Milosz - Poemes

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  • 7/30/2019 Milosz - Poemes

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    Oscar Vladislas de Lubicz-Milosz1877 1939

    POMES1895-1927

    Paris, J. O. Fourcade, 1929.

    LA BIBLIOTHQUE RUSSE ET SLAVELITTRATURE POLONAISE

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    TABLE

    PREMIRE PARTIE 1895-1906 ...................................... 5

    KAROMAMA.......................................................................... 5DANS UNPAYS DENFANCE... ........................................... 8TOUS LES MORTS SONT IVRES....................................... 10AUX SONS DUNE MUSIQUE............................................ 12GRINCEMENT DOUX... ...................................................... 13IL NOUS FAUT..................................................................... 14LANNE... ........................................................................... 15UNE ROSE POUR................................................................. 17

    ET SURTOUT QUE... ........................................................... 19VIEILLES GRAVURES........................................................ 20DANSE DE SINGE ............................................................... 22LE VIEUX JOUR................................................................... 23QUAND ELLE VIENDRA.................................................... 26LA BERLINE ARRTE DANS LA NUIT.......................... 28

    DEUXIME PARTIE 1913-1927....................................... 31

    CANTIQUE DU PRINTEMPS.............................................. 31SYMPHONIE DE SEPTEMBRE .......................................... 36SYMPHONIE DE NOVEMBRE........................................... 42SYMPHONIE INACHEVE................................................. 45H............................................................................................. 51LES TERRAINS VAGUES ................................................... 54LA CHARRETTE.................................................................. 57INSOMNIE ............................................................................ 60

    TALITA CUMI...................................................................... 63NIHUMIM ............................................................................. 66CANTIQUE DE LA CONNAISSANCE................................ 71LA CONFESSION DE LMUEL.......................................... 82LA NUIT DE NOL DE 1922 DE LADEPTE..................... 91PSAUME DU ROI DE BEAUT .......................................... 96PSAUME DE LA MATURATION........................................ 98

    PSAUME DE LA RINTGRATION ................................ 101PRIRES.............................................................................. 103

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    RENAISSANCE

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    LESpomes de la premire partie de la prsente antho-logie, crits entre 1895 et 1906, appartiennent aux deux

    premiers recueils de vers de M. O. V. de L. Milosz, lePome des Dcadences et lesSept Solitudes.

    Ces deux ouvrages, peu rpandus dans le public,conformment la volont de lauteur, nont pas laiss

    dexercer sur la priode potique 1900-1914, une influenceque Guillaume Apollinaire signalait depuis 1906 dansune confrence quil leur consacra au Salon des Potes.Les ides et les vnements qui ont prsid leur composi-tion se trouvent exposs dans un roman de M. Milosz,lAmoureuse Initiation,paru en 1910 chez Bernard Gras-

    set.Les pices de la deuxime partie reprsentent toute laproduction potique de M. Milosz, entre 1913 et 1927.Elles sont comme laccompagnement lyrique dune volu-tion spirituelle dont les phases principales sont marques

    par la publication des deux mystres Miguel Manara(Nouvelle Revue Franaise) et Mphiboseth (E. Fi-

    guire), ainsi que des ouvrages mtaphysiques de M.Milosz, Ars Magna (Presses Universitaires de France) etles Arcanes (Librairie Teillon, 83, rue des Saints-Pres).

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    PREMIRE PARTIE 1895-1906

    KAROMAMA

    Mes penses sont toi, reine Karomama du trs vieuxtemps,

    Enfant dolente aux jambes trop longues, aux mains sifaibles

    Karomama, fille de Thbes,Qui buvais du bl rouge et mangeais du bl blancComme les justes, dans le soir des tamaris.Petite reine Karomama du temps jadis.

    Mes penses sont toi, reine KaromamaDont le nom oubli chante comme un chur de plaintes

    Dans le demi-rire et le demi-sanglot de ma voix ;Car il est ridicule et triste daimer la reine KaromamaQui vcut environne dtranges figures peintesDans un palais ouvert, tellement autrefois,Petite reine Karomama.

    Que faisais-tu de tes matins perdus, Dame Karomama ?Vers la raideur de quelque dieu chtif tte danimal

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    Tu allongeais gravement tes bras maigres et maladroitsTandis que des feux doux couraient sur le fleuve matinal.O Karomama aux yeux las, aux longs pieds aligns,

    Aux cheveux torturs, morte du berceau des annes...Ma pauvre, pauvre reine Karomama.

    Et de tesjournes, quen faisais-tu, prtresse savante ?Tu taquinais sans doute tes petites servantesDociles comme les couleuvres, mais comme elles indolen-

    tes ;

    Tu comptais les bijoux, tu rvais de fils de roisSinistres et parfums, arrivant de trs loin,De par del les mers couleur de toujours et de loinPour dire : Salut la glorieuse Karomama.

    Et les soirs dternel t tu chantais sous les sycomores

    Sacrs, Karomama, fleur bleue des lunes consumes ;Tu chantais la vieille histoire des pauvres mortsQui se nourrissaient en cachette de choses prohibesEt tu sentais monter dans les grands soupirs tes seins basDenfant noire et ton me chancelait deffroi.Les soirs dternel t, nest-ce pas, Karomama ?

    Un jour (a-t-elle vraiment exist, Karomama ?),On entoura ton corps de jaunes bandelettes,On lenferma dans un cercueil grotesque et doux en bois

    de cdre.La saison du silence effeuilla la fleur de ta voix.Les scribes confirent ton nom aux papyrus

    Et cest si triste et cest si vieux et cest si perdu...Cest comme linfini des eaux dans la nuit et dans le froid.

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    Tu sais sans doute, lgendaire Karomama !Que mon me est vieille comme le chant de la mer

    Et solitaire comme un sphinx dans le dsert,Mon me malade de jamais et dautrefois.Et tu sais mieux encor, princesse initie,Que la destine a grav un signe trange dans mon cur,Symbole de joie idale et de rel malheur.

    Oui tu sais tout cela, lointaine Karomama,

    Malgr tes airs denfant que sut terniserLauteur de ta statue polie par les baisersDes sicles trangers qui languirent loin de toi.Je te sens prs de moi, jentends ton long sourireChuchoter dans la nuit : Frre, il ne faut pas rire,

    Mes penses sont toi, reine Karomama.

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    DANS UN PAYS DENFANCE...

    Dans un pays denfance retrouve en larmes,Dans une ville de battements de cur morts,(De battements dessor tout un berceur vacarme,De battements dailes des oiseaux de la mort,De clapotis dailes noires sur leau de mort).

    Dans un pass hors du temps, malade de charme,Les chers yeux de deuil de lamour brlent encoreDun doux feu de minral roux, dun triste charme ;Dans un pays denfance retrouve en larmes...

    Mais le jour pleut sur le vide de tout.

    Pourquoi mas-tu souri dans la vieille lumireEt pourquoi, et comment mavez-vous reconnutrange fille aux archangliques paupires,Aux riantes, bleuies, soupirantes paupires,Lierre de nuit dt sur la lune des pierres ;Et pourquoi et comment, nayant jamais connuNi mon visage, ni mon deuil, ni la misreDes jours, mas-tu si soudainement reconnuTide, musicale, brumeuse, ple, chre,Pour qui mourir dans la nuit grande de tes paupires ?

    Mais le jour pleut sur le vide de tout.

    Quels mots, quelles musiques terriblement vieilles

    Frissonnent en moi de ta prsence irrelle,Sombre colombe des jours loin, tide, belle,

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    Quelles musiques en cho dans le sommeil ?Sous quels feuillages de solitude trs vieille,Dans quel silence, quelle mlodie ou quelle

    Voix denfant malade vous retrouver, belle,O chaste, musique entendue dans le sommeil ? Mais le jour pleut sur le vide de tout.

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    TOUS LES MORTS SONT IVRES

    Tous les morts sont ivres de pluie vieille et saleAu cimetire trange de Lofoten.Lhorloge du dgel tictaque lointaineAu cur des cercueils pauvres de Lofoten.

    Et grce aux trous creuss par le noir printempsLes corbeaux sont gras de froide chair humaine ;Et grce au maigre vent la voix denfantLe sommeil est doux aux morts de Lofoten,

    Je ne verrai trs probablement jamais

    Ni la mer ni les tombes de LofotenEt pourtant cest en moi comme si jaimaisCe lointain coin de terre et toute sa peine.

    Vous disparus, vous suicids, vous lointainesAu cimetire tranger de Lofoten

    Le nom sonne mon oreille trange et doux,Vraiment, dites-moi, dormez-vous, dormez-vous ?

    Tu pourrais me conter des choses plus drlesBeau claret dont ma coupe dargent est pleine,Des histoires plus charmantes ou moins folles ;Laisse-moi tranquille avec ton Lofoten,

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    Il fait bon. Dans le foyer doucement traneLa voix du plus mlancolique des mois.

    Ah ! les morts, y compris ceux de Lofoten

    Les morts, les morts sont au fond moins morts que moi...

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    AUX SONS DUNE MUSIQUE...

    Aux sons dune musique endormie et molleComme le glouglou des marais de la lune,Enfant au sang dt, la bouche de pruneMre ;Aux sons de miel de tes chevrotantes paroles

    Ici, dans lombre humide et chaude du vieux murQue sendorme la bte paresseuse Infortune.

    Aux sons de ta chanson de harpe rouille,Tide fille qui luis comme une pomme mouille,

    (Ma tte est si lourde dternit vide,

    Les mouches dor font un bruit doux et stupideQui prennent tes grands yeux de vache pour des fentres),Aux sons de ta donnante et rousse voix dt.Fais que je rve ce qui aurait pu treEt na pas t...

    Quels beaux yeux de nimporte quel animal tu as,Blanche fille de juin, grande dormeuse !Mon me, mon me est pluvieuse,Dtre et de ntre pas je suis tout las.Tandis que ta voix deau coule comme du sableQue je mendorme loin de tout et loin de moiEntre les trois bouteilles vides sous la table.

    Noy voluptueux du fleuve de ta voix...

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    GRINCEMENT DOUX...

    Grincement doux et rouill dune berline...Le crpuscule pleure de vieille joie...

    Il faudrait pourtant aller voir qui est l. Bonsoir, comment vous portez-vous, Mylord

    Spleen ?

    Les chevaux, les chevaux du pass hennissentLe soir, le soir, aux fentres de loubli.

    La diva que vos sentiments applaudissent,Mylord, lavez-vous revue en Italie ?

    Il pleut, il pleut doux de la pluie ancienneSur les toits, sur les toits rouges dautrefois. Merci pour votre aimable lettre de Sienne ;Et Nol, se souvient-il encor de moi ?

    Ton coq, ton coq, girouette, dit jamais plus,Jai mal, jai mal, grand-pre soir, lme.

    Ces maudites routes dautomne, goddam ! propos... Godwin et Percy vous saluent.

    Soir de jadis naf, doux comme un qui cuveSon vieux vin de lan vingt prs dun feu lger.

    Et puis vous savez, je suis si distrait ! Jai

    Oubli de jeter moi dans le Vsuve.

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    IL NOUS FAUT...

    Il nous faut un aubergiste bien rond,Sautillant, au bonnet saluant preste,Aux boutons de mtal doux sur sa veste.Il nous faut, il nous faut, mon cur profond.

    Une valle un peu de vieille estampe,Des Peterborough aux habits de plaids,Les amours de Newstead au gris des lampes,Un grand vent qui dclame du Manfred.

    Il nous faut loubli le plus implacable,

    (Cest comme si nous navions pas t)Des noms de jadis gravs dans les tables ;Voil ce quil nous faut, en vrit.

