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Tous droits réservés © La revue Séquences Inc., 1987 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ Document généré le 9 oct. 2021 17:22 Séquences La revue de cinéma Norman McLaren Télégrammes et témoignages Léo Bonneville, Francine Desbiens et Jacques Drouin Numéro 129, avril 1987 URI : https://id.erudit.org/iderudit/50716ac Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) La revue Séquences Inc. ISSN 0037-2412 (imprimé) 1923-5100 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Bonneville, L., Desbiens, F. & Drouin, J. (1987). Norman McLaren : télégrammes et témoignages. Séquences, (129), 12–21.

Norman McLaren : télégrammes et témoignages

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Page 1: Norman McLaren : télégrammes et témoignages

Tous droits réservés © La revue Séquences Inc., 1987 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation desservices d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politiqued’utilisation que vous pouvez consulter en ligne.https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/

Cet article est diffusé et préservé par Érudit.Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé del’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec àMontréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche.https://www.erudit.org/fr/

Document généré le 9 oct. 2021 17:22

SéquencesLa revue de cinéma

Norman McLarenTélégrammes et témoignagesLéo Bonneville, Francine Desbiens et Jacques Drouin

Numéro 129, avril 1987

URI : https://id.erudit.org/iderudit/50716ac

Aller au sommaire du numéro

Éditeur(s)La revue Séquences Inc.

ISSN0037-2412 (imprimé)1923-5100 (numérique)

Découvrir la revue

Citer cet articleBonneville, L., Desbiens, F. & Drouin, J. (1987). Norman McLaren : télégrammeset témoignages. Séquences, (129), 12–21.

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HOMMAGE À N O R M A N McLAREN

NORMAN McLAREN Lundi, 26 janvier 1987 était un jour de deuil pour le cinéma canadien. Disparaissait le plus prestigieux de nos cinéastes. Tout de suite, Séquences a pris la décision de rendre hommage à ce cinéaste hors pair. Elle a sollicité les télégrammes reçus à l'Office national du film et a demandé à Francine Desbiens de contacter ses con­

frères de l'animation pour recueillir leurs témoignages. De plus, Séquences a obtenu la copie d'une lettre de François Truffaut ainsi que des dessins inédits de Norman McLaren. Ce sont ces documents que nous livrons à nos lecteurs. Séquences remer­cie tous ceux qui ont rendu possible cet hommage à Norman McLaren. L.B.

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Voisins

Télégrammes « Dans les films de McLaren, nous retrouvons toutes les qualités fondamentales propres à l'être humain: l'émotion, la mobilité, la plasticité, la vivacité ainsi que les extravagances de l'amour. Dans ses expérimentations, i l ya toujours eu place pour la notion de risque artistique, pour la reconnaissance des dangers liés à la création et pour l'affirmation de l'importance de l'oeuvre et de son exécution. »

Alexandre Alexeieff et Claire Parker (France)

« McLaren pousse toujours une idée jusqu'à son ultime originalité: ne craignant jamais les affres de la nouveauté: reconnaissant, je crois, qu'il n'existe aucune tradition dans un art qui est aussi immédiat que le moment présent. »

John Hubley (États-Unis)

« L'imagination peut être satisfaite par le plus petit espace sur la pellicule, mais aussi petit qu 'il puisse être, c 'est avec cet espace que Norman McLaren a conquis les écrans partout dans le monde. »

Raoul Servais (ASIFA - Belgique)

« Comme toute la communauté mondiale du cinéma d'animation, nous avons une dette de reconnaissance envers le Canada pour avoir donné à ce grand poète la possibilité de s'exprimer à travers le cinéma et de porter l'animation au niveau de l'art. »

Alfio Bastiancich (ASIFA - Italie)

« Norman McLaren, vous êtes vivant. Votre coeur bat 24 fois à chaque seconde pour nous apprendre jusqu'à quel point une illusion de vie peut être belle et simple. Nous vous écouterons à jamais. »

