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 · ou de « projets » et de leur « efficacité ». Regarder les gens dans les yeux, passer du temps avec eux et les reconnaître comme frères ou sœurs, voilà ce que devrait

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J’aiaussicommencéàapprendre,lorsdecespremiersvoyages,quelesdonstransportésàl’arrièredenotrecamionn’étaientpastoujours leschoses lesplus importantesquenousapportionsàceuxquienavaientdésespérémentbesoin.Unefois,monpèreetmoiavonslivrédessecoursàunepetiteinstitutionpourenfantsinadaptés5prèsduportdeZadar.À l’époque, les forcesserbesattaquaientcettepartiedelacôtecroate,etnousentendionsauloin le grondement des canons à notre arrivée devant le petitbâtimentmiteux.Nousavonstrouvédesrangéesd’enfantsalités,vêtus de pyjamas déchirés, et quelquesmembres du personnelterrorisésquiessayaientdes’occuperd’eux.Nonseulementilsétaientstressésdenemêmeplusavoirlesfournituresdebaselesplusvitalespourlesenfants,mais,laguerreserapprochant,ilssavaient aussi que fuir rapidement et soudainement avec cesenfantsneseraitpaspossible.Aumomentoùnousdéchargionsl’aide apportée, la joie du personnel se volatilisa bien vite carune bombe explosa beaucoup plus près du village. Et puisencoreuneautre.Ilsnousconseillèrentvivementdedéchargerleplusrapidementpossibleetdereprendreimmédiatementlarouteendirectiondunord.Dèsquej’eusfaitpasserladernièreboîte,jefismesadieux,bondisàlaplaceduconducteuretfismonterle régime du moteur, prêt à partir. Quelques secondess’écoulèrent. L’irritation me gagnait car mon père n’avait pasgrimpésur lesiègeàcôtédemoi.Quandjeregardaidansmonrétroviseur, je levisétreindrel’infirmière laplusangoissée, luiprodiguerdesparolesderéconfortetluipromettredeprierpourelle. Puis ilmonta, et nous partîmes à toute allure.Trente ansplus tard, quand j’ai entendu le pape François utiliser pour lapremière fois l’expression « péché d’efficacité », j’aiimmédiatement pensé à cet incident. Le Pape rappelait à ceuxd’entrenousquitravaillentauprèsdepersonnesdanslebesoinquelavraiecharitén’estpasseulementaffairedebiensmatériels

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oude«projets»etdeleur«efficacité».Regarderlesgensdansles yeux, passer du temps avec eux et les reconnaître commefrères ou sœurs, voilà ce que devrait être la véritable charité.Encore aujourd’hui, je ne suis pas sûr que l’étreinte de papaauraitdûdureraussilongtemps!Lorsdechacundecesvoyagesàtraversl’Europe,àmesurequenous nous rapprochions de notre destination habituelle,Medjugorje,nousvoyionsinvariablementtoutessortesd’autresvéhicules se dirigeant vers ce même lieu de pèlerinage derenomméemondiale. Des convois composés de petits camionscomme les nôtres, des camionnettes solitaires ou des voituresfamiliales tractant des remorques dans lesquelles s’empilaientvêtements,nourritureetmédicaments,tousconvergeaientverscepetit village dans les montagnes de Bosnie-Herzégovine. Desdrapeaux, des autocollants ou des pancartes annonçaient leurmissionet leurpaysd’origine,etdonnaientdesindicationssurleur destination. Tout en appréciant beaucoup l’occasion quinousétaitoffertederetourneràMedjugorje‒notrevieenavaitété transformée plusieurs années auparavant ‒ nous nousdemandionss’ilfallaitaussicommenceràapporterdel’aideversd’autres endroits oubliés, là où elle arrivait insuffisamment,maisoùsouffraientdesréfugiésencoreplusnombreux.Zagreb,lacapitaledelaCroatie,futl’undeceslieux,oùdesmilliers de gens désespérés arrivaient de régions qui étaientlittéralement « ethniquement nettoyées » par les Serbes. À cestade,prèsd’untiersd’uneCroatienouvellementindépendanteétait sous contrôle serbe, et la guerre faisait rage sur tous lesfrontsd’unpaysquicombattaitpoursonexistenceaveclafureurdudésespoir.Réfugiésetdéplacés,Croatesetmusulmans,à lafois de Croatie et de Bosnie-Herzégovine, arrivaient enmassedans la ville, en ayant perdu leurs maisons, leurs biens, etsouventleursfamilles.Unhommeremarquablequis’appelaitle

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DocteurMarijoZivkovichabitaitalorsZagreb.UnamicommundeGlasgow avait suggéré que nous nous rencontrions. Il nousavait expliqué queMarijo accomplissait un travailmerveilleuxpour les réfugiés et les pauvres, et avait également mentionnéque c’était un catholique connu pour son franc-parler etpersécuté par le régime communiste pour cette raison. Nousnous sommes arrangés pour le rencontrer au bureau d’uneorganisation musulmane du nom de Merhamet avec laquellenoustravaillionspourdistribuerdel’aidemédicale.Plustôtcejour-là, nous étions arrivés avec un appareil d’anesthésie quiavait étédemandéde touteurgence, et avionspassé lamatinéeavecunjeunemédecinpassionnéetsescollèguesdeMerhamet,à nous familiariser davantage avec leur travail pour voir dequellemanièrenouspourrionsmieux lesaider.Nousétionsunpeutendusàl’idéedecetterencontreavecleDocteurZivkovicparcequetragiquement,Croates6etmusulmans,quijusqu’àcesderniers temps s’étaient alliés en Bosnie-Herzégovine encombattant leur ennemi commun, les Serbes, se faisaientmaintenantlaguerre,etunehained’uneviolenceinouïefaisaitàprésentdesravagesentrecesdeuxpeuples.Commenousavionsété stupides et irréfléchis d’avoir invité un Croate catholiquecélèbre à venir nous retrouver alors que nous étions avec nosamismusulmans!Noussentionsquenoshôtesétaientaussiunpeu nerveux et un silence gêné s’était emparé de la pièceétouffanteetmalaéréelorsquefinalementMarijoarriva.Grandet large d’épaules, il fit irruption serrant contre lui unemontagned’esquimauxauchocolat.«Servez-vous,jevousenprie!»,dit-ilenriant,s’approchanttouràtourdechacund’entrenous,etnousinvitantàprendrecespetites gâteries offertes comme s’il était un vieil ami de tousceuxquiétaientlà.Enfindecompte,nousavonspunousserrer

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leurbasedeTuzla,etdenousremorquerchaquefoisquenousaurions besoin de leur aide. Grâce à ces « anges gardiens »providentiels qui nous tractaient, nous avons pu progresserrégulièrement. Finalement, nous sommes arrivés à la baseonusienne à 3 heures du matin où, épuisés, nous avons toussombré dans un profond sommeil ‒ mais pas avant que Julien’eût l’occasiondemedire, tout excitée, qu’elle avait conduitundesénormesvéhicules tout-terrainsur ledernier tronçondenotrevoyagenocturne.Ellemeditcelacommesilaplusgrandeambition de sa vie venait de se réaliser. Je me mis à penserqu’ellepourraitbienêtreunpeubizarre.Lelendemainmatin,noussommesentrésdanslavilledeTuzlaetavonsétéaccueillisparunmairereconnaissantmaisquiavaitl’air fatigué. Nous avons déchargé tout tranquillement notreprécieuse cargaison ‒ des milliers de boîtes d’alimentsdéshydratés, de savon, de couches ‒ dans un petit entrepôt defortune où elle était ensuite fractionnée en lots, plus faciles àmanipuler, qui étaient apportés aux réfugiés sur le terraind’aviation voisin. Plus tard, nous-mêmes sommes arrivés dansceténormecamp,qui logeaitdésormais trentemillepersonnes.Nous avons longé un chemin entre les tentes. Une jeune filleessayait de se laver les cheveux dans un seau, tandis que nonloinunevieilledameportantunfoulardsurlatêtesedémenaitpourfairedufeuavecunepetitepiledecartons.Dansunetente,desmédecinsexaminaientdesenfantsgravementsous-alimentésauxvisagesémaciésetsansexpression.JemerendiscomptequeSrebrenica n’était tombée que depuis dix jours.Dix jours quecesfemmesetcesenfantsassisdevantleurstentes,décharnésetbrûlés par le soleil, avaient vu assassiner de sang froid ‒ leurmari,leursfils,leurpère‒etbiend’autreshorreursencore.Dixjoursdurantlesquelsilsavaienttraversélesforêts,terrorisés.Encoursderoute,aumoinsl’uned’entreelles,unejeunefemmede

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vingt ans, Ferida Osmanovic, se pendit à un arbre avec uneécharpe.Etpendantqu’ilssupportaient toutes leursmisères, jem’étais plaint de mon manque de sommeil et de bonnenourriture.Tandisquenosex-compagnonsdevoyagerentraientàSplitenempruntantlemêmecheminqu’àl’aller,Julieetmoidécidâmesdecourir lerisquederepartirenhélicoptère,volmilitairedontnous avaient parlé les Norvégiens. On nous recommanda denous poster sur une aire d’atterrissage voisine pour y attendrel’arrivée de l’appareil. Le premier jour, il ne vint jamais. Lessoldats qui attendaient nous dirent que la raison de ce retardc’était qu’on avait été incapable de trouver des pilotes quin’avaientpasbu.J’avaisd’abordcruqu’ilsplaisantaient,maislelendemain, quand l’énorme hélicoptère finit par atterrir, lesmembresd’équipageukrainiensqui sortirent pourdécharger lacargaison étaient manifestement en état d’ivresse. Nos amisnorvégiensnousavaientprévenusquepersonnen’étaitautoriséàmonteràborddeceshélicoptèressansêtremunid’ungiletpare-balles.Nousn’avionsriendetel.Quandnouseûmesexpliquélemauvaispasdanslequelnousétionsàunsympathiqueemployéd’un service d’écoute onusien qui lui aussi attendait qu’on leprennepourretourneràSplit, ilnousprêtagentimentquelquessacspostauxbleus,nousdisantqu’ilsavaient lamêmecouleuretlamêmeformequelesgiletspare-ballesstandards.«Vousn’avezqu’àbienlesserrerquandvousmontezàbordetl’équipagen’yverraquedufeu»,nousconseilla-t-il.Ilavaitvujuste.Tandisquenousgrimpionsàborddelavastesoute vide de l’hélicoptère, l’équipage nous dévisagea de sesyeux larmoyants tout en nous adressant des sourires stupidesd’ivrogne. Je compris que si nous avions tenu n’importe quoidans lesmains, oumême rien du tout, ils n’en auraientmêmepaseuconscience.Lemonstrenousavalacommelabaleinede

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Jonas et nous avons décollé. Nous bondissions de-ci de-là àl’intérieur de l’énorme tonneau métallique, car les pilotesemployaient le « vol tactique », ce qui signifiait volerterriblementbas,serrerdeprèsleflancdescollines,etvirerd’uncôtédelavalléeàl’autre.Vraisemblablementcettetactiqueétaitnécessaire pour réduire le risque d’être abattu, mais je medemandais quandmême dans quellemesure leur état d’ébriétén’expliquait pas cette façon de procéder. Dans les deux casj’auraissouhaitéenmonforintérieurquenouseussionsdécidéderetournerparlescheminsforestiers,maisonfinitparatterrirsains et saufs àSplit, et nous avons retrouvéMary, notre groscamion, qui nous attendait fidèlement pour nous ramener à lamaison.Nousl’aurionsétreinte,sinousavionseulesbrasassezlongs.

2.Appareilquienregistrelesheuresdeconduiteetlavitesseducamion.3. Agents qui préparent les documents douaniers nécessaires aux passagesdesfrontières.4.Îleétroiteetlonguelongeantlacôte.5.Ayantdesdifficultésd’apprentissage.6.Principalementcatholiques.

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temporel ou économique ; ceux qui venaient séjourner étaientinvitésà faireundonpourcouvrir lescoûts,maisceuxquinepouvaientpassepermettrededonneruneparticipationn’étaientjamaisrefoulés.Avecletemps,pourjoindrelesdeuxbouts, ilsvendirent laconcessionpiscicoledesaumonqu’ilspossédaientsur l’Orchy et continuèrent tranquillement à accueillir chacunaveclesourire.Lasoupe-maisondemamandevintcélèbreendenombreuxendroits;etles«étreintesd’ours»depapalefurentencoredavantage.Entre-temps, je suis entré à l’Université de Stirling pourétudierl’histoire,bienqu’aufonddemoi-mêmejen’aiejamaisdésiréquitter lecomtéd’Argyll.J’avaispassélamajeurepartiedemonenfanceàchasserlecerfetàtravailleraugrandair,aussin’avais-jejamaisentretenuledésird’allervivredansunegrandeville, ni d’envisager une carrière précise. Mes meilleurs amisrestaient tous autour de Dalmally et y trouvaient un emploi.J’avais bien réussi mes examens de fin d’études et parce quecela semblait naturel qu’on l’exige de moi, je partis pourl’université. L’Histoire avait été ma matière préférée au lycée,d’où mon choix. Je n’ai pas tenu longtemps à Stirlingcependant. Je découvrais que ma timidité, dont j’étais venu àbout jusqu’à présent en restant dans le voisinage immédiatd’amis intimes que je fréquentais régulièrement, devenaitparalysantedanscenouvelenvironnement.Impossibled’engagerla conversation avec les autres étudiants, encoremoins demelier d’amitié avec eux ; aussi les week-ends je rentrais à lamaisonenstoppourvoirmesamisetjoueraushinty.Equipédemon cher maillot à rayures de l’équipe de Glenorchy et macrosse de shinty à la main, je redevenais heureux et confiantpendantquatre-vingt-dixminutes.«Bienjoué,theBigMan!»(leGrandCostaud)criaientlesancienssurlalignedejeuquandje gagnais un tacle ou frappais la balle en direction du camp

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adverse (heureusement, des coéquipiers comme Foxy, theHeekoretPeléavaienthéritédesurnomspluscréatifs).Puis jerevenais sur le campus universitaire et me cachais dans machambre.Au bout de sixmois j’ai failli briser le cœur demamère en quittant définitivement l’université. Je revins àArgyllpour travailler à nouveau enpleinenature ‒ planter des arbrespour la ForestryCommission (organisme de gestion des forêtsdomaniales équivalant à l’ONF : Office National des Forêts),empiler du bois dans une scierie et finalement devenirpisciculteur de saumon. Pendant six ans, j’ai fait partie d’unepetite équipe dont la responsabilité était de s’occuper dessaumons qui nageaient dans les énormes cages-filets quiflottaient sur le Loch Craignish, lac tranquille aux eauxprofondessituéàenvironsixkilomètresdelaroutegoudronnéela plus proche. C’était un lieu de grande paix et la routinequotidiennepaisiblemais arduemeplaisait.C’étaitunendroitpropiceàlaméditationetàlaprière,etlesgarsaveclesquelsjetravaillaisdevinrentaussidebonsamis.Jepensaisprobablementpasser le restant demes jours à vivre et à travailler dans cetterégion de l’Écosse, et la plupart du temps j’étais tout à faitheureuxdecetteperspective,bienqueleslongshiversfroidsetobscurs m’aient souvent incité à rêver de pays exotiques pluschaudsetdenouvellesaventures.Enfin,unsoirpluvieuxdumoisdenovembre1992,Fergusetmoi sommes allés prendre une bière au pub du village. Il yrégnait un calme inhabituel. Il n’y avait pas eu de match deshinty ce jour-là car le terrain était détrempé et seul un petitnombredecamaradess’étaitprésenté.Nousavonscommencéàdiscuterdecequenousavionsvuàlatélévisionplustôtdanslasoirée.Unbulletind’informations avaitmontré les souffrancesde la population en Bosnie-Herzégovine qui avait fui lenettoyageethniqueetqui se trouvait àprésentdansdescamps

