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meyerson
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Rel et dterminismedans la physique
quantique / par EmileMeyerson ; [prface
Louis de Broglie]
Source gallica.bnf.fr / Bibliothque nationale de France
Meyerson, Emile (1859-1933). Rel et dterminisme dans la physique quantique / par Emile Meyerson ; [prface Louis de Broglie]. 1933.
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gj ACTUAUTS SCIENTIFIQUES ET INDUSTRIELLES tjJ
68
EXPOSS DE PHILOSOPHIE DES SCIENCESPublis sous la direction de
L. DE BROGLIEProfesseur la Sorbonne
Prix Nobel
REL ET DTERMINISMEDANS LA PHYSIQUE QUANTIQUE
PAR
~p DMLE MEYERSON
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.HERMANNr&EDi~~N 6, Rue delaSrbonne,6 B~
1933 w. i
LIBRAIRIE SCIENTIFIQUE HERMANN ET C"
6, rue de la Sorbonne, Paris (5e)
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ACTUALITS SCIENTIFIQUES ET INDUSTRIELLES
68
EXPOSS DE PHILOSOPHIE DES SCIENCESPublis sous la direction de
L. DE BROGLIEProfesseur la Sorbonne
Prix Nobel
1
REL E E I ISMEDANS LA PHYSIQUE QUANTIQUE
PAR
MILE MEYERSON
PARIS
HERMANN & C'e, DITEURS6, Rue de la Sorbonne, 6
1933
Tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptationrserves pour tous pays.
COPYRIGHT ig33 BY LIBRAIRIE SCIENTIFIQUE HERMANN ET C',PARIS.
PRFACE
E prsent fascicule est le premier d'une srie nouvelle
destine contenir des exposs relatifs la philoso-
phie des sciences. A notre poque o les progrs des
sciences sont si rapides, si admirables dans leurs
rsultats et parfois si dconcertants par l'tranget des horizons
inconnus qu'ils dcouvrent notre pense, les problmes fonda-
mentaux de la philosophie des sciences et de la thorie de la
connaissance se trouvent renouvels et nombre d'entre eux nous
apparaissent aujourd'hui sous un jour inattendu. Les exposs
portant sur toutes les branches de la connaissance scientifiquedont la maison Hermann a entrepris la publication, appelaientdonc comme complment naturel une srie consacre la philo-
sophie des sciences. L'importance des problmes philosophiques
qui ont t poss par les tonnants progrs rcents de la Phy-
sique pourront peut-tre servir d'excuse au physicien tmraire
qui ose, malgr son incomptence, en assumer la direction 1
Pour ouvrir cette srie d'exposs sur la philosophie des sciences,nous avons pens que nous ne pouvions trouver une personnalit
plus qualifie que M. Emile Meyerson. Tous les philosophes et
beaucoup de savants connaissent les belles tudes par lesquellesM. Meyerson s'efforce depuis vingt-cinq ans avec une admirable
continuit de vues appuye sur une connaissance tendue de
PRFACE4
l'histoire des sciences, d'tablir comment procde la raison humaine
quand elle cherche comprendre Selon lui, dans la recherche
scientifique comme dans la vie quotidienne, notre raison ne croit
vraiment avoir compris que si elle est parvenue dgager dans la
ralit mouvante du monde physique des identits et des perma-nences. Ainsi s'explique en particulier la structure commune des
thories physiques qui tentent de grouper des catgories de phno-mnes par un rseau d'galits, d'quations, cherchant toujours,autant que faire se peut, liminer la diversit et le changementrel et montrer que le consquent tait en quelque sorte contenu
dans l'antcdent. La ralisation complte de l'idal poursuivi
par la raison apparat alors comme chimrique puisqu'elle con-
sisterait rsorber toute la diversit qualitative et toutes les
variations progressives de l'univers physique en une identit et
une permanence absolues. Mais si cette ralisation complte est
impossible, la nature du monde physique se prte nanmoins un
succs partiel de nos tentatives de rationalisation. Il existe, en
effet, dans le monde physique non seulement des objets qui per-sistent peu prs semblables eux-mmes dans le temps, mais
des catgories d'objets assez semblables entre eux pour que nous
puissions les identifier en les runissant dans un concept com-
mun. Ce sont ces fibres de la ralit, comme dit M. Meyerson,
que notre raison saisit dans l'exprience de la vie quotidienne
pour constituer avec elles notre reprsentation habituelle du
monde extrieur ce sont ces fibres galement et d'autres plus
subtiles, rvles notre connaissance par les mthodes raffines
de la recherche exprimentale, dont la raison du savant s'empare
pour chercher extraire de la ralit varie et mouvante la part
d'identique et de permanent qu'elle renferme. Aussi, grce l'exis-
tence de ces fibres, bien que l'idal de la science soit en toute
rigueur irralisable, quelque science est possible c'est l la grandemerveille. Cette situation se trouve rsume par une phrase de
M. Paul Valry, phrase sans doute inspire par la lecture mme
des ouvrages de M. Meyerson L'esprit humain est absurde parce qu'il cherche il est grand par ce qu'il trouve.
Mais comme en dfinitive l'univers ne peut pas se rduire une
vaste tautologie, nous devons forcment nous heurter c et l
dans notre description scientifique de la nature des lments irrationnels qui rsistent nos tentatives d'identification,
PRFACE .5
l'effort jamais lass de la raison humaine s'acharnant circons-
crire ces lments et en rduire le domaine.
Nous n'avons pas la prtention d'avoir rsum dans les quelques
lignes qui prcdent la pense si riche et si profonde de l'auteur
d' Identit et Ralit )'. Nous avons cherch seulement en expo-ser quelques aspects tels qu'ils nous sont apparus la lecture de
ses uvres ou au cours de conversations que nous avons eu l'hon-
neur et le plaisir d'avoir avec lui dans ces dernires annes pourle plus grand profit de nos connaissances personnelles.
Entirement oppose en cela aux doctrines anti-intellectualistes,la critique Meyersonienne voit dans l'uvre de science un effort
d'une inestimable valeur et considrant cet effort comme l'une
des plus nobles tches de l'espce humaine, elle proclame qu'onlui doit l'admiration la plus complte et le respect le plus absolumais elle conduit rejeter tout dogmatisme troit qui prten-drait s'appuyer sur les rsultats prsents ou futurs de la science,la connaissance scientifique, bien que susceptible d'un progrs
indfini, ne pouvant tre par essence que limite et partielle
cause mme du but, en toute rigueur impossible atteindre, quela raison s'assigne.
Avec une activit intellectuelle qu'aucune preuve n'a pu enta-
mer, M. Emile Meyerson s'est tenu au courant de tous les progrsde la physique contemporaine et des difficiles problmes que ces
progrs ont soulevs. Dans les pages qui suivent l'minent pen-seur a expos certaines rflexions que lui ont suggres les boule-
versements rcents des conceptions classiques de la philosophienaturelle. Le lecteur y retrouvera les qualits matresses d'une
pense clairvoyante et pondre servie par une vaste et sre ru-
dition.
LOUIS DE BROGLIE.
REL ET DTERMINISME
DANS LA PHYSIQUE QUANTIQUE
Au 447 du Cheminement de la pense (1), nous avions, en rsu-
mant principalement le contenu d'entretiens avec M. Langevin,
expos que la physique pourrait tre amene modifier plus ou moins
profondment sa conception du rel. Elle le ferait, bien entendu,
pousse par des constatations exprimentales, telles que les con-
nat notamment la physique des quanta, considrations qui, d'ores
et dj, pourraient rendre quelque peu malais le maintien de la
notion du rel objectif, sous la forme que la thorie avait accou-
tum de lui prter jusqu' ce jour. Nous avions fait ressortir ce
propos que, dans la physique mcaniste dj, l'objet destin tenir
la place de celui de notre perception immdiate avait subi une
transformation l'atome, cet objet du deuxime ordre , ainsi
que le qualifie B. Erdmann (cf. ib., 215), ressemble sans doute
encore fortement une masse molaire, mais s'en distingue cepen-dant par certains aspects. L'volution est encore plus marquedans la thorie lectronique de la matire, puisque le corps lec-
tris n'agit pas directement sur nos organes de sens. Ainsi une vo-
lution ultrieure n'apparat nullement inimaginable.
Toutefois, nous ne nous tions pas avanc au del de cette pr-vision trs gnrale, estimant que la question n'tait pas encore
suffisamment claircie, tant donns, d'une part, les bouleverse-
ments tonnamment profonds et rapides auxquels ce chapitre de
1. Traitant de matires dont nous avons parl dans nos livres, nousserons oblig ici, afin de ne pas trop allonger notre expos, de nous y rf-rer. Dans ce qui suit, nous en abrgerons les titres en dsignant par I. R.:Identit et ralit, 4e d., 1932, par E. S.: De l'explication dans les sciences,2~ d., 1927 par D. R. La dduction relativiste, 1925 et par C. P. Du che-minement de la pense, 1931.
REL ET DTERMINISME8
la physique paraissait soumis depuis le petit nombre de lustres o
il avait t ouvert aux investigations par les travaux de M. Planck,
et, d'autre part, l'impossibilit, qui nous parat cardinale (et sur
laquelle nous avons insist mainte reprise au cours de nos tra-
vaux), de prdire avec quelque certitude la marche que la raison
adopterait devant une difficult qui ne s'tait pas encore rellement
prsente.
Depuis, M. Langevin est all plus loin. Dans un court article
insr dans la Revue Le Mois (2e fascicule, mars 1931, p. 273-
275), le clbre savant prvoit que, cdant la pression qu'exer-cent et exerceront sans doute de plus en plus fortement les faits
constats, le physicien, pour maintenir la fois la notion d'un
rel objectif, indpendant de l'observateur, et le dterminisme
strict considr communment comme tant indispensable la
science, sera amen abandonner l'individualit du rel pos-tul.
Une opinion analogue a t galement exprime par M. M. Planck.
L'illustre initiateur de la physique des quanta juge, comme le phy-sicien franais, que le maintien du dterminisme constitue une
ncessit absolue, et estime de mme que les constatations quan-
tiques amneront une modification profonde de l'essence du rel
postul lequel serait dornavant dpouill de son caractre indi-
viduel (1).M. Planck va mme, en un certain sens, plus loin que M. Lange-
vin, car il maintient que non seulement le dterminisme constitue
la base de tout savoir scientifique, mais que c'est cette notion qui,dans le sens le plus littral du terme, a cr la science entire, y
compris les thories sur la nature du rel. Il y a l une manire de
voir qui, croyons-nous, appartient en propre M. PIanck, et
comme elle tend accrotre considrablement l'importance du
rle que joue, dans les sciences, cette notion du dterminisme
gnral, nous devons en dire quelques mots ici.
