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No198 - Aphasie de l'adulte

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Revue éditée par la FédérationNationale des Orthophonistese - m a i l : f n o @ w a n a d o o . f r

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Abonnement réduit : 380 F (57.93 euros)réservé aux adhérents de la F.N.O., del’A.R.P.L.O.E.V. ou d’une associationeuropéenne membre du C.P.L.O.L.

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LES APHASIESDE L’ADULTE

Sommaire Juin 1999 N° 198

Rééducation Orthophonique, 2, rue des deux gares, 75010 Paris

Ce numéro a été dirigé par Olivier Héral, orthophoniste

Aphasies et orthophonie en neurologie de l’adulte 3Olivier Héral, orthophoniste, Castres

L’inénarrable aventure de P. 7René Degiovani, orthophoniste, Toulon

1. Aphasie et imagerie cérébrale fonctionnelle 17Bernard Lechevalier, neurologue, C.H.U., Caen

2. Les formes cliniques des aphasies corticales 29Roger Gil, neurologue, C.H.U. La Milétrie, Poitiers

3. Les aphasies sous-corticales : données actuelles 41Michèle Puel, neurologue, Jean-François Démonet, Dominique Cardebat, CHU Purpanet INSERM U455, Toulouse et Dominique Castan, neurologue, CHIC, Castres-Mazamet

4. Stratégies de compensation adoptées par des patients cérébrolésés :définitions conceptuelles et principes de mise en œuvre 51Abdelatif Kioua, neuropsycholinguiste, Département des Sciences du Langage, Toulouse

5. De la nécessité de l’évaluation des troubles de la compréhension dans l’aphasie 67Marie-Noëlle Metz-Lutz, neurologue, Clinique Neurologique,Hôpitaux Universitaires et INSERM U 398, Strasbourg

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1. Une nouvelle batterie de tests de compréhension orale en temps réelpour patients aphasiques 79François Grosjean, Isabelle Racine, Laboratoire de traitement du langageet de la parole, Neuchâtel et J. Buttet-Sovilla, logopédiste,Division autonome de neuropsychologie, C.H.U.V., Lausanne

2. Rééducation des troubles de la compréhension de la phrase 93Marie-Anne van der Kaa-Delvenne et A. Schwab, logopèdes,Unité de revalidation Neuropsychologique, C.H.U. Sart-Tilman, Liège

3. Les techniques de communication alternatives ou supplétives 111Marie-Pierre de Partz, logopède, Centre de revalidation Neuropsychologique de l’Adulte,Cliniques Universitaires Saint-Luc, Bruxelles

4. Les thérapies de groupe en aphasiologie 123Jocelyne Buttet-Sovilla, logopédiste, Division autonome de neuropsychologie,C.H.U.V., Lausanne

5. Evaluer la communication de la personne aphasique dans la vie quotidienne :proposition d’une Echelle de Communication Verbale 137Bénédicte Darrigrand, orthophoniste et Jean-Michel Mazaux,médecine physique et réadaptation, Service de Rééducation Fonctionnelle, C.H.U., Bordeaux

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1. La neuropsycholinguistique à la veille de l’an 2000.Réflexions et perspectives à partir d’un exemple : l’agrammatisme 145Jean-Luc Nespoulous, Laboratoire de neuropsycholinguistique Jacques-Lordat (E.A. 1941)et INSERM U.455, Toulouse

2. Les perspectives rééducatives en aphasiologie 153Jean-Michel Mazaux, P.A. Joseph, M. Campan, P. Moly et A. Pointreau,C.H.U., Bordeaux

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Aphasies et orthophonie en neurologiede l’adulte

Olivier Héral

Olivier Héral * **Orthophoniste* 18 bd Léon-Bourgeois

81100 Castres.** Service de Neurologie

Service de Médecine Physique etRéadaptationConsultation « Langage § Mémoire »Centre Hospitalier IntercommunalCastres-MazametBP 41781108 Castres Cedex

Rééducation Orthophonique, première revue scientifique françaiseconsacrée à l’orthophonie, depuis maintenant 37 années consécutives, a décidéde dédier un de ses numéros de l’année 99 au thème de l’Aphasie, plus précisé-ment à celui des Aphasies chez l’adulte. En effet, les publications récentesmettent, sans doute avec raison, l’emphase sur les étiologies dégénératives, maisau « détriment » des origines vasculaires, traumatiques, néoplasiques - souventcurables. C’est pour cela que nous avons décidé de faire le point, à l’aube del’an 2000, des connaissances acquises et des perspectives dans les domaines desn o u velles techniques d’imagerie médicale, des données sémiologiques, desmodèles théoriques de référence au plan descriptif ou thérapeutique, des tech-niques d’évaluation et d’intervention utilisées. Ce dernier point est important carune fois l’étiologie connue, la forme clinique décrite, les personnes aphasiquesdoivent être prises en charge.

L’orthophoniste a alors un rôle important à jouer au niveau du patient etde ses accompagnants. Ce dernier temps mérite donc toute notre attention d’au-tant que des techniques maintenant largement éprouvées ou de nouvelles tenta-tives « reconstructrices » ou palliatives ont vu le jour. De même, de nouveauxmodèles, par exemple concernant la compréhension, ont permis de repenser lestechniques classiques d’évaluation et de rééducation.

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C’est donc à un projet volontairement pluridisciplinaire que nous avonspensé. Les auteurs ont été sollicités en France, Belgique et Suisse afin de pro-mouvoir aussi la recherche et l’information francophone.

Selon une tradition établie depuis plusieurs livraisons, ce numéro estintroduit par René Degiovani (Toulon) qui, sous la rubrique « Rencontre » rap-porte l’inénarrable aventure de P.. Ce n’est, malgré son titre, ni l’un des cha-pitres d’un des Voyages extraordinaires de Jules Verne, ni une nouvelle inédited’Edgar. A. Poe, mais la chronologie d’une confrontation puis d’une reconstruc-tion : confrontation du patient à son trouble, confrontation de l’orthophoniste ausujet aphasique, reconstruction d’une communication avec nécessité de s’adap-ter, de pallier, de compenser pour que l’aventure puisse quand même bien se ter-miner. L’inénarrable aventure est donc bien une rencontre clinique.

Le détour par les « Données actuelles » est ensuite inauguré avec talentpar Bernard Lechevalier (Caen) qui démontre l’importance et l’intérêt des nou-velles techniques d’imagerie cérébrale fonctionnelle dans l’étude des aphasies etau-delà dans la compréhension des liens existant entre structure cérébrale etfonctions cognitives, celle visée particulièrement dans son propos étant le lan-gage. Leur utilisation pour guider plus efficacement une rééducation orthopho-nique d’inspiration cognitive est maintenant envisageable.

Un rappel et une actualisation des données étiologiques nous a semblé unpréalable important : Roger Gil (Poitiers) l’illustre en nous décrivant les formescliniques des Aphasies corticales : si la dichotomie entre aphasies à langageréduit et aphasies fluentes reste d’actualité, la connaissance de nombreusesformes dissociées est importante.

L’ i n t e r r o gation initiale de Pierre Marie, en 1906, « que faut-il penser desaphasies sous-corticales ? » était promise à un bel ave n i r : c’est ce que démon-trent dans l’article suivant M i chèle Puel, Je a n - François Démonet, DominiqueC a r d eb a t ( Toulouse) et Dominique Castan (Castres-Mazamet) en abordant leursaspects cliniques, sémiologiques et physiopathologiques, l’imagerie fonctionnelleapportant de nouveaux éléments à l’étude des relations « c e r ve a u - l a n ga g e » .

Abdelatif Kioua (Toulouse) propose une réflexion théorique sur les stra-tégies de compensation adoptées par les patients cérébro-lésés, secteur dont ilest un des spécialistes francophones actuels : la compréhension de l’état post-lésionnel du cerveau est fondamentale si l’on veut proposer des stratégies decompensation. Enfin, les troubles de la compréhension font l’objet d’un souciactuel de recherche. L’importance de leur prise en compte est soulignée parMarie-Noëlle Metz-Lutz (Strasbourg) qui démontre que leur analyse cognitivepeut servir de support aux interventions thérapeutiques.

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Ces dernières (évaluation et prise en charge des patients) sont bienentendu une priorité pour laquelle les orthophonistes sont au premier plan. LesAphasies ont dès leur description initiale suscité une démarche orthophonique etinauguré l’histoire de la neuropsychologie. Comme le rappelle B l a n ch eDucarne de Ribaucourt (1997), « dès (les) premiers temps (...), on prendconscience du fait que les principes et modes, (...) régissant la rééducation despatients cérébro-lésés, seront inéluctablement rivés et singulièrement dépen-dants de la discipline mise en œuvre pour analyser et interpréter les perturba-tions fonctionnelles devant être traitées ». Les textes rassemblés dans la partie« Examens et Interventions » montrent à quel point cette réflexion est encored’actualité 156 ans après Jacques Lordat et 138 après Paul Broca.

Dans une première contribution, François Grosjean, Isabelle Racine(Neuchâtel) et Jocelyne Buttet Sovilla (Lausanne) présentent une nouvelle bat-terie de tests de compréhension orale en temps réel pour patients aphasiques.Dans la même perspective, Marie-Anne van der Kaa-Delvenne et A. Schwab(Liège) détaillent les différentes rééducations des troubles de la compréhensionet rapportent leurs propres résultats.

Si les thérapies cognitivo-linguistiques et individualisées sont largementpratiquées, Marie-Pierre de Partz (Bruxelles) est là pour nous rappeler que desstratégies palliatives (langages gestuels, visuels, téléthèses, etc.) peuvent danscertains cas être nécessaires : leur présentation et leur analyse sont documen-tées. Jocelyne Buttet-Sovilla (Lausanne) insiste, quant à elle, sur l’importancedu groupe dans l’arsenal « réhabilitatif » envisageable : différents types de thé-rapie de groupe existent en aphasiologie, elles ont donné lieu à une théorisationet des exemples pratiques sont rapportés.

E n fin, Bénédicte Darrigrand et Je a n - M i chel Mazaux (Bordeaux) vont au-delà de l’évaluation en séance formelle pour proposer une échelle d’éva l u a t i o npermettant d’apprécier l’efficacité de la communication et d’approcher les straté-gies de compensation employées par le malade pour pallier les déficiences de sonexpression orale : ce type de démarche écologique devrait se développer à l’ave n i r.

Et l’avenir, ce sont les « Perspectives », dernier volet d’un triptyquemaintenant bien rôdé. Elles concernent autant la recherche que l’intervention.En toute logique, Jean-Luc Nespoulous ( Toulouse) le démontre dans ledomaine très important pour tout orthophoniste de la Neuropsycholinguistique,avec une emphase marquée concernant les nouvelles pistes d’étude de l’agram-matisme. Son article dépasse le cadre européen francophone initial puisqu’il atrouvé son prétexte dans la foulée d’un symposium organisé à Cartagena deIndias (Colombie). Ensuite Jean-Michel Mazaux et al. (Bordeaux) brossent de

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façon magistrale, sur quatre axes, le panorama des perspectives rééducatives enaphasiologie : évaluations, évolution de la rééducation, évaluation des résultats,apports des neurosciences.

Enfin, nous serons gré à René Degiovani, internaute et documentaliste detalent pour les « Ressources et références » bien utiles qui clôturent ce numéro.

Ce travail collectif ne serait pas complet si nous ne remerciions les diversauteurs pour leur réponse enthousiaste et la qualité de leur contribution ainsi queles différentes personnes qui nous ont permis de mener à bien ce projet :Jacques Roustit, Rédacteur en Chef de la revue « Rééducation Orthophonique »pour la confiance qu’il nous a témoignée en nous en confiant sa mise en œuvre ;Abdelatif Kioua (Laboratoire Jacques Lordat - Toulouse) pour sa collaborationactive et Liliana Rico Duarte (Laboratoire de Psychologie Cognitive et Expéri-mentale - Montpellier) pour ses échanges constructifs.

Plusieurs publications récentes nous ont guidés quant au choix desauteurs et à l’organisation globale de ce numéro. Elles sont répertoriées dans lesréférences fournies ci-après.

REFERENCESBARON, J.Cl. (1997) Mécanismes de la récupération neurologique après accident vasculaire cérébral

(AVC) : apports de l’imagerie fonctionnelle cérébrale, Rééducation Orthophonique, 35, 190,137-151.

de PARTZ, M.P. (1996) Les carnets de communication, Orthophonie et Neuropsychologie, Lyon : Textesdes communications.

DUCARNE de RIBAUCOURT, B. (1997) La naissance et le développement de la rééducation neuropsy-chologique, in F. Eustache, J. Lambert, F. Viader, (Eds), Rééducations neuropsychologiques, His-torique, développements actuels et évaluation, Séminaire Jean-Louis Signoret, Bruxelles, DeBoeck.

E U S TACHE, F., LECHEVALIER, J.L. (1989) Langage et aphasie, Séminaire Jean-Louis Signoret,Bruxelles, De Boeck.

EUSTACHE, F., LAMBERT, J., VIADER, F., (Eds), (1997) Rééducations neuropsychologiques, Histo-rique, développements actuels et évaluation, Séminaire Jean-Louis Signoret, Bruxelles, DeBoeck.

GROSJEAN, J. (1997) Elaboration d’une batterie de tests de compréhension orale en temps réel poursujets aphasiques : les deux premières épreuves, Revue de Neuropsychologie, 7, 3, 313-335.

KIOUA, A. (1998) Contribution à l’étude des stratégies de compensation d’un déficit anomique au moyende gestes mimétiques, Thèse pour le Doctorat (N.R.), Université de Toulouse-le-Mirail.

LAMBERT, J., NESPOULOUS, J.L. (Eds) (1997) Perception auditive et compréhension du langage : étatinitial, état stable et pathologie, Marseille, Solal.

POSNER, M.L., RAICHLE, M.E. (1998) L’esprit en image, Paris, Bruxelles, De Boeck.

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L’inénarrable aventure de P.René Degiovani

René DEGIOVANIOrthophoniste6, rue Castel83000 ToulonTél. : 04 94 03 16 39Email : [email protected]

Patchuk ? Patchuk !Mais qu'est ce qu'elle dit ? Où jes u i s ? C ' e s t q u i ? … . . C ' e s tb i e n … e u h . . ? ?….Mais c'est mafemme.Et il ferma les yeux comme pouréchapper à tout cela.

Mais qu'est-ce que j'ai eu ? Je mesouviens, le dîner chez les R., maisaprès ? ? Pourtant je n'avais pas faitd'excès. Et le repas n'était pas lourd.Pas très bon non plus.Tout à l'heure il y avait plein demonde dans la chambre. Suis-jedevenu si important ? A moins que jene sois un cas ? Mais de quoi ?

Je suis à l'hôpital ! c'est peut-êtreencore ma vésicule. Pourtant je n'aipas mal. Infirmière ! « mifinède »,« fimè », « eh » « oh » « quoi ? »

« Pierre, Pierre. »Michèle lui caressait sa main et cher-chait dans ses yeux un petit signe.Mais rien. Depuis son malaise, Pierrene réagissait plus, comme s'il étaitenfermé dans un carcan.

Le patron et son staff :Un cas superbe. Pas d'antécédentsconnus, un homme jeune (à peinemon âge, pensa-t-il en lui même) eten pleine forme et voilà ce qu'il enreste : hémiplégie, aphasie totale. Çafait froid dans le dos, n'est ce pas ! Etce n'est pas le premier de ce genreque je vois.

Bonjour Monsieur. Calmez-vous. Nevous énervez pas. Le docteur passeratout à l'heure. Il vous expliquera.

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« Quoi ? ? » demanda P. en vo u l a n tse montrer. Mais son bras ne bou-gea pas et l'infirmière ne compritp a s .

Ah , quelqu 'un qu i semble meconnaître. En tout cas, elle connaîtmon nom. En plus, elle est jeune etjolie. Mais je ne la reconnais pasvraiment. Dommage. Et je ne comprends pas grand chose àtout ce qu'elle me dit. J'ai dû avoir unchoc aux oreilles ou bien un acci-dent.Elle m'a demandé plein de choses,mais je n'ai pas trop compris. Elle nesemblait pas trop comprendre ce queje disais d'ailleurs. Quel drôle demonde… Elle a eu l'air perplexe etsoucieuse quand je lui ai parlé desimages qu'elle me montrait : le cac-tus, cela me rappelait bien lesvacances de Noël en Tunisie « l etas…le cas…le cata »

P. et son épouse :

« l i m è c h e », « m i l è c h e », non, c'estpas ça. Mais tant pis. Son rega r da l ' a ir t r i s te . « quoi ? moi »« q u o i ? » .Son regard devient encore plus tristeet elle m'a expliqué plein de chosesque je n'ai pas bien compris, sauf quecela n'allait pas très bien pour maparole.« pourquoi ? »

L'orthophoniste du service :Bonjour, vous êtes bien Pierre B. Jem'appelle Sophie et je suis orthopho-niste. Je vais vous poser quelquesquestions pour vous aider.Extraits du premier bilan : Mr B. pré-sente une aphasie globale avec destroubles majeurs de la compréhen-sion, une expression orale marquéepar de très nombreuses paraphasiessouvent verbales et une réduction dela fluence. L'examen systématiqued'une éventuelle apraxie n'a pu sefaire au vu des difficultés de compré-hension. De même le langage écritn'a pas été exploré.

Quelques jours après : Le docteuret l'épouse :Votre mari a eu un accident vascu-laire très grave. Son cerveau a étéd é fi n i t ivement endommagé et il vaprobablement garder des séquellesimportantes. Son hémiplégie semblediminuer rapidement mais son apha-sie…Aphasie ? ? ?Oui, c'est vrai que ce n'est pas trèsconnu.

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La première séanceCelle-là je ne la connais pas. Je pré-fère l'autre. Enfin tant pis. C'est peut-être une institutrice. En tout cas, elleparle pareil.Ils n'ont même pas de photos ici. Ahle budget des hôpitaux !

Voilà le bouton.Voilà la carte. Je n'ai pas oublié,j'adore jouer. Zut, j'ai dû me tromper.

« le gros », « i est gros »Elle est pas rigolote. Je sais pas moi,il y a toujours le gros sur les quatreimages.

Une nuit de P.Montrez moi, répétez, attendez, lisez,essayez encore, non, attention, bien,allez-y, écrivez, qu'est ce que c'est,essayez encore …..Je n'y arrive pas. Je crois que je vaistout laisser tomber. Tant pis.Et Michèle. Elle ne me rega r d emême plus. Je ne l'intéresse plus.

Le bilan :Tiens, voici encore la dame char-mante. Aujourd'hui, elle m'a parléplus lentement et j'ai mieux compris.Elle va faire LE bilan.Elle m'a dit qu'elle allait me poserplein de questions et qu'après onpourrait m'aider.C'est vrai que j'ai l'impression que çane va pas très bien quand je parle : je

La première séance« B o n j o u r, voici des images. Vo u sallez me montrer celle que je va i sdire. »

« Le bouton » Bien.« la tarte » « Essayez encore » « la tarte »

« montrez moi l'image où… »« écoutez bien et ne dites rien »

Une nuit de MichèleOn m'a dit qu'il allait mieux et qu'ilal lai t bientôt rentrer. Non, pasencore.Comment je vais faire ? Il ne saitplus parler. Je ne vais pas vivre avecun gamin. Quand je pense à tout ceque l'on a vécu. Fini tout cela. Mêmeplus un je t'aime. Juste des syllabessans sens. Non, pourquoi !

Le bilan :L'état général de Mr B. s'étant amé-lioré, il a été décidé de lui faire pas-ser un bilan orthophonique complet. « Bonjour Mr B. Comment allez-vous ? Votre bras et votre jambe vontbien maintenant. C'est bien. » « Vousallez venir plusieurs fois ici et je vaisvous faire passer LE Bilan. Après ondécidera de la suite à donner ».

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n'ai pas l'impression de dire les bonsmots. Et d'ailleurs il suffit de rega r d e rles gens pour s'en rendre compte…Peut-être que j'ai attrapé une maladieexotique et que je parle comme ceuxqu'on avait rencontré là-bas…Tiens voilà encore le cactus. Elleveut me donner des regrets des der-nières vacances. D'accord, je vous disce que c'est : « un cacu », « non »,« un catu ». « C'est ça ? »

Facile à dire. Et je cligne des yeux enmême temps ? bon je n'y arrive pas.

Ça non plus je n'y arrive pas. C'estplus embêtant. Mais elle, c'est une spécialiste, elledoit beaucoup s'entraîner.

La réunion de synthèse :Ouh la la. Il y a beaucoup de monde.Un vrai jugement. « Bon - jour ». Çay est je l'ai bien dit… C'est que jem ' exerce tout le temps dans machambre. « ça la », « non ça sa »,« non ». Tant pis.

Quel tableau ? aphasie ?Luent ? pluent ? luent ?Parapharmacie ? paraphasie ? Bof !

Bucco quoi ?

Ecrit. J'ai beaucoup de mal à écrire.Peut-être ma main ?Sévère ? qui moi ?Communication. Ça j'ai bien com-

« Regardez bien cette image et ditesmoi ce que c'est. »« C'est bien »

« Vous allez gonfler la joue droiteseulement »« Allez essayez encore une fois »« Mettez votre langue vers la droite ,puis vers la gauche »« Encore un petit essai »

La réunion de synthèse :Bon, Mr B. va beaucoup mieux. Sonétat général est excellent. Son hémi-plégie a quasiment disparu. Reste sonaphasie. Que dit le bilan ?« Mr B. présente le tableau apha-sique suivant : une expression oralepeu fluente, marquée par des para-phasies encore nombreuses et dansun contexte d'apraxie bu c c o - fa c i a l esévère. La compréhension orales'améliore dans la désignation maispas au niveau des phrases. Lestroubles de l'écrit sont proportionnelsà ceux de l'oral. Il s'agit donc d'un tableau aphasiquesévère tempéré par un désir impor-tant de communication. »

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pris. C'était mon métier. Alors biensûr j'ai envie de communiquer.

Ils m'ont expliqué que j'allais rentrermais que je reviendrai tous les joursici. Quelle drôle d'idée.

La première séance (bis)Ah une femme. Encore. Enfin tantpis.

Ah non. Pas de la musique. Je n'ycomprends rien. Je n'aime pas. Vrai-ment pas. C'est rigolo, ce qu'il fait. Et il veutque je fasse pareil. Ouh la la ….

Tour les vous. Bon / \ pomant /

Trois mois plus tard.Viens cher

Tu / \ te cou /

Un an plus tard.Je drais au

\ vou / \aller / \soleil

quoi pas nir ?Pour/ \ne veux-tu/ \ve/

Nous allons donc mettre en place unprogramme rééducatif en hospitalisa-tion de jour à raison de cinq séanceshebdomadaires.

La première séance (bis)Bonjour, dans le dossier, j'ai lu quenos conjoints avaient le même pré-nom et le même âge. C'est drôle. Vous aimez la musique. Parce quel'on va utiliser le rythme pour vo u saider à reparler. Un peu commec e l a .

Jour mment vous ? Bon / \ co / \ allez /

Trois mois plus tard.Viens cher

Tu / \ te cou /(demande exprimée par le patientpour son épouse)

Un an plus tard.Résumé du compte-rendu de bilanLa rééducation entreprise a permis deréduire les effets de l'apraxie et d'ob-tenir en séance des phrases etquelques échanges. Toutefois letransfert reste très rare. On doit aussinoter la persistance de quelquestroubles de compréhension, à l'oralcomme à l'écrit.

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Deux ans plus tardDemain, je serai acteur. Avec C. nousavons beaucoup répété mon rôle.Celui d'un aphasique. Je ne sais plusrien faire d'autre. Mais dans le film,on est tous pareils, on n'a pas honte,on n'a pas peur, on existe.Mais j'ai peur pour demain.

Jour suisBon/ \ je/ \ le laveur.

Trois ans plus tard.Nous applaudir parce qu'on parle pas,c'est drôle.Mais c'est beau tout cela et les ortho-phonistes ont l'air émus et tous lesgens aussi.« Bon - jour »... « j'appelle...non...jem'appelle P. » « c'est beau, le film »...« triste »

Quatre ans plus tardP. et M. ont décidé de se séparer.J'ai tout perdu, le travail, la femme, laparole. Je vais partir.P. quitte sa ville pour (re) trouver lesoleil de son enfance et de sesvacances..

Un autre orthophoniste« Bonjour...je m'appelle P. »... « partidu Nord »

« Le cahier ». « regarde le cahier ».« c'est le travail »« Tous les jours, travail avec cahier »

Deux ans plus tardTournage du fi lm « Les Motsperdus », conçu et réalisé par PierreSimard, conçu et joué par les apha-siques de quatre pays francophones.Le premier film de fiction sur l'apha-sie.Grâce aux associations d'aphasiques,ce film a été vu par des milliers depersonnes, leur ouvrant la porte d'unpremier regard sur l'aphasie.

Trois ans plus tard.Montréal - Québec - 1ère diffusiondu film devant plusieurs centaines despectateurs et en présence des acteursaphasiques.

Quatre ans plus tardP. et M. ont décidé de se séparer.Comment vivre avec l'ombre d'unhomme ? c'était sa voix, ses mots quime faisaient l'aimer. Je n'ai plusl'envie, ni le courage.

Un autre orthophoniste« Bonjour Mr B. Bienvenue en Pro-vence. Vous verrez, c'est un paysagréable. »

« Vous savez, ici on parle avec lesmains, avec les yeux, avec le corps ».« On utilise tous les moyens pour

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« Regarde »

Pourquoi pas ? Je n'ai pas grandchose à perdre. Je n'ai plus grandchose à moi.

La première séance (ter)J'en ai un peu marre des séances d'or-thophonie.Répéter, dire, se tromper, répéter,recommencer,Moi je voudrais parler. C'est tout. Et je voudrais qu'on m'écoute.Je suis sûr qu'en m'écoutant un peu,on me comprendrait mieux.Je voudrais recommencer, la maison,la voiture, le sport, la femme. Mais seul c'est trop dur.Je parle pas. J'écris mal. Je lis pas.Il faut m'aider, m'accompagner

La visite du permisA l'hôpital, on avait sagement sus-pendu le permis de conduire dePierre.« la voiture, ça y est »... « le permis...téléphone préfecture »« tu viens avec moi ?....obligé...toutseul peux pas »

s ' ex p l i q u e r, pour communiquer,même sans parler ». « On pourraitessayer de faire un peu pareil »« Qu'en pensez-vous ? »

La première séance (ter)J'ai bien essayé de relire mes cours,de trouver des articles, de consulterle gros livre jaune. Mais il n'y a riensur ce que l'on peut faire quand on atout fait depuis cinq années. Pourtantil y croit encore, il a un dynamismecontagieux.Je ne vais quand même pas lui refaireinlassablement le coup des images oudes fins de phrase ou de la conversa-tion de salon jusqu'à ce que morts'ensuive ou que CPAM se fâche.Non il a besoin de vie. Mais c'est pasmarqué dans les livres, même dansceux d'outre Atlantique.Il va bien falloir se jeter à l'eau pouradapter mon travail. Mais en juin,c'est une bonne saison pour cela. Enfait, il faut que je l'accompagne pourretrouver la vie. C'est un bel objectifde rééducation.

La visite du permisA l'hôpital, on avait sagement sus-pendu le permis de conduire dePierre.Il apprend qu'une bonne voiture d'oc-casion est disponible chez un parent.Il a l'argent...Mais le permis ?

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« Bon - jour »Personne ne répond. « Pas poli, eux »me dit-il.

« pas parler mais comprendre, c'estbien »« pas sourd » « aphasique » « a-pha-si-que »

« tu bois le champagne? »

L'association« Le film avec l'association ». « pasd'association, pas de film » « faireencore association ici ».

« parler ensemble, cinéma, restau,danser, association c'est bien »« Merci, tous » « le film beau, triste »« le film c'est aphasie, comme moi...comme nous »

Le cahier« Le cahier » ... « travail »... « toi etmoi »

« Pour écrire vie ».

« écrire maison, voiture, maman,impôts, toi, association, tout »

Dans la salle d'attente, anciens acci-dentés, anciens(?) alcooliques,anciens(?) chauffards et Pierrel'aphasique.Dans le bureau du médecin, avec uneinfirmière, vérification des yeux, desréflexes et de l'audition. Le médecindit des mots à Pierre qui doit lesr é p é t e r....mal bien sûr.... « Il estencore sourd » décrète le praticien.Heureusement que je suis venu, unpetit cours de formation « continue »sur l'aphasie et le précieux permis estrendu.

L'associationMr de Bie m'a convaincu. Il y croittellement. Avec O., V. et C., on vaaccompagner « n o s » aphasiquespour former une association.Pas facile mais il faut...pour eux. Pierre sera le premier président del'association.Il prendra la parole devant 150 spec-tateurs lors de la projection du film.

Le cahierPierre m'apporte un cahier tout neuf .Dans quel but ? Il écrit avec difficultéet avec pas mal de paragraphies. Perplexité Il veut écrire ses mémoires ? Il veutque j'écrive ses mémoires ?Il veut une sorte de carnet de com-munication. Il a de bonnes idées,mais il écrit mal et il lit mal.

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Vendredi 17 eendre, décembre1530. ORTHOmaison, combien ilo, imilier, immobilierimmobilier

La vo i t u re, la maison, le tennis,l'association, le café.« la voiture, c'est bien », « vo i rmaman », « aller au cinéma » « allercongrès » « avant rouler toujours envoiture »

« aller chez l'immo... je sais pas »« acheter maison » « pas cher »« clair...grand » « pas cher » « tuviens voir »« casser la cuisine, trop vieille »

« demain, apprendre tennis ». « c'estbien le tennis »« mais fait chaud »« tape pas bien avec la raquette »« demain encore leçon »

« mardi c'est casino. Manger et par-ler, c'est bien »

15 mai - Congrès - AphasieJo s e t t e, Nancy, Paul et Je a n i n e,P i e r re voiture ensemble. 3 jours1500. c'est bien aphasiques.

« bonjour », « ça va ? », « café »« chaud » « merci »

Pendant plusieurs mois, Pierre atransposé sa vie dans ce cahier,essayant d 'éc rire ce qu' il vo u -lait, recopiant ce qu'il lui fa l l a i t ,notant (bien...) les nombres, appre-nant à retrouver ce qu'il avait écrit(ce que l'on se doit d'appeler la lec-ture...)

La vo i t u re, la maison, le tennis,l'association, le caféP. conduit vite mais bien.

Il ne loupe pas une réunion de lacopropriété.

Il fait du tennis, été comme hive r,presque tous les matins.

Il est TOUJOURS présent et prendTOUJOURS la parole.

Grâce à P., tout le monde connaîtl'aphasie dans mon quartier....et tout

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« combien ? »« au - re-voir »La rencontre P.« b o n j o u r » « moi c'est Pierre »« aphasique, toi »

« depuis longtemps aphasique »« moi c'est 7 ans »

« habite où ? » « seule »

Le lendemain« l'amour c'est bien ». « Pas pouvoirp a r l e r » « mais pouvoir aimer »« c'est bien ».

le monde le salue quand il se pro-mène.La rencontre L.« bonjour » « oui »

« moi, c'est 2 ans »

« oui » « et toi ? »La musique du bal du Congrès com-mence.« tu danses »

P. et L. se sont mariés le 17 Juin der-nier et le « oui » a bien été prononcépar les deux conjoints.

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Aphasie et imagerie cérébrale fonctionnelle

Bernard Lechevalier

R é s u m éLes méthodes d’imagerie morphologique permettent de visualiser du vivant du patient apha-sique la morphologie, la structure, les limites et la localisation exacte de la lésion cérébraleen cause.Les méthodes d’imagerie cérébrale fonctionnelle enseignent sur leur retentissement à dis-tance, la balance inter-hémisphérique, le jeu des suppléances des différentes zones du cer-veau.Pour l’instant réservé essentiellement à la recherche, le recours à l’imagerie fonctionnellecérébrale aux différents stades de l’évolution de l’aphasie n’est pas encore passé dans leshabitudes. Elle permettrait dans certains cas de guider plus facilement une rééducationd’inspiration cognitive.Son intérêt pour la recherche est considérable.M o t s - clés : i m agerie morphologique, imagerie fonctionnelle cérébrale, « profilmétabolique » des aphasies, étude de la suppléance fonctionnelle

Aphasia and functional cerebral imagery

AbstractTechniques of morphological imag e ry have made it possible to visualize, while the ap h a s i cp atient is alive, the morphology, structure, boundaries and exact localization of the cerebrallesion responsible for the disorder.These techniques help us understand the distal impact of these lesions, the phenomenon ofi n t e r-hemispheric balance, and processes of compensation by different areas of the brain.For the time being, these techniques find their main ap p l i c ation in research. Functional cere-bral imag e ry is not systematically used to follow the course of aphasia, yet it would facilitat ethe monitoring of cognitively-oriented remediation in some cases.Research does greatly benefit from these techniques.

Key Wo r d s : morphological imag e ry, functional cerebral imag e ry, « metabolic profile » of ap h a-sia, functional compensat i o n .

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Bernard LECHEVALIERCHU de CaenServices de Neurologie et INSERM U320Avenue de la Côte de Nacre14000 Caen

L a préoccupation majeure des aphasiologues a toujours été la récupérationde l’intégrité du langage après la survenue d’une aphasie, récupérationqui ne peut se faire qu’au prix d’une analyse sémiologique fine et d’une

rééducation orthophonique bien conduite. Cette attitude développée par Théo-phile Alajouanine et Blanche Ducarne de Ribeaucourt à la Salpêtrière a portéses fruits. Depuis une quinzaine d’années, l’essor des neurosciences a élargiconsidérablement le champ d’investigation de l’aphasie. De nouvelles formesont été décrites comme l’aphasie progressive dégénérative mais surtout l’image-rie cérébrale a permis de visualiser du vivant du malade la morphologie, lastructure, les limites, la localisation exacte de la lésion cérébrale en cause. Il y aplus : l’imagerie fonctionnelle et surtout la caméra à émetteur de positons etl’IRM fonctionnelle permettent d’observer in vivo les modifications dyna-miques du cerveau pendant certaines tâches imposées au patient ou à des sujetssains. L’imagerie fonctionnelle a fait progresser la compréhension des méca-nismes de la récupération de l’aphasie. La question que l’on est en droit de seposer est de savoir si elle a apporté autant à l’amélioration des patients apha-siques ?

Dans les années 1980, il était quasiment impossible d’établir des corréla-tions entre les signes cliniques de l’aphasie et la lésion causale : l’EEG pouvaitrévéler un foyer de souffrance cérébrale et le localiser grossièrement, l’artério-graphie mettait en évidence des occlusions ou des sténoses artérielles, des mal-formations vasculaires ou des déplacements des vaisseaux par une tumeur maisne renseignait qu’indirectement sur la lésion cérébrale qui leur était liée. Depuisles découvertes de Broca (1861) et de Wernicke (1874), seul l’examen post-mortem du cerveau permettait d’établir des corrélations anatomo-cliniquesrigoureuses. Cette méthode est notoirement insuffisante, tout d’abord pourl’heureuse raison que les autopsies sont devenues beaucoup plus rares du fait de

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l’amélioration du pronostic des accidents vasculaires cérébraux mais surtout dufait du laps de temps souvent très long qui a pu s’écouler entre la date de la mortet celle de la constitution de l’aphasie, des remaniements et des lésions supplé-mentaires ont pu se produire dont il est difficile de faire la part ; il devient alorsillusoire de faire des déductions précises. Il faut ajouter que l’examen morpho-logique de l’encéphale ne permet pas de mettre en évidence le retentissementfonctionnel (lié au diaschisis) de la lésion sur d’autres parties du cerveau.

Aujourd’hui, le scanner cérébral et surtout l’IRM, davantage encore sil’on a recours aux reconstitutions en trois dimensions, permettent de connaîtredu vivant du malade le siège, la taille, les limites exactes des lésions cérébralesavec une précision égale à celle d’une autopsie. De plus, ces examens peuventêtre répétés pour suivre l’évolution lésionnelle. Et cependant, aussi sophisti-quées soient elles, ces méthodes d’imagerie morphologiques ne renseignent passur le retentissement à distance de la lésion, la balance inter-hémisphérique, lejeu des suppléances des différentes zones du cerveau, ce que seule permet doré-navant l’imagerie fonctionnelle cérébrale.

◆ Les méthodes de l’imagerie fonctionnelle

Parmi les méthodes de l’imagerie cérébrale fonctionnelle, nous centreronsnotre étude sur la caméra à émetteurs de positons (PET-Scan) et l’IRM fonction-nelle, laissant de côté l’EEG quantifié, les PEA, la magnétoencéphalographie,les stimulations magnétiques transcrâniennes dont les applications sont beau-coup plus faibles dans le domaine de l’aphasie.

Les traceurs les plus utilisés sont le fluoro-déoxyglucose (FDG) quipermet de mesurer la consommation de glucose (CMRglu) et l’eau marquée àl’oxygène 15 (H2O15) marqueur du débit sanguin cérébral. Dans le tissu céré-bral, ces traceurs qui ont une courte durée de vie, émettent un positon quiaprès un bref parcours dans le tissu cérébral rencontre un électron, rencontrequi provoque l’émission de deux photons dans deux directions opposées. Lacaméra va traiter de tels événements pour en donner une traduction numé-rique. La méthode au déoxyglucose étudie le métabolisme du glucose aun iveau des synapses. C’est la méthode de choix utilisée dans les atrophiescérébrales, le vieillissement, l’appréciation de l’état fonctionnel du cerveau aurepos, état que l’on peut comparer à des scores neuropsychologiques, permet-tant des corrélations clinico-métaboliques dans une région donnée. A cesméthodes fonctionnelles statiques sont venues s’ajouter récemment lesméthodes des activations cérébrales, méthodes dynamiques destinées à mettreen évidence dans une ou plusieurs zones cérébrales des élévations du débit

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sanguin cérébral local au cours de tâches cognitives bien ciblées, soit chez dessujets sains soit sur des encéphales pathologiques. Jadis évalué par le procédédu Xénon radioactif, le débit sanguin cérébral régional est maintenant mesurépar l’eau marquée.

Alors que la caméra à positon nécessite la présence d’un cyclotron àproximité, l’IRM fonctionnelle a l’avantage de se passer de l’usage de produitsradioactifs. Elle utilise le principe de la différence de propriétés électromagné-tiques de l’oxyhémoglobine et de la désoxyhémoglobine des hématies traduisantl’utilisation de l’oxygène pendant l’activation d’un certain volume de tissu céré-bral et le rejet de gaz carbonique des globules rouges.

Qu’il s’agisse de la caméra à positon ou de l’IRM fonctionnelle, ces deuxméthodes d’activations nécessitent au minimum deux mesures correspondant àdeux états fonctionnels différents d’une zone cérébrale donnée : 1) un état deréférence : soit état de repos, ou mieux état comprenant déjà une consignesimple qui sera commune à toutes les autres consignes, par exemple : écouter untexte, voir des figures ; 2) un état d’activation qui traduira la modification de lazone cérébrale pendant une tâche cognitive donnée. La comparaison des deuxchiffres mettra en évidence une activation ou une déactivation de la zone étudiéependant la tâche. La procédure peut comporter trois ou quatre tâches qui serontcomparées les unes avec les autres.

◆ Résultats

L’aphasiologie est une discipline avant tout thérapeutique. Même si untraitement peut être dirigé contre sa cause comme la chirurgie vasculaire céré-brale ou l’exérèse d’une tumeur, le traitement de l’aphasie en soi reste néces-saire. Il s’agit de la rééducation orthophonique. Son efficacité contraste avec sonempirisme puisqu’on ignore à peu près tout du mécanisme de la récupérationd’un langage chez ces malades. L’imagerie fonctionnelle du cerveau lésé estbeaucoup plus complexe que celle du cerveau sain. Il faut tenir compte 1) desmodifications métaboliques ou du débit sanguin régional provoquées par lalésion elle-même, 2) de l’existence de zones péri-lésionnelles, zones dites depénombre, dans la pathologie vasculaire, zones d’oedèmes éventuellement dansla pathologie tumorale ; 3) il faut tenir compte également du diaschisis (Freneyet Baron, 1986), c’est-à-dire du retentissement à distance de la lésion sousforme d’un hypométabolisme cérébral ou d’un hypodébit sanguin régional ; 4)de plus, les constatations en un temps donné devront être complétées pard’autres explorations ultérieures comparables afin d’avoir une étude longitudi-nale de la maladie.

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Avant même l’avènement de l’imagerie fonctionnelle cérébrale, certainsauteurs avaient fait connaître des observations cliniques montrant qu’après uninfarctus hémisphérique gauche ayant entraîné une aphasie, l’hémisphère droitexerçait un rôle dans la récupération du langage. Cambier et al. (1983) ont rap-porté l’observation d’une patiente de 62 ans dont l’aphasie s’améliora notable-ment. Après deux ans de rééducation, la survenue d’un infarctus hémisphériquedroit fit disparaître toute expression orale et toute compréhension. Basso et al.(1989) ont relaté deux observations comparables. L’injection de barbituriquedans la carotide interne droite chez des patients aphasiques par lésion vasculairede l’hémisphère gauche a provoqué une suppression totale transitoire du lan-gage (Kinsbourne, 1971).