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deréfugiés.LaYougoslaviequenousavionsvisitéequandnousétions adolescents était en train de se déchirer. En 1991, laSlovénieetlaCroaties’étaientdéclaréesindépendantes,mesurequi déclencha un conflit entre les Serbes, qui avaient dominél’État yougoslave, et ceux qui désiraient faire sécession. Uneannée plus tard, la guerre civile éclata enBosnie-Herzégovine,patrie des Croates, des musulmans et des Serbes, et unépouvantableconflitsejouadevantlescamérasdumondeentier.ÀMedjugorje, laReinede laPaix apparaissait encore aux sixmêmes jeunes, et le titre qu’elle s’était donné avait revêtu unesignification nouvelle. Au fil des années, ses messages seréféraientinvariablementauchemindelapaix,àlamanièredontlesguerrespourraientêtreévitéessinousvivionslemessagedel’Évangile. Exactement dix ans jour pour jour après sonapparitionàcessixenfantsdeMedjugorje, lespremierscoupsdefeude laguerreavaientété tirés.Àmesureque l’horreursedéroulait devant nos yeux et qu’un flot de reportages demassacres sanglants, de nettoyage ethnique et de viols ennombre stupéfiaient l’Europe des temps modernes, la raisond’êtredecertainsdesmessagesdelaViergeMarieetl’insistanceavec laquelle elle les avait délivrés, devenait beaucoup plusclaire.Peut-êtretroppeudeceuxd’entrenousquiavaienteuleprivilège d’entendre ses messages et de croire en leurauthenticitélesavaientvraimentmisenpratiquedansleurvie.Lebulletin d’informations ce soir-là était centré sur un campprèsdeMedjugorje.C’estsansdoutepourcetteraisonquel’oncommençaàmanifesternotreintentiond’alleraiderlesgenslà-bas. Nous avions entendu parler d’une association basée àLondres qui organisait des transports d’aide à destination deMedjugorje,aussitrèsviteonenvisageadelancerunappeldansnotrerégionpourrecueillirdel’aideetl’achemineravecl’undeces convois. Après l’heure de fermeture du pub, en rentrant à

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unenouvelleœuvrenonconfessionnelleet,enplusdesmembresde notre famille, on convia à la première réunion du conseildeuxamisnon-catholiquesquiavaientdéjàaccompliunénormetravail.Oncollabora avecun juristede laville laplusproche,Oban,pourrédigerdesstatutsetlorsdenotrepremièreréunionplutôt informelleonélitmonbeau-frèreKen, lemarideRuth,présidentdeséance.Ceconseilseréunissaittroisouquatrefoispar an. Quant à Julie et moi, appuyés pleinement par papa etmaman (en dépit du fait qu’ils dirigeaient aussi le centre deretraite) nous accomplissions le travail quotidien, aidés d’unearméedebénévoles.Julie, qui entre autres talents avait heureusement celui de lagestion,assumaitlaresponsabilitéderemercierlesdonateursetd’enregistrer leurs noms et adresses. En ce qui me concerne,j’effectuaislaplupartdesdéplacementsàl’intérieurdel’Écossepourrecueillirlesdons,etmechargeaisduprogrammeetdelapréparation des livraisons. Entraient également dans mesattributions les contacts avecnospartenairespourmodifier leszones d’intervention, l’enregistrement des listes de demandes,l’établissement des documents douaniers, le planning desitinéraires,etmêmelestentativespourréparerlestrousdansletoit de notre camion. J’écrivais aussi les lettres d’appel pourobtenirdesdonsoudesfonds,etleslettresd’informationsquenouscommencionsàenvoyeràunnombrecroissantdeceuxquisoutenaient notre mission. À mon grand étonnement, jedécouvris que celameplaisait beaucoup.En fait, pour joindrelesdeuxbouts(j’étaisencorebénévolevivantdemeséconomiesetbénéficiantdulogementgratuitdemesparents),jecommençaiàécrirequelquesarticlessurd’autressujetssansrapportlesunsavec les autres, et je les vendais à diverses publications. Bienentendu, nous passions énormément de temps à faire les aller-retoursà travers l’Europeavecnotrecamion.Dans l’annéequi

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suivitnotrepremiervoyageaveclaLandRover,jemesuisainsirenduplusdevingtfoisenBosnie-Herzégovine.Toutenenrichissantmonexpériencechaquefoisquejefaisaisunedeceslivraisons,j’apprenaisaumoinsautantdesgensqui,pardesmoyensfortdivers,soutenaientnotreœuvredansnotrepays. Certains des actes de générosité qu’il m’était arrivé devivrem’avaienttrèsprofondémentémuetstimulé.Mrs Duncan Jones habitait un petit cottage ‒ le même queceluidécritdans lescontesde fées‒auboutd’unsentier trèsrocailleuxprèsduvillagedeKilmartin.Nousaimionsluirendrevisite avec notre camionnette pour passer prendre diversesmarchandises‒nonseulementsespropresdonsmaisaussiceuxqu’elle avait reçus d’amis des environs. À chacune de nosvisites,ellenousoffraitdemerveilleuxbolsdesoupemaison,et,« afin de nous donner des forces pour le voyage enBosnie »,elle nous faisait les plus délicieux cakes aux fruits que j’aiejamaisgoûtés.Cescakescontenaientunequantitéastronomiquede cognac. Il lui arrivait de les laisser, pour que nous lesprenions, dans une station-service bien précise sur la route deGlasgow, bien enveloppés et accompagnés d’un petit motd’encouragement.Sonmari,pasteurdel’Égliseépiscopale,étaitmort peu de temps après que nous ayons fait sa connaissance,maissondurlabeuretsacontributionpoursoutenirnoseffortsne faiblirent jamais.Une fois, jeme rappelle être venu la voirpour prendreunnouveau tas d’objets qu’elle avait rassemblés.Quandellemeservitmasoupe,jeremarquaique,aulieud’unelouche, elle utilisait une vieille tasse pour remplir mon bol.D’uncoupd’œilcirculairej’aperçussesplacardsetsesétagères,ils étaient vides, presque tout avait disparu. Inquiet, je luidemandaisielleallaitbien.«Oui,parfaitement,sourit-elle.‒Vousallezdéménager?demandai-je.

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‒Non,non.J’adoreêtreici.Non,simplementjepensaisàcesfamillesenBosniequirentraientchezellesenayanttoutperdu.Elles ont besoin de ces petits équipements plus que moimaintenant. Après tout, une vieille dame comme moi, qui vitseule,a-t-ellevraimentbesoind’unelouche?Oud’assiettesoudecasserolesensurplus?»Jeredescendislentementlacôtequiconduisaitàsamaison,macamionnettetoutepleinedesesustensilesdeménageetlecakesoigneusement enveloppé sur le siège près demoi. Dansmonrétroviseur,jevoyaisMrsDuncanJonesquimefaisaitaurevoirdelamain.Ellearboraitunmagnifiquesourireépanouï.Je fus mis à l’épreuve de bien d’autres manières aussi.Quelques semaines auparavant, Julie et moi (nous étionsmaintenant fiancés en vue de notremariage) bavardions sur ledernier tronçon de retour d’un autre périple en Bosnie-Herzégovineetavectactellesemitàmeposerdesquestionssurma timidité ‒ etmes vêtements.À sa grande consternation, jevenais de lui dire, d’un ton assez suffisant, que tous mesvêtements (sauf mon kilt) pouvaient tenir dans une seulemachineàlaver.Elleprenaitainsiconsciencequemonaspectsipeu présentable n’était pas seulement dû au fait qu’en cemomentjeconduisaisetchargeaisdescamionstoutaulongdelajournée.«Ah,jecomprendsmaintenantpourquoitoustesvêtementsontcette même couleur horrible d’un gris indéfinissable, dit-elled’untonsecaprèsunbrefsilence.‒Quepenses-tufairequandtoutceciseraterminé?Est-cequetureprendrasletravaildepisciculteur?medemanda-t-elle.‒Jenesaispasau juste, répliquai-jeaprèsunpetit tempsderéflexion.‒Cedont jesuissûrcependant,c’estqueceneserapasuneactivitéquin’intégreraitpaslesrelationshumaines!»

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voyage me laissa penser que c’était simplement un acte devandalismecommisauhasard,maiscommel’airfroiddelanuits’engouffraitdansnotre compartiment, etquenous faisionsdenotremieuxpournousblottir sousnosmaigrescouvertures, jemedemandais’ilétaitbiensagedevoyagerdanscepaysquejeconnaissaissipeu.Maisjemeremémorailecourrielquim’avaitconduit jusque-là. Je l’avais reçu, d’une façon tout à faitfortuite, quelques semaines auparavant d’une Américaine quis’appelait Kristl Killian. Elle se présentait comme bénévoletravaillant auprès d’enfants de Roumanie que l’on avaitabandonnésdansdeshôpitauxdelavilledeTîrguMures,etellenous lançait un appel désespéré pour que nous lui fassionsparvenirdesfournituresdebase.« À l’hôpital pour sidéens où je travaille, nous avons perduneufenfantspendantlapériodedeNoël,écrivait-elle.LesautressontentraindemourirdefaimoudemaladiesliéesauSIDA.Lasituation est grave. Les enfants de plus forte constitution s’enprennent aux plus faibles et leur dérobent leur nourriture, etcomme nous ne sommes que deux infirmières pour quaranteenfants,lespluspetitsetlesplusfaiblesfinissentparmourirdefaim.JEVOUSENPRIE,aidez-nous.»Maintenantquenouscommencionsàrecevoirungrandnombrededemandesd’aide,letondecelle-cinousavaitinterpellés.Unsentimentdedésespoir sincèrenouspoussaità intervenir.Déjànotrepremierchargementdenourriture,devêtements,dejouetsetdemédicamentsétaitenroutepourTîrguMures,etj’étaisenroute pour me renseigner précisément sur la situation et voirquelleaidenouspouvionsapporter.Quandjesortis,toutfrissonnant,delagaredeTîrguMures,tôtle lendemain matin, je fus soulagé d’être accueilli par Kristl,séduisante petite dame aux cheveux bruns coupés au carré etdont le large sourire ne quittait guère le visage.On se dirigea

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versuncafévoisin.Devantuneboissonchaudebienvenue,elleme conta son histoire. La première fois qu’elle avait visité laRoumanie, c’était en touriste. Blessée dans un accident devoiture, elle atterrit dans un hôpital de quartier pour un courtséjouravantd’êtrerapatriéeparavionauxUSA.Tandisqu’elleseremettait chez elle, elle ne pouvait s’empêcher de penser auxenfants abandonnés qu’elle avait rencontrés dans les sallesd’hôpitalenRoumanie,etelledécidaqu’unefois rétablie,elleretournerait là-basafinde faire lemaximumpour leurvenirenaide.ÀsonretourenRoumanie,elles’installaàTîrguMuresetentrepritrapidementdevisiterleshôpitaux.Peuàpeu,unpetitgrouped’amisroumainssejoignitàelle.Kristl m’expliqua que durant les années 80 et au début desannées90, desmilliers d’enfants roumains avaient été infectésparlevirusVIHlorsdeprocédureshospitalièrescourantes.Desseringues,desvaccinsetdusangcontaminéavaienttransmislamaladie.Enconséquence,laRoumanieavaitleplusforttauxdecaspédiatriquesdeVIH enEurope.Le fait que lamajoritédesenfants infectés de cette manière fussent Roms (Gitans) ‒ groupe ethnique marginalisé et souvent victime dediscrimination ‒ conduisit à diverses théories du complot.Quellesquesoientlesraisonsdelacontamination,danstoutelaRoumanie,desmilliersd’enfantsséropositifsvivaientdansdeshôpitaux‒souventabandonnéspardesparentsquiavaientétéencouragésparlesautoritésàlefaire.IlyavaitalorsenRoumanieplusdecentmilleenfantsvivantdans des établissements hospitaliers. Le dernier dirigeantcommunistedecepays,letristementcélèbreNicolaeCeausescu,quiavaitgouvernélaRoumaniependantvingt-cinqans,avaitétérenverséneufansseulementauparavant.AvecsonépouseElena,il avait été capturé, condamné àmort et fusillé par unpelotond’exécution.Mais l’odieux héritage de son règne était encore

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affreusementmanifeste,peut-êtreplusparticulièrementdanslesmilliersd’orphelinats,hôpitauxetruesdesgrandesvillesoùdesenfants qui n’avaient jamais connu l’amour de leur familleenduraientlessouffrancesd’uneviebrisée.Kristl et sa petite troupe d’auxiliaires dévoués visitaient àprésent des salles d’hôpital deTîrguMures de façon régulièrepourpasserdutempsaveclesenfants,essayerdeleurparleretde jouer avec eux. La situation des enfants à l’hôpital desmaladies infectieuses ‒ ceux dont elle avait parlé dans soncourriel ‒ était des plus terribles. Les enfants qui étaientabandonnés là, étaient délaissés dans tous les sens du terme.Leuruniqueperspectiveétaitdepasserlerestantdeleursjourslà,etchaquesemaine,desenfantsmouraienttoutseulsdansleurpetit lit. Il y avait un climat de tension croissante et mêmed’animositéentrelepersonnelrémunéréetcesbénévolescarilsétaientperçus commecritiques tout simplementparceque leurattitudeàl’égarddecesenfantsrejetéscontrastaittellementaveccelledesinfirmièresetdesmédecins.Lesmotscoulaientàflotsde labouchedeKristl commesi elle avait euhâtede racontertoute l’histoire à quelqu’un.Et dans le tableau sombrequ’ellebrossait, on voyait même affleurer un humour pétillant. Elles’amusait des erreurs qu’elle commettait chaque jour dans cepays étranger, elle qui ne ménageait pas sa peine pour enapprendrelalangueetlaculture.«Cematin,enarrivantàmavoiture,jemesuisrenducomptequejel’avaistrèsmalgaréehiersoir,etqu’ellebloquaitcelledemesvoisins. Ilyavaitunpetitmotsurmonpare-brise,dit-elleen riant. Il disait tout simplement Cretina. Je ne peux pasm’empêcher d’en rire. Il faudra que j’aille trouver le voisin cesoirpourluiprésentermesexcuses.»Jefusfrappéparsavaillanceetsaforcededétermination,maissurtout par sa foi très évidente en Jésus. Elle avait été élevée

