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Mode de recherche, n ° 7. mode ? A quelles conditions le marché peut-il satisfaire la myriade des aspirations à l’inventivité et à la singularité ? Ce numéro envisage la personnalisation sous plusieurs angles : historique, avec la segmentation croissante des marchés au cours du XX e siècle ; économique, avec les opportunités que la personnalisation offre aux acteurs du secteur de l’habillement ; sociologique, avec l’introduction croissante du consom- mateur en amont du processus de production de la mode. Editorial Il faut souligner que la personnalisation marque les limites de la standardisation industrielle tout en réclamant, pour être mise en œuvre à grande échelle, à nouveau des solutions industrielles, à l’instar de systè- mes d’information capables d’évaluer et de traduire la pluralité des aspirations esthé- tiques. La personnalisation se déploie à la fois à l’unisson de la mode, dans la mesure où elle multiplie la nouveauté, et en oppo- sition avec une mode qui jusqu’alors présupposait d’être adoptée par des grou- pes étendus et identifiables d’individus. La personnalisation se pose-t-elle comme une alternative à la normalisation collective de la Publication semestrielle – janvier 2007 La customisation : la mode entre personnalisation et normalisation Dossier/ La customisation Entretien/ André Beirnaert La customisation comme relève industrielle La personnalisation est-elle compatible avec la mode ? Laurent Raoul Les consommateurs et la mass-customisation Evelyne Chaballier Mode et bricolage individuel : le paupérisme Bruno Remaury La personnalisation : un nouvel âge de la production industrielle Olivier Assouly Abonnement 37 10 4 16 26 29 3 CENTRE DE RECHERCHE INSTITUT FRANÇAIS DE LA MODE

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La customisation : la mode entre personnalisation et normalisation

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Modede recherche,n°7.

mode ? A quelles conditions le marchépeut-il satisfaire la myriade des aspirations àl’inventivité et à la singularité ? Ce numéroenvisage la personnalisation sous plusieursangles : historique, avec la segmentationcroissante des marchés au cours du XXe

siècle ; économique, avec les opportunitésque la personnalisation offre aux acteurs du secteur de l’habillement ; sociologique,avec l’introduction croissante du consom-mateur en amont du processus deproduction de la mode.

Editorial

Il faut souligner que la personnalisationmarque les limites de la standardisationindustrielle tout en réclamant, pour êtremise en œuvre à grande échelle, à nouveaudes solutions industrielles, à l’instar de systè-mes d’information capables d’évaluer et detraduire la pluralité des aspirations esthé-tiques. La personnalisation se déploie à lafois à l’unisson de la mode, dans la mesureoù elle multiplie la nouveauté, et en oppo-sition avec une mode qui jusqu’alorsprésupposait d’être adoptée par des grou-pes étendus et identifiables d’individus. Lapersonnalisation se pose-t-elle comme unealternative à la normalisation collective de la

Publication semestrielle – janvier 2007

La customisation :la mode entrepersonnalisationet normalisation

Dossier/ La customisation

Entretien/André Beirnaert

La customisation comme relève industrielle

La personnalisation est-elle compatible avec la mode ? Laurent Raoul

Les consommateurs et la mass-customisation

Evelyne Chaballier

Mode et bricolage individuel : le paupérisme

Bruno Remaury

La personnalisation : un nouvel âge de la production industrielle

Olivier Assouly

Abonnement 37

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CENTRE DE RECHERCHEINSTITUT FRANÇAIS DE LA MODE

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Dossier/ La customisation

Entretien/André Beirnaert

La customisation comme relève industrielle

La personnalisation est-elle compatible avec la mode ? Laurent Raoul

Les consommateurs et la mass-customisation

Evelyne Chaballier

Mode et bricolage individuel : le paupérisme

Bruno Remaury

La personnalisation : un nouvel âge de la production industrielle

Olivier Assouly

Abonnement 37

La customisation :la mode entrepersonnalisationet normalisation

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Le Centre de Recherche de l’IFM bénéficie du soutiendu Cercle Jean Goujon qui regroupe les entreprisesmécènes de l’Institut Français de la Mode :

ARMAND THIERYCHANEL

DISNEYLAND PARISGROUPE ETAM

KENZOL’ORÉAL PRODUITS DE LUXE

VIVARTEYVES SAINT LAURENT

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L’enjeu de la personnalisation tient à sondéploiement massif, sous une formeindustrielle inédite, capable de constituerune alternative à la fois à la consommationde masse mais aussi à la segmentation etl’hyper-segmentation de l’offre.

Dossier/ La customisation

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qu'il convient au contraire d'appliquer à lacustomisation toutes les caractéristiquesassociées. Cela dit, devant l'ampleur du bou-leversement productif énoncé, on peutcomprendre la tentation de simplifier ceconcept novateur qui ne correspond aujour-d'hui à aucun mode de productionrépertorié, car il se veut artisan dans uneproduction d'un exemplaire unique, et enmême temps redevable d'une organisationindustrielle forcément nouvelle et opposéeen première apparence à la production demasse en séries homogènes. Aucun motexistant ne recouvre totalement l'intégralitédes choses à faire, selon la description ci-dessus. Et c'est bien là le problème.

Comme le concept n'est pas encore trèsclair, il est tentant de le réduire à ce que l'onconnaît ou voit, par exemple un décor sur savoiture, ou des enjoliveurs spéciaux, ou unklaxon musical (du temps où c'était encoretoléré !) ; en matière de vêtement, une éti-quette, un galon, une dentelle, voire un trousur un jean. On peut multiplier les exempleset il y a un véritable engouement pour cespratiques de personnalisation par des acces-soires.

Mais ce dont il est question, et que nousvoulons mettre en œuvre dans le cadre denotre pôle de compétitivité, c'est bien leconcept « bruxellois ». Le dernier compterendu d'activité d'Oseo-Anvar, organismechargé d'accompagner les entreprises inno-vantes par des financements adaptés auxdiverses situations, donne de la customisa-tion une définition très claire : « productionà la fois de masse et personnalisée, organi-sée en interaction étroite avec la demandedes consommateurs ». De son côté, l'IFM aproduit sur le sujet une étude qui fait date,et a résumé la customisation de façon lapi-daire : co-conception, post-production dansune organisation complexe.

En anglais, le verbe « to customize » est tra-duit par « modifier, remanier, selon lesdemandes d'un acheteur particulier »(Harraps). On voit bien que nous sommesconfrontés à un glissement sémantique quiapporte un contenu enrichi au mot : de la

De 1990 à 1998, à la direction générale desactivités de peignage-négoce du groupeChargeurs en Europe, André Beirnaert estprésident de l’UIT Nord depuis 2004, ilfédère le pôle de compétitivité textile Up-Tex. Egalement vice-président de l’Institutfrançais de la mode (IFM) depuis 1998, ilvient de créer la société Capcusto, dont il estle P-dg, pour développer une offre customi-sée dans le domaine de la mode.

Olivier Assouly : Comment peut-on définirla customisation ? Se réduit-elle unique-ment aux modifications occasionnelles quedes individus apportent à des produitsmanufacturés ?

André Beirnaert : Ma compétence en custo-misation, si elle existe, se raccorde au pôlede compétitivité Up-Tex, dont la customisa-tion constitue l'un des deux axes. Nousavons fait ce choix en relation avec le pro-gramme de recherche et développement dela plateforme technologique européenne,qui s'exprime ainsi sur ce thème : “End Eraof Mass Manufacture of Textile ProductsTowards New Era of Customization,Personalisation, Functionalisation, IntelligentProduction, Logistics and Distribution”, celadans le cadre d'une perspective dite « vision2025 ».

On voit bien que le concept de customisa-tion ne saurait se résumer à un seul des motsqui le caractérisent, tout au moins si l'onaccepte la description implicite ci-dessus et

Entretien /André BeirnaertLa customisation comme relève industrielle

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modification d'un produit élaboré en pro-duction standardisée, on passe à de laproduction unique sur demande préalabled'un consommateur. L'écart est risqué, et sinous trouvions un mot aussi porteur etmoins marqué par des pratiques réductrices,je l'adopterais peut-être. Car un grand projetpeut souffrir d'être nommé de façon ambi-guë. D'un autre point de vue, le motcustomisation existe, fortement marqué, etce n'est pas le mot personnalisation qui leremplacerait, car il ne transporte pas avec luiun contenu potentiel aussi large. Finalementla réussite de ce nouveau paradigme de pro-duction éclairera le concept qui a l'ambitionde retourner complètement la démarcheactuelle en donnant au consommateur lamaîtrise de la décision de produire l'objetunique qu'il aura préalablement choisi.

O.A : La customisation implique-t-elle uneautre conception du consommateur ? Etlaquelle ?

A.B : Nous sommes dans le domaine de lamode. Aujourd'hui, le modèle de distribu-tion dominant est la distribution concentrée. Ce modèle est basé sur une détection desattentes, plus ou moins affûtée, plus oumoins anticipée, qui fait l'objet d'offres plusou moins rapidement renouvelées, maistoujours produites en masse. Selon le talentde l'offreur, les produits se vendent ou doi-vent se solder. On peut aussi constater desruptures et des manques. Finalement aussi,le choix est ciblé, la gamme rarement trèslarge par rapport à la cible (taille, âge, etc.)Et si en tant que consommateur on se situeen dehors de la cible, on est réduit à unchoix modeste et insuffisant.

Tant que ce modèle de distribution fonc-tionne, pourquoi en changer ? Mais ilfonctionne désormais moins bien. A forcede se concentrer, les enseignes mono-polisent le marché. A force de réduire lesrisques, l'offre se monotonise (ce qui ne veut pas dire qu'elle n'est pas « dans le coup » etpointue) mais à un moment donné, le choixest restreint (« c'est pareil partout »).

A force de se battre d'abord sur le prix devente, la qualité s'en ressent. A force d'ache-ter par programmes massifs dans les pays àbas coût salarial, et les délais qui s'ensuivent,la réactivité s'émousse.

Or le consommateur est en train de s'échap-per d'une offre « organisée » vendue enboutiques, en grandes surfaces ou par cata-logue, pour aller voguer sur Internet, dont lapart de marché explose. La révolution est là : le consommateur se libère des contrain-tes car il a trouvé un espace infini (enapparence) de liberté, qui confond d'ailleursle virtuel et le réel dans un amalgame risqué,dont on n'a pas pris la mesure (voir à ce sujetle jeu Second Life sur Internet). Pour autantnotre consommateur n'est pas disposé àacheter beaucoup plus cher (c'est-à-direchanger sa référence prix-produit), et pasdavantage disposé à revenir à la boutique dutailleur.

Dire que la customisation est « la réponse »serait excessif. On peut cependant affirmerque le besoin de personnalisation (ici jen'hésite pas à utiliser le mot, car c'est lepoint de vue du consommateur et dans leparagraphe précédent, on parlait de produc-tion) est en phase avec la démarche decustomisation, qui offre au consommateurle droit de choisir ce qu'on va produire pourlui. Mais nous restons bien dans un contexteactuel avec tous les acquis et présupposésde la société de consommation : la versatilitéface à l'hyper choix, le zapping entre lesenseignes, et les arbitrages de consomma-tion (éventuellement au détriment dutextile).

O.A : Quels sont les précédents dans ledomaine dans l’histoire de la production ?Le sur-mesure est-il comparable à la personnalisation ?

A.B : Le sur-mesure fait certainement partiede la personnalisation, mais n'en est passynonyme. Fait sur mesure le vêtement mesera personnel et n'ira en principe aussi bienà personne d'autre. Pour autant l'ai-je « per-sonnalisé » ? Tout dépend, me semble-t-il

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cess de stocks intermédiaires et de choixalternatifs sur ces stocks, de matériels, demachines, de travail. Bien sûr, on ne stockepas le travail mais on l'organise en fonctionde la flexibilité et de tout changement aisé.De même des matériels excédentaires doi-vent être disponibles selon le type de travailà exécuter. Enfin les « pièces détachées » doivent être approvisionnées ou approvi -sionnables.

On perçoit immédiatement en quoi la production en vue de la customisation seradifférente de la production en grandesséries homogènes. Dans ce cas, des ouvriersreproduisent des gestes standards et mono-tones sur des chaînes de fabrication quichangent peu et produisent longtemps lamême chose. Les tissus et accessoires sontachetés en grande quantité par des contratsqui, en raison de leur volume, autorisent desprix les plus bas possibles directement enrapport avec les sources asiatiques. Enfin lesmachines de production (filature, tissage,tricotage notamment) sont organisées pourla production en grande série, à grandevitesse et donc peu ou pas flexible.

Autrement dit, la customisation ne se ferapas avec la même industrie. Les conditionsde succès ne sont pas le gigantisme et doncle coût des équipements industriels mais aucontraire des machines peu coûteuses etflexibles localisées dans des ateliers à taillehumaine.

Du côté des hommes, c'est le grand retourde la valorisation du travail intelligent, car ilfaudra des opérateurs capables de fairebeaucoup de tâches différentes et de pren-dre des initiatives.

Finalement la customisation recèle uneextraordinaire perspective d'emploi dans nospays éduqués et riches d'une culture de qualité et de service qu'il faudra cependant savoirreconnaître par une juste rémunération.

O.A : Existe-t-il une particularité de la cus-tomisation appliquée au vêtement et à lamode ou n’est-ce qu’un cas d’espèce com-parable à d’autres productions commedans l’automobile ?

des choix offerts, par exemple du type detissu, de la couleur, et de l’accessoirisation.La chose est subtile et délicate à trancher.

Pour ce qui est des antériorités, en matièrede customisation, il suffit de rappeler que leprêt-à-porter vestimentaire date d'une cin-quantaine d'années. Avant la règle était letailleur ou la couturière.

O.A : Peut-on dire que la customisationn’est qu’une forme supplémentaire d’hypersegmentation de la demande ? Qu’apporte-t-elle de véritablement novateur ?

