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Morts violentes au sein du couple : derrière les discours
alarmistes, une baisse de 25% depuis 2006
Laurent PUECH
Résumé
Le début d’année 2019 est marqué par des messages alarmistes indiquant une explosion du nombre de
femmes tuées par leur conjoint. Des comptabilités se sont mises en place, par des collectifs militants
ou des médias. Aux chiffres s’ajoutent des noms, prénoms, descriptions des personnes et des actes…
La légitime montée en puissance du thème des violences faîtes aux femmes dans le débat public, qui
marque notre époque, voit avec la question des homicides un des points d’attention majeur des
échanges. Les responsables sont ainsi convoqués en place publique, on demande de l’action, rapide,
forte. Pourtant, l’examen des données fiables réunies chaque année depuis 2006 par la Direction de
l’Aide aux Victimes du Ministère de l’Intérieur indique une tendance contraire aux discours
alarmistes : depuis 2006, le nombre de femmes tuées au sein du couple ne cesse de baisser et a atteint
son point le plus bas depuis que l’enquête annuelle existe. Qu’est-ce qui fait que cela est si difficile à
percevoir et, plus encore, à dire voire même à revendiquer ?
L’auteur
Laurent PUECH est assistant social, ancien président de l’ANAS, fondateur-animateur du site « Secret
professionnel et travail social » [https://secretpro.fr/] et d’un nouveau blog « Décrypter la protection en
travail social » [http://protections-critiques.org/] Contact : [email protected]
Pour citer cet article
Puech L. (2019), « Morts violentes au sein du couple : derrière les discours alarmistes, une baisse de
25% depuis 2006 », Délinquance, justice et autres questions de société, 27 février 2019 [en ligne] ? URL : http://www.laurent-mucchielli.org/2019/02/27/Morts-violentes-au-sein-du-couple-derriere-les-
discours-alarmistes-une-baisse-depuis-2006
Web ressources : les documents exploités dans cette étude étant éparpillés sur le net, je les ai
rassemblés dans un dossier consultable par tous via ce lien :
https://drive.google.com/drive/folders/1AcYtzDo-FCFdZ-vC6Jou48b-1nfOONmX?usp=sharing
2
L. Puech, « Morts violentes au sein du couple : derrière les discours alarmistes, une baisse de 25% depuis 2006 », Délinquance, justice et autres questions de société, 27 février 2019
Il y a un an, je publiais sur ce site1 un dossier sur un chiffre infondé qui circulait depuis des dizaines
d’années, celui du nombre d’enfants tués par leurs parents. J’y montrais notamment le rôle joué par
des personnalités politiques, du monde médical, de la justice ou encore d’associations pour diffuser
cette donnée fausse. Depuis ce travail et le premier recensement des homicides sur les enfants effectué
par l’ONPE, ce chiffre faux a le plus souvent cédé le pas à des données crédibles dans le discours
d’une majorité d’acteurs intéressés par la protection de l’enfance.
Cette note est cette fois-ci consacrée aux données concernant les morts violentes au sein du couple.
Ces données sont recensées depuis 2006 par la Délégation de l’Aide aux Victimes, laquelle produit un
rapport annuel et des données d’analyses fort intéressants. La situation est sur ce sujet radicalement
différente de celle des homicides d’enfants. Les données de la DAV sont précises, avec une marge
d’erreur très réduite : un homicide au sein d’un couple, est en général rapidement identifié comme tel.
Ces chiffres sont « devant nous », accessibles en quelques clics.
Ce qui est ici en question est l’écart grandissant entre le discours sur la violence conjugale, les
présentations alarmistes du nombre de victimes d’homicides, la place prise par cette question dans les
échanges autour de la violence conjugale, et des données qui montrent une situation qui évolue au
contraire positivement. On retrouve sur ce sujet les mêmes affirmations excessives, voire
catastrophistes, de la part de « protecteurs » et « protectrices », que celles mobilisées par leurs
homologues (qui sont parfois les mêmes) sur la question des enfants tués par leurs parents. Les
ressorts de l’argumentation sont similaires. Et les effets sur les citoyens et professionnels peuvent être
contre-productifs.
