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M. Maurice Agulhon Nouveaux propos sur les statues de « grands hommes » au XIXe siècle In: Romantisme, 1998, n°100. pp. 11-16. Résumé Elles sont de plus en plus nombreuses : l'État et les citoyens sont plus riches, les villes modernisées ont de plus en plus de places et de carrefours à orner, et surtout un siècle devenu démocratique et laïque trouve par cela-même de plus en plus de citoyens méritant éloge : le révolutionnaire, le philanthrope, l'inventeur, l'artiste... Cette profusion, fatalement génératrice de vulgarité et de médiocrité, finira par discréditer le phénomène, ridiculisé sous le nom de « statuomanie ». D'où une régression au XXe siècle, qui contribue à faire du culte du grand homme sur socle un phénomène assez typique du XIXe siècle. En revanche, si l'on s'attache au cas des héros statufiés souvent, c'est-à-dire en plus de lieux que la simple géographie de leur passage historique l'eût exigé, on entrevoit l'émergence d'un phénomène nouveau, qui n'est plus celui du grand homme exemplaire, mais celui de l'individu érigé en symbole, et peut-être en mythe. Abstract They were more and more statues. The State and the citizens were richer, the modernised towns had more and more squares and cross-roads to decorate, and an increasingly democratie and secular-spirited century was finding more and more men worthy of praise, such as the revolutionary leaders, the militant philanthropists, the artists, the inventors... This profusion generated an impression of meanness and vulgarity, so that the practice itself was disparaged with the ridiculous word "statuomania"'. Hence a decline of this habit in the fashion of the Twentieth Century. On the other hand, if we consider the people who were often honoured by statues, ("often" reflecting the fact that they were commemorated in more places than the actual span of their lives and actions really required), we can see the arrival of a new phenomenon - not the common great man, nor the exemplary citizen, but the person becoming a general historical fact or ethical symbol, if not, in other words, a myth. Citer ce document / Cite this document : Agulhon Maurice. Nouveaux propos sur les statues de « grands hommes » au XIXe siècle. In: Romantisme, 1998, n°100. pp. 11-16. doi : 10.3406/roman.1998.3286 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/roman_0048-8593_1998_num_28_100_3286

Nouveaux propos sur les statues de « grands hommes » au XIXe siècle

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de Maurice Agulhon

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  • M. Maurice Agulhon

    Nouveaux propos sur les statues de grands hommes auXIXe sicleIn: Romantisme, 1998, n100. pp. 11-16.

    RsumElles sont de plus en plus nombreuses : l'tat et les citoyens sont plus riches, les villes modernises ont de plus en plus deplaces et de carrefours orner, et surtout un sicle devenu dmocratique et laque trouve par cela-mme de plus en plus decitoyens mritant loge : le rvolutionnaire, le philanthrope, l'inventeur, l'artiste... Cette profusion, fatalement gnratrice devulgarit et de mdiocrit, finira par discrditer le phnomne, ridiculis sous le nom de statuomanie . D'o une rgression auXXe sicle, qui contribue faire du culte du grand homme sur socle un phnomne assez typique du XIXe sicle. En revanche,si l'on s'attache au cas des hros statufis souvent, c'est--dire en plus de lieux que la simple gographie de leur passagehistorique l'et exig, on entrevoit l'mergence d'un phnomne nouveau, qui n'est plus celui du grand homme exemplaire, maiscelui de l'individu rig en symbole, et peut-tre en mythe.

    AbstractThey were more and more statues. The State and the citizens were richer, the modernised towns had more and more squaresand cross-roads to decorate, and an increasingly democratie and secular-spirited century was finding more and more men worthyof praise, such as the revolutionary leaders, the militant philanthropists, the artists, the inventors... This profusion generated animpression of meanness and vulgarity, so that the practice itself was disparaged with the ridiculous word "statuomania"'. Hence adecline of this habit in the fashion of the Twentieth Century. On the other hand, if we consider the people who were oftenhonoured by statues, ("often" reflecting the fact that they were commemorated in more places than the actual span of their livesand actions really required), we can see the arrival of a new phenomenon - not the common great man, nor the exemplarycitizen, but the person becoming a general historical fact or ethical symbol, if not, in other words, a myth.