On sait que la prsence, en physique, de thories portant mani-
festement sur la nature de l'tre a constitu de tout temps un
embarras pour la conception purement empiriste et positiviste du
savoir, laquelle, depuis deux ou trois gnrations, a prvalu au
1. Max PLANCK, Der Kausalbegriff in der Physik. Leipzig, 1932, p. 14,
15,17.
DANS LA PHYSIQUE QUANTIQUE 9
point qu'elle semblait aller presque de soi, que l'on ne concevait,
pour ainsi dire, qu'il pt y en avoir une autre.
En effet, le positivisme repose essentiellement sur ce postulat,
dj implicitement contenu dans la conception de Bacon, que la
science n'a en vue et ne saurait avoir en vue que l'action scientia
propter potentiam, comme l'a formul Hobbes. Il en rsulte non
seulement ce qui est juste et le demeure quand on abandonne,comme nous le faisons, les principes positivistes que la science
repose sur la prvision, mais qu'en outre elle ne doit chercher
rien d'autre une fois le cours du phnomne parfaitement connu,
dtermin, la tche du savant est accomplie, il n'a rien trouver
au del de cette donne positive,et tout ce qui dpasserait les limites
de ce schma doit tre rejet de la science comme non seulement
inutile, mais comme directement nuisible. La science n'est donc
autre chose qu'un ensemble de lois, les thories n'tant que des
excroissances parasites ou, tout au plus, des chafaudages destins
disparatre ultrieurement et dont le seul but est d'aider l'ta-
blissement de nouvelles lois. Nous nous sommes appliqu, ds
notre premier livre, a faire ressortir combien peu ce schma corres-
pond au facies vritable de la science, que ce soit avant ou aprs
Auguste Comte. Il n'en est pas moins vrai que, par sa clart et sa
simplicit, ainsi que par le fait qu'elle flatte subtilement l'amour-
propre lgitime du physicien en faisant apparatre son domaine
comme la fois isol du reste du savoir et comme nanmoins devant
fournir les normes de la pense juste cette conception a paruinfiniment sduisante. Elle a, on peut dire, pntr l'intellectua-
lit entire de l'homme de nos jours, et ses consquences se font
sentir mme chez des hommes qui professent en toute sincrit des
principes contraires.
Tel est le cas, en particulier, de M. Planck. En effet, comme on
sait, ce dernier s'est vivement lev contre la manire de voir posi-tiviste que cherchait faire prvaloir le penseur qui a le plus puis-samment contribu dvelopper l'pistmologie comtienne et en
assurer la victoire (tout en se gardant bien, il faut le dire, d'vo-
quer le nom du fondateur) nous avons nomm Mach. Car Mach, un moment o la physique, par un tournant significatif, intro-
duisait l'atomisme dans un domaine o il n'avait pu pntrer au-
paravant, a protest violemment contre cette volution, en affir-
mant qu'il y avait l une vritable rgression et que la science
REL ET DTERMINISME10
devait se passer de cette mtaphysique . Il n'a mme pas hsit
opposer, dans une polmique des plus vives, cette opinion si
tranche celle de M. Planck, malgr la haute autorit de ce der-
nier, lequel s'est donc, dans cet ordre d'ides, montr l'adversaire
rsolu du positivisme rigide. Qu'il reste nanmoins, chez ce physi-cien aussi, quelque chose des convictions positivistes, c'est ce dont
on se rend compte en envisageant prcisment ce qu'il dit des rap-
ports entre le dterminisme et les thories sur,tre. M. Planck jugeen effet que ces thories, et la notion entire du rel, l'image de
l'univers (H'eM~'M) que forme leur ensemble, tout cela ne serait
qu'une construction jusqu' un certain point arbitraire, difie
dans le but de se librer de l'incertitude qui s'attache chaquemesure particulire et de rendre possibles des relations concep-tuelles prcises (1).
Il est de fait que si l'on se contente d'examiner la science de nos
jours, c'est--dire, pour prciser, la physico-chimie telle qu'ellese prsentait avant les rcentes recherches sur les quanta, une
telle affirmation peut paratre fort plausible. Car cette physique,d'une part, fait grand usage de thories, et, d'autre part ainsi
que l'a fait ressortir M. Metz (cf. C. F., 74) traduit incontesta-
blement ses observations et mesures directes en des dtermina-
tions ayant trait ce qui se passe dans le monde de l'tre hypo-
thtique (en apportant au besoin, des corrections aux donnes
numriques releves sur les instruments), ces dterminations
dnnitives tant d'ailleurs manifestement supposes tre d'une
prcision absolue. Il peut paratre ds lors permis de lier ces cons-
tatations et d'affirmer que la construction entire d'un rel hy-
pothtique n'a d'autre but que de permettre de conserver cette
dtermination rigoureuse ce qui prsenterait d'ailleurs l'avan-
tage de faire rentrer ces hypothses dans le cadre d'une science
uniquement oriente vers l'action. Mais il en va ici comme de la
conception purement empirique des principes de conservation le
1. Ib., p. 9. Constatant, ce qui est l'vidence mme, que la physiquefait usage d'lments qui pour le monde des sens, ne prsentent aucune
importance ou n'en prsentent qu'une trs faible , M. Planck suppose quede tels composants apparaissent tout d'abord comme constituant simple-ment un poids mort (als Ballast), mais on les agre cause de l'avantagedcisif que prsente l'introduction du Weltbild et qui consiste en ce que cedernier rend possible l'affirmation d'un dterminisme rigoureux .
DANS LA PHYSIQUE QUANTIQUE 11
schma devient insoutenable aussitt qu'on se donne la peine de
jeter un coup d'il, mme superficiel, sur l'historique de la con-
ception. L'on oserait mme dire qu'il est moins soutenable encoreici qu'ailleurs. Car rien ne serait plus vain que de vouloir nier la
continuit, la solidarit entre l'atomisme grec et le ntre au
besoin l'exemple de Newton seul aux convictions atomistes
(quoi qu'on ait prtendu, en se prvalant de la boutade du hypo-theses non f ingo) si solidement assises et qui, en les formulant, in-
voque expressment les anciens suffirait rtablir les faits.
Or, il n'y a, chez les penseurs de l'antiquit, rien qui permettede conclure une origine telle que la postule la conception de
M. Planck. Dmocrite avait-il mme conu nettement la notion
de loi, sous les espces o elle nous apparat actuellement ? Ce
qui en fait douter, c'est le fait que deux gnrations plus tard
encore, Aristote, si attentif ce qu'avaient amrm les atomistes,
l'ignore apparemment. Et d'autre part, le mme Aristote, l'homme
au gnie si universel et si pntrant, expose, avec une prcision
qui ne laisse rien dsirer, d'o vient la conception de Dmocrite
elle drive de la doctrine latique de la permanence de l'tre,l'tre unique de Parmnide ayant t morcel pour sauver les
phnomnes par l'existence et le dplacement de particulesimmuables.
La situation est, si possible, plus claire encore si, l'atomisme
de Dmocrite, nous substituons celui d'picure. Du temps d'pi-
cure, en effet, nous ne pouvons en douter, le concept de loi, tel
que le connat la physique actuelle, se trouvait parfaitement
dgag, puisqu'une cole philosophique trs rpandue, la stoa,
proclamait la domination rigoureuse de la ncessit universelle
dans les phnomnes naturels (cf. E. S., p. 121). Mais les picu-
riens, prcisment, rejetaient cette affirmation, ils taient, comme
nous le verrons tout l'heure (p. 38 et suiv.), nettement indter-
ministes. Ainsi, l encore, il est manifestement impossible de sup-
poser que l'image atomistique du rel ait t enfante par la ten-
dance dterministe. Alors que, d'autre part, M. Metz a fort bien
montr que c'est le souci du rel qui explique la transposition,
l'aide de corrections , des constatations imparfaites, releves
directement sur les instruments, en mesures hypothtiques et
considres comme absolument prcises.
Toutefois, l'abandon de cette partie de la conception de M.Planck
REL ET DTERMINISME12
laisserait debout son fondement essentiel, qui lui est commun avec
ce qui a t expos par M. Langevin, et que nous devons maintenant
examiner son tour. Nous avons dit plus haut avec quelle ex-
trme prcaution nous entendons nous mouvoir sur ce terrain o,
quoi que l'on fasse, on est conduit raisonner sur le comporte-ment f utur de l'intellect. Cependant, cette rserve formule une
fois de plus, nous croyons devoir exposer pourquoi l'ventualit
envisage par M. Langevin nous parat, en dpit de la haute auto-
rit de son auteur, difficile agrer, du moins jusqu' nouvel
ordre.
Par quelle voie le concept d'un rel indpendant du moi se cre-
t-il en nous ? Il nat, cela est vident, instantanment et intgra-
lement, dans le sens commun. Ds que j'ouvre les yeux le matin,ds que je remue la main, je perois, et ce terme mme implique
que mes organes de sens m'apparaissent comme ne jouant qu'unrle purement passif, comme recevant des impressions venant du
dehors, d'un rel prexistant la sensation. Ce n'est que par une
analyse ardue que j'arrive comprendre que la sensation primi-
tive, la donne immdiate de la conscience, avait un caractre tout
autre, et que le monde des objets constitue une laboration pos-trieure. Mais, prcisment, la manire rapide et complte dont
s'accomplit ici la transformation rend malais d'en observer les
phases, et mieux vaut donc examiner le processus l o il se pour-suit avec plus de lenteur et de manire moins inconsciente,ce qui a lieu, videmment, dans la science. Et l encore il y
aura avantage examiner tout d'abord, non pas un concept, tel
que celui d'atome, dont l'existence, presque ds qu'il fut prsent
(chez Dmocrite et chez picure), parut immdiatement vidente
en quelque sorte, mais par une notion o cette existence ne fut
jamais considre comme parfaitement avre, o l'volution
menant du concept la chose, ne fut, aucun moment, pour ainsi
dire acheve.
Nous choisissons le concept de f orce, concept sur lequel notre
attention a t particulirement attire, dans cet ordre d'ides,
par une lettre de M. Lichtenstein.