Un préjudice pour les professionnels et les victimes
La mise en avant des homicides génère des craintes telles chez certains professionnels qu’ils n’ont que
le départ du foyer pour objectif de travail avec les victimes. Or, le départ et l’après départ sont
justement les zones de danger les plus élevées en terme d’homicide. Eloigné en apparence de l’auteur
des coups, on se trouve parfois plus en danger… Autre préjudice pour les victimes, la focalisation sur
la violence physique et l’homicide fait oublier que, comme l’a montré de longue date l’Enquête
Nationale sur les Violences Envers les Femmes en France (ENVEFF)2, dans 75% des cas, la violence
conjugale n’est pas constituée par de la violence physique mais exclusivement de la violence
psychologique. Ainsi, les victimes de ces violences parfois dévastatrices ne sont pas identifiées et
soutenues car elles ne correspondent pas à l’image stéréotypée de la violence : des hématomes, des
coups. Parfois, ces personnes ne se pensent pas victimes puisqu’aucun coup n’est porté sur elles.
Ces stratégies comportent donc des biais possiblement contre-productifs. C’est particulièrement vrai
en ce début 2019, où des comptabilisations aux contours parfois imprécis circulent massivement,
laissant penser que la situation se dégrade et que personne ne fait rien…. sauf celles et ceux qui
s’indignent, dénoncent, etc. Il est donc nécessaire d’aller étudier sérieusement les données existantes et
de les porter à la connaissance de toutes et tous.
1 Voir https://www.laurent-mucchielli.org/index.php?post/2018/01/24/Deux-enfants-tues-chaque-jour
2 Maryse Jaspard en l’équipe Enveff, « Nommer et compter les violences envers les femmes : une première
enquête nationale en France », Population et Sociétés (INED), 2001, n°364
[http://www.ined.fr/fichier/t_publication/138/publi_pdf1_pop_et_soc_francais_364.pdf]
3
L. Puech, « Morts violentes au sein du couple : derrière les discours alarmistes, une baisse de 25% depuis 2006 », Délinquance, justice et autres questions de société, 27 février 2019
Construction d’une perception par une communication émotionnelle
Une approche militante centrale
L’histoire de la connaissance et de la prise de conscience de l’importance de violence conjugale est
fortement liée au mouvement féministe. Sans la parole des organisations de défense des droits des
femmes, notre société aurait probablement mis encore plus de temps à mesurer ce phénomène et sa
prévalence, à engager des campagnes d’informations, mis en place des organismes pour la suivre dans
ses grandes évolutions et renforcer les dispositifs de soutien et le cadre législatif. Ce travail de
sensibilisation et d’influence, elles le poursuivent aujourd’hui.
Parfois pourtant, des associations ou personnalités usent d’arguments plus que fragiles mais qui pèsent
sur notre perception. On observe notamment des argumentations faibles, voire fausses, une forme
d’« escalade morbide » qui entraîne un risque de parasitage du positionnement professionnel du côté
des travailleurs sociaux et médico-sociaux, et plus largement de la perception du public.
Médias et réseaux militants : rapprochement des crimes par une présentation individualisée
La médiatisation des homicides au sein du couple est quasi-systématique, au moins au niveau des
médias locaux. Ce qui était nommé à travers des expressions telles que « faits divers », « drame
conjugal » ou « crime passionnel » est de plus en plus identifié et qualifié dans le registre des
violences conjugales ou de « meurtres conjugaux ». Ainsi, c’est par le suivi des articles parus dans la
presse locale que Libération parvient à un nombre d’homicides conjugaux proche du résultat que
donnent les données officielles. C’est aussi ce que note le site internet de FranceInfo3 pour le
comptage effectué par le groupe Ne les oublions pas4.
De fait, avec les réseaux sociaux et les pages web des médias locaux, ces cas sont de plus en plus
identifiés et connus au niveau national. Nous pouvons toutes et tous avoir accès à ces informations par
une simple recherche via google. Pourtant, le discours sur l’indifférence des médias reste une
constante jusqu’à être repris par certains médias eux-mêmes, tels Libération :
« Elles s'appelaient Géraldine, Christelle, Ninon, Marine, Carole, Myriam. Toutes sont mortes
ces derniers mois sous les coups de leur mari, compagnon ou ex-conjoint. Leur décès a eu lieu
dans l'indifférence générale, politique et médiatique. Les circonstances de la mort de ces
femmes ont parfois été résumées en quelques lignes dans une dépêche AFP, comme autant
d'événements anecdotiques. Les titres de presse régionale les ont systématiquement traitées
dans la rubrique faits divers, qualifiant l'événement de «crime passionnel», de «différend
conjugal» ou de «drame de la rupture».»5
Présentation par le prénom des femmes victimes mis en tension avec l’affirmation d’une indifférence
générale politique et médiatique à leur mort… Idée d’un mépris de ces femmes et pour ce qui leur est
arrivé… La présentation est caricaturale, simplifiée à l’excès et semble viser essentiellement la
production d’une émotion chez le lecteur. Nous sommes là sur un versant qui donne finalement peu
3 Voir https://www.francetvinfo.fr/societe/violences-faites-aux-femmes/une-femme-est-tuee-tous-les-deux-jours-
en-france-par-son-conjoint-ou-son-ex-selon-un-nouveau-recensement_3186037.html
4 https://nelesoublionspas.wordpress.com/ ou https://twitter.com/feminicidesfr
5 https://www.liberation.fr/apps/2017/06/220-femmes-tuees-conjoints-ignorees-societe/
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L. Puech, « Morts violentes au sein du couple : derrière les discours alarmistes, une baisse de 25% depuis 2006 », Délinquance, justice et autres questions de société, 27 février 2019
d’information, et contribue à en masquer une part. Comment parler d’indifférence médiatique quand
l’AFP les mentionne et que la presse régionale les reprend ?
