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Musulmans et non musulmans les nœuds du dialogue

Musulmans et non musulmans les nœuds du dialogue

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  • Musulmans et non musulmans

    les nuds du dialogue

  • Deze publicatie is eveneens verkrijgbaar in het Nederlands onder de titelMoslims en niet-moslims. Knelpunten in de dialoog

    Une publication de la Fondation Roi Baudouin,rue Brederode 21 1000 Bruxelles

    Auteurs : Jordane Carpentier de Changy, Felice Dassetto et Brigitte Marchal,Centre Interdisciplinaire dEtudes de lIslam dans le Monde Contemporain(CISMOC) - Universit Catholique de Louvain (UCL)

    Coordination pour la Fondation Roi Baudouin :Guido Knops, directeurBenot Fontaine, conseiller de programmeJan Blondeel, responsable de projetGreet Massart, assistante

    Graphisme : Casier/FieuwsImpression : Ensched-Van Muysewinkel

    Cette publication peut tre tlcharge gratuitement sur le site www.kbs-frb.beCette publication peut tre commande (gratuitement) sur notre site www.kbs-frb.be,par e-mail ladresse [email protected] ou auprs de notre centre de contact,tl +32-70-233 728, fax +32-70-233 727

    Dpt lgal : D/2006/2848/17ISBN-13 : 978-2-87212-501-2ISBN-10 : 2-87212-501-9EAN : 9782872125012Septembre 2006

    Avec le soutien de la Loterie Nationale

  • 1Musulmans et non musulmans : les nuds du dialogue

    UNIVERSITE CATHOLIQUE DE LOUVAIN

    FACULTE DE SCIENCES ECONOMIQUES, SOCIALES ET POLITIQUES

    UNITE DANTHROPOLOGIE ET DE SOCIOLOGIE

    Centre Interdisciplinaire dEtudes de lIslam dans le Monde Contemporain

    (CISMOC)

    Rapport ralis la demande de la Fondation Roi Baudouin par Jordane Carpentier de

    Changy, Felice Dassetto et Brigitte Marchal du Centre Interdisciplinaire dEtudes de lIslam

    dans le Monde Contemporain (CISMOC) - Universit Catholique de Louvain (UCL)

    Septembre 2006

  • 2 Musulmans et non musulmans : les nuds du dialogue

  • SommaireAvant-propos .................................................................................................................. page 4

    Introduction .................................................................................................................. page 9

    1. Mthode ..................................................................................................................... page 11Brve prsentationIntrt de la mthode

    2. Le constat dun malaise ............................................................................................ page 14Lislam est criminalisLislam se radicaliseConclusion

    3. Les causes du malaise : quatre types danalyse ...................................................... page 17Les causes socio-conomiques et socioculturelles : des constats relativement partagsLimage de lislam et des musulmans : une image pas leur gotLa responsabilit belge : des positions contrastes au Nord et au Sud du paysLa responsabilit de lislam et de la communaut musulmane :

    une distanciation et une critique difficiles

    4. Des attentes ............................................................................................................... page 25Le besoin de reconnaissanceLexigence de rponses claires

    5. Identit ....................................................................................................................... page 30Lidentit en isolementLidentit contingenteLidentit mtisseLidentit ngocierConclusion

    6. Les valeurs des jeunes et leur rapport au religieux ................................................ page 37Le respect des prescriptions par amour de DieuLe rejet de la contrainte, lauthenticit et une relative tolrancePossible entente ou affrontement ?Conclusion

    7. Islam et cole ............................................................................................................. page 42Les manifestations visage islamique dans les colesLes attentes des participants musulmans lgard de lcoleLes excs de certains lves musulmans : tentatives dexplicationConclusion

    8. Islam et mdias ......................................................................................................... page 48Grande insatisfaction des musulmans par rapport limage mdiatique de lislam et des musulmansLinformation par rapport lislam : questions et difficultsConclusion

    9. Islam et politique ....................................................................................................... page 53Un dbat difficileLes fondements du politiqueConclusion

    Conclusion : les nuds du dbat .............................................................................. page 59Questions en prsenceRegards transversaux

    Rsum ...................................................................................................................... page 62

    Executive summary ................................................................................................... page 63

    3Musulmans et non musulmans : les nuds du dialogue

  • Les personnes dorigine musulmane reprsentent environ 400000 personnes enBelgique et, selon les sources, entre 9 et 15 millions en Europe. Or, on constate quela prsence en Belgique et en Europe de musulmans et de lIslam suscite des interro-gations et des crispations. Ces interrogations ou conflits tmoignent souvent dunmanque de connaissance du sujet et dune insuffisance de dialogue de longue dureafin de trouver des solutions.

    Cest pourquoi, en septembre 2003, la Fondation Roi Baudouin a lanc un projetconsacr ce sujet. Au cur de ce projet se trouvent la fois des questions ayantune dimension culturelle, socitale et religieuse.

    Les objectifs poursuivis visent :- dune part, stimuler une meilleure connaissance, une perception plus complte,

    des dfis et opportunits lis la prsence de lIslam et des musulmans en Belgiqueet en Europe ;

    - et dautre part, contribuer la diffusion de ces connaissances, des bonnes prati-ques et pistes de solutions auprs, en priorit, des responsables amens prendredes dcisions ayant un lien avec cette matire et actifs dans diffrents secteurs(pouvoirs publics, socit civile, entreprises, enseignement).

    Pour ce faire, la Fondation a mis sur pied un forum dchange et de rflexion quitravaille dans la dure et qui permet des gens dhorizons divers et qui ne se parlentpeut-tre pas aujourdhui de dialoguer sur le sujet. Le forum comprend deux volets :un volet belge et un volet europen.

    Pour le volet belge, un comit daccompagnement, sous la prsidence de JanGRAULS, Prsident du Service Public Fdral Affaires trangres et Commerce ext-rieur, a t constitu. Ce comit est compos de personnes issues de divers milieuxde la socit belge et choisies pour leur expertise et rputation en la matire. Il estcharg daider la Fondation identifier et traiter les thmes dont il faut dbattre. Levolet europen est essentiellement dvelopp en collaboration avec le EuropeanPolicy Centre (EPC).

    4 Musulmans et non musulmans : les nuds du dialogue

    Avant-propos

  • Constatant la difficult mener un dialogue serein et non polaris entre musulmans etnon musulmans, la Fondation a dsir soutenir une recherche-action initie en 2005visant identifier les nuds qui se trouvent au cur des relations entre musulmans etnon musulmans en Belgique aujourdhui. Cette recherche apprhende dans quel tatse trouvent rellement ces rapports, partir de divers angles dapproches (lcole, lesmdias, les jeunes etc.), et elle examine pourquoi ces relations sont actuellement diffi-ciles. Enfin, elle vise galement cerner les marges de manuvre actuellement possi-bles, de part et dautre, afin de saisir le cadre des volutions envisageables.

    Cette recherche, qui sintgrait dans un projet de recherche europen, a galementt ralise grce au soutien du Consiglio italiano per le Scienze Sociali (CSS-Ethnobarometer, International Research Network on Interethnic Politics and Migration,Rome), reprsent par Monsieur Alessandro Silj. Nous le remercions vivement pourson initiative, en vue de la comparaison europenne.

    Nous remercions les auteurs pour la prcision et la qualit de leur travail 1. Nous remer-cions enfin chaleureusement toutes les personnes qui ont particip aux forumsrflexifs. Sans leur engagement et leur prsence active, cette entreprise naurait pu voirle jour et porter ses fruits.

    La Fondation Roi Baudouin

    Les publications suivantes ont t publies dans le cadre du projet Islam etmusulmans. Elles sont disponibles gratuitement partir du site de la Fondationwww.kbs-frb.be :

    - LIslam et les musulmans en Belgique : enjeux locaux & cadres de rflexion globaux,note de synthse, septembre 2003

    - Islam et musulmans en Belgique. Dfis et opportunits dune socit multiculturelle.Colloque Ceci nest pas un voile - 30-3-2004 - Bruxelles. Compte-rendu

    - Mosques, imams et professeurs de religion islamique en Belgique. Etat de la ques-tion et enjeux, octobre 2004.

    - Les soins de sant face aux dfis de la diversit. Le cas des patients musulmans,aot 2005.

    - Pour une formation des imams en Belgique. Points de rfrence en Belgique et enEurope, janvier 2006.

    1 Ce travail fait lobjet dune publication scien-tifiqueplusexhaustive.Envoici les rfrences:J. de Changy, F. Dassetto et B. Marchal,Relations et co-inclusion - Islam en Belgique,Paris, LHarmattan (collection Comptencesintercultu-relles), 2006, 220 p.

    5Musulmans et non musulmans : les nuds du dialogue

  • 6 Musulmans et non musulmans : les nuds du dialogue

  • Composition du comit daccompagnement Islamet musulmans en Belgique de la Fondation Roi Baudouin

    - De heer Jan GraulsPrsident du comit daccompagnement Islam et musulmans en BelgiqueVoorzitter van het Directiecomit Federale Overheidsdienst Buitenlandse Zaken,Buitenlandse Handel en Ontwikkelingssamenwerking

    - De heer Jozef De WitteDirecteur Centrum voor Gelijke Kansen en voor Racismebestrijding -Madame Fatima Hanine, Collaboratrice au service juridique du Centrepour lgalit des chances et la lutte contre le racisme

    - Mevrouw Nadia FadilFWO-Aspirant, Doctoraatsstudent rond het thema religieuze beleving vanmaghrebijnse moslims in Belgi, Departement Sociologie - K.U.Leuven

    - De heer Piet JanssenStafmedewerker Vlaams Minderheden Centrum

    - Monsieur Ural ManoChercheur Facults Universitaires Saint-Louis

    - Madame Brigitte MarchalChercheuse Universit Catholique de Louvain CISMOC

    - Madame Firouzeh NahavandiDirectrice Institut de Sociologie de lULB

    - Mevrouw Christiane TimmermanOnderzoeker UA - Faculteit Politieke en Sociale Wetenschappen - KatrienVan der Heyden, Onderzoekster allochtonen, Steunpunt Gelijke Kansenbeleid,Universiteit Antwerpen

    - Monsieur Fathi TlatliProfesseur lICHEC, Network Global Industry Director - pharmaceuticals &healthcare DHL Worldwide

    - Monsieur Dan Van RaemdonckPrsident dhonneur de la Ligue des droits de lHomme - Madame Ouardia Derricheex-Viceprsidente

    - De heer Sami ZemniVoorzitter Centrum voor Islam in Europa (C.I.E.) Universiteit Gent Vakgroep Studievan de Derde Wereld

    7Musulmans et non musulmans : les nuds du dialogue

  • 8 Musulmans et non musulmans : les nuds du dialogue

  • IntroductionLa confiance entre groupes sociaux et entre ces groupes et les autorits est unecondition pour une vie sociale harmonieuse. Elment cl pour rsoudre les ventuelsconflits, susciter un engagement positif dans la socit, tablir des relations construc-tives entre citoyens, saper la logique de ghettosation ou de repli, la confiance estessentielle la vie en socit. Elle est pourtant trs fragile. Elle est sans doute le plusgrand enjeu des socits plurielles contemporaines, en amont mme de la rsolutionde leurs problmes pratiques.