A partir de 1980, les travaux cherchèrent à mesurer les variations de laconsommation de Fluoro-déoxyglucose (FDG) dans l’aphasie. Depuis cettedate, Metter et al. (1983, 1984, 1988, 1989) et Metter (1987) montrent que lessymptômes des aphasies ne sont pas dus seulement aux classiques lésions céré-brales focales mais qu’ils sont le résultat de perturbations métaboliques céré-brales plus globales les débordant et pouvant siéger à distance : si la régionhypométabolique est superposable à la lésion focale constatée morphologique-ment, celle-ci peut être asymptomatique. Il n’en va pas de même s’il existe unhypométabolisme soit temporo-pariétal soit fronto-pariétal en plus de celui dusite lésionnel. Dans une 3e catégorie, l’hypométabolisme est à la fois temporo-pariétal et fronto-pariétal, ce qui peut s’observer dans d’importants infarctus syl-viens superficiels et profonds mais aussi au cours de petites lésions sous corti-cales. Un tel hypométabolisme peut s’exercer à distance de la lésion, parexemple un infarctus du bras antérieur de la capsule interne peut être suivi d’unediminution de la consommation de glucose dans la région frontale inférieure dumême côté, une petite lésion thalamique peut entraîner un hypométabolisme ducortex frontal ou temporal. Ces exemples démontrent qu’en matière d’aphasie,on ne peut raisonner uniquement en fonction de la lésion morphologique maisqu’il faut prendre en considération, pour faire des corrélations, son retentisse-ment fonctionnel sur tout le cerveau. Il ne faut pas oublier non plus que l’hypo-métabolisme va s’améliorer au cours de l’évolution. En ce qui concerne lesaphasies par lésions sous corticales (Metter et al., 1988) l’étude de la consom-mation du FDG peut montrer si l’effet de la lésion sur les symptômes de l’apha-sique est à la fois direct et indirect, c’est-à-dire par l’intermédiaire du cortex.

On est en mesure actuellement de décrire le « profil métabolique » destrois grands types d’aphasie. Dans l’aphasie de Broca : d’après Metter et al.(1989), il existe une asymétrie métabolique du FDG aux dépens de tout l’hémi-sphère gauche excepté les aires visuelles primaires, dépassant par conséquent

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largement les limites de la lésion. Dans l’aphasie de Wernicke, l’asymétrie futtrouvée dans les régions temporo-pariétale et postéro-inféro-frontale (région deBroca), pré-frontale, du noyau caudé et du thalamus. Dans l’aphasie de conduc-tion, l’asymétrie métabolique était présente dans les régions temporo-pariétales :tandis que 50% des sujets avaient une asymétrie dans l’aire de Broca et 20%dans le lobe frontal. L’auteur souligne l’importance de l’hypométabolisme fron-tal dans l’aphasie de Broca expliquant sans doute le trouble de l’initiation dul a n gage. On est frappé en outre par l’hypométabolisme temporal ga u c h econstaté dans les trois types d’aphasies, explication possible des troubles de lacompréhension de l’aphasie de Broca qui confirmerait la théorie uniciste del’aphasie chère à Pierre Marie. D’un autre côté la présence d’un léger hypomé-tabolisme postéro-inféro-frontal observé dans l’aphasie de conduction (sans asy-métrie pré-frontale) offre une explication nouvelle différente de la lésion dufaisceau arqué à la difficulté de la répétition. A propos de 26 patients aphasiquespar infarctus du territoire de l’artère cérébrale moyenne gauche, Karbe et al.(1990) montrèrent eux aussi que le territoire de l’hypométabolisme du FDGétait plus étendu que la taille de l’infarctus. Les anomalies métaboliques furenttrouvées dans le cortex temporo-pariétal chez virtuellement tous les patientsqu’ils souffrent d’aphasie de Broca, de Wernicke ou de conduction comme s’iln’existait qu’un seul type d’aphasie. Metter et al. (1989) ont étudié des régionsd’intérêt situées toutes dans l’hémisphère gauche dont le déficit métabolique aété mesuré par rapport à l’hémisphère droit supposé normal. Il est néanmoinsincontestable que ces travaux insistent sur l’importance de ces zones d’hypomé-tabolisme « extra-lésionnel » dans la gravité de l’aphasie. Les travaux ultérieursvont le confirmer et donner une explication de ce fait.

Si l’on envisage tout d’abord la période « aiguë de l’aphasie », Cappa et al.(1997) chez huit patients atteints d’un infarctus hémisphérique gauche avec apha-sie, ont mis en évidence une dépression du métabolisme du glucose marquéedans les régions cérébrales non lésées tant dans l’hémisphère dominant que dansl’hémisphère mineur. Cette dépression est due au diaschisis. L’étendue de cetrouble fonctionnel explique la suspension totale du langage constatée au stadeinitial de l’aphasie. Au fur et à mesure que cette déactivation métabolique dimi-nue (au bout de trois à quatre semaines), l’amélioration du patient se dessine etprogresse. Cappa et al. concluent que c’est de la régression du diaschisis quedépend la récupération de la fonction comme le montre la pratique d’undeuxième PET-Scan fait six mois après le premier. Pour Heiss et al. (1993), lavaleur du métabolisme du glucose en-dehors de la zone infarcié, au stade aigu dela lésion hémisphérique gauche est le meilleur élément prédictif de récupérationde la compréhension auditive mesurée au score du To ken Test après quatre mois.

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Une seconde question est l’extrême variabilité du déficit fonctionnel parrapport à la lésion causale. Buckner et al. (1996) ont montré que la gravité del’aphasie non fluente qui résultait d’un infarctus du cortex frontal gauche étaitfort variable. Grâce à la caméra à positons, ils ont montré qu’il existait chez cesmalades une activation préfrontale inférieur droite durant une épreuve de com-plétion verbale. Avec les mêmes épreuves, on n’observe pas cette activationchez les sujets normaux. Les auteurs pensent que le cortex préfrontal droit inter-vient en inhibant dans le choix des mots évoqués par un cortex préfrontal infé-rieur gauche lésé les mots inadéquats (phénomène de « purge »).

Une troisième question est d’expliquer la cause et les conséquences desa c t ivations constatées au cours de la récupération. Knopman et al. (1982)avaient montré par des mesures du débit sanguin cérébral au moyen du Xénon131, que lors d’une écoute de mots, il existait une activation du cortex frontalinférieur droit chez un patient aphasique dont la récupération était incomplètetandis que l’activation se situait dans les régions temporo-pariétales inférieuresgauches chez les patients avec une bonne récupération.

Chollet et al. (1991) ont montré que des aires corticales non concernéespar une fonction pourraient être activées lors de la période de récupération decette fonction. Weiller et al. (1995) ont mis en évidence chez son patient ayantrécupéré parfaitement d’une aphasie de Wernicke, dans une épreuve de répéti-tion de pseudo-mots et de génération de verbes, une activation hémisphériquedroite nette dans le cortex temporal supérieur, le cortex prémoteur dans sa partieinférieure, latéral préfrontal dans les régions homonymes de celles du langage.Cette constatation faite à six mois de l’accident vasculaire causal élimine uneexplication en terme de récupération du diaschisis. Il s’agit là d’une mise enactivité de territoires non habituellement concernés par le langage.

O hyama et al. (1996) ont étudié chez 16 patients aphasiques, 10 fluents et 6non fluents au moyen des activations en TEP, le rôle de l’hémisphère droit et desaires gauches non lésées dans une épreuve de répétition de mots comparée à unétat de repos. Ils ont constaté une augmentation du débit sanguin cérébral régionalpendant cette épreuve dans le cortex postero-inférieur frontal gauche et postero-supérieur temporal gauche symétrique des aires du langage. L’amplitude de l’acti-vation du cortex postero-inférieur frontal droit est plus grande chez les aphasiquesnon fluents que chez les fluents. Les auteurs ont décrit une corrélation chez lesaphasiques en particulier les non fluents entre l’augmentation du débit dans larégion postero-inférieure frontale gauche et le score de langage spontané.

Le travail de Belin et al. (1996) est particulièrement intéressant pour unedouble raison : il expose les principes et résultats d’une méthode de rééducation

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utilisant le rythme et la mélodiethérapie (méthode MRT). Il explicite les modesd’action de cette méthode prônée par Van Eeckhout et al. (1997) sur le fonction-nement cérébral. Il s’agit de sept patients droitiers atteints d’aphasie non fluentedue à un infarctus sylvien gauche. Deux étaient des aphasies de Broca et cinq desaphasies globales. La méthode MRT fut appliquée à des patients qui pendant unlaps de temps de 6 à 33 mois n’avaient tiré aucun bénéfice de la rééducation clas-sique. Après sept semaines de la méthode MRT, la récupération fut totale chez lessept patients aussi bien pour les capacités orales que pour les capacités écrites.Neuf régions d’intérêt furent étudiées. Le paradigme comprenait quatreséquences successives : 1) repos ; 2) écoute des mots dits de façon naturelle ve r-sus l’épreuve de repos ; 3) répétition simple de façon naturelle versus l’épreuveprécédente ; 4) répétition de mots dits selon la technique MRT versus l’épreuveprécédente. La comparaison des consignes entre elles fait apparaître des régionsd ’ a c t ivations communes qui s’annulent par soustraction pour ne laisser apparaîtreque l’activation ou la déactivation spécifique de la consigne étudiée. Au repos, ilexistait chez tous les patients étudiés une zone d’hypodébit qui dépasse larg e m e n tl’étendue anatomique de la lésion. Le résultat le plus intéressant de cette étude estle contraste entre l’écoute normale et l’écoute MRT. Dans la première circons-tance, on observait une activation de l’hémisphère droit symétrique de celleconstatée chez des sujets normaux et une déactivation de l’aire de Broca. Laméthode MRT provoque une réactivation de l’aire de Broca et du cortex préfron-tal gauche et une relative activation du cortex homologue de l’aire de We r n i c ke àdroite. Van Eeckhout et al. (1997) pensent que tout se passe comme si « les dispo-sitifs anatomocliniques de la mélodiethérapie et de la rythmique servaient de pro-thèse au langage récupéré siégeant dans l’hémisphère ga u c h e ». Belin et al.(1999) en revanche concluent que les « patterns » anormaux constatés sont dus àla persévérance de l’aphasie plus qu’à son amélioration, l’explication s’appuyantd avantage sur la lésion elle-même et ses conséquences que sur sa récupération.On ne peut s’empêcher de souligner toutefois que la perception des rythmesa c t ive l’aire de Broca de même que la détection des hauteurs comme l’ont montréPlatel et al. (1997) en TEP. On comprend dès lors que la présentation au patientde stimuli acoustiques riches en éléments rythmiques et en variations de hauteura c t ive le cortex de la région de Broca ou ce qu’il en reste : afférence ou eff é r e n c e .

Au terme de cette revue de la littérature récente et en tenant compte del’expérience d’un service de neurologie universitaire doté d’un centre d’apha-siologie, que peut on conclure ? La première constatation est qu’il faut distin-guer la pratique aphasiologique quotidienne de la recherche.

Dans l’état actuel des choses, si l’imagerie structurale cérébrale est indis-pensable dans le bilan d’un aphasique au même titre qu’un examen neurolo-

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gique, le recours à l’imagerie fonctionnelle cérébrale aux différents stades del’évolution de la maladie, n’est pas encore dans les habitudes. Il est évident quela prise en charge du malade par l’équipe d’orthophonistes reste la seule théra-pie de l’aphasie. Néanmoins, dans les cas où une thérapeutique orthophoniquebien conduite n’apporterait pas l’amélioration escomptée ou encore si des symp-tômes ne peuvent s’expliquer clairement par l’inventaire des lésions cérébralesvisibles en IRM, il nous semble utile de proposer une imagerie fonctionnelleafin d’apprécier si le diaschisis a régressé, si des suppléances (sous formes d’ac-tivation) ou au contraire des zones de déactivation en cerveau sain peuventexpliquer ce qui est peu explicable par les simples corrélations psycho-morpho-logiques, de ce fait on pourrait guider plus facilement une rééducation d’inspira-tion cognitive.

Il en va tout autrement du domaine de la recherche. L’intérêt de l’image-rie fonctionnelle est considérable :

1) au stade initial on observe un hypométabolisme qui s’étend à distancede la lésion et concerne des zones cérébrales morphologiquement saines. Le dia-schisis est responsable de cette déactivation. Son importance, son uni ou bilaté-ralité sont en corrélation inverse avec le pronostic favorable. Les effets de cediaschisis vont durer quatre semaines à un mois puis il va régresser. On peutdonc en faire un facteur de pronostic.

2) par la suite, la caméra à positon révèle une réorganisation du cerveauavec des zones activées et des zones déactivées. Il sera sans doute possible bien-tôt de tracer une cartographie de ces activations et de ces déactivations commel’a tenté Metter (cf. supra) pour chaque type d’aphasie. Un mystère demeure :quel est le mécanisme intime de cette récupération ? On peut évoquer la plasti-cité cérébrale. Mais qui la gouverne ? Les théories connexionistes modernes(Mesulam, 1998) insistent sur l’importance des aires associatives corticales etsur la participation des noyaux gris centraux, notamment le striatum, dans larégulation du langage verbal et sur l’existence de vastes réseaux corticaux inter-connectés. Belin (1999) a insisté sur la notion de vicariance dans la récupérationdu langage chez l’aphasique. Pour notre part, nous faisons l’hypothèse qu’ilexiste peut être un rapport entre le lieu du cerveau où se manifeste le diaschisisaprès une lésion ayant entraîné l’aphasie et le lieu d’où part la suppléance fonc-tionnelle. Il serait intéressant de comparer chez le même patient la topographiedes zones concernées ; en effet il se peut que la zone de régression du diaschisisen quelques sorte stimulée par ce processus soit précisément celle d’où part unesuppléance fonctionnelle.

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Les formes cliniques des aphasies corticales

Roger Gil

R é s u m éLes formes cliniques des aphasies corticales s'organisent toujours autour des deux variétéshistoriques d'aphasies que sont l'aphasie de Broca et l'aphasie de Wernicke. La premièrereste le type-même des aphasies à langage réduit, la seconde reste la plus évidente desaphasies à langage fluide. Mais il existe aussi de nombreuses formes dissociées qui appor-tent leur contribution à une meilleure compréhension de l'architecture cérébrale du langage.

Mots-clés : Aphasies corticales-Broca-Wernicke.

Clinical forms of cortical aphasias

AbstractClinical forms of cortical aphasias continue to be organized around two well known types ofaphasia, Broca's aphasia and Wernike's aphasia. The first one remains the best example ofthose forms of aphasia which involve reduced language, while the latter is the best illustra-tion of aphasia with fluid language. But many other related forms also contribute to a betterunderstanding of the cerebral architecture of language.

Key Wo r d s : cortical aphasia-Broca-Wernicke.

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Q uand il présente à la Société d'Anthropologie, le 18 octobre 1961, le cer-veau de Leborgne qu'il avait autopsié la veille, Paul Broca, chirurgien etanthropologue, décrivant la vaste lésion fronto-insulaire, n'hésita pas à

localiser dans le cortex frontal de la zone lésionnelle puis plus précisémentquelques mois plus tard au niveau de la partie postérieure de la troisième circon-volution frontale, le siège de « l'aphémie » et donc du langage articulé. Il s'agis-sait là de la première description anatomo-clinique d'une aphasie corticale quenous dénommons aujourd'hui aphasie de Broca (figure 1).

Professeur Roger GILNeurologueService de neurologieCHU de PoitiersCité hospitalière de la Milétrie350, avenue Jacques CœurBP 57786021 Poitiers

Figure 1Hémisphère gauche du cerveau de Leborgne. Première autopsie de Broca.

Dessin fait sur la photographie de la pièce actuellement conservée au Musée Dupuytren. Tiré de Revue Neurologique, 1980, 136, 10, page 567.

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Treize ans plus tard, Wernicke isola une autre aphasie caractérisée par lafluidité de l'expression verbale, l'incapacité de comprendre le langage parlé, laconservation du langage articulé et il désigna la lésion responsable au niveau dela première circonvolution temporale gauche.

Ainsi à la fin du XIXe siècle, les deux grandes variétés d'aphasie corticaleétaient déjà décrites.

Toutefois, en 1906, Pierre Marie critiqua vivement l'analyse anatomo-cli-nique de Broca et la conception binaire des aphasies. Il soutint d'abord qu'il n'yavait qu'une seule aphasie, l'aphasie de Wernicke et que l'aphasie de Brocan'était que l'addition artificielle d'une aphasie de Wernicke et d'une dysarthrie. Ildéclara donc, en analysant à nouveau le cerveau de Leborgne, que la zone deWernicke était elle-aussi lésée. Il insista par ailleurs sur l'extension des lésionsen profondeur et notamment au noyau lenticulaire et il établit ainsi les limitesd'un quadrilatère responsable de l'anarthrie, limité en avant par un plan vertico-frontal allant de F3 au noyau caudé, en arrière par un plan vertico-frontal allantde la partie postérieure de l'insula à la partie postérieure du noyau lenticulaire(figure 2). Il put alors déclarer que : « la troisième circonvolution frontalegauche ne joue aucun rôle spécial dans la fonction du langage ».

Figure 2Le quadrilatère de Pierre Marie. Tiré de Abrégé de Neuropsychologie, R. Gil, Masson, 1997.

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Pierre Marie eut en partie tort et en partie raison : le cerveau de Leborgnequi n'avait jamais été coupé, fut examiné en tomodensitométrie en 1980 (Cas-taigne et al., 1980) et il put être établi que la zone de Wernicke était intacte etque les zones lésionnelles s'étendaient en profondeur vers les noyaux gris cen-traux, ce que Broca avait considéré comme secondaire et Pierre Marie commefondamental.

La description des aphasies corticales ne doit donc pas indiquer qu'il n'yait pas de lésion sous corticale associée. En outre, des lésions sous corticalespures peuvent aussi réaliser le même tableau clinique que certaines aphasiescorticales.

Il reste commode d'organiser la description des aphasies corticales enconservant la dichotomie aphasie à langage réduit et aphasie à langage fluide eten classant dans ce cadre les différentes formes d'aphasies.

◆ Les aphasies à langage réduit

• L'aphasie de Broca

L'aphasie de Broca a été nommée aphasie d'expression ou aphasiemotrice corticale par Déjérine, aphasie motrice efférente ou aphasie motricecinétique par Luria, aphasie de réalisation phonématique par Hecaen.

Les lésions responsables de l'aphasie de Broca (figure 3) intéressent lecap (pars triangularis) et le pied (pars opercularis) de la troisième circonvolutionfrontale gauche, mais aussi les régions corticales alentour, et en profondeur lacapsule interne, les lésions s'étendant en règle vers les noyaux gris centraux. Leslésions de l'aphasie de Broca perturbent la programmation phonétique, les pro-grammes articulatoires nécessaires à la mise en forme de l'expression verbale nepouvant plus être transmis à l'aire motrice primaire au niveau de la partie bassede la frontale ascendante.

Dans la conception neurolinguistique défendue par Jacobson et parSabouraud (figure 4), l'aphasie de Broca se caractérise sur le plan phonologiquepar un déficit de la combinaison des phonèmes et sur un plan séméiologique parun déficit de la combinaison des mots d'où les difficultés articulatoires, la réduc-tion globale du volume verbal et l'agrammatisme.

C'est donc bien la réduction du langage qui constitue le fait majeur del'aphasie de Broca.

Le langage peut se réduire à des stéréotypies (le « tan » du malade prin-ceps de Broca ou le « crénom » de Beaudelaire). Ces stéréotypies faites d'une

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syllabe, d'un mot isolé, voire d'une courte phrase sont des émissions verbalesinvolontaires qui surviennent dès que le malade tente de parler et qui, à lamanière d'un orgue de Barbarie (Alajouanine) constituent comme « un moulerigide et obligé » engainant ce qu'il reste de la capacité élocutoire. Aussi, la sté-réotypie peut-elle être énoncée avec une tonalité émotionnelle variable en fonc-

Figure 3Les aires du langage. Tiré de R. Gil, Abrégé de Neuropsychologie, Masson, Paris, 1997.

Figure 4La double articulation du langage et les deux modes d'arrangement des unités linguistiques.

Tiré de R. Gil, Abrégé de Neuropsychologie, Masson, Paris, 1997.

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tion de la coloration affective du message que le malade tente, parfois avec suc-cès, parfois en vain, de faire partager.

Les bribes de discours spontané ou la répétition permettent de mettre enévidence une désintégration phonétique : l'élocution est lente, laborieuse,hachée. Certains phonèmes sont supprimés, tout particulièrement au nive a udes groupes diconsonantiques, les consonnes sourdes sont préférées auxconsonnes sonores (tin pour train, peu ... ta ... le pour spectacle). Il s'agit d'unes i m p l i fication articulatoire qui rappelle le langage enfantin. La désintégrationphonétique est électivement mise en évidence par la répétition de certainsmots comme spectacle, espiègle ou de groupes de mots comme « ce gros ver-rou rouillé le déverro u i l l e ra i - j e... 333 crapauds gras ... j'habite 33 rue Ledru-R o l l i n » .

La désintégration phonétique a pu être considérée comme l'assemblage enproportion variable de trois types de troubles : un trouble paralytique avec uneinsuffisance du souffle trachéal, un trouble dystonique avec des mouvementsarticulatoires inadaptés, démesurés, riches en syncinésies, un trouble apraxiquedésorganisant les mouvements bucco-linguo-faciaux qui normalement construi-sent l'architecture des mouvements musculaires permettant l'élocution.

D'ailleurs, la désintégration phonétique s'associe à un trouble plus généralde la gesticulation bucco-faciale dénommé apraxie bucco-faciale et qui semanifeste par l'incapacité du sujet à mettre en place de manière adaptée et har-monieuse, la gestualité buccale et faciale. On la recherche en demandant parexemple au sujet de souffler, de siffler, de mettre la bouche en cul de poule, dese pourlécher les lèvres, de montrer les dents, de claquer la langue.

La réduction du langage et la désintégration phonétique s'intègrent dansune dissociation automatico-volontaire expliquant que de temps à autre uneformule de politesse ou un segment de phrase spontanée puisse jaillir, légitimantainsi l'opposition entre deux types de langage, le langage automatique d'unepart, le langage construit ou prépositionnel d'autre part.

Si l'aphasie de Broca épargne la prosodie émotionnelle gérée par l'hémi-sphère droit, elle coexiste avec une dysprosodie linguistique modifiant les élé-ments de ce qu'il est convenu d'appeler l'intonation de la voix et donnant aumalade un accent soit de type germanique avec suppression des groupes dicon-sonantiques, utilisation préférentielle des consonnes sourdes, soit de type britan-nique avec nasalisation et diphtongaison des voyelles.

L'expression orale peut être favorisée par son inscription dans une lignemélodique.

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L'aphasie de Broca s'accompagne d'un manque du mot qui n'est pas seule-ment lié aux perturbations articulatoires et au délai des productions verbales ;l'ébauche orale est habituellement facilitante.

La compréhension orale n'est que peu ou pas perturbée même si la com-préhension des mots grammaticaux est imparfaite.

La production verbale peut être entachée d'un agrammatisme (agramma-tisme expressif) caractérisé par la réduction de l'utilisation des mots grammati-caux. Cet agrammatisme apparaît au cours de l'évolution de l'aphasie de Broca.Elle peut dans certains cas dominer le tableau clinique pour réaliser une aphasieagrammatique.

L'écriture est difficile à apprécier en raison de l'hémiplégie droite. Il fautdonc avoir recours à l'écriture de la main gauche ou à des cubes alphabétiquespour mettre en évidence des transformations paragraphiques de type dysortho-grahique et un agrammatisme. La compréhension du langage écrit est habituel-lement altérée.

Les a l e x i e s accompagnant l'aphasie de Broca ont une présentationvariable. Il peut s'agir d'une alexie dite antérieure ou troisième alexie avec unemauvaise identification des lettres, une épellation déficitaire, une importantealtération de la compréhension d'une phrase. Il peut s'agir d'une alexie phonolo-gique c'est à dire d'une incapacité à décoder les phonèmes ; l'activité de lecturene peut donc passer que par l'activation du lexique. Ainsi les mots sont lus cor-rectement, surtout les mots les plus fréquents et les mots concrets alors que lesmots grammaticaux offrent des difficultés majeures et que les logatomes ne peu-vent pas être déchiffrés. La dyslexie profonde ajoute à l'alexie phonologique desparalexies dont la genèse est composite. Certaines sont des paralexies séman-tiques (les casernes pour les militaires) ; d'autres sont dérivationnelles transfor-mant la catégorie grammaticale des mots comme cuir pour cuisine. D'autres,enfin, sont des erreurs visuelles, le malade produisant un mot morphologique-ment proche du mot cible.

L'aphasie de Broca s'accompagne donc habituellement d'une hémiplégiedroite totale ou à prévalence brachio faciale, parfois d'une hémianopsie latéralehomonyme.

Les sujets sont conscients de leur trouble ce qui explique la fréquence desréactions de catastrophe.

L'aphasie de Broca peut s'accompagner d'un état dépressif que l'on peutconsidérer soit comme réactionnel à la prise de conscience du déficit linguis-tique, soit comme favorisé par la topographie lésionnelle frontale.

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• L'aphasie totale de Déjérine : grande aphasie de Broca

Elle se caractérise par une suspension totale ou sub-totale du langage, unecompréhension nulle et l'incapacité de lire ou d'écrire. Elle s'accompagne d'unehémiplégie sensitivo-motrice massive et elle est alors liée à de vastes lésionshémisphériques gauches pré et rétro-sylviennes. Toutefois, dans certains cas, uneaphasie totale de Déjérine sans déficit moteur peut être liée à des lésions noncontiguës (et épargnant le faisceau pyramidal) des aires de Broca et de We r n i c ke .

• L'anarthrie pure de Pierre Marie

L'anarthrie pure de Pierre Marie réalise typiquement un trouble articula-toire pur voire une suspension totale du langage contrastant avec une compré-hension strictement normale tant à l'oral qu'à l'écrit et une écriture normale per-mettant une communication tout à fait aisée. L'apraxie bucco faciale y estassociée. L'anarthrie pure peut exister d'emblée et il s'agit alors de lésions limi-tées à l'opercule frontal ou à la substance blanche du bras antérieur de la capsuleinterne donc au niveau du quadrilatère de Pierre Marie. Elles peuvent représen-ter le mode évolutif d'une aphasie de Broca.

• L'aphasie transcorticale motrice

Elle a été désignée par Kleist et Pick sous le nom d'adynamie de la parole etpar Luria sous le nom d'aphasie dynamique. L'élément central est représenté parune aspontanéité de l'expression verbale qui est considérablement réduite, pouva n taller jusqu'au mutisme, alors que l'aspontanéïté est levée par l'épreuve de répéti-tion qui peut même revêtir un caractère écholalique. La compréhension du lan-gage parlé et écrit est normale et il existe un manque du mot facilité parl'ébauche orale. Cette aphasie est donc due à un déficit de l'initiation élocutoirequi repose sur un système fonctionnel comportant le gyrus insulaire en connex i o navec les autres structures limbiques responsables de la motivation à parler et enc o n n exion avec l'aire motrice supplémentaire, elle même liée à l'aire de Broca.

L'aphasie transcorticale motrice est donc une aphasie frontale qui peutêtre due à des lésions de l'aire motrice supplémentaire (aphasie corticale) maisqui peut aussi être liée à une atteinte profonde de la substance blanche sous cor-ticale reliant l'aire motrice supplémentaire à l'aire de Broca.

◆ Les aphasies à langage fluide

• L'aphasie de Wernicke

L'aphasie de Wernicke est aussi dénommée aphasie sensorielle depuis sonisolement par Wernicke pour signifier que le trouble central intéresse non pas

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l'expression verbale comme dans l'aphasie de Broca mais la réception et la com-préhension du langage parlé.

Elle est liée à une lésion de l'aire de Wernicke qui est une aire associativeauditive située à la partie postérieure de la face externe de la circonvolution tem-porale supérieure (T1) au niveau de l'aire 22, en dessous des aires auditives pri-maires et secondaires (les circonvolutions de Heschl, aires 41 et 42). Mais leslésions impliquent aussi souvent la partie adjacente du lobe pariétal constituéedu gyrus supra marginalis (aire 40) et du gyrus angulaire (aire 39) qui intervien-nent dans l'encodage-décodage du langage écrit mais aussi dans la compréhen-sion du langage parlé. Dans la conception neurolinguistique défendue parJakobson et par Sabouraud, l'aphasie de Wernicke se caractérise sur le plan pho-nologique par un déficit du choix des phonèmes et sur un plan séméiologiquepar un déficit du choix des mots d'où les paraphasies et le jargon.

C'est bien en effet la fluidité verbale, volontiers logorrhéique qui consti-tue l'élément immédiatement accessible lors du premier contact avec le malade.La logorrhée impose parfois de tenter de canaliser le malade pour l'interroger, cequi est difficile en raison de la perte de la compréhension verbale et de l'anoso-gnosie du trouble.

Les épreuves de dénomination permettent de mettre en évidence des pro-ductions verbales erronées en réponse à une demande de dénomination : il s'agitdes paraphasies. Ces dernières peuvent atteindre la deuxième articulation dulangage, c'est à dire le choix des phonèmes. Il s'agit alors de paraphasies phoné-miques ou littérales bouleversant la structure phonémique des mots par omis-sion, adjonction, inversion, déplacement de phonèmes (chapeau = ch a l o ;crayon = crelon). Il peut s'agir aussi de paraphasies verbales morphologiques :le mot émis est alors phonétiquement proche du mot cible : (chapeau = capo) aucours desquelles le bouleversement phonologique des mots aboutit par hasard àune projection d'un autre mot présentant une parenté morphologique avec le motcible.

L'atteinte de la première articulation du langage rendrait compte de laproduction de paraphasies verbales sémantiques ainsi appelées parce qu'ellescontractent un lien conceptuel avec le mot cible le plus souvent de type catégo-riel (papillon = abeille ou papillon = insecte) mais parfois aussi prépositionnel(papillon = butine ou papillon = jaune).

Néanmoins, certaines paraphasies verbales échappent à tout lien séman-tique évident avec le mot cible (stylo = écharpe) de même que le bouleverse-ment phonologique est parfois tel que nul lien ne peut plus être trouvé entre lemot cible et le mot prononcé : il s'agit alors de néologismes.

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La production de paraphasies peut, par son intensité, désorganiser ladimension informative du langage en réalisant un jargon. Il peut s'agir d'un jar-gon indifférencié fait d'une suite de phonèmes, d'un jargon asémantique fait denéologismes, d'un jargon paraphasique fait de paraphasies verbales.

Des transformations paraphasiques des monèmes grammaticaux rendentcompte de la dyssyntaxie qui se caractérise par une inadéquation du choix desmots grammaticaux ce qui peut être interprété comme des paraphasies séman-tiques (« le bonbon dont je mange »).

La répétition extériorise les mêmes désordres paraphasiques. L'atteinte dela compréhension du langage parlé est massive et peut atteindre les ordressimples (montrez moi votre nez, montrez moi la fenêtre).

L'atteinte du langage écrit réalise une alexie avec incompréhension del'écriture et production de paralexies qui sont l'équivalent de paragraphies ; demême l'écriture extériorise des transformations paragraphiques.

L'aphasie de Wernicke ne s'accompagne pas d'hémiplégie. Elle s'associehabituellement à une hémianopsie latérale homonyme.

• Le syndrome alexie-agraphie de Déjérine

Elle est aussi dénommée aphasie de Wernicke de type III (dans la classifi-cation de Roch-Lecours et Lhermitte).

A l'opposé de l'aphasie de Wernicke, le langage parlé est normal ou sub-normal tant en ce qui concerne le langage spontané que la dénomination (quipeut parfois révéler un manque du mot) et que la compréhension. Par contre, lelangage écrit est très atteint à la fois dans son versant expressif (jargonagraphie)et dans son versant réceptif (alexie). Cette aphasie réalisant une atteinte dudécodage - encodage du langage écrit est liée à une lésion du gyrus angulaire oudu cortex visuel associatif situé à son voisinage.

• L'aphasie amnésique de Pitres

Elle se caractérise par un manque du mot auquel le malade tente parfoisde substituer une définition par l'usage ou des circonlocutions. Toutefois, lemalade ne produit pas de paraphasies et sa compréhension est normale.

Les aphasies amnésiques les plus pures sont observées dans les lésions dela circonvolution temporale inférieure mais de nombreuses variétés d'aphasiespeuvent s'accompagner d'un manque du mot (aphasie transcorticale motrice,aphasie avec amnésie accompagnée d'un déficit sémantique altérant la compré-hension du sens du mot lors des lésions du gyrus angulaire gauche).

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• L'aphasie de conduction

Dénommée aphasie centrale par Goldstein ou aphasie motrice afférente,elle est singulière par l'intégrité de la compréhension, l'existence d'une richeproduction paraphasique tant en langage spontané qu'en répétition témoignantd'une atteinte exclusive de la structure phonologique des mots (deuxième articu-lation). Le malade produit donc des paraphasies phonémiques et des paraphasiesverbales morphologiques. L'intégrité de la compréhension explique par ailleursles tentatives répétées d'auto correction qui sont loin d'être toujours suivies d'unsuccès.

Cette aphasie est donc liée à une atteinte exclusive de la deuxième articu-lation du langage (sélection des phonèmes). Elle est habituellement liée à unelésion du faisceau arqué unissant l'aire de Wernicke à l'aire de Broca. Leslésions siègent donc le plus souvent dans la substance blanche pariétale (il nes'agit pas alors d'une aphasie corticale) mais il s'agit parfois d'une atteinte asso-ciée du cortex du gyrus supra-marginalis et du faisceau arqué, le plus souventdans sa partie la plus postérieure proche du cortex pariétal.

• La surdité verbale

Elle se caractérise, quand elle est pure, par une incapacité de la compré-hension du langage parlé alors que le sujet parle normalement, lit et écrit norma-lement.

La répétition n'est pas possible.

La surdité verbale pure est liée à des lésions cortico sous corticales bi-temporales ou temporales gauches. Elle peut être interprétée comme une discon-nexion entre l'aire de Wernicke et les informations auditives arrivant au niveaudu cortex auditif (gyrus de Heschl).

• L'aphasie transcorticale sensorielle

Elle est aussi dénommée aphasie de Wernicke de type Il dans la classifi-cation de Roch-Lecours et Lhermitte ou syndrome d'isolement des aires du lan-gage. Elle est caractérisée par une altération massive de la compréhension dulangage parlé comme du langage écrit qui contraste avec le caractère normal dela répétition. Les aires de Broca et de Wernicke sont indemnes de même que lesfaisceaux arqués et les lésions sont postérieures à l'aire de Wernicke dans unezone qualifiée de bordante (Benson) incluant l'aire 37 et l'aire 39 (gyrus angu-laire), les lésions pouvant diffuser au cortex visuel associatif.

L'aphasie transcorticale sensorielle peut dans quelques cas s'accompagnerd'une intégrité de la dénomination.

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◆ Les aphasies croiséesLes lésions corticales de l'hémisphère mineur peuvent aussi réaliser

exceptionnellement des aphasies dites croisées dont le diagnostic ne peut êtreposé qu'en l'absence de toute notion de gaucherie personnelle ou familiale. Letableau clinique peut être celui d'une aphasie de Broca, de Wernicke, d'uneaphasie de conduction, de surdité verbale, d'une aphasie globale ou d'une apha-sie mixte avec réduction du volume verbal, stéréotypies, paraphasies et agram-matisme alors que l'atteinte de la compréhension n'est que modeste.

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Les aphasies sous corticales

M. Puel, J.F. Démonet, D. Cardebat, D. Castan

R é s u m éDe nombreuses données issues des techniques d’imagerie morphologique sont venuesdocumenter l’existence de troubles du langage d’aspect sémiologique particulier associés àdes lésions hémisphériques gauches respectant morphologiquement le cortex cérébral etconcernant les structures profondes, substance blanche et noyaux gris centraux. Les apha-sies sous-corticales ont ainsi permis de dégager un système fonctionnel dynamique repo-sant sur la mise en jeux de vastes réseaux neuronaux, élargissant les zones impliquéesdans le langage.Leur étude et celle de leur récupération par imagerie fonctionnelle illustre la problématiquedes effets à distance de la lésion et leur implication dans le tableau clinique initial et lors del’évolution.M o t s - clés : aphasies sous corticales, lésions thalamiques, lésions des capsules et/ou ducomplexe lenticulo-caudé, aphasie « dissidente », boucles cortico-striat o - t h a l a m o - c o r t i c a l e s .

Sub-cortical aphasia: current findings

AbstractD ata gathered from morphological imag e ry have demonstrated the existence of semiologicallyspecific language disorders in association with left hemisphere lesions which affect deep cere-bral structures, white matter and central gray nuclei, leaving intact the morphology of cortex.Sub-cortical aphasia has thus contributed to delineating a dynamic functional system involvingbroad neuronal networks, a finding which expands the cerebral areas thought to be involved inl a n g u age until now.The use of functional imag e ry to study these language disorders and their rehabilitation illus-t r ates the problems of distal effects of brain damage, as well as their influence on the initialclinical picture and its course over time.

Key Wo r d s : sub-cortical aphasia, thalamic lesions, lesions of the capsules and/or the lenti-c u l o - c a u d ate complex, atypical aphasia, cortico-striate-thalamo-cortical bundles.

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L ’étude des troubles du langage en relation avec des lésions sous-corti-cales conduit invariablement à un débat épistémologique concernantles frontières de l’aphasie, débat qui consiste à opposer les « aphasies

v r a i e s » aux troubles du langage « non-aphasiques » (Lhermitte, 1984). Quoiqu’il en soit, le rôle des structures sous corticales a été évoqué très tôt dansl’histoire de l’aphasiologie par l’article de Pierre Marie « Que faut-il penserdes aphasies sous-corticales ? » publié en 1906. Depuis 1980, de nombreusesdonnées issues des techniques d’imagerie morphologique sont venues docu-menter l’existence de troubles du langage d’aspect sémiologique particulierassociés à des lésions hémisphériques gauches respectant morphologiquementle cortex cérébral et concernant les structures profondes, substance blanche etn oyaux gris centraux. Différant de la description des aphasies classiques rela-t ives à des lésions intéressant le cortex périsylvien, ces troubles ont permisd ’ i n d ividualiser le concept d’aphasie sous-corticale (Alexander et al. 1987,Cappa et al. 1983, Damasio et al. 1982, Puel et al. 1984, 1986, Wallesch et al.1983). La description d’un syndrome aphasique supplémentaire, spécifi q u edes lésions sous-corticales, ne prend tout son intérêt que par la réflex i o nqu’elle sous-tend sur la compréhension de la physiopathologie des diff é r e n t ssymptômes qui le composent. Ainsi, le dogme établi concernant les zonesimpliquées dans le langage s’est élargi à la notion d’un système fonctionneldynamique reposant sur la mise en jeu de vastes réseaux neuronaux (Crosson1985, Damasio 1989, Mesulam 1990). Cette réflexion fonctionnaliste a étérenforcée depuis le développement récent des techniques d’imagerie fonction-nelle dont l’un des objectifs premiers est d’approcher la dynamique adaptativedu cerveau à la suite d’une lésion cérébrale, dans des situations dites de reposou d’activation. L’étude des aphasies sous-corticales et de leur récupérationpar les méthodes d’imagerie fonctionnelle, SPECT et PET, illustre bien la pro-

M. PUEL, J.F. DÉMONET,D. CARDEBAT*, D. CASTAN*** Fédération des Services de Neurologie

CHU Purpan ToulouseINSERM U 455 CHU Purpan Toulouse

** Service de neurologieConsultation « Langage et mémoire »CHI Castres-Mazamet81108 Castres Cedex

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blématique des effets à distance de la lésion et leur implication dans le tableauclinique initial et lors de l’évo l u t i o n .

◆ Aspects cliniques et sémiologiques :le syndrome d’aphasie sous-corticale

Les aphasies sous corticales sont fréquentes, observées pour env i r o n50 % des lésions chez des patients droitiers. Si différents syndromes aphasiquesont été décrits en rapport avec ce type de lésions, beaucoup d’auteurs s’accor-dent sur le fait que ces aphasies sont atypiques par rapport à la taxonomie clas-sique, moins sévères et de meilleur pronostic que les aphasies corticales. Uner evue antérieure (Démonet, 1987) de 251 cas décrits dans la littérature detroubles du langage associés à des lésions vasculaires sous-corticales gauches -répartis en 108 cas de lésions thalamiques et 143 cas de lésions sous-corticalesnon thalamiques (correspondant à des lésions des capsules et/ou du complexelenticulo-caudé) - démontre la rareté des aphasies « classiques » dans ce cadre :6 % de cas classiques lors des lésions thalamiques et 36 % lors des lésions nonthalamiques. Dans les observations détaillées, des paraphasies phonémiqueset/ou des troubles de la répétition qui sont pour certains auteurs (Lhermitte,1984) pathognomoniques des aphasies « vraies » ne sont décrits que dans 10 %des cas thalamiques et 49 % des cas non thalamiques. Parmi les 50 cas publiésmentionnant des données longitudinales, une évolution favorable était décritedans 65 % des cas, soit environ 2 cas sur 3.

Dans notre série personnelle comprenant plus de 50 cas (Puel et al., 1984,1986, 1992 ; Démonet et al., 1991a) nous avons décrit dans la moitié des cas unsyndrome atypique, qualifié d’aphasie « dissidente ». Ce syndrome d’aphasiesous-corticale comprend en premier lieu ce que l’on pourrait qualifier sous leterme de troubles « dysexécutifs » du langage s’exprimant sous la forme d’uneréduction et d’une aspontanéité de l’expression orale à la phase aiguë ; des diffi-cultés dans l’élaboration de récits, l’explicitation de proverbes, la constructiondes phrases constituent souvent les séquelles ultimes de ce syndrome aphasique.L’anomie manifestée par des pauses dans le langage spontané se révèle plusmarquée lors du récit qu’en épreuve de dénomination ; cette dissociation s’ap-parente à celle décrite dans l’étude de cas de Costello et Warrington (1989)d’une aphasie frontale adynamique. Les persévérations lexicales sont manifestesdans la tâche de dénomination avec réitération de l’item précédent lors de l’itemsuivant, parfois à plusieurs reprises, ou aussi production « à retardement » del’item cible, témoignant de la persistance de la recherche de l’item attendulorsque celui-ci n’a pas été produit.

