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TROISIÈME SECTION DÉCISION PARTIELLE SUR LA RECEVABILITÉ de la requête n o 38162/07 présentée par Petre NAIDIN contre la Roumanie La Cour européenne des droits de l'homme (troisième section), siégeant le 31 août 2010 en une chambre composée de : Josep Casadevall, président, Elisabet Fura, Corneliu Bîrsan, Alvina Gyulumyan, Egbert Myjer, Ineta Ziemele, Ann Power, juges, et de Santiago Quesada, greffier de section, Vu la requête susmentionnée introduite le 24 août 2007, Après en avoir délibéré, rend la décision suivante : EN FAIT 1. Le requérant, M. Petre Naidin, est un ressortissant roumain, né en 1954 et résidant à Călăraşi. A. Les circonstances de l'espèce 2. Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit.

Naidin c. Roumaniei

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Cauza CEDO Naidin vs. Romania, incalcarea art. 3 din Conventie

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TROISIÈME SECTION

DÉCISION PARTIELLE

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête no 38162/07

présentée par Petre NAIDIN

contre la Roumanie

La Cour européenne des droits de l'homme (troisième section), siégeant

le 31 août 2010 en une chambre composée de :

Josep Casadevall, président,

Elisabet Fura,

Corneliu Bîrsan,

Alvina Gyulumyan,

Egbert Myjer,

Ineta Ziemele,

Ann Power, juges,

et de Santiago Quesada, greffier de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 24 août 2007,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

1. Le requérant, M. Petre Naidin, est un ressortissant roumain, né en

1954 et résidant à Călăraşi.

A. Les circonstances de l'espèce

2. Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par le requérant,

peuvent se résumer comme suit.

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3. Entre 1990 et 1991, le requérant exerça la fonction de sous-préfet du

département de Călăraşi. De 1993 à 2004, il fut député au Parlement

roumain durant trois législatures.

4. En 2000, à l'occasion de sa troisième candidature pour un siège de

député, le Conseil national pour l'étude des archives de l'ancienne police

politique (Consiliul naţional pentru studierea arhivelor Securităţii), ci-après

« CNSAS », procéda d'office, en vertu de la loi no 187/1999 sur l'accès aux

archives de la police politique, à une vérification du passé du requérant.

5. A l'issue des recherches et après deux auditions du requérant, le

CNSAS conclut que ce dernier avait collaboré avec la police politique. La

décision du CNSAS s'appuyait sur une déclaration de 1971, signée par le

requérant, alors âgé de 17 ans, par laquelle il s'engageait à collaborer avec la

Securitate. Entre 1971 et 1974, pendant ses études au lycée et lors de sa

conscription à l'armée, il a fourni des renseignements sur certains collègues

qui écoutaient des radios étrangères, qui avaient de la famille à l'étranger ou

qui ne mangeaient pas de la viande de porc. Quant aux conséquences de

ces renseignements, le CNSAS nota que les parents des élèves en question

ont fait l'objet d'une convocation devant la direction du lycée. La décision

du CNSAS fut publiée au Journal officiel.

6. Le requérant contesta devant la cour d'appel de Bucarest

l'interprétation donnée par le CNSAS à ses actes passés, alléguant qu'ils

avaient été innocents et sans conséquences et qu'ils ne pouvaient être

compris que dans le contexte historique de l'époque. Le CNSAS répondit

que les renseignements fournis étaient de nature à porter atteinte aux

droits et libertés fondamentaux des personnes visées et que la loi ne faisait

pas de distinction entre les divers degrés de collaboration.

7. Par un arrêt définitif du 20 août 2001, la cour d'appel rejeta la

contestation, jugeant qu'au sens de la loi no 187/1999, le requérant avait

collaboré avec la police politique dès lors qu'il avait fourni des informations

susceptibles de porter atteinte aux droits et libertés fondamentaux, sans

considération des répercussions réelles que ces informations ont pu avoir sur

les personnes concernées.

8. En 2004, à la fin de son troisième mandat de député, le requérant

demanda à l'Agence nationale des fonctionnaires publics (ci-après

« l'Agence ») son inscription sur la liste de réserve des sous-préfets.

9. Le 1er octobre 2004, l'Agence notifia au requérant son refus d'accéder

à sa demande invoquant les dispositions de l'article 50 de la loi no 188/1999

sur le statut de la fonction publique qui interdisait aux anciens

collaborateurs de la police politique l'accès à la fonction publique.

10. Le requérant introduisit une action en contentieux administratif pour

contester la réponse de l'Agence et souleva devant la cour d'appel de

Bucarest une exception d'inconstitutionnalité de l'article 50 de la

loi no 188/1999. S'appuyant sur les dispositions de la Constitution et de la

Convention européenne des droits de l'homme, il alléguait une

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discrimination injustifiée dans l'accès à la fonction publique. Il critiquait le

caractère général de cette interdiction et l'absence de prise en compte des

circonstances propres à chaque cas.

11. Par une décision du 24 janvier 2006, la Cour constitutionnelle

confirma la constitutionalité du texte critiqué. Elle releva que l'interdiction

était l'expression de la volonté du législateur qui jouissait en la matière

d'une large marge d'appréciation. La Cour constitutionnelle estima que la

différence de traitement dans l'accès à la fonction publique avait une

justification objective et rationnelle, fondée sur l'exigence de loyauté de tous

les fonctionnaires au régime démocratique. En outre, citant la jurisprudence

de la Cour européenne, la Cour constitutionnelle rappela que l'accès à la

fonction publique n'était un droit garanti ni par la législation interne ni par la

Convention.