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Il s’était déjà rendu en Roumanie et se montra vivementintéresséparcequenousfaisions.Uneheureàpeineaprèsqu’ileut faitmaconnaissance, ilmedéclaraqu’ilmedonnerait toutl’argent nécessaire pour construire la maison et qu’il aimeraitm’accompagner lors de son ouverture l’année suivante. Ilm’indiqua la date à laquelle il escomptait l’achèvement destravaux,etnemelaissapasdouterunseulinstantquejedevaistout mettre en œuvre pour qu’ils soient réellement terminés àcettedate.Heureusement,onréussitàrespecterlecalendrier,etaudébutdel’année2001,nousnoussommesrendusDuncanetmoiàTîrguMures.NousétionsaccompagnésdesœurMarthe,jeune religieuse en habit blanc, dont j’avais récemment fait laconnaissance.Jel’avaisinvitéeàveniravecnous,carelleavaitune très grande compétence dans la rééducation des enfantsayant des difficultés d’apprentissage et nous attendions d’elleaideetconseils.Nousformionsuntriodisparate.Duncan,qui,jem’enétaisdéjàrenducompte,cachaitsousuneapparenced’« homme dur » et bourru un cœur tendre et généreux, étaitfascinépar la sérénité émanantde cettebelle jeune femmequiavait fait vœu de chasteté, pauvreté et obéissance. Duncanl’interrogeaitpourtâcherdedécouvrirpourquoielleavaitchoisice cheminetpourquoi, nepossédant rienauxyeuxdumonde,elle était remplie d’une joie rayonnante.Nous eûmesquelquesdiscussions animées sur le sens de la vie, et en réponse auxinterrogations de Duncan, elle promit qu’elle prierait pour luitouslesjours.Lepointculminantdecettevisitefutl’ouvertureofficielle deBannatyneHouse, qui nous avait permis de sortirencoredix enfants de l’hôpital.Cettemaisondevait devenir lamaisondesfilles,alorsqu’IonaHouseseraitàl’avenirréservéeaux garçons. Certains dans ce groupe étaient beaucoup plusgravement malades et handicapés que dans le premier groupe.Uneautrefêteavectouslesgosses‒ilsétaientàprésentvingt‒

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eutlieudansnotreparc.Duncan,quelesgossesadoraient,nousditquec’était l’undesplusbeauxjoursdesavie.Aprèsnotredéjeuner,ons’assitdehorspourbavarderpendantquelesgossesjouaientautourdenous.Àunmomentdonné,jeremarquaiquedepuisunpetitboutdetemps,Duncanavaitdisparuderrièrelamaison. Quand il revint, on aurait dit qu’il avait pleuré. Ilparaissait avoir dumal à trouver sesmots. Il nous révéla qu’ilvenaitdevivreunerencontrepersonnelleavecDieu.«Dieuvoulaitquejedeviennecommevous,lesamis,dit-il,enessayantdesourire.Dieum’aproposéunchoix.J’aidécidéquec’étaitimpossible,etIlmaquitté.Jenepeuxpas.Jenepeuxpastoutabandonner.‒MaisDieuneveutpasvousôtercequevousavez,Duncan,luiditIbiavecdouceur.Ilveutvousdonnerquelquechose.»Duncanresteunbonamiàmoietm’aapporté,ainsiqu’ànotreœuvre, un appui considérable au fil des années. Dans sonautobiographie Anyone Can Do It10, il décrit cette rencontreavecDieu,etjetrouvequelecompte-rendusincèrequ’ilfaitdecette expérience est d’une honnêteté et d’une humilitédésarmantes. Jepriepourqu’un jour, ilpuisse trouver la forced’acceptercedon.La générosité de Duncan et l’ouverture de Bannatyne Housesignifiaient qu’il ne restait désormais plus que quatre enfantstrès malades à l’hôpital. Aussi avons-nous procédé à unenouvelle collecte de fonds pour acheter une petite maisonmitoyenne de notre propriété, à aménager pour qu’ellecorrespondeànotreprojet.Pendantl’achèvementdestravauxdecettetroisièmemaison,jefisunenouvellevisiteàl’hôpital.Unedes petites filles, Juliana, se cognait sans cesse la tête, toutecollée de sang, contre les barreaux de son lit, tandis que sesmaigresbrassecoinçaientdanslesressortsmétalliquessoussonsommier.Sonvisageétaitinexpressifetellesemblaitnepasêtre

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conscientedetoutcequi l’entourait.Jesentis lacolèremonterenmoi.Commentlepersonnelpouvait-illavoirdanscetétatetnepasfaire lemoindregestepourcapitonner le litouprotégersa tête des barreaux de fer ? Le médecin dans la salle, quisemblait incapabledereconnaîtreleprixdecesenfants,etquetous nos efforts pour leur procurer une maison laissaientperplexe,montraJulianadudoigt.«Voussavez,medit-il, jenesaisvraimentpaspourquoivousouvrez une nouvelle maison. Cette petite sera certainementmorteavant.»Quandjerevinsquelquesmoisplustard,etquejevisitaipourla première fois notre troisième maison, Rosie’s House (enréférenceàl’unedespetitesfillesquiétaitmorteàl’hôpital)jefus accueilli à la porte d’entréepar Juliana, qui était soutenuepar Ana Maria, membre du personnel qui avait consacré desheures et des heures à veiller sur elle, et lui avait appris àmarcher. Juliana paraissait tellement différente. Ses cheveuxrepoussaientetsesblessuresà la têtes’étaientcicatrisées.Elleavait déjà pris près de trois kilos. Elle me prit la main etentreprit de me faire visiter sa maison. Elle était surtoutimpatientedememontrer sabellechambreauxcouleursvives.Sursonlitsetrouvaitunpetitensembledepeluches,sesjouetsàelle!Lasalled’hôpitalétaitdésormaisinoccupée.LagestiondecestroismaisonsétaitunetâcheredoutablepourIbi et son équipe. Les enfants avaient une foule de besoinsurgents, tant sur leplanmédicalqu’affectif.Ondutmonterunréseaud’experts professionnels pour entourer l’équipedebasedes aides-soignantes, médecins, kinésithérapeutes,psychologues,psychiatres,pasteurset religieuses ; tousétaientimpliqués. Pour la première fois, les enfants pouvaientbénéficierdemédicamentsanti-rétrovirauxetd’unealimentationappropriée. Comme si ce projet extrêmement éprouvant ne

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chapelleimproviséeoùlepèreGarryetlepèrePatcélèbrèrentlamesse.L’assembléechantadetoutsoncœuretpriaqueDieulesdélivrede ces campset les ramène sains et saufs chez eux. Ilsprièrent également pour tout le peuple d’Écosse qui les avaitaidésquandtoutleurfaisaitdéfaut.LepèreGarryfutprévenuquenotredernierconteneuravaitétédédouanéplustôtqueprévuetdevaitnousparvenirsouspeu.Ilsupplia ceux qui nous entouraient et qui avaient entendu lemessage, de ne pas divulguer cette information. « N’ébruitezrien de ceci, implora-t-il, nous ne tenons pas à distribuer soncontenusur-le-champcarnousvoulonspouvoirledonneràceuxqui vont retourner dans leur village dans les prochainessemaines. Nous voulons encourager et soutenir ceux qui vontfairel’effortdereprendreleuractivitéagricoleetdissuaderceuxqui comptent s’éterniser dans ces camps. Pour l’instant, nousvoulonsledéchargerdansnotredépôt.Aussinousnetenonspasàcequ’ilyaitfoule.»Jejetaiuncoupd’œilau«dépôt»qu’ilmedésignaitdudoigt.C’étaitunconteneurmaritimeprécédemmentvidé,quiavaitétéexpédié d’Écosse, sur les portes duquel on avait peint à labombed’unefaçongrossière«WITHLOVEFROMSCOTLAND14».Jesourisenmeremémorantunedenosbénévoles,Debbie,quinousavaittoussurprisjusteavantquelecamionnequittenotreentrepôtdeGlasgow.Aumomentoùlechauffeurgrimpaitdansla cabine pour entamer son long trajet vers le port, Debbieescaladasoudainunepiledepalettesprèsducamionetsortitdeson blouson une bombe de peinture blanche. Tandis que nousriions aux éclats, elle, telle une tagueuse expérimentée qu’elleétait sans aucun doute, écrivit son message avec panache.Comme je l’ai constaté la dernière fois que je suis venu, ceconteneur avec cette inscription toujours aussi nette se trouve

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encoreactuellementànotreQGduLiberia,plusdedix-huitansplustard!Mais les appels du père Garry furent vains. Lorsque legrondement du camion se fit entendre, des centaines depersonnesenhaillonss’étaientdéjà rassembléespourproposerleur aide. Leur désespoir était visible. J’avais toujours aiméchargeretdéchargerdescamions‒etsurtoutpouvoirdistribuerle contenu de ceux que j’avais aidés à remplir à Glasgow. Enfait, j’avais moi-même effectué l’enlèvement de la plupart desmarchandises de ce chargement dans les maisons, écoles etéglisesd’Écosse.Jeconnaissaisbonnombredespersonnesquiavaient fait ces dons. C’était habituellement un vif plaisir depouvoir, au retour, garantir à ces généreuses personnes quej’avaisvudemespropresyeuxque leursdonsavaientbienétéattribués à ceux qui étaient dans le besoin. Mais ledéchargementdececonteneur-cifutundeceuxquim’alepluscoûté.LepèreGarryetlepèrePatétaientpartisenvoiturepourdirelamessedansl’autrecamp,etavaientconfiéàquelques-unsd’entrenouslaresponsabilitédesopérations.Touscesgensquinous entouraient étaient affamés. Et ils avaient chez eux desenfantsnusquiavaientfaimégalement.Illeurfallaitabsolumentquelquechoseàmanger,et il leurétaitdifficiledecomprendrepourquoinousnepouvionspasleurdistribuercequerenfermaitce conteneur-là. Faute d’une enceinte close et sécurisée, ondécida de former une chaîne humaine pour transférer le plusrapidementpossiblelesdonsdansledépôt,tandisqued’autrestenteraientdecontenircettefouledeplusenplusimportanteetinsistante. Certains se mirent à pousser des cris de colère, etpetitàpetitplusieursmilliersdepersonness’étaientmasséeslà.Lejourbaissait.Zinnah,quitravaillaitaveclepèreGarrydepuisdenombreusesannées,etquiaveccalmeorganisaitl’équipe,medit de ne pasm’inquiéter etm’expliqua qu’il avait envoyé un

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message demandant que des troupes d’ECOMOG viennent à larescousse. À mon grand soulagement, quelques minutes plustard, plusieurs soldats nigérians descendaient d’un pick-up etrétablissaient l’ordre.Fauteuils roulants,paquetsdevêtements,outils agricoles, boîtes de lunettes et sacs contenant notrecélèbre savon furent transportés avec célérité dans l’autreconteneurquifutalorsbiencadenassé,tandisquesedispersaitdansl’obscuritédusoirlafoulemécontenteetdéçue.Alors que le déchargement de ce conteneur avait été uneopérationdifficile, surtoutpour ceuxqui étaient si démunis etdevaientsecontenterd’observer, jecomprenaisvraimentàquelpointilétaitimportantd’encourageretdesoutenirleretourdespopulationsversleursvillagesetleursfermesd’origineoùellespourraient retrouver leur mode de vie leur permettant desubvenir à leurs besoins. En restant dans les camps, ellescouraient le risque de devenir de plus en plus dépendants del’aide.Ilétaitassurémentaisédecomprendrepourquoicertainsse montraient si peu enthousiastes à l’idée d’un retour. Endehors des circonstances traumatisantes dans lesquellesbeaucoupavaientfuileursvillages,ilyavaitaussilaperspectivepeu séduisante d’un retour vers des fermes envahies devégétationdansdes régionsqui, à présent, n’offraient ni soinsde santéni scolarisation.Entre repartir et rester, le choixpourlesfamillesn’étaitpasfacileàfaire.Sansaucundoute,lesfortsgaillards,machettesàlamain,quis’entassèrent dans le véhicule du père Garry deux ou troismatinsplustard,étaienttoutàfaitdéterminésàreconstruireleurancienne vie. On était quatorze serrés dans le pick-up à notresortie de la ville ; on franchit d’abord les postes de contrôled’ECOMOG, puis on pénétra dans ce qui avait été un territoirecontrôlé par les rebelles ces dernières années. De temps entemps,commenoustraversionscepaysagedévastéparlaguerre,

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expérience, adolescents.Elle s’était définie commepiloted’unpetit avionauMalawi.Celaévoquaitdes images romanesques,peut-êtreenpartieàcaused’unlivretrèsappréciédelafamille,OutofAfrica(Souvenirsd’Afrique).Bienquenousayonsreçuplusd’unmillierdelettresàcetteépoque-là,celledeGayétaitrestée gravée dans notremémoire.Maman lui avait écrit, avaitreçuunecharmanteréponse.Aucunenouvelledepuis.Alors que nous poursuivions nos réflexions sur leMalawi etsur Gay, il y avait, comme toujours, un groupe de retraitantsnousréservantquelquessurprises,quiséjournaitàCraigLodge.Parmieuxsetrouvaitunhommed’affairesdesMidlands,TonySmith. On ne l’avait encore jamais rencontré. Lorsque TonynousdéclaraquenonseulementilconnaissaitGayRussellmaisenplusqu’iltravaillaitactuellementavecelleauMalawi,oneutquelquedifficultéà lecroire.Tonynousracontacomment,à lasuite de sa propre expérience de conversion à Medjugorjequelquesannéesauparavant,ilavaiteul’idéedeconstruireuneréplique de cette gigantesque croix sur unemontagne quelquepartenAfrique,pourceuxquinepourraientjamaissepermettred’allerenpèlerinageàMedjugorje.Avec le temps,on luiavaitprésentéGay,etensembleilsconstruisaientàprésentcettecroixen béton au sommet de la montagne surplombant la ville deBlantyre,oùelledemeurait.TonynousmitencontactavecGaypar courriel. Après une interruption de dix-huit ans, on repritavecelledechaleureuxmessages.Entreautreschoses,onappritqu’elle et son époux David étaient aussi impliqués dans desprojets d’aide aux victimes de la famine dans leur pays. Ilsinsistèrent pour que nous venions leur rendre visite dès quepossible.Entre-temps, on entama également des contacts avec d’autrespersonnes qui menaient à bien des plans d’aide d’urgence auMalawi.Parmielles,ilyavaituneanthropologuedel’Université

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de Saint-Andrews, qui avait vécu précédemment chez lesChewasetétudiéleursociétématrilinéaire(danscesystèmedefiliation, chacun relève du lignage de sa mère) dans certainsvillagesducentredupays.Enpartenariatavecsesamisdecesvillages, elleavait conçuunprojetdestinéàprocurerde l’aidealimentaire à des villages bien ciblés. Le projet avait deuxobjectifs,avanttoutsauverlespopulationsdelafamine,etleurpermettre de rester dans leur village plutôt que d’émigrer versdesvillesoudegrandesagglomérationsenquêtedenourriture.Decettemanière,ilspourraientplanterleurprochainerécolteetenprendresoin,etéviterainsi l’effondrementde leurmodedevie (comme cela arrive si souvent en cas de famine).On lançadonc un nouvel appel à nos généreux donateurs en constanteaugmentation, au profit de la population sous-alimentée duMalawi.DescentainesdechèquesrédigéspardebienveillantespersonnescommencèrentàarriveràDalmallyet,trèsvite,Ruthet moi avons fait des plans pour notre premier voyage auMalawi.NousvoulionsrendrevisiteàGayetauxéquipesaveclesquelles elle travaillait dans la région sud du pays, mais aupréalable nous tenions à participer à la première livraison denourritureauxdeuxvillagessituésaucentredupays.Alorsquenousquittions l’aéroportdeLilongwe(lacapitale),pourprendre la routedusudendirectiondecesvillages,noussommes passés devant les énormes silos à grain de l’État. Ilsétaient reconnaissables car de récents articles de journauxavaientsignaléquelesréservesdecéréalesquiauraientdûyêtreentreposées, précisément pour une pénurie telle que celle-ci,avaient en fait été vendues par le gouvernement.On découvritque les silos qui pouvaient contenir cent soixante-sept milletonnes de maïs étaient absolument vides. Le gouvernementprétendit que le FondsMonétaire International (FMI) lui avaitconseillé de vendre ces réserves afin de contribuer au