Depuis 2017, le quotidien Libération6 égrène, selon sa propre présentation, « une litanie funéraire ».
Le quotidien établie un suivi mensuel de ces homicides, en se basant lui sur les informations parues
dans la presse. A la différence des statistiques officielles, cela permet le plus souvent de connaître le
prénom et le nom, l’âge de la personne décédée et les circonstances de l’homicide. L’objectif est de
montrer qu’il y a des vies derrière les chiffres. Cette humanisation de chaque situation via le récit du
passage à l’acte et de quelques bribes d’histoire des personnes donne sans conteste une vision plus
proche. Il y a bien une histoire qui touche chacun d’entre nous derrière ces chiffres. Cependant, cette
approche crée un effet particulier sur le lecteur : elle lui donne l’illusion d’avoir compris ce que la
violence conjugale est, elle amalgame des situations parfois de nature très différentes, elle omet
certains aspects importants, elle l’entraîne vers une envie d’actions simples voire simplificatrices pour
« résoudre » le problème… En résumé, elle organise une représentation orientée du problème et de sa
solution.
Le travail mené par Libération est révélateur par plusieurs aspects d’une méthode proche de celle de
militant, tel celui du groupe Facebook Féminicides par compagnons ou ex. Il donne une vision réduite
d’un phénomène que l’on souhaiterait appréhender dans son évolution globale pour proposer des
améliorations des réponses de la société.
Un artefact statistique ne suffit pas
Ainsi, en ce début 2019, plusieurs campagnes sur les réseaux sociaux, reprises par plusieurs médias
faisaient état de chiffres s’accélérant :
6 Voir https://www.liberation.fr/apps/2018/02/meurtres-conjugaux-derriere-les-chiffres/
5
L. Puech, « Morts violentes au sein du couple : derrière les discours alarmistes, une baisse de 25% depuis 2006 », Délinquance, justice et autres questions de société, 27 février 2019
Qui suit les données sur ces homicides sait parfaitement qu’ils ne se répartissent pas de façon égale
tout au long d’une année. Il y a des pics et des creux statistiques, quelle que soit l’année étudiée7. Le
fait qu’il y ait une densité de situations ne montre en rien qu’une tendance se dégrade, pas plus qu’une
période de 40 jours avec peu d’homicide ne montre une amélioration de la tendance. Plus les chiffres
sont faibles, plus un écart peut paraître important sans pour autant devenir significatif. Cela signifie
que la variation attendue peut être simplement due au hasard et que l’on ne peut en tirer aucune
interprétation.
La stratégie utilisée dans le cadre de ce décompte de début 2019 ressemble en fait à la fabrique d’un
artefact. Un artefact est une observation produite intégralement par un aspect de la méthode utilisée.
Ici, on cherche à alerter sur l’importance de la violence conjugale en comptabilisant les homicides au
sein du couple. Le jour où apparaît une série marquante, c’est-à-dire une fréquence d’homicide sur une
période qui s’éloigne en apparence fortement de ce qui est attendu en moyenne, on l’extrait pour
dénoncer et exiger une réponse. Un artefact statistique est donc une donnée que l’on pense ou souhaite
démonstrative d’un fait mais dont on ne peut en réalité rien tirer comme conclusion.
Ces approches militantes, qui visent non pas à montrer une réalité dans sa complexité mais à mobiliser
l’attention sur un point jugé essentiel par le groupe des militants, utilisent donc un procédé de
communication efficace : puissance du drame humain et objectivité apparente de la quantification.
