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Mémoire de Master Architecture, mémoire, conception M22R Enseignants : Daniel Estevez, Philippe Lamy Georges Flechner Ensat 2009

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Mémoire de Master

Architecture, mémoire, conception

M22R Enseignants : Daniel Estevez, Philippe Lamy

Georges Flechner

Ensat

2009

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Sommaire

- Problématique :Comment faire ses choix ?

Deux attitudes opposées : - F.K : Des règles universelles

- L.V : L’observation

A) Présentation des personnages :Parcours et motivations

B) Rôle de l’architecte :- F.K : L’architecte expert

- L.V : L’architecte usager

C) Linda Voy, architecte usager. Etudes, questionnements, expérimentations, adaptations, négociation.

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F) Bibliographie.

D) Friedrich Kise, architecte savant.Des règles universelles, fondamentales, une ligne de conduite.

E) Conclusion.L’architecte arbitre et négociateur.

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Très tôt je me suis intéressé à l’architecture et à la construction. J’avais l’envie d’apprendre les techniques de construction, et de mise en œuvre. Les métiers du bâtiment m’intéressaient et continuent de m’intéresser beaucoup.

Comme beaucoup de personnes, j’avais alors une conception de l’architecture très limitée à la technique. En effet je ne voyais pas le rôle de l’architecte dans toute sa dimension et l’idée que je m’en faisais était très restreinte puisqu’elle s’arrêtait à l’acte de bâtir et aux domaines juridiques et économiques.

Venons-en au fait, le principal bénéfice de l’enseignement de Toulouse a étéde m’ouvrir les yeux sur ce qu’implique toute décision d’architecte. L’impact peut être immense.La question principale est de savoir comment se prennent ces décisions.

« Commodité, solidité, beauté » disait Vitruve en 500, Venturi expliquait que ces notions étaient contradictoires et même incompatibles en 1962. Le Corbusier donnait les dimensions de l’architecture par le modulor en 1930, et Louis Khan pensait que l’architecture n’existait pas, qu’il fallait chercher àfaire une offrande à l’esprit de l’architecture.

Une chose est sure l’architecte prend des décisions qu’il le veuille ou non, il est contraint à un certain degré d’arbitrage. Le problème, qui fait la beauté de la pratique de l’architecture, est qu’en opposition à l’ingénierie, le doute est perpétuel.

A mon avis la réflexion qu’il faut porter ici est celle de la dualité du statut de l’architecte, il est à la fois usager et concepteur. L’observation est à mon avis primordiale pour comprendre à la fois les besoins humains, les possibilités ainsi que le fonctionnement de la société.

Là encore je pense que l’architecte prend position par rapport à ces notions d’usages, de tradition et à ces conventions.

« Voilà : le type entre, il pose son chapeau ici,… et s’il faisait autrement »

Pourquoi ?L’entrée est en bas de la rue…

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J’ai alors décidé d’interviewer deux architectes qui ont des positions radicalement différentes.

L’un est allemand, Friedrich Kise, la seconde est hollandaise, Linda Voy.

Ces personnages sont totalement fictifs, bien qu’inspirés de faits réels, toute ressemblance avec des personnes ayant déjà existé ou vivant encore ne serait que fortuite.

Friedrich Kise est mondialement connu, Professeur à l’école d’architecture de Berlin, et de l’université polytechnique de Zurich.Il a révolutionné la pensée de la fabrication de l’architecture de son époque notamment grâce à ses écrits très didactiques, dans lesquels il pose les bases de sa vision de l’architecture.

Il y explique les règles d’une architecture logique, simple, d’un retour à ce qui est fondamental. Une pensée théorique et doctrinale entièrement tournée vers la réflexion autour des questions universelles. Il aborde la fois les mesures mathématiques et ce qui a trait au sensible, ainsi que la place de l’humanité dans l’architecture.

Il se pose en tant que professeur de la profession et des citoyens, donne de nombreuses conférences et à réalisé plusieurs grandes œuvres à travers le monde.

Sa réflexion porte également sur l’échelle de la ville, Pour lui architecture et urbanisme ne font qu’un et ce sont des échelles indissociables dans la fabrication de l’espace. Il cherche ainsi à organiser la ville à travers l’architecture de la manière la plus rationnelle et fonctionnelle possible.

Il est pour beaucoup un maître incontesté de composition spatiale et de création d’émotions, mais reste néanmoins critiqué et décrié pour sa vision de la ville.

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Linda Voy connaît une renommée moins importante. Elle est pourtant une actrice active de la scène locale hollandaise, et plus précisément de sa région natale Utrecht.

Pourtant publiée à plusieurs reprises, elle préfère rester à l’écart de la scène internationale, et travaille uniquement dans la région d’Utrecht.

Autodidacte et anthropologue de formation, son architecture est profondément ancrée dans la tradition des modes de vie hollandais. Elle se nourrit également fortement de ses nombreux voyages à travers le monde.

Linda Voy milite contre « l’envahissement de l’architecture du star system international dans son pays » notamment dans les nouveaux quartiers. Elle est intéressée par les questions urbaines liées aux lieux dans lesquels l’architecture s’insère.

Bien que travaillant sur ces questions urbaines auprès de la mairie d’Utrecht, l’essentiel de sa production est constitué de petits projets, notamment petits groupes d’habitats et maisons individuelles ainsi que quelques édifices culturels.

Malgré un attachement flagrant aux valeurs et traditions, elle sait tirer profit des possibilités de son époque en réinterpétant l’art de bâtir hollandais, notamment au travers de l’usage de matériaux préfabriqués comme le bois et le métal.