Nous avons expos autrefois (7..R., p. 70 et suiv., 514 et suiv.)
comment, quand les travaux de Newton avaient donn naissance
la supposition d'une action distance, la force avait reu droit
de cit en physique, et quelles rsistances cependant, en dpit
DANS LA PHYSIQUE QUANTIQUE 13
des conqutes brillantes de la science newtonienne, cette manire
de voir s'tait heurte. Nous avons dit aussi la raison de cet accueil
et avons constat que de nos jours, tout en ayant frquemmentrecours (surtout dans les exposs didactiques de mcanique)
cette notion de force, les physiciens cherchaient cependant l'li-
miner le plus que faire se pouvait. C'est l un ct de la questiondont nous ferons abstraction ici, examinant plutt l'aspect de la
notion chez ceux qui croyaient ou qui croient encore son objec-
tivit, ou qui du moins sont enclins la traiter en vritable chose.
H n'est pas douteux, tout d'abord, que le concept se rattache
troitement une sensation que nous prouvons tous de manire
immdiate, savoir la sensation d'ef fort. Leibniz, dans des pas-
sages frquemment cits (nous les avons nous-mme reproduits,/R., p. 520), a fait ressortir ce rapport. Il est vrai, sans doute,
que c'est se mprendre sur le sens de ses dclarations que d'en con-
clure qu'il avait, un moment donn de sa carrire, adopt la
conception d'une action distance tout au contraire, il n'a ja-mais cess de protester contre une telle hypothse, et il concevait
la force uniquement comme agissant par le contact des corps.Mais il n'en a pas moins reconnu que le sentiment de l'effort tait
susceptible de faire natre en nous l'ide de quelque chose qui tait
diffrent de la matire et du mouvement et qui, nanmoins, existe-
rait autant que ces notions.
Comparons maintenant cette sensation d'effort la notion
laquelle elle a donn naissance. Qu'est-ce qui distingue l'une de
l'autre les considrations mmes de subjectivit et d'objecti-
vit, dont nous cherchons prcisment reconnatre le fondement,mises part ? II ne peut, semble-t-il, y avoir de doute ce sujetle trait distinctif, c'est la permanence absolue de la force, l'gardde la variation incessante de l'effort. Du soleil, pour les newto-
niens, mane une attraction, et une attraction constante, qu'il yait ou non dans l'espace des plantes sur lesquelles elle s'exerce.
C'est une sorte de flux perptuel. On peut videmment prtendre
que la notion, ainsi comprise, est trange, et c'est l une des rai-
sons que ceux qui se refusaient adopter le point de vue newto-
nien n'ont cess de faire valoir. Mais qu'elle fut ainsi conue parles partisans de l'action distance, cela est certain. Or, en ce quiconcerne l'effort, il est tout aussi vident que non seulement il
varie, mais qu'en outre cette particularit fait partie de l'essence
REL ET DTERMINISME14
mme de la notion. Cela rsulte de cette considration primordiale
qu'il s'agit d'une sensation et que la sensation ne peut tre conuecomme permanente semper idem sentire et non sentire idem est, a
dit Hobbes. Mais n'est-il pas clair, par ailleurs, que l'effort est
li au vouloir, et que celui-ci, son tour, inclut la notion du libre
arbitre ? L'effort constant constitue donc une notion contradic-
toire en elle-mme.
Comment se fait-il que cette absurdit ait t, nanmoins,
agre, et que la notion de force ait pu tre adopte par la science ?a
La rponse est simple c'est parce que, ainsi constitu, l'tre pure-ment paradoxal qu'est la force a pu servir expliquer les phno-mnes. Car le besoin d'explication, imprieux et incessant, est en
nous, et commande tous nos raisonnements.
Or, nous le savons, toute explication se ramne immanquable-ment un schma unique, celui d'identit. La force ne pourradonc expliquer qu'en tant qu'elle sera conue comme identique
elle-mme, et, en premier lieu, comme identique, constante dans
le temps.
Ainsi, la notion de force, vue sous cet angle, c'est le sentiment
de l'effort, moins la variabilit, ou, ce qui revient au mme, plusla permanence de cet effort. Et il est clair que la force n'et pu
acqurir de l'objectivit, de la ralit si on ne l'avait auparavantdote de permanence.
Cela deviendra plus clair encore si, maintenant, nous consid-
rons la particule de la thorie corpusculaire. L'atome n'est plusde la matire telle que la connat notre perception, c'est de la ma-
tire sublime, de la matire laquelle on a enlev certaines de ses
caractristiques.
Or, il est manifeste que l'opration par laquelle on effectue cette
transformation est analogue celle que subit la notion de l'effort
cette fois-ci encore, on a enlev un lment (ou des lments) de
varit. Car l'objet rel est toujours divers, et nous nous dclarons
mme assurs a priori, en vertu du principe des indiscernables, qu'ilest d'une diversit proprement infinie. Alors que les particules des
thories scientifiques molcules, atomes, sous-atomes, corpusculessi elles sont de mme espce, sont censes tre exactement pa-
reilles les unes aux autres. L'on a dit qu'elles ressemblaient non
pas des tres forms par la nature, mais ceux faonns par la
main de l'homme. Mais il faudrait, vrai dire, aller plus loin
DANS LA PHYSIQUE QUANTIQUE 15
encore, car l'artisan manuel est certainement incapable de produireune telle uniformit, et ce n'est que depuis l'avnement du machi-
nisme que nous connaissons de ces choses fabriques en srie. L'on
sait aussi que, selon la thorie, ces tres, contrairement aux ob-
jets que nous percevons directement, ne se modifient pas dans le
temps. Dieu, dit Newton, au commencement des choses, a form
la matire en particules solides, massives, dures, impntrables,mobiles. Ces particules primitives, tant des solides, sont incom-
parablement plus dures que n'importe quels corps compossd'elles elles sont mme tellement dures qu'elles ne s'usent et ne
se brisent jamais. (cf. R., p. 492).Peut-on douter, nanmoins, qu'en dpit de ces dissimilitudes,
l'atome ne soit issu de la matire, et que le concept n'ait donc sa
source dans des sensations ? Mais la sensation est essentiellement
mouvante, elle va et vient sans dsemparer. Et l'atome est, par
essence, indestructible, immodifiable, incrable et uniforme. Safonction consiste agir par le choc c'est en vue de cette action
uniquement qu'il a t imagin et, dans l'intervalle entre les chocs,il ne se manifeste par rien. Si l'on dfinit la matire par son action
seule, on pourrait donc affirmer que dans l'intervalle entre les
chocs, l'atome, strictement parlant, n'existe pas. Or il est vident,tout au contraire, qu'il est conu comme parfaitement persistantdans ces conditions, puisque constamment prpar agir.
Voici, enfin, l'objet du sens commun. Ici, l'laboration l'aide
de la sensation est vidente l'objet n'est vritablement qu'un
groupe de sensations, que nous avons lies de manire plus oumoins opportune et que nous avons ensuite projetes au dehors,dans le non-moi. Mais l encore nous avons ajout la permanence,J'ai vu la table, j'ai ferm les yeux, et elle a disparu je les rouvreet elle reparat. Si je la suppose existante dans l'intervalle, si je lui
prte une existence indpendante de ma sensation, ainsi quele fait, sans hsitation, le sens commun disparition et rappari-tion s'expliqueront sans peine. Et cette fois, aprs ce que nousavons reconnu concernant les concepts de force et d'atome, il n'est
plus permis d'en douter c'est parce qu'il est moins variable quela sensation fugitive, que l'objet se substitue avec une telle promp-titude celle-ci que c'est un ensemble de tels objets qui constitue
le monde rel de la perception. Et l'on ne peut douter non plusqu'une telle conception ne soit, en son essence mme, contradic-
REL ET DTERMINISME16
toir. Car comment ce qui n'est, au fond, que sensation pourrait-il subsister alors que la sensation elle-mme a disparu ? M. B. Rus-
sell a dclar qu'il ne sent pas, personnellement, qu'il soit mons-
trueux d'affirmer qu'une chose peut prsenter une apparence
quelconque dans un endroit o il n'existe aucun organe nerveux
ni aucune structure travers laquelle elle pourrait apparatre
(cf. E. S., p. 335). Nous croyons, tout au contraire, que, pour l'im-
mense majorit des hommes pensants, l'ide d'un mal de dents
que personne n'aurait , selon la plaisante expression de Lotze,
prsente des difficults invincibles, et qu'il est fort malais de con-
tester cette affirmation de Reid Que notre pense et nos sensa-
tions doivent se rattacher un sujet, sujet que nous appelons
MOM~-TK~e, n'est point. une opinion laquelle nous sommes par-venus par le raisonnement, mais un principe naturel , ces prin-
cipes naturels formant une partie de notre constitution, dans la
mme mesure que la facult de penser (1).Il n'en est pas moins certain que de telles conceptions naissent
pour ainsi dire irrsistiblement en nous ds que nous essayons
d'expliquer les phnomnes. Nous avions expos autrefois (I. R.,
p. 333, 334) comment, tentant de combattre les conceptions cin-
tiques des physiciens, Boutroux et M. Bergson avaient affirm que
l'agent extrieur devait contenir en lui les aspects divers (tels que
chaleur, lumire, lectricit) sous lesquels il est susceptible de nous
impressionner. Or ceci, exprim dans le langage de tout le monde,
implique videmment la croyance que nos sensations, en tant que
telles, peuvent se promener (si l'on ose dire) au dehors. C'est bien
l ce que suppose le sens commun. Nous nous tions aussi (E. S.,
p. 574 et suiv.) appliqu tudier d'un peu plus prs la manire
dont la sensation parvient ainsi, paradoxalement, se dtacher
du moi. Ce qui est manifeste, en tout cas, c'est que ce sont les
considrations de permanence qui sont, ici, dterminantes si jen'avais conu la permanence de l'objet, il n'y aurait pas de rel.
