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Monologues comiqueset dramatiques... / E.
Grenet-Dancourt
Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France
Grenet-Dancourt, Ernest (1859-1913). Monologues comiques et dramatiques... / E. Grenet-Dancourt. 1883.
1/ Les contenus accessibles sur le site Gallica sont pour la plupart des reproductions numériques d'oeuvres tombées dans le domaine public provenant des collections de laBnF.Leur réutilisation s'inscrit dans le cadre de la loi n°78-753 du 17 juillet 1978 : *La réutilisation non commerciale de ces contenus est libre et gratuite dans le respect de la législation en vigueur et notamment du maintien de la mention de source. *La réutilisation commerciale de ces contenus est payante et fait l'objet d'une licence. Est entendue par réutilisation commerciale la revente de contenus sous forme de produitsélaborés ou de fourniture de service. Cliquer ici pour accéder aux tarifs et à la licence 2/ Les contenus de Gallica sont la propriété de la BnF au sens de l'article L.2112-1 du code général de la propriété des personnes publiques. 3/ Quelques contenus sont soumis à un régime de réutilisation particulier. Il s'agit : *des reproductions de documents protégés par un droit d'auteur appartenant à un tiers. Ces documents ne peuvent être réutilisés, sauf dans le cadre de la copie privée, sansl'autorisation préalable du titulaire des droits. *des reproductions de documents conservés dans les bibliothèques ou autres institutions partenaires. Ceux-ci sont signalés par la mention Source gallica.BnF.fr / Bibliothèquemunicipale de ... (ou autre partenaire). L'utilisateur est invité à s'informer auprès de ces bibliothèques de leurs conditions de réutilisation. 4/ Gallica constitue une base de données, dont la BnF est le producteur, protégée au sens des articles L341-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle. 5/ Les présentes conditions d'utilisation des contenus de Gallica sont régies par la loi française. En cas de réutilisation prévue dans un autre pays, il appartient à chaque utilisateurde vérifier la conformité de son projet avec le droit de ce pays. 6/ L'utilisateur s'engage à respecter les présentes conditions d'utilisation ainsi que la législation en vigueur, notamment en matière de propriété intellectuelle. En cas de nonrespect de ces dispositions, il est notamment passible d'une amende prévue par la loi du 17 juillet 1978. 7/ Pour obtenir un document de Gallica en haute définition, contacter [email protected].
E. GM~r-D~coc/~r
MONOLOGUES.1 MMKtCES& DRAMMI~ES
`dits par
MM.COQMUN a!né, MOUMT-SULLY, WORMS, COQUBLM cadet
et GARN.ER, de ta Comédie.França.se; PoREL, AM.URY, BR&-
MONT. Tous6. PEUTAT et R.TEL. de l'OdéonD.EU~
et
Léon R.CQ.UM. du Vaudeville GAUPAUX. du Palais-Royal
TERVtL, des Variétés; G. RuEF et DuARD, du Conservatoire;
M"" ScHMtDT, de l'Ambigu, etc., etc.
PARiS
PAUL OLLEN DORFF, ÉDITEUR
18 ~<S, RUE DE RtCHEUBU, 28 bis
t88)
Tous droits réserves
Ch~tomnoux. Typographie et Stët~otypte A. AtAJKST~.
MM. COQUELIN aîné et CoQUEUN cadet
Sociétaires
de la Comédie-Française.
A
MONOLOGUESCOMIQUES ET DRAMATIQUES
LE POÈTE
POÉSIE
Dite par M. BRÉMONT, du ~~dfr~ national de l'Odéon.
A mon ami Emile GouDEAU.
Enfants, tournez un peu la tête
Vers cet homme silencieux
Qui, là-bas, contemple les deux
C'est un poète 1
Si jamais son regard s'arrête
Sur vos fronts candides et doux,
Petits enfants, découvrez-vous
C'est un poète 1
2 MONOLOGUES COMIQUES ET DRAMATIQUES.
Sa mise, hélas n'est point coquette,
Son vêtement au soleil luit,
Enfants, ne riez pas de lui
C'est un poète
C'est sous les toits qu'est sa chambrette,
L'hiver, la bise y souffle dur,
Mais il est plus près de l'azur
C'est un poète 1
Souvent, il n'a pas une miette
A pouvoir mettre sous ses dents;
II mâche alors des vers ardents
C'est un pojete
Il chante la nature en fête,
L'ombre des nuits, les feux du jour,Les oiseaux, les fleurs et l'amour
C'est un poète 1
Lorsqu'il va, cheveux en tempête,
Et nez au vent, sans savoir où,
Tout le monde dit C'est un t'ou
C'est un poète
3LE POÈTE.
Sans que son cœur s'en inquiète,'
H sait qu'il ira, c'est fatal,
Mourir un jour à l'hôpital
C'est un poète 1
Mais lorsque la mort qu'il souhaite
Sur son aile l'emportera,
Le ciel devant lui s'ouvrira
C'est un poète 1
CREDO D'AMOUR
POÈME
Dite par M. DiEUDONNÉ, du fh~~ du Vaudeville.
w
A M. Théodore de BANVILLE.
Lorsque j'avais vingt ans, je croyais que l'amour
N'était qu'une chimère, un caprice d'un jour
Ce n'est, pensais-je alors, qu'un sentiment frivole,
Un charmant oiselet qui, rapide, s'envole
Pour toujours, lorsqu'il a, souriant et moqueur,
D'un coup d'aile en passant, eMeuré notre cœur
Un aimable besoin qu'impose la nature,
Et qui varie au gré de la température;
Aussi, quand je voyais passer sur le chemin,
Les yeux au fond des yeux et la main dans la main,
Des groupes enlacés, leur figure ravie
De r're me donnait tout aussitôt l'envie.
6 MONOLOGUES COMIQUES ET DRAMATIQUES.
Je suivais dans les bois leurs pas silencieux,
Et j'écoutais blotti dans l'herbe jusqu'aux yeux,
Les. serments qu'échangeaient sous les voûtes ombreuses
Avec leurs amoureux les pâles amoureuses
Tu m'aimes ?
Je t'adore.
Est-ce bien vrai ?
Pourquoi
Douter ?
Oui, c'est très mal et je veux croire en toi.
Oh vois comme là-haut scintillent les étoiles,
La nuit pour nous sourire a soulevé ses voiles.
II fait beau.
N'est-ce pas qu'on voudrait mourir, dis ?
J'y pensais.
S'en aller ensemble au Paradis,
Quitter sans bruit la terre et sur la même nue
Monter tout doucement vers la sphère inconnue,
Voir l'univers entier dans la brume du soir
S'euacer lentement, et puis ne plus le voir,
Envoyer des baisers a la brise qui passe,
Emportant les secrets des mortels dans l'espace,
Et se dire Je t'aime, et le redire encor
Au milieu de l'azur et des étoiles d'or 1
CREDO D'AMOUR.
Veux-tu mourir ?
Moi? Non, cher amour, je veux vivre,
Pour entendre ta voix dont le charme m'enivre,
Pour noyer dans tes yeux mes yeux, pour écouter
Près de mon cœur ton cœur frémir et palpiter,
Pour prendredans ma main ta petite main blanche,
Et courir avec toi dans les bois, le dimanche
Vivre, pour dénouer et baiser tes cheveux,
Pour étreindre en mes bras ton corps souple et nerveux,
Et t'entendre à la fin palpitanteet ravie,
Murmurer doucement Comme c'est bon, la vie
Et moi, j'étais toujours couché dans les genêts,
Me disant Ces amants sont-ils assez benêts ?
Sont-ils assez naïfs, l'homme comme la femme ?
Toujours même chanson et toujours même gamme 1
Pas un n'a le dessein de tenir son serment,
Et pas un cependantne croit que l'autre ment.
Leur ardeur ? feu de paille Et leurs discours? -fumée
Qu'emporte dans l'éther la brise parfumée
Ils jurent de s'aimer toujoursVienne demain,
Vous ne les verrez plus sur le même chemin.
Éternité? chimère Aimer, être aimé ? rêve
Rcve qu'Amoureommenceet que Mépris achevé.
MONOLOeUM COMIQUES ET DRANATÏQUE8.8
C'est ainsi que jadis lorsque j'avais vingt ans,
Je comprenais l'amour. On change avec le temps.
C'est dans le même bois tranquille et solitaire,
Que j'ai compris un jour l'adorable mystère.
Du sol Avril avait tiré son habit vert,
Et pimpant, regardait s'enfuir au loin l'hiver
Les fleurs discrètement sortaient leur nez de l'herbe
La brise caressait la cime encore imberbe
Des vieux arbres géants et courbait les roseaux,
D'où par bandes fuyaient épeurés les oiseaux
Le ruisseau, dont la voix chantait douce et plaintive,
Roulait sous le ciel bleu son onde fugitive
Le soleil irisait l'aile des papillons,
Et, prodigue de l'or de ses premiers rayons,
Poudrant et pailletant les mousses étalées,
Les ajoncs, les taillis, le sable des allées,
A tout jetait un peu de son ruissellement
Aux feuilles, une perle aux fleurs, un diamant 1
Mais des voix chuchotant dans la sente fleurie
Viennent subitement troubler ma rêverie.
Je regarde, et je vois s'avancer à pas lents,
Bras dessus, bras dessous, deux vieillards chancelants,
9CREDO D'AMOUR.
La femme et le mari sous la verte feuillée,
Ils devisent tout bas, et la vieille, égayée,
Rit des propos badins de son coquin d'époux,
Et finit par lui dire « Ah monsieur, taisez-vous.
Mais monsieur n'en faitrien de ses vieilles mains blanches,
Il écarte avec soin devant elle les branches,
Et lui montrant un banc à demi vermoulu
Si ron s'asseyait là quelques instants, veux-tu ?
Non, tu vas t'enrhumer.
Et toi tu seras lasse
Viens donc t'asseoir avant que ce bon soleil passe.
Et les voilà tous deux côte à côte, et jasant
Du bon vieux temps passé, meilleur que le présent
Du temps où l'on venait par les nuits étoilées,
S'égarer tous les deux dans ces mêmes allées
Du temps trop vite enfui des premières amours,
Où l'on n'avait qu'un mot sur les lèvres toujours
Tout revit à leurs yeux les promesses lointaines,
Les serments échangés, les bonheurs et les peines,
Les projets d'avenir que l'on formait tout bas,
Les baisers qu'on volait après de longs débats,
Et. qu'on rendait et puis leurs noces, en décembre
Et même la couleur du papier de la chambre
Ou. naquit leur enfant un homme maintenant,
10 MONOLOGUES COMIQUES ET DRAMATIQUES.
Mais qui n'a pas écrit depuis le jour de l'an
Puis ce sont les amis couchés au cimetière,
Dont l'ancien souvenir vient mouiller leur paupière
C'est qu'il faudra bientôt les rejoindre là-bas,
On a travaillé dur, on est vieux, on est las.
Et chacun devinant tout ce que l'autre pense
Ils se serrent la main et pleurent en silence
Puis, s'essuyant les yeux, mi-pleurant, mi-riant,
Ils reprennent bientôt leur route en babillant.
Mon regard les suivit longtemps sous la ramure,
Et longtemps de leurs voix j'entendis le murmure
Puis, plus rien, j'étais seul. Et c'est depuis ce jour,
Depuis ce jour béni, que je crois à l'amour
LES VAGABONDS
POÉSŒ
Dite par M. WoRMS, sociélaire de la Comédie-Française.
A. M. BoKJHAt.
Un enfant est conduit devant le tribunal,
On l'a pincé, rôdant sur les bords du canal,
A minuit, et l'agent, que ce trait hardi pose,
Le narre au président,et gravement dépose
Qu'a dormir sous un pont l'enfant se préparait
Eh bien, vous entendez, dit te juge, il parait
Que l'on est sans travail et que l'on vagabonde ?
Et le gamin muet penche sa tête blonde,
Se demandant pourquoices gens ne veulent pas
Qu'il soit libre d'aller où !c portent ses pas.?
Les grands bois d'alentour ne refusent pas l'ombre
A l'oiselet blotti dans leur feuillage sombre
<2 MONOLOGUES COMIQUES ET DRAMATIQUES.
Est-il moins qu'un oiseau ? n'a-t-il pas comme lui
Un peu droit de chanter lorsque le soleil luit,
Et comme lui le droit de clore la paupière,
Sinon sur une branche, au moins sur une pierre ?
Voyons, reprend le juge, il faut parler un peu.
L'enfant lève, inquiet, son œil limpide et bleu.
Ton nom ?
Dam, chez nous, c'est. l'Avorton qu'on me
Que fait ton père? [nomme.
Mort.
Ta mère?
-Avec un homme.
–Très bien, où loge-t-elle?
Oh bien loin, tout là-bas.
A Paris?. Réponds donc 1
Monsieur, je ne sais pas.
-Tu le sais, allons, parle, ou crains que la justice
Dans toute sa rigueur sur toi s'appesantisse 1
Parle, à rester muet tu n'as pas d'intérêt.
–C'est que.
-Quoi?
C'est que l'homme à maman me bat-
Il te bat? [trait.
LES VAGABONDS. ~3
–Oui. ·
-Pourquoi?
Dam, parce que je mange.
Puis, les enfants, il dit que cela le dérange.
Maman aussi disait que j'ai trop d'appétit,
Et m'appelait. un monstre, alors, moi, j'ai parti.
Enfin, de quoi vis-tu?
Du pain que l'on medonne.
Tu n'es pas honteux donc ?
Ça fait mal à personne.
On travaille à ton âge 1
On ne m'a pas appris.
Enfin que faisais-tu, lorsque l'agent t'a pris ?
Rien, j'allais me coucher.
A terre ?
Oui, par terre.
C'est très mal, dit le juge, avec un ton sévère.
L'avocat général se lève, solennel,
Et dit qu'il faut punir ce jeune criminel,
Que depuis trop longtemps déjà, Paris regorge
De bandits qui la nuit vous prennent à la gorge.
Celui-là, dira-t-on, n'est encor qu'un enfant,
Qui ne sait ce qu'il fait, que son Age défend l
i4 MONOLOGUES COMIQUES ET DRAMATIQUES.
Non, non, il faut qu'ici la justice sévisse,
Et tranche sans pitié dans son germe le vice.
Tous les bandits d'ailleurs sont bandits en naissant,
Et l'âge ne fait pas que l'on soit innocent.
Quiconque a violé la loi, qu'on le condamne 1
Ah comme avec plaisir, j'aurais giHé cet âne,
Et l'aurais appelé brute en plein tribunal,
Sans le respect que j'ai. pour le municipal.
Qu'on le condamne Eh non, triple sot, qu'on l'instruise
Un enfant en prison, c'est une âme qu'on brise,
Une fleur qu'on arrache, un pauvre oiseau blessé
Qu'on met en cage avant que de l'avoir pansé.
C'est un cœur commençant à palpiter à peine,
Dans lequel, goutte à goutte, on fait couler la haine.
Pour vivre, pour aimer, pour croire, pour bénir,
Et, fuyant le passé, marcher vers l'avenir,
Il faut qu'il ait le ciel au-dessus de sa tête,
Et ce n'est pas pour lui que la prison est faite.
C'est une immonde école, où le pauvre être, hélas I
Apprend bientôt du mal tout ce qu'il n'en sait pas.
Oui, c'est là qu'il se perd, et c'est un crime en somme
D'y jeter un enfant, car c'est tuer un homme
LES VAGABONDS. 15
Ne croyez pas an moins que je veuille aux pavés
Rendre les vagabonds par les faubourgs bavés.
Non, je ne prétends pas qu'il faille qu'on délivre
Un enfant que de vols on peut supposer vivre.
Je dis que sur la pente il faut le retenir,
Chercher à le sauver avant de le punir,
Remplacer la prison par l'asile et l'école,
Et les coups du geôlier par la saine parole
D'un maitre qui, cherchant à le rendre meilleur,
Saura bien découvrir le chemin de son cœur
Mais j'entends murmurer que je heurte l'usage,
Et, qu'en tous ses arrêts, la justice est très sage,
Que j'ai tort d'oublier que la loi c'est la loi,
Et devrais bien garder ma harangue pour moi.
Je sais qu'à discourir en vain je me hasarde,
Et qu'on continuera, sans même y prendre garde,
Pour bien prouver à tous que le système est bon,
A faire un assassin de chaque vagabond.
Cependant je ne puis me résoudre à me taire,
Et qu'ici mon avis soit ou non salutaire,
Je parlerai quand même Oui, je veux prendre en mains
La cause des enfants qui vont par les chemins,
i6 MONOLOGUES COMIQUES ET DRAMATIQUES.
Sans pain et sans souliers, errant à l'aventure,
Et n'ayant que le ciel du bon Dieu pour toiture.
C'est parce qu'ils y sont souvent trop malheureux,
Que ces pauvres martyrs s'en vont tous de chez eux
Ah vous n'avez jamais, de près, vu la misère,
Et vous ne savez pas, quand votre enfant se serre
Doucement contre vous, qu'il est de noirs taudis
-Où ces anges du ciel en naissant sont maudits
Vous ne vous doutez pas qu'il existe des mères
Pour qui ces chers petits sont des charges amères
Qu'il en est qui n'ont pas l'instinct de l'animal,
Et dressent leurs enfants, elles-mêmes, au mal
Que tel père au logis revient ivre sans cesse
Que telle mère enfin s'avilit et s'abaisse
Jusques à recevoir devant eux ses amants,
Et les rendre témoins de ~es embrassements 1
Eh bien répondez-moi. Peut-on, je le demande,
Exiger que du vice un enfant se défende,
Et ne succombe pas dans de pareils milieux ?
Hélas 1 qui donc sait si, lorsqu'il remonte aux cieux,
Chassé par les lueurs de l'aube, leur bon ange
N'emporte pas lui-même à l'aile un peu de fange ?
De grâce, ayons pitié de ces pauvres petits,
LES VAGABONDS. 17
Sur qui tous les malheurs se sont appesantis.
Au nom du Dieu puissant qui de là-haut nous juge,
Offrons à ces enfants un asile, un refuge
Que pour eux à jamais se ferme la prison,
Éclairons leur esprit et forgeons leur raison.
Bien grandesouvrons-leurles portes de l'école,
Mettons-leur dans la main le livre qui console,
Montrons-leur le respect des autres et de soi,
Dans leur cœur réveillé faisons germer la foi,
A ces foyers éteints communiquons la flamme
Qui soudain fera naître et grandir en leur âme
Ces sentiments, qu'en lui tout homme doit avoir
L'amour de la patrie et l'amour du devoir 1
Oh oui, tendons les mains à l'enfant sans demeure,
Sans ouvrage, sans pain, sans famille, et qui pleure,
Ouvrons-lui bras et cœur, et cherchons le moyen
Si bas qu'il soit tombé d'en faire un citoyen 1
UNE ENVIE
MONOLOGUE
Dit par M. PoREL. ~Mf~<rj Mf'o~H~ rO~o~.
A. monsieur EuDEL.
Plus je vieillis, mes chers amis,
Et plus je sens grandirl'envie
D'aller loin, bien loin de Paris,
M'enterrer et finir ma vie.
Dans quelque coin, je choisirai
Une maisonnette, un cottage,
Où, sans bruit, je me blottirai
Ainsi qu'un oiseau dans sa cage.
Petite sera ma maison,
Deux pièces? Oui, cuisine et chambre
Des ueùrs dans la belle saison,
De bonnes bûches en décembre.
20 MONOLOGUES COMIQUES ET DRAMATIQUES.
Quelque Jeanneton de là-bas,
Viendra me repriser mes nippes,
Tandis que l'œil sur ses appas.