Faisant peu d’interventions sur la scène publique et ayant très peu écrit, elle a bien voulu me recevoir, mon mémoire sera donc à ce jour une des seules traces de sa vision de l’architecture.

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Voici donc les notes de mon entretien avec ces deux architectes.

A ) Formation et motivations :

GF - Je m’excuse de l’extrême banalité de mon entrée dans le discours, mais puis-je vous demander de m’expliquer votre parcours ainsi que ce qui vous a motivés à devenir architecte.

LV - Qui commence ?

FK - Allez-y honneur aux dames.

LV – D’accord. Pour commencer ce qu’il faut savoir, c’est que je n’ai reçu aucune formation ayant un rapport direct à l’architecture. Dans certains pays je n’aurais même pas le droit de bâtir.

Mon père était agriculteur, ma mère professeur d’histoire au collège. Nous vivions dans un petit village proche de Utrecht.

Etant jeune je n’avais aucun attrait particulier envers l’architecture. J’ai effectuéun bac littéraire, puis intégré et réalisé une licence d’anthropologie toujours en restant à Utrecht.

GF – Ce n’est donc à priori ni votre formation scolaire, ni votre environnement qui vous ont prédestiné à vous passionner pour l’architecture?

LV – A priori non, mais je pense que mes expériences dans des cultures qui m’étaient inconnues aussi diverses qu’étonnantes, ainsi que mon fort attachement à ma terre se ressentent à travers mon architecture. Je vais vous expliquer comment j’en suis venue à devenir architecte dans mon propre pays.

Après mes études, je me suis embarquée dans divers petits boulots d’intérim, ne trouvant pas de job en accord avec ma formation ( cela se limitait à faire visiter les anciens moulins dans je ne sais même plus quel village ). L’intérim est un formidable outil de formation pour quelqu’un comme moi.

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LV – C’est parfois très fatiguant car on a à peine le temps de s’habituer à une tâche que l’on nous demande de nous adapter à un tout autre contexte en changeant complètement de travail du jour au lendemain.Cela a le mérite de nous faire découvrir ce dont on est capable. Même des choses que l’on ne soupçonnait pas.

Cette période de ma vie a été très importante puisqu’elle m’a d’abord permis de faire mon entrée dans la vie active et m’a également permis de mieux comprendre le fonctionnement de la société.

GF – Est-ce justement cette découverte de la société qui vous a poussé à la quitter ?

LV ( esquisse un sourire ) – Pas du tout c’est un hasard extraordinaire qui m’a permis de vivre ce que j’ai vécu.

Durant l’hiver 1981 j’étais serveuse au Bring’s coffee, et je m’occupais en même temps de la scénographie d’une exposition de photographies sur une petit village du Sud-Ouest mauritanien nommé Mokobé près de Rosso, à la frontière avec le Sénégal. ( J’avais choisi d’étudier cette région deux ans auparavant à l’occasion d’ un travail de fin de licence )

Cette exposition avait lieu dans le centre ville de Utrecht, et elle a connu pour je ne sais quelle raison un grand succès local par rapport à ce qu’on espérait.

Parmi les visiteurs ; un homme était particulièrement remarquable puisqu’il est resté toute la journée, il attendait sûrement la fin de mes heures de travail puisqu’il est tout de suite venu me voir à la fermeture de l’expo.

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Il était très séduisant et avait l’air cultivé, il avait notamment consacré une partie de sa jeunesse à comprendre les peuples de cette région mauritanienne.

Il était journaliste et en charge d’un article sur la manière de bâtir en Mauritanie. Mais son véritable intérêt était de voyager.

Il me proposa de le suivre pendant six mois à Mokobé pour aller vivre avec ces villageois sur l’autre continent.

GF – Et vous l’avez- fait, c’est une décision très courageuse.

LV – En fait, âgée de 24 ans, je crois que j’étais plutôt inconsciente.

J’ai effectué vaccins et papiers et deux semaines plus tard je faisais mes valises.

C’était la première fois que je quittais mon pays et ce fut une expérience magnifique. Ce peuple est très accueillant, nous avons partagé de formidables moments, j’ai beaucoup appris sur la nature humaine.

Cela m’a donné envie de visiter le monde et d’en apprendre plus sur d’autres cultures, je suis alors passée par Madagascar, la chaîne de l’Himalaya le Mexique et l’Europe, pour revenir en Hollande.

Le moment crucial de ma vie fut ma rencontre avec Louis Antonio. Il était architecte et nous nous sommes rencontrés au Mexique. Bien que travaillant en Europe, il se passionnait pour l’habitat primitif de certaines tribus d’Amazonie. Ce qui le fascinait c’était l’acte spontané de bâtir, la mobilisation du village entier pour construire l’abri familial.

Bien je vois que vous baillez, je vais essayer d’arrêter de m’étendre sur ma vie.

Avant ma rencontre avec Louis je ne savais pas dessiner, c’est lui qui m’a appris à retranscrire avec force et sélection des émotions qu’une photo ne peut pas raconter.

Il m’a alors offert de travailler avec lui , en Europe.

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GF – D’accord, si j’ai bien compris, ce sont vos expériences à travers ce tour du monde, qui en quelque sorte vous ont transformée et poussée à devenir architecte.

LV – Tout a fait exact, mais je vais laisser la parole à mon confrère, je me suis déjà trop étalée.

Et vous Friederich, comment êtes-vous devenu architecte?

FK – Ne vous inquiétez pas nous ne sommes pas pressés et puis votre jeunesse a l’air d’avoir été passionnante.

