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Canton du Jura Le Quotidien Jurassien | Samedi 1 er décembre 2012 | 5 V L’odyssée cycliste d’une quinzaine de Jurassiens en Ethiopie s’est terminée en course à pieds. V Les compteurs des plus zélés dépassent 1300 km. V Le premier bilan finan- cier de cette opération destinée à soutenir le développement d’un hôpital local est positif. Près de 1350 kilomètres de bicyclette sur les routes et pis- tes défoncées d’Ethiopie: Ça, c’est fait! Alors pourquoi ne pas s’octroyer une petite baga- telle athlétique en point final d’une aventure déjà sportive? Cerise sur le gâteau de cette odyssée cycliste, l’équipée du projet humanitaire «Pédaler pour l’Ethiopie», a participé aux 10 km d’Addis-Abeba, di- manche passé, juste avant de prendre son avion de retour pour la Suisse. «Malgré la fati- gue, notre périple de près de trois semaines nous a gonflés d’émotions et d’énergie. Cou- rir dans le pays des champions olympiques de la discipline, au milieu de 37 000 partici- pants, est la plus belle conclu- sion que nous puissions don- ner à notre voyage», se réjouit le chirurgien Jörg Peltzer, pré- sident de l’association Gostar- Chirurgien Suisse en Ethiopie et organisatrice de ce projet. Plus festive que sportive, cette compétition populaire foule les grosses artères de la capitale éthiopienne. «Musi- que et danse rythment la cour- se. Il y a tellement de monde que l’on peut à peine courir, renseigne Olivier Willemin. Malgré tout, nous sommes très fiers de nos médailles.» Même pas peur, même pas mal Pour les derniers 350 kilo- mètres du périple, entre Jima et Addis-Abeba, les 32 partici- pants, dont une quinzaine de Jurassiens, n’ont pas «levé la pédale». Tous sont restés mo- tivés malgré les courbatures, les érythèmes et autres dés- agréments dus à la tourista. «Chaque matin, au moment de vérifier l’état des vélos, je me disais: “Y’en a bien l’un ou l’autre qui va abandonner cet- te fois!” Mais non, tout le monde remontait en selle et y restait même sur les tronçons les plus difficiles», s’étonne Gérard Joliat, mécanicien de la course. Pour Jörg Peltzer et l’équipe organisatrice, «cette motivation inattendue est la plus belle des récompenses». Traité à la dure par le terrain, le climat et les conditions de voyage, le cycliste est une es- pèce résistante qui sait garder le sourire. Et s’amuser le soir au coin du feu, malgré les heu- res de selle endurées dans la journée. «Je crois qu’au fil des jours, nous nous sommes ha- bitués à vivre à la dure et à manquer de confort», confie Philippe Rérat. Un point de vue partagé par Georges Hu- mard, pas mécontent tout de même «de retrouver un vrai lit et certaines commodités.» Cuissot et mollet fermes Pourtant, à l’arrivée à Addis- Abeba, la nostalgie des semai- nes écoulées se fait déjà sentir. «Je n’en reviens pas que ce soit terminé. Nous avons vrai- ment pris le pli de vivre en- semble, confie Annie Wille- min. Ca va être difficile de re- trouver une vie normale.» Moment fort de ces der- niers jours de voyage, la visite de l’hôpital de Jima* a marqué les esprits. «C’était le but de notre voyage et ça restera le moment le plus marquant pour moi, raconte Anita Loi- chat. Concrètement, j’ai dé- couvert et compris pourquoi je venais de pédaler comme une dératée tous ces jours. Vraiment, je suis heureuse de l’avoir fait.» Odeurs désagréables, man- que de propreté, surpopula- tion des chambres, ceux qui n’avaient jamais vu un hôpital africain ont été surpris. «On ne peut pas rapporter nos standards suisses à ceux d’un hôpital d’ici, estime Mickaël Eggerschwiler. Je me dis qu’il y a encore beaucoup de boulot ici et que j’ai bien fait de soute- nir ce projet.» Cet état d’esprit fait plaisir à Jörg Peltzer qui ne baisse jamais les bras pour mener à bien la réalisation du projet de l’association: «Les fonds récoltés par l’action «Pé- daler pour l’Ethiopie» sont destinés à développer le centre de traumatologie de cet hôpi- tal. Pour le moment, nous avons collecté 600 000 fr. sur le million espéré.» Les yeux scintillants, la tête pleine d’images et de souve- nirs, le cuissot et le mollet fer- mes, l’équipée est rentrée en Suisse après une pause festive à Dubaï où il a fallu attendre