait retour, mais semble avoir volu. Le silence du
couloir, marqu par des descriptions ondulatoires, est bris par les
questionnements de Louise qui se dtachent peu peu du corps du texte, pour
sinsrer dans un dialogue alternances vocales. Nous passons, dans cette
mme sphre , dun cheminement silencieux et solitaire constructif, une
avant-scne extrieure.
26Ibid., p. 154.
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En tmoignent dailleurs les nombreuses rfrences faites au jeu scnique
des personnages :
la pause : la pause qui suit semble indiquer que la brutalit de la
question a pris Lonard au dpourvu 27 ;
le ton : le ton maussade et prudent de la rponse met le comble
lagitation de Louise qui passe rapidement les mains dans ses cheveux ;
ou encore la physionomie : tandis quune rougeur subite envahit son
visage, Louise fait un violent effort pour clater de rire28. Une diffrenciation
des personnages est clairement mise en lumire travers ces rfrences, qui
soulignent lvolution qui sest opre depuis lantichambre.
A cette volont de saisir lautre physiquement se mle celle de le
comprendre. Si les regards taient signe dcart et dune envie de capture, ce
sont maintenant les mots qui jouent ce rle.
Quavez-vous ? Vous tes malade ? peut-tre a-t-elle lch ces mots la lgre, pour le surprendre et le
retenir ; toutefois elle les rpte avec fermet, comme entrane par sa propre hardiesse ou afin de se convaincre elle-
mme que son inquitude est fonde : Etes-vous souffrant ? Ne voulez-vous pas vous reposer un instant ? 29
Un double mouvement dcompose ce passage ; celui dune progression
vers induit par les verbes de mouvements complts par le but qui les
motive : elle lche ces mots pour , elle les rpte afin de ; et celui
dun vacillement : peut-tre toutefois ou .
La coulisse semble tre lespace o les mots ne sont plus seulement un
mouvement, mais une mise jour des forces intellectuelles qui traversent les
personnages. Le manque ou lcart dont nous avons vu les manifestations
antrieures, se traduisent ici par un manque de mots :
Cette mine soucieuse, ces gestes fbriles , insiste [Louise] mais pour sarrter court, comme si les
mots lui faisaient subitement dfaut ou comme si elle craignait, en saventurant trop loin de manquer son but. Faut-
il mettre cela sur le compte de De nouveau elle avale sa phrase, hsitant quelques secondes avant de risquer
timidement : je veux dire est-ce que cela a t un chec ? 30
27Ibid., p. 156.28Ibid., p. 158.29Ibid., p. 155.30Ibid., pp. 155/156.
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La tentative de matrise du manque se fait jour dans la construction mme
de la phrase qui conjugue en les alternant lnonciation et lexplication, tel un
aller-retour explicite. De plus, les suspensions agissent comme des marques
dabsence, renforces par les silences que cre la narration, avant de revenir
lnonciation matrialise par les guillemets. Sadjoint ce mouvement, une
progressive construction de la communication : aux tournures adjectivales
juxtaposes tel un bgaiement dans la premire partie de la phrase : cette
mine soucieuse, ces gestes fbriles , suit la tournure impersonnelle, le
complment dobjet et circonstanciel dans la seconde, faut-il mettre cela sur le
compte de , pour, la fin, se parfaire en une tournure personnelle et un
phras plus labor : je veux dire est-ce que cela a t un chec ? . Phrase
nanmoins toujours entrecoupe.
Cette zone est celle de la communication, mais celle-ci est toutefois d-
construite ; les sens, qui sentrechoquent, aboutissent une annulation
retarde, ou un manque toujours latent :
- Que dites-vous ? Mais cest faux ! [dit Louise] Je nai aucune ide de ce qui sest pass entre vous !
- Non ? Et pourquoi tes-vous tourner autour de moi, mobserver, me questionner, sinon pour vous
rgaler de mes mensonges, car vous nignorez pas que je mens, vous me lavez dit tout lheure ! Lintrigue perce
dans tous vos gestes ! Quavez-vous en tte ? Que cherchez-vous ? 31
Du sens action Lonard essaie de dduire le sens savoir. Il
accumule en effet les propos rapportant les actions de Louise qui tourne autour
de lui, lobserve, le questionne, dans le but dun profit intellectuel. Nanmoins,
ces propos compltent indirectement le verbe dtat, induisant encore le
vacillement mme de largumentation de Lonard. Les deux sens action et
savoir ne se rejoignent pas mais restent en suspens. La tirade de Lonard estponctue dinterrogatives en ouverture et fermeture, mettant en valeur lchec
de cette tentative dlucidation : A Non ? en dbut de paragraphe, suivent
Quavez-vous en tte ? et Que cherchez-vous ? la fin de cette
nonciation. La structure mme de cette tirade est fragmente, entrecoupe de
ponctuations changeantes. Un bouleversement auquel sadjoint la force
quexercent les mots entre eux. Dans la dduction de Lonard, mes
31Ibid., p. 158.