    Citer ce document / Cite this document :

    Agulhon Maurice. Nouveaux propos sur les statues de grands hommes au XIXe sicle. In: Romantisme, 1998, n100. pp.11-16.

    doi : 10.3406/roman.1998.3286

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/roman_0048-8593_1998_num_28_100_3286

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_roman_786http://dx.doi.org/10.3406/roman.1998.3286http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/roman_0048-8593_1998_num_28_100_3286

  • Maurice AGULHON

    Nouveaux propos sur les statues de grands hommes au XIXe sicle

    II serait un peu vain de se demander s'il a exist plus de grands hommes au XIXe sicle qu'au XVIIIe ou au XXe. On doit seulement pouvoir affirmer que c'est au cours de ce XIXe sicle auquel se consacre notre revue qu'ils ont t le plus systmatiquement recherchs, clbrs et donns en exemple. Le XIXe sicle est en effet venu aprs la Rvolution, c'est lui qui, vaille que vaille, en a accompli le programme de scularisation et de dmocratisation de la socit. Or la corrlation est assez vidente entre cet esprit nouveau et la recherche de nouveaux guides pour le peuple. L'Ancien Rgime clbrait avant tout, dans l'ordre civil, les Monarques, la rigueur, auprs d'eux, les grands chefs de guerre qui les avaient bien servis; et, dans l'ordre religieux, les saints dsigns par l'glise catholique. Il fallut l'esprit des Lumires pour considrer qu'un citoyen qui n'tait ni un saint, ni un prlat, ni un prince, ni un guerrier, mritt la mme reconnaissance. Faire une statue Voltaire fut une ide audacieuse avant 1789, avant d'tre ensuite lgitime, revendique, et puis banalise. Ds lors qu'mergent des conceptions du monde distinctes de la tradition monarchico-religieuse, et que l'on souhaite les diffuser, il faut bien accorder le statut de grand homme aux saints laques , aux combattants des luttes librales ou aux bienfaiteurs de l'humanit .

    Le statut disions-nous... et la statue ! C'est en effet partir d'une rflexion sur l'importance du monument de place

    publique au XIXe sicle ' que nous avions dcouvert pour notre part la pratique de la clbration des grands hommes et de la pdagogie par le grand homme, phnomne gnral dont les rections de statues ou de bustes dans les rues et sur les places constituaient un aspect certes partiel, mais spectaculaire. D'autres auteurs y arrivaient par l'tude de la littrature pdagogique 2, d'autres pouvaient y parvenir partir de celle des penseurs rvolutionnaires tels qu'Auguste Comte 3, promoteurs de nouveaux cultes . Mais toutes les approches convergeaient pour mettre le phnomne en vidence.

    Pour en revenir l'article de 1977 auquel nous venons de faire allusion, nous avons remarqu, signal ou tabli plusieurs choses, qui n'ont pas t contestes, et que nous pouvons ainsi rsumer :

    - il y eut en France dans le cours du sicle un nombre croissant de statues de grands hommes dresses sur les places publiques ;

    - ce mouvement a t surtout rapide, amplifi, sous les rgimes politiques se

    1. Notre article La statuomanie et l'histoire dans Ethnologie franaise, 1977, repris dans Histoire vagabonde I, Gallimard, 1988.

    2. Christian Amalvi, Les Hros de l'histoire de France, recherche iconographique sur le Panthon scolaire de la Troisime Rpublique, Phot' oeil, 1979 et toute l'uvre ultrieure de cet auteur.

    3. Voir en dernier lieu La Philosophie d'Auguste Comte, Science, politique, religion par Juliette Grange (PUF, 1996).

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    rclamant des Lumires et du Progrs (monarchie de Juillet, et Troisime Rpublique) ; cette pratique ayant eu du succs, tant entre dans les murs, la France tradi

    tionnelle d'abord rticente s'y est pourtant son tour rsolue, elle a tenu avoir elle aussi ses grands statufis ; c'est ainsi que la statuaire civique, initialement laco-librale puis rpublicaine, est devenue bientt, par une sorte d'mulation des partis, banale et polyphonique ;

    - le nombre croissant des statufis refltait naturellement le fait que le progressisme du sicle invitait aller chercher des hros dans des catgories de plus en plus nombreuses : de plus en plus loin vers la gauche, de plus en plus loin vers les origines sociales modestes, de plus en plus loin vers le prosaque dans l'ventail de mrites (la statue de l'inventeur commence avec l'hommage aux matres de la vapeur, et elle ira jusqu' celle de la cratrice du Camembert 4);

    le nombre croissant des statufis montrions-nous encore s'expliquait aussi cependant par quelques autres causes non idologiques : la richesse gnrale croissante permettait aux pouvoirs publics (ainsi qu'aux simples citoyens, sollicits par souscription) d'avoir des budgets plus larges et des commandes plus gnreuses; l'urbanisme haussmannien multipliait les perspectives rectilignes, les belles places, et les carrefours rguliers qui offraient autant d'appels pour un dicule dcoratif 5, et la statue de grand homme faisait ici concurrence la fontaine monumentale 6... quand elle ne se juchait pas sur elle ;