Marcos Magalhâes (Brésil)

« // était très différent car il croyait que l'animation pouvait être une forme artistique plutôt que du simple dessin animé. Il tentait toujours de nouvelles expérimentations, cherchant des sujets originaux, touchant le film abstrait ou gravant directement sur la pellicule. Tout ceci était vraiment passionnant, mais sa plus grande contribution fut de combiner à la fois la musique et le visuel sur la pellicule de la façon la plus effective. Il est une inspiration réelle partout dans le monde. »

Ishu Patel (Inde / Canada)

« Nous avons tous été peines d'apprendre la disparition de Norman McLaren et nous avons fait le nécessaire pour que ce triste événement soit dignement souligné dans la presse quotidienne. Les revues spécialisées préparent des études approfondies sur ce maître de l'animation. »

Borivoj Dovnikovic (Yougoslavie)

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Blinkity Blank

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HOMMAGE A N O R M A N McLAREN

Témoignages Quand Léo Bonneville m'a demandé d'écrire quelques mots sur McLaren, ma première réaction a été de refuser. Quoi dire sur cet artiste qui n'a déjà été dit, et beaucoup mieux qu'il m'est possible de le faire. Et comment lui rendre justice et honneur. Pour ces raisons, je choisis d'exprimer dans ces quelques lignes, maladroitement peut-être, l'émotion et la fierté ressenties non seulement devant son oeuvre mais devant cette personnalité qui ne pouvait que toucher profondément son entourage.

C'est au pensionnat, où je m'occupe du ciné-club étudiant, que je vois pour la première fois des films de McLaren. On est en 1950 et « quelques ».

Des titres me reviennent: Blinkity Blank, Fiddle Dee Dee, Rythmetic... Me revient surtout le souvenir d'une grande émotion devant un concept de « dessin animé » dont jusqu'alors je n'avais soupçonné l'existence. À cette époque c'est Rythmetic qui me causait le plus vif plaisir. Ma joie devant ces chiffres espiègles était aussi grande que la difficulté que j'avais, sur mon banc d'écolière, à les ordonner correctement! Quelle magie de s'amuser ainsi avec des nombres qui devenaient de véritables personnages, ayant chacun son caractère propre, se taquinant et se bousculant d'un côté à l'autre de l'écran, sans jamais y perdre leur latin!

Après ces années de pensionnat, je retrouve les films de McLaren lors d'événements cinématographiques tels les ciné-clubs privés de l'époque, et le Festival international du film de Montréal. Devant des films tels Le Merle, Neighbours, A Chairy Tale, Opening Speech, je ressens toujours le même émerveillement. Il s'y trouve infailliblement la manifestation d'une émotion singulière et une sensibilité artistique peu commune.

À mon arrivée au Studio d'animation de la production française à l'automne 66, je fais plus ample connaissance avec ce grand créateur dont la générosité, l'humour et la simplicité n'ont d'égal que son génie.

Il y avait, à cette époque, ce que l'on appelait l'École de McLaren, où Norman donnait, aux jeunes animateurs, des cours sur les principes de base du cinéma image par image. Lorsque René Jodoin m'inscrit à ce cours, j'en ressens une étrange émotion: un mélange de fierté et d'angoisse. Comment être à la hauteur de l'enseignement de ce maître? Nous allions malheureusement assister à deux seuls cours: l'état de santé de McLaren allait l'empêcher de poursuivre. Il avait néanmoins réussi, en ces deux sessions, à nous inculquer les notions de base du mouvement, à partir desquelles nous devions exécuter un essai en papiers découpés.

Quelque 4 000 images et autant de soupirs plus loin, je visionne le résultat de cet essai qui allait marquer le début de mon travail comme cinéaste d'animation. Après plusieurs semaines d'absence, McLaren revient à l'O.N.F. et visionne le travail de ses élèves. En le croisant dans le corridor, il me tend les bras, et à ma grande surprise, m'embrasse en me disant le plaisir qu'il a eu à voir cet essai. Inutile de dire l'émotion que je ressens devant une telle manifestation de tendresse venant d'un homme habituellement très réservé et timide.