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Le deuxième point caractéristique est représenté par l’existence detroubles lexico-sémantiques en production pouvant parfois prendre l’aspectd’une incohérence verbale. Ces paraphasies peuvent prendre plusieurs formesparfois cumulées chez un même patient ; il peut s’agir de paraphasies verbalesbanales, telles qu’on les observe classiquement dans les aphasies corticales,ayant une relation de sens proche avec celle du mot attendu. Souvent ces para-phasies revêtent une certaine étrangeté : « ve l u r e » pour doublure,« mauresque » pour moustaches suggérant des mécanismes de dérivations mor-phologiques subtils, générateurs de productions néologistiques complexes issuesdu lexique, proches des productions déviantes décrites dans la schizophasie(Pinard et Lecours, 1979) et dans les observations de Nadeau et Crosson(1997) ; un pinceau a été successivement dénommé par un des patients de Barat,Mazaux et al. (1981) comme « une éponge, une imponze, une espèce de passe-couleur » suggérant la libération d’un système morphologique et lexical. Parfoisencore, on parlera de paraphasies syntagmiques pour désigner la productiond’un ensemble de mots étonnamment élaborée comme « graine d’if de payschaud » pour dénommer l’image d’un cactus - avec dans ce cas une relationsémantique clairement perceptible ; dans d’autres cas, la production syntag-mique attire l’attention par sa bizarrerie, voire son caractère totalement inadé-quat par rapport à la cible ; ainsi l’image fourchette a été dénommée : « un objetde gratitude qu’il offre à ses enfants ». La fréquence des paraphasies dans le dis-cours est source d’une incohérence qui reste malgré tout une incohérence desurface que l’on peut aisément corriger en changeant les éléments lexicaux inap-propriés (cf.le récit d’un de nos patients relatant son voyage en Normandie lorsdes cérémonies anniversaires du débarquement, Puel et al., 1986). Cette incohé-rence de surface nous semble un élément caractéristique des aphasies thala-miques et distinctif des incohérences d’origine frontale décrites par Lhermitte etal. (1972) et Guard et al. (1983).

Le troisième élément caractéristique concerne l’existence de troubles« moteurs » du langage, représentés sous la forme d’un flou articulatoire etd’une hypophonie constante, perçue par le malade et son entourage familier,incorrigible à la phase aiguë.

Contrastant avec ces anomalies, la répétition de mots est normale ainsique la compréhension des mots et phrases courtes.

Un tel syndrome peut être identifié dans environ la moitié des cas décritsdans la littérature ; il est le plus souvent associé à des lésions thalamiques (Cam-bier et al. 1982) ; il peut également être observé en cas de lésion striato-capsu-laire, ce dernier type de lésion induisant plus fréquemment des aphasies clas-

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siques. Par contre il n’a jamais été observé, dans notre expérience, une « aphasiedissidente » associée à une lésion corticale.

Sur le plan évolutif, le pronostic de ces troubles du langage est meilleurque celui des troubles aphasiques par lésion du cortex ; cependant à la phasechronique, une étude comparée de 18 patients à des sujets contrôles (étude nonpubliée) a démontré la persistance d’anomalies s’exprimant au niveau du récitnarratif sous la forme d’un déficit essentiellement quantitatif en termes denombre total d’énoncés, nombre d’énoncés complexes, nombre d’étapes narra-tives, nombres de cibles lexicales attendues.

◆ Aspects physiopathologiques

D’une façon générale, la description d’un syndrome aphasique supplé-mentaire, spécifique des lésions sous-corticales, paraît moins importante quela compréhension de la physiopathologie des différents symptômes qui lecomposent. Dans cette perspective, deux types différents d’interprétation sontproposés se référant soit à un mécanisme de diaschisis par déafférentation oud é é fférentation avec interruption de boucles cortico-sous-corticales, soit à unmécanisme vasculaire par hypodébit au niveau du cortex sus-jacent à lal é s i o n .

Interruption de boucles cortico-sous-corticales (Crosson 1985, Alexander 1990)

Une première boucle motrice et pré-motrice prend son origine corticaleau niveau de l’aire motrice supplémentaire (AMS), puis effectue un relais stria-tal au niveau du putamen, et un relais thalamique au niveau du noyau ventro-latéral ;

l’autre boucle frontale dorso-latérale a un relais striatal caudé, et un relaisthalamique au niveau du noyau ventral-antérieur et dorso-médian.

Un autre système fonctionnel plus complexe a été proposé par Crosson(1985), faisant intervenir sur le plan cortical les régions associatives temporalespostérieures et du pli courbe et sur le plan thalamique le pulvinar ; à cetensemble s’intègre le striatum qui exercerait un contrôle en parallèle, soit exci-tateur soit inhibiteur, par une succession de relais via le pallidum et la tête dunoyau caudé.

L’ existence de ces boucles cortico-striato-thalamo-corticales a eu lafaveur d’un certain nombre d’auteurs dans les années 1985 à 1993 pour l’inter-prétation d’un bon nombre de symptômes. Le dispositif antérieur, essentielle-ment thalamo-frontal, assurerait une activation tonique sélective sur les aires

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prémotrices impliquées dans le langage permettant l’élaboration du message lin-guistique au stade de sa formulation prémotrice ; l’interruption de ce dispositifrendrait compte des aspects dysexécutifs et moteurs du syndrome d’aphasiesous-corticale. Les connexions postérieures pour leur part assureraient un rôlede contrôle de l’adéquation sémantique du message n’autorisant le déclenche-ment du programme d’expression qu’après la fin de cette vérification ; ce dispo-sitif, lorsqu’il est lésé, rendrait compte de la fréquence et de l’importance desparaphasies verbales observées dans le syndrome d’aphasie sous-corticale.

Interprétation vasculaire (Weiller 1993, Nadeau et Crosson 1997).

Elle est essentiellement développée dans le cadre des troubles du langageliés à des lésions sous-corticales striato-capsulaires épargnant le thalamus.Weiller démontre que les infarctus striato-capsulaires sont à l’origine d’uneischémie partielle et d’une perfusion « de misère » du cortex périsylvien sus-jacent aux lésions. Sur une série de 57 patients présentant un infarctus striato-capsulaire, Weiller (Brain 1993), constate que les patients qui ont eu une apha-sie par lésion gauche font la preuve, à la phase chronique, d’un taux deperfusion corticale par tomographie d’émission de positon (PET) beaucoup plusabaissé que celui qui est enregistré chez les patients n’ayant pas eu d’aphasie ouchez les contrôles. Sur ces constatations, un mécanisme d’interprétation vascu-laire par ischémie corticale avec dépopulation neuronale est proposé pour rendrecompte de l’hypoperfusion observée au stade chronique. Ainsi dans ces cas, leslésions striatales ne joueraient pas un rôle direct dans la genèse de la sémiologieaphasique ; la constatation d’une plus grande fréquence des « aphasies clas-siques », avec troubles de la répétition, paraphasies phonémiques et troubles dela compréhension, lors des lésions striatales va à l’appui de cette hypothèse. Parailleurs il a bien été démontré en activation fonctionnelle chez des sujets nor-maux le rôle du cortex périsylvien gauche dans des tâches de nature phonolo-gique (Démonet 1992 et 1994).

Cependant il a été également décrit des aphasies par infarctus striato-cap-sulaire correspondant davantage à une sémiologie frontale qu’à une sémiologiecorticale (Mega et al. 1994). Dans ces cas une interprétation de type diaschisisest à nouveau mise en avant avec un effet significatif de la taille des lésionsconditionnant l’existence de symptômes mineurs (hypophonie) ou transitoires(réduction) ou d’une symptomatologie plus importante. De même l’importancedu volume lésionnel dans le cas d’hématomes striato-capsulaires (D’Esposito etal. 1995) intervient dans le déterminisme des symptômes : le syndrome d’apha-sie sous-corticale correspond plutôt à des lésions peu étendues et latéralessituées dans la région striato-capsulaire alors que des lésions qui s’étendent plus

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en arrière occasionnent soit des troubles de la répétition, soit des troubles de lacompréhension en particulier lorsqu’elles concernent la région de l’isthme tem-poral ; à l’inverse, des lésions qui s’étendent plus en avant déterminent unesymptomatologie d’aphasie non fluente : lésions sous-jacentes à l’aire de Brocaet interrompant l’ensemble du réseau situé entre l’aire de Broca, l’aire motricesupplémentaire et la tête du noyau caudé.

◆ Imagerie fonctionnelle

L’intérêt de l’imagerie fonctionnelle est de combiner à la démarche cli-nique de l’étude des cérébrolésés une démarche dynamique de réorganisationfonctionnelle. Cette réorganisation semble particulièrement rapide en cas delésions sous-corticales tendant à démontrer que les réseaux corticaux gardentdes capacités de compensation fonctionnelle très importantes alors que celle-ciest nettement moindre en cas de lésions directes corticales. L’étude des aphasiessous-corticales et de leur récupération par les méthodes d’imagerie fonction-nelle, SPECT et PET, illustre bien la problématique des effets à distance de lalésion et leur implication dans le tableau clinique initial et lors de l’évolution :certains résultats en SPECT (Olsen 1986, Vallar 1988) semblent indiquer queles troubles aphasiques des patients présentant des lésions sous-corticales sont lefait d’une hypoperfusion corticale à l’origine d’une perte fonctionnelle deszones corticales du langage, la plupart du temps transitoire comme en témoignel’excellente récupération associée à une restauration des débits corticaux. Tou-jours dans le cadre des aphasies sous-corticales, mais à partir d’études réaliséesen PET, Metter (1991) et Baron (1992) ont démontré l’importance de la dépres-sion métabolique fonctionnelle résultant de la déafférentation de neuronesconnectés avec ceux qui ont été directement lésés. Démonet et al.(1991) ontsuggéré l’importance de la réorganisation fonctionnelle impliquant les deuxhémisphères cérébraux, puisque parmi leurs patients porteurs de lésions sous-corticales, seuls ceux présentant des débits cérébraux normaux dans les deuxrégions d’intérêt temporo-pariétale gauche et droite avaient une compréhensiondu langage oral préservée.

◆ Conclusion

Après non loin d’un siècle de recherche et de controverses, si de nom-breux aspects restent encore à élucider dans le domaine des aphasies sous corti-cales, quelques points sont néanmoins actuellement largement acceptés par lacommunauté engagée dans la réflexion de l’étude des relations « Cerveau-Lan-gage ».

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Stratégies de compensation adoptées par despatients cérébro-lésés : définitionsconceptuelles et principes de mise en œuvre

Abdelatif Kioua

R é s u m éL’état post-lésionnel du cerveau a orienté certains travaux vers l’analyse de la neuroplasti-cité qui entre en jeu - pas toujours sans complications - à la suite de lésions cérébrales,alors que d’autres se sont assignés pour objectif d’analyser les possibilités de patients céré-bro-lésés à échafauder des stratégies de compensation. L’intérêt porté à celles-ci n’im-plique pas seulement que l’on doive s’intéresser uniquement à leur étude, mais aussi - etc’est le but du présent article - que l’on définisse les termes de compensation, de stratégie,que l’on explique le lien établi entre eux, et que l’on mette en exergue les principes sous-tendant ce type d’élaboration. D’autres investigations sont nécessaires pour déterminerd’autres principes dont l’intérêt est de mieux aider un patient à surmonter différentes situa-tions de handicap. Mots-clés : compensation, stratégie, stratégies de compensation, neuroplasticité, cerveaulésé.

Compensatory strategies used by brain-damaged patients: conceptualdefinitions and guidelines for implementation

Abstract

In the area of brain post-injury , some lines of research have mainly focused on the role ofneuroplasticity (sometimes with complications) following brain damage. Other lines ofresearch have been primarily interested in studying the capacities of brain-damag e dpatients to develop compensatory strategies. We should not limit ourselves to studyingthese strategies, but we should also (and this is the objective of this article) provide precisedefinitions of the terms compensation and strategy, as well as an explanation of their rela-tionships and underlying principles. Further investigations are needed to determine otherprinciples which may contribute to helping the patient overcome different handicap situa-tions.

Key Wo r d s : c o m p e n s ation, strat e gy, compensat o ry strategies, neuroplasticity, brain-damage.

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Une lésion cérébrale, en tant que destruction d’une structure neuroanato-mique, a pour conséquence de provoquer chez des patients, atteints depathologies non évolutives, l’apparition de dysfonctionnements plus au

moins sévères, qui en général, régressent progressivement, en quelques jours,quelques semaines, ou quelques mois, aboutissant à une récupération fonction-nelle plus ou moins totale. Si l’état neurologique initial s’améliore, l’améliora-tion peut, a) révéler une préservation partielle et différentielle des capacités etdu fonctionnement cognitif d’un patient ; b) conduire celui-ci à faire face à sasituation post-lésionnelle en essayant d’adopter des stratégies de compensation;et c) dépendre de l’entrée en jeu de ce qu’il est convenu d’appeler, depuis lesiècle dernier, la plasticité cérébrale que l’on envisage comme étant impliquéedans le maintien de l’intégrité spatio-temporelle d’un patron neuronal.

De façon à être suffisamment précis tout en demeurant à l’intérieur deslimites raisonnables, l’objet de cet article est de faire le point sur les principestendant à expliquer et à comprendre les différents processus sous-tendant lesstratégies de compensation qui peuvent être adoptées par des sujets cérébro-lésés. Pour ne pas s’en tenir à une vue qui pourrait paraître trop étroite, nousvoulons examiner, en premier et brièvement, les données ayant trait à la neuro-plasticité post-lésionnelle. Il convient d’abord de définir ce qu’est une neuro-plasticité.

◆ Qu’est-ce que la neuroplasticité ?

Généralement, on entend par la plasticité cérébrale ou la neuroplasticité,la capacité du cerveau à effectuer des modifications de sa propre organisationet de son fonctionnement au cours du développement pré- et postnatal, e.g.constitution des couches superficielles et profondes du cortex, synaptogenèse,

Abdelatif KIOUANeuropsycholinguisteUniversité de Toulouse II - Le MirailDépartement des Sciences du LangageAdresse correspondance :5, Place de PapyrusAppt. 9. 2 C 31200 Toulouse

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gliogenèse, élimination synaptique et stabilisation des contacts synaptiques lesplus actifs (Changeux & Danchin, 1974 ; Privat, 1994 ; De Schonen et al.,1994), au cours du vieillissement : avec l’âge le cerveau subit, variablementselon les individus et les régions cérébrales, diverses modifications telles que,par exemple, les pertes neuronales qui peuvent engendrer, en contre partie, unecroissance notable des branches dendritiques (Buell & Coleman, 1981 ; Selkoe,1992 ; Annunciato, 1998a), et enfin, à la suite d’une lésion expérimentale oupathologique (Stein et al., 1974 ; Jeannerod & Hécaen, 1979 ; Finger & Stein,1982 ; Bachy-y-Rita, 1990). Dans ce dernier cas, on a postulé l’activation deplusieurs processus post-lésionnels. On peut néanmoins tenter de les regrouperen deux volets : l’un relatif aux processus cellulaires et chimiques, l’autre ren-voie aux théories explicitant le rôle des structures neurales saines par rapport àune zone nécrotique.

Processus cellulaires et chimiques impliqués dans la neuroplasticitépost lésionnelle

Lorsqu’on fait référence à ce cadre de discussion, on ne peut pas ne pasé voquer la contribution du neuroanatomiste espagnol Santiago Ramon y Cajalsuggérant, en 1928, que la croissance et la régénérescence des neurones nep e u vent se produire après la phase développementale. Après cette phase, lesvoies nerveuses deviennent immuables et ne permettent pas d’espérer unequelconque régénérescence. Cette constatation donna l’élan à toute une sériede recherches rapportant l’idée d’une réorganisation neuronale pouvant inter-venir dans un cerveau lésé, et être accompagnée d’une cascade d’événementsneurobiologiques qui commencent après le dommage cérébral et se poursui-vent pendant des heures, des semaines, des mois, voire des années aprèscelui-ci.

A ce niveau de description, il est bien établi qu’un neurone estcondamné à mourir dès l’instant où son soma est endommagé. Si celui-ci esté p a rgné, des changements neurobiologiques - dont la qualité et la chronologiedemeurent inhérentes à l’état post-lésionnel du cerveau - peuvent se déclen-cher au niveau de la zone nécrotique et à distance de celle-ci. Si un neuronesubit une axotomie, il s’ensuit une réaction déterminée par Nissl en 1894 sousle vocable ch r o m a t o l y s e. Cette réaction ch r o m a t o l y t i q u e peut conduire unneurone soit, 1) à régénérer son axone - processus connu sous le terme derégénération axonale ( « axonal rege n e ra t i o n »), (Aguayo, 1985) - ; 2) à sur-v ivre dans un état atrophié ou mourir, du moins si la section de son axonen’est pas totale. Etant donné qu’un neurone peut avoir des milliers de contactsavec d’autres neurones, la section partielle de son axone peut provoquer une

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d é s a fférentation des neurones cibles qui peuvent, par conséquent, dégénérer.Cette réaction a été qualifiée en termes de dégénérescence transneuronale o ut r a n s s y n a p t i q u e ( « t ra n s n e u ronale or transsynaptic dege n e ra t i o n »), (Stein etal., 1974 ; Jeannerod & Hécaen, 1979 ; Finger & Stein, 1982 ; Stein & Gla-s i e r, 1992). Les axones épargnés, qui se projettent sur les neurones désaff é r e n-tés, réagissent à la disparition de leur partenaire en faisant pousser de nou-velles branches collatérales. Ce phénomène est dénommé b o u r g e o n n e m e n tc o l l a t é r a l (« c o l l a t e ral spro u t i n g »), (Raisman, 1969). Les nouveaux collaté-raux axonaux peuvent générer de nouvelles synapses ou établir des synapsesen rapport avec les sites évacués, il s’agit dans ce cas d’une s y n a p t o g e n è s er é a c t i ve (« reactive synaptoge n e s i s »), (Cotman & Lynch, 1976). Dans lemême ordre de description, Wall & Egger ont postulé, en 1970, qu’une lésioncérébrale pouvait activer des « synapses préexistantes » demeurant non fonc-tionnelles avant l’accident cérébral. Cette hypothèse conduit à penser qu’unsujet sain possèderait des « synapses en réserve » qui n’entreraient en actionqu’en cas de lésions cérébrales. Notons toutefois que le bourg e o n n e m e n tsynaptique n’assure pas toujours un fonctionnement neuronal adéquat car lesa c t ivités synaptiques peuvent se révéler aberrantes, et de fait, les impulsionsn e r veuses peuvent ne pas atteindre leur cible (Schneider, 1973). Les raisonsd’un tel échec peuvent être d’ordre chimique.

Au cours de ces dernières années, les neurobiologistes ont identifié dessubstances induites par une lésion qui s’avèrent toxiques pour les neuronessains (Zivin & Choi, 1991 ; Siesjö, 1992). L’une de ces substances est le glu-tamate que l’on trouve à l’état normal dans un cerveau sain où il y joue le rôlede neurotransmetteur. A la suite d’un dommage cérébral, ce neurotransmetteurest libéré par les neurones lésés en quantité bien supérieure à celle que l’ont r o u ve dans un cerveau sain. Cet excédent a pour effet de provoquer la mortdes neurones sains adjacents à l’aire lésée. Ce processus excédentaire a étéi d e n t i fié en 1970 par Olney sous le terme d’e x c i t o t ox i c i t é. D’autres fa c t e u r stoxiques, tel que par exemple, les ions de calcium (Ca2 +), s’accumulent enquantité ex c e s s ive dans l’aire lésée, et par diffusion vers le tissu env i r o n n a n tintact, augmentent les pertes neuronales et détériorent ainsi les membranescellulaires.

D’autres travaux ont identifié d’autres substances, regroupées sous l’ap-pellation substances neurotrophiques, pouvant soutenir le processus de régéné-rescence. La plupart des substances décrites à ce jour sont des protéines (e.g., leNGF « Nerve Growth Factor », la GFAP « Glial Fibrillary Acidic Protein », laGAP « Growth Associated Protein », le BDNF « Brain Derived Neurotrophicfactor ») dont la particularité consiste à stimuler la croissance et à guider la

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régénération des fibres nerveuses vers leurs cibles (Levi-Montalcini, 1987 ;Barde, 1989 ; Annunciato, 1998b).

Bien que certains processus neuroplastiques puissent être mutuellementexclusifs, tendant ainsi à ce que l’un inhibe l’autre, ou éventuellement l’un pré-domine sur l’autre (e.g., substances régénératrices vs substances toxiques), onpeut concevoir, dans une certaine mesure, l’interaction de certains événements(e.g., interaction entre des substances régénératrices, et des processus impliquésdans la régénération des fibres nerveuses). Si la réorganisation post-lésionnelledu tissu cérébral a été confirmée, on est dans l’impossibilité de savoir encoreaujourd’hui si une telle réorganisation, 1) sous-tend parfaitement la récupérationfonctionnelle ; 2) laisse persister des troubles comportementaux ; 3) intervientd’une manière systématique pour permettre la mise en oeuvre de stratégies decompensation.

Parallèlement à ces observations, des théories ont été proposées afin d’ex-pliquer le rôle des structures neuronales saines par rapport à une structure lésée.

Théories avancées en vue d’expliquer le rôle des structures saines par rapportà une zone nécrotique

Plusieurs théories ont été proposées en vue d’expliquer ce rapport. Leconcept de v i c a r i a n c e, proposé par Munk en 1881, est fondé sur le raisonne-ment selon lequel les structures neurales épargnées par l’accident cérébralpourraient se s u b s t i t u e r à la structure lésée, en prenant en charge la fonctionassurée antérieurement par celle-ci, ce qui laisse supposer le caractère re d o n-d a n t du fonctionnement cérébral. Une variante de cette théorie a été ava n c é epar Franz en 1923. Selon cet auteur, les structures neurales saines embrasse-raient des capacités latentes susceptibles de prendre en charge une fonctiond é volue à la zone cérébrale déficiente. Une autre variante de la théorie de vica-riance fut suggérée par Lashley en 1920 sous le principe de l ’ é q u i p o t e n t i a l i t éfo n c t i o n n e l l e. Selon le point de vue de cet auteur, le cerveau fonctionneraitcomme une unité intégrée réagissant à un ensemble de stimulations. A la suited’une lésion, des structures neuroanatomiques différentes seraient à même deprendre en charge un comportement spécifique ou de mettre à exécution lesmêmes fonctions. Un autre principe déterminé par le vocable d i a s ch i s i s f u ténoncé en 1914 par Von Monakow. Par l’emploi de ce terme, l’auteur a vo u l urendre compte de l’état de ch o c dans lequel une structure neurale intacte, etinterconnectée à la structure lésée, peut se trouver : l’accident cérébral peutp r ovoquer des modifications (inhibition ou désactivation) au niveau des trans-missions synaptiques à différentes distances du foyer lésionnel. De la sorte,toutes les structures neurales en rapport avec la structure lésée subiront de la

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part de celle-ci l’effet de d i a s ch i s i s 1. Une autre conception s’inscrivant dans lemême sens que celle-ci fut proposée en 1936 par Asratyan sous le terme d’asy-napsie fonctionnelle (repris par Pav l ov 2 en 1949) pour décrire l’inactiva t i o ntemporaire des structures cérébrales saines connectées à la structure lésée.Cette inactivation temporaire est due à la concentration élevée en cholinesté-rase au niveau des structures distantes du foyer lésionnel ou des structuresc o n t i g u ë s .

De cet ensemble de propositions, on retient trois remarques déterminantles particularités post-lésionnelles des structures cérébrales saines qui, 1) subis-sent, immédiatement après l’accident cérébral des effets inhibitoirestemporaires ; 2) renfermeraient des capacités latentes ; 3) seraient susceptiblesd’intervenir afin de prendre en charge d’autres fonctions que celles dans les-quelles elles sont impliquées.

A partir de ces conclusions accordant au cerveau des capacités latentes etde prise en charge, le potentiel post-lésionnel du cerveau a été décrit depuisbien longtemps en terme de compensation, et l’individu perçu comme ayantdes possibilités de mettre en œuvre des stratégies de compensation.

◆ Stratégies de compensation L’option d’étude centrée sur la notion de compensation demeure un sujet

d’actualité dans plusieurs champs disciplinaires 3. Comment peut-on définir lestermes de compensation et de stratégie ? Comment peut-on expliquer le lien éta-bli entre eux ?

Définitions conceptuelles

Qu’est-ce qu’une compensation ?

Le terme compensation (du latin, cum qui signifie avec, et pensare quirenvoie à l’idée de peser) désigne l’action de contrebalancer un manque, unedéficience, une difficulté, ou d’équilibrer un ensemble de conduites s’articulantdans des sens divergents, comme ce que l’on peut voir chez des sujets cérébro-lésés.

1 On admet que si la lésion n’occupe pas un espace neuroanatomique important, le diaschisis n’est que transi-toire, et avec le temps, l’état du patient peut s’améliorer. En revanche, lorsque la lésion occupe un espace neu-roanatomique important, le diaschisis risque d’être permanent et aucune récupération n’est à espérer (Stein etal., 1974 ; Jeannerod & Hécaen, 1979 ; Finger & Stein, 1982 ; Gaillard, 1983 ; Stein & Glasier, 1992).2 Pour cet auteur, l’inhibition active des structures cérébrales saines provoquerait une inactivation des struc-tures interconnectées à la zone nécrotique. 3 Cf, Bäckman & Dixon (1992), pour une revue.

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Dans le cadre des travaux traitant des dommages cérébraux, Haller ava n ç a ,en 1769, qu’une atteinte cérébrale focalisée pouvait être c o m p e n s é e, dans une cer-taine mesure, par d’autres structures cérébrales qui seraient fonctionnellementé q u ivalentes. Cette équivalence a été explicitée en 1886 par Ferrier qui postulaque les perturbations consécutives à des lésions corticales pouvaient être c o m p e n-sées, dans une certaine limite, par des structures sous-corticales. D’une manièreun peu similaire, Jackson suggéra, en 1875, l’existence d’une multireprésentationhiérarchisée des fonctions cérébrales permettant d’envisager que chaque fonctioncérébrale, représentée au niveau des structures corticales, était également repré-sentée au niveau sous-cortical. Cette hiérarchisation des fonctions nerveuses sous-tend ce que Jackson appela « le principe de compensation ». Selon ce principe,une lésion affectant une structure corticale aurait pour effet de libérer l’activité desstructures sous-corticales en leur permettant d’assumer, d’une manière plus oumoins parfaite, la fonction préalablement dévolue à la structure corticale lésée.Selon cet auteur, la compensation ne serait jamais totale en raison du fait quechaque niveau d’organisation est régi par ses propres règles de fonctionnement,tout en apportant sa contribution spécifique au fonctionnement de l’ensemble.

L’idée directrice émanant de ces travaux porte sur le fait que la compen-sation mettant en jeu des structures cérébrales distinctes ne peut être, du fait dela lésion, que partielle, voire limitée. Au vue de ces descriptions, on constateque la notion de compensation a été conceptualisée sur la base d’une considéra-tion biologique selon laquelle la perturbation plus ou moins totale d’un organeentraîne la substitution fonctionnelle ou la suppléance d’un ou de plusieursautres types d’organes. L’idée portant sur la suppléance d’un organe par un autrea été reprise pour le besoin d’explications qui relèvent d’un registre d’analysed’ordre comportemental. C’est ainsi que Bouillaud indiqua en 1825, à partird’observations portant sur des sujets aphasiques que, lorsque « la parole est sus-pendue » les patients pouvaient exprimer leurs idées, par d’autres moyens,comme par exemple, l’écriture, le geste, etc. Bouillaud fut le premier à souli-gner qu’un trouble verbal pouvait être compensé par d’autres comportements.Depuis cette constatation, d’autres travaux ont décrit la capacité de patientsaphasiques à compenser leur déficit verbal au moyen d’interjections (marquantle doute, le refus, l’impatience, etc.) ; de contorsions volontaires de la muscula-ture faciale (traduisant une dénégation, une approbation, etc.) ; d’onomatopées,de haussements d’épaules (exprimant une indifférence, une éventualité, etc.) ;de gestes déictiques, emblématiques et mimétiques (Labourel, 1986 ; Behrmann& Penn, 1984 ; Smith, 1987 ; Feyereisen et al., 1988 ; Herrmann et al., 1988 ;Le May et al., 1988 ; Ahlsèn, 1991 ; Béland & Ska, 1992 ; Simmons-Mackie &Damico, 1997 ; Kioua, 1998).

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A bien y vo i r, on peut très bien considérer que ces comportements fonti n t e r venir des processus différents, recrutés sélectivement selon des événementsd i fférents. De fait, la notion de compensation exige différents points d’ex p l i c a-tion. A cet égard, Bäckman & Dixon (1992), ont proposé une définition contri-buant à enrichir le champ conceptuel de ce terme. Pour ces auteurs : « Compensa-tion can be inferred when an objective or perceived mismatch between accessibleskills and env i ronnemental demands is counterbalanced (either automatically ord e l i b e rately) by investment of more time or effort (drawing on normal skills), uti-lization of latent (but normally inactive) skills, or acquisition of new skills, so thata ch a n ge in the behavioral pro file occurs, either in the direction of adaptiveattainment, maintenance, or surpassing of normal levels of pro ficiency or ofmaladaptive outcome behaviors or consequences », p. 272. Cette défi n i t i o nappelle des commentaires qui vont être insérés dans les propos qui suive n t .

A la suite d’un accident cérébral, un patient peut constater (du moins s’iln’est pas anosognosique) une modification de ses capacités mobilisées antérieu-rement pour accomplir des activités de la vie de tous les jours, qu’elles soientphysiques ou cognitives. Les changements post-lésionnels le conduisent à vivreune ou plusieurs situations de handicap qui varient selon la qualité de ses capa-cités résiduelles, et la gravité de ses incapacités. L’envie d’atténuer les situationsde handicap exige une nouvelle adaptation, ou un réajustement adaptatif. Ceréajustement pourrait traduire le souhait du patient à s’affranchir, tant bien quemal, des fluctuations pour accomplir une activité quotidienne dans son environ-nement social, ou des écarts de performances dans la réalisation d’une épreuvedonnée. Le réajustement adaptatif ne s’accomplit pas sous l’effet du hasard, ilnécessite plutôt l’intervention de stratégies.

Qu’est-ce qu’une stratégie?

Le terme stratégie (du grec, stratos qui signifie armée, et agein quidésigne une conduite), est un terme emprunté à l’origine au vocabulaire mili-taire pour qualifier l’art de commander les armées. L’art du stratège est déter-miné à la fois par les stratagèmes qu’il est à même de concevoir dans le but deleurrer ses ennemis en réalisant des plans d’action afin de disposer et ded é p l oyer ses troupes. Ultérieurement, ce terme a été repris dans plusieursdomaines de recherche. Un relatif consensus règne parmi les chercheurs quant àla définition de ce terme, employé généralement pour désigner une séquence deprocédures, relativement longues et complexes, sélectionnées en vue d’atteindreun but précis.

Selon notre proposition, le terme stratégie caractérise l’attitude d’un indi-vidu (normal ou cérébro-lésé) qui jette son dévolu sur une procédure parmi un

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éventail d’autres, pouvant lui permettre d’opérer (en fonction des caractéris-tiques de la tâche, de la nature du problème auquel il est confronté), la sélectiond’une conduite dont il dispose ou peut encore en disposer, et ceci dans le butd’optimaliser sa capacité ou sa performance, d’améliorer sa situation ou sacondition de vie devenue instable ou déséquilibrée du fait de la nouveauté ou dela complexité du problème à résoudre, de l’âge, d’un accident, d’une pathologie.

Dans le cas d’un patient cérébro-lésé, le but serait, par exemple, d’appa-rier correctement un stimulus à un dessin cible proposé parmi d’autres, de réus-sir à le dénommer, de reproduire parfaitement une image à partir d’un modèle,de pouvoir manipuler adéquatement un objet, en rapport avec d’autres, sur unepartie du corps, ou encore dans l’espace péricorporel. Si un patient, invité àaccomplir une épreuve donnée, ne peut satisfaire entièrement un de ses buts, illui reste à contrebalancer, ou à compenser une déficience en adoptant une stra-tégie ou un éventail de stratégies.

Dans la perspective de la présente étude, les stratégies de compensationrenvoient à un ensemble de conduites ébauchées spontanément par un sujetcérébro-lésé, échafaudées à partir d’une demande formulée par un examinateur,ou acquises avec le concours d’un médecin rééducateur ou d’un orthophoniste,dans le but de trouver le meilleur moyen qui reste à sa disposition, pour essayerde surmonter les différentes situations de handicap provoquées par son accidentou sa pathologie.

Quels sont les processus qui sous-tendent l’élaboration de stratégies decompensation ?

Principes liés aux stratégies de compensation adoptées par des patientscérébro-lésés

Par souci de clarté, nous allons exposer, sous forme de cinq principes, lesprocessus sous-tendant les stratégies de compensation mises en oeuvre par dessujets cérébro-lésés.

Premièrement, l’élaboration des stratégies de compensation est le résultatd’efforts délibérés ou soumis à un contrôle que pourrait accomplir un sujet céré-bro-lésé en collaboration avec un examinateur (Luria, 1963 ; Kolb & Whishaw,1990). Evoquer l’idée d’une stratégie de compensation nécessitant l’allocationde processus contrôlés nous conduit à la situer par rapport à une stratégie decompensation nécessitant l’allocation de processus automatiques. On parled’un processus automatique pour désigner une activité qui se développe d’unemanière rapide à la suite de plusieurs essais effectués antérieurement, et quirequiert assez peu d’effort pour résoudre un problème dont les solutions sont

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déjà connues. En revanche, on parle d’un processus contrôlé ou non automa-tique, pour qualifier une activité qui se produit lentement, pas à pas, par essais eterreurs, et qui exige beaucoup d’efforts, et une grande capacité attentionnelleafin de résoudre un problème inédit ou une situation nouvelle (Gaillard, 1983 ;Shiffrin & Schneider, 1984 ; Bäckman & Dixon, 1992 ; Gagnon & Goulet,1992 ; Strayer & Kramer, 1994 ; Métellus, 1996). Bien que les processus auto-matiques et contrôlés puissent fonctionner d’une manière autonome, ils peuventtoutefois interagir. A titre d’exemple, si un sujet aphasique se trouve épisodique-ment dans l’impossibilité de proposer une réponse verbale, il lui est possible derecourir à des gestes. A mesure que les réponses verbales deviennent relative-ment disponibles, il recourt de moins en moins aux gestes (Ahlsèn, 1991). Decet exemple, nous pouvons comprendre que dès le moment où le patient mani-feste une défaillance verbale, le besoin de la compenser par des gestes nécessite-rait le recrutement de processus contrôlés. Lorsque le patient recourt de moinsen moins à des stratégies de compensation au moyen de gestes, on peut admettreque la mise en oeuvre de celles-ci - qui solliciteraient des processus contrôlés, etpar ce fait même, une capacité attentionnelle considérable - ne serait plus utileet trouverait son achèvement automatique 4. En d’autres termes, si un patientarrive, au moyen de processus automatiques, à atténuer son trouble, le besoin des’en remettre à des processus contrôlés ne paraît plus être nécessaire. Il convienttoutefois de souligner que les patients peuvent manifester progressivement lebesoin d’élaborer des stratégies de compensation qui leur sont propres (Bruyeret al., 1982 ; Kraat, 1990 ; Lacroix et al., 1994 ; Simmons-Mackie & Damico,1997). Dans l’état actuel des recherches, il reste difficile de se prononcer sur lemoment à partir duquel un patient tente de procéder de la sorte. On peut tout auplus dire que dans ce type de situation il pourrait, à la suite des séances deréadaptation, s’investir personnellement pour atténuer l’intensité de ses défi-ciences. Plusieurs facteurs pourraient intervenir de concert pour favoriser l’ap-parition d’une telle conduite. Il reste à les identifier.

Deuxièmement, si l’on considère qu’un sujet cérébro-lésé est à mêmed’adopter, pour effectuer une seule tâche, une stratégie de compensation ouplusieurs, on ne peut en rendre compte aux mêmes degrés (quantitatif et qua-litatif) chez tous les sujets cérébro-lésés. La capacité d’un patient à compenserson trouble peut dépendre tout autant, de la particularité de son dommage céré-

4 C’est à partir de constatations similaires qu’au XIXe siècle Baillarger et Jackson ont focalisé l’attention surla façon dont les sujets cérébro-lésés, incapables d’évoquer des mots dans certaines conditions, parviennent àles évoquer dans d’autres circonstances, ou encore incapables de montrer, par exemple, l’usage d’une four-chette, parviennent à l’utiliser sans aucune difficulté au moment du dîner. Cette différence est définie dans lalittérature neurologique en termes de dissociation automatico-volontaire.

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bral, de sa situation professionnelle antérieure, des exigences de la tâche àlaquelle il est confronté, de son mode de vie, de la nature des référents auxquelsrenvoient les stimuli qui lui sont proposés, de la modalité d’expression mobili-sée, de son âge et de ses expériences antérieures.

Troisièmement, si un patient arrive à compenser, par exemple, son déficitverbal à partir d’une ou de plusieurs stratégies, cette réussite ne conduit pas àsoutenir ipso facto qu’il est aussi en mesure de compenser, au même degré,d’autres difficultés auxquelles il serait confronté dans d’autres tâches, ou dansd’autres situations. Ainsi le progrès qu’il peut acquérir dans un domaine d’acti-vité peut être suivi par une stagnation ou une régression des performances dansun autre (Gaillard, 1983 ; Bäckman & Dixon, 1992 ; Seron, 1995 ; Simmons-Mackie & Damico, 1997). Cette limitation ressortirait au fait que la mise enoeuvre de stratégies de compensation exige, 1) plus de temps pour qu’un sujetarrive à coordonner au mieux les procédures nécessitant l’intervention d’uneconduite qui peut lui paraître la plus adéquate pour tenter d’atténuer son handi-cap ; et 2) plus d’effort cognitif en ce qu’il mobilise de l’attention centréeautant sur le dysfonctionnement manifesté lors de la réalisation d’une épreuve,la persistance relative des échecs, l’impossibilité de mobiliser de la mêmemanière qu’auparavant un type de comportement, que sur la gestion des procé-dures recrutées en contexte.

Quatrièmement, il semble que dans la vie quotidienne les sujets cérébro-lésés (de la même manière que les sujets normaux) éprouvent moins de difficul-tés à échafauder des stratégies de compensation, alors que, dans des tâches delaboratoire ils éprouvent plus de difficultés à les mettre en œuvre (Salthouse,1987 ; Eustache, 1991). Une telle distinction pose ainsi le problème descontextes dans lesquels ont eu lieu les études traitant des stratégies de com-pensation. Bien que ce débat ne soit pas dénué d’intérêt, il est intéressant dementionner que l’approche écologique a pour avantage de rendre compte descapacités cognitives routinières et moins contraignantes dans des environne-ments prévisibles. Cette approche présente des limites étant donné qu’elle estcentrée sur tout ce qui fonctionne dans le bon ordre et au bon moment. Acontrario, l’approche de laboratoire, bien qu’elle soit plus ou moins éloignéedes situations de la vie quotidienne, a toutefois l’avantage de rendre compte dela manière dont des individus, c o n f rontés à des situations plus ou moinsinédites, inhabituelles, ou post-lésionnelles, traitent différentes informations. Ilressort de la spécificité de chaque approche, la nécessité d’aboutir à une com-plémentarité, i.e., sans l’apport des données écologiques, la recherche expéri-mentale peut courir le risque de devenir étroite et aveugle, et sans l’apport desdonnées exposées par la recherche expérimentale, la recherche écologique court

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le danger de rester incertaine et de devenir superficielle (Glass et al., 1979 ;Baars, 1980 ; Lacroix et al., 1994).

Cinquièmement, l’élaboration de stratégies de compensation est traduiteen termes d’un fonctionnement cognitif non acquis après une lésion cérébrale(Gaillard, 1983 ; Seron, 1995 ; Simmons-Mackie & Damico, 1997). Dans lesens de ce principe, une lésion cérébrale a pour particularité de ne pas engendrerdes fonctionnements cognitifs nouveaux. A cet égard, on considère générale-ment que la capacité d’un patient à développer une conduite compensatoire estla conséquence d’un fonctionnement cognitif disponible antérieurement qui,même s’il est recruté d’habitude pour effectuer une tâche bien déterminée, peutprendre place au sein d’une autre organisation fonctionnelle (v.g., si dans uneé p r e u ve de dénomination un patient exécute un geste pour compenser sonmanque du mot, ce comportement compensatoire n’est pas recruté d’habitudepour dénommer tel ou tel objet, par contre, il peut aider le patient à atténuer untant soit peu son trouble), ou d’un fonctionnement cognitif inactif existant àl’état latent . (v.g., selon la description proposée par Seron (1995), si à la suited’une lésion cérébrale un patient ne peut pas répondre à la question : 2+3 ça faitcombien ? Il peut tout au plus être capable de faire un comptage « épelé » : 1, 2,3, 4, 5, et de trouver la réponse. La stratégie compensatoire adoptée par cepatient résulte d’un fonctionnement existant dès l’âge de 5-6 ans, dès la pre-mière phase de l’apprentissage scolaire). La résurgence de stratégies de com-pensation révélées par des comportements et des fonctionnements cognitifs dis-ponibles antérieurement, peut être traduite en termes d’activation de capacitésnouvelles. La nouveauté de ces capacités doit être comprise dans le sens d’unenouvelle organisation fonctionnelle, ou d’une réorganisation fonctionnelle miseau service d’une nouvelle confi g u ration situationnelle. Ce point de vueconcorde avec celui émis par Sperry, en 1947, selon lequel un sujet cérébro-léséserait à même de compenser ses déficits comportementaux au moyen de straté-gies comportementales nouvelles mises au service d’une même finalité fonc-tionnelle. Dans le même registre de réflexion, Luria (1963) a souligné que :« (...) investigations on human patients have shown that the restoration of dis-turbed functions is more correctly defined as the reorganisation of that function[resulting in] the formation of a new functional system », p. 30.

