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Témoignages de l’Occupation à Louhans et en Bresse, 1940-1945 Michel Delay Ce fut dans la classe (CM2 et fin d’études) dirigée par M. Marichy à Châ- teaurenaud que je connus une alerte aux avions. Les tranchées creusées dans le jardin derrière l’école nous accueillirent en plein soleil. Fausse alerte… mais no- tre maître, ancien de 14-18, avait pris la chose au sérieux. Il faut dire, je viens de l’apprendre, qu’il fut décoré car deux fois blessé comme musicien-brancardier. Aux cérémonies du souvenir auxquelles la classe participait il nous donnait le ton pour le chant de circonstance : « Ceux qui pieusement sont morts pour la patrie ont droit qu’à leur cercueil la foule vienne et prie… » 1 . Muni du fameux diplôme, j’entrai au collège de Louhans, rue des Bordes, dans la classe de 6 e A (latinistes) à la- quelle s’ajoutait la classe des 6 e Moder- nes, pour un effectif total de seulement 28 nouveaux élèves. Il n’est pas trop tard pour recueillir des anecdotes et des faits vécus lors de ces an- nées sombres mais le nombre de témoins diminue de jour en jour, aussi est-il important d’enregistrer nos souvenirs dès maintenant et d’écouter nos anciens. L’histoire de cette guerre, la résistance à l’occupation, la Libération ont fait l’objet de nombreux ouvrages de chroniqueurs et d’historiens renommés mais il est intéressant de revivre le quotidien de cette époque à Louhans et en Bresse.

Michel Delay

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Témoignages de l’Occupation

à Louhans et en Bresse, 1940-1945

Michel Delay

Ce fut dans la classe (CM2 et fin d’études) dirigée par M. Marichy à Châ-teaurenaud que je connus une alerte aux avions. Les tranchées creusées dans le jardin derrière l’école nous accueillirent en plein soleil. Fausse alerte… mais no-tre maître, ancien de 14-18, avait pris la chose au sérieux. Il faut dire, je viens de l’apprendre, qu’il fut décoré car deux fois blessé comme musicien-brancardier. Aux cérémonies du souvenir auxquelles la

classe participait il nous donnait le ton pour le chant de circonstance : « Ceux qui pieusement sont morts pour la patrie ont droit qu’à leur cercueil la foule vienne et prie… »1.

Muni du fameux diplôme, j’entrai au collège de Louhans, rue des Bordes, dans la classe de 6e A (latinistes) à la-quelle s’ajoutait la classe des 6e Moder-nes, pour un effectif total de seulement 28 nouveaux élèves.

Il n’est pas trop tard pour recueillir des anecdotes et des faits vécus lors de ces an-nées sombres mais le nombre de témoins diminue de jour en jour, aussi est-il important d’enregistrer nos souvenirs dès maintenant et d’écouter nos anciens.

L’histoire de cette guerre, la résistance à l’occupation, la Libération ont fait l’objet de nombreux ouvrages de chroniqueurs et d’historiens renommés mais il est intéressant de revivre le quotidien de cette époque à Louhans et en Bresse.

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Je me souviens des tranchées creu-sées sur le terrain arboré de marronniers face à l’établissement et de celles réser-vées à l’école communale, place des Cor-deliers. Quelques exercices d’alerte agré-mentaient les journées de travail com-mencées par des rassemblements patrio-tiques dans la cour du collège (actuellement Centre des Impôts) où nous chantions en chœur le fameux « Maréchal, nous voila, devant toi, le sau-veur de la France… », auquel s’ajoutait un autre hymne « Flotte, petit drapeau, flotte, flotte bien haut, image de la Fran-ce, symbole d’espérance… » au moment du lever des couleurs.

Fortifiés par ces élans patriotiques, imprégnés par l’aumônerie installée intra muros suite aux prérogatives du gouver-nement de Vichy, nous étions fort dociles pour quêter de la nourriture pour le Se-cours National, et le samedi après-midi pour participer au Plein air, consacré, quand le temps était venu, à la récolte des doryphores dans le champ de pom-mes de terre du collège, au fond de la rue des Bordes.