    Comme plus haut : un aubergiste rondEt des chambres discrtement baignesDe demi-jour de toiles daraigne.Il nous faut, il nous faut, mon cur profond.

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    LANNE...

    Lanne tait du temps des souvenirs,Le mois tait de la lune des roses,Les curs taient de ceux quun rien console.

    Prs de la mer, des chants doux mourir,

    Dans le crpuscule aux paupires closes ;Et puis, que sais-je ? Tambourins, paroles.

    Cris de danse qui ne devaient finir,Touchant dsir adolescent qui noseEt meurt en finale de barcarolle.

    Ten souvient-il, souvient-il, Souvenir ?Au mois vague de la lune des roses.Mais rien nest rest de ce qui console.

    Est-ce pour dormir, est-ce pour mourirQue sur mes genoux ta tte reposeAvec la langueur de ses roses folles ?

    Lombre descend, la lune va mrir.La vie est riche de si douces choses,Pleurs pour les yeux, rose pour les corolles.

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    Oui, vivre est presque aussi doux que dormir...Poisons tides pris petites dosesEt pomes pleins de charmants symboles.

    O pass ! pourquoi fallut-il mourir ?O prsent ! pourquoi ces heures moroses,Bouffon qui prends au srieux ton rle !

    Lanne tait du temps des souvenirs,Le mois tait de la lune des roses,

    Les curs taient de ceux quun rien console.

    Mais tt ou tard cela devait finirDe la trs vieille fin de toutes chosesEt ce nest ni triste, vraiment, ni drle.

    Des os vont jaunir dabord, puis verdirDans le froid moisi des tnbres closes, Fin des actes et fin des paraboles.

    Et le reste ne vaut pas une obole.

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    UNE ROSE POUR...

    Une rose pour lamante, un sonnet pour lami,Le battement de mon cur pour guider le rythme des

    rondes ;Lennui pour moi, le vin des rois pour mon ennui,Mon orgueil pour la vanit de tout le monde,

    O noble nuit de fte au palais de ma vie !

    Et la complainte, pour mon secret, dans le lointain,De la citronnelle, et de la rue, et du romarin...

    Le rubis dun rire dans lor des cheveux, pour elle,

    Lopale dun soupir, dans le clair de lune, pour lui ;Un nid dhermine pour le corbeau du blason ;Pour la moue des anctres ma forme qui chancelleDillusions et de vins dans les miroirs couleur de pluie,

    Et pour consoler mon secret, le sonDes rouets qui tissent la robe des moribonds.

    Un quart dheure et une bague pour la plus rieuse,Un sourire et une dague pour le plus discret ;Pour la croix du blason, une parole pieuse.Le plus large hanap pour la soif des regrets,Une porte de verre pour les yeux des curieuses.

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    Et pour mon secret, la litanie dsoleDes vieilles qui grelottent au seuil des mausoles.

    Mon salut pour la rvrence de ltrangre,Ma main baiser pour le confident,Un tonneau de gin pour la gaie misreDes fossoyeurs ; pour lvque luisantDix monnaies dor pour chaque mot de la prire.

    Et pour la fin de mon secret

    Un grand sommeil de pauvre dans un cercueil dor.

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    ET SURTOUT QUE...

    Et surtout que Demain napprenne pas o je suis Les bois, les bois sont pleins de baies noires Ta voix est comme un son de lune dans le vieux puitsO lcho, lcho de juin vient boire.

    Et que nul ne prononce mon nom l-bas, en rve,Les temps, les temps sont bien accomplis Comme un tout petit arbre souffrant de prime sveEst ta blancheur en robe sans pli.

    Et que les ronces se referment derrire nous,

    Car jai peur, car jai peur du retour.Les grandes fleurs blanches caressent tes doux genouxEt lombre, et lombre est ple damour.

    Et ne dis pas leau de la fort qui je suis ;Mon nom, mon nom est tellement mort.Tes yeux ont la couleur heureuse des jeunes pluies,Des jeunes pluies sur ltang qui dort.

    Et ne raconte rien au vent du vieux cimetire.Il pourrait mordonner de le suivre.Ta chevelure sent lt, la lune et la terre.Il faut vivre, vivre, rien que vivre...

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    VIEILLES GRAVURES

    Lombre svre et mal imprimeDe la Sierra Morena me cacheMon mlancolique ami GamacheEn veste de singe et de fume.

    Plus loin je naperois que le tiersDe la jambe gauche de SanchoSur ce fond dEstrmadure amerDont mon me esseule est lcho.

    Non moins indcise est cette morneLune de jamais dont le doux clair

    Gomtrique fait danser lairPoudreux du grenier de Maritorne.

    La Roche Pauvre aussi, ce me semble,Intervient ici mal proposQui dvore la moiti du dosDun Cardnio, rveur sous le tremble.

    Et ce ciel est trop bas pour la lanceDe ce de la Manche exagr,Qui fait tendrement rire et pleurerLes vallons de lternel silence.

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    Dehors la neige et presque demain,La Solitude toujours nouvelle.Allons ! Un ou deux verres de vinEt puis, et puis soufflons la chandelle.

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    DANSE DE SINGE

    Aux sons dune petite musique narquoise, sautillante,Essouffle, tandis quil pleut, tandis quil pleut de la

    pluie pourrie,Saute, saute, mon me, vieux singe dorgue de Barbarie,Petit vieillard pel, sournois, animal romantique et ten-

    dre.

    Avec ta queue dautomne effeuille, prtentieusement tordueEn point dinterrogation sur le vide ciel du crpuscule,Essuie tes pleurs, singe galant, mlancolique et ridicule,Singe galeux de lamour mort, singe dent des jours

    perdus.Encore un air, encore un air ! Celui qui sent les tabagies,Le faubourg lpreux, la foire dautomne et les fritures aigresPour faire rire les filles mal nourries, sale, affreux,

    maigre,Piteux, pileptique singe, animal pur des nostalgies !

    Encore un air, hlas ! le dernier ! Et que ce soit cettesourde

    Valse de jamais, requiem des voleurs morts, musique enchos

    Qui dit : adieu les souvenirs, lamour et la noix de coco...

    Tandis que la pluie pauvre fait glouglou dans la bouevieille et lourde.

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    LE VIEUX JOUR

    Le vieux jour qui na pas de but veut que lon viveEt que lon pleure et se plaigne avec sa pluie et son vent.Pourquoi ne veut-il pas dormir toujours lauberge des

    nuitsLe jour qui menace les heures de son bton de men-

    diant ?

    La lumire est tide aux dortoirs de lhpital de la vie ;La blancheur patiente des murs est faite de chres pen-

    ses.Et la piti qui voit que le bonheur sennuie

    Fait neiger le ciel vide sur les pauvres oiseaux blesss.Ne rveille pas la lampe, ce crpuscule est notre ami,Il ne vient jamais sans nous apporter un peu de bon vieux

    temps.Si tu le chassais de notre chambre, la pluie et le ventSe moqueraient de son triste manteau gris.

    Ah ! certes, sil existe une douceur ici-basCe ne peut tre quaux vieux cimetires graves et bonsO la faiblesse ne dit plus oui, o lorgueil ne dit plus

    non,O lespoir ne tourmente plus les hommes las.

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    Ah ! certes, l-bas, sous les croix, prs de la mer indiff-rente

    Qui ne songe quau temps jadis, tous les chercheurs

    Trouveront enfin leurs mes aux sourires anxieuxdattenteEt les consolations sres des nuits meilleures.

    Verse cet alcool dans le feu, ferme bien la porte,Il y a dans mon cur des abandonns qui grelottent.On dirait vraiment que toute la musique est morte

    Et les heures sont si longues !

    Non, je ne veux plus voir en toi lamie :Ne sois quune chose extrmement douce, crois-moi,Une fume au toit dune chaumire, dans le soir :Tu as le visage de la bonne journe de ta vie.

    Pose ta douce tte dautomne sur mes genoux, raconte-moi

    Quil y a un grand navire, tout seul, tout seul, sur la mer ;Noublie pas de me dire que ses lumires ont froidEt que ses vtements de toile font rire lhiver.

    Parle-moi des amis qui sont morts il y a longtemps.Ils dorment dans des tombeaux que nous ne verrons ja-

    mais,L-bas bien loin, dans un pays couleur de silence et de

    temps.Sils revenaient, comme nous saurions les aimer !

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    Dans le cabaret prs du fleuve il y a de vieux orphelinsQui chantent parce que le silence de leurs mes leur fait

    peur.

    Debout sur le seuil dor de la maison des heuresLombre fait le signe de la croix sur le pain et le vin.

  • 7/30/2019 Milosz - Poemes

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    QUAND ELLE VIENDRA...

    Quand elle viendra fera-t-il gris ou vert dans ses yeux,Vert ou gris dans le fleuve ?Lheure sera nouvelle dans cet avenir si vieux,Nouvelle, mais si peu neuve...Vieilles heures o lon a tout dit, tout vu, tout rv !

    Je vous plains si vous le savez...

    Il y aura de laujourdhui et des bruits de la villeTout comme aujourdhui et toujours dures preuves ! Et des odeurs, selon la saison de septembre ou

    davril

    Et du ciel faux et des nuages dans le fleuve ;Et des mots selon le moment gais ou sanglotantsSous des cieux qui se rjouissent ou qui pleuvent,Car nous aurons vcu et simul, ah ! tant et tant,Quand elle viendra avec ses yeux de pluie sur le fleuve.

    Il y aura (voix de lennui, rire de limpuissance)Le vieux, le strile, le sec moment prsent,Pulsation dune ternit sur du silence ;Le moment prsent, tout comme prsent.

  • 7/30/2019 Milosz - Poemes

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    Hier, il y a dix ans, aujourdhui, dans un mois.Horribles mots, penses mortes, mais quimporte.Bois, dors, meurs, il faut bien quon se sauve de soi

    De telle ou dautre sorte...

  • 7/30/2019 Milosz - Poemes

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    LA BERLINE ARRTE DANS LA NUIT

    En attendant les clefs Il les cherche sans douteParmi les vtementsDe Thcle morte il y a trente ans coutez, Madame, coutez le vieux, le sourd murmure

    Nocturne de lalle...Si petite et si faible, deux fois enveloppe dans mon man-

    teauJe te porterai travers les ronces et lortie des ruines jus-

    qu la haute et noire porteDu chteau.

    Cest ainsi que laeul, jadis, revintDe Vercelli avec la morte.Quelle maison muette et mfiante et noirePour mon enfant !Vous le savez dj, Madame, cest une triste histoire.Ils dorment disperss dans les pays lointains.Depuis cent ansLeur place les attendAu cur de la colline.Avec moi leur race steint.O Dame de ces ruines !Nous allons voir la belle chambre de lenfance : l,La profondeur surnaturelle du silence

    Est la voix des portraits obscurs.Ramass sur ma couche, la nuit,

  • 7/30/2019 Milosz - Poemes

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    Jentendais comme au creux dune armure,Dans le bruit du dgel derrire le mur,Battre leur cur.

    Pour mon enfant peureux quelle patrie sauvage !La lanterne steint, la lune sest voile,Leffraie appelle ses filles dans le bocage.En attendant les clefsDormez un peu, Madame. Dors, mon pauvre enfant,

    dorsTout ple, la tte sur mon paule.

    Tu verras comme lanxieuse fortEst belle dans ses insomnies de juin, pareDe fleurs, mon enfant, comme la fille prfreDe la reine folle.Enveloppez-vous dans mon manteau de voyage :La grande neige dautomne fond sur votre visage

    Et vous avez sommeil.(Dans le rayon de la lanterne elle tourne, tourne avec levent

    Comme dans mes songes denfantLa vieille, vous savez, la vieille.)Non, Madame, je nentends rien.Il est fort g,

    Sa tte est drange.Je gage quil est all boire.Pour mon enfant craintive une maison si noire !Tout au fond, tout au fond du pays lithuanien.Non, Madame, je nentends rien.Maison noire, noire.