A.B : Sans aucun doute, le segment ultimeest l'individu. En tout cas on veut le lui don-ner à croire. Pour autant, il me semble que lesous-jacent segmentant est encore plus sub-til et finalement manipulatoire. Si l'on seréfère à l'organisation invisible qui irrigue laliberté de choix du consommateur, ce der-nier ne peut qu'être conduit à choisir entredes options successives contraintes. Eneffet, comment fournir un nombre illimitéd'options, de matières, de couleurs, d’acces-soires, de formes, de tailles, etc. sans enpréparer soigneusement tous les ingré-dients, c'est-à-dire les rendre prêts à jouerleur rôle en processus systémique minutieu-sement construit. Ce qui donc limite àchaque stade le nombre des solutions alter-natives, tout simplement pour les prépareret les rendre possibles.

Dire cependant que ce n'est qu'une formesupplémentaire d'hyper segmentation de lademande serait négliger l'apport dérangeantde la liberté retrouvée, fut-elle contrainte.Car cette liberté sera perçue comme une exigence désormais accessible, qui déstabi-lisera tous les processus de diffusion demasse. En ce sens, c'est une révolution.

O.A : Comment l’industrie peut-elle releverle défi de la personnalisation alors mêmeque dans son principe la production indus-trielle est impersonnelle ?

A.B : Nous venons d'effleurer le sujet. Aucœur de cette révolution se trouve un pro-

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A.B : La production d'automobiles offrebeaucoup de similitudes avec ce que nous imaginons de mettre en place dans lacustomisation des vêtements. On choisitaujourd'hui sa voiture : moteur, couleur, finition, etc. On fera de même pour le vête-ment. Il faut préparer ce système optionneldans les deux cas.

S'il y a une différence, je la verrais d'aborddans le principe d’un délai acceptable.Plusieurs mois sont acceptés pour une voi-ture, pour un vêtement ce sera quelquesjours. Une deuxième différence se situedans l'accès au marché. Pour les voitures,c'est majoritairement en concession automobile que se fait l'achat (encorequ'Internet commence à peser dans les tarifspratiqués, et conduit à une certaine généra-lisation du discount). Pour les vêtements, sil'on veut apporter les services attendus les-quels sont consommateurs de main d'œuvreéduquée, il faudra bien inventer un mode decommercialisation différent du systèmeactuel (qui pour autant détermine les prixde marché sur des standards plutôt bas). Levêtement customisé pourra être plus chermais pas trop. Le système boutique (loyer del'emplacement, vendeurs, soldes et promo-tions) est inadapté et trop consommateurde marges. Il faut inventer cette distributionadaptée au concept customisé, alors quel'automobile s'arrange encore bien de sonsystème de concession, pour l'instant dumoins.

O.A : Comment le processus de productionindustrielle est-il à même d’intégrer et demettre en œuvre les attentes en matière decustomisation ?

A.B : Ce point a déjà été évoqué brièvementci-dessus. Ce ne sera pas l'industrie, tellequ'elle est organisée aujourd'hui, qui pourracustomiser. Il faut en effet des systèmes flexi-bles, non emboîtés rigidement, susceptiblesde configurations rapidement modifiables,pilotées par du personnel éduqué à cetteflexibilité. Egalement, cela exige des circons-tances accompagnantes, loin d'être acquisesaujourd'hui, en matière de liberté contrac-

tuelle dans l'organisation du travail. Et d'unefaçon générale la liberté ne se divise pas. Onest donc confronté à une potentielle révolu-tion culturelle.

O.A : Quel est le rôle des nouvelles techno-logies de l’information et de lacommunication dans le développement de la customisation ?

A.B : Ce rôle est essentiel. On peut mêmedire que sans ces technologies et en particu-lier l'accès à des puissances de stockage, decalcul et de transmission de l'information,rien ne serait possible en matière de custo-misation telle que nous l'envisageons. Et jerappelle qu'il ne s'agit pas de customiserpour une personne mais d'offrir le dispositifau plus grand nombre d'où le concept de « mass customization » de la littératureanglo-saxonne, plus accoutumée à dissertersur ce concept que l'université française.

J'indique au passage quelques pistes : laconception virtuelle de vêtements, le passage de la représentation en trois dimen-sions (3D) au patronage à plat (2D) et retourde l'un à l'autre, cela pour rechercher lesmodèles virtuels les plus seyants et ne fabri-quer que peu de prototypes. Il en résulte ungain de temps et d'argent. Autre possibilité,la mesure par scanners des mensurationsd'une personne, l'injection de ces donnéessur le prototype du modèle choisi déter-mine la production quasi instantanée desindications de coupe et de placement dutissu. Autre chose encore, la visualisationdes modèles par Internet, la possibilité defaire varier les couleurs, les détails, peut-êtreun jour se voir évoluer dans le vêtement au-delà de la science-fiction. Moins specta-culaire mais peut-être plus nécessaire, lagestion du flux logistique, des tissus, desaccessoires, de l'enchaînement de produc-tion des ateliers, de la prise de commandespar Internet, de la sécurisation du paiementserait impossible sans les progrès des TIC .Sans la montée en puissance continue dessystèmes et des réseaux, la customisationcomme alternative à la production de massen'est pas envisageable. Inversement, c'est le

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qui auront finalement la clé du succès, par les initiatives qu'ils prendront, ce qui ne peut se vivre que dans un climat deconfiance. Mes propos, empreints de toutessortes de nuances, n'altèrent en rien la foique je mets dans nos capacités d'adaptationà cette nouvelle donne du marché.

O.A : La customisation n’est-elle pas para-doxalement une menace pour la création(pourtant mise en évidence face à laconcurrence asiatique) dans la mesure oùle consommateur s’érigerait en lieu etplace du créateur ?

A.B : Ce propos laisse penser qu'il y auraitune « création » et en concurrence avec cettedernière, des consommateurs ambitionnantde se muer en créateurs, lesquels seraientdonc qualifiés de « second rang » ou pas derang du tout. Je pense qu'il faut nuancer lepropos. Il faut d'abord se mettre d'accordsur le mot créateur qui désigne dans cecontexte l'œuvre d'un artiste reconnucomme tel par l'environnement (j'emploie àdessein un mot large pour n'exclure per-sonne). Il est vrai qu'un consommateur peuts'estimer en position de faire œuvre créa-trice et artistique disons ex-nihilo. Le risqued'insuccès est grand, surtout dans unedémarche « customisée » dont on a vu l'ex-trême complexité organisationnelle sous-jacente.

Il faut donc neutraliser autant que faire sepeut ce risque qui est double, celui d'abordde démontrer l'incapacité de la formule àrépondre à la promesse (quelle promesse ?),et plus prosaïquement à produire du vêtement immettable. Il convient donc d'en-cadrer la création de chacun dans unsystème dans lequel les choix sont pre-disposés et leur combinaison sécurisée. Cequi laisse cependant à chaque consomma-teur la certitude qu'il est créateur car il auraco-créé. C'est à l'évidence un peu manipula-toire mais pratique.

On peut donc conclure qu'il n'y a pas élimi-nation de la création mais au contrairedemande renforcée, car l'offre customisée a

moment de commencer et de se tenir prêtpour bénéficier à plein des innovations àvenir dans le domaine des TIC.

O.A : La personnalisation constitue-t-elleune alternative à la crise que subissent lesindustries françaises du textile et de l’ha-billement ? Dans quelle mesure ?

A.B : Au premier degré, certainement. Cettecrise résulte pour l'essentiel du transfert dela production de vêtements dans les pays àbas coût salarial, par une distribution de plusen plus concentrée qui a fait du sourcing auprix facial le plus bas un de ses credo intan-gibles. La production des fils et tissus a suivilogiquement la fabrication des vêtements.Coupée de son aval, la production textiledédiée au vestimentaire a profondémentsouffert. La production dite d'habillementaussi, avec une nuance de taille. Celui quifabrique des vêtements a encore la possibi-lité de créer sa marque et de se fournir aumoindre coût. Pour autant les deux bran-ches ont perdu quasiment les trois quarts deleurs effectifs (salariés et firmes ) en vingt-cinq ans.

Dans la mesure où la customisationimplique un retournement complet de ladémarche de production, en raison de laréactivité et de la flexibilité, la production deproximité retrouve théoriquement une per-spective positive. Mais en même temps,l'effort de reconversion est d'abord culturelet ne se fera pas si les entreprises ne chan-gent pas leurs habitudes. D'autre part, lesupport industriel a été dévasté. Ensuite lesmachines ne seront plus forcément lesmêmes, ainsi que la gestion de production.Bref tout est différent. Je crois donc plutôt àde nouveaux entrepreneurs qui s'incorpore-ront plus aisément à ce nouveau paradigme,certains viendront du métier, d'autres surgi-ront d'ailleurs. A tous il faudra beaucoupd'imagination, de patience et des banquiersqui comprennent ce genre d'innovationimmatérielle.

Enfin la vraie richesse viendra des hommes,j'entends les collaborateurs de l'entreprise,

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pour moteur l'appropriation personnalisée.En corollaire, la multiplication d'offres créatives aura pour résultat d'alimenter lemoteur, qui tournera d'autant mieux dans sa finalité de diversification que l'envie derenouveler l'opération de customisationsera stimulée.

Je voudrais conclure par une réflexion sur cequ'on pourrait nommer une nouvelle fron-tière.

La customisation, par les outils sur lesquelselle s'appuie, et qui sans eux ne saurait exister, je parle des technologies de l'infor-mation et de la communication, nous mèneaux limites et à l'interraction du monde virtuel et du monde réel. Je crée dans l'im-matériel, et je reçois un produit bien réel.Serais-je déçu ou valorisé ? De cette réponsequi n'est pas évidente, et même si la tech-nique de production est parfaite, dépendrale succès de ce nouveau paradigme qu'est lacustomisation. La force du concept « moidans un collectif » m'apparaît aujourd'hui tellement puissante que la possibilité d'appartenir à cette tribu peut amener l'é-mergence d'un nouveau marketing qui fassevraiment de l'individu son sujet d'élection.

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L'évolution des phénomènes de consom-mation a déjà largement questionné lesfondements du marketing mass-market. Lesmarchés sont saturés d'offres, les consomma-teurs possèdent à présent une culture toujoursplus fine des produits et des marchés, la mon-dialisation fait apparaître des comportementset des motivations d'achat exceptionnellementvariés du fait notamment de l'apparition denouveaux pays dans le concert de la consom-mation, une tension forte apparaît chez lesindividus entre leur comportement de citoyenet celui de consommateur, les aspirations per-sonnelles des individus remontent dans lapyramide de Maslow1 au sein des pays indus-trialisés. L'ambiguïté de ce phénomène estque, pour autant, il est impossible de préten-dre que la culture de mode, l'aspiration à labeauté et à l'innovation portées par les indivi-dus seraient plus développées, mais il estcertain que ces mêmes individus possèdentplus de points de repère pour trouver uneréponse en ligne avec leur attente, quellequ'elle soit, vulgaire ou subtile, innocente ouexperte.

Paradoxalement, loin de remettre en cause leslois et les pratiques du mass-market, ces évo-lutions ont plutôt poussé les acteurs del'économie à en parfaire le fonctionnementpour cibler toujours mieux les besoins desniches de consommation sans compromettrel'agressivité des prix, et la prise en compte ducomportement des consommateurs dans laconstruction de l'offre a été abondammentéquipée, au gré des tests consommateursavant vente, des études de comportement,voire du suivi des services « après-vente ». Toutva donc pour le mieux ?

Le « système de l'offre » serait-il en capacité des'adapter naturellement à toute évolutionstructurelle des comportements d'achat, jus-qu'à la plus complexe ? Y a-t-il une ruptureentre la manière que l'on pourrait qualifier de « classique » de positionner les offres et de lesapprovisionner, et la façon de mener les opéra-tions pour une entreprise agissant dans ledomaine de la personnalisation ?

Il n'est pas ici question de conclure ce propos,mais plutôt de cerner une question de fond :

Traditionnellement, le mass marketing et l'in-dustrie trouvent un point de rencontre dansleur finalité commune de standardisation desoffres de produits ou de services destinés àdes populations les plus grandes possibles. Enfiligrane, c'est en réalité l'abaissement des prixpar l'accroissement de volumes produits et lalimitation des coûts fixes liés au développe-ment d'une offre qui est visé. Mais sur le fond,quel est le mobile réel de cette idéologie qui adominé le monde de la consommation depuisla révolution industrielle du XIXe siècle ? Est-ceque la seule recherche du compromis « variétéde l'offre/prix bas » supposé constituer unavantage compétitif si déterminant qu'il enexclut de facto tous les autres, ou bien, est-cel'incapacité à comprendre les ressorts indivi-duels de la demande et de les produire à descoûts acceptables qui a poussé à une logiqueéconomique dictée par le « plus petit communmultiple » ?

La personnalisation de masse (ou mass custo-mization) prétend briser les verrous du massmarketing qui, dit-on, limite la satisfaction desattentes silencieuses des consommateurs.L'émergence de l'expression personnelle autravers des outils du monde de l'Internet –blogs, sites communautaires, sites de type web2.0 – constitue à présent le socle fertile de lapersonnalisation, mais l'économie de la modesaura-t-elle construire des réponses adéquatesà ce nouveau challenge en préservant ses fondements créatifs et différenciateurs, sansruiner son âme ?

La personnalisation est-elle compatible avec lamode ?Laurent Raoul

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rapprochées les industries du luxe et du mass-market qui toutes deux, mais pour des raisonsévidemment fort différentes, proposent uneoffre non discutable, à consommer en l'état.

Mais cette vision de Cocagne nous éloigne dece qui concerne fondamentalement les entre-prises intéressées par la personnalisation deleur offre : opérer à une échelle économiquesignificative et trouver des équilibres convain-cants entre une forme de sur-mesure et unproduit banalisé. Sous une autre forme, il s'agitde donner une perception de variété la plusgrande possible aux consommateurs tout enparvenant à standardiser ou à rationaliser sonmode de fonctionnement.