Elles ne permettent cependant pas de penser sereinement la question des homicides conjugaux. A la
mise en image par l’extraction d’une partie d’une série, qui donne la force du nombre et de
l’impression d’une explosion du problème, ou la situation mise en lumière est confrontée l’apparente
absence d’action, voire d’intérêt : les féminicides augmentent, des femmes et des vies sont
massacrées, et le gouvernement/président ne fait rien ! Il y a ici une compression du temps entre le
problème « tellement évident » que montre l’image et le chiffre colporté, et une réponse attendue vite,
maintenant, de suite, car il est déjà trop tard pour celles qui sont mortes… C’est par cette tenaille
émotion/urgence de réaction que s’opère une modification de la manière dont on met en place un
débat public sur ce thème. Cette tenaille, les journalistes devraient l’identifier et ne pas en être les
relais alarmistes. Ce n’est pas, loin de là, toujours le cas8.
Or, nous pensons au contraire que seule une analyse sereine de données valides permet de construire
des réponses adaptées non pas aux souhaits de telle ou telle partie de la population et des groupes
militants, mais aux besoins des personnes qui vivent dans une situation de danger au sein de leur
couple. Les deux ne vont pas systématiquement de pair.
Une approche méthodique rationnelle permet de ne pas rester complètement sous l’empire de
l’émotion. Examinons donc les données fiables sur le temps long.
7 Par exemple, en mars 2009, il y a eu 23 homicides conjugaux, soit 1 tous les 1,3 jours. En extrapolant à partir
de cette donnée partielle sur une année, cela aurait dû donner 276 cas. Il y en eu 165.
8 Un bel exemple de relais alarmiste parmi d’autres, celui de France Info qui annonce sur son site « Vingt femmes ont été tuées depuis le 1er janvier en France, selon un recensement mené par un groupe de bénévoles.
Un rythme qui s'accélère. » Aucune interrogation de la méthode, de la validité des résultats, du recul sur la
faiblesse de la durée depuis le début du recensement des données recensées (pourtant précisées : trois ans). Voir
https://www.francetvinfo.fr/societe/violences-faites-aux-femmes/une-femme-est-tuee-tous-les-deux-jours-en-
france-par-son-conjoint-ou-son-ex-selon-un-nouveau-recensement_3186037.html
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L. Puech, « Morts violentes au sein du couple : derrière les discours alarmistes, une baisse de 25% depuis 2006 », Délinquance, justice et autres questions de société, 27 février 2019
Des données fiables et une évolution qui devraient rassurer
L’étude nationale annuelle sur les morts violentes au sein du couple
Nous avons depuis 2006 un recensement des « morts violentes au sein du couple ». Cette étude
annuelle, menée par la Délégation aux Victimes du Ministère de l’Intérieur, structure mixte composée de représentants des directions générales de la police et de la gendarmerie nationales, est fort
intéressante. Elle apporte des données vérifiées, issues des faits relevant des index 3 (homicides pour
d’autres motifs), 5 (tentatives d’homicides pour d’autres motifs) et 6 (coups et blessures volontaires suivis de mort) de l’état 40019.
Actuellement, cette étude se base sur une analyse approfondie menée sur chaque dossier, notamment
son contexte : « lieu des faits, type d’arme utilisé le cas échéant, nature de la relation entre l’auteur et la victime, consommations de substances diverses au moment des faits de la part de l’auteur et/ou de la
victime, existence de violences au sein du couple antérieurement au passage à l’acte, prise en compte
d’enfants mineurs (présents ou non au moment des faits, orphelins), tiers victime de manière
concomitante au décès d’un des membres du couple. ».
Au fur et à mesure des années, cette étude s’est affinée et certaines catégories de données ont évolué.
Par exemple, la répartition mensuelle des morts violentes, qui était indiquée chaque année de 2007 jusqu’en 2016, n’est plus reprise en 2017. Probablement car le peu de significativité de cette
comptabilisation mensuelle la rend peu utile du fait des variations fortes mais non-significatives.
Ainsi, on observe des pics du nombre d’homicides (20 ou plus) en octobre et décembre 2007, juillet et septembre 2008, mars 2009, mai 2010, décembre 2012, janvier 2013, janvier et juin 2014 ou encore
novembre 2016. Difficile d’y voir une régularité. Ces données sont de plus une démonstration du peu
de recul de ceux qui en ce début 2019 ont alerté sur les chiffres de ce mois de janvier. En 2013 et
2014, un pic statistique apparaissait aussi en janvier.