    Serrures rouilles,Sarment mort,

  • 7/30/2019 Milosz - Poemes

    30/106

    30

    Portes verrouilles,Volets clos,Feuilles sur feuilles depuis cent ans dans les alles.

    Tous les serviteurs sont morts.Moi, jai perdu la mmoire.Pour lenfant confiant une maison si noire !Je ne me souviens plus que de lorangerieDu trisaeul et du thtre :Les petits du hibou y mangeaient dans ma main.La lune regardait travers le jasmin.

    Ctait jadis.Jentends un pas au fond de lalle,Ombre. Voici Witold avec les clefs.

  • 7/30/2019 Milosz - Poemes

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    DEUXIME PARTIE 1913-1927

    CANTIQUE DU PRINTEMPS

    Le printemps est revenu de ses lointains voyages,Il nous apporte la paix du cur.Lve-toi, chre tte ! Regarde, beau visage !La montagne est une le au milieu des vapeurs : elle a re-

    pris sa riante couleur.O jeunesse ! viorne de la maison penche !O saison de la gupe prodigue !La vierge folle de ltChante dans la chaleur.Tout est confiance, charme, repos.Que le monde est beau, bien-aime, que le monde est

    beau !Un grave et pur nuage est venu dun royaume obscur.Un silence damour est tomb sur lor de midi.Lortie ensommeille courbe sa tte mreSous sa belle couronne de reine de Jude.Entends-tu ? Voici londe.

    Elle vient... elle est tombe.Tout le royaume de lamour sent la fleur deau.

  • 7/30/2019 Milosz - Poemes

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    La jeune abeille,Fille du soleil,Vole la dcouverte dans le mystre du verger ;

    Jentends bler les troupeaux ;Lcho rpond au berger.Que le monde est beau, bien-aime, que le monde est

    beau !Nous suivrons la musette aux lieux abandonns.L-bas, dans lombre du nuage, au pied de la tour,Le romarin conseille de dormir ; et rien nest beau

    Comme lenfant de la brebis couleur de jour.Le tendre instant nous fait signe de la colline voile.Levez-vous, amour fier, appuyez-vous sur mon paule ;Jcarterai la chevelure du saule,Nous regarderons dans la valle.La fleur se penche, larbre frissonne : ils sont ivres

    dodeur.Dj, dj le blLve en silence, comme dans les songes des dormeurs.Et la ville, elle aussi, est belle dans le bleu du temps ; les

    toursSont comme des femmes qui, de loin,Regardent venir leur amour.

    Amour puissant, ma grande sur,Courons o nous appelle loiseau cach des jardins.Viens, cruel cur,Viens, doux visage ;La brise aux joues denfant souffle sur le nuageDe jasmin.

    La colombe aux beaux pieds vient boire la fontaine ;Quelle sapparat blanche dans leau nouvelle !

  • 7/30/2019 Milosz - Poemes

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    Que dit-elle ? o est-elle ?On dirait quelle chante dans mon cur nouveau.La voici lointaine...

    Que le monde est beau, bien-aime, que le monde estbeau !Viens, suis-moi ! je connais les confins de la solitude,La femme des ruines mappelle de la fentre haute :Vois comme sa chevelure de fleurs folles et de ventSest rpandue sur le chneau croulant.Et jentends le bourdon stri,

    Vieux sonneur des jours innocents.Le temps est venu pour nous, folle tte,De nous parer des baies qui respirent dans lombre.Le loriot chante dans lalle la plus secrte.Il nous attend dans la rose de la solitude.O beau visage sombre, long et doux,

    Lampe de minuit de juilletAllume au profond du tulipier en fleur !Je te regarde : toute mon me est noyeDans les pleurs :Viens, mon amour, viens, mon juillet,Viens, ma nuit !Ne me crains pas : mon cur est la coupe de pluie

    Offerte par lorage loiseau migrateur !Il y a sur ta tempe une veine au cours calme,Ensommeille.Cest ma couleuvre du foyer,Nourrie de pain et de miel blanc de lautre anne.Il y a dans tes yeux le secret de la nuit.

    Le charme de leau. Comme dans la nuit, comme dansleau

  • 7/30/2019 Milosz - Poemes

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    Il y a l maint danger.Dis-moi, ton cur va-t-il lui aussi, lui aussi, changer ?Tu ris ; et pour rire, ma sur,

    Tu inclines la tte, tu allonges le cou.Cygne noir, cygne apprivois, cygne trs beau :Et lpaule tombante se creuse dun pli deau.Que le monde est beau, bien-aime, que le monde est

    beau !Maintenant, tu lves la tte et de lombre des cilsUn rayon divis

    Me vient comme travers la profondeurDe la feuille :Et cest l un moyen de lire dans le cur.Que tu sois ce point un songe que lon touche...

    coute ! cho a joint ses mains dcorce sur sa bou-che,

    Il nous appelle. Et la fort est vtue de candeur.Viens ! je veux te montrer mes frres, mes surs,Aux grenades du Sud, aux ceps de la montagne : Voici ma sur, voici ma compagne,Voici mon amour vtu de couleurs.Il ma fait entrer au royaume de lenfance :Ma pauvre tte tait au fond du fleuve obscur de la

    science :Il est venu, il ma ouvert la porte du tombeau ! Que le monde est beau, bien-aime. que le monde est

    beau !O sur de ma pense ! quel est donc ce mystre ?claire-moi, rveille-moi, car ce sont choses vues en

    songe.Oh ! trs certainement je dors.

  • 7/30/2019 Milosz - Poemes

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    Comme la vie est belle ! plus de mensonge, plus de re-mords

    Et des fleurs se lvent de terre

    Qui sont comme le pardon des morts.O mois damour, voyageur, jour de joie !Sois notre hte ; arrte-toi ;Tu te reposeras sous notre toit.Tes graves projets sassoupiront au murmure ail de

    lalle.Nous te nourrirons de pain, de miel et de lait.

    Ne fuis pas.Quas-tu faire l-bas ?Nes-tu pas bien ici ?Nous te cacherons aux soucis.Il y a une belle chambre secrteDans notre maison de repos ;

    L, les ombres vertes entrent par la fentre ouverteSur un jardin de charme, de solitude et deau.Il coute... il sarrte...Que le monde est beau, bien-aime, que le monde est

    beau !

  • 7/30/2019 Milosz - Poemes

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    SYMPHONIE DE SEPTEMBRE

    I

    Soyez la bienvenue, vous qui venez ma rencontreDans lcho de mes propres pas, du fond du corridor obs-

    cur et froid du temps.

    Soyez la bienvenue, solitude, ma mre.Quand la joie marchait dans mon ombre, quand les oi-

    seaux

    Du rire se heurtaient aux miroirs de la nuit, quand lesfleurs,

    Quand les terribles fleurs de la jeune piti touffaientmon amourEt quand la jalousie baissait la tte et se regardait dans le

    vinJe pensais vous, solitude, je pensais vous, dlaisse.

    Vous mavez nourri dhumble pain noir et de lait et demiel sauvage ;

    Il tait doux de manger dans votre main, comme le pas-sereau.

    Car je nai jamais eu, Nourrice, ni pre ni mreEt la folie et la froideur erraient sans but dans la maison.

  • 7/30/2019 Milosz - Poemes

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    Quelquefois, vous rapparaissiez sous les traits dunefemme

    Dans la belle clart menteuse du sommeil. Votre robe

    Avait la couleur des semailles ; et dans mon cur perdu,Muet, hostile et froid comme le caillou du chemin,

    Une belle tendresse se rveille aujourdhui encore la vue dune femme vtue de ce brun pauvre,Chagrin et pardonnant : la premire hirondelleVole, vole sur les labours, dans le soleil clair de lenfance.

    Je savais que vous naimiez pas le lieu o vous tiezEt que, si loin de moi, vous ntiez plus ma belle solitude.Le roc vtu de temps, lle folle au milieu de la merSont de tendres sjours ; et je sais maint tombeau dont la

    porte est de rouille et de fleurs.

    Mais votre maison ne peut tre l-bas o le ciel et la merDorment sur les violettes du lointain, comme les amants.Non, votre vraie maison nest pas derrire les collines.Ainsi, vous avez pens mon cur. Car cest l que vous

    tes ne.

    Cest l que vous avez crit votre nom denfant sur lesmurs

    Et, telle une femme qui a vu mourir lpoux terrestre,Vous revenez avec un got de sel et de vent sur vos joues

    blanchesEt cette vieille, vieille odeur de givre de Nol dans vos

    cheveux.

  • 7/30/2019 Milosz - Poemes

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    Comme dun charbon balanc autour dun cercueilDe mon cur o bruit ce rythme mystrieuxJe sens monter lodeur des midis de lenfance. Je nai pas

    oubliLe beau jardin complice o mappelait cho, votre se-cond fils, solitude.

    Et je reconnatrais la place o je donnais jadis vos pieds. Nest-ce pas que la moire du vent y court

    encore

    Sur lherbe triste et belle des mines, et du bourdon veluLe son de miel ne sattarderait plus dans la belle chaleur ?

    Et si du saule tremblant et fier vous cartiezLa chevelure dorphelin : le visage de leauMapparatrait si clair, si pur ! Aussi pur, aussi clair

    Que la Lointaine revue dans le beau songe du matin !Et la serre incruste darc-en-ciel du vieux tempsSans doute abrite encore le cactus nain et le faible figuierVenus jadis de quel pays de bonheur ? Et de lhliotrope

    mourantLodeur dlire encore dans les fivres daprs-midi !

    O pays de lenfance ! seigneurie ombreuse des anc-tres !

    Beau tilleul somnolent cher aux graves abeillesEs-tu heureux comme autrefois ? et toi, carillon des fleurs

    dor,

    Charmes-tu lombre des collines pour les fianailles

  • 7/30/2019 Milosz - Poemes

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    De la Dormeuse blanche dans le livre moisiSi doux feuilleter quand le rayon du soirDescend sur la poussire du grenier : et autour de nous le

    silenceDes rouets arrts de laraigne fileuse. Cur !

    Triste cur ! le berger vtu de bureSouffle dans le long cor dcorce. Dans le vergerLe doux pivert cloue le cercueil de son amourEt la grenouille prie dans les roseaux muets. O triste

    cur !

    Tendre glantier malade au pied de la colline, te reverrai-jeQuelque jour ? et sais-tu que ta fleur o riait la rosetait le cur si lourd de larmes de mon enfance ? ami !Dautres pines que les tiennes mont bless !

    Et toi, sage fontaine au regard si calme et si beau,O se rfugiait, par les chaleurs sonnantesTout ce qui restait dombre et de silence sur la terre !Une eau moins pure coule aujourdhui sur mon visage.

    Mais le soir, de mon lit denfant qui sent les fleurs, je vois

    La lune follement pare des fins dt. Elle regarde travers la vigne amre, et dans la nuit de senteursLa meute de la Mlancolie aboie en rve !

  • 7/30/2019 Milosz - Poemes

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    40

    Puis, lAutomne venait avec ses bruits dessieux, de ha-ches et de puits. Comme la fuite

    Du livre au ventre blanc sur la premire neige, le jour

    rapideDtonnement muet frappait nos tristes curs. Toutcela, tout cela

    Quand lamour qui nest plus ntait pas n encore.