Un article de la Harvard Business Review2 aproposé une segmentation avisée de cetteforme de gradient que constitue la relationentre individualisation et standardisation del'offre. Le raisonnement des auteurs consiste àsegmenter les approches possibles du marchéde la personnalisation en observant le niveaud'adaptation du produit et de sa présentation(marque, emballage) pour donner quatregrands domaines d'activité.

L'idée proposée prétend qu'une entreprisesouhaitant aborder la « mass customization »(personnalisation de masse) doit positionnerson offre sur l'un de ces quatre quadrants etque ce positionnement doit produire un « consumer sacrifice gap » tolérable (l'écartentre le désir de personnalisation et la proposition d'offre produit). Dans cette repré-

partant du principe que dans l'économie tradi-tionnelle, l'offre de produits et de services estl'œuvre authentique d'un groupe fini d'indivi-dus censés proposer de manière experte uneréponse adéquate aux aspirations plus oumoins silencieuses des populations, est-il réellement possible aux grandes entreprisesde répondre à des myriades d'aspirations individuelles ? Et ces demandes évoluant rapidement, d'en suivre les détours, les contra-dictions et les rythmes chaotiques ? Car endéfinitif, c'est un nombre relativement limitéd'individus (stylistes, chefs de produits, hom-mes et femmes de marketing) qui construitl'offre mondiale de mode ; ce phénomène setrouvant renforcé par la domination croissantedes marques mondiales qui habillent unepopulation toujours plus large avec une offrefinalement plus étroite.

Posé différemment, quels seront les leviers quirendront possible à l'avenir la compréhensionindividuelle des consommateurs, et consécuti-vement la construction d'une offre adaptée etcompétitive comparativement aux autres ?

Individualisation/Standardisation

La tension « individualisation/massification »de l'offre est une clef de ce questionnement. Ilexiste un arbitrage permanent entre la néces-sité de proposer une offre compétitive entermes de prix et celle de différencier suffisam-ment un produit pour que son commerce nese résume pas in fine à son prix de vente.Cette règle restera avec une forte probabilitéen vigueur encore très longtemps, quelles quesoient les évolutions de la demande.

A l'extrême, la réponse la plus personnalisée àune demande individuelle reste celle d'un arti-san répondant unitairement à l'expression dubesoin d'une personne en sa présence. L'imagedu tailleur est bien évidemment celle qui vientspontanément à l'esprit pour illustrer ce cas defigure, mais plus généralement, il faut rappelerque dans les cultures asiatiques, l'acquisitiond'un costume masculin ne se conçoit tradition-nellement pas autrement que de cettemanière. Aux antipodes de l'artisan travaillanten sur-mesure, se retrouvent paradoxalement

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sentation, le sommet de la personnali-sation est l'offre collaborative impliquant leconsommateur dans le process de conception,qui elle-même peut se sous-segmenter selonque l'offre aux utilisateurs donne la possibilitéd'intervenir plus ou moins dans la définitiondétaillée du produit, partant a minima duchoix dans des listes d'option, pour aller jusqu'à la possibilité d'une création « pageblanche ».

Cette analyse, assimilable à une technique demarketing, propose in fine de gérer une sortede frustration acceptable donnant la possibilitéà l'entreprise d'offrir un produit perçu commeindividualisé à un prix de vente acceptable.Poussé plus loin, le marketing de la personnali-sation est une forme adaptée des théories del'analyse de la valeur qui vise originellementà trouver un point de compromis entre lesattentes, les fonctionnalités délivrées et le prixde revient, mais en replaçant désormais leconsommateur dans le processus de construc-tion et d'arbitrage de « l'offre acceptable ». C'esten quelque sorte un marketing à quatre mains.

Sous cet angle, l'article introduit également lanotion intéressante de « common uniqueness »(unicités communes) correspondant à lafaculté des individus à avoir conscience d'êtreunique tout en reproduisant inconsciemmentdes comportements typés. Ceci n'est pas trèséloigné en soi des analyses de niches que lemarketing de masse a déjà introduit de longuedate, mais il utilise ce concept en proposant delaisser à l'utilisateur le soin de construire lui-même les signes d'appartenance et dedifférentiation par rapport à sa communauté.Tout dans cette question est affaire de percep-tion et de libre arbitre des individus face à despropositions. Un des postulats qui sous-tend lapersonnalisation – postulat difficile à démon-trer sans une analyse poussée – est que lapossibilité donnée à l'utilisateur d'apporter satouche personnelle renforce sa perception devariété et son intérêt conséquent.

Rationaliser son offre

L'idée de construire une offre « rationalisée »est certainement perçue comme offensante en

soi par les acteurs de la mode, et dans unemoindre mesure par ceux du design, mais ils'agit pourtant bien d'un enjeu majeur de lapérennité des acteurs économiques de la personnalisation.

Le cas de Swatch dans le domaine de l'horloge-rie préfigure ce principe. Proposer une variétérenouvelée à bas prix était un pari risqué enson temps, et le positionnement actuel de lamarque prouve le bien-fondé non seulementdes principes fondateurs, mais surtout de sacapacité à les mettre en œuvre dans un secteurpourtant bel et bien industriel et complexe. Il yaurait probablement aujourd'hui une placepour une offre réellement personnalisable demontres Swatch basée sur les capacités derationalisation et de marketing de niche acqui-ses au gré de plus de 20 années d'activité.

Pour ce qui concerne le secteur de la mode etdu textile, la personnalisation de masse a sou-vent été cantonnée à une affaire d'ingénieurs,des responsables de production et d'infor-maticiens des systèmes de simulation. L'offres'est souvent orientée vers les produits « sur-mesure » avec de forts niveaux de per-sonnalisation qui ont plutôt entravé ledéveloppement de ce type de marché et obéréla rentabilité des initiatives. Par ailleurs, le faitde centrer le débat de la personnalisation surl'adaptation morphologique du produit a defacto rendu nécessaire la réalisation de laconfection dans des bassins d'approvisionne-ment proches. Si cette contrainte a été perçuecomme une saine opportunité pour freiner ladélocalisation, elle a également eu pour consé-quence de majorer les prix des produitscumulativement aux autres effets propres à lapersonnalisation – l'effet série courte ou pièceunique en particulier. Egalement, en se posi-tionnant de la sorte, l'offre produit au sensmode a toujours été orientée vers des produits« sans risques », classiques, stables, ce qui fata-lement les écartait du cœur des attentes desconsommateurs en termes de nouveauté, etqui générait un décalage d'image pour un sec-teur qui devait offrir une image de dynamismeà ses clients.

Le véritable enjeu est probablement désormaisde définir une offre de produits personnalisés

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qui, comme dans le cas de Swatch, proposeune offre adéquate de composants standards,mêlés d'opérations de fabrication plus com-plexes dans une offre de style cohérente avecles effets de la mode et les attentes des nichesde « common uniqueness ».

Le cas probablement le plus emblématique desnouvelles approches est à l'heure actuelle celuidu site lafraise.com qui, sans toutefois êtrestricto sensu un site de personnalisation, cons-truit une relation originale à trois au sein delaquelle des créatifs soumettent des proposi-tions d'imprimés pour T-shirts qui sont soumisgratuitement au vote des internautes. Dès lorsque le vote donne plus de 500 voix en faveurd'une proposition graphique, le site édite etproduit l'imprimé, rémunère le graphiste de 1 000 euros et commercialise la série limitéesur son site jusqu'à épuisement des stocks. Ils'agit là d'une création « à six mains » danslaquelle le site se préoccupe seulement defournir les carcasses que sont les T-shirts écruset d'animer la communauté d'individualités quispontanément décident de ce qui peut-êtredéfini comme une niche d'attentes suffisam-ment large pour justifier la mise enproduction. On retrouve ici typiquementl'esprit Web 2.0, très populaire actuellement,mais repris de manière unique pour de la pro-duction de marchandises – ce qui est assezoriginal dans les communautés Web 2.0 natu-rellement méfiantes vis-à-vis des effets decommerce. Le site allemand spreadshirt.comn'a pas manqué d'identifier l'originalité de cemodèle économique au point d'en faire l'acqui-sition pour un montant non dévoilé, sachantque le fondateur du site a produit en tant queseul salarié jusque 200 K€ de chiffre d'affairesmensuel, prouvant l'incroyable effet de levierd'une activité « standardisée » produisant unevariété suffisamment convaincante pour lesconsommateurs du site.

Indubitablement, lafraise.com est en soi uneréplique contemporaine des groupes deconsommateurs échantillonnés utilisés enmarketing grande consommation pour validerdes projets de propositions commerciales, auxnuances fondamentales près que le processusest ici en temps réel, et que la taille de l'échan-

tillon peut s'étendre à l'infini, sans que cela necoûte rien à personne.

Personnalisation de masse

Pour reprendre une analyse un peu structurée,il est loisible de s'interroger sur ce qui caracté-rise une offre personnalisée pour uneentreprise.

– La participation du consommateur à laconception du produit ;– La production à posteriori (le produit n'estpas fabriqué par avance) ;– La production quasi-unitaire ou en petitesérie ;– Une activité à une échelle non artisanale, uneorganisation humaine construite.

La construction d'une offre au plus proche desaspirations individuelles suppose également lamaîtrise de quatre grandes problématiques, aufinal interdépendantes les unes des autres :

. Information sur les attentes de consommateurs :

Toutes les innovations récentes des systèmesd'information tendent à permettre une bienmeilleure compréhension des phénomènes deconsommation3 en masse et des consomma-teurs isolément. La data mining, le ConsumerRelationship Management (CRM), bientôt desRFID (puces radiofréquence permettant d'identifier unitairement des marchandises oudes individus) donnent une capacité deconnaissance des comportements de groupe,et, parallèlement, les services de types web 2.0,spontanément opérés par les individus, don-nent une capacité d'expression personnelle.Toutes ces données élémentaires et consoli-

Information sur les attentesconsommateurs

Offre de base (composants,carcasses, options)

Délai de mise à dispositiond’une offre

Contraintes économiquesproduction

Offre personnalisée

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possibilités offertes par la technologie. Ilconvient néanmoins de rajouter que l'essentieldans ce domaine est de préserver une ambi-tion raisonnable et de ne pas laisser la questiontechnologique devenir le seul enjeu de la personnalisation, ce qui éloignerait de ladeuxième préoccupation essentielle, celle ducontenu mode des produits.

. Délai de mise à disposition :

Cette dimension de l'offre est très immaté-rielle en général, en particulier pour une offrepersonnalisée qui, par définition, n'est pasconstruite à priori, et elle peut devenir l'arbitredu choix : si le processus de conception/ fabri-cation mobilise une chaîne des délais troplongue, le consommateur sera nécessairementdissuadé de procéder de manière récurrente àdes achats de produits personnalisés. Or, cettevariable est intimement liée aux choix quiauront été faits en matière de techniques deproduction pour personnaliser les produits.

Cette variable de l'offre est fortement dépen-dante des techniques de production retenues,et de la disponibilité des composants de baseservant à composer l'offre finie : sont-ils dispo-nibles en stock sur site, en stock chez lefournisseur, sur commande ? L'enjeu des choixtechniques ne conditionne donc pas unique-ment la problématique du prix, mais aussi biencelle du positionnement de l'offre des servicesassociés.

. Offre des composants et d'options :

Comme il est dit précédemment, une des clefsde l'équilibre économique et du potentiel deconviction des offres de produits personnali-sés est de proposer des composants de basequi soient faciles à assembler, disponiblesautant que possible pour limiter les délais demise à disposition, et qui permettent de cons-truire un produit en rapport avec les attentesqualitatives du moment en termes de style.

Il s’agit là de la faille majeure du secteur de lapersonnalisation qui, quelles que soient lesinitiatives, a toujours privilégié des produitsclassiques, parce que supposés sans risque etplus conformes à la demande de masse. N'est-il pas paradoxal d'attaquer un marché sensible

dées sont potentiellement utilisables pourconstruire une relation évoluée et responsableentre offre et demande, si bien entendu l'ac-tion des entreprises est faite dans le respectdes fondements de la société démocratique(respect de la sphère personnelle, actionconditionnée par le consentement et le volontariat des individus, respect des engagements…).

. Contraintes économiques de production :

Chacun le sait, au moins intimement, leconsommateur n'est pas prêt à payer un articleà n'importe quel prix, aussi unique soit-il. Ilexiste pour les produits personnalisés commepour toute autre marchandise un mécanismed'élasticité de la demande, mécanisme quidécrit la capacité d'un consommateur à sur-payer une marchandise par rapport à d'autrescomparables, capacité anéantie dès lors que leprix progresse au-delà d'un certain plafond. Or,le coût de conception comme celui de produc-tion va croissant dès lors que les séries sontpetites. Il existe donc un savoir-faire très parti-culier pour placer son offre personnalisée dansun domaine qui minimise cette majoration desorte à rester dans la zone d'élasticité de lademande.

Ce travail, comparable à celui d'analyse de lavaleur que l'on pourrait retrouver dans desentreprises de design est plus subtil qu'il n'y paraît, et il peut se résumer de la sorte :comment générer un maximum de variété per-ceptible par les utilisateurs, en minimisant lesimpacts sur les coûts ?

Construire une offre personnalisée viable éco-nomiquement suppose de disposer d'unecréativité bicéphale qui sache à la fois proposerune variété d'options perçue comme la plusforte possible, mais mobilisant des processusde production très économiques. Les entrepri-ses de personnalisation ayant peu ou prouréussi à équilibrer leur bilan ont toutes étéconduites par des dirigeants disposant d'unetrès forte expérience dans le domaine de laproduction. Cette expertise n'a pas seulementété secourable pour réaliser la fabrication, maiségalement pour positionner une offre demanière astucieuse et compatible avec les

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à l'offre avec une proposition banale ? Il estintéressant de noter que pour compensercette faiblesse de l'offre, la parade a souventété quantitative en multipliant les options etles composants sans saveur. Ici se situe certai-nement la marge de progression des activitésde personnalisation pour qu'à des tentationsquantitatives soient opposées des démarchesexpertes et que des produits réellement inté-ressants au plan du style soient réalisables paracte de personnalisation.