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mensonges , je mens , et lintrigue , attachs au mme rseau lexical,
font cho au cest faux de Louise. De plus, dans les deux dernires phrases
de Lonard, analogiquement interrogatives, se suivent chercher et tte ,
faisant eux-mmes cho lide que Louise rfute avoir de la scne. La
conjonction de ces deux forces lexicales agissantes, confrent ce passage une
figure dclatement : le mensonge d-construisant lide, lintrigue
apparaissant telle une recherche dvoye. Se fait jour ici une dfinitive
sparation entre les personnages. Louise et Lonard qui, dans lantichambre,
semblaient physiquement souds, leurs dialoguent se confondant mme, sont
maintenant, aprs une volution parcellaire, vritablement distincts.
Cest alors une dernire tape dcisive qui semble donner naissance au
songe de Lonard et son rcit. Prcdemment, Louise paraissait combler
labsence par un besoin dpuiser lespace ou de substituer labsent des actions.
Ce besoin adjoint la prise de conscience du temps qui passe, provoquent un
dsir de parler, et de mettre en mot ou en acte verbal, les diffrentes forces qui
traversent le personnage. Une volution qui se fait particulirement jour dans le
dialogue qui prcde le rcit fantasmatique de Lonard, personnage sopposant
ici Louise :
- Est-ce bien le moment den parler ? Ne serait-ce pas au-dessus de vos forces ? Vous avez besoin de
tranquillit et de repos.
- En effet, cela me cotera normment, mais aprs cette scne pnible, je vous dois une rparation ! insiste
[Lonard] dune voix impatiente, comme si, de ce quil avait dire, il tait passionnment curieux.
- Le dsirez-vous vraiment ?
- Oui, il le faut, et tout de suite ! dit-il avec une sorte dexaltation.
- Mais pourquoi maintenant ? demande-t-elle sans chercher lencourager dans cette voie, et comme si elle
flairait une embche. Nous aurons tout le temps demain.
- Maintenant, maintenant ! rpte-t-il sur un ton ttu et, deux reprises, on entend sa main claquer sur unbras du fauteuil. 32
La prdominance des adverbes temporels sadjoint au balancement opr
entre besoin et dsir.
Les tirades de Louise jouent le rle dun frein quant lactualisation du
dsir. Les interrogatives freinent en effet lvolution performative des procs :
Est-ce bien le moment den parler ? Ne serait-ce pas au-dessus de vos forces ?
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/ Le dsirez-vous vraiment ? / Mais pourquoi maintenant ? . De plus,
leur tournure ngative renverse la potentialit, orientant vers le moins et
non vers le positif , le projet de Lonard. Louise actualise le besoin et
suspend le dsir travers deux phrases qui se font cho : vous avez besoinde
tranquillit et de repos / Le dsirez-vous vraiment ? . Louise joue le rle de
force lopposite, bridant le mouvement qui pousse Lonard sengager sur la
voie dun assouvissement. La phrase averbale , Mais pourquoi
maintenant ? , suspend le temps et laction : le maintenant est comme
retenu par lantposition du pourquoi . De plus, elle dcompose la
dynamique du mouvement de Lonard en lenrayant, grce la coordination
mais , jouant vritablement le rle dobjecteur . Chez Louise, tout le
temps est littralement cern par le futur : Nous aurons tout le temps
demain lui dit-elle.
Au contraire, chez Lonard, les phrases sont tendues vers une actualisation
sinon prsente, du moins imminente.
Dans sa premire tirade, au futur suit le prsent qui est ritr dans la
seconde tirade. En fin, cest alors une phrase adverbiale qui souligne avec force
lactualisation souhaite par Lonard, pour qui le prsent mme semble
svanouir : Maintenant, maintenant ! . Cette prise de conscience du tempsparat donner naissance au dsir. Car celui-ci semble travers par une force la
fois pulsionnelle et intellectuelle : passionnment est juxtapos
curieux ; de mme, la voix impatiente fait pendant le ton ttu :
Maintenant, maintenant ! rpte-t-il sur un ton ttu et, deux reprises, on
entend sa main claquer sur un bras du fauteuil. . Si on peut parler de la
coulisse telle une avant-scne, les rptitions la fois lexicales et sonores
agissent ici comme une reprise dvoye des trois coups frapps au thtre. Ces deux coups prcdent en effet la mise en mots du dsir de Lonard :
Sa voix est prsent basse et chuchotante comme si elle craignait de rveiller un dormeur ou un malade33
La voix de Lonard se dtache peu peu de lui : dans un premier temps, il
la possde, cest encore sa voix , mais en la circonstance, elle est
32Ibid., p. 160.33Ibid., p. 161.