    II

    Solitude, ma mre, redites-moi ma vie ! voiciLe mur sans crucifix et la table et le livreFerm ! si limpossible attendu si longtempsFrappait la fentre, comme le rouge-gorge au cur gel,

    Qui donc se lverait ici pour lui ouvrir ? AppelDu chasseur attard dans les marais livides,Le dernier cri de la jeunesse faiblit et meurt : la chute

    dune seule feuilleRemplit deffroi le cur muet de la fort.

    Ques-tu donc, triste cur ? une chambre assoupie

    O, les coudes sur le livre ferm, le fils prodiguecoute sonner la vieille mouche bleue de lenfance ?Ou un miroir qui se souvient ? ou un tombeau que le vo-

    leur a rveill ?

  • 7/30/2019 Milosz - Poemes

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    Lointains heureux ports par le soupir du soir, nuagesdor,

    Beaux navires chargs de manne par les anges ! est-ce

    vraiQue tous, tous vous avez cess de maimer, que jamais,Jamais je ne vous verrai plus travers le cristal

    De lenfance ? que vos couleurs, vos voix et mon amour,Que tout cela fut moins que lclair de la gupeDans le vent, que le son de la larme tombe sur le cer-

    cueil,Un pur mensonge, un battement de mon cur entendu

    en rve ?

    Seul devant les glaciers muets de la vieillesse ! seulAvec lcho dun nom ! et la peur du jour et la peur de la

    nuitComme deux surs rconcilies dans le malheurDebout sur le pont du sommeil se font signe, se font signe !

    Et comme au fond du lac obscur la pauvre pierreDes mains dun bel enfant cruel jadis tombe :Ainsi repose au plus triste du cur,

    Dans le limon donnant du souvenir, le lourd amour.

  • 7/30/2019 Milosz - Poemes

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    SYMPHONIE DE NOVEMBRE

    Ce sera tout fait comme dans cette vie. La mmechambre.

    Oui, mon enfant, la mme. Au petit jour, loiseau destemps dans la feuille

    Ple comme une morte : alors les servantes se lvent

    Et lon entend le bruit glac et creux des seaux

    la fontaine. O terrible, terrible jeunesse ! Cur vide !Ce sera tout fait comme dans cette vie. Il y auraLes voix pauvres, les voix dhiver des vieux faubourgs,Le vitrier avec sa chanson alterne,

    La grand-mre casse qui sous le bonnet saleCrie des noms de poissons, lhomme au tablier bleuQui crache dans sa main use par le brancardEt hurle on ne sait quoi, comme lAnge du jugement.

    Ce sera tout fait comme dans cette vie. La mme table,La Bible, Gthe, lencre et son odeur de temps,Le papier, femme blanche qui lit dans la pense,La plume, le portrait. Mon enfant, mon enfant !

  • 7/30/2019 Milosz - Poemes

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    Ce sera tout fait comme dans cette vie ! Le mmejardin,

    Profond, profond, touffu, obscur. Et vers midi

    Des gens se rjouiront dtre runis lQui ne se sont jamais connus et qui ne savent

    Les uns des autres que ceci : quil faudra shabillerComme pour une fte et aller dans la nuitDes disparus, tout seul, sans amour et sans lampe.Ce sera tout fait comme dans cette vie. La mme alle :

    Et (dans laprs-midi dautomne), au dtour de lalle,L o le beau chemin descend peureusement, comme la

    femmeQui va cueillir les fleurs de la convalescence coute,

    mon enfant,

    Nous nous rencontrerons, comme jadis ici ;Et tu as oubli, toi, la couleur dalors de ta robe ;Mais moi, je nai connu que peu dinstants heureux.Tu seras vtu de violet ple, beau chagrin !Et les fleurs de ton chapeau seront tristes et petites

    Et je ne saurai pas leur nom : car je nai connu dans la vieQue le nom dune seule fleur petite et triste, le myosotis,Vieux dormeur des ravins au pays Cache-Cache, fleurOrpheline. Oui oui, cur profond ! comme dans cette vie.

  • 7/30/2019 Milosz - Poemes

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    44

    Et le sentier obscur sera l, tout humideDun cho de cascades. Et je te parleraiDe la cit sur leau et du Rabbi de Bacharach

    Et des Nuits de Florence. Il y aura aussiLe mur croulant et bas o somnolait lodeurDes vieilles, vieilles pluies, et une herbe lpreuse,Froide et grasse secouera l ses fleurs creusesDans le ruisseau muet.

  • 7/30/2019 Milosz - Poemes

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    SYMPHONIE INACHEVE

    I

    Tu mas trs peu connu l-bas, sous le soleil du chtimentQui marie les ombres des hommes, jamais leurs mes,Sur la terre o le cur des hommes endormis

    Voyage seul dans les tnbres et les terreurs, et ne sait pasvers quel pays.

    Ctait il y a trs longtemps coute, amer amour delautre monde

    Ctait trs loin, trs loin coute bien, ma sur dici

    Dans le Septentrion natal o des grands nymphas des lacsMonte une odeur des premiers temps, une vapeur depommeraies de lgende englouties.

    Loin de nos archipels de mines, de lianes, de harpes,Loin de nos montagnes heureuses.

    Il y avait la lampe et un bruit de haches dans labrume.

    Je me souviens,

    Et jtais seul dans la maison que tu nas pas connue,La maison de lenfance, la muette, la sombre.Au fond des parcs touffus o loiseau transi du matin

    Chantait bas pour lamour des morts trs anciens, danslobscure rose.

  • 7/30/2019 Milosz - Poemes

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    Cest l, dans ces chambres profondes aux fentres en-sommeilles

    Que lanctre de notre race avait vcuEt cest l que mon pre aprs ses longs voyagestait venu mourir.

    Jtais seul et, je me souviens,Ctait la saison o le vent de nos paysSouffle une odeur de loup, dherbe de marcage et de lin

    pourrissantEt chante de vieux airs de voleuse denfants dans les rui-

    nes de la nuit.

    II

    Le dernier soir tait venu et avec lui la fivreLinsomnie et la peur. Et je ne pouvais pas me rappeler

    ton nom.La garde tait sans doute alle au presbytreCar la lanterne ntait plus sur lescabeau.

    Tous nos anciens serviteurs taient morts ; leurs enfantsAvaient migr ; jtais un trangerDans la maison pencheDe mon enfance.

  • 7/30/2019 Milosz - Poemes

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    Lodeur de ce silence tait celle du blTrouv dans un tombeau ; et tu connais sans douteCette mousse des lieux muets, sur des ensevelis

    Couleur de lune mre et basse sur Memphis.Javais longtemps couru le monde avec mon frreSans repos ; javais veill avec langoisseDans toutes les auberges de ce monde. Maintenant,

    jtais l,Tte blanche dj comme le frre nuage. Et il ny avait

    plus personne.

    Lcho dun pas, le trot de la vieille souris met tdoux,

    Car ce qui me mangeait le cur ne faisait pas de bruit.Jtais comme la lampe de la mansarde au petit jour,

    Comme le portrait dans lalbum de la prostitue.Parents et amis taient morts. Toi, ma sur, tu tais plus

    loinQue le halo dont se couronne en janvier clairLa mre de la neige. Et tu me connaissais peine.Quand tu parlais, je tressaillais dentendre la voix de mon

    cur,

    Mais tu ne mavais rencontr quune fois, une seule,Dans la lumire trange des lampes dapparatEntre les fleurs de nuit, et il y avait l des courtisans do-

    rs

    Et je ne dis adieu qu ton reflet dans le miroir.

  • 7/30/2019 Milosz - Poemes

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    48

    La solitude mattendait avec lchoDans lobscure galerie. Une enfant tait lAvec une lanterne et une clef

    De cimetire. Lhiver des ruesMe souffla une odeur misrable au visage.Je me croyais suivi par ma jeunesse en pleurs ;Mais sous la lampe et mon Hyprion sur les genoux,La vieillesse tait assise : et elle ne leva pas la tte.

    III

    coute bien, ma sur dici. Ctait la vieille chambrebleue

    De la maison de mon enfance.

    Jtais n l.Cest l aussi

    Que mapparut jadis, dans le recueillement de la vigile,Mon premier arbre de Nol, cet arbre mort devenu angeQui sort de la profonde et amre fort,Qui sort tout allum des vieilles profondeurs

    De la fort glace et chemine tout seul,Roi des marais neigeux, avec ses feux folletsRepentis et sanctifis, dans la belle campagne silencieuse

    et blanche :Et voici les fentres dor de la maison de lenfant sage.

  • 7/30/2019 Milosz - Poemes

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    Vieux, trs vieux jours ! si beaux, si purs ! ctait la mmechambre

    Mais froide pour toujours, mais muette, mais grise.

    Elle semblait avoir jamais oubliLe feu et le grillon des anciennes veilles.

    Il ny avait plus de parents, plus damis, plus de servi-teurs !

    Il ny avait que la vieillesse, le silence et la lampe.La vieillesse berait mon cur comme une folle un en-

    fant mort,Le silence ne maimait plus. La lampe steignit.

    Mais sous le poids de la Montagne des tnbresJe sentis que lAmour comme un soleil intrieurSe levait sur les vieux pays de la mmoire et que je

    menvolaisBien loin, bien loin, comme jadis, dans mes voyages dedormeur.

    IV

    Cest le troisime jour. Et je tressaillis, car la voixMe venait de mon cur. Elle tait la voix de ma vie.

    Cest le troisime jour. Et je ne dormais plus, etje savais que lheure

    De la prire du matin tait venue. Mais jtais las

  • 7/30/2019 Milosz - Poemes

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    Et je pensais aux choses que je devais revoir ; car ctait lLarchipel sduisant et lle du Milieu,La vaporeuse, la pure qui disparut jadis

    Avec le tombeau de corail de ma jeunesseEt sassoupit aux pieds du cyclope de lave. Et devant

    moi,Sur la colline, il y avait le chteau deau avecLes lianes dEden et les velours de vtustSur les degrs uss par les pieds de la lune ; et l, droite,

    Dans la belle claircie au mitan du bocage,Les ruines couleur de soleil ! et l, point de passageSecret ! car jai err dans cette thbadeAvec lamour muet, sous le nuage de minuit. Je sais

    O sont les mres les plus sombres ; lherbe hauteO la statue frappe a cach son visageEst mon amie et les lzards savent depuis longtempsQue je suis messager de paix, quil ne tonne jamais

    Dans le nuage de mon ombre. Ici tout maimeCar tout ma vu souffrir. Cest le troisime jour.

    Lve-toi, je suis ta dormeuse de Memphis,Ta mort au pays de la mort, ta vie au pays de la vie.

    La trs-sage, la mrite ...

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    Lourd murmure de deuil des gupes de midiVole bas sur le vin et il y a de la folie

    Dans le regard de la rose sur les collines mes chresOmbreuses. Dans lobscurit religieuse les ronces

    Ont saisi le sommeil par ses cheveux de fille. Jaune danslombre

    Leau respire mal sous le ciel lourd et bas des myosotis.Cet autre souffre aussi, bless comme le roi

    Du monde, au ct ; et de sa blessure darbre

    Scoule le plus pur dsaltrant du cur.Et il y a loiseau de cristal qui dit ml dune gorge douceDans le vieux jasmin somnambule de lenfance.Jentrerai l en soulevant doucement larc-en-ciel

    Et jirai droit larbre o lpouse ternelleAttend dans les vapeurs de la patrie. Et dans les feux du

    temps apparatrontLes archipels soudains, les galres sonnantes Paix, paix. Tout cela nest plus. Tout cela nest plus ici,

    mon fils Lmuel.