Eh bien non, j'aurai des principes.
Je prierai monsieur le curé
De m'adresser quelque dévote,
Qui marmottera des ave,
En raccommodant ma culotte.
L'hiver, assis au coin du feu,
L'été, sous ma verte tonnelle,
J'attendrai que, dans le ciel bleu,
La première étoile étincelle.
Alors, gagné par le sommeil,
Dans mon lit aux rideaux de serge,
J'allongerai mon corps pareil
Au corps nonchalant d'une vierge.
Le matin, je boirai du lait,
Du lait que je trairai moi-même,
En fredonnant quelque couplet,
Ou récitant quelque poème.
UNE ENVIE.
J'aurai toute une basse-cour,
Des poulets,des canards, des oies,
Des cochons dont avec amour
Mes deux mains lustreront les soies.
Tout le jour je jardinerai,
Semant navets, poireaux, ciboules,
Et tous les dimanches j'irai
Sur la place jouer aux boules.
Tous les dimanches, c'est plus fort,
J'irai gravementà la messe,
Peut-être ferai-je l'effort
D'aller quelquefoisà confesse.
Je suivrai les processions
Avec une chandelle énorme.
Je suis plein d'imperfections,
Il est temps que je les réforme.
Parfois, j'irai faire un loto,
Car, il faut aussi se distraire,
Un whist ou bien un domino,
Chez le docteur ou chez le maire.
22 MONOLOGUES COMIQUES ET DRAMATIQUES.
Je vivrai là-bas, inconnu,
Modeste, chaste et bien tranquille,
Loin de ce monde saugrenu
Qui fourmille dans la grand'ville.
Oh que je m'amuserai bien 1
Je lirai Mathieu de la Drôme
Ni livres, ni journaux, rien, rien
De Paris m'apportant l'arôme.
Quel plaisir trouve-t-on, Paris,
A chevaucher sur ton bitume,
Entre des arbres rabougris
Que la chaleur du gaz consume ?
Ne vaut-il pas mieux sous les cieux
Voir briller le soc des charrues,
Qu'entendre grincer les essieux
De tes vieux fiacres dans tes rues ?
Ne serai-je pas plus heureux
Avec les gens de la campagne,
Qu'avec tous tes boursiers véreux
Qu'attend la prison ou le bagne ?
UNE ENVIE. 25
Allons il faut attendre encor,
Il faut epcor traîner la chaîne,
Il faut, chassant les rêves d'or,
Attendre la saison prochaine.
Plus je vieillis, mes chers amis,
Et plus je sens grandir l'envie
D'aller loin, bien loin de Paris,
M'enterrer et finir ma vie l
A L'AMPHITHEATRE
A Maurice RoLUNAT.
Des boyaux déroulés serpentent sur la dalle.
Les cadavres sont mûrs et même déjà verts.
Un silence pesant règne dedans la salle,
Si pesant qu'on entend presque grouiller les vers.
Un carabin maigre entre, et plonge sa main sale
Dans les intestins mous et les ventres ouverts
Puis dans un coin ramasse une épine dorsale,
Qu'il dissèque avec soin en récitant des vers.
11 est là, tout entier à sa noire besogne,
Tournant et retournant son morceau de charogne,
Et moi, je le regarde, écœuré, frémissant
Destin sombre et fatal voilà donc où tu mènes ?
C'est donc là votre fin, jouissances humaines ?
Quelques lambeaux de chair et des caillots de sang
D~~rM. Albert RuEF, membre de la Société de lecture
et de récitation.
PETITE FERME
POÉSIE
A mon ami LELOia, de la Comédie-Française.
Assise au seuil de la ferme,
La grosse servante coud
Du corsage ouvert au cou,
S'échappe une gorge ferme.
A ses pieds, couchés en rond,
Deux matous à robe rousse,
Grisés par la chaleur douce
Du soleil, font leur ronron.
Pataud, le vieux chien de garde,
A l'air de faire la cour
Aux coqs de la basse-cour,
Et vaguement les regarde.
30 MONOLOGUES COMIQUES ET DRAMATIQUES
Sur le toit de la maison,
Un jeune pigeon roucoule,
Et la fontaine qui coule
Accompagne sa chanson.
Une belle vache suisse
Dans l'herbe haute s'ébat
Sa queue en cadence bat
Tantôt son flanc ou sa cuisse.
Plus loin, un cochon poursuit
Sa gente dame, mais elle
Récompense mal son zèle,
Et sans répondre s'enfuit.
Une poulette coquette
Lisse son manteau soyeux,
Tout en faisant les doux yeux
A certain coq en goguette.
L'âne, attaché par le cou,
Aperçoit un brin de paille,
Et pour l'atteindre il tiraille
Tant, qu'il casse son licou.
31PETITEFERME.
Au fond du verger deux hommes.
Levant le nez et le bec,
Font dégringoler, avec
Un bâton très long, les pommes.
Un immense peuplier
Devant la maison balance
Son corps qui tout droit s'élance,
Et que rien ne peut plier.
Par la fenêtre entrouverte,
On aperçoit le dressoir,
Et pour le repas du soir
La table déjà couverte.
Et dans l'ombre le profil
D'une vieille en coiffe blanche,
Qui hache sur une planche
Des oignons et du persil.
Au feu, le ragoût mijote,
Et pour que ça soit parfait,
La vieille grand'mère fait
Une sauce ravigote.
32 MONOLOGUES COMIQUES ET DRAMATIQUES.
Trois bébés roses, joufflus,
Regardent danser ta sauce,
Et le plus petit se hausse
Pour voir les glougous du jus.
Puis l'on saute et l'on se roule
Avec des cris de bonheur
Ça sent si bon, que l'odeur
De la cuisine les saoule.
La mère, dans son fauteuil,
Caresse la blonde tête
De son dernier qu'elle allaite,
Et suit tout du coin de l'œil.
Mais le ciel devient tout rouge,
Et le soleil radieux
Éteint lentement ses feux
Dans la brume où rien ne bouge.
Ding, din, don Din, don, répond
L'écho. La servante laisse
Là son aiguille, et se baisse
Pour retrousser son jupon.
PETITE FERME. 33
Elle fait une cravache
Avec un brin de bouleau,
Et conduit au bord de l'eau
Les cochons, l'âne et la vache.
La ferme est pleine de cris
C'est un bruit épouvantable
Autour de la longue table
Où, d'assaut, les plats sont pris.
Au milieu, le maitre jase
Et raconte à tous comment
Se perd un gouvernement,
Mais sans achever sa phrase.
Tous dorment, car ils sont las.
Puis bientôt chacun se lève
Et court achever son rêve
Sur le dos d'un matelas.
Et le reflet des chandelles,
Le bruit des pas et des voix,
Troublent là-haut, sous les toits,
Le sommeil des hirondelles.
34 MONOLOGUES COMIQUES ET DRAMATIQUES
Tout s'éteint et tout s'endort
Et la nuit, une par une,
Sur sa longue robe brune
Fixe des étoiles d'or.
ATTILA
POÉSIE
Dite par M. MouNET-SuLLY, MCt~t~ Com~M-
Fran~tM.
A M. Heurt de UoRK~M.
Depuis que tu n'es plus, ù farouche Attila,
Noir guerrier devant qui l'univers recula,
Les fleurs de notre sol se sont souvent fanées,
Bien des ans sont venus s'ajouter aux années,
Notre terre a reçu dans ses flancs bien des corps,
Nourri bien des vivants et bercé bien des morts
Bien souvent le soleil a brillé sur nos luttes,
Éclairant tour à tour nos gloires. et nos chutes
Car les prés que foula ton cheval hennissant
Ont bu depuis ta mort bien des pleurset du sang.
Le temps a dans son vol dénoué bien des chaînes,
Brisé bien des amours, fait taire bien des haines
36 MONOLOGUES COMIQUES ET DRAMATIQUES.
Mais il n'a pu, ce temps qui fuit sans revenir,
Effacer de nos cœurs ton hideux souvenir.
Bien des noms, qu'a tracés en lettres d'or l'histoire,
Ne disent aujourd'hui rien à notre mémoire.
Non, nous ne savons plus les noms même d'aïeux
Dont l'univers chanta les exploits glorieux
Mais ton nom, Attila, nous le savons encore
Enfant, c'est le premier qu'on sait et qu'on abhorre,
Ce nom, c'est le premier qu'en notre histoire on lit,
C'est aussi le premier que l'histoire avilit.
Attila, roi des Huns, regarde cette Gaule
Que tu voulais briser, comme l'orage un saule
Regarde tous ces Francs, dont tu prétendais voir
La race entière un jour soumise à ton pouvoir
Regarde nos cités où la richesse abonde,
Nos vaisseaux surchargés fendant la mer profonde,
Nos fleuves, nos forêts, nos vallons et nos prés,
Et nos vignes au flanc des coteaux empourprés
Attila le lion, Attila le superbe,
Regarde nos moissons Elle a repoussé, l'herbe I
Pauvre fou, tu disais dans ta stupide erreur
J'ai pour anéantir ce peuple la terreur.
Tu comptais, insensé, sans le Dieu des armées,
Qui devait secourir nos hordes alarmées,
ATTILA. 37
Sans le Dieu qui devait, de tous tes crimes las,
Te faire enfin sentir la vigueur de son bras.
A peine de Lutèce as-tu touché l'enceinte,
Que ce Dieu fait surgir Geneviève, la Sainte,
Et l'on te voit trembler, toi, guerrier triomphant,
Devant cette humble femme, ainsi qu'un faible enfant.
Tu pensais mettre aux pieds de ces Francs des entraves,
Comme s'ils étaient nés pour faire des esclaves
S'ils avaient été même abandonnés du sort,
Ils se seraient forgé de l'honneur dans la mort.
Vaincre ou mourir telle est la devise de France.
Qu'importe le trépas, qu'importe la souffrance,
Pourvu que la patrie ait un nom glorieux,
Et que ses fils soient tous dignes de leurs aïeux
Pauvre patrie Ainsi qu'un vaisseau qui se penche,
Nous avons vu souvent sombrer ta voile blanche
Car d'autres, Attila, sont venus après toi,
Répandre parmi nous le carnage et l'effroi.
Mais, ainsi que le roc résiste au choc de l'onde,
Notre France toujours rayonne sur le monde.
Ah si malgré ses deuils, maigre l'ambition,
Elle est toujours la grande et sainte nation,
C'est qu'elle se relève aussitôt abattue,
38 MONOLOGUES COMIQUES ET DRAMATIQUES.
Et qu'enfin, pour la vaincre, il faudra qu'on la tue.
Et c'est toi qui voulais la détruire, Attila ?
Dis-nous donc sur quel Dieu tu comptais pour cela ?
Ceux qui contre les Francs ont excité tes haines,
T'avaient-ils dit quel sang circulait dans leurs veines ?
Toi, les vaincre ? Allons donc, tu ne l'as pas pensé
Tu n'as pas fait un rêve à ce point insensé
Tu savais ta défaite, et que le poids des Gaules
Eût fait'craquer les os de tes larges épaules.
Oui, je t'entends, tu dis que j'oublie aisément,
Qu'hier je n'aurais pas parlé si fièrement,
Et que l'on voit encore a nos flancs la blessure
Qu'y fit d'un nouveau Hun la cruelle morsure.
Tu t'étonnes, dis-tu, de voir sur notre front
Le signe inenacé du plus sanglant affront
Tu demandes enfin si le peuple de France
A plus d'orgueil au fond du cœur que de vaillance,
Et s'il croit, pour laver les outrages reçus,
Qu'il suffit que les ans passent dix fois dessus ?
Non, mais il sait, vois-tu, ce peuple que tu railles,
Que ce n'est pas encor l'heure des représailles
II sait qu'il ne faut pas, pour aller aux combats,
Des braves seulement, mais aussi des soldats
ATTILA. 39
Il sait, il en a fait l'expérience sombre,
Que la valeur ne peut se mesurer au nombre
~ue pour combattre il faut, non seulement vouloir,
Mais qu'il faut avant tout et s'instruire et savoir
Que le travail peut seul rendre un pays prospère,
Qu'enfin la guerre épuise, et la paix régénère.
Il n'a point abdiqué son légendaire orgueil,
Et s'il retient les cris de sa pauvre âme en deuil,
Ce n'est pas, Attila, que sa fierté chancelle,
Non, mais que d'un passé récent il se rappelle.
Autrefois, sans rien voir, il allait devant lui
Sur un signe, il marchait. Il regarde aujourd'hui.
tl est comme jadis prêt à donner sa vie,
Mais ne veut la donner qu'à la mère-Patrie.
S'il faut demain se battre, il n'hésitera pas
Mais avant de courir a de nouveaux combats,
Il veut d'abord savoir si les jeunes épées
Sont d'un acier plus pur que les autres trempées.
Il veut, plus que jamais jaloux de sa grandeur,
Savoir en quelles mains il remet son honneur.
Il a vu se creuser au sol assez de tombes,
Et ne veut plus enfin de vaines hécatombes.
Mais s'il maudit la guerre et demande la paix,
40 MONOLOGUES COMIQUES ET DRAMATIQUES.
Qu'on ne soit pas tenté de l'insulter jamais,
Qu'on ne lui fasse pas désirer la revanche,
Car du vase il se peut que le trop plein s'épanche,
Il se peut qu'un jour vienne où le lion qui dort
Écrase tout à coup l'insecte qui le mord.
Atl'imprudentsdéfis s'il fallait qu'il réponde,
Ce peuplemâle et fier saurait prouver au monde
Qu'il honore toujours la devise qu'il a,
Et qu'il n'est pas de ceux qu'on soufflette, Attila 1
LA CHASSE
MONOLOGUE
Dit par M. CoQUEUN ~?/tJ, socfJ~t~ Comédie-
Frjn~
A M. Edmond Go~oiNET.
Tontainc La meute égayée
Poursuit avec de joyeux cris,
Dans la campagne balayée,
Cailles, lapins, lièvres, perdrix.
Voil~ quinze jours que je chasse,
Et je n'ai rien tué du tout.
J'ai trouve dugibier
en masse,
Mais je n'ai pu faire un seul coup.
Vous croyez que c'est maladresse
Eh bien vous êtes dans l'erreur
Le Gun-Club lui-même confesse
Que je suis cxccllent tireur.
42 MONOLOGUES COMIQUES ET DRAMAUQUES.
Mais quel conte alors vous nous faites ?
Je vais vous le dire en deux mots
J'aime, j'idolâtre les bêtes,
Oui, je suis fou des animaux.
C'est en vain que je me raisonne,
En vain, je cherche à m'endurcir,
Dès que le son du cor résonne
Je sens des frissons me saisir.
Pourtant, je m'arme de courage,
Et je me dis chaque matin,
Qu'il faut enfin faire un carnage,
Et tuer au moins. ub lapin.
Je tàcherai que ma victime
Soit un vieux lapin. de vingt ans
Tuer un jeune serait crime,
Car il peut avoir des enfants.
Ah ma tendresse vous fait rire?
Pour vous, un lapin mort, c'est peu,
Et même, quand on le fait cuire,
Au besoin vous soufflez le feu.
LA CHASSE. 43
Vous vous riez de la misère
Des enfants que laisse le mort
Mais, si l'on tuait votre père,
Vous verrait-on rire aussi fort ?
Oui, je sais, votre père est homme
Et non lapin, mais pouvez-vous
Savoir si le lapin, en somme,
Aime ses parentsmoins que nous ?
Qui donc sait si, sous lacharmille,
Cailles, perdreaux, lièvres, lapins,
Ne goûtent pas mieux la famiiï.~
Que tout le reste des humahn ?
Le lapin met-il en nourrice
Ses petits enfants en naissant,
Pour téter un lait clair, factice,
Et qui leur appauvritle sang ?
Les cailles sont-elles coquettes ?
Ruinent-elles leur époux,
Mesdames, avec leurs toilettes,
Ainsi que vous le faites, vous ?
44 MONOLOGUES COMIQUES ET DRAMATIQUES.
A-t-on jamais entendu dire
Qu'un lièvre ait porté quelquefois
Cette. couronne. du martyre,
Qu'à tant de nos maris je vois ?
Voit-on, dans de folles agapes,
Des perdreaux boire jusqu'au jour,
Et lourds encor du jus des grappes
Cogner leurs femmes au retour ?
Les animaux ont-ils des dettes ?
A leur logis rentrent-ils tard ?
Voyez-vous des perdrix culottes
A minuit sur le boulevard?
Au coin d'une sente embaumée,
Avez-vous jamais entendu
Un lièvre à la voix enrhumée,
Crier un journal dissolu ?
A-t-on jamais, je le demande,
Vu des animaux quelquefois,
Préférer dissoudre leur bande,
Plutôt que d'obéir aux lois ?
LA CHASSE.
Les voit-on, dans les hautes herbes,
Aux ~'a~es Bêtes de chez eux
Dresser des colonnes superbes,
Pour les casser ensuite en deux ?
Les voit-on, après une course,
Se passer une corde au cou,
Ou bien, après un coup de bourse,
Filer bien vite on ne sait où ?
Voyez-vous ala préfecture
Coffrer des bandes d'animaux
Pour avoir, a la nuit obscure,
Dans des dos plante des couteaux ?
Troublent-ils donc la paix publique ?
Cherchent-ils, par quelque forfait,
A renverser la République,
Comme plus d'un chez nous le fait ?
Les voit-on dans les ministères
Quêter des décorations,
Ou dans de sombres monastères
Tramer des révolutions ?
46 MONOLOGUES COMIQUES ET DRAMATIQUES.
A l'État font-ils des requêtes ?
Lui disent-ils dans leurs discours
De vouloir bien couper des têtes,
Ou de supprimer les tambours ?
Non, ils demeurent bien tranquilles,
Au sein des plaines, des forêts,
Loin des bruits du monde et des villes,
Dans les sillons ou les guérets.
Pourquoi leur vouer tant de haine?
Est-ce grand crime, s'il vous plait,
De picorer un peu de graine,
Ou de brouter du serpolet ?
Pour moi, plus je les envisage,
Plus je les trouve bons et doux,
Et moins aussi je trouve sage
De les poursuivre de nos coups.
Aussi, lorsqu'au fond d'une allée,
J'aperçois parfois un lapin,
Ou quelque perdrix affolée,
Je suis. je sens. je pleure enfin
LA CHASSE. ~7
Et puis tout à coup. je me mouche,
Avant d'armer mon Lefaucheux,
Alors, quand tonne ma cartouche,
Ils sont déjà loin de mes yeux.
Et tout bas, en voyant leur fuite,
Je me dis Cela les rendra
Beaucoup plus prudentsdans la suite,
Et de la mort les sauvera.
L'herbe, par l'automne rouillée,
Que foule mon pas cadencé,
Sera-t-elle jamais mouillée
Par le sang que j'aurai verse ?
Je ne le crois pas, car en somme,
Je vous le déclare en deux mots
Plus j'étudie et connais l'homme,
Et plus j'aime les animaux.
SOUPES D'UN NEGRE
A mon ami Jules LÉvy.
Bon ncgre quitter forèts,
Pour suivre loin caravane,
Cœur a li plein de regrets,
Li toujours pleurer cabane.
Las plus d'ombrages discrets,
Plus d'orange, de banane
Plus pouvoir conter secrets
Aux oiseaux de ta savane.
Plus de beau ciel indigo,
Pour cueillir noix de coco
Plus se suspendre a la branche.
Et puis, plus jamais pouvoir
Dire !a brise du soir,
Li bien aimer femme blanche
LES ENFANTS DE L'IVROGNE
POÉSIE
Dite par M. ~~o~ RiCQUiER, dit ~~fr<? dit Vaudeville.