1. Th. Reid, Works, d. Hamilton, Edimbourg, 1846.Of the Human Mind,p. 130. Cf. ib., p. 183 Mais quand nous faisons attention notre sensa-tion mme et que nous la sparons d'autres choses, qui se trouvent y tre
jointes dans l'imagination, elle nous apparat comme tant quelque chose
qui ne saurait avoir d'existence hors d'un esprit sentant, et qui ne sauraitSe distinguer de l'acte de l'esprit qui t'prouve,
DANS LA PHYSIQUE QUANTIQUE 17
L'examen des thories physiques qualitatives ne fait que con-
firmer la conclusion laquelle nous venons d'aboutir par l'analyseaussi bien des thories mcanistes que des conceptions du sens
commun. Ce qui caractrise vritablement les lments pripat-
tiques, ce qui fait que leur essence est celle d'lments, de com-
posants censs former les corps de l'univers sensible, c'est manifes-
tement la persistance de cette qualit, qui change de lieu, mais
demeure identique elle-mme, reconnaissable par la sensation
immdiate tels le chaud et le froid, le sec et l'humide chez Aris-
tote. Les alchimistes, issus de la mme manire de penser qualita-
tive, y ajoutent (ou y substituent mme partiellement) des con-
cepts moins immdiats, plus ramns en quelque sorte, et celui
d'une qualit de combustibilit, entre autres, a une fortune sin-
gulire, puisqu'il survit longuement la ruine de la physique pri-
pattique tout entire, faisant preuve d'une pleine vigueur et d'une
vritable fcondit scientifique encore au beau milieu du XVIIIe si-
cle. Des tmoignages de chimistes autoriss, tels que J.-B. Dumas,M. Berthelot et Grimaux (sans parler du jugement le plus com-
ptent de tous, celui de Kopp, qui pourrait paratre suspect, en
tant qu'Allemand), ne permettent aucun doute ce sujet, en dpitdes rares opinions adverses telle que celle de Wurtz, inspiremanifestement par un parti pris tranger des considrations de
pure science, et aussi du prjug assez rpandu, en effet, de nos
jours, lequel a sa source dans la msestime systmatique pour le
savoir et la pense du pass. Et il est presque inutile de faire res-
sortir que c'est bien la permanence d'une qualit ou mme de
plusieurs, car le principe de la combustibilit devient aussi celui
de la couleur, de l'odeur, etc. qui cre le phlogistique.
Cependant, rappelons-le, cette permanence n'est qu'une forme
du postulat d'identit, de notre dsir de comprendre le rel senti,de le concevoir comme rationnel. Or, comment supposer un iden-
tique autre qu'individuel ? Comment et surtout si ce signe dis-
tinctif de la sensation, qui caractrisait, nous venons de le rappe-
ler, l'lment des thories qualitatives, fait dfaut, fera-t-on pourreconnatre l'lment identique, comment arrivera-t-on conce-
voir son dplacement, qui est, nous le savons, le seul changement
qu'il soit susceptible de subir et qui doit donc, de ce fait mme,
constituer la vritable essence de tout ce qui nous apparat comme
changement dans le monde phnomnal ?
REL ET DTERMINISME18
Sans doute, premire vue, serait-on enclin penser que c'est
l une objection tant donn surtout que nous nous mouvons ici,en supputant les possibilits d'explications futures, sur un terrain
sem d'embches un peu trop abstraite pour tre juge dcisive.
Mais il n'est pas impossible, croyons-nous, de montrer comment,dans le pass de la science, des considrations de cet ordre sont
intervenues effectivement et trs eficacement, en dterminant la
structure gnrale des thories. Stallo, en critiquant l'atomisme
(cf. I. R., p. 478, 479) a insist sur ce que le fondement mme de cet
difice apparaissait comme erron en son essence, tant donn
que la thorie cintique aboutissait manifestement expliquerl'tat gazeux de la matire par l'tat solide, alors qu'il est avr
que les lois rgissant les gaz sont infiniment plus simples que celles
qui concernent les corps solides. Ainsi, puisque le complexe doit
s'expliquer par le simple, on devrait s'appliquer crer des tho-
ries o les gaz expliqueraient les solides, et non inversement. Mais,nous l'avions expos, un tel raisonnement pche par la base. Ce
n'est nullement la simplicit qui, au point de vue de l'intellection,de la rationalisation du rel, joue le rle dcisif, c'est l'identit
(en l'espce, l'identit dans le temps, la permanence). C'est ce que
dmontre, prcisment, l'atome de la thorie cintique. Il peut
servir expliquer la masse gazeuse (qui le dpasse grandement en
simplicit), parce qu'il est conu comme demeurant identique lui-
mme dans le temps. Or il est clair que la particule ne peut demeu-
rer identique que par le fait qu'elle est individuelle. Et ds lors, on
est amen se demander comment pourrait se crer la notion d'un
rel qui serait dpourvu de tout attribut individuel, comment, une
fois conu, un tel rel pourrait recler en lui une vritable force
explicative, fournir, ainsi que l'espre M. Langevin, une repr-sentation satisfaisante du monde nouveau que les quanta nous
ont fait entrevoir. Et sans vouloir se lancer, ce propos, dans un
dogmatisme ngatif trop appuy, l'on se prend douter que ce
soit l la voie que l'effort explicatif prendra l'avenir.
D'ailleurs et cela est trs important noter il suffit d'y
prendre garde pour reconnatre qu'au cours de son travail mme,le physicien se libre de manire bien moins complte du ralisme
naf du sens commun qu'il n'aimerait peut-tre le croire. Le cher-
cheur dans le domaine des quanta, si phnomniste qu'il entende
demeurer, sera invitablement amen penser, ds qu'il s'agira de
DA~S LA PHYSIQUE QUANTIQUE 19
faire mouvoir ces tres, au mouvement qu'il connat dans le mo-
laire, c'est--dire surtout au mouvement des objets du sens com-
mun, et ce n'est qu'en introduisant graduellement des correctifs
qu'il pourra chercher modifier cette notion. Il est incontestable
qu'il y a, dans ce cas prcis, russi dans une certaine mesure. Mais
cette russite est bien moins grande que certains ne sont ports
se le figurer, ou du moins, le prtendre. Elle n'est surtout point
complte, tout simplement parce qu'elle ne saurait l'tre. Est-il tout
fait juste d'affirmer, avec M. Bohr (1), que M. Heisenberg, dans
son travail fondamental parvient s'affranchir compltementdu concept classique du mouvement ? II suffit, semble-t-il, d'y
prendre garde pour se convaincre que si, chez le clbre physicien
allemand, le mouvement a perdu la continuit que lui prtait la
physique pr-quantique et qu'elle avait emprunte au comporte-ment des objets de la perception immdiate, cependant, d'au-
tres gards, et du fait mme que l'on parle de mouvements, ce con-
cept ne laisse pas d'avoir quelque chose qui lui est commun avec ce
qu'on dsigne l'ordinaire par ce terme. Il implique, en effet, tou-
jours la constatation que le mme objet est susceptible de paratredans des endroits diffrents de l'espace M. L. de Broglie a fait res-
sortir, dans cet ordre d'ides, que l'lectron est cens se mouvoir
comme un obus charg (cf. C.P., p. 759). Et si, au contraire, c'est
le paquet d'ondes qui devient l'lment fondamental, il est tout
aussi clair que nul n'et song le concevoir sous cet aspect sans
les ondulations que nous percevons dans le rel sensible. A plusforte raison, quand M. Eddington, de manire plus gnrale, pr-tend que le physicien qui avait l'habitude d'emprunter ses mat-
riaux l'univers familier. ne le.fait plus , que ses matriaux
bruts sont l'ther, les lectrons, les quanta, les potentiels, les fonc-tions hamiltoniennes, etc. et qu'il prend, l'heure actuelle un
soin scrupuleux de garder ces notions de toute contamination
par des conceptions empruntes l'autre univers (cf. C.P. 373),il est trs certainement le jouet d'une illusion. Il faut que, par un
ct, le concept de la thorie scientifique rappelle celui du sens
commun, sans quoi le physicien ne saurait comment le manier.
Demandez votre imagination, a dit avec raison Tyndall, en
1. N. Bohr, La thorie atomique el la description des phnomnes, tr. A. Le-
gros et Rosenfeld, Paris, 1932, p. 66.
REL ET DTERMINISME20
parlant des hypothses sur la nature de la lumire, si elle vou-
dra accepter le concept d'une proportion multiple en vibration
(I. R., p. 419). Or, pour qu'il y ait phnomne, il faut qu'il y ait
vibration, ondulation, ou transport d'un projectile, c'est--dire,en un mot, mouvement, et ce mouvement, encore un coup, nous
ne pouvons gure que l'imaginer, au moins partiellement, selon ce
que nous connaissons par notre perception nave.
Il n'est point impossible de trouver, dans l'volution mme des
conceptions quantiques, des traits qui viennent en c.onnrmationde cette manire de voir. Quand M. L. de Broglie, par un vritable
coup de gnie c'est l'expression mme dont s'est servi M. Eins-
tein, en nous parlant de cette dcouverte prsenta son imagede l'onde, ce fut, de toute part, comme un cri d'allgresse unanime.
Sans doute l'espoir inavou que l'on se rapprocherait ainsi d'une
image du rel tait-il pour beaucoup dans cette impression. Maisil y eut aussi certainement cette conviction intime que, du mo-
ment o il y avait analogie dans le comportement, celle-ci devait
permettre de dcouvrir des traits encore inconnus. Et l'on sait
aussi que si la premire d'entre ces deux prvisions ne s'est rali-se que trs partiellement par la suite, la seconde, par contre, a eu
des accomplissements brillants.
Dans le mme ordre d'ides, on peut faire cette observationbanale que si, entre eux, les physiciens n'hsitent point faire allu-
sion l'existence d'tres crs par les thories, en substituant ainsi
l'ontologie scientifique celle du simple sens commun, cette substi-
tution, cependant, n'est jamais que trs partielle. L'exprimenta-teur le plus fermement persuad de l'absolue justesse des concep-tions de MM. Bohr, Born et Heisenberg n'aura qu' s'observer
lui-mme si peu que ce soit pour se rendre compte de ce qu'en
s'entretenant, au sein d'un laboratoire, avec un collaborateur, il
ne cesse d'impliquer, dans son discours, l'existence d'objets tels
que les instruments, etc., sous la forme que leur prte le sens com-
mun. Ainsi ce qui est ncessit par l'action sur les choses est gran-dement favoris par celle sur les hommes.
Le rel de la perception spontane n'tant, jamais vritable-
ment absent de nos rflexions mme si nous avions cru pou-voir l'carter par dcret on comprend que la raison, sans en
avoir conscience, le fasse constamment renatre. Il est une hydreaux cent ttes, et qui ont une aptitude quasiment indestructible
DANS LA PHYSIQUE QUANTIQUE 21
repousser quand on croit les avoir tranches. C'est ce qui expli-
que que le physicien idaliste, en entrant au laboratoire, n'a
aucun effort faire pour revenir au sens commun tout au con-
traire, celui-ci s'empare de lui aussitt que cesse ou mme faiblit
si peu que ce soit l'effort philosophique idaliste ou phnomniste.Et le physicien des quanta, en particulier, ne peut, en observant
et quoi qu'il en ait, douter de l'existence d'un rel,tout en se recon-
naissant impuissant indiquer ce qu'est vritablement ce rel qu'il
postule, c'est--dire de prciser son essence.