Trouver de bonnes options en cohérence avecl'air du temps – comme il serait formulé par unstyliste ou un chef de produit –, voilà un enjeuparticulier pour de nouveaux designers du sec-teur de la personnalisation. Même le leadereuropéen Spreadshirt.com reste en retrait surce plan en offrant des carcasses (vêtements debase imprimables) sans grande originalité,même si l'élargissement de leur offre a sensi-blement amélioré le qualitatif de l'ensemble.

Personnalisation et mode

La question probablement la plus passion-nante de l'économie de la personnalisationsera la relation à la notion de mode qui serainstaurée : par essence, dans ce type d'activitéle fruit de la création n'existe pas de manièreunilatérale. La marque – le créateur ? – propo-se une sorte de boîte à outils créative quitrouvera sa finalité dans les mains de créatifsauto-proclamés. Figure ô combien hérétiqueque de laisser le soin à des individus sans com-pétence de réaliser leur propre création. Ledébat n'est pas récent, mais au regard de cequi s'est déjà passé dans d'autres secteurs decréation, il est certain que des pans entiers del'offre produit seront impactés par cette possi-bilité nouvellement offerte. L'analogie la plusflagrante doit être recherchée dans la créationmusicale qui sous l'influence des outils numé-riques a donné la possibilité aux amateurs demanipuler des « matières musicales » (sam-pling, loops stitching, mixing, scratching…) etdes banques de données de « composants »musicaux. La culture DJ/VJ et toute l'économiequ'elle a entraînée dans son sillage sont typi-quement fondées sur cette réalité.

Est-ce bon ou mauvais pour la création ? Bienévidemment, notre réaction spontanée estempreinte d'une forme de réserve, voire demépris vis-à-vis de ce type de phénomène,mais le débat ne se situe pas à ce niveau. Lamode est fondamentalement une affaire de « common uniqueness », de prophéties auto-réalisatrices lancées par des hordes degourous, de récupération et de récriture depropositions originales dans des histoires per-sonnelles et parfois banales, du brouhahaculturel en somme. Le processus de copie offi-cielle des styles – poussé à son paroxysme parles plus grandes marques mondiales de mode -et d'inspiration généralisée a déjà depuis longtemps brouillé la piste de ce qu'est le pro-cessus créatif.

Ce qui se profile n'est qu'une évolution supplé-mentaire dans le mécanisme d'échos et depropagations multiples entre les propositionscréatives authentiques et la capacité des indivi-dus à s'en emparer pour mieux les renvoyer àleurs propres géniteurs. La difficulté particu-lière engendrée par ces nouveaux marchéssera de ne pas prendre prétexte de la nécessitéde produire des offres personnalisées à prixcompétitif et à délai court pour engendrer desproduits sans âme, ce qui serait proprementcontradictoire du projet même de ce position-nement. Quels seront donc ces créatifs et cesentrepreneurs qui parviendront à prouver quel'on peut simultanément faire de la personna-lisation et de la mode ? Probablement desdesigners, au sens le plus authentique duterme.

Laurent Raoul, Professeur, IFM

1. Abraham Maslow, Motivation and Personality, Paperback,1987.2. James H. Gilmore and B. Joseph Pine II, “The Four Facesof Mass Customization”, in Harvard Business Review,January-February 1997.3. Voir dans ce même numéro l’article de Evelyne Chaballierqui traite précisément de ces questions de consommation.

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mondiale, le concept de chaîne spécialiséeconserve aujourd’hui toute sa force, reflétéepar une part de marché avoisinant 30 % enEurope et des progressions de plus d’unpoint par an1. Les business models de Zaraet d’H&M reposant sur un renouvellementrapide des collections et des séries courtessemblent en effet les plus aptes aujourd’huià comprendre l’air du temps et à raviver sanscesse les désirs de mode sur un marché del’habillement saturé et soumis à de rudesconcurrences budgétaires. Sur les créneauxde prix supérieurs, les grandes marquesinternationales de luxe ou de sport sontremarquablement efficaces pour susciterl'engouement pour les mêmes objets ico-niques (le sac ou la basket), du nord au sudde la planète. Cette attraction traduit « laformidable diffusion sociale des aspira-tions démocratiques-individualistes auxbonheurs matériels et au bien-vivre »2. Maiscette confluence des désirs ne génère-t-ellepas par réaction des besoins d'affirmationindividuelle ? Après la démocratisation del'offre et la distribution de masse, puis l'hy-persegmentation et les séries limitées, lapersonnalisation de la relation avec le clientfinal et le concept de « solution »3 se sont for-tement développés dans certains secteurs(automobile, bricolage, services…) maisn'ont jusqu'à présent que peu pénétré l'uni-vers de la mode.

Déjà posée dans les années 80 par quelquesingénieurs chercheurs, anglo-saxons le plussouvent, la question de la production à lademande revient par ailleurs en force avec ledéveloppement des nouvelles technologieset l’accès direct au consommateur vial’Internet. Plutôt que solder des stocks devêtements invendus, pourquoi ne pas fabri-quer sur commande le produit adapté à lamorphologie et au goût de chacun autourd’un choix de tailles et d’options ? L’histoirenous a montré que les innovations de rup-ture se réalisaient à travers la rencontreentre des innovations technologiques et desévolutions sociétales (l’automobile et lamobilité, l'élasthanne et le confort…) : l’éco-nomie numérique signerait-elle le tournantvers la production à la demande ?

La mort du prêt-à-porter serait-elle annoncée ?

A l'heure où le système de la mode remplitle paysage de la consommation de produitset d'images destinés à être désirés par unlarge public, cela a-t-il un sens de rêver de sefaire fabriquer un vêtement « unique » enchoisissant différentes options proposéespar le fabricant, à l’image de l’achat d’uneautomobile ou d’un ordinateur ? Nés dansleur grande majorité dans l’ère du prêt-à-porter, les consommateurs européenspourraient-ils aspirer à en sortir et pousserles concepteurs de mode à repenser totale-ment la chaîne de fabrication ?

Le développement du prêt-à-porter estindissociable des Trente Glorieuses, et, plusgénéralement, de l’accession des classesmoyennes à des biens de consommation dequalité produits en masse. L’apparition de lagrande distribution à la périphérie des villesà la fin des années 60 a permis l’écoulementéconomique des productions en grandesérie et, au début des années 80, les ventesdes hypermarchés et des grandes surfacesspécialisées bas prix représentaient le quartdu marché de l’habillement français. Sansrevenir sur la pyramide de Maslow, lesbesoins physiologiques et les besoins d’appartenance étant satisfaits par l’uni-formisation de l’offre ainsi réalisée. Le déve-loppement des chaînes spécialisées à partirdu milieu des années 80 a répondu auxbesoins d'estime de soi par la segmentationdu marché : le « tout sous un même toit » afait place à la spécialisation.

Ravivé au début des années 2000 par ledéveloppement fulgurant de quelquesenseignes emblématiques tissant leur toile

Les consommateurs et la mass-customisation Evelyne Chaballier

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Enfin, le lien direct, pouvant être recrééentre fabricant et consommateur par leconcept de personnalisation, nourrit fré-quemment la théorie d’un rapprochemententre lieux de production et de consomma-tion, alors que la globalisation n’a cessé deles éloigner. Avec un poids des produits asia-tiques dépassant 50 % dans la consommationeuropéenne en valeur, le secteur de l’ha-billement fait à ce titre figure de précurseurpour de nombreuses autres industries ettout signe, même timide, d’inversion de latendance aux approvisionnements lointainsserait évidemment exploré à la loupe par lesacteurs d'autres secteurs.

Ce sont toutes ces questions qui ont consti-tué la toile de fond de la recherche réaliséepar l’IFM pour le pôle de compétitivité Up-Tex autour du thème de la mass customi-zation. Commençons tout d'abord parprésenter ce concept selon la définitionretenue par l’étude :

mass-customisation =co-conception (implication du consommateur) +

post-production + organisation complexe des différentes étapes

entre la prise de commande et la livraison.

Nous examinerons dans cet article les moti-vations et intérêts des consommateurs demode pour la mass-customisation que nousconfronterons avec les propositions actuel-les et prévisibles.

L’économie numérique n’en est qu’à ses balbutie-ments

L’économie numérique a déjà profondé-ment changé nos vies mais cette révolution,réalisée relativement en douceur grâce àson appropriation rapide et plutôt ludiquepar la majorité des Occidentaux, n’a certai-nement pas fini de se répercuter sur lemonde économique. Citons, à titre d’exem-ple, le développement de la photonumérique qui a fait vaciller le géant de l’ar-gentique Kodak et tous les métiers liés autirage photographique. En quelques années,l’accessibilité des prix liée aux progrès de laminiaturisation et à la globalisation des mar-

chés a permis aux consommateurs de s’ap-proprier la technologie et d'avoir recours àdes logiciels de montage et de création d’ef-fets spéciaux. Certains ont ainsi trouvé lemoyen d’exprimer des talents artistiques etde partager leurs « œuvres » avec la grandecommunauté du Net, même si les puristesde la photo lèvent les bras au ciel. D’autres,ou les mêmes, ont devancé les médias ensaisissant sur le vif les premières minutessuivant le tsunami de décembre 2005 ou lesattentats de Londres, les appareils photos et caméras insérés dans les téléphonesmobiles permettant une diffusion quasiinstantanée de ces documents d’amateursvia l’Internet. Faisant l’objet d’une abondan-te littérature, le phénomène des blogs nepeut qu’être évoqué ici : au-delà de la logor-rhée de certaines expositions d’ego sansintérêt, beaucoup de blogs traduisent l’in-vestissement personnel de leurs auteurs etle souci de partager expertises et témoigna-ges réfléchis. Avec les textes et les photos, cesont aussi les vidéos et les créations musica-les personnelles qui s’échangent4.

On touche ici au changement de braquetintroduit par la technologie du web 2.0 pla-çant l’utilisateur et ses relations avec lesautres au cœur de l’Internet. Selon certainesestimations5, la blogosphère comprenait enmars 2006 plus de 150 millions de blogsdans le monde, dont 40 millions d’actifs. Etla France serait même championne mon-diale en termes de nombre de blogs parinternaute (0,35), confirmant son attirancepour une forme « d’individualisme collectif ».Comme le montre Jean-Claude Kaufman,l’expression de soi, inscrite dans la moder-nité individualiste, ne porte ses fruits que sielle s’accompagne du sentiment d’apparte-nance à une communauté : « L’individu,désormais au centre de la définition dusens de sa vie, peine à fournir des contenussignificatifs quand il ne s’inscrit pas dansdes appartenances. L’élargissement de sonpérimètre d’identification lui permet paradoxalement de se sentir davantagelui-même »6. Les premières industries boule-versées en profondeur par le web 2.0 sontles médias : journalistes et publicitaires nous

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s’installe, au niveau désormais mondial,autour de l’éthique et de la protection del’environnement et, dans un contexte dedilution des règles sociales, politiques oureligieuses, la consommation pourrait cons-tituer une occasion d’affirmation de valeursidentitaires.

Très étudié par les sociologues8, le courantdes alter-consommateurs s’inscrit en ce sens et il est intéressant d’en rappeler lescontours pour notre sujet de la mass-custo-misation : avec une part dans la populationfrançaise se situant entre 15 et 30 % selon lesenquêtes, les adeptes de ce courant sontplutôt aisés, urbains, actifs et matures (35-64ans). La pléthore de l'offre standardiséeémousse leurs désirs de possession d'objetset ils rejettent précisément le renouvelle-ment trop rapide de l'offre et la productionde « fausses » nouveautés. S’ils s'opposent àl'emprise des marques et de la publicité dansleur vie quotidienne, ils ne sont pas contreles marques, dès lors qu’elles se trouvent enadéquation avec leurs valeurs. Comme l'affirme Eric Fouquier : « ils ne sont pasréactionnaires mais optimistes, utopistes,activistes. Ils ne sont pas contre… maispour autre chose »9.

Ils sont par ailleurs consommateurs de pro-duits de qualité, dont ils connaissent lesconditions de fabrication, et se méfient desintermédiaires qu'ils soupçonnent de capterla marge des producteurs. Une part majori-taire de l’opinion française semble partagercertaines de ces opinions. Ainsi, dans l’enquête IFM citée plus haut, 65 % desinterviewés sont plutôt ou tout à fait d’ac-cord avec l’opinion « je suis prêt(e) à payerplus cher un vêtement fabriqué en France »et 64 % avec « je préfèrerais acheter un vête-ment directement au fabricant ». Et lepourcentage des individus tout à fait d’ac-cord avec chacune de ces positions avoisine30 % ce qui nous rapproche des estimationsdu poids des alter-consommateurs dans lasociété française.

Nous soulignerons à ce stade que la mass-customisation et la consommation éthiquen'ont, de toute évidence, pas de lien sur le

ont en effet habitués à s’exprimer en petitnombre à destination du plus grand nom-bre, alors que le web 2.0 organise unegigantesque conversation, ce que le journalLibération a qualifié de « révolution desamateurs ».

Comment le monde de la mode pourrait-ilrester enfermé dans une tour d’ivoire etignorer les mutations en cours alors que sesdesigners respirent en permanence l’air dutemps ? Peut-on imaginer que, producteursde blogs ou d'images et échangeant conseilsde bricolage et recettes culinaires person-nelles, les individus n’aient pas égalementenvie d’interagir avec l’industrie vestimen-taire ?

Dans le cadre de cette recherche sur la mass-customisation, l’IFM a réalisé en janvier 2006une enquête approfondie auprès d’unéchantillon représentatif de 1 200 consom-mateurs français de mode : 47 % des femmeset 37 % des hommes déclarent « avoir beau-coup d’idées créatives pour leurs vêtements » et 45 % des femmes et 24 % des hommessont en accord avec la proposition « j’ai par-fois envie de mettre un décor personnel surun vêtement ».