    Aujourdhui, via les contacts quotidiens, mais aussi, plus largement, par le truchementdes politiques et des mdias, lislam est trs prsent dans limaginaire belge et occi-dental. En raison, notamment, du terrorisme et du combat qui lui est men. Alors quela communaut musulmane est mise sous le feu des projecteurs, comment sepassent concrtement les relations entre musulmans et non musulmans en Belgique?Quel est ltat de la confiance entre eux? Quelle est linfluence du contexte interna-tional sur leurs rapports en Belgique? Quels sont les lieux, les enjeux autour desquelsla confiance existe et pourrait peut-tre tre renforce? Quels sont ceux o le dsac-cord semble trop profond? Ces questions, dans un pays qui compte 10 millions dha-bitants, dont approximativement 400000 musulmans, sont pertinentes et mmeurgentes. Elles ont fait lobjet dune recherche acadmique dun an et demi et dbuteen aot 2004, dont ce fascicule prsente des conclusions et analyses.

    Pour cerner ltat de ces relations et de la confiance, la recherche Islam et co-inclu-sion a fait se rencontrer des personnes des musulmans et des non musulmans,dans le cadre de forums rflexifs. Cette mthodologie particulire est brivementprsente en dbut de rapport. Chaque forum - lieu de rencontre et de dbat - sestpench sur un sujet sensible dans le cadre des relations rciproques entre musulmanset non musulmans. A travers lchange et la discussion, des nuds, des points dac-cord et de dsaccord sont apparus entre citoyens musulmans et non musulmans. Atravers la confrontation des points de vue, les contours en ont t prciss.Difficilement quantifiable, la confiance - de mme que la mfiance et la dfiance - selaisse apprcier par de petits signes, tant au niveau du contenu des changes qucelui de lattitude des participants.

    Entre septembre 2004 et octobre 2005, sept forums rflexifs se sont runis pouraborder sept thmes-enjeux dans le cadre des relations entre musulmans et nonmusulmans, dans diverses villes, en Belgique. Le premier sest intress la questiondes dfis nouveaux provoqus par la prsence de lislam et de musulmans dans lescoles. Le deuxime a abord la question de lislam politique en Belgique. Au coursdu troisime, les participants ont trait de la question des identits ethniques, cultu-relles et religieuses. Le quatrime forum tait consacr limage de lislam et desmusulmans dans les mdias. Le cinquime au port du voile. Le sixime aux relationsdes jeunes par rapport la sexualit. Enfin, lors du dernier forum, la question de lislampolitique a t approfondie par une rencontre sur les rapports entre religions et Etat enBelgique. Ces sept forums ont donn lieu des constats et analyses divers, au niveaudes relations rciproques de manire gnrale ainsi quau niveau de diffrents enjeux.Ceux-ci sont brivement prsents dans ce volume, la suite dune courte prsenta-tion de la mthodologie mise en uvre au cours de la recherche.

    Quelques prcisions simposent avant dentrer dans le vif du sujet. La premire, impor-tante, concerne les appellations musulmans et non musulmans. Celles-ci ne mani-festent aucune intention dattribuer aux participants des qualits substantielles ou defaire preuve de penchants culturalistes. La recherche sintresse lislam commephnomne social religieux, ou comme phnomne religieux ayant des rpercussionssur le vivre ensemble. Lislam, en tant que rfrence identitaire et religieuse, exerce une

    9Musulmans et non musulmans : les nuds du dialogue

  • influence sur les attitudes et les pratiques de ceux qui sen rclament. Dans cette pers-pective, nous appelons musulmans ceux qui se considrent, se revendiquent ou saf-fichent comme tel, dun point de vue convictionnel et/ou par hritage. Les musulmanspar conviction, quils soient convertis ou musulmans dorigine, sont ceux qui font unedmarche dadhsion active lislam. Etant donn notre perspective, ils constituent lagrosse majorit des musulmans de notre panel. Les musulmans par hritage ont reuun bagage islamique, auquel ils sont attachs, quils revendiquent et qui fait partie int-grante de leur identit, quils soient croyants ou pas.

    Se situent de faon intermdiaire entre les musulmans et les non musulmans, tousceux qui, issus de pays rputs musulmans ou de familles croyantes, nactivent pasdu tout cette rfrence religieuse, la questionnent, voire se dclarent laques. En raisonde la prsomption dislamit lie au nom ou au facis des personnes originaires depays musulmans et en raison de lattachement de la plupart leur culture dorigine -notamment religieuse -, ces personnes sont le plus souvent situes, par les musul-mans comme par les non musulmans, dans une sorte dentre-deux. Nous en parle-rons comme dorigine musulmane, bien que ce terme soit imparfait.

    Dans la catgorie non musulmans se retrouvent les personnes sans aucun hritagereligieux ou culturel islamique, et sans adhsion personnelle cette religion. Cetteexpression assez gnante, car formule de manire ngative, permet toutefois le plussouvent dviter des termes encore plus inadquats, tels que belges - car la plupartdes musulmans de Belgique sont aussi belges - ; belges de souche - car, entre autres,certains Belges de souche sont convertis lislam - ; ou Occidentaux - car les musul-mans europens sont aussi une composante de la socit occidentale. A noter toute-fois que la recherche ne tient pas compte des non musulmans dautre origine ou natio-nalit, Chinois par exemple.

    Sont donc qualifis de musulmans ceux qui se prsentent comme tel, avec lesnuances quils y apportent parfois. De la mme faon que des dbats sur la pratiquedu ski auraient probablement donn lieu aux appellations skieurs et non skieurs.

    Dautre part, cet ouvrage nentend pas opposer des musulmans des non musul-mans. Le but poursuivi nest pas de faire rfrence des acteurs spcifiques, mais dedgager les logiques dargumentation des uns et des autres.

    Toutefois, lespace dun bulletin est court pour aborder, non seulement des problma-tiques aussi vastes, mais aussi pour entrer dans la diversit de toutes les logiques.Nous sommes ds lors contraints une ncessaire gnralisation des points de vue.Nos analyses ne prtendent pas en puiser la richesse.

    Par ailleurs, certaines positions manquaient au panel des forums, notamment les plusextrmes. Dune part, en raison dune vidente limite dans le nombre de participants.Dautre part, parce que, daprs notre exprience dAnvers, les positions tropextrmes polarisent le dbat et tendent le monopoliser. Les discussions peuventparfois en devenir contre-productives. Enfin, certaines positions ne sont pas toujoursenclines au dbat ou un dbat galitaire. Dbattre sur le vivre ensemble prsupposeen effet un intrt pour la question, que certaines positions, en situation de rupture oude dissociation par rapport la socit, ne partagent pas.

    Enfin, si la recherche postule limportance capitale de la confiance et insiste sur cepoint, elle na pas pour mission de la favoriser. Son rle est den analyser ltatactuel. Aux politiques, aux citoyens, ensuite de sengager pour lamliorer,inventer des lieux o elle se construit. La perspective est donc descriptive etanalytique, et non thrapeutique.

    10 Musulmans et non musulmans : les nuds du dialogue

  • 1.MthodePour dgager les zones de tension, celles daccord ou de dsaccord, pour cernerles volutions possibles et leur direction, le projet Islam et co-inclusion a mis enuvre une mthode originale de recherche-action, baptise forums rflexifs.Cette mthode, exprimente pour la premire fois dans le cadre de cetterecherche, peut utilement sappliquer ltude des relations et des tensions entredautres catgories de personnes.

    Brve prsentation

    Lide fondatrice des forums rflexifs est de donner des petits groupes de gens auxpositions divergentes loccasion de dbattre - dans un cadre constructif et construito la parole de chacun est totalement libre et digne de respect - sur un sujet pol-mique qui les concerne ou les interpelle tous. A travers lanalyse de leurs propos et delvolution ou non des discussions et des attitudes des participants, les chercheurspeuvent mettre en vidence les vritables points de tension, constater limpossibilitpour certains de traiter certaines questions dans le fond, voir des incomprhensionsrciproques sattnuer, dceler la formation de fronts, bref, dgager les lieux desenjeux rels, au-del des discours classiques. En restituant leurs rflexions et analysesaux participants durant les sances, ils leur permettent dy ragir et dtre ainsi partiel-lement acteurs de la recherche.

    1 - P O S T U L A T

    La mthode repose sur le postulat selon lequel, travers le dialogue libre et largumen-tation, des gens rationnels se rvlent non seulement eux-mmes, mais aussi leursystme de pense. Ainsi, travers la rencontre dindividus, des systmes de pensese confrontent concrtement. De l merge la possibilit danalyser les zones detension, non un niveau purement thorique, pas plus qu un niveau strictement indi-viduel, mais au niveau de la rencontre relle dunivers de rfrence distincts. Lanalysenest donc pas psychologique, mais elle considre que les attitudes personnelles rv-lent des enjeux qui dpassent le cadre de lindividu.

    A chaque thme tudi correspond un cycle de rencontres, dont voici les lments cls :

    2 - E L M E N T S P R A T I Q U E S

    1) Un thme litigieuxLe thme choisi doit tre peru par les personnes concernes comme problmatique.Que ce soit en soi ou dans la faon dont il est gnralement trait. Ainsi, le port dufoulard est considr par de nombreux non musulmans comme problmatique en soi,en certains lieux en tout cas, alors quil nest pas considr comme un problme ensoi par beaucoup de musulmans. Pour ces derniers, il devient problmatique parcequil est controvers, mal vu, voire contest.

    2) Un groupe de participants reprsentatif et quilibrUn forum rflexif est compos dune dizaine de personnes, les mmes pour toute ladure du cycle. Ces personnes parlent en leur nom propre, mme si elles sontmembres dune organisation, dun syndicat ou dun parti. Le groupe ne doit pas treproportionnellement reprsentatif des diffrentes tendances en prsence sur le terri-toire de la recherche, mais tenter dincarner une pluralit de positions. Le groupe est,de ce point de vue, un reflet de la socit. Lquilibre entre les catgories les plus signi-ficatives pour la recherche (ici, les musulmans et les non musulmans) est fondamental

    11Musulmans et non musulmans : les nuds du dialogue

  • Les participants ne doivent pas tre spcialistes du thme en question, mais sy int-resser ou, tout au moins, accepter de sy intresser.