A M. Eugène MANUEL.
C'est l'hiver, il est nuit, et la lueur blafarde
Et pâte de la lampe éclaire la mansarde.
Le logis est muet. Au fond du galetas,
Deux enfants, étendus sur un vieux matelas,
Dorment de ce sommeil dont seuls dorment les anges.
Le vent sur les toits a des sifflements étranges,
Le ciel est sans étoile, et l'ange de la mort
Semble planer la.haui sur Paris qui s'endort.
Quel froid dans cette chambre où la bise pénètre
Par la porte mal close, ainsi que la fenêtre
L'hiver paraît plus dur en cet obscur réduit,
Où pas le moindre feu ne pétille et ne luit
On sent que la misère au joug épouvantable
MONOLOGUES COMIQUES ET DRAMATIQUES.52
Règne en ce noir taudis la lampe sur la table
Se meurt et semble, ainsi qu'un funèbre flambeau,
De ses derniers reflets éclairer un tombeau.
Une femme est debout près du lit, pale, sombre
Son regard, qui fait mal, a l'air de fouiller l'ombre.
C'est la mère. Son front se penche soucieux
Parfois, ses yeux rougis se tournent vers les cieux
Comme pour implorer, et sa bouche livide
Murmure on ne sait quoi, qui se perd dans le vide.
Elle pleure, et sa Jeanne, une enfant de huit ans,
La regarde pleurer, et l'enfant, par instants,
Sèche avec un baiser les larmes de sa mère.
Oh ces baisers, qui font ta douleur moins amère,
Et viennent remuer si doucement ton cœur,
Comme tu les reçois, û mère, avec bonheur
Pauvre femme, six mois après son mariage,
L'enfer était entré déjà dans le ménage.
Chaque soir son mari rentrait un peu plus tard,
Ne l'embrassant pas plus au retour qu'au départ
Et, sans même essayer d'inventer une excuse,
Quand elle se plaignait,disait que la cambuse
Lui semblait sombre, triste, enfin qu'il préférait
Aux douceurs du foyer celles du cabaret
Qu'il entendait d'ailleurs vivre tout à sa guise,
LES EXFAXTS DE L'IVROGNE. 53
Tel que bon lui semblait, quoi que sa femme en dise.
Et c'était chaque jour quelquenouvel affront
La femme était craintive, elle courba le front.
Une espéranceencor lui restait, la dernière,
C'est vrai, mais la plus douce elle allait être mère.
Et tout le long du jour elle songeait tout bas
« Oui, quand je placerai notre enfant dans ses bras,
» Alors il comprendra les saints devoirs du père,
» Et l'enfant lui fera peut-êtreaimer la mère
» Un enfant, c'est si beau le rayon de soleil
» Qui vient nous saluer chaque jour au réveil,
MEst moins gai, moins fleuri, que cette aube rieuse
» Entrant avec l'enfant dans la maison joyeuse»
Elle espérait. Hélas, sur terre il le faut bien
Sans l'espoir, ici-bas, que sont les hommes ?Rien.
Le bonhcnr n'cst-i! pas mobile comme l'onde?–
Le jour vint, et l'enfant, ce sphinx à tête blonde,
De toutes nos douleurs vint réclamer sa part.
Quelqu'un dit Une fille Immobile à l'écart,
Le père ne dit rien à peine ce front rose
Reçut-il un baiser de sa bouche morose.
La mère avait tout vu, son cœur s'était serré
En voyant s'envoler le bonheur espéré,
Mais ses yeux pleins de fièvre étaient restés sans larmes
54 MONOLOGUES COMIQUES ET DRAMATIQUES.
C'est qu'elle avait senti de mortelles alarmes
Soudain naître en son âme, et qu'elle avait compris
Qu'il fallait, pour l'enfant, vivre, vivre à tout prix.
Donc elle guérit vite, et pleine de courage
Se mit à travailler nuit et jour, avec rage,
Sans être, hélas, jamais sûre du lendemain
Lorsque l'homme au logis n'apporte pas son gain,
Ce que gagne une femme est peu dans un ménage
Puis ce qui fait défaut bien souvent, c'est l'ouvrage.
Hélas plus de travail, plus de pain. Noir souci 1
Seigneur, qu'ont-ils fait, ceux que ta main frappe ainsi ?
Mais le temps a passé, le destin moins sévère
Aura peut-être enfin. Non, non, la pauvre mère
N'a point vu s'adoucir la rigueur de ses lois
Ce n'est plus un enfant qu'il faut nourrir, c'est trois 1
Trois, qui souvent en vain réclament leur pâture,
Et déjà de la faim connaissent la torture
La tache est maintenant trop lourde pour ses bras,
Et le corps est vaincu, si l'Ame ne l'est pas.
Pour nourrir ses petits, elle a vendu ses hardes,
Ses meubles, ses oiseaux, seul luxe des mansardes 1
Il ne lui reste plus que quelques vieux débris,
Pour lesquels les marchands n'ont offert aucun prix
LES ENFANTS DE L'iVROGNE. 55
Et tandis que le père au cabaret s'enivre,
Ses enfants n'ont pas même un peu de pain pour vivre.
Oh mais la coupe est pleine, et c'est assez souffrir
Il faut qu'ellelui parle, oui, son cœur va s'ouvrir.
Voilà bien trop longtemps déjà qu'elle balance,
Il faut qu'elle lui dise enfin ce qu'elle pense.
C'est aujourd'hui la payeet monsieur reviendra
Tard, encor s'il revient n'importe, elle attendra.
Elle attend en effet, pâle comme une morte,
Elle attend, et ses !euxne quittent pas la porte.
Tout à coup, un pas lourd fait trembler l'escalier
Quelqu'un monte. On entend jurer sur le palier.
C'est lui. La porte s'ouvre. II est là, devant elle.
Maintenant elle a peur et son âme chancelle.
Elle voudrait parler, mais elle ne peut pas.
Ah maman, j'ai bien faim, lui dit Jeanne tout bas.
–Tais-toi, tais-toi, ma Jeanne. Et se plaçanten face
De son homme, elle dit Il faut que je te fasse
Un aveu les enfants, ce soir, n'ont pas mangé.
-Pourquoi ça?
–Jen'aiplusd'argent.
-Bah 1
Vingt sous hier au soir, et je.
-J'ai changé
MONOLOGUES COMIQUES ET DRAMATIQUES.56
C'est bon, silence 1
Donne-moi de l'argent.
Ah ça, dis donc, je pense
Que tu vas me laisser la paix.-Tu deviens fou,
Je te dis que.
–Tais-toi.
Mais
Je n'ai pas le sou I
On t'a paye ce soir.
Possible, mais je garde
Tout.
Ali tu gardes tout, et moi ?
Çat te regarde
Et tes enfants ?
Assez, j'aime pas les discours.
Écoute, jusqu'ici je n'ai pas eu recours
A toi pour les nourrir, mais il m'est impossible
De lutter plus longtemps.Ne sois pas insensible
Vois, la misère, lulas règne en notre logis,
Et mes yeux, par les pleurs et les veilles rougis,
Ne verront bientôt plus les points sur mon ouvrage.
Moi, je veux bien pâtir, vois-tu, j'ai du courage
Mais eux, ces chers petits que Dieu nous a donnés,
LES ENFANTS DE L'IVROGNE. 57
Puis-je les voir souffrir, les doux abandonnes ?
J'ai pas le sou, voilà le plus clair de l'histoire.
Tu n'as pas le sou ?
Non.
–Non! excepté pour boire!
Je fais ce que je veux.
Hélas je le sais bien.
Ce n'est pas ton argent que je bois, c'est le mien.
–Malheureux!
C'est assez.
–Lâche sans cœur ivrogne
Ah pas un mot de plus, la vieille, ou bien je cogne.
Je parlerai.
Prends garde
Allons, regarde-moi 1
Tu fis trembler longtemps la femme devant toi,
Vois donc un peu si tu feras trembler la mère
Tais-toi
Je ne crains plus tes coups ni ta colère.
Assez, te dis-je, assez,
Va, crie encor plus fort,
Je n'ai plus peur de rien, pas même de la mort.
Te tairas-tu ?
Me taire Ab ça, voyons, tu railles?
58 MONOLOGUES COMIQUES ET DRAMATIQUES.
Me taire mais tu n'as donc rien dans les entrailles ?
Quoi! ce soir, mes enfants n'ont pas même eu de pain,
Et tous les trois peut-êtreils seront morts demain,
Et tu voudrais encor me contraindre au silence ?
Tais-toi dis-tu ? voyons, mais c'est de la démence,
Tu ne m'as pas comprise, ou j'ai mal entendu
Je veux du pain pour eux, misérable, entends-tu,
Maintenant, entends-tu ?
Tonnerre c~'ia l'homme,
Si tu ne te tais pas à l'instant, je t'assomme.
Ah frappe si tu veux, je ne me tairai pas.
L'homme leva le poing et murmura tout bas
Pour la dernière fois, tais-toi.
–Non,non.
Prends
Non. [garde.
Le poing s'abattit. Elle tomba, hagarde,
Sanglante, et s'en alla rouler sur le carreau,
Sans un cri, sans un mot. Sur le lit, le bourreau
Transporta sa victime, et la terreur dsns l'âme,
Éperdu, poursuivi par le remords, l'infâme
S'enfuit.
Les trois enfants poussaient des cris affreux,
Et leur mère mourante, hclas 1 priait pour eux.
LES ENFANTS DE L'IVROGNE. 59
Les voisins, réveillés par l'infernal tapage,
Se dirent « Allons bon, encore le ménage
» -Du sixième Ils n'en font pas d'autres chaque soir.
» Je plains la pauvre femme. » Et sans plus s'émouvoir,
Chacun se rendormit. Là-haut, dans la mansarde,t
Le calme est rétabli. Jeanne, en pleurant, regarde
Sa mère, et les petits sommeillent de nouveau
Sur le vieux matelas qui leur sert de berceau.
Pauvres petits enfants Trois jours après, leur mère
Les quittait pour aller dormir au cimetière.
Désormais plus d'amour, plus de dolents refrains,
Pour les faire sourire ou bercer leurs chagrins
Bien plus, comme l'on sait que leur père est au bagne,
On les fuit, le mépris partout les accompagne
Et lorsqu'ils vont tous trois, se tenant par la main,
Cherchant leur pauvre vie et mendiant leur pain,
Si parfois le hasard veut qu'un passant les plaigne,
Et qu'auprès des voisins sur eux il se renseigne,
On lui fait aussitôt quelque récit bien noir,
Et si, peu convaincu, le passant veut savoir
Ce que, dans tout cela, ces enfants ont à faire
« Bah graine d'assassins » répond une commère.
MONOLOGUES COMIQUES ET DRAMATIQUES.60
Assassins Assassins Par pitié, taisez-vous,
Et devant ces martyrs, jetez-vous à genoux 1
Qu'ont-ils fait, ces agneaux, pour que nul ne les aime ?
Et pourquoi leur jeter l'insulte et l'anathème ?
Ont-ils donc pu de Dieu combattre les desseins ?
Que diriez-vous, vous qui les nommez assassins,
Et qui croyez pouvoir marcher la tête haute,
Si ces enfants venaient vous dire A qui la faute ?
J'ignore s'ils seront un jour bons ou mauvais
Ce qu'ils seront, c'est nous seuls qui les aurons faits.
SONNET
A Madame D.
En dois-je croire la nouvelle ?
Est-il vrai qu'un nouveau bébé,
Qu'on dit être une demoiselle,
Du ciel, en vos bras soit tombé
De cette chute accidentelle
Je demeure tout étonné
Quelqu'un l'a donc pris sur son aile,
Qu'il ne s'est point cassé le né ?
C'est vous qui l'avez été prendre I
Je ne vous dis pas de le rendre,
C'est trop tard mais je dis. je dis.
Qui donc chantera les louanges
Du bon Dieu dans le paradis,
Si vous lui prenez tous ses anges ?
UNE DISTRACTION
MONOLOGUE
Dit par M. COQUELIN cadet, sociétaire de la Com~M-
Française.
A M. Eugène LABICHE~ de l'Académie Française.
Elle avait de beaux cheveux blonds
Et vingt mille livres de rente,
Et se montrait dans les salons
Du meilleur monde avec sa tante.
La tante étant d'un âge mnr,
II était clair qu'un jour ou l'autre,
Elle irait chercher dans l'azur
Un monde meilleur que le nôtre.
Or la tante avait de l'argent,
Beaucoup d'argent et de. vieillesse,
Cela devenait engageant,
Sa fortune était pour sa nièce.
64 MONOLOGUES COMIQUES ET DRAMATIQUES.
Elle était blonde, je l'aimai
Pas la tante, la jeune fille,
Oui, tant d'attraits m'avaient charme:
Belle, riche et pas de famille.
Je commençai bientôt ma cour
Je craignais un peu, mais la belle
Daignant répondre à mon amour
Ne se montra pas trop rebelle.
Sans être beau, je suis pourtant,
A ce que je crois, présentable.
Oh ce n'est pas tentant, tentant,
Non, mais enfin c'est acceptable.
Très rangé, caractère égal,
Et ne fumantjamais la pipe,
Je n'ai qu'un défaut capital
Je suis distrait. mais j'anticipe.
Donc, je plus; et beaucoup ma foi
Berthe, ainsi s'appelait la belle,
Laissait très volontiers sur moi
S'abaisser sa noire prunelle.
UXE DISTRACTION. 65
La tante surtout me trouvait
Parfait et répétfi!. sans cesse
Que j'étais ce qu'elle rêvait
Je nageais en plein dans l'ivresse.
On me recevait tous les jours,
Nous goûtions un bonheur extrême
A nous voir. 0 chastes amours,
Qu'on est donc heureux quand on aime 1
Beau logement, meubles cossus,
De grands fauteuils en palissandre,
Avec du vrai velours dessus,
Tout cela me rendait très tendre.
J'apportais souvent des bouquets
De deux ou trois francs, magnifiques 1
Je les achetais sur les quais,
C'est moins cher que dans les boutiques.
Ou j'offrais à Berthe un sonnet
Copié dans quelque poète
Presque pas connu. Ça prenait,
Et l'on me faisait une fcte
66 MONOLOGUES COMIQUES ET DRAMATIQUES.
On m'appelait Hugo Musset
Quels jolis vers et quelle aisance
Vous avez appris. ? Moi ? Non c'est
Naturel, ça vient de naissance.
Et je parlais d'oiseaux, de fleurs,
De l'azur du ciel, de l'aurore
Baignant de ses humides pleurs
Les épis que le soleil dore.
Je crois que j'étais amoureux,
Du moins, j'avais bien l'air de l'être,
Avec mes regards langoureux
Et mes soupirs à fendre un hêtre.
Le plus fin n'aurait rien pu voir,
Tant j'étais dans la peau du rôle.
J'étais gai. comme un vent du soir
Chantant dans les branches d'un saule.
Pendant six mois ce fut ainsi,
La tante n'était pas pressée
Je m'ennuyais et Berthe aussi.
Enfin, la date fut fixée.
UNE DISTRACTION. 67
J'arrive un matin, triomphant,
En disant Voici la corbeille t
On me traite de fou, d'enfant
C'est trop beau, c'est une merveille.
Colliers, bracelets, diamants,
Brillent dans la corbeille ouverte
Les beaux bijoux, qu'ils sont charmants! 1
Mille fois moins que vos yeux, Berthe.
J'avais pris le tout à crédit,
Les diamants et tes dentelles.
Berthe paiera, m'étais-je dit,
Avec sa dot ces bagatelles.
Ou bien, quand nous serons unis,
Aux marchands j'irai les revendre
Les bijoux faux sont mieux finis,
Elle soir c'est à s'y méprendre.
Le jour arrive, û jour maudit
Je vais pour chercher ma future.
Je suis distrait, je vous l'ai dit,
Jugez de ma déconfiture
68 MONOLOGUES COMIQUES ET DRAMATIQUES.
La noce était pour le lundi,
Et moi j'arrive et me présente.
Savez-vous quel jour ? Le mardi.
Dame elle n'était pas contente.
Je demeurai là sans parler,
Et stupide comme une bête.
J'aurais bien voulu m'en aller,
Mais c'eut été trop malhonnête.
La vieille tante rugissait,
Brrr, sa colère était terrible.
Bcrthe pleurait et rougissait,
Moi, je tremblais, c'était horrible.
Oser nous faire un tel affront,
Faire attendre ainsi sa future
Le voile et la couronne au front I
Quelle audace et quelle imposture t
Elle avait raison Voyez-vous
D'ici tous les gens de la noce
Attendant vainement l'époux?
Ah cela devait être atroce 1
UNE DISTRACTION. C9
Et vous avez osé venir
Après un tour de cette sorte ?
Ah ne passez, à l'avenir,
Jamais le seuil de cette porte.
Saltimbanque, Kroumir, Zoulou 1
Tels sont les noms qu'elle me donne.
Cela ne me va pas du tout,
Et la colère en moi bouillonne
Je laisse échapper malgré moi
Un mot. un mot qu'à cette place
Je n'ose pas. tant pis, ma foi
Ce grosmot. le voici Bécasse
Là-dessus, elle fait un bond
Bécasse oh 1 c'est trop fort. Bécasse
Et pourquoi pasvieux biberon,
Masure, tortue ou limace ?
Cris, sanglots, attaque de nerfs
Avec des sauts épouvantables
Avez-vous vu sauter des cerfs?
Elle faisait des sauts semblables.
70 MONOLOGUES COMIQUES ET DRAMATIQUES.
Sur la tête, Berthe en tremblant
Lui vide toute une carafe,
Tandis que, suant et soufflant,
De mon mieux, moi, je la dégrafe.
Du lit on écarte les draps.
Sur moi-même je me ramasse,
Et je soulève dans mes bras
Cette inerte et pesante masse.
Mais voila que sur le parquet
Mes pieds glissent. en vain je tente
De me. je lâche le paquet
Que la nièce appelait sa tante I
Me voyant perdu sans retour,
Je fis. coque je devais faire,
Je partis, et, depuis ce jour,Je suis resté célibataire.
IVRESSE MANIFESTE
A mon ami BEMOL-GaAivtL.
Le père étrit maçon, un gas joyeux et fort,
Aucun autre au chantier n'abattait plus d'ouvrage
II faut bien, disait-il, faire aller le ménage
Las un jour, à sa femme on le rapporta mort.
Voilà bientôt deux ans que sous la terre il dort
Sa veuve a, jusqu'ici, luttant avec courage,
Pu nourrir ses deux fils, deux enfants en bas-age,
Mais, si vaillant qu'on soit, le corps s'use à l'effort,
Et la pauvre, à la fin par les veilles minée,
Dut renoncer quand même à sa tache obstinée,
Pour aller implorer la pitié des passants
Elle va, ventre creux, sur les pavés glissants,
Chancelle. et tombe. Qu'est-ce ? interroge la foule.
Rien, ricane une voix, c'est une femme saoûle 1
Dit par M. Jules LÉw, ~M&r<! Soct~J
~c<Mr~ et de rJct~~to~.
JOIES MATRIMONIALES
MONOLOGUE
A mon ami Albert LAUMNT.
Ma tante, laide et vieille fille,
Plate comme une peau d'anguille,
Dépensait ses soins obligeants
A vouloir marier les gens,
Et déployait tout son génie
Pour satisfaire sa n:anie.
Un jour, elle me prit la main,
Et m'entraînant dans sa demeure,
M'entretint, pendant p!us d'une heure,
Des douceurs chastes de t'hymen.