La mode n’échappe pas au débat autour de lasociété d’hyperconsommation

Sur un autre plan, la mode risque, à plus oumoins longue échéance, de se « prendre les pieds dans le tapis » d’un rythme derenouvellement effréné : ainsi en France, lesdépenses consacrées à l’achat de vêtementsont très faiblement progressé entre 2001 et2006 tandis que les quantités s'envolaient deplus de 20 %. Une récente étude conduitepar l’IFM7 révèle la prégnance du modèleH&M et Zara autour de séries courtes actua-lisées, avec la perspective évoquée par lesacteurs de la mode européenne du passagede 4,7 collections par an en moyenneaujourd’hui à 6,8 en 2010. Le secteur de lamode constitue à ce titre un modèle pourd'autres industries quant à sa capacité àdéclencher les désirs, nouveautés et jouis-sances. Mais il ne peut ignorer le débat qui

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plan théorique, mais que ces deux notionsrépondent aux attentes d’une populationqui cherche à échapper à la consommationde masse. Dans notre enquête, les intervie-wés intéressés par la mass-customisationsont 51 % à « avoir déjà personnellementacheté des produits du commerce équitable ».

Les tailles standard habillent par défaut

Une autre forme de rejet de l’offre de massetelle qu’elle existe aujourd’hui a trait à laquestion, récurrente au sein du secteur del’habillement mais de moins en moinsacceptée par ses clients finaux, des taillesproposées dans les magasins et de leurinadaptation à la diversité des morpholo-gies. Toujours dans notre enquête de janvier2006, 39 % des femmes et 24 % des hommesadhèrent à l’opinion : « j’ai beaucoup demal à trouver ma taille en magasin ».

Dans le cadre d’un programme européenconduit pour la France par l’Ifth (Institutfrançais du textile-habillement)10, 12 000Français sont ainsi passés entre 2003 et 2005sous la « toise » d’une cabine 3D prenant 32 points de mesure. Les résultats sont élo-quents : par rapport à l’année 1970, censéeêtre la référence pour les tailles en vigueur,les Françaises ont grandi en moyenne de 2,5centimètres et pris 2 kgs, passant de la taille38 à la taille 40. De son côté, le Françaismoyen a grandi de plus de 5 cms et pris 5 kilos… Au-delà de ces moyennes, cettecampagne a permis de mettre en évidenceplusieurs types de morphologies pour unemême taille ainsi que l'évolution significativedes conformations avec l'âge.

Prenant le pouls de leur clientèle, lesmarques ont plus ou moins adapté dans letemps leur grille de taille, ce qui fait qu’ilexiste aujourd’hui une grande disparité desmannequins de base servant à l’établisse-ment des tailles. Les consommateurs fontavec, ont recours aux retouches et/ou choisissent leur taille par défaut lors de l’essayage, ce qui aboutit souvent à un « bien-aller moyen ».

La situation se complique dès lors, qu’outrel’âge, il est question de prendre en comptele pays et l’ethnie. Les Américains ont à cetitre développé un marketing ethniqueaffûté, reposant sur l’observation de goûtsdifférenciés en matière de styles, de coloriset de conformations entre les Afro-améri-cains, les Hispaniques, les Asiatiques ou lesWasps. Le développement du marketing eth-nique semble rencontrer un écho plutôtembarrassé en Europe, et notamment enFrance, où l’on s’attache davantage à uneapproche multiculturelle et d’intégration,les statistiques individuelles ne prenantnotamment pas l’origine en compte.

Un autre aspect de l’adaptation de plus enplus difficile des standards de taille à la diver-sité des morphologies a trait au problèmeendémique des sociétés occidentales queconstitue l’excès pondéral : il existe ainsi enFrance 14 millions de personnes en surpoidsauxquelles s’ajoutent 5 millions d’obèses.Trouvant fréquemment l’offre de vêtementsgrandes tailles peu attrayante en termes destyle et/ou peu accessible en termes de prix,les consommateurs concernés se placentpour certains en reclus du « système de lamode ».

Enfin, nous ne pouvons aborder ces ques-tions morphologiques sans évoquer laquestion du vieillissement des populationseuropéenne et japonaise et, à plus longterme, chinoise. Dans nos sociétés confron-tées à ce vieillissement et en quête del’éternelle jeunesse, le vêtement a la voca-tion d'apporter aux consommateurs seniorsle confort et le bien-être et d'embellir les silhouettes face aux regards des autres.Pourquoi la mode resterait-elle à l’écart desnouveaux enjeux du vieillissement qui assu-rent aujourd’hui une partie significative dela croissance des industries de la cosmétiqueaprès plus d’une décennie d’investisse-ments en recherche et développement ?

Aujourd’hui, l’inadéquation des tailles stan-dard avec les individualités morphologiquesest finalement ressentie sur toutes les tran-ches d’âges, les groupes projectifs que nousavons conduits dans le cadre de l’étude

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ter une signature personnelle. Le fabricantmettrait ensuite le vêtement en productionet le livrerait quelques jours après. Leconsommateur devient alors un donneurd’ordres : utopie ou émergence du vête-ment prêt à produire ?

Les bases du marketing se trouvent quelquepeu bousculées par cette perspective : habituellement, les études de marché et l’analyse approfondie des résultats de venteaboutissent à la fabrication des produitsconsidérés comme les plus désirables. Lamise en scène en magasin et les campagnesde communication contribuent à posteriorià renforcer les ventes. Dans le système de lamass-customisation, tout semble inversépuisque le consommateur achète le produitavant qu’il ne soit fabriqué et le marketing etla communication auront en charge d'enca-drer la construction d'une offre d'options etde la rendre visible et attractive : cette pers-pective n’annonce pas la fin du marketing,loin s’en faut, mais elle réalise un viragedéterminant vers une économie pilotée defaçon encadrée par l’utilisateur/client.

Une autre interrogation, encore plussérieuse, tourne autour de la création : si lesclients décident de l’allure et des détails deleurs vêtements, ne risque-t-on pas de tuerla créativité et les innovations, et de pro-duire une marée de vêtements communs,voire peu attractifs, qui n’apporteront mêmepas à leurs créateurs/acheteurs l’admirationde leurs pairs ? Si tel était le cas, mieux vautne pas se lancer dans l’aventure tant l’échecserait patent dans nos sociétés avides, d’uncôté, d’expériences esthétiques et, de l’au-tre, de repères produisant des identités ausein de communautés partageant les mêmesgoûts. La réussite d’une offre de mass-custo-misation repose en conséquence sur la forcedes propositions élaborées par des desi-gners sensibles à l’air du temps et dont leschoix d’options varieront de façon saison-nière. Tout le challenge consistera à placer lecurseur entre une offre suffisamment largepour répondre aux attentes différenciéesdes consommateurs et des collections sai-sonnières inscrites dans la mode.

Up-Tex révélant notamment les souffrancessilencieuses de jeunes femmes petites ou, àl’inverse, très grandes. Sous la poussée desgrandes marques et enseignes internationa-les (Nike, Décathlon, H&M, C&A), l’Europea entrepris une réflexion en passe d’aboutirà une normalisation des tailles autour detrois points de mesure simples et clairementcommuniqués aux consommateurs : le tourde poitrine, le tour de taille et la hauteur11.Cette approche, reposant sur des mesuresréelles, apparaît plus universelle que lestailles actuelles et facilitera probablement lescommandes à distance, les palettes de propositions (poitrine, tour de taille) pourune même stature pouvant être élargies avecun stock centralisé. Mais le croisement desmorphologies, styles et coloris n’en resterapas moins limité par le souci de ne pas sur-stocker des produits de mode périssa-bles ne concernant qu'une petite catégoried'individus.

Imaginons alors un autre monde…

Les observations qui précèdent montrentles limites aujourd’hui atteintes dans le fonc-tionnement du marché du prêt-à-porter,avec un certain emballement dans les ryth-mes de renouvellement n’étouffant pas lerisque de banalisation, voire le renforçant,tandis que les consommateurs aspirent à ceque leurs préférences fonctionnelles et/oucréatives soient prises en compte, commec‘est déjà le cas pour d’autres produits ouservices. Parallèlement, la surproductionmondiale et la multiplication des sériesgénèrent des invendus et des pertes de marges. En France, le poids des soldes etpromotions dans la consommation de vête-ments en valeur avoisine 30 % en 2006, soitune progression de deux points en un an.

Imaginons donc un monde dans lequel lesconsommateurs feraient leur choix de vête-ments parmi différentes propositions detissus, de coupes et de détails (col, boutons,poignets, ceinture…). Ils indiqueraient leursmensurations (ou ces dernières seraientdéjà stockées sur une carte personnelle) etpourraient même, cerise sur le gâteau, ajou-

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Un autre risque fortement anxiogène estcelui de la déception. Certains des consom-mateurs que nous avons interviewés ontconscience de cet écueil notamment leshommes : « C'est quand même une prise derisque, faire son modèle, cela peut êtrebeau sur le dessin et puis on peut s'aperce-voir que ça ne nous va pas, le jour où on lereçoit » (homme, 25 ans). Les conseils enmatière de silhouette et de combinaison desoptions seront de fait incontournables, sur-tout pour la première expérience desclients. Il en est de même pour le rendu virtuel mais fiable du résultat avant confir-mation de la commande, que celle-ci soitpassée via l’Internet ou dans un relais devente physique.

Comme cela vient d'être évoqué, le fait quela manette de déclenchement de la produc-tion soit aux mains du consommateurn'amenuise pas le rôle des équipes créatives.Celles-ci pourraient même bénéficier d’unchamp d’expression plus large pour déve-lopper des propositions innovantes,insolentes, des herbes folles aujourd’huienterrées par une gestion focalisée sur lerétroviseur des ventes et le coût des stocks.

Le bien-aller et la sensibilité personnelle à la modeconstituent les deux axes de structuration des moti-vations pour une offre de mass-customisation

Sur la base des 1 200 interviews réalisés enjanvier 2006, 56 % des femmes et 39 % deshommes ont été considérés comme poten-tiellement intéressés par une offre devêtements sur options. Une analyse facto-rielle nous a permis de mettre en évidencedeux axes de différenciation majeurs au seinde la population intéressée. Le premier atrait à la créativité/ conventionnalisme desindividus dans leur rapport à la mode et lesecond à la facilité/difficulté à trouver lesvêtements recherchés dans l’offre standard.Trois groupes principaux de consomma-teurs/trices intéressés par une offre demass-customisation peuvent ainsi être iso-lés, avec des motivations nécessitant desréponses différenciées de l’offre : un pre-

mier groupe concerne les personnes trou-vant difficilement des produits adaptés àleur morphologie alors que leurs goûts sontconventionnels. Très frustrés par rapport àla mode, ils consomment peu de vêtementset privilégient les tenues passe-muraille enregrettant que le sur-mesure de produitsclassiques soit peu répandu et trop cher. Al’opposé, un deuxième groupe d’hommes,et surtout de femmes, sont des passionnésde mode et n’ont aucun problème à trouverdes vêtements qui leur plaisent dans l’offreactuelle. Plutôt gros consommateurs demode, ils aiment les petites marques confi-dentielles qui sortent du rang. Ils aspirenteux-mêmes à participer à la création, à mettre une touche personnelle sur leurstenues : « design it yourself ». Cette popula-tion est en majorité attirée par les nouvellestechnologies et l’idée de « piloter » l’atelierde couture séduit ses membres, dont lesachats de produits personnalisés s'effectue-ront en complément de l’offre standard,pour des occasions et/ou des produits parti-culiers.

Enfin, le troisième groupe, le plus inté-ressant probablement en termes de déve-loppement d’offre, concerne des individus,surtout des femmes, qui, d’une part, ont des difficultés à trouver les vêtements leurconvenant pour des questions de conforma-tion et/ou de goûts spécifiques et, d’autrepart, expriment une attirance pour la modeet des envies de créativité fortes : ils aimentgénéralement séduire et être distingués parleurs vêtements et débordent d’imaginationdès lors qu’il s’agit d’anticiper l’offre person-nalisée idéale.

L’offre actuelle occupe une niche en fort dévelop-pement mais pauvre en termes de propositions

Depuis le début du prêt-à-porter les offresde mass-customisation ont toujours existé.Elles se sont dans les années 60-70 concen-trées autour du sur-mesure et/ou de lamesure industrielle proposés par des fabri-cants pour répondre à des motivationsfonctionnelles de bien aller. Ces offres desur-mesure concernaient principalement le

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ments autour de morphotypes sont égale-ment envisagés, notamment dans le massmarket, à l’image du questionnaire proposésur son site Internet par le distributeur amé-ricain Land’s End, pionnier en la matière : « Ce qui est particulièrement intéressant,c'est que ce service ne peut être offert quepar Internet. Aucun centre d'appel ne pourrait recueillir de l'information aussidélicate que la description détaillée de vosfesses (plates, bombées, etc.) ou encore devotre buste. Personne n'oserait répondre àdes questions aussi personnelles de vivevoix », affirmait Sam Taylor, vice-présidentde l’entreprise.

L’ultime étape, qui concerne aussi l'automo-bile, l'ameublement et la santé, consisterait àdoter chacun d’entre nous d’une carte indi-viduelle détaillant nos mesures ou d'unefiche de mensurations personnelle disponi-ble chez des prestataires spécialisés sur leNet, et qui serait réactualisée à notredemande. Il reste à savoir à quelle échéance,l’horizon d’une dizaine d’années étant évo-qué par certains spécialistes.

A plus court terme, les progrès continusréalisés en matière d’imagerie 3 D couplés àl’accélération des débits se traduisent parune amélioration régulière du rendu virtueldes tissus et du produit « sous toutes sescoutures » et faciliteront le choix des optionssur écran.

Un autre volant de l’offre actuelle de produits personnalisés repose sur la diffé-renciation dite « retardée » de produitsstandard en y rajoutant dessins, logos,photos et textes personnels imprimés oubrodés. Les motivations des consommateursse situent dans le registre du plaisir avec desbuts variables selon les personnes et lesoccasions : porter une image, un symboleque l’on aime, affirmer une appartenance àune communauté, développer une fibreartistique et devenir créateur de mode, por-ter SA marque, faire un cadeau unique...