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remboursementde la dette dupays‒ assertionniéepar leFMIqui dit n’avoir reçu aucun paiement. Pendant ce temps-là, uneenquêtemenéepar l’Officeanti-corruptionavait révéléquedespoliticiens haut placés et des cadres du secteur privé avaientlargementbénéficiédecettevente.Parmiceuxquel’onaccusaitfiguraitleministrechargédelaréductiondelapauvreté.Aumoment de quitter la ville pour poursuivre notre voyage,nousnousremplissionslavuedenospremièresimpressionssurleMalawi.Ilétaitd’unebeautésingulière.Lesdeuxcôtésdelaroutegrouillaientdemonde:desfemmesportaientsurlatêtedubois à brûler, des hommes poussaient des bicyclettes surlesquellesétaientempilésàunehauteurimpressionnantedestasdecharbondebois,etdesenfantsportaientdesseauxd’eauauxcouleursvives.Dansleschampsàcôtédelaroute,desvillageoislabouraient la terre, la retournant avec des houes, prête à êtreplantée. Des maisons en pisé (briques de boue séchée) ou entorchis (glaise et foin hâché) aux toits de chaume débordantsétaient regroupées en petits villages au bord de la route. Decurieux baobabs nous enchantaient, leurs énormes troncs sedivisaient en couronnes relativement petites, leur donnantl’aspect d’un arbre planté à l’envers. Des collinesgéologiquement atypiques commencèrent à se profiler dans labrume.Àl’horizonausud,BundaaudômearrondietNkhomaauxpentesplusabruptesetà lacimeremarquablementpointuese dressaient audacieusement au milieu de la plaineenvironnante, dédaignant l’appui de collines plus basses. Dessacs de haricots et de farine de maïs étaient entassés dans lecamionquenoussuivions,et ilsconstituaient lepremierenvoide nourriture destiné à « nos » villages, et acheté à desnégociants de la ville. Tout en aidant à organiserl’approvisionnementdecesvivreschezlesnégociants,c’étaitlapremièrefoisquejeréfléchissaisauproblèmedelafaimetdela

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nous avons tiré de nos poches quelques galets d’Écosseprovenantdenotreproprecolline‒cellequise trouvederrièreCraigLodge sur laquelle papa avait construit un «Chemin deCroix»,etquelques-unsdelacollinedeMedjugorjeoùavaienteulieupourlapremièrefoislesapparitionsdelaSainteVierge.Ilsfurentdéposésdanslesfondationsbéantes,déjàcombléesdepierresduMalawi,etonpriaDieuqu’Ilaccordesabienveillanteprotectionàceprojetainsiqu’auMalawi.JepromisauxRussellquejereviendraistrèsvite.Dès notre retour en Écosse, on redoubla d’efforts pourcollecterdesfonds.UncertainnombredesbénévolesrencontrésauMalawi,quiaccomplissaientuntravailsimagnifique,avaientdésespérémentbesoindefinancementpourunnombretoujourscroissantdebouchesànourrir, etnous leur avionspromisquenous ferions tout ce que nous pourrions. Avec Gay quicoordonnait nos actions sur place au Malawi, nous fûmesimmédiatement en mesure de faire parvenir des fonds à nosnouveauxamis.OnrelatanosexpériencesauMalawidansnoslettres d’information et on réussit à obtenir une certainecouverturemédiatique.Chaque fois que je rentrais d’un voyage à l’étranger, j’avaiscoutumede faireunpetit exposé accompagnédephotos ànosbénévolesainsiqu’auxjeunesquihabitaientCraigLodge,pourconsacrer une année de leur vie à prier et servir ceux quivenaient pour des retraites. C’était très souvent grâce auxretraitants de Craig Lodge que notre œuvre grandissait, aussiétait-il vital de tenir cette communauté informée de nosréalisationsetd’entretenirl’enthousiasmedesjeunesafinqu’ilspuissents’enfairel’échoauprèsdeshôtesintéressésetdésirantensavoirplus.Troisjoursaprèsavoirfaitmonexposé,MaureenCallaghan, jeune filledecettecommunauté,m’abordapourmedireque lorsque je leuravaisparléduMalawi,elleavait eu le

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cœurbrûléd’unfeuardent.Depuis,ellenecessaitdepenseràcequ’elleavaitentenduetledésirdepartirlà-baspouraiderlataraudait. Du coup, elle avait fait deux nuits blanches. Ellen’avaitjamaisétédansaucunpaysenvoiededéveloppementetn’avait pas eu, jusqu’ici, la moindre intention de s’y rendre.Deuxautres jeunes fillesde lacommunauté‒LisaetNicola‒ont,ellesaussi,ététouchéesdelamêmemanière.Ellesontdoncdécidé d’entreprendre un « voyage de mission » au Malawi,financépar leCraigLodgeTrust (institution caritative fondéepour administrer The House of Prayer). Gay fut enchantéed’apprendrecettenouvelleetsur-le-champ,ellesemitenquêted’unepetitemaisonàloueraupieddela«montagneàlacroix»à Blantyre. Elle vécurent là pendant cinq semaines parmi lesplus pauvres des pauvres en assistant sœur Lilia, et ellescommencèrent à collaborer avec le prêtre de la paroisse localepourdiscernerlesenfantsquiavaientleplusbesoindesoutienetdepriseencharge.Troismoisaprèsmapremièrevisite,jeretournaisauMalawiennovembre 2002, cette fois pour rendre visite à ceux quedésormaisnousfinancionsetpourprendrecontactavecd’autresgroupessignalésparGaycommeayantbesoind’aide.Cettefois-là,j’étaisaccompagnédedeuxjournalistesduHerald,lejournaldequalitéleplusdiffuséd’Écosse,quiavaientacceptéd’écrireunarticlesurlasituationauMalawietsurlesactionsquenousy menions. À ce moment-là, comme on l’avait prédit, lesconséquences de la famine s’étaient aggravées. Même sansfamine,novembremarquaitsouventledébutdesmoisdedisette.Mais cette année-là, les gens avaient déjà depuis longtempsépuisétoutesleursréserves.Je pris alors conscience que les projets d’aide alimentaired’urgence les plus efficaces étaient très souventmenés par leséglises qui avaient l’avantage d’une structure permanente,

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pouvant être mobilisée pour créer des réseaux de bénévoles àl’échelondelaparoisse.Lorsdecettevisite,j’aipassédutempsavec plusieurs groupes de religieuses et de prêtres quiaccomplissaient un travail colossal. Aucun ne paraissaitparticulièrement choqué par cette famine, et tous avaient dessolutions qui avaient fait leurs preuves depuis de nombreusesannées, et qu’ils avaient adaptées selon les nécessités. ÀNamitembo, zone très reculée et durement éprouvée par lafamine, vivaient deux prêtres missionnaires, le père OwenO’Donnell de Glasgow et le père Frank de Liverpool. J’aiséjourné chez eux pendant deux ou trois nuits. Tout en lesécoutant s’exprimer l’un et l’autre avec leur fort accentcaractéristiquedeleurvilled’origine,jeremarquaiqu’entreeuxle soir, ils parlaient Chichewa, la langue locale, et j’avais lanette impression qu’ils étaient plus à l’aise ici qu’ils ne leseraientderetoursurlesrivesdelaClydeoudelaMersey.Leurparoisseétaitdémesurémentétendue, fortedesesquatre-vingtsmille habitants. Un gigantesque réseau avait été organisé avecdesaides-soignantesàdomicile,toutesbénévoles,spécialementformées pour prendre soin des orphelins et desmalades de laparoisse (la plupart atteints du SIDA et quimouraient ici chezeux).Lepremiersoirdemonséjour,lepèreOwenmefitvisiterleurécolesecondairerécemmentconstruite,laseuledetoutelarégion, totalement équipée, y compris de laboratoires desciences.Lacréationdecelieud’éducationavaitété,àn’enpasdouter, inspirée par l’amour. En y regardant de plus près, jedécouvrais que les petits bacsdans les laboratoires avaient étéenfaitréalisésavecdesboîtesàgâteauxenmétal.Toutàcôtédel’écolesetrouvaientd’imposantsentrepôtsoùétaitstockéedelanourriture en quantité suffisante pour répondre aux besoinsd’urgencedehuitcentquatre-vingtsfamillespendantencoreunmois. Néanmoins, le père Owen s’inquiétait déjà de savoir

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Durant le mois de janvier 2003, les premiersMary’s Mealsfurent préparés et servis à Chilomoni. La même semaine, lamêmechoseseproduisaitpourlapremièrefoisdanscesvillagesreculés et affamés à Chipini. Les religieuses des MedicalMissionariesofMary,quiyfontuntravailremarquable,avaientorganisé pour sept petites écoles primaires le programmealimentaire, basé point par point sur un modèle identique debénévolat pour la préparation du Likuni Phala. Le taux demalnutrition infantile y était particulièrement élevé et bonnombred’enfantsn’allaientpasàl’écoleàcausedelafaimetdela pauvreté. C’est ainsi que débutèrent les Mary’s Mealssimultanémentdansuncadreurbainetrural.Ma première visite à Chipini, après le lancement deMary’sMeals, eut lieu malheureusement au cours d’une nouvellefamine, car en 2003 les pénuries alimentaires y étaient plusaiguësque jamais.À l’écoleprimairedeChinyazi,desenfantsd’une maigreur squelettique faisaient la queue calmement ensilenceenattendantderecevoirleurpartdeMary’sMeals.Bientropsagement!Beaucoupdecesenfantspassèrentdevantmoi,le blanc avec son appareil photo, comme si je n’étais pas là :aucunrire,aucunedecesbousculadeshabituellespourêtresurlaphoto.Ilétaitdéjàmidietilsétaientbientroppréoccupésparleurpremierrepasdujour.Depetitsgroupesd’enfantss’assirentdanslapoussièreetensilencemangèrentleurporridge.Pourlaplupart,ceseraitbeletbien l’unique repasde la journée.Prèsde l’école, devant une case en pisé, j’aperçus une « gogo »(grand-mère) assise et entourée des plus jeunes de ses petits-enfants.Jem’attardaiunmomentavecelle.Ellem’expliquaquesa fille, lamèredesenfants,venaitdemouriretqu’elleétait àprésentlaseuleàpouvoirs’occuperd’eux.Ellemeconfiad’unevoixétoufféepar ledésespoirqu’iln’yavaitpasdemaïs àunprixabordablepourelle,danstoutelarégion.Unpeuplustard,

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ses deux petits-enfants aînés,Allieta etKondwande, arrivèrentde l’école portant leurs cahiers poisseux et leurs bols vides(danslesquelsonleuravaitservileurMary’sMeals).Ilsavaientdavantage d’énergie maintenant. Ils se mirent à rire quand ilsm’aperçurent chez eux, et fièrement montrèrent à leur grand-mère leur travail scolaire. Ils racontèrentquegrâceauporridgequotidien,ilsallaientàl’écolepourlapremièrefois.Au bout de quelquesmois de distribution desMary’sMeals,nousavonspu releveruncertainnombredebienfaits évidents.En premier lieu, il était clair que ce n’était pas qu’une bonneidée.Ils’estavéréquec’étaitsurtoutunexcellentconceptqui,danslesfaits,fonctionnait.Lesécolescommencèrentàsignalerque,aprèsl’introductiondesrepasquotidiens,lesenfants,dontletauxdeprésenceavaitététrèsmédiocrejusque-làenraisondela maladie ou de la faim, venaient désormais chaque jour declasse. Elles constatèrent aussi le nombre d’inscriptions enhausse.Desenfantsquin’avaientjamaisétéscolarisésvenaientpourlapremièrefois,envoyéspardesparentsquiétaientassurésque leurs petits écoliersmangeraient à présent chaque jour, etqui acceptaient volontiers de ne plus recourir à l’aide surlaquelleilscomptaientdansleschampsouàlamaison.Il fut vite évident que la demande des Mary’s Meals étaiténormeetpressante.Dèsqued’autresvillagesetcommunautésapprenaient l’existence des services de Mary’s Meals, ilsdemandaient qu’on examine leurs requêtes afin d’être intégrésdans notre programme.Cependant, on découvrit aussi très viteque l’attrait pour ces repas était si fort qu’il pouvait créer desproblèmes.Alorsqu’audépartnousavionsvouluque lesrepasquotidiens attirent les enfants à l’école, nous n’avions pasimaginé qu’ils pourraient délaisser les écoles proches de leursvillages pour s’inscrire dans celles où on les servait, même sicela signifiait une marche de plusieurs kilomètres. Ces

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déplacements d’écoliers n’étaient pas dans nos plans. Lessollicitationsdecesvillagesd’oùvenaientàprésentdesenfantsdevinrentd’autantplusdifficilesàrefuser.Nous redoublions d’efforts pour collecter des fonds etaccroîtrenotrenotoriété,etnoustâchionsdemieuxciblernotreaction.Nousavionsl’impressiondereproduireàl’identiqueunmodèle,quipouvaitnonseulementsauveretmodifierdesvies,mais aussi transformer radicalement l’avenir des communautésles plus pauvres du monde. Nous désirions le proclamer aumonde entier !Étant donné que nos collectes de fonds étaientbasées sur le bénévolat et que notre communication se faisaitprincipalement de « bouche à oreille », nous savions que celaprendrait du temps. Mais nous commencions bel et bien àconstater que lors de nos réunions de présentation, le projetMary’s Meals ralliait un soutien sans précédent. J’appréciaisbeaucoup cette occasion d’expliquer aux gens le concept et lamanièredont il fonctionnait.Lesvisagess’éclairaientàmesureque l’auditoire comprenait que quelque chose d’aussi simplequ’un repas quotidien à l’école pouvait satisfaire le besoinimmédiatde l’enfantqui souffrede la faim,et enmême tempss’attaquer à la cause sous-jacente de la pauvreté. Les genss’enthousiasmaient pour cette solution qui paraissaitélémentaire.Et leur enthousiasmegrandissait encoredavantagequand ils apprenaient quenourrir un enfant pendant touteuneannéescolairenecoûtaitque5livressterling!Quelques-uns,etàjustetitre,mettaientendoutelavéracitédecechiffreetnousne demandions pasmieux que de fournir des éclaircissementssur ce point. Ce prix de revient était en fait justifié par deuxraisons essentielles : d’abord, quasiment tout le travail étaitaccomplipardesbénévolesnonrémunérés,ensuite lesdenréesalimentaires achetées en gros étaient produites localement etremarquablementbonmarché.Àprésent,jeneredoutaisplusde