Cet encouragement de Norman McLaren, ainsi que celui de René

Jodoin qui partageait la même philosophie face au cinéma d'animation, ont déterminé ma persistance dans ce que j'estimais être le plus beau métier au monde!

Tous les rapports que j'ai eus par la suite avec McLaren restaient imprégnés de cette simplicité et générosité qui ont toujours singularisé ce grand artiste, dont le souci constant était de partager son savoir avec le plus grand nombre d'animateurs possibles.

Avant son dernier film Narcisse, il a mis sur pellicule tout son enseignement: les cinq films regroupés dans Animated Motion sont des leçons extraordinaires pour les animateurs qui s'y réfèrent constamment. Je ne connais pas beaucoup d'artistes qui, au terme d'une carrière aussi prodigieuse, s'astreignent pendant deux années à livrer, sous forme purement didactique et informative, les données de base de l'art qu'ils exercent. Pour McLaren, il était d'importance primordiale que ses connaissances soient transmises au plus grand nombre possible de cinéastes; c'est ainsi que son école continue aujourd'hui, alors qu'il nous a quittés.

Lorsque Norman McLaren prend sa retraite en 1984, nous ressentons un étrange vide. À l'issue d'une fête en son honneur qu'il a souhaitée la plus simple possible, il relate sa vie passée à l'O.N.F. depuis les débuts. En dépit de l'humour et de la finesse de ses propos, nous sommes imprégnés d'une immense tristesse. Après son départ, il revient parfois à l'O.N.F. De le voir ainsi au hasard d'un corridor ou de la cafétéria, même si c'est de loin, et de temps à autre, on se sent rassuré.

Il est extrêmement pénible aujourd'hui de réaliser que nous ne l'y verrons plus. Sa disparition nous affecte profondément. Elle nous surprend aussi: bien que nous connaissions son état de santé, nous l'espérions, je crois, éternel.

Francine Desbiens

Le Merle

Le 27 janvier, le coeur gros, quelques-uns d'entre nous répondaient aux questions des journalistes venus dans l'aima mater de Norman McLaren. L'un deux demanda à filmer l'intérieur du bureau où avait travaillé Norman. Je connaissais bien le chemin qui menait à ce lieu à la fois sacré et si ordinaire. Le piano en moins, le bureau avait la même apparence avec, au beau milieu, le double classeur gris. Une sorte de trésor que Norman m'avait souvent invité à consulter. Les notes et informations sur chacun des films qu'il avait réalisés ou abandonnés s'y trouvaient. Norman n'avait rien à cacher et, pour moi, son influence est à l'image de ce classeur sans mystères... Une invitation à découvrir, une incitation à franchir les portes qu'il a ouvertes pour nous, un encouragement à aller plus loin... Et, venant de lui, cet encouragement donnait l'état de grâce.

Jacques Drouin

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HOMMAGE À N O R M A N McLAREN

En 1953, lors de mes études de photographie en Suisse, Norman McLaren, l'O.N.F., Yousouf Karsh, Félix Leclerc et la Gendarmerie royale du Canada représentaient à peu près la totalité de mes connaissances du Canada.

Rendre hommage à Norman McLaren... Honoré, humble, pas à la hauteur, pourquoi moi? Je ne faisais pas partie de ses intimes. Pourquoi pas moi? Je l'ai côtoyé pendant tant d'années.

C'est Claude Jutra qui m'a présenté à Norman, en 1962. J'étais très ému et impressionné; je confesse que je me souviens très peu de cette première visite. Il m'expliquait comment il fabriquait la trame sonore, pour je ne sais plus quel film; je n'ai pas compris grand-chose.