Est-il besoin, maintenant, de faire ressortir quel point une telle
attitude est peu faite pour surprendre le philosophe ? L'ide d'un
rel ncessairement postul et cependant essentiellement incon-
naissable est videmment apparente celle de la chose-en-soi
kantienne, et quelles que soient les objections que l'on ait pu
formuler, depuis le grand criticiste, contre ce systme du ralisme
transcendantal, personne n'osera, certes, affirmer qu'il faille le con-
sidrer comme prim. A ce point de vue donc, encore, le nouveau
rel quantique ne comporterait aucune brisure vritable.
L'on oserait mme prtendre que si cette manire de voir n'est
pas envisage plus souvent, si mme, la plupart du temps, la solu-
tion qu'elle comporte se trouve carte en quelque sorte par pr-
trition, cela provient d'une confusion pure et simple entre ces
deux concepts d'existence et d'essence. On raisonne en effet impli-citement comme suit ce dont on devrait supposer l'existence ici,l'on ne peut indiquer ce que c'est, donc cela n'existe pas. Cela
revient videmment nier l'existence d'un irrationnel. Le philo-
sophe anglais Burnet (cf. E.S., p. 190) a afirm que le fait d'accep-ter l'existence, dans la nature, d'un lment irrductible l'gardde notre raison quivaut un suicide de cette raison elle-mme.
Mais il a aussitt ajout que la philosophie moderne a d, l'en-
contre de l'ancienne, se soumettre cette dure ncessit. C'est
qu'en effet, dans la pense antique, la physique ne pouvait pr-
tendre, beaucoup prs, au rle qu'elle joue dans la ntre. L'Io-
nien pouvait donc, en poursuivant en toute rigueur les exigences
impitoyables de la raison, aboutir cette image de la sphre immo-
bile et uniforme, qui n'est autre chose qu'un acosmisme, l'affirma-
tion qu'aucun phnomne n'existe ni ne saurait exister. Mais il
est interdit au moderne de s'aventurer jusqu' une telle extrmit~car cette affirmation entrane, au fond, l'abandon de toute phy-
REL ET DTERMINISME22
sique, alors que cependant, l'homme de nos jours voit justetitre dans le savoir scientifique l'acquis le plus solide et le plus
prcis de son intellect. Et c'est bien Kant qui, ici, nous indique la
possibilit d'une issue. II nous apprend en effet, que nous pouvonstre amens conclure l'existence de ce dont l'essence nous
demeure cache.
II est d'ailleurs ais de se convaincre qu' l'encontre de ce raison-
nement implicite dont nous venons de parler, la pense vritable
du physicien, celle qui nat en lui spontanment la vue des ph-
nomnes, donne, sur ce point, raison Kant. Demandez un lec-
tricien ce que c'est que ce courant qu'il manie avec tant de dext-
rit il vous rpondra ncessairement qu'il ne saurait vous l'expli-
quer. Si vous le poussez un peu, et s'il s'agit d'un homme qui a
rflchi sur les fondements de son savoir, il vous dira mme proba-blement que vous n'avez pas le droit de lui poser cette question, ni
de faire valoir des objections telles que on ne sait pas ce quec'est que l'lectricit , les formules mathmatiques devant suffire
en l'occasion. En d'autres termes, il affirmera que votre questiontait illgitime, mal pose . Mais il est presque inutile de faire
ressortir que ce n'est pas l un vritable argument ce n'est qu'une
chappatoire ou une fin de non-recevoir, indiquant que l'on ne
peut ou ne veut pas rpondre la question. Bien entendu, le posi-tivisme justifie pleinement une telle manire de voir, et l'on pour-rait donc prtendre que ce qui se' manifeste chez l'lectricien dans
ce cas, c'est tout simplement un attachement ferme aux principesde cette pistmologie, la conviction que la science ne doit rien
rechercher qui aille au del de la rgle d'action pure et simple.Mais il suffit d'y prendre garde pour se convaincre que ce contre
quoi l'lectricien proteste concerne uniquement l'essence. Il doute
aussi peu de la persistance de ce courant quand il a cess d'avoir
sous les yeux le galvanomtre, qu'il doute de celle de la table quandil dtournera tte (1. R., p. 422). C'est donc bien qu'il croit l'exis-
tence l o cependant il est oblig d'avouer qu'il ignore l'essence.
On peut mme affirmer que le scepticisme en ce qui concerne la
vrit de l'image que la thorie scientifique fournissait du rel,tait en certain sens familier aux physiciens c'est en effet sur cette
constatation que reposait certainement, en grande partie, la foi
en le schma positiviste, ou du moins en la ncessit d'un langage
purement phnomniste. Puisqu'on ne pouvait dire ce qu'tait le
DANS LA PHYSIQUE QUANTIQUE 23
rel, il fallait s'abstenir d'en stipuler l'existence, et l'attitude la
plus logique, ds lors, paraissait consister supposer que l'on
n'avait pas cherch ce rel, que l'on n'avait cherch que des rgles
d'action, des rapports. Sous cette forme, on aperoit qu'il s'agitd'une manire de pense apparente celle de Parmnide. Mais,nous l'avons dit plus haut, cette attitude envers le rel n'tait pas,
par le fait, celle du physicien. Elle ne pouvait l'tre, pour la raison
bien simple que le physicien avait besoin du rel chaque pas, qu'ilne pouvait absolument pas se passer de supports, puisqu'il n'atta-
chait jamais ses rapports qu' des supports.On peut, un point de vue un peu diffrent encore, reconnatre
que le physicien thoricien du xixe sicle n'tait pas loign de
penser tout au fond selon le schma kantien. Dans un court exposinsr dans la revue Le Mo~ (l~ mai-ler juin 1931, p. 265-267),nous avons compar les opinions courantes de ces savants celle
de leurs prdcesseurs mdivaux. De mme que ceux-ci croyaientconnatre l'essence du rel, qui ne poMca~ tre que conforme aux
thories formules par Aristote, ceux-l s'estimaient assurs quetout devait se ramener la matire et au mouvement pour eux
aussi, tout comme pour les tenants de la physique pripattique,le rel tait sans mystre. Cependant, nous avons fait ressortir
qu'il n'y avait l qu'une similitude et non une analogie complte,et que le savant moderne, si ferme que ft parfois son matrialisme,
tait, cet gard, bien moins dogmatique. Car sa matire, il ne
pouvait mconnatre qu'il en devait le concept une exprience
complexe, et que ce concept tait par consquent sujet tre modi-
fi par l'exprience. Dans 1. R. (chap. II), en examinant les fonde-
ments des thories mcanistes, nous avons not quel point l'en-
semble des ides que le physicien se faisait de la matire et de son
action tait contradictoire ni les thories corpusculaires, ni les
thories dynamiques, ni aucune hypothse mixte n'aboutissaient une conception consistante (cf. plus loin, p. 45). Ainsi, en dfi-
nitive, le physicien se trouvait, en dpit de lui-mme, en quelquesorte, pouss vers l'ide d'un rel proprement insaisissable.
L'on pourrait donc prtendre qu' cet gard les constatationsde la physique quantique n'ont rien chang la philosophie impli-citement contenue dans les thories physiques, qu'elles n'en ontfait que plus clairement ressortir les artes.
Cela ne serait pas tout fait juste, et pour le discerner nous.
REL ET DTERMINISME24
n'aurons qu' rappeler les conclusions qu'Ed. de Hartmann croyait
pouvoir tirer de l'ensemble de la physique de son temps, conclu-
sions que nous avions rsumes autrefois (I. R., p. 483 et suiv.).Hartmann constatait bien, d'une part, que la science, en partantdes notions du sens commun leur substituait une conception enti-
rement diffrente, celle du mcanisme mais il croyait, d'autre
part, pouvoir affirmer que, tout en dtruisant ainsi la ralit du
sens commun, elle maintenait cependant en leur intgrit ls notions
de temps et d'espace c'est donc qu'elle aboutissait un noumne
soumis aux conditions de temps et d'espace, c'est--dire un sys-tme mtaphysique dtermin, que Hartmann dsignait sous le
nom de ralisme transcendantal (distinct cependant de ce queKant avait conu sous ce terme).
Nous nous tions, en discutant cette manire de voir, appliqu montrer qu'elle ne pouvait tre maintenue. En effet, il suffit d'y
prendre garde pour s'apercevoir que le mcanisme s'applique en
dernier terme dissoudre l'atome, cens former l'essence du rel,en espace indiffrenci, ce qui entrane en fin de compte l'vanouis-
sement de l'espace lui-mme comme celui du temps (dont la tho-
rie physique, d'ailleurs, altre grandement, ds le dbut, la nature,en cherchant reprsenter les phnomnes comme rversibles).Ainsi la science semble bien conclure non pas au systme mtaphy-
sique de Hartmann, mais un dogmatisme ngatif trs pouss,
lequel, si l'on maintient nanmoins l'existence du rel (ainsi quele physicien y semble contraint), ne peut qu'aboutir l'inconnais-
sable de Kant.
Que si, cependant, on se demande comment l'erreur de Hart-
mann a t possible, on est amen reconnatre qu'il n'avait pastout fait tort en caractrisant l'attitude du physicien comme il
l'a fait. La conception tait sans doute inconsistante. Mais cette
inconsistance, le savant pouvait, jusqu' un certain point, ne pass'en apercevoir, car elle ne se rvlait qu' une critique approfondiedes fondements de la science thorique, critique que le savant tait
enclin considrer comme sortant des limites de son domaine
propre, comme tant plutt du domaine de la philosophie.Il n'en est plus du tout ainsi dans le domaine des phnomnes
quantiques. Ici, l'nigme ne peut tre repousse vers un lointain
brumeux, et l'ignoramus s'impose l'attention de la manire la
plus flagrante, la plus voyante. Et c'est sans doute cette circons-
DANS LA PHYSIQUE QUANTIQUE 25
tance qui trouble le savant, qui lui fait croire un branlement
profond des assises de son savoir, alors qu'en vrit la dimcult
laquelle il se heurte tait inhrente la conception mcaniste
mme de l'univers physique. Nous verrons d'ailleurs tout l'heure
que, considre sous un aspect un peu diffrent, cette attitude du
savant se comprend mieux encore.
Reste cependant examiner supposer, bien entendu, qu'au-cune dcouverte ultrieure ne vienne allger les difficults quitourmentent le physicien des quanta l'heure actuelle ce quedeviendrait dans ce cas le dterminisme scientifique. Car, nous
l'avons fait ressortir au dbut de cet expos, c'est pour ne pas per-mettre qu'il soit atteint que M. Langevin a prcisment conucette ventualit d'un ret non-individuel. Celle-ci carte, il sem-
ble bien que l'on soit accul proclamer que le fin fond du rel, savoir l'ensemble du sous-atomique, est constitu par des phno-mnes qui, ni dans l'espace ni dans le temps, ne peuvent tre pr-vus en tous leurs dtails.