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personnifie, tel un corps part entire nanmoins attach au personnage. Cette
voix semble se fait interprte, jouer un rle, li ce qui va tre nonc : le
prsent et la crainte de , induisent un changement en vigueur dans une
perspective future.
Ainsi, nous avons constat quun vritable cheminement dcompos
sopre dans ce premier chapitre. Si lantichambre est lespace du
dveloppement et de lveil, nous avons pu remarquer que toutes ces latences
taient progressivement mises en actes dans lespace du couloir. Une mise en
acte qui passait dans un premier temps par des actions symboliques, mettant en
lumire la progressive autonomie de Louise. Puis une symbolique lie au
langage, ce qui amne, dans un espace obscur du couloir, la coulisse, une mise
jour par les mots, de ce qui reste obscur dans lantichambre : nous avons en
effet mis en avant de quelle manire le manque se traduisait dans les tirades de
Louise, mais aussi comment lclatement se faisait jour dans les propos de
Lonard, lvolution des personnages, travers ces espaces, mettant ainsi en
lumire la vrit, une ralit intrieure informe.
III. De lorigine du rcit au fantasme de lorigine
Dans Le Bavard, les espaces sont aussi ceux dun jeu. Ainsi, on
remarquera, en comparant la premire et la dernire squence du rcit, une
volution intrieure loquente : cest--dire une complexification explicite dans
le dernier espace. Ainsi, nous pourrons nous rendre compte dune progressionintrieure, une progression qui semble nanmoins double dun dsir de retour
lorigine de cette organisation ou ds-organisation . Nous verrons en effet
que L.-R. des Forts semble mettre en lumire les diffrents mouvements
dsordonns qui traversent ces espaces intrieurs ; Mais aussi que le
cheminement de lauteur, semble tre celui dun retour aux sources du songe.
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1) De lorigine du rcit au jardin public, une progressive complexification
lorigine du rcit, la perception
Dans Le Bavard, le lecteur peut situer les espaces, nontopographiquement, mais suivant comme prcdemment, une chronologie qui
est celle du cheminement de la narration. Dans cette perspective, lorigine du
rcit, le premier espace, est celui dun temps primitif et indtermin, qui nous
est prsent comme une fort, un espace sauvage, sphre vritablement
dsorganise par la mise en scne des actions et sens en mouvement :
Javais envie de plonger, de boire une gorge de mer, de secouer leau sale de ma tte et de nager
rgulirement, de me retourner pour faire la planche et de sentir la houle froide me soulever et se creuser et le soleil
me brler le visage. Mais dabord, monter et descendre, traverser la rivire, la valle au bois touffu, et puis arriver
jusquau long plateau et le traverser avec de hautes herbes qui rendent la marche difficile et encore monter et
descendre et traverser marrtant parfois lombre dun arbre pour souffler et puis encore monter et descendre et
traverser toujours dans ces bois touffus de ronces dans lesquelles je devais me frayer un passage, voil ce que je dus
faire sous un soleil trs chaud avant datteindre la falaise de craie qui surplombait la plage. Javais tellement chaud en
montant et descendant ces collines et en traversant ces bois pais que je mtendis sur la crte de la falaise et je fus
heureux dappuyer mon dos contre le tronc dun pin isol qui me couvrait de son ombre frache et odorante. 34
Lclatement spatial et temporel est ici significatif dun bouleversement
organique et sensoriel. Dans un premier temps, les limites spatiales sont, sinon
inexistantes, du moins fuyantes, et ce, du fait de lentrelacement des diffrentes
forces en prsence.
Dans la premire phrase, le hros semble se fondre aux lments ; les
actions se mlant aux sensations, et les sujets sinversant. Ainsi, dans un
premier temps, les verbes daction boire , secouer , nager , se
retourner , ont pour complment la mer ; construction renverse dans la
dernire partie de la phrase, puisque les complments des verbes daction sont
des pronoms personnels, ou le visage , se rapportant au hros. Ces deux
forces le hros et les lments naturels ne sont cependant pas opposes,
mais entrelaces. On notera effectivement quaux actions se rapportant au
Bavard se mlent les sensations, provoques par le soleil ou la mer : ainsi, aux
actions du hros plonger boire , secouer , nager , et se
34Le Bavard, pp. 13/14.
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retourner - se rattachent celles des lments - soulever , creuser ,
brler - lies par le verbe sentir , intercal entre ces deux forces
agissantes. A cet entrelacement spatial sadjoint une temporalit volutive, mais
non moins parcellaire.
Dans la seconde phrase, au dplacement spatial du hros se mlent
plusieurs temps ; une rgression : mais dabord ouvre cette seconde phrase.