J'étais fasciné par l'homme. Je me souviens tout particulièrement de ses yeux. Comme tous les grands personnages que j'ai rencontrés par la suite, il avait un regard bien particulier. Des yeux doux, tristes, scrutateurs, qui tantôt me fouillaient furtivement, pour aussitôt me quitter pour son for intérieur; le regarder à ce moment-là, c'était comme scruter un lac sans fond, je devenais triste à mon tour.

Il travaillait dans deux petits bureaux transformés en salle de montage et en plateau de tournage. Il y avait un tel bric-à-brac qu'il fallait presque le découvrir. Ces deux réduits donnaient sur un corridor où peu de gens passaient. On ne rencontrait donc pas Norman par hasard. Juste à côté de lui travaillait Evelyn Lambart, son assistante pour plusieurs de ses films; elle était là, souriante, rassurante.

Il y a toujours été mal logé; son équipement vieillot, Moviola et caméra, ont probablement servi à faire tous ses films, depuis ses débuts à l'O.N.F. (Il y a été engagé par John Grierson, en 1941).

Donc, grâce à Claude qui m'a permis de briser cette glace, j'ai renouvelé ma visite à Norman presque régulièrement deux fois par année.

Timidement, je frappais à sa porte et timidement il me l'ouvrait. Notre rencontre commençait toujours par des excuses mutuelles suivies d'un silence qui augmentait sensiblement le malaise. Lorsque j'étais avec Norman, j'oubliais le peu d'anglais que je savais et il passait péniblement au français pour me rendre mon séjour agréable.

Il m'expliquait ce qu'il était en train de faire; il me faisait des démonstrations, comment graver des trames sonores. Il s'informait de mes montages, on parlait de l'Office. Puis je rassortais de chez lui à reculons, heureux, mal à l'aise, gêné de l'avoir dérangé. Six mois plus tard, je prenais mon courage à deux mains et je récidivais.

Il m'avait passé deux filtres Polaroid et nous collions du « scotch tape » sur un des filtres et la polarisation donnait des couleurs absolument fabuleuses; je cherchais du « tape » de différentes qualités pour obtenir toutes sortes d'effets différents. Norman m'a demandé de ne pas parler de cette expérience, car il avait l'intention de l'utiliser dans un de ses prochains films. Je n'en ai jamais parlé et Norman n'a jamais fait ce film.

Il é ta i t une chaise

Pas de deux

Discours de bienvenue

Un jour, à ma grande surprise, c'est lui qui frappe à la porte de ma salle de montage, la boîte de Pas de deux sous le bras. « Werner, j'ai beaucoup de difficultés avec une coupe. » Qu'à cela ne tienne, me dis-je, je vais enfin pouvoir lui montrer ce dont je suis capable!

Je pense avoir essayé au moins pendant deux heures, sans succès. Norman était navré pour moi. Il s'en voulait de m'avoir mis dans cette situation. Je suis donc le coréalisateur de la seule mauvaise coupe dans Pas de deux, et c'est aussi la seule coupe qu'il y ait dans ce film!

Après la construction de l'édifice Grierson, Norman a déménagé dans un beau grand bureau tout neuf, mais là encore il n'était pas aisé de le trouver. La plupart des gens pouvaient passer devant sa porte sans se douter que c'était son lieu de travail. Ça ne lui a pas pris de temps pour transformer ce bureau en véritable capharnaùm: planche à dessin, peintures, papiers, bouts de film. Il gardait tout. Comme Picasso. Picasso qui lui portait d'ailleurs une grande admiration.

Il était moins visible encore dans ce bureau que dans l'ancien. Mais i! était là, terriblement productif.

Le malaise qu'il y avait entre nous, c'est-à-dire cette timidité presque maladive, nous l'avons pourtant entretenu près d'un quart de siècle!

Peu de temps après sa retraite, un jour, sur ma table de montage, j'ai trouvé le livre» Les dessins de Norman McLaren » avec cette dédicace: « To Werner, with my gratitude and affection, Norman McLaren, April 1984».

Je l'aimais cet homme-là!