Or, je lui répondis en termes
Très polis, mais aussi très fermes
t
LES
74 MONOLOGUES COMIQUES ET DRAMATIQUES.
Que je me souciais fort peu
D'aller brûler mon aile au feu
Qu'à mon avis le mariage
N'était qu'un horrible- esclavage,
Et qu'ils sont loin d'être éternels,
Les pompeux serments que les vierges,
A la lueur vague des cierges,
Viennent faire au pied des autels
On promet, oui, mais la promesse
Souvent s'oublie après la messe,
Et l'on s'aperçoit un beau jour,En versant des larmes amères,
Que le nid tout plein de chimères,
Est tout à fait vide d'amour.
Et surtout, n'allez pas vous plaindre,
Car vous auriez alors à craindre
Qu'on vous vint fredonner tout bas
Tu l'as voulu, ne t'en plains pas 1
C'est ainsi qu'on vit côte à côte,
Pleurant chacun de son côté
Et son irréparable faute,
Et sa bien chère liberté.
On s'en irait bien, maison tremble,
On songe à tout ce qu'on dira,
MLES JOIES MATRIMONIALES.
A tout ce qu'on inventera,
On a peur, et l'on reste ensemble.
Et puis, les enfants sont venus,
Par leur douce et chère présence,
Diminuer les revenus,
Et presque tripler la dépense.
Alors, on redouble d'ardeur,
Et l'on voit chaque bénétice
Passer, ineffable bonheur,
Dans les poches de la nourrice
Si votre femme veut nourrir,
Alors, c'est bien une autre affaire
Et vous préparer à mourir,
C'est tout ce qu'il vous reste à faire.
Du haut en bas dans la maison,
Ce n'est plus qu'un fouillis de couches
Dont l'éloquente exhalaison
Attire des essaims de mouches.
On égorge quelqu'un là-bas
D'où vient donc cet affreux tapage?
Mais non, ne vous dérangez pas,
C'est bébé. qui prend son potage.
Quoi, ma tante ?. C'est infernal 1
Vous voulez rire, je suppose ?
76 MONOLOGUES COMIQUES ET DRAMATIQUES.
Ce n'est rien ça c'est autre chose
Aux heures de grand bacchanal
Parfois, c'est à perdre la tête
Lapin savant, cheval de bois,
Tambour, siftiet, clairon, trompette,
Tout roule et gtapit à la fois.
Hue hope-Ia faites donc place 1
Allez Ronflez, roulez, passez
Oh les chaises gare tagtace
Bing bon, deux carreaux de cassés
Jeudi, c'était un pied de table,
Hier, un bras du canapé,
Et demain. Tiens, il s'est coupé!
Ah 1 c'est bien fait, va-t-en au diable 1
Heu Va, braille! quelle maison l
Comment ?. Oui, vous avez raison,
Il faut que les enfants s'amusent
Puis aussi. que les meubles s'usent.
Vous ne vous rendez pas encor?
Alors, je vais, doublant la dose,
Vous montrer, ma tante, autre chose.
Tenez changement de décor.
Un soir, vous rentrez tout maussade,
Votre chef vous a cramponné
LES JOIES MATRIMONIALES. 77
On vous dit Madame est malade.
Qu'a-t-elle donc ? Un nouveau-né
Ça fait sept bon sens, quelle veine 1
Seigneur, Dieu dément, juste et doux,
Ah suspendez votre courroux,
Ne complétez pas la douzaine
Une autre fois, vous revenez
D'un diner, d'un bal, d'une fête,
Paf en rentrant, vous apprenez
Que Bébé s'est cassé la tête,
Qu'il s'amusait sur le palier,
Qu'en voulant glisser sur la rampe,
II est tombé dans l'escalier
Et s'est fait deux trous à la tempe.
Ou, qu'en le couchant, on a vu
Des rougeurs sur son petit ventre,
Que le médecin est venu
Mais qu'il a bien peur que ça rentre.
Chaque jour, c'est ennui nouveau
Vous recevez une visite
De votre chef ? Bébé, bien vite,
L'appelle Ane ou tête de veau.
Il fait beau, toute la nature
Paraît en fête vous sortez.
78 MONOLOGUES COMIQUES ET DRAMATIQUES.
Tout à coup, vous vous arrêtez,
Voilà bien une autre aventure
Bébé ne veut plus avancer.
Qu'as-tu ? lui demande sa mère.
Porter Non Si Non Cris, colère,
Il faut céder sans balancer.
Dis, petit père, fais donc l'âne.
Un coup juché sur votre dos,
Il saute, vous meurtrit les os,
Et vous tambourine le crâne.
Vous rentrez. Bon dîner pas prêt
La bonne a reçu des visites.
Chut silence, elle planterait
Là, la baraque et les marmites.
Enfin le couvert est dressé
On étend ses pieds sous la table
Le potage est mal dégraisse,
Le rosbeef est épouvantable,
Mais, heureux d'être enfin chez soi,
De jouir d'un peu de silence
Et de repos, on se tient coi,
Gardant pour soi ce que l'on pense.
Bon, l'on sonne. une lettre. Dieux 1
Qu'apprend-on?.. que sa belle-mère,
LES JOIES MATMMONtALES.
Dont le médecin désespère
Depuishuit jours. va beaucoup mieux 1
Ou bien que le propriétaire,
Avec des regrets déchirants,
A, de trois ou quatrecents francs,
Augmenté chaque locataire
Ma pauvretante écoutait, l'œil
Fixe et la bouche si béante,
Qu'on voyait, -je meurs si j'invente,
Jusqu'auvelours de son fauteuil.
Je continuai Non, ma tante,
Appelez-moi brigand, bandit,
Le mar'agene me tente
Pas. D'ailleurs, je n'ai pas tout dit.
Assez, dit-elle d'un ton aigre.
Assez ? repris-je. Et les cousins,
Les couturières, les voisins,
La grand'messeet les jours de maigre ?
Et les filles à marier ?
Et leur dot, et puis leurs toilettes ?
Et les fils, dont il faut payer
L'éducation. et les dettes ?
Et plus tard enfin, les vieux jours,
Pendant lesquels, entre deux quintes,
80 MONOLOGUES COMIQUES ET DRAMATIQUES,
On parle des heures éteintes
Catarrhes et jeunes amours
J'allais en dire davantage,
Quoi ? Par ma foi, je ne sais plus,
Quand la porte livra pass
A deux personnes. Je m us.
Deux dames, la mère et la fille,
Venaient d'entrer, je m'inclinai.
La mère était très laide un né
Un nez la fille était gentille.
On causa d'abord, puis on prit
Du thé, c'était presque une fête.
La mère était tout à fait bête
Mais la fille avait de l'esprit.
Elles arrivaient de province,
De Marseitte. ou de Concarneau,
La mère était grosse. un tonneau l
Mais la fille était grande et mince.
Elles venaient vivre à Paris.
La mère avait les cheveux gris,
Et la figure rubiconde
Mais la fille était blanche et blonde.
Ma tante mit son logement,
Tout au moins jusqu'à ce qu'on puisse
81LES JOIES MATR!MONÏALES.
Leur trouver un appartement,
Entièrement à leur service.
Je pris alors congé. Ma main
Ne trembla pas, en pressant celle
Que me tendit la demoiselle.
Mais. je revins le lendemain.
Bast il faut bien que je le dise,
L'amour m'a pris dans son filet.
N'allez pas croire, s'il vous plaît,
Quej'ai commis une bêtise
L'hymen, que je ne pouvais voir,
Est une bien étrange chose
Tout ce que je voyais. en noir,
Maintenant. je le vois en rose.
DÉSESPOIR!
mon ami FcrnMd CRÉSY.
Je souffrais, je pleurais. Pourquoi je ne sais pas.
Je souffrais, voilà tout. Je sentais dans ma tête
Se heurter mes pensers, cnroyab!c tempête
J'avais besoin d'agir, et pourtant j'étais las
J'entendis une voix qui me rarlatout bas
« Qu'as-tu donc? me dit-elle, avec un accent betc.
» Tu pleures, tu gémis, quand la nature en fête
» Te sourit et répand des roses sous tes pas 1
» Quand l'amour vient t'offrir ses ptus chaudes caresses
.) Quand l'avenir pour toi s'ouvre plein de promesses
» Lorsque chacun envie et jalouse ton sort 1
» Enfant tout t'appartient Amour, santé, jeunesse 1
» Dieu t'a laissé puisera toiser dans sa caisse
» Que manque-t-U encore a ton bonheur?–La mort »
LE CONSCRIT
POÉSIE
Dite tw M. Gcor~s RUEF, /~Mr~~M Conservatoire
A M. Paul DEROULÈDE.
Ah! c'était un conscrit peu brave que Jean-Pierre
Quand il fa'lut quitter son village et les siens,
Bien des larmes, hélas ont mouillé sa paupière,
Mais il fallait aller combattre les Prussiens
Les anciens avaient beau, pour lui rendre courage,
Proclamer en riant que la guerre n'est rien,
Lui, se disait tout bas « La guerre est un carnage,
Et l'on va me tuer, j'ensuis sûr, comme un chien! »
Puis, en rêve, il voyait sa pauvre vieille mère,
Au dos voûté par l'âge, aux cheveux presque blancs,
Égrenant chaque jour, aux marches du calvaire,
Son chapelet de buis, entre ses doigts tremblants.
86 MONOLOGUES COMIQUES ET DRAMATIQUES.
La chère et sainte femme, elle prie, elle pleure.
Contre le désespoir son âme se défend,
Mais au Dieu qu'elle implore et que sa lèvre effleure,
La pauvre, nuit et jour, demande son enfant.
Et le conscrit rêvait, et toute sa pensée
Était là-bas, bien loin, avec ceux qu'il aimait.
La guerre, disait-il, la guerre est insensée t
C'est un crime, et pourtant le bon Dieu le permet.
Jean-Pierre cependant n'était pas trop à plaindre,
Son régiment n'avait pas encor vu le feu
Aussi se disait-il, commençant à moins craindre
Si c'est toujours ainsi, la guerre n'est qu'un jeu.!
Puis, mon bataillon campe en haut d'une colline,
Dans un vieux château-fort pour prendre ce château,
II faudrait un assaut, et ma foi, j'imagine
Qu'ils n'oseront jan'ais s'approcher du coteau.
Mais voilà qu'un matin, la voix du canon tonne 1
L2S ennemis sont là. Des cris montent dans l'air
Aux armes chargez Peu que l'on sabre et canonne 1
Les coups partent, plus prompts que la foudre et l'éclair.
87LE CONSCRIT.
Ah ce fut une rude et sanglante bataille
On fit des deux côtés d'héroïques efforts,
Les canons, les fusils vomissaient la mitraille,
Et les morts s'entassaient, horribles, sur les morts.
Mais il était écrit, destin fatal et sombre,
Que nos vaillants soldats, dans ces combats maudits,
Succomberaient toujours écrasés par le nombre,
Et seraient pourchassés ainsi que des bandits.
0 rage la victoire abandonnait les nôtres,
Qui pourtant se battaient comme de vrais héros
Et cette fois encor, comme toutes les autres,
Il faut fuir, et laisser la place à ces lourdauds.
Voyez-les, nos soldats, courant à perdre haleine,
Se sauvant éperdus, traqués, la rage au cœur,
Allant sans savoir où, devant eux, dans la plaine,
Suivis par les hourras insultants du vainqueur 1
Vont-ils donc tous périr? Non, la nuit les protège
Et les cache. Ils sont loin. On n'entend plus, hélas
Que les cris des blessés se tordant sur la neige.
Le combat est fini les ennemis sont las.
MONOLOGUES COMIQUES ET DRAMATIQUES.88
Pendant qu'on se battait, que faisait donc Jean-Pierre
D'où vient qu'on ne l'a pas même vu dans les rangs ?
A-t-il payé sa dette et mordu la poussière ?
Est-il parmi les morts, ou parmi les mourants ?
Non, Jean-Pierre est vivant, et très bien vivant même.
Pendant qu'à coups de crosse, on tuait, on hachait
Ses compagnons, lui, pris d'une terreur extrême
Là-haut, dans les greniers du château, se cachait.
Maintenant, il est là, blotti sous une bâche
Il frissonne, il a peur. De grands fantômes blancs,
L'étreignent dans leurs bras, et gravent le mot lâche,
Sur son front en sueur, avec leurs doigts sanglants.
Lâche lâche oh ce mot, ce mot hideux, terrible,
Résonne comme un glas dans le fond de son cœur 1
Le remords le déchire. 0 destinée horrible,
Tout est perdu pour lui parents, patrie, honneur 1
Au-dessous, les Prussiens vont, viennent, dans les salles
Jean-Pierre entend leurs cris, il entend leurs chansons
II entend résonner leurs sabres sur les dalles,
Et ce bruit fait courir, dans son dos, des frissons
LE CONSCRIT. 89
Mais ce n'est plus la peur qui fait trembler Jean-Pierre
Le conscrit veut laver sa honte et son auront,
Il sent en lui grandir une sainte colère,
Il ne gardera pas cette tache à son front.
Et dans sa tête, il cherche un moyen de vengeance
Il voudrait que ce fut diabolique, infernal.
Le jour approche, il faut agir en diligence,
Et les surprendre avant la fin du bacchanal.
S
S'il mettait le feu ? Non, ils prendraienttous la fuite,
Et pas un ne mourrait mais comment se venger ?
Tomber au milieu d'eux? Il se ferait de suite,
Étant seul, sans profit, ni mérite, égorger.
Que faire enfin ? Le jour avant peu va paraître
Ci. n'entend plus de bruit dans les salles du bas
Jean-Pierre écoute. -Rien. Il ouvre une .fenêtre
Qu'aperçoit-il au loin, sur la route, là-bas ?
On diraitdans la brume une masse qui bouge.
Ce sont des hommes Non. Mais si, c'est bien cela.
Encor des ennemis Dieu, le pantalon rouge 1
Ils ne savent donc pas que les Prussiens sont là ?
90 MONOLOGUES COMÏQUES ET DRAMATIQUES.
0 ciel 1 les malheureux ne sont qu'un petit nombre
Ils seront massacrés les Prussiens les ont vus,
Et déjà les vautours guettent, cachés dans l'ombre.
Rien ne peut les sauver. Trop tard. Ils sont perdus 1
Jean-Pierre allaitcrier, quand, plus prompt que h foudre,
Un souvenir, soudain, traversa son cerveau
Ses chefs, il s'en souvient, ses chefs parlaient de poudre
Mise en réserve, en bas, dans le fond d'un caveau.
Il quitte sa cachette et comme un fou s'élance
Dans les couloirs mon Dieu, si le bruit de ses pas
Allait donner l'éveil Non, il se glisse, avance
Personne ne l'a vu c'est fait, il est en bas.
Frissonnant, le conscrit cherche, à tâtons, sa route
Un froid noir le saisit et pénètre ses os,
Mais il va toujours l'eau qui tombe de la voûte
Fait trembler tout son corps en coulant dans son dos.
S'il allait maintenant ne pas trouver la porte t
La voici grande ouverte oh comme son cœur bat 1
Allons, Jean-Pierre, allons, que ton âme soit forte
Sauve les tiens, et meurs de la mort d'un soldat.
LE CONSCRIT. 9i
Il entre, allume un peu de paille, puis s'arrête.
Il a vu les barils, le long des murs rangés
Il approchela flamme en détournant la tête.
C'en est fait, le conscrit et les siens sont vengés.
Aucun n'a jamais su que le pauvre Jean-Pierre
Était mort en héros, mort sur le champ d'honneur
Quand, dans son bataillon, l'on cause de la guerre,
Les vieux disent de lui « S'il est mort -c'est de peur. »
Et là-bas, au pays, sa pauvre vieille mère,
Le dos voûté par l'âge et les cheveux tout blancs,
Égrène chaque jour, aux marches du Calvaire,
Son chapelet de buis entre ses doigts tremblants.
LE COMPLIMENT DE BËBË
Je voudrais bien, petit papa,
T'en souhaiter long comme ça,
Pour ta fête
Je cherche depuis bien longtemps
Toutes sortes de compliments,
Dans ma tête.
Hélas je ne puis rien trouver,
Et ne sais comment te prouver
Que je t'aime.
Pourquoi donc que l'on ne peut pas
Dire ce qu'on pense tout bas
En soi-même ?
94 MONOLOGUES COMIQUES ET DRAMATIQUES.
Quand je serai plus grand, papa,
Je parlerai mieux que cela
Le langage,
Mais je ne pourrai jamais
Te chérir, je te le promets,
Davantage.
J'ai cherché pendant bien longtemps
Toutes sortes de compliments
Dans ma tête,
Mais je n'ai trouvé que cela,
A te dire, petit papa,Pour ta fête.
LA MÈRE DU SUPPLICIE
roÉStE
Dite par Mlle SCHMIDT, ~u thédtre de rAn~~K.
A Victor Huco.
Cet homme avait commis je ne sais quel forfait.
On lui coupa le cou chacun dit C'est bien fait 1
Son corps tout mutité fut cloué dans la bière,
Et jeté dans un coin, au fond du cimetière
Sur sa tombe sans croix, le fossoyeur, en tas,
Range chaque matin ordures et gravats
C'est un entassement de raclures d'allées,
De vieux bouquets, débris des autres mausolées.
Nul ne va visiter ce tertre abandonné
Sous lequel, pour toujours, dort le guillotiné.
Pourtant, quand le jour baisse, à l'heure où la nuit tombe,
Quelqu'un vient se pencher au bord de cette tombe.
96 MONOLOGUES COMIQUES ET DRAMATIQUES.
1
Qui donc ose venir prier pour l'assassin ?
Femmes qui m'écoutez, vous, qui,dans votre sein,
Avez d'un chaste hymen porté le fruit prospère,
Vous l'avez deviné, n'est-ce pas? C'est sa mère,
La mère du maudit, qui vient là chaque soir,
Cachant ses pleurs dans les plis de son voile noir.
Ce qu'elle pleure, hélas ce n'est pas l'affreux crime
Qu'a commis son enfant ce n'est pas sa victime
Non, c'est lui, c'est sa mort c'est ce trépas brutal.
Quand il tuait, qui sait quel démon infernal
Le poussait ?0 Seigneur, vous qui savez les causes
De tout, pourquoi,mon Dieu! permettez-vous ceschoses?
Pourquoi n'avez-vous donc pas empêché cela ?
Et pourquoimon enfant, plutôt que celui-là ?
Quand il était petit, je baisaisses mains blanches
Plus léger qu'un oiseau voletant dans les branches,
Il courait dans la chambre avec des cris joyeux
Si vous saviez, le ciel était dans ses grands yeux.
Ses cheveux étaient blonds comme l'or de la plaine.
Sa bouche était petite et rose, et son haleine
Avait un parfum doux comme celui des fleurs.
S'il me voyait pleurer, il essuyait mes pleurs
Bien vite, et me ~.sait Bonne petite mère,
Pourquoi t'as du chagrin Suis pas méchant. Son père
LA MÈRE DU SUPPLICIÉ. 97
L'adorait, tous les deux nous étions fous de lui.
De tout cela que nous reste-t-il aujourd'hui ?
Rêver pour l'avenir d'un enfant tant de choses,
Et ne rien conserver de tous ces rêves roses
Rien qu'une tombe, hétas 1 tombe de meurtrier,
Sur laquelle on ne peut, qu'en se cachant, prier 1
Un meurtrier Non, non: N'est-ce pas, ma chère âme,
Que ce n'est pas toi qui commis ce crime infâme ?