De même, l’étude portant sur l’année 2008 a introduit une comptabilisation des victimes (14 cette
année-là) « hors du couple ou dans des couples «non-officiels », qui ne bénéficient pas de la circonstance aggravante telle que définie par le code pénal. » Néanmoins, ces cas sont distingués de
ceux concernant des formes de couple. Ce sont en effet des situations qui concernent des « amants »
ou « petits amis », considérés comme n’étant pas en situation de couple.
La méthode de recueil des données s’est aussi améliorée. Les premières années, une demande était
adressée par les directions générales de la police et de la gendarmerie qui les remontaient vers la
Délégation aux victimes. Cela amenait d’ailleurs la DAV à préciser dans son rapport 2008 qu’il convenait « de souligner que les chiffres présentés dans cette étude sont un minimum, quelques rares
cas ayant pu échapper à la remontée d’information auprès de la délégation aux victimes.» Depuis, la
consultation pour chaque dossier des services de police et gendarmerie permet de compléter l’analyse de chaque cas, rendant ces données toujours plus complètes.
Ces données sont suffisamment fiables pour avoir depuis 2006 jusqu’à 2017 un recensement de la
donnée principale de l’enquête, celle des homicides au sein des « couples dits « officiels », à savoir les conjoints ou ex-conjoints10, les partenaires de PACS ou ex-partenaires de PACS et les concubins ou
ex-concubins. » Cela permet donc d’observer l’évolution sur ces années du nombre d’homicide dans
cette catégorie centrale. Ce sont ces données qui sont la base de l’enquête nationale et qui sont examinées dans cette note.
Il faut cependant se rappeler que la violence au sein des couples produit plus de décès par mort
violente que la victime de l’homicide conjugal : suicide fréquent de l’auteur, meurtre d’enfants du couple, d’autres adultes présents, des amants…
9 L’état 4001 est la nomenclature utilisée par les services de police et de gendarmerie pour classifier les crimes et
délits qu’ils enregistrent. 10 Sont considérés comme conjoints ou ex-conjoints, les personnes liées ou ayant été liées par le mariage civil.
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L. Puech, « Morts violentes au sein du couple : derrière les discours alarmistes, une baisse de 25% depuis 2006 », Délinquance, justice et autres questions de société, 27 février 2019
Un chiffre agrégeant des situations très différentes
L’exemple des cas d’ « euthanasie »
L’enquête annuelle comptabilise les « morts violentes au sein du couple ». Ces morts violentes
peuvent parfois être très éloignées de ce que nous imaginons a priori.
Dans l’Enquête 2007, les auteurs osaient préciser, sans la chiffrer, que leur étude mettait en exergue
« que les couples de plus de 70 ans sont touchés par des difficultés de vie qui mènent à des actes parfois proches de l’euthanasie. »
En 2008, ils donnaient plus de précisions sur cet aspect : « La maladie d'Alzheimer est présente dans 13 homicides commis sur des victimes, principalement féminines (12). A l'issue du geste criminel, 9
auteurs se sont suicidés et 3 ont tenté de le faire.
Dans les homicides où le passage à l'acte semble lié à l'âge, voire le grand âge, ou la maladie, huit
cas peuvent être considérés comme de « l'euthanasie ». Il est toutefois difficile de déterminer précisément l'accord de la victime, hors consentement expressément acté ou manifesté auprès des
proches. »
On retrouve cette distinction affinée sur l’année 2012, où « les causes liées a la maladie de la victime
ont été différenciées de ce que l'on pourrait qualifier ≪ d'euthanasies ≫ (bien que le terme ne soit pas
pris en compte juridiquement par le code pénal), selon qu'une trace de ≪ consentement ≫ (→
euthanasie) ou une ≪ absence de consentement ≫ (→ maladie de la victime) de la victime a été mise en exergue par l'enquête. » L’enquête a identifié 6 cas (5 femmes et un homme) classés en euthanasie.
Pour 2013 et 2014, ce sont chaque année deux cas identifiés correspondant à la définition de 2012. Puis plus rien depuis 2015… Il est vrai que cette catégorie est doublement gênante. Elle vient
interpeller notre société sur une question sensible, agitée de débats importants. Elle ne correspond pas
aux modes explicatifs acceptables par certains groupes militants, pour lesquels le seul cadre explicatif
de l’homicide d’une femme par un homme est le patriarcat systémique11.