    3) Un lieuCertaines problmatiques sont emblmatiques de certains lieux (villes, rgions, )ou se prtent mieux certains endroits qu dautres. Ainsi, concernant laconfrontation des identits, la ville dAnvers apparaissait incontournable.Concernant lislam et lcole, les difficults se vivent plus Bruxelles quenprovince, notre choix sest donc port sur la capitale. Lorsquun lieu ne simposepas, le choix de celui-ci rpond dautres critres, telle une rpartition quitabledes groupes sur le territoire de la recherche.

    3 - P R I N C I P E S

    Lorganisation des forums rflexifs rpond plusieurs principes. Toutefois, la rgle dorest la flexibilit et ladaptation selon les spcificits de chaque groupe.

    1) Un cycle = plusieurs rencontresA lexception dun forum, tal sur une journe, les divers groupes se sont runis troisfois trois heures en lespace de dix jours. Les objectifs de ces rencontres successivessont les suivants. Dune part, le fait de se rencontrer plusieurs fois permet au groupede crer sa propre dynamique. Ds la deuxime rencontre, les autres participants nesont plus des inconnus. Les propos se font alors plus spontans, plus personnels.Dautre part, dans la mesure o le projet cherche cerner les zones daccord et dedsaccord, de confiance et de mfiance et ce, au-del des positions thoriques, ledbat doit chercher dpasser lchange darguments et devenir plus personnel. Lesrencontres successives permettent cet approfondissement de la rencontre. Ainsipeuvent se rvler des espaces de changements, des ententes possibles, ou desimpasses manifestes.

    2) Un mot dordre : le respect et la valeur de la parole de chacunDans lespace de rencontre que constitue le groupe, les participants sont tous gaux,quels que soient leur niveau dducation ou leur fonction dans la socit. Toute parolea la mme valeur. Toutes mritent une attention et un respect gaux, de la part deschercheurs comme de celle des autres participants. Par ailleurs, ces groupes sont unlieu o la parole est totalement libre, dans la mesure o elle est respectueuse.

    3) Une dynamique : les participants sont partiellement acteurs de larecherche sous la conduite des chercheurs

    Les discussions de groupe sont trs libres. Les chercheurs - gnralement trois - nesont pas l pour donner une direction aux rencontres. Les participants leur donnenteux-mmes cette direction. Toutefois, les chercheurs interviennent rgulirement, pourdonner la parole tel ou tel, plus discret, pour ramener au sujet si la discussion senloigne, pour insister sur telle question voque et qui semble lude, pour mettre enquestion les participants dans leur propre logique de pense, pour inciter lun oulautre aller jusquau bout de son raisonnement. Par ailleurs, les chercheurs serunissent aprs chaque runion - voire mme pendant la pause, lors dune runion -pour un dbriefing et formulent ensuite aux participants une srie de constats sur ltatdes accords et dsaccords, auxquels ceux-ci sont invits ragir. De cette faon, lesparticipants ne sont pas seulement les objets de lanalyse, mais peuvent galement entre les acteurs travers leurs commentaires.

    Intrt de la mthode

    Cette recherche est unique en ce quelle permet, en un laps de temps trs court, devoir - au sens propre - o se nouent des enjeux socitaux, comment ils sont vcusconcrtement et comment ils peuvent voluer au cours des rencontres.

    12 Musulmans et non musulmans : les nuds du dialogue

  • 1) Un cadre et des conditions propices la discussionChaque groupe de rencontre forme une sorte de microcosme dmocratique. La libertet lgalit de chaque parole, assures par les chercheurs, ainsi que la dimensioncyclique du forum, forment un cadre mthodologique propice des rencontres fran-ches et dsinhibes o chaque participant a sa place.

    2) Gains en termes de connaissance et de communicationPour la plupart des participants, le forum constitue une occasion unique de discuteravec des types de personnes quils nauraient jamais rencontrs en dautres circons-tances. Le groupe est donc le lieu dune communication par ailleurs impossible ouextrmement improbable. Or cette communication est indispensable la connais-sance de lautre. A travers la confrontation, les participants dcouvrent ou peuventdcouvrir les limites de leur connaissance de lautre et apprendre de leur bouche desinformations pour eux jusque-l inconnues. Mais cela va plus loin. A travers la confron-tation, le participant est pouss dans ses derniers retranchements et, se rvlant auxautres, il peut se rvler galement lui-mme. Le groupe de rencontre ne favorisedonc pas seulement la connaissance de lautre, mais la connaissance de soi.

    3) Le rle de rvlateur du groupeMieux que toute thorie ou que toute interview, la mthode permet de faire mergerdes positions dans leur complexit. A travers les changes et la confrontation, lesnuds apparaissent, montrent la profondeur de leurs racines ou au contraire, leursuperficialit. La discussion met en vidence des accords et des dsaccords entrediffrentes positions, mais aussi la transformation ventuelle de ceux-ci. La mthodea donc le mrite de mettre en vidence laspect volutif, non fig, des ralits socialeset des gens. Elle permet le constat de lexistence de perspectives.

    4) Une dmarche constructiveLa mthode propose est constructive plusieurs niveaux. Dune part, par la possibi-lit qui leur est offerte de ragir aux analyses, de donner leur avis sur le fonctionne-ment du groupe et sur la faon dont une thmatique est aborde et, pourquoi pas, deproposer leur propre analyse, les participants sont invits entrer dans une dmarcherflexive et constructive. Dautre part, la dmarche peut tre constructive, pour lesparticipants eux-mmes. Face aux autres, chacun est amen prendre des positions, affiner ses positions, prendre une place lgitime dans le dbat.

    Conclusion

    Les forums rflexifs veulent offrir une possibilit de dsamorcer des situations poten-tiellement porteuses de conflictualit. Elle est un moyen parmi dautres, existants ouenvisageables, et doit tre considre comme telle. Elle ne constitue en aucun cas unremde miracle, mais apporte, son chelle et avec toutes ses limites et ses vertus,une pierre la construction dun vivre ensemble plus harmonieux.

    13Musulmans et non musulmans : les nuds du dialogue

  • 2.Le constat dun malaiseLe succs des forums rflexifs la confirm, les relations entre musulmans et nonmusulmans butent sur des nuds. Plus gnralement se dgage le sentiment dunmalaise, malaise dune relation o ni les uns ni les autres ne semblent satisfaits, ne sesentent compris et entendus.

    Quelles sont ses formes et comment se manifeste-t-il ? Daprs les changes, nouspouvons mentionner les lments suivants : islamophobie et peur de lislamophobie.Prjugs dans les deux directions. Stigmatisation des jeunes dorigine musulmane problmes. Cloisonnement. Soupon lgard de lemprise gnrale du religieuxchez les musulmans, de la part des non musulmans. Mise en question de (lapplica-tion de) la neutralit en Belgique de la part de certains musulmans. Crainte dune extrmisation des populations, de part et dautre, avec le succs de lextrmedroite et la reprise de ses thses par dautres partis, dune part, et la radicalisation decertaines franges musulmanes, dautre part. Les uns ont le sentiment de ntre pasvraiment libres de vivre leur religion pleinement et dignement, en suivant lensemble deses prceptes. Les autres craignent la domination religieuse et la contestation de prin-cipes constitutionnels belges tels que la libert religieuse, la neutralit de lEtat oulgalit hommes-femmes - qui sont aussi des valeurs essentielles -, ou de la faondont ils sont mis en uvre.

    Pour rsumer, le malaise se cristallise sur deux points. En premier lieu, une gamme desentiments lgard de lautre, allant de lembarras la peur, voire au rejet. En secondlieu, le dsir dtre pleinement soi-mme, en vivant pleinement ses valeurs, confrontau sentiment que lautre y fait ou voudrait y faire obstacle.

    Le malaise rsulte donc dun dcalage entre ce quest la relation actuelle - oulimage que les uns et les autres sen font - et limage de ce quelle devrait treidalement.

    Outre le constat commun dun malaise - quils ressentent toutefois diffremment -,musulmans et non musulmans font tat dune dgradation de leurs relations rcipro-ques ces dernires annes, dgradation quils nattribuent pas aux mmes raisons.

    1- Lislam est criminalis

    Pour beaucoup de musulmans, la dtrioration de leurs relations avec les non musul-mans date du 11 septembre 2001. Nombreux font part dun changement de regarddes non musulmans leur gard depuis les attentats : ils se sentent dvisags, stig-matiss comme terroristes potentiels, ils sentent la mfiance peser sur eux. Lesdbats ont donn lieu de trs nombreuses rflexions en ce sens. En voici quelques-unes :

    Le 11 septembre a quand mme eu une trs mauvaise influence. () La situation aquand mme chang dans le sens o on devient fich juste par le fait dtremusulman. () On sent clairement une diffrence dans la communication avec dau-tres gens, des collgues, des gens qui vous regardent diffremment.

    Le 11 septembre a jou un rle important, car ctait en quelque sorte le point dedpart de la dmonisation et de la criminalisation de lislam.

    Les agressions viennent aussi des Belges lgard des musulmans, et notammentdes femmes voiles, surtout depuis le 11 septembre.

    14 Musulmans et non musulmans : les nuds du dialogue

  • Le 11 septembre. Qui taient les coupables? Tous les musulmans.

    Bien plus que les non musulmans, les participants musulmans mentionnent le11 septembre comme une catastrophe. Pour certains, il est mme lorigine dunsentiment dinscurit qui, manifestement, nest plus le slogan exclusif des partisnationalistes.

    En ce qui concerne le sentiment dinscurit, je dois reconnatre que je ne me suisjamais laisse influencer par ce sentiment. () Mais, malgr tout, il y a toujours unepetite peur lintrieur de moi qui me dit que a pourrait arriver quun islamophobemagresse.

    Si tu te fais oprer par un mdecin et tu te dis quil est peut-tre Vlaams-Blokker, tupenses : Il pourrait trs bien en vouloir ma vie . Les musulmans sont toujoursconfronts cette inscurit.

    Selon les musulmans, travers limage violente de lislam et des musulmans quil aengendre ou renforce, le 11 septembre a un impact trs ngatif sur les rapportsquotidiens des musulmans avec les non musulmans. Les relations rciproques enressortent trs perturbes. Llment cl du ressenti musulman par rapport au malaisequils constatent est le regard des non musulmans sur eux.

    A quelques rares exceptions prs, les non musulmans ne se montrent pas sensiblesaux propos, voire la souffrance exprims par plusieurs musulmans. Certains parta-gent le constat, mais aucun ne se montre concern.

    2- Lislam se radicalise

    Les non musulmans ne citent pas de point de dpart, mais eux aussi font tat dunchangement dans leurs relations avec les musulmans. Plus prcisment, ilsconstatent des changements au sein de la communaut musulmane. Beaucoupexpriment le sentiment dune radicalisation et dun durcissement identitaire du ctmusulman. Cette radicalisation touche de nombreux domaines et se manifestede multiples faons.