Il est sorti timidement de ma vie pour entrer de plain-pied dans ma mémoire.

Wemer Nold

Quand j'ai vu le film Mosaïque de McLaren, j'ai eu l'impression d'assister à un feu d'artifice. J'ai été conquis par la combinaison image, rythme et mouvement. Ce court métrage m'avait transporté; pourtant j'étais bien assis dans une salle de projection improvisée au Musée des Beaux-Arts. On n'avait pas essayé de me raconter une histoire avec des personnages et une dramatique comme à l'habitude. Bien plus, McLaren me confirmait qu'il m'était possible d'allier mes intérêts pour la musique et le cinéma d'animation.

Quand j'ai pris connaissance de sa produdion, j'ai été séduit. On pouvait faire du cinéma d'animation avec une équipe réduite, des matériaux simples et de l'imagination. Sa rigueur, sa discipline, son approche du cinéma m'ont servi d'exemple. Comme lui, j'ai la sensation de m'amuser en faisant du cinéma. Parce qu'il y a une joie à combiner des sons et des images. Même lorsque je travaille avec des personnages réels, j'anime la caméra et je m'efforce d'entrevoir la musicalité des images. Si je peux mettre un peu de féerie dans les images, je n'hésiterai pas. McLaren m'a appris à regarder les choses simples avec un oeil différent.

André Leduc

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HOMMAGE À N O R M A N McLAREN

Voilà un moment que je sèche devant la page blanche. Quoi écrire sur Norman McLaren, quelques semaines après sa mort? Ce n'est pas que les mots ne me viennent pas, tant en ce qui concerne l'homme que l'oeuvre. J'aurais beaucoup a dire pour lui rendre hommage mais, du même coup, quelque chose retient ma main: à la mort d'un homme de cette stature, de tels propos peuvent sembler un peu convenus et faire partie de tout ce qui clôt la vie et l'oeuvre. Ce qui retient ma main, c'est probablement ce vertige devant la fin d'une époque, car c'est bien ce dont il s'agit pour moi, du moins, et peut-être pour un certain nombre d'entre nous... J'avais déjà éprouvé une telle sensation, il y a deux ans, lorsque Norman, symbole vivant du cinéma d'animation au Canada, prenait sa retraite officielle à l'O.N.F. Le président de Téléfilm Canada se rendait alors au Festival d'Annecy pour une première fois, essentiellement préoccupé par la production de séries animées pour la télévision. Il m'avait semblé qu'il y avait là une coïncidence un peu indécente. Quel chemin l'animation canadienne allait-elle prendre à partir de cet instant? Avec sa mort, la question se repose. Qu'en sera-t-il de ce que Norman McLaren nous a enseigné?

Je reprends maintenant sur un ton un peu plus personnel. J'ai commencé à gratter la pellicule en 1962 parce que j'avais entendu parler des films que Norman avait fait de cette façon. Je n'avais pas encore vu ces films mais, en soi, c'était une idée forte et à ma portée. Je l'ai rencontré pour solliciter des conseils techniques. Je suis reparti avec des conseils (cet homme n'avait pas de secret), assez d'amorce noire pour travailler quelques mois et une invitation à revenir montrer mon travail. Je suis revenu, de six mois en six mois, pour, un jour, y rester comme employé de l'O.N.F. Depuis ce jour, il y a vingt-deux années, Norman McLaren a été l'horizon quotidien de mon travail. Sa présence physique, autant que ses films, se sont faits plus rares avec le cours des années et de la maladie, mais le lieu lui-même en était imprégné, y compris telle ou telle pièce où il avait travaillé et qui depuis a changé deux ou trois fois d'affectation. Toujours est-il que, même au cours des dernières années, Norman restait une référence vivante, toujours accessible, aussi disponible quand la maladie le lui permettait. Je crois que nous sommes quelques-uns à avoir vécu ainsi notre métier de cinéaste d'animation, selon une philosophie instaurée

Dessin: Yvon Mallette

par Norman McLaren et alimentée par sa présence.