◆ Remarques conclusives

Si notre objectif commun vise à apporter aux patients le réconfort enessayant de leur rendre la situation post-lésionnelle moins pesante, d’atténuerles situations de handicap qui résultent de l’accident qu’ils viennent de subir, les

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travaux préoccupés par l’analyse des stratégies de compensation sont appelés àintervenir dans ce large programme.

Le fait de rendre compte de la capacité ou de l’incapacité d’un patient àadopter des stratégies de compensation moyennant un comportement nécessitantl’appui de telle ou telle modalité d’expression, exige que l’on comprenne, 1) surquel type de dysfonctionnement une stratégie de compensation a été centrée ?2) Pour quelles raisons son élaboration a été ou non possible ? 3) Quels sont lesfacteurs susceptibles d’expliquer son élaboration qui peut devenir inadéquate ?4) Quelles sont les informations que l’on retient pour orienter un projet deréadaptation ? Ces questionnements incitent à identifier, à partir d’un modèle detraitement cognitif, d’une part, la nature d’une (ou des) composante(s) défici-taire(s) sur laquelle porte la compensation, et d’autre part, les processus restésintacts après l’accident cérébral qui pourraient servir de base pour la mise enoeuvre de stratégies de compensation. Une telle démarche, qui s’inscrit dans laperspective d’analyse de la neuropsychologie cognitive, a pour avantage d’ap-porter aux théories cognitives (qui proposent différentes architectures cognitivestendant à expliquer les dysfonctionnements sélectifs que manifestent des sujetscérébro-lésés lors de la réalisation d’une épreuve donnée), une considérationdynamique, c’est-à-dire que, les architectures de traitements cognitifs proposéesà ce jour ne donnent qu’un aperçu stable des dysfonctionnements cognitifs(Caramazza, 1989 ; Caramazza & Hillis, 1993). Dès lors, on est dans l’incapa-cité de savoir, 1) selon quel principe pourrait s’effectuer la réorganisation desprocessus cognitifs sous-tendant l’adoption de stratégies de compensation ?2) Quels effets pourrait avoir une stratégie de compensation sur un défi c i tdonné ? 3) Quel serait l’ordre de fréquence de ces effets ? Des résultats établisen rapport avec ces questionnements feront l’objet d’une livraison prochaine.

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De la nécessité de l'évaluation des troubles dela compréhension dans l'aphasie

Marie-Noëlle Metz-Lutz

R é s u m é

L'évaluation des déficits de la compréhension orale dans l'aphasie est au moins aussiimportante que ceux de l'expression plus aisés à quantifier. La mesure des capacités decompréhension verbale auditive se heurte à un certain nombre de difficultés inhérentes auxconditions mêmes de la communication verbale. Il est, en effet, difficile d'éliminer les com-posantes non verbales comme le contexte de communication, les gestes ou les mimiquesqui accompagnent le message verbal et contribuent à sa compréhension. A trav e r squelques exemples, nous défendons le point de vue d'une analyse cognitive de la compré-hension pouvant servir de support aux interventions thérapeutiques.

Mots-clés : aphasie, compréhension orale, perception de la parole, discrimination du mot,mémoire auditivo-verbale.

The importance of studying verbal comprehension in aphasia

AbstractIn the evaluation of aphasia, the assessment of verbal auditory comprehension deficits isjust as important as that of deficits in expressive abilities, the latter being generally easier tomeasure. In evaluating verbal comprehension skills, the speech and language therapist isconfronted with several difficulties which are inherent to verbal communication. Indeed, it isdifficult to control the non verbal information which the aphasic patient may draw upon toovercome his verbal comprehension deficits (use of communicational context and of mimicsand gestures which go with the verbal message). We suggest some tasks purporting to eva-luate specific levels of auditory verbal processing, in order to support the value of a cogni-tive approach to the analysis of comprehension deficits. This approach may provide thespeech and language therapist with a useful framework for rehabilitation.Key Words : aphasia, verbal comprehension, speech perception, word discrimination, audi-tory-verbal memory.

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L'acte de comprendre peut être défini comme celui d'associer une significa-tion à un signal acoustique. Cet acte implique la mise en oeuvre d'unesérie d'opérations au cours desquelles le signal est traité pour devenir une

unité signifiante, par exemple un mot. Cette unité peut ensuite être stockée pourêtre interprétée dans le contexte où ce signal est perçu. Cette définition, minima-liste en apparence, laisse toutefois entrevoir la complexité des opérations men-tales qui sous-tendent la compréhension d'un message verbal.

L ' examen clinique traditionnel de l'aphasique qui comporte quelquesé p r e u ves de compréhension verbale n'en offre qu'une appréciation globale etimprécise. En effet, les capacités des aphasiques à traiter l'information ve r b a l esont évaluées à partir de leurs réponses aux épreuves de discrimination lex i c a l eou de compréhension de phrases. Ces réponses qui servent de mesure de la qua-lité de la compréhension verbale, représentent le « produit fi n a l » d'un ensemblede processus de traitement, successifs et/ou parallèles, des multiples informationslinguistiques ou extra-linguistiques qui composent le message verbal. Ainsi, pouri d e n t i fier les processus de traitement déficitaires à l'origine des troubles de lacompréhension orale, il est nécessaire de mesurer le traitement des diverses infor-mations contenues dans le message à interpréter. Ces mesures sont possibles àcondition de contrôler, d'une part, les conditions de test, c'est à dire leur support,la tâche proposée et la nature des réponses attendues, d'autre part, l'ensemble desinformations verbales et non verbales fournies au sujet qui permettront l'interpré-tation des résultats obtenus. En effet, l'élaboration d'une démarche rééducativeadaptée suppose l'identification précise des déficits de la compréhension.

◆ De la perception de la parole à l'interprétation d'un messageLa figure 1 schématise les différentes étapes impliquées dans le traite-

ment d'un message allant de l'onde acoustique au sens avec les transformations

Marie-Noëlle METZ-LUTZINSERM Unité 398Clinique NeurologiqueHôpitaux Universitaires de Strasbourg67091 Strasbourg cedex

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successives de l'information en représentations mentales. Ces dernières sont à lafois le résultat des traitements de bas niveau et le point de départ pour d'autresopérations qui conduiront à des représentations de plus haut niveau.

Figure 1Modélisation des étapes de la perception de la parole à la compréhension d'un message.

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La compréhension a longtemps été considérée comme un processus hié-rarchique allant de bas en haut. Cette conception s'est ensuite modifiée pourrendre compte des effets facilitateurs du contexte et des connaissances généralessur les traitements de bas niveau comme le traitement acoustico-phonétique et lareconnaissance auditive des mots. Un modèle strictement hiérarchique ne per-met pas de rendre compte de la compréhension d'un message émis dans desconditions particulières. Par exemple, une phrase prononcée avec un fort accentétranger pourra être interprétée malgré les difficultés à l'étape d'extraction detraits phonétiques et d'analyse phonologique grâce aux effets facilitateurs allantde haut en bas.

L'information initiale, l'input des modèles de traitement de l'informa-tion, est un signal acoustique complexe que le sujet encode en une représenta-tion phonologique. Cette étape de traitement de la parole est celle de l'analyseacoustico-phonétique qui se déroule tout au long de l'écoute d'un message ve r-bal (figure 2). La représentation phonologique qui en résulte est alors confron-tée aux représentations stockées en mémoire à long-terme dans le lex i q u einterne, ce qui permet d'associer au signal de parole une signification. Au-delàde cette étape les représentations mentales auxquelles il est fait appel pour lacompréhension et l'interprétation du message sont de plus en plus abstraites etéloignées de la structure physique et de la structure de surface du messageverbal. Si l'on prend l'exemple de la proposition suivante : « de la perceptionde la parole à la compréhension du langa g e » dont la forme acoustique estreprésentée sur la figure 2, la transformation du flux acoustique qui dure env i-ron 2610 msec en une signification, s'effectue dans un temps ex t r ê m e m e n tbref permettant le plus souvent une interprétation de la proposition ava n tl ' a c h è vement complet de la perception du message. Ce traitement ex t r ê m e-ment rapide est possible grâce à la mise en œuvre de procédures reposant surdes calculs d'hypothèses utilisant quasi simultanément des informationsc o n t extuelles verbales ou non verbales et des représentations stockées enmémoire à long-terme. Ces représentations mémorisées se réfèrent aussi bienà la connaissance des règles de fonctionnement de la langue, de la fréquenced'occurrence de certaines structures syntaxiques ou de probabilité d'associa-tions sémantiques. L'auditeur pose a priori que le message qu'il perçoit estc h a rgé d'une signification et qu'il est structuré conformément aux règles d'or-ganisation syntaxique et de compatibilité sémantique qui régissent toutes lesproductions verbales de la langue. Ce principe étant posé, les diverses opéra-tions de traitement de la parole et de compréhension du message vont pouvo i rse dérouler pour aboutir, dans la très grande majorité des cas, à une interpréta-tion non ambiguë du message.

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La propriété fondamentale du signal de parole est son « orientation intrin-sèque dans le temps ». Les signaux de parole se succèdent et se déroulent obli-gatoirement dans une direction allant du début à la fin d'un message énoncé etentendu. Il en résulte que les diverses opérations mentales assurant, en continu,le traitement des signaux de parole doivent s'effectuer selon une chronologietrès précise. Les processus de perception de la parole, l'activation de représenta-tions phonologiques, la mémoire de travail, la mise à jour des représentationssémantiques et les hypothèses interprétatives interviennent et se succèdent à desdélais très brefs. Au centre de ces opérations mentales, directement impliquéesdans la compréhension d'un message entendu se trouve un ensemble de proces-sus mentaux automatiques et obligatoires que Marslen-Wilson et Tyler (1981)nomment les processus centraux ou « core processes » qui sont déclenchés dèsque l'on perçoit de la parole et qui en effectuent l'analyse jusqu'au moment del'interprétation du message entendu. Au cœur de ces processus se situe la recon-naissance auditive des mots qui est à l'interface de l'analyse perceptive de laparole et de la compréhension verbale.

L'analyse acoustico-phonétique qui est l'opération « prioritaire » du traite-ment de la parole (Marslen-Wilson, 1987) s'effectue tout au long de l'écouted'un message et permet l'élaboration en continu de représentations mentales detype phonologique dont l'appariement à des représentations lexicales en

F i g u re 2Schéma des opérations de traitement de la parole et du langage intervenant en parallèle ou en

cascade au cours de l'écoute d'un message verbal dont la durée physique est de 2610 msec.

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mémoire aboutit à la reconnaissance des mots, étape charnière de la compréhen-sion.

Pour expliquer la facilité et l'extrême rapidité de la reconnaissance desmots et de la compréhension du langage oral, les modèles actuels de compré-hension auditive attribuent un rôle très important aux informations contextuellesdérivées de sources de connaissance de niveau plus élevé comme les connais-sances lexicales, syntaxiques et pragmatiques (Goodman & Huttenlocher, 1988 ;Marslen-Wilson & Tyler, 1980 ; Marslen-Wilson & Welsh, 1978 ; Salasoo &Pisoni, 1985). Ainsi selon les modèles de type cohorte (Marslen-Wilson 1984,1987), les processus de reconnaissance auditive des mots qui sont mis en œuvretrès précocement, facilitent l'analyse acoustico-phonétique en cours (Marslen-Wilson, 1987 ; Wioland, Metz-Lutz & Brock, 1990). L'intégration immédiatedes informations syntaxiques et sémantiques liées au mot reconnu influence àson tour l'identification des composantes ultérieures du message ve r b a l(figure 2). Dès le premier mot d'un message, les auditeurs élaborent une inter-prétation qui résulte de l'intégration en temps réel des informations linguistiqueset non-linguistiques. Cette interprétation initiale va être « modelée » et complé-tée par les informations ultérieures pour aboutir à la compréhension du messagequi prend en compte le contexte dans lequel il est produit.

L'étude des troubles de la compréhension doit prendre en compte, nonseulement, les propriétés des processus automatiques et obligatoires du traite-ment de la parole mais aussi les interactions entre les différentes sources d'infor-mation intervenant milliseconde après milliseconde dans le traitement et l'inter-prétation d'un flux de parole lui-même étalé dans le temps. Ainsi l'évaluationdes troubles de la compréhension dans l'aphasie doit tenir compte des caractéris-tiques temporelles de la communication parlée, car il s'agit de mesurer les diffi-cultés que rencontre le patient aphasique dans les situations quotidiennesd'échange verbal. En effet, dans la situation de test l'aphasique se trouve face àun locuteur averti de ses difficultés et dont le rôle est précisément de l'aider àrecouvrer ses capacités sinon à compenser leurs déficits, ce qui peut biaiser l'ap-préciation des difficultés réelles de l'aphasique.

◆ La perception de la parole

L'analyse de la perception de la parole dans l'aphasie pourrait se limiter àl'évaluation de la discrimination phonémique et de l'identification des phonèmesdans un contexte neutre. Toutefois compte tenu de l'importance des interactionsavec les autres représentations mises en œuvre dans le contexte de la communi-cation ordinaire, soulignée par les études expérimentales, il est indispensable

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d'évaluer la perception de la parole dans différents contextes. L'influence rela-tive du contexte dans lequel la discrimination ou l'identification des phonèmesest réalisée permet de préciser les caractéristiques d'un éventuel déficit du traite-ment acoustico-phonétique. Par exemple, il sera utile de comparer la discrimina-tion de lieu d'articulation [p] / [t] ou de voisement [p] / [b] dans un contextesans signification tel que pin / tin et dans un contexte porteur de significationcomme celui de mots monosyllabiques tels que pont / thon. Il importe aussi dedistinguer, en fonction de la tâche proposée, les capacités de discrimination pho-nétique dans des paires minimales comme celles que l'on vient de citer. Dansune tâche de discrimination où le patient doit comparer deux syllabes en répon-dant par oui ou par non ou dans une discrimination avec désignation en choixmultiple d'image (pont / thon / mont / rond, par exemple), certains patientsseront aidés par les images ou la statut lexical des items. En effet, les informa-tions verbales ou non verbales variables d'une condition de test à une autre peu-vent faciliter ou gêner la réalisation de la tâche selon le type d'aphasie. La simi-larité phonologique sera source de difficultés, par exemple, pour l'aphasiquesensoriel à prédominance de surdité.

◆ Reconnaissance et discrimination lexicale.La capacité à reconnaître les mots de la langue est généralement éva l u é e

au moyen de tests de décision lexicale. Ces tests encore trop peu utilisés enpratique clinique ont pourtant l'avantage d'apprécier la qualité des représenta-tions phonologiques lexicales en mémoire. La décision lexicale auditiveconsiste en une présentation de suites phonologiques appartenant ou non aul exique français. En situation expérimentale, les temps de réaction sont enre-gistrés et permettent de juger de la rapidité de l'accès au lexique interne, c'est-à-dire aux représentations lexicales stockées en mémoire à long-terme. Letemps de décision pour un mot donné reflète aussi sa disponibilité dans lel exique du sujet. Il a ainsi été montré que le temps de décision pour les motsvariait en fonction de leur fréquence dans le lexique. De plus, l'effet de la fré-quence des mots est plus élevé pour les mots de la classe ouverte, c'est-à-direles substantifs, les verbes et les adjectifs que pour les mots de la classe ferméec'est à dire les mots grammaticaux. Bradley, Garret, & Zurif, (1980) ont montrépar cette technique que les aphasiques de Broca, contrairement aux sujetstémoins, ne montrent aucune différence de sensibilité à la fréquence entre lesdeux classes lexicales. La conservation chez tous les aphasiques de la sensibi-lité à la fréquence lexicale des mots de la classe ouverte dans ce type de tâche aété confirmée par Gerrat et Jones (1987) qui ont aussi mis en évidence un eff e tfacilitant de la polysémie.

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Les études de psychologie expérimentale ont montré qu'il existe deuxmodalités d'accès aux informations sémantiques du lexique interne ; l'une auto-matique échappant au contrôle conscient et l'autre volontaire (stratégique) etconsciente (Neely, 1977 ; Posner & Snyder, 1975). En utilisant cette dichoto-mie, il est possible de tester l'organisation du lexique au moyen d'une techniquedite d'amorçage qui met en jeu les processus automatiques d'accès au lexique.La présence d'un « mot-amorce » précédant de quelques millisecondes le « mot-cible » sur lequel doit porter la décision peut modifier le temps de reconnais-sance de ce mot. Cette technique de l'amorçage a été utilisée pour tester l'accèsaux différentes représentations : sémantique, morphologique et phonologique dumot.

La qualité et la disponibilité des représentations phonologiques, mor-phologiques et sémantiques des mots peuvent aussi être évaluées par desé p r e u ves de classement ou d'appariement d'images ou de mots écrits. Les testsde rime par exemple permettent d'évaluer la représentation phonologique.D'autres épreuves comme l'appariement de mots partageant le même préfi xeou le même suffi xe voire ayant la même racine mesurent la représentationmorphologique lexicale. Quant aux représentations sémantiques des mots,elles sont le plus souvent examinées par des épreuves de classement de motsou d'images.

◆ La mémoire auditivo-verbale à court-terme

La mémoire à court-terme auditivo-verbale appelée aussi mémoire pho-nologique à court-terme est une des composantes de la mémoire de travail, unsystème assurant le maintien temporaire et la manipulation de l'information pen-dant la réalisation de tâches cognitives telles que la compréhension, le raisonne-ment ou la résolution de problèmes (Baddeley, 1986). L'information verbaleprésentée auditivement serait stockée directement sous forme de codes phonolo-giques pendant une durée très brève et son maintien serait assuré par le systèmede la boucle phonologique. L'information stockée serait maintenue accessiblegrâce au processus de récapitulation articulatoire. Le rôle crucial de la mémoireà court-terme phonologique dans les processus de compréhension auditive a étémis en évidence par les études de patients cérébro-lésés adultes présentant desdifficultés de mémoire immédiate pour des suites de mots ou de phrases (Saf-fran & Marin, 1975).

Une des plus anciennes méthodes d'évaluation de la mémoire à court-terme est l'épreuve de répétition de chiffres. Le sujet adulte peut répéter dansl'ordre une séquence d'environ sept chiffres présentés oralement au rythme d'un

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chiffre par seconde. L'empan de chiffres mesure en quelque sorte la capacité dusystème de stockage phonologique du modèle de Baddeley. Cependant, c'est larépétition de non-mots qui évalue le mieux ces capacités. Un déficit de lamémoire phonologique à court-terme est souvent à l'origine des difficultés decompréhension des phrases longues ou de structure complexe et du désintérêtprogressif des patients aphasiques pour les documents radiodiffusés ou téléviséset même pour la lecture.

◆ La compréhension de la phrase

La compréhension des phrases nécessite l'intégration d'un grand nombred'informations dont la fonction dans la phrase est régie par des règles syn-taxiques. Si les mots de contenus tels que les substantifs, adjectifs ou verbesjouent un rôle évident dans la sémantique de la phrase, les morphèmes gramma-ticaux tels que les désinences verbales, les déterminants, les prépositions, lespronoms, les marques de genre et de nombre ainsi que l'ordre des mots de laphrase participent de façon déterminante à la signification. En présence detroubles syntaxiques comme dans l'agrammatisme ou d'un déficit de la mémoireauditivo-verbale à court-terme, le traitement des éléments de la phrase dont lafonction sémantique est dépendante des autres composantes est souvent défici-taire.

Les tests de jugement de grammaticalité, qui évaluent les capacités àdétecter les erreurs de construction grammaticale permettent de mesurer le trai-tement des morphèmes grammaticaux, des marques syntaxiques et la connais-sance des règles de syntaxe. Ces tests consistent à présenter des phrases pouvantcomporter des erreurs grammaticales dont le patient doit juger l'acceptabilité.Une correction est demandée lorsqu'une phrase est jugée inacceptable par lepatient. En faisant varier les types d'erreurs il est possible de préciser le niveaudes difficultés grammaticales de l'aphasique.

La compréhension syntaxique est classiquement évaluée par le TokenTest (de Renzi & Vignolo, 1962) dont les différentes parties se déroulant dansun contexte sémantique minimal, permettent de distinguer différents paramètresintervenant dans la compréhension syntaxique comme la demande en mémoire àcourt-terme, les indices syntaxiques ou la complexité syntaxique. Quant à lacompréhension de phrase complexe, elle peut être analysée au moy e nd'épreuves de choix multiple d'images inspirées de l'étude originale de Cara-mazza et Zurif (1976). Dans ces épreuves, la sélection des images tests et desdistracteurs permet de distinguer à la fois le traitement de l'ordre des mots et lesrelations entre les constituants de la phrase (Figure 3).

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Une phrase telle que « le policier qui est poursuivi par le voleur estmaigre » nécessite l'intégration des informations contenues dans la subordon-née, la compréhension de la forme passive, et la mise en relation du groupenominal sujet en début de phrase avec le groupe verbal de fin de phrase. L'inter-prétation de cette phrase à partir des seuls mots de contenu « policier », « pour-suivre », « voleur » et « maigre » conduit à la désignation de l'une des imagescorrespondant à la phrase canonique « le policier poursuit le voleur maigre »dans laquelle l'ordre des mots de contenu est le même que dans la phrase test.Ces tests sont particulièrement efficaces pour l'évaluation des troubles de lacompréhension des agrammatiques et des aphasiques de conduction dont les dif-ficultés de compréhension passent souvent inaperçues aux épreuves de compré-hension des batteries d'évaluation de l'aphasie.

◆ Evaluation et rééducation de la compréhension.

En insistant sur les différents niveaux de représentations mis en jeu dansla compréhension verbale et la pluralité des déficits de compréhension, noussuggérons à l'instar des démarches désormais classiques de la neuropsychologie

Figure 3« Le policier qui est poursuivi par le voleur est maigre » : phrase test pour l'évaluation de la

compréhension des phrases.

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cognitive qu'une évaluation précise des déficits conduit à une rééducation spéci-fique. Partant d'une analyse détaillée des déficits et des capacités résiduelles, larééducation peut se fixer de restaurer la fonction déficitaire et/ou de développerdes voies alternatives reposant sur les capacités préservées et l'ex p l o i t a t i o nd'aides externes. La rééducation de la surdité verbale par exemple peut associerles exercices de discrimination phonémique et la lecture labiale. Les troubles dela compréhension syntaxique pourront bénéficier d'un entraînement au traite-ment des phrases simples, puis des locutions, enfin des relations syntaxiquesinter propositionnelles. Les troubles de la compréhension liés à un déficit de lamémoire de travail justifient une rééducation spécifique de cette composante.

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Une nouvelle batterie de testsde compréhension orale en temps réelpour patients aphasiques 1

François Grosjean, Isabelle Racine et Jocelyne Buttet Sovilla

R é s u m é

La plupart des tests de compréhension orale utilisés avec des patients aphasiques évaluentle traitement du langage en différé. La réponse donnée est souvent réfléchie et stratégiqueet elle ne reflète pas toujours le niveau d’analyse désiré. Dans cet article, nous présentonsune nouvelle batterie de tests de compréhension orale en temps réel en français. Nousexposons tout d’abord les objectifs du projet ainsi que les principes de développement quisous-tendent l’élaboration de chaque test. Nous décrivons ensuite chacun des six tests quicomposent la batterie. Pour chaque épreuve, nous détaillons l’approche utilisée ainsi que lesrésultats obtenus avec des patients aphasiques et des sujets contrôles.

Mots-clés : aphasie, compréhension orale, temps réel, niveaux de traitement

A new battery of « on-line » speech comprehension tests for aphasicpatients

Abstract

In most standard tests used to assess language processing in aphasic patients, the res-ponse is temporally dissociated from the variable under study (off-line) and it does not the-refore always reflect the level of processing under investigation. In addition, because theresponse is often influenced by the context and the listener’s encyclopaedic knowledge, it isboth reflective and strategic. In this paper, we present a new battery of on-line speech com-prehension tests in French. We first outline the objectives of the project and discuss the gui-ding principles which underlie each test. We then describe the six tests which make up thebattery. After describing the approach used for each test, we present some preliminaryresults based on a population of aphasic patients and control subjects.

Key Wo r d s : aphasia, speech comprehension, real time, levels of processing.

1 Cette recherche a pu être entreprise grâce à deux subsides du Fonds national suisse de la recherche scienti-fique (32-37276.93 et 32-049196.96). Les auteurs tiennent à remercier les Professeurs L. Tyler, S. Blumsteinet A. Friederici pour leurs conseils pendant le projet, S. Luyet et S. Evard pour leur apport lors de l’élabora-tion des tests de discrimination acoustique et de reconnaissance du sens des mots, M. D. Varidel qui a réaliséles boîtes-réponses utilisées pour les tests, ainsi que le Professeur G. Assal qui a autorisé l’examen despatients aphasiques dans sa division. Toute correspondance peut être adressée à M. F. Grosjean ou MmeI. Racine, Laboratoire de traitement du langage et de la parole, Université de Neuchâtel, Avenue du Premier-Mars 26, CH-2000 Neuchâtel, Suisse.

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Bien qu’il soit possible de regrouper sous une même étiquette certainspatients souffrant d’aphasie en se basant sur des symptômes communs(aphasie de Broca, de Wernicke, de conduction, etc.), il reste toutefois

très probable que ces troubles observés « en surface » reflètent des perturbationsde mécanismes sous-jacents différents. C’est pourquoi diverses approches psy-cholinguistiques, utilisées depuis quelques années, ont donné une nouve l l edimension à l’étude de la compréhension orale de patients aphasiques en per-mettant de mieux cibler le niveau de traitement affecté.

Dans cet article, nous évoquerons tout d’abord la place privilégiée qu’oc-cupe l’étude de la compréhension orale dans les travaux de psycholinguistiqueet de neurolinguistique. Après avoir passé brièvement en revue les tests utilisésactuellement avec les patients aphasiques, tests qui évaluent presque unique-ment la compréhension en différé, nous décrirons l’approche dite en temps réel,dont l’utilisation de plus en plus fréquente permet de localiser à un niveau detraitement précis le déficit qui perturbe le processus normal de la compréhen-sion. Nous présenterons ensuite une nouvelle batterie de tests de compréhensionorale en temps réel en français destinée à l’examen de l’aphasie. Nous expose-rons les objectifs fixés ainsi que les principes de développement adoptés et nousdécrirons ensuite les six tests qui constituent la batterie complète. Pour chacund’entre eux, nous présenterons en détail la procédure utilisée ainsi que les résul-tats obtenus avec des sujets contrôles et des patients aphasiques.

◆ Les tests de compréhension orale

Comme l’ont souligné Grosjean et al. (1997), la compréhension oraleoccupe une position centrale en psycholinguistique et en neurolinguistique, à lafois au niveau des études accomplies et des modèles proposés (pour une vued’ensemble, voir Altmann et Shillcock, 1993 ; Clifton et al., 1994 ; Gernsba-cher, 1994). Les chercheurs se penchent à la fois sur les connaissances de l’au-

François GROSJEAN, Isabelle RACINEet Jocelyne BUTTET SOVILLA*Laboratoire de traitement du langage et dela paroleUniversité de NeuchâtelNeuchâtel, Suisse

* Division autonome de neuropsychologie,CHUV, Lausanne, Suisse

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diteur qui contribuent à la perception et la compréhension (connaissances lin-guistiques, contextuelles et encyclopédiques) et sur les niveaux de traitementqui permettent de passer de l’onde acoustique à la représentation interprétativeenrichie de l’énoncé. Parmi ceux-ci, citons les niveaux phonétique, lexical, syn-taxique, sémantique et pragmatique. Les quatre premiers niveaux sont souventqualifiés de niveaux intermédiaires alors que le dernier est perçu comme leniveau final (Tyler, 1992). Outre les travaux qui portent sur chacun de cesniveaux, les recherches se sont concentrées également sur les tâches expérimen-tales qui permettent d’étudier les opérations de traitement à l’intérieur et entreles niveaux, ainsi que sur l’architecture générale du système de compréhension,architecture modulaire (Forster, 1979 ; Fodor, 1983), interactive (Marslen-Wil-son et Tyler, 1987) ou connexionniste (McClelland et Elman, 1986 ; MacDonaldet al., 1994). Face à cette activité de recherche intense, il est important de fairele point sur les tests de compréhension orale utilisés avec des patients apha-siques.

La plupart des tests appartiennent à la catégorie dite en différée (off line).Parmi les tâches que les patients doivent effectuer, on trouve la discriminationde phonèmes, de syllabes ou de mots, la réponse par « oui/non » à des questionsqui portent sur le contexte et les connaissances sémantiques ou sur un texte pré-senté oralement, l’exécution d’ordres de complexité croissante, l’indicationd’images ou d’objets, le jugement de grammaticalité et d’acceptabilité, etc.(voir, parmi les batteries récentes, Nespoulous et al., 1992, pour le français;Caplan et Bub, 1992, et Kay, Lesser et Coltheart, 1992, pour l’anglais). Engénéral, les mesures utilisées dans ce genre de tests sont le pourcentage deréponses correctes ainsi que le nombre et la nature des erreurs.

Les tests en différé permettent de démontrer la présence d’un trouble dela compréhension orale chez le patient et apportent des renseignements sur lanature du déficit. Cependant, ils présentent également un certain nombre d’in-convénients qui ont été mis en évidence ces dernières années. Le premier, et leplus important, provient du fait qu’il existe un décalage temporel entre laréponse donnée par le sujet et la variable étudiée. En effet, plusieurs secondespeuvent s’écouler, par exemple, entre la présentation d’une phrase agrammati-cale et la réponse du sujet. Il est probable qu’à cause de ce délai, la réponse nereflète pas uniquement le niveau d’analyse désiré (ici, le niveau syntaxique)mais également d’autres niveaux (lexical, sémantique et pragmatique). Etantdonné que plusieurs niveaux ont influencé la réponse, il est difficile de savoir àquel niveau d’analyse précis se situe le problème. Un deuxième inconvénient dece type de test réside dans le fait que les mesures utilisées sont souvent tropexplicites et demandent une action stratégique et réfléchie de la part du sujet.

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Par exemple, lorsque l’on demande à un sujet d’effectuer un jugement de gram-maticalité de phrases, celui-ci met en route un processus spécifique qui n’estprobablement pas utilisé lors de la compréhension normale d’un énoncé (Schac-ter et al., 1988).

Depuis quelques années, et afin d’éviter ces problèmes, certains cher-cheurs (par exemple Blumstein, 1988, 1995 ; Tyler, 1992 ; Metz-Lutz, 1995) ontdéveloppé et utilisent des tests en temps réel (on line) avec des patients apha-siques. Cette nouvelle approche, déjà employée en psycholinguistique expéri-mentale, présente un réel intérêt. En effet, l’utilisation de tâches en temps réel,telles que l’amorçage intra- et inter-modal (Friederici et Kilborn, 1989 ; Swineyet Zurif, 1995), la décision lexicale sous contrainte temporelle (Blumstein et al.,1991 ; Faussart et al., 1997) et la détection d’unités linguistiques (phonèmes,syllabes, mots ; Baum, 1989 ; Tyler, 1992; Metz-Lutz et al., 1992) permet d’évi-ter un délai trop long entre la présentation du stimulus et la réponse donnée parle sujet. Ainsi, les mesures obtenues (temps de réaction, nombre et type d’er-reurs) permettent, en reflétant les représentations intermédiaires (phonétique,lexicale, syntaxique, sémantique), de mieux cibler le stade précis du processusde compréhension qui est affecté chez un patient souffrant d’aphasie. Un autreavantage de ce type de tâche réside dans le fait qu’elles sont relative m e n tsimples (ex. détection d’un mot dans une phrase) et qu’elles demandent desréponses moins explicites et stratégiques que celles des tâches en diff é r é .D’ailleurs, le sujet n’a souvent pas conscience du problème étudié car la tâchequ’il doit effectuer ne porte pas directement sur celui-ci.

Il en ressort qu’il est important d’avoir accès à la fois à la représentationfinale, à l’aide de tâches en différé, ainsi qu’aux représentations intermédiaires,grâce à des tâches en temps réel. C’est pourquoi l’utilisation de ces deux typesde tests est nécessaire à l’élaboration d’un profil complet de la compréhensionauditivo-verbale de chaque patient aphasique. En effet, les résultats obtenus parTyler (1992) sur l’anglais, et par Hester et al. (1995) sur le français, entre autres,montrent que les patients peuvent avoir un comportement très différent suivantle type de tests auxquels ils sont astreints. Un patient aphasique peut rencontrerdes difficultés au niveau de l’analyse intermédiaire (révélées par l’utilisation detâches en temps réel) mais celles-ci peuvent disparaître lorsque l’on teste lareprésentation finale à l’aide d’une tâche en différé. De même, l’inverse a puêtre démontré, à savoir l’absence de difficulté lors d’une tâche en temps réelmais la présence de celle-ci dans une tâche en différé.

Malgré le grand nombre d’études qui portent sur la compréhension oraleen temps réel de patients aphasiques, il n’existe pas encore de batterie de tests

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qui évalue systématiquement chaque niveau d’analyse de la compréhensionorale. De plus, la plupart des études portent sur l’anglais et une simple traduc-tion des tests anglais en français n’est pas envisageable étant donné que le fran-çais oral est caractérisé par un certain nombre de particularités phonétiques(liaison, enchaînement, élision), prosodiques (rythme syllabique, structure pho-nologique) et grammaticales (accord, marque du genre, etc.). C’est donc danscette optique que le Laboratoire de traitement du langage et de la parole (Uni-versité de Neuchâtel, Suisse) et la Division autonome de neuropsychologie duCentre hospitalier universitaire du Canton de Vaud (CHUV, Lausanne, Suisse)élaborent depuis quelques années une batterie de tests de compréhension oraleen temps réel, en français, pour patients aphasiques.

◆ La nouvelle batterie de tests

Quatre objectifs sous-tendent ce projet, rendu possible par l’octroi dedeux subsides du Fonds national suisse de la recherche scientifique (FNRS) :premièrement, obtenir un profil de la compréhension orale en temps réel chezles patients aphasiques ; deuxièmement, identifier les niveaux d’analyse affectéschez ces sujets ; troisièmement, compléter leur profil de compréhension oraleobtenu initialement à l’aide de tests en différé, et enfin, contribuer au dévelop-pement de tests en temps réel en utilisant des approches nouvelles et en tra-vaillant sur le français.

Une fois terminée, la batterie complète sera composée de six tests. Lepremier évalue l’analyse phonétique en utilisant une tâche de discrimination desyllabes dans une suite de syllabes sans signification. Les deux tests suivantsutilisent une tâche de décision lexicale et évaluent l’accès à la forme et au sensdes mots lors de l’analyse lexicale. Dans le test sur la forme, le sujet doit déci-der si un item lexical présenté dans une suite de mots est un mot ou un non-mot.Dans le test sur le sens, les sujets doivent à nouveau effectuer une décision lexi-cale mais, cette fois-ci, l’item sur lequel porte la décision est amorcé par un motrelié sémantiquement. Le quatrième test évalue le traitement morpho-syntaxiqueà l’aide d’une tâche de détection de mots alors que dans le cinquième test, c’estle niveau sémantique et pragmatique qui est examiné, également à l’aide d’unetâche de détection de mots. Le sixième et dernier test, en cours d’élaboration,évalue le traitement prosodique et son apport aux analyses syntaxique et séman-tique.

Le développement de ces différents tests est soumis à un certain nombrede principes. Premièrement, nous avons décidé de développer des épreuves uni-quement en modalité orale, afin qu’un trouble éventuel au niveau écrit chez les

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patients aphasiques ne vienne pas compromettre les résultats. Aucun élémentécrit ou visuel n’intervient donc dans les instructions, les stimuli ou lesréponses. Deuxièmement, nous faisons en sorte que les stimuli n’apparaissentjamais en isolé mais qu’ils soient intégrés dans de la parole continue afin deconserver, dans la mesure du possible, les caractéristiques naturelles du françaisoral (coarticulation, assimilation, enchaînement, liaison et élision). Troisième-ment, pour faciliter la tâche des patients aphasiques, nous nous assurons que ledébit des suites et des phrases n’est pas trop rapide tout en faisant attention à ceque les effets recherchés ne disparaissent pas chez les sujets contrôles. Quatriè-mement, nous faisons en sorte que les réponses demandées aux sujets soient à lafois simples et non verbales. En effet, nous n’exigeons aucune oralisation carcelle-ci, comme l’écrit, pourrait être perturbée chez certains patients. Les sujetsdoivent donc simplement appuyer sur une touche de temps de réaction avec lamain gauche 2. Cinquièmement, l’appareillage que nous utilisons est mobile afinque nous puissions tester des patients à domicile 3. Sixièmement, nous exigeonsque les effets testés soient présents, de manière individuelle, chez presque tousles contrôles. Cette contrainte importante nous oblige à développer des testsfiables. L’avantage de cette approche, différente de la plupart des autres étudesqui recherchent un effet de groupe, est qu’elle permet de s’assurer que l’absenced’un effet chez un patient aphasique est réellement due à un processus défaillantet non au fait qu’il se comporte comme un sujet contrôle qui ne montrerait pasl’effet. Enfin, pour chaque test, nous essayons d’obtenir plusieurs mesures diffé-rentes (temps de réaction, nombre et nature des erreurs) afin de tenter de mieuxcomprendre le déficit du patient. Il est évident que le respect de ces sept prin-cipes rend la tâche de construction, d’évaluation et de révision des tests particu-lièrement longue et ardue.

◆ Les six tests

Test 1 : Discrimination phonétique

L’objectif de ce test est d’évaluer le premier niveau de traitement de laparole, à savoir le niveau phonétique, qui permet à l’auditeur d’identifier lesunités segmentales présentes dans la suite sonore. Afin de nous assurer que lessujets ont maintenu la capacité d’effectuer une tâche de discrimination purementacoustique, le test est précédé d’un prétest composé de quarante-huit suites de

2 Dans tous les tests, nous demandons à tous les sujets droitiers d’appuyer avec la main gauche sur un boutonde la boîte-réponse afin que les patients aphasiques et hémiplégiques ne soient pas défavorisés.3 Pour une description précise de l’appareillage, voir Grosjean et al. (1997).

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huit sons purs. Chaque suite contient sept sons similaires (de 500 Hz ou de 1500Hz) et un son différent qui est soit proche des autres sons (différence de 15 à 50Hz) soit distant (différence de 50 à 105Hz). Par exemple, les sujets entendent unson à 515 Hz (proche) ou un son à 550 Hz (distant) dans une suite de sons à 500Hz et ils doivent appuyer sur une touche de la boîte-réponse dès qu’ils ontrepéré le son différent.

Quant au test de discrimination phonétique proprement dit, il se composede quarante suites de huit syllabes chacune, réparties en deux sections : vingtsuites de syllabes « consonne + /a/ » pour la section qui traite des consonnes, etvingt suites « /p/ + voyelle » pour celle qui concerne les voyelles. Chaque suitecontient sept syllabes identiques et une syllabe différente qui peut être soitproche des syllabes de la suite (différence d’un à trois traits distinctifs selon lagrille de Dell, 1985) soit distante (accroissement d’au moins quatre traits de dif-férence pour les consonnes et d’au moins deux traits pour les voyelles). Parexemple, la syllabe « cha » se retrouve dans une suite de syllabes « fa » prochesde trois traits (« fa-fa-fa-cha-fa-fa-fa-fa ») et dans une suite de syllabes « ma »distantes de sept traits (« ma-ma-ma-cha-ma-ma-ma-ma »). Comme dans le pré-test, les sujets doivent appuyer sur une touche de la boîte-réponse lorsqu’ils ontrepéré la syllabe différente. Les temps de réaction ainsi que le nombre et lanature des erreurs sont relevés.

A ce jour, 51 sujets contrôles, d’âge, de sexe et de niveau socio-écono-mique différents, ainsi que 36 patients aphasiques 4 ont passé le test de discrimi-nation phonétique. Pour l’ensemble des sujets contrôles, le temps moyen de dis-crimination est plus long pour les syllabes proches que pour les syllabesdistantes : 385 msec et 332 msec respectivement. Un test-t apparié unilatéral,effectué sur les résultats de chaque sujet, montre que cet effet de proximité (de53 msec en moyenne) est fiable car seuls 4 sujets ne le montrent pas. Sur les 47autres, 44 obtiennent un effet significatif (p<0.05) et 3 une tendance (p<0.14).Sur les 36 patients aphasiques, 16 obtiennent un effet significatif, 8 ont une ten-dance et 12 ne montrent pas l’effet. La proportion de patients aphasiques quimontrent un effet (au niveau strict de p<0.05) est donc sensiblement différentede celle des contrôles (44% par rapport à 86%) 5.

4 Les sujets aphasiques ont été sélectionnés sur la base des critères suivants : droitiers et francophones aveclésion hémisphérique gauche d’étiologie diverse (objectivée au moyen d’un CT-Scan cérébral) et pas de perteauditive supérieure à 50% (confirmé par un audiogramme tonal chez les patients de plus de 60 ans). De plus,ils ont tous été soumis à un examen neuropsychologique dans la Division autonome de neuropsychologie duCHUV (Lausanne, Suisse).5 Voir Buttet Sovilla et Grosjean (1997) pour une présentation de résultats individuels de patients aphasiquesdans ce test et dans ceux qui suivent.