Peut-être en existe-t-il encore en 2017 des cas d’euthanasie, derrière deux catégories de mobiles de
Maladie/Vieillesse de la victime (8 cas), Maladie/Vieillesse des deux (5 cas) ?
Pour ma part, je pense qu’il y a une différence de nature entre celui ou celle qui tue l’autre car il ou
elle n’est pas l’objet qu’il ou elle souhaite, et celui ou celle qui tue l’autre du fait d’une souffrance extrême dans laquelle il ou elle ne peut plus le ou la laisser, regarder sans pouvoir soulager sa douleur.
Les deux aboutissent à la mort, mais la motivation et le contexte, voire le contrat entre les deux, sont
radicalement différents.
11 Par exemple, pour le groupe Facebook Féminicides par compagnons ou ex « Non, ce ne sont pas des "drames
familiaux", ni des "drames de la séparation", ni des "crimes passionnels", et encore moins des "suicides
altruistes", ce sont des féminicides perpétrés par des hommes frustrés qui pensent détenir un permis de tuer. Ce
sont des assassinats systémiques dont l'origine se trouve au cœur de notre société, dans l'éducation patriarcale
qui est donnée aux hommes et qui les autorise à posséder femmes et enfants, à disposer de leurs vies. »
8
L. Puech, « Morts violentes au sein du couple : derrière les discours alarmistes, une baisse de 25% depuis 2006 », Délinquance, justice et autres questions de société, 27 février 2019
Les résultats depuis 2006 : une baisse du nombre de victimes
2006-2017 : Examen des chiffres par année
En reprenant les chiffres par année, on mesure rapidement qu’une tendance à la baisse du nombre de
morts par homicide au sein des couples ou ex-couples, malgré des variations importantes d’une année
à l’autre, à la baisse ou à la hausse. L’enchaînement 2010-2012 illustre ces variations qui, sur le
moment semblent indiquer une hausse « dramatique » ou une baisse « étonnante ».
Pour les femmes victimes, les années 2016 et 2017 sont les deux années avec le moins d’homicides
depuis que l’enquête nationale annuelle existe. Pour les hommes victimes, ce sont les années 2015 et
2017. Enfin, le total des homicides est passé pour la première fois en dessous de la barre des 140 cas
en 2015 pour tomber à 125 en 2017.
2006 – 2017 : Nombre annuel de morts violentes au sein des couples
Année Femmes Hommes Total
2006 137 31 168
2007 166 26 192
2008 156 28 184
2009 140 25 165
2010 146 28 174
2011 122 24 146
2012 148 26 174
2013 121 25 146
2014 118 25 143
2015 115 21 136
2016 109 29 138
2017 109 16 125
En rouge – les chiffres annuels les plus élevés par catégorie
En vert – les chiffres annuels les moins élevés par catégorie
137166 156
140 146122
148121 118 115 109 109
31 26 28 25 28 24 26 25 25 21 2916
168192 184
165 174146
174146 143 136 138
125
2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017
Nombre de victimes/an
Femmes Hommes Total
9
L. Puech, « Morts violentes au sein du couple : derrière les discours alarmistes, une baisse de 25% depuis 2006 », Délinquance, justice et autres questions de société, 27 février 2019
Une baisse plus importante encore si l’on tient compte de l’augmentation de la population
Ajoutons un élément. Depuis 2006, la population française n’a cessé d’augmenter. Cela signifie qu’en
proportion, entre 2006 et 2017, avec une baisse du nombre d’homicides et une augmentation du
nombre d’habitants (+ 3 401 363 personnes en plus selon l’Institut National d’Etudes
Démographiques12), la baisse du taux d’homicides conjugaux est encore plus significative. Pour les
femmes, le taux de victimes d’homicide au sein du couple a baissé de 25 % en 10 ans. 13
Conclusion : interdiction de se réjouir ?
La lecture de ces données aisément accessibles pour toutes et tous, médias comme associations nourri
chez moi un malaise. Qu’est-ce qui fait que l’on ne semble pas voir ce qui est devant nous ? Quel est
ce soudain silence qui tait les évolutions nettement positives tandis que l’on agite les réseaux et médias
de situations à fort impact émotionnel et des données partielles et non-significatives ? Quelle est cette
gêne à oser dire que nous progressons ?
Le 8 janvier 2018, lorsque le journal Libération fait un article reprenant pourtant des informations sur
la baisse du nombre de femmes tuées au sein de leur couple, le titre comportant le lien qui mène vers
cet article est « Féminicides conjugaux : pourquoi les chiffres ne baissent pas. »14.