    1) Lexemple le plus vident concerne le voile, dont beaucoup estiment quil est deplus en plus prsent et visible : Des foulards, il y en avait dj avant, mais arallonge, les vtements rallongent, il y en a qui mettent des gants, il y en a qui secouvrent le visage

    2) Dans les coles, les exigences dlves et de parents musulmans se multiplient etconcernent des sujets de plus en plus sensibles, comme les relations hommes-femmes, le rapport la science, lattitude face lathisme et aux autres religions.

    3) Aux niveaux associatif et politique, certains acteurs poursuivent des idaux politi-ques ne correspondant pas ncessairement au modle dmocratique de constitutiondu politique.

    - M (membre dun mouvement islamiste) : Voil, voil Est-ce que la dmocratie estle seul systme qui soit garant du droit et de la justice?- S : Ben, jusque maintenant, oui.- M: Eh bien, on dit que non. On dit que le systme musulman aussi est garant dudroit et de la justice.

    4) Enfin, au quotidien, que ce soit au niveau des vnements internationaux relats parla presse ou de la dlinquance juvnile en Belgique, les acteurs de ces manifestationsviolentes affirment souvent agir au nom de lislam ou lui sont associs. Le fait est

    15Musulmans et non musulmans : les nuds du dialogue

  • quand mme que vous vous identifiez comme musulmans, notamment lorsquil y ades problmes, par exemple, lorsquil y a des bagarres, comme lorsquun homme at assassin Borgherout , affirme une participante du groupe dAnvers, sadres-sant un jeune musulman. Certains portent le drapeau islam-islam pour desactions qui ne sont pas toujours justifiables dans le contexte islamique , confirme uneparticipante musulmane du forum sur les mdias.

    Le caractre explicitement islamique de ces manifestations a un air de nouveaut.Comme le mentionnent plusieurs participants musulmans et non musulmans :Auparavant, ceux qui posaient problme et inquitaient, ctaient les Arabes,aujourdhui ce sont les musulmans. Avant, lislam tait discret. Il se montre aujourdhuidavantage, sous un jour plus exigeant et plus difficilement acceptable pour la plupartdes non musulmans. Avant? Avant quoi? Aucun ne le prcise. Pour les non musul-mans, moins quun tournant impuls par un vnement, ce changement apparatcomme un processus en cours, une affirmation identitaire illimite et imposante.

    Pour ceux qui ont au quotidien des relations avec des musulmans, notamment lesenseignants, ce durcissement identitaire a un effet ngatif sur les relations rcipro-ques. Le sentiment que certaines valeurs loccidentale sont menaces, que lesmusulmans simposent ou imposent leur islam et que les relations mutuellesdeviennent de plus en plus complexes est fort rpandu chez les participantsproches de musulmans au quotidien.

    Comme linverse, cest le silence qui accueille le plus souvent les rflexions des nonmusulmans. En amont des faits, beaucoup de musulmans manifestent une gne parrapport lusage mme de mots comme radical, quils vivent comme un terme accu-sateur fourre-tout. Si on parle dislam radical, on tablit directement des liens avecle terrorisme et des termes utiliss par les mdias.

    Ces changements rcents - de regard, de radicalisation - sont lorigine dune dt-rioration des relations et de lmergence dun malaise ressenti de part et dautre, maisvcu et explicit de faon trs diffrente.

    16 Musulmans et non musulmans : les nuds du dialogue

  • 3.Les causes du malaise :quatre types danalyseLide dun malaise sest manifeste dans les changes, au cours des cycles,sous une double forme, celle dune description des difficults rencontres et celledune analyse de leurs causes, les deux allant souvent de pair. Ce discours sur lescauses transparat au travers des tentatives des uns de se justifier par rapport auxpropos des autres et dautre part au travers des accusations quils leurs renvoient.Certains participants dveloppent de vritables thories, de vritables analyses,mais, le plus souvent, justifications, explications et accusations se dissimulent aucur des dialogues.

    Justification et accusation. Deux attitudes de dni ou de relativisation de sa propreresponsabilit. Justification et accusation, sous forme dexplication pdagogique oudinterprtation des problmes ou, plus souvent dans le cas des non musulmans,sous forme dinterrogation. Lexplication donne le sentiment dune matrise de lasituation ou dune possibilit de la matriser, alors que linterrogation, mme soup-onneuse ou inquisitrice, admet quil manque des lments pour comprendre lasituation et y faire face.

    Quatre grands types de discours sur les causes ont merg dune analyse transver-sale des diffrents cycles. Reflets de ce que nous venons de dire, certains discourssont davantage bass sur la justification, dautres sur laccusation. Certains sontplus affirmatifs, dautres plus interrogatifs. Certains sont plus spcifiques une cat-gorie de participants, dautres plus gnraliss. Le premier voit dans les injusticessocioculturelles le dterminant du malaise. Selon le deuxime, limage ngative quesubit lislam a des rpercussions trs ngatives sur les relations entre communauts.Le troisime attribue au systme politique et la socit belge en gnral la respon-sabilit des problmes. Enfin, le dernier met en cause lislam ou, tout au moins,certains musulmans.

    1- Les causes socio-conomiques et socioculturelles :des constats relativement partags

    1) Au niveau nationalCe premier discours reconnat lexistence de problmes, non pas spcifiques , maisfort marqus au sein de la communaut musulmane. Ces problmes touchent laradicalisation, au repli communautaire, la dlinquance et au dcrochage scolaire,phnomnes source de stigmatisation de la communaut musulmane et de rupturesociale. Ce discours propose des analyses en termes socio-conomiques et sociocul-turels. Les problmes sont le rsultat de lexclusion et/ou dun conflit de rfrences .Plus gnralement, le sentiment dinjustice est peru comme lorigine de la plupart desdifficults : Il y a une autre chose aussi, que jai remarque dernirement, et cestpourquoi les jeunes sidentifient lislam, pour faire une protestation : cest le senti-ment dinjustice, le sentiment que la socit est tolrante sens unique.

    Ce discours a t trs dvelopp par les musulmans de certains groupes, mais agalement reu la faveur de plusieurs non musulmans, en particulier flamands. Ildnonce un certain nombre de facteurs socio-conomiques et socioculturels, dontvoici une liste non exhaustive :

    Facteurs socio-conomiques : la pauvret de nombreuses familles originaires depays musulmans ; la ghettosation de certains quartiers et de certaines coles, le

    17Musulmans et non musulmans : les nuds du dialogue

  • faible degr de qualification des premires gnrations ; lexclusion de la filire gn-rale de lenseignement au profit des filires qualifiantes ; le taux de chmage extr-mement lev parmi les jeunes dorigine immigre non europenne, A ce propos,quelques citations :

    Toute communaut a des problmes, mais a tient aussi aux discriminations.

    Les problmes nont aucun rapport avec lislam. Les problmes sont lis au fait quedes jeunes sont relgus au second plan, sont discrimins sur le march de lemploi,par exemple.

    Les chiffres montrent que de nombreux lves dorigine trangre sont envoysdirectement, aprs les primaires, vers lenseignement professionnel.

    Facteurs socioculturels : le malaise de nombreux jeunes pris entre deux chaises : celledes rfrents culturels, religieux, moraux de leur famille et celle des rfrents parfoistout autres de lcole et de la socit ; le regroupement des jeunes filles voiles dansles rares coles qui autorisent le port du voile ; le sentiment de dvalorisation de laculture ou de la religion dorigine ; la crainte ou le refus dune intgration vue commeune assimilation ou une dnaturation ;

    Sexprimant propos des trois lments constitutifs de lidentit des jeunes musul-mans en Belgique - identit belge, identit dorigine, identit religieuse -, une jeunemre au foyer musulmane affirme : Mais le fait quon rejette un des trois, a crispeaussi. () Automatiquement, lui [le jeune musulman], la religion, au lieu de lexprimeren tant que foi, il lexprime en tant que rvolte.

    Le VDAB 2 dit, dans un rapport, quil y a des discriminations lies la culture sur lemarch de lemploi. Par exemple, les femmes musulmanes avec le foulard ne peuvent,par exemple, pas faire leur stage. Elles ne sont pas acceptes, on leur demande den-lever leur foulard.

    Ces multiples facteurs entranent une marginalisation de ces populations fragilises - lesjeunes, en particulier. Le manque dducation aidant, elles sont plus particulirementsensibles aux discours simplistes et radicaux. Cette analyse, qui apporte des lments derflexion pertinents et intressants, a toutefois le dfaut de gnralement dresponsabi-liser les personnes qui posent problme. Le plus souvent, dans ce discours, la socit esten dfinitive la grande responsable des dviances de certains de ses membres. Cetteexplication, trs rpandue parmi les musulmans, ne fait aucune place lislam.

    Parmi les non musulmans, certains nient ces faits, dautres - surtout des Flamands -les confirment et partagent les analyses des musulmans, dautres enfin - la majorit -les reconnat, gnralement sans paratre particulirement interpells.

    2) Au niveau internationalCe discours est extrapol au niveau international, par certains musulmans. Le terro-risme - cette sorte de magistrale dlinquance - trouve son origine dans les injustices,le colonialisme et toutes les formes de no-colonialisme, le soutien des grandes puis-sances certaines dictatures en fonction de leurs intrts, ou les situations palesti-nienne, tchtchne et irakienne.

    A nouveau, ces problmes - mme rels - sont prsents comme nayant rien voiravec lislam et leurs auteurs se trouvent pour une part dresponsabiliss. Mais lespropos vont parfois plus loin puisque, pour quelques participants musulmans, le vri-table islam , lislam tel quil est nest pas vcu et ne peut pas tre vcu dans lespays dits musulmans en raison des influences et manipulations des grandes puis-sances. Ce type dargumentation permet certains musulmans de continuer croire 2 Le VDAB est loffice pour lemploi, en Flandre.

    18 Musulmans et non musulmans : les nuds du dialogue

  • en lislam comme modle socital, malgr lchec social, conomique et dmocra-tique des pays dits musulmans.

    En rponse au constat que la situation, divers niveaux, est dramatique dans les payso lislam est religion dEtat, un participant musulman rplique : Ce sont des dicta-tures () Ils sont tenus par lOccident. Cest le no-colonialisme occidental. Etdans un autre groupe : On na laiss aucun pays la chance de pouvoir testercomment a pourrait se passer et on ne sait pas comment a pourrait se passer.

    2- Limage de lislam et des musulmans : une image pas leur got

    Un deuxime discours trs prsent parmi les musulmans - qui apparaissent unanimes ce propos - et relay par certains non musulmans, considre que les problmes decohabitation sont, pour une large part, dus limage de lislam, bien plus qu lislamou aux musulmans eux-mmes. Au sein des diffrents groupes, aucun musulman nesest montr satisfait de limage de lislam et des musulmans, vhicule dune part parles mdias, dautre part par les milieux politiques.

    Au cur de la critique, certains mdias, certains politiciens, certains intellectuelssont accuss de se servir de lislam pour raliser leurs ambitions institutionnellesou personnelles.