Maintenant le temps bascule. L'homme et l'oeuvre forment désormais un ensemble clos qui va lentement dériver dans le passé. Je sens que c'est la totalité de mon travail que je dois reconsidérer. Personne d'entre nous, qui sommes un peu ses héritiers pour tout ce qu'il nous a communiqué au cours des années, ne peut prétendre le remplacer. Il n'est pas de ceux que l'on remplace. Il serait également assez stérile d'envelopper son oeuvre d'un culte jaloux et sectaire, cherchant ainsi à délimiter une fois pour toutes ce qu'il faudrait en animation. Peut-être s'agit-il de perpétuer des qualités toutes simples dont le contenu concret n'est jamais donné d'avance: l'esprit d'aventure et de liberté, une grande modestie, et surtout la faculté d'irradier cette sorte d'énergie qui donne aux autres l'envie de créer - comme il l'a fait pour nous.

Pierre Hébert

De son vivant, nous le lui avions déjà dit bien des fois. Répétons-le pour ceux qui viennent après. « Tu aimais la vie et, comme un sourcier, tu nous as généreusement révélé où étaient ces sources. Maintes et maintes fois, tu nous as prouvé qu'elles jaillissaient de chaque chose, du chiffre le plus humble à l'abstraction la plus vertigineuse. Grâce à toi, il nous semblait qu'il était suffisant d'écouter, de voir et de s'identifier à tout ce qui nous entoure pour pouvoir pénétrer le mystère de la vie. Mais la clef, le passe-partout qui nous ouvre l'univers, tu nous l'as révélé, c'est cette phrase à la fin de ton film Voisins: Aimez-vous les uns les autres. »

Ça s'adresse autant aux êtres qu'aux choses qu'on appelle inanimées. Chacune de tes oeuvres le prouve; tu en étais auréolé.

Tu le sais, nous t'aimons beaucoup. Tu nous l'as rendu au centuple. Repose maintenant en paix.

La projection continue.

Maurice Blackburn

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HOMMAGE A N O R M A N McLAREN

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HOMMAGE À N O R M A N McLAREN

Le 17 juin 1985, I'Academy of Motion Picture Arts and Science rendait un vibrant hommage à Norman McLaren. Retenu par la maladie, Norman McLaren n'avait pu se rendre en Californie. Tou­tefois, il a bien voulu remercier I'Academy dans une lettre que nous reproduisons ci-dessous.

Je suis reconnaissant à l'Académie de rendre ainsi hommage à ce que fut ma vie. Je suis peiné, croyez-moi, de ne pouvoir me joindre à vous.

Je suis particulièrement heureux de ce que M. Macerola, commissaire de l'Office national du film du Canada, puisse me représenter, car c'est l'Office national du film qui a soutenu mes efforts et m'a encouragé pendant plus de 43 ans.

Depuis ma vingtième année, les possibilités techniques qu'offraient la bande de celluloïd, la caméra de prise de vues et la tireuse optique me hantaient au point où souvent la technique prenait le pas sur le thème que je développais dans mes films. Et c'est ainsi que j 'a i fait d'innombrables essais de nouvelles techniques, souvent avec une belle désinvolture, au cours desquels un thème s'imposait brusquement devenant mon fil conducteur.

Mais il fut des cas où une pièce musicale m'exaltait au point où je me voyais contraint d'en traduire l'esprit visuellement.

Pendant toutes ces années, j 'a i joui à l'Office national du film de la liberté de création la plus totale au point de vue technique et artistique, ce qui m'a permis de travailler dans un contexte qui a pu sembler à plusieurs peu orthodoxe.

J'accepte l'hommage de l'Académie non seulement en mon nom personnel, mais en celui de mes proches collaborateurs, compositeurs, acteurs, cameramen, et en particulier en celui de Grant Munro, Maurice Blackburn et Evelyn Lambart dont la collaboration m'a été indispensable.

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