J’ai un parcours très différent, et croyant à la destinée, j’ai l’impression d’être népour devenir architecte. Cela peut paraître saugrenu, je vais vous expliquer.

Mon père était maçon et ma mère restait à la maison pour s’occuper de mes deux frères et de moi.

Mon père taillait la pierre comme personne, il était très connu dans la région. Son métier le passionnait, à cette époque, tout était plus lent et on prenait le temps de faire les choses, aussi il était reconnu localement pour son enthousiasme, et pour la qualité de ses réalisations.

Ma mère dessinait sans arrêt, et quand nous lui laissions un peu de temps, elle peignait.

Quoi de plus naturel alors pour un fils de maçon et de dessinatrice, que de devenir architecte. Mes parents étaient des gens passionnants, je crois, et il m’ont inculqué cet amour de l’art.

Je suis donc entré à l’école d’architecture de Berlin pour y étudier et me former àce métier.

J’ai également pas mal voyagé étant jeune, surtout dans le but d’aller vivre l’architecture.

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B) Rôle de l’architecte :

GF – Friederich, vous êtes professeur de projet, quel est selon vous, le rôle auquel doivent se préparer les futurs architectes, et comment doivent-ils s’y préparer?

Ces deux architectes ont des positions radicalement différentes à la fois dans leur vision du métier et bien sur dans leur pratique du projet d’architecture.

Je voulais tout d’abord connaître le rôle qui selon eux, incombait à l’architecte.

FK – Ahh!!! vous les étudiants, vous ne pouvez pas vous empêcher de poser des questions pompeuses! C’est très difficile de vous répondre, il me faudrait six mois.

La première chose à considérer est que l’architecte est qualifié, ou censé l’être, en réalité très peu le sont.

Nous sommes les interlocuteurs privilégiés de la création de l’espace, je pense qu’il y a ici quelque chose de mystique et cela exige un profond respect de la chose. L’architecte doit ainsi connaître les fondamentaux, ces principes intemporels et universels qui régissent l’acte de bâtir. Je prône une réflexion sur l’universalité de toute chose.

Il faut définir des règles fondées sur la raison et sur l’étude des merveilles qui furent bâties au cours des siècles. Il faut penser de manière rationnelle pour répondre aux besoins actuels.

Cette école est malheureusement trop oubliée de nos jours. Je m’efforce de la faire perdurer à travers mon enseignement. Les architectes seront respectés s’ils respectent l’espace et sa fabrication.Il faut qu’ils montrent comment bâtir, s’ils ne le font pas qui le fera?

GF – Dans vos écrits on a l’impression, parfois, que vous adoptez la position d’un prophète.

FK – Votre lecture est amusante, car je vous le disais, pour moi il y a quelque chose de mystique presque sacré dans l’acte de bâtir. Un bâtiment quel qu’ il soit signifie une ascension, il s’élève de la terre pour aller vers le ciel. L’homme combat la gravité avec ce que la terre lui a offert, il crée l’espace avec ses mains.

Les matériaux, et leur mise en œuvre exigent un respect et nous nous devons de les connaître et de les utiliser avec intelligence.

Nous sommes donc là pour montrer la voie.

Nous sommes les experts de la fabrication de l’espace.

Je ne sais comment répondre plus explicitement à votre question, je vais laisser Mme Voy vous expliquer son point de vue. 9 / 27

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GF – Et vous Linda Voy, quelle est votre vision de ce métier?

LV – Tout d’abord je tiens à saluer l’attitude de mon confrère pour ce militantisme d’entrée de jeu, mon attitude assez différente vis-à-vis de la pratique de ce métier.

Comme je vous l’ai dit auparavant, je n’ai reçu aucune formation à proprement parlé, si ce n’est mon expérience professionnelle. Il m’a donc fallu apprendre sur le tas, et mon travail, en tant qu’architecte, s’est fait des leçons de mes expériences. Je pense que mes projets sont le résultat d’adaptations et d’expérimentations, d’une relation étroite avec les maîtres d’ouvrage qui souvent s’impliquent assez furieusement dans la conception du projet.

Mon architecture n’est pas faite de règles, elle se contextualise.

Je ne sais pas faire avec des règles, comme tout architecte je fais sans arrêt un travail d’expérimentation, mais j’ai l’impression de le pousser assez loin quand je compare avec d’autres.

Pour moi, le parallèle avec l’art est très important dans le sens ou on réinterroge sans arrêt la notion de la création.

Comment créer?

Quels processus?

Quels paramètres l’influencent?

Quelle part d’autoritarisme du concepteur?

Il y a ces deux notions dans l’architecture :

la création un peu arbitraire comme en art, et la mise en situation.

GF – Vous avez été suffisamment claire en parlant de votre rapport avec la conception, mais qu’appelez-vous la mise en situation?

LV – En effet, c’est une expression peu précise ; pour moi il s’agit du contexte en général de la production, l’architecture se bâtit dans un site donné, en accord ou non avec celui-ci, elle dépend également des phénomènes de société( sociaux, économiques, politiques ), elle dépend aussi du maître d’ouvrage et donc du programme, c’est-à dire de l’usage du bâtiment. Sans oublier, enfin le cadre legislatif du projet.

GF – Et donc vous vous appuyez sur cette « mise en situation » pour vous guider dans la création?

LV – Tout-à-fait, c’est même un processus très naturel, chez moi ces données sont à la base de tout projet, à chaque fois c’est le point de départ de ma réflexion.

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GF – Pour faire court, pour vous Friederich Kise, l’architecte doit d’abord être un expert, il connaît et sait, alors que pour vous Linda Voy, l’architecte est plutôt un créateur qui dépend de sa société.