    - D (journaliste) : Je pense queffectivement il y a une sur-couverture de lislampar les mdia. - H (participant musulman) : Ca fait vendre, non ? (Rires et acquiescement dunejournaliste)

    Le discours sur lislam est un discours qui est beaucoup utilis pour btir des carrireset faire beaucoup de bruit. Parce que cest un discours in actuellement.

    Deux types de critiques fusent propos de limage vhicule de lislam:

    La premire - la plus importante - concerne lamalgame entre islam et terrorisme ouentre islam et fondamentalisme. Les musulmans ont apport normment dechoses, pendant des sicles et au monde entier, et aujourdhui, cest un boulet, cesont des gens dont il faut se mfier. On est tous des terroristes en force. A partir dumoment o on est pratiquants, quon prie cinq fois par jour, on va poser desbombes Enfin Cest aberrant ! Les distinctions ncessaires ne sont pas intro-duites, essaimant la confusion dans les esprits non prvenus. Bon, islamiste,musulman, intgriste, fondamentaliste, on utilise les termes tout va, peu importe cequon veut dire et donc l, il y a effectivement vraiment un problme. Terrorisme rimeaujourdhui tellement avec islam quislam finit par rimer avec terrorisme. Les musul-mans contestent cette fausse synonymie.

    La seconde critique de certains musulmans, adresse aux mdias qui souhai-tent malgr tout donner une autre image de lislam, est la folklorisation de la reli-gion. Les reportages insistent davantage sur les contours culturels, voire folklo-rique de lislam et non sur sa profondeur religieuse : Jai limpression que,parfois, le folklore est plus exotique et je ne sais pas, a fait peut-tre vendredes tickets Royal Air Maroc Ils regrettent que, en ltat actuel, une imagepositive de lislam et des musulmans soit presque systmatiquement non reli-gieuse, les manifestations religieuses de lislam tant habituellement taxes deradicalisme ou dintgrisme.

    A travers la souffrance et lattente manifeste dune autre prsentation delislam, ce sont notamment les diffrences de regard sur et de vision du mondequi sont manifestes.

    19Musulmans et non musulmans : les nuds du dialogue

  • Ici se pose la question de la capacit des non musulmans de comprendre la dmarchereligieuse et den rendre compte. Or ce dernier point est loin dtre une vidence. Ladmarche de foi est accepte, de manire gnrale, par les non musulmans, mais ellenest de toute vidence pas comprise par la plupart. Il sagit tout simplement dunedmarche trangre au vcu de la majorit et dont elle a du mal pntrer le sens etla dimension existentielle. Quand on approche les musulmans ou lislam en Belgique,on ne les approche pas avec une connaissance profonde de la religion ou de la reli-giosit et a, a donne dj un manque de comprhension , disait un journaliste nonmusulman, ajoutant : Des humanistes qui comprennent vraiment le contenu religieuxdune religion sont trs rares. Or la difficult est plus grande encore, puisquil sagiten loccurrence de comprendre le vcu religieux islamique, un vcu qui imprgne tousles aspects de la vie, et qui est - quoiquon en dise - trs diffrent du vcu chrtien,qui a une longue tradition en Belgique. Il y a l sans doute une pierre dachoppementpuisque lattente des musulmans dtre reconnus dans leur identit religieuse estimmense et que la difficult dy rpondre semble tout aussi grande.

    En outre, comme la religion est lchafaud de leur vie, la plupart des musulmansconvaincus vivent le rejet, la mfiance, la peur ou lincomprhension lgard delislam comme une violence qui leur est faite personnellement. Cest pourquoi la ques-tion de limage apparat ce point existentielle pour les musulmans.

    3- La responsabilit belge :des positions contrastes au Nord et au Sud du pays

    Ce troisime et dernier discours spcifiquement musulman dnonce lincapacit desnon musulmans assumer la diffrence, vivre avec dautres, diffrents deux. Si lediscours sur les causes sociales du malaise comportait dj une critique de la socit,cet aspect prend ici une dimension plus forte. Car, au-del de pratiques discrimina-toires ou de situations de fait dsavantageant des personnes fragilises socialementou culturellement, ce sont ici la mauvaise volont du systme et son incapacit quisont en ligne de mire.

    Certains participants musulmans flamands accusent quelques politiciens en particu-lier, mais aussi la plupart des partis de mettre des btons dans les roues de la coha-bitation, sous prtexte de scurit, de libration de femmes opprimes, de rsolutiondes problmes dintgration. Daprs eux, ces mesures crent plus de problmesquelles nen rsolvent. Elles sont dautant plus dommageables quelles ont par ailleursun impact ngatif sur lopinion publique, trs permable aux discours scuritaires despoliticiens. Les politiciens vont lencontre du vivre ensemble. Ils entretiennent la peuret le rejet mutuel.

    A travers ces critiques de ltat desprit politique en Belgique, ce sont notamment lestentatives assimilationnistes de lEtat qui sont mises en cause. Plusieurs musulmansont le sentiment quune dnaturation, une mise de ct de leurs spcificits leur estdemande. Le discours est le suivant, en fait : si lautre veut bnficier des biens dela collectivit, il est lgitime de lui imposer des choses, il est lgitime de demander,dexiger de lui quil apprenne la langue, quil fasse autre chose quil efface, en fait,ses diffrences, quil efface tout ce qui est affirmation de ses particularits. Alors, moi,je ne suis pas du tout daccord. Je refuse mme ce discours et je constate souvent,par exemple, quen fait ce discours est prsent l o lautre fait partie des groupesfaibles ou des groupes dfavoriss, enfin, plus faibles ou plus dfavoriss. Un autrednonce une socit qui dit : Voil, notre culture, cest la culture dominante. Voustes l, vous devez vous joindre nous .

    Laccusation est certainement fonde en partie. Toutefois, dans la mesure o ellenest pratiquement jamais nuance - elle le fut, une fois au moins -, elle est grave.Car si les autorits belges prennent parfois ou se dirigent vers des chemins de

    20 Musulmans et non musulmans : les nuds du dialogue

  • traverse, il y a, dans ces propos, une ngation de tous les efforts qui ont tconsentis, et qui sont consentis, pour que le vivre ensemble se passe mieux. Et, nouveau, une dresponsabilisation radicale de la minorit musulmane et, plusgnralement, des minorits dorigine turque et arabe. Il y a, malheureusement,une vision et une analyse des problmes trop unilatrale qui nglige la bonnevolont de beaucoup de citoyens non musulmans et les difficults relles queposent certains groupes.

    Les non musulmans se montrent videmment moins critiques que les musulmans lgard dun systme avant tout non musulman et dont ils sont partie prenante.Toutefois, certaines analyses sont partages par quelques non musulmans, notam-ment en ce qui concerne la sensibilit des partis flamands aux thses de lextrmedroite. Le constat le plus frappant se situe cependant ailleurs, dans la diffrence entreles discours des flamands et des francophones, musulmans et non musulmansconfondus. La critique des partis et de certains politiciens est totalement inexistantedu ct des participants francophones. La diffrence est-elle politique ou est-elle lersultat de sensibilits diffrentes au Nord et au Sud du pays? Les deux, sans doute.Les francophones accordent en tout cas une attention nettement moindre cetteresponsabilit des pouvoirs publics. Les participants flamands se montrent, ceniveau, beaucoup plus critiques que leurs homologues francophones et font preuvedexigences plus leves lgard des autorits.

    De manire gnrale, si les non musulmans sont moins critiques lgard dusystme, ils acceptent toutefois les critiques des musulmans son gard. Le sujetdevient plus sensible lorsque, dpassant le cadre du fonctionnement du systme,les critiques touchent ses valeurs. Ainsi, face la proposition de lidal dun Etatislamique non dmocratique, toutes les voix non musulmanes se sont leves. Le Ah ben non, je ne veux pas de lEtat islamique ! dun participant rsume bienla pense de lensemble des non musulmans. Par contre, lorsque certains musul-mans accusent la neutralit belge de ne pas tre neutre, ces propos sontaccepts, ou du moins couts : Je ne crois pas en la neutralit. La neutralitnexiste pas, parce que, en dfinitive, lEtat sculier est galement une idologie :tout est idologique. () Cest une manire occidentale de voir les choses et cenest absolument pas neutre. Et, finalement, la diversit est un change. Cettecritique de la neutralit, rcurrente parmi les musulmans, suscite le dbat plus quelopposition. Toutefois, les ractions auraient sans doute t diffrentes si lesmmes participants avaient parl de supprimer le principe de neutralit oulavaient condamn en soi.

    4- La responsabilit de lislam et de la communaut musulmane :une distanciation et une critique difficiles

    Le quatrime discours est spcifique aux non musulmans, cette fois. Il cherche dterminer la part de responsabilit de lislam et/ou de membres de la communautmusulmane dans les problmes de cohabitation et de radicalisation. Exprim sousforme daffirmations ou, souvent, sous forme dinterrogations, ce discours rvle selonles cas une accusation subtile, un soupon ou un questionnement lgitime lgardde la religion musulmane elle-mme, de ses textes fondateurs, de ses prdicateurs,de ses fidles, de linfluence des pays dits musulmans.

    Jai limpression que, dans la communaut musulmane, il y a des personnes qui rigi-difient certaines choses et qualors le dialogue devient difficile.

    Je pense quil y a une opposition entre la volont des musulmans qui sont arrivs etqui ont envie de sintgrer dans ce pays, de vivre au mieux, en pratiquant leur religion,en ne reniant rien du tout, et le souhait de certaines personnes, dans des mosques,dans des, avec des propos extrmistes qui mettent mal tout ce que ces

    21Musulmans et non musulmans : les nuds du dialogue

  • personnes-l et tout ce que mme les citoyens belges font pour accueillir au mieux,pour vivre avec dautres communauts.

    On parle aussi dimams qui sont envoys dArabie Saoudite, qui viennent avec desmoyens financiers. Est-ce que cest vrai, a?

    Mais, le but de votre religion, cest lamour, quand mme?

    Quels buts poursuit lislam? Est-ce que vous poursuivez lislamisation du monde ouest-ce que vous voulez promouvoir la conscience de lhumanit?

    Du ct des musulmans, quelques exceptions nient toute forme de responsabilit desmusulmans ou de lislam dans les difficiles rapports entre musulmans et non musul-mans. Quelques autres exceptions essaient dtre vritablement critiques lgard dela communaut. Entre les deux, la majorit adopte un profil mitig. Tout en reconnais-sant lexistence de certains problmes ou en tentant de rpondre lune ou lautrequestion, ils tendent minimiser ltendue ou la valeur symbolique des faits qui fontproblme aux non musulmans, comme de nombreux musulmans, dailleurs. Ilsveulent bien dnoncer certaines difficults, devanant parfois mme les interrogationsnon musulmanes, mais toujours en petit, ou en relativisant. Cest vrai, a arriveexceptionnellement que, mais . En aucun cas - une exception prs, tout demme! - lislam na t ne ft-ce quinterrog.

