62
Milhyris, La Douceur ancienne . Illustrations de Gell. Paris : Ed La Caravelle, 1931 Le chant sourd du pass m’attire Et me rappelle… R. Vivien.

Milhyris, « La Douceur ancienne ». Illustrations de Gellô

  • Upload
    others

  • View
    3

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Milhyris, « La Douceur ancienne ». Illustrations de Gellô

Milhyris, � La Douceur ancienne �. Illustrations de Gell�. Paris : Ed La Caravelle, 1931

Le chant sourd du pass� m’attireEt me rappelle…

R. Vivien.

Page 2: Milhyris, « La Douceur ancienne ». Illustrations de Gellô

Milhyris, � La Douceur ancienne �. Illustrations de Gell�. Paris : Ed La Caravelle, 1931

A mon Amie G.Ces vers o� l’Autrefois s’attarde.

Page 3: Milhyris, « La Douceur ancienne ». Illustrations de Gellô

Milhyris, � La Douceur ancienne �. Illustrations de Gell�. Paris : Ed La Caravelle, 1931

saphiques

Page 4: Milhyris, « La Douceur ancienne ». Illustrations de Gellô

Milhyris, � La Douceur ancienne �. Illustrations de Gell�. Paris : Ed La Caravelle, 1931

A L’OMBRE DU PASSE

A l’ombre du Pass�, reposante et si douce,Nous venons t’�voquer, � Tresseuse d’Iris !Et, sur ton front p�li, m�ler au myrte, au lys,La tendre violette et l’arome de mousse.

Sur le lit de coraux o� la Sir�ne rousseSe caresse � l’�cho de tes chants de Jadis,Regrettes-tu la plainte et l’extase d’Atthis,La vague du D�sir qui gronde et qui courrouce ?

Rappelle-toi les soirs lesbiens sur la mer,Le baiser d’Eranna, suavement amer…Et, pour nous qui chercherons le parfum de tes traces,

Rallume le flambeau du divin Autrefois,Rends-nous le fier amour, le courage et la foi,Psappha l’inoubli�e, ardente fleur des Gr�ces !

Page 5: Milhyris, « La Douceur ancienne ». Illustrations de Gellô

Milhyris, � La Douceur ancienne �. Illustrations de Gell�. Paris : Ed La Caravelle, 1931

LES VIERGESAUX VERGERS

Un matin sur Mytil�ne. Au loin, la ligne violette de la merEntre les feuillages des vergers baign�s de soleil, passent et repassent, ondoyant comme de fragiles papillons, les p�plos d’azur, de neige, de safran, des Kithar�des.En tunique couleur de flamme, Psappha se tient un peu � l’�cart, dans une pose m�ditative.

DIKA, tressant des guirlandes.Entrela�ons, mes sœurs, l’aneth et l’hyacinthe, Le narcisse pourpr�, l’iris aux belles fleurs.Sur nos seins que rapproche une si douce �treinte,De l’arum et du lys effeuillons les p�leurs.

ANDROMEDAOh ! ces p�leurs de nacre et de laiteuse aurore,N’ont-elles point l’�clat velout� de ta chair,Atthis aux glauques yeux, plus bleus que le phosphore,Atthis, toi dont le rire entre tous est si clair ?

ATTHIS, avec un geste de coquette protestation.Ch�re, vous oubliez la vierge la plus blonde,Eranna que Sapph� c�l�bra dans ses chants,La Muse qui se berce au murmure de l’ondeEt languit chaque soir de la mort des couchants.

ERANNA, s’inclinant.Ta louange, � tr�s belle ! est un miel d�lectable.A mon tour, je dirai, sur le paktis d’argent.De ma blanche Myr�, la sveltesse d’�rable,Et le go�t printanier de son amour d’enfant.

MYRO, c�linement admirative.Dans ces riants vergers o� coule la lumi�re,Tu rayonnes ainsi que le souci dor�,Amie au tendre col ! De Timas l’�ph�m�re,Seul le charme �bloui peut t’�tre compar�.

TELESIPPA, qui semble poursuivre un r�ve.Compagne aux fr�les doigts experts � la caresse.Timas que nous pleurons, Timas, toi que j’aimais,Se peut-il que ta gr�ce � nouveau m’apparaisse,Revive en Mnasidis, ce sourire de Mai ?

MNASIDIKA, entrem�lant de lotos et de myrtes les sombres anneaux de sa chevelure.

Page 6: Milhyris, « La Douceur ancienne ». Illustrations de Gellô

Milhyris, � La Douceur ancienne �. Illustrations de Gell�. Paris : Ed La Caravelle, 1931

O dansante et si ch�re au cœur de notre A�de,Tu r�jouis mes yeux �pris de changement,Et je m�le ton nom � celui qui m’obs�de :Damophyla, la vierge au front viril d’amant.

DAMOPHYLA, qui entoure d’un bras protecteur la taille de Gurinn�.

Inconstante amoureuse, � toi qu’appelle encoreEt cherche Bilitis, en l’�le d’Astart�,Gurinn� la pensive est celle que j’adoreGurinn� que vainquit nagu�re ta beaut�.

GUIRINNO, une nostalgie dans ses prunelles tristes.

Heureux le corps aim� qui, dans tes bras, repose,Chasseresse au profil d’�ph�be triomphant !Tu m’�voques Sapph�, son haleine de rose…Instille-moi l’oubli de son baiser fuyant.

ANAGORA, secouant la t�te.L’oublier ? le peut-on, celle qui prit notre �meAux sons graves et chauds de sa vibrante voix,Celle qui nous versa la langueur et la flamme,Le D�sir qui nous br�le et transit � la fois ?

PSAPPHA, jusqu’ici demeur�e silencieuse,s’avance au milieu de ses compagnes qu’elle enveloppe

d’un regard de tendresse infinie.Et moi, je vous enclos au jardin de mes songes,L’une aussi bien que l’autre, et pour l’�ternit�,Douces dont la ferveur m’embaume et se prolonge,Vous, mon troublant souci, ma chaste volupt� !

DIKA, laissant tomber ses guirlandes aux pieds de la Tisseuse de Violettes, tandis que les autres vierges

l’accompagnent du chant de leurs luths altern�s.O Psappha, nous voulons, sur ta chair d’hyacinthes,Nous faire ton collier de palpitantes fleurs…Le Temps cruel, le Temps qui brise les �treintes,Ne saura d�sunir nos lys de tes p�leurs.

Page 7: Milhyris, « La Douceur ancienne ». Illustrations de Gellô

Milhyris, � La Douceur ancienne �. Illustrations de Gell�. Paris : Ed La Caravelle, 1931

Pour Olga Jacquet.

HARMONIE DU SOIR

Comme un vol de ramiers sous le ciel vaporeux,Ondulent deux p�plos aux flamboiements d’opale.Et Rhodis l’Argienne, et Lyd� la tr�s p�le,Suivent indolemment le chemin sinueux.

Le vent lascif et ti�de a m�l� leurs cheveuxD’�b�ne sans reflets et de pourpre automnale…Et, dans leurs cœurs, frissonne, en la paix vesp�rale,Le songe inexprim�, plus doux que les aveux.

La plus jeune s’appuie � sa tendre compagne…Des colchiques frileux qu’abrite la montagne,L’intense violet refleurit en leurs yeux.

Plus lentes, elles vont, dans le soir qui d�cline.Et la m�me langueur, oppressante et divine,Fait trembler � leurs cils des pleurs silencieux.

Page 8: Milhyris, « La Douceur ancienne ». Illustrations de Gellô

Milhyris, � La Douceur ancienne �. Illustrations de Gell�. Paris : Ed La Caravelle, 1931

AINSI CHANTAIT PSAPPHAAtthis, mon souci…

L’aube vient dorer tes cheveux de chim�reQu’encense toujours une odeur de baisers.Que frissonne encore ma caresse l�g�re

Sur tes seins gris�s.

De toute ta chair, amante liliale,Se d�gage et monte un parfum de printemps.Que fuse et m’enivre, en l’ombre nuptiale,

Ton rire chantant.

Et que s’abandonne � l’�treinte �perdue,Ton corps aux fra�cheurs savoureuses de fruits,O vierge semblable � l’Aphrodite nue,

Douceur de mes nuits !

Page 9: Milhyris, « La Douceur ancienne ». Illustrations de Gellô

Milhyris, � La Douceur ancienne �. Illustrations de Gell�. Paris : Ed La Caravelle, 1931

ATTHIS SE SOUVIENTJe t’aimais, Atthis, autrefois…

Aux confins du bois jaunissant,Erre comme une ombre lass�e,Sœur de l’automne finissant,Celle que l’amour a bless�e.

Atthis, toi le verger en fleurDont Psappha respirait les roses…Atthis, aujourd’hui la DouleurFait se faner tes l�vres closes.