J’aimerai que vous m’en disiez plus tous deux sur ces conceptions assez différentes, mais dont je ne pense pas qu’elles soient incompatibles.

Au fait puis-je vous appeler par vos prénoms? Cela rendra le dialogue moins fastidieux.

LV – Avec plaisir !

GF – Linda, vous parlez souvent des usages, ou plutôt des comportements humains devrais-je dire, quand vous décrivez un de vos bâtiments, pouvez vous m’expliquer plus précisément comment vous percevez la chose?

FK – Bien sur

LV – Ok. Comme je vous l’ai dit j’ai passé beaucoup de temps dans ma jeunesse à voyager, vivre ailleurs, et même si je ne m’en rendais pas forcément compte sur le moment, à étudier la façon de vivre des gens à travers le monde.

Aussi, un bâtiment est avant tout destiné à être pratiqué, utilisé, aussi ma pratique puise énormément dans le fait que je suis une utilisatrice de l’architecture. C’est ce qui pour moi est passionnant. Je me base donc énormément sur l’étude de la pratique de ces espaces. Je me met sans arrêt « dans la peau de l’utilisateur ».

Cela me force à être le moins autoritaire possible, à laisser une place dominante à ceux à qui mon architecture est destinée.

C) Architecte usager :

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Pour moi ce qui fait la beauté de l’architecture, et de la ville qu’elle compose, c’est qu’elle vit.

Je déteste ces centre-ville mis sous cloche, je préfère voir en l’architecture les signes de la vie humaine, comme dans ces quartiers oû tout semble naturel, ce linge qui sèche, ces gens qui braillent dans la rue, ces ruelles tout le temps en chantier ou bien même la présence des ordures, cela prouve que la ville se forme et se déforme au grè de la vie humaine.

J’ai également du mal à apprécier ces nouveaux quartiers hollandais, si beaux soient-ils, si rationnels soient-ils, oû tout est carré sans aucune imperfection.

Je suis pourtant hollandaise et je crois que cette rationalité est quand même un trait de caractère assez fort chez nous. Depuis longtemps nous aimons l’ordre dans la façon de faire nos villes.

Ma pensée diffère ainsi un petit peu de celle de mon peuple.

GF – Pourtant cette rationalité de l’espace est indispensable chez vous, pour avoir visité plusieurs fois vos villes, j’ai même pensé qu’elle s’opérait de manière naturelle.

LV – Oui, vous avez raison, le manque d’espace nous force à être très dense et à penser l’urbanisme en conséquence. Les terres qui restent pour l’agriculture ne suffisent pas à nous nourrir, aussi ce problème de manque de place va aller en grandissant avec la montée du niveau de l’eau des océans. Nous nous devons d’être les plus économes possibles en espace.

Mais cela ne signifie pas qu’il faut négliger les autres données qui entrent en jeu.

Avez-vous déjà visité Ijburg à Amsterdam?

GF – Oui.

LV – Qu’en avez-vous pensé?

GF – La première fois, j’étais très impressionné par cette manière de faire la ville que nous connaissons très peu en France. En effet, le quartier parait très bien dessiné, très tramé, les rues sont parfaitement droites, tout est très bien organisé autour du tramway. Les équipements sont répartis de manière homogène autour des espaces publics les plus importants.

Les règlements imposent hauteurs et alignements, ce qui assure la cohérence du quartier, mais les matériaux et l’écriture architecturale sont libres.

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GF – Et puis avec du recul, et en comparant avec d’autres quartiers, j’ai trouvé cet urbanisme très peu vivable, trop aseptisé et trop homogène.

LV – En effet, pour moi c’est le contre-exemple même de la façon de faire la ville : les rues mesurent minimum six kilomètres de long, tout est très bien rangé( immeubles riches sur une avenue, logements sociaux en retrait, maisons en bandes à l’autre bout, il y a même un coin de pavillonnaire ). C’est la politique du zoning à l’échelle du quartier.

Tout est classifié, chaque chose est à sa place, il n’y a jamais un accident, jamais une imperfection.

Tout est tramé comme pour rentrer dans des cases.

Sans parler de l’usage qui est quasi-exclusivement dortoir ce qui n’a plus rien àvoir avec notre densité qui permet d’habitude l’installation d’activités, de commerces, d’édifices dédiés au travail, à l’éducation, la culture.

Je trouve que l’on impose trop ici une vision de la ville et donc une manière d’habiter et de vivre, qui pour moi, n’a plus rien de naturelle.

Paradoxalement, je préfère le modèle de la ville méditerranéenne qui subit un processus de transformation presque autonome, densification / dé-densification, qui se bâtit çà et là, parce qu'elle en a besoin.

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En bref, pour conclure sur cet exemple, pour moi l’architecture doit partir d’une demande sociale, de la demande des futurs usagers, si elle était partie d’eux, on pas vu un quartier comme cela.

Mais je vais quand même modérer mon jugement car ce n’est pas le pire quartier que l’on ait vu, simplement je trouve qu’on en a beaucoup trop parlé dans les médias, car c’est un catalogue d’architecture contemporaine, mais on a un peu oublié la dimension humaine. Simplement, pour moi il ne vit pas et ne peut pas évoluer, le quartier est fini.

Il faut comprendre comment les gens vivent, « utilisent » l’architecture.

Il faut étudier les mœurs. L’architecture est depuis toujours et pour tous les peuples une réponse à une demande sociale. Les besoins étaient simples à la base: s’abriter du vent, du soleil, de la pluie, du froid, du chaud, prier…Ils se sont complexifiés avec le temps.

