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Etudes marxistes 