    Les voix que tu entends ne viennent plus des choses.Celle qui a longtemps vcu en toi obscureTappelle du jardin sur la montagne ! Du royaumeDe lautre soleil ! Et ici, cest la sage quarantime

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    Anne, Lmuel.Le temps pauvre et long.Une eau chaude et grise.

    Un jardin brl.

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    LES TERRAINS VAGUES

    Comment mes-tu venu, toi si humble, si chagrin ? Jene sais plus.

    Sans doute comme la pense de la mort, avec la viemme.

    Mais de ma Lithuanie cendreuse aux gorges denfer du

    Rummel,De Bow-Street au Marais et de lenfance la vieillesse

    Jaime (comme jaime les hommes, dun vieil amourUs par la piti, la colre et la solitude) ces terrains ou-

    blis

    O pousse, ici trop lentement et l trop vite,Comme les enfants blancs dans les rues sans soleil, uneherbe

    De ville, froide et sale, sans sommeil, comme lide fixe,Venue avec le vent du cimetire, peut-treDans un de ces ballots dtoffe noire, lisse et lustre,

    oreillersDes vieilles dormeuses des berges, dans les terribles cr-

    puscules.

    De toute ma jeunesse consume dans le sudEt dans le nord, jai surtout retenu ceci : mon me

    Est malade, passante, comme lherbe altre des murs,Et on la oublie, et on la laisse ici.

  • 7/30/2019 Milosz - Poemes

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    Jen sais un quobscurcit un cdre du Liban ! VestigeDe quelque beau jardin de lamour virginal. Et je sais,

    moi, que le saint arbreFut plant l, jadis, en son doux temps, afinDe porter tmoignage ; et le serment tomba dans la

    muette ternit.

    Et lhomme et la femme sans nom sont morts, et leuramour

    Est mort, et qui donc se souvient ? Qui ? Toi peut-tre,Toi, triste, triste bruit de la pluie sur la pluie,Ou vous, mon me. Mais bientt vous oublierez cela et le

    reste.

    Et lautre, o le grand vent, la pluie et le brouillard ont

    leur glise.Quand venait lhiver des faubourgs ; quand le chalandVoyageait dans la brume de France, quil mtait doux,Saint-Julien-le-Pauvre, de faire le tour

    De ton jardin ! Je vivais dans la dissipationLa plus amre ; mais le cur de la terre mattirait

    Dj ; et je savais quil bat non sous la roseraieChoye, mais l o crot ma sur ortie, obscure, dlaisse.

    Ainsi donc, si tu veux me plaire aprs ! loin dici ! toiMurmurant, ruisselant de fleurs ressuscites, toi jardinO toute solitude aura un visage et un nom

    Et sera une pouse,

  • 7/30/2019 Milosz - Poemes

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    Rserve au pied du mur moussu dont les lzardesMontrent la ville Ariel dans les chastes vapeurs,Pour mon amour amer un coin ami du froid et de la moi-

    sissureEt du silence ; et quand la vierge au sein de Thummm etdUrm

    Me prendra par la main et me conduira l, que les tristesterrestres

    Se ressouviennent, me reconnaissent, me saluent : le

    chardon et la hauteOrtie et lennemie denfance belladone.Eux. ils savent, ils savent.

  • 7/30/2019 Milosz - Poemes

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    LA CHARRETTE

    Lesprit purifi par les nombres du temple,La pense ressaisie peine par la chair, dj,Dj ce vieux bruit sourd, hivernal de la vieDu cur froid de la terre monte, monte vers le mien.

    Cest le premier tombereau du matin, le premier tombe-reau

    Du matin. Il tourne le coin de la rue et dans ma cons-cience

    La toux du vieux boueur, fils de laube dguenille,Mouvre comme une clef la porte de mon jour.

    Et cest vous et cest moi. Vous et moi de nouveau, ma vie.Et je me lve et jinterrogeLes mains dhpital de la poussire du matinSur les choses que je ne voulais pas revoir.La sirne au loin crie, crie et crie sur le fleuve.

    Mettez-vous genoux, vie orphelineEt faites semblant de prier pendant que je compte et re-

    compteCes fleurages qui nont ni frres ni surs dans les jardins,Tristes, sales, comme on en voit dans les faubourgs

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    Mes jours sont comme les pomes oublis dans les ar-moires

    Qui sentent le tombeau ; et le cur se dchire

    Quand sur la table troite o les muets voyagesDes veilles de jadis ont, comme ceux dUlysse,Heurt toutes les les des vieux archipels dencre,Entre la Bible et Faust apparat le pain du matin.

    Je ne le romprai pas pour lpouse terrestre,Et pourtant, ma vie, tu sais comme je lai chercheCette mre du cur ! Cette ombre que jimaginaisPetite et faible, avec de belles saintes mains

    Doucement descendues sur le pain endormi

    linstant ternellement enfant du BndicitDe laube ; les paules taient paules dorphelineUn peu tombantes, troites, denfant qui a souffert, et les

    genoux

    De la pieuse tiraient ltoffe de la robeEt dans le mouvement des joues et de la gorge

    Pendant quelle mangeait, une claire innocence,Une gratitude, une puret qui faisait mal

    Vie ! O amour sans visage ! Toute cette argileA t remue, herse, dchiqueteJusquaux tissus o la douleur elle-mme trouve un

    sommeil dans la plaieEt je ne peux plus, non, je ne peux plus, je ne peux plus !

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    INSOMNIE

    Je dis : ma Mre. Et cest vous que je pense, Maison !Maison des beaux ts obscurs de mon enfance, vousQui navez jamais grond ma mlancolie, vous

    Qui saviez si bien me cacher aux regards cruels, Complice, douce complice ! Que nai-je rencontrJadis, en ma jeune saison murmurante, une filleA lme trange, ombrage et frache comme la vtre.Aux yeux transparents, amoureux de lointains de cristal,Beaux, consolants voir dans le demi-jour de lt !

    Ah ! jai respir bien des mes, mais nulle navaitCette bonne odeur de nappe froide et de pain dorEt de vieille fentre ouverte aux abeilles de juin !Ni cette sainte voix de midi sonnant dans les fleurs !Ah ces visages follement baiss ! ils ntaient pasComme le vtre, femme de jadis sur la colline !Leurs yeux ntaient pas la belle rose ardente et sombreQui rve en vos jardins et me regarde jusquau curL-bas, au paradis perdu de ma pleureuse alleO dune voix voile loiseau de lenfance mappelle,O lobscurcissement du matin dt sent la neige.Mre, pourquoi mavez-vous mis dans lme ce terrible,Cet insatiable amour de lhomme, oh ! dites, pourquoi

    Ne mavez-vous pas envelopp de poussire tendreComme ces trs vieux livres bruissants qui sentent le vent

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    Et le soleil des souvenirs et pourquoi nai-je pasVcu solitaire et sans dsir sous vos plafonds bas,Les yeux vers la fentre irise o le taon, lami

    Des jours denfance, sonne dans lazur de la vieillesse ?Beaux jours ! limpides jours ! quand la colline tait enfleur.

    Quand dans locan dor de la chaleur les grandes orguesDes ruches en travail chantaient pour les dieux du som-

    meil,Quand le nuage au beau visage tnbreux versait

    La frache piti de son cur sur les bls haletantsEt la pierre altre et ma sur la rose des ruines !O tes-vous, beaux jours ? o tes-vous, belle pleureuse,Tranquille alle ? aujourdhui vos troncs creux me fe-

    raient peurCar le jeune Amour qui savait de si belles histoires

    Sest cach l, et Souvenir a attendu trente ans,Et personne na appel : Amour sest endormi. O Maison, Maison ! pourquoi mavez-vous laiss partir,Pourquoi navez-vous pas voulu me garder, pourquoi,

    Mre,Avez-vous permis, jadis, au vent menteur de lautomne,Au feu de la longue veille, ces magiciens,

    O vous qui connaissiez mon cur, de me tenter ainsiAvec leurs contes fous, pleins dune odeur de vieilles lesEt de voiliers perdus dans le grand bleu silencieuxDu temps, et de rives du Sud o des vierges attendent ?Si sage vous saviez pourtant que les vrais voyageurs,Ceux qui cherchent la Baie du Sincre et lIle des Harpes

    Et le Chteau Donnant ne reviennent jamais, jamais !

  • 7/30/2019 Milosz - Poemes

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    Mon cur est tout seul dans la froide auberge etlinsomnie

    Debout dans le vieux rayon contemple mon vieux visage

    Et nul, nul avant moi navait compris de quelles mortsSourdes, irrmdiables sont faits ces jours de la vie !

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    TALITA CUMI

    Je te connais dj depuis quelque dix ans, sur la terresuspendue dans le silence,

    Enfant du destin ; et cest ta pauvre image qui toujoursmapparat la premire

    Dans la lucidit de mes rveils du dclin de la nuit,

    Quand, suivant en esprit le Cosmos dans son vol muet,Tout coup je sens lunivers sengouffrer en moi comme

    aspir par le vide de tous ces jours.Je suis alors comme une chose en feu sur le fleuve dans la

    nuit dtEt la clef de soleil est sous ma main, qui ouvre les Rels

    miroitants dun brouillard de vie.Et cette, un seul mot, et, dans ce pays vrai o jai maintserviteur blouissant

    Mapparatraient des formes tout autres que la tienne,caillou ramass ici pour le souvenir.

    Mais ne tai-je pas aim dhumilit dans cette toute petitesuccession de jours ?

    Je partirai bientt. O moiti de cur, moiti de cur jeteDans la boue et le froid et la pluie et la nuit de la ville !O mon apprivois menac par lhiver !coute-moi. Ouvre tout grand ce quelque chose en toi

    que tu ne connais pas,Et tche, quoi quil advienne, tche de retenir en ta mi-

    nuscule mmoire

  • 7/30/2019 Milosz - Poemes

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    Ce conseil dun qui a mri avec lortie dans le long et tor-ride t de lamertume :

    Travaille !

    Ne tente pas le roi terrible de la vie, le dieu dans le mou-vementImpitoyable des routes du monde, lidole dans le chariot

    aux roues broyeuses.Travaille, enfant ! Car tu es condamne, frle, vivre

    longtempsEt je ne voudrais pas menfuir de ces assourdissantes ga-

    lresAvec la pauvre image de ce que tu seras un jour :Une petite enfant tout coup devenue petite vieille,Avec damers cheveux blancs sous le chle, je ne sais

    dans quel aigre et noir faubourgEt seule sur la berge avec le fleuve, un ballot de terreur

    Sur le dos, sur des humides pierres et des grands,grands arbres nus.pargne-moi cela. Car je serai affreusement absent, r-

    veill pour toujoursDans lun des deux Royaumes, je ne sais lequel, le tn-

    breux,Je le crains, car il y a en moi quelque chose qui brle

    dun feu bas et jug.Et je te le dis bien, passereau de misre, tu seras seule

    dans cette vie atroceComme vers le petit jour avare et blme de la SeineDe tous abandonn, le signal rouge et vert.Je ne sais plus qui a tu mon cur ; mais na-t-il pas en

    mourant, le mauvais,

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    Lgu toute sa royaut funbre de compassion mes os ?Enfant !

    Cest une douleur que lon nexprime pas. Lhomme at-

    teint de ce nocturne malSouffre, omniscient et muet, avec les pierres des fonde-ments dans la moisissure des tnbres.

    Je sais bien que cest Lui, Lui dont le nom secret est : leSpar-de-Lui-mme

    Qui souffre en nous : et que lorsque sera enfin passeLa nuit sans fleurs et sans miroirs et sans harpes de cette

    vie, un chantVengeur, un chant de toutes les aurores de lenfanceSe brisera en nous ainsi que le cristal immense du matinAu cri des ails, dans la valle de rose.Eh oui, je le sais. Mais cette pauvre image de ta vie dans

    le solitaire avenir, cela

    Je ne peux pas le supporter. Cest une vritable frayeurdinsecte en moi,Un cri dinsecte au fond de moiSous les cendres du cur.