Pour moi, il n’est pas possible d’être en contradiction avec son époque, il faut analyser cette réalité et l’accepter, tout en essayant quand même de prendre position. On peut envisager de faire mieux mais on ne pourra pas faire à l’inverse ou trop éloigné de ces codes et conventions qui sont en place, pour des raisonsqui parfois me dépassent, je l’avoue.

J’ai très peur de faire une architecture déconnectée de la réalité, de la réalité du site, de la réalité de son utilité, déconnectée de son époque et de l’attente de ses usagers.

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GF – Vous parlez souvent de l’inscription de vos projets dans leur époque, comme témoins de celle-ci. Mais un bâtiment a une durée de vie assez longue, il traverse souvent les âges et parfois on dit même qu’il est intemporel, comment vous placez-vous face à cette notion de durée?

LV – Pour moi la capacité à s’inscrire et durer dans le temps, c’est la capacité àpourvoir évoluer, vivre, s’adapter. Si l’architecture peut s’adapter, alors elle durera.

L’évolution d’une construction est très importante, aussi vous verrez que mes projets ont parfois un caractère non-fini, comme pour inciter à faire vivre cette architecture. Bien, je crois que j’ai fait le tour de la question, pour ma part.

GF – Oui, merci c’était plutôt clair, pourriez-vous, s’il vous plaît résumer en quelques phrases ce qui est primordial dans votre façon de faire.

LV – D’accord. Comme je vous l’ai dit, j’ai terriblement peu de fabriquer une architecture autoritaire, que l’on dise déconnectée ou ovni.

Je ne pense pas avoir de façon de faire, je n’ai pas « d’écriture », et je ne m’impose pas de règles, je ne sais pas faire avec des règles.

Quand je commence un projet, je m’offre une liberté totale, c’est comme si chaque projet était l’occasion de tout réapprendre, j’expérimente.

Ensuite le projet est nourri par ce que j’appelais tout à l’heure la mise en situation, le circonstanciel.

Pour résumer je suis très peu doctrinale, je n’appellerai pas cela de l’opportunisme, mais du réalisme et de l’adaptation.

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Je vous ait dit que j’avais peur de faire une architecture incomprise, élitiste, j’admet cette culture du trivial, sans porter aucun jugement, je ne pense pas que quiconque ait à le faire. Je compose avec cette culture.

Je ne pense pas qu’il y ait une façon de faire, mais d’innombrables façons de faire. « Cela appartient à l’architecture, cela mérite toujours d’être vu, mais quelqu’un d’autre le verrait autrement » Louis Kahn

Comme dans toute création, mon travail est le résultat d’un processus assez intuitif, qui s’adapte, se transforme, change.

Beaucoup de décisions sont très personnelles, pour moi c’est comme résoudre une équation avec une infinité d’inconnues et une infinité de réponses.

Mais je ne crois pas à un raisonnement scientifique. La raison, ou le raisonnable est très difficile, quasi-impossible à qualifier, aussi cette notion est pour moi très arbitraire. Je ne pense suivre une voie rationnelle, ou fonctionnaliste.

Comme dans toute œuvre art, il y a une grande part d’arbitrage de l’auteur, j’en suis consciente et je l’accepte.

Je m’offre donc la plus grande liberté, je n’ai pas forcément de méthode àproprement parlé. Je m’affranchis de tout présupposé et remet en question sans arrêt ma pratique et mon travail.

Je ne pense pas qu’il y ait une « ligne de conduite à suivre », je pense que chaque œuvre est unique, et que chaque auteur l’est également.

Pour moi il n’y a pas de théorie, ou d’école de l’architecture, mais cela vient peut-être de mon expérience personnelle.

L’architecture est un art spontané, présent partout sur terre, c’est aussi une œuvre collective qui ne peut se faire sans tous ces acteurs de la production, du décideur financier à l’usager, en passant par l’auteur.

Enfin, je crois que la beauté est très difficile définir, on ne peut établir des critères de beauté car elle extrêmement subjective.

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D) Architecte Expert :

GF – Très bien, merci d’avoir exposé votre point de vue. Je vais maintenant, si vous le voulez bien, recueillir le propos de votre confrère.

Friederich, je sais que vous êtes quelqu’un de beaucoup plus théorique, et très méthodique. Quelles sont ces règles, si je puis m’exprimer ainsi, auxquelles vous croyez?

FK – Bien, pour commencer je voudrais dire que ma méthode de travail est très éloignée, presque inverse à celle de LV.

Je trouve son propos assez juste, mais je voudrais souligner ici les limites de ce type d’approche, je m’explique.

Aussi, pour introduire mon propos je commencerai par émettre certains doutes quant à l’explication de LV.

Sans vouloir la critiquer, je crois en des choses qui sont pour moi plus fortes que ce qu’elle appelle le « circonstanciel ».

Pour moi l’architecture possède une dimension universelle et intemporelle, on dit parfois d’une construction qu’elle est éternelle.

Pour moi l’usage est tel qu’il est aujourd’hui pour des raisons historiques, culturelles, des modes qui évoluent parfois très rapidement, ou biens d’autres conventions incompréhensibles.

Je suis beaucoup plus critique que L.V. vis-à-vis de ces conventions. Aussi je me force à prendre un maximum de recul par rapport à ce que veut le circonstanciel.

En premier lieu le maître d’ouvrage n’est pas qualifié pour concevoir des espaces bâtis, je vous l’ai dit, pour moi l’architecte est le seul expert de la création de ces espaces.