II n'est pas douteux qu'une telle manire de concevoir le cours
des choses choque la conception que l'homme de science a accou-
tum de s'en former. Mais est-elle rellement destructive de l'es-
sence mme du savoir scientifique, ainsi qu'on l'affirme bien sou-
vent, tantt explicitement, et plus souvent encore de manire
implicite ? C'est ce que nous allons rechercher prsent.D'o vient la conviction qui est celle, nous le rptons, que
tout savant digne de ce nom formule implicitement que les
phnomnes sont gouverns par des lois imprescriptibles ? Elle ne
tire point son origine, contrairement ce que certains ont prtendu,de l'exprience. Cela ressort de cette constatation primordiale que,ds le dbut de la vie, nous avons agi. Car toute action impliquevidemment une intention et, par consquent, prvision du rsultat.
Or, l'action est indispensable tout organisme animal, elle est la
condition mme de sa survie. II en est donc de mme de la prvi-sion Devine ou tu seras dvor )', a dit Fouille. Ainsi, il n'est
pas tonnant que la croyance la prvisibilit et, ce qui s'en suit, la dtermination complte du cours des vnements, la domina-
tion de la lgalit (comme nous l'avons appele) soit fortement
ancre en nous. C'est son aide que nous abordons l'tude de la
nature. Cette tude semble ou du moins semblait jusqu'il y a
peu d'annes pleinement confirmer ladite croyance l mme
REL ET DTERMINISME26
o l'humanit primitive ne voyait que des phnomnes chappant
par essence toute prvision, puisqu'on les supposait dus desactes de volition d'tres suprieurs, l'homme moderne reconnatdes consquences de lois naturelles. Ainsi la lgalit, en tendantconstamment son domaine, s'affermit encore grandement.
Peut-on dire cependant qu'il y ait l une vraie preuve, que lascience ait rellement dmontr que tout phnomne est gouvernpar une loi ? Le nombre des phnomnes tudis par la science
est ncessairement fini, et celui de l'univers entier, par essence,illimit toute conclusion gnrale fonde sur les phnomnesconnus et embrassant la totalit de la nature est donc, d'avance,
frappe de caducit (A R., p. 6). Mais croire scientifiquement tablile rgne absolu de la lgalit, ne serait-ce pas en outre oublier
que nous y avions cru avant la science proprement dite, que celle-cin'a pu tre difie que parce que nous y avions cru ? La vrit est,tout au contraire, que la lgalit est bien une supposition nces-
saire, indispensable la science, mais celle-ci seulement enobservant un phnomne nous devons, tout d'abord, supposerqu'il obit strictement une loi. Cela prouve-t-il qu'il n'y ait quede tels phnomnes dans le rel ? En aucune faon, et pour raffer-
mir notre conviction, nous n'avons qu' nous adresser aux phi-losophes, ou du moins ceux d'entre eux qui ont admis l'existence
d'un libre arbitre. On ne pourrait mme pas faire valoir que ces
penseurs avaient adopt de telles opinions parce qu'ils n'avaient
pas toujours tenu compte, autant qu'il et fallu, de la valeur sup-rieure de l'acquis scientifique. Ce reproche, juste peut-tre
l'gard de certains, ne le serait certainement point, pour ne citer
que cet exemple unique, l'gard de Renouvier. Renouvier oc-
cupe en effet, tout au contraire, une place minente dans la belle
chane des pistmologues (comme nous oserions les appeler d'un
terme qui, il est vrai, n'a t cr que de nos jours), qui, en France
ont su maintenir efficacement la liaison entre le savoir philoso-
phique et le savoir scientifique, si fcheusement rompue ailleurs.
Or, Renouvier non seulement admet le libre arbitre, mais en fait
une des pierres angulaires de son systme. Un acte de libre arbitre
constitue, pour lui, un commencement absolu . Il entrane,comme tel, une suite infinie de consquences strictement dter-
mines mais il n'est pas dtermin lui-mme, et si l'on remonte
dans la chane des causes, elle s'arrtera l. O voit-on qu'une
DANS LA PHYSIQUE QUANTIQUE 27
telle manire de voir serait anti-scientifique, pourrait tre rfute
par la science ? La science, jusqu' l'avnement de la physique
quantique, ne s'occupe que de ce qui est dtermin. Ce qui ne l'est
pas restant, par convention pralable, en dehors de son giron, il
est vident que, quels que soient le nombre et la porte des consta-
tations auxquelles elle aboutira, elle ne parviendra jamais entamer
la conviction de ceux qui jugent que l'acte de volont est libre paressence.
La question du libre arbitre, tel que le concevait par exemple
Renouvier, est-elle en jeu quand on pose l'existence d'un indter-
minisme quantique ? M. Bohr rpond rsolument par l'affirmative.
Pour lui, la mcanique quantique constitue un domaine interm-
diaire entre celui o est applicable l'idalisation causale et spatio-
temporelle, et le domaine de la biologie, caractris par le mode de
raisonnement tlologique Il fait d'ailleurs remarquer, ce
propos, que l'activit biologique peut avoir pour point de dpartdes phnomnes infimes ainsi quelques photons suffisent pro-
voquer une raction visuelle (1) .
Afin de bien saisir la porte de cette dernire remarque, il con-
vient de se rendre compte tout d'abord de la dimcult fondamen-
tale laquelle se heurte la conception. Quand nous parlons du libre
arbitre, ce quoi nous pensons, ce sont trs certainement des
phnomnes de la vie commune. Or, ceux-ci appartiennent incon-
testablement et sans exception l'ordre des phnomnes molaires.
Ceux dont traite le physicien des quanta sont au contraire ato-
miques et sous-atomiques. C'est l, et l uniquement, que se mani-
feste le facteur d'incertitude . En effet, mesure que, de ces
phnomnes infiniment dlicats, nous avanons vers d'autres
moins tnus, les lois de la statistique entrent en jeu de manire
de plus en plus efficace, et bien avant que nous ne parvenions
ces grossires constatations qui forment la base de la conceptiondu sens commun, la certitude et la prvisibilit sont devenues
quasi absolues. Le fait que cette certitude et cette prvisibilitn'aient nanmoins pour fondement qu'une statistique n'est mme
pas, on le sait, une innovation datant de l'introduction de la phy-
sique quantique. Il tait en effet prsuppos par la thermodyna-
mique. Selon la remarque bien connue de M. Perrin, le maon
1. L. c., p. 20, 110.
REL ET DTERMINISME28
qui attendrait que la brique lui ft monte l'chaufaudag parle mouvement brownien, serait bon droit considr comme fou
(cf. E. S., p. 122). Cependant, sous le microscope, nous voyons par-faitement des mouvements tout pareils se produire, et ce qui les
rend impossibles dans le molaire, c'est uniquement le fait que, parsuite du nombre immense des lments mis en jeu, l'improbabilitd'un tel phnomne s'accrot jusqu' devenir quasiment infinie.
Il s'ensuit que si l'on doit admettre que l'indterminisme quan-
tique, dans le cas du libre arbitre, se rpercute dans le molaire,on devra supposer que le cours des phnomnes suit, cette fois,une direction inverse de celle que nous lui avions vu prendredans la physique des corps inanims au lieu de s'estomper mesure
qu'il passe du sous-atomique (ou microscopique) l'atomique, au
molculaire et au molaire macroscopique, pour se trouver enfin
compltement oblitr dans ce dernier, cet indterminisme devra
se manifester de plus en plus visiblement. C'est l assurment
ce que pense M. Bohr, et l'observation relative aux rapports entre
le photon et la sensation visuelle est destine montrer qu'il est
au moins possible qu'il en aille ainsi.
C'est ce qui a t aussi expos tout rcemment et d'un peu plus
prs par M. Jordan (1) dont on connat les importantes contribu-
tions la thorie des quanta. L'homme ainsi que d'ailleurs
tout organisme vivant nous dit cet auteur, ne doit point tre
considr comme tant constitu la manire des objets macros-
copiques inorganiss. La conception qu'exprime le terme bien connu
l'homme-machine est tout simplement errone. Car ce qui carac-
trise l'organisme, c'est prcisment le fait que l'indtermination
atomique s'y renforce de manire devenir une indtermination
macroscopique. Cela videmment suppose l'existence de disposi-tifs particuliers conditionnant un renforcement , et M. Jordan
n'hsite point supposer que de tels arrangements de renfor-
cement se trouvent en effet raliss dans l'organisme. Ils le met-
tent mme de se soustraire, dans un cas particulier, au dtermi-
nisme strict qui gouverne le molaire inorganis le dtermin
des grands nombres ne se retrouve ici que si l'on considre un
1. P. Jordan, Die Quantenmechanik und die CyKMc~o&~me der Biologieund Psychologie, Die Naturwissenschaften, 20e an., fascicule 45, 4 nov.
1932, p. 818-821.
DANS LA PHYSIQUE QUANTIQUE 29
ensemble d'organismes individuels, tels que par exemple un trou-
peau. Et c'est ainsi que s'tablirait une transition, un pont entre
le fait physique (ou physiologique) et le fait psychologique.Ce raisonnement car il s'agit videmment d'un tel est-il plei-
nement convaincant ? On nous dit que nous devons penser simul-
tanment ce qui relve de l'un et de l'autre ordre de choses, et
que ce n'est qu'ainsi que nous nous formerons de ce qui se passe l
une ide juste, les deux aspects tant complmentaires. Mais la
pense est-elle vraiment mme de raliser la simultanit quel'on prtend lui imposer ? M. Jordan fait valoir que ce n'est pas,somme toute, exiger d'elle un effort plus considrable que celui
qui consiste considrer le rayonnement comme tant la fois
projection de corpuscules et propagation d'ondes, et il y a certai-
nement beaucoup de juste dans cette manire de voir. Mais pr-
cisment, est-il possible, dans ce cas encore, de fondre vritable-
ment les deux images ? N'est-il pas clair, tout au contraire, quetout ce quoi le physicien des quanta le plus rsolu peut parve-
nir, c'est passer rapidement, mais successivement, alternative-
ment, de l'une l'autre de ces images par essence inconciliables
(C. P., 38 et suiv.) ?Eh bien, il en sera de mme, on peut, semble-t-il, l'affirmer avec
une certaine assurance, de l'aspect physique ou physiologiqued'une part et de l'aspect psychologique d'autre part jamais on ne
russira les confondre. Supposons ralis videmment dans
des conditions tout autres que celles imagines par le philosophele rve qui a inspir Leibniz l'image bien connue du moulin
nous aurons CM au cerveau une particule se dtacher et se mouvoir
dans telle ou telle direction (1). Ce que nous aurions peru l du
dehors serait un acte de libre arbitre, et ce serait conforme ce
que nous voyons s'accomplir dans le quantique non-organis.Cela est-il tout fait exact ? Ce que nous montre la physique quan-
tique, ce sont des phnomnes que nous sommes forcs d'attribuer
au pur hasard, alors que la particule crbrale obirait une
1. Il convient d'ajouter que ni M. Bohr, ni M. Jordan ne croient que l'on
parvienne jamais raliser une observation de ce genre, pour cette simple
raison, qu'il est fort probable qu'en essayant d'observer, on drangeraitle phnomne mme, on le modifierait ce serait un concours de circons-
tances analogue celui qui nous empche de dterminer la fois la localisa-
tion et la vitesse du corpuscule.