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Test 2 : Reconnaissance de la forme des mots

L’objectif de ce deuxième test est d’évaluer l’accès à la forme des motslors de l’analyse lexicale. Pour examiner ce deuxième niveau de traitement,deux variables sont évaluées, la longueur et la fréquence. En ce qui concerne lalongueur, deux effets se manifestent normalement. Lorsque le temps de réactionest mesuré à partir du début du mot, et que les autres variables sont contrôlées(le point d’unicité, entre autres), un mot long prend plus de temps à être reconnuqu’un mot court. Cependant, lorsque l’on mesure le temps de réaction à partirde la fin du mot, on remarque un temps plus court pour un mot long. C’est cedeuxième phénomène qui est étudié dans ce test. Quant à la fréquence, il estbien connu qu’un mot fréquent prend moins de temps à être reconnu qu’un motrare.

Le test se compose de 12 mots de haute fréquence (ex. « table » ,« femme ») et 12 mots de basse fréquence (ex. « narcisse », « grelot »), 12 motsmonosyllabiques et 12 mots bisyllabiques. A ces stimuli, nous avons ajouté unnombre égal de non-mots (logatomes) mono- et bisyllabiques. Ces mots et cesnon-mots sont intégrés dans des suites de cinq mots n’ayant aucune relationsémantique entre eux. Les mots-test se situent toujours en troisième position etsont précédés d’un bip sonore afin que le sujet puisse identifier l’élément surlequel il doit effectuer une décision lexicale. Les sujets doivent décider si lemot-test est un mot qui existe en français ou s’il s’agit d’un mot inventé (loga-tome). Ils doivent appuyer sur la touche de la boîte-réponse uniquement s’ils’agit d’un mot ; dans le cas contraire, ils ne doivent rien faire.

Actuellement, 58 sujets contrôles, d’âge, de sexe et de niveau socio-éco-nomique différents, ainsi que 40 patients aphasiques ont passé l’expérience. Ence qui concerne le sous-test de longueur, les temps moyens obtenus par lessujets contrôles pour les mots monosyllabiques et les mots bisyllabiques, mesu-rés à partir de la fin du mot, sont de 283 msec et 128 msec respectivement. Untest-t non apparié unilatéral montre que cet effet (de 155 msec en moyenne) estsignificatif chez 55 sujets contrôles (p<0.05), les trois autres montrant une ten-dance (p<0.14). Cela confirme que les mots courts, moins redondants que lesmots longs, prennent plus de temps à être reconnus lorsque l’on mesure le tempsde réaction à partir de la fin du mot. En ce qui concerne les 40 patients apha-siques, 24 montrent un effet, 8 une tendance alors que 8 ne montrent aucune ffet. La proportion des patients aphasiques affichant un effet signifi c a t i f(p<0.05) est donc bien en deçà de celle des contrôles (60% par rapport à 95%).

Pour ce qui est du sous-test de fréquence, les temps moyens obtenus parles sujets contrôles, pour les mots de haute fréquence et de basse fréquence,

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mesurés à partir de la fin du mot, sont de 144 msec et de 319 msec respective-ment. Un test-t non apparié unilatéral, effectué sur les résultats de chaque sujet,montre que cet effet de fréquence (de 175 msec en moyenne) est significatifchez 56 sujets (p<0.05) alors que 2 montrent une tendance (p<0.14). Sur l’en-semble des patients aphasiques testés (n=40), 27 montrent un effet de fréquence,4 une tendance et 9 ne montrent aucun effet. La proportion de sujets qui obtien-nent un effet (p<0.05) est donc à nouveau plus grande chez les contrôles quechez les aphasiques (97% et 68% respectivement).

Test 3 : Reconnaissance du sens des mots

L’objectif de ce test est de déterminer si les liens sémantiques entre lesmots sont toujours présents et disponibles chez les patients aphasiques. Pourcela, nous avons développé un test de reconnaissance pour évaluer le liensémantique (et non associatif) entre deux mots. En effet, le lien sémantique estbasé sur le sens des mots uniquement alors que le lien associatif, selon Fischler(1977), peut être interprété non seulement en termes de propriétés sémantiquesdes mots mais également en termes « d’accidents de contiguïté ». Il est doncpossible que l’effet facilitateur observé dans un test qui comprend des associa-tions soit le résultat de liens basés sur des habitudes de parole plutôt que sur lelien sémantique entre les deux mots.

Le test est constitué de 48 paires de deux mots. Dans la moitié des paires,les mots sont reliés sémantiquement entre eux (ex. « cheval-poulain ») et dansl’autre moitié, il n’y a aucun lien entre les deux mots de la paire (ex. « moteur-citron »). A ces 48 paires, nous avons ajouté 8 paires dans lesquelles le mot-cible est un non-mot (logatome). Les mots-amorces (premiers éléments dechaque paire) ainsi que le signal « série suivante », qui apparaît entre les paires,ont été enregistrés par la même locutrice française (accent standard) que pourles autres tests de la batterie. En revanche, les mots-cibles ont été enregistrés parune voix masculine afin de permettre aux sujets de savoir sur quel mot ilsdevaient effectuer une décision lexicale. Comme dans le test précédent, ondemande aux sujets de décider si le mot-test est un mot qui existe en français ouun mot inventé (logatome). Ils ne doivent appuyer sur la touche de la boîte-réponse que s’il s’agit d’un mot ; dans le cas contraire, ils ne font rien.

A ce jour, 36 sujets contrôles, d’âge, de sexe et de niveau socio-écono-mique différents ont été testés. Seuls 5 patients aphasiques ont passé l’expé-rience pour l’instant. Pour l’ensemble des sujets contrôles, le temps moyen pourles paires reliées est de 566 msec alors qu’il est de 646 msec pour les pairesnon-reliées. Un test-t apparié unilatéral, effectué sur les résultats de chaquesujet, montre que cet effet de lien sémantique (de 80 msec en moyenne) est

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fiable car seuls 2 sujets ne le montrent pas. Sur les 34 autres, 31 obtiennent uneffet significatif (p<0.05) et 3 une tendance (p<0.14). En ce qui concerne les 5patients aphasiques testés, 1 seul montre un effet significatif alors que les 4autres ne le montrent pas. La proportion de patients qui montrent un effet auniveau strict (p<0.05) est donc bien en deçà de celle des contrôles (20 % parrapport à 86 %) mais ceci reste à confirmer avec plus de patients.

Test 4 : Traitement morpho-syntaxique

Le quatrième test de la batterie a pour objectif d’évaluer le traitementmorpho-syntaxique à l’aide d’une tâche de détection de mots. Pour cela, deuxcatégories différentes de variables sont testées : omission de lexèmes grammati-caux et emploi erroné de ce même type de lexème.

Dans ce test, nous utilisons 32 mots-cibles, mono- et bisyllabiques, fré-quents et concrets, insérés dans des phrases-tests d’une longueur maximale de17 syllabes. Chacune d’entre elles a deux versions, une grammaticale et uneagrammaticale qui comporte une erreur morpho-syntaxique. Ces anomalies sedivisent en deux catégories : omission de lexèmes grammaticaux (16 phrases) etemploi erroné de lexèmes grammaticaux (16 phrases également). Dans la pre-mière catégorie, il s’agit de l’absence de la préposition (ex. « Le représentant avoyagé TRAIN jeudi dernier » 6) ou de l’article contracté (du = de le) (ex. « Elles’est approchée BAIN brûlant pour y faire couler de l’eau froide »). Dans ladeuxième catégorie, il s’agit d’erreurs de l’accord du pronom relatif (ex. « Labrebis que BONDIT par-dessus la barrière s’échappe souvent »), du genre del’article et de l’adjectif (ex. « Le dimanche, la dernière TROLLEY démarre àminuit du centre ville »), du nombre et de la personne du pronom personnel (ex.« En automne, elle TRIONS les habits d’été avant de les ranger. ») ainsi que del’ordre des mots dans le syntagme nominal (ex. « La fillette essayait une grossetrop CLE pour ouvrir la serrure »). Les sujets doivent appuyer sur le bouton dela boîte-réponse dès qu’ils ont repéré, dans la phrase, le mot-cible (présenté autout début de celle-ci).

Actuellement, 42 sujets-contrôles, d’âge, de sexe et de niveau socio-écono-mique différents, ainsi que 11 patients aphasiques ont passé l’expérience. Letemps moyen obtenu par l’ensemble des sujets contrôles pour les phrases gram-maticales est de 281 msec alors qu’il est de 381 msec pour les phrases agrammati-cales. Un test-t apparié unilatéral, effectué sur les résultats de chaque sujet, montreque cet effet (de 100 msec en moyenne) est significatif chez 41 sujets-contrôles

6 Le mot-cible est indiqué en majuscules.

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(p<0.05). Seul 1 sujet ne montre qu’une tendance (p<0.14). En ce qui concerne les11 patients aphasiques, 6 obtiennent un effet significatif alors que 5 ne le montrentpas. Comme dans les tests précédents, la proportion de patients aphasiques mon-trant un effet est plus faible que celle des contrôles (55% contre 98 % ) .

Test 5 : Traitement sémantico-pragmatique

Le cinquième test a pour objectif d’évaluer le traitement sémantique etpragmatique. Pour examiner ce niveau de traitement, deux variables sont éva-luées, la congruence sémantique et la congruence contextuelle qui fait appel àdes connaissances à la fois sémantiques et pragmatiques.

Dans ce test, nous utilisons 24 mots-cibles, mono- et bisyllabiques, fré-quents et concrets, insérés dans des phrases-tests d’une longueur maximale de26 syllabes. Chacune d’entre elles a deux versions, une correcte et une incor-recte qui comporte une anomalie sémantique (dans la première partie du test) etsémantico-pragmatique (dans la deuxième moitié du test). Les erreurs séman-tiques de la première partie se situent entre le verbe à l’infinitif et le complé-ment d’objet direct et sont constituées par la violation d’un ou plusieurs desquatre traits sémantiques définis par Chomsky (1965) : +/-Humain, +/-Animé,+/-Abstrait et +/-Liquide (ex. « Ce soir, il faudra relire le CAFE dans le petitsalon » 7). Dans la deuxième partie du test, les anomalies sémantico-pragma-tiques sont représentées par la violation de la congruence contextuelle entredeux propositions reliées par « et » (ex. « Jean fait la sieste chaque jour et il uti-lise du SAPIN la plupart du temps »). Comme dans le test précédent, les sujetsdoivent appuyer sur le bouton de la boîte-réponse dès qu’ils ont repéré, dans laphrase, le mot-cible qui est présenté au tout début de celle-ci.

Ce test est en cours d’évaluation mais 17 sujets-contrôles, d’âge, de sexeet de niveau socio-économique différents, ont déjà été testés. Les temps moyenspour les phrases correctes et incorrectes sont de 354 msec et de 420 msec res-pectivement. Un test-t apparié unilatéral, effectué sur les résultats de chaquesujet, montre que cet effet (de 66 msec en moyenne) est significatif chez 14sujets contrôles (p<0.05) alors que 2 ne montrent qu’une tendance et 1 seuln’obtient pas l’effet. La proportion de sujets contrôles qui montrent l’eff e t(82 %) est donc semblable à celle des autres tests.

Test 6 : Traitement prosodique

Le dernier test de la batterie, actuellement en cours d’élaboration, a pourobjectif d’évaluer le traitement prosodique et son apport aux analyses syn-

7 Le mot-cible est indiqué en majuscules.

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taxique et sémantique. Il est divisé en deux sous-tests. Le premier évalue la dis-crimination prosodique d’énoncés déclaratifs, interrogatifs et exclamatifs. Il secompose de 24 paires de phrases sémantiquement et prosodiquement identiques(ex. « A gauche » - « A gauche »), de 48 paires de phrases sémantiquementidentiques mais dont l’intonation diffère (ex. « A gauche ? » - « A gauche ») etde 24 paires de phrases de remplissage sémantiquement différentes mais dontl’intonation est identique (ex. « A gauche ! » - « A droite ! »). Les sujets doiventappuyer sur un bouton de la boîte-réponse lorsque les mots de la phrase sontidentiques. Le deuxième sous-test évalue la fonction segmentale de la prosodie.Dix-huit mots-cibles, adjectifs mono- et bisyllabiques, sont insérés entre deuxsubstantifs. Chaque suite possède deux versions prosodiques : ((Nom + Adj.) +Nom) ou (Nom + (Adj. + Nom)) (ex. « robe LONGUE ... route » / « robe ...LONGUE route » 8). Comme dans les tests 4 et 5, les sujets doivent appuyer surle bouton de la boîte-réponse dès qu’ils ont repéré, dans la suite, le mot-ciblequi est présenté au tout début de celle-ci.

Etant donné que ces deux sous-tests sont en cours d’élaboration, ils n’ontpour l’instant pas encore été soumis à des sujets contrôles. Néanmoins, lesrésultats attendus sont les suivants : dans le premier, les temps de réactiondevraient être plus lents lorsque l’intonation des énoncés sémantiquement iden-tiques est différente. Dans le deuxième, les sujets devraient mettre moins detemps à retrouver le mot-cible lorsqu’il est situé en fin de groupe prosodique(ex. « robe LONGUE ... route ») que lorsqu’il se trouve à l’intérieur de celui-ci(ex. « robe ... LONGUE route »).

◆ ConclusionAfin d’évaluer la compréhension orale de patients souffrant d’aphasie, il

est important d’utiliser à la fois des tests en différé et des tests en temps réel carles résultats obtenus dans les deux cas reflètent des processus et des niveauxd’analyse différents et devraient permettre d’observer d’éventuelles dissocia-tions pouvant déboucher, notamment, sur des propositions thérapeutiques diffé-renciées. Pour l’instant, nous n’avons à disposition que des résultats partielsmais nous allons poursuivre la récolte de données afin de voir s’il est possiblede dégager des sous-groupes, en fonction d’une pathologie spécifique, parexemple, soit pour un même test, soit pour l’ensemble des tests. En dévelop-pant une nouvelle batterie de tests en temps réel spécifique au français, nousespérons contribuer à obtenir un meilleur profil des capacités de compréhension

8 Le mot-cible est indiqué en majuscules.

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orale de chaque patient d’une part, et à tenter de mettre en évidence des patronscaractéristiques de certains syndromes aphasiques d’autre part. Lorsque la batte-rie sera terminée et évaluée, ce qui sera le cas d’ici un an environ, elle sera miseà la disposition des centres qui désireront s’en servir.

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Rééducation des troubles de la compréhensionde la phrase

Marie-Anne van der Kaa - Delvenne, A. Schwab

R é s u m éLes principales contributions à la rééducation de la compréhension de phrases sontdécrites, après un rappel rapide du modèle de la compréhension de Saffran et al., (1992).Les différentes rééducations sont détaillées, en particulier, celles concernant le mapping(Jones, Byng, Nickels et Marshall). Une de ces thérapies fut répliquée dans notre unité, nousen rapportons les résultats et nous les discutons.

Même si nous ne comprenons pas encore très bien le fonctionnement du mapping, même sinotre compréhension de l’influence de la rééducation sur le système psycholinguistique doitencore progresser, ces thérapies ciblées s’avèrent efficaces.

Mots-clés : aphasie, agrammatisme, rééducation du mapping, rééducation de la compré-hension de phrases.

Remediation therapy for sentence comprehension deficits

AbstractAfter a brief outline of Saffran et al.’s (1992) model of comprehension, we review the maincontributions to the remediation of sentence comprehension deficits. We describe the «modular treatment » approach to remediation, particularly « mapping therapies » (Jones,Byng, Nickels and Marshall). One of these therapeutic modalities was applied on our unit,and we report and discuss the results of this experiment.

Although we do not fully understand how mapping operates and need to improve ourunderstanding of the way this type of therapy influences the psycholinguistic system, thesehighly focused therapies seem to be efficient.

Key Wo r d s : aphasia, agrammatism, mapping therapy, sentence comprehension therapy.

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L a compréhension de phrases nécessite de nombreuses interactions entreplusieurs sources d’information : les informations lexico-phonologiques,les informations morpho-syntaxiques, les informations sémantiques et

les connaissances générales que nous avons du monde. La diversité des faitsobservés ne nous permet plus de parler de l’agrammatisme, mais bien des mani-festations de l’agrammatisme. Celui-ci n’étant plus conçu comme un syndromeunique sous-tendu par un déficit unique, il est nécessaire de situer le niveau dudéficit avant d’en entreprendre la thérapie. C’est pourquoi nous rappelleronsrapidement une modélisation de la compréhension de phrases selon Saffran,Schwartz et al. (1992) avant de décrire quelques approches thérapeutiques, sans,pour autant, avoir la prétention de résoudre toutes les questions théoriquesencore en suspens.

◆ Modélisation de la compréhension de phrasesfont suite aux traitements acoustique et phonologique :

1. L’analyse prosodique et phonologique. La forme prosodique desphrases contient des informations qui nous renseignent sur l’importance deséléments de cette phrase. La représentation phonologique des verbes contient,en outre, des informations sur les arguments qui peuvent être attendus avec ceverbe. Par exemple : dans la phrase « il verse du lait dans la tasse », la formephonologique de « verser » contient l’information que le verbe peut être suivipar deux éléments prosodiques dont le second contient une préposition. Si cetteinformation est absente, il sera impossible d’isoler les arguments « lait » et« tasse », et de réaliser, ensuite, l’analyse thématique de la phrase. Donc, mêmesi elles ne sont pas suffisantes, ces informations sont nécessaires à la compré-hension des phrases. Théoriquement, d’importantes caractéristiques syn-taxiques, comme l’information sur la classe des mots, le découpage en proposi-tions ou en phrases sont marquées de manière prosodique.

Marie-Anne van der KAA - DELVENNE,A. SCHWABLogopèdesUnité de revalidation neuropsychologique Service de NeurochirurgieC.H.U. Sart-Tilman B 4000 Liège

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2. L’analyse syntaxique, des séquences à l’entrée, détermine les rôlesgrammaticaux des substantifs contenus dans la phrase (sujet, objet).

3. La récupération des informations spécifiques au verbe et l’assigna-tion d’un rôle thématique à chaque syntagme : cette récupération permettrade décider quels arguments du verbe correspondent à quels rôles thématiques :

3.1. L’accès lexical : L’information sémantique du verbe contient desévénements précis, par exemple : « boire » veut dire « ingurgiter un liquide ».Cette information impose des restrictions à la sélection des arguments (on nepeut boire du pain !). L’information sémantique conjuguée aux restrictions desélection des arguments spécifie deux types d’information :

1) : les informations thématiques précisent les participants à l’événementet le rôle qu’ils y jouent (« donne » entraîne une source - le donneur - , un thème- l’objet donné - , et un but - celui qui reçoit -).

2) : les informations sous-catégorielles spécifient le contexte dans lequelle verbe apparaît, par exemple : tuer + un nom, mourir + / -, ou envoyer à, rece-voir de.

Selon Berndt et al. (1997) cet accès au niveau lexical abstrait (et non pho-nologique) est absolument requis pour encoder ou décoder les informationssémantiques et syntaxiques nécessaires à la compréhension (comme à la produc-tion) de phrases.

3.2. L’assignation des rôles thématiques à la syntaxe est spécifiée dansl’entrée lexicale des verbes. L’information activée est connectée aux positionsstructurales définies à l’intérieur de la représentation syntaxique de la phrase.Cette mise en relation est appelée le « Mapping ».

4. L’intégration de ces deux formes d’information permet d’accéder àla compréhension de la phrase. L’assignation des informations extraites del’analyse syntaxique aux différents rôles impliqués dans la phrase permet decomprendre le message. On arrive à une représentation sémantique complète dela phrase ainsi qu’à la nature précise de l’événement et l’identité précise des dif-férents participants.

Pour comprendre la phrase, « Le chat poursuit le chien », il faut donc :

1. décoder la structure phonologique et mélodique : /l Ò ʃ ɑ p u r s w i l Ò ʃ je/ .2. décoder la structure syntaxique : SN +V +SN.3. récupérer l’information lexico-sémantique contenue dans chaque syn-

tagme et principalement celle contenue dans le verbe (ici : « courir derrière »).Cette information permet d’attribuer les rôles thématiques, de décider qui estl’agent (l’investigateur) et qui est le patient (celui sur lequel porte l’action).

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4 . intégrer les deux informations : la structure syntaxique et l’informa-tion sémantique.

◆ La rééducation

J. Marshall (1995) et M. Schwartz (1995) proposent des revues de ques-tions concernant les différentes thérapies de l’agrammatisme. Elles peuvent por-ter sur chaque étape de la construction de la phrase :

■ Le niveau prosodique et phonologique.■ Le niveau grammatical : • les déficits morpho-syntaxiques

• la mémoire de travail• le traitement en temps réel

■ Le mapping : • l’accès lexico-sémantique• l’attribution des rôles thématiques

1. Le niveau phonologique

1.1. la prosodie : Spark et al. (1974) proposent de traiter l’agrammatismepar la « Melodic Intonation Therapy ». Cette technique repose sur l’accentua-tion des mots fonctionnels et des flexions morphologiques pour forcer leur trai-tement (pour plus d’information sur la technique, voir les auteurs). La tendanceactuelle est d’utiliser la M.I.T. dans le but plus large de réapprendre le contourmélodique de la phrase et de ses diverses propositions.

1.2. la phonologie : La rééducation que Marshall (1998) met sur piedpour EM est la seule qui s’adresse spécifiquement à la forme phonologique desverbes. EM avait un déficit d’accès à l’output phonologique des verbes sansavoir, semble-t-il, de déficit au niveau du transfert de l’information entre l’inputphonologique et le système sémantique, encore que certains déficits de compré-hension peuvent passer inaperçus grâce à la redondance des informations conte-nues dans les phrases. Quoi qu’il en soit, la thérapie porte sur la compréhension.Elle associe la forme phonologique du verbe avec sa signification : lecture àhaute voix avec traitement sémantique, association verbe - jugement séman-tique, recherche d’intrus sémantiques. La thérapie de EM porte sur 35 verbesrépartis en cinq catégories sémantiques.

- Les résultats de EM, en production, s’améliorent tant sur la liste deverbes travaillés que sur la liste contrôle qui comprenait des verbes de mêmecatégorie sémantique. EM s’améliore également pour la production des phrasescomprenant ces verbes.

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2. Le niveau grammatical

2.1. le niveau syntaxique ou les déficits morpho-syntaxiques.

A. - Approche classique : la rééducation classique des troubles agramma-tiques s’adresse à la fois à la compréhension et à l’expression, elle est basée surun entraînement hiérarchisé des mots dans la phrase :

■ l’apprentissage des mots isolés,■ le traitement des locutions et des phrases S V O,■ le traitement de phrases plus élaborées.

Parallèlement au traitement des phrases, on enseigne les flexions, lesmots fonctionnels, la concordance des temps, les mots-fonctions (prépositions,auxiliaires et déterminants).

B. - H.E.L.P.S.S. - Helm Elicited Language Program for Syntax Stimula-tion (Helm Estabrooks et Ramsberger, 1986). Les auteurs partent de l’hypothèseque la réduction syntaxique de la compréhension et de l’expression est due à undéficit d’accès aux représentations syntaxiques plutôt qu’à leur perte. Ils propo-sent donc une stimulation de ces représentations par des exercices de répétition.Le programme est composé de phrases et d’histoires à compléter. Onze types dephrases sont soumis à entraînement. La thérapie se déroule en deux phases :- le patient répète la phrase après un délai, « La dent est arrachée ». Ensuite, ilcomplète une histoire avec la phrase qu’il a répétée auparavant : « Sa dent étaittrop gâtée, elle ne pouvait être plombée, la pince était stérilisée et la dent a étéarrachée, que s’est-il passé ? », réponse attendue : « La dent est arrachée ».

Ces thérapies syntaxiques donnent des résultats, mais uniquement sur lesphrases entraînées et sur quelques phrases stylisées, avec peu ou pas de transferten langage spontané. Une explication peut être qu’elles se fondent sur des des-criptions de la construction des phrases : elles sont des progressions hiérarchi-sées du mot vers la phrase comme si les phrases découlaient des mots, commeun collier n’existe que par les perles qui le composent. Or nous savons que cen’est pas le cas, les phrases sont le résultat de nombreuses interactions entre lasémantique, la phonologie, la syntaxe et la pragmatique. Les thérapies syn-taxiques traditionnelles se justifient donc peu. La revalidation des patientsagrammatiques doit plutôt s’orienter vers le rétablissement des connexions entrela structure des phrases et la pensée.

2.2. La mémoire de travail

Dans l’éventualité où le déficit de compréhension syntaxique seraitengendré par un déficit de mémoire de travail, seul un abord spécifique de la

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mémoire de travail est susceptible d’améliorer les performances du patient [voirVan Der Linden et Coyette (1991)].

2.3. Les capacités de traitement en temps réel

Actuellement, les travaux sont en cours. Il n’existe, à ce jour, aucune théra-pie qui se focaliserait sur le traitement en temps réel des structures syntaxiques.

3- Le niveau du mapping

Même au niveau du mapping, la thérapie doit être spécifique :

3.1. Le niveau lexical

Le déficit de compréhension peut être engendré par un déficit d’accèslexical aux verbes, ou aux rôles thématiques qu’ils comprennent. Il est cepen-dant, parfois, bien difficile de faire la différence entre une rééducation lexicaleet une rééducation portant sur l’attribution des rôles thématiques, car elles por-tent bien souvent sur les deux. La thérapie visera à rétablir soit la trace lexicaledes verbes, soit l’accès à l’information contenue dans les verbes.

A.- Rétablissement de la trace lexicale :

Il s’agira de réapprendre l’étiquette lexicale du verbe en y associantl’image du verbe ou bien sa définition.

• « Dictionary therapy » (Byng, 1988)

Comme son nom l’indique, cette thérapie restaure des entrées lexicales enrétablissant les connexions avec leur signification : la tâche consiste àdonner au patient une liste de synonymes et à lui demander d’associer unmot avec le bon item en se servant du dictionnaire, en confrontant bientoutes les significations des mots. Les résultats sont bons, stables, mais ilssont « item-spécifiques » pour les verbes traités, sans généralisation àd’autres verbes. Ce résultat était attendu puisqu’il s’agissait d’une tâchelexicale, et qu’une seule étiquette lexicale correspond à un certain réseaude données sémantiques, et inversement.

• « Picture Word Matching Therapy », P.W.M. (Byng, 1988). Cette thé-rapie est basée sur l’apprentissage d’associations entre un mot et uneimage au choix parmi des distracteurs. Les résultats sont éga l e m e n tdurables, mais, ici, ils ne sont pas seulement « item-spécifiques », maisaussi spécifiques à la tâche. L’absence totale de généralisation, dans cecas, peut s’expliquer par le fait que des appariements mots - images peu-vent se réaliser sur la base d’une connaissance partielle de la significationdes mots, qui n’est pas suffisante dans toutes les situations.

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B.- Restauration de l’accès aux informations contenues dans les verbes

• Compréhension des prépositions spatiales (Byng, 1988)Le patient BRB comprend mal les phrases locatives, réversibles ou non,

et les phrases passives. Il commet en outre des erreurs sur les phrases déclara-tives simples. Par contre, son accès lexical aux verbes est relativement préservé.Byng déduit qu’il a perdu soit une partie de l’information thématique incluedans les verbes, soit l’accès à cette information. Il ne peut alors réaliser le map-ping nécessaire à la compréhension de phrases réversibles.

- La thérapie : Elle aura pour but, avoué au départ par BYNG elle-même,d’améliorer les capacités de mapping de BRB. Elle est conçue pour qu’il puissetravailler seul à domicile. L’objet de la thérapie est de restaurer la compréhen-sion de phrases écrites de type /NP/+/est/+/préposition/+/NP/ (par exemple : « larobe est dans l’armoire » ). L’entraînement porte sur 4 prépositions spatiales,chacune dans 5 phrases différentes. Aucune n’avait été réussie au pré-test.

- La méthodologie : La sélection inclut des prépositions spatiales, maispas leur contraire (« avant », et pas « après ») ; ainsi, si BRB sait que l’une est lecontraire de l’autre, la généralisation sera maximale. A aucun moment, lepatient ne produit de phrase.

■ Première étape : on présente à BRB une carte qui explique le sens dela préposition par un diagramme qui explicite les relations entre les 2éléments de la phrase, et qui contient aussi la phrase elle-même( figure 1).Le 1 écrit en rouge et le 2 écrit en bleu indiquent à BRB que le premiersyntagme rencontré dans la phrase est situé dans le deuxième.

■ Deuxième étape : ce sont les cartes d’application. Les phrases sont pré-sentées avec deux images. Les phrases sont écrites en couleur (commeest coloriée la carte d’aide), les dessins le sont également. Ainsi, BRBpeut se rendre compte qu’il se trompe si les différents éléments ne sontpas de la même couleur dans la phrase et sur le dessin. Il trouve ainsi lechemin pour interpréter la phrase et peut apprécier lui-même ses pro-grès.

■ Troisième étape : elle comprend les cartes test. Les phrases sont iden-tiques à celles de la phase d’application, mais elles sont écrites en noir,et les dessins sont toujours en couleurs. BRB doit associer les 2, puis ildoit vérifier sa réponse à l’aide des phrases en couleurs.

- Résultats : BRB s’améliorera partout, il ne fera plus aucune erreur dans2 conditions : les rôles inverses et la condition de distracteurs spatiaux. Il sub-sistera cependant des difficultés portant sur les phrases passives.

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La rapidité de la récupération et la généralisation des acquis à tous typesde phrases, canoniques ou non canoniques (pas parfaites pour les passive scependant), indiquent que BRB avait gardé des connaissances sur les procéduresde mapping, mais qu’il ne les utilisait pas. L’entraînement n’aurait donc pasréinstallé des procédures de mapping, mais aurait permis de réaccéder à des pro-cédures existantes. Une autre hypothèse serait que BRB n’avait plus accès à latotalité des informations lexicales contenues dans les verbes, comme le patientJB de Marshall, plus particulièrement les indices locatifs ou de mouvement (parexemple, dans « vendre » le mouvement se fait vers l’extérieur de l’agent, etdans « acheter », le mouvement se fait vers l’agent). L’entraînement à l’extrac-tion obligatoire des données de mouvement lui a permis de généraliser cettedémarche, et il pouvait ensuite appliquer les procédures d’attributions des rôlesthématiques restées intactes.

Nous pensons, en tout cas, qu’il ne s’agit pas, ici, d’un réapprentissage duMapping.

Nous avons, nous-mêmes, répliqué cette thérapie avec une patiente, AV.En 1995, à l’âge de 44 ans, AV est victime d’un accident vasculaire céré-

bral. Le premier examen du langage mettait en évidence une aphasie globale

Figure 1.Carte d’aide pour la préposition « dans » d’après Byng (1988)

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avec un déficit majeur d’incitation et d’évocation verbales accompagné d’undéficit de compréhension dans toutes les modalités. Différentes thérapies ont étémenées : accès lexical, accès à l’output phonologique, mémoire de trava i l .L’évolution s’est faite vers un langage très réduit et un agrammatisme.

L’examen de l’agrammatisme en compréhension réalisé en février 1997mettait particulièrement en évidence un déficit d’accès aux rôles thématiques età leurs assignations, donc un déficit de mapping.

• Mémoire à court terme :- empans de chiffres : 3 ; empans de motscourts : 2

• Analyse syntaxique (conscience syntaxique portant sur des phrases) :26/36 (seulement 2 erre u rs pouvant re l ever d’une difficulté d’analyse syn-taxique, les autres relèvent du déficit de mémoire de travail).

• Mapping : ■ Accès lexical : dénomination de verbes : 37/47 (aucun des verbes non

dénommés ne fait partie du Verb Vidéo Test, ni du matériel de rééducation).■ Procédures d’attribution de rôles sans analyse grammaticale : Verb

Video Test : 26/30. Les 4 erreurs portent sur les rôles inverses et les directionsopposées.

■ Procédures d’attribution de rôles avec analyse grammaticale : 32/56(figure 2).

Actives Actives Passivescanoniques déplacement

Pré Post Pré Post Pré Posttest test test test test test

Actives-passives réversibles(Jones, 1984) 6/8 4/8 6/8 5/8 3/8 5/8

Actives-passives réversibles(Schwartz, 1980) 5/8 6/8 3/8 2/8

Locatives réversibles(Schwartz, 1980) 9/16 8/16

Figure 2Résultats de AV aux pré et post tests

Procédures d’attribution de rôles avec analyse grammaticale

En conclusion, outre un déficit très important de la mémoire de travail etd’accès lexical à certains verbes, les déficits principaux de A.V. orientent le dia-gnostic vers un déficit de mapping : extraction et attribution des rôles théma-tiques. Nous avons donc décidé d’appliquer la thérapie de BYNG (1988) portant

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sur la compréhension de locatives réversibles. Nous avons suivi la même métho-dologie et avons construit un matériel spécifique. Par des manipulationssimples, nous nous sommes assurées que AV avait bien l’accès lexical aux 4prépositions sélectionnées, c’est à dire : DANS, DEVANT, EN DESSOUS, AGAUCHE

La rééducation s’est déroulée selon la méthodologie de Byng, et commesuit:

Dans : 7 séances + 2 vérificationsDevant : 3 séances + 2 vérificationsEn dessous : 5 séances + 2 vérificationsA gauche : 2 séances + 2 vérifications

Lorsque la patiente avait atteint un score de 100%, nous lui retirions lematériel et nous vérifions la constance de ses résultats lors des 2 séances sui-vantes. Comme ligne de base, au départ et après avoir travaillé chaque préposi-tion, nous avons administré l’épreuve de Schwartz (1980) (figure 3).

A L’INT.

A L’EXT.

DEVANT

DERR.

SUR

SOUS

GAUCHE

DROITE

TOTAL

LB10/2DI DANS

2/2

1/2DL

1/2DL

2/2

0/2DI

2/2I

1/2DI

9/16

LB34/4

0/4DI3DL1

4/4

2/4DI

4/4

1/4DI

1/4DI

2/4DI

18/32

LB41/4DI

4/4

2/4DL

0/4DI2DL2

4/4

0/4DI

3/4DI

3/4DI

17/32

2/2

LB2

1/2DI

2/2DEVANT

0/2DIDL

2/2

0/2DI

2/2

0/2DI

9/16

ENDESSOUS

LB50/4DI

3/4DI

1/4DI2DL

0/4DI2DL2

3/4DL

1/4DI

1/4DI

2/4DI

11/32

LB60/2DI

1/2DI

1/2DI

0/2/DI

2/2

1/2DI

1/2DI

2/2

8/16

AGAUCHE

Figure 3Evolution des lignes de base de AV durant la rééducation

Les prépositions sont indiquées au moment où elles sont travaillées.

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Résultats : L’apprentissage terminé, et trois semaines plus tard, nousavons représenté la ligne de base telle qu’elle avait été conçue au départ (LB 6).Ensuite, dans un deuxième temps, nous avons proposé les mêmes planches maisen utilisant l’étiquette lexicale travaillée en rééducation (LB6 bis) : (« dans »pour « à l’intérieur », « hors » pour « à l’extérieur », « en dessous » pour« sous », « au dessus » pour « sur »). Les résultats obtenus sont comparables :

LB 6 LB 6 bis

8/16 10/18

Par ailleurs, nous avons représenté, à distance, l’ensemble du matériel derééducation pour vérifier si les résultats se maintenaient. Nous avons d’une part uti-lisé les prépositions telles qu’elles avaient été travaillées en rééducation et d’autrepart telles qu’elles figurent dans la ligne de base (rappelons que nous ne passionsd’une préposition à une autre que lorsque AV réussissait la précédente à 100%).

A B

Dans 9/10 A l’intérieur 5/10

En dessous 8/10 Sous 7/10

Devant 10/10 Devant 10/10

A gauche 10/10 A gauche 10/10

Sur le matériel travaillé, les résultats restent stables à condition d’utiliserles mêmes étiquettes lexicales : en effet, on constate que la performance de AVchute nettement lorsqu’on lui présente « à l’intérieur » au lieu de « dans » : 5/10vs 9/10. « Sous » étant plus proche lexicalement de « en dessous », on observepeu ou pas de différence : 7/10 vs 8/10. Les performances à la ligne de base nese sont pas améliorées pendant la rééducation et la LB 6 est comparable à laLB 1 (figure 3). Toutes les erreurs en LB 6 portent sur les distracteurs inverses.De plus, AV ne s’est améliorée à aucune des épreuves complémentaires, notam-ment pas à celles portant sur le mapping :

Analyse syntaxique (conscience syntaxique portant sur des phrases) :29/36

Mapping :Procédures d’attribution de rôles sans analyse grammaticale : Verb Video

Test : 24/30.P ro c é d u res d’attribution de rôles avec analyse grammaticale : 30/56

(figure 2).

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- Conclusion : La rééducation menée doit donc être considérée comme« item spécifique », il n’y a en effet aucun transfert, ni vers les prépositionsinverses (« au-dessus » inverse de « en-dessous »), ni même vers des itemssémantiquement proches comme « dans » et « à l’intérieur ». Elle doit, en outre,être considérée comme « matériel spécifique » puisqu’il n’y a aucune générali-sation, même au niveau de la ligne de base qui contenait le même type dephrases locatives et les mêmes prépositions. Le travail réalisé était lexical, orAV avait les connaissances lexicales suffisantes. C’est pourquoi il n’y a euaucune généralisation ; tout au plus, AV a-t-elle appris à résoudre sans erreur,les phrases contenues dans l’entraînement.

On peut donc affirmer que la rééducation n’a pas permis à AV d’acquérirdes procédures d’attribution de rôles pour des verbes et des prépositions dontnous nous étions assurées que sa connaissance sémantique était correcte et qu’iln’y a pas eu rééducation du déficit de mapping.

• Thérapie de la perception des événements (Marshall et al., 1993)La patiente MM présente un déficit sémantique particulier sur les verbes. Il

semble affecter spécialement l’accès aux arguments du verbe et à ses propriétésthématiques : elle viole les propriétés thématiques des verbes en production (legangster meurt la femme) et ne respecte pas les restrictions des verbes (l’hommeboit du cake). Les auteurs analysent ses difficultés comme des déficits de traite-ment de la succession des événements. Or, c’est la perception de la succession desévénements qui permet de comprendre le message et d’attribuer les rôles théma-tiques dépendant du verbe. Marshall et al. décident donc de mettre en place unethérapie particulière qu’il appelleront thérapie de la perception des événements.

- La thérapie : son but est d’aider MM à identifier les rôles que jouent lesparticipants dans les événements, et ensuite de focaliser son attention sur lanature précise du verbe ou de l’action.

Dix-huit événements sont enregistrés sur une vidéo et présentés en troisétapes, selon une complexité croissante :

- une personne exerce une action sur un objet ; par exemple : un hommerepasse une chemise.

- des instruments agissent sur des objets ; par exemple : un marteau casseune tasse.

- deux personnages sont mis en scène dans des événements réversibles ;par exemple : une femme donne un coup de poing à un homme.

Les trois étapes du traitement sont :1. L’ i d e n t i fication de l’agent parmi deux puis plusieurs photos, ave c

l’aide de questions qui mettent en évidence que c’est bien cet agent-là qui estresponsable de l’événement.

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2. L’identification du thème se fait dans les mêmes conditions méthodolo-giques que l’identification de l’agent. En outre, on insiste sur le fait que cetobjet ou personnage a subi un changement qui résulte de l’événement (unhomme qui a un œil au beurre noir est mis en compétition avec une femme qui aun œil au beurre noir, et un homme qui est tout mouillé).

3. Enfin, on attire l’attention du patient sur la nature de l’action ou duverbe.

Résultats : l’amélioration se limite à la compréhension d’images compre-nant deux arguments, et dans le même cadre de travail que la thérapie. Il n’y apas d’amélioration de la compréhension de phrases, ni de la connaissance lexi-cale des verbes. La raison du peu de résultats obtenus semble, ici aussi, résiderdans le fait que les corrélations sont établies entre une vidéo et des photos, sansaucune insertion dans une structure phrastique. Une autre hypothèse serait quela thérapie met l’accent sur la recherche de l’agent et du thème avant d’isoler leverbe qui, théoriquement, gouverne seul la phrase et permet une perceptiondirecte de l’événement.

• Accès aux verbes qui impliquent des changements de possession ou decommunication (Marshall 1997)

PB présente un déficit de mapping (erreurs de réversibilité en compréhen-sion), et il commet aussi des violations des restrictions des verbes et de leursattributions thématiques dans des tâches de jugements de plausibilité (comme lepatient précédent, MM). Marshall considère alors qu’il présente une altérationde l’accès à l’information thématique des verbes.

- La thérapie va porter sur des paires de verbes avec plusieurs arguments,qui impliquent des changements de possession ou de communication. Pa rexemple : /enseigner - étudier/, /prêter - emprunter/. Le but sera d’amener PB àréaccéder aux propriétés thématiques et attributives des verbes. On lui présenteune phrase écrite dans laquelle l’argument de but est codé en couleur.

« Jean donne un pull à Bob ».PB a, à sa disposition, un panel d’images représentant les personnages,

les objets et des distracteurs. Il doit sélectionner les bonnes images et les organi-ser. Le thérapeute l’aide par des questions qui mettent en évidence les rôlesjoués par chacun des intervenants et attire son attention sur la manière dont cesrôles sont attribués dans la syntaxe. Il précise alors que celui à qui on donne lepull se trouve en fin de phrase.

On introduit, ensuite, les verbes réversibles en insistant sur le fait que dif-férents verbes peuvent être adoptés pour le même événement, mais que la pers-pective est alors différente et que l’ordre des mots peut être modifié : « Jeandonne un pull à Bob » - « Bob reçoit un pull de Jean ».

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En parallèle, la thérapie portera sur la production de phrases avec desimages colorées selon le même principe.