Seule et triste ainsi dans la nuit,O languide amoureuse, �coute,Tandis que s’apaise tout bruit,Au loin, tournoyer par la route,

En l’air amolli de parfums,Les m�lancoliques cohortesDe tes songes si t�t d�funts,Et la ronde des feuilles mortes…

Page 10: Milhyris, « La Douceur ancienne ». Illustrations de Gellô

Milhyris, � La Douceur ancienne �. Illustrations de Gell�. Paris : Ed La Caravelle, 1931

A Mia Elen.

DEVANT LA MER

Dressant sa t�te fine aux courts cheveux bleut�s,Psappha de Mytil�ne, ardemment brune et p�le,Arr�te sur la vierge aux regards indompt�s,Ses yeux d’Ok�anide � la lueur d’opale.

– Eranna la tr�s fi�re, Eranna mon amour,D’aucunes ont connu l’�moi de tes prunellesEt l’�clair jouisseur de leur glauque velours.Pourquoi me pr�f�rer ces obscures mortelles ?

O tr�s ch�re insensible aux charmes si touchants,Ecoute palpiter mon sein sous la chlamyde !A tes flexibles doigts, unis mes doigts br�lants,Et recueille ces pleurs sur ma paupi�re humide.

Vois, le sable est plus blond que le miel des ruchers,Les algues ont l’azur des fr�les violettes,La nacre des arums, le rose des p�chers.Sens monter de la mer un go�t de cassolettes !

Un frisson a pass� sur ta nuque, Eranna,Et ta gorge aux blancheurs soyeuses de colombes…L’heure que nous vivons ne se fanera pas,Son ar�me enivrant nous suivra dans la tombe. –

Au doux creux de l’�paule � la vigueur d’amant,La vierge au front altier laisse rouler sa t�te,Et Sapph�, l’attirant sur son cœur v�h�ment,Aprement savoura l’orgueil de la conqu�te.

Page 11: Milhyris, « La Douceur ancienne ». Illustrations de Gellô

Milhyris, � La Douceur ancienne �. Illustrations de Gell�. Paris : Ed La Caravelle, 1931

Pour Diane de Villeneuve.

A L’ARTEMIS

Art�mis aux yeux d’or, l’autre nuit je t’ai vue,Menant le chœur hardi des vierges de Tauride.Au sein du bois sacr�, plus d’un regard avideConvoitait sourdement ta gr�ce demi-nue.

Mais te jouant des dieux � la face cornue,Tu passais en l’envol neigeux de ta chlamyde,Humant l’odeur du cerf et de la mousse humide…En mon r�ve, ardemment, je t’avais reconnue.

Moi, Myrrhinidion, l’enfant brune et sauvageDont nul berger ne vit s’alanguir le visage.Seule, tu m’as conquise, � Chasseresse p�le !

Aussi, je te consacre, androgyne D�esse,Le go�t non respir� de ma neuve tendresse,Et mon cœur d�daigneux de l’emprise du m�le.

Page 12: Milhyris, « La Douceur ancienne ». Illustrations de Gellô

Milhyris, � La Douceur ancienne �. Illustrations de Gell�. Paris : Ed La Caravelle, 1931

ARPEGES DANS LA NUIT

Soupirante ainsi que le chant de l’Eg�e,R�ve languissamment l’�me du paktis,Et ta voix s’�l�ve, Anyta de T�g�e,

Au verger de lys.

Au verger lunaire, ouat� de silence,Qu’embaume le songe extatique des fleurs.Dis-nous de Lesbos l’amoureuse souffrance,

Le miel des douceurs.

Module fervemment l’hymne des caresses,L’hymne qui ber�ait les blanches p�moisons ;Rythme tour � tour l’aurore des tendresses,

Leur effloraison.

Et que, r�veillant les d�tresses anciennes,La plainte de l’A�de et son r�le de mort,Ta kithare sanglote, � Musicienne !

Un supr�me accord.

Page 13: Milhyris, « La Douceur ancienne ». Illustrations de Gellô

Milhyris, � La Douceur ancienne �. Illustrations de Gell�. Paris : Ed La Caravelle, 1931

Pour G.

MENADE

Ses yeux roux ont l’�clat des pampres de l’automne.La fauve obliquit� de son regard �tonne.

Sombre et lustr�, le bleu de ses boucles dansantesEst pareil � celui des grappes odorantes,

Des vignes de Lesbos, o� fermente la s�veInstillant le D�sir et l’ivresse du R�ve.

Elle hante les bois bruissants de cymbales,O� flambe le narcisse aux ors de chrysocale.

A l’heure vesp�rale o� r�gne Kyth�r�e,Sa voix d’hermaphrodite, �trangement timbr�e,

Scande l’orgiaque chant, l’hymne de fr�n�sie,Que modulait Iakkos au souffle d’ambroisie.

D’un bond preste, elle �chappe au faune simiesqueQui la suit, en gloussant, de son rire burlesque.

Elle a l’�loignement de la force brutale,Prolonge du plaisir la douceur qui s’exhale.

C’est pourquoi, par les soirs d’encens, de cinnamone,R�vant d’un souple corps aux langueurs d’an�mone,

Avec un ambigu sourire, elle se pencheSur la nymphe endormie et divinement blanche.

Page 14: Milhyris, « La Douceur ancienne ». Illustrations de Gellô

Milhyris, � La Douceur ancienne �. Illustrations de Gell�. Paris : Ed La Caravelle, 1931

L’AUTREFOIS QUI SURVIT

Dans le doux cr�puscule aux teintes violettes,Pr�s de Psappha qui r�ve, elles sont toutes l� :Eranna de T�los, promie � l’Au-Del�,Myr�, ses blonds cheveux cercl�s de bandelettes.

Les roses du verger, vivantes cassolettes,Se fanent sous tes doigts, p�le Damophyla…Et, dans l’ombre, pleurant l’amour qui s’envola,Atthis, aux yeux voil�s, baise ses amulettes.

Les beaux soirs sont d�funts. Tout s’estompe et tout passe.Mytil�ne n’est plus qu’un songe qui s’efface.Mais les chants de l’A�de ont gard� leur velours,

Et la vierge Eranna, sous l’or pur de ses tresses,Erre encore dans l’Ile o� fleurit pour toujoursLes lys myst�rieux des suaves tendresses.

Page 15: Milhyris, « La Douceur ancienne ». Illustrations de Gellô

Milhyris, � La Douceur ancienne �. Illustrations de Gell�. Paris : Ed La Caravelle, 1931

Du temps que j’�tais p�tre

Page 16: Milhyris, « La Douceur ancienne ». Illustrations de Gellô

Milhyris, � La Douceur ancienne �. Illustrations de Gell�. Paris : Ed La Caravelle, 1931

TIRCIS PARLE

J’ai r�d� tout le jour par les monts, la for�t,Moi, le blond chevrier dont les yeux d’eau couranteRefl�tent tes p�leurs, � Na�ade dormante !Et, des sylvestres dieux, j’ai surpris le secret.

Les faunes qui dansaient en leur feuillu retraitM’ont couronn� de sauge et de pourpre amaranthe,Et mes dents ont m�ch� la foug�re odoranteQue la nymphe �grenait d’un doigt lent et distrait.

Maintenant c’est le soir. Il fra�chit un z�phyre.Pan, voici que ta fl�te, en les halliers, soupire…Ainsi qu’une bachique et grisante liqueur,

Le suc miell� de l’herbe � ma l�vre persiste,Et je sens s’amollir et se fondre mon cœurAu chant de la syrinx amoureuse et si triste.

Page 17: Milhyris, « La Douceur ancienne ». Illustrations de Gellô

Milhyris, � La Douceur ancienne �. Illustrations de Gell�. Paris : Ed La Caravelle, 1931

BUCOLIQUE

– � Les mousses, me dit-il, ont un encens plus fou.Tendre enfant, j’ai r�v�. Je veux r�ver encore.Tes cheveux de ma�s, tes cheveux que j’adore,Comme une herbe d’amour s’enroulaient � mon cou.

Et leur jeune parfum me grisait tout-�-coup,Plus acide et plus frais que le vin d’une amphore.J’aurais voulu me fondre en ton �tre d’aurore,Ma bouche sur ta bouche, au clair de lune flou. �

Il se tait. Le jour meurt. La ramure est plus verte.Ses l�vres ont le go�t d’une p�che entr’ouverte.Autour de nous s’�tend l’ombre auguste des cieux.

Ma main, comme un oiseau, tremble dans sa main nue,Et le cœur d�faillant d’une ivresse inconnue,Je sens peser sur moi l’eau glauque de ses yeux.

Page 18: Milhyris, « La Douceur ancienne ». Illustrations de Gellô

Milhyris, � La Douceur ancienne �. Illustrations de Gell�. Paris : Ed La Caravelle, 1931

AU DIEU DE L’ETE

Pour toi, Dieu de l’Et� dont le regard me br�le,Toi qui fais flamboyer l’indigo de ce ciel,J’offre ces blonds g�teaux de pavots et de miel,Et le chant pastoral que ma fl�te module.

Eph�be rayonnant aux cheveux de lumi�re,Le gazon s’est dor� que tes pas ont fr�l�.Vois, je m�le au lotos le narcisse �toil�Et le myrte fleuri sous ta caresse alti�re.