Le maître d’ouvrage a souvent des envies impulsives. Demandez-lui comment il veut tenir le auvent qui abrite la terrasse, il vous répondra avec conviction et fermeté. Redemandez-lui un mois après, il aura changé d’avis.

Et je ne vous parle pas des besoins des futurs utilisateurs, dans cinquante ans.

Je pense que l’œil de l’architecte est plus approprié pour décider comment tenir le auvent, et qu’il faut essayer d’imposer sa vision de la chose.

Bien sûr, on ne peut rester insensible au maître d’ouvrage si on veut construire, mais en tant qu’expert il faut prendre un maximum de distance.

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FK – Ensuite, Linda Voy parlait des usages et de son architecture basée sur l’étude des comportements humains.

Comme je vous le disais tout à l’heure, pour moi les usages sont le résultat de conventions ou de mœurs, appelez-les comme vous voulez, qui changent àtravers le temps. Et cela peut parfois changer très vite.

« Si vous considérez que ce qui est a toujours été, ce qui est doit être considérécomme ce qui n’a pas disparu » Louis Kahn

Il faut en juger en conséquence. Il faut juger de ce qui est permanent et de ce qui n’est qu’une mode, un passage.

Contrairement à ce que dit Robert Venturi, je ne pense pas que s’éloigner du trivial, si il ne correspond pas à ce que je pense, m’amène à concevoir une architecture élitiste.

Je crois à une architecture basée sur la raison. Je vous l’ai dit pour moi, l’usage change, les modes de vie également, je me force ainsi à trier ce qui est bon ou mauvais dans ces conventions en cours.

Je crois justement que l’on peut influencer certaines choses et bouleverser ces usages qui peuvent être erronés ou inappropriés. On peut proposer mieux et être suivi, et parfois la réponse peut être plus appropriée à cette demande sociale que celle que l’on attendait de nous.

L’architecte est un expert, aussi personne d’autre ne peut savoir à quoi va ressembler sa réponse, ni même attendre une réponse programmée.

Qu’en serait-il si Le Corbusier en était resté à ce que les gens étaient habitués à voir ?

Je pense que ces « codes » sont hérités d’une culture qui diffère selon les pays, les régions, le niveau social. On n’a envie que de ce qu’on connaît.

Et si on ne connaît pas on n’en a pas envie, aussi l’envie peut naître avec la connaissance, je me fie plus à la raison qu’à l’envie des usagers de l’architecture.

- « une société qui ne crée pas de nouveaux modèles est sclérosée » Paul Chemetov

- « Si vous ne pouvez être des saints de la connaissance, soyez-en au moins les guerriers ». Friedrich Nietzsche

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FK – J’émettrai un maximum de réserve quand au contexte juridique. Je vous l’ai dit, j’obéis à des règles qui sont fondées sur mon expertise, et aussi paradoxal soit-il, je trouve que l’on se doit d’analyser ces règlements, et bien souvent de les contester.

On s’avance là sur un terrain très compliqué qui dépasse celui de l’architecture, creuser cette question mériterait une thèse, aussi je ne vais pas m’étendre dessus.

Cela est propre à chaque pays, chaque culture, chaque région, chaque village. Aussi les lois sont extrêmement circonstancielles, je dirais donc que l’on doit les respecter, mais lorsqu'un règlement vous parait arbitraire et dénué de sens, il faut tout mettre en œuvre pour y déroger si la raison vous pousse à le faire.

Un peu de discussion avec les services en ordre de faire appliquer ce règlement, je parle ici de nos interlocuteurs en charge du développement de la ville, suffit parfois à accomplir des choses qui paraissaient impensables.

Bien sûr, cela est plus facile quand vous avez un nom et sur des gros projets plutôt que sur des petits projets.

En tout cas suivre ces règlements presque aveuglément relève d’un manque de convictions, aussi faut-il les appliquer avec le recul nécessaire.

Vous l’aurez compris, j’ai une tendance à refuser le circonstanciel quand il me paraît dénué de sens.

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Par contre, vous avez parlé du lieu, cette notion m’intéresse plus, le rapport au site est même le premier élément de mon approche de l’architecture, je commencerai donc mon discours par cela.

C’est pour moi l’élément le plus fort du circonstanciel.

Linda Voy en a peu parlé finalement, malgré les qualités qu’a son architecture às’inscrire dans son site.

Le lieu est la première donnée que je prends en compte dans mon travail.

Sans le lieu, rien n’est possible. Aussi, y porter attention, c’est connaître son histoire, sa culture, comment ce lieu s’est formé. Là-dessus, je partage le point de vue de Linda Voy.

GF – Et quels sont les éléments auxquels vous vous attachez dans ce lieu?

FK – Tout dépend toujours de l’échelle de l’opération, je pense que plus l’échelle est importante, plus les données sont nombreuses à prendre en compte.

En premier lieu, les données géographiques (climat, vent, pluie, ensoleillement, morphologie du terrain, pente ), et plus difficile à définir, le paysage.

Le paysage est formé par des lignes de forces, elles peuvent être naturelles ou formées par les hommes, végétales, bâties, liées à la terre, cela peut-être une crête ou bien un tracé routier.

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FK –Il faut prendre en compte le paysage actuel et évaluer l’impact de l’intervention sur ce paysage; c’est-à-dire le nouveau paysage qu’elle fabriquera.« toute intervention suppose une destruction, destruction avec conscience »Luigi Snozzi

Ensuite, bien sûr, j’essaye de comprendre le fonctionnement du lieu, et son fonctionnement futur, avec le projet.Je crois que c’est l’étude du lieu qui fait que le projet sera viable ou non.