    - au terme (du XIXe sicle) la pdagogie du grand homme sculpt a fini par tre juge envahissante, on l'a fltrie du nom pjoratif de statuomanie , on a dnonc l'obscurit ou le provincialisme de beaucoup de ses bnficiaires, la mdiocrit de

    4. Marie Harel, la fermire normande, inventeur du Camembert, aura sa statue Vimoutiers (Orne) en 1926 (en ce domaine comme en d'autres l'lan du XIXe sicle s'est prolong longtemps en province).

    5. La liaison de la statuomanie avec un urbanisme soucieux de rgularit classique entranait parfois un esprit de symtrie qui pesait forcment sur les choix de hros clbrer ensemble. Soit, titre d'exemple, d'aprs le journal L'Illustration, la liste des seize statues provisoires, en pltre, d'hommes illustres rigs sur le Pont de la Concorde pour la fte du 4 mai 1 85 1 (3e anniversaire de la proclamation de la Rpublique, Paris) : pourquoi seize, sinon parce que seize est trois fois divisible par deux? On trouve en effet huit civils et huit guerriers, et sur les huit civils :

    - deux inventeurs (Jacquard et Denis Papin) - deux crivains (Corneille et Molire) - deux artistes (Jean Goujon et Poussin) - deux politiques (Richelieu et Mathieu Mole) ;

    sur les huit combattants : - deux marins (Duguay-Trouin et Jean Bait) - deux femmes (Jeanne d'Arc et Jeanne Hachette) - deux soldats de la Monarchie (Turenne et Cond) - deux soldats de l'poque rcente (Klber et Ney). Bien entendu, le commentaire de cette liste ne saurait se rduire au constat de cette dichotomie obs

    dante. On peut aussi faire une lecture politique de ce panthon bcl sous une Rpublique finissante, et dj fortement bonapartiste : il est bonapartiste par son ct moderne (inclure deux inventeurs au nombre des hros nationaux), bonapartiste aussi par son ct antirpublicain (aucun philosophe, aucun acteur de la Rvolution, sinon, la rigueur, Klber). Les grands hommes, comme on voit, sont intressants aussi par le choix que l'on fait d'eux, voire par la complexit des critres de choix.

    6. G. Gardes, L'Art et l'eau Lyon, thse de 3e cycle Universit de Lyon II, 1975.

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    beaucoup de ses uvres, le caractre conventionnel de ses structures (le chef cheval, le leader politique debout, le penseur dans un fauteuil, ...) ; au point que naisse, au bout du compte, une tradition de dnigrement, de drision, voire de canular aux dpens du grand homme de bronze : que l'on songe la souscription publique qui a effectivement t collecte pour statufier un Hgsippe Simon purement imaginaire, ou la fausse et (naturellement) gauloise rection de Vercingtorix Issoire dans Les Copains de Jules Romains.

    Ceci tait peut-tre plus important qu'il ne parat : les inaugurations de statues de grands hommes taient devenues la Belle poque un rite rpublicain usuel, reflet certes, dans le dtail, des pripties des luttes locales, mais aussi, dans son principe, de l'ambition civico-patriotique honorable d'un rgime optimiste. Qui sait si la raction contre une statuaire souvent mdiocre et envahissante n'a pas, en retour, constitu un lment d'un phnomne global de raction sceptique contre le sicle instituteur et son got des palmars ?

    Notre rflexion d'il y a vingt ans s'tait arrte l, sur le problme des crises actuelles et conjointes de l'optimisme moralisant et de la sculpture acadmique, ce qui ne concerne plus notre propos d'aujourd'hui, born au XIXe sicle.