  • 7/30/2019 Milosz - Poemes

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    NIHUMIM

    Quarante ans.Je connais peu ma vie. Je ne lai jamais vueSclairer dans les yeux dun enfant n de moi.Pourtant jai pntr le secret de mon corps. O mon

    corps !

    Toute la joie, toute langoisse des btes de la solitudeEst en toi, esprit de la terre, frre du rocher et de lortie.Comme les bls et les nuages dans le vent,Comme la pluie et les abeilles dans la lumire,Quarante ans, quarante ans, mon corps, tu as nourriDe ton tre secret le feu divin du Mouvement :

    Tu ne passeras pas avant le mouvement de lunivers.Que le son de ton nom inutile et obscurSe perde avec le cri du dormeur dans la nuit ;Rien ne saurait te sparer de ta mre la terre,De ton ami le vent, de ton pouse la lumire.Mon corps ! tant que deux curs spars, gars,Se chercheront dans les vapeurs des cascades du matin,Tant quun douzime appel de midi vibrera pour rjouirLa bte qui a soif et lhomme qui a faim ; tant que le lo-

    riot,Lhte des sources caches, renversera sa pauvre ttePour chanter les louanges du Pre des forts ; tant quune

    touffe

    De myrtil noir lvera ses baies pour leur faire respirerLair de ce monde, quand leau de soleil est tombe,

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    O errante poussire ! mon corps ! tu vivras pour aimeret souffrir.

    Quarante ans.Pour apprendre aimer la noblesse de lAction. O ac-tion !

    Quarante ans, quarante ans la vanit des solitairesMa tourment. Je demandais sa mort dans mes prires.Elle a quitt mon cur. O triomphe ! tristesse...Elle a emmen ma jeunesse,

    Ma cruelle jeunesse, la seule femme aime.Mais quimporte !dj, mes mains, dj la pierre vous at-

    tire.Mains aux veines gonfles, la fureur de btirVous saisit, vous possde dj !Quand le midi des forts sonnera sur la mer

    Nous irons saluer les constructeurs de mles.Debout dans le soleil, en face de la merIls mangent lentement leur pauvre et noble painEt leur sage regard va plus loin que le mien.Honneur toi, honneur toi qui es n dans les pleursComme lAmen, et qui mourras dans labandon au pied

    du temple de lamour

    Ou du palais dorgueil, ouvrages de tes mains !Bientt, demain, mon frre, je pourrai te parlerFace face, sans rougir, comme parlent les hommes, carMoi aussi, moi aussi je ferai la maisonLarge, puissante et calme comme une femme assiseDans un cercle denfants sous le pommier en fleur.

    Jouvrirai les fentres de la joyeuse gliseToutes grandes aux anges du soleil et du vent.

  • 7/30/2019 Milosz - Poemes

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    Jy bnirai le pain de lAffirmation,De ce oui ternel qui est une saveurDe feu, de bl et deau la bouche des purs ;

    Et quand la laideur dira : non !Et quand la femme et la mort crieront : non !Frre, nous saluerons lespace ivre de vieEt le mot appris des Hros,Le Oui universel montera nos lvres.

    Quarante ans.

    Pour apprendre parler sans mpris de la femme. OAmour !

    Quarante ans je vous ai cherch parmi les femmesMais ce nest point parmi les femmes que je vous ai trouv.O Femme ! La piti des pierres me saisit !Mre ! Mre ! tu ne sais plus, tu ne sais pas encore qui tu es.

    Toi, blanche renverse dans les fleurs ! si longtempsTu as dormi au plus obscur, au plus muet du beau jardinabandonn !

    Et te voici debout dans ce temps de laideur rieuse,Au milieu de ces fils qui ont perdu leur dieu et nont pas

    trouv la nature.O Mre ! Mre ! et cette belle paule tombante de por-

    teuse deau frache,Et cet air rentr de servante rveille avant lheure.Quelle sagesse et quelle connaissance, femme, dans la

    paume de tes mains !Que je ne les puisse contempler sans quune colombe

    sen chappe !

    Et ta sainte blancheur apprivoise le cygne !Lorsque lpoux mourra, tu suivras, tu mourras :

  • 7/30/2019 Milosz - Poemes

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    Non pas de la tristesse de la chair, mais de la joieProfonde de lesprit !Pour te parler et tre compris, Mre, il faut redevenir

    enfant.Car que peux-tu comprendre ce monde du Mouvement,O belle, grave et pure colonne du foyer !Mre ! les sources voiles du Mouvement sont en un lieu

    obscur et dfenduDont le nom est Valle de la Sparation. L,Les mondes et les curs soupirent lun vers lautre en

    vain.Et tout ce que lon touche est la distance et la dureDe la Sparation.Qui cherche mal ne trouve rien nulle part.Qui cherche bien ne trouve rien ici ;Qui trouve ici se heurte ailleurs aux portes closes.

    Car il est un pays o ltre unique est seulEn face de soi-mme.L il saimeEt spouseEt se cre.L, il se glorifie.Et le lieu est nomm par ceux qui te ressemblent. Lieu

    De la Conjonction,De la Fminit ternelle et de la Vie.

    Quarante ans.Pour apprendre chercher la Cit. O Jrusalem !Tu nes pas un dsert de pierres lies de chaux, de sable

    et deauComme les villes des hommes,

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    Mais, au sein du Rel, dans le silence de la tte,Le planement muet de lor intrieur.Ma vie ! ma vie ! je sais que les six jours du monde

    Sont l pour rvler ce que lon doit connatreDu septime, ennemi de tout tonnement.Car dans la dchirure du nuage gardienArrt sur Pathmos (le lieu universelContempl par les yeux renverss de lAmour)Jai vu dans un grand vent dinflux, lellipse du sabbatPrendre feu et dorer ma naissance sans cri.

    O mon frre ! mon corps ! ne crains pas. Je connais lechemin.

    Entrons dans les profondes vapeurs de la MontagneQui prend son essor et slveAvec le confiant qui la gravit,Jusqu la nue longue, jusqu la couleur-mre,

    La blancheur bleue, lannonciation de lor.Laube parat derrire nous !Au-dessus de mon front se lveEt fuit vers les contres qui sont derrire nousLe Soleil.Le couchant est loin devant nous !Maintenant, le profond, terrible et beau murmure

    Des sages abeilles du paysTenseigne la langue oublie (aux lourdes et tremblantes

    syllabes de miel sombre)Des livres noys de Yasher.

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    CANTIQUE DE LA CONNAISSANCE

    Lenseignement de lheure ensoleille des nuits du Divin. ceux, qui, ayant demand, ont reu et savent dj. ceux que la prire a conduits la mditation sur

    lorigine du langage.Les autres, les voleurs de douleur et de joie, de science et

    damour, nentendront rien ces choses.Pour les entendre, il est ncessaire de connatre les objets

    dsigns par certains mots essentielsTels que pain, sel, sang, soleil, terre, eau, lumire, tn-

    bres, ainsi que par tous les noms de mtaux.Car ces noms ne sont ni les frres, ni les fils, mais bien les

    pres des objets sensibles.Avec ces objets et le prince de leur substance, ils ont tprcipits du monde immobile des archtypes danslabme de tourmente du temps.

    Lesprit seul des choses a un nom. Leur substance est in-nome.

    Le pouvoir de nommer des objets sensibles absolumentimpntrables ltre spirituel

    Nous vient de la connaissance des archtypes qui, tantde la nature de notre esprit, sont comme lui situsdans la conscience de luf solaire.

    Tout ce qui se dcrit par le moyen des antiques mtapho-res existe en un lieu situ ; de tous les lieux de linfini

    le seul situ.

  • 7/30/2019 Milosz - Poemes

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    Ces mtaphores que le langage aujourdhui encore nousimpose ds que nous interrogeons le mystre de no-tre esprit,

    Sont des vestiges du langage pur des temps de fidlit etde connaissance.Les potes de Dieu voyaient le monde des archtypes et

    le dcrivaient pieusement par le moyen des termesprcis et lumineux du langage de la connaissance.

    Le dclin de la foi se manifeste dans le monde de lascience et de lart par un obscurcissement du langage.

    Les potes de la nature chantent la beaut imparfaite dumonde sensible selon lancien mode sacr.

    Toutefois, frapps de la discordance secrte entre le modedexpression et le sujet,

    Et impuissants slever jusquau lieu seul situ,jentends Pathmos, terre de la vision des archtypes,

    Ils ont imagin, dans la nuit de leur ignorance, un mondeintermdiaire, flottant et strile, le monde des sym-boles.

    Tous les mots dont lassemblage magique a form cechant sont des noms de substances visibles

    Que lauteur, par la grce de lAmour, a contemplesdans les deux mondes de la batitude et de la dsola-

    tion.Je ne madresse quaux esprits qui ont reconnu la prire

    comme le premier entre tous les devoirs de lhomme.Les plus hautes vertus, la charit, la chastet, le sacrifice,

    la science, lamour mme du Pre,Ne seront comptes quaux esprits qui, de leur propre

    mouvement, ont reconnu la ncessit absolue delhumiliation dans la prire.

  • 7/30/2019 Milosz - Poemes

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    Toutefois, je ne dirai de larcane du langage que ce quelinfamie et la dmence de ce temps me permettentden rvler.

    Maintenant, je peux chanter librement le cantique delheure ensoleille des nuits de DieuEt, proclamant la sagesse des deux mondes qui furent

    ouverts ma vue,Parler, selon la mesure impose par le compagnon de

    serviceDe la connaissance perdue de lor et du sang.

    Jai vu. Celui qui a vu cesse de penser et de sentir. Il nesait plus que dcrire ce quil a vu.

    Voici la clef du monde de lumire. De la magie des motsque jassemble ici

    Lor du monde sensible tire sa secrte valeur.Car ce ne sont pas ses vertus physiques qui lont fait roi

    des esprits.La vrit est cela par rapport quoi lIllimit est situ.Mais la vrit ne fait pas mentir le langage sacr : car elle

    est aussi le soleil visible du monde substantiel, delunivers immobile.

    De ce soleil, lor terrestre tire sa substance et sa couleur ;lhomme la lumire de sa connaissance.

    Le langage retrouv de la vrit na rien de nouveau of-frir. Il rveille seulement le souvenir dans la mmoirede lhomme qui prie.

    Sens-tu se rveiller en toi le plus ancien de tes souvenirs ?Je te rvle ici les origines saintes de ton amour de lor.La folie a souffl sept fois sur le chandelier dor de la

    connaissance.

  • 7/30/2019 Milosz - Poemes

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    Les mots du langage des Aaronites sont profans par lesenfants menteurs et les potes ignorants

    Et lor du chandelier, saisi par les tnbres de lignorance,

    est devenu le pre de la ngation, du vol, deladultre et du massacre.Ceci est la clef des deux mondes de la lumire et des tn-

    bres. O compagnon de service !Pour lamour de cette heure ensoleille de nos nuits,Pour la scurit de ce secret entre toi et moi,Souffle-moi la parole enveloppe de soleil, le mot charg

    de foudre de ce temps dangereux.Je tai nomm ! te voici dans le rayon avant-coureur au

    sein du nuage fig, muet comme le plomb,Dans le bond et le vent de la masse de feu,Dans lapparition de lesprit virginal de lor,Dans le passage de love la sphre,

    Dans larrt merveilleux et dans la sainte descente, quandtu regardes lhomme entre les deux sourcils,Dans limmobilit de la nue infinie, dune seule prire,

    ouvrage des orfvres du Royaume,Dans le retour la dsolation marie au Temps.Dans le chuchotement de compassion qui laccompagne.Mais la clef dor de la sainte science est demeure dans

    mon cur.Elle mouvrira encore le monde de lumire. Gravir les

    degrs jusqu se sentir pntr de la matire mmede lespace pur,

    Ce nest pas connatre ; cest enregistrer encore des ph-nomnes de manifestation.