Les résultats : il y a bien une amélioration de la production et de la com-préhension de phrases à 3 arguments, que ce soit dans des situations proches dela thérapie ou non, mais il n’y a pas de généralisation à d’autres types de prédi-cats. Les phrases réversibles dont les verbes ont été traités sont améliorées, maisil n’y a pas de généralisation à d’autres verbes. La thérapie semble avoir permisà PB une nouvelle approche pour un réseau de verbes qui ont les mêmes pro-priétés, mais n’a pas engendré de généralisation au travers des classes de verbes.Ici, comme pour BRB, la rééducation semble plus lexicale que procédurale.

3.2. Réapprentissage des procédures d’assignation des rôles thématiques

• Thérapie portant sur l’ordre des mots (Nickels et aI. 1991)

Le but de cette thérapie est d’entraîner le patient à ajuster la significationde la phrase à sa structure.

- La thérapie : la première phase est un entraînement à la compréhensiondes phrases déclaratives actives réversibles. Le thérapeute encourage la percep-tion de l’agent et du thème selon leur position dans la phrase. L’accent est missur le rôle particulier joué par chaque entité dans une scène en relation avec saposition relative dans la phrase. Nickels présente au patient :

- deux images qui représentent des scènes dont un seul élément varie : /lemoine écrit une lettre/ /le voleur écrit une lettre/.

- 4 cartons sur lesquels figurent des syntagmes : /le moine/ /le voleur//une lettre/ /écrit/. Le patient choisit une image et on lui donne alors une fichesur laquelle sont tracées trois lignes horizontales représentant les 3 composantsde la phrase.

Le patient doit alors identifier les rôles joués par les participants, sélec-tionner les syntagmes et enfin les ordonner correctement sur les lignes horizon-tales. Au début, il dispose d’indices colorés pour l’aider à structurer la phrase,ils sont progressivement estompés. Quand il juge la phrase correcte, on l’engagedans une procédure de vérification. La relation entre la position du syntagmenominal dans la phrase et son rôle dans la scène est rendue explicite. Pa rexemple : l’agent sera identifié par sa position initiale dans la phrase. La procé-dure est la même pour l’autre image de la paire. Ensuite, le thérapeute accentuele contraste en demandant au patient de changer le syntagme approprié pourpasser de la première à la seconde image. Au fur et à mesure de la progression,on introduit des images contrastant le changement de l’agent, de l’action, duthème, pour arriver aux phrases réversibles en fin de rééducation. Seuls étaientutilisés des phrases actives et des verbes qui disposaient d’un agent/sujet.

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La deuxième phase demande la production d’énoncés simples structuréssur la base de l’hypothèse que le mapping est commun à la production et à lacompréhension. On incite le patient à utiliser les moyens acquis dans l’étapeprécédente pour imposer une structure à un événement. Au début, il doit pro-duire des phrases au départ des images utilisées pour la première étape. Lesindices de structure de la phrase de base sont les mêmes : 3 lignes horizontales.Le patient est encouragé à structurer ses productions en indiquant la position laplus appropriée du syntagme dans la phrase. Le contrôle se fait comme dans lapremière étape. Enfin, on demande de produire davantage de renseignementspar rapport à l’événement, en attribuant des lignes supplémentaires pour repré-senter d’autres syntagmes. Cette étape exige un niveau de traitement plus spéci-fique, car en plus des relations thématiques, il faut accéder aux items lexicauxspécifiques. Enfin, on incite le transfert en langage spontané en veillant à ce quele patient ait continuellement à sa disposition la fiche représentant la structurede base. Les situations sont des conditions de P.A.C.E. : la description de photo-graphies de proches, d’images d’actualités, et des échanges conversationnelsavec le thérapeute.

Résultats : le patient s’est amélioré dans la compréhension des phrasessimples actives réversibles mais pas dans la compréhension de phrases passives.Ce devrait pourtant être le cas si la thérapie avait amélioré le mapping. En fait, ilsemble qu’il n’a pas réellement appris à assigner des rôles thématiques, maisqu’il applique simplement une stratégie selon laquelle le premier mot de laphrase est l’agent, et le second est le thème.

• Thérapie du mapping (Jones 1986)

BB est un patient agrammatique qui présente une compréhension pauvrepour des phrases S V O, mais des connaissances syntaxiques relativement cor-rectes. Ses difficultés s’accentuent lorsque les verbes comprennent des informa-tions directionnelles (« suivre »).

- La thérapie : elle a pour but de réacquérir les informations contenuesdans le verbe et de mettre en évidence la manière dont elles s’expriment dansles phrases.

Le traitement exploite deux capacités préservées de BB : la capacité decomprendre des phrases enchâssées et sa capacité de comprendre des questions« où ? qui ? à qui ? » . BB doit analyser des phrases écrites : 1) il les découpe enpropositions, 2) il repère les verbes, 3) il cherche les arguments (agent et thème)qui sont reliés aux verbes. Cette recherche se fait à l’aide des questions « qui ?,quoi ?, à qui ? ». Les premières phrases sont des phrases SV dont les rôles nesont pas réversibles : « il rit ». Ensuite, de nouveaux rôles sont ajoutés (le but,

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le lieu), pour terminer par des phrases complexes non canoniques et réversibles.Il est interdit à BB de prononcer les phrases, il doit se focaliser uniquement surle sens et ne doit pas porter son attention sur les mots fonctionnels.

Résultats : l’amélioration de la compréhension de BB sera très significa-tive même au niveau complexe. Elle s’étend à la production, ce qui confirmeque la thérapie a bien porté sur un mécanisme central : le mapping.

Cette thérapie fut répliquée avec succès par plusieurs auteurs : Byng(1988,1991,1994), Le Dorze et al. (1991), Saffran et al. (1992) et Thompson etal. (1993).

◆ ConclusionIl est évident que les déficits des patients agrammatiques peuvent se

situer à différents niveaux du traitement de la phrase. Toute rééducation nepourra se baser que sur un diagnostic précis du niveau du dysfonctionnement.Dans ce cadre, les thérapies, qu’elles soient lexicales (extraction des rôles thé-matiques contenus dans les verbes) ou procédurales (assignation des rôles thé-matiques dans la phrase), semblent très prometteuses pour autant que le dia-gnostic soit bien posé.

Néanmoins, plusieurs inconnues existent encore quant à la validité dumodèle théorique de référence. Des progrès dans la rééducation de l’agramma-tisme ne pourront donc être obtenus que par une compréhension continuelle-ment affinée des fonctionnements cognitifs sous-jacents.

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Les techniques de communication alternativesou supplétives

Marie-Pierre de Partz

R é s u m éConfrontés aux déficits sévères du langage, les cliniciens sont régulièrement amenés àmettre en place des systèmes supplétifs de communication. Dans cet article, nous décrironsles principes généraux qui pourraient guider le clinicien dans la sélection efficace d’un desnombreux systèmes décrits dans la littérature. Ceux-ci se basent essentiellement sur leurdegré de transparence, leur commodité d’usage, leur extension et complexité combinatoireet enfin, la part à accorder aux capacités cognitives résiduelles du patient (langagières etnon langagières).

Mots-clés : communication alternative, aphasie globale, rééducation, critères de sélection.

Alternative or compensatory techniques of communication

AbstractWhen clinicians work with severe language deficits, they generally need to implement com-pensatory systems of communication. This article describes the general principles whichmay guide the clinician in the selection of a substitutive system among the many systemsdescribed in the literature. These guidelines are primarily based upon their ease of applica-tion, their level of clarity, their extension and joint complexity, and the patient’s level of resi-dual cognitive capacities (verbal and non-verbal).

Key Words: alternative communication, global aphasia, remedial therapy, selection criteria.

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Parmi les rééducations fonctionnelles et pragmatiques, les stratégies alter-natives ou supplétives mettent l’accent sur le fait que les fonctions langa-gières altérées peuvent efficacement être remplacées ou suppléées -à titre

temporaire ou définitif- par des modes de communication non verbaux et pardifférents indices situationnels (Aten, 1986 ; Davis, 1993 ; Holland, 1991).Autrement dit, la communication se réalise au moyen de la somme des compé-tences résiduelles du patient tant verbales que non verbales. Les systèmes alter-natifs ou supplétifs de communication envisagés chez les patients aphasiquessont variés et plus ou moins sophistiqués; ils vont de l’usage de langages ges-t u e l s (ASL : Bonvillian & Friedmann, 1978 ; Kirshner & Webb, 1981 ;Amerind : Coelho & Duffy, 1987 ; Skelly, 1979 ; Rao, 1994 ; pantomimes :Cubelli, Trentini & Montagna, 1991 ; Helm-Estabrooks, Fitzpatrick & Barresi,1982), de langages visuels (Bliss : Bailey, 1983 ; Funnel & Allport, 1989 ;Johannsen-Horbach, Cegla, Mager & Schempp, 1985 ; Ross, 1979 ; langageartificiel de Premack : Glass, Gazzaniga & Premack, 1973 ; les carnets de com-munication : Seron, De Wilde, de Partz, Jacquemin & Prairial, 1996), ou du des-sin (Bertoni, Stoffel & Weniger, 1991 ; Hatfield & Zangwill, 1974 ; Pillon,Signoret, Van Eeckout & Lhermitte, 1980) à l’utilisation de moyens électro-niques plus sophistiqués tels que les t é l é t h è s e s (Steele, Weinrich, We r t z ,Kleczwska & Carlson, 1989; C-VIC : Gardner, Zurif, Berry & Baker, 1976).Nous illustrons l’ensemble de ces systèmes alternatifs au moyen de troisexemples :

Exemple 1 : Cubelli et al. (1991) rapportent les résultats d’un programmed’apprentissage des pantomimes chez une patiente de 63 ans, qui présentait uneaphasie chronique et une apraxie idéatoire et idéomotrice sévère. L’apprentis-

Marie-Pierre de PARTZ Centre de RevalidationNeuropsychologique de l’AdulteCliniques Universitaires Saint-Luc10, Avenue Hippocrate1200 BruxellesE-mail : [email protected].

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sage des pantomimes s’est réalisé en situation de communication référentielle(telle que développée dans la thérapie P.A.C.E. de Davis et Wilcox 1985 ; pourune synthèse voir Carlomagno, 1994). Plus précisément, la patiente avait à fairedeviner au thérapeute l’objet ou l’action représentée sur une image au moyend’une pantomime. Le thérapeute avait à reconnaître le référent mimé en posantdes questions spécifiques et en sollicitant davantage de précisions au niveau dugeste. En cas d’échec, l’attention de la patiente était orientée vers les traits dis-tinctifs des objets, leurs fonctions, leur forme et d’autres caractéristiques per-ceptives. Le thérapeute proposait finalement plusieurs modèles de pantomimespour chaque objet et action et la patiente avait à les reproduire aussi précisémentque possible. Ce programme a duré deux mois à raison de deux séances de 90minutes hebdomadaires. Les lignes de base pré et post-thérapeutiques consis-taient à faire dénommer par trois juges -différents avant et après rééducation-(son conjoint ou sa fille, deux assistants sociaux et deux kinésithérapeutes quine connaissaient pas la patiente) les pantomimes réalisées par la patiente. Lesrésultats présentés dans le tableau ci-dessous montrent une amélioration sen-sible des performances pour les items entraînés ainsi qu’une généralisation auxitems non entraînés.

Tableau 1

Pré-thérapie Post-thérapie

Items traités 29 % 69 %

Items non traités 42 % 67 %

L’analyse des erreurs s’est également modifiée en fonction des caractéris-tiques des stimuli : avant la rééducation, la plupart des erreurs étaient séman-tiques alors qu’après la rééducation, les erreurs gestuelles étaient dominantespour les actions et pour les objets à caractère opératif tandis que les erreurssémantiques étaient relevées pour les seuls objets à caractère non opératif. Cesrésultats plaident clairement en faveur de l’effet spécifique de l’entraînementd’autant que l’évaluation générale des praxies reste inchangée. Cette dissocia-tion pourrait s’expliquer par le fait que les tests des praxies requièrent la repro-duction exacte du geste alors que l’évaluation des pantomimes porte seulementsur leur efficacité fonctionnelle.

Exemple 2 : Le système d’aide visuelle à la communication, C-VIC,développé par Gardner et al. (1976) et implanté sur ordinateur par Steele et al.(1989) requiert du patient de sélectionner à l’aide de la souris des icônes ran-gées dans la partie supérieure de l’écran et donnant accès à des répertoires

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d’images. Ces répertoires correspondent assez largement à différentes catégoriessyntaxiques (noms, verbes, etc.). L’image choisie est positionnée et ajoutée àd’autres images déjà sélectionnées dans un ensemble de cases réservées à ceteffet dans la partie inférieure de l’écran. Cette séquence d’images représente le« message » qui peut soit être lu par l’interlocuteur via la séquence d’images oudes mots écrits qui sont automatiquement affichés au dessous des images, soitêtre produit par un système de sortie vocale.

Exemples 3 : Seron et al. (1996) décrivent la technique des carnets decommunication utilisés à titre palliatif ou supplétif avec certains patients apha-siques sévères et avec des patients déments (démence d’Alzheimer et aphasielentement progressive). Ce carnet est conçu comme un répertoire d’informationsgénéralement représentées sous la forme de dessins (ou de photographies), desymboles, voire même de mots écrits qui doivent servir au patient à transmettreou à recevoir des informations dans des contextes réels. Très concrètement, cesdifférentes informations sont organisées dans un carnet que le patient transporteavec lui. Quatre phases sont envisagées dans l’apprentissage de cette techniquepalliative : a) la structuration du carnet selon les besoins et les capacités cogni-tives résiduelles du patient, généralement réalisée avec l’aide d’un proche ; b)l’apprentissage du contenu du carnet, c) l’entraînement à l’utilisation de cetteaide en situation de communication interactive (via la technique P.A.C.E., Daviset Wilcox, 1985) ; d) la planification du transfert en milieu réel.

Dans une revue critique des travaux concernant l’apprentissage de plu-sieurs de ces systèmes alternatifs par des aphasiques sévères (Kraat, 1990), ilressort que : a) les aphasiques sévères sont capables d’apprendre des élémentsde divers systèmes alternatifs de communication, mais leur rythme d’acquisitionest le plus souvent extrêmement lent et le vocabulaire acquis après un entraîne-ment laborieux dépasse rarement une centaine de concepts ; b) leur maîtrises’arrête souvent dès qu’il s’agit de manipuler les systèmes alternatifs à unniveau impliquant le traitement syntaxique des symboles ; c) certains patients neparviennent tout simplement pas à maîtriser l’usage d’un système alternatif ; d)les patients sont nombreux à ne pas utiliser le système alternatif appris et àrecourir à des systèmes de communication personnels ; e) l’utilisation effectivede ces systèmes en dehors du contexte d’apprentissage est quasi inexistante.

Le succès de l’apprentissage des systèmes alternatifs semble donc trèsmitigé. La raison essentielle tient vraisemblablement au fait que ces différentstravaux ont été réalisés dans le but d’analyser les vertus spécifiques de chacunde ces systèmes en se limitant à évaluer au terme de rééducations structurées laquantité de symboles acquis et de combinaisons maîtrisées sans s’intéresser àleur utilité réelle dans les situations de communication quotidiennes. La sélec-

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tion efficace d’un de ces systèmes dépend en fait d’un certain nombre de prin-cipes généraux (Seron et al., 1996) sous-jacents aux finalités pragmatiques dessystèmes de communication alternatifs :

Transparence

Toute activité communicative repose sur une convention sociale, lessignes émis doivent être compréhensibles du point de vue du récepteur. Lasélection d’un système alternatif requiert une analyse du degré de transparenceou de l’iconicité des signes utilisés. En effet, au plus les relationssignifiant/signifié établies dans un langage alternatif sont motivées, au pluscelui-ci a de chances d’être accessible aux non-initiés.

Le degré de transparence d’un système symbolique dépend de plusieursfacteurs parmi lesquels la quantité relative d’idéogrammes (plus abstraits etgénéralement plus difficiles à comprendre) et de pictogrammes de même que ladiscriminabilité forte ou faible entre les symboles qui codent les éléments d’unemême catégorie sémantique.

Dans ce sens, l’apprentissage d’un code visuel arbitraire tel que celuidéveloppé par Premack (Glass et al., 1973) dans ses travaux sur les chimpanzésou encore l’acquisition des éléments du langage gestuel des sourds-muets (Kir-shner & Webb, 1981) présente l’inconvénient majeur d’obliger l’entourage àapprendre le lexique et éventuellement la syntaxe de ces systèmes alternatifs.Sous l’angle de la transparence, l’apprentissage de pictogrammes (Bertoni, etal., 1991) ou de pantomimes (Cubelli et al., 1991) paraît plus approprié et lessystèmes implantés sur ordinateur personnel avec sortie vocale présentent unavantage indéniable puisque la sortie peut se faire en langage naturel quel quesoit le code d’entrée.

Commodité d’usage

Un système de communication alternatif n’est intéressant qu’à la condi-tion d’être eff e c t ivement utilisé par les patients. Parmi les paramètres quiinfluencent l’utilisation d’un tel système, on trouve sa commodité d’usage : ildoit être disponible aux endroits et aux moments où le patient en éprouve lebesoin. La commodité d’usage renvoie ainsi à la diversité des contextes d’utili-sation. Un système de communication peut n’avoir qu’une utilité locale. Il estpossible, par exemple, qu’à son domicile, un patient hémiplégique pointemanuellement sur un grand tableau l’item ou l’action qu’il désire obtenir de sonconjoint (exemples : un cendrier, un apéritif, un mouchoir, etc.); il se peut qued’autres tableaux du même genre soient disposés dans d’autres pièces de la mai-son, leur contenu étant adapté aux échanges spécifiquement liés à ces lieux

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( exemple : le répertoire imagé ou écrit des proches auprès du téléphone).Lorsque le système de communication adopté n’est pas contenu dans lamémoire du patient, il se pose donc des questions de facilité d’utilisation dansdifférents contextes. De ce point de vue, les systèmes de communication infor-matisés présentaient, au début au moins, l’inconvénient d’être utilisables dansdes contextes locaux ; l’apparition des ordinateurs transportables diminueaujourd’hui largement cet inconvénient.

Les systèmes alternatifs de communication doivent également être éva-lués du point de vue de la rapidité de leur utilisation. Dans les situations de lavie quotidienne, toute lenteur excessive dans l’élaboration et la transmission desmessages peut avoir pour conséquence soit de lasser l’entourage, soit d’êtrepragmatiquement inefficace. Du fait de cette lenteur, les messages risquent, eneffet, de se trouver en porte à faux par rapport à l’intention communicative dupatient. C’est le cas de certains programmes de communication informatisésexigeant la recherche d’unités lexicales dans des mémoires en structures enchâs-sées. La structure de la plupart des programmes actuels est en effet telle qu’iln’est pas rare que la production d’un énoncé à trois éléments (structure S-V-O)exige la sélection et l’ouverture en succession de cinq à six répertoires et le par-cours de leur contenu. Ainsi, par exemple, pour indiquer qu’il faudrait « repas-ser sa chemise », un patient doit successivement activer l’icône le représentantdans un premier répertoire, l’icône « chemise » dans un deuxième et l’icônesignifiant « repasser » dans un troisième fichier « action ». Dans certains pro-grammes plus sophistiqués, le patient devra en outre encadrer son message d’unindicateur grammatical indiquant le caractère impératif, déclaratif ou interroga-tif de l’énoncé. L’activation en séquence des fichiers, l’enchâssement des struc-tures lexicales et les opérations de recherche rendent bien souvent l’activitécommunicative trop lente et paraissent de ce fait peu adaptés aux exigenceshabituelles d’une communication fonctionnelle.

La commodité d’usage renvoie aussi à la nature des informations à trans-mettre. Il semble en effet qu’une information relative aux actions soient plusaisément et plus rapidement transmise via le geste ; inversement, un conceptabstrait a plus de chance d’être compris par l’interlocuteur s’il est représenté aumoyen d’un symbole tandis qu’une information figurative sera plus aisémenttransmise par dessin ou par le pointage de sa représentation dans un carnet decommunication. De ce point de vue, et selon les capacités résiduelles du patient,on peut penser qu’une communication efficace devrait reposer sur une certaineflexibilité dans l’utilisation des différents supports de communication. Il n’estpas rare, en effet, de voir des patients, devenus d’excellents communicateurs,utiliser pas moins de 5 canaux de communication (pantomimes, onomatopées,

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dessin, expression écrite, carnet de communication) dans leurs interactions quo-tidiennes. Mais ces cas de figure ne peuvent faire oublier que chez de nombreuxaphasiques sévères, le modelage d’un support et son utilisation effective dans lavie réelle constituent déjà un défi rééducatif.

Extension et complexité combinatoire

Les moyens alternatifs de communication peuvent aussi être comparés auniveau de la richesse de leur lexique et au niveau de la structure des séquencescommunicatives qu’ils autorisent. De ce point de vue par exemple, le langagedes signes ou le Bliss (Bailey, 1983) apparaissent beaucoup plus riches auniveau lexical et étendus au niveau syntaxique que le langage des signes de Pre-mack ou encore la gestualité pantomimique. On peut considérer que plus unsystème alternatif est étendu sur le plan lexical et élaboré sur le plan syntaxique,plus il permet d’exprimer de relations sémantiques différentes, et plus il permetde faire face à une grande variété de situations communicatives. Cependant,comme on le verra dans la section suivante, plus un système est complexe etplus il requiert la mobilisation de processus cognitifs élaborés lesquels peuvent,chez certains aphasiques sévères, se trouver déficitaires.

Compétences cognitives résiduelles

Lorsqu’on se propose de mettre en place un système alternatif de commu-nication, il est essentiel de s’interroger sur les compétences cognitives querequiert son utilisation. Si l’acquisition de chacun de ces systèmes peut paraîtrepertinente chez des patients qui présentent des difficultés à produire du langageoral pour des raisons qui tiennent à l’état fonctionnel du système de productiondes sons du langage (altération périphérique des organes bucco-phonateurs, alté-ration des programmes assurant la production des mouvements du langage oral,etc.), il n’en va pas de même chez des patients qui présentent une altération lan-gagière qui touche les processus sémantiques et syntaxiques. Un certain nombrede données suggèrent l’existence d’un rapport entre la sévérité de l’aphasie et lacapacité à apprendre un nouveau système de communication. Coelho et Duffy(1987) ont mis en évidence l’existence d’une corrélation entre la capacité à imi-ter, à reconnaître et à produire des signes manuels (issus de l’Amerind) et lasévérité de l’aphasie, mesurée au PICA. Une corrélation du même type entrel’acquisition (en réception et en production) de signes manuels et la sévérité del’aphasie (mesurée dans des tâches de compréhension verbale) a été trouvée parGuilford, Scheuerle et Shirek (1982).

Si les analyses en terme de sévérité de l’aphasie sont utiles au moment dela sélection et de la mise en place d’un système de communication alternatif,

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elles ne sont guère informatives sur les raisons pour lesquelles les patientséchouent dans l’apprentissage d’un tel système. Plus intéressantes paraissent lesrecherches qui tentent de cerner quelles opérations cognitives -langagières etnon langagières- sont déficitaires et dans quelle mesure elles sont prédictives dela difficulté à maîtriser certains aspects du système alternatif.

Quant aux o p é rations langag i è re s, le clinicien devrait pouvoir s’interro-ger sur les concepts qui sont représentés dans chacun de ces systèmes, aum oyen de quels types de symboles (leur niveau d’ « arbitrarité » et d’iconi-cité), quelles relations sémantiques sont exprimables et au moyen de quellesstructures syntaxiques. Ainsi, Gainotti, Silveri, Villa et Caltagirone (1983) ontmontré que la capacité à reproduire de mémoire des dessins ayant une formecaractéristique est positivement corrélée à la sévérité des déficits sémantiquesalors qu’il n’y a pas de corrélation entre les performances au dessin et la sévé-rité de l’aphasie évaluée à partir de la qualité de la production orale et de lacompréhension auditive dans des interactions communicatives. Par ailleurs,les résultats de différentes recherches nous apprennent que les patients apha-siques présentent à des degrés divers des difficultés dans la compréhensiondes pantomimes (Duffy & Duff y, 1981 ; Feyereisen, Seron & de Macar, 1981 ;Seron, van der Kaa, Remitz & van der Linden, 1979). Si plusieurs travaux ontà nouveau souligné l’existence d’un rapport entre la sévérité de l’aphasie etles difficultés de compréhension des pantomimes, des recherches plus spéci-fiques tendent à suggérer que le point crucial serait l’étendue des défi c i t ssémantiques (Duffy & Watkins, 1984 ; Gainotti & Lemmo, 1976). Dans lamême direction, Funnel et Allport (1989) ont examiné les capacités de deuxpatients aphasiques sévères à utiliser le système Bliss. Les deux patients semontrèrent capables d’apprendre les associations entre les symboles Bliss etles images d’objets. Mais l’acquisition des symboles représentant des motsfonctionnels s’est avérée bien plus difficile. En fait, ces difficultés dans l’ap-prentissage du système de communication alternatif reproduisaient ex a c t e-ment les difficultés que les patients éprouvaient à traiter les mots fonctionnelset les mots à contenu de la langue.

En plus de la maîtrise d’opérations linguistiques proches de celles qui setrouvent déficitaires chez le patient, il convient aussi d’examiner quels autresprocessus non langagiers interviennent dans l’apprentissage de ces systèmes.Ainsi, l’idée de recourir à un langage gestuel se heurte au constat que l’aphasieglobale est fréquemment accompagnée de diverses formes d’apraxie. Il a ainsiété suggéré que les déficits de la communication consécutifs à des lésions hémi-sphériques gauches touchaient à la fois le langage et la gestualité (Glosser, Wie-ner & Kaplan, 1986). Ce constat doit cependant être nuancé. Premièrement,

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d’autres recherches mettent en évidence une dissociation entre les habilités ver-bales et gestuelles. Certains auteurs observent en effet un accroissement desactivités gestuelles qui présentent dans certains cas une valeur communicativesoit en soulignant certains aspects du message transmis en parallèle sur la voieorale soit en se substituant au message linguistique (Behrmann & Penn, 1984 ;Feyereisen, Barter, Goosens & Clerebaut, 1988 ; Glosser et al., 1988 ; Herrman,Reichle, Lucius-Hoene, Walhesch & Johannsen-Horbach, 1988). Deuxième-ment, Feyereisen et collaborateurs (1988) indiquent que la présence de difficul-tés gestuelles attestée lors d’un examen standard de l’apraxie n’implique pasforcément une gestualité inefficace dans des tâches de communication référen-tielle. Dans la même direction, il a été observé que la présence d’une apraxie neconstitue pas un obstacle à l’apprentissage d’un langage gestuel (Coelho &Duffy, 1990) ou de pantomimes (Borod, Fitzpatrick, Hel-Estabrooks & Good-glass, 1989 ; Cubelli et al., 1991) sans qu’il n’y ait d’amélioration des scoresobtenus aux tests standards des praxies. Par ailleurs, certaines caractéristiquesdu système alternatif peuvent influencer son apprentissage. Ainsi, dans un tra-vail portant sur l’apprentissage de signes issus du langage Amerind, Coelho etDuffy (1986) montrent que des sujets aphasiques apprennent plus facilement lessignes à iconicité élevée et moyenne par comparaison aux signes à iconicitéfaible. Ce travail indique que la complexité motrice joue également un rôle, lesaphasiques sévères apprenant en moyenne plus aisément à produire des signesde complexité simple (exemple : une position manuelle sans mouvement) etmoyenne (exemple : un signe ne comportant qu’un seul mouvement) que dessignes complexes sur le plan moteur (exemple : un signe requérant une suite demouvements). On notera cependant qu’il existe au niveau des analyses indivi-duelles certains sujets qui ne suivent pas ce pattern général issu d’une analysestatistique menée sur le groupe. Les auteurs observent également que l’appren-tissage des signes représentant des actions (verbes) est plus aisé que celui deceux qui représentent des objets. On signalera ici aussi que certains sujetss’écartent de cette tendance générale (Daniloff, Noll, Fristoe & Lloyd, 1983).Cette plus grande facilité d’apprentissage des verbes pourrait provenir du faitque les gestes correspondent eux mêmes à des actions et qu’il existe de la sorteune proximité naturelle entre le geste-signe et l’action qu’il représente. Dansl’apprentissage du geste-signe, le sujet pourrait par conséquent utiliser samémoire de l’action réelle. Cette proximité représentative entre le geste-signe etl’action semble inversée dans les langages visuels où l’action est plus difficile àreprésenter par un signe essentiellement statique. Cette difficulté d’acquisitiondes verbes dans un langage de symboles visuels a été observée dans la plupartdes travaux consacrés à l’apprentissage du VIC (Gardner et al., 1976) et des ver-

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sions sur ordinateur (Steele & Weinrich, 1986 ; Steele et al., 1989 ; Weinrich,Steele, Kleczewska, Carlson, Baker & Wertz, 1989).

Enfin, s’il paraît utile d’examiner les mécanismes en jeu dans la produc-tion du système alternatif, il s’agit aussi d’être sensible à ceux qui interviennentdans la compréhension de ces systèmes. Dans ce sens, diverses caractéristiquesdes systèmes alternatifs sont à prendre en considération et notamment la moda-lité de présentation. Les systèmes alternatifs visuels ont pour avantage sur lessystèmes gestuels de permettre l’examen de tous les éléments du message car ilspeuvent rester présents simultanément. Par contre, les systèmes gestuels (surtoutuni-manuels) présentent un caractère davantage séquentiel et devraient donc sol-liciter davantage de ressources en mémoire de travail.

Au-delà de ces principes généraux, Kraat (1990) recommande que lessystèmes alternatifs (ou augmentatifs) de communication soient élaborés à partirdes besoins communicatifs réels du patient tels qu’ils se manifestent dans lessituations de sa vie quotidienne et qu’ils tiennent compte de ses propres particu-larités communicatives. Cette manière de poser les problèmes devrait avoir pouravantage de conduire à l’élaboration de systèmes de communication contextuel-lement déterminés et exploitant au mieux le répertoire préexistant du patient.

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Les thérapies de groupe en aphasiologie

Jocelyne Buttet Sovilla

R é s u m éIl existe différents types de thérapie de groupe en aphasiologie. Un bref rappel théorique deleurs principales caractéristiques précède la présentation d’exemples personnels et origi-naux issus de la pratique en milieu hospitalier de l’auteur.Mots-clés : thérapies de groupe, réhabilitation, aphasie.

Group therapy in aphasiology

AbstractThere are different types of group therapy in the treatment of aphasia. We first present thetheoretical basis which underlies their main characteristics and then go on to describe origi-nal case examples from the author’s practice in a rehabilitation center.Key Wo r d s : group therapy, rehabilitation, aphasia.

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Jocelyne BUTTET SOVILLALogopédisteDivision de neuropsychologieCHU Vaudois CH - 1011 Lausanne

Les thérapies de groupe d’aphasiques ne constituent pas un nouveau modede traitement, mais à l’heure actuelle, où les séjours hospitaliers sont deplus en plus courts et où les organismes de santé exigent des preuves de

rentabilité et d’efficacité des thérapies, on voit naître un regain d’intérêt pour lesthérapies de groupe, concernant notamment les aphasiques chroniques.

Il existe différents types de groupes. Après un bref rappel théorique, desexemples de séances illustreront nos propos issus de notre expérience suite à denombreuses années de pratique au C.H.U. de Lausanne. Les lecteurs intéresséspar une présentation plus exhaustive des objectifs et des fondements théoriquesqui sous-tendent ces diverses approches pourront se référer, par exemple, auxarticles récents de Beeson et Holland (1996), Buttet Sovilla (1997), Brumfitt etSheeran (1997) et Sarno (1995).

◆ Les thérapies de groupe

Dans le cadre de la pathologie aphasique, les thérapies de groupe s’adres-sent en priorité aux patients eux-mêmes, mais elles peuvent aussi concernerl’entourage direct (c’est-à-dire la famille, soit principalement les conjoints, maisaussi, selon les cas, les enfants, les parents), voire parfois l’entourage au sensélargi (amis, thérapeutes, personnel soignant, assistants sociaux, etc.).

Les thérapies de groupe s’adressant aux patients aphasiques sont diversesdans leur nature. On peut les décrire en fonction de plusieurs paramètres,comme par exemple : la symptomatologie, un mode particulier d’expression ouune problématique spécifique, le temps écoulé depuis le début de la maladie,l’âge, le sexe, l’étiologie, les objectifs, les thérapeutes - animateurs, la place dela thérapie de groupe par rapport à la réhabilitation individuelle.

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Parmi les syndromes les plus fréquents, les aphasiques globaux sontvolontiers considérés comme de bons candidats pour les thérapies de groupe àvisée socio-thérapeutique. Si une certaine diversité des symptômes paraît sou-vent souhaitable pour la dynamique du groupe, dans certains cas, au contraire, ilpeut être utile de chercher à réunir des individus présentant des symptomatolo-gies aussi homogènes que possible, comme par exemple, un manque du mot.

On peut tenter de pallier à une difficulté de communication au moyen dedivers modes particuliers d’expression, comme par exemple le dessin, lesgestes ou encore la musique, donnant l’occasion d’intégrer des aphasiques dansdes ateliers de création artistique, ou un chœur, par exemple.

Les troubles phasiques peuvent être abordés également en fonction deproblématiques particulières : par exemple, la généralisation des acquis dansdes situations de contexte plus naturelles que celles réalisées dans les séancesindividuelles, ou encore l’acceptation des déficits.

Les divers facteurs mentionnés ci-dessus sont partiellement liés au tempsécoulé depuis le début de la maladie. Ainsi, on distingue les aphasies en phasede récupération des aphasies dites chroniques. Lors de la constitution d’ungroupe, il est donc généralement recommandé de veiller à cet aspect, pour tenircompte notamment des possibilités d’évolution relativement comparables desparticipants, ainsi qu’à leur âge : en effet, si ceux-ci sont jeunes, avec éventuel-lement des enfants en bas âge ou en âge scolaire, ou s’ils peuvent espérerreprendre une activité professionnelle, ils auront des intérêts et des projets devie bien différents de patients plus âgés, souvent déjà à la retraite. La variabledu sexe, par contre ne joue pas un rôle déterminant, sauf peut-être dans des castrès particuliers qui ne seront pas évoqués ici.

Quant à l’étiologie, seuls les cas de jeunes traumatisés crânio-cérébrauxou ceux souffrant d’aphasies dégénératives devraient faire l’objet d’une atten-tion particulière et, pour des raisons évidentes, faire partie de groupes distinctsde ceux constitués en majorité de lésions vasculaires.

Les principaux objectifs seront brièvement rappelés ici, afin de serviressentiellement de support à la présentation de situations concrètes.

- Un des premiers buts est bien sûr la communication, qui peut se com-prendre au sens large du terme, c’est-à-dire en tenant compte des composantesverbales et non verbales, en situation contextuelle, relevant notamment de l’ap-proche pragmatique. Mais on peut y inclure aussi des approches plus ciblées dela communication, tels les jeux de rôle ou la conversation, qui est considérée parcertains auteurs (par ex., Murray & Holland, 1995) comme la forme particulière

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de communication qui serait la plus naturelle dans les rapports sociaux entre lesindividus.

- En même temps, ou à d’autres moments, on peut travailler dive r saspects psychologiques, comme la confiance, le respect de soi, l’acceptation deson handicap (faire le deuil d’un certain nombre de capacités, d’activités), l’en-traide et le soutien mutuel.

- L’orientation s o c i o - t h é ra p e u t i q u e tente d’améliorer les comportements despatients dans leur vie quotidienne, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du groupe.

- Un objectif pédagogique peut être réalisé dans certaines situations struc-turées d’apprentissage, permettant de répondre aux besoins de chaque individu.

En fonction de tous ces paramètres et surtout selon les objectifs visés, lesanimateurs des groupes seront issus de différents milieux thérapeutiques profes-sionnels (orthophonie/logopédie, (neuro)psychologie, psychiatrie, …) : ces der-niers participent la plupart du temps directement et activement aux séances,mais ils peuvent aussi jouer un rôle de formateurs et de superviseurs dans lescas où les groupes sont animés par des bénévoles (Kagan & Gailey, 1993).

Quant à la place de la rééducation en groupe par rapport au traitementi n d ividuel, elle dépend également de divers paramètres. Dans certains cas,notamment dans la phase aiguë, ou dite de récupération spontanée, il peut êtreutile de proposer des séances de groupe en complément au travail individuel,dans le but, par exemple, de généraliser certaines notions. Dans d’autres cas,comme par exemple au stade chronique, le traitement de groupe devient unealternative à la réhabilitation individuelle, dans le but d’un soutien, d’un main-tien des acquis. Toutefois, il peut arriver que, pendant cette phase de prise encharge en groupe, l’on propose des périodes de traitement individuel qui vontjouer un rôle complémentaire pour des acquisitions de notions ou de compé-tences particulières, ainsi que nous en donnerons un exemple plus bas. Ces deuxmodes de réhabilitation ne sont donc pas mutuellement exclusifs.

◆ Présentation de cas Notre expérience personnelle dans la Division Autonome de Neuropsy-

chologie du CHUV de Lausanne 1 est déjà relativement ancienne puisque le pre-mier groupe d’aphasiques chroniques a été créé le 15 novembre 1972, dans unbut essentiellement socio-thérapeutique. Peu à peu, nous avons diversifié nosinterventions et avons créé plusieurs groupes ainsi qu’une association en 1982.

1 Professeur G. Assal, médecin-chef.

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◆ But général

Nous partons des principes émis par l’OMS (Wood, 1980) insistant sur lefait que la réhabilitation doit amener les patients au plus haut niveau possibled’adaptation physique, psychologique et sociale. Ceci implique donc de mettreen œuvre tous les moyens susceptibles de réduire l’impact des conditions invali-dantes et toutes les mesures assurant une intégration optimale des patients. Cetteposition prend appui sur trois notions fondamentales pour les thérapeutes, àsavoir : les déficiences (impairment), les incapacités (disabilities) et le handicap.

La réhabilitation peut intervenir à différents niveaux. Cependant, des tra-vaux portant sur l’appréciation des troubles du langage chez les aphasiques parles thérapeutes et les conjoints ont montré que souvent les premiers s’arrêtentaux incapacités, alors que l’entourage direct est beaucoup plus préoccupé par lehandicap, c’est-à-dire par les conséquences de l’aphasie dans la vie de tous lesjours, sous forme d’isolement social, par exemple (Oxenham et al., 1995). Dansce contexte, le traitement de groupe semble mieux à même de répondre à cetteproblématique que le traitement individuel. Nous dirons donc que de manièregénérale, l’objectif de nos groupes sera de répondre aux besoins de communica-tion des aphasiques dans un contexte psycho-social.

◆ Population

Les aphasiques qui participent à nos groupes souffrent de troubles chro-niques, sévères à moyennement sévères, surtout de type non fluent. Toutefois, lesyndrome en lui-même a peu d’importance, de même que le sexe et le niveausocio-culturel. Par contre, nous groupons les patients en fonction de l’âge( « j e u n e s » / « âgés ») et éventuellement par affinités personnelles. Nousveillons surtout à ce qu’ils soient motivés et émotionnellement stables.

Le nombre de participants varie de 3-4 à 6-8 selon les groupes et lesmoments.

◆ Modalités et principes de base

Les patients se rencontrent à raison d’une heure par semaine, dans unlocal de l’hôpital. Les animateurs sont en général au nombre de deux pour ungroupe. Il s’agit en principe d’orthophonistes /logopédistes, parfois de neuro-psychologues, ou d’étudiants stagiaires avancés travaillant sous supervision.

Dans la pratique, les quelques lignes directrices suivantes nous ont ététrès utiles :

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• il est très important de renouveler périodiquement l’engagement desparticipants ; ceci permet notamment à ceux qui le désirent de se retireret d’offrir la possibilité à de nouveaux membres de commencer ;

• il faut veiller aussi à introduire régulièrement des nouveaux participants,sans quoi le groupe risque de s’étioler ou alors d’être si soudé qu’il seratrès difficile d’y introduire de nouvelles personnes ;

• enfin, il est primordial de bien choisir les partenaires d’un groupe, entenant compte des paramètres mentionnés précédemment.

◆ ObjectifsPrincipalement, il s’agit de :• fournir des occasions de communication et de conversation au travers de

situations plus ou moins contraignantes, en utilisant pour chaque patientles moyens dont il dispose, en essayant de les optimaliser ;

• chercher à rendre les stratégies de communication les plus efficaces pos-sibles.

Ces objectifs sont donc essentiellement communicationnels et socio-thé-rapeutiques. Ils ne sont pas a priori psychologiques, mais on voit très souvent sed é velopper une aide spontanée et un soutien entre les divers membres dugroupe, ainsi qu’avec certains conjoints qui se rencontrent en dehors ducontexte hospitalier.

Par ailleurs, depuis un an environ, des échanges épistolaires avec d’autresgroupes d’aphasiques du Canada 2 se sont instaurés sous forme d’envois de pho-tographies, de dépliants, de calendriers, etc. C’est une occasion d’aborder dessujets nouveaux, mais aussi de découvrir la dimension « universelle » de l’apha-sie et de ses difficultés, ainsi que des moyens pour tenter d’y remédier.

◆ Quelques exemples particuliersLe début de la séance commence souvent par une situation non structu-

rée de communication où les participants apportent eux-mêmes des documentsou toute autre information qu’ils ont envie de partager. La situation que nousavons choisie est la suivante : trois patients sont présents ce jour-là. Il s’agit deMadame C.Z. (50 ans), secrétaire, aphasique globale qui ne dit que « oui », avecdiverses intonations et mimiques ; Monsieur Y. J. (56 ans), enseignant, qui pré-

2 Nous tenons à remercier ici tout particulièrement Madame Ruth Patterson et les aphasiques du centre de trai-tement de l’aphasie de York-Durham, Ontario (Patterson et al., 1994).