12. Par un arrêt du 11 avril 2006 de la cour d'appel, confirmé sur pourvoi

en recours par un arrêt définitif du 23 mars 2007 de la Haute Cour de

cassation et de justice, la demande d'inscription sur la liste de réserve des

sous-préfets fut rejetée dès lors que le requérant ne remplissait pas les

critères requis par la loi no 188/1999.

B. Le droit interne pertinent

13. La loi no 187/1999 sur l'accès à son propre dossier et la divulgation

des actes de la police politique fut publiée au Journal officiel

le 9 décembre 1999. Elle a ouvert pour la première fois l'accès des

personnes intéressées aux archives de l'ancienne police politique à travers

une procédure encadrée par le Conseil national pour l'étude des archives de

l'ancienne police politique.

14. L'article 2 de la loi dressa la liste des personnes dont le passé pouvait

être rendu public sur demande de toute personne intéressée. Parmi celles-ci

figuraient : le Président de la République, les membres du Parlement et du

Gouvernement, les chefs de l'administration centrale et locale, les officiers

de police et de l'armée, les membres du corps diplomatique, les journalistes,

les magistrats, les avocats et les notaires, les chefs des établissements

d'enseignement secondaire et universitaire, les membres du clergé, les

médecins, les dirigeants des compagnies publiques ou privées agissant dans

des domaines d'intérêt public ou stratégiques, les dirigeants des associations

ou fondations.

15. La loi n'instaurait aucune restriction quant à l'accès aux fonctions

susmentionnées, mais exigeait des personnes souhaitant intégrer l'une de

ces fonctions de déclarer si elles avaient collaboré avec l'ancienne

police politique. Pour les candidats à la présidence de la République et au

Parlement, ainsi que pour les personnes nominées pour un poste ministériel,

la vérification était obligatoire et était effectuée d'office par le Conseil.

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16. L'essentiel de ces dispositions a été repris dans l'ordonnance

d'urgence du Gouvernement no 24/2008 qui a remplacé la loi no 187/1999.

17. La loi no 188/1999 sur le statut de la fonction publique fut publiée au

Journal officiel le 9 décembre 1999. En vertu de l'article 50 j), il était

interdit aux anciens collaborateurs de la police politique d'intégrer la

fonction publique. Cependant aucune restriction n'était prévue à l'égard

des fonctionnaires en service. Cette loi n'était applicable qu'à certains

fonctionnaires de l'administration centrale et locale, à savoir :

secrétaire général et secrétaire général adjoint du Gouvernement,

des ministères, et des autres structures administratives centrales, conseiller

d'Etat, préfet, sous-préfet, secrétaire général de préfecture, directeur général

et directeur général adjoint des ministères et des autres structures

administratives centrales, secrétaire des villes et des communes, directeur

exécutif et directeur exécutif adjoint des services administratifs

décentralisés ou de l'administration locale, chef de service, chef de bureau,

expert, conseiller, inspecteur, conseiller juridique, auditeur, référent,

architecte en chef, inspecteur de la concurrence, inspecteur des douanes,

inspecteur du travail, contrôleur délégué et commissaire.

GRIEFS

18. Invoquant les articles 1 du Protocole no 12 et 14 de la Convention,

pris isolement ou combinés avec les articles 8 et 11 de la Convention

et 1 et 2 du Protocole no 1, le requérant se plaint du rejet de sa demande

d'inscription sur la liste de réserve des sous-préfets et de l'interdiction

prévue par la loi no 188/1999 de postuler pour un emploi dans la

fonction publique. Il se plaint essentiellement d'une discrimination

injustifiée dans les perspectives d'emploi dans le secteur public.

19. Dans une lettre du 10 mars 2010, invoquant l'article 6 de la

Convention, le requérant se plaint de l'équité de la procédure judiciaire qui a

abouti à la confirmation de la décision du CNSAS. Il estime également que

la restriction à l'embauche dans la fonction publique emporte violation de

l'article 10 de la Convention. Enfin, sous l'angle de l'article 13 de la

Convention, il estime qu'il n'a pas eu droit à un recours effectif qui lui aurait

permis de se plaindre des violations alléguées de la Convention.

EN DROIT

20. La Cour note que sur le terrain des articles 8, 11 et 14 de la

Convention, 1 et 2 du Protocole no 1 et 1 du Protocole no 12, le requérant

se plaint essentiellement d'une discrimination concernant l'accès à la

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fonction publique. Compte tenu de la substance similaire de ces griefs, la

Cour estime qu'il convient d'examiner l'ensemble des plaintes du requérant

sous l'angle de l'article 8 combiné avec l'article 14 de la Convention

(voir, mutatis mutandis, Sidabras et Džiautas c. Lituanie, nos 55480/00 et

59330/00, §§ 37 et 63, CEDH 2004-VIII).

21. En l'état actuel du dossier, la Cour ne s'estime pas en mesure de se

prononcer sur la recevabilité de ce grief et juge nécessaire de le

communiquer au gouvernement défendeur conformément à

l'article 54 § 3 b) de son règlement.

22. Citant les articles 6, 10 et 13 de la Convention, le requérant se plaint

essentiellement de l'équité de la procédure judiciaire qui a abouti à la

confirmation de la décision du CNSAS.

23. La Cour constate que ces nouveaux griefs, qui n'ont été mentionnés

que dans une lettre du 10 mars 2010, sont tardifs, car soulevés plus de

six mois après l'arrêt définitif de la Haute Cour de cassation et de justice du

23 mars 2007.

24. Il s'ensuit qu'ils doivent être rejetés, en application de l'article 35

§§ 1 et 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l'unanimité,

Ajourne l'examen du grief du requérant tiré des articles 8 et 14 de la

Convention ;

Déclare la requête irrecevable pour le surplus.

Santiago Quesada Josep Casadevall

Greffier Président