C’était aussi le temps des rutabagas et des topinambours qui remplaçaient la viande parcimonieusement vendue contre des tickets de rationnement. Les massifs de fleurs des maisons particulières étaient devenus des potagers et les hau-tes tiges des topinambours servaient de clôtures fleuries. Une modeste ration mensuelle de barres chocolatées était la seule friandise sucrée dont bénéficiaient les enfants. Il fallut attendre la Libération pour découvrir le chewing-gum améri-cain, les bonbons, les biscuits… et les cigarettes qui remplacèrent notre tradi-tionnelle « barbe » de maïs roulée dans des pages de bloc éphéméride.

Nous avions devant le collège la boulangerie de M. Juffard où l’on trou-vait des petits pains à la farine quasi-ment blanche que nous dégustions com-me des gâteaux de choix, tant ils étaient différents du pain à la mie orangée obte-nu avec les tickets.

Quant aux distractions, aux récréa-tions, nous admirions les grands qui jouaient dans la cour du collège en réali-

Elèves de 6e au collège de Louhans, 1942-1943 En haut : Buatois, Bernigaud, Delay, Petit, Lavallée, Bey, Goniot, Buclet, Jallet Au centre : Carrara, Spaletta, Rodrigue, Fontany, Bloch, Nomblot, Gaudillat, Geoffroy, Moissonnier, Varrot En bas : Picolet, Brucker, Poissenot, Berger, Faisy, Barbier, Nicolas, Després, Pageault

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sant des parties de « foot-billes » ; il nous arrivait aussi, en dehors de la journée scolaire, d’aller tracer furtivement à la craie des croix de Lorraine dans un V, symboles de la France Libre et de la vic-toire attendue, une façon d’imiter ceux qui avaient orné ainsi, avec du goudron, les volets du local de la Milice sous les arcades de la ville.

L’éducation physique était dispen-sée par M. Chombard. Invariablement nous allions en rangs par deux au ter-rain de l’Etoile en chantant : « Une fleur au chapeau, à la bouche une chanson, un cœur joyeux et sincère, et c’est tout ce qu’il faut à nous autres bons garçons, pour aller au bout de la terre… ». Sans aller aussi loin, nous effectuions les tra-ditionnels mouvements en plateau et en vagues, avec discipline, et avec un en-thousiasme modéré lors de ces séances peu variées, pourtant agrémentées au final par l’exutoire habituel, braillé en chœur : « Hip ! Hop ! Chip ! Chop ! Ri ri ri ! Cri cri cri ! Rira ! Criera ! Ah ah ah ! »

En 1940, quelques jours après la fuite désorganisée de nos soldats, j’avais vu arriver les blindés et camions alle-mands au petit matin, à Saint-Germain-du-Bois, où j’étais réfugié chez mes grands-parents : un vacarme de moteurs, une force impressionnante chez des vain-queurs fort aimables qui offraient du chocolat aux enfants, conversant avec les Alsaciens réfugiés et reprenant plus tard leur progression.

Comme tous les enfants, fasciné par les armes, j’avais fabriqué une sorte de mitraillette à partir d’un fragment de manche à balai et de lattes pour figurer la crosse et je me souviens de l’œil répro-bateur de mon grand-père, vétéran de 14-18, qui m’enjoignit de ne pas aller mon-trer ce jouet guerrier aux soldats alle-mands qui erraient sur le trottoir, devant le magasin.

Gamin traînant avec ses camarades au fil des rues, j’avais assisté, ébahi, au défilé des maquisards qui avaient sym-boliquement libéré Louhans le 27 août 1944. Le jour de cette démonstration éphémère, les Allemands reprenant le terrain dès le 2 septembre, j’avais été in-

trigué par un attroupement bruyant de-vant le moulin de la Salle et choqué par l’hystérie de femmes qui en frappaient une autre : il fallut l’intervention d’un maquisard, revolver au poing, pour met-tre fin au lynchage. Je le reconnus plus tard, sur une photo du défilé, c’était un homme à la chevelure ondulée, vraisem-blablement Bernard Garnier, l’adjoint du groupe Henry. La personne agressée de-vait sans doute faire partie de la liste de présumés collaborateurs, arrêtés plus tard, liste publiée dans L’Indépendant2.

Comme la plupart des Louhannais et Castelrenaudins, à l’appel de la sirène le 2 septembre, nous avons quitté notre domicile avec bicyclettes et bagages som-maires pour nous réfugier via Montagny et Putacrot à Saillenard, chez mon oncle Velard, directeur de l’école du bourg.