Non, non, ce n'est pas toi. Qui ? moi, je n'en sais rien,
Mais ce n'est pas lui, non allez, je le sens bien 1
Il a fait des aveux Ce ne sont pas des preuves.
Les juges l'ont soumis à de telles épreuves,
Qu'il leur a dit C'est moi Plutôt que ta~t souffrir,
Le malheureux enfant a préféré mourir.
Un crime, lui Mon Dieu, vous, vous en qui j'espère,
Cela ne se peut pas, puisque je suis sa mcre
Je suis folle et je cherche en vain à m'abuser
Ce meurtre, il l'a commis, et vouloir l'excuser
N'est pas possible, non mais enfin, la justice,
Quand elle le condamne au suprême supplice,
Enlève au criminel même le repentir.
On peut bien, sans tuer un homme, le punir.
Pourquoi donc recourir à ce moyen extrême,
MONOLOGUES COMIQUES ET DRAMATIQUES.98
Et pour venger un crime, en commettre un soi-même ?
Punissez, il le faut et vous avez raison,
Vous avez pour cela le bagne et la prison,
Mais laissez-leur la vie ah Dieu même l'ordonne
C'est vous qui condamnez, mais c'est lui qui pardonne 1
Hélas 1 lorsqu'en plein jour, à la face des cieux,
Vous assemblez les bois du gibet odieux,
Vous ne sentez donc pas, quel quesoit le coupable,
Que vous dressez, spectacle atroce, épouvantable,
Sur un nouveau Calvaire une nouvelle croix ?
D'ailleurs, sachez-le bien c'est excéder vos droits,
C'est frapper dans sa chair une femme innocente,
Qu'oser tuer l'enfant, quand la mère est vivante
0 juges 1 cette femme a raison, et sa voix
Devrait vous rappelerla plus belle des lois,
La loi du Christ, qui dit Toute tête est sacrée.
Cette loi vous gênait, vous l'avez massacrée.
Et depuis, chaque jour, sans honte et sans remord,
C'est au nom de ce Christ quevous donnez la mort.
0 ciel c'est donc pour vous une bien belle fête,
De voir dans un baquet grimacer une tête ?
On prétend que rien n'est plushideux cependant.
99LA MERE DU SUPPUCtË.
Vous ne comprendrez donc jamais, en entendant
L'horrible grincement du couperet infâme,
Qu'en mutilant un corps, vous violez une âme ?
Hélas! non, tout cela l'on vous l'a dit cent fois,
Et vous êtes restés sourds à toutes les voix.
Rien ne peut vous fléchir c'est en vain que les mères
Viennent à vos genoux sangloter leurs prières
En vain que l'on vous dit L humanité défend
De tuer sous les yeux de sa mère un enfant
En vain, qu'à votre code opposant l'évangiïc,
On vons preuve combien la justice est fragile
Donc, il '.aut mieux, muets, laisser venir le jour
Où, juges, vous serez jugés à votre tour.
6.
DIPLOMATIE
Au petit William RICQUIER.
Je vous aime, chers bébés roses,
Mais voyez-vous, je ne sais pas,
Pour les faire rire aux éclats,
Dire aux bébés de folles choses.
Mes pensers sont souvent moroses,
Et souvent je pleure tout bas,
Traînant après moi, sur mes pas,
Un mal dont j'ignore les causes.
Si, quelquefois, pour mettre un peu
De joie au fond de votre œil bleu,
J'adoucis mon regard sévère,
Si ma tristesse se défend
C'est qu'un sourire de l'enfant,
Me vaut un sourire du père.
L'ACCROC
MONOLOGUE
Dit par M. TERVIL, du ~~d~ Variétés.
A mon ami F~RDtNANDUS.
I! y a quinze jours, je demande un congé
Pour aller voir mourir un vieil oncle que j'aiDans le département de la Meurthe-et-Moselle.
<*
Mon chef ne parut pas couper dans la ficelle
Pourtant il m'accorda ce que je souhaitais.
Le lendemain matin dès l'aube je partais,
Gai, content, altéré d'air libre et de verdure 1
(Car l'oncle n'était bien qu'une simple imposture.)
Je demande à la gare un billet pour Maçon,
Et je cours m'installer dans le dernier wagon,
Espérant être seul, mais espérance vaine 1
On ouvre la portière, un parfum de verveine
i04 MONOLOGUES COMIQUES ET DRAMATIQUES.
M'arrive dans le nez. Le froufou d'un jupon
Parvient à mon oreille, un tout petit peton
Se montre, puis un autre. enfin sur la banquette
Une dame s'assied. Je flaire une conquête.
J'aide la voyageuse à placer ses colis
Elle me remercie en termes très polis,
Tandis que, souriant, je regagne ma place.
Je ne savais pas trop comment rompre la glace
J'essayai cependant Il fait un bien beau temps,
Madame, et les fermiers doivent être contents.
Oh oui, monsieur.
On dit pourtant que la salade
Ne rend pas, et de plus, que l'avoine est malade.
Tant pis, monsieur, je plains les malheureux chevaux.
Oh 1 madame, voyez les jolis petits veaux,
Juste en face de vous, tout là-bas, sous les ornes 1
Je croyais que les veaux, monsieur, avaientdes cornes?
Non, pas eux Leurs papas et leurs mamans aussi.
Ils en auront plus tard. Nous parlâmes ainsi
Longtemps. Je commençais à trouver monotone
La conversation de la jeune personne.
Avec çaj'étoun'ais dans ce chemin de fer 1
J'ouvre un peu la fenêtre afin de prendre l'air
Voilà qu'en me penchant, 6 rage ô coup funeste 1
L'ACCROC. i05
Je sens se déchirer. Ce n'était pas ma veste,
Non, c'était ma culotte 1 Immobile, éperdu,
Je restais là, suant, tremblant, le dos tendu 1
Je craignais, en bougeant, que cette déchirure
S'augmentât, et n'osais rentrer dans Ir. voiture.
J'espérais que cela ne se voyait pas trop,
Que dû moins mon veston dissimulait. l'accroc
Mais la dame, soudain, tremblante de colère,
M'ordonne de m'asseoir or, la chose était claire,
Elle avait vu ce qui venait de m'arriver.
J'aurais donné cent sous pour pouvoir m'esquiver,
Et changer de wagon pour changer de costume.
Avec ça j'avais peur d'attraper quelque rhume.
Non, voyez-vous d'ici ma situation ?
Le train s'est arrêté C'est une station 1
Je prends mon sac et saute en bas de la voiture,
Et je cours me cacher derrière une masure
J'enlève vivement le maudit pantalon,
Je cherche dans mon sac, je fouille jusqu'au fond,
Je ne trouve dedans, oh l'angoisse mortelle
Qu'un pantalon de femme avec de la dentelle 1
Je comprends tout. Ce sac n'est pas du tout le mien.
C'est celui de la dame Il faut cependant bien
Que j'endosse cela, pour regagner la voie.
106 MONOLOGUES COMIQUES ET DRAMATIQUES.
Endossons je courrai pour ne pas qu'on me voie.
Une fois en wagon, j'expliquerai d'où vient
L'erreur à ma voisine et lui rendrai son bien.
Je revêts donc l'objet, sans mal, c'est assez ample,
Ce n'est pas tout à fait assez long, par exemple.
Enfin, c'est fait, je cours, craignant d'être en retard.
J'arrive juste à temps. pour voir le train qui part.
Je ne sais où me mettre Enfin, tant pis je m'arme
De courage et m'en vais trouver un grand gendarme
Que j'aperçois debout devant la station.
Je veux lui'raconter ma situation,
Mais aussitôt voilà ce haut fonctionnaire
Qui croit que je plaisante et me dit de me taire.
Moi j'insiste, il se fâche Allez-vous circuler,
Polisson Je comprends qu'il va me bousculer
Si j'ose résister. Alors, je prends la fuite,
Entrainant un essaim de gamins à ma suite.
Je suis tout en sueur je vais sans savoir où,
Manquant à chaque pas de me rompre le cou,
Fuyant devant la meute aux clameurs diaboliques,
Lorsque, soudain, je vois briller ces mots magiques
Au-dessus d'une porte « An guide du Bon Ton.
Habillements complets 1 » Je tourne le bouton.
Je produis un effet impossible à décrire.
L'ACCROC. i07
Les commis partent tous d'un grand éclat de rire.
La patronne se pâme au fond de son fauteuil,
Mais son mari m'indique, avec le doigt, le seuil,
Et me jette dehors. Je ne sais plus que faire 1
Que vois-je ? Le fanal rouge d'un commissaire 1
J'entre sans hésiter dans l'établissement.
Je veux tout raconter sans perdre un seul moment
L'intègre magistrat me dit avec malice
Qu'il sait tout. Il parait que déjà la police
Savait tout. Un agent m'emmène et me conduit
Dans un grand local triste et noir comme la nuit.
C'est un tailleur en gros, pensai-je. Mais la porte
Du fond s'ouvre. Un monsieur, suivi d'une cohorte
De garçons en livrée, entre, et me met ses doigts
Sur le crâne en disant Très bien, parfait, je vois
Ce qu'il faut. Je n'avais jamais vu, je le jure,Pour aucun pantalon prendre ainsi la mesure.
Déshabillez-vous vite, ordonne le tailleur
C'est drôle, comme il a le sourire railleur,
Me dis-je en retirant la fatale culotte.
Eh bien, ce pantalon, quand est-ce, je grelotte.
Otez d'abord tout ça.
–Comment? mais, s'il vous plaît,
Je n'ai pas demandé le costume complet.
MONOLOGUES COMIQUES ET DRAMATIQUES.i08
A ces mots, il fait signe aux garçons, on me roule
Sur le plancherainsi qu'on eût fait d'une boule,
Puis je sens tout à coup une avalanche d'eau
Qui m'inonde le corps en me glaçant la peau.
J'ai beau crier, hurler, leur jurer qu'ils se trompent,
Ils n'entendent rien, rien, et pompent, pompent, pompent t
Je me débats toujours comme un vrai forcené
Je comprendsmaintenant qu'on-ne m'a pas mené
Du tout chez un tailleur, mais dans quelque Bicétre
De province.Il fallut vingt jours pour me remettre
Et prouver que j'avais ma complète raison.
Ah 1 si vous voyagez,retenez la leçon 1
Souvenez-vous de mes tragiques aventures,
Et de vos pantalonsvisitez les coutures 1
?
IDYLLE
AM.JCMR!CHEP!N.
Elle traine, la pauvre fille,
Une monstrueuse guenille,
Funèbre épave des salons,
Qui bat, boueuse, ses talons,
Et que le sirop des soirées
Diapre de taches moirées.
Contente d avoir sur la peau
Cet étrange et sale oripeau,
Elle rit, gazouille et caquette
Au bras d'un grand gas en casquette,
Qui se donne des airs vainqueurs,
En lissant ses accroche-cœurs.
MONOLOGUES COMIQUES ET DRAMATIQUES.iiO
Ils vont, sur la route poudreuse,
Lui, gontlé d'orgueil, elle, heureuse.
La nature rit à ces gueux
Qui passent, les yeux dans les yeux,
En se jurant, folle promesse,
Que leur amour vivra sans cesse.
Mille parfums embaument l'air
Tout au loin, le tintement clair
D'une vieille cloche résonne,
Et l'angélus du matin sonne
Les papillons boivent les pleurs
De l'aube au calice des fleurs
Dans le ciel bleu, les hirondelles
S'entre-croisent à tirc-d'ailes
Moineaux, fauvettes et pinsons
Chantent, cachés dans les buissons,
Que l'aurore vermeille azure,
Et la brise bat la mesure.
Et nos deux pâtes amoureux,
Poussant des soupirs langoureux,
Écoutent, ravis, ces murmures
En cueillant aux buissons des mures.
Puis, lassés d'entendre et de voir.
Ou bien seulement pour savoir
IDYLLE. in
Si là~ tout près, dans le bois sombre,
On pourrait trouver un peu d'ombre,
On les voit sous les noirs arceaux
Que forment les vei~s abrisseaux,
Disparaitre à leurs pieds, la mousse
S'étale verdoyante et douce,
Et les invite à s'allonger
Quelques minutes pour. songer.
Et les voila couchés dans l'herbe,
Et conjuguant l'éternel verbe.
Les oiseaux roucoulent toujours,
Mais nos amants sont déjà sourds.
La fille minaude, coquette,
Et dit que. non, à la casquette,
Se débat. puis enfin se rend
Et leur regard se perd mourant,
Au milieu de ces harmonies,
Dans des extases infinies.
SUR UN LIT D'HOPITAL
POÉSIE
Dite par M. JoLLY, Membre de M Soct~ lecture et
de récitation.
A M. le docteur CAMPE!<ON.
Sur son lit de douleurs, un moribond se tord.
L'air manque à ses poumons il râle, étouffe et mord
Ses bras nus et crispés. Il se débat la fièvre
Glace son corps morbide et dessèche sa lèvre.
Ses dents claquent. Ses yeux hagards, secs et vitreux,
Vacillent, éperdus, dans leur orbite creux.
Un hoquet le secoue et s'éteint dans sa gorge,
Avec un bruit pareil au soufflet d'une forge.
La crise est plus aiguë. Il bat l'air de ses bras,
Et de son pied nerveux rejette au loin les draps
Sous lesquels il grelotte et dont le poids l'écrase.
Puis il se calme, il cherche à parler. mais la phrase
ii4 MONOLOGUES COMIQUES ET DRAMATIQUES.
Expire en son gosier. La sueur de la mort
Perle à son front. Il tente, en un suprême effort,
De s'arracher d'un bond à la fatale couche,
Sur laquelle le tient cloué le mal farouche
Mais c'est en vain qu'il cherche à se tenir debout,
Qu'il s'accroche aux rideaux, à la muraille, à tout
En vain, ses doigts tordus cherchent un point solide,
Pour appuyer un peu sa pauvre tête vide
Sur ses genoux osseux, son corps tremble et faiblit,
Il chancelle et retombe épuisé sur son lit.
C'en est fait Il comprend maintenant que son heure
Va sonner. Une larme à ses yeux monte. Il pleure
Il pleure son enfance et ses jeunes amours
Il pleure ses meilleurs et ses plus mauvais jours
Il pleure les grands bois pleins d'ombre et de silence
Qu'affectionnait tant sa rêveuse indolence 1
La plaine, où méditaient, penchés, les épis blonds 1
L'herbe haute des prés Les verdoyants vallons
Tout son passé revit dans un lointain mirage
« La maison paternelle au milieu du village i
» Le calvaire, où depuis le dernier jubilé,
» Pourrissent les débris d'une gerbe de blé
» Le vieux clocher perdu dans un fouillis de branches
SUR UN LIT D'HOPITAL. U5
x Les volets verts ou gris des maisonnettes blanches
ML école, dont les bancs étaient vite déserts,
» Quand le printemps posait ses premiers tapis verts 1
La grand'placeoù les vieux faisaient sauter les quilles,
» Pendant que les garçons faisaient danser les filles 1
x Les ruines de granit du féodal manoir,
n Qu'on allait, deux par deux, visiter chaque soir
Les couples se glissaient furtifs comme des ombres,
Sous les arceaux voûtés des grands corridors sombres
M La, l'écho redisait ces mille riens charmants,
.) Quel'amour fait fleurir aux lèvres des amants.
') Et les pas résonnaient sur les dalles antiques,
» Où les corps dessinaient des ombres fantastiques.
» Puis bientôt, dans la nuit, ces ombres s'effaçaient,
» Les pas ne sonnaient plus, les murmures cessaient,
» D'autres nids s'élevaient près des nids d'hirondelles,
n Et soupirs et baisers se mêlaient aux bruits d'ailes.
» Mais quand venait l'aurore aux reflets diaprés,
Lorsque sonnait l'heure où mille insectes nacrés
» Commencent à chanter sous les vertes fougères,
» Les ombres, tout à coup, disparaissaient, légères,
» Délaissant du manoir les amoureux abris
MONOLOGUES COMIQUES ET DRAMATIQUES.~6
H En les voyant passer, en entendant leurs cris,
» Les lourds piliers devaient sentir leur cœur de pierre
Tressaillir de plaisir sous leur corset de lierre.
» Adorable réveil Le parc silencieux,
» S'emplissait brusquement de mille bruits joyeux.» Dans les airs, dans les prés, dans les bois et les plaines,
» Les oiseaux mêlaient tous leurs voix aux voix humaines
» Oui, tout chantait Amants, fauvettes et pinsons,
» Et la brise, en passant, moissonnait leurs chansons! a
Le pauvre moribond, les paupières mi-closes,
Regarde vaguement tous ces horizons roses.
Perdu dans le passé, le présent, l'avenir,
Il a tout oublié, pour se mieux souvenir.
Et comme le pêcheur après un jour d'orage,
Il sent renaître en lui l'espoir et le courage.
Ses maux sont terminés, il ne sent plus son mal
Il ne voit plus les lits tout blancs de l'hôpital
Ni la sœur qui sourit doucement sous son voile,
Et lui montre, à travers les vitres, une étoile.
Les choses qu'il voit sont les choses d'autrefois
Et les bruits qu'il entend sont de lointaines voix t
Allons dit-il, allons c'est la fin du martyre
Et son âme s'enfuit dans un dernier sourire.
7.
LE PME
A mon ami ALBOuv.
Sois sage,
Moqueur
Beau page
Sans peur.
Ménage
Ton cœur,
Volage
Vainqueur.
La rose
Éclose
Mourra.
Vieillesse
Suivra
Jeunesse.
coco
A ÉMILE BOUCHER.
Le couvert est dressé Monsieur se met à table.
Madame est d'une humeur atroce, épouvantable:
Coco, son perroquet, a failli se casser
Les pattes en voulant sauter pour l'embrasser.
Dam elle lui sourit, le caresse et le baise
Tant, que Coco finit par la trouver mauvaise.
Il donne à sa maîtresse un gentil coup de bec,
Emportant et la chair et l'épiderme avec,
Et s'en va se percher sur le bord d'une assiette.
Monsieur veut lui donner un coup de sa serviette.
Mais madame lui dit, qu'il n'a pas fait exprès,
Et que c'est en jouant qu'il est toujours après,
MONOLOGUES COMIQUES ET DRAMATIQUES.120
Et qu'il est, en un mot, plus bête que la bête.
Viens, mon petit Coco, grrrater, grrrater la tête,
Coco, se sentant fort, se met à fourrager
Dans les plats, comme un coq dedans un potager.
Enfin, juché dessus le bord de la soupière,
II aiguise son bec comme sur une pierre.
Le perroquet s'en donne à loisir, mais voilà
Qu'il laisse choir sous lui. dans le tapioca,
Une substance molle et visqueuse et verdâtre.
C'est. tout juste, c'en est. Alors, coup de théâtre
Et monsieur, cette fois, de colère pâlit.
Madame en souriant prend le corps du délit
Dans sa cuiller Tu vois que c'est bien peu de chose.
C'est trop fort, dit monsieur, tu m'aimes, je suppose,
Plus que ce perroquet ? Je gagerais pourtant
Que tu te fâcherais si j'en faisais autantj*
LA VALSE DES FEUILLES
A mon ami ERNEST RoY.
Tourbillonnez Tombez, feuilles légères
Obéissez aux caprices du voit.
Ici tout passe et l'homme, bien souvent,
Voit fuir ainsi ses rêves éphémères.
Envolez-vous, feuilles légères 1.
Envolez-vous
Dans les fougères,
Vous trouverez un lit bien doux.
Feuilles légères,
Envolez-vous.
L'hiver a mis son baiser sur vos charmes,
Et vous mourez du baiser de l'hiver.