REL ET DTERMINISME30
volont. Comment cet tre mental, spirituel, qu'est la volont par-viendrait-il se traduire en physique, exercer une influence
physique, si infime ft-elle ? Sans doute une telle manire de voir
peut-elle se rclamer d'illustres rpondants Descartes n'affir-
mait-il pas que l'esprit, s'il tait incapable de crer du mouvement
dans le corps, avait nanmoins le pouvoir de modifier la direc-
tion de ce mouvement ? Mais pour l'homme de nos jours, habitu
une pense mcanique plus rigoureuse, laquelle, au point de vue
de la dtermination, enserre d'une mme manire la force vive
et la quantit de mouvement, des suppositions de ce genre sont
peu acceptables, et tout ce que l'on parviendrait accomplir ds
lors, ce serait de constater le f ait. Mais ce fait, si indubitable quel'on se l'imagine, n'en resterait pas moins parfaitement inexpli-cable. Ce ne serait rien de moins qu'un miracle. Et il y aurait alors
un autre miracle du fait que l'indtermin quantique, dans les
organismes, se rpercuterait dans le molaire, tant donn qu'ilen va tout autrement dans l'inorganis.
Il est parfaitement vrai que la science ne peut nier l'existence
du miracle elle ne peut qu'en restreindre progressivement le do-
maine, en montrant, pour tel cas prcis, que ce qu'on prenait pourun miracle tait d l'action de causes naturelles, restes primi-tivement inconnues. Pour des raisons analogues, d'ailleurs, on ne
peut, contrairement ce que supposent certains, dmontrer scien-
tifiquement qu'un miracle s'est produit, car les incrdules auront
toujours beau jeu pour affirmer qu'il y a eu intervention de fac-
teurs dont on n'a pas su dmler la prsence. Ainsi le miracle
tout comme l'acte de libre arbitre, qui ne serait qu'un miracle
dans ce sens reste bien en dehors du domaine de la science. Et
ds lors on serait tent de dire que l'on ne gagne rien en passant
par les constatations quantiques. Car on est toujours libre d'ad-
mettre le miracle, mais il ne devient point plus comprhensible si
l'on stipule, au lieu de son intrusion directe dans l'univers du sens
commun, une action de l'esprit sur la particule et une rpercus-sion de l'indtermination quantique dans le molaire.
Il y aurait cependant, notre avis, de l'imprudence se pro-
noncer, dans ce cas, dans le sens d'un dogmatisme ngatif tropabsolu. De toute vidence, il y a l de l'irrationnel, et quoi qu'on
fasse, et quels que soient les progrs que l'on s'imagine accomplirdans l'avenir, il est tout aussi vident que le mystre ne disparai-
DANS LA PHYSIQUE QUANTIQUE 31
RELETDTEKNtNISHE 3
tra jamais compltement, qu'il restera toujours de l'irrationnel.
Mais il ne s'en suit nullement qu'il ne faille point s'attaquer lui,
qu'il faille le laisser subsister tel quel. D'ailleurs la raison ne souf-
frirait pas une telle abstention, sa fonction essentielle consistant
justement rationaliser le rel. Elle le fait en l'expliquant, et il
est parfaitement clair qu'en discutant sur cette question de l'assi-
milation entre l'indtermin quantique et le libre-arbitre, nous
nous mouvons en plein sur ce terrain de la vritable explication.Sans doute, les physiciens dont nous avons plus haut rsum les
opinions n'en ont-ils pas conscience ils se servent du terme cau-
sal uniquement pour dsigner ce qui est simplement dtermin
(c'est--dire, selon notre terminologie, lgal). Mais il suffit d'y
prendre garde pour se convaincre que la question de savoir s'il ya ou non indtermination n'entre pas en jeu dans ces exposs. En
effet, le libre arbitre comme le phnomne quantique sont, l'un
et l'autre, conus comme indtermins, et l'assimilation, ce pointde vue, tout en tant aise, ne prsenterait qu'un bien faible int-
rt. Ce qui, au contraire, lui prte un intrt puissant, c'est vi-
demment le fait qu' l'aide de l'indterminisme quantique, on
espre pouvoir expliquer le libre arbitre, le comprendre.Ceci dit, il faudra nous rappeler quel point, prcisment dans
cet ordre d'ides de l'explication causale (ce terme, bien entendu
conu selon notre nomenclature), le comportement futur de la
raison est malais prvoir. Nous avions, ce propos, parl autre-
fois (D. R., 121) d'une erreur commune deux puissants espritsd'un pass rcent, savoir du mathmaticien Poincar et du phi-
losophe Lotze, erreur d'autant plus significative qu'ils l'ont com-
mise indpendamment l'un de l'autre. Cette erreur a consist
nier que la raison si, propos de certaines constatations, une expli-cation par les concepts de la gomtrie transcendante lui tait
offerte, pt s'engager dans cette voie, en d'autres termes que le
physicien russt jamais comprendre un aspect quelconque du
rel par ce moyen. Or, on le sait assez, les physiciens de nos jours, d'infimes exceptions prs, sont trs certainement einsteiniens
et donc comprennent parfaitement par la voie que Poincar et
Lotze entendaient leur interdire tout jamais. C'est l, il est
presque inutile d'y insister, une constatation qui doit nous ins-
pirer, dans une situation qui est manifestement assez analogue,
beaucoup de prudence. On ne parviendra point, assurment,
32 REL ET DTERMINISME
rationaliser compltement. Mais ne russira-t-on pas rationali-ser partiellement, par un bout, si l'on ose dire ?a
Peut-tre sera-t-il bon de rflchir, ce propos, sur un autre
exemple encore du pass, exemple d'autant plus frappant que,dans ce cas, pour nos contemporains, la conscience qu'il y avait
eu l une dinicult vaincre semble s'tre peu prs complte-ment oblitre. Nous entendons parler du phnomne chimique.II ne saurait faire aucun doute, semble-t-il, que pour un chimiste
de nos jours la thorie lavoisienne fournit une vritable explica-tion de ce qui se passe l. L'eau est compose d'oxygne et d'hy-
drogne, elle contient vritablement ces deux lments, et de
mme le sel marin contient du chlore et du sodium. Que si vous
essayiez de combattre ces affirmations, et surtout de faire valoirt
que, dans un pass en somme trs rcent, le rle de l'lment chi-
mique fut compris de manire tout autre, le chimiste vous rpon-dra probablement qu'oxygne, hydrogne, chlore et sodium sontdes tres rels, alors que le phlogistique n'tait qu'un tre chim-
rique, et sans doute quantit d'esprits parfaitement judicieux, endehors mme du monde des laboratoires, seront-ils enclins vousfaire des rponses analogues. Or, il suffit de considrer les chosessans parti-pris pour reconnatre ce qu'il en est vritablement. Les
lments atomiques, ceux qui entrent vritablement dans la com-
position des corps, sont certainement, tout comme le phlogistique,des tres de raison. D'ailleurs la chimie est ne science qualitativeet, en dpit des apparences, l'est toujours reste. Car c'est l sa
raison d'tre, la cause vritable de ce fait qu'elle ne forme point un
simple chapitre de la physique, qu'elle a ses mthodes de recherche
et de raisonnement, ses thories propres. En effet, elle est ne de
cette constatation, qui s'impose l'observation mme la plusrapide, qu'il existe des proprits, des qualits des corps plus per-sistantes que d'autres, et que nanmoins, dans certaines circons-tances dtermines, ces proprits se modifient grandement. C'est expliquer cette persistance et ces modifications que tendent les
efforts de la chimie thorique et, cela est noter, des thories les
plus rcentes comme de celles qui les avaient prcdes. Parlant
des tats stationnaires de l'atome qui, selon la conception quan-tique, K correspondent en gnral une srie de valeurs de l'ner-
gie , M. Bohr souligne que leur stabilit fournit un point de dpart
appropri l'explication des proprits physiques et chimiques
DANS LA PHYSIQUE QUANTIQUE 33
des lments. De mme, il estime que la dduction de la constante
de Balmer constitue un rsultat qui peut tre considr comme
un premier pas vers la ralisation du programme que nous a im-
pos la dcouverte de l'atome molculaire rendre compte des pro-
prits spcifiques des lments l'aide du seul nombre atomi-
que . (1). Ainsi les chimistes, jusqu'aux phlogisticiens inclusive-
ment, n'ont nullement procd, contrairement ce que l'on en-
tend affirmer frquemment, de manire anti-scientifique en se
proccupant en premire ligne de la qualit, et il a fallu le coupd'oeil de gnie de Lavoisier pour reconnatre qu'il tait ncessaire
de concevoir le rel tout autrement, tourner rsolument le dos ce
qui apparaissait comme la voie la plus directe et placer en premire
ligne des considrations de poids, que tout le monde avait consid-
res jusque-l comme peu prs dnues d'intrt. Le grand matre
incontest de la chimie franaise cette poque, Macquer, qui fut
non seulement un admirable exprimentateur, mais en outre un
esprit des plus judicieux, ne dclara-t-il pas, aprs les premires
attaques de Lavoisier contre la thorie rgnante, qu'il se sentait
parfaitement rassur sur le sort du phlogistique du moment o on
ne pouvait faire valoir cet gard que des raisons de quantit
(cf. E. S., p. 605) ? Aussi la rupture fut-elle pnible et la lutte lon-
gue et violente.