Je les tresse, � cher Dieu des br�ves nuits d’extase,Des nuits lourdes d’odeurs o� clame le D�sir,Je les tresse en r�vant de pouvoir retenirSur mes l�vres d’amant ton souffle qui m’embrase.

Ainsi que Pho�bos, par les soirs d’Ionie,Se charmait � la voix du langoureux berger,Dieu cl�ment, daigne entendre, en l’azur si l�ger,Soupirer de mon chant l’�rotique harmonie.

Page 19: Milhyris, « La Douceur ancienne ». Illustrations de Gellô

Milhyris, � La Douceur ancienne �. Illustrations de Gell�. Paris : Ed La Caravelle, 1931

Evocations

Page 20: Milhyris, « La Douceur ancienne ». Illustrations de Gellô

Milhyris, � La Douceur ancienne �. Illustrations de Gell�. Paris : Ed La Caravelle, 1931

Pour Olga Jacquet.

CLEOPATRE, UN SOIR…

Elle est lasse des voix de douceur lydienne,Du tympanon sonore et des sistres chanteurs,De la harpe pleurant ses subtiles langueursAux doigts lisses et bruns de la musicienne.

Son regard ne suit plus la danse a�rienne,Mais, lointain, il �voque, en de fauves lueurs,Le sombre amour qui br�le et corrode les cœurs,L’amour qui sut ployer son �me olympienne.

Et, sphynx inqui�tant au front p�le et gemm�,Tordant son corps menu, de fi�vres consum�,Son corps marmor�en, urne d’ivresse br�ve,

La reine aux yeux d’agathe, aux yeux longs et cruels,Parmi les flots de myrrhe et d’encens rituels,S’�tire mollement comme un f�lin qui r�ve.

Page 21: Milhyris, « La Douceur ancienne ». Illustrations de Gellô

Milhyris, � La Douceur ancienne �. Illustrations de Gell�. Paris : Ed La Caravelle, 1931

A Jos�e Guion.

PARMI LES NYMPHEAS

Parmi les nymph�as et l’ambre des roseaux,Avec ses fins cheveux tiss�s d’or diaphane,Albe et fragile lys qui languit et se fane,Oph�lie a voulu r�ver le long des eaux.

Ses doux yeux �gar�s aux tendresses dolentesRefl�tent sans les voir les iris du printemps,Et, de ses doigts de nixe, elle tresse en chantantLa pr�le des marais et les souples adiantes.

Que se courbent les joncs devant le lent tr�pasDes narcisses �pris de leur gr�ce onduleuse…Narcisses qui tremblez de volupt� frileuse,Dans la mort �treignant votre chair de lampas.

Oph�lie est venue errer le long des berges…De la nappe tranquille et glauque de l’�tang,Monte comme un appel d’amour inqui�tant,L’encens des n�nuphars � la p�leur de cierges.

Oh ! ce que cet arome insinue au cœur lasDe la fille des fjords qui se souvient et songe…Oppressante douceur du Pass� qui la ronge !Les serments sont fan�s ainsi que les lilas.

Oh ! clore pour toujours ses trop lourdes paupi�res ;Ne plus penser, dormir, sous le ruissellementDes p�tales tomb�s ; n’�tre plus seulementQu’un rayon qui se meurt au d�clin des lumi�res !…………………………………………………………………………………………

En sourdine, pleurez, violes des roseaux…Une forme l�g�re a gliss� sous les branches.La vierge qui r�vait, pr�s des corolles blanches,S’en va, fleur elle-m�me, au fil d’argent des eaux.

Page 22: Milhyris, « La Douceur ancienne ». Illustrations de Gellô

Milhyris, � La Douceur ancienne �. Illustrations de Gell�. Paris : Ed La Caravelle, 1931

A BERNGERE DE DIE

Je songe, Trouveresse, � votre amour l�ger,Fleurant la citronnelle et l’agreste lavande…O m�di�val amour dont je go�tai l’offrande,En le recueillement d’un lilial verger !

Un verger de Provence o� venaient voltiger,Ainsi qu’une neigeuse et suave guirlande,Les fleurs de seringas � la senteur d’amande.Vos cheveux vous casquaient en �trange berger,

Et vos yeux refl�taient la turquoise �blouieDes flots musiciens de la mer d’Ionie.En vous, je retrouvais l’A�de aux flancs dor�s,

Sapph� dont me br�la le r�ve insatiable…Fugitive douceur ! mon cœur reste immuable,Et j’esp�re l’Amie en qui vous revivrez.

Page 23: Milhyris, « La Douceur ancienne ». Illustrations de Gellô

Milhyris, � La Douceur ancienne �. Illustrations de Gell�. Paris : Ed La Caravelle, 1931

A Mme Kalas.

EN MARGE DU XVIe

Du feuillage nouveau, s’�goutte le soleil.Les aub�pins d’Avril et les pommiers sont roses.Et ma Dame, au jardin, r�ve, paupi�res closes,Son visage pourpr� de l’or d’un rais vermeil.

O mon cœur o� fleurit le renaissant �veil,Chante, dans le matin, tant de fra�cheurs �closes !Elle muse parmi ses sœurs, les passe-roses,Qui jalousent sa joue � l’�clat non-pareil.

– Mie au doux regarder qui bless�tes mon �me,Voyez, pr�s du pigeon, la pigeonne se p�me…Moi qui plus vous ch�ris, resterai-je � l’�cart ?

Que votre l�vre, baume et saveur d’ambroisie,Votre l�vre si bonne � la mienne choisie,Se pose sur la plaie o� l’Amour mit son dard.

Page 24: Milhyris, « La Douceur ancienne ». Illustrations de Gellô

Milhyris, � La Douceur ancienne �. Illustrations de Gell�. Paris : Ed La Caravelle, 1931

A Ren�e de Brimont.

LUNE AUX PARTERRES

Septembre, symphonie en ocre glorieux…La lune de douceur des soirs d’Ile de FranceCerne d’argent les ifs � la noble ordonnance,Et le Palais revit un songe harmonieux.

O roses ! volupt� de Ronsard et des Dieux,Ultimes roses chair de fragile nuance,Vous embaumez ainsi qu’en ces nuits d’indolenceO� l’Amour soupirait ses accents captieux.

La m�me brume �pand ses grisailles d’estampes…Diane au clair profil, et vous, Anne d’Etampes,Je crois vous voir surgir du myst�re de l’ombre.

Mais la voix du jet d’eau, fusant parmi les fleurs,Se f�le comme un rire o� grelottent des pleurs.– Fugacit� de l’heure ineffable qui sombre !

Page 25: Milhyris, « La Douceur ancienne ». Illustrations de Gellô

Milhyris, � La Douceur ancienne �. Illustrations de Gell�. Paris : Ed La Caravelle, 1931

Pour Andr�e Saint-Ys.

IL PLEUT SUR TRIANON

Il pleut sur Trianon l’or des ultimes feuilles,Palpitantes ainsi que des oiseaux bless�s…Leur vol erre dans l’ombre aux gris bleus effac�s,Comme ton cher fant�me, Automne qui t’endeuilles !

Leur vol r�de, tournoie et s’abat sur l’�tangQui se moire de rouille et de pourpre saignante…Et l’eau triste soupire, � Beaut� d�clinante !Son intime regret de la fuite du Temps.

Car elle sut garder, cette onde qui frissonne,L’�me des jours anciens et l’odeur du Pass�,La neige d’un beau front, d’ivresse caress�,Et le chant des baisers que la l�vre ran�onne.

Comme un lotus bl�mi, qu’avive un flot dormant,Jadis semble rena�tre avec le cr�pusculeEt des formes de songe, au vent froid qui hulule,Dans le brouillard laiteux, se l�vent lentement :

La Reine aux blonds cheveux d’argent p�le et de lune,Lamballe poursuivant un r�ve nuanc�…Elles glissent aupr�s de l’Amour d�laiss�,Et les feuilles, toujours, voltigent une � une.

O fun�bres parfums qui montez, insistant !Senteur �cre des buis, go�t fade des tro�nes,Vous m�lez en secret vos frileuses haleines…Et les ombres se noient dans le soir grelottant.

Toi seul, � Souvenir ! dolent, tu te recueilles,En la cendre et l’�cho des bonheurs dispers�s…On entend susurrer les doux tapis froiss�sQue tisse � Trianon l’or des ultimes feuilles.

Page 26: Milhyris, « La Douceur ancienne ». Illustrations de Gellô

Milhyris, � La Douceur ancienne �. Illustrations de Gell�. Paris : Ed La Caravelle, 1931

Au peintre Bocquet.

VESLE EMBRUMEE

L’horizon si l�ger prend des touches d’opale.Entre les fins il�ts de joncs et de roseaux,Miroitent doucement, sous l’ocre des rameaux,Les bleus lam�s d’argent de la Vesle automnale.

Paysage du Nord, en demi-teinte astrale…Un fluide brouillard a noy� les bouleauxD’une cendre pareille aux grisailles des eaux,Aux violets fan�s de l’ombre vesp�rale.