En vous voyant tourbillonner dans l'air,
On croirait voir les cieux verser des larmes.
i22 MONOLOGUES COMIQUES ET DRAMATIQUES.
Envolez-vous, feuilles légères
Envolez-vous 1
Dans les fougères,
Vous trouverez un lit bien doux.
Feuilles légères,
Envolez-vous.
Qui sait, qui sait, si la feuille qui tombe
N'est pas, hélas une âme qui s'enfuit ?
Quand on la voit s'abimer dans la nuit,
On croit toujours voir s'ouvrir une tombe.
Envolez-vous, feuilles légères 1
Envolez-vous
Dans les fougères,
Vous trouverez un lit bien doux.
Feuilles légères,
Envolez-vous.
Vous reviendrez vous balancer aux arbres,
Car votre nuit, ô feuilles, n'a qu'un temps.
Vous reviendrez, mais, hélas le printemps
Ne rend pas ceux qui dorment sous les marbres.
LA VALSE DES FEUILLES. i23
Envolez-vous, feuilles légères 1
Envolez-vous 1,
Dans les fougères,
Vous trouverez un lit bien doux.
Feuilles légères,
Envolez-vous.
LE LION
roÉStE
Dite par M. Philippe GARNiER, de la Comédie-Française.
A mon ami MATmvET.
Un jour, certain dompteur de foire,
Dont le nom flétri par l'histoire
De tous est, hélas trop connu,
Étant, disait-il, parvenu
A vaincre un lion féroce,
Avait convié ses amis
A venir contempler, spectacle infâme, atroce,
L'animal-roi, qu'à coups de crosse,
Le lâche avait soumis.
Terrible, aveuglé par la rage,
Brisé de honte et de douleur,
i26 MONOLOGUES COMIQUES ET DRAMATIQUES.
Le lion bondit dans sa cage
Sous les coups de son 11er dompteur.
Au-dessus de son front la cravache tournoie,
Et son hideux sifflement
Le fah rugir sourdement
Et son œil, qui la suit dans l'espace, flamboie.
Ses poils se sont dressés
Sur son dos qu'elle effleure..
C'en est trop, c'est assez
Le lion veut avoir et son tour et son heure.
Allons debout lève-toi
Défends ton titre de roi 1
On croit ta force brisée,
Va, défends, ô géant, ton pouvoir contesté
Montre à la foule électrisée,
Qui de ta grandeur fait une risée,
Qu'on ne touche pas à ta majesté.
Bondis, comme autrefois dans les bois et les jungles.
Que tes cris, qu'on entend la nuit dans les déserts,
Déchirent de nouveau les airs 1
0 lion, aiguisetes
ongles,
Brise tes barreaux,
Arrache ta chaîne,
Et crache ta haine,
LE LION. i27
A la face de tes bourreaux
Ah 1 nains, vous n'osez plus rire,
A son tour, le géant vous fait trembler de peur 1
Et toi, superbe dompteur,
Ton regard a-t-il donc perdu tout son empire ?
Allons donc, affermis ta voix,
Et prends ton air le plus bravache.
Va, \a, fais siffler ta cravache,
Frappe frappe encore une fois
Mais quoi,la terreur les glace ?
Tous restent cloués à leur place,
Et regardent, tremblants, le lion f'ineux,
Dont les yeux fascinent leurs yeux ?
Hourra de nouveau dans l'espace,
Le long fouet se déroule et l'enlace.
Ah malheur à vous, Imprudents t
Cingle par la lanière,
Le lion, les yeux ardents,
A secoué sa royale crinière,
Et va vous déchirer, lâches, avec ses dents.
Sous ses griffes de fer déjà la cage cède.
A terre, les barreaux tordus gisent épars,
MONOLOGUES COMIQUES ET DRAMATIQUES.128
Et tous les spectateurs que la terreur possède,Cherchent à fuir alors, éperdus et hagards.
Le lion dressant sa noble tête
Passe au milieu d'eux
Calme et majestueux.
Et devant la royale bête,
Tous s'inclinent épouvantés.
Mais voyant qu'au loin il va disparaitre,
Ils sentent tout à coup leur audace renaître
A mort hurle-t-on de tous les côtés.
Mais la foule soudain recule frémissante
Le lion s'est arrêté,
Et de sa gorge haletante,
Sortent ces trois mots, dits d'une voix éclatante
« Salut, sainte Liberté t
TOINON
A Mlle K. de l'Odéon.
Qui danc résisterait à ta beauté, Toinon
Et qui n'aimerait pas tes charmes diaboliques ?
S'il pouvait de sa main caresser ton menton,
~aM même oublîrait un instant ses coliques.
7ar<M~ ce dévot. ou plutôt ce fripon,
Qui rougit saintement à toutes tes répliques,
Si tu lui disais Oui, ne répondrait pas Non.
J'en jurerais, malgré ses airs évangéliques.
Le public te chérit, il aime ta gaîté,
Tes ruses de gamin, tes airs d'enfant gâté.
Il aime de tes mots l'allure cavalière.
Et tandis qu'il se brûle aux flammes de tes yeux;
Les sonores éclats de ton rire joyeux
Jusque dans son tombeau vont réveiller Molière 1
REYIENS!
Elle est sourde à ma voix qui l'appelle et soupire
Seuls les grands arbres verts
Entendent chaque nuit les plaintes de ma lyre,
Mes sanglots et mes vers.
Ah reviens Loin de toi, mon âme se déchire
Viens dans mes bras ouverts,
J'oublierai, chère amante, en voyant ton sourire,
Tous les tourments souuerts.
L'onde de nos ruisseaux a gardé ton image
Le merle, tes chansons le sable du rivage,
L'empreinte de tes pas.
Ah 1 reviens à ton nid, fugitive hirondelle 1
A nos serments d'amour je suis resté fidèle,
Et je ne t'en veux pas 1
CONTRASTES
A mon ami RtcouAM.
La femme est toujours grosse et l'homme toujours plein
Elle lutte et travaille, et lui, gronde et se plaint
Vaillante, elle accomplit sans murmurer sa tache;
Sans honte, il dort, il mange, et se saoule, le lâche
Contre la pauvreté la femme se débat,
Et ça fait rigoler son homme qui la bat
Elle tient avec soin sa mansarde proprette,
Lui, brise tout, quand il a bu, dans la chambrette
Elle donne à ses fils de morales leçons,
Lui, braille devant eux de grivoises chansons.
Voilà dix ans bientôt qu'ils demeurent ensemble,
Que l'homme jure et frappe et que la femme tremble
i34 MONOLOGUES COMIQUES ET DRAMATIQUES.
Et pourtant quand revient le soleil du printemps,
Ils s'en vont le dimanche avec tous leurs enfants,
Pleins de .~oie, oublieux et des coups et des scènes,
Courir comme des fous dans le bois de Vincennes.
Ils reviennent le soir, en se tenant la main,
Et chantant des chansons tout le long du chemin
Puis, petit à petit, l'homme devient plus tendre,
Et la femme, penchée afin de mieux entendre,
Écoute en souriant parler le dieu d'amour. y
Et met, neuf mois après, un nouveau 111sau jour.
ADAMET EVE
MONOLOGUE
Dit par MM. CoquEUN M~<, sociétaire de la Comédie-
Française et TousÉ, du Thédtre national de l'Odéon.
A mon ami Paut BtLHAuo.
Eve ayant mordu dans la pomme,
De son paradis Jéhovah
La chasse, avec Adam son homme
Tous deux s'en vont cahin-caha.
Après avoir à l'aventure
Erré longtemps, longtemps, longtemps
Sans feu, sans abri, sans pâture,
Affamés, moulus, grelottants,
Tous deux s'assirent sur la mousse,
A l'ombre d'un jeune bouleau
Adam, brisé par la secousse,
Se mit à pleurer comme un veau.
136 MONOLOGUES COMIQUES ET DRAMATIQUES.
Eve, voyant pleurer son homme,
Épongeales pleurs de ses yeux,
Avec les feuilles de la pomme,
Qu'elle gardait dans ses cheveux.
Sa main caressa l'épiderme
D'Adam très amoureusement
Mais lui, d'une voix rude et ferme,
L'envoya dinguer brusquement.
Va-t-en, dit-il, femme adultère
Toi, qui causas tous mes malheurs 1
Toi, par qui je vais, sur la terre,
Éprouver toutes les douleurs.
Eve n'osant pas lui répondre,
Mâchonnait de l'herbe et des fleurs;
Adam continuait à fondre
En un vrai déluge de pleurs.
Ah Seigneur geignait-il,c'est eUe
Qu'il fallait frapper, non pas moi.
Pourquoi donc me punir, pourquoi ?
Votre vengeance est trop cruelle 1
ADAM ET ÈVE. t37
Tiens, dit la mère Ève, as-tu pas
Mangé de la pomme que l'ange. ?
C'est vrai, mais lorsque tu me l'as.
Je t'ai dit Zut Tu m'as dit Mange
Ah tiens, tu me pousses à bout
Je ne t'ai pas forcé, j'espère ?
Mais si. tu m'as fait manger tout,
Oui tout, jusqu'au trognon. vipère
Dis donc, tache d'être poli.
D'où sors-tu donc ?. Est-ce ma faute,
Si t'es à moitié ramolli,
Depuis qu'il te manque une côte ?
Ingrate Va donc, désossé
Dieu voulait que j'eusse une femme,
Mais je m'en serais bien passé,
Je te le jure sur mon âme.
Oh menteur -Je vivais en paix,
Seul avec les fleurs et les bêtes,
Jamais d'ennuis, non, rien jamais,
Tout était pour moi plaisirs, fêtes
i38 MONOLOGUES COMIQUES ET DRAMATIQUES.
J'avais toujours quelque chanson
Joyeuse sur la bouche ah dame 1
En ce temps-là, j'étais garçon,
Vous n'étiez pas encor, madame 1
Hélas un jour je m'endormis
Sur le gazon, quelques minutes.
Au côté soudain je sentis
Un chatouillement. et vous fûtes.
Dès lors, le céleste courroux
S'est abattu sur moi, terrible
Depuis que je suis avec vous,
Ce que j'ai souffert, c'est horrible 1
D'abord, tout au commencement,
Insensé je trouvais ça drôle
D'être mari mais promptement
Je me suis lassé de mon rôle.
Vous êtes sotte, propre à rien,
Bavarde, sale. un caractère 1
Mon cher époux, je vous vaux bien.
Fais-moi le plaisir de te taire.
ADAM ET EVE. 139
J'ai bien le droit de parler? Non.
Je veux parler tout seul, madame.
C'est le moyen d'avoir raison.
Je suis l'homme, moi, vous, la femme.
Osez-vous bien, après l'affront
Que vous m'avez valu, traîtresse,
Relever encore le front,
Et venir parler en maîtresse ?
Par votre faute, j'ai perdu
La paix, le bonheur, l'espérance
Mes jours, vous l'avez entendu,
S'écouleront dans la souffrance
Ah si du moins, Dieu m'avait mis,
Seul, hors de la céleste enceinte
Je me serais alors soumis
Sans peine à sa volonté sainte.
Mais non, il vous chasse avec moi,
Nous attache à la même chaîne 1r
Il faut, me courbant sous sa loi,
Qu'avec moi, toujours je vous traine 1
140 MONOLOGUES COMIQUES ET DRAMATIQUFS.
Il gémit ainsi tout le jour,
Ève, se sentant bien coupable,
Dépensait des trésors d'amour 1
C'était beau, touchant, lamentable
Or, vers le soir, Dieu descendit,
Et, frappant Adam sur l'épaule.
Il le fit lever, et lui dit
« Sèche tes larmes, mauvais drôle.
B J'ai tout entendu, de là-haut.
o Ah tu m'accuses d'injustice 1
.) Polisson qu'est-ce qu'il te faut,
o Et que voulais-tu que je fisse ?
o Réfléchis un peu. Mon courroux
« Fut bien moins grand que votre crime
« Je fus certainement trop doux.
n Et tu te poses en victime ?
( Oui, je t'ai dit Tu souffriras
« Dans ton corps, tes fils et ta femme.
« Travailleras et gémiras,
<Jusqu'à ce que tu rendes l'âme.
i4iADAM ET EVE.
« Mais je pouvais doubler tes maux
» Et te donner dans ma colère. H
Quoi ? dit Adam, tendant le dos.
« Quoi, monsieur? Une belle-mère »
Et cela dit, Dieu s'envola,
Laissant les deux époux à terre.
C'est, dit-on, dans cette nuit-la
Qu'Adam fut notre premier Père 1
Dite par M. ÀLBOUY, m~m&r~ Société de lecture
de récitation
SUR LES EAUX
POÉSIE
A mon ami Ch&rlea ORRiER.
La barque se balance
Mollement sur les eaux.
Ainsi qu'un vol d'oiseaux,
La barque se balance.
.Charmante d'indolence,
Au milieu des roseaux,
La barque se balance
Mollement sur les eaux.
Le matelot fredonne
Un chant doux et plaintif.
Laissant aller l'esquif,
Le matelot fredonne.
i44 MONOLOGUES COMIQUES ET DRAMATIQUES.
Et la bise d'automne
Glace son front pensif.
Le matelot fredonne
Un chant doux et plaintif.
Sur le bord il se penche
Et veille à l'hameçon.
Sans taire sa chanson,
Sur le bord il se penche.
Accroupi sur sa planche,
Il guette le poisson.Sur le bord il se penche
Et veille à l'hameçon.
L'astre de feu s'iucline
Et descend lentement.
Dans le bleu firmament
L'astre de feu s'incline.
Empourprant la colline
De son rayonnement,
L'astre de feu s'incline
Et descend lentement.
Le vent gonfle les voiles
Avec un bruit joyeux.
i4XSURLES EAUX.
Souffle mystérieux,
Le vent gonfle les voiles,
Et déjà des étoiles
Se montrent dans les cieux.
Leventgonueiesvoites,
Avec un bruit joyeux.
La lune argente l'ombre,
De son pâle reflet.
Autour du batelet,
La lune argente l'ombre.
Le pécheur, sans encombre,
Retire son filet.
La lune argente l'ombre
De son pâle reflet.
Le pécheur sur la rive
Laisse là son bateau,
) 'uis il prend son manteau,
Le pêcheur, sur la rive.
Et d'une allure vive,
''ravissant le coteau,
Le pécheur sur la rive
Laisse là son bateau.
i46 MONOLOGUES COMIQUES ET DRAMATIQUES
Il rentre en sa chaumine,
Et dort jusqu'au matin.
Chargé de son butin,
Il rentre en sa chaumine.
Sur la route il chemine,
Content de son destin.
Il rentre en sa chaumine,
Et dort jusqu'au matin.
Demain, avant l'aurore,
L'onde le bercera.
M recommencera
Demain, avant l'aurore;
Sur la vague sonore,
Sa barque glissera.
Demain, avant l'aurore,
L'onde le bercera.
A VICTOR HUGO
26 février 1881.
Écoutez ces rumeurs, écoutez ces longs cris
D'amour, d'allégresse et de fête
C'est l'antique cité, Paris, le grand Paris,
Qui vient saluer son poète.
Oui, les fils de Paris, ces éternels amants
Des sublimes apothéoses,
Viennent au grand Hugo,–pour ses quatre-vingts ans,
Offrir des bleuets et des roses.
Oui, Paris, oui, la France, un peuple tout entier
Célèbre son anniversaire,
Et vient orner ici, d'un immortel laurier,
Le front du grand octogénaire.
i48 MONOLOGUES COMIQUES ET DRAMATIQUES.
0 peuple, tu fais bien d'honorer ce vieillard,
De saluer ce fier génie,
DoLt l'œuvre, immense et forte, a régénéré l'art
Et fait plus grande la Patrie.
C'est lui qui, hautement, dans sa prose et ses vers,
Plaida, peuple, ta cause sainte,
Qui, le premier, souffrit des maux par toi soufferts,
Et, le premier, comprit ta plainte.
Quand il parle de toi, comme ils sont beaux, les chants
Tombés de sa puissante lyre
Indulgent aux petits, implacable aux méchants,
C'est pour toi son meilleur sourire.
C'est pour toi, pour toi seul, que sa terrible voix
A toute heure s'est fait entendre
Et lorsque l'on cherchait à violer tes droits,
Il était là pour les défendre.
Of, tous les peuples, tous, se tournèrent vers lui, t
Vers le grand poète de France
Et, tels que des marins, lorsque l'orage a fui;
Tous murmurèrent Espérance 1
i49A VICTOR BU60.
Hugo plaida pour eux. Formidable, sa voix
Eut les grands éclats des tonnerres,
Et tout à coup l'on vit, en l'entendant des rois
Pâlir d'effroi dans leuro repaires.
Ce vaillant défendit le faible On l'exila.
Va, sur des rives étrangères,
Quitte le sol natal ton souvenir est là,
Vivant, dans le cœur de tes frères
Mais ces temps ne sont plus, et les rois à leur tour
Ont entin passé la frontière.
Pour jamais cette fois, l'ombre a fait place au jour
Tu peux rayonner, ô lumière
Peuple, tu peux chanter, tu peux jeter des tleurs
A celui qui prit ta défense,
A celui dont les chants, en t'arrachant des pleurs,
Ont su consoler ta souffrance.
Relis son œuvre entière, une à une parcours
Les pages par sa main tracées
Qu'il chante les enfants, les combats, les amours
Partout d'immortelles pensées
i50 MONOLOGUES COMIQUES ET DRAMATIQUES.
Relis les C~a<«/ lies Odes, les Rayons,
Cromwell, Angélo, Notre-Dame,
Claude Gueux, Bug-Jargal, les Contemplations
Partout, un reflet de son âme 1
Relis Mary 7'M~' et la Esméralda,
Les Burgraves, le Roi s'amuse,
Marion, H.î-nani, Ruy-Blas, Borgia
Ces perles que pleura sa muse.
Oh relis cette prose et ces superbes vers,
Cette œuvre et si forte et si belle,
Cette œuvre que tout bas jalouse l'univers,
Parce qu'il la sait immortelle.
Relis enfin ce livre où sont peints tous tes maux,
Relis, peuple, les ~M~'a&/M
Qui jamais exprima des sentiments plus beaux,
Dans des pages plus admirables?
Et toi, Victor Hugo, poète aux cheveux blancs,
Quels chants nouveaux vas-tu nous dire ?
0 chante, chante encor –Oui, dans tes doigts tremblants,
Grand poète, reprends ta lyre 1
A VICTOR HUGO.i5t
Chante Pour écouter ta voix, tout l'univers
Déjà s'incline et fait silence
Il faut, poète,il faut, avec de nouveaux vers,
Payer le bouquet de la France
NON!
CHANSONNETTE
AfMStt~ M. CRESSONNOIS-
Il me disait Ma Lucette,
Je t'aime plus que le jour
Quand donc, cruelle coquette,
Me paieras-tu de retour ?
Il fait nuit, la lune brille
La-haut dans le firmament,
Avec moi, sous la charmille,
Viens-t-en jaser un moment.
Cela me semblait bon, bien bon.
D'entendre de s. douces choses
Pourtant, les paupières mi-closes,
Je répondais toujours Non, non
~r/c) Oh non.
MONOLOGUES COMIQUES ET DRAMATIQUES.i54
Il disait: Viens sur la mousse,
Nous asseoir pour écouter
Le bruit de l'herbe qui pousse,
Et le rossig~ chanter.
Dans leurs nids, les hirondelles
Font place à leurs amoureux,
0 Lucette, fais comme elles,
Et moi, je ferai comme eux.