L’article15 vers lequel mène ce lien se réfère à des données de l’Enquête nationale et annonce enfin
une baisse. Où est alors le problème ? Annoncer une baisse ne semble pas simple pour Libé et les
données présentées sont non-exactes. En clair, Libé revoit la baisse… à la baisse, quitte à s’arranger
avec les faits, et se situe nettement dans le catastrophisme :
« (…) en 2017. Au moins 109 femmes ont été tuées au cours des douze derniers mois par leur
mari, conjoint ou ex, selon un décompte effectué par Libération, qui a recensé uniquement les
cas mentionnés dans la presse. Le bilan est probablement encore plus lourd, ce que devrait
venir confirmer courant 2018 le ministère de l’Intérieur, qui comptabilise depuis 2005
les «morts violentes au sein du couple». »
12 Voir https://www.ined.fr/fr/tout-savoir-population/chiffres/france/structure-population/population-sexe-ages/
13 En comparant le nombre moyen annuel de femmes victimes sur les périodes 2006-2010 et 2012- 2017, la
baisse du taux de victimes par million est de 27.45%.
14 Des captures d’écran faîtes le 31 janvier puis le 25 février 2019 en attestent.
15 « Féminicides conjugaux : encore trop de violences et trop peu de moyens », Juliette Deborde, 8 janvier 2018
https://www.liberation.fr/france/2018/01/08/feminicides-conjugaux-encore-trop-de-violences-et-trop-peu-de-
moyens_1620635
10
L. Puech, « Morts violentes au sein du couple : derrière les discours alarmistes, une baisse de 25% depuis 2006 », Délinquance, justice et autres questions de société, 27 février 2019
Au risque de décevoir Libération, leur annonce d’un bilan « probablement encore plus lourd, ce que
devrait confirmer courant 2018 le ministère de l’Intérieur » n’a pas été confirmée par la publication
des chiffres officiels, qui correspondent à un total de 109.
« D’après les dernières statistiques officielles, 123 femmes ont trouvé la mort dans le cadre
conjugal en 2016. »
D’après les statistiques officielles de l’enquête nationale, en 2016, ce sont 109 femmes qui ont été
tuées par leur « mari, conjoint ou ex ». Ce chiffre de 123 est le résultat d’un cumul des homicides au
sens retenu par l’enquête nationale (conjoint, vie maritale, concubinage) et d’homicides commis par
des amants, petits-amis, relation épisodique (qualifiées de « relations hors-couples » dans les enquête
nationale qui les ont relevées). Ce nombre varie fortement d’une année sur l’autre. Cette agrégation
pour 2016 s’est propagée et a été reprise un grand nombre de fois. Une fois de plus, c’est la version la
plus alarmiste des données qui a été mise en avant16.
« En dix ans, le nombre de décès a baissé d’environ 10%. »
L’examen des données montre que la baisse est en réalité de 25% sur les 10 années. Preuve qu’il est
vraiment difficile de l’admettre pour une équipe de Libération qui a décidé de faire sien le combat
contre les féminicides, au prix peut-être de la rigueur journalistique.
« «Il y a eu des baisses dans les années antérieures, mais les chiffres récents restent très
élevés, malgré les efforts des associations sur le terrain», analyse Françoise Brié, directrice de
la Fédération nationale solidarité femmes (FNSF) »
Ce n’est pas ce que montre l’examen des données officielles et fiables. La baisse est continue et en
janvier 2018, on savait déjà qu’en 2016 (dernière année connue à ce moment grâce à l’enquête
nationale), le chiffre de 109 était le point le plus bas jamais atteint.
Cette vision qui résiste à voir (peut-être), à dire (certainement) l’amélioration n’est pas présente que
dans les médias et chez les collectifs militants.