    1) Par rapport la communautBeaucoup reconnaissent une part de responsabilit de la part des certains musulmansou de la communaut et - sans doute habitus devoir se justifier - ils sont parfoisles premiers le souligner.

    Certains mentionnent lexistence de discours radicaux dans certaines mosques,tandis que dautres la nient - sachant que la perception de ce quest le radica-lisme diffre dun participant lautre, dun musulman lautre. Alors que lunaffirme : Je dis pas quil y a pas de discours radicaux dans certaines mosques.Il y en a. Cependant, il y a aussi une part dinterprtation , un autre dit : Lesimams et les mosques ne sont absolument pas radicaux. () Il ny a absolu-ment pas dextrmisme.

    Nombreux reconnaissent et dplorent linfluence de pays extrieurs la Belgique,notamment au niveau de la formation des imams : lArabie Saoudite, lEgypte, leMaroc Mais, cest vrai quil y a des influences trangres sur lislam enBelgique. Il y a les pays du Maroc et de la Turquie qui influencent. Il y a lArabieSaoudite qui envoie Cest plutt des gens qui vont tudier l-bas et qui revien-nent ici aprs. () Mais nous, en tant que musulmans belges, on aimerait bienaussi avoir une indpendance vis--vis de toutes ces influences-l. On nest pastoujours forcment daccord.

    Plusieurs soulignent la nouveaut du contexte europen et la ncessit - non encorerencontre - dune interprtation des textes adapte ce contexte. Il est grandtemps quil y ait une littrature contextualise adapte aux besoins de la socit ici, enEurope. Cependant, tous les musulmans ne sont pas daccord avec cette ncessitdinterprter les textes la lumire du contexte.

    Beaucoup dnoncent le culturalisme de nombreux membres de la communautmusulmane, qui confondent culture et religion et considrent des lments de lapremire comme tant partie intgrante de la seconde. Do, limportance de sinter-roger : Quest ce qui relve du religieux, quest-ce qui relve de la culture? Du faitde cette confusion entre les registres rgne une ambigut qui, au regard des textes etde la tradition, ne devrait pas exister, mais qui existe dans les faits.

    22 Musulmans et non musulmans : les nuds du dialogue

  • En dfinitive, cest souvent le manque de formation et dducation des musulmans quiest mis en cause par les participants musulmans : ils connaissent mal leur religion etne sont ds lors pas capables de distinguer ce qui en fait effectivement partie de cequi nen fait pas partie. Plus dislam est donc la solution prconise, mme si desdsaccords apparaissent quant aux modalits de transmission de la religion.

    Le problme est aussi : dans quelle mesure connaissent-ils vraiment leur foi ?Ils ont peu accs aux sources de lislam, leur connaissance est base sur unelittrature traduite limite. Ils reprennent des formes traditionnelles, archaquesde -soi-disant- lislam, et alors, tu as de ces phnomnes culturels, mais quinont rien voir avec lislam en soi. Cest un dfi pour les jeunes dacqurir desconnaissances de lislam.

    2) Par rapport aux textesA linstar de la diversit au sein de la communaut musulmane elle-mme, une rellediversit existe entre les participants musulmans dans le mode dinterprtation destextes, allant dune lecture littrale une interprtation libre de type mystique. Certainsestiment que les textes se suffisent eux-mmes et cherchent avant tout rencontrerlesprit des anctres. Dautres pensent que les textes doivent avant tout tre lus etcompris la lumire du contexte. Dautres enfin considrent que, par-del la lecture etla connaissance personnelles des textes, limportant est la rencontre du divin ici-bas.Cette distinction na rien voir avec le degr de conviction. Pas plus quailleurs, il nya donc dunanimit dans lattitude par rapport aux textes, mme si tous saccordentsur le fait quils ne peuvent tre remis en question.

    Cette divergence dans lapproche des textes et dans la signification leur donnerpose galement question aux non musulmans : Mais, au fond, est-ce quil y avraiment deux islams, lun qui serait fondamentaliste, radical, littral et lautre quiserait un islam disons dmocratique, convivial, etc. ? () Je me suis mis, effective-ment, dans lide, mais elle est peut-tre fausse, quil y avait ceux qui connaissentle Coran et puis ceux qui ne le connaissent pas bien. Cette question rvle unecertaine hantise, une crainte majeure, celle que lislam soit violent, antidmocra-tique, misogyne et quen dfinitive, les braves musulmans qui vivent ici paisi-blement ne soient que des ignorants de leur religion. Cette question est trs mani-chenne et simpliste, voyant deux versions possibles de lislam, lune littrale etradicale, lautre soft, mais sans doute pas trs musulmane, sans considrer dau-tres alternatives, plus complexes.

    3) Par rapport la religion islamiquePar rapport la religion islamique elle-mme, les musulmans sont confronts, dansleur majorit, une incapacit ou une impossibilit dtre critiques. Lislam vient deDieu et il est bon. Point. De ce fait, il ne peut tre responsable du malaise relationnelqui occupe les musulmans et les non musulmans de Belgique. Lislam na aucun rledans ces problmes . Au contraire, il est porteur dun message de paix sociale.Plusieurs ont toutefois souhait quune critique soit possible et ont regrett quelle soitsi difficile, en tout cas en ce qui concerne lislam tel quil est vcu. Ces interventionsfurent marginales, mais bien prsentes.

    - Z : Il ny a pas de tabous en islam, tout simplement. Moi, je nen connais pas.- H : Ca cest ce quon dit, mais- Z : Oui, voil- H : quand tu vois la ralit- Z : Mais cest a quil faut rpter nos musulmans, nos coreligionnaires. Le plusdifficile, cest de critiquer lislam- M: Tout le monde ne pense pas comme toi.- Z : Oui, oui, cest pour a quil faut faire avancer les choses dans notre communaut,en gnral.

    23Musulmans et non musulmans : les nuds du dialogue

  • Parmi les plus jeunes, certains se montrent toutefois davantage critiques, lun dentreeux interpellant dailleurs ses coreligionnaires sur la tendance des musulmans adopter une position dfensive, voire apologtique de leur religion.

    Malgr ces quelques interventions, le sentiment reste que les questions soulevesdemeurent sans rponse et que les analyses ne vont jamais jusquau fond desproblmes. En aucun cas, ni lislam ni les textes qui le fondent ne sont remis en ques-tion. En dfinitive, la seule critique permise, est de dire quil est mal interprt ouappliqu par certains.

    24 Musulmans et non musulmans : les nuds du dialogue

  • 4.Des attentesTributaires dexpriences diffrentes musulmans et non musulmans ont dimportantesattentes les uns lgard des autres : les musulmans dtre reconnus, les non musul-mans dobtenir des rponses claires leurs interrogations.

    1- Le besoin de reconnaissance

    1) La reconnaissanceDeux interpellations reviennent rgulirement dans les propos de participants musul-mans : la premire concerne les nombreux prjugs et strotypes lencontre desmusulmans, la seconde, la discrimination de lislam et des musulmans diffrentsniveaux, en Belgique, que ce soit le financement du culte qui nest pas pleinementeffectif, que ce soit la procdure du screening des lus, au moment des lections delExcutif des musulmans de Belgique, que ce soit (les dbats sur) linterdiction du portdu voile en certains lieux publics, Les musulmans se sentent victimes dostracismeet dinjustice.

    Le malaise de nombreux musulmans vient entre autres du fait quils ne se sententet ne sont pas bien reconnus en tant que musulmans dans la socit. Ils parvien-nent difficilement trouver leur place dans lespace belge en tant que citoyensmusulmans. Ce fait, ils lattribuent notamment la mauvaise image dont ils bn-ficient. Image ngative et image fausse, qui empche la reconnaissance socialequils appellent de leurs vux. Cette reconnaissance sociale - ncessaire chacun - nest autre quun signe dune confiance donne et reue, cetteconfiance dont on a dit plus haut quelle est le ciment de la vie sociale. Onconoit aisment que sans ce sentiment de reconnaissance, trouver sa placedans lespace social est ardu.

    Bon nombre de musulmans de conviction semblent vivre une tension entre leur appar-tenance religieuse et leur appartenance sociale. Deux ralits que beaucoup souhai-tent probablement voir rconcilies. Aujourdhui, nous lavons vu, beaucoup de nonmusulmans ont peur de ce regain dislam ou de cette visibilit croissante de lislamdans les grandes villes belges. Certains prescrits islamiques, non compris ou acceptspar des non musulmans, suscitent la mfiance. Les musulmans qui souhaitentavancer dans leur cheminement religieux ou le rendre plus visible se trouvent ds lorsun peu mal pris. Plus manifestement ils seront musulmans, plus ils risquent lincom-prhension, la peur, le malaise ou le rejet. La pratique de leur religion, outre quelle estun bien quils recherchent personnellement, leur apporte bien sr une reconnaissancecommunautaire. Mais cette dernire nenlve pas leur dsir dtre reconnus par lasocit dans laquelle ils vivent et laquelle ils appartiennent, et dy avoir une place.Cest un premier dilemme.

    De manire connexe, bien que beaucoup de musulmans mettent un honneur fairede leur religion le fondement de leur vie, certains semblent galement souffrir de ntreparfois apprhends que par ce biais-l : certains verront avant tout le voile isla-mique et non la personne qui le porte. A travers lindividu musulman, cest souventla religion islamique et la communaut musulmane qui sont perues. Lindividualit setrouve parfois comme efface par le voile, la barbe ou une tunique significative delislam. Cest un second dilemme.

    Les musulmans ont donc une double attente en termes de reconnaissance. Lapremire concerne leur religion, qui est - rappelons-le - leur plus grand bien, la voiedroite qui les mne au salut ternel -, et dont limage ngative vhicule est source de

    25Musulmans et non musulmans : les nuds du dialogue

  • souffrance. La seconde concerne la reconnaissance de leur place et de leur individua-lit de musulmans. La situation actuelle ne rpond pas cette double attente, causeimportante dinsatisfaction.

    2) La mconnaissanceSi beaucoup de musulmans ne se sentent pas ou pas assez reconnus, ils se sententgalement mconnus. Et, dans les discours de plusieurs dentre eux, ces deux lmentsapparaissent indissociables. Pour beaucoup, la reconnaissance doit passer par unemeilleure connaissance de ce quest lislam et/ou de ce que sont vraiment les musul-mans. Il y a donc chez beaucoup de musulmans une soif importante de faire connatrelislam et le vcu islamique. Cette soif se comprend. En effet, la connaissance apparatcomme un facteur important de reconnaissance. Mais ly limiter est une erreur. Dunepart, dautres lments entrent en jeu. Dautre part, la connaissance nengendre passystmatiquement la reconnaissance. Convaincus que lislam est le meilleur cheminpour tous, certains musulmans ont des difficults le comprendre. Sans que ce soitsigne dune quelconque islamophobie, certaines personnes peuvent rejeter lislam, enconnaissance de cause. Ne pas laimer. Ne pas aimer ses conceptions, ses valeurs ousa faon de les traduire en pratiques. On a point ici quon ne rejette que ce quon neconnat pas, mais moi je connais plusieurs personnes qui rejettent parce que, justement,elles connaissent, en tout cas une partie. , disait effectivement une participante. Ce faitsemble difficilement acceptable ou comprhensible pour certains musulmans.