J’y ai retrouvé mon cousin Jean, étudiant de 20 ans, de passage à la mai-son avec son magnifique fusil anglais, il faisait partie de la Compagnie Fredo, rat-tachée à la Compagnie Francis. Il m’a laissé plus tard en souvenir son brassard FFI que j’ai hélas perdu…

C’est à Saillenard, à l’école du bas, chez Mlle Jacquard, que j’ai vu arriver les chars américains que les équipages stop-paient pour échanger rations, chocolat, chewing-gum, cigarettes contre des to-mates et autres fruits.

Mon père qui parlait un peu l’an-glais, et qui était revenu à Louhans à la maison avant nous, avait hébergé un sol-dat américain. Celui-ci m’a laissé en ca-deau le drapeau de toile cirée qu’il portait sur la manche, encore un document his-torique perdu au hasard des déménage-ments ! Je m’en veux toujours… Mon cousin avait aussi rapporté une toile de parachute et ma mère en utilisa une par-tie pour confectionner un chemisier pour ma sœur ; les sangles étaient aussi de magnifiques et solides cordelettes.

L’évocation des combats des FFI, dans l’ouvrage de René Pacaut3, me fit penser à l’héroïsme de ceux qui, plus vieux que moi d’une dizaine d’années, s’arrêtaient parfois sur la place de Saint-Germain-du-Bois, exhibant drapeaux et

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armes, notamment un fusil mitrailleur placé sur le toit d’une traction Citroën ; de quoi faire rêver enfants et adolescents.

Nous voulions aussi jouer à la guer-re, en tirant parti de ce qui nous tombait sous la main. A la Libération, une bara-que sur la place du Château nous attira particulièrement. Non gardée, mal fer-mée, elle contenait des munitions non utilisées provenant sans doute des para-chutages. Nous avions pu nous introdui-re dans cette caverne d’Ali Baba et préle-ver des cartouches de mitraillette et de fusil. Les unes furent jetées en toute in-conscience dans des feux allumés au bois des Greffes : leurs explosions nous transportaient au cœur des batailles. Les autres étaient desserties pour fabriquer ce que nous appelions des parachutes explosifs : un morceau d’étoffe pour la descente verticale, un assemblage en fil de fer solidarisant l’étui vidé de sa pou-dre et la balle qui allait frapper l’amorce à l’arrivée sur le sol des routes et des trottoirs d’où l’effet bruyant recherché. Pendant longtemps on vit ces parachutes accrochés aux fils électriques de la rue des Dôdanes.

Autre jeu : une bataille rangée de part et d’autre de la ligne de chemin de fer, au pré Cretin, entre jeunes louhan-nais et castelrenaudins, armés de « bazookas », c’est à dire de frondes à grand pied qui expédiaient des marrons d’Inde. C’était assez dangereux et des belligérants ont eu des marques doulou-reuses. Nous utilisions des fourches tail-lées au bois des Greffes, avec élastiques tirés des chambres à air de pneus et du cuir récupéré chez le cordonnier de la rue de Châteaurenaud, M. Méroux, qui, cho-se amusante, avait apprivoisé un merle qui sifflait les premières notes de la Mar-seillaise ! …

En somme des vacances actives !

A la rentrée de 1944, notre profes-seur d’anglais, Mlle Riou, consacra quel-ques heures à nous apprendre et à nous faire chanter le God save the King une façon d’actualiser nos connaissances ré-centes de « grands commençants » puis-que, évidemment, l’allemand fut la pre-mière et seule langue étudiée dès la clas-se de 6e.

J’appris plus tard que des ensei-gnants avaient été maquisards : M. Da-niel Charbouillot, professeur d’anglais, voltigeur à la compagnie Colette, rescapé de l’accident de la jeep où fut blessé mor-tellement Robert Alaise le 4 septembre4.

M. Gérard Goetz, professeur de let-tres, dont nous goûtions l’humour quand il singeait les ténors de la Comédie fran-çaise en débitant les tirades classiques du programme ou bien quand il nous ap-prenait des jeux de mots latins comme « Caesar apportavit legato alacrem eo-rum ». Il fut sous-lieutenant à la compa-gnie Colette.

Notre collège ne fut pas à l’abri des turbulences de l’Occupation. Outre l’en-gagement en résistance de plusieurs pro-fesseurs, il faut rappeler celui des élèves de 17 à 20 ans des classes de 1ère et ter-minale, bacheliers ou non en 1943-1944, qui rejoignirent les rangs du maquis.