Et mon r�ve croit voir, en le jour qui s’exhale,Une ondine tressant sa chevelure p�le,Parmi les grands iris aux flexibles fuseaux.

Le flot chante en mineur une mort id�ale,Et la Nixe m’appelle, �trange et musicale…Sa voix et ses cheveux m’ont pris en leurs r�seaux.

Page 27: Milhyris, « La Douceur ancienne ». Illustrations de Gellô

Milhyris, � La Douceur ancienne �. Illustrations de Gell�. Paris : Ed La Caravelle, 1931

DECLIN D’AUTOMNE

Un ciel bleu de scabieuse et doux au cœur bless�,Au cœur que fit saigner l’ardente mort des roses…Et, dans l’air o� se tra�ne un arome lass�,Le mol frissonnement des corolles d�closes.

Plus de trilles fil�s sous les ormes frileux,La Dryade se cache au myst�re des branches,Et, le long des futaies au murmure soyeux,La brume, en voltigeant, s�me ses larmes blanches.

Un jet d’eau se lamente en arp�ge dolents.Et, suivant le caprice onduleux de l’all�e,L’Automne aux voiles gris s’achemine � pas lents,Belle de la langueur d’une fleur effeuill�e.

Le regret de Nagu�re ombre ses yeux meurtris,O tendres yeux br�lants d’amoureuse et d’amante…Les baisers frais cueillis sont aujourd’hui fl�tris,La ramure a perdu sa ti�deur soupirante.

Triste et pourtant sereine en le jardin terni,La Dame aux cheveux d’ambre, erre, m�dite, passe.L’aigre vent qui cinglait, soudain s’est assoupi,Viole nostalgique, au lointain, dans l’espace…

Et la Nymphe esseul�e en l’or roux des buissons,Appelle et sent venir la paix du cr�puscule.Le glas du R�ve tinte o� fl�taient des chansons.Pour un thr�ne � mi-voix, une source module…

Page 28: Milhyris, « La Douceur ancienne ». Illustrations de Gellô

Milhyris, � La Douceur ancienne �. Illustrations de Gell�. Paris : Ed La Caravelle, 1931

A Ren�e Vivien.In m�moriam.

VERS CELLE QUI REPOSE

Mon r�ve, seul, a su ta langueur et tes yeux,L’or �bloui, l�ger, de tes cheveux soyeux.

Et je n’ai pas senti, sur mon front, ta main fr�le,Un instant se poser avec un frisson d’aile.

O Ren�e ! O Ferveur ! Seul, mon r�ve a tiss�Le crocus de la vierge au doux myrte enlac�.

Je n’�tais qu’une enfant, s’�veillant � la vieComme une fleur d’Avril ignorante et ravie.

Et toi, le cœur �pris d’un impossible Ailleurs,Ton regard se tournait vers l’Au-Del� meilleurs.

L’Archange de la Mort, ceint d’apaisantes roses,D’un doigt pieux, ferma tes paupi�res mi-closes.

Et tu dors en ses bras, du sommeil souhait�,Dans l’Had�s poursuivant un songe de Beaut�.

Tu dors, loin de ce monde aux Po�tes hostile,D’o� l’Amour incompris, en silence s’exile.

Tu dors… Devant la st�le o� s’effeuillent des lys,Je r�ve � ce que fut ta gr�ce de Jadis.

Et j’�voque tes yeux, douceur qui me chavire,Ta voix, chant de kithare, �cho bris� de lyre…

P�le de la p�leur des arums, des jasmins,Tu n’�toileras plus nos mystiques chemins.

Mais l’Automne transi, les couchants d’am�thyste,M’ont gard� le reflet de ton sourire triste.

Les vers crucifiants, o� saignent tes rancœurs,M’instillent � la fois ton ivresse et tes pleurs.

Ton souvenir embaume � jamais ma pens�e,Telle une violette id�ale et lass�e.

Page 29: Milhyris, « La Douceur ancienne ». Illustrations de Gellô

Milhyris, � La Douceur ancienne �. Illustrations de Gell�. Paris : Ed La Caravelle, 1931

Et, dans le jardin calme, encens� de soupirs,Tu glisses en la brume o� flottent les z�phyrs ?

Je te sens invisible au retrait de l’all�e,Toi que mon r�ve appelle, � ch�re ombre envol�e !

17 novembre

Page 30: Milhyris, « La Douceur ancienne ». Illustrations de Gellô

Milhyris, � La Douceur ancienne �. Illustrations de Gell�. Paris : Ed La Caravelle, 1931

DESIR

Au rond-point d’une all�e, elle m’est apparue,Dans le rouge cuivr� des feuillages de sang,L’Amazone gracile au souple corps dansant.Larme � larme pleurait la lumi�re d�crue ;

De mauve se fardait l’androgyne statue,Sa jambe au galbe fier et son sein fr�missant,Les contours moelleux du buste adolescent,De la hanche en amphore et de l’�paule nue.

Penth�sil�e enfant, la langueur de ta boucheMe semblait d�mentir ton regard plus farouche,Dans l’air �namour� de senteurs d’encensoir.

Et mon cœur nostalgique appelait, � Guerri�re !En cette demi-teinte �quivoque du soir,L’impossible baiser de tes l�vres de pierre.

Page 31: Milhyris, « La Douceur ancienne ». Illustrations de Gellô

Milhyris, � La Douceur ancienne �. Illustrations de Gell�. Paris : Ed La Caravelle, 1931

Intimit�s

Page 32: Milhyris, « La Douceur ancienne ». Illustrations de Gellô

Milhyris, � La Douceur ancienne �. Illustrations de Gell�. Paris : Ed La Caravelle, 1931

D’APRES SWINBURNE

Je ne puis te donner que mon amour, � Douce !Le lasso de mes bras referm�s sur ton cou,Et, plus berceur, plus frais, que l’onde et le vent fou,Le velours d’un baiser qui jamais ne s’�mousse.

Ainsi qu’aux bois d’automne o� g�t la feuille rousse,Un espoir de soleil se l�ve, vague et flou,Mon r�ve, sous tes yeux, refleurit tout-�-coup,Comme une violette au linceul de la mousse.

Moi qui n’ai que mon amour, h�las ! et rien de plus,Dois-je porter au loin mes pas irr�solus,Ou, pr�s de toi, cueillir la langueur et l’ivresse ?

J’ai march� tout le jour. Sombre �tait le chemin.Nulle amie au front pur ne m’a tendu la main.Un soir, m’abriterai-je au havre de tendresse ?

Page 33: Milhyris, « La Douceur ancienne ». Illustrations de Gellô

Milhyris, � La Douceur ancienne �. Illustrations de Gell�. Paris : Ed La Caravelle, 1931

POUR TOI QUI VINS

Une aube de douceur m’irradie � jamais :Tu es venue enfin, � toi que j’attendais !

Les t�n�bres ont fui. L’azur du ciel se l�ve.Une vague d’espoir se gonfle et me soul�ve.

Je m’�veille et souris de mes r�ves anciens,Et ne souhaite plus que tes doigts dans les miens.

Ensemble, nous irons par la route �pineuse,Et tu r�chaufferas mon �me tant frileuse.

Aux paumes de tes mains qui distillent l’�moi,Ch�re, tu m’as rendu l’enthousiaste foi.

Ton regard d’ombre �tait le reflet de mes songes :Il m’a fait oublier les rancœurs, les mensonges.

Rien ne m’est plus, sinon ce regard ador�,Le cerne de tes yeux p�lis d’avoir pleur�.

Et pour le seul frisson de tes paupi�res closes,Je sens fleurir en moi d’inexprimables roses.

……………………………………………………………………

Une angoisse pourtant me tenaille et m’�treint.Hantise des jours gris, est-ce toi qui reviens ?

Non, je me trouble au seuil de la joie inconnueDont j’appelle et je crains tour � tour la venue.

Je ne suis qu’un enfant blotti contre ton cœur.Resserre bien tes bras, � mon amour ! J’ai peur.

Page 34: Milhyris, « La Douceur ancienne ». Illustrations de Gellô

Milhyris, � La Douceur ancienne �. Illustrations de Gell�. Paris : Ed La Caravelle, 1931

J’AI PEUR

J’ai peur. M’aimeras-tu toujours ?Le temps des roses est fugace,Et notre cœur, souvent, se lasseDu th�me ancien de ses amours.

Sir�ne aux accents de velours,L’Illusion nous berce et passe.J’ai peur. M’aimeras-tu toujours ?Le temps des roses est fugace.

Tu fis s’enfuir les sombres jours,Le Doute qui r�de et menace.Et, pourtant, je dis � voix basse,Cherchant ta main comme un secours :J’ai peur. M’aimeras-tu toujours ?

Page 35: Milhyris, « La Douceur ancienne ». Illustrations de Gellô

Milhyris, � La Douceur ancienne �. Illustrations de Gell�. Paris : Ed La Caravelle, 1931

CHEVEUX LEGERS

Cheveux l�ger, d’or et de cendre,Cheveux si vivants et si doux,Un charme �trange flotte en vousDont mon cœur ne sait se d�fendre.