Le mais agissant ici telle une restriction, est juxtapos au dabord qui
indique une reprise ou nouveau point de dpart. Cette rgression est alors suivie
dune progression saccade, ce que met en lumire dans un premier temps la
juxtaposition des propositions , au rythme de plus en plus vas. Mais saccad,
car lintrieur de ces propositions sont insres des conjonctions confrant au
centre de cette phrase son rythme haletant : Et encore et et parfois et
puis encore et et . Ensuite, une reprise en mme temps quune
progression qui samorcent avec ladverbe toujours , induisent la fois une
continuit, cest--dire une volution, mais cest--dire aussi un renouvellement.
On retrouve en fin ce mme mouvement davance et de retour travers la
succession de voil avant , qui induit une progression par ricochet.
L.-R. des Forts met vritablement en avant lclatement spatial et
temporel de cet espace ; dans la dernire phrase, la rcapitulation de ces tempsamne alors une focalisation sur le hros. Une focalisation suivant cette mme
dynamique, cest--dire, dans un premier temps, resserre : sur le dos du
personnage, puis sur un pin isol ; laissant place ensuite un plan plus
large : le dos se subroge au moi me , et le pin son ombre frache et
odorante .
Cet espace, nous apparat tel celui dune construction primaire, dun
bouleversement organique et sensoriel. Lclatement spatial et temporel, ainsique laccumulation explicite des temps impersonnels et intemporels prsentent
cet espace tel celui des sens mme : celui dun temps en suspend mais
nanmoins constamment actif. Les formes intemporelles des verbes daction,
prdominants voire envahissants, mettent cette caractristique en lumire.
Une actualisation temporelle nbuleuse
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A cette structure antcdente caractrise par son temps en suspens ,
L.-R. des Forts conjugue celle de lexprience individuelle du hros. Le jardin
public, dernier espace du rcit, peut en effet sapparenter la fort. Cette reprise
apparat nanmoins dvoye, ractualise par le nom mme de parc . Une
ractualisation faisant se rejoindre plusieurs instances, en rsulte une vritable
htrochronie . Cette perspective dun temps clat dveloppe par Andr
Green35semble en effet trouver un cho dans la structure mise en scne par L.-
R. des Forts. Car de fait, la structure dsorganise que nous venons
dexpliciter se mle la structure dsorganise de lexprience du hros. Au
bouleversement sensoriel, et ce temps en suspens, nanmoins actif, se mle un
temps de lexprience, fragmentaire :
Or prsent, inexplicablement dlivr dune hantise et toutes choses cessant de mapparatre sous un angle
tragique, rien ne mempchait de jouir en toute tranquillit de la beaut dun lieu o je ne me sentais plus traqu ni
menac et que lvocation de tout un pass dont il tait le cadre douait dun bouleversant prestige en raison de ce
quil lui confrait de lointain et de printanier. Car ce banc, ctait celui-l mme o jaimais masseoir au printemps
quand le jardin tait grouillant denfants turbulents et de couples enlacs, aussi cribl de ppiements doiseaux et de
clameurs dont leau toute proche amplifiait trangement la sonorit, aussi miroitant de soleil et dombres vertes quil
tait aujourdhui dsert, silencieux et noir. 36
Ce temps de la sensation est explicitement mis en lumire par la neutralitou lannulation ici opre.
La proposition qui ouvre cette citation est de ce point de vue significative
dans la mesure o L.-R. des Forts emploie de nouveau des formes verbales
intemporelles : dlivr , traqu ou menac . A ceci sajoute
lannulation mise en avant par les tournures ngatives, cessant de , rien ne
mempchait et je ne me sentais plus ni ni dans la seconde
proposition. On relvera aussi inexplicablement et plus loin,
trangement , qui mettent en attente la comprhension du procs qui suit ;
ou on relvera encore luniformisation opre par limparfait, qui confre ce
passage une neutralit temporelle.
A ce temps perptuel sadjoint alors le temps individuel du Bavard.
Se conjugue au mouvement prcdemment dcrit, la dynamique spatiale et
temporelle fragmente du hros. Eclatement qui se fait jour travers la mise en
35
Le Temps clat, chapitre III : construction de lhtrochronie , Paris, Les ditions de Minuit, 2000., pp.21/41.