Le marché semble en pleine effervescenceaujourd’hui avec la facilité de commandesen ligne et la multiplication des occasions seprêtant à la personnalisation d’une tenue et

vestiaire masculin formel (costumes, che-mises) et ont été balayées, pour nombred’entre elles, dans les années 80-90 par ledéveloppement des chaînes de mode, labaisse des prix des articles tout faits et lamontée du sportswear. Le diagnostic desacteurs présents en Europe révèle cepen-dant que les nouveaux besoins decustomisation émergeant chez les consom-mateurs se traduisent par un redéploiementdes offres et une progression significativedes chiffres d’affaires depuis 2004. Si les spé-cialistes du haut de gamme, voire du luxe àl’exemple de Zegna, dominent les offres, onassiste également à certaines propositionsau sein de la distribution moyenne gamme(Devianne ou Cyrillus en France, cataloguesde vente à distance en Allemagne…).

En dépit de ce décollage, le sur-mesuremanque aujourd’hui d’attractivité, les pro-duits proposés restent essentiellementmasculins et classiques, avec un spectreréduit de modèles et de tissus. La contraintede la prise de mesure est lourde et nécessitela compétence d’un vendeur formé, consti-tuant une barrière à l’accessibilité pour lesclients et alourdissant le prix. Les mesuresnécessaires pour la chemise étant moinsnombreuses et pouvant être prises encharge par l’acheteur, des sites de vente enligne de chemises sur mesure ont cependantéclos avec un certain succès mais sont péna-lisés par une acquisition difficile de laconfiance pour le premier achat.

Sans aborder dans le détail les aspects tech-nologiques, les recherches que nous avonsconduites révèlent, sans surprise, le poidsdéterminant des innovations techniquespour que l’offre sur mesure puisse quitter saplace de niche confidentielle. Une premièreréponse pourrait être la généralisation dubody scanning rendue possible par la baisseannoncée du coût des cabines de mesure.Cette perspective impliquera cependant queles freins détectés chez certains consomma-teurs soient levés, l’analogie avec l’imageriemédicale étant à ce titre assez peu porteusepour le secteur de la mode. S’écartant dusur-mesure proprement dit, des développe-

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touchant toutes les générations (clubbing etsoirées privées, musiciens amateurs, écoleset bureaux des élèves, nautisme, jeux derôle...).

Les acteurs présents sur le marché appar-tiennent à différents univers : PMEd'habillement, d’impression ou de broderiedéveloppant ce type de services en complé-ment d’une activité classique de B to B,anciens du textile ayant créé une nouvellesociété spécialisée et, de plus en plus, Start-up du web développées par des mordusd’informatique. Un développement inscritdans la culture du web 2.0 évoquée plushaut consiste à proposer à chaque client d'é-diter ses créations et de le rémunérer surchaque vente12.

Le retournement de perspective ouvert par lamass-customisation suscite quelques questions

La première question concerne les acteursles mieux à même de porter un projet ambi-tieux lié à la mass-customisation, et lesmodes de vente les plus appropriés. Assezrapidement lors de notre recherche, lavente aux consommateurs via l’Internets’est imposée comme circuit prioritaire dufait de sa capacité à toucher des clients inté-ressés sur une zone de chalandise nationale,voire internationale. Le développement ducommerce en ligne est devenu par ailleursune réalité pour le marché de la mode, lesventes de vêtements en ligne atteignant 3 %du marché français début 200713 et dépas-sant 5 % aux Etats-Unis avec de fort taux decroissance. Mais à l'heure où l'approche « click and mortar » se généralise, la préfé-rence pour la vente en ligne n'exclut en rien le développement de relais de ventephysiques, par ailleurs nécessaires pourconseiller les consommateurs et pourgagner leur confiance lors d'un premierachat.

Pilotant la filière depuis les années 80, la dis-tribution ne peut rester à l’écart des modesde consommation émergents et dévelop-pera très probablement des propositions deproduits personnalisés et/ou sur mesure. A

court terme, il est cependant difficile d’ima-giner que cette offre puisse être autre que « cosmétique » dans ses développements etminoritaire dans le chiffre d’affaires desenseignes disposant d’un réseau de maga-sins, le cas de la vente à distance étant mis àpart. Pour attirer un nombre important deconsommateurs, les prix pratiqués pour unproduit personnalisé devront en effet resterdans une fourchette acceptable par rapportau prix moyen d’un article tout fait : lors desenquêtes que nous avons réalisées une four-chette de 10 à 20 % était évoquée, par lesconsommateurs comme par certains profes-sionnels, le luxe et les articles d’exceptionétant mis à part. La chaîne de valeur deschaînes spécialisées reposant sur la minimi-sation du coût de fabrication des produits auprofit de leur conception et de leur distri-bution, avec des coûts immobiliers etd'aménagement élevés, les business modelsapparaissent très différents de celui lié à uneproduction sur mesure directement expé-diée chez le consommateur. Une solutionpour les distributeurs serait de développerune entité spécifique.

Les fabricants semblent à ce titre mieux pla-cés, d’autant qu'aux Etats-Unis un nombrecroissant de marques ont fait récemment lechoix « d'accéder à la mer » en vendant direc-tement en ligne aux consommateurs. Dansce cas de figure, les options proposéesseront probablement limitées à des choix demesures, de coloris et de détails restant dansle registre créatif des valeurs de la marque.Des PME innovantes et souples ont égale-ment toute la légitimité pour proposer leursoffres et re-capter une part de la marge dansla chaîne de valeur, pour peu qu’elles dispo-sent au départ des moyens financiersnécessaires aux développements industrielset informatiques et constituent une filièreréactive avec des fournisseurs partenaires.Enfin, des pure players coordonnant unréseau de confectionneurs et de produc-teurs de matières semblent également bienplacés pour mettre en place une offre.

Une autre question a trait au lieu de produc-tion, la tentation étant grande de considérer

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attentes individuelles, probablement démul-tipliées par l'acquisition « d'expertises » surle Net, et l'offre courante. Or, selon différen-tes études14, la première condition pourqu'un secteur s'oriente avec succès vers uneoffre de personnalisation repose sur laconjonction de deux facteurs : au niveau duconsommateur, des choix fréquemmentopérés par défaut, et, au niveau des produc-teurs, une instabilité du marché induite parune concurrence exacerbée. Cette conditionsemble aujourd'hui pleinement acquisepour les industries de la mode.

Enfin, l'enquête conduite par l’IFM pour lepôle de compétitivité Up-Tex révèle que lesbesoins des individus en matière de person-nalisation vestimentaire vont bien au-delàd'une customisation cosmétique mais por-tent sur des options de structure comme lesmesures, la matière, le coloris et la forme.Centrés sur le consommateur, nous n'abor-dons pas ici la question des équipementsindustriels, des systèmes d'information etdes organisations sophistiquées15 qui serontnécessaires pour mettre en place cette stratégie de « disruption » combinant les per-formances de la technologie et de l'artisanat.Mais loin de se limiter à un challenge d'ingé-nieurs ou de spécialistes de la supply chain,ce projet ambitieux devrait attirer des designers dynamisés par la possibilité deproposer directement leurs idées créativesaux consommateurs, des spécialistes dumarketing résolument « orientés clients » etdes professionnels de la communicationdésireux de packager et de rendre désirableune offre virtuelle.

Evelyne Chaballier,Directeur des études économiques et pros-pectives, IFM

1. Estimations IFM d'après les panels de consommateurs.2. Gilles Lipovetsky, Le bonheur paradoxal. Essai sur lasociété d’hyperconsommation, Paris, Gallimard, 2006.3. Philippe Moati, L'avenir de la grande distribution, Paris,Odile Jacob, 2001.4. Le chargement illégal de productions standard protégéespar un copyright ne rentre évidemment pas dans le champde cette analyse.

la mass-customisation comme un moyen derelocaliser la confection face à l'emprisecroissante des pays à bas coûts de salaire etparticulièrement de la Chine. Ce raccourcine résiste pas à une analyse économiqueobjective : en premier lieu, l'activité de mass-customisation repose sur la transmission deflux de données qui ne s'oppose en rien à l'éloignement de la production tandis quel'acheminement par avion des articlesconsommateurs de « minutes de confection »est couramment pratiquée aujourd'hui dansle haut de gamme. De surcroît, il n'est pasinutile de rappeler que l'Asie bénéficie d'unetradition du sur-mesure extrêmement forteet vivace, notamment dans le haut degamme masculin, le prêt-à-porter étantapparu plus tardivement qu'en Europe.

Sur un autre plan, des arguments militent enfaveur d'une production plus proche duconsommateur, qu'il s'agisse de l'Unioneuropéenne stricto sensu, ou des pays dubassin méditerranéen. Le délai s'affirme eneffet comme une variable clef dans l'attracti-vité du concept de mass-customisation :nous parlons ici non seulement du délaiannoncé (avec un optimum d'une semainepour les vêtements courants, pouvant allerbeaucoup plus loin pour les articles d'excep-tion) mais également de son respect, lesdéceptions pouvant être irréversibles en casde retard. Aussi, la complexité d'organisa-tion des flux et d'optimisation des délaissont-ils favorables à une proximité culturelleet physique, source de compréhensionentre les partenaires de la fabrication et lesconsommateurs.

En conclusion, les perspectives des indus-tries de la mode ont été bouleversées par laglobalisation des marchés mainte fois analy-sée et, plus récemment, par l'irruption desnouvelles technologies dans la vie quoti-dienne des consommateurs. La baisse desprix et la concentration de la distribution ontentraîné une accélération du rythme derenouvellement des collections qui n'est paspour autant ressentie comme générantdavantage de diversité dans l'offre. Le fossésemble au contraire se creuser entre les

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5. Journal du Net, mars 2006.6. Jean-Claude Kaufman, L’invention de soi. Une théorie del’identité, Paris, Hachette, 2005.7. Etude IFM janvier 2007 pour Eurovêt.8. Eric Fouquier (Thema) fait référence en France.9. Intervention lors du séminaire IFM « Perspectives interna-tionales mode et textile 2006 », novembre 2005.10. http://blog.ifth.org.11. Article Journal du textile, n° 1902, p. 90.12. Voir sur ces questions l’article dans ce même numéro deLaurent Raoul. Il faut souligner, en effet, le développementcroissant de publics interférant dans le processus de créa-tion. Dans la lignée d'eBay, Speadshirt joue sur le doubleregistre acheteur/vendeur en gérant notamment les « bou-tiques » en ligne de communautés (des amoureux deschiens aux passionnés d’un groupe de musique). Le sitecentral fournit toute la technologie et le savoir-faire pourcréer des produits et des sites personnalisés, les partenairesn’ayant pas besoin de se soucier de la gestion des stocks, nide la fabrication, ni de la livraison ou du service client. A lami-2006, Spreadshirt a racheté le site Lafraise.com, modèledu web 2.0, à travers le blog de son fondateur et l’appel auxvotes de la communauté ainsi créée pour éditer en sérielimitée les productions des graphistes plébiscités.13. Enquête consommateurs mensuelle de l’IFM.14. Thorsten Blecker, Nizar Abdelkafi, Mass Customization.State of the Art and Challenges, Hamburg University ofTechnology.15. Voir à nouveau sur ce point la contribution de LaurentRaoul.

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Le bricolage de l’apparence passe à nouveauaujourd’hui, comme il l’a déjà fait dans lepassé, par un usage combiné de différentssignes extérieurs de la pauvreté vestimentaire– effet de pauvreté qui s’inscrit bien sûr dansune société où le vêtement prend simultané-ment valeur de premier des signes extérieursde richesse.

Cet assemblage vestimentaire, qui joue à juxta-poser vêtements pauvres et riches, vêtementsneufs et vieux – comme dans le fameux clichémarketing du mélange Chanel/Tati –, est unerhétorique déjà ancienne, que les années fin60/début 70 par exemple avaient déjà large-ment favorisée. Toujours plus ou moinsprésente, cette mode de l’usé et du pas cher,du recyclé et du jetable, du cheap and chicpour paraphraser une des marques qui en ajoué, reprend, à la faveur d’un goût du brico-lage et de la personnalisation, une nouvellevigueur. Un phénomène qui dépasse le simplejeu de la mode et qu’il est intéressant d’envisa-ger sous l’ensemble de ses dimensions : intérêtpour les magasins populaires (de Tati à H&M)et pour les fripes, goût pour le vieilli et l'usé,esthétique du troué et du raccommodé, désaf-fection (apparente) pour les marques tropévidentes et recherche de marques confiden-tielles, recherche de prétendues fautes de goûtet du laisser-aller. Toutes ces expressions, lar-gement représentées aujourd’hui dans cecourant de personnalisation de l’apparence, serecoupent sur un même point : celui d'unecontre-tendance à l'ostentation via l'usage dessignes vestimentaires de la pauvreté.

Ce type de bricolage est un phénomène récur-rent dans l'histoire du vêtement, et l'usage desmarques de pauvreté a de tout temps existé :des ordres mendiants du XIIIe siècle aux jansé-

nistes, de l'éthique vestimentaire de la bour-geoisie protestante à celle des beatniks.Historiquement, il s'agit d'un mouvement quis'inscrit en réaction à un modèle social domi-nant, la règle vestimentaire d’un saintDominique ou celle d’un Melanchton parexemple s'inscrivant a contrario des excès deleur époque. Plus près de nous, et pour se rap-procher des phénomènes de mode, lenéo-paupérisme de Coco Chanel à ses débutss'opposait en fin de compte au paroxysmeornemental de la Belle Epoque et aux délireschatoyants d'un Paul Poiret, pendant que lepaupérisme revendiqué des hippies se posaitcomme un refus de cet âge d'or de la modecomme fin en soi que représentaient lesannées 60 et l'explosion du prêt-à-porter.