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le docteur Christian Stelzer, avait fondé une organisation dunomd’OasedesFriedens(OasisdelaPaix)pourfaireconnaîtrele message de Medjugorje. Quand Christian eut apprisl’existencedeMary’sMeals, il semit à écrire des articles surnos activités dans son magazine mensuel. La réponse deslecteurs fut stupéfiante.Desmilliers depersonnes enAutrichefirentrapidementdesdonsgénéreuxetMary’sMeals reçutdescentainesdemilliersd’euros.Christianm’invitaensuiteà faireuneconférencelorsd’uneveilléeannuelledeprièrequisetenaitdans lavastecathédraleSaint-EtiennedeVienne. J’étaisarrivéenavanceetjefustrèsétonnédeconstaterquel’égliseétaitdéjàbondéedemilliersdepersonnesetqued’autresarrivaientencoresans discontinuer. Marija, l’une des voyantes, y était aussi etcela me fit bien plaisir de la revoir après une longue périodesansnouvelles.LaViergeMarie luiapparutsur lesmarchesdel’autel,puisleCardinalSchönborncélébralamesse.Cefutuneveilléetrèsparticulière.BeaucoupvoulurentparleravecnousdeMary’sMeals, ayant entendu le petit exposé que je venais defaire, et queMilona avait traduit. Parmi ceux qui, nombreux,soutenaient Mary’s Meals à Vienne, se trouvait le CardinalSchönborn lui-même,quidevintun ferventpartisande l’œuvreréaliséeparMary’sMeals, qu’il décrivit ultérieurement commeétantun fruitdeMedjugorje.Àplusieurs reprises, il prononçadeshoméliesetécrivitdesarticlessurlesactivitésetlesprojetsdeMary’sMeals.Depuis lors, l’aidefinancièreofferteenAutrichen’acessédecroître.Lamanièredonts’estdéveloppéenotreactionlà-basestassez difficile à expliquer, surtout sous l’angle des méthodeshabituelles de collecte de fonds. En Autriche durant lespremières années nous n’avions aucun employé rémunéré, niaucun bénévole à plein-temps (encore que Christian, lorsqu’iln’exerçait pas son métier accaparant de médecin généraliste,

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passaitdesheuresetdesheuresetsouventunegrandepartiedesesnuitsàécriredesarticlessurMary’sMealsetàorganiserdesévénements ennotre faveur).Néanmoinsnotre basede soutiense développa à une rapidité exponentielle, bien au-delà duréseau initial de Medjugorje. À mesure que notre œuvre serépandà travers lemonde, ilarrivequ’onmedemandedefairedes conférences sur le thème de la collecte de fonds. Parprincipejerefuse,carjamaisjen’oseraismeconsidérercommespécialiste en la matière ; et je ne prétends pas non pluscomprendre lesmécanismes qui ont entraîné tous ces élans degénérosité au profit de Mary’s Meals. Peut-être ces valeursauxquelles jecroisont-ellesétédesfacteursdéterminantsdansnotrecroissance‒aveclaprièreetlaconfianceenlaProvidencedivine comme points de départ ‒ et ne seraient-elles pasforcément reçues comme des conseils avisés et utiles dans cegenre de conférence.Nous avons bien sûr beaucoup appris enchemin, comme certaines manières d’aborder les problèmes etcertaines approches qui nous sont devenues très chères.Notreexpériencenousa convaincusqu’ilnous fallaitmettre l’accentprincipalement sur la croissance d’unmouvement populaire. IlnousasembléévidentquedesmilliersdepersonneseffectuantdesdonsréguliersconstituaientunmoyenplussûrpoursoutenirdesinterventionsàlongtermecommeMary’sMeals,qued’êtretrop dépendant de subventions qui ne dureraient peut-être quetroisans.Noussentionsqu’enpartie, lecœurdenotremissionétaitd’impliquer leplusgrandnombrepossibled’acteursdansnosprojetsetquelesgenssachentquechacunpouvaitjouerunrôle,quelsquesoientsasituationprésente,sesantécédents,sescroyances ou son origine ethnique. Quelques-uns s’étaientpersonnellement engagés à prier pour Mary’s Meals, commemon frèreMark dont la santé était si altérée qu’il ne pouvaitplus nous aider autrement. Il venait souventme demander s’il

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devait prendre une intention particulière dans sa prière. Jen’avaisgénéralementpasdedifficultésàluifournirunelongueliste!EtàCraigLodgeHouseofPrayeràcetteépoque-làvivaitfrèrePaul, saint frèremariste de quatre-vingt-quinze ans.Touslesmatins, il priait pourMary’sMeals (chaque jour il était àgenouxdanslachapelleavant6heuresdumatin)etpourlerestedelajournéec’étaitleplusjoyeuxetferventdéfenseurdenotreœuvre,quiracontaitàtousceuxquifranchissaientlesportesducentrederetraitelesprodigesdeMary’sMeals.Unjour,frèrePaulmeditquesonpetit-neveuétaitenfaitSirTerry Leahy, le célèbre PDG de Tesco, et bien qu’il ne leconnaisse guère, il lui avait écrit pour lui parler de Mary’sMeals.Ilmemontral’unedeseslettres.«Magnus est très grand, mais il ne fait pas peur du tout…peut-êtreaimeriez-vous faire saconnaissance?», avait-il écrit.Le choix de ses mots me fit beaucoup rire, mais quelquessemainesplustard,nousfûmesàlafoissurprisetenchantésderecevoir une lettre de SirTerry,m’invitant à déjeuner au siègelondonien de son entreprise.Après une série de réunions aveclui et d’autres membres du personnel et du conseild’administration,TescocommençaàsoutenirMary’sMealstrèsgénéreusement à travers sa fondation. Les portes continuaientainsi de s’ouvrir de toutes sortes de façons, aussi inattenduesqu’amusantes.Unautreprincipedirecteurquiestapparuàpartirdel’idéequeMary’s Meals était un « mouvement », c’était qu’il ne devaitjamaisyavoirdefracturenetteentreceuxquidonnentetceuxqui reçoivent. Nous désirions que chacun soit pleinementconscients que nous cheminions tous ensemble vers le mêmebut. Ceux qui vivaient parmi les plus pauvres des pauvres etdonnaient de leur temps pour préparer les repas quotidiensétaientunisàceuxquiagitaientleurtroncoufaisaientdesdons,

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seizegroupesethniquesduLiberia,quihabitaitdansunezonereculée de la forêt vierge. Le père Garry avait pour elle unegrande affection, car lorsqu’il avait été enlevé par des enfantssoldats durant la guerre et conduit par eux au cours d’uneexpéditiondetroissemainesjusqu’enGuinée,leuritinéraireluiavaitfaittraverserlesvillagesdesBellah,etlagentillessequelatribu lui avait témoignée durant son bref séjour l’avaitprofondément ému. Il avait promisque s’il en sortait vivant, ilreviendrait un jour les aider. Le père Garry usa de sesconsidérables pouvoirs de persuasion pour obtenir l’adhésiond’Alex, dont le goût de l’aventure n’était attisé que par ladescription pittoresque de l’expédition ardue qui l’attendait.C’est ainsi qu’Alex et plusieurs membres parmi les plusexpérimentésdenotreéquipelibérienneeffectuèrentletrajetdequatorze heures en voiture pour se rendre chez les Bellah, enempruntantunitinérairequin’aqu’unlointainrapportavecuneroutedignede cenom.Quand j’étais arrivépourunenouvellevisite,leterrainétaitdéjàaveccescommunautés,lesroulementsde bénévoles étaient organisés et les premières livraisons dedenrées alimentaires effectuées. On servait à présent Mary’sMealsdanstroisécolesdevillagedansledistrictdesBellah.Jedécidaidem’yrendrepourconstatertoutcelapersonnellement.Pendant les six dernières heures de notre expédition là-bas,nousn’avonspascroiséunseulvéhicule.Notrepick-upquatre-quatre patinait et progressait avec difficulté sur une pistegrossièrement défrichée bien des années auparavant par unesociété d’exploitation forestière. Celle-ci avait construit desponts en plaçant d’énormes rondins sur des ruisseaux et desrivières,ettandisquenotreconducteuravançaittrèslentementlelongdecestroncs,nouspriionspourquelesrouesnedérapentpasetquelesrondinsnesebrisentpasnet.Departetd’autre,laforêttropicales’élançaittrèshautversleciel.Ànotreapproche,

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degigantesquesgrenouillesbondissaientdepetitesmaresetdesécureuils se précipitaient pour se mettre à l’abri. De temps àautre devant nous, un rapace décollait de la route dans unbattement d’ailes et disparaissait au-dessus des arbres. À unmoment nous avons rencontré, à notre grande surprise, uneéquipe d’ouvriers qui avait été payée pour dégager cette routesolitaire et envahie de végétation. Ces anciens combattants etleurs familles, armésdemachettes, avaientabattu lesarbresenbordure de la route sur des kilomètres. À côté de leur campimprovisé,surunfeudebois,ilsfumaientdudaimetdusingequ’ilsavaientrécemmenttués.Alex‒quisemblaitavoirapprisd’une façon remarquablement rapide les us et coutumes de cepays‒marchandaaveceuxpourleuracheterdelaviande.« Pourquoi vous, les blancs, n’apportez-vous pas de pain deMonrovia ?», nousdit un jeunehommeen riant tout ennoustendantquelquestranchesdesingebienchoisies.Unpeuplus loin, au sommetd’une côte abrupte, nous avonsdépasséunpick-upcalciné.Àl’intérieursetrouvaitlesqueletted’unsoldatdel’arméerégulièreàquilesrebellesavaienttenduuneembuscadeplusieursannéesauparavant.Larouteàtraverslaforêt paraissait interminable et je commençais à comprendrepourquoi aucune autre organisation humanitaire n’intervenaitdanscesrégions.Le soleil était en train de baisser derrière les grands arbresquandenfinnousatteignîmesBellehBalama:petitensembledecases aux toits de chaumedansunevaste clairière.Une cohued’enfants aux vêtements en loques, riant et agitant les mains,s’agglutina autour de nous, hurlant en signe de bienvenue.Ungroupe d’anciens du village vint à notre rencontre et nous fitentrerdanslacaseentorchisoùnousallionsdormir.Lafamilledecettehabitationnousmitdansl’embarrasquandnousl’avonsvuequitterleslieuxpourfaireensortequeleurshôtesaientun

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lit. Les anciens donnèrent à chacun de nous un nouveau nom.Pourladuréedemonséjourparmieux,jedevenaisM.Tanjo‒«lepropriétairedelaterre».Aprèslesdiscoursdebienvenue,selon la coutume locale, ils nous offrirent des noix de kola àmâcher,unpouletblancetunepièceenargent(unanciendollarlibérien). Peu après, nous nous sommes retrouvés à jouer aufootball avec un groupe d’hommes du village, tandis que lesfemmes jouèrent aukickball23 dansunchampvoisin.Plus tardune grande etmince jeune femmeprénomméeHelen, qui avaitétéchargéedeveiller surnousdurantnotre séjour, fit chaufferde l’eau sur un feude bois pour nos « bains » (pris dans uneminuscule cabine à panneaux en osier derrière la maison), etnousfitcuiredurizainsiquelaviandedesingequenousavionsachetéeencoursderoute.Certainsdesvillageoissejoignirentànous et ensemble nous avons bu du « God toMan » (vin depalme recueilli directement par incision du palmier et qui nerequiertaucunefermentation).Cettenuit-là,lesommeilnetardapasàvenirdanscebeauvillagesombreetsilencieux.Le lendemain, les trois écoles qui recevaient Mary’s Mealsfurent fermées de telle sorte que tous les enfants puissentprendre part à une journée de festivités et de réjouissances ennotrehonneur.Nousavonseu leprivilèged’entendredebeauxchants spécialement écrits à notre intention. « Vous êtes lebienvenu,M.Tanjo!Vousêteslebienvenu!Nousespéronsquevous êtes porteur de bonnes nouvelles ! », chanta la jeunechorale.Je leur parlai de Mary’s Meals. À leur demande, je leurexpliquaiqueMarieétaitlamèredeJésusetquelorsqueJésusétait toutpetit ils avaientdû fuirpouréchapperàdeshommesquivoulaientlestueretqueeuxaussiavaientconnulapauvreté,les épreuves et la faim. Plus tard, après plusieurs pièces dethéâtreetl’échangedenombreuxdiscours,ilétaittempsqueles

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fois-ci on se rendit compte que la petite rivière auparavantinfranchissable avait été enjambée par un pont tout neuf enbéton construit par les villageois. L’intense désir de cescommunautés d’obtenir l’intervention de Mary’s Mealsencourageaità la réalisationdenombreux travauxbénéfiquesàl’ensemble de la population. Dans chaque école, on rencontrades files d’enfants tenant des bols aux couleurs vives, desfemmescuisinant surdes feuxdebois etdes instituteursnousparlantdetouscesenfantsquivenaientàprésentàl’écolepourla première fois. En moyenne, les inscriptions augmentèrentsubitement de quarante pour cent dans les écoles de CapeMountaprèsl’introductiondeMary’sMeals.Après avoir visité certaines de ces écoles, on s’arrêta sur letrajetdu retourpourassister àune réuniondechefsdevillageparticipantactivementàladistributiondesMary’sMealsdanslarégion.Unimam,quineménageaitpassapeinepourmobiliserla population des différents villages ‒ et qui s’était chargé denous trouver le terrain sur lequel nous avions construitl’entrepôtquidesservaitlecomté‒vintànotrerencontresursamotoqu’ilavaitarrêtéeenbordurederoute,toutsouriantmalgrénotre heure de retard. Il nous conduisit dans la salle des fêtesd’unvillage,rempliedevillageoisquieuxaussinousattendaientpatiemment et qui nous réservèrent un accueil chaleureux.L’imam ouvrit la réunion par une prière, et avant d’inviter lespersonnes de l’assistance à nous confier leurs diversesexpériencesdeMary’sMeals,ilnousdonnalaparole:nousleuravons exposé notre plan qui, d’ici la fin de l’année, devaitpermettred’engloberl’ensembledesécolesdeCapeMount.Ilsnousapprouvèrentenapplaudissantlonguement.Unmonsieurd’uncertain âgeàbarbeblancheet à calottedeprièreparlad’unevoixvibranted’émotionendisant :«Quellereconnaissance nous éprouvons en apprenant cette nouvelle !

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Quec’estpitoyabledemangerlorsquevotrevoisins’enpasse!Quand je voyais alentour les enfants souffrir de la faim, moiaussij’avaisfaim.Etmaintenantquejevoisqu’onleurdonneàmangerchaquejour,jen’aiplusfaim.»

23. Jeu basé sur les règles du base-ball dans lequel les joueurs frappent laballedupiedaulieudelefaireavecunebatte.24.«L’écolepourmalentendantsOscarRomero».

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ÀHOLLYWOOD

Lesparolesstupidessontflatteriessiexcessivesqu’ellesnepeuventêtrevraies,

etlesparolesenjôleusessontflatteriessimodéréesquenouslesaimons.

FULTONJ.SHEEN25

Dans le monde entier, de nouvelles portes commencaient às’ouvrir et des gens issus d’horizons très divers conviaientMary’sMeals dans les endroits lesplus surprenants.Dansdeséglisesautrichiennesrichementornées,surdesplacesromaineshistoriques, autourd’unepiscine àPalmBeach,dansun stadede football en Calabre et dans un centre de détention pourmineurs à Glasgow se rassemblaient des gens au grand cœurpourentendrelemessagedeMary’sMeals.Ladiversitédesgensauxquels je parlais était stupéfiante, presque comique, et jedécouvrais tant de choses imprévues quand j’allais à leurrencontre. Dans une synagogue, j’ai exposé la raison pourlaquelle notreœuvre avait reçu le nomd’unemère juive ; lorsd’uneconférenceinternationalesurl’éducationàAbuDhabi,onm’a demandé de faire un exposé immédiatement après uneconférence sur les missiles Exocet donnée par le représentantd’une firme qui les fabriquait. Au cours d’une soirée à LosAngeles, j’ai fait la connaissanced’un joueurprofessionneldebeach-volleyetd’uncascadeurà la retraitequisemblaient toutautantfascinésparmontravailquejel’étaisparleleur.