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prsence de rseaux lexicaux opposs. A la dlivrance, suit la hantise, au
tragique la tranquillit, au miroitement du soleil et aux ombres vertes , le
silencieux et noir qui conclut la phrase. Au dsert soppose aussi une
dynamique informe induite par des termes tels que grouillant , enlacs ,
cribl , clameurs ou amplifiait . A lintrieur des phrases cest en effet
cette mme dynamique qui, partant des lieux, dstructure lespace : le rythme
semble senchaner partir de ces lieux pour se disperser ensuite dans des
digressions ; le mouvement dans le lieu o que dont en raison est
repris dans la seconde phrase mais intensifi : le banc ctait o quand
et aussi et dont aussi que . Ce morcellement est celui du temps :
prsent ouvre la premire phrase, aujourdhui clos la seconde, mais il
semble que nous soyons pass dun prsent antrieur, loppos
d aujourdhui .
Ici, on a pu constater que deux dynamiques celle du roman individuel et
celle dun temps primitif immuable ayant leurs propres instances,
sadjoignent, et ainsi quune complexification de lespace en rsulte.
2) Une progression rgressive : dun espace lautre, le retour des premiresinstances
Il semble que la technique romanesque de L.-R. des Forts soit celle dune
complexification explicite, mais surtout dun retour aux origines. Mettant en
perspective Le Bavard, publi en 1946, suivi de La Chambre des enfants,
publie en 1960, nous constaterons que ces deux titres nous suggrent dj une
mme mise en valeur de cette progression rgressive.
De la mise en mots sa gense
Le Bavard est celui qui parle, ainsi, lespace sur lequel est attire notre
attention est la bouche. La bouche, ou espace intermdiaire entre lintrieur et
lextrieur du corps, espace dune mise en acte par les mots ; une bouche que
Bataille, dans un de ses articles parus dans la revue Documents, qualifie
36Le Bavard, pp. 91/92.
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dorifice des impulsions physiques profondes37. On soulignera ici lanalogie
opre avec le couloir que nous avons dfini tel un espace de formation et de
mise en acte :
On me demandera peut-tre si jai entrepris de me confesser pour prouver cette sorte de plaisir morbide
dont je parle et que je comparerais volontiers ces personnes raffines qui, avec une lenteur tudie, caressent du
bout de lindex une lgre gratignure quelles se sont faite sciemment la lvre infrieure ou qui piquent de la
pointe de la langue la pulpe dun citron peine mr. 38
On notera ici une construction progressive :
Au futur ou non-actualisation, suit le prsent, puis le conditionnel ou
forme potentielle du prsent, aboutissant une forme englobante, le prsent
gnomique. A cette progression vers la forme , sajoute un entrelacement
verbal significatif. Ainsi, on constate que L.-R. des Forts se sert de trois rseaux
lexicaux se rejoignant dans un seul verbe des plus loquent : dans cette phrase,
prouver, caresser, piquer, appartenant ltendue sensorielle, sattachent la
sphre de laction induite par les termes entreprendre, comparer, et rechercher,
lis aussi un autre domaine, celui verbal, que demander, confesser et parler,
mettent en lumire. Ainsi, on remarque que ces rseaux lexicaux sont domins
par un rythme ternaire excluant un seul verbe. Excluant, et ainsi se rejoignantdans ce seul verbe : se faire.
Nanmoins, ce passage nest pas dnu de brisures. Reprenant ce mme
schma lexical, L.-R. des Forts y ajoute lacuit rvlatrice de lclat : Le
domaine sensoriel est rejoint par le citron, caractris par son acidit ; laction
par lgratignure, tel un clat de chair ; et le verbe par lapointede la langue ,
ici, vritable outil saillant. A se faire semble alors se rattacher morbide ,
dont le sens nous apparat lui-mme clat. Au premier abord, morbide nous renvoie la maladie ou au dsquilibre ; de plus, un deuxime sens se fait
jour ici. En peinture, morbide ou morbidesse exprime la souplesse ou la
dlicatesse, substantifs faisant cho au portrait trac ici, celui des personnes
raffines ou d une lenteur tudie .
Comparer la bouche au couloir, cest plus prcisment lapparenter la
coulisse. La coulisse, comme nous lavons vu, est une zone o nat lrogne,
37G. Bataille, Bouche ,in O. C., I, Paris, Gallimard, 1970, pp. 237/238.38Le Bavard, p. 8.
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notion mise en lumire par le plaisir , en tte du premier propos, tel le motif
mme de cette phrase.
La publication qui suitLe Bavardest celle deLa Chambre des enfants. La
chambre des enfants est celle de limaginaire et de sa mise en scne par le jeu.
De la bouche ou coulisse , nous faisons retour lespace du ngatif et aux
premires instances du couloir.
Dun point de vue formel, le recueil de nouvelles sapparente la structure
clate de lespace de lantichambre, alors que la forme romanesque duBavard,
se rapprocherait de la structure dense et mixte du couloir. Mixte, puisque nous
avons soulign prcdemment que dans le couloir narration et dialogue
sadjoignaient ; de mme, rcit et discours composent Le Bavard. De plus, si
nous pouvons parler de La Chambre des enfants tel lespace du ngatif, cest
que chaque titre de nouvelle agit ici comme une instance ltat latent, cest--
dire en attente dtre dveloppe.