Donc la première des règles est de savoir ce qu’est le lieu et ce qu’il veut devenir.

Comme je vous l’ai dit tout à l’heure, je crois au changement si il parait inévitable et que la raison fait qu’il ne peut en être autrement.

Ainsi le lieu peut s’avérer totalement transformé par une intervention. On peut y lire des choses que l’on ne soupçonnait pas.

On peut bouleverser son histoire et remettre en cause, parfois totalement son fonctionnement.

J’obéis à la raison, je suis quelqu’un de très fonctionnaliste.

Je n’admets pas le superflu, l’artifice et l’ornement, ce qui n’a pas de raison d’être pour moi. Je suis souvent contesté car jugé trop radical.

Il y a un mode pour bâtir, des choses plus simples que d’autres, plus vraies que d’autres. J’aime penser que c’est la raison qui me pousse à concevoir ce que je crée. Cela me rassure peut-être.

Je suis un raisonnement quasi-scientifique, il y a peu de place pour l’intuition.

Linda Voy disait admettre et assimiler cette culture du trivial et l’intégrer dans son travail.

Moi, je la refuse, je vous l’ai dit, l’architecte est un expert, aussi souvent cette culture n’obéit pas à la raison, je m’en écarte alors.

La raison rend les choses compréhensibles.

J’aime quand je comprends un bâtiment ou une œuvre d’art, quand je comprends l’utilité des éléments, et pourquoi ils sont tels qu’ils sont, quand je comprends ce qu’a voulu faire l’auteur, et comment il l’a fait.

Aussi les formes que je bâtis répondent toujours à leur destination. Je me force àêtre le plus économe possible en moyens dans les projets que je conçois, c’est quelque chose de naturel quand on y réfléchit.

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FK – La rationalité amène à des règles, un mode de composition, « une manière de bâtir ».

Je suis quelqu’un de très académique, aussi j’ai à travers mes études et ma pratique du métier, acquis une méthode, des règles que je ne perds jamais de vue.

A la différence de l’art, tout n’est pas possible, et il y a des choses bonnes, belles, je ne sais comment dire, qui marchent plus que d’autres.

On ne peut pas bâtir une porte plus petite qu’un homme, par contre, on peut la peindre.

Il y a des vérités que l’architecte connaît.

Linda Voy disait qu’elle avait peur de concevoir une architecture autoritaire, pour laquelle la réception des usagers serait mauvaise, architecture autoritaire car obéissant à des règles.

Moi je pense, au contraire que ces règles basées sur la raison empêchent de prendre des décisions de façon arbitraire. Elles font face à l’aléatoire et au hasard, permettent de maîtriser les choses, de leur donner un sens.

Dans toute construction, il y a un rapport au sol, et rapport au ciel.

Les règles de la statique entraînent des formes orthogonales. Il s’agit d’établir des rapports entre des volumes, des plans, des lignes, où l’orthogonalité doit être recherchée, c’est la manière la plus simple de bâtir.

L’orthogonalité permet une construction simple.

La répétition s’opère car elle est logique, il ne peut en être autrement. Elle donne du sens aux éléments qui forment alors un tout.

La trame est un outil de composition, elle permet la répétition, l’orthogonalité.

La trame règle les questions quantitatives, constructives et techniques.

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FK – Une composante fondamentale « l’architecture gère des quantités ».

Tout est affaire de quantités, de proportions, de rapport entre les choses.

Aussi, la tentative de Le Corbusier d’établissement de standards par le modulor mérite d’être soulignée. Il aurait mieux valu des standards basés sur la mesure de l’homme que sur une décision d’industrie.

Les standards sont également un manière de parer aux dimensionnements arbitraires. Ils permettent de réduire les coûts de production, de faciliter la mise en œuvre en la rendant plus rapide, plus simple et plus efficace.

Les matériaux doivent être utilisés au plus juste.

Ils ont chacun leurs caractéristiques : coûts, entretien, résistance structurelle, résistance thermique etc..

Je vous l’ai dit, je ne fais pas en fonction du « goût collectif » ou local, je fais ce que la raison me pousse à faire.

Le béton est très résistant, rapide à mettre en œuvre, peu cher et il apporte de l’inertie, il a également une bonne durée de vie. Je l’utilise très souvent.

Le métal résiste incroyablement bien puisqu’il est capable de franchir des portées très élevées avec un minimum de matière, il apporte la finesse. Il se porte très bien à la préfabrication en usine.

Le bois permet une construction rapide et une préfabrication facile. Par contre, il nécessite un entretien important.

Les matériaux doivent être utilisés avec parcimonie, en réponse à chaque situation, chaque lieu.

Il y a à ce jour beaucoup trop d’exhibition et de décor. Beaucoup de choses n’ont pas de sens.

L’architecture est belle et émouvante car elle a un sens. C’est beau parce que ca ne pouvait être fait autrement.

Vous l’aurez compris, à travers ma pratique professionnelle, mes discours, mes études, et ma pratique de l’enseignement, j’ai acquis un savoir-faire et une méthode auxquels je ne déroge pas.

Pour moi, il n’y a pas de place pour le doute, je sais que les choses doivent être comme elles sont, car c’est leur logique naturelle.

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E) Conclusion :

GF – Tout d’abord merci à vous deux pour vos exposés. Je m’attendais à entendre deux discours totalement opposés, c’est pour cela que j’avais choisi de vous interviewer tous les deux. Je vous aurez par contre cru plus extrêmes dans vos propos, notamment pour vous, Friedrich Kise.

Deux manières de faire ont été abordées.