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gens qui pourraient soutenir cetteœuvre en faveur des enfantsquimeurentdefaim.NousdevrionscréerMary’sMealsCroatiepourqu’ilspuissentlefaire.»C’est exactement ce qu’elle fit alors, avec quelques amisintimes de Zagreb. Au fil du temps, des milliers de CroatesdevinrentdonateursdeMary’sMeals.Quandj’entendisl’exposéqu’elle nous fit à l’occasion de notre petite rencontre àMedjugorje, je compris queZeljka avait une vision tout à faitsingulièredenotreaction.«Jemesouviensde l’époqueoùJulieetMagnusvenaientenCroatie avec leur petit camion. Nous aidions à organiser ladistribution des vêtements de bébé et des couches qu’ilsapportaient.Plusieursdemes amies‒ etmoi aussi ‒ en avonsbénéficié. Et aujourd’hui, c’est nous qui administronsMary’sMealsenCroatie,afinqued’autresdanslebesoinpuissentêtresecourus.Ilestvraimentimportantqu’onsacheàlafoisdonneret recevoir quand on fait ce travail. Il est important qu’onconsidère ceux qui reçoivent notre aide avec autant de respectqueceuxquinousdonnent.»Lors de certaines séances de partage durant cette rencontred’une semaine, des pèlerins qui se trouvaient à Medjugorjevenaient se joindre à nous. C’est ainsi qu’une dame d’Iowa,Ellen Miller, bavarda avec Julie tout en prenant un café aumoment de la pause. Elle expliqua qu’une amie et elleorganisaientuncongrèssurlethème«ChristOurLife»(Christnotre vie) dans leur ville de Des Moines. Elles étaientdéterminées à remplir un stade de basket de milliers depersonnesetétaientàlarecherched’orateurs.« Pensez-vous que votre époux puisse venir l’an prochain ?Nousprendronssoindelui,c’estpromis!»,ditEllen,quiavaittout de suite compris que la meilleure manière d’obtenir mon

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accord, c’était d’en parler à Julie pour qu’elle me pose laquestion.Et c’est ainsi qu’en septembre 2010, je me suis retrouvé àl’aéroport de DesMoines, accueilli par le fils d’Ellen,Mike,tout souriant,quiavait étéchargéde s’occuperdemoipour leweek-end. À mon arrivée au stade, quatre mille personnesétaient déjà rassemblées pour le congrès. Je fus frappé par lesnombreux groupes de jeunes qui se trouvaient là, et parl’atmosphèrepriante qui régnait.L’après-midi, j’eus l’occasionde leur raconter l’histoiredeMary’sMeals.À la suitedecela,descentainesdegensvinrentànotrestandpournousdirequ’ilsvoulaientfairequelquechose.Jepartispeudetempsaprès,trèsfavorablement impressionné par la famille Miller et lespersonnes sympathiques que j’avais rencontrées, mais sansvraiment comprendre au juste ce que nous venions d’embraserenIowa.Danslesmoisetlesannéesquisuivirentcecongrès,lesplus spectaculaires et populaires mouvements de soutien enfaveur deMary’s Meals se répandirent à travers l’Iowa et au-delà. De nombreuses écoles et paroisses se mirent à nousapporter leur soutien. Des milliers de personnes rejoignirentnotremissionendevenantdonateurs,orateursbénévolesoutoutsimplement priants pour la prospérité de notre œuvre. Bonnombre de campagnes de collectes de fonds furent lancéesspontanément.Ellen et ses amies créèrent des tee-shirts et desécoliers en vendirent desmilliers et desmilliers, chaque ventepermettant de nourrir un enfant pendant une année. D’autresfruitsétonnantssontnésdecettepremièreetbrèvevisite.J’avaisaiméconverseravecMike,lesympathiqueetenjouéfilsd’Ellen,alors qu’il me promenait en voiture pendant mon séjour chezeux. Il me dit qu’il était sur le point d’achever ses études definance à l’université, et projetait de rejoindre la chaîne desupermarchéspour laquelle sonpère avait travaillé. Il semblait

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enthousiasmé à cette perspective. Il posait aussi beaucoup dequestions pertinentes sur Mary’s Meals. Quelques semainesaprès mon séjour chez eux, il m’appela, me disant qu’il avaitprié et réfléchi depuis notre rencontre et me demandant siMary’sMealsn’avaitpasbesoindequelqu’unforméenfinance.Je fus sidéré par sa proposition. Je lui dis que nous avionsbesoindesonprofilpournoséquipesenHaïtiouauLiberia.Ilm’assura que l’un ou l’autre de ces pays lui conviendraitparfaitement.Au départ nous avions prévu que ce seraitHaïti,mais suite à des changements d’effectifs au Liberia, nous luiavonsdemandés’ilvoyaituninconvénientàyallertravailler.Ilacquiesça sur le champ, et bientôt se retrouva basé àTubmanburg,membre importantde l’équipe surplace. Il a finipardevenirsalariéetdepuis,travaillepourMary’sMeals.Deplus en plus, je remarquais que c’était souvent les jeunesqui menaient les efforts les plus spectaculaires pour collecterdesfonds.Lorsd’uneautreréuniondansl’Iowasetrouvaitdansl’assistance, sans que j’y prête attention, une fillette de douzeans, du nom d’Allison Ockenfels, originaire d’une petitecommunautéruraledanslenorddel’État.Elleappritqu’ilétaitpossible de collecter des fonds afin de procurer des Mary’sMeals à une école bien spécifique au Malawi, grâce à lacampagne « Sponsor a School31 » que nous avions lancée.Nullement impressionnée par le défi à relever de trouver lesdouzemille dollars nécessaires pour approvisionner une seuleécole,elles’étaitmiseà recueillirde l’argentdanssonvillage.Lorsque j’entendis parler d’Allison, elle avait déjà atteint sonobjectif et s’efforçait de renouveler son exploit avec unedeuxième école ! Elle me demanda si je voulais bien rendrevisiteàsafamillelorsdemonprochainvoyageenIowa,requêteàlaquellejefusheureuxderépondre«oui».

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Peu à peu il se faisait un peu plus confiant, allant mêmejusqu’àleverlesyeuxversnous.« Je pense que ça fait environ six mois que je suis ici. Un“recruteur” est venu dans notre village embaucher deux centsgarçons.Onnousamisdansuntrain.Onm’aamenéicidanscevillageoùunfermierapayépourmoiquinzelivresaurecruteur.Le fermier a dit qu’il déduirait cette somme de mon salaire.Depuisquejesuisici,jen’airientouché.»Àprésent,ilparaissaitheureuxderépondreànosquestions.«Jemelèveà7heuresdumatinetjemecoucheàminuit.Jen’ai pas eu un seul jour de repos depuismon arrivée ici.Unefois mon travail terminé dans les champs, je fais des travauxménagers et je nettoie les étables.Mais j’ai de la chance, carmonmaîtrejamaisnemebatnimemaltraite.Onmedonnedeuxrepaschaquejour;commeonnemepermetpasd’entrerdanslacuisine,jemangetoutseuldansmoncoin.Jen’airienàpartcesvêtementsquejeporte.»J’examinaisonvieuxpolo,sonjeandéchiréauxgenouxetsestongsbienlégères.«Connais-tuquelqu’und’autreici?‒Jeneconnaispersonne.»Et il se retourna pour regarder l’école juste en bordure deschampsd’oùnousparvenaitleriredesenfants.« Et est-ce que tes parents sont au courant de la vie que tumènesici?‒Non,jenesuispasencontactaveceux.Jenesaispasécrireeteuxnonplus.Notrevillageesttrèspauvre‒voilàpourquoiilsm’ontenvoyétravaillerailleurs.Jen’aivuuntéléphonequ’unefois, dans la gare quand je suis descendu du train. Parfois,quand je pense à mes parents et à ma vie ici, il m’arrive dem’asseoiretdepleurer.Ilbaissalesyeuxànouveau.

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«Retourneras-tucheztoi?‒Oui.D’iciunan,enlafêtedeHoli,jerecevraimonsalairedel’année. Alors je rentrerai chezmoi et ne reviendrai jamais »,répondit-il.Endisantcela,Kailujetauncoupd’œilinquietdel’autrecôtédeschampsendirectiond’ungroupedemaisons,craignantquesonmaître n’arrive et ne le voie en train de nous parler.Nousavonspriscongé.Commenoustraversionslechampdecannes,j’aidemandéàmoncompagnon,lepèreJoson,s’ilpensaitqueKailurecevraitun jour l’argentdeson labeuret, lecasoù,s’ilsauraitmêmecommentrentrerchezlui.Ilhochalatêted’unairtristepour répondrenégativementàmesdeuxquestions. Jemedemandaissi,dansl’hypothèseoùdesMary’sMealsauraientétéservis dans une école du village deKailu, ses parents auraientfaitlemêmechoix.Nousétionsen2004etj’effectuaismapremièrevisiteenInde.Onm’avaitprésentélepèreJosonl’annéeprécédente,alorsqu’iltravaillaitpourquelquesmoisdansuneparoissedeGlasgow.IlétaitdeKeralaet,prêtre,ilétaitenoutrejuristedeformation.Ilm’avait parlé de son travail en Inde avec la Pragati SocialServiceSociety,organisationquiavaitétéfondéeauservicedespauvres et des marginaux. Cette institution œuvraitprincipalementauprèsdesDalits,quicomposentplusdequinzepourcentde lapopulationet sont considérés« intouchables»parlesystèmedescastesenInde.Bienqueladiscriminationenfonctiondel’appartenanceàunecaste soitmaintenant illégale en Inde, le système des castes ‒ qui avait évolué au fil des millénaires ‒ imprégnait encoretoutes les facettes de la vie dans les campagnes. Le genred’emploi que vous déteniez, les gens que vous fréquentiez, ledroit quevous aviez d’utiliser la pompe à eauduvillage, touscesaspectsdel’existenceétaientdécidésenfonctiondelacaste

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dans laquelle vous étiez né. Les Dalits continuaient d’êtreopprimés,asservisethumiliéscarilsaccomplissaientlestâchesque personne d’autre dans la société ne voulait faire. Ilstravaillaient,mainsnues,aumilieudesdétritus,étaientchargésdu ramassagedesdéchetsdomestiquesetpeinaientcommedes« bêtes de somme », tractant de lourds fardeaux. Souvent ilsdevenaientdes« travailleurs serviles». (« serviles» faisant iciréférenceauxpersonnesendettéesenversunpropriétairefoncierquidéduitlesremboursementsdeleurssalairesetpourlequelilssont contraints de travailler jusqu’à ce que la dette soitacquittée. Ces propriétaires exigent normalement des tauxd’intérêt usuraires et souvent quand le « travailleur servile »meurt,lereliquatdeladetteesttransmisàsesenfantsquisontainsiattachésaupropriétairedelamêmemanière.)Le père Joson impressionnait fortement par son approcherigoureuse et mûrement réfléchie d’aborder le problème del’évolution des mentalités en Inde, et son attachementinconditionnelàcettepopulationdevictimesquesontlesDalitsétait manifeste. La Pragati Social Service Society (PSSS)concentraitlaplusgrandepartiedeseseffortssurlacréationdegroupesd’entraidedansdesvillagesetdesbidonvilles,dont lebut principal était d’accorder davantage d’autonomie auxfemmesetauxjeunesfillesdanscescommunautés.Entreautreschoses, ces groupes d’entraide lançaient des initiatives pourmettre en commun leurs économies et attribuer des prêts afind’aider les gens à ne pas s’enfoncer dans des dettes qui lesenchaînent. Ils géraient en outre des Balawadies (écolesmaternelles),quiavaientcommeobjectifd’inciter lesenfantsàs’instruire. Et c’est dans ces Balawadies que nous avionscommencéàcollaboreraveclaPSSSen2004envuedeservirdesMary’sMeals aux jeunes enfants les plus pauvres. Peu après,nous avons entrepris également de fournir des repas dans de

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briques, degobelets enplastique, demoteurs dehors-bord, defiletsdepêche,desacsdeclasse,delivres,desouchesd’arbresetderesteshumains.L’odeurnauséabondequiavaitcommencéànousenvahirdéjààquelqueskilomètresàl’intérieurdesterres,était maintenant presque insoutenable à mesure que nousapprochions du village. Au milieu de ces débris, un jeunehommepleurait,assissurlesfondationsenbétondesamaison;c’était tout ce qui en restait. Nous avons entamé uneconversation avec lui. Il s’appelaitKennedyRaj et il nous ditqu’il avaitperdu sonpèreetqu’onn’avaitpasencore retrouvésoncorps.Derrièreluiuneéquipedevolontaires,portantdesmasquessurlenezet labouche,étaitoccupéeàdégager lesdécombresetàrelever les corps. Ils utilisaient leur tractopelle aveccirconspection. Ce matin-là, ils avaient déjà retiré cent corps.Tandis que les restes d’une jeune femme étaient extraits desgravatsd’unemaisonréduiteànéant,sonfrère,Thennarson,etsonépouse,Malathi,assisnonloin,pleuraientdoucement.Poureux, cependant, l’horreur ne faisait que commencer. Dansl’heure qui suivit, on découvrit les cadavres de leurs deuxenfants.Aumoment où les volontaires aspergèrent leurs restesd’une poudre blanche désinfectante et les emportèrent sur unbrancard, Malathi devint hystérique. Hurlant de douleur, elles’emporta contre la mer et le ciel, et commença à se frapperjusqu’aumoment où elle s’écroula sur la plage en sanglotant.Elle fut rejointepard’autresmèresquisesoutenaient lesuneslesautresetqui,touràtour,griffaientlesableetpoussaientdescrisdedouleuràmesurequeleursprochesétaientdéposésprèsd’unefossebéantequeletractopelleavaitcreuséedanslaplage,et qui deviendrait leur dernière demeure. Au milieu de cettedésolation,çaetlà,desvillageoisétaientassisàl’endroitmêmeoù s’était trouvée leur maison et regardaient l’océan d’un air

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hagard. Trois jeunes garçons perchés sur un arbre abattu, uneécharpe pressée contre la bouche et le nez, regardaient avecfascinationethorreurlesmanœuvresdutractopellequisefrayaituncheminàtraverslesruinesdeleurvillage.Nousavons retrouvé laplupartdes survivantsd’Arriyanattuàquelques kilomètres dans un temple hindou appelé NilathachiAmman.Quandilss’étaientenfuisdeleurvillage,ilss’yétaientprécipités et depuis, ils couchaient dans l’enceinte de la courintérieure du temple. Des cordes à linge étaient tendues entred’anciennescolonnes trèsdécorées,autourdesquellesdepetitsenfants souriants nous regardaient à la dérobée, en apparenceinconscientsdel’horreurqu’ilsvenaientdevivre.Àmesurequelesoleilencettefind’après-mididisparaissaitderrièrelesmurs,quelquesgarçonsjouaientaucricketdansuncoinpoussiéreux,tandis que trois femmes assises sur des marches de pierre seblottissaientlesunescontrelesautres.Ellesreprésentaienttroisgénérationsde lamême familleet lesdeuxplus jeunesavaientl’une et l’autre perdu des enfants dans le tsunami. Elles semirent à me raconter leurs conditions de vie dans le temple,m’expliquant qu’elles avaient désespérément besoin de lait enpoudrepour certainsdesbébés.Soudain lagrand-mèrepoussadescrisperçantsetfonditenlarmes.Lesdeuxautreslatinrentserrée et ensemble elles se balancèrent d’avant en arrière ensanglotant.«Silegouvernementavaitdiffuséunbulletind’alerte,cecineseraitpasarrivé!»,ditunefemmeàcôtéd’elles.Ellemontradudoigtlemurdutempledetrente-huitpiedsdehaut37endisant:«Lavagueétaitdecettetaille-là.»Plusieurs enfants se groupèrent autour de nous etcommencèrent à nous raconter comment ils avaient réussi àéchapperaudésastre.Certainsétaientgrimpésdansdespalmiersqui tanguaient sous la force du vent et s’y étaient maintenus