Cela me semblait bon, bien bon,
D'entendre de si douces choses
Pourtant, les paupières mi-closes,
Je répondais toujours Non, non
(Parlé) Oh non.
Puis il me prenait la taille,
Et pour le faire tâcher,
Il fallait livrer bataille,
Et tout rouge se fâcher.
Je veux sur ta tc\re rose,
Disait-il, prendre un baiser
Un baiser, c'est peu de chose,
Tu peux bien me l'accorder.
i5oNON.
Cela me semblait bon, bien bon,
D'entendre de si douces choses
Pourtant, les paupières mi-closes.
Je répondais toujours Non, non
~!r/<~ Oh non.
Aujourd'hui je suis sa femme,
H a mon cœur et ma main
Pour deux, nous n'avons qu'une amc,
Et Dieu bénit notre hymen.
Ah dam c'est lui qui commande,
C'est à l'homme d'ordonner,
Et ce qu'un mari demande,
Sa femme doit lui donner.
Cela me semble bon, bien bon,
D'obéir, et pour bonne cause
Aussi, lorsqu'il veut. quelque chose,
Je ne réponds jamais: Non, non 1
~Par/c~ Oh non.
Dans notre gentil ménage,
Tout est aimable et riant
Huit gros bébés sont le gage
i56 MONOLOGUES COMIQUES ET DRAMATÏOUES.
D'un bonheur toujours croissant.
Tout cela rit, cabriole,
Chaque soir autour de nous
Et mon cher époux raffole
De ses bambins à t'ceit doux.
Cela lui semble bon, si bon,
Que s'il veut avoir la douzaine,
Pour ne pas lui faire de peine,
Je ne répondrai pas Non, non
~Par~On! non.
CHAUD LES MARRONS!
POÉSIE
Dite par M. PEUTAT, du ~~<r<? national de FO~o~t.
A mon ami Georges LoMN.
Chaud, là, les marrons, chaud Il gèle. Le bitume
Craque sous les pieds froids du passant qui s'enrhume.
Chaud là, les marrons, chaud La bise en sifflant tord
Les arbres dépouillés du boulevard et mord,
Féroce, tous les nez qu'en route elle rencontre.
Chaud là, les marrons, chaud Dansrombre.appuyécontre
Un réverbère éteint par te vent, un petit,
Que sans doute décembre a mis en appétit,
Demande en grelottant un petit sou pour vivre
Mais il voit, un par un, tous les passants se suivre.
Et pas le moindre sou ne tombe dans sa main.
Chaud là, les marrons, chaud 1Il mangera demain.
i58 MONOLOGUES COMIQUES ET DRAMATIQUES.
Mais, là-bas, un monsieur –qu'une pelisse immense
Enveloppe des pieds à la tète, s'avance
L'enfant quitte sa place et court à lui tout droit
Un sou ?
–Non.
J'ai faim
Non.
Monsieur
Il fait trop froid.
Et le monsieur,- plongeantson museau dans sa loutre,
Fait deux petits brrr, brrr, et guilleret, passe outre.
Chaud là, les marrons, chaud Le savoyard du coin,
Le marchand de marrons, voit la scène de loin
Approche ici, petiot Viens-t-en chautfer tes pattes
Et le pauvret, au feu, tend ses mains écarlates.
Il rayonne oit c'est chaud oh ça brûle oh c'est bon
Et puis il rit tout haut des tic-tic du charbon.
Prends des marrons, va, mange; un peu de vin, tiens,
[liche,
Dit le vieux savoyard, j'en serai pas moins riche.
Et l'enfant mange et boit en regardant le vieux,
Le vieux qu'il remercie en clignotant des yeux.
T'as fini ?
Hop alors, en deux temps, passe au large
CHAUD LES MARRONS i59
Et tâche de ne pas revenirà la charge.
Merci, m'sieur.
Pas de quoi, va te coucher, crapaud.
Et l'enfant disparaît. Chaud là, les marrons, chaud t.
Dans les petits bateaux
Qui glissent sur les eaux,
A mon ami DELAMUR.
Dans les petits bateaux
Qui glissent sur les eaux,
On voit, quand il fait sombre,
Des couples enlacés,
Et l'on entend dans l'ombre
Ces mots Chut Finissez
Quel est donc ce mystère ?
Qu'est-ce qu'on peut bien faire
Dans les petits bateaux
Qui glissent sur les eaux '?
DANS LES PETITS BATEAUX
MONOLOGUES COMIQUES ET DRAMATIQUES.i62
Parfois une voix fraîche
Roucoule une chanson
Pourtant le bruit empêche
Qu'on prenne du poisson.
Quel est donc ce mystère ?
Qu'est-ce qu'on peut bien faire
Dans les petits bateaux
Qui glissent sur les eaux ?
Dans les petits bateaux
Qui glissent sur les eaux,
L'on rit et l'on babille
Puis chaque matelot
Bientôt se déshabille,
Mais aucun n'entre à l'eau.
Quel est donc ce mystère ?
Qu'est ce qu'on peut bien faire
Dans les petits bateaux
Qui glissent sur les eaux ?2
Mais les petits bateaux
Qui glissent sur les eaux,
S'éloignent de la rive
Et les gais matelots
~63DANS LES PETITS BATEAUX.
S'en vont à la dérive
Sur ie dos bleu des flots.
C'est dangereux peut-être,
Mais je voudrais bien être
Dans les petits bateaux
Qui glissent sur les eaux
CASINO DE*
POÉSIE
Dtf~ par M. DuARD, du Conservatoire.
A M. Ernest DAMÉ.
La foule des danseurs emplit le Casino.
Violons et pistons, trombone et piano,
Geignent avec ensemble, oh sans pourtant se suivre t
La corde ayant fini toujours avant le cuivre.
Sous les lustres de gaz, les fringants cavaliers
Jettent de longs regards sur les frais espaliers
Que forment deux cents miss pimpantes~! coquettes
N'attendant qu'un signal pour quitter les banquettes.
L'orchestre a préludé. Sur le parquet ciré,
Chaque groupe s'élance et tournoie enivré
Les jupes en tournant battent comme des ailes,
Les bijoux et les ~eux lancent des étincelles,
AU
i66 MONOLOGUES COMIQUES ET DRAMATIQUES
Et le troupeau bavard des mères, dans un coin,
Surveille en souriant chaque groupe de loin.
Mais tout à coup, l'orchestre, avare d'harmonie,
Geint les derniers accords et la valse est finie.
Ma foi, mes beaux danseurs, vous me semblez si laids,
Que je vais m'allonger la-bas sur les galets,
Et chercher, solitaire, a reprendre le rêve
Ébauché ce matin sur le bord de la grève.
Vovez-vous, je préfère à vos lustres, la nuit
A vos rires joyeux, je préfère le bruit
Plaintif et régulier de la lame mauvaise
Qui se tord courroucée en battant la falaise.
Ici, c'est la folie agitant ses grelots,
Là-bas, la mer pleurant de lugubres sanglots
Ici, c'est le mensonge et la haine et l'envie,
Là-bas, c'est le pardon, la prière et la vie
Ici, c'est le réel, là-bas, le rêve bleu
Ici, l'enfer ici, les hommes; là bas Dieu 1
PRIMA
MONOLOGUE
Dit par M. GALIPAUX, du thédtre dit Palais-Royal.
A M. le docteur CouRSSERAKT.
C'était, je m'en souviens, par un soir de printemps
J'étais tout jeune encor, j'avais, je crois, seize ans.
Depuis longtemps déjà, j'endormais, plein de crainte,
Les désirs enfermés en mon amc contrainte
Mais, à les endormir, je m'appliquais en vain
Un instant assoupis, ils renaissaient soudain.
Sur le point de. faillir, la crainte de mon père,
Me retenait encor, je craignais sa colère.
Puis je me rappelais ce qu'il m'avait prédit
Sije/ Dieux Quel tableau Ne m'avait-il pas dit
Du plaisir convoité toutes les perHdies ?
Ce qu'il en résultait de maux, de maladies `I
168 MOXOLO&UES COMIQUES ET DRAMATIQUES.
J'avais peur. et pourtant, vers le fruit défendu
Malgré moi s'étançait tout mon être éperdu
D'une force invincible innocente victime,
Je sentais que mes pas me portaient à l'abime
Puis, sans cesse une voix me répétait tout bas
« On se moque de toi crois-moi, n'écoute pas
» Ces contes inventés pour t'effrayer en somme
)) Tous les hommes font. ça. N'es-tu doncpas un homme ? c
Et moi, je répondais« Mais, je n'ai que seize ans,
MTout au plus, et papa dit que j'ai bien le temps.»
« Non, non, le temps s'enfuit, reprenait plus pressante,
» La voix qui harcelait ma vertu chancelante,
» Et l'on doit se hâter de jouir du bonheur,
» Surtout quand on est jeune et qu'on est plein d'ardeur. »
Puis, en passant, je la voyais chaque jour, elle
Et chaque jour, hétas je la trouvais plus belle t
Sa grAce, sa blancheur, tout en elle attirait,
Et ta vo' scu~meut un instant m'enivrait.
Parfois, il mesctnbhut, soit t'cve, soit délire,
Qu'a travers les vitraux, ctte allait me sourire.
Mais je luttais toujours. Eufiu, je n'y tins plus,
J'osai. L'on m'accorda tout ce que je voulus.
La belle fut à moi. C'était une soirée
De mai contre mon coeur, je la tenais serrée.
PRIMA. i69
Je marchais tout tremblant, d'un pas silencieux.
Tandis que mes regards se perdaient dans les cieux,
Mes deux mains s égaraient tout autour de sa taitte
Je tatais le terrain sur lequel la bataille
S'allait bientôt livrer, prudemment toutefois,
On n'estjamais
bien brave une première fois.
Mais petit a petit, se dissipa ma crainte,
Et ta pressant soudain d'une dernière étreinte,
Je m'enfuis avec elle au fond du bois discret.
Rien n'est tel que les bois pour cacher un secret.
Et là. vous devinez, c'est facile a comprendre
Doucement, dans mes mains, elle se laissa prendre,
Et de celle qui fut mes premières amours,
.le pus, tout a loisir, admirer les contours.
Par mes lèvres en feu longuement embrassée,
t'ar mes doigts inexperts tendrement caressée.
Mais, faut-il raconter tout ce qui se passa?
Sur sa bouche, ma bouche a la tin se plaça
L embrasant cette fois d'une brntantc nammc,
Je sentis tout à coup passer en moi son âme.
Tout disparut alors Bois, terre, nrmament
0 la charmante ivresse 0 t'aimabte mnment
Un feu divin bientôt me consume et m'embrase,
Et je ferme les yeux, le cerveau plein d'extase
170 MONOLOGUES COMIQUES ET DRAMATIQUES.
Soudain, un mal subit, de mes sens s'empara.
Et de mon pauvre cœur le trop plein.chavira.
Alors, pris aussitôt d'une frayeur soudaine,
Loin de moi, sans pitié, je chassai l'inhumaine.
A dater de ce jour, l'objet tant désiré,
Pour moi fut à jamais un objet abhorré.
Oui, c'était bien fini, je l'avais prise en grippe,
Et ce fut ma première et ma dernière pipe.
!N ANIMA INGENIUM
A mon ami Auguste SiMON.
J'aime de tes accords la douceur infinie,
Et lorsque, sous l'archet frémissant dans tes doigts,
Gémit ton violon si docile à tes lois,
Je sens monter vers Dieu mon âme rajeunie.
L'âme presque toujours nous tient lieu de génie.
Qui demande aux oiseaux, dont on entend les voix
Chanter de l'aube au soir dans les prés et les bois,
S'ils ont soin d'observer le rythme et l'harmonie ?
Artiste, c'est ton cœur qui toujours doit parler,
C'est de ton âme enfin qne doivent s'envoler
Les notes que redit au loin l'écho sonore.
Lorsque ton violon, joyeux ou bien plaintif,
Chante ou pleure avec toi, je t'écoute, pensif,
Et lorsque tout se tait, longtemps j'écoute encore 1
UN RECIDIVISTE
POÉSIE
Dite par M. RtTEL, du ~~d/r~ de ~'O~on.
A M. DfSRUES.
Il est cinq heures. L'ombre envahit le prétoire,
Et l'avocat qui parle engourdit l'auditoire.
Lourdement affaissés sur leurs fauteuils de cuir,
Les juges somnolents regardent l'heure fuir,
Et le greffier, dont t'œit, de ci, de là, louvoie,
Se chatouille le nez avec sa plume d'oie.
Au fond, le long du mur, un christ a l'huile peint,
Se détache expirant sur sa croix de sapin.
L'avocat a parlé. Bien vite on délibère,
On condamne et t'oh passe à la dernière affaire
Accusé, levez-vous Un vieux, horrible à voir,
Boiteux, la barbe inculte et le visage noir,
i«.
i74 MONOLOGUES COMIQUES FT DRAMATIQUES.
Avec un œil crevé pendant hors de l'orbite,
Se lève avec effort et lentement débite
Ses nom, prénoms, son âge, et puis calme, il attend
Qu'on l'interroge. Sh bien glap't le président,
Toujours sans domicile et toujours sans ouvrage1
Vous n'êtes pas honteux ? Un homme de votre âge I
On vous a condamné déjà plus de vingt fois,
Mais vous vous moquez bien des juges et des lois.
N'est-ce pas ?
–Mais, monsieur.
Taisez-vous, la prudence
Vous commande, je crois, de garder le silence.
Ne vous défendez pas Paresseux, vagabond
Votre affaire est très simple et votre compte est bon.
Je suis un vagabond, j~ veux bien, mais en somme,
Monsieur le président, je suis pas mauvais homme
Je n'ai jamais tué, jamais volé, jamais.
Travailler –Pardi, moi je le voudrais bien, mais
Ou me trouve trop vieux et puis je suis infirme
Et pas bon à grand'chose, allez, je vous l'affirme.
Quand je demande aux gens d'utiliser mes bras,
On me dit Vous seriez plutôt un embarras.
D un vieillard comme vous, que voulez-vous qu'on fasse ?
UN RÉCHMVtSTE. i75
Passez votre chemin, bonhomme. et l'on me chasse.
Pour être sans travail on n'en a pas moins faim.
Il faut bien qu'on demande à ceux qu'eu ont, du pain.
C'est donc bien criminel de mendier des croûtes,
Et de dormir la nuit dans les fossés des routes ?
Je suis pas assassin et je suis pas voleur,
Monsieur le président, je suis. C'est le malheur.
Je travaillais. avant. et ferme, allez! mais dame,
Depuis que le bon Dieu m'a pris ma pauvre femme,
Cela m'a jeté bas et rendu bon à rien.
Mon garçon m'a d'abord pris chez eux. J'étais bien.
Je les aidais un peu, je lavais la boutique,
Je reportais le soir l'ouvrage à la pratique.
Mon fils est rétameur. Puis j'allais quelquefoisPromener les enfants Chers petits Ils sont trois.
L'aîné va sur douze ans, il ressemble à sa mère,
Mais c'est lui qu'aimait bien son pauvre vieux grand-père.
Les deux autres aussi. Mais lui, le cher petit,
A-t-il pleuré! mon Dieu, lorsque je suis parti.
Parce qu'il a fallu qu'à la fin, je m'en aille
Je devenais infirme, et dam, quand on travaille,
Et qu'on est déjà cinq, sans ce qui peut venir,
C'est dur d'avoir encore un vieux à soutenir.
Mon gars ne disait rien, mais ma belle-fille, elle,
176 MONOLOGUES COMIQUES ET DRAMATIQUES.
S'emportait chaque jour et me cherchait querelle,
Disant que je volais le pain que je mangeais
A ines petits enfants et que je les grugeais.
Lorsqu'on est propre à rien, me disait-elle, on jeûne! t
Ah voyez-vous: les vieux, ça devrait mourir jeune.
Il fallait en finir On m'r. donc dit Va-t-en.
J'obéis, mais j'avais le cœur gros en partant.
Je cherchai du travail. Ce fut peine inutile.
On medit non partout, aux champs comme à la ville.
C'est alors qu'un beau soir, au détour d'un chemin,
Pour la première fois, j'osai tendre la main.
J'ai senti là, combien pesante est la piécette
Que la main du passant avec mépris vous jette.
Je fus pris, et depuis, j'ai dù de la prison
Franchir vingt fois le seuil pour la même raison
Je sais Les lois sont là, mais les lois sont mal faites,
Et devraient respecter la blancheur de nos têtes.
Vous dites chaque jour à vos petits enfants,
Que l'on doit secourir ceux qu'accablent les ans,
Et ces mémes enfants peuvent voir, a toute heure,
Des vieillards mendier au seuil de leur demeure.
Dans leurs grands yeux on lit qu'ils ne comprennent pas
Que personne ne vienne au secours de nos pas,
Et lorsque nous passons, ils disent à leur mëre
UN RÉCtDïVMTE. H7
Maman, pourquoi qu'il est malheureux, le grand-père ?
Car cela rembrunit leur front pur et joyeux
A ces anges du ciel, de voir pleurer des vieux,
Et les juges devraient, vous soit dit sans offense,
Protéger les vieillards par respect pour l'enfance
Se souvenir qu'ils sont au déclin de leurs jours,
Et loin de les punir venir à leur secours
Faire moins de prisons et faire plus d'asiles
Où les déshérités puissent mourir tranquilles.
Peut-être que je dis des choses sans raison,
Mais, ça fait tant de mal de mourir en .prison 1
Les graves magistrats, comme des sphynx de glace
Sommeillent doucement. Le président, que lasse
Le discours du vieillard, élève enfi n la voix,
Et dit Le tribunal vous condamne à trois mois.
Puis heureux, satisfait de la besogne faite,
Le tribunal se lève et bat vite en retraite.
Et ces juges n'ont pas même baissé les yeux
Sous les regards du Christ accroché devant eux 1
LE CLAQUE
MONOLOGUE
Dit~rM. GAUPAUx, du /AJd/r<! P~j~
A mon ami Ft'an~uia Dt:spRH
Elle avait à peine quinze ans,
Et s'appelait, je crois, Thérèse.
Moi, je comptais dix-sept printemps,
Depuis le retour de la fraise.
Hors du filet, prenant l'essor,
Ses blonds cheveux jusqu'à ses hanches
Tombaient, déroulant leurs flots d'or
Le long de ses épaules blanches.
Ses veux. ils étaient bleus, ses yeux,
Et leur nuahce était si beUe,
Qu'on eût dit qu'elle avait aux cieux
Voté l'azur de sa prunelle.
180 MONOLOGUES COMIQUES ET DRAMATIQUES.
Son front du lis avait l'éclat,
Sa bouche était rose et riante;
Et jamais cou plus délicat
Ne berça tête plus charmante.
Une main longue, un pied petit,
Une taille souple, adorable,
Un bon petit cœur, de l'esprit,
Enfin, belle à tenter le diable.!
Mais, moi, ce qui m'avait pincé,
Et presque fait perdre la tête,
C'est son nez, un nez retroussé,
Mais retroussé presqueen trompette.
J'aime ces nez-là c'est gentil,
C'est folichon, cela réveille
Un visage et donne au protil
Une élégance sans pareille.
C'est galbeux, c'est zinc. Le nez grec
A l'air de fendre en deux la tête.
C'est long, c'est aride, c'est sec.
C'est anguleux comme une arctc.
Au-dessous de ce nez d'armant,
S'ouvrait un écrin plein de perles,
Ëcrin d'où s'échappait un chant
Plus doux que le doux chant des merle-.
LE CLAQUE. i81
Il1
Ah grands dieux pour pouvoir pose?