l’un des participants débarqué de l’avion pour un malaise sans gravité. Une question ta- raudait déjà les esprits à bord du vol retour: «A quand le pro- chain voyage?» De retour d’Ethiopie, PEGGY FREY *www.gostar.ch PÉDALER POUR L’ÉTHIOPIE Le retour des «Poulidor éthiopiens» Somalie Kenya Yemen Soudan Ethiopie Golf d’Aden 0 100 200 300 km Itinéraire cycliste Jima Arba Minch Konso Sodo Addis Abeba L’aventure se termine par une médaille pour les plus courageux, celle des 10 km d’Addis-Abeba. MÉLANIE HOLTZGANG Malgré la fatigue après 1300 km de vélo, l’ambiance reste à la rigolade dans l’équipée de «Pédaler pour l’Ethiopie». J. PELTZER Rencontre inattendue. Qui est le plus curieux? PEGGY FREY Jörg Peltzer, Delémont «Je tire mon chapeau à tous les participants. Ce qu’ils ont fait, le courage qu’ils ont eu chaque jour pour pédaler est incroyable. Outre les risques d’accident, j’avais peur de problèmes relationnels dans le groupe. Pas du tout: chacun a montré son meilleur visage et a trouvé sa place dans cette associa- tion de personnages aux caractères pourtant trempés. Voir les sourires et entendre les rires au coin du feu le soir est ma plus belle récompense. D’ailleurs, on recommence en 2014?» Anita et Jacques Loichat, La Chaux-de-Fonds «Je voulais faire une surprise à mon épouse pour ces 50 ans. Com- me elle est sensible aux causes hu- manitaires et voulait aller en Afri- que, tout concordait dans ce projet. Quand je lui ai proposé ce voyage, elle m’a dit non. Après une nuit de réflexion, elle a accepté, sans trop savoir dans quoi elle s’engageait», explique Jacques. «En fait, je ne me sentais pas capable de péda- ler une telle distance, avoue Anita. La visite de l’hôpital de Jima m’a encouragée à donner plus encore.» PF Georges Paratte, Le Noirmont «Je me suis engagé dans cette aventure par intérêt pour le projet humanitaire et parce que je rêvais de voir l’Afrique noire. Comme je ne pédale pas, je suis le peloton dans une voiture-balai. Ça me per- met d’aller à mon rythme, de faire de vraies pauses et de rencontrer la population. Dans chaque village, je suis impressionné par le nombre d’enfants: ça devait être comme ça dans le Jura il y a 100 ans. Ma plus grande joie, que les cyclistes aient posé leur vélo sans acci- dent.» Mickaël Eggerschwiler, Courroux «Le vélo est un très bon moyen de locomotion pour découvrir un pays: tu entends tous les bruits, sens les odeurs, rencontre les gens, adapte ta vitesse à l’intérêt du pay- sage… Je pensais souffrir physique- ment, tomber malade aussi, mais en fait tout va bien. L’engouement du groupe y est pour beaucoup. Sans se plaindre ni rechigner, notre formidable équipée accepte tous les inconvénients du voyage, le manque de confort et la dureté de l’effort physique. C’est le top!» Jean-Daniel Bussard, Delémont «Chaque jour, l’aventure et les paysages sont différents. Ici, j’ai l’impression de sentir les élé- ments, la nature vraie, surtout lorsqu’il pleut: les gouttes sont tel- lement grosses qu’elles font pres- que mal. La rencontre avec les tri- bus, qui vivent encore comme au Moyen-Age, a été un moment fort pour moi. Mon seul regret: que certaines se laissent corrompre par l’argent des touristes. Au fond, je n’attendais rien de particulier de ce voyage… Mais au final, je suis comblé.» Bertrand Valley, Porrentruy «J’ai vraiment apprécié de quit- ter l’asphalte pour goûter à la pis- te, sortir des sentiers battus. Ce passage a marqué le début de la vraie aventure pour moi. Par l’Ethiopie, je découvre l’Afrique telle que je l’imaginais, riche d’es- paces immenses, de fleuves, de cette terre ocre si spécifique. Parta- ger cette expérience avec des per- sonnes que je connaissais à peine, constater chaque jour la co- hésion et la motivation du groupe, est pour moi un bel encou- ragement au quotidien.» 600 000 fr., montant des dons recueillis par le projet. Plus d’une centaine de crevaisons. Record: une quinzaine pour le même cycliste. 40 000 km parcourus au total par les 28 cyclistes. Les plus motivés ont avalé plus de 1300 km. 160 km: record journalier. 45˚C de température maximum contre 2˚C au minimum un matin. 6 à 8 litres d’eau consom- mées quotidiennement par un cycliste. F L’aventure en chiffres