    Nous n'tions pas arriv - nous l'aurions d sans doute - classer et hirarchiser les formes et les emplacements. On a entrevu que la statue type du grand homme au XIXe sicle le reprsente de pied en cap (c'est une figure ), vtu comme il l'tait en son temps (la nudit ou le drap romain disparurent assez vite), cheval, debout, ou assis, selon sa fonction ; le tout pos sur un socle paralllpipdique dont les quatre faces verticales, vrais tableaux d'affichage, portent des inscriptions, ou des bas-reliefs d'appoint. Par rapport ce modle central, il existe et plus riche, et plus pauvre : enrichissement si le monument comporte, avec le personnage honor, des figures allgoriques des entits qu'il a bien servies (la France, la Rpublique, la Science, l'Industrie) ou des figures subalternes des citoyens qu'il a guids et qui l'ont aim; il y a dperdition au contraire quand le personnage est rduit un buste, pos par consquent sur un simple pilier, avec inscription rduite et absence d'escorte. Le buste, qui ferait mesquin sur une grande place, est gnralement relgu dans le calme pitonnier d'un jardin public. Ce sont gnralement les littrateurs et artistes de deuxime notorit qui sont servis par cet honneur plus modeste. C'est pourquoi, si le macadam est souvent politique, la pelouse en somme est plutt culturelle .

    Il reste enfin une dernire question. combien de statues un grand homme a- t-il droit ?

    Il semble bien que l'usage (ou les conventions, ou les traditions, ou l'opinion...) ait tenu pour normal qu'il doive exister un lien fort entre la biographie du personnage et le lieu o l'on rige sa statue : un hros est donc usuellement statufi dans sa ville natale, et dans la ville (ou le chef-lieu de pays, ou le champ de bataille, ...) o s'est exerc son rle historique ; plus Paris, o tout ce qui compte ou a compt en France peut tre honor . Cela donne un, deux, ou trois monuments par personne, quatre au maximum. Au-del, il faut que le personnage ait eu une action bien itinrante, qu'il ait men bien des batailles, qu'il ait donc t exceptionnellement actif, pour qu'il en ait davantage 7... ou bien alors il faut que sa gloire ait chang d'chelle. Nous proposerions volontiers

    7. Les dcouvertes de Pasteur ont eu des effets rgionaux bienfaisants, et chaque rgion a tenu le signaler. Il est ainsi statufi Lille pour la bire, Aies pour le ver soie, Chartres pour le mouton, etc., etc.

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    de dire que, lorsqu'un personnage historique est statufi souvent, c'est--dire au-del de ce qu'oblige ou explique le dtail de sa biographie, c'est qu'il a chang de statut : que du statut de personnage historique il est pass celui de personnage symbolique ; qu'il est entr en somme dans la classe des Napolon et des Jeanne d'Arc, en attendant celle de Jean Jaurs et de Charles de Gaulle, qui relvent du sicle suivant 8.

    Ainsi, une nouvelle fois, l'examen trivial ou marginal d'une statuaire bien date nous aura aid reprer cette vrit forte et surtout gnrale : il y a grand homme et grand homme ! La distinction entre eux n'est peut-tre pas celle du plus important au moins important, mais celle de l'historique au symbolique ou (en termes du jour) de la simple mmoire au vritable mythe . Si en effet Jeanne d'Arc n'est plus cette guerrire qui est alle de Domrmy Rouen en traversant telle ou telle bataille mais, mieux que cela, la sainte de la patrie , on peut la statufier n'importe o. De mme que l'on peut statufier Jaurs n'importe o s'il n'est plus seulement l'homme qui est n ici, qui a lutt ailleurs, qui a tenu meeting plus loin, mais s'il est devenu, mieux que cela, l'Ide du socialisme dmocratique. Car l'Ide, ou la Sainte, n'ont pas, en principe, de lieux prfrentiels, on peut donc planter leur icne partout o un parti en prouve l'envie.

    Concluons. L'esprit du XIXe sicle, profondment ducateur, devait utiliser les grands

    hommes et leur mmoire pour aider faire rayonner ses leons. Parce qu'il tait laque, dmocratique, inventif, ingnieux, ambitieux, notre sicle dix-neuvime devait fatalement multiplier les grands hommes , et de fait il a beaucoup us et peut-tre abus, de la pdagogie de l'exemplarit; il a donc forcment laiss se dsacraliser quelque peu la pdagogie de la place publique (a-t-on assez daub sur les- grands-hommes-de-chef-lieu-de canton !).

    Mais tout se passe comme si l'inflation dvalorisante du grand homme ordinaire avait t compense par l'avnement de Super-grands hommes - ce qui nous conduirait aux spculations sur l'origine des mythologies politiques modernes, au seuil desquelles nous devons aujourd'hui nous arrter. C'est un autre problme en effet. Mais, dans ce genre de rflexion, l'observation de la sculpture de rue peut s'avrer une intressante approche.

    8. Aprs Jeanne d'Arc et Napolon, le plus grand statufi du XIXe sicle est Sadi Carnot, le prsident de la Rpublique assassin en 1894. Preuve de l'motion profonde provoque par cet attentat de l'Anarchie contre une Rpublique alors porte au pinacle.