Linda, vous parlez d’études, d’expérimentations, du côté intuitif de la création. Vous portez attention au comportement humain et à cette culture du « trivial »que vous admettez et avec laquelle vous composez.

Les volontés du maître d’ouvrage, et son implication dans le projet sont également très importantes.

Enfin, l’aspect circonstanciel de la production, dont le site, seul point commun avec la démarche de F.K.

C’est peut-être là la première conclusion de cette interview.

Friedrich., vous êtes peut-être plus autoritaire, vous avez une ligne de conduite et ne vous en écartez pas, ou très peu.

Pour vous, il y a des règles, basées sur la raison. Ces règles vous détournent de l’arbitraire.

Enfin vous refusez cette culture du trivial, et vous posez en tant qu’expert. Expert qui décide, qui dicte comment faire, mais aussi comment vivre cette architecture.

LV – C’est amusant de voir que F.K ne doute jamais, aussi son explication parait très logique, elle suit un fil simple, c’est presque une démonstration. Je préfère émettre un certain scepticisme vis-à-vis de cette pensée, aussi je vous invite à vous détourner de cette attitude.

Réinterrogez-vous sans arrêt, chaque projet est l’occasion de réapprendre, écartez-vous de vos présupposés. Oubliez parfois ce qu’on vous a appris, ce que vous avez appris. Expérimentez, adaptez-vous, soyez le plus réactif possible.

Restez ouverts à des choses auxquelles vous n’auriez pas pu croire.

Vous ne pouvez ignorer votre époque, et la demande sociale qui y correspond.

Ne refusez pas cette culture ou vous serez incompris.

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FK – Moi je répondrai : apprenez les fondamentaux, la construction, étudiez l’architecture existante, les règles de composition académique d’un bâtiment.

Obéissez à la raison sans douter de sa légitimité. Ne doutez pas de votre compétence.

Chaque travail vous apprends et vous permet de voir plus juste pour le suivant.

Louis Kahn, à travers le principe formel engageait à considérer l’universalité de toute chose, à se questionner sur ce que veut être une école, une maison, un bâtiment institutionnel.

La raison peut offrir des réponses à ces questions.

L’émotion viendra du juste.

LV – Je vous invite à vous questionner sur les termes « juste » et sur cette notion de raison. Elles sont parfois très floues, ainsi, Friedrich, j’ai l’impression que vous agissez comme le juge de ce qui est bon ou ne l’est pas. Les limites sont atteintes lorsqu’on ne sait plus comment juger.

GF – C’est une comparaison intéressante, qu’en pensez-vous, Friedrich ?

FK– Je ne dirai pas juge, mais plutôt arbitre. Il est l’expert capable de prendre les décisions et de faire les choix qui s’imposent.

Il est qualifié.

Ce métier consiste à créer, à bâtir un bâtiment, un espace public, un quartier, etc…

Et créer c’est faire des choix.

De toutes façon l’art, ou la création est arbitraire, mais j’ai une ligne de conduite, un mode de créer, de manière à ne pas m’écarter de ce à quoi je crois.

GF – Finalement cette notion d’arbitrage ressort de vos deux discours, Linda Voy vous parlez de la subjectivité de l’auteur dans son œuvre (logique ), du côtéintuitif de la création.

Et vous Friedrich vous expliquez comment faire des choix qui obéissent à la raison, à une sorte de vérité, qui si on creuse très loin, je vous l’avoue, est impossible à définir. Les règles sont arbitraires par essence, cela peut même paraître autoritaire.

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GF – Essayons de mêler les deux points de vue en les modérant l’un par l’autre.

LV – Il sait par contre adapter ses règles à un contexte de production.L’architecte est un savant qui étudie et vie l’architecture.

FK– Etudiant et professeur, il possède une ligne de conduite, des règles, un savoir acquis au cours du temps.

FK– Il sait ce qui est bon car il obéit à la raison, parfois intuitive, et naturelle, il n’a pas un regard objectif, mais plus aiguisé.

LV – Il doit par contre douter de savoir, de ce qu’il croit. La raison peut-être totalement subjective. Parfois il n’y a pas de raison.

GF – Bien, merci. Ce qui en sort c’est que l’architecte, arbitre, fait des choix, peut-avoir une ligne de conduite et des règles auxquelles il déroge à plus ou moins grande importance, et selon ses convictions.

Il y a quand même des lois universelles qui s’imposent, à la différence de l’art.

Le circonstanciel, c’est-à-dire le contexte de production influe sur ces choix, mais chaque architecte possède sa manière de faire et je crois qu’il faut chercher à se « forger sa manière de faire » en puisant à la fois dans ce qui est personnel et dans des lois fondamentales.

La question qui reste en suspens est de savoir définir ces règles fondamentales, cette notion de raison, et quelle part de subjectivité dans la création en architecture.

Je vous remercie, tous deux pour m’avoir accordé cette interview, et remercie mon (mes) futur(s) lecteur(s), d’avoir pris le temps de lire sa retranscription.

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F) Bibliographie :

Le discours de ces personnages est en partie inspiré de :

- Vers une architecture, Le Corbusier, 1923

- Silence et lumière, Louis.I.Kahn, 1955-1974

- L’enseignement de Las Vegas, Robert venturi, 1972

- Logement, matière de nos villes

Illustrations :

- www.Googleimages.com

- Voyages : Lisbonne, Porto, Tessin, Amsterdam, Rotterdam, Thoronet.

- Reiser, compilation, critique du mouvement moderne et du ministère de l’aménagement du territoire à l’occasion de l’exposition habitat et innovation ( date inconnue je m’en excuse ) , in logement, matière de nos villes.

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