    Le chemin qui mne du peu au beaucoup nest pas celuide la sainte science.

  • 7/30/2019 Milosz - Poemes

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    Je viens de dcrire lascension vers la connaissance. Ilfaut slever jusqu ce lieu solaire

    O lon devient par la toute-puissance de laffirmation

    quoi donc ? cela mme que lon affirme.Cest ainsi que les mille corps de lesprit se rvlent auxsens vertueux.

    Monter dabord ! sacrilgement ! jusqu la plus dmentedes affirmations !

    Et puis descendre, dchelon en chelon, sans regret, sanslarme, avec une joyeuse confiance, avec une royale

    patience,Jusqu cette boue o tout est dj contenu avec une vi-

    dence si terrible et par une ncessit si sainte ! Parune ncessit sainte, sainte, sainte en vrit ! All-luia !

    Et qui parle ici de surprise ? il est encore une surprise

    dans lapparition inattendue travers les ombresdune porte dantique citDun lointain de mer avec sa sainte lumire et ses voiles

    heureuses.Mais dans la naissance dun sens nouveau et dun sens

    qui servira lesprit de la science vraie, de la scienceamoureuse, il nest plus de surprise.

    Cest la coutume dans nos hauteurs daccueillir toutenouveaut comme une pouse retrouve aprs letemps et pour toujours.

    Ainsi me fut rvle la relation de luf solaire lmede lor terrestre.

    Et ceci est la prire efficace o doit sabmer loprateur :

  • 7/30/2019 Milosz - Poemes

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    Entretiens en moi lamour de ce mtal que colore ton re-gard, la connaissance de cet or qui est un miroir dumonde des archtypes

    Afin que je dpense sans mesure tout mon cur ce jeusolaire de laffirmation et du sacrifice.Reois-moi dans cette lumire archanglique qui som-

    meille mille ans dans le bl funraire et y entretient lefeu cach de la vie.

    Car le bl des antiques tombeaux, vers dans le sillon,sillumine comme un cur de sa propre charit

    Et ce nest pas le soleil mortel qui donne la moisson sacouleur invariable de sagesse.

    Telle est la clef du monde de lumire. qui la maniedune main pieuse et sre elle ouvre aussi lautrergion.

    Jai visit les deux mondes. Lamour ma conduit tout au

    fond de ltre.Jai port sur ma poitrine le poids de la nuit, mon front adistill une sueur de mur.

    Jai tourn la roue dpouvante de ceux qui partent et re-viennent. Il ne reste de moi en maint endroit quuncercle dor tomb dans une poigne de poussire.

    Jai explor ttons les labyrinthes hideux du monde de

    fureur et sous les grandes eaux sommeillent mes pa-tries tranges.

    Je me taisais. Jattendais que la folie de mon roi me saist la gorge. Ta main, mon roi ! est sur ma gorge.Cest l le signe, voici linstant. Je parlerai.

    Tu mas fait natre dans un monde qui ne te connat plus,

    sur une plante de fer et dargile, nue et froide.

  • 7/30/2019 Milosz - Poemes

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    Au milieu dun grouillement de voleurs abms dans lacontemplation de leur sexe.

    L, la puanteur du massacre succde lencensement

    imbcile des trompeurs de peuples.Et pointant, fils de la boue et de la ccit, je nai pas demots pour dcrire

    Les prcipices diniquit de cet autre Tout, de cet autreIllimit

    Cr par ta propre toute-puissance de ngation.Ce lieu spar, diffrent, hideux, cet immense cerveau

    dlirant de LuciferO jai subi durant lternit lpreuve de la multiplica-

    tion des grands fulgurants, des systmes dserts.Le plus atroce tait au znith et je le voyais comme dun

    prcipice de soleil noir.Ah ! sacrilge infini auprs duquel le saint cosmos dve-

    lopp devant notre monde infimeEst comme un carr de givre illumin pour la Nativit etprt fondre au souffle de lEnfant.

    Car tu es Celui qui est. Toutefois, tu es au-dessus de toi-mme et de cette ncessit absolue par laquelle tu es.

    Voil pourquoi, Affirmateur, la totale ngation est en toi,libert de prier ou de ne pas prier. Voil pourquoi

    aussi tu fais passer les affirmateurs par les grandespreuves de la ngation.

    Car tu mas jet dans la chaleur la plus noire de cetteternit dpouvante o lon se sent saisi

    la mchoire par le harpon de feu et suspendu dans lafolie du vide parfait,

    Dans cette ternit o les tnbres sont labsence delautre soleil, lextinction de la joyeuse ellipse dor ;

  • 7/30/2019 Milosz - Poemes

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    O les lumires sont fureur. O toute chose est moelle deliniquit.

    O lopration de la pense est unique et sans fin, partant

    du doute pour aboutir au rien.O lon nest pas solitaire mais solitude, ni abandonnmais abandon, ni damn mais damnation.

    Je fus voyageur en ces terres du nocturne fracasO, seuls parmi les choses physiques,Lamour furieux et la lpre du visage baignent leurs

    maudites racines.

    Jy ai mesur, ver aveugle, les sinuosits dune ligne de tamain. Ce pays de la nuit dense comme pierre,

    Ce monde de lautre toile du matin, de lautre fils, delautre prince, ctait ta main ferme. Cette mainsest ouverte et me voici dans la lumire.

    Il faut lavoir vu, Lui, lAutre, pour comprendre pour-

    quoi il est crit quil vient comme le voleur. Il estplus loin que le cri de la naissance, il est peine, ilnest pas. Lespace dun grain de sable, le voici toutentier en toi, lui, lautre, le prince assis muet dans laccit ternelle.

    Toi dans luf solaire, toi, immense, innocent, tu teconnais. Mais les deux infinis de ton affirmation et

    de ta ngation ne se connaissent pas, ne se conna-tront jamais, car lternit nest que la fuite de lundevant lautre.

    Et toute la hideuse, la mortelle mlancolie de lespace etdu temps nest que la distance dun oui un non et lamesure de leur sparation irrmdiable.

    Cest ici la clef du monde des tnbres.

  • 7/30/2019 Milosz - Poemes

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    Lhomme en qui ce chant a rveill non pas une pense,non pas une motion, mais un souvenir, et un sou-venir trs ancien, cherchera, dornavant, lamour

    avec amour.Car cest cela aimer, car cest cela amour : quand oncherche avec amour lamour.

    Jai cherch comme la femme strile, avec angoisse, avecfureur. Jai trouv. Mais quoi ? mais qui ? le domina-teur, le possesseur, le dispensateur des deux lpres.

    Et je suis revenu, afin de communiquer ma connaissance.

    Mais malheur qui part et ne revient pas.Et ne me plains pas dy tre all et davoir vu. Ne pleure

    pas sur moi :Noy dans la batitude de lascension, bloui par luf

    solaire, prcipit dans la dmence de lternit noired ct, les membres lis par lalgue des tnbres,

    moi je suis toujours dans le mme lieu, tant dans lelieu mme, le seul situ.Apprends de moi que toute maladie est une confession

    par le corps.Le vrai mal est un mal cach ; mais quand le corps sest

    confess, il suffit de bien peu pour amener soumis-sion lesprit mme, le prparateur des poisons secrets.

    Comme toutes les maladies du corps, la lpre prsagedonc la fin dune captivit de lesprit.

    Lesprit et le corps luttent quarante ans ; cest l le fa-meux ge critique dont parle leur pauvre science, lafemme strile.

    Le mal a-t-il ouvert une porte dans ton visage ? le messa-

    ger de paix, Melchisedech entrera par cette porte et

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    elle se refermera sur lui et sur son beau manteau delamies. Mais rpte aprs moi : Pater noster.

    Vois-tu, le Pre des Anciens, de ceux qui parlaient le lan-

    gage pur, a jou avec moi comme un pre avec sonenfant. Nous, nous seuls, qui sommes ses petits en-fants nous connaissons ce jeu sacr, cette dansesainte, ce flottement heureux entre la pire obscuritet la meilleure lumire.

    Il faut se prosterner plein de doutes, et prier. Je me plai-gnais de ne le point connatre ; une pierre o il tait

    tout entier mest descendue dans la main et jai reuau mme instant la couronne de lumire.

    Et regarde-moi ! environn dembches je ne redouteplus rien.

    Des tnbres de la conception celles de la mort, un filde catacombes court entre mes doigts dans la vie

    obscure.Et pourtant, qutais-je ? Un ver de cloaque, aveugle etgras, queue aigu, voil ce que jtais. Un hommecr par Dieu et rvolt contre son crateur.

    Quelles quen soient lexcellence et la beaut, aucunavenir ngalera jamais en perfection le non-tre. Telle tait ma certitude unique, telle tait ma pense

    secrte : une pauvre, pauvre pense de femme strile.Comme tous les potes de la nature, jtais plong dans

    une profonde ignorance. Car je croyais aimer lesbelles fleurs, les beaux lointains et mme les beauxvisages pour leur seule beaut.

    Jinterrogeais les yeux et le visage des aveugles : comme

    tous les courtisans de la sensualit, jtais menac deccit physique.

  • 7/30/2019 Milosz - Poemes

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    Ceci est encore un enseignement de lheure ensoleilledes nuits du Divin.

    Jusquau jour o, mapercevant que jtais arrt devant

    un miroir, je regardai derrire moi. La source deslumires et des formes tait l, le monde des pro-fonds, sages, chastes archtypes.

    Alors cette femme qui tait en moi mourut. Je lui donnaipour tombeau tout son royaume, la nature. Jelensevelis au plus secret du jardin dcevant, l o leregard de la lune, de la prometteuse ternelle se di-

    vise dans le feuillage et descend sur les endormies parles mille degrs de la suavit.

    Cest ainsi que jappris que le corps de lhomme renfermedans ses profondeurs un remde tous les maux etque la connaissance de lor est aussi celle de la lu-mire et du sang.

    O Unique ! ne mte pas le souvenir de ces souffrances,le jour o tu me laveras de mon mal et aussi de monbien et me feras habiller de soleil par les tiens, par lessouriants. Amen.

  • 7/30/2019 Milosz - Poemes

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    LA CONFESSION DE LMUEL

    LHOMMEQuand je mesure ce chemin parcouru, moi, ver sous le

    plancher,Quel amour et quelle piti me saisissent le cur pour les

    frres soleils dans la nuit !

    Et pourtant, eux aussi ils sont de ce monde-ci, dici. Oh !Permets que je regarde enfin plus loin, bien plus loin

    en moi-mme.Ah ! je le sais bien, toi, toi tu sais ce quil y a l, et com-

    ment naurais-je pas honte ?Dabord, une ferveur de runir les Spars,

    Une angoisse de marier le feu et leau,Plus tard, limmense adieu de lpoux lpouse,Une division des deux belles clartsDu jour et de la nuit... Certes, cest peu ; mais, rponds-

    moi,Qui, parmi tes enfants, qui donc, depuis linstantO tu te reconnus dans les traits dune viergeComme en un sommeil deau, a jamais eu besoinComme moi, pour lire en son esprit, de la lumire de la

    femme ?Qui, heureux ! qui veux que lon pardonne, qui ?Et cela de toi, mauvais, qui ne venait pas, ma colreLa pourchass avec les maigres chiens courants

    Du gmissement de luxure. Mais,L encore, une piti de pre, Pre !