    Mme si certains non musulmans ont manifest leur souci dune meilleure connais-sance rciproque et ont parfois pris position contre les discriminations dont sontvictimes les musulmans, au niveau des problmes de concrtisation de la reconnais-sance officielle de lislam ou au niveau social, beaucoup ne se montrent toutefois pasinterpells par les constats ou les appels des musulmans. La plupart ninterrogent pasleur faon dtre lgard des musulmans. Comment cela sexplique-t-il ?

    Outre que certains ne sont sans doute pas concerns par les critiques, dautres affi-chent une forme de suffisance, de lgitimit autoproclame, une tendance consi-drer que cest aux musulmans, nouveaux venus (un peu) perturbateurs, de se justi-fier. Inconsciemment sans doute, les uns et les autres se placent dans une relationingalitaire, les premiers se sentant dans leur bon droit dautochtones reprsentantla Belgique traditionnelle (non musulmane) , les seconds dans lobligation de sexpli-quer et de rentrer dans le cadre. Ce sont bien sr des tendances, et certains partici-pants se dmarquent tout fait de ces logiques. Toutefois, elles ont certainementsournoisement leur place.

    Par ailleurs, certains ne cachent pas leur mfiance, leur peur ou leur rejet face lislam,sans les associer ncessairement ou exclusivement avec le 11 septembre ou dautresattentats terroristes. Confronts leurs inquitudes rarement apaises, ne se sentantmanifestement pas en confiance, ils ne peuvent accorder leur reconnaissance surdemande. Dautre part et de manire gnrale, trs peu de participants, musulmanscomme non musulmans, ne se sont montrs critiques leur propre gard. A lgardde la socit, des autres membres de la mme catgorie ou communaut, ventuel-lement. A lgard de soi? Rarissime ou jamais. Mcanisme de dfense naturel, cettedifficult se montrer critique son propre gard est renforce par les lois du dbat,qui est un change de vues avant dtre loccasion dune introspection.

    Toutefois, la ncessit de se connatre pour faire tomber les barrires et avancer dansle vivre ensemble a t souligne dans chacun des groupes, des degrs divers, pardes non musulmans. Les rencontres ont en effet parfois permis la prise de consciencedune grande ignorance sur la ralit des musulmans, et notamment sur leur diversit.Les lieux, initiatives et occasions qui favorisent la connaissance mutuelle doivent donccertainement tre soutenus, comme tant potentiellement porteurs dune amliorationet dun apaisement du vivre ensemble. Reste savoir comment, au quotidien, favo-

    26 Musulmans et non musulmans : les nuds du dialogue

  • riser les espaces de rencontre qui engendrent une vraie connaissance rciproque. Carla rencontre en elle-mme ne garantit pas le rsultat. La faon de se comporter, desapprhender et de se dire importe tout autant que de se rencontrer. Les forumsrflexifs en sont lillustration.

    En effet, en voulant remdier la mconnaissance et, de ce fait, au manque de recon-naissance, certains musulmans ont adopt, ds que loccasion se prsentait, une atti-tude pdagogique denseignement des principes de lislam et du vcu des musul-mans. Or cet effort na gnralement pas produit leffet escompt, voire sest parfoisavr contre-productif, car il ne correspondait pas souvent aux attentes des nonmusulmans en termes de communication, que daucuns auraient voulue plus prochedu quotidien et de ses confrontations.

    2- Lexigence de rponses claires

    La frustration des musulmans de ntre pas reconnus semble tre le pendant de lafrustration des non musulmans de ne pas obtenir de rponses aux questions les plusimportantes ou inquitantes quils se posent. Sur la libert dexpression et de convic-tion, sur lgalit entre hommes et femmes, sur lislam politique, sur lemprise de paysmusulmans ou de courants durs, sur les voiles de plus en plus sombres et longs, surle traitement rserv aux dviants , adultres, homosexuels, apostats,

    Pour de multiples raisons, sans doute, beaucoup de musulmans semblent souventincapables de satisfaire lattente de rponses claires des non musulmans. De fait, laplupart se montrent des experts de lesquive - volontaire ou inconsciente. Que ce soiten vitant - par le silence ou en dtournant le propos - de rpondre certaines ques-tions, en donnant des rponses qui, souvent, apparaissent aux non musulmanscomme dconnectes de la ralit, ou encore, trs souvent, en minimisant la portedes faits qui posent problme.

    Quelles sont les raisons de ce dcalage? Elles sont nombreuses.

    Dune part, confronts sans cesse aux mmes questions, mis sous les projecteurs desinterrogateurs, certains musulmans refusent de rentrer dans une logique de justifica-tion permanente et de questions-rponses o il leur est souvent demand la fois derpondre personnellement et de parler au nom de la communaut. Ils souhaitent parti-ciper un dbat plus galitaire et non un interrogatoire parfois souponneux.

    Dautre part, de nombreux musulmans convaincus se veulent pdagogiques.Plutt que de partir de la ralit des difficults que pose lislam au quotidien, ilspartent de lidal islamique tel quils le conoivent. Ils prsentent lislam tel que -selon eux - il devrait tre. De ce fait, ils occultent pour une grande part lislam telquil est vcu. Ce souci pdagogique est parfois trs mal peru par certains nonmusulmans, mais est galement apprci par quelques autres, qui rencontrent, parce biais, un autre visage de lislam.

    Lapprciation des ralits et le vocabulaire pour les nommer diffrent parfois profon-dment entre musulmans et non musulmans. Prenons lexemple de lextrmisme.Musulmans et non musulmans nont pas, cest vident, la mme notion de ce questlextrmisme, ni la mme attitude son gard. Pour les non musulmans, relve de lex-trmisme tout ce qui, motiv par le religieux, leur semble inacceptable dans le contextesocital belge actuel. Pour les musulmans, en gnral, lextrmisme ne se mesure pas laulne des normes sociales ou socitales. Il se mesure laulne des interprtationsdes prescrits religieux et du respect de ces derniers. Le religieux zl ne sera presquejamais tax dextrmisme. Sera ventuellement considr comme radical celui quioutrepasse les prescrits coraniques, en donne une interprtation contraire la tradi-tion ou utilise des rfrences trs connotes religieusement des fins non religieuses.

    27Musulmans et non musulmans : les nuds du dialogue

  • Pour la plupart des musulmans prsents, lislamiquement correct ne peut tre radical.Pour la plupart des non musulmans, il lest lorsquil ne respecte pas les normes et lapaix sociales. Il y a donc l un dsaccord profond sur les termes, qui rend difficile ledialogue. Non que les musulmans ne peroivent pas ce quoi les non musulmans fontrfrence lorsquils utilisent ces termes, mais quils ne peuvent accepter cette signifi-cation. Confronts leurs inquitudes face lislam ou certains de ses aspects, lesparticipants non musulmans ne se sentent pas compris par les musulmans.

    En outre, certains refusent sans doute de juger - car, au nom de la diversit enislam, les musulmans ne semblent pas souvent se sentir le droit de critiquer leursfrres et surs en islam, du moins devant des non musulmans critiques. Quelques-uns nont probablement pas dopinion par rapport des ralits ou des questionspeut-tre fort loignes de leur vcu. Ce silence est sans doute galement pourcertains une manire dacquiescer certaines pratiques ou vues, voire de lessoutenir, sans toutefois vouloir rendre plus difficile encore une situation dj tendueou sans vouloir se compromettre.

    Non ngligeable, il apparat galement quun certain nombre de musulmans nosentpas exprimer de vues personnelles, de vues non autorises , sur de nombreusesquestions qui sont aujourdhui en dbat au sein de la communaut musulmane occi-dentale et ne sont pas encore clarifies. Et pour cause, lensemble de la pensemusulmane - notamment politique - doit tre revue laulne du contexte nonmusulman, pour lequel elle na pas t prvue. Et certains semblent effectivementattendre de savoir ce quils doivent penser pour sexprimer 3. En effet, confronte dessujets sensibles, la discussion a rgulirement eu tendance tre ramene desquestions classiques et plus proches aussi de la ralit des gens sans doute, celle dufoulard par exemple, qui a dj fait couler des litres dencre, et dont les arguments -de part et dautre - sont dautant plus faciles manier.

    Ensuite, il faut tenir compte de la ralit non centralise et non hirarchique de lislam.En islam, il ny a pas dautorit centrale. Diffrentes coles, diffrentes tendances,diffrentes sensibilits existent, qui sont autant de facettes de lislam. Aucunmusulman nest en principe habilit parler au nom de lislam ou des musulmans, lexception de ceux qui jouissent dune certaine reprsentativit et, de ce fait, dunecertaine lgitimit auprs de certains. Toutefois, mme dans ce cas, ces personnes neparlent quau nom de ces derniers. Cette diversit propre lislam empche effective-ment dobtenir des rponses univoques. Elle ne devrait toutefois pas empcher lesuns dtre critiques par rapport aux autres ou la communaut de manire gnrale,mais, par souci pdagogique, ou pour ne pas nuire davantage limage de la commu-naut, ou pour prserver une sorte dunanimisme, ou pour ne pas avoir de problmes,ou, un mouvement rellement critique apparat trs difficile, voire impossible, de lapart de musulmans de conviction - dans le cadre de ce type de rencontres, en toutcas. Et cet vitement irrite et inquite de nombreux non musulmans.

    Par ailleurs, il est vident que les musulmans sont confronts la difficult que beau-coup de non musulmans ne cherchent pas le dialogue, mais ladhsion leursconceptions fondamentales ou leur mode de vie et sont rarement capables dauto-critique. Ds lors, mal pris entre leurs ides et la demande qui leur est faite avec insis-tance et pas toujours bienveillance de se justifier, de se dmarquer de certainesconceptions, certains fuient la confrontation sur les principes.

    Paradoxe de lislam dEurope, dune part, beaucoup de musulmans prouvent desdifficults noncer des jugements personnels sur des questions gnrales, dautrepart, beaucoup sen rfrent leur exprience personnelle pour appuyer leursdiscours, souvent fort teints de revendications communautaristes. Ainsi, propos dela fameuse question du foulard, peu de musulmans parviennent quitter la logique du cest mon droit pour considrer la question sous un angle plus gnral. Beaucoup,

    3 Devoir, non dans le sens dune obligationau sens strict, mais dans le souci de resterdans de lislamiquement correct.En ce sens, ils attendent peut-tre lavis dethologiens ou de savants reconnus avantde prendre eux-mmes position. Ce qui nesignifie pas, comme pour le foulard, quuneseule position soit dfendable.