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jusqu’à ce que le niveau de l’eau baisse. Une petite fille meracontaqu’elleétaitentrainderegarderlatélévisionquandelleentendit ce bruit étrange et qu’elle vit l’eau apparaître. Ellecourutaussivitequepossibleetparvintàsesauverdejustesse.«J’aiquandmêmeperdumonfrère,dit-elle.‒ Oui, nous l’avons cherché partout », me dirent ses petitesamies.»Prèsd’euxsetrouvaitunjeuneaveugleavecuntoutpetitbébé.Les enfants m’expliquèrent qu’il avait perdu sa femme et sesdeuxautresenfants.Sonbébéavaitétéretrouvéindemneparsesvoisins,surnageantmiraculeusementaumilieudesdébris.Jemedemandaiss’ilyavaitunsurvivantdanssaproprefamillepouraidercepèreaveugleàprendresoindesonbébé.J’ai interrogé les mamans pour savoir quand elles pensaientreveniràArriyanattu(sansleurparlerdesscènesd’horreurdontnousavionsététémoinslà-bascematin).«Icionaàmangeretonreçoitdessoinsmédicaux.Pourquoifaudrait-ilquenousretournionslà-bas?Iln’yaquedelaboue!réponditunedamedansl’attroupement.‒ Cependant, nous nous sentons impuissantes, dit une autrevoix.‒Onne peut pas rester ici à dormir dehors, commeça,maisnousn’avonsplus rien… il nenous reste rien.La seule chosequ’on savait faire c’était pêcher, mais… Sa voix s’estompa etelleparuthonteuse:Onapeurdésormaisdes’approcherdelamer.»Le lendemain, de retour à Chennai, j’ai discuté avec notreorganisationpartenaire,PSSS,afind’établirunpland’actionquisoit le plus efficace possible. On décida de concentrer noseffortssurcevillaged’Arriyanattu,encommençantparrépondreaux besoins immédiats de ceux qui avaient perdu leurhabitation, leurs moyens d’existence et leurs proches, tout en

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Le film produit par Grassroots, Child 31, est unereprésentation admirable et émouvante deMary’sMeals. Il estdevenul’outilleplusefficacepourillustrerl’histoiredeMary’sMealsetexpliquerenquoiconsistevraimentsamission.Nousavons encouragé tous ceux qui nous soutiennent de par lemondeàorganiserdesséancesdeprojectiondeChild31etnousavons reçu du public une réponse spectaculaire. Plus demilletroiscentspersonnesassistèrentàla«première»lorsdenotreJournéePortesOuvertes àGlasgow.L’ancienPremierMinistreGordon Brown, qui depuis avait été nommé « Envoyé spécialdesNationsUniespourl’Éducationmondiale»,avaitétéconviéà cet événement, et il fit la présentation du film. J’avais eul’occasiondelerencontrerquelquesfoisetj’avaisétéfrappéparlapassionsincèrequ’ilavaitdelonguedated’aideràéradiquerl’extrêmepauvreté.Commenousbavardionsavantdemontersurscène à Glasgow, il me pria de lui donner encore quelquescompléments d’informations sur les activités deMary’sMeals.Par la suite il prononça un discours d’une grande portée et leconclutendisant:« Faire en sorte que chaque enfant ait l’occasion d’aller à l’école etd’acquérir des connaissances est une passion qui m’anime depuislongtemps.L’instructionromptlecycledelapauvretéetouvrelavoieàdemeilleuresperspectivesdesantéetd’emploi.Aucoursdemesvoyagesà travers lemondecommeenvoyédesNationsUnies,jen’aiplusbesoindecartedevisite.Jelaisseraitoutsimplementunexemplaire de Child 31 et montrerai ainsi ce qu’on peut faire pourencouragerlesenfantsàs’instruire.»

Plusdesixcentsprojectionsdufilmquenousavionssous-titréen sept langues furent organisées dans de nombreux paysdifférents. Dans un grand nombre de pays européens, ainsiqu’auxUSA,auCanada,auxÉmiratsarabesunis,enAustralie,au Liberia, auMalawi et en Inde, des gens se réunirent pourregarder le filmdansdes lieux fortdivers‒dansdes cinémas,

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despalais,dessalons,desécolesetdesuniversités‒alorsquedansplusieurspayslefilmfutmêmeretransmisàlatélévision.J’avaisespéréqu’ilmepermettraitderéduirelenombredemesconférencesàtraverslemonde,maisc’étaitbiennaïfdemapart,carlespremièresprojectionsoffrirentbiend’autresoccasionsdem’adresser à de nouveaux publics. Étant donné le nombre defoisoùj’airegardélefilmloindechezmoi,lefaitquetroisdemesenfants‒Bethany,TobyetAnna‒apparaissentbrièvementdans le film constituait parfois un petit plaisir tout particulierpourmoi.Grassrootsavaittournélorsd’unévénementorganisépour collecter des fonds dans notre petite école primaire deDalmally,etcommeiln’yaqu’unequarantained’enfantsdanscette école, ce n’est guère surprenant quemes enfants et leurscamarades figurent dans la version finale. Souvent, dans laportion du film où Anna, au milieu d’un groupe d’écoliers,souritetsaluefaceàlacaméra,jesurprenaislapersonneassiseà côté demoi dans la salle en lui donnant un coup de coudepourluisignalerfièrement:«C’estmafille,voussavez!»Quand la chaîne de TV nationale de Croatie diffusa le film,sonsiteWebimplosacarilétaitsaturéd’offresdepersonnesquisouhaitaientapporterleursoutien,etdanslesmoisquisuivirent,les sommes collectées par Mary’s Meals doublèrent dans cepays. Partout nos opérations connurent une expansion sansprécédent grâce à Child 31, et jusqu’à ce jour, il continued’inciter des milliers de gens à contribuer généreusement.Plusieurscélébrités,dontCélineDion,produisirent,aprèsavoirregardé le film, des clips vidéo dont les accents de sincéritécontribuèrent favorablement à la promotion de notre œuvre.AnnieLennoxdéclara:«S’ilfallaitqu’unseuléchorésonnedansnotrecœuraprèsavoirregardéChild31,ceseraitqueleprixmoyend’undéjeunerauxÉtats-Unispourrait

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nourrir un enfant dans un pays en voie de développement pendant touteuneannée.Mary’sMeals nourrit plus d’un demi-million d’enfants tous les jours, lesencourageantàalleràl’écolepourrecevoirenmêmetempsuneinstructionélémentaire.Cen’estpassorcieretçamarchevraiment.»

J’ai particulièrement apprécié sa dernière phrase. Certainsexperts en développement critiquent Mary’s Meals (etdéconseillent aux gouvernements et aux donateursinstitutionnels pour lesquels ils travaillent de nous financer),laissant entendre que nos conceptions sont simplistes etdifficilement soutenables à long terme. Les milieux où nousœuvrons, les défis que nous devons surmonter pour que lesécolessoientapprovisionnéeschaquejour,etlesproblèmesdanslesquels les pauvres se débattent sont assurément loin d’êtresimples.Maisnotredémarchedebase,elle,l’est.AnnieLennox,commetousceuxquisontvenusvisiterunprojetMary’sMeals,sait bien sûr que nous ne sommes pas des spécialistes defuséologie‒lasciencequiétudielesfuséesspatiales‒maisellen’aaucundoutesurlefaitquecelanenousestpasnécessaire.Les dizaines demilliers de personnes qui nous soutiennent deleursdonsmodestesdanslemondeentierainsiquelesmilliersquicuisinentpour lesenfantsdans leurscommunautésnesontgénéralementnides spécialistesde fuséologienides«expertsen développement »,mais ils comprennent immédiatement quenotredémarcheestnécessaireetqu’elletransformedesvies.Laquestionde la«durabilité»medésoriente toujoursparceque je ne sais pas au juste ce qui compte le plus : créer dessolutions durables sur le long terme ou faire en sorte que lesenfantsreçoiventl’alimentationdontilsontbesoinetacquièrentunebonneinstruction.Lemot«durabilité»lui-mêmepeutêtreproblématique, car je remarque qu’on a tendance à l’utiliserdans des contextes différents avec un sens imprécis. Il m’est

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DESAMISAUBASDEL’ÉCHELLE

Jenedésespèrepasdeconnaîtredestempsmeilleurs,considérantqu’àlabarredel’universsetrouve

Celuiquitriomphedelatempêtenonpasparsavoir-faireoucompétence,

maisparsonfiat44.StJEANCHRYSOSTOME

(349-407)

Notreœuvre enHaïti commença aussi àMedjugorje.Par unechaudematinéeensoleilléedumoisdemai2006,jemetrouvaisparmi une foule écoutant Jakov, le voyant le plus jeune, âgémaintenant d’environ trente-cinq ans, qui nous parlait desmessagesdelaViergedepuisleperrondesamaison.Commeàl’accoutumée,ilconclutsonpetitexposésimpleetémouvantparune prière. Alors que je m’apprêtais à partir, quelqu’un dansl’assembléemetapasurl’épaule.«Jevousaicherchépartout!meditsuruntonaniméunedamed’une cinquantaine d’années qui se tenait, toute souriante,devantmoi.JesuisAnka.Vousvoussouvenez,nousnousétionsrencontrésaufestivaldesjeunesl’annéedernière?»Biensûrquejem’ensouvenais.Elleavaitétélatraductricedela conférence que l’on m’avait demandée pour ce festival etj’avaisunsouvenir trèsnetde la façondontelleavait enjolivétousmes propos, faisant rire ainsi ce public de jeunes sur unmodequi était un peu déroutant pourmoi. Pendant un certaintemps,jemefismêmel’impressiond’uncomiqueseproduisant

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seul sur scène, saufque jenecomprenaisaucunedeshistoiresdrôlesquejeracontais.« Je reviens d’un séjour en Haïti où j’ai fait de l’aidehumanitaire. Il faut absolument que je vous en parle !me dit-elle. C’est épouvantable ce qui se passe là-bas. Partout où jesuis allée je ne cessais de me dire : ce dont ces enfants ontvraimentbesoin,c’estdeMary’sMeals.»NoussommesallésensuiteauMary’sMealsCentre,notrepetitcafé au cœur du village, où l’on servait du thé et du café auxpèlerinsauxquelsnousfaisionsdécouvrirnotreœuvre.Cecentreétait le point d’attache deMilona, et y venaient des gens desquatre coins dumonde qui faisaient connaissance avecMary’sMealsetqui,deretourdansleurpays,créaientunorganismedecollecte de fonds en faveur de Mary’s Meals. Comme decoutume,onconstataenentrantquel’endroitétaitunevéritableruche où se tenaient simultanément plusieurs conversations endifférentes langues. Une fois de plus, j’étais émerveillé parl’aptitudedeMilona àpasser avec aisanced’une langue àuneautreet àaccorder toute sonattentionàchaquevisiteurqui seprésentait.Autourd’uncafé,Ankamedemandasinousserionsintéressés de nous implanter en Haïti, pendant qu’elle memontrait ses photos et me faisait remarquer que c’étaitactuellementlepayslepluspauvredumondeoccidental.Jeluiaiexpliquéquenousaimerionsbeaucoupallerlà-baspouraiderles enfants qui souffrent, mais que les fonds dont nousdisposionsétaientdéjàaffectésàd’autresprojets.«Prions,réfléchissons-yetvoyonscequiadviendra»,luiai-jesuggéré au moment de prendre congé avant de partir pourl’aéroport.Jeluiavaisditcelaentoutesincéritécarj’étaisdéjàun peu au courant de l’extrême pauvreté de cette île desCaraïbes et j’étais assurément touché par les descriptionsvivantes et imagées qu’Anka avait faites des souffrances des

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enfants, mais je suis rentré à la maison sans grand espoir depouvoir faire quoi que ce soit enHaïti dans un avenir proche.Pratiquement chaque semaine nous recevions de nouvellesdemandesd’aide,plusqu’iln’enfallaitpourquenouspuissionsyrépondrefavorablement.Àpeinearrivéàlamaison,jesuistoutdesuiteallédansmoncabanonpourvérifiermescourriels.Ilyavaitdansmaboîtederéceptionunmessaged’unedameprénomméeCecilia,dunordde l’Angleterre, qui venait de rentrer d’un séjour aux îlesCaïmansdanslesCaraïbes.Jen’avaisjusque-làjamaisrencontréCecilia,maisj’enavaisentenduparler,carelleétaitl’unedecesinfatigables bénévoles qui semblait passer sa vie à parler deMary’s Meals à toutes les personnes qu’elle rencontrait !Fréquemment de nouveaux donateurs du nord de l’Angleterrenous contactaient pour nous dire que Cecilia leur avait faitdécouvrir notre œuvre. Le courriel qu’elle m’avait envoyéracontaitqu’aucoursdesonséjourdanslesCaraïbes,sonépouxet elle avaient eu dans un restaurant une conversation avec unmonsieuretbiensûr,elleluiavaitparlédeMary’sMeals.Celui-cifutextrêmementtouchéetilleurexpliquaqu’ilétaitmembreduconseild’administrationd’uneFondationquidispensaitdesaides et qui précisément en ce moment cherchait le meilleurmoyen de secourir les enfants les plus pauvres d’Haïti. Jecomprenais qu’à peu près aumêmemoment où ils avaient faitcette rencontre aux îlesCaïmans, j’avais dû très probablementêtre dans le café à écouter Anka me priant de lancer leprogrammeMary’sMeals enHaïti.Lecourriel se terminaitparunnumérodetéléphonemedemandantdebienvouloircontactercemonsieur. Ce que je fis, et après avoir confirmé le récit deCecilia, ilmeposadesquestionsdétailléesetprécises surnospratiques d’intervention. Il me dit que si nous lui faisionsparvenir une proposition pour le financement d’un projet

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qu’ils utilisaient pour exercer leur autorité. Il nous expliquaposément que quelques semaines auparavant, un homme avaitbraquésurluiunfusilàtraverslavitredesavoiturealorsqu’ilsegaraitdanslaCitéSoleil,exigeantqu’ilarrêtelemoteuretluiremette la clé. Il parvint à s’échapper parce que l’homme sedétournal’espaced’uninstant,nepouvantimaginerquelepèreTomavaitdanssapocheunautrejeudeclésqu’ilinséradanslecontactavantdepartirà touteallure.C’estavechorreurquelepèreTomappritplustardquelesgensduquartieravaientétésiencolèred’apprendrecequis’étaitpassé,qu’ilsavaient tué lecoupable.Lechefdugangquiavaitautoritésurlazonedesdocksnousproposa de nous faire visiter son territoire. C’était une partieimportantede laCitéSoleil, étantdonnéqu’Haïtiestunpointdetransitpourlenarcotraficmaritimeentrel’AmériqueduSudet les USA, et que ces gangs y étaient probablement trèsimpliqués.Ilavaitpeut-êtrelatrentaine,étaitdepetitestatureetvêtu d’un tee-shirtmiteux. Il n’était guère intimidant et jemedemandaiscomment ilavait réussiàsehisseraupostedechefdegang.Ilnousfitfaireletourdestaudisquisetrouvaientaumilieudes tasdedétritusetdudoigtnous indiquait avecpitiéles enfants les plus décharnés qui nous entouraient. Je l’aiinterrogésurcequipourraitaméliorerleschosesici.IldésignalepèreTometdit:«Lanourritureetl’écolepournosenfants.»LepèreTomremarquaquejefilmaiscepetitcomplimentetpourla caméra il fit semblant de lui donner un coup-de-poing auralenti.Désormais,jesavaisquelepèreTométaittoutsauffou.Ilétaitexcentrique, comique, courageux, téméraire peut-être, maisassurémentiln’étaitpointfou.Surlecheminduretour,lepèreTomattiranotreattentionsurdeux hommes qui travaillaient sur un toit en terrasse, et il