Ces instances semblent en effet prcder celle du langage, ce que ces titres
montrent de manire loquente. Les grands moments dun chanteur : ce
titre met en lumire un temps pluriel, les grands moments, et une voix, celle
dunchanteur , encore indfini. On remarquera ici une progression du plurielau singulier, du temps ltre, et une uniformisation brise par la prposition.
Toutes ces caractristiques semblent faire cho lantichambre. Lappellation,
La chambredes enfants , met en avant un espace, et ici, attach aux enfants,
le jeu ou mise en acte de limaginaire, telle la mise en acte opre par Louise
dans le couloir. Suivant cette progression, dans unemmoire dmentielle ,
cest le singulier qui lemporte. Ici, on notera une uniformisation induite par la
juxtaposition des termes, contrairement leur sparation prcdente. Ce titremet aussi en lumire un clatement la fois temporel et spatial. La mmoire
peut en effet tre considre en tant quespace, mais aussi en tant que domaine
de la temporalit. Mais cette sphre de lespace-temps semble dsorganise du
fait de ladjectif mme qui la qualifie. A ce titre englobant et la fois dnatur,
suit dans un miroir. Cest alors le champ de limage qui est en fin retenu.
Ces tapes sinscrivent dans une continuit, qui passent avant celles du
Bavard, dveloppes plus haut. Dans cette perspective, nous pouvons
vritablement parler de progression formelle rgressive : La Chambre des
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enfants, pourrait tre prsente telle la gense duBavard. Dans la dmarche
de lauteur se fait jour le jeu mme dun mouvement invers.
Du fantasme au point de perception
La dernire squence du Bavard nous donne le sentiment de rendre
compte dune rverie, dveloppe partir de lorigine . On constate en effet
que cet espace est celui dun retour du pass. De plus, le bouleversement des
sens se fait jour ici dans le plaisir sensuel, la fois trs paisible et dune acuit
extrme 39. L.-R. des Forts parat ainsi faire de cet espace celui du retour aux
sources et en mme temps celui dune re-naissance :
Mais ce jardin, peupl ou non, et t lui seul capable de me retenir : triangle de sable et de verdure dont
un des angles fendait les eaux en affectant la forme dune proue, il me donnait limpression dtre situ aux confins
du monde et de ce banc je pouvais contempler non seulement le torrent qui au-dessous de moi se prcipitait en
rouleaux transparents et lumineux du sommet du barrage jusqu un immense bouillonnement blanc tapiss de
cailloux, mais aussi toute la longue perspective du fleuve quenjambait une srie si nombreuse de ponts que, mme
la faveur dune visibilit parfaite, il fallait renoncer en faire le compte, enfin ce grand mur compact et impntrable,
surmont de tilleuls, qui, par del le torrent, mintriguait cause du brouhaha mystrieux quon y entendait
certaines heures de la journe, fait de pieds marchant ou courant sur le gravier, de voix sinterpellant dans
lchauffement dun jeu et auquel le tintement aigrelet dune clochette mettait brusquement fin. 40
Du ngatif de lespace originaire, il semble que nous soyons pass ici
limage dune chambre claire . Lauteur du Bavard focalise lattention sur
louverture de ce jardin, prsent telle une presqule triangulaire , et encore
dans ce passage, comme un triangle de sable et de verdure , reprise
dnature de la fort bordant la plage. Ce plan mettant en lumire, ou dans unclair-obscur, ce triangle symbolique du sexe fminin, mais aussi de la
connaissance ou de la co-naissance, celle des sensations et de limage , est
aussi celui opr sur la photographie prcdant lincipit de LaChambre claire
41. DansLe Bavardcomme dansLa Chambre claire, cette ouverture est celle de
limaginaire et des sensations, des fantasmes. Un monde intrieur dvelopp
39Ibid., p. 93.40Ibid., pp. 92/93.41La Chambre claire, ditions de ltoile, Gallimard, Le Seuil, 1980.
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partir de lintimit dune chambre, place en ngatif sur la photographie de
La Chambre claire.
Mais ce jardin, peupl ou non, et t lui seul capable de me retenir ,
agit ici tel un ngatif, ou origine, qui permet le dveloppement qui suit, et qui
lit un lieu symbolique partir duquel semblent natre les sensations : le
triangle de sable et de verdure semble en effet ouvrir lespace : il fend les
eaux. A cette image suit alors le dbordement du personnage par ses
sensations : il me donnait limpression , prsente le sujet comme agi par
une force primaire nous renvoyant au premier espace.