N’�tes-vous l’�me errante et tendreDe quelque page aux d�sirs fous,Cheveux l�gers, d’or et de cendre,Cheveux si vivants et si doux ?

Entre mes doigts, j’aime � vous prendre,Cheveux t�nus, fr�les bijoux…Oh ! m’endormir sous vos remousEt voir votre p�leur s’�pandre,Cheveux l�gers, d’or et de cendre !

Page 36: Milhyris, « La Douceur ancienne ». Illustrations de Gellô

Milhyris, � La Douceur ancienne �. Illustrations de Gell�. Paris : Ed La Caravelle, 1931

HALEINE DES LILAS

Haleine des lilas, langueur qui s’exasp�re,R�veillant les baisers engourdis sous la terre…

Les baisers oubli�s qui fleurirent un jour,Et continrent en eux l’infini de l’Amour.

Senteurs, souffles m�l�s, r�dant sous les yeuses,Nous rendrez-vous l’�cho des minutes heureuses ?

Nous rendrez-vous l’Avril de l’Hellade et des Dieux,Et les pipeaux l�gers du p�tre harmonieux…

Le rire de la nymphe �grenant aux fontainesLe cristal et l’argent des roulades lointaines…

Le r�ve �lys�en des vierges aux beaux chants,L’hyacinthe, la rose et l’iris des couchants ?

Nous rendrez-vous aussi, sur le rythme saphique,De la brise et des voix l’irr�elle musique…

Et les parfums de l’Ile, et le refrain des flotsEndormant tout � tour l’extase et les sanglots ?

………………………………………………………………………

Mais en toi, mon Printemps, je retrouve l’ivresseDes verges odorants, de la blanche caresse.

Les lilas, les muguets, ont neig� sur nos cœurs,Et je lis en tes yeux de nouvelles douceurs.

Sous la vo�te du ciel qui, d’�toiles s’essaime,Ch�re, sens-tu combien profond�ment je t’aime ?

Page 37: Milhyris, « La Douceur ancienne ». Illustrations de Gellô

Milhyris, � La Douceur ancienne �. Illustrations de Gell�. Paris : Ed La Caravelle, 1931

PAROLES MURMUREES

Quand l’iris de tes yeux r�ve sous mon baiser,Et que mes bras te font une ceinture molle,Je sens ton jeune cœur qui palpite et s’affole,Et j’ai l’effroi subit de le voir se briser.

Laisse, au souffle des pins, ta fi�vre s’apaiser ;Le feuillage susurre et l’ombre nous isole.Ta paupi�re se ferme ainsi qu’une corolle,Et ma seule caresse a su t’apprivoiser.

Comme un lys, une rose, effeuillons l’heure tendre…Le soir a d�roul� son �charpe de cendre,Et les voix de l’amour se recueillent en nous.

Dors, je vais te chanter la chanson qui m’est ch�re.Et je te bercerai, longtemps, comme une m�re,Petite enfant c�line au creux de mes genoux.

Page 38: Milhyris, « La Douceur ancienne ». Illustrations de Gellô

Milhyris, � La Douceur ancienne �. Illustrations de Gell�. Paris : Ed La Caravelle, 1931

MINIATURE PERSANE

D�cor asiatique, illusoire et charmant.Un rossignol, pour nous, chante languissamment.

Comme un roucoulement de lascive colombe,L’eau de la vasque jase en le doux soir qui tombe.

L’ambre �perdu des lys, le miel des orangers,Eventent sur nos fronts des effluves l�gers.

Tu seras la houri, je serai le po�te,Sous le turban persan, la robe violette.

Le croissant trois fois saint, incrust� de saphirs,Luira dans tes cheveux o� r�vent les z�phyrs.

Et ma voix fr�mira, sur la note mineure,Aux sons gr�les et lents de la guzla qui pleure.

Ber�ant ta songerie aux coussins de brocart,Tu laisseras couver le feu de ton regard.

Et je c�l�brerai les yeux de mon aim�e,Tant�t glauques et bleus comme une mer calm�e ;

Ses yeux aux cils plus fins que le duvet d’oiseauEt qui prirent toute en leur subtil r�seau ;

Ses yeux plus attirants que le changeant mirage,Ses yeux sombres et gris comme le ciel d’orage.

Je dirai ma tendresse et dirai mon espoir,Ma craintive ferveur qui ne sait l’�mouvoir…

Lors, tu te l�veras, rose parmi les roses,Dans le sillage ardent des corolles �closes.

Et nous serons le couple �ternel et ravi,Sh�h�razade en fleur aupr�s de Sa�di.

Tes bras se fermeront sur moi, comme des ailes,M’ouvrant le Paradis des douceurs irr�elles,

Le Paradis d’amour, gazouillant de baisers,O� l’extase est sans fin, o� les cœurs sont gris�s ;

Les d�lices d’Allah ! � ma blonde, � ma blanche !L’oasis et la source o� le d�sir s’�tanche…

Page 39: Milhyris, « La Douceur ancienne ». Illustrations de Gellô

Milhyris, � La Douceur ancienne �. Illustrations de Gell�. Paris : Ed La Caravelle, 1931

NUIT TIEDE

Nuit ti�de…. Les tilleuls, sous la molle clart�D’une lune d’alb�tre, ind�cise et dolente…Ton buste s’infl�chit, liane nonchalante,Et nos yeux se sourient avec complexit�.

Que ta l�vre, o� paresse un arome d’�t�,Me chantonne tr�s bas une berceuse lente...Tes prunelles se noient de douceur somnolente,Et je sens d�faillir l’odeur des roses th�.

Pur narcisse d’argent des pelouses de l’ombre,Une �toile s’effeuille en la vo�te plus sombre.Qu’aupr�s de mon cœur las, ton cœur fr�misse un peu…

Et puisqu’un jour, il faut que tout songe s’ach�ve,Passante bien-aim�e, avant l’ultime adieu,Go�tons l’or pr�cieux de la minute br�ve.

Page 40: Milhyris, « La Douceur ancienne ». Illustrations de Gellô

Milhyris, � La Douceur ancienne �. Illustrations de Gell�. Paris : Ed La Caravelle, 1931

ADORATION

Une ombre violette et chaste autour de nous.Sous l’or des mimosas, je glisse � tes genoux.

L’heure fluide coule en sa gr�ce �ph�m�re,Et mon songe se rit de la caresse am�re.

Il a soif de fra�cheur, de calme, d’infini,De tes yeux reposants d’o� le mal est banni.

Il ne veut que ton �me en la mienne isol�e,Que la neige des lys, la cime inviol�e.

Comme devant l’Hostie un fid�le tremblant,Mon baiser ose � peine effleurer ton front blanc.

Et tu dis, respirant l’encens de mon offrande :� Notre amour est plus beau qu’un amour de l�gende. �

Le couchant mauve et rose expire autour de nous.Sous l’œil dormant des fleurs, je r�ve � tes genoux.

Page 41: Milhyris, « La Douceur ancienne ». Illustrations de Gellô

Milhyris, � La Douceur ancienne �. Illustrations de Gell�. Paris : Ed La Caravelle, 1931

VIENS, JE VEUX TE GARDER….

Viens, je veux te garder, ce soir, aupr�s de l’�tre…Les rameaux d�feuill�s jaunissent dans les bois,Et la brume du ciel, sous son voile bleu�tre,A le charme ind�cis de nos premiers �mois.

Il fera bon s’aimer � la ti�deur de l’�tre.

Entends le vent g�mir sa houleuse chanson ;Des faunes, les sabots grelottent par la plaine.Serrons-nous… Que ma l�vre � l’amoureux frisson,Cueille, comme une fleur, ton souffle et ton haleine.

L’Automne se lamente en mineure chanson.

Notre subtil bonheur est ma raison de vivre.Sur ses ailes, glissons, loin du monde mauvais…Que m’importe Novembre, et la bise, et le givre.Si ta tendresse veille et me suit o� je vais ?

Tes clairs yeux, dans les miens, sont ma raison de vivre.

Avec le cr�puscule en l’or de tes cheveux,Grave, tu m’�blouis du sourire que j’aime.Nos doigts se m�leront pour de muets aveux,Exaltant notre amour, religieux po�me.

Le soleil agonise aux flots de tes cheveux.

Et le gr�sillement du bois sec qui p�tille,Dans la p�nombre fauve aux tons harmonis�s,Seul, accompagnera, comme un chant de ramille,Le rythme de nos cœurs, l’�cho de nos baisers.

Douce, nous resterons pr�s du feu qui p�tille.

Page 42: Milhyris, « La Douceur ancienne ». Illustrations de Gellô

Milhyris, � La Douceur ancienne �. Illustrations de Gell�. Paris : Ed La Caravelle, 1931

KIKISS

Myst�rieux ainsi qu’un h�te de la Jungle,Tu glisses � lents pas, rythmiques et feutr�s.Le tapis rose cendre, o� s’incrustent tes ongles,Fait un cadre de Perse � tes gestes sacr�s.