n Le ret our des ÇP oulidor t hiopiensÈ€¦ · Canton du Jura Le Quotidien Jurassien | Samedi 1 er d cembre 2012 | 5 V LÕodys s e cy cliste dÕune quinz aine de Jur assiens en

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    Le Quotidien Jurassien | Samedi 1er décembre 2012 | 5

    VL’odyssée cycliste d’unequinzaine de Jurassiensen Ethiopie s’est terminéeen course à pieds.VLes compteurs des pluszélés dépassent 1300 km.VLe premier bilan finan-cier de cette opérationdestinée à soutenirle développementd’un hôpital local est positif.

    Près de 1350 kilomètres debicyclette sur les routes et pis-tes défoncées d’Ethiopie: Ça,c’est fait! Alors pourquoi nepas s’octroyer une petite baga-telle athlétique en point finald’une aventure déjà sportive?

    Cerise sur le gâteau de cetteodyssée cycliste, l’équipée duprojet humanitaire «Pédalerpour l’Ethiopie», a participéaux 10 km d’Addis-Abeba, di-manche passé, juste avant deprendre son avion de retourpour la Suisse. «Malgré la fati-gue, notre périple de près detrois semaines nous a gonflésd’émotions et d’énergie. Cou-rir dans le pays des championsolympiques de la discipline,au milieu de 37 000 partici-pants, est la plus belle conclu-sion que nous puissions don-ner à notre voyage», se réjouitle chirurgien Jörg Peltzer, pré-sident de l’association Gostar-Chirurgien Suisse en Ethiopieet organisatrice de ce projet.

    Plus festive que sportive,cette compétition populairefoule les grosses artères de lacapitale éthiopienne. «Musi-que et danse rythment la cour-se. Il y a tellement de mondeque l’on peut à peine courir,renseigne Olivier Willemin.Malgré tout, nous sommestrès fiers de nos médailles.»

    Même pas peur,même pas mal

    Pour les derniers 350 kilo-mètres du périple, entre Jimaet Addis-Abeba, les 32 partici-pants, dont une quinzaine deJurassiens, n’ont pas «levé lapédale». Tous sont restés mo-tivés malgré les courbatures,les érythèmes et autres dés-agréments dus à la tourista.«Chaque matin, au momentde vérifier l’état des vélos, jeme disais: “Y’en a bien l’un oul’autre qui va abandonner cet-te fois!” Mais non, tout lemonde remontait en selle et yrestait même sur les tronçonsles plus difficiles», s’étonneGérard Joliat, mécanicien de lacourse. Pour Jörg Peltzer etl’équipe organisatrice, «cettemotivation inattendue est laplus belle des récompenses».Traité à la dure par le terrain,le climat et les conditions de

    voyage, le cycliste est une es-pèce résistante qui sait garderle sourire. Et s’amuser le soirau coin du feu, malgré les heu-res de selle endurées dans lajournée. «Je crois qu’au fil desjours, nous nous sommes ha-bitués à vivre à la dure et àmanquer de confort», confiePhilippe Rérat. Un point devue partagé par Georges Hu-mard, pas mécontent tout demême «de retrouver un vrai litet certaines commodités.»

    Cuissotet mollet fermes

    Pourtant, à l’arrivée à Addis-Abeba, la nostalgie des semai-nes écoulées se fait déjà sentir.«Je n’en reviens pas que cesoit terminé. Nous avons vrai-ment pris le pli de vivre en-semble, confie Annie Wille-min. Ca va être difficile de re-trouver une vie normale.»

    Moment fort de ces der-niers jours de voyage, la visitede l’hôpital de Jima* a marquéles esprits. «C’était le but denotre voyage et ça restera lemoment le plus marquantpour moi, raconte Anita Loi-chat. Concrètement, j’ai dé-couvert et compris pourquoije venais de pédaler commeune dératée tous ces jours.Vraiment, je suis heureuse del’avoir fait.»

    Odeurs désagréables, man-que de propreté, surpopula-tion des chambres, ceux quin’avaient jamais vu un hôpitalafricain ont été surpris. «Onne peut pas rapporter nosstandards suisses à ceux d’unhôpital d’ici, estime MickaëlEggerschwiler. Je me dis qu’ily a encore beaucoup de boulotici et que j’ai bien fait de soute-nir ce projet.» Cet état d’espritfait plaisir à Jörg Peltzer qui ne

    baisse jamais les bras pourmener à bien la réalisation duprojet de l’association: «Lesfonds récoltés par l’action «Pé-daler pour l’Ethiopie» sontdestinés à développer le centrede traumatologie de cet hôpi-tal. Pour le moment, nousavons collecté 600 000 fr. surle million espéré.»

    Les yeux scintillants, la têtepleine d’images et de souve-nirs, le cuissot et le mollet fer-mes, l’équipée est rentrée enSuisse après une pause festiveà Dubaï où il a fallu attendrel’un des participants débarquéde l’avion pour un malaisesans gravité. Une question ta-raudait déjà les esprits à borddu vol retour: «A quand le pro-chain voyage?»