Ce bricolage paupériste est ainsi une réponseimplicite à un courant ostentatoire dominant.Mouvement réactif, il consisterait en fin decompte à produire une anti-mode ou une non-mode en réaction à un système ostentatoire dela mode. Mais, dans la mesure où ce systèmepossède deux dimensions, celle de la mode etcelle du luxe, cette réaction prendra du coupdeux formes : le refus du luxe passera par lerefus des signes extérieurs de richesse ; celuide la mode par celui des clichés – de l'objet-culte à la panoplie vestimentaire générique dumoment. Mais deux attitudes réactives qui nese comparent pas, et la conclusion est ici évi-dente : on peut produire du non-luxe, on nepeut pas produire de la non-mode. Refuser lacherté (ou ses signes apparents) reste simpleet évident, ainsi que le montrent au passage denombreux mouvements nord-américains dedéconsommation, tel le downshifting. Enrevanche, refuser la mode implique toujoursde proposer une alternative, une anti-mode,c'est-à-dire, en fin de compte, une autre propo-sition de mode. C'est là tout le paradoxe dubricolage vestimentaire, à priori destiné à pro-duire de l’individuation et de l’anti-mode : il nepeut pas, à un certain degré d'expression delui-même, ne pas proposer une autre mode.

Quels sont les ressorts de ce bricolage ? Dansla mesure où il s’agit de sortir des sentiers bat-tus de la mode, sans forcément être soi-mêmecréateur ou producteur, il faut alors détourner

Mode et bricolage individuel : le paupérismeBruno Remaury

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ment récupérée par les marques elles-mêmes(on le voit, toute anti-mode propose bel etbien une autre mode), des jeans délavés deMarithé et François Girbaud aux pulls trouésde Comme des Garçons, du cuir vieilli deChevignon à la gabardine pré-lustrée de YohjiYamamoto. Même si, à chaque fois, les contex-tes sont différents, même si à chaque fois lesdémarches sont particulières et les propos demode plus ou moins complexes, le résultatjoue – entre autres – d’une dimension majeure,celle pour qui le vêtement a une histoire.

Le vêtement de fripes joue également de cettedimension, puisque ayant déjà été porté, maisassorti d’une dimension complémentaire quelui confère son unicité. Loin du vêtement desérie, le vêtement de fripes possède cettevaleur ajoutée de la pièce unique. On se rap-proche ici de la notion de vêtement decollection dont le phénomène dit du vintageest un des meilleurs exemples contemporains(vêtements anciens devenus « millésimés », etidentifiables comme tel, tels les jeans anciensdatables à d'infimes détails connus des seulscollectionneurs), et dont une des extensions/récupérations par les marques est à trouverdans la confection de vêtements « neufs » – ouplutôt nouveaux – dans des tissus ou des vête-ments de récupération. Dans ce domaine, letravail d'un Martin Margiela est exemplaire,cumulant trois valeurs au sein d'un même vêtement : le nouveau (puisque issu d'unecréation), l'unique (puisque issu d'un artisa-nat), le vécu (puisque issu de matériauxanciens).

Le pauvre vêtement neuf traduit lui aussi plusieurs attentes et plusieurs attitudes parti-culièrement intéressantes. Tout d'abord, enmême temps qu'un sous-investissement finan-cier, il est en revanche l’expression d'unsur-investissement intellectuel issu de l'inten-tion de mode et de l'effort mis à adapter levêtement ainsi détourné. Faire usage d'unvêtement issu d'un circuit de distributionpopulaire, c'est faire avant tout preuve d'érudi-tion par rapport au vêtement et aux panoplies.C'est, implicitement, refuser la griffe pour affir-mer sa griffe au travers d'un savoir-faire et d'unsavoir-choisir. Détourner du Tati pour en faire

les circuits existants afin d’en extraire des vêtements à même de satisfaire cet enjeu : différents ou, au moins, adaptables – que cesoit en termes d’assemblage ou de porté. Unetechnique qui est aussi une éthique puisqu’ils’agit à chaque fois, sinon de s’inscrire dans unpaupérisme « vrai », au moins d’en satisfaire lapremière règle : l’économie. La première desqualités du bricolage de l’apparence passe sou-vent, en même temps que par le refus descanons ostentatoires et évidents de la mode,par la contestation de ses enjeux écono-miques. Produire une non-mode, c’est d’abordet avant tout produire un désinvestissementpécuniaire (qui n’exclut nullement, aucontraire, un surinvestissement affectif). Decette double contrainte – sortir des sentiersbattus de la mode, ne pas investir matérielle-ment mais laisser au contraire le « talent » et lapersonnalité s’exprimer, sortent deux esthé-tiques qui varient au gré de l’histoire desmodes et que l’on retrouve à peu près à égalitéaujourd’hui : le vieux vêtement riche et le pau-vre vêtement neuf.

Vêtement d'occasion et vêtement bon marché,ces deux sources du bricolage vestimentairene se sont jamais tant télescopées, superpo-sées, mélangées au point que la mode elle-même y perd son peu de latin en regroupantces expressions vestimentaires diverses sousdes images et des vocables génériques, passa-blement fourre-tout, et qui désignent la réalitéplus qu'ils ne la décrivent : du grunge au vintage en passant par le zapping et la customi-sation, ces « mouvements » n'auront le plussouvent existé en tant que tel que dans la têtede ceux qui en parlaient, finissant par désignertout et n'importe quoi, là où l'analyse séparéede ces deux formes permet de mieux com-prendre ces courants et, partant, certainesévolutions de nos comportements et attitudesvestimentaires.

Le vieux vêtement riche traduit simultanémentplusieurs attentes : celle du déjà vécu (le vête-ment usé) et celle du jamais vu (le vêtementunique). Celle du déjà vécu déploie une esthé-tique de l’usure individuelle, forme déjàancienne d’obtention d’un vêtement unique(le jean que j’ai fait vieillir moi-même), rapide-

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de la mode, c'est opérer un processus de dis-tinction basé sur la compétence au détrimentde ses moyens financiers. Une attitude quipeut prendre également, chez certains, uneportée politique via une volonté revendiquéede refuser les attributs vestimentaires de laclasse bourgeoise.

Mais au-delà de ce paupérisme de mode, nedevrait-on pas également parler d'un paupé-risme de « démode » qui consiste, non pas à revendiquer les signes de la pauvreté vesti-mentaire, ni même à jouer avec, maissimplement à les adopter parce qu'ils sont à lafois les plus accessibles, les plus simples et lesmoins chers. Au contraire du sous-investirpour sur-signifier – que ce soit dans l'affectif(le vêtement d'occasion) ou dans l'intellectuel(le vêtement bon marché) – existe égalementun sous-investir pour non-signifier, négationdes valeurs traditionnellement attachées auvêtement qui est la conséquence probabled'un double excès du marché du vêtement :d'un côté l'hypervalorisation de la griffe ; del'autre l'extrême banalisation de modes de plusen plus ressenties comme « jetables ». Cettesurvalorisation de l'acte de mode comme finen soi est probablement à la base d'un courantde désaffection pour le vêtement, encore peuétudié, dont une des formes du bricolage pau-périste n'est qu'une des manifestations.

Allons même plus loin et demandons-nous sice phénomène n'est pas extensible à l'ensem-ble des techniques de l'apparence corporelle.Un des faits marquants de cette deuxième moi-tié du XXe siècle aura été le progressif abandond'un certain nombre de marques sociales tradi-tionnellement exprimées au travers des signesvestimentaires, traditions ayant laissé peu àpeu la place à un relatif “laisser-aller” vestimen-taire dont la montée du vêtement de loisir oula disparition de la notion de vêtement dudimanche ne sont que deux exemples entremille. On assiste de plus en plus, notammentchez les juniors, à un autre rapport à la tenuedu corps basée précisément sur l'absence d'uncertain nombre de contraintes : négligé, lais-ser-aller, relative saleté ont de plus en plusdroit de cité autour d’une sorte de “degré zérodu vêtement” qui reste, lui aussi, une forme de

personnalisation par le désinvestissement –une réduction en quelque sorte.

Bien sûr, cette attitude, dès lors qu'elle est qua-lifiée, devient par la même identifiable etutilisable en tant que vocabulaire par la mode.Cette attitude vestimentaire (non-attitude plutôt) – d'autant plus paradoxale qu'elle sevoulait anesthétique – devient de fait un desoutils esthétiques dont dispose la mode, quece soit dans l'assemblage ou l'attitude dans les-quels la manière (non-fini et laisser-aller,apparence de négligé) devient à nouveau uneesthétique et un parti pris (recherche et pose),et la boucle est bouclée : le rejet s'est, une foisde plus, transformé en modèle. Comme l’écri-vait déjà Érasme dans sa Civilité puérile, « unpeu de malajustement ne messied pas à la jeu-nesse ». Un « malajustement » qui est à la foisbricolage individuel, laisser-aller et, évidem-ment, attitude de mode, et dont on voit qu’ellene saurait dater d’hier.

Bruno Remaury,Professeur, IFM

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Au cours de son histoire, le capitalisme auraconnu trois âges de la production : jusqu’audébut du XXe siècle, il s’organisait sur labase de marchés locaux où des produitsmanufacturés étaient produits et distribuésdans un périmètre géographique restreint ;le second correspond à la massification dumarché avec une volonté d’unifier la pro-duction et évidemment la consommation ;enfin, le dernier âge se déploie dans lesannées 20, et il correspond à une segmenta-tion des marchés en sorte de répondre, touten la générant, à la demande des consom-mateurs. Notre question concerne lesconditions de possibilité de l’émergenced’un nouvel âge fondé non plus sur l’inté-gration à priori de la demande segmentéeen groupes, auquel cas la personnalisationn’est qu’un avatar de la segmentation exis-tante des marchés, mais sur des multitudeséparses d’aspirations. La personnalisationdésigne soit la transformation artisanaled’un produit en série par un individu soitl’intégration des aspirations individuellesdans la production. Il s’agit ici de mettre enévidence deux points, solidaires l’un de l’autre : le premier tient aux conditions his-toriques d’apparition de la personnalisationdans la mode et dans d’autres secteurs deconsommation ; le second se rapporte auxenjeux sociaux et aux limites du procédé.

La massification des marchés

Né en 1863 dans le Michigan, Henry Ford,d’abord employé comme mécanicien,devint ingénieur en 1891, époque à laquelle

il commença à expérimenter des moteurs àcombustion interne. Il créa en 1903 la FordMotor Company dont tout le succès tenait àla commercialisation massive de la Ford T à une époque où l’automobile, onéreuse,était réservée à une part infime de la popu-lation. Au lieu de fabriquer peu de véhiculesvendus à un prix élevé, Ford prit le parti deréduire ses marges, à la faveur d’une écono-mie d’échelle, en décuplant le volume desventes.

De l’aveu même de Ford dans ses Mémoires,la place du goût de ses clients semble dis-crète, voire inexistante. Son attention seconcentre sur les caractéristiques tech-niques de l’automobile : la grande qualitédes matériaux, la simplicité du fonctionne-ment, une fiabilité absolue, la maniabilité du véhicule, sa légèreté, les économies deconsommation, etc. Il n’y a rien de superfludans ce véhicule, aucune fioriture ou orne-mentation esthétique, rien qui puissecorrespondre à la singularité des préféren-ces. Au sens, l’automobile est un objetcommun. Chaque élément s’inscrit dans uneconception technique dominée par la commodité de l’usage. Ford se garde biende mettre en avant le confort ou les qualitésesthétiques de la Ford T. Les passions desconsommateurs sont en quelque sorterabattues sur l’intérêt fonctionnel du véhicule.

A plus forte raison, l’équation économiqueque Ford met en place l’oblige à disqualifierle modèle de production antérieur où leconstructeur d’automobiles consacrait l’es-sentiel de ses efforts à répondre aux besoinset même aux caprices du client. C’est direque Henry Ford renverse un modèle pour-tant favorable à la satisfaction des goûts. Laproduction de masse impose une standardi-sation qui excède le simple fait de produiredes objets en série. C’est le consommateurque les producteurs visent à produire : « Nous avons mis au point une voiture dontles performances et le prix pouvaient satis-faire les besoins les plus importants dechacun en moyenne. En fin de compte, nousavons standardisé le consommateur »1. La

La personnalisation : un nouvel âge de la production industrielle ?Olivier Assouly

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consommation de masse reposera soit surl’exclusion pure et simple du goût, soit sur la production d’un goût moyen capable d’épouser la grande majorité des goûts desconsommateurs.

Au fil de ses Mémoires, Ford esquisse l’idéeque la consommation de masse contribue àla réalisation des valeurs supérieures d’unesociété : « Son prix [de la Ford T] sera si basqu’il ne restera pas un seul homme gagnantsa vie qui ne puisse se l’offrir – et profiteravec sa famille de moments de plaisir danscette vaste nature que Dieu a créée pournous ». Remarquable, cette déclaration metautant l’accent sur le caractère utilitaire del’automobile, sans évidemment le récuser,que sur sa faculté à satisfaire les désirs deliberté communs aux individus. Au lieu derépondre à la disparité des goûts, l’automo-bile comble le goût standard de la nationavec son cortège de valeurs morales, fami-liales et sociales. Ici, tout en prétendantconsolider les soubassements de la démo-cratie, la consommation se traduit par uneunification croissante des goûts. Dans cetteoptique, nécessairement moyen, sans aspé-rité, le goût de masse annonce le succèsd’un projet de société homogène, par oppo-sition à la multitude anarchique des goûts etdes volontés. Ford contribue à définir lespostulats d’un consumérisme dans le faitd’étendre l’accès aux produits à toute lapopulation. A ses yeux, il ne fait alors aucundoute que les motivations économiques desproducteurs profitent à travers la consom-mation au bonheur des citoyens2.