Au groupe Colette : Maurice Delorme, Jacques Dizier, Georges Finelle, Serge Ravillard.

Au groupe Robert : René Ridet, futur mé-decin vétérinaire…

Au groupe Frédo : Roger Huichard.

Liste non exhaustive à laquelle d’ailleurs il faut ajouter les engagements au 2e BCP ou dans d’autres unités de Marcel Burdy, Robert Guichard, Etienne Huchet, André Paricard…

Un élève pensionnaire de 1ère B, Mi-chel Grenard, 18 ans, en vacances à Pâ-ques chez ses parents à Oyonnax, fut vic-time de la rafle du 9 avril 1944 (83 hom-mes arrêtés). Il fut interné à Compiègne, déporté à Buchenwald le 14 mai puis au camp de Dora avant d’être libéré le 8 mai 1945. Plus malchanceux fut Henri Taril-lon, excellent élève de 1ère M, 17 ans, qui venait d’obtenir avec mention la 1ère par-tie du baccalauréat et qui eut le malheur de croiser à bicyclette un convoi alle-mand, le 17 juillet, au hameau des Ram-pes à Saint-Germain-du-Bois. Arrêté, il fut assassiné au bord de la route5.

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C’est en retrouvant Etienne Huchet, mon aîné de 5 ans, que j’ai appris de lui ce que j’ignorais de cette époque.

En classe de 1ère C au collège de Louhans en 1943-1944, Etienne faisait partie des grands que je croisais avec respect dans la cour de l’établissement. Sa classe était chargée avec 4 élèves en section A, 2 en B, 14 en C, 11 en M. Par-mi ses condisciples, il se souvient de Grenard, de Tarillon, mais aussi d’Alban Daumas dont le père était inspecteur de l’Enseignement Primaire et la mère, di-rectrice de l’école maternelle. L’un de ses camarades, Marc-Henri Beretta, inscrit le 16 janvier 1944, eut un parcours des plus spectaculaires. Auparavant élève du collège de Nantua, il avait été victime de la rafle du 14 décembre 1943 à l’issue de laquelle 150 hommes de 18 à 40 ans, dont 21 collégiens, ont été emmenés par train pour le camp de Buchenwald via Bourg-en-Bresse et Compiègne. Avec la complicité de cheminots, le train est ra-lenti suffisamment près de Saint-Amour pour que 11 prisonniers s’échappent dont Marc Beretta6. Sur 116 déportés, 95 ne sont jamais revenus. Le fugitif, avec l’accord du principal de Louhans, M. Co-lomb, suivra les cours de 1ère A et sera reçu à la première partie du baccalauréat dès la session de juin avant de retourner au collège de Nantua.

Tous les collégiens n’étaient pas fa-vorables aux mouvements de résistance. En plus des hésitants, certains étaient partisans de la Collaboration et rejoigni-rent la Milice (uniformes, dénonciations, actions violentes), tel l’élève de la classe de philosophie (1942-1943) Maurice Lé-tourneau, qui échoua au baccalauréat, suivit ses parents à Les Laumes-Alésia (Côte-d’Or) et intégra le collège d’Autun (1943-1944). Milicien à l’âge de 19 ans, devenu même chef de trentaine, il fut ar-rêté. En tentant de s’échapper le 20 octo-bre 1944 il fut abattu et son corps fut retrouvé dans l’Arroux (acte de décès non retranscrit à l’état-civil de Louhans). Il fut inhumé à Louhans le 20 décembre7.

M. Colomb, principal du collège de Louhans, était suspecté à tort de germa-nophilie : il eut le mérite d’accepter des

Juifs alsaciens réfugiés et d’inscrire sous un faux nom deux élèves juifs allemands, non naturalisés, dont le frère aîné, enga-gé volontaire dans l’armée française, avait été tué en 1940.

Nous eûmes pendant plusieurs an-nées des restrictions en tous genres : ali-mentation avec des ersatz peu goûteux, les pantalons-golfs au tissu truffé de fi-bres végétales désagréables, les chaussu-res à semelles de bois articulées ou non ; d’ou une croissance physique retardée, rattrapée en ce qui me concerne seule-ment en classe de première.