Comment se fait-il que la situation ait chang au point que ce
pass apparaisse trange, paradoxal, malaisment comprhen-sible ? On affirme quelquefois que c'est le simple fait que, par la
pese, on pouvait attacher au concept de matire un coefficient
numrique qui a jou le rle dcisif le rel, dit-on, est ce qui permetla mesure. Mais quoi que l'on puisse avancer pour justifier une
telle mtaphysique, il est certain que personne ne l'a professe
l'poque on en chercherait vainement la trace dans les crits pol-
miques, si abondants et si violents, qui ont marqu l'avnement
de la thorie anti-phlogistique. Sans doute la conception que nous
venons de mentionner parat-elle confirme par le schma positi-
1. N. Bohr, c., p. 30, 34, 42 cf. ib., p. 98 la masse du noyau dter-mine le poids atomique du corps, mais n'a qu'une influence minime sur les
autres proprits, celles-ci sont dtermines principalement par la chargelectrique du noyau et p. 99 la grande stabilit des lments provientde ce que les ractions physico-chimiques ordinaires n'atteignent pas l'atome,mais ne modifient que la liaison des lectrons dans l'atome .
REL ET DTERMINISME34
viste du savoir, qui pousse surestimer la valeur, pour l'entende-
ment, de ce qui contribue accrotre la prcision de la description
lgale le lecteur a vu, au dbut du prsent article, comment, pourM. Planck, l'image ontologique du rel, le Weltbild lui-mme, ne
devrait son existence qu' ce souci de prcision. Mais nous avons
constat combien peu cette manire de voir se justifie en face de
l'volution relle des thories scientifiques. Il en est de mme ici.
Le physicien, assurment, a de tout temps considr la matire
comme un rel, et l'usage de la balance est trs antrieur tout
savoir systmatique mais Descartes encore, on le sait, nie expres-sment que ce soit le poids qui indique vritablement la quantitde la matire, et l'affirmation contraire n'a prvalu que par suite,
prcisment, du triomphe des ides de Lavoisier. Ainsi l'on doit
supposer que lors de la lutte, la fin du xvms et au dbut du
XIXe sicle, l'avantage du facteur numrique n'a pu agir qu'en qua-
lit d'adjuvant ce dont la thorie nouvelle affirmait la conserva-
tion, apparaissait sans doute comme moins important, moins
essentiel que cet lment de qualit dont nagure on avait pr-tendu suivre le dplacement, mais cela tait saisissable de manire
plus nette. Cependant, ce qui, en dernier terme, a dcid de la
victoire, ce qui l'a rendue si complte, surtout, c'est trs certaine-
ment le succs mme de la thorie antiphlogistique. Car elle four-
nit immdiatement, entre les mains de Lavoisier et celles de ses
disciples immdiats, la moisson la plus tonnante de dcouvertes
prcieuses. Et depuis, tout un immense savoir en a surgi, savoir
infiniment riche en rsultats exprimentaux, et de plus, admira-
blement ordonn l'aide de conceptions thoriques fortement
cohrentes. C'est ainsi que le rel pondr a fini par s'imposer dfi-
nitivement comme le seul rel vritable, au point que le chimiste
de nos jours croirait blasphmer en doutant que le chlore et le
sodium sont rellement contenus dans le sel marin alors que
cependant aucune des proprits caractristiques du gaz verdtre
et irritant et du mtal brillant et mou n'apparat dans les cristaux
incolores et que, de ce chef, l'affirmation serait, par un esprit non
prvenu, immanquablement juge comme tant dnue de sens.
Mais le chimiste, lui, nous l'avons dit, a certainement l'impressionde comprendre ce qui se passe quand les deux lments s'unissent.
L'on pourrait affirmer que cet aspect de l'volution de la pensedans le temps se rapproche du schma pragmatiste. Mais ce serait
DANS LA PHYSIQUE QUANTIQUE 35
condition de ne pas perdre de vue que ce rapprochement ne peuttre que partiel. L'exprience et le succs dans l'exprience, assu-
rment, guident la pense dans le choix qu'elle opre en ce quiconcerne la voie par laquelle s'effectuera l'identification. Mais
celle-ci, qui est le but immuable, n'a pas sa source dans ce qui
provient du rel, elle constitue l'apport de la pense elle-mme.
Le chimiste, croyant comprendre, est-il le jouet d'une illusion ?
Sans doute, partiellement, puisqu'il est vident qu'il ne pourrait
compltement comprendre que par l'identit parfaite, et que
l'espoir d'y atteindre dont son signe d'galit est le symboleest manifestement chimrique c'est le succs qui a cr ce quenous avions qualifi d'illusion causale, illusion qui fait apparatrece qui sert l'identification comme tant l'essence, ce qui varie
ne pouvant qu'tre accidentel, ngligeable. Mais ce succs mme
nous montre que, d'autre part, tout ici n'est point illusion, puis-
que l'intellect a russi, par cette voie, pntrer le rel. Et
voici que la thorie, aprs s'tre dtourne du qualitatif, y revient.
Par le dtour du quantique, elle commence rellement l'expli-
quer, l'expliquer, certes, infiniment mieux que ne savait le
faire la chimie purement qualitative. N'est-ce pas la merveille
des merveilles, et cette volution n'achve-t-elle pas de nous
persuader que les voies de la raison rationalisante sont ~dcid-ment imprvisibles ?
En rsum donc, la conception de MM. Bohr et Jordan, si trange
que l'on puisse la juger, ne saurait tre repousse par une sorte
de question pralable. On ne parviendra point ainsi, d'accord, une intellection parfaite de l'acte du vouloir. Mais il se peut,
cependant, qu'on arrive le comprendre un peu mieux que cela
n'a lieu actuellement si la conception russit, c'est--dire si elle
suggre des expriences que l'exprience confirmerait. Ce jour-lil est pour le moins possible que l encore l'illusion causale se
cre, et que le physiologiste et le psychologue de l'avenir
d'un avenir que l'on peut supposer trs proche ou fort lointain
croient comprendre la manire du chimiste lavoisien. Et l
encore, ce ne serait pas illusion pure. On n'aurait pas aboli l'irra-
tionnel, mais on l'aurait serr d'un peu plus prs, enferm entre
des limites plus troites. Il est vident que c'est par l, par le
trop d'espace, en quelque sorte, qu'elles prtendent embrasser,
que pchent les thories telles que celle de l'entlchie de M. Driesch,
REL ET DTERMINISME36
qui entendent de nos jours prciser l'irrationnel biologique on
souponne aussitt qu'il doit y avoir, dans cet amas de phno-
mnes, des parties plus ou moins accessibles au raisonnement. Que
si, au contraire, on parvenait nous faire toucher du doigt, pourainsi dire, o l'explication se heurte un obstacle, ou plusieurs,
parfaitement infranchissables et en mme temps suffisamment
prcis, un pas immense en vue de la pntration des phnomnes
biologiques se trouverait videmment accompli.Il importe de constater, d'autre part, que la supposition d'un
indterminisme dans le sous-atomique ne constitue aucunement
une atteinte aux fondements sur lesquels repose la conviction de
l'existence d'un lien lgal entre les phnomnes. En effet, nous
l'avons dit, la source d'o drive cette conviction, c'est unique-ment la ncessit d'agir. Devons-nous considrer que c'est l, en
dfinitive, chez l'homme moderne, la base unique de cette croyance?Il est presque inutile d'insister sur l'extrme difficult qu'il y a
parvenir de vritables certitudes ds qu'il s'agit de dmler les
motifs qui rgissent ces mouvements de l'esprit qui constituent
l'essence la plus profonde de notre moi. Et nous verrons tout
l'heure (p. 38) que Leibniz, en affirmant la ncessit d'un dter-
minisme gnral de l'ensemble des phnomnes, a donn cette
conviction un fondement bien diffrent. Contentons-nous donc
de maintenir que le besoin d'action constitue assurment la base
primitive et qui reste principale de notre foi dans cet ordre
d'ides. Il va sans dire que l'action dont il est question ici et quiest celle qu'exerce tout animal, ne vise et ne peut viser, nous
venons de le constater, que le rel molaire. Or, celui-ci demeure,aux yeux du physicien des quanta, aussi dtermin que pour nous
tous. Afin de se rendre compte quel point, dans cet ordre d'ides,la situation se trouve peu modifie, l'on n'a qu' se rappeler que
(comme nous l'avons mentionn p. 27), dans la physique pr-
quantique dj, des considrations de probabilit intervenaient
de manire trs efficace, notamment propos de tout ce qui a
trait au principe d'entropie, c'est--dire l'irrversibilit des ph-nomnes, c'est--dire encore au cours des vnements dans le
temps, prsuppos, ds le dbut, dans la physique. Sans doute ne
pourrait-on assimiler entirement l'une l'autre les deux situations.En effet, pour ce qui est de l'entropie, nous supposons que les mou-vements molculaires dont l'ensemble assure le fonctionnement de
DANS LA PHYSIQUE QUANTIQUE 37
la loi sont nanmoins tous individuellement dtermins. Il y a ainsi,au-dessous du rel molaire directement observable, quelque chose
de simplement probable, mais rsultant cependant d'une dtermi-
nation foncire. Dans le quantique, tout au contraire, c'est l'ind-
termination que nous devons considrer comme fondamentale. On
pourrait, dit M. Heisenberg se laisser entraner supposer quederrire l'univers statistique peru se dissimule un autre univers
encore, un univers vritable , o le principe causal serait valable.
Mais de telles spculations nous apparaissent, nous l'affirmons
expressment, striles et dnues de sens. La physique doit se
borner dcrire de manire formelle ce qui est peru (1) . Cepen-
dant, en ce qui concerne la manire dont l'indtermination, parl'intervention de la probabilit, aboutit une dtermination
rigoureuse, la situation est bien, dans les deux cas, analogueaucun savant n'hsite traiter ce qui se rattache au deuxime
principe de la thermodynamique comme aussi rigoureusementtabli que le reste de la physique.
Peut-on affirmer, du reste, que dans le pass les deux concep-tions de science physique (dans le sens moderne de ce terme) et de
dterminisme furent toujours troitement associes ? II suffira,
pour nous convaincre du contraire, de reprendre, sur une base
plus large puisqu'il s'agira, cette fois, non pas de l'image hypo-
thtique seule, mais de l'ensemble du savoir scientifique l'exa-
men des rapports, dans l'volution de la pense, entre le dtermi-
nisme et la physique, que nous avions amorc au dbut de l'arti-
cle, propos de la conception de M. Planck. Dans l'antiquit,nous y avons fait allusion, le dterminisme fut proclam, avec
toute la rigueur voulue, par les stociens. Nous avons cit autre-
fois (E. S., p. 121) un rsum de leurs doctrines d Alexandre
d'Aphrodisias (qui tait leur adversaire) et o l'on voit proclam
que tous les tres demeurent soumis d'ternelles lois qui pro-cdent par srie et enchanement o et que dans le monde, rien