De ton miaulement qui chante et persuade,Tu r�clames l’abri de mes ti�des genoux ;Et tes yeux d’Au-del�, mes lanternes de jade,Se font plus �toil�s que des yeux de hiboux.

La peluche ardois�e et douce de ta robeO� s’enfoncent mes doigts, prend des reflets d’argent,Mais voici que, d’un bond, soudain tu te d�robes,O Kikissou fantasque, � Kikissou charmant !

Qu’importe ! n’ai-je point encore sur mes paumes,Ton souple l�chement, se jouant au hasard,Et, p�n�trant mon cœur comme l’encens d’un baume,L’amour si f�minin de tes glauques regards ?

Page 43: Milhyris, « La Douceur ancienne ». Illustrations de Gellô

Milhyris, � La Douceur ancienne �. Illustrations de Gell�. Paris : Ed La Caravelle, 1931

Pour G.

TENDRESSES MATINALES

Mon doux cœur, le matin nous rit dans la ros�e.Entr’ouvre ta paupi�re, � mon ramier frileux !Les glycines en fleur et les lilas sont bleus,D’un bleu noy� de mauve et de pourpre iris�e.

J’incline contre toi ta t�te repos�e,Cette nuque d’�ph�be et ces souples cheveuxDont j’emm�le � plaisir les ondes dans nos jeux.Le soleil entre � flots par la verte crois�e.

Ne dors plus. Le jardin nous convie � l’amour,Aux baisers qu’�blouit la jeunesse du jour.La nacre de tes dents, comme un aimant, m’attire ;

Et, sous l’œil enflamm� des capucines d’or,Nos bouches s’unissant en un divin accord,Je cueille avidement l’�clair de ton sourire.

Page 44: Milhyris, « La Douceur ancienne ». Illustrations de Gellô

Milhyris, � La Douceur ancienne �. Illustrations de Gell�. Paris : Ed La Caravelle, 1931

Pour G.

LE LONG DES QUAIS

Le long des quais dormants, doigts unis, nous allions.La Garonne semblait de l’or glauque en fusion.

Nul chaland ne rompait le silence de l’onde,Et la ville avait tu sa houleuse faconde ;

La ville, somnolente et lasse de chaleur,Flambait comme une rose aux vermeilles couleurs.

Lors, c�toyant la rive o� des herbes s’irisent,Nous cherchions la fra�cheur apaisante des brises.

Respirant le douce�tre arome des roseaux,Et les relents moussus de la flore des eaux.

A ton flexible bras, mon soutien et mon aide,Plus amoureusement s’appuyait mon bras ti�de.

Et mes regards, plongeant en tes yeux mi-voil�s,Y retrouvaient l’azur, le vert, du flot m�l�s,

Les changeantes lueurs du ciel cr�pusculaire,Et le Parc automnal, tout baign� de myst�re.

Erigeant sa blondeur de temple palladien,La Daurade semblait, dans l’air virgilien,

Vouloir concilier l’hell�nique harmonieAu pur r�ve du Christ, de tendresse infinie…

Suavement, le jour se mourait en beaut�.Nous nous taisions, le cœur empli de volupt�,

Revivant par le songe une id�ale �treinte,En la Gr�ce des pins et des bleus t�r�binthes…

Tandis que s’effeuillaient, sur le fleuve assoupi,Le fleuve aux tons de jade et de cuivre �bloui,

Ber�ant de son refrain nos ivresses muettes,Du mystique couchant les pourpres violettes.

Page 45: Milhyris, « La Douceur ancienne ». Illustrations de Gellô

Milhyris, � La Douceur ancienne �. Illustrations de Gell�. Paris : Ed La Caravelle, 1931

REMINISCENCES

Vous souvient-il, amie aux yeux bleus de sybille,De ces printemps enfuis qui ne rena�tront plus ?Oh ! la fl�te du merle en le jardin tranquille,L’ambrosiaque odeur des tilleuls chevelus !

Ce sourire frondeur et fin que je regrette,Irradiait l’azur de votre clair regard,Et tout s’illuminait, en la verte Coudrette,Comme sil le soleil rayonnait au hasard.

Dans l’intime ti�deur du salon noy� d’ombre,Les heures s’�coulaient si vite aupr�s de vous…J’aimais, lorsque la nuit tendait son voile sombre,Me faire la petite, assise � vos genoux.

Le souffle des lilas et l’haleine des rosesVenaient nous �venter par les volets ouverts ;Et les mots expiraient sur nos l�vres mi-closes,Je refermais le livre o� nous lisions des vers,

Nous go�tions mieux alors la complexe harmonieDu chantre d’Hypatie et � du roi de Timor �,Et le luth aux accents de langueur infinieDe Celle que hantait le baiser de la Mort.

Dans l’odorant silence o� se parlaient nos �mes,Je sentais sur les miens vos chers yeux adoucis,Vos yeux d’aigue-marine, aviv�s d’une flamme…Et nous ne souhaitions que de rester ainsi.

Page 46: Milhyris, « La Douceur ancienne ». Illustrations de Gellô

Milhyris, � La Douceur ancienne �. Illustrations de Gell�. Paris : Ed La Caravelle, 1931

Pour G.PARFOIS, D’UN GESTE LENT…

Parfois d’un geste lent, tes doigts fr�lent ma joue,Si d�licatement que l’on croirait une aile,Un frais duvet de cygne � la caresse floue…Ta tendresse se fait alors comme irr�elle.

Tes doigts souples et fins, aux moiteurs de p�tales,Parcourent tout entier mon fr�missant visage,Tel l’archet �veillant les cordes musicales…En ma chair se parfume � leur subtil sillage.

Mais quand sur ton cher pas, la porte se referme,Que, seule, je demeure en proie � mes pens�es,J’ai soudain le vouloir obs�dant et tr�s fermeDe me ressusciter les minutes pass�es.

Ma main glissant au long de mon col, de mes tempes,S’applique � prolonger l’illusion fuyante.Aux clart�s de vitrail et de songe des lampes,Je crois go�ter encore la douceur qui m’enchante.

Page 47: Milhyris, « La Douceur ancienne ». Illustrations de Gellô

Milhyris, � La Douceur ancienne �. Illustrations de Gell�. Paris : Ed La Caravelle, 1931

CE SILENCE EST TROP DOUX…

Ce silence est trop doux, ce silence oppressantO� me parlent tes yeux, cern�s d’une ombre chaude…Comme un elfe c�lin, laisse, s’alanguissant,Ta main dans mes cheveux qui frissonne et qui r�de.

Je ne te redis pas les mots que tu voudrais,Mais ma l�vre les chante en sourdine � ta l�vre.O toi qui vient calmer de ton baiser si fraisLa peur du lendemain, le doute qui m’enfi�vre !

Parmi le jade et l’or des damas nuanc�s,Plus pensive et plus p�le � la blondeur des lampes.Je te vois, je te sens… et n’est-ce point assez ?Le clair-obscur nous baigne, un clair-obscur d’estampes…

Et, divinement lasse en tes bras, mon soutien,Je ne sais plus vraiment, tant l’amour me p�n�tre,Si mon cœur vibre en toi, si c’est plut�t le tienQui scande � petits coups son refrain dans mon �tre.

Page 48: Milhyris, « La Douceur ancienne ». Illustrations de Gellô

Milhyris, � La Douceur ancienne �. Illustrations de Gell�. Paris : Ed La Caravelle, 1931

TU M’AS DIT

Tu m’as dit, de ta voix aux complexes accents,Lascives et rauque ainsi qu’un chant de tourterelles :� Que s’�mousse ta peine en mes bras caressants,Je ne veux plus de brume � tes ch�res prunelles.

Repose, mon amie, au rythmique berceauDe mes genoux creus�s ainsi qu’une trir�me,Je connais des baisers aux fra�cheurs de roseauPour chasser de ton front le torturant probl�me.

Donne ta bouche aimante, � la saveur de coing,Et tes yeux grands ouverts, effray�s de la vie…Ne songeons qu’au Pr�sent, l’Avenir est si loin !De cette heure �puisons l’ivresse inassouvie. �

Et moi que p�lissait un noir pressentiment,Sans r�pondre, je bus � tes l�vres avides,Entrevoyant les nuits o�, d�sesp�r�ment,Mes bras en te cherchant, se tordraient dans le vide.

Page 49: Milhyris, « La Douceur ancienne ». Illustrations de Gellô

Milhyris, � La Douceur ancienne �. Illustrations de Gell�. Paris : Ed La Caravelle, 1931

TES YEUX

Etangs de cr�puscule o� l’eau se vert-de-grise,Tes yeux, entre leurs cils aux fr�missements doux,Font peser sur mon �me une �trange hantise.O leurs reflets de jade, et d’ambre et d’acajou !

Souples cils ondoyants, rideaux de brunes algues,Voilez ce clair regard qui transperce mon cœur,Ce regard o� je lis l’inconstance des vaguesEt l’appel de la Nixe au sourire songeur.

O le r�ve dormant au fond de tes prunelles,R�ve fauve et pervers des gu�pards et des lynx,Miaulant en la brousse � l’aff�t des gazelles,R�ve de nostalgie immuable du Sphinx !