La Secrétaire d’Etat ne voit pas une possible réussite des politiques publiques
Le 1er octobre 2018, à quelques jours de la publication des résultats pour l’année 2017, Marlène
SCHIAPPA, secrétaire d'État en charge de l'égalité entre les femmes et les hommes, déclarait17
« Quelle que soit la politique publique menée, de droite ou de gauche, avec beaucoup d'argent ou peu
d'argent, le chiffre reste le même. C'est une régularité glaçante ». Et pourtant si, ils baissent dans la
durée. Identifier et revendiquer ce résultat, dire qu’il y a une amélioration de la situation, ce serait
parfaitement légitime de la part de l’Etat. Ce serait même nécessaire pour dire aux professionnels
qu’ils font partie de cette amélioration, que leur travail et impact a probablement contribué à cette
amélioration. Ne pas le revendiquer, c’est laisser circuler l’idée d’une fatalité, d’une incompétence,
16 En 2016, le total des victimes toutes catégories confondues était le plus bas depuis 2010 comme le montre le
tableau récapitulatif en page 2 du document publié par la Mission Interministérielle pour la PROtection des
Femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF) https://stop-violences-
femmes.gouv.fr/IMG/pdf/enquete_sur_les_morts_violentes_au_sein_du_couple_2016_-
_principaux_enseignements_-_miprof.pdf
17 https://www.rtl.fr/girls/identites/violences-conjugales-les-chiffres-temoignent-d-une-realite-glacante-pour-
marlene-schiappa-sur-rtl-7794999143
11
L. Puech, « Morts violentes au sein du couple : derrière les discours alarmistes, une baisse de 25% depuis 2006 », Délinquance, justice et autres questions de société, 27 février 2019
d’une quasi-impossibilité d’agir. Et laisser circuler cette idée, c’est dire aux victimes de la violence
dans le couple qu’il n’y a pas d’aide possible, seulement une impuissance publique.
Nos responsables pourraient donc adopter une communication qui valorise des résultats en matière de
mortalité routière18. Qu’est-ce qui l’interdit en matière de violence conjugale ?
Les narrations catastrophistes peuvent se poursuivre
Le 22 février 2019, recevant sa récompense lors de la cérémonie des Césars pour son très fort film
Jusqu’à la garde, le réalisateur Xavier Legrand précisait : « Quand on a tourné le film en 2016, il y
avait 123 femmes qui avaient été assassinées par leur conjoint et ex-conjoint. Aujourd’hui, depuis le
1er janvier 2019, 25 femmes ont été assassinées, ce qui veut dire qu’on est passé à une femme tous les
deux jours, alors qu’en 2016 c’était une tous les trois jours »19. Le public a donc reçu une information
qui lui disait : la situation est terrible et elle se dégrade encore. Le lien réel20 mène pourtant vers un
article avec un autre titre : « Féminicides conjugaux : au-delà du fait divers, un fait social. »
Personne ne veut être soupçonné de relativiser la souffrance des femmes qui vivent des situations
terribles de violence. Les mises en cause et les accusations rapides lancées par des collectifs radicaux
notamment sur les réseaux sociaux, se situant sur un terrain moral, jailliraient rapidement. Vu
l’excessive simplification des messages que font circuler ces groupes, il est difficile de parler de faits
qui vont à contre sens de l’idée massivement diffusée et plus facile de rester sur un plan émotionnel. Il
est probablement plus bénéfique de rejoindre l’indignation alarmiste permanente véhiculée par certains
groupes. Il est par contre dangereux de toucher aux faits, de les masquer, de les tronquer par des
présentations partielles. Il devient nécessaire de dépasser ce que Gérald Bronner21 appelle des
« cascades de délicatesse ». Il faut oser aller regarder de plus près ces chiffres qui sont utilisés par les
médias et/ou militants et qui, parce qu’ils défendent une juste cause, n’incline pas à douter de la
présentation et à encore moins à la remettre en question.
Il semble que pour certains, dire que la situation s’améliore, c’est « mal ». Lorsque l’on parle
d’énoncés avançant des données, on doit seulement considérer si elles sont vraies ou fausses. Et si le
critère pour juger de l’évolution est le nombre d’homicides au sein du couple, il est vrai de dire que,
depuis qu’il existe un recensement rigoureux de ces actes, la situation s’améliore fortement. Et que
nous devons poursuivre à l’améliorer.
Le nombre d’homicides au sein du couple va connaître encore des variations. Sera-t-il en 2019
supérieur à 2018 ? Ou le contraire ? La question à se poser est plutôt, quelle tendance allons-nous
observer sur les trois à cinq ans prochaines années. Car ce phénomène s’analyse sur le moyen et long
terme.
18 http://www.securite-routiere.gouv.fr/medias/espace-presse/publications-presse/2018-l-annee-la-moins-
meurtriere-de-l-histoire-de-la-securite-routiere
19 http://www.premiere.fr/Cinema/News-Cinema/Retour-sur-la-ceremonie-des-Cesar-2019
20 https://www.liberation.fr/france/2018/01/08/feminicides-conjugaux-au-dela-du-fait-divers-un-fait-
social_1620279
21 G. Bronner, Cabinet de curiosités sociologiques, Paris, PUF, 2018, p. 193-195.