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sente une aphasie non fluente avec un important agrammatisme et Monsieur J.S.(47 ans), de langue maternelle slovène, représentant de commerce, qui souffred’importants troubles arthriques comme principales séquelles d’une aphasie nonfluente.

Madame Z. a apporté des coupures de journaux et tente de faire com-prendre quelque chose à ses interlocuteurs : à tour de rôle, ceux-ci vont essayerde deviner le message. Comme elle n’arrive pas à se faire comprendre, ellecherche de l’aide auprès de Monsieur J. en lui montrant une feuille qu’elle atoujours avec elle dans son agenda, qui lui sert aussi de carnet de communica-tion. Il s’agit en fait de la liste des participants, sur laquelle figurent aussi bienles noms des personnes qui suivent actuellement le groupe que ceux qui l’ontquitté. Grâce à ce comportement, les personnes présentes (dont deux stagiairesorthophonistes S.O.) vont finalement comprendre de quoi il s’agit. Le messagesera « sanctionné » par une appréciation positive de la part de Y.J.

C.Z. (montre une annonce parue dans le journal) : oui .OuiS.O.1 : C’est pour monsieur J. et monsieur S. que vous avez apporté ça ?C.Z. : Oui . OuiY.J (lit) conservatoire de musique.S.O.2 : (lit en même temps) conservatoire de musique. Audition d’élèves.S.O.1 : vous avez quelqu’unC.Z. : ouiS.O.1 : que vous connaissez ?C.Z. : oui (elle tend le journal vers Y.J.) oui ?Y.J. : qui ?J.S. (prend l’article et regarde)S.O.2 : (glisse son agenda vers C.Z ) c’est écrit ?C.Z. : (prend son agenda, en sort une liste qu’elle tend à Y. J. en montrant un

nom) ouiY.J. : (lit le nom d’une personne) R. ?C.Z. : ouiS.O.1 : monsieur R. ?C.Z. : oui (avec intonation descendante du non)S.O.1 : il allait au conservatoireC.Z. : ouiS.O.1 : de musique ?C.Z.: ouiS.O.1 : ah bon ! vous vous rappelez de ça ?S.O.2 : il jouait de la musique ?C.Z. : oui, ouiS.O.2 : la fille ?C.Z. : oui,

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Y.J. : ah ! oui, le volocelle (fait le geste de jouer)C.Z. : oui, oui,S.O.1 : voilà, exactement, du violoncelleC.Z. : oui, ouiY.J. : elle est très (mot incompréhensible)S.O.1 : elle est ?Y.J. : il est bon. Très très bonS.O.1 : elle est douée ?Y.J. : douée, douée, oui.S.O.1 : qu’est-ce qu’elle fait au conservatoire, la fille de monsieur R. ?Y.J. : oh peut-être cours.S.O.1 : elle donne des cours ou elle prend des cours ?Y.J. : non, non, c’est un cours pour euh.. apprendreC.Z. (pendant ce temps, elle continue à montrer un nom sur la liste)S.O.1 : ah ! d’accord !C.Z. (montre la liste) : oui (insistant)S.O.2 : et puis elle va passer cette audition ?C.Z. : (fait une mimique peut convaincue)S.O.1 : simplement quand vous avez vu çaC.Z. : ouiS.O.1 : ça vous a fait penser à la fille de monsieur R., c’est ça ?C.Z : (met la main à la bouche d’un air dubitatif) oh ! oh ! (en riant, puis montre

encore la liste) oui

S.O.2 : il manque quelqu’un sur la liste ?C.Z. : oui oui oui !S.O.2 : vous avez pensé à monsieur S. qui est venu nous voir ?C.Z. : oui !Tous : ah !Y.J. : DidierC.Z. : oui, oui ! (l’air content)S.O.1 : c’est au conservatoire qu’il prend ses cours ?C.Z. : oui, oui !Y.J : (lève le pouce) merci !J.S. (qui n’a rien dit pendant tout ce temps mais qui a suivi attentivement tout le

dialogue) : j’ai aussi quelque chose, j’ai reçu un téléphone de Véronique.(Etc)

Cette situation est tout à fait intéressante à plus d’un titre. Tout d’abord,on peut se rendre compte que la situation de groupe favorise l’échange d’in-formations nouvelles, inconnues des autres interlocuteurs, ce qui est la carac-téristique d’une véritable situation de communication, telle qu’elle est préco-nisée, par exemple, par Davis et Wilcox (1981) et qui est loin d’être

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facilement réalisable en situation individuelle, même dans des situations detype PACE. Ensuite, même avec des moyens extrêmement réduits de commu-nication, la patiente peut prendre des initiatives, ce qui implique aussi qu’ellea dû anticiper la séance en préparant le document. Finalement, grâce àd iverses stratégies (recours à un autre aphasique, recherche d’un support écrit)et aussi grâce à la volonté des autres membres de saisir le message, la patiente- qui insiste longtemps pour se faire comprendre, sans se décourager, ce quiest tout à fait remarquable et nouveau chez elle - est récompensée de sese fforts et obtient une reconnaissance de ses pairs en tant qu’interlocutrice àpart entière.

Dans la suite de la séance, les thérapeutes vont proposer des dialogues,sous forme de jeux de rôle, réalisant ainsi des situations plus structurées, enrapport avec les possibilités d’expression de chacun. Au préalable, les diversintervenants font le point sur les diverses étapes à aborder et, au besoin, il leurest rappelé en cours de route, les divers moyens qui sont à leur disposition pouraboutir à une communication efficace.

Par exemple, dans la situation de jeu de rôle « à la boulangerie », C. Z.,qui participe au groupe depuis 2 ans, va pouvoir faire un usage tout à fait adé-quat de la communication gestuelle et graphique qu’elle a travaillée en indivi-duel. En effet, il est apparu nécessaire, après une interruption de presque un an,d’instaurer pour elle une nouvelle série de séances individuelles, afin de mettreen place l’utilisation d’un carnet de communication, de gestes et de dessins aux-quels elle recourait peu spontanément.

De manière générale, on peut relever que les jeux de rôle sont tout à faitaccessibles aux patients, mettant en évidence une capacité à se projeter dans unesituation imaginaire avec souvent même une bonne dose d’humour. En effet, iln’est pas possible de rendre sur papier toute l’atmosphère de ces séances quitrès souvent se déroulent sous le signe de la bonne humeur. C’est d’ailleurs undes éléments qui ressort des témoignages des participants :

Y.J. : J’ai appris beaucoup avec les aphasiques. Avec le sourire.J.S. : Oui, ça il faut, parce que si y en a pas de sourire, ça vaut rien. Parce que si

on est tous … autour de la table et on se regarde comme ça (fronce les sour-cils), c’est pas bon ! (…)

J.S. : Mais justement, la différence c’est parce qu’elle…c’est individuel, c’estplutôt carrément où ça manque on travaille dessus, et pi en groupe c’estplus spontané, c’est plus… y en a pas la même tension et puis c’est beau-coup plus rigolo si on veut dire parce que…on dialogue et pi temps entemps on fait exercice et pi aussi on peut plaisante. (..) Mais ça veut pasdire que on travaille pas en groupe ! On travaille autrement, oui, c’est ça.

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◆ Des cas particuliers : les groupes à deuxCes expériences particulières sont nées de situations fortuites. La pre-

mière fut l’observation de deux patients qui venaient pour des traitements indi-viduels et qui, dans la salle d’attente, ont peu à peu sympathisé. Cela nous adonné l’idée de leur proposer de travailler ensemble. La situation décrite ici rap-porte la première séance, qui était en quelque sorte un essai, mais qui, vu le suc-cès remporté, fut suivie d’autres séances du même type. Elles ont été ensuiteinterrompues pour des raisons de santé d’un des deux partenaires. Monsieur Y.J. (déjà décrit dans la situation de groupe précédente ) et Monsieur A. R. (81ans), ancien architecte, de langue maternelle hollandaise, souffrant d’un impor-tant manque du mot dans le cadre d’une aphasie fluente, sont installés l’un enface de l’autre. Chacun dispose d’un damier de 9 cases et d’autant d’objets (lesmêmes pour les deux sujets). Un écran est interposé entre les deux partenairesqui doivent, à tour de rôle, proposer à l’autre de placer les objets dans lesdiverses cases. Voici un exemple des interventions de Y.J. et de A.R. en pré-sence de deux thérapeutes (T) qui les observent :

Objet : une gomme . C’est Y.J. qui décrit :Y.J : l’objet c’est un…us.. ustensile pour dessiner.A.R. : oui.Y.J. : dessiner.A :R : oui, j’ai trouvé.Y.J. : et pi pour moi, c’est la grille, c’est centre.A.R : ah ! au centre !Y.J. : centre.A.R : d’accord.

Objet : 2 agrafes de bureau (une grande et une petite). C’est A.R. qui doit décrire :A.R. : d’abord, y a 2 pièces, 2 choses,Y.J. : 2 choses,A.R. : euh..euh.. y a un nom pour ça… je trouve pas le… alors, du du papier

qu’on, qu’oneuh... qu’on peut… couper (geste des deux mains appuyées l’une contrel’autre)

Y.J. : couper. couper.A.R. : non, non pas coup’… euh on peut euh.. qu’on peut … euh attendre, non

pas attendre… qu’on vieut, quand c’est, quand c’est beaucoup (prend plusieurs feuilles de papier)

Y.J. : oui oui.A.R. : on peut le couper (pince plusieurs feuilles ensemble entre pouce et index)

on peut le tendreY.J. : ah oui, ensembler.A .R. : oui.

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Y.J. : ensembler ?A.R. : oui.Y.J. : ensembler ?A.R. : à droite, en haut.Y.J. : euh… avec…A.R. : à droite.Y.J. : droite, oui.A.R. : en haut.Y.J. : en haut.A.R. : oui.Y.J. : y a, y a deux objets ?A.R. : deux p’, deux objets,Y.J. : et pi grand, et pi petit.A.R. : exact.

Cette situation de communication fonctionnelle, de type PACE, est inté-ressante dans le sens qu’elle débouche sur une sorte de contrat « pédagogique »négocié entre les deux partenaires qui prennent ainsi une part active à leur théra-pie. En effet, Y.J., qui n’a pas de problèmes pour évoquer le nom des objetsmais qui ne peut faire une phrase correctement, va essayer de décrire les objetssous forme de devinettes, afin d’exercer la production d’énoncés, tandis queA.R., pour qui le but est de trouver le nom précis de l’objet, va s’y efforcer,quitte à recourir à d’autres stratégies quand il n’y parvient pas :

T2 : n’importe quoi pour vous faire comprendre, mais votre but c’est d’avoir lemot précis.

A.R. : oui, moi j’aimerais.(..)Y.J. : alors la phrase j’arrive pas !A.R. : vous faites euh.. comme vous voulez à faire des jokes, vous jouez, je

comprends.T2 : pourvu que chacun comprenne,A.R. : c’est le but, c’est clair !

D’autres tentatives peuvent être réalisées, souvent en fonction de situa-tions particulières, notamment aussi lorsque les patients et l’entourage sont trèsdemandeurs, et que l’on ne dispose pas de suffisamment de temps pour offrir ungrand nombre de séances individuelles. C’est parfois le cas lorsque les patientssont encore hospitalisés et donc en pleine phase de récupération spontanée. Onsouhaiterait pouvoir les traiter de manière aussi intensive que possible. A côtédes séances individuelles, nous avons donc fait l’expérience suivante :

Madame V. (43 ans) et Monsieur A. (35 ans) étaient sévèrement nonfluents, mais néanmoins aidés par le support mélodique (Buttet et Aubert,1980). Par ailleurs, ils étaient tous deux musiciens non professionnels, mais de

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bon niveau. Ils ont donc tout de suite accepté de travailler ensemble, en plus desséances individuelles, sur le thème de la musique. Nous avons ainsi mis en placedes situations proposant des appariements de photos, d’images ou de nomsécrits de musiciens, de leurs œuvres, des choix, en situation de type PACE, departitions de musique et de titres, avec la possibilité de jouer sur un petit clavierles mélodies qu’ils ne pouvaient fredonner ou évoquer verbalement, etc.

Cette thérapie a duré peu de temps, car un des patients est retourné àdomicile et ses horaires ne coïncidaient plus avec les possibilités de traitementen groupe. Cette brève expérience nous a cependant confortés dans l’idée qu’ilpeut être très intéressant de faire travailler deux patients aphasiques ensemble.En effet, ceux-ci y prenaient beaucoup de plaisir et s’encourageaient mutuelle-ment. Ainsi, on peut constater que de tels groupes peuvent remplir au moinstrois objectifs : communicationnel, psychologique et économique.

◆ DiscussionCes quelques exemples devraient convaincre le lecteur, comme nous le

sommes nous-mêmes, de l’intérêt et de l’utilité des thérapies de groupe enaphasiologie. Il ne s’agit là que de quelques cas particuliers, et il y aurait biend’autres situations qui pourraient être discutées. Par rapport à la littérature, notrecontribution originale peut se résumer en quelques points :

1) Nous ne considérons pas que traitement individuel et thérapie degroupe sont mutuellement exclusifs. En effet, si, dans un premiertemps (Buttet et Hirsbrunner, 1986), nous avons considéré les groupescomme essentiellement un moyen de maintenir les acquis chez despatients chroniques, pour qui nous ne pouvions plus justifier d’un trai-tement individuel en raison de la stagnation des progrès, notre concep-tion a évolué (Buttet Sovilla, 1997). Actuellement il nous arrive doncde proposer à des patients qui suivent des thérapies de groupe derefaire parallèlement une série de séances individuelles - limitées dansle temps - avec des objectifs précis que l’on essayera ensuite de mettreen pratique, notamment dans le groupe. D’autres auteurs (Bouvier etal. 1998) d’ailleurs proposent systématiquement, dès la phase précoceen milieu hospitalier, des séances individuelles et de groupe en paral-lèle.

2) Une autre façon d’envisager la relation entre ces deux types de réhabi-litation a été proposée par Eales et Pring (1998) qui ont travaillé avecdes patients sur le problème spécifique du manque du mot, d’abord enséance individuelle puis en groupe, afin que les mots travaillés isolé-

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ment puissent être utilisés dans des situations plus naturelles deconversation. Ces deux modes de traitement en succession semblentégalement très valables en terme d’efficacité.

2) Il nous est arrivé de proposer, en plus des séances individuelles, desséances restreintes à 2 patients. La mise sur pied de quelques-unes deces situations, bien qu’encore assez empirique, semble une démarcheprometteuse et qui, à notre connaissance, n’est pas décrite dans la litté-rature. On peut dans ces cas-là envisager de travailler soit sur une pro-blématique particulière, comme des troubles d’articulation, un manquedu mot, ou avec une thématique et un support spécifiques, par exemplela musique, soit sur une approche plus globale de la communicationfonctionnelle au sens large du terme.

2) Il va de soi que pour toutes ces situations, les partenaires devront êtresoigneusement choisis et les objectifs clairement définis au préalableou après quelques séances d’observation.

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REFERENCES

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Evaluer la communication de la personneaphasique dans la vie quotidienne -proposition d’une Echellede Communication Verbale

Bénédicte Darrigrand et Jean-Michel Mazaux

R é s u m éL’évaluation fonctionnelle de la communication des adultes cérébrolésés demande d’interro-ger la personne handicapée. Dans cette perspective, nous proposons une Echelle de com-munication composée de 36 questions qui s’adressent aux patients.Cette Echelle, d’utilisation simple et rapide, permet d’apprécier l’efficacité de la communi-cation et d’approcher les stratégies de compensation employées par le malade pour pallierles déficiences de son expression orale.Elle s’inspire du courant écologique et explore des situations de communication quotidienne.Cet article présente l’Echelle et les travaux préliminaires de validation chez 20 sujetstémoins et 20 personnes aphasiques.Mots-clés : évaluation écologique, communication, aphasie, questionnaire.

An evaluation of the aphasic patient’s communication skills in dailylife situations

AbstractThe evaluation of functional communication skills in brain-damaged adults requires that thepatient be interviewed. For this purpose, we developed a Communication Scale composed of36 questions to be given to the patient. This scale is simple and quick to administer. It alsohas the advantage of assessing the efficiency of the person’s communication and of identi-fying the compensation strategies used by the patient to make up for his(her) verbal expres-sive deficits.This scale is based on an ecological approach and explores communication in daily lifesituations.This article presents the Scale as well as preliminary validation results from 20 control sub-jects and 20 aphasic patients.

Key Wo r d s : ecological evaluation, communication, aphasia, questionnaire.

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Une personne aphasique peut-elle satisfaire aux exigences de la communi-cation de la vie quotidienne ? Quelles embûches particulières rencontre-t-elle ? Quel handicap l’aphasie peut-elle induire dans sa vie profession-

nelle, sociale et même familiale ?Tout thérapeute du langage souhaite connaître les réponses à ces

questions pour adapter le mieux possible la rééducation aux besoins dupatient. Malheureusement, les tests d’aphasie donnent des informations cli-niques mais ne renseignent pas sur l’aspect écologique des répercussions d’uneaphasie.

La linguistique pragmatique, qui étudie les contextes de communicationavec des paramètres linguistiques : contextes énonciatifs, réactions des parte-naires, rôle du locuteur, type de pauses, intonation, gestes... a permis la créationd’outils d’évaluation de la communication des aphasiques comme :

- le Protocole de Pragmatique de Prutting (1982) (8) dans lequel, les« actes de communication » du patient sont recensés (actes déclaratifs, actespropositionnels, actes illocutoires, actes perlocutoires) puis appréciés en fonc-tion de leur caractère approprié ou non, c’est-à-dire qui facilitent ou pénalisentl’échange. Cet outil permet une analyse fine des interactions dans la communi-cation mais il aborde la communication sous un angle exclusivement linguis-tique et reste assez éloigné d’une analyse écologique.

- la Grille d’Observation Pragmatique des Comportements de Communi-cation (GOPCC) de Morin (1985) (6) est un outil d’observation et non unmoyen d’évaluation formel. La grille comporte 8 rubriques : motivation globaleà interagir, intelligibilité globale, compréhension globale, ajustement harmo-nieux des interlocuteurs, aspects non verbaux, actes de langage, échange d’in-formation, aspects socio-linguistiques. L’analyse ainsi conduite est riche et éten-due mais reste éloignée d’une évaluation stricte de l’efficacité de lacommunication en situation réelle.

Bénédicte DARRIGRANDet Jean-Michel MAZAUXService de Rééducation Fonctionnelle Hôpital Tastet Girard, CHU de Bordeaux33076 Bordeaux Cedex

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En référence à la Classification Internationale de l’OMS des Déficiences,Incapacités et Handicaps, lorsque l’on souhaite cerner l’aphasie-handicap (etpas uniquement l’aphasie-déficience ou les incapacités qui en résultent) il fautévaluer les besoins en communication d’un individu donné dans une situationdonnée, c’est-à-dire procéder à une évaluation écologique. Dans cet esprit, cer-tains travaux se sont attachés à une analyse fonctionnelle de la communication,s’intéressant plus au résultat qu’à la manière de communiquer :

- le Protocole de Communication Fonctionnelle (PCF) de Taylor-Sarno(1965-1969) (9) est le plus ancien. Il donne une mesure fonctionnelle de la per-formance langagière et communicationnelle du patient à l’aide d’un enregistre-ment vidéo. L’intérêt de cet outil est de permettre une comparaison avec l’étatantérieur du sujet, malheureusement, les questions manquent de précision et letest est long.

- la Grille PACE « Promoting Aphasic’s Communicative Effectiveness »de Davis et Wilcox (1978)(2) s’intéresse à la communication globale. Patient etexaminateur doivent alternativement transmettre à l’autre des informations etont recours pour cela aux moyens qu’ils souhaitent (parole, mimes...). C’est à lafois une technique d’évaluation et de rééducation. Elle nécessite malheureuse-ment une procédure lourde ce qui la rend peu utilisable.

- le Questionnaire de Langage de Lincoln (1984) (5) explore l’expressionet la compréhension orales. Il recueille des réponses binaires (oui/non) mais nefait qu’effleurer l’aspect strictement fonctionnel ; il reste imprécis et manque desensibilité.

- l’Everyday Language Test (ELT) de Blomert (1986) (1) est un test basésur des jeux de rôle inspirés de situations quotidiennes. Il analyse les interven-tions orales des patients selon deux critères : éléments essentiels au sens, élé-ments non indispensables. Sa reproductibilité est bonne (90%) mais il présentel’inconvénient de ne s’intéresser qu’aux performances verbales des sujets.

Nous situons entre ces deux tendances :

- le Communicative Abilities in Daily Living (CADL) de Holland(1980)(4) dont le but est de recenser et de mesurer les capacités communicativesrésiduelles de la personne aphasique, à partir de jeux de rôle enregistrés pendantdeux heures par vidéo. Ce test permet ensuite de situer le patient dans un profilde communication. La procédure coûteuse en temps et en matériel pénalise cetoutil qui s’est pourtant révélé fiable et assez sensible (7). De plus, le risque dene tester qu’une capacité à jouer un rôle (sans transfert dans la vie réelle) n’estpas écarté.

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- le protocole de Herrmann (1989) (3) dont l’objectif est d’évaluer lacommunication globale dans un but diagnostique. Il permet d’établir un score etune stratégie de communication, englobant ainsi l’aspect quantitatif et l’aspectqualitatif de celle-ci. Il est d’utilisation facile et assez rapide mais il présentel’inconvénient de tester uniquement la communication courante et de négligerl’aspect fonctionnel au profit d’une évaluation de performances communica-tives. En outre, la cotation qualitative des stratégies est difficile.

Toutes ces évaluations présentent un intérêt mais également des défautsqui les rendent peu utilisables pour une appréciation rapide et cependant précisede la communication des personnes aphasiques au quotidien. C’est pourquoi,devant les limites des outils existants, nous proposons une Echelle de Communi-cation Verbale (ECVB) dont l’objectif est d’évaluer les compétences communi-catives d’une personne aphasique (existence et degré) dans des situations de vieordinaire.

Elle s’adresse à des sujets qui ont eu l’occasion d’être confrontés auxsituations de communication du quotidien, qui ont donc renoué avec un milieude vie habituel. Sans pouvoir exclure formellement certains patients victimes detraumatisme crânien ou atteints de démence vasculaire, nous attirons l’attentiondes utilisateurs de l’Echelle sur l’interprétation des résultats obtenus auprès deces sujets chez lesquels des troubles cognitifs associés peuvent interférer avec leretentissement de l’aphasie en situation de communication.

◆ L’Echelle de Communication Verbale de Bordeaux (ECVB)L’ECVB ne prétend pas remplacer les tests traditionnels ou des évalua-

tions qualitatives issues de la linguistique pragmatique. C’est un entretien semi-dirigé qui dure 20 à 30 minutes selon les patients. Elle comporte 36 questionsqui explorent des situations de communication de la vie quotidienne :

- expression des intentions,- conversation,- utilisation du téléphone,- achats,- relations sociales,- lecture,- écriture,- calcul.

Elle débute par une enquête rapide qui permet de prendre contact avec lepatient et donne des informations cliniques, civiles et professionnelles. Puis le ques-tionnement explore deux niveaux : le niveau familial (famille et proches) et le nive a u

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extra familial, pour englober à la fois les situations où le savoir commun entre lesinterlocuteurs est riche et d’une aide souvent précieuse, et les situations où ce savo i rcommun fait défaut et où aucune habitude de communication ne peut interve n i r.Qu’en est-il avec un employé de banque, un commerçant, un policier ? Quel est alorsl’impact de l’aphasie ? Induit-elle (et dans quelle mesure ?) une réduction de cescontacts de la vie quotidienne ? Peut-on orienter la rééducation vers ces axes ?

A toutes ces questions, l’Echelle apporte des réponses qu’il appartient authérapeute d’approfondir ou de préciser selon les besoins et les exigences de viede chaque patient.

Un membre de la famille ou un proche peut être interrogé en complémentlorsque les troubles de la compréhension sont trop sévères.

Les questions qui composent L’ECVB font appel à des exemples concretsafin de permettre au patient d’évoquer une situation vécue ou de l’imaginer sielle ne s’est pas présentée. En voici deux illustrations :

- Quand vous voulez prendre un rendez-vous avec votre médecin, est-cevous qui téléphonez ?

- Au restaurant, avez-vous des difficultés pour passer votre commandevous-même ?

Trois questions supplémentaires dites « modalités », abordent, à titreexpérimental, la manière de communiquer du sujet, en s’intéressant aux straté-gies de compensation que le malade peut développer.

Les réponses sont recueillies en terme de fréquence d’apparition du com-portement de communication, selon quatre degrés pour éviter d’induire uneréponse médiane. Elles ne sont pas identiques pour chaque question, afin d’évi-ter tout automatisme dans la réponse ou l’attribution d’une « valeur » positiveou négative à l’une ou l’autre des réponses.

Les résultats sont reportés sur une fiche d’évaluation, qui permet de tracerun profil du patient. Ils sont également quantifiés par un score (dont la validitéest en cours d’évaluation).

◆ Etude préliminaire de validation

a) chez des sujets témoins

L’ECVB a été proposée à 20 sujets témoins pour lever toute ambiguïtédans la formulation des questions. Il s’agissait de 11 hommes et 9 femmes,d’âge moyen 47 ans. 4 personnes étaient de niveau socio-culturel 1 ; 5 de niveau2 et 11 de niveau 3.

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Les réponses obtenues furent maximales ou proches du maximum à l’ex-ception de trois questions (appels téléphoniques destinés à des amis ; fréquencedes sorties ; rédaction du courrier personnel).

b) étude de la fidélité inter observateurs

Vingt sujets aphasiques ont été rencontrés par deux interlocuteurs diffé-rents. Il s’agissait de 16 hommes et 4 femmes, d’âge moyen 49 ans lors de lacérébrolésion et 57 ans lors de l’enquête. Le délais par rapport à la lésion étaitde 5 mois à 19 ans. 19 d’entre eux souffraient d’une aphasie consécutive à unaccident vasculaire cérébral et dans un cas, à un traumatisme crânien. 6 per-sonnes étaient de niveau socio-culturel 1 ; 7 de niveau 2 et 7 de niveau 3. Lefrançais était pour tous la langue maternelle.

Les scores obtenus par les malades ont été confrontés aux scores de gra-vité de l’Examen Diagnostique de l’Aphasie de Boston (BDAE).

Les troubles ont prédominé sur la prise de parole avec des inconnus(80%), les situations conversationnelles non duelles (45%), l’utilisation du télé-phone (45%), la lecture de documents administratifs (50%), l’écriture du cour-rier (75%).

La reproductibilité inter-observateur fut satisfaisante : r = 0.9, p< 0.001(coefficient de corrélation de Spearman).

c) validité concurrente

Les réponses des patients furent significativement corrélées avec celles deleur entourage : r = 0.87, p < 0.001, ainsi qu’à la gravité de l’aphasie (BDAE) :r = 0.87, p < 0.001.

◆ DiscussionCette étude préliminaire a permis de vérifier que l’ECVB était d’utilisa-

tion simple et rapide. Les questions qui recevaient des réponses dispersées de lapart des sujets sains ont été reformulées. L’Echelle a été légèrement remaniée etcomporte maintenant 37 questions qui interviennent dans la cotation, 4 ques-tions « modalités » et 2 questions qui s’intéressent aux attitudes actuelles parcomparaison aux habitudes antérieures.

Nous avons choisi de proposer un questionnement aux patients car il noussemblait primordial d’avoir leur propre vision des difficultés qu’ils rencontrentsans passer par le filtre de l’entourage. La personne handicapée est l’interlocu-trice privilégiée pour une évaluation des répercussion de sa maladie et du handi-cap qu’elle engendre, malheureusement, rares sont les outils qui en tiennent

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compte dans le domaine de l’aphasie. En outre, les premiers résultats confortentnotre choix puisque les réponses des patients sont corrélées avec celles de leursproches.

Cependant, n’importe quel questionnement ne peut être proposé à unaphasique et l’on doit tenir compte de l’existence de trouble de la compréhen-sion lorsque l’on s’adresse à lui. Pour cette raison, nous avons utilisé un langagesimple, proche du langage parlé et nous avons illustré les questions par de nom-breux exemples. Ainsi formulées, elles ont été globalement bien comprises.L’ECVB permet, de toute façon, d’interroger un proche lorsque l’examinateur ale sentiment que certaines questions ont été mal comprises.

Les personnes interrogées ont fréquemment manifesté de la satisfaction àdécouvrir une recherche centrée sur leur vie quotidienne et toutes ont fait preuved’intérêt pour cette Echelle. Certains malades avaient beaucoup à dire sur lessituations évoquées et il fut parfois difficile de les limiter au cadre précis de laquestion posée tant ils désiraient s’exprimer sur telle ou telle difficulté quoti-diennement rencontrée.

Les premiers résultats montrent qu’à l’évidence, l’ECVB a un fort impactémotionnel sur les patients. Pour cette raison, il faut faire preuve d’empathie enl’administrant car elle peut mettre à jour des difficultés, voire une impuissancedans certaines activités banales, et les personnes concernées s’en sentent parfoisdévalorisées.

Evaluée sur vingt sujets seulement, sa reproductibilité inter-examinateursest satisfaisante mais peut être perfectible. La cotation prend en compte l’occur-rence globale du comportement ce qui améliore la reproductibilité. Une évalua-tion par comparaison à l’état antérieur à l’aphasie est un point qui reste à déve-lopper. Une étude statistique de validité de construit est en cours.

Nous remarquons également que notre Echelle est corrélée avec le scorede gravité de l’Examen Diagnostique de l’Aphasie de Boston, ce qui peut s’in-terpréter de deux façons : soit ce score évalue la gravité du trouble de communi-cation et non de l’aphasie elle-même, soit notre Echelle privilégie les facteursverbaux de la communication (d’où son nom) et prend moins en compte lesparamètres non verbaux : regard, posture, gestes, prosodie, attitudes de prise deparole (c’est une de ses limites).

◆ Conclusion

Si les évaluations écologiques sont peu utiles pour déterminer la dimen-sion neurolinguistique de la rééducation, elles sont irremplaçables pour fixer à

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celle-ci des objectifs pragmatiques. La prise en charge doit être adaptée aux exi-gences et aux nécessités de la vie sociale que l’aphasique rencontre pour luiapporter un bénéfice effectif. Les évaluations écologiques permettent égalementd’évaluer les résultats de la rééducation, et éventuellement, d’en rendre compteau payeur, c’est-à-dire à la Sécurité Sociale.

Malheureusement, la dimension écologique manque d’outil standardisé,c’est pourquoi l’Echelle de Communication Verbale de Bordeaux nous paraîtutile pour donner une idée précise et reproductible de ce qui se passe au quoti-dien pour l’aphasique, et déterminer les secteurs sur lesquels la rééducation doitmettre l’accent.

N.B : L’ECVB sera éditée à l’issue des travaux de validation. Pour touteinformation, contacter B. DARRIGRAND, CHR Garderose, pav. 48, BP 199,33505 LIBOURNE cedex. Ou Service de Rééducation Fonctionnelle, HôpitalTastet Girard, CHU de BORDEAUX, 33076 Bordeaux cedex.

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La neuropsycholinguistiqueà la veille de l’an 2000.R é f l exions et perspectives à partir d’unexemple : l’agrammatisme

Jean-Luc Nespoulous

R é s u m éSans nul doute, une fin de siècle et, qui plus est, de millénaire, constitue un moment par-ticulièrement propice pour la rédaction de bilans et, plus encore, pour l’élaboration, sansla moindre retenue, de perspectives susceptibles de guider les activités pour l’av e n i r.Ces quelques lignes ont trouvé leur prétexte dans la publication, par « NeuropsicologiaL at i n a », de plusieurs articles issus d’un symposium organisé en 1995, à Cartagena deIndias (Colombie), autour du thème de l’ag r a m m atisme. Inséré dans le programme duIVème Congrès de la Sociedad Latino-Americana de Neuropsicologia, ce symposium a étépour nous l’occasion (a) de « faire le point » sur l’état actuel des recherches en mat i è r ed ’ ag r a m m atisme plus de vingt ans après la soutenance de notre thèse de doctorat sur cethème (Nespoulous, 1973) et surtout (b) d’identifier quelques perspectives particulière-ment prometteuses en ce domaine pour le début du troisième millénaire. Mots-clés : aphasie, neuropsycholinguistique, ag r a m m atisme, prag m atique, grammaire.

The state of neuropsycholinguistics on the eve of the year 2000

Abstract

The end of a century, and even more of a millennium, constitutes an opportune time toreview the current state of a field and to freely draw new perspectives which may guidefuture developments. This paper was inspired by the publication in « NeuropsicologiaL at i n a » of several articles based on a Symposium held in 1995 in Cartagena de Indias(Columbia), on the subject of ag r a m m atism. This Symposium, which was included in theprogram of the 4th Convention of the Sociedad Latino-Americana de Neuropsicologia,g ave me the opportunity a) to review the current « state of the art » on research in thearea of ag r a m m atism, more than 20 years after my doctoral thesis on this topic (Nespou-lous, 1973), and b) to identify several promising directions in this area for the beginning ofthe third millennium.

Key Wo r d s : aphasia, neuropsycholinguistics, ag r a m m atism, prag m atic, grammar.

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Notre objectif dans ce qui suit n’est point de recenser, une fois encore, lesdiverses interprétations qui ont été proposées, depuis une centaine d’an-nées, pour rendre compte du déterminisme sous-jacent de l’agramma-

tisme (pour un compte-rendu de ces travaux, voir : Pillon & Nespoulous, 1994).Comme chacun sait, quasiment tous les niveaux d’organisation structurale deslangues naturelles ont été passés en revue - du niveau syntaxique au niveau pho-nologique, en passant par le niveau morphologique ou lexical - comme site(s)possible(s) du déficit engendrant, en surface, la symptomatologie agrammatique.Parallèlement, plusieurs cliniciens et chercheurs ont tenté de montrer que cettesymptomatologie, loin d’être la conséquence directe d’un déficit du type deceux que nous venons de mentionner, pourrait bien être le produit de la mise enoeuvre de divers types de stratégies adaptatives.

Une telle diversité d’interprétations et une telle efflorescence d’approchestémoigne très certainement de la complexité du problème posé par ces patientsau « parler télégraphique » et à la compréhension syntaxique parfois altérée.Elle souligne aussi le caractère « exemplaire » de l’agrammatisme dans lechamp de l’aphasiologie et de la neuropsycholinguistique,... et ce en dépit de larelative rareté de ce type de tableau clinique.

En référence à l’état actuel et prospectif des études en matière d’agram-matisme, nous regrouperons nos réflexions sous quatre rubriques :

1. La nécessité - toujours et encore - de l’approche linguistique del’agrammatisme (... et de l’aphasie en général)

D’aucuns pourraient penser (et, de fait, d’aucuns pensent) que l’époquede l’approche linguistique de l’agrammatisme (et de l’aphasie, en général) estrévolue et qu’il convient donc de s’adresser à d’autres disciplines - la psycholin-guistique, par exemple - pour poursuivre les recherches dans ce domaine. Selonnous, il n’en est rien, et ce pour au moins deux raisons :

Jean-Luc NESPOULOUS* Laboratoire de NeuropsycholinguistiqueJacques-Lordat (E.A. 1941)Université de Toulouse-Le Mirail**INSERM U.455Service de Neurologie, C.H.U de Toulouse-Purpan

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- Tout d’abord, à l’évidence, l’approche linguistique et l’approche psy-cholinguistique ne s’opposent pas ; elles se complètent. Le linguiste fournit lescaractéristiques structurales d’une langue naturelle à ses différents niveauxd’organisation (phonologique, morphologique, syntaxique ...) ; le psycholin-guiste s’intéresse au traitement des dites structures, en production et en compré-hension, à l’oral et à l’écrit, au sein de ce qu’il est convenu d’appeler « l’archi-tecture fonctionnelle » du langage. Dès lors, il est clair que, si le linguiste peuteffectivement et légitimement étudier les structures d’une langue sans s’intéres-ser au traitement de ces dernières, le psycholinguiste ne peut s’intéresser au trai-tement des structures du langage sans se préoccuper aussi (en fait, nousdevrions dire, au préalable) de la caractérisation de ces dernières, telle qu’elleest effectuée par le linguiste (Nespoulous, 1997).

- Ensuite, l’œuvre des linguistes est loin d’être achevée. En fait, bien évi-demment, elle ne le sera jamais. Aussi, est-il crucial, en psycholinguistiquecomme en aphasiologie, de tenter de tirer profit des dernières évolutions de lalinguistique générale afin d’enrichir la description et l’interprétation de la symp-tomatologie aphasique, ici agrammatique. Les nouvelles notions, issues des tra-vaux récents en linguistique, permettent d’affiner la caractérisation structuraledes phénomènes langagiers. De telles notions - débouchant souvent sur la miseen évidence de différenciations de plus en plus fines au sein des propriétésd’une langue - ne sauraient être négligées à l’avenir car elles sont susceptiblesd’avoir pour corollaire, au plan procédural, des performances différenciées, etce tant chez le sujet normal que chez le sujet pathologique. Il se pourrait aussi, àl’ère de l’imagerie fonctionnelle cérébrale, qu’elles permettent l’identificationde corrélats cérébraux distincts pour chacun des phénomènes linguistiques ainsinouvellement caractérisés. Une approche de ce type devrait ainsi permettre desortir des dichotomies, souvent grossières d’un point de vue linguistique, utili-sées dans un très grand nombre de « tests d’activation » auxquels ont recours les« image-makers » de la fin du 20e siècle !

2. La pertinence de l’approche translinguistique de l’agrammatisme(... et de l’aphasie)

Un certain « impérialisme linguistique » du monde occidental, celui au seinduquel s’est développée en premier lieu l’aphasiologie, a parfois conduit lin-guistes, psycholinguistes et neuropsycholinguistes à considérer pendant longtempscomme quasi-universelles les données récoltées somme toute sur un nombre delangues très limité. Fort heureusement, les quinze dernières années ont vu la réou-verture du débat « Universel vs. Spécifi q u e », et ce particulièrement dans ledomaine des perturbations morphologiques et syntaxiques des agrammatiques.

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Une telle démarche, initiée par L. Menn et L. Obler (1990) d’une part, parE. Bates et al. (1987), d’autre part, ont permis une ré-interprétation substantiellede plusieurs phénomènes observés précédemment dans le cadre de l’agramma-tisme. A titre d’exemple, nous citerons le débat existant autour de l’omission vs.de la substitution des morphèmes grammaticaux.

Classiquement, c’est-à-dire sur la base de données glanées auprès d’apha-siques parlant le plus souvent l’anglais, le français ou l’allemand, l’aphasiologuede première génération considérait l’existence de deux types distincts de pertur-bations venant affecter la gestion des morphèmes grammaticaux l i b res mais aussiliés. Etaient ainsi différenciés les aphasiques de Broca faisant montre d’agram-matisme, lesquels avaient tendance à o m e t t re les morphèmes grammaticaux(d’où le recours fréquent à leur endroit de l’image du « style télégraphique ») etles aphasiques de We r n i c ke - paragrammatiques ou dyssyntaxiques dans lanomenclature classique - qui, eux, effectuaient préférentiellement des s u b s t i t u-tions de morphèmes grammaticaux. Les neuroanatomistes, de leur côté, trou-vaient leur compte à une telle caractérisation dans la mesure où les lésions « offi-c i e l l e m e n t » impliquées dans l’un et l’autre cas étaient différentes : antérieuresdans le premier cas vs. postérieures dans le second, pour faire court.

L’ o b s e r vation de cas d’agrammatisme dans des langues aux propriétésstructurales fort différentes de celles des trois langues citées en exemple ci-des-sus permit de modifier assez radicalement un tel point de vue. Ainsi, les patientsparlant hébreu s’avérèrent ne point omettre les morphèmes grammaticaux - cor-respondant aux noyaux vocaliques de lexèmes constitués de matrices tri conso-nantiques - ; fuyant l’omission de morphèmes grammaticaux qui les auraitréduits au silence absolu, ils présentèrent préférentiellement des substitutions desmêmes morphèmes (Grodzinsky, 1982), et ce sans qu’il paraisse pertinent de par-ler de paragrammatisme chez ces aphasiques de Broca! Une même tendance à lasubstitution fut très vite mise en évidence dans d’autres langues (italien, fi n n o i s ,polonais ... et même français), chez d’autres patients agrammatiques!

Une telle approche translinguistique n’en est qu’à ses débuts et un telretour (mais sur des bases différentes) au comparatisme, qui fit les beaux joursdu siècle dernier en matière linguistique, ne manquera pas de fournir d’autresdonnées de nature à affiner, voire à modifier, la caractérisation de tel ou phéno-mène pathologique.