C’est bien plus tard que je pris goût à l’histoire, malgré les efforts de notre professeur M. Meunier, appelé Pinoks par ses élèves (les surnoms des ensei-gnants étaient monnaie courante) et qui était d’une grande conscience profession-nelle.

Seules distractions populaires : le football qui continuait au stade de Bram avec un regroupement de clubs de la zo-ne libre, majoritairement de l’Ain et du Rhône, dans un championnat Honneur du Lyonnais et le cinéma où l’on pouvait voir les films autorisés tels, Goupi mains rouges8 ou le Comte de Monte Cristo9, avec en première partie les actualités offi-cielles retraçant les prouesses des ar-mées allemandes et les activités gouver-nementales. Le tout était copieusement sifflé au point que la police dut obliger le propriétaire, M. Buatois, à laisser les lu-mières dans la salle de l’Eden pendant ces images de propagande. A noter que l’entrée était interdite aux moins de 16 ans pour de rares films tels l’Etoile de Rio et Le Jour se lève10.

Pour occuper mes loisirs, j’avais suivi quelques camarades de mon âge chez les scouts locaux, au sein du Grou-pe Jean du Plessis11 et de la patrouille des Ecureuils (…toujours… agiles !). C’é-tait l’attrait du camping, des sorties, des feux de camp, des grands jeux qui m’a-vait motivé, avec surtout le désir de ne pas rester isolé. En effet, rien n’existait localement dans le domaine des œuvres pour la jeunesse à part le scoutisme12 et l’Etoile louhannaise ; cette dernière asso-ciation offrant le football, la clique, le pa-

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tronage, les défilés et sa colonie de va-cances dans le Jura, à La Chaux-des-Crotenay.

Ayant obte-nu le grade de scout de 2e clas-se, j’eus l’hon-neur de partici-per avec quel-ques louhannais au fameux Jam-boree de la Paix qui se tint en 1947, à Mois-son, dans une boucle de la Sei-

ne, près de Paris. Nous avions rejoint la troupe Nicéphore Niepce, à ossature cha-lonnaise13. Au programme : des contacts chaleureux avec des scouts du monde entier, des découvertes culinaires telle la purée de pommes de terre avec biscotes tartinées de gelée de groseille à l’invita-tion d’une troupe écossaise, des prises de vues avec développement des négatifs au laboratoire de notre troupe, un spectacle avec les Frères Jacques, le tour du camp de 8 km sur le petit train que nous pre-nions en voltige, la visite du président Auriol accompagné du ministre Pierre Bourdan que j’ai pu photographier à leur passage sur notre train14.

Je dois ajouter que mon engage-ment ultérieur dans l’Education nationa-le m’a fait abandonner le milieu scout, élitiste, restrictif, hors duquel tous n’é-taient que des VP (« visages pâles ») infré-quentables !

Souvenirs, souvenirs…

Par mon épouse Angèle, je fis la connais-sance en 1955, de deux beaux-frères anciens maquisards : Christo-phe, dit Nini, né en 1921, qui fit partie de la Compagnie Desmoulins-15, actuellement retraité à Marseille et Jean, dit Jeannot, né en 1924

avec lequel j’ai des contacts fréquents car il demeure à Branges. Ce dernier m’a ra-conté quelques épisodes de sa jeunesse.

Travaillant avec son père Antoine Flexas à l’entrepôt de fruits et légumes près du garage Chevrier, rue du Guidon, il a vu les Allemands venir chercher leur nourriture alors que le maquis était servi en cachette à d’autres instants.

Il a même livré des légumes, conduit par des Allemands armés, au train blindé stationné en gare de Lou-hans. Un soir, après le couvre-feu, près de chez lui, il fut arrêté par une patrouil-le d’Allemands et l’un d’eux le recon-nut : « Ach , légoume ! », il put cette fois

Vincent Auriol, président de la République de 1947 à 1954. Ancien résistant, il avait rejoint Londres par avion en 1943 depuis le terrain « Orion » de Cosges, après avoir été emmené par un camion de Bernard Morey, de Cuiseaux au château de Ville-vieux. A sa gauche, Pierre Bourdan, ministre de la Jeunesse, des Arts et des Lettres. De son vrai nom Pierre Maillaud, journaliste, résistant, il disparut prématurément en mer le 15 juillet 1948, à l’âge de 39 ans, au large du Cap Nègre. (Var)

Les scouts formant une haie d’honneur pour le passage des personnalités. Au premier plan, je tiens mon petit appareil pour ne rien manquer de l’évènement

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éviter le pire. Il avait la passion de la mé-canique auto et conduisait dès l’âge de 16 ans avec une dérogation. Il avait transformé la Peugeot de son oncle Paul en voiture de livraison en modifiant la caisse.