Et r�ve d’inconnu des bateaux en partance,Larguant vers les lointains d’ivresse et de soleilO�, lib�r�s des lois, des ternes convenances,Fleurissent l’Harmonie et le Plaisir sans fiel…

Souples cils recourb�s, abaissez-vous encoreSur ces regards fuyant mon offrande d’amour,Enigmatiques fleurs qu’une chim�re doreEt dont l’azur changeant me trahira toujours.

Ferme, ferme tes yeux, � mon Aventureuse !Et que, jalousement, s’incruste mon baiser,Sur ta paupi�re blonde au go�t de tub�reuse,Dans un spasme de feu qui voudrait l’embraser.

Car vous �tes, chers yeux, ma nuit et mon aurore,Mon souci trop aim�, mon tenaillant d�sir…Beaux yeux que je redoute et que pourtant j’adore,Pour tout ce qu’ils m’ont fait et me feront souffrir.

Page 50: Milhyris, « La Douceur ancienne ». Illustrations de Gellô

Milhyris, � La Douceur ancienne �. Illustrations de Gell�. Paris : Ed La Caravelle, 1931

SYLVE

Une langueur d’automne embuait le ciel tendre,Et la For�t semblait, en r�vant, nous attendre.

La For�t, toute en ors velout�s et mourants,Nous ouvrait son cœur d’ombre et ses bras odorants.

Un go�t de terre moite et de feuilles fl�triesS’insinuait au long des sentes d�fleuries ;

Go�t quintessenci� de verdure et de mort,Plus poignant qu’un regret et grisant qu’un vin fort ;

Exhalaison des pins, �cre saveur mouill�eDe r�sine, d’�corce et d’herbe ensommeill�e…

Un rayon fugitif et p�le de soleil,Sur les roches glissait, � l’horizon vermeil.

Et le souffle l�ger des bruy�res, des mousses,Montait comme un soupir vers les frondaisons rousses,

Comme un susurrement de fl�te ou de hautbois,Au calme nostalgique et dormant des sous-bois.

Oublieuses de l’heure et du doute qui ronge,Sans parler, nous allions ainsi que dans un songe.

Et mon pas se rythmait � ton pas cadenc�…Ne revivions-nous pas tr�s loin, dans le Pass� ?

Errantes l’une et l’autre en l’Ile inoubli�e,Mytil�ne au beau nom, de lumi�re noy�e…

…………………………………………………………………….

Une pierre s’offrait, invitant au repos.Le vent y balayait des p�tales d�clos.

Parmi les rameaux secs, les brindilles infimes,Silencieusement, Ch�re, nous nous ass�mes.

Les ocres du couchant s’estompaient de lilas.Novembre s’�plorait dans tes regards plus las.

Et, ployant en mes bras comme un lys qui s’affaisse,Je te sentis trembler d’ineffable tristesse.

Colombe au cœur changeant, � doux oiseau bless�,

Page 51: Milhyris, « La Douceur ancienne ». Illustrations de Gellô

Milhyris, � La Douceur ancienne �. Illustrations de Gell�. Paris : Ed La Caravelle, 1931

Tu m�lais ton haleine � mon souffle oppress�

Et ma l�vre �puisait, en de languides charmes,A tes cils d’or bruni le sel amer des larmes.

C’�tait l’exquise tr�ve o� sombraient les rancœurs.Je buvais ton sourire au travers de tes pleurs.

…………………………………………………………………………………….

Sororale et ber�ant notre m�lancolie,La For�t bruissait d’une voix amollie.

Et nous sentions passer en nous, frisson divin,L’�me de l’Or�ade et l’�me du Sylvain.

Lors, je te dis tr�s bas, ma Douceur ombrageuse :� Vivons-nous notre r�ve et n’es-tu pas heureuse ? �

Fervemment, ton baiser se posa sur mes yeux,Et je ne craignis plus l’angoisse des adieux.

Nous avions oubli� la routine barbare,Le Destin qui meurtrit, le Destin qui s�pare.

Et notre amour cueillait, loin du monde honni,Pauvre chose �ph�m�re, un instant d’Infini.

Ce fut, s’il t’en souvient ? un jour brumeux et tendre,O� l’Automne mourait et semblait nous attendre.

Page 52: Milhyris, « La Douceur ancienne ». Illustrations de Gellô

Milhyris, � La Douceur ancienne �. Illustrations de Gell�. Paris : Ed La Caravelle, 1931

A LA SOLITUDE

Les rumeurs du dehors ne sont plus qu’un vain bruitQui d�cro�t et s’�teint, par degr�s, dans la nuit.Et mon songe fleurit, qu’effarouchait le bruit.

Loin de l’attention, des regards de la foule,Je l’�coute chanter comme un flot qui s’�coule…Moi que blesse l’�cho des plaisirs de la foule.

Silence aux pas dormants, � Silence au front gris,Tu ravives la peine aux cœurs endoloris,La cendre de l’Hier, diffuse en le ciel gris…

Et, dans le cadre obscur de la chambre o� je r�ve,Tu fais surgir soudain, �closion si br�ve !Le fant�me trop cher qui me poursuit en r�ve.

O charme insidieux, � force du Pass� !Comme une �pave roule au gr� du vent glac�,Je glisse et m’abandonne aux remous du Pass�.

Et tu reviens, m’offrant en la p�nombre triste,Tes bras, ti�de berceau, ta piti� qui m’assiste,Solitude, ma sœur, vierge farouche et triste !

Page 53: Milhyris, « La Douceur ancienne ». Illustrations de Gellô

Milhyris, � La Douceur ancienne �. Illustrations de Gell�. Paris : Ed La Caravelle, 1931

REVEIL

L’aube sournoise et bl�me au travers des rideaux,Se faufile et s’allonge ainsi qu’un lent reptile.Elle glace d’argent les contours des flambeaux,Et coule jusqu’� moi dans sa douceur hostile.

Je la sens sur mon front… je la sens sur mes yeux…Et je r�ve au baiser qui fermait ma paupi�re,A ton baiser subtil, fondant, silencieux,Dont j’appelle en pleurant l’emprise coutumi�re.

O morne pesanteur de ce ciel matinal…Plainte rauque du vent qui hurle et qui s’engouffre…La conscience rena�t, et le lancinant mal.Je m’�veille, je pense, et je t’aime, et je souffre.

Page 54: Milhyris, « La Douceur ancienne ». Illustrations de Gellô

Milhyris, � La Douceur ancienne �. Illustrations de Gell�. Paris : Ed La Caravelle, 1931

AUTOMNE DOUCE

Automne douce, � bien aim�e,Ton regard, o� tremblent des larmes,A pris l’azur mauve des ParmeSe fl�trissant sous la ram�e.

Si tendre en sa gr�ce embrum�e,M’enlace toute et me d�sarme,Automne douce, � bien-aim�e,Ton regard o� tremblent des larmes.

Glisse comme une lente alm�e,Par les bois aux morbides charmes,Et, berce mon cœur, lourd d’alarmes,Aux plis de ta robe embaum�e,Automne douce, � bien-aim�e !

Page 55: Milhyris, « La Douceur ancienne ». Illustrations de Gellô

Milhyris, � La Douceur ancienne �. Illustrations de Gell�. Paris : Ed La Caravelle, 1931

SONNET FEMININ

L’amour que je redoute est une ivresse triste,Un archet trop vibrant qui s’exalte sans tr�ve.Comme le vent d’orage, il a fauch� mon r�ve,Mais l’�pre souvenir toujours en moi subsiste.

Je veux boire en tes yeux, tes yeux froids d’am�thyste,Le philtre o� j’ai go�t� l’illusion si br�ve,Et, sur ta chevelure � l’odorante s�ve,Retrouver ce parfum qui m’obs�de et persiste.

Ah ! tes baisers fleurant le santal et la myrrhe,Et l’�cho si sauvage et si doux de ton rire…Vois, mon orgueil abdique afin de mieux te plaire.

Et je te donnerai mon �me inassouvie,Mon �me qui saigna de d�tresse et d’envie,Comme un hochet navrant, ce soir, pour te distraire !

Page 56: Milhyris, « La Douceur ancienne ». Illustrations de Gellô

Milhyris, � La Douceur ancienne �. Illustrations de Gell�. Paris : Ed La Caravelle, 1931

A R.V.

J’AVAIS TOUJOURS REVE….

J’avais toujours r�v� de pencher ma tendresseSur un front opprim� par un r�ve trop lourd,Un front de nostalgie et muette d�tresseQu’aurait bl�mi le sceau de l’implacable Amour.

Et voici qu’au hasard d’un soir de morbidesse,De tes vers, me ber�a le rythme de velours.Ton visage si las, embu� de tristesse,Me sourit, se levant du t�n�breux s�jour.

O sourire poignant, implorant la caresseDes vierges de Lesbos � l’�me sans d�tour,Comme une violette � l’encens qui m’oppresse,Daigne fleurir encore � la chute du jour !