Mais cest alors un endroit prcis, partir de ce banc, dont nous avons
mesur tout lheure le poids symbolique que lui confre le hros, que souvre la
pupille du personnage. Il semble que nous passions du ngatif, ou jardin
secret , limage, ou jardin public , en tmoigne dailleurs la transgression
des limites opre ici : de ce banc je pouvais contempler non seulement le
torrent qui mais aussi que enfin qui . Le hros semble dbord par ce
torrent dimages qui se font cho, dstabilisant les limites spatiales. De plus,
la luminosit choisie par L.-R. des Forts est celle dun clair-obscur, induit par
la mise en prsence de deux forces agissantes dans un mme rseau lexical ;
celle dune visibilit accrue, et celle dune perspective myope : transparent , lumineux et toute une longue perspective , se
conjuguent limmense bouillonnement blanc , le mur compact et
impntrable . Ds lors, sadjoint cette dynamique de perception visuelle,
celle des ondes sonores. La transgression des limites spatiales semble alors
totale dans la mesure o ces deux dynamiques se compltent. Le mur est mme
dconstruit par les ondes sentrechoquant : les bruits de pas mls aux voix qui
forment un brouhaha transgressent les limites induites par le mur.Dans cette perspective, le parc est lespace dune volution rebours, ou
des retours : celui dune force primaire, mais aussi de tout un pass dont ce lieu
est le symbole, permettant lveil des sens et de la sensualit.
Ainsi, de lorigine du rcit au fantasme de lorigine, nous avons pu nous
rendre compte dune volution spatiale. Une volution, cest--dire une
construction de plus en plus complexe, regroupant plusieurs instances,
plusieurs sphres mme. De ce fait, dun espace lautre, nous avons pris acte
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dun retour des premires tapes, et de la dcouverte dun lieu symbolique
partir duquel sorganise ce retour. Un retour nanmoins d-natur, puisque
de lespace sensoriel nous sommes passs lespace de la sensualit. De ces
espaces clairants, se fait vritablement jour ici une ralit intrieure parcellaire
et volutive.
IV. Une ralit intrieure trangement envahie
Dans cette mme perspective, on notera que dautres mouvements
sadjoignent encore ceux prcdemment mis en lumire. On aura constat la
lecture de La Chambre des enfants et du Bavard que ces espaces sont hants
par des figures ambigus, aux caractristiques contradictoires, et par des
ombres obsdantes, tels des revenants. On se souvient par exemple que de
jeunes sminaristes ou que le rouquin viennent visiter le parc duBavard. De ces
forces obscures on retiendra quelles semblent lorigine dun
bouleversement individuel, ou dun trouble indfinissable. Et nous montrerons
travers ces dveloppements que la conjugaison de ces diffrentes dynamiques
parat conduire un morcellement de lespace individuel.
1) Un bouleversement individuel : du familier la nouveaut, un sujetentirement dsorient
Des forces obscures et familires
Dans la dernire squence du Bavard, lespace est visit par des ombres.
Des ombres qui semblent tre lorigine dune dstabilisation individuelle :
Telle que je lentendais dans ce jardin public o le froid paralysait tous mes membres, elle [cette musique]
me paraissait attirante par la chaleur intense quelle dgageait, due lincandescence de certaines voix enfantines
portes au rouge auxquelles sajoutait pourtant comme larrire-plan un rideau de voix plus tendres et parfaitement
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sereines ; car, si, dune manire gnrale, il y avait quelque chose denveloppant et de confortable comme
latmosphre dune salle surchauffe o lon pntre aprs une longue station dans le froid du dehors, ctait surtout
par son double caractre de libert et dinnocence joyeuse quelle mmouvait jusquaux larmes ; mais aussi par je ne
sais quoi de large et de clair pareil au vent marin.42
Ces forces obscures qui traversent le hros sont de lordre dun mouvement
qui dstabilise la forme .
Si nous pouvons parler de forces obscures cest parce que le sujet semble
encore une fois agi , mais par un mouvement indfini. Ce mouvement est
dabord induit par ladjectif dmonstratif mais indfini de cettemusique , et
il se perptue grce aux indterminations qui suivent : cest quelque chose ,
un double caractre , un je ne sais quoi . De plus, L.-R. des Forts
accumule les comparatifs, sans cerner ce mouvement : telle que , et
pareil , sajoute la reprise de comme . La cause de ces circonstances
chappe elle-aussi une dfinition, ce sur quoi la juxtaposition de complments
circonstanciels mettent laccent : par due surtout par par . De
plus, les comparants dnotent dune progressive abstraction aboutissant un
mouvement de fuite incontrlable. Au cadre fixe ou arrire-plan , suit en
effet l atmosphre . A lorigine, Atmossignifie en grec vapeur , et sphre,
un domaine de connaissance , une tendue ici indtermine. Les limites dece cadre, sont, dans atmosphre , incertaines, et dautant plus dbordes. Le
dernier comparant, le vent marin , lui, na pas de limite, il met au contraire
en avant linstabilit, limprvisibilit marine, le souffle impalpable, linvisible
mme : une dynamique fuyante et insaisissable.