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m’encourageaàygrimperpourvoircequ’ilsétaiententraindefaire.Jesuiscontentde l’avoir fait,sinon jene l’aurais jamaiscru.Enrangéesbiennettes,ilsalignaientdepetitspâtésdebouepourlesfairesécheretdurcirsousl’effetdusoleilbrûlant.Danslaboue,ilsincorporaientunepetitequantitédemargarineetdesel. En créole, on désigne ces pâtés de boue sous le nom de« terre» et traditionnellement ce sont lesHaïtiennes enceintesqui les mangent, persuadées qu’ils contiennent des minérauxbons pour l’enfant à naître. Pourtant, à cette époque-là, cen’était pas seulement les futures mamans qui mangeaient cespâtés.Lesproducteursde«terre»étaientpeut-êtreauservicedel’uniqueindustrieenexpansiondanslaCitéSoleil,carlesgensavaient recours à des expédients désespérés pour assouvir tantbienquemalleurfaim.LapopulationdelaCitéSoleilenétaitréduiteàmangerdelaboue.Plustardcesoir-là,nousavonspriélechapeletensemblesurletoit de la maison du père Tom, duquel on apercevait la CitéSoleilàenvirontroiskilomètres.Pendantnotreprière,onvoyaitles roquettes et on entendait les sourdes explosions à mesureque les troupes onusiennes se lançaient une fois de plus àl’attaque des gangs. Le père Tom, d’une voix lasse, passaplusieurscoupsdefilpourquesonambulanceserendelà-basetstationne à proximité. Il nous avait auparavant fait visiter lecabinetmédicalentièrementéquipéqu’ilavaitinstalléchezlui,lieu de travail d’un chirurgien qui était devenu spécialiste desblessuresparballe.Enmonforintérieur,jepercevaisqu’Haïtiseraitunendroitoùnous aurions les plus grandes difficultés àmener à bien notremission. Sans un environnement sûr et stable ou même lapossibilité d’un approvisionnement local, il ne nous serait pastoujours possible d’organiser notremodèle tel qu’il est conçudans l’absolu. J’étais cependant profondément convaincu que

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nous devions fournir desMary’sMeals même s’il nous fallaitaccepter quelques compromis. Bien que nous privilégiionstoujoursdesachatslocaux,ilétaitévidentquelesenfantsicineseplaindraientpasquenous importions le rizcomposant leursrepas.Avantnotredépartd’Haïti,nousnousétionsmisd’accordaveclepèreTompourcommenceràfournirlesquatremillecinqcents repasdont il avaitbesoinchaque jourdeclassepoursesélèves.Ilétaittransportédejoie.Mais il me restait une tâche à accomplir avant de rentrer enÉcosse. J’avais fait cette promesse-ci sans avoir encoreobtenude cette Fondation basée aux îles Caïmans la garantie qu’elleserait prête à financer nos opérations enHaïti. J’avais dit auxadministrateurs ce que nous désirions y faire, ce qui incluaitl’aide que nous entendions apporter à quatre mille cinq centsenfants de laCité Soleil, et bien qu’ils nous aient encouragésverbalement, ils ne s’étaient pas encore engagés formellement.AussijemerendisauxîlesCaïmanspourprésenternotreprojetau conseil d’administration de la Fondation et obtenir sonadhésion.Cesadministrateursétaientinstallésdansuncadrequin’auraitpaspuêtreplusopposéàceluiquejevenaisdequitterenHaïti.Dansleursbureauxétaientaccrochéesdesœuvresd’artde grand prix, et l’auditoire auquel on m’avait invité àm’adresserétaitcomposédemessieursélégammentvêtusdontilétaitdifficilepourmoid’interpréter lespensées. Ilssemblaientnemanifesteraucuneémotionaufuretàmesuredemonexposé.JeleurexpliquaicequejevenaisdevoirenHaïtietleplanquenousavionspourlepays.Jeleurdécrivisl’impactbénéfiquedeces premiers Mary’s Meals distribués en Haïti et, pourl’anecdote, j’ai mentionné la rencontre avec les sœursMissionnaires de la Charité et le fait que ces premiers repasavaientétéservislejouranniversairedelamortdeMèreTeresa.Àmagrandesurprise, ilsparurent soudain réceptifset touchés

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LabarbeetlalonguecheveluredupèreGambaavaientblanchidepuis que nous nous étions vus. Ma brève et précédenterencontre avec lui, il y avait déjà bien des années de cela,melaissaitlevaguesouvenirdequelqu’unquiressemblaitàJésus.LeprêtremissionnaireétaitmaintenantbeaucoupplusâgéqueleChristcrucifié,maisdupétillementdesonregardetduhâledesonvisage buriné se dégageait plus que jamais une auréole desainteté. C’était un samedi matin et avant de nous rendre aurendez-vous avec Edward, il nous conduisit à la maisonparoissiale des jeunes, non loin de là, dans laquelle descentaines de jeunes se réunissaient chaque week-end, nonseulementpourfairedusport,danseretchanter,maisaussipouraccomplir des actes charitables au sein de leur communautélocale. À notre arrivée, les enfants battirent des mains etchantèrentensignedebienvenue.« Entretenez le feu ! », tel était leur slogan et ils nous lechantèrent avec vigueur, avant que nous n’échangions unmomentaveceux.Ilsnousparlèrentdeplusieursmaisonsqu’ilsavaientaidéàconstruirepourdesfamillesindigentesdelavilleet d’un village très reculé sur une montagne voisine, à deuxheures de la route la plus proche, qu’ils avaient commencé devisiteraveclepèreGamba.Ilsyaidaientlesenfantsàcréerunemaison des jeunes comme la leur et ils étaient en train deconstruireaveceuxuneécolematernelle.Jeleuraidemandésiles uns ou les autres avaient entendu parler deMary’s Meals.Tous levèrent lamain et dirent en riant qu’ilsmangeaient desMary’s Meals chaque jour dans leurs écoles respectives. Aumomentdepartir,ilsnousdemandèrentavecinsistances’ilnousétaitpossibled’apporterlesMary’sMealsauvillagelà-hautsurla montagne. Ils nous expliquèrent qu’ils s’y rendraient ànouveau le dimanche suivant, en la fête de la Pentecôte, et

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voulurent savoir si nous viendrions. Je leur répondis quenousferionsdenotremieux.Delà,pardespistespoussiéreuses,nousnoussommesrenduschezEdward.Nousnous sommesgarésen faced’unemodestehabitation en bordure de route, devant laquelle était assis unpetit groupe d’adolescentes et de jeunes femmes entourées debébés et d’enfants. Parmi les enfants, certains paraissaientsouffrir de malnutrition. Un petit enfant allongé sous unecouverture grelottait de fièvre. Après notre salutation, deuxd’entreellessesontprésentéescommeétantAngelinaetMaya,les jeunes sœurs d’Edward, et elles appelèrent leur plus jeunefrère Chinsinsi pour qu’il vienne nous dire bonjour. Ellessortirentquelqueschaisespourqu’onpuisses’asseoirdevantlamaisonetellesnousexpliquèrentquelaparoisseavaitconstruitpoureuxcettemaison,carilsétaienttousorphelins.Différentespersonnesvinrent nous saluer et aubout dequelquesminutes,unjeunehommemaigreseprésentaetmeserralamain.Ilfronçalessourcilsd’unairinquiet.« Je suis Edward », dit-il après un instant de silenceembarrassé,meprenantaudépourvucarilneressemblaitenrienà l’Edward dont j’avais le souvenir. Il avait le visage triste etfatiguéavecungrosnez.Ilsemblaittoutaussimalàl’aise;j’endéduisis qu’il manquait d’assurance et craignait peut-être deconnaîtrelaraisondenotrevenue.Jeluidemandais’ilsesouvenaitdenotrerencontredouzeansplustôt,etilmeditquebiensûrilnel’avaitpasoubliée.Ilmeconduisitàunepetitecasevoisineenpiséoùavaiteulieucetterencontre.J’étaisimpressionnédelarevoirentoutsemblableàl’imagequej’enavaisgardé.Quiauraitpucroirequecettefrêleconstructionpûtdurersilongtemps?Jeluidemandaidesdétailssurlaviequ’ilmenait.

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«Depuis lamortdemamère, j’accumule lesproblèmes,et lefait que je n’ai jamais pu aller à l’école double chacunde cesproblèmes.»Ilavaitl’airdécouragéetpeut-êtreaussiunpeuencolère.Je continuai mes questions, espérant qu’il allait me partagerdeschosesplusheureuses.«Jefaisunpeudemaïs.Maisc’estdifficile.‒Commentétaittadernièrerécolte?luiai-jedemandé.‒J’aiputirerquatresacsdemaïs.‒ Combien de temps cela permettra-t-il à ta famille desubsister?Il haussa les épaules d’un air désabusé et réfléchit quelquesinstants.‒ Deux à trois mois, je pense, finit-il par répondre, un peuhésitantetstresséparcettequestion.Mais jesuis inquietpourmesfrèresetsœurs.Ilsn’ontpasassezàmangericinonplus.»Jemesuisalors tournéversMayaetChinsinsiqui tousdeuxallaient encore à l’école primaire. « Est-ce qu’on distribue lePhalaàvotreécole?»,leurdemandai-je,alorsquejen’ignoraispasqu’onservaitdesMary’sMealsdanscetterégion.Ils eurent un large sourire pour la première fois depuis notrearrivée.«Oui,touslesjoursonalePhalaàl’école!»Mayaexpliquaqu’elleétaitendernièreannéed’écoleprimaireetqu’ellevenaitdepasserdesexamens.JedemandaiàEdwards’ilavaitdéjàentenduparlerdeMary’sMeals.«Oui,c’estungroupedebénévolesquidistribuentdesrepasauxenfantsdansdesécolesdesenvirons.»Je lui expliquai alors l’histoire deMary’s Meals et le rôlequ’avait jouénotrepremièrerencontre.Je luiexpliquaique lesrepas n’étaient pas seulement servis alentour, mais dans lemondeentier àdes enfants affamés.Pendantque jeparlais, safemmearrivaavecleurpetitgarçonâgédedeuxans.

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desquartierslespluspauvresdelaCitéSoleil.Ilm’avaitalorsparlédesapassionpourl’agronomiecarilvoulaitpouvoiraiderlepeuplehaïtienàproduiredavantagedeculturesvivrièrespourqu’ilsoitmoinstributairedel’aidealimentaire.Depuislascèneil s’est adressé à nous et à l’ensemble des élèves avecenthousiasme et assurance. Il nous dit que cela faisait denombreusesannéesqu’ilrecevaitMary’sMeals.«Aujourd’hui, j’aienfincompriscommentMary’sMealsm’aaidé physiquement, moralement et spirituellement ; Mary’sMealsm’adonnéuncorpsplusrobuste,Mary’sMealsm’afaitréfléchiràl’importancedupartageavecd’autresetm’aconduitàpenserau“oui”deMarieetaux“oui”detousceuxquiserventles Mary’s Meals ». Pendant un bref instant, son air dematamore souriant disparut et sa voix tremblota d’émotion.Lorsqu’il quitta la scène, son public applaudit bruyamment etapprouva à grands cris. Jimmy, qui à présent travaillait pourHandsTogether,étaitsanscontestetrèspopulaireparici.Plustarddanslamêmejournée,dèslafindesheuresdeclasse,j’ai assisté à plusieurs scènes qui m’ont ému encore plusprofondément. Après bien des péripéties un projet spécifique,quiauraitdûdébuterjustementlejouroùhélasletremblementdeterreavaitfrappé,étaitenfinopérationnel.Les«enfantsauxpieds nus » qui vivent dans les rues du bidonville étaient àprésentinvitésàveniràl’écolepourrecevoirunrepasquotidien,après la findesheureshabituellesdecours.Dans lespremierstemps, quelques semaines auparavant, certains de ces enfantsétaientarrivésnusetlepèreTomleuravaitdonnéàtousuntee-shirt et un short. Je regardais pendant que mille trois centcinquante-troisdecespetitsauxpiedsnusfaisaientlaqueueenattendantqu’onleurserveleurassiettederiz,depoissonetdeharicots.Ilsladévorèrentensilence,avantdeserendretoutenriant et en bavardant dans les salles de classe où ils allaient

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assisterauxpremières leçonsdonnéesparde jeunesbénévoles,quivenaienttoutjustedeterminerleursétudesdanscettemêmeécole.Françoisétaitl’undeceuxquivoulaitoffrirenretourcedont il avait bénéficié. Vêtu d’une chemise blanche et d’unecravate bleue, il avait une allure élégante et dynamique tandisqu’il indiquait du doigt les lettres figurant au tableau noir ets’adressaitauxenfantschétifsetdépenaillés.FrançoisavaitdéjàgoûtéauxMary’sMeals.Ilsavaitquepourluietlesenfantsquiétaientdevantlui,l’instructionétaitl’uniqueplanchedesalut‒ leur unique viatique pour échapper à la misère sordide, à laviolenceetà la faimqui lesenchaînent.Etpourcette raison ilétait heureux de donner de son temps à ces enfants, sanscontrepartiefinancière.En quittant l’école, un poster attira mon attention parmi lescentaines soigneusement rédigés à lamain et qui proclamaientreconnaissanceet affectionpourMary’sMeals. L’écriture et lapetite fauted’orthographe laissaientpenserque ceposter avaitété écrit par l’un des plus jeunes écoliers, peut-êtremême parl’un des « gosses aux pieds nus ». Il disait tout simplement :Foodmaksitbetter63.

51.Rm12,9.52.Rm12,11-16.53.N.D.T.:littéralement,«Bénédiction».54.N.D.T.:Équivalentducoursmoyendel’écoleprimaire.55.N.D.T.:Établissementd’enseignementsupérieuréquivalentàunIUT.56.N.D.T.:ÉquivalentduCoursPréparatoire.57.ÉcolepourorphelinsJacaranda.58.N.D.T.:«Unetassedeporridge».59.N.D.T.:«Allonsàl’école».60.N.D.T.:«Pasd’écolesansrepas».61.N.D.T.:«BienvenueàMagnusetMary’sMeals».62.N.D.T.:«MerciMary’sMeals».

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63.N.D.T.:«Quandonmange,touts’arrange».

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Desenfantsd’uneécoledeBlantyreauMalawi.

Attila,undespremiersenfantsàmourirdansnosfoyersenRoumanie.

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Desenfantsdel’écoleprimairedeDalmallyaidentàrepeindrelecabanonen2011.

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MagnusetJulierencontrentlepapeFrançoisen2013.

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