    Une liste de statues, bustes, etc. a t procure par Pierre Morel, Les monuments des grands hommes, de la statue questre au simple mdaillon , ronotyp, chez l'auteur, 1991. Un fichier plus moderne a d'autre part t constitu au Muse d'Orsay par Catherine Chevillot. Il faudra quelque jour en exploiter les donnes pour aller au-del des analyses exploratoires que nous avons jusqu'ici poursuivies.

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  • Sur les statues de grands hommes au XIXe sicle 15

    Appendice

    Le grand homme dans le plus clbre des livres de classe du sicle

    La liaison entre l'esprit rpublicain, la pdagogie du grand homme et l'essor de la statuaire historique publique apparat avec vidence dans l'incontournable Tour de la France par deux enfants (uvre de G. Bruno [Mme Alfred Fouille], Eugne Belin, 1877, rd. 1906). Non seulement le petit Julien a reu en cadeau un livre d'histoire de France :

    - Tenez, mon enfant (lui dit la bonne dame de Mcon), je vous donne ce livre : il parle de la France que vous aimez et des grands hommes qu'elle a produits. Lisez-le : il est votre porte ; il y a des histoires et des images qui vous instruiront et vous donneront, vous aussi, l'envie d'tre un jour utile votre patrie (p. 102 de l'd. 1906),

    mais encore, chaque tape de leur voyage, son frre et lui ne manquent pas d'aller voir la statue de l'enfant du pays devenu gloire nationale ou bienfaiteur du genre humain. Comme l'histoire est suppose se passer dans les annes 1870, les deux voyageurs n'ont pas encore sous les yeux la statuaire dmesure de la Troisime Rpublique mais celle qui remonte, pour l'essentiel, la monarchie de Juillet, uvre le plus souvent de David d'Angers.

    Voici la statistique que nous en avons dresse, et dont chacun pourra prolonger son gr le commentaire.

    Les grands hommes rencontrs dans le texte, locaux par leur implantation, prtexte parler d'eux, mais nationaux par leur mrite, sont, sauf erreur, au nombre de quarante-deux.

    Par catgories, on peut distinguer : - 15 savants, inventeurs, explorateurs, et mdecins, si on nous permet de regrouper

    ainsi les mrites non politiques et non artistiques (Buffon, Dupuytren, Fresnel, Ph. de Girard, Jacquart, Jussieu, La Prouse, Lavoisier, Ph. Lebon, Monge, Niepce, Amboise Par, Pasteur, Riquet, Saussure),

    - 12 combattants divers (Jean Bart, Bayard, Jeanne d'Arc, Daumesnil, Desaix, Drouot, Du Guesclin, Napolon, Eustache de Saint-Pierre, Turenne, Vauban, Vercingtorix),

    - 8 juristes, philosophes, et politiques (Colbert, Cujas, Descartes, Michel de F Hospital, Mirabeau, Montesquieu, Portalis, l'abb de Saint-Pierre),

    - 7 littrateurs et artistes (Boileau, Corneille, La Fontaine, Racine, et David d'Angers, Claude Lorrain, Puget).

    Comme on le voit, le progressisme rpublicain n'apparat pas sous la forme politique (rien sur les rvolutions au-del de Mirabeau) mais sous la forme de l'attention porte aux progrs du savoir et des techniques (les quinze). Et l'autre grande valeur consiste dans le patriotisme et la vaillance militaire (les douze).

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    Par priodes leur regroupement donnerait : 12 du XVIIe sicle, 9 du XVIIIe sicle (avant 89), 7 actifs dans la priode rvolutionnaire et impriale, 6 du XIXe sicle post 1815 (dont aucun n'est politique ni soldat), 4 du XVIe sicle 3 du Moyen ge et 1 de l'antiquit (Vercingtorix).

    Enfin, on peut classer, par la longueur du texte consacr chacun, en tte Jeanne d'Arc (121 lignes) suivie de Du Guesclin 104, Bayard 93, Paul Riquet 85, Michel de 1' Hospital 77, Vercingtorix et Ph. de Girard 73 chacun, Eustache de Saint-Pierre ( bourgeois de Calais ) 68, etc.

    Huit statues sont visites dans le rcit : Monge Beaune, Desaix Clermont, Riquet Bziers, Cujas Toulouse, Jacquart Lyon, A. Par Laval, Corneille Rouen, Jean Bart Dunkerque, et quatre autres sont reproduites en illustration, dont la Jeanne d'Arc d'Orlans.

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