Cette force indtermine qui semble traverser le hros dstabilise un tat
dtre. Ainsi, on peut relever lentrelacement de verbes significatifs ; aux verbes
descriptifs formels tels que paralyser, paratre, avoir, tre et savoir,sadjoignent des verbes qui infrent tous une dynamique dstabilisant la forme :
entendre, dgager, sajouter, pntrer ou smouvoir. Le hros semble
littralement renvers et envelopp par ce mouvement. Renversement qui se fait
jour dans linversion de la construction dans o en dbut de passage, qui
devient o dans en fin, renversement significatif dun mouvement qui a
travers le hros pour lenvahir et le cerner.
42Le Bavard, pp. 120/121.
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A la dfinition ou lide se subrogent ds lors lopposition de forces
contraires : le froid la chaleur intense , lincandescence porte au
rouge . Dun tat lautre se fait jour lintensit, mais cest bientt une douce et
familire intensit qui vient contrebalancer lanimation antcdente : des voix
plus tendres et parfaitement sereines . De ces forces dcoule lveil de
sensations morceles : cest quelque chose denveloppant et de confortable ;
un double caractre de libert et dinnocence joyeuse ; un je ne sais quoi de
large et de clair . Ce morcellement - ou ces coordinations adjectivales - doubl
par lincertitude antcdente, met laccent sur limpression dinquitante
tranget dont est emprunt ce passage. proprement parler, ltrangement
inquitant serait toujours quelque chose dans quoi, pour ainsi dire, on se trouve
toutdsorient43. Ce passage semble en effet rejoindre lhypothse freudienne
dun trangement inquitant, sentiment provoqu par lincertitude,
lincomprhension mle dimpressions sensorielles vaporeuses et
enveloppantes, que L.-R. des Forts met ici en scne.
La nouveaut trouble
Le songe apparat ds lors telle une mise en scne indcente des diffrentes
forces qui hantent le sujet et le troublent. Diffrentes forces qui se font jour
travers lambigut de certaines figures ; celle du prtre dans Une Mmoire
dmentiellesemble mettre nu le hros :
Tantt il se tient rigide, le buste un peu pench en avant, les yeux plants effrontment sur cette face
puissante quanime le mouvement bestial de la mchoire, tantt il se distend et saffaisse sur lui-mme dans un vain
effort pour sortir du champ de ce regard, sinon pur annuler son propre corps. Mais, dans tous les cas, ses genoux
restent rivs sur le carreau glacial tandis que le sang lui remonte rapidement au visage tendu de nouveau vers ce
regard dune douceur menaante o il voit comme rflchi avec une pnible prcision son corps denfant bafou et,
honteusement dvoil, ce quil y a en lui de plus intime et de plus secret. 44
La complexit de cette scne rend compte des diffrentes forces mises en
jeu. Ce qui domine cest vritablement lentrelacement, la confusion et la force
de ces divers mouvements.
43 Freud,LInquitante tranget, in LInquitante tranget et autres essais, Paris, Gallimard, 1985, p. 216.44Une Mmoire dmentielle, p. 107.
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Dans un premier temps, deux forces distinctes sont mises en prsence ;
celle du sujet, et celle de lobjet. Ces deux forces sont mises en lumire par la
force mme des rseaux lexicaux : dun ct le hros se tient rigide , les
yeux plants effrontment ; de lautre la face puissante , et le mouvement
bestial de la mchoire du prtre sont souligns. L.-R. des Forts met laccent
sur des mouvements corporels en puissance.
A leffort de stabilit et de contrle du sujet suit alors un progressif
vacillement. Il est un peu pench en avant , puis il se distend et
saffaisse . Ce vacillement corporel se traduit par un mouvement intrieur
incontrlable. Si ses genoux restent rivs sur le carreau glacial , on
soulignera nanmoins que cest son sang quil ne peut contrler. Ainsi, si
dans un premier temps notre attention est focalise sur le corps du prtre, de
manire significative, cest maintenant sur le corps du sujet, et plus prcisment
sur lintrieur de ce corps, que la lumire est jete, comme si la force de lun,
avait boulevers lautre : les yeux, au dbut, sont plants surcette face
puissante, et maintenant le hros saffaisse sur lui-mme. Ce vacillement
est explicite dans la phrase mme qui fait soprer un balancement dans un
premier temps - tantt tantt -, puis un arrt et une stagnation nanmoins
doubles par un autre mouvement : - Mais tandis que / de