  • 7/30/2019 Milosz - Poemes

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    Se dchirant en moi, obscure sabattaitComme glace dt sur ma noire chaleur.De sorte que dans cette vie, la mienne, comme dans le

    labourOcanique, parmi les sillons de montagnes,Tout, tout ne fut que tourment, amertume et strilit.Mais, toi qui sais, comment pouvais-je savoir moiQui tais comme le frmissement sacrDu paon douloureux et beau de MidiQue cela que jattendais du dehors

    Me viendrait de moi-mme, et, feu conscient de sa route,Pur, joyeux et puissant comme lme de lor,Soudain, sarrterait comme sur Josu,Pour toucher dun regard omniscient dpouseLa vue intrieure, l, entre les sourcils...

    (Silence.)

    Ce fut l la jeunesse avec ses jours, et puisVint lge mr avec ses nuits ;Derrire le rideau de lassoupissementCes terrasses, tu sais, hautes, hautes, quon balayait, ces

    pierresAussi qui, trois par trois, quatre par quatreTombaient tristement, do ? dans le puits du sommeil.

    Et certaine nuit... Mais ce sont l chosesDont le nom nest ni son, ni silence.

    CHUR

    (Un chuchotement nombreux.)Parle. Dis

    Impitoyablement ce que ton me a vuDans le cosmos aveugle, gar et abandonn.

  • 7/30/2019 Milosz - Poemes

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    84

    Parle, et imite lternit quand elle dit : non.Dans ces dserts o jamais Oui na rsonn.Dis-nous comment des pieds la tte, le corps

    Devient pense, dans ces pays plus insensibles que la lpre.Quel cri des tnbres imparfaitesDici contient le nom de cette nuit totaleVide des deux soleils ?Parle. Que tadvint-il dans cet infini AUTREVu comme par des yeux de race disparue ?AUTRE. Nest-ce point l lunique mot ?

    AUTRE. Non pas seulement diffrent,Nest-il pas vrai, mais AUTRE,Et dfendu, ferm, mais ne veux-tu pas dire :Mme la toute-puissance dici ?Dans cet infini AUTREO celui-l qui nous contient est inconnu,

    O lespace est la nuit au dedans de la pierre.LHOMME

    Je me sparai delle qui, par luvre de mainte anneEtait devenue mon enfant, dans ce long corridor dhtel,Et maintenant quel froid coupe mon me en deux ! Jtais seul dans ma chambre allemande et je savais

    Que de lautre ct du mur, cette chose dormaitPour la dernire fois trois pas de ma vieEt que, sans me revoir, au petit jourElle sen irait si enfant, si enfantVers la vaste, froide, vide vie.

    (Silence.)

    En moi, lobissance envers moi-mmetait plus forte que tout

  • 7/30/2019 Milosz - Poemes

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    85

    (Silence.)Et il vint un moment o je sentis CECI :Une soudaine immensit

    Inexprimable, diffrente, spare,Maspira dans un univers o le Oui navait plus de sens.Pays ferm nos vivants et nos morts :Tout tait pntr dune autre ternit,Dune autre ncessit, dun autre Dieu...La toute-puissance de l-basNtait mme plus lennemie de celle dici.

    Sparation.Oh ! sparation.Les deux omnisciences ne se connaissaient pas.

    Tout, tout mtait dchirement. Comme les entraillesBrusquement ramasses sous la main du boucher, tout

    Mtait dchirement.Et pourtant, je gardaisUn sens, un toucher sr pour cette sainte choseO cesse le lieu. Et le souvenirDun merveilleux pass mclairait. MmeIl advint quun Temple

    CHUR(Mme chuchotement.)

    Est-ce vrai ? Tu te souviens ? Une arche dimmobilitSur lespace cr, dans le lieuSeul situ. Le mot unique ici : SURFACELes cimes dor de la mditation

    Pour cette nef ne sont point cueils.L, plus despace dascension :

  • 7/30/2019 Milosz - Poemes

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    86

    Tout nest que Salutation.Et puis, cest le retour cherche en tes souvenirs La chute la Ligne Droite, premire.

    LHOMME tout en pierre de compassion,

    Port par un nuage de voix, je ne sais o ;Suspendu tout en haut, dans le Rien dsir,Inaccessible au vol immobile, cruel, muetDes noirs, vides, froces espaces.

    Et je tombaiEt oubliai ; puis, tout coup, me ressouvins.

    CHUR

    (Mme chuchotement.)De la vie la vie, quel chemin !

    LHOMMEJe crois bien que cest tout.

    CHUR

    Non, il y a les hommes.

    LHOMMETout le drame du peuple luSest jou dans ce cur profond.Ils ne savent pas ce quils font.Ils ne le savent plus.

    CHURTu les hais donc ?

  • 7/30/2019 Milosz - Poemes

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    87

    LHOMMEJe les ai fort longtemps has,

    Vieux cur de voyageur ; et dans tous les pays. (Silence.)Cependant, certain jour Et cest l un de ces souvenirsQui ne sont plus mesure du tempsEt que lon aimeNon point pour leur trsor de jours, mais pour eux-

    mmes,Je me laissai porter par une vague humaineAu sommet dune tour.Ctait Juillet, ctait Midi. Midi, Juillet.Il faisait chaud comme aux sources du sang.Vivre tait comme un trs vieux vin

    De sucre au chevet dun convalescent.Dans limmobilit de lairLe feu laissait tomber lor de sa lourde haleine.Jamais je navais vu si pleineLa coupe de sanglots de lunivers.Lesprit, la chair, Le mal et le bien,La tristesse et la joie,

    Le grand et le petit, oh ! comme tout tait humainEn moi !

    (Silence.)

    CHUR

    Roi,

    Parle.

  • 7/30/2019 Milosz - Poemes

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    88

    LHOMMEEt ma vue descendit vers cette chose griseDans la vibrante profondeur :

    Maisons, usines, Gares, glises, Partout, partout,Aux bords du fleuve, aux flancs de la colline,Entasss, disperss, amoureux et hostiles,Ces nids de boueTremps dune salive dinsectes btisseurs.Et l-bas, oh ! l-bas...

    CHUR

    Tes frres, tes surs.(Trs long silence.)

    LHOMME

    Alors, dans un clairDe lance dans le flanc percJe compris tout,LAnnonciation et le Verbe fait chair.Oui, dans un clair de penseJe compris, je sentis, je vis

    COMMENT LES CHOSES STAIENT PASSES.

    (Silence.)

    Maintenant, les trois annes de renoncement aprs lesquarante ans dattente tirent leur fin. Je comprends,

    je sens enfin que je sais, que jai toujours su, etquil est ici mme une certaine manire de tout

    connatre.

  • 7/30/2019 Milosz - Poemes

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    89

    Jai ferm ma vue et mon cur. Les voici rconforts,Que je les ouvre maintenant. toute cette chosedans la lumire. ce bl de soleils. Avec quel bruis-

    sement de vision il coule dans le tamis de la pense.Immense, ternelle, effrayante Ralit. Cest toi, de tou-

    tes les possibilits, toi la plus extraordinaire. Car tunes pas en moi, et cependant je suis ton lieu ; je pas-serai, et tu demeureras ; et pourtant, nous deux, noussommes insparables ; mon amour tembrasse, et

    cest l ton unique borne, Illimit !

    Et que serais-tu sans cette attestation intrieure, sans ceOui en moi jet comme un pont de montagne entreles deux massifs de nuit davant et daprs.

    CHUR(Un peu plus haut.)La plus humble chose a sa vrit silencieuse.Mais aux fils des artificieusesIl faut de sacrilges merveilles nous le savons.Et o est parmi vous celui qui ici mmeSur cette terre, gote dans sa plnitude, la saintet

    Dont le ciel que nous respironsPntre tout instant votre pain, votre vin ?Homme, homme, quel chemin tu as faitPour arriver nous qui tions en toi.

    (Ils pleurent.)

    LHOMMEO merveilleux, merveilleux

  • 7/30/2019 Milosz - Poemes

    90/106

    90

    Penchs sur moi, car je sais, je sensQue vous vous inclinez vers moi pour chuchoter,Votre chuchotement est celui

    De merveilleux tendrement penchs Tandis que sur moi vous vous penchezDans un chuchotement merveilleux,Tandis quautour de moi vous chuchotezDe la sorte, dans un frmissement dlytresO merveilleux (et quoi donc prdomine en vous,Chuchoteurs, lhomme ou la femme ?)

    Laissez-moi, innombrables que jaime comme un seul,Beaux faire mal, insupportablement gracieuxVous demander une grce.

    CHUR

    Elle est accorde.

    (Ils rient.)LHOMME

    De longues, longues, puissantes annes,Et un immense amour, semblable au vtre,Ici-mme dj comme vous autres,Et une Action, une noble, une haute Action,

    Pacificatrice, purificatrice, comme la vtre,Ici-mme, ici-mme, rieurs-pleureurs, comme la vtre.

  • 7/30/2019 Milosz - Poemes

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    91

    LA NUIT DE NOL DE 1922 DE LADEPTE

    LADEPTEFaisons, sept fois pour le pass, et pour nos troisjours venir, trois fois le signe, le signe ! le signe nour-rissant, dsaltrant, rafrachissant, nos mains, nosfronts, nos curs, le signe vainqueur, le signe vain-queur de la Croix. Et vous, Batrix, paix vous, reposez-vous ! Faites silence dans ce corps, le mien, terrestre de-meure. Car vous remuez trop, car vous faites un bruitcomme de pas dans ma tte et dans mon cur. O septannes dshrites ! Ma robe de patience ma quitt lam-

    beau par lambeau.

    BATRIX

    Tu dis vrai, matre. Oui, cest bien la septime annede luvre candide et secret. Sept annes, matre ! Mais,cette nuit, ils vont natre dune miraculeuse et semblablemerci, lun Bethlem, lautre ici.

    LADEPTELes parents dorment l, tendres mtaux poux, dans

    cet uf appuy sur le feu nuptial. Quils sont beaux, in-nocents !

    BATRIX

    Tu les vois donc ? Comment ? Dans cet uf hermti-que ? Avec quels yeux ?

  • 7/30/2019 Milosz - Poemes

    92/106

    92

    LADEPTEChre enfant, par la grce de la vue du milieu. Et

    puisque nous nous connaissons depuis sept ans, je te tou-

    che le front.BATRIX

    Adieu, espace, temps.

    LADEPTELe clocher va bientt sonner ses douze coups. Devant

    le cher fourneau, adorons genoux.(Silence.)

    O divin Matre, souviens-toi quil est, mme pour toi,une Hauteur. Implore, implore pour moi ta sainte pousela Blancheur.

    (Silence.)

    Je regarde. Et que vois-je ? La puret surnage, le blancet le bleut surnagent. Lesprit de jalousie, le matre depollution, lhuile de rongement aveugle, lacrymale,plombe, dans la rgion basse est tombe. Lumire delor, charit, tu te dlivres. Viens, pouse, venez, enfant,nous allons vivre !

    BATRIXCher poux, prends garde ! coute, regarde. Il siffle

    encore, il rampe encore quelque chose datroce au fond.Penche-toi, sainte face. Je ne sais ce qui se passe : ce quetu fais, ils le dfont. Ils sont lgions, obscurit, masse,menace...

  • 7/30/2019 Milosz - Poemes

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    LADEPTEJe nen vois quun. Il danse en rond dans la rigueur du

    rouge et du j