3. La prise en compte de la variabilité des performances chez le patientagrammatique (... et chez l’aphasique en général)

Dans la grande majorité des travaux classiques en matière d’agramma-tisme, la tendance a tout d’abord été de considérer cette pathologie comme la

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manifestation d’un déficit stable et constant (Jakobson, 1956). Dans les années70, à la suite des travaux de Zurif, Caramazza & Myerson (1972), l’hypothèse del ’ existence d’un « déficit syntaxique central » - se manifestant tant en compré-hension qu’en production - se développa, renforçant encore cette vision unitairede l’agrammatisme. Certes, comme souvent, des contre-exemples furent ensuitepubliés (Miceli et al., 1983 ; Nespoulous et al., 1988 ; Kolk et al., 1985) ve n a n tbattre en brêche une telle interprétation ... mais ce n’est qu’au début des années80 que les choses tendirent à changer de manière importante. Il y eut d’abordl’apport de Linebarger et al. (1983) montrant que bon nombre de patients ayanttendance à « estropier » la syntaxe en production présentaient des capacitésgrammaticales intactes dès lors qu’on les plaçait devant une tâche de jugement degrammaticalité. Ainsi, ces patients semblaient avoir une compétence syntaxique,abstraite, intacte alors que leurs performances faisaient montre d’agrammatismeen production et, parfois aussi, en compréhension. Plus récemment, plusieurs tra-vaux - particulièrement intéressants d’un point de vue psycholinguistique - ontmontré que la performance d’un même patient agrammatique pouvait être sub-stantiellement modifiée d’une situation à une autre, d’une tâche à une autre (Nes-poulous & Dordain, 1991). Il découle de ces derniers que, si la performance dupatient est, de fait, partiellement conditionnée par des contraintes structurales( l i n g u i s t i q u e s ) 1, celle-ci est également conditionnée par des contraintes procédu-rales liées à la nature des mécanismes impliqués dans telle ou telle tâche propo-sée au patient. Parallèlement enfin, certaines études des dernières années - por-tant, cette fois, sur des sujets normaux - tendent à montrer que, dans certainessituations expérimentales particulièrement coûteuses du point de vue procédural( ex: doubles tâches), ceux-ci finissent par se comporter comme certains sujetsaphasiques (Caplan & Waters, 1995 ; Miyake et al., 1994).

On peut, sans crainte de se tromper, affirmer que les années qui viennentverront se développer les études portant sur la variabilité intra-sujet inter-tâches.Encore faudra-t-il, comme nous l’avons déjà indiqué précédemment, que lescaractéristiques structurales des stimuli utilisés dans de tels paradigmes expéri-mentaux soient aussi strictement contrôlées que possible d’un point de vue lin-guistique ... complémentarité des disciplines oblige (Cf. supra) !

4. Pragmatique et agrammatisme (et aphasie en général)

Si le traitement de l’arsenal grammatical d’une langue est susceptible devarier quelque peu d’une tâche à une autre (Cf. supra. 3), si ce traitement est

1 ...les structures les plus complexes étant plus régulièrement perturbées que les structures simples... encoreque (Cf. Drucks & Marshall, 1995).

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également susceptible de varier d’une langue à une autre (Cf. supra. 2), il estégalement vraisemblable que ce traitement soit susceptible de varier d’un actede parole à un autre, du fait des importantes variations fonctionnelles, pragma-tiques, du discours. Le travail de L. Obler (1997) est une première illustration dela nécessité qu’il y a, en aphasiologie, de prendre en considération les caracté-ristiques pragmatiques d’un acte de communication.

Nous pensons, toutefois, qu’il faudra aller plus loin dans cette vo i e ,tant pour la meilleure caractérisation des phénomènes agrammatiques quepour la meilleure compréhension de l’éventuelle mise en jeu de stratégiesd’adaptation (pragmatiques) du patient à son déficit. A titre d’exemple, etdans le droit fil, nous semble-t-il, de l’article de L. Obler, nous souligneronsl’intérêt qu’il y aurait à étudier de manière approfondie, chez l’agramma-tique, le fonctionnement de l’article en situation naturelle de discourscontinu. Dans les travaux classiques, l’article a le plus souvent été étudiécomme marqueur, ponctuel et local, du genre et du nombre du nom qu’ilaccompagne. Or, l’article est également susceptible d’avoir un statut discur-sif. Ainsi, pourront être différenciés clairement les articles indéfi n i s, dont lestatut s’apparente souvent à celui d’un quantificateur dont la portée est limi-tée, tout comme un adjectif, au syntagme nominal dans lequel il apparaît, etles articles défi n i s, qui possèdent souvent un véritable statut discursif, detype anaphorique ou déictique. Il y a fort à parier que l’agrammatique netraite pas d’égale façon l’ensemble des articles, quelle que soit leur fonctiondans l’acte de parole, et ce même si leur statut au sein de la structure syn-taxique demeure foncièrement le même ! Ce dernier propos nous servira detransition avec notre conclusion.

◆ Grammaire et LangageSi - en matière d’études linguistique, psycholinguistique ou neuropsycho-

linguistique - il a été longtemps légitime de concentrer ses efforts sur les aspectsstrictement structuraux et grammaticaux des langues naturelles, le moment noussemble venu de replacer la Grammaire à sa juste place, sans en minimiser l’im-portance mais sans lui octroyer toute la place, comme cela a été souvent le castout au long du 20e siècle. S’il n’y a pas de Langage sans Grammaire, la Gram-maire n’est pas tout le Langage !

Il nous semble donc qu’il y a véritablement nécessité de réinsérer laGrammaire dans l’acte de parole, tel que défini par Austin (1962), Searle (1969)et leurs disciples, en d’autres termes, de réinsérer la structure dans son habitaclefonctionnel. Certes, la route sera longue : on ne maîtrise pas la pragmatiqueaussi aisément que la phonologie ou la syntaxe! Une telle évolution est toutefois

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indispensable si l’on veut sortir les Sciences du Langage du cadre strictementformel dans lequel elles se sont souvent enfermées.

Sans le moindre doute, les implications d’une telle ouverture serontgrandes, tant pour le linguiste - qui devra apprendre à gérer le « bruit » que lapragmatique viendra mettre dans ses caractérisations formelles -, que pour lepsycholinguiste - qui devra apprendre à gérer un nouveau type de variabilité ausein de ses paradigmes expérimentaux - et pour le neuropsycholinguiste - quidevra cesser de considérer que la Zone du Langage est exclusivement dans l’hé-misphère gauche alors que celui-ci ne gère vraisemblablement que la Gram-maire 2. A nous de contribuer tant à la poursuite du chemin déjà partiellementexploré qu’à la dive r s i fication des avenues de recherche qui constituerontl’aphasiologie du 21e siècle.

2 Il n’est, pour s’en convaincre d’ores et déjà, qu’à examiner les nombreux articles qui, depuis une vingtained’années, montrent que les cérébrolésés droits présentent des perturbations dans la gestion des métaphores,des actes de parole indirects, des inférences, de l’humour, du sarcasme ... autant de phénomènes langagiers quisont clairement du ressort de la pragmatique bien plus que de la Grammaire et qui constituent des activitésverbales de haut niveau, voire les activités cognitivo-linguistiques les plus sophistiquées dans l’espècehumaine.

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Les perspectives rééducatives en aphasiologie

J.M. Mazaux, P.A. Joseph, M. Campan, P. Moly, A. Pointreau

R é s u m éEn cette fin du XXe siècle, l’aphasiologie s’interroge désormais davantage sur les conditionsde la rééducation, plutôt que sur son contenu. L’évaluation de l’aphasie fera probablementappel à des systèmes d’information flexibles, susceptibles d’intégrer les données nouvelleset les avancées de l’aphasiologie, et dont la validation permettra une approche personnali-sée et individuelle. La rééducation s’établira de plus en plus sur des problématiques de cau-salité, par comparaison des résultats à des tâches spécifiques d’un processus ou de l’acti-vité cognitive considérée, et accordera autant d’importance à l’aphasique en tant quepersonne, qu’à l’aphasie qu’il présente. La rééducation ressemblera davantage à un inven-taire personnalisé des besoins en communication qu’à un livre de recettes. Des étudescontrôlées de groupe de grande envergure, confirmées par les méta-analyses les plusrécentes, ont établi l’efficacité de la rééducation orthophonique, mais son évolution dépen-dra malgré tout de l’évolution des pratiques rééducatives en général, et des politiques desanté et de remboursement social en France. A plus long terme, les avancées des neuros-ciences devraient aussi influencer les pratiques rééducatives.

Mots-clés : aphasie, rééducation, orthophonie, perspectives.

New remedial perspectives in aphasiology

AbstractThis paper attempts to foresee those new developments which will take place in aphasiatherapy in the forthcoming years. Assessment procedures will evolve from standardized bat-teries towards more flexible tools combining both pathophysiological analyses drawn fromcognitive neuropsychology and the individual, psychological and social needs of the patientsand their families. Therapeutic approaches will become more integrated, drawing upon neu-ropsychology, pragmatics and ecology. Psychological and psychosocial therapies will beemphasized, such as systemic approaches, group therapy and family support. New drugsmay emerge from advances in neuropharmacology, which will enhance the impact of the-rapy. Despite the fact that strong research evidence confirms the efficacy of speech and lan-guage therapy in the treatment of aphasia, future trends in rehabilitation will have to takeinto account both financial issues and general health policies.Key Wo r d s : aphasia, speech and language therapy, advances.

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J.M. MAZAUX, P.A. JOSEPH,M. CAMPAN, P. MOLY, A. POINTREAUService de neurologieCentre Hospitalier Universitairede Bordeaux33076 Bordeaux Cedex.

A près les avancées représentées par la neuropsychologie cognitive, puispar le courant pragmatique et écologique, la rééducation orthophoniquede l’aphasie paraît en cette fin du XXe siècle marquer une pause. En

fait, il n’en est rien, la recherche en aphasiologie et les réflexions sur les pra-tiques restent vives et fécondes. Mais le questionnement est différent : on s’in-terroge davantage sur le comment que sur le quoi, c’est-à-dire sur les conditionsde la rééducation, plutôt que sur son contenu, et sur son efficacité. Dans cedomaine, des progrès décisifs ont été accomplis au cours de ces dernièresannées, puisque les études contrôlées de groupe, confirmées par les méta-ana-lyses les plus récentes, ont établi sans discussion possible l’efficacité de larééducation orthophonique de l’aphasie. Dans ces conditions, peut-on essayerd’imaginer ce qui va se passer dans les années 2000 ?

◆ Les évaluations de l’aphasie

En matière d’évaluation de l’aphasie, l’idée de remplacer un bilan initialqui se voulait exhaustif mais ne l’était jamais, par des évaluations successives,intégrées à la rééducation, et apportant à partir d’hypothèses théoriques argu-mentées des réponses aux questions apparues au cours la thérapie, a fait sonchemin. Les batteries actuelles, type Examen Diagnostique d’Aphasie de Bos-ton ou Protocole Montréal-Toulouse, sont rapidement dépassées par les nou-velles découvertes et l’évolution des concepts théoriques, parfois avant mêmeque leur validation soit terminée. Elles devraient être progressivement rempla-cées par des systèmes d’information plus flexibles, susceptibles d’intégrer lesdonnées nouvelles et les avancées de l’aphasiologie, l’informatisation permet-tant le traitement automatique des résultats. A court terme, dans la perspectivede la révision de la nomenclature des actes professionnels et de la mise en place

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des systèmes d’accréditation et de contrôle-qualité, il faut continuer les effortspour doter l’orthophonie d’outils d’évaluation validés, fiables et adaptés à l’ob-jectif rééducation. A plus long terme, la notion de comparaison à des normesselon l’âge et le niveau d’éducation ou à des standards de communicationdevrait laisser la place à une évaluation personnalisée et individuelle. La réédu-cation s’établira de plus en plus sur des problématiques de causalité, par compa-raison des résultats à des tâches spécifiques d’un processus ou d’une activitécognitive donnée, selon les principes de la double dissociation de la neuropsy-chologie cognitive (Caramazza & Hellis, 1993), tout en intégrant les besoins encommunication des patients dans le contexte concret de leur vie quotidienne(Darrigrand & Mazaux, ce numéro). On tiendra mieux compte du contexted’énonciation, des situations de communication sociale ; des enregistrementsvidéo numérisés permettront d’analyser les capacités dont dispose réellement lepatient à son domicile, en dehors de la présence des thérapeutes, et les stratégieslangagières qu’il utilise alors.

◆ L’évolution de la rééducation

Certaines évolutions devraient apparaître dans les pratiques rééducatives.Les techniques de stimulation inspirées de Schuell, Wepman ou Ducarne ne dis-paraîtront probablement pas, car elles ont fait la preuve de leur efficacité àaccompagner la récupération spontanée précoce et restent très utilisées (Robey,1998). La thérapie mélodique et la P.A.C.E. devraient devenir plus flexibles, etreprésenter des étapes dans un programme, plutôt que des méthodes codifiées.Les thérapeutes s’intéresseront plus à l’esprit qu’à la lettre. De même, plus per-sonne ne croit que les thérapies assistées par ordinateur vont révolutionner larééducation ou représenter les suppléances idéales qui manquent si cruellementaux patients atteints d’aphasie globale, mais tout le monde admet que dans cer-tains secteurs, face à certains symptômes, pour certains patients à un momentdonné de leur évolution, elles représentent un adjuvant précieux. Il a été évoqué,notamment en Amérique du Nord (Katz & Wertz, 1997), d’utiliser l’ordinateurcomme répétiteur ou comme outil d’auto-rééducation faute de thérapeute dispo-nible. Des mises au point, voire si nécessaire des recommandations pour la pra-tique clinique ou une conférence de consensus, devraient clarifier le rôle et lesindications des thérapies informatisées, et informer sur les dangers éventuelsd’une mauvaise utilisation. Quant aux thérapies de groupe, elles devraient sedévelopper, à la période de rééducation active pour actualiser les acquis etrendre la communication plus dynamique, et au titre de relais, en fin de thérapieindividuelle (Pachalska, 1991).

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Mais l’évolution devrait surtout concerner la manière dont la rééducationest mise en oeuvre. On considère de plus en plus la démarche, le programme àmettre en oeuvre, plutôt que les méthodes, pour les adapter le plus étroitementpossible aux conditions affectives, aux niveaux de langage et au contexte psy-cho-social de l’aphasique. On s’attache de plus en plus à dépasser les manifesta-tions de surface, pour s’intéresser aux mécanismes sous-tendant les troublesaphasiques, et à mettre le contenu de la rééducation en concordance avec cesmécanismes. On vise d’abord à élever le niveau global de fonctionnement dessystèmes cognitifs codant le langage, puis dans un deuxième temps à concentrerla rééducation sur les troubles prédominants. Mais les aspects théoriques ne sontpas encore assez transférés dans la pratique : de nombreux exemples détaillés derééducation menées en cas unique ont été rapportés dans la littérature ces der-nières années, mais ils concernent par définition des cas exemplaires, dont lasymptomatologie est très pure, et il persiste un décalage important entre cesmodèles théoriques et les patients rencontrés en pratique quotidienne. Dansl’avenir, les capacités intellectuelles générales, les niveaux de langage et lesstyles de communication propres à chaque sujet seront directement pris enconsidération pour le choix, l’adaptation d’un modèle et l’interprétation desrésultats.

La rééducation accordera probablement autant d’importance à l’apha-sique en tant que personne, qu’à l’aphasie qu’il présente. La rééducation res-semblera davantage à un inventaire personnalisé des besoins en communicationqu’à un livre de recettes. Prendre en compte le contexte psycho-affectif et lapersonnalité de l’aphasique devrait permettre à celui-ci de mieux mobiliser sesressources résiduelles à communiquer. L’apport des sciences sociales et de lapsycho-sociologie devrait permettre de mieux comprendre son comportement,notamment en milieu naturel par rapport à son comportement face au théra-peute, en situation duelle et « protégée », et d’intervenir sur ces facteurs. Pour-quoi certains aphasiques qui ont récupéré une bonne fonction linguistique nereprennent-ils pas, ou si difficilement, les rôles sociaux qu’ils pourraient tenir ?Que penser des difficultés à rétablir non seulement la communication, maisaussi les relations dans la famille ? Certaines études ont montré que le soutiende la famille sous forme d’informations sur l’aphasie, de conseils, et d’entre-tiens pouvaient avoir autant d’impact que la rééducation du langage du patient(Ponzio et Degiovani, 1991). Dans le cadre des approches dites socio-linguis-tiques, il a été proposé de former un bénévole de l’entourage proche du patient,« l’aidant naturel », à devenir un partenaire de communication privilégié suscep-tible de l’assister dans les activités de communication sociale (Lyon, 1997). Cesapproches vont probablement se développer et se structurer. L’approche systé-

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mique de la communication déjà développée dans d’autres domaines tels que larééducation des traumatisés crâniens (Mazaux & Destaillats, 1995) pourraitaussi être appliquée aux relations de l’aphasique avec sa famille et son entou-rage.

La rééducation du langage devrait aussi être intégrée dans une approchecognitive plus globale. Il ne s’agit pas de revenir à des méthodes dites de pré-rééducation, qui visaient à mettre le patient en condition de recevoir des actionsdirectement ciblées sur le langage, mais d’étudier et de développer les capacitésde l’aphasique à contrôler, planifier, réduire sa sensibilité aux interférences, sesinhibitions, ses persévérations et ses auto-censures pour engager une action psy-cho-linguistique de production ou de traitement de données verbales. Dans lesthérapies du langage écrit par exemple, une plus grande part sera accordée à laconscience phonologique, à la mémoire de travail, à la conscientisation desschémas syntaxiques. La problématique explicite déclaratif versus implicite pro-cédural déjà à l’œuvre dans d’autres secteurs sera probablement appliquée àl’aphasie. La relaxation ou d’autres approches de ce type pourraient permettred’exploiter des ressources disponibles en conditions implicites, non directementliées à la production verbale, mais favorisant l’activation générale des systèmescognitifs. A l’inverse, chez d’autres patients et dans d’autres situations, les tech-niques de manipulation consciente des outils verbaux et l’information sur lanature des troubles aphasiques seront plus utilisées.

Ces perspectives impliquent d’importants changements dans les modes etles contenus de la formation professionnelle. D’une part, la tentation du dogma-tisme réductionniste visant à mettre en correspondance directe un symptôme etun mode de prise en charge, et/ou d’appliquer une recette universelle à tous lespatients et quel que soit le stade de l’évolution, n’est pas complètement écartée.La rééducation orthophonique de l’aphasie a connu une première époque, domi-née par l’empirisme et la place attribuée à l’inspiration et l’imagination du thé-rapeute, puis une deuxième, dominée par le souci de suivre avec plus ou moinsd’aménagement des modèles du fonctionnement cognitif du sujet sain validés enconditions expérimentales, puis une troisième, dominée par la préoccupationpragmatique et écologique. Tour à tour, chacun de ces courants de pensée a pro-clamé sa supériorité sur les autres, et les thérapeutes ont été formés en ce sens.Puisque les rapprochements existent et que des approches intégratives se déve-loppent (Lesser, 1995), peut-on espérer que l’accent soit mis dans les institutsde formation initiale comme en formation continue sur l’ouverture d’esprit, ledéveloppement du sens critique, les aptitudes à être à la fois imaginatif, rigou-reux et pragmatique, plutôt que l’un ou l’autre ? D’autre part, trop de théra-peutes se sentent encore désarmés, parce qu’insuffisamment préparés, à la mani-

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pulation des contextes psychologiques et sociaux, et à la gestion de situationspsychologiquement difficiles ou douloureuses. Apprendrons-nous mieux à gérerl’angoisse de ne pouvoir guérir, mais seulement améliorer, à gérer le stress et laculpabilité d’arrêter la rééducation d’un patient qui reste dramatiquement apha-sique malgré nos efforts ? Il est bien clair pour les thérapeutes comme pour laSécurité Sociale que la rééducation orthophonique n’est pas un placebo ou unepsychothérapie habillée d’arguments techniques, mais est-ce aussi clair pour lespatients et leurs familles ? Et qui doit donc les aider dans le travail de deuil etd’adaptation (qui est d’ailleurs plus souvent un travail de résignation) ? Dansl’avenir, les rôles de l’orthophoniste, du neuropsychologue, du psychologue, dumédecin traitant et du psychiatre devraient être clarifiés, et le rôle des orthopho-nistes vis-à-vis des associations de patients aphasiques devrait l’être aussi. Lesproblèmes d’indication, de poursuite ou d’arrêt des thérapies et de suivi au longcours devraient faire l’objet d’un double débat : technico-administratif avec lesdécideurs de santé et les organismes payeurs, mais aussi éthique.

◆ L’évaluation des résultats de la rééducation

L’évaluation de l’efficacité de la prise en charge orthophonique de l’apha-sie est un problème capital, qui conditionne dans une large mesure son avenir etson développement. Elle s’est longtemps heurtée à la diversité des aphasies etde leurs classifications, aux difficultés de leur évaluation, à la variabilité voire àl’imprécision des approches rééducatives. L’ e fficacité de la prise en charg eorthophonique de l’aphasique vasculaire a donc longtemps été considéréecomme conjecturale. Une analyse attentive des publications montre que la plu-part souffraient d’insuffisances méthodologiques, en particulier d’une fréquenteabsence de groupe contrôle et surtout d’une faible quantité de rééducation admi-nistrée. Mais des progrès importants ont été effectués ces dernières années, etles recherches devraient encore s’intensifier dans l’ave n i r, et apporter desréponses de plus en plus précises. Il existe maintenant plus d’une dizained’études contrôlées prospectives randomisées qui confirment l’efficacité de l’or-thophonie dans l’année qui suit l’accident vasculaire chez une majorité d’apha-siques, au sein d’un ensemble convergent de plus de 200 études de cas isolés oude groupes (Holland, 1996 ; Joseph, 1998 ; Robbey, 1998). On a pu évaluerl’ampleur moyenne des progrès liés à la rééducation au double de celle qui estobservée grâce à la récupération spontanée (Albert, 1998).

Les recherches ultérieures aideront à mieux poser les indications de larééducation. Les aphasies de gravité moyenne et importante sont celles quiparaissent tirer le plus de bénéfice de la rééducation. Néanmoins, la quantité

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d’amélioration qui peut être mesurée par les tests est probablement souvent sous-estimée (effet plafond) dans les aphasies modérées, ce qui rend l’évaluation de laprogression dans cette situation impossible avec les batteries actuelles, alors queces patients signalent souvent des difficultés de communication invalidantes. Ilest pour l’instant difficile de conclure sur l’impact du type d’aphasie sur l’effi c a-cité de la prise en charge du fait de la diversité des syndromes et de la dive r s i t édes prises en charge proposées. Les aphasies réduites sont celles qui ont enm oyenne la plus faible progression, mais il faut garder en mémoire leur hétérogé-néité puisqu’elles regroupent aussi bien des aphasies globales que des aphasies deBroca ou des aphasies sous-corticales dont on connaît les pronostics diff é r e n t s .

Nous commençons à disposer de réponses précises sur les conditions demise en oeuvre de la rééducation. Durant les deux premiers mois qui suivent la sur-venue de l’aphasie, la rééducation permet des progrès substantiels et signifi c a t i f svis à vis de la récupération spontanée. Deux à trois heures de traitement hebdoma-daire paraissent insuffisantes de manière générale pour obtenir l’améliorationmaximale. Les données de la littérature suggèrent qu’une rééducation d’au moinscinq heures par semaine soit la plus efficace à partir du 3e mois qui suit la surve n u ede l’aphasie (Robbey, 1998). Les bénéfices d’une telle prise en charge intensiveapparaissent rapidement dès 6 à 8 semaines de thérapeutique, sans qu’il soit pos-sible de dire aujourd’hui si le maintien d’une rééducation à un tel rythme pendantplusieurs mois apporte un bénéfice supplémentaire. Des traitement de plus fa i b l eintensité (2 heures par semaine) peuvent être efficaces, mais les changements sontd’autant plus marqués que la quantité de traitement délivrée est importante ave cune corrélation avec la durée totale du traitement. Si un traitement précoce n’a puêtre débuté, certaines études, en particulier le travail de Wertz et al. (1986), mon-trent qu’une rééducation adéquate permet en quelque sorte de « rattraper » le retardpris. Il faut souligner que des travaux anciens (Sarno, 1981) avaient montré que lesaphasies globales ont un profil de récupération décalé avec un début plus tardif desprogrès à partir du troisième mois, alors que les aphasies moins graves, en particu-lier les aphasies fluentes s’améliorent plus précocement. La conséquence pratiqueest de ne pas interrompre prématurément la rééducation devant l’absence de pro-grès important dans ces aphasies graves, ou en tous cas de se reposer à distance laquestion de l’utilité d’une intervention. Au delà de la première année une partie aumoins des aphasiques peut continuer à tirer parti d’une intervention orthophonique.On a pu rapporter des études de cas individuels qui montraient plusieurs annéesaprès la survenue d’une aphasie une amélioration notable de leur déficit linguis-tique du fait d’une intervention reposant sur une analyse précise des troubles(Byng, 1988). Néanmoins on a également signalé des cas isolés évoluant de fa ç o ncomparable en dehors de toute prise en charge spécifique (Holland, 1989). La méta

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analyse de Robey (1998) suggère une efficacité du traitement en phase chroniqueaprès le 12e mois, avec une amélioration moyenne des symptômes de l’ordre de60% sur l’ensemble des aphasies. Même si ces modifications sont modestes, ellessont 12 fois plus marquées qu’en l’absence d’intervention, où il n’existe après cedélai en moyenne plus aucun changement lié à la récupération spontanée. Ces don-nées confortent des résultats plus anciens d’études non contrôlées, en particulierceux des équipes italiennes de Vignolo et Basso.

La poursuite des recherches dans ce secteur devrait nous aider àconvaincre les payeurs d’une part que le rythme et l’intensité de la rééducationne sont pas fixés ni fixables à l’avance, une fois pour toutes, mais dépendent desrésultats des bilans, et d’autre part qu’à une époque où on parle d’économies desanté généralisées, une rééducation quotidienne de l’aphasie est souvent néces-saire, et représente un gage d’économie de dépenses indirectes ultérieures. Il estpeu probable que des difficultés sérieuses surgissent avec les Caisses pour leremboursement des actes, en dehors de particularités locales, mais les Ordon-nances Juppé ont modifié, et semble-t-il de façon durable, le comportement decertains médecins prescripteurs. Des rencontres devraient être organisées avecles principaux organismes de formation médicale continue pour mieux faireconnaître et comprendre par les médecins l’aphasie et les apports de la rééduca-tion. L’évolution de la rééducation de l’aphasie dépendra aussi de l’évolutiondes pratiques rééducatives en général, et des politiques de santé en France : sil’évolution vers un système mixte, où les assurances privées occupent une placegrandissante par rapport à la Sécurité sociale se confirme, il n’est pas impos-sible que les conditions de remboursement des rééducations évoluent notable-ment. Il n’est pas certain, comme les amateurs de scénario catastrophes aiment ànous le faire accroire, que nous irons vers une diminution générale des rembour-sements, il est plutôt à craindre que les conditions de la rééducation : nombretotal de séances, durées, rythmes... ne dépendent plus uniquement d’argumentstechniques et de la sévérité du trouble, mais aussi de la compagnie d’assuranceet du type de contrat souscrit par le patient. L’égalité des chances, plus que l’ac-cès général au soin, se trouverait ainsi remise en question.

◆ Qu’attendre des progrès des neurosciences ?

Actuellement, les relations entre progrès des neurosciences et progrès desrééducations au quotidien ne sont ni directes, ni évidentes. A première vue, lesétudes analysant les modifications des supports neurobiologiques cérébrauxinduites par la rééducation n’ont guère de retombées immédiates sur les pratiquesr é é d u c a t ives. On a l’impression qu’elles servent surtout à conforter les théra-

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peutes et à convaincre les sceptiques de l’efficacité de la rééducation. Mais à pluslong terme, une meilleure connaissance des substrats biologiques peut conduire àc o n c evoir de nouvelles méthodes rééducatives influençant directement ces sub-strats, ou du moins prenant en compte les contraintes du transit de l’informationdans les systèmes neuronaux : éviter « les fautes contre le cerve a u ». Unemeilleure reconnaissance des thérapies par les scientifiques conduit aussi à unemeilleure reconnaissance par les organismes de remboursement social, et,lorsque ces procédures seront officialisées, par les structures d’accréditation et dedémarche-qualité. La Thérapie mélodique et rythmée est un bon exemple de ceprocessus : la démonstration de l’efficacité de la méthode sur des séries contrô-lées (Sparks & Holland, 1976), puis la mise en évidence en PET-scan du recrute-ment d’aires préfrontales de l’hémisphérique gauche par les procédures intona-t ives et mélodiques (Belin, 1996) ont conduit à la reconnaissance de la méthodeet à sa recommandation par l’Académie Américaine de Neurologie (Albert,1998). Une meilleure médiatisation pourra aussi conduire à une meilleure infor-mation sur l’aphasie, une meilleure reconnaissance du handicap de communica-tion par le public, et donc une meilleure intégration sociale de l’aphasique.

On peut espérer aussi des progrès à partir de la neuro-chimie. L’approchemédicamenteuse, initiée de longue date par l’Ecole de Boston (Albert, 1988)connaît un regain d’intérêt avec le développement des nouvelles substances cho-linergiques (Tanaka, 1997). L’idée n’est évidemment pas de remplacer la réédu-cation par un médicament, mais de renforcer son action, et de la faire se dérou-ler dans les meilleures conditions de fonctionnement neuro-chimique dessystèmes cognitifs. Il est en effet tout-à-fait concevable que la même techniquede rééducation puisse avoir des résultats différents, selon qu’elle s’adresse à unsystème cognitif en déficit de neuro-médiateurs disponibles, ou qu’on aura aupréalable compensé ce déficit. Sans faire trop de rééducation-fiction, on peutenfin regarder du côté de la neuro-génétique, qui, après d’importantes avancéesdans le domaine de la maladie d’Alzheimer et des affections neuro-dégénéra-tives, nous apporte des informations sur la prédisposition génétique des struc-tures cérébrales à plus ou moins bien récupérer (Teasdale, 1997). Améliorer parcette voie la prédiction de la récupération cérébrale ne visera évidemment pas àfaire de la discrimination entre les sujets en fonction du potentiel récupératif,mais bien au contraire à adapter au plus près les objectifs et les techniques de larééducation au cas particulier de chaque patient.

Ainsi, les rééducations de demain seront plus flexibles, plus scientifiques,mieux personnalisées, mieux intégrées dans une approche psychologique glo-bale et mieux prescrites, et elles devraient aider à réduire le grave préjudicefonctionnel, moral et social dont souffrent les sujets aphasiques.

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L’ouvrage fondamental en langue française était le « gros livre jaune » deA. R. Lecours et F. Lhermitte « L’aphasie », paru chez Flammarion.Publié en 1979, il reste essentiel sur les descriptions. Par contre la partie

consacrée à l’évaluation et à la rééducation date.

L’ouvrage édité en 1991 chez Edisem par un collectif d’orthophonistesfrancophones (J. Ponzio, D. Lafond, R. Degiovani, Y. Joanette) est aujourd’huiépuisé. « L’aphasique » se situait délibérément dans la perspective de l’apha-sique, dans ses relations avec la rééducation, la famille, le travail, la loi, lesassociations.

Parmi les ouvrages et articles en français, on peut citer (mais il y en auraitbien sûr beaucoup d’autres):

- « La rééducation des aphasiques : approche de la médecine de rééduca-tion » de J-M Wirotius, paru dans Glossa, n°37

- Dans le même numéro de Glossa, « La rééducation de l’aphasie : lepoint de vue du neurologue » par Serge Bakchine.

- Dans les « Entretiens d’Orthophonie » de 1998, plusieurs articles avecdes éclairages inhabituels et novateurs.

- Restauration du langage chez l’aphasique d’A. Lanteri, paru chez deBoeck, propose, en fonction des différents types d’aphasie, des exer-cices de rééducation à partir de cas concrets.

- Les trois premiers chapitres de l’ouvrage collectif « Rééducationsneuropsychologiques » paru en 1997 chez l’éditeur De Boeck. On ytrouvera en particulier un article récapitulatif sur la T.M.R. ainsi qu’unarticle original de J. Buttet Sovilla à propos des thérapies de groupe.

- « La pensée d’outre-mots » de Dominique Laplane (édité en 1997) s’inté-resse à un sujet toujours d’actualité, à savoir la relation pensée-langa g e .

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Bien sûr la littérature aphasiologique re g o rge de références enlangue anglaise.

L’essentiel se trouve dans la revue « Aphasiology » qui publie chaqueannée plus de 1000 pages sur le sujet et propose des discussions passionnantes.

Par exemple, parmi les plus récents, le numéro de Mars 1998, « Beyondthe plateau » qui s’intéresse à l’arrêt et à l’après-rééducation. Ou bien celui deJuin 1998 sur la diversité des approches en aphasie. Difficile mais passionnant.

Les articles d’Aura Kagan ou, dans un autre style, de Sally Bing apparais-sent toujours enrichissants.

Notons également la revue « Topics in Stroke Rehabilitation », plusmodeste mais avec quelques articles utiles.

On trouve également quelques articles disséminés dans des revues moinsspécialisées (Neuropsychological rehabilitation par exemple) voire généralistes(American journal of speech-language pathology)

Certains ouvrages américains mériteraient aussi notre attention :

L’ouvrage de Roberta Chapey, « Language intervention strategies in adultaphasia » édité en 1994 pour sa troisième édition (chez Williams & Wilkins-Baltimore), fait un remarquable tour d’horizon des interventions les plusdiverses en aphasie.

Dans « Aphasia Treatment - world perspective s » (Singular Publishing - SanD i ego -1993), Audrey Holland et Margaret Forbes ont réuni parmi les meilleursdes aphasiologues du moment et du monde pour un tour d’horizon dive r s i fi é .

Jon G.Lyon est l’auteur de l’ouvrage « Coping with aphasia », édité en1998 chez Singular Publishing - San Diego. Il s’adresse résolument aux apha-siques et à leurs proches, dans un ouvrage pratique, clair et particulièrement utile.

Mais il faut aussi citer quelques documents de référence anciens maisqui restent fondateurs.

« Aphasie et neuropsychologie » de Xavier Seron, édité chez Mardaga en1979, reste toujours aussi intéressant pour son panorama des différentes écoles.

N’oublions pas le grand tableau descriptif et rééducatif que constituel’ouvrage de Mme Blanche Ducarne de Ribaucourt, « Rééducation sémiolo-gique de l’aphasie », paru chez Masson en 1986.

« Aphasia therapy - historical and contemporary issues » de Dav i dHoward et Frances Hatfield édité en 1987 par L.E.A. (Londres) reprend lemême sujet, ainsi qu’une solide réflexion sur la logique de la thérapie.

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A. Davis et J.Willcox ont posé les fondements de l’approche pragmatique(et de la PACE) dans leur ouvrage « Adult aphasia rehabilitation » paru en 1985chez College Hill.

Dans la fameuse collection Neuropsychologie, chez Solal, coordonnéepar Ph. Azouvi, D. Perrier et M. van der Linden, le dernier ouvrage paru, inti-tulé « La rééducation en neuropsychologie : étude de cas » propose plusieurscontributions consacrées à la rééducation des aphasiques.

Puisque Internet est (fort justement) à la mode, citons le site de la Fédéra-tion Nationale des Aphasiques de France (F.N.A.F.), créé à l’initiative de M-J. etT. Chevanne (http://www.multimania.com/aphasie). Il s’y ajoute depuis peu unesorte de forum accessible aux aphasiques et aux accompagnants (même adresseélectronique).

Pour les anglophones, le site de la « National Aphasia Association » estsur www.aphasia.org

Du côté des Associations, après André De Bie, Michel Goulard et Géral-dine Pardos, c’est maintenant au tour de Robert Chevallier de tenir les rênes dela F.N.A.F.

Adresse : 22 rue Montyon - 76600 Le Havre - 02-35-47-00-96De nombreuses associations existent au niveau local, toutes fédérées à la

F.N.A.F.

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Aucun article ou résumé publié dans cette revue ne peut être reproduit sous forme d’imprimé, photocopie,microfilm ou par tout autre procédé sans l’autorisation expresse des auteurs et de l’éditeur.

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DERNIERS NUMÉROS PA RU S

N °1 94 : LES PATHOLOGIES VOCALES CHEZ L’ENFANT - R e n c o n t r e : L’enfant, sa demande et sa motiva-tion ( C .K L E I N - D A L L A N T ) — Données Actuelles : L e s dysphonies de l’enfant : aspects cliniques et théra-peutiques ( G . CORNUT, A. TROLLIET-CORNUT) - L’évolution de l’appareil phonatoire et la voix et l’enfant( V . WOIZARD, J. PERCODANI, E. SERRANO, J.J. PESSEY) - Particularités du travail vocal en rééduca-t i o n ( B . AMY DE LA BRETÈQUE) - Qualité de voix chez l’enfant et facteurs sociaux / environnementaux( P . H . DEJONCKERE) - Pour une logique dans la démarche rééducative de la dysphonie de l’enfant( M . C . PFAUWADEL) - Le chant chez l’enfant et ses difficultés ( J . SARFATI) - Dysphonie de l’enfant : rela-tions entre professeur de formation musicale et phoniatre ( M . LECOQ) — Examens et interventions :Expérience clinique de la rééducation vocale de l’enfant ( F . MARQUIS) - Le profil vocal et son adaptationchez l’enfant (F. DEJONG-ESTIENNE) - L’enfant et sa voix. Comment les réconcilier. Le but, les étapes et lesmoyens qui font la trame d’une rééducation ( F . DEJONG-ESTIENNE) - Relaxer l’enfant ou détendre sa voix ?( C .K L E I N - D A L L A N T ) - Voix et oralité chez l’enfant dysphonique ( C . T H I B A U L T ) - Rééducation vocale del ’ e n f a n t : écoute ce qui est ( P .L U P U ) - Bertrand, l’histoire d’une mue faussée. Utilisation de la méthode desmouvements minimaux associée à cette rééducaation ( M .H A B I F ) - Apports de la sophrologie en rééducationvocale de la dysphonie de l’enfant hypertonique ( E . DE MONTAUZAN) — Perspectives : Que deviennent lesdysphonies de l’enfant à l’âge adulte ? ( D . HEUILLET-MARTIN, C. SEYOT) - Questionnaire ( C . K L E I N -D A L L A N T ) - Questions et réponses ( J . A B I T B O L ) .

N °1 95 : LES MALADIES NEURO-D É G É N É RATIVES - R e n c o n t r e : La prise en charge orthophonique des mala-dies neurologiques (F. MARTIN) — Données Actuelles : Plasticité du système nerveux : chances de réhabi-litation (N. ANNUNCIATO) - Importance des facteurs neurotrophiques dans la régénération du système ner-v e u x (N. ANNUNCIATO) - Les maladies neurologiques chroniques dégénératives et la réadaptation( C . HAMONET) - Les troubles de la déglutition dans la maladie de Parkinson (B. ROUBEAU) - F o n c t i o n scognitives et sclérose latérale amyotrophique (S.L.A.) (J. MÉTELLUS) — Examens et interventions : L amaladie de Steele-Richardson-Olszewski : diagnostics différentiels et rééducation orthophonique ( I . E Y O U M ,S. DEFIVES-MASSON) - Un cas particulier de chorée : l’hémiballisme (N. COHEN, I. EYOUM) - S c l é r o s een plaques : examen de la dysarthrie (G. COUTURE, A. VERMES) - L’orthophonie dans la SLA : un accom-p a g n e m e n t ? (S. BRIHAYE) — Perspectives : La communication après l’aphémie (S. BRIHAYE) - Aides tech-niques (A. VETRO, M. VETRO)

N °1 96 : LANGAGE ORAL - PRODUCTION - R e n c o n t r e : Justine ou la difficile conquête de l’autonomie et dul a n g a g e (P. AIMARD) — Données Actuelles : De l’approche neuropsychologique en général et du langageoral en particulier (J.-P. LASSERRE) - Etiologies des dysphasies : le point de la question (J.-J. DELTOUR)- Développement des productions vocales : évaluation et implications cliniques (S. VINTER) - Pour une éva-luation intégrative du langage oral (J.A. RONDAL) — Examens et interventions : Etude de cas : Emmanuelle,née le 14 novembre 1969 (A.-M. ROBERT-JAHIER) - Qui dit quoi ? Le rôle de la reformulation dans la réédu-cation du langage oral chez l’enfant de 4 ans (C. FOUASSIER, A. GADOIS, C. HÉNAULT, D. M O R-CRETTE, L. BIHOUR, N. GUÉRET) - Quand le nombre est parlé avant d’être écrit : acquisition et élabora-tion de la chaîne numérique verbale (A. MÉNISSIER) — Perspectives : Apports de la pragmatique et de lapsychologie du langage à la compréhension des troubles du développement du langage ( G . DE WECK)- Premiers pas dans l’acquisition du lexique (D. BASSANO) - Et si l’humour c’était sérieux ? ( M .F O S S A R D )- L’oral : une tâche moins discriminante que l’écrit ? ( K . D U V I G N A U )

N °1 97 : LA CONSCIENCE PHONOLOGIQUE - Rencontre : La conscience phonologique dans le cadre d’uneévaluation psycholinguistique de l’enfant (B. WELLS) — Données Actuelles : Sensibilité phonologique et trai-tement métaphonologique : compétences et défaillances (M. PLAZA) - Déficits phonologiques et métaphono-logiques chez des dyslexiques phonologiques et de surface ( L . SPRENGER-CHAROLLES, P. LACERT,P . COLÉ, W. SERNICLAES) - Evaluation de la mémoire de travail verbale chez six enfants présentant unehémiplégie congénitale (M. SANCHEZ, S. GONZALEZ, A. RITZ) - Conscience phonologique et surdité( A . DUMONT) — Examens et interventions : Approche rééducative de la conscience phonologique auprèsd’une enfant présentant une dysphasie et une dyslexie (G. BERTIN, I. RETAILLEAU, S. GONZALEZ) -P h o n o r a m a : matériel d’entraînement de la compétence métaphonologique ( N . ISSOUFALY, B. PRIMOT) -Pratique de la D.N.P. et développement de la conscience phonologique ( D . PRADO) — Perspectives :Evaluation de la conscience phonologique et entraînement des capacités phonologiques en grande section dematernelle (M. ZORMAN) - Entraînement à la parole et au langage acoustiquement modifiés : une relationentre l’entraînement à la discrimination auditive du mot et les mesures d’évolution du langage ( S . L .M I L L E R ,N . LINN, P. TALLAL, M.M. MERZENICH, W.M. J E N K I N S )