Ainsi qu’� toi, l’Eros me fut l’archer qui blesse,Et son miel se m�la d’amertume toujours.O Ren�e, � ma sœur de douloureuse ivresse,Nous pleurons du Pass� l’impossible retour.

Page 57: Milhyris, « La Douceur ancienne ». Illustrations de Gellô

Milhyris, � La Douceur ancienne �. Illustrations de Gell�. Paris : Ed La Caravelle, 1931

NOUS LISIONS…

Nous lisions, toutes deux, en l’ombre opalescenteD’un calme demi-jour � la gr�ce souffrante.

Du ciel qui se fanait, la lueur impr�cisePalpitait � nos doigts comme un lys qui s’irise.

Je te revois, fragile, en ta p�leur de perleEt tes cheveux plus clairs que le flot qui d�ferle,

Courts cheveux envol�s, souple tissu de soieO� le cœur vient se prendre, et s’enlise et se noie…

Je retrouve tes yeux charg�s d’un regret vague,Tes yeux gris, nuanc�s du vert mouill� de l’algue,

Et ce parfum, plus chaud qu’une tenace empreinte,Souffle de violette, et d’ambre, et d’hyacinthe,

L’arome qui dormait aux replis de ta robe,Et sur ton col charmant qui ploie et se d�robe.

Nous �coutions, dans l’ombre �quivoque et discr�te,Pleurer ta nostalgie, � Pr�tresse et Po�te :

� Jadis, portant en nous nos �mes d�sol�es,Ma douce, nous �tions comme deux exil�es. �

Sur nos fronts rapproch�s, voltigeait une brise…Tu me dis : �Ta voix tremble, et s’exalte et me grise.

Est-ce une aile invisible ou ta main qui me fr�le ? �Et ta t�te se fit plus lourde � mon �paule.

Un �moi frissonnant ainsi qu’une d�tresse,Sourdait en nos regards accabl�s de tendresse.

O soir ! Tu nous versais ta langueur angoiss�e.Et le livre glissa, comme une fleur froiss�e.

Page 58: Milhyris, « La Douceur ancienne ». Illustrations de Gellô

Milhyris, � La Douceur ancienne �. Illustrations de Gell�. Paris : Ed La Caravelle, 1931

BERCEUSE POUR UNE OMBRE

Il fait gris, je te pense, � toi qui t’en allasPar un soir de brumes pareilles…

Nos baisers, sous le ciel dormant qui se voila,Bruissaient comme un vol d’abeilles.

Aujourd’hui, je suis seule, � mon amour d�funt !Je revis notre derni�re heure

Dans cette m�me chambre o� flotta ton parfum,O� ta claire image demeure.

Je revis nos adieux, les serments infinis,Ces pleurs dont l’�cre sel d�vore,

Et l’appel fr�missant de nos bras d�sunisQui voulaient se m�ler encore.

Ch�re ombre, o� que tu sois, mon vouloir te rejoint.Qu[e] lui font le temps et l’espace,

A lui le nostalgique, � lui qui ne croit pointQue la fleur des tendresses passe ?

Mon r�ve te retrouve ainsi que je t’aimais,Avec ta chair aux blondeurs roses,

Ce sourire enivr� qui, jadis, se p�maitDans l’�tau de mes l�vres closes.

Je baise ton front moite et tes cils abaiss�sDont l’ombre tremble sur ta joue,

Je baise tes cheveux tant de fois caress�s,Cette boucle qui se d�noue.

Ton haleine assoupie, aux ti�deurs de jasmin,Ton haleine est l�, qui me grise…

Oh ! la boire � longs traits, la respirer sans fin,Cette voluptueuse brise !

Mais tu vas, poursuivant, � cœur boh�mien !Quelque songe � forme fuyante,

Et ta bouche murmure un nom qui n’est plus mien,Celui d’une moins tendre amante.

Dors, tu ne sauras point, � ce souffle fr�leurDont l’emprise soudaine insiste,

Si c’est l� mon baiser, ou le vent ravisseur,Comme mon �me, ardent et triste…

Page 59: Milhyris, « La Douceur ancienne ». Illustrations de Gellô

Milhyris, � La Douceur ancienne �. Illustrations de Gell�. Paris : Ed La Caravelle, 1931

Au souvenir de Mamy

ANNIVERSAIRE

Je revois le fauteuil aupr�s de la fen�tre,Ce petit fauteuil bas qui semble conserverLa forme, le parfum, du cher et fragile �tre…Fervemment, je le touche et me prends � r�ver.

De mes yeux embrum�s, en la chambre plus sombre,Je vois se profiler un visage p�li,De fins cheveux ond�s qui s’argentent dans l’ombreEt, sur le front d’ivoire, un triste et tendre pli.

Au bleu pastellis� des coussins de cretonne,Je te retrouve toute en ton charme voil�,Douce Maman, si fr�le, aux yeux de ciel d’automne ;Mon �me te devine en le soir �toil�.

Un sillage fan� d’iris, de violette,Flotte encore en ces lieux qui te virent passer.Laisse, en ma chevelure, errer ta main fluette,Ta main qui sut si bien me border, me bercer.

Mais le silence, seul, vient r�pondre � ma plainte.Les bleuets de Mamy se sont � jamais clos.Sa voix ne peut calmer, sa ch�re voix �teinte,Mon cœur tout palpitant d’amour et de sanglots.

Page 60: Milhyris, « La Douceur ancienne ». Illustrations de Gellô

Milhyris, � La Douceur ancienne �. Illustrations de Gell�. Paris : Ed La Caravelle, 1931

Pour G.

UNE ODEUR SE LEVE

Une odeur s’est lev�e, insidieuse et douce,Une odeur qui montait du fond de mon Pass� :La v�tre, peupliers � l’haleine de mousseQui chantiez votre r�ve � mon cœur oppress�.

Peupliers bruissants, peupliers de Champagne,Vois feuilles frissonnaient en l’azur languissant,De m�me qu’une houle, en la verte campagne,Portant toute la mer � mes songes d’enfant.

Et vous me grisiez, tout au long de la route,Comme l’exhalaison vivace du Printemps,Aub�pins des buissons, acacias en vo�te,O vous que je respire ainsi qu’aux jours d’antan !

Un arome d’asters et d’œillets en bordureQui me prend � la gorge et m’�meut jusqu’aux pleurs.C’est toi que je retrouve en ta neuve verdure,Mon jardin de Jadis, d�faillant de senteurs.

J’entends le grincement coutumier de la grilleS’ouvrant sur la prairie et l’infini des bois…Le banc de pierre est l�, dans le soleil qui brille,Et l’horizon s’estompe, aussi flou qu’autrefois.

Dans l’ambre et dans le nard des purpurines roses.Ormes chers en all�s qui vivez en mon cœur,Je sens m’envelopper vos tendresses d�closes,Comme au temps o� veillait sur moi votre douceur.

Des narcisses, des lys, � l’urne de myst�re,Vient me fr�ler aussi le nostalgique encens,Tout pareil � celui que je cherchais nagu�reSur des cheveux l�gers, � l’ocre brunissant.

Le parfum flotte encor, voici que je m’�tonneDe ne plus frissonner au souvenir ancienDe celle qui s’en vint en les frimas d’automne,Me portant le plaisir et la peine en ses liens.

Se peut-il, Autrefois, que ton charme p�lisse,En face du Pr�sent qui s’�veille et fleurit ?L’Amour est revenu me tendre sa chair lisse,Et son regard d’acier, sous le mien, s’alanguit.

O toi que j’esp�rais sans me lasser d’attendre,Toi que je reconnus � ton sourire fier,

Page 61: Milhyris, « La Douceur ancienne ». Illustrations de Gellô

Milhyris, � La Douceur ancienne �. Illustrations de Gell�. Paris : Ed La Caravelle, 1931

Mon amie au beau front, si virile et si tendre,Savourons l’Aujourd’hui, plus dor� que l’Hier.

Dans ta loyale main d’amazone et de barde,Je veux laisser mes doigts se blottir � jamais.Tes prunelles de mer o� l’Infini s’attarde,M’ont rendu, plus ardents, les yeux d’eau que j’aimais.

Page 62: Milhyris, « La Douceur ancienne ». Illustrations de Gellô

Milhyris, � La Douceur ancienne �. Illustrations de Gell�. Paris : Ed La Caravelle, 1931

Pour G.UNE ROSE BASTIDE…

Une rose bastide o� chante la lumi�reDans l’encens surchauff� des lavandes, des thyms,Le miel du mimosa, l’ambre des romarins,– Et la mer nous ber�ant de sa voix famili�re.

Nous retrouvons l’Hellade en sa gr�ce premi�re,La ligne hi�ratique et bleu�tre des pinsSe fondant au lapis des fluides matins…Un amandier s’efflore en neige printani�re.

Dans l’intense clart�, tes larges yeux d’ondinPrennent le vert dor� des feuilles du jardin.Ainsi, tu me riais en l’�le �olienne…

Et les m�mes ramiers, roucoulant pr�s de nous,Le long de la terrasse aux tons briques et roux,Ressuscitent l’�cho de la douceur ancienne.