    28 Musulmans et non musulmans : les nuds du dialogue

  • sur base de leur exprience personnelle ou de celle de leurs proches, argueront quele port du foulard est un acte libre bas sur la conscience personnelle. Ces consid-rations, sans doute exactes dans leur cas, voire thologiquement, nenlvent rien aufait que, dans le monde, mais aussi en Belgique, le port du foulard est encore tropsouvent accompagn dun contrle, voire dune contrainte. Sexprimant ainsi, ils neparlent que deux-mmes et de ce qui est ou serait bon dans le cadre de leur vcu. Ilnous semble quune rflexion en termes plus gnraux fait souvent dfaut dans le chefdes participants musulmans. Cette impression serait sans doute moins marque si ellentait pas corrobore par le sentiment que beaucoup de musulmans prennent indivi-duellement peu en charge les problmes collectifs ou qui ne concernent pas lesmusulmans en premire ligne.

    Les explications concernant les difficults des musulmans prendre position de faonnette et les difficults partages entrer dans un dbat clair sont nombreuses - la listenest dailleurs pas exhaustive - et leur importance respective ne doit pas tre sous-estime. Elles posent cependant problme lorsque lintrt de la dfense de lislamapparat suprieur lexigence de vrit.

    Le problme de ce manque de rponses est en effet le doute de certains non musul-mans quant au positionnement rel de certains musulmans. Ce silence ou cesrponses abstraites ne sont-ils pas une faon dacquiescer certains discours,certaines pratiques, ou tout au moins, de leur reconnatre une lgitimit? Ny a-t-il pasl une certaine forme de complicit, au moins passive? Dans un contexte o lislamsuscite souvent la crainte, ce manque de clart nest pas de nature rassurer lesesprits inquiets. Les discours qui se veulent apaisants mais contournent les difficultsou ceux thoriques sur lessence mme de lislam ne suffisent gnralement pas lestranquilliser. Ce dautant plus que les problmes souligns par les non musulmans -mme lorsque leur ampleur est exagre - sont le plus souvent indniables.

    Certains musulmans font pourtant preuve dun rel franc-parler, que ce soit dans ladfense de positions plus radicales ou au contraire plus souples, ou que ce soit danscette faon trs simple de partager leur cheminement, leur questionnement, leurs diffi-cults, leurs choix, quand les rflexions - en somme - sentent le vcu.

    De manire gnrale, musulmans et non musulmans semblent confronts un grosproblme de communication. Hors de tout procs dintention lgard des musul-mans, le fait est que leurs propos sont souvent ambigus et souvent loigns desproccupations qui les suscitent. Il leur est sans doute ncessaire de sinterroger surla meilleure faon de faire passer leur message une assistance qui na pas lesmmes rfrents, ni la mme connaissance des processus internes la communautmusulmane, et qui a parfois des ides bien tenaces. Du ct non musulman, unedisponibilit est ncessaire pour quun dbat rel - sur les principes aussi bien que surles faits - puissent voir le jour. Car sils souhaitent voir les musulmans sexprimer clai-rement, les non musulmans doivent aussi se montrer prts couter des faons devoir et de penser qui peuvent tre diffrentes des leurs. Sans cela, ils renforcent eux-mmes les processus quils dcrient.

    Bien quils souffrent de devoir rpondre sans cesse aux mmes questions, de voir lin-trt li lislam souvent sarrter des points sensibles et litigieux, les musulmans nepeuvent, dans le contexte actuel et sils souhaitent un vivre ensemble plus harmo-nieux, faire limpasse de rpondre aux interpellations des non musulmans.

    29Musulmans et non musulmans : les nuds du dialogue

  • 5.IdentitLa vision de lidentit a videmment des influences sur la manire de concevoirles relations autrui, la possibilit dintgrer des lments nouveaux ou de sin-tgrer dans un environnement qui nest pas exclusivement peupl des rfrentsidentitaires propres.

    Au mme titre que la ville, mais non proportionnellement, le groupe dAnvers arassembl un panel de participants diversifi, trs polaris, comptant notamment troisnationalistes flamands et un membre de la Ligue Arabe Europenne. Cette polarisa-tion a eu pour effet des rencontres parfois explosives. A ct de ces extrmes, cinqmusulmans de conviction, dont une convertie, ctoyaient un commissaire de police dela cellule diversiteit (diversit), deux jeunes professionnelles engages dans le travailinterculturel, ainsi quun tudiant universitaire.

    De nombreux conflits collectifs rcents illustrent combien les rfrents reli-gieux peuvent jouer un rle dans la construction des identits collectives et lesrelations autrui.

    Dans certaines socits scularises, ces rfrences sont admises comme unecomposante historique et une partie du patrimoine, sans avoir vocation tre uninstrument actif didentification collective. Concernant la Belgique, la plupart des parti-cipants oprent une distinction nette entre la prsence et le rle de lhritage chrtiendans le faonnement de la culture belge et occidentale et les choix individuels relatifs la croyance. Une jeune athe dorigine algrienne la bien not lorsquelle dit : Jairemarqu quen Occident, cest pas parce quon est blanc quon est catholique.Donc, je pense que cest un pas quil faut aussi passer chez les musulmans . Cecinempche pas certains de mobiliser lhritage chrtien de la Belgique, dans uneoptique dfensive lgard de cultures et de religions qui ne seraient pas dici.

    Nombre de musulmans mentionnent que la distinction entre hritage et choixpersonnel sapplique galement lislam: lindividu dorigine musulmane hrite duneidentit plus ou moins marque par la dimension religieuse, mais choisit librement saconviction. Pour tayer leur propos, plusieurs - parmi les plus jeunes, surtout - tmoi-gnent de leur cheminement personnel dadhsion lislam; cheminement intrieur quecertains, ns dans des familles au moins culturellement musulmanes et ventuellementpratiquants ds lenfance, nomment cependant conversion , tant leur dmarchespirituelle a chang. Pour ces musulmans convaincus, lislam nest pas la tradition,lislam est le cheminement religieux.

    Au niveau thorique, la plupart des non musulmans semblent accepter cette distinc-tion entre islam hrit et islam de conviction, mais celle-ci ne semble pas toujoursles convaincre sur le plan pratique. Dune part, certains mettent en doute la liberteffective des musulmans de choisir leur religion, en raison du poids de la commu-naut et de la tradition. Ces rflexions ont suscit des ractions fortes parmi lesmusulmans, refusant lide quils seraient conditionns et estimant que nous[musulmans] sommes aussi des esprits libres , on a aussi un esprit critique .Dautre part, la ressemblance extrieure - au niveau de la pratique, des rfrences -est telle entre musulmans par hritage et par conviction que la distinction ne faitgnralement pas vritablement sens pour un non musulman. Cette distinction -mme si elle nest pas toujours extrieurement perceptible - permet toutefois auxmusulmans de poser que lidentit religieuse peut tre diffrente et indpendante delidentit culturelle de lindividu. Les deux marquent profondment lidentit gnralede la personne, mais ne se situent pas sur le mme plan. Suivant cette logique, il

    30 Musulmans et non musulmans : les nuds du dialogue

  • ny a pas de conflit entre ltre flamand et ltre musulman ou entre ltremarocain et ltre musulman .

    Ceci tant, tous les musulmans semblent reconnatre limportance de lhritage reli-gieux dans les pays musulmans ainsi que parmi les personnes originaires de ces paysvivant en Belgique. Or cet hritage exerce - contrairement lhritage catholique de laBelgique - une influence considrable, non seulement au niveau des pratiques denombreux individus, mais galement au niveau de leur mode de pense.

    Derrire les dbats identitaires pointent diverses conceptions de lidentit. Nous enavons dgag quatre grands types partir des forums. Chaque conception est sourcedun tre soi et dun tre lautre diffrents. Ces quatre conceptions ou mode deconstruction de lidentit sont les suivantes : lidentit en isolement, lidentit contin-gente, lidentit mtisse et lidentit ngocier. Certaines sont plus propres aux musul-mans, dautres aux non musulmans, mais elles dpassent largement ces clivages.

    1- Lidentit en isolement

    Pour certains, lidentit est une donne quasi immuable, un donn tout simple-ment, qui se dcline au niveau collectif, au niveau dun groupe de personnes. Elletrouve son fondement dans un peuple, dans une civilisation historique, dans unterritoire, dans des traditions sculaires ou encore dans une langue ou dans unereligion. Ces lments sont inscrits dans lhistoire et caractriss par la perma-nence. Lidentit qui en dcoule marque un peuple et les individus qui le compo-sent la reoivent en hritage. Pour eux, cette identit est naturelle et un devoir-tre.Dans le cas de visions islamiques absolues, elle dcoule de linterprtation intan-gible de prceptes religieux.

    1) Identits ethnoculturellesParmi les non musulmans, ces positions sont apparues de la faon la plus nette parla voix des nationalistes flamands. Cependant, elles auraient probablement pu seprsenter dans des positions nationalistes francophones ou belges. Elles se manifes-tent galement de manire plus mitige, moins explicite, au sein dune partie de lapopulation qui fait moins defforts de thorisation de lidentit, mais se montre sensible ce type darguments. Pour les nationalistes flamands, la langue et le territoire sontncessairement les lments fondateurs de lunit du peuple. Quest-ce qutrebelge? () Quest ce quun peuple? Cest un groupe de personnes qui a en communun certain nombre de points : une langue, une histoire, une terre,

    Parmi les musulmans, une position forte, mais marginale a dfendu une identit arabesur le mme mode que celle des nationalistes flamands. Selon la pense communau-tariste arabe, le territoire dorigine apparat comme la donne fondamentale, laquellesont lies une culture et des habitudes particulires. La langue, par contre, apparatcomme un lment relatif. Cette perspective dune identit dcoulant naturellementdune origine gographique fut rfute par lensemble des participants dorigine arabedu groupe dAnvers, contestant lexistence dune culture arabe unique et revendiquantleur identit de Belges.

    Ce type de positionnement identitaire postule donc une diffrence radicale entregroupes dorigine et de culture diffrentes, diffrence quil faut protger dans lintrtmme des cultures. Les discours se conjuguent en nous et eux ou en nous et vous , distinguant les mondes Ce quillustrent les extraits suivants :

    Discours dun nationaliste flamand : Autochtones et allochtones sont diffrents. Ilsnont pas la mme identit. Heureusement que nous ne sommes pas les mmes, dit-il, jen suis content. Nous avons la mme valeur, mais nous ne sommes pas lesmmes. Absolument pas.

    31Musulmans et non musulmans : les nuds du dialogue

  • Discours du membre de lAEL : Il a un bagage culturel diffrent de moi. Cestnormal. Je trouve le nous et eux normal. Je trouve a la chose la plus naturelle dumonde sil y a