Jeannot avait un grand ami qui ha-bitait rue des Lorettes, c’était René Mé-trey qui eut une fin tragique dans la ré-sistance. Jeannot se souvient qu’ils avaient eu de fausses cartes d’identité grâce à deux résistantes du mouvement Combat, Lucienne André et Jeanne Va-cher, téléphonistes à la poste. Il s’agissait de les rajeunir officiellement pour leur éviter le S.T.O.16. Etant un jour tous les deux sur le pont de la Seille, ils virent à l’autre extrémité une patrouille alleman-de contrôlant les papiers. René Métrey, qui détenait un révolver, le passa dans le dos à Jeannot qui le fit tomber à l’eau. Ils purent alors sans danger franchir le bar-rage.

Inséparables, les deux amis parta-geaient souvent la chambre de Jeannot. Un jour, celui-ci vit arriver René avec un poste-émetteur de radio, récupéré in ex-tremis lors de la rafle des résistants lou-hannais dont plusieurs connurent la dé-portation17. Ce poste fut provisoirement caché dans le grenier de la maison Flexas. René Métrey voulut emmener son ami Jeannot avec lui au maquis Marius près de Verdun-sur-le Doubs mais Jean

Flexas fut enrôlé le 20 juin dans le grou-pe Maury (lieutenant Lavallée).

Transporté avec six autres jeunes dans une ferme à Saint-Vincent-en-Bresse, ils y trouvèrent une grange à la paille accueillante à côté d’une mare où, par tradition, on poussait les nouveaux. Il sut remettre en marche un camion pris aux Allemands ce qui lui valut, octroyé par Maury, le rôle de conducteur. Avec, à son côté, une mitraillette Sten et une caisse de grenades, il participa aux opé-rations du groupe : carrefour de Quain, Mervans, Saint-Etienne-en-Bresse, Cui-sery, entre autres… Il eut aussi la chance de récupérer sur la route de Cuisery, dans un fossé, un FFI blessé à la jambe, René Ridet, du peloton Robert, ramené à Saint-Vincent-en-Bresse.

Une nuit, en compagnie de son frère Antoine, un ancien des Chantiers de jeu-nesse, il alla avec le camion de l’entrepri-se familiale participer au transport de containers parachutés dans le nord de la Bresse ; livraison faite, il a conservé en souvenir une toile de parachute.

De son séjour à Saint-Vincent-en-Bresse, il se souvient de menus peu va-riés, essentiellement du veau obtenu chez les fermiers proches et du fromage de Comté. Sans avoir revu son ami René Métrey, Jean Flexas sera démobilisé le 15 septembre 1944 et bénéficiera de l’attes-tation de Combattant volontaire de la Ré-sistance et de la pension d’ancien com-battant.

On le voit ici fièrement juché sur celle-ci

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René Métrey fit l’objet d’un article dans L’Indépendant du lundi 26 septem-bre 1944.

« Tragique fin d’un F.F.I .

Nous venons d’apprendre avec peine la tragique fin d’un de nos jeunes compa-triotes F.F.I., victime de la barbarie alle-mande, René Métrey, âgé de 22 ans, ou-vrier chez son beau-frère, M. Jules André, coiffeur, Rue du Guidon. Réfractaire au S.T.O., emmené de force en Allemagne où il ne resta que 4 mois, René Métrey partit au maquis dès la première heure et il fai-sait partie du groupe Marius installé dans la région de Saint-Martin-en-Bresse. Au début du mois de juillet, alors qu’il s’en allait prendre la garde, il se blessa de 4 ou 5 balles de mitraillette à la jambe gau-che et cet accident l’immobilisa pendant plus de 6 semaines. D’abord soigné à la clinique Sorlin, il avait été dirigé sur Va-rennes-Saint-Sauveur où le docteur Gui-met l’avait placé en sécurité dans une fer-me de la commune, puis ensuite dans une maison de Saint-Nizier-le-Bouchoux.