La segmentation des marchés

Ford va faire les preuves des limites de lastandardisation absolue en raison même deson refus de suivre une évolution des mar-chés allant vers des réponses plus adaptéesaux goûts des consommateurs. Dès lesannées 20, après avoir produit avec succèspendant deux décennies le même véhicule,son monopole s’effrite. A compter de 1923,la compagnie concurrente General Motorsprocède au renouvellement annuel de l’of-fre de véhicules en mettant, à la différence

de Ford, l’accent sur les attentes esthétiquesde ses clients. Si en raison des difficultés degestion et de production, la plupart des diri-geants sont opposés à ce système, les plusfavorables ont conscience des nouvellesopportunités commerciales offertes. La nou-veauté esthétique devient un stimulant pouraccroître la vente de voitures neuves. Ellepermet non seulement de toucher de nouveaux consommateurs, mais surtout d’é-tendre la consommation à tous ceux qui enpossèdent déjà. En s’adressant aux proprié-taires de véhicules, il s’agit de franchirl’obstacle du risque évident de saturation dumarché, d’autant que la longévité de l’auto-mobile faisait partie des arguments de ventede Ford. La régénération des produits faitque les marchés se constituent dans untemps que la nouveauté transforme encycles, en épuisant le goût initial pour desobjets pour générer d’autres goûts, et ainside suite. Dans les années 20, les construc-teurs vont donc s’efforcer de convaincre lesautomobilistes que les voitures avec lesquel-les ils roulent sont obsolètes, alors mêmequ’elles fonctionnent parfaitement. Le tour-nant sera décisif.

Il s’agira moins désormais de faire appel auxbesoins des consommateurs qu’à leur goût.Pourquoi n’a-t-on pas alors privilégié desinnovations d’ordre technique pour séduireles clients ? C’est que les changements tech-nologiques doivent être autant que possiblelimités pour des questions de maîtrise descoûts. Il faut concevoir des changementsd’une toute autre nature, en l’occurrenceesthétique. Comme il est exclu de mettre enpéril les économies d’échelle que la produc-tion de masse avait permis de réaliser,Richard Grant, directeur des ventes deChevrolet, s’efforce de prendre en compteles goûts des consommateurs en leur propo-sant un choix à l’intérieur d’une gamme,elle-même définie par le producteur, de cou-leurs et d’autres options. Ce schéma n’a rienà voir avec le modèle de production sur-mesure qui existait avant la standardisationde la production. Dans le premier cas, leclient imaginait librement son automobileque lui construisait le producteur. Dans le

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accessible à celui-ci »4. En face d’une œuvred’art, le style nous intéresse d’autant moinsqu’elle est là pour exprimer le caractèreunique du producteur et sa subjectivité.L’œuvre d’art s’adresse à ce qu’il y a de pluspersonnel chez le spectateur. Étant unmonde qui se suffit à lui-même, l’œuvred’art n’a pas besoin de s’insérer à la vie desautres. Avec la production de mobiliers et devaisselles, d’automobiles et de vêtements,qui va s’adresser au grand nombre, le goûtpublic prend une forme plus générale. Il estalors inutile et vain de chercher l’expressionunique d’une âme dans le style. Seul doitressortir un sentiment, un climat plus large,historique et social, qui permet au style des’intégrer à l’existence d’un très grand nom-bre d’individus. Pour la simple raison que legoût moyen est commun, au sens où il estpartagé par tous, la production de masserelève prioritairement du style en tant qu’ilest ce qu’il y a de plus général. Tout en maintenant l’horizon ou l’illusion de l’individu comme cadre indispensable à l’ap-préciation esthétique, le style est ce quidépasse l’unicité de la personne5. En cesens, la consommation de masse met sur lemarché des productions soumises au préala-ble à l’évaluation de leurs chances de succès.En auréolant par exemple des produits utili-taires de qualités esthétiques, la sphèremarchande génère des styles, au service dela production de masse, aussi facilementintégrables à des individus que rapidementdétachables en raison même de leur généra-lité.

De son côté, le design est un moyen termeentre la production et la consommation.Sous la garde de l’industrie, le goût doitrépondre à trois conditions. D’abord, il fautpouvoir le détacher du producteur et de laproduction, à la différence du chef-d’œuvre,pour qu’il puisse ici exister pour le consom-mateur. Ensuite, le succès d’une mar-chandise auprès des consommateursdépend de sa force d’adoption collectiveque mesurent les études de marché char-gées de la prédiction, de la prescription etde la satisfaction des goûts. Enfin, afin que

second cas, le client doit se contenter d’unesérie limitée d’options esthétiques ou tech-niques.

A l’intérieur de l’entreprise, la compétencedu département de « style », créé pour l’oc-casion, est en charge des agencementsesthétiques de la production automobile.Dans son autobiographie, au début du XXe

siècle, l’un des dirigeants de General Motorss’interroge alors sur l’efficacité de la créationesthétique : « Jusqu’où peut-on aller quandon modifie le style d’un modèle ? C’est là unproblème tout particulièrement délicat. Leschangements proposés doivent être suffi-samment novateurs et séduisants pour créerune demande et même, pour ainsi dire, unsentiment d’insatisfaction par rapport aumodèle antérieur quand on le compare aunouveau »3. Tous les éléments nécessaires àla captation du goût des consommateurssont en place. L’option esthétique est parti-culièrement avantageuse : elle permet auproducteur de limiter les investissementstechnologiques, plus onéreux, et garantitsurtout un contrôle croissant du goûtmoyen des consommateurs, volontairementadaptable à l’offre successive des styles. Lesproducteurs savent que le goût pour l’offreindustrielle tient à la mobilisation des émo-tions et des affections. Ce dispositifmarchand implique l’intégration croissantedes « caprices de l’individu » dans l’équationdu commerce des automobiles. La demandeest prise en compte dans l’organisation duprocessus de production lui-même. Leconsommateur est à ce titre le centre de gra-vité du design dans la mesure où celui-ciprogramme ses productions matérielles enfonction d’une anticipation des opinions desconsommateurs.

Encore faudrait-il s’entendre sur ce que dési-gne ici le style, en se référant aux analyses deGeorg Simmel. La satisfaction industrielle dugoût suppose la production d’un style pro-pre aux produits standards, dans l’optiqued’une consommation de masse. Le style estchargé de faire entrer « les contenus de la vieet de l’activité de la personne dans uneforme partagée avec le grand nombre et

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les goûts se renouvellent au gré des modeset surtout pour prévenir une saturation desmarchés, les liens avec les biens de consom-mation doivent être suffisamment solidespour justifier un acte d’achat, mais assez frêles et temporaires, pour être ensuitedélaissés au profit d’autres produits. En cesens, les marchandises doivent rassemblésdes propriétés stylistiques capables de secristalliser temporairement dans la sensibi-lité. Le design a pour mission d’actualiser lasensibilité esthétique des consommateursau niveau de la conception et de la produc-tion des objets. Produits en série, les biensmanufacturés ont pour corollaire l’émer-gence d’un goût industriel et nécessai-rement moyen. C’est la raison pour laquellele design risque de conduire à la norma-lisation de goûts qui, prévisibles à grandeéchelle, entraînent un consommateur augoût moyen.

Les limites de la segmentation de la demande

Il faut logiquement considérer que la « demande » de personnalisation actuelletrahit un échec du modèle de segmentationdes marchés qui, à la différence de l’artisa-nat, continue de déployer un modèle deproduction typiquement industriel. En effet,à la production industrielle correspond unemanière industrielle, non personnelle, deconsommer. De même que ressort la dis-tinction entre le produit industriel etl’œuvre, se dessine une différence compara-ble entre une expérience esthétique encorecommandée par une segmentation indus-trielle de la demande et des expériencesplus ouvertes, c’est-à-dire véritablementcapables de traduire de l’individualité. Sil’œuvre suppose originalité et affectivité, leproduit industriel, même adapté à une caté-gorie limitée de consommateurs, réclamedes producteurs et des concepteurs l’appli-cation de gestes formalisés sans affectivité.La différence repose sur une oppositionentre les processus qui se développent dansun espace de liberté, d’une façon erratiqueoù le risque de perte d’orientation est com-battu par une intention, un dessein, un but,

un projet – disons une dynamique affective– (que nous appellerons les processus origi-naux) et les processus qui se développentde bout en bout dans un univers détermi-niste suivant un enchaînement causal etdans lesquels toute intrusion de l’affectivitéest perturbante6. La préséance du produitsur l’œuvre repose sur la substitution de la science à l’empirisme, de l’organisationrationnelle à l’action personnelle, du déter-minisme sur la créativité, de l’algorithme surl’heuristique, de la banalité sur l’originalité,des activités machinales sur des activitésréflexives, des procédés sur les savoir-faire,etc.

La rationalisation de la demande desconsommateurs a non seulement conquisles domaines de la conception et de la pro-duction, mais logiquement celui de laconsommation. La réception des œuvres estsoumise aux calculs des attentes et desdésirs. Prédéterminée, l’axiomatisation desgoûts ressort dans l’effacement des margesdu jugement et de toute anomalie. Or ilexiste dans toute expérience esthétique unezone d’ombre, imprévisible, autrement ditune part d’accident qui échappe même à laconscience de l’individu. Si dans la produc-tion artisanale pour un même effet attendules formes fonctionnelles peuvent considé-rablement varier de l’une à l’autre, lorsqu’oncommence à produire industriellement cesvariations s’estompent. L’on pose l’existenced’une seule solution, juste et rationnelle, àun problème7. De son côté, la productionindustrialisée de la consommation a toutintérêt à ce que les variations excessivesentre les goûts s’estompent ; la simplifica-tion du goût étant la condition sine qua nonpour satisfaire des masses d’individus. Lesystème de production est plus apte àrépondre massivement à des désirs nette-ment définis qu’à des attentes diffuses. C’estun fait que la personnalisation est porteused’une critique à l’adresse d’un système deproduction incapable d’intégrer unedemande dans ce qu’elle a précisément deplus singulier, d’irréductible à des groupesou des segments de consommateurs.

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d’échelle. La solution de produits adaptésaux goûts paraît incomplète, car elle est fon-dée sur une consommation supplémentaireoù la singularité esthétique est encore rame-née à la pondération d’un marché alternatif.Le marché ne répond-il pas à la demanded’individualité par la production industrielled’individualité ? Le succès de la personnali-sation repose sur la condition sine qua nonsuivante : il faut s’assurer que les processusde personnalisation ne sont pas juste lisséspar le marché et orchestrés par les courbesdes comportements. Autrement dit, un nou-vel âge de la production, dans le sens de la personnalisation, n’a de pertinence que s’ilpeut rompre avec la logique de la segmenta-tion, aussi sophistiquée soit-elle. Cet âge dela personnalisation s’imposera par la substi-tution réelle de l’activité esthétique auconditionnement commercial, par l’affirma-tion de l’individuation sur des segmentsd’individus, par la préséance de la figure del’amateur sur celle du consommateur.

Olivier Assouly,Professeur, IFM

1. James Couzen, cité par Richard S. Tedlow, L’Audace et lemarché, Paris, Odile Jacob, 1998, p. 191.2. Pour corroborer ce souci d’implication de la consomma-tion dans la sphère sociale, on peut rappeler l’importancede l’engagement politique de Ford, notamment sa tentativeau début de la Grande guerre de jouer un rôle de médiateurpacifique. 3. Sloan, cité par Richard S. Tedlow, op. cit, p. 203. 4. Georg Simmel, Secret et sociétés secrètes, Paris, Circé,2000, p. 56.5. Les analyses de Simmel sur le parfum, à l’image de lamode vestimentaire, souligne la combinaison entre le styleet le personnalité : « Comme les vêtements le parfum recou-vre la personnalité tout en la soulignant. C’est en cela qu’ilconstitue une manifestation typique de la stylistique, unedissolution de la personnalité dans des caractères générauxqui cependant en expriment les charmes d’une façonbeaucoup plus pénétrante que ne pourrait faire sa réalitéimmédiate », Simmel, op. cit, p. 238.6. Voir Yves Deforge, L’œuvre et le produit, Paris, ChampVallon, p. 33.7. Dans L’individualisation psychique, Simondon soutientqu’« une technique absolument élucidée et divulguée n’estplus une technique, mais un type de travail ».

Au cours de son évolution, le capitalisme atoujours pris en charge la critique de sesadversaires qu’il traite cette fois comme unedemande de biens plus différenciés. Ainsi,toutes les luttes sociales, autrefois occupéespar le travail sous la forme du salariat, sedécentrent au profit des revendicationsconsuméristes. En répondant, souvent enles anticipant, aux critiques qui lui repro-chent l’uniformité et la standardisation desbiens ou des services, le capitalisme produitsa version de la libération sociale et esthé-tique, étoffée de ses solutions issues du seinmême du capitalisme. Il s’érige en force d’in-corporation des requêtes de libération quiétaient jusqu’alors extérieures aux rapportsde production et consommation. Le goût du consommateur devient le pivot de ses mutations socio-économiques futures. Toutl’argumentaire repose sur la substitution ras-surante des styles de vie à la consommationde masse uniforme. Ainsi les objets commer-cialisés obéiraient à une classification enconstant renouvellement, provenant de laculture et notamment de la culture artis-tique. Et c’est cette stylisation qui rendraitdésirable les biens et les services, tout enpermettant aux consommateurs de s’orien-ter librement dans la profusion de l’offre.

La personnalisation consiste-elle à faire quela liberté de choix prenne corps dans unepalette industrielle enrichie de nouvellesoptions ? Le cas échéant, il ne reste plus,comme aujourd’hui, qu’à articuler lesdemandes plus individuelles, voire incom-mensurables, et les conflits susceptiblesd’être fluidifiés par le marché ou apaisés parun groupe de médiateurs spécialisés com-posés de spécialistes en communication,publicité et marketing. Cette chimie socialelaisserait dans les marges des demandesjugées turbulentes ou immatures. La seg-mentation des marchés croissante apporte-t-elle une réponse réellement satisfaisante àl’individualité des goûts ? Si la segmentationconsent à répondre à des insatisfactions, cel-les-ci seraient aussitôt absorbées dans desensembles regroupant des demandes ditesplus individuelles dans la stricte mesure desrègles concurrentielles et des économies

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Ont collaboré à ce numéro : André Beirnaert, Evelyne Chaballier, LaurentRaoul, Bruno Remaury

Réalisation :Dominique Lotti

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