    De retour d’Ethiopie, PEGGY FREY

    *www.gostar.ch

    n PÉDALER POUR L’ÉTHIOPIE

    Le retour des «Poulidor éthiopiens»

    SomalieKenya

    YemenSoudan

    Ethiopie

    Golf d’Aden

    0 100 200 300 km

    Itinéraire cyclisteJima

    Arba MinchKonso

    Sodo

    Addis Abeba

    L’aventure se termine par une médaille pour les plus courageux,celle des 10 km d’Addis-Abeba. MÉLANIE HOLTZGANG

    Malgré la fatigue après 1300 km de vélo, l’ambiance reste à la rigolade dans l’équipée de «Pédaler pour l’Ethiopie». J. PELTZER Rencontre inattendue. Qui est le plus curieux? PEGGY FREY

    Jörg Peltzer, Delémont«Je tire mon chapeau à tous les

    participants. Ce qu’ils ont fait, lecourage qu’ils ont eu chaque jourpour pédaler est incroyable. Outreles risques d’accident, j’avais peurde problèmes relationnels dans legroupe. Pas du tout: chacun amontré son meilleur visage et atrouvé sa place dans cette associa-tion de personnages aux caractèrespourtant trempés. Voir les sourires et entendre les rires aucoin du feu le soir est ma plus belle récompense. D’ailleurs,on recommence en 2014?»

    Anita et Jacques Loichat,La Chaux-de-Fonds

    «Je voulais faire une surprise àmon épouse pour ces 50 ans. Com-me elle est sensible aux causes hu-manitaires et voulait aller en Afri-que, tout concordait dans ce projet.Quand je lui ai proposé ce voyage,elle m’a dit non. Après une nuit deréflexion, elle a accepté, sans tropsavoir dans quoi elle s’engageait»,explique Jacques. «En fait, je ne me sentais pas capable de péda-ler une telle distance, avoue Anita. La visite de l’hôpital de Jimam’a encouragée à donner plus encore.» PF

    Georges Paratte, Le Noirmont«Je me suis engagé dans cette

    aventure par intérêt pour le projethumanitaire et parce que je rêvaisde voir l’Afrique noire. Comme jene pédale pas, je suis le pelotondans une voiture-balai. Ça me per-met d’aller à mon rythme, de fairede vraies pauses et de rencontrer lapopulation. Dans chaque village, jesuis impressionné par le nombred’enfants: ça devait être comme ça dans le Jura il y a 100 ans. Maplus grande joie, que les cyclistes aient posé leur vélo sans acci-dent.»

    Mickaël Eggerschwiler, Courroux«Le vélo est un très bon moyen

    de locomotion pour découvrir unpays: tu entends tous les bruits,sens les odeurs, rencontre les gens,adapte ta vitesse à l’intérêt du pay-sage… Je pensais souffrir physique-ment, tomber malade aussi, maisen fait tout va bien. L’engouementdu groupe y est pour beaucoup.Sans se plaindre ni rechigner, notreformidable équipée accepte tous les inconvénients du voyage, lemanque de confort et la dureté de l’effort physique. C’est letop!»

    Jean-Daniel Bussard, Delémont«Chaque jour, l’aventure et les

    paysages sont différents. Ici, j’ail’impression de sentir les élé-ments, la nature vraie, surtoutlorsqu’il pleut: les gouttes sont tel-lement grosses qu’elles font pres-que mal. La rencontre avec les tri-bus, qui vivent encore comme auMoyen-Age, a été un moment fortpour moi. Mon seul regret: quecertaines se laissent corrompre par l’argent des touristes. Aufond, je n’attendais rien de particulier de ce voyage… Mais aufinal, je suis comblé.»

    Bertrand Valley, Porrentruy«J’ai vraiment apprécié de quit-

    ter l’asphalte pour goûter à la pis-te, sortir des sentiers battus. Cepassage a marqué le début de lavraie aventure pour moi. Parl’Ethiopie, je découvre l’Afriquetelle que je l’imaginais, riche d’es-paces immenses, de fleuves, decette terre ocre si spécifique. Parta-ger cette expérience avec des per-sonnes que je connaissais à peine, constater chaque jour la co-hésion et la motivation du groupe, est pour moi un bel encou-ragement au quotidien.»

    n600 000 fr., montant desdons recueillis par le projet.

    nPlus d’une centainede crevaisons. Record:une quinzaine pour le mêmecycliste.

    n40 000 km parcourusau total par les 28 cyclistes.Les plus motivés ont avaléplus de 1300 km.

    n160 km: record journalier.

    n45˚C de températuremaximum contre 2˚Cau minimum un matin.

    n6 à 8 litres d’eau consom-mées quotidiennementpar un cycliste.

    FL’aventureen chiffres