Sur ces lèvres fraiches et roses
Un baiser, rien qu'un seul baiser,
Que j'aurais donc donné de choses
J'aurais bien donne, voyez-vous,
Sans hésiter une seconde,
Sans marchander le moins du monde,
Oui, j'aurais bien donné. cent sous.
Mais hélas l'or dans cette vie
Ne fait pas toujours le bonheur.
Je dus donc, au fond de mon cœur,
Celer mon amoureuse envie.
J aurais voulu, seul, en secret,
Causer un instant avec elle
Mais sa mère avait l'œil au guet
Et faisait bonne sentinelle.
C'est affreux de ne pas pouvoir
Dire à la belle que l'on aime
Je t'aime, m'aimes-tu toi-même ?
Ne rien dire et ne r:en savoir
Et mon cœur, débordante amphore,
A cet amour s'abandonnait,
Et cet amour empc~sonnatt
Ma vie, a peine à sen aurore.
MONOLOGUES COMIQUES ET DRAMATIQUES.i82
Mourir je veux. Non, ça fait mal,
li faut vivre c'est plus stoïque,
C'est plus grand, c'est plus héroïque.
Je soun'rirai. Ça m'est égal.
Et mon âme désespérée
Luttait, luttait, lorsqu'un matin,
J'appris que madame Patin,
La mère de mon adorée,
Allait donner une soirée.
Un bal 0 doux rêve ô bonheur
Je vais donc pouvoir sans contrainte
Près du sien décharger mon cœur
Et lui parler enun sans crainte.
Ah quand nous serons seuls tous deux,
Lorsque mes regards amoureux
Iront chercher dans son corsage.
Chut n'en disons pas davantage.
Le fameux jour arrive enfin.
Je m'habillai dès le matin.
Tout était neuf habit, manchettes,
Gants paille, claque de satin,
Pantalon, tout, jusqu'aux chaussettes.
A neuf heures, j'entrais au bal,
Parfumé des pieds à la tête.
LE CLAQUE. t83
J'étais beau Beau ? Non, mais pas mal.
Pourtant l'air peut-être un peu bête.
En entrant, je cherche de l'œil
Ma Thérèse, ma bien-aimée
Je l'aperçois sur un fauteuil,
Vive, souriante, animée.
Alors, tremblant, je viens m'asseoir
Auprès d'elle et j'ose lui dire
Vous êtes bien belle ce soir,
Thérèse. Elle esquisse un sourire 1
Dansons-nous cette mazurka ?
Impossible, elle est retenue.
Alors, la prochaine polka ?
Monsieur, c'est chose convenue.
0 deiire Ivresse polker
Avec. Une frayeur mortelle
Me saisit: j'ai senti craquer
Quelque chose. C'est ma bretelle.
Je la quitte. pas ma bret. Non,
Thérèse. Je reviens, pardon,
I1 faut que j'aille. je vais prendre
Un peu de punch. Veuiiïcz m'attendre.
Je me sauve, hâtant le pas
Vers une retraite profonde
i84 MONOLOGUES COMIQUES ET DRAMATIQUES.
Il
Où d'ordinaire on n'entre pas
Quand on sait qu'il y a du monde.
Là, je répare en un instant
Le désordre de ma toilette,
Je m'ajuste, je m'époussète
Puis, je reviens, joyeux, content.
Thérèse m'attend, je m'élance
Pardon pardon suis-je en retard ?
Lui dis-je, avec un doux regard.
Mais non, monsieur, non, l'on commence.
Ah tant mieux alors, j'avais peur.
J'otTrc mon bras. Pour être à l'aise,
Je mets mon chapeau sur sa chaise.
0 dieux je pâlis et Thérèse
Éclate de rire. 0 fureur 1
Jugez, messieurs, de ma déveine
J'avais, au lieu de mon chapeau,
Pris le couvercle en bois d'ébène
Qui recouvrait. J'étais en eau.
Le cœur plein d'angoisses mortelles,
Je m'esquivai,tant bien que mal
Depuis, je ne vais plus au bal,
Et ne mets jamais de bretelles.
PREMIER AMOUR!
Je l'aimais, comme on n'aime ici-bas qu'une fois t
Rien pour moi n'égalait sa noire chevelure
Sa voix était plus doucc encore que la voix
De l'oiseau qu'on entend le soir dans la ramure.
Hélas 1 quand je m'égare au plus profond des bois,
Seul avec me's penscrs, errant à l'aventure,
L'écho de cette voix, faible comme un murmure,
Le soir, à mon oreille arrive encor parfois.
Que reste-t-il de vous, ô mes jeunes années ?
Des larmes. des' regrets. et quelques Qeurs fanées,
Qui, comme ses serments, n'ont vécu qu'un seul jour!
Renferme à tout jamais ton secret, û mon âme 1
Retourne dans la nuit, éteins-toi, chaste flamme t
Fuyez, chers souvenirs de mon premier amour 1
SUR LE BOULEVARD
POÉSIE
Dite par M. AMAURY, du ytn~ona~ de l'Odéon.
A M. Fra-cola CopPÉE.
Le'pauvrevieux vendait un joujou ridiculc,
Un horrible pantin qui faisait la bascule
C'est quatre sous criait le vieux to'tten marchant.
Mais la foule passait et laissait le marchand
Agiter ses pantins, dont la robe fanée
Prouvait qu'Us n'étaient pas nouveauté de l'année.
C'était pitié de voir ce vieillard chancelant
Solliciter, craintif, les regards du chaland.
Parfois quelques farceurs, idiots, dont la race
Est chez nous plus qu'ailleursflorissante et vivace,
S'arrêtaient près du vieux, et la, faisaient semblant
De vouloir acheter, tandis que lui, tremblant,
Expliquaitaux messieurs le jeu simple et facile
188 MONOLOGUES COMIQUES ET DRAMATIQUES.
D'un bonhomme de bois qui gigotait, docile.
Et les messieurs prenaient le joujou dans leurs doigts,
Le tournaient bêtement, en tous sens, plusieurs fois,
Non sans tenter un peu de casser la ficelle,
Ou bien de chiffonner l'étoffe et la dentelle.
Puis, sans rien acheter, ils partaient, satisfaits
Des dégâts qu'aux jouets du vieux ils avaient faits.
Et lui, les regardant s'éloigner sans rien dire,
Cherchait à deviner ce qui les faisait rire
Et ne comprenant pas, reprenait son chemin
Le long du boulevard, ses pantins dans la main.
Des bambins, par moments, le suivaient dans sa course
Pour mieuxvoirtesjoujouxiropcoûteuxpour leur bourse,
Ils entouraient le vieux, s'attachaient à ses pas,
Et lui, leur souriait et ne les chassait pas.Or, il se faisait tard. La foule fondait lente.
Quelques marchands encor criaient Voyez la vente
Derniers appels jetés aux derniers amateurs.
Dans les cafés déserts plus de consommateurs.
Sur le macadam gras, huit ou dix fiacres vides
Dévorant les passants de leurs deux yeux avides.
Dans l'ombre, un allumeur glissant rapide avec
Sa perche, et ne laissant, sur deux, brûter qu'un bec.
Minuit sonnait partout. Sur le seuil des boutiques,
SUR LE BOULEVARD. i89
Les commerçants disaient bonsoir à leurs pratiques.
Minuit Il faut rentrer c'est l'heure où les agents
Vont cesser de veiller sur le repos des gens.
Et les badauds de plus en plusse faisaient rares.
Quelques rôdeurs cherchant à terre des cigares.
Au milieu du trottoir un pochard titubant.
Un peu plus loin, un autre, endormi sur un banc.
C'était tout. Et le vieux de sa voix chevrotante,
Criait toujours Voyez, Messieurs, voyez la vente
Il allait s'éloigner, quand deux jeunes époux
Vinrent à lui pour voir de plus près les joujoux.
Ils semblaient peu pressés, malgré l'heure tardive.
La femme examina les pantins, attentive,
Et dit J'en veux prendre un, bébé sera content,
Cela l'amusera. Puis au bout d'un instant
Combien? C'est quatre sous. Timide, elle se penche
Et dit à son mari Donne une pièce blanche.
Et le vieux reste là, muet, suivant des yeux
Le couple qui s'enfuit et disparaitjoyeux.
Je m'étais, en voyant agir la jeune femme,
Senti bouleversé jusques au fond de l'âme,
Et tout ému, je vis, comme dans un brouillard,
Et sourire l'enfant, et pleurer le vieillard 1
LA TERRIBLE
MONOLOGUE
Dit par M. GALIPAUX, du <h~~ du Palais-Royal.
Honni soit qui mal y pense.
Prête-moi tes parfums,ô céleste ambroisie 1
Apprends-moites secrets, A chaste poésie
1
Apprends-moil'art divin de raconter en vers
Un tour que m'a joué le destin trop pervers t
Laisse-moi chevaucher sur ton dos, ô Pégase 1
Toi, pudeur, prête-moi cette discrète gaze
Qui dérobe à nos yeux tant d'aimables attraits,
Et soufOe-moi des mots. des mots faits tout exprès 1
Bast Je vais de mon mieux vous narrer mon affaire.
Avant tout, vous saurez que je suis militaire,
Et de plus, capitaine. Or, l'an passé,mon corps
Était dans le midi de la France, à Cahors.
NUIT
i92 MONOLOGUES COMIQUES ET DRAMATIQUE
Nous avions manœuvré pendant une semaine,
Et nos braves soldats succombaient à la peine.Nous étions sur les dents. Il fut donc décidé
Par notre général, qu'il serait accordé
Aux hommes un congé de toute une journée.
Le lendemain matin, je faisais ma tournée
Dans la ville, sans trop savoir où diriger
Mes pas, lorsque soudain je me pris à songer
Que dans les environs, un ami de mon pèrePossédait un château n'ayant pas mieux à faire,
Et tout joyeux, au fond, d'aller revoir des gens
Que je n'avais pas vus depuis au moins dix ans,
Je partis. Mr, je fis à pied tout le voyage.
Le chemin était beau, pas trop !ong mon bagage
Léger et puis moi, j'aime à courir le matin
Les champs tout parfumés de verveine et de thym,
Et j'ai surtout toujours beaucoup aimé l'automne
J'aime son ciel brumeux et presque monotone,
J'aime sa fraîche brise et ses gazons jaunis,J'aime son soleil blanc, ses arbres dégarnis
Une feuille qui tombe, un oiselet qui chante
Dans son nid, tout cela me ravit et m'enchante.
Poète Pourquoi pas ?. Que diable, les soldats
Ne peuvent pas toujours rêver gloire et combats 1
LA NUIT TERRIBLE. i93
Donc, tout en admirant à loisir la nature,
J'atteignis le château. De son architecture
Vous dirai-je le style ?. Et vouiez-vous savoir
Si c'était un castel ou bien un vieux manoir ?
Non, n'est-ce pas?. Passons Moderne ou bien antique,
La chose importe peu. Bientôt un domestique
Ouvrait à deux battants la porte du salon
Et m'annonçait.
Comment 1. quoi Monsieur du Vallon!
Que c'est aimable à vous me dit la châtelaine.
Mais on vous croyait mort, monsieur le capitaine
Me dit le châtelain. Dans le sac aux oublis,
Mon cher, vous nous aviez, je crois, ensevelis.
–Oh monsieur, croyez bien.
C est bon, l'on vous pardonne.
Avant de m'accuser.
-Taisez-vous, je l'ordonne.
Vous nous restez longtemps ?
Mais, hélas 1 seulement
Jusqu'à demain, madame.
Oh c'est trop peu vraiment.
Venez, me dit monsieur, venez, ô grand coupable,
Nous allons déjeuner, puis, en sortant de table,
Nous irons faire un tour, si cela vous sourit.
494 MONOLOGUES COMtQUES ET DRAMATIQUES.
Allons.
A ce moment une porte s'ouvrit,
Et je vis apparaître, au seuil, la plus gentille
Blonde qu'on puisse voir.
Mon cher ami ma fille.
Mademoiselle Emma ?
Quoi, monsieur du Vallon,
Avec qui je jouais au cheval, au ballon,
Aux quilles, à la corde ? Ah que je suis heureuse f
Mais elle s'arrêta rougissante et honteuse.
Sans doute elle sentait qu'elle allait un peu loin.
Moi, je restai muet, ravi d'être témoin
De son trouble charmant, mais, pour être sincère,
Tout aussi troublé qu'elle. Heureusement, sa mère,
Voyant notre embarras, de mon bras se saisit,
Et sans attendre plus, elle me conduisit
A la salle à manger. Tout d'abord, la cadence
De nos fourchettes, seule, anima le silence.
Puis bientôt l'on parla des heureux temps passés,
Et des vieux souvenirs un instant eHaeés.
On aime à réveiller parfois dans sa mémoire
Les jours qu'on a vécus. On refait son histoire.
Mais je vois que je vais me remettre à rêver.
Oh pardon. Nous allons maintenant arriver
LA NUIT TERRIBLE. ~9~
A notre dénoùment, le plus vite possible.
Je saurai dominer mon âme trop sensible.
Je ne vous décrirai ni les grandsarbres verts
Du oarc, ni le diner qui fut de vingt couverts.
Pourtant, dans l'intérêt même de mon histoire,
Il me faut vous parler, tout au moins pour mémoire,
De certain cantaluup. dont moi, sieur du Vallon,
J'engloutis à peu près. cinq tranches. Le melon
Est mon péché mignon.
A dix heures, Morphée
Répandaitses pavots sur ma tête coiffée
D'un superbe bonnet de coton. Mon sommeil
Était calme. Soudain, quel terrible réveil 1
Une affreuse douleur torture mes entrailles.
J'ai vu bien des combats, j'ai vu bien des batailles,
Mais jamais. A quoi bon cette comparaison?.
Vous avez, j'en suis sûr, compris. De sa prison
Le melon demandait à s'échapper.
Bien vite
Hors de mon lit je saute, et je me précipite
Vers certain meuble. Horreur 1 le meuble était ouvert,
Mais vide, vide, hélas t Abraje devins vert.
Je cherchai partout rien. Enfin j'ouvris la porte.
Je tremblais, comme au vent tremble une feuille morte.
196 MONOLOGUES COMIQUES ET DRAMATIQUES.
Le melon dans mes Qancs se débattait toujours.
J'invoquais tous les dieux, mais lesdieuxrestaientsourds* 1
Oh l'horrible tourment, les effroyables luttes 1
J'errai dans les couloirs pendant quelques minutes.
Tout le monde dormait. moi je ne dormais pas
J'avais peur de mon ombre et du bruit de mes pas.
Et rien, rien, toujours rien Les portes étaient closes.
J'étais fou. Je voyais passer d'étranges choses
Devant mes yeux. Le sang m'afilua't au cerveau
Je crus l'instant venu de descendre au tombeau.
Je rentrai dans ma chambre, et la lutte acharnée
Continuait toujours. quand sur la cheminée,
t'aperçus tout à coup, o bonheur Bonheur?.. non,
J'avais cru. mais~etaitun vase du Japon.
Perdu 1
i
~c~~< la fenêtre)
Sauvé Merci, Dieu Je vais renaître.
Inse~É'oubliais.yo~!iaisla fenêtre 1
J'y von<k~ désirs
sont encore déçus
Une marq~~Nb en verre établie au-dessus
Du perron, émit là, formant une barrière 1
Non 1 non je ne crois pas qu'à son heure dernière
L'on souffre plus. Que faire ?. Appe!er?. Me couvrir
De ridicule ?. oh 1 non. plutôt cent fois mourir
LA NUIT TERRIBLE.t9f
On eût entendu battre et mon cœur et mes tempes.
Je n'y tins plus. Prenant un grand album d'estampes
Qui traînait sur la table, au'olé, j'arrachai
Les pages dont je fis un. sac. je me penchai.
C'est ici qu'il me faut tes parfums,ambroisie t
Et qu'il me faut parlerta langue, ô poésie 1
Quand tout fut. consommé, je fermai le cornet,
Et j'attachai le tout avec du cordonnet
Puis je me recouchai. Bercé par un doux rêve,
Je dormis jusque l'heure où le soleil se lève.
Le lendemain, je suis très doucement surpris
De voir déjà sur pied mes hôtes à tout prix
L'on veut m'accompagner, et j'ai beau me défendre,
Il me faut, malgré tout, aux vœux de tous me rendre
Je cède. Un domestique, au moment du départ,
Avait mis dans un coin mon bagage à l'écart.
Chacun prétend m'aider j'ai beau dire et beau faire,
On me prend tout caban, jumelle, nécessaire
Mon sabre seulement m'est laissé. Nous partons.
Les oiseaux de leurs chants emplissentles buissons.
Le soleil resplendit!Il vous monte à la tête
Mille parfumsdivers 1
Tout à coup je m'arrête,
i98 MONOLOGUES COMIQUES ET DRAMATIQUES.
Stupide, ne pouvant croire. à ce que je vois.
Mademoiselle Emma portait au bout des doigts
Le paquet, que la veille. et que cet imbécile
De valet. Aussitôt je veux. mais inutile
Elle me dit « Monsieur, ce n'est pas lourd du tout,
Et je veux, s'il vous plaît, le porter jusqu'au bout ».
Le père cause seul, car tandis qu'il bavarde
Sur ceci, sur cela, je ne vois, ne regarde
Qu'une chose Le sac 1. qu'au bout d'un de ses bras,
Balance Emma. Je suis mourant, mon embarras
S'accroît. Je veux tâcher de lui reprendre encore,
Mais elle se défend. Je conjure, j'implore 1
Elle est sourde à ma voix, et me dit en riant,
Sans même voir ma gcne et mon trouble croissant
Enfin il y a donc là-dedans quelque chose ?
Mais non, ce sont.
Ce sont ?
–Quelques feuilles de rose,
Qu'hier dans votre parc.Ah monsieur est coquet,
Et met dans son linge.
Oui. rendez-moi mon paquet,
Mademoiselle.
–Non.
LA NUIT TERRIBLE.
Non, non
Oh si, je vous en prie.
Eh bien de force.
–Oh!jevousendéne.
Mademoiselle Emma t
Non, vous ne l'aurez pas.
Je me tafs, mais j'enrage, et je me dis tout bas,
Comprenantcette fois que vainement j'insiste
Pourvu, mon Dieu, pourvu que le papier résiste
Mais bientôt l'on s'arrête, et. l'obiet. m'est rendu.
Je m'enfuis à grands pas, haletant, éperdu,
Et lorsqu'enfin j'ai mis une grandedistance
Entre eux et moi, je prends le paquet et le lance
Dans un grand potager qui bordait le chemin.
De ce conte, en deux mots je vous dirai la fin
<
Emma, depuis sept mois tout à l'heure est ma femme.
Pour l'aimer, je n'ai pas assez d'une seule âme,
Je l'adore et je crois qu'elleme le rend bien.
De ma triste aventure elle n'a jamais rien
Su. Je n'ai p~s qu'àvous faire part d'une chose
C'est que j'aurai bientôt un joli bébé rose.
Jusque-là, j'avais cru le proverbementeur
Vous le voyez parfois,cela porte bonheur.
TABLE DES MATIÈRES
P<t<{M.Le poète
·
Credo d'amour.Il
LM vagabonds.t t ¿
Une envie!9
Al'AmphithCatrc.
Petite ferme.29
Attila.
La chasseil
Soupirs d'un net;re.49
Les enfants de l'ivrogne.si
Sonnet. a t0 6t
Une distraction.°'~
Ivrea~e manifeste11
Lewjoieamatdmonialca.
Désespoir.83
Le conscrit.
Le compliment de Bcbe.93
Lamereduaupplicié.95
Diplomatie.
L'accroc.