Dès sa guérison, fin août, le blessé rejoignit son groupe et, peu après, survint la retraite allemande. Le 7 septembre il se

trouvait dans la région de Seurre, à Auvil-lars-sur-Saône, avec 7 camarades armés, et c’est alors que le petit groupe tomba dans une embuscade et fut fait prisonnier par les Allemands.

Emmenés au bureau de la Komman-dantur installé dans un château voisin, les 8 prisonniers furent longuement inter-rogés par un colonel. Ils eurent même une lueur d’espoir en apprenant qu’à la suite d’une pressante démarche effectuée par la propriétaire du château auprès de l’offi-cier allemand, celui-ci avait donné sa pa-role d’honneur qu’ils ne seraient pas fusil-lés. Mais que vaut la parole d’honneur d’un officier allemand ?

Deux jours plus tard, les jeunes F.F.I. étaient partagés en deux groupes et emmenés dans un bois voisin où ils étaient abattus à bout portant.

Les 8 corps ont été inhumés près de l’église d’Auvillars et, aujourd’hui, celui de René Métrey doit être ramené à Louhans où auront lieu ses obsèques demain mar-di. »

Pour rejoindre son groupe, René Métrey avait emprunté la bicyclette de son ami Jeannot, et bizarrement, c’est la gendarmerie de Nevers qui avisa son pro-priétaire de sa restitution possible grâce à la plaque d’identité obligatoire sur les cycles de cette époque !

Que de souvenirs évoqués en famille ou entre condisciples retrouvés avec plai-sir, au risque de radoter… une fois de plus !

Portrait de René Métrey sur sa tombe au cimetière de Louhans. © Cliché Michel Delay

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1 Poésie de Victor Hugo, Hymne -Les chants du crépuscule-, juillet 1831. 2 L’Indépendant du 14 octobre 1944. Incarcérés d’abord à la prison de Louhans, certains de ces prévenus furent transférés en partie à La Guiche et à Digoin avant d’être relaxés ou condamnés à 10 ou 15 ans d’in-dignité nationale (15-2-1945) ou même à 5 ans de prison et à l’indignité nationale à vie (17-4-1945). 3 René Pacaut, Maquis dans la plaine, 2005, 7e édition. 4 Ibidem, pages 294-295. 5 Les circonstances de la fin tragique d’Henri Tarillon sont relatées par Olivier Gauthier dans son ouvrage, Une résistance française en Bresse et en Bourgogne, chapitre 30, Editions de l’Escargot Savant, 2011. 6 La rafle de Nantua, vidéo réalisée en 2013 par Jean-Michel Zazzi avec les élèves du lycée Xavier Bichat de Nantua. Récits de Jean Rogier et Marc Beretta, collégiens évadés du train. 7 « Tragique fin d’un milicien », L’Indépendant, chronique de Louhans, 7 novembre et 23 décembre 1944. 8 Film français de Jacques Becker, 1943. 9 Film français de Robert Vernay, 1943. La meilleure adaptation d’Alexandre Dumas d’après les cinéphiles, avec des acteurs célèbres tels Pierre Richard-Willm, Aimé Clariond, Lise Delamare, Louis Salou… 10 Film français de Marcel Carné, 1939. 11 Jean du Plessis de Grenédan, lieutenant de vaisseau, a commandé le dirigeable le Dixmude, disparu en mer le 20 décembre 1923. Il avait 31 ans. 12 Le scoutisme, interdit en zone occupée, représentait des valeurs proches de celles préconisées par le ma-réchal Pétain. Il connut un fort développement de 1940 à 1944 avec un effectif passé de 42000 à 160000. Bon nombre de chefs entrèrent en résistance dès 1942-1943 ainsi que des scouts aînés (les Routiers). 13 Chalonnais d’origine, Nicéphore Niepce (1765-1833) fut l’inventeur de la photographie. 14 Photo prise avec un appareil Kodak Bullet-Camera aux négatifs 4x6,5 qui me servira aussi en Algérie en 1957. 15 Robert Petit et Michel Debost, « Le moulin de Bacot à Sagy », Bulletin des Amis des arts, n° 43-2015, pa-ges 29-38. 16 Service du Travail Obligatoire, auquel étaient soumis les hommes nés en 1920, 1921, 1922 (loi du 16 février 1943). Pour ne pas partir en Allemagne, les réfractaires ont souvent rejoint les rangs du maquis. 17 Rafle du 15 mai 1944, voir Maquis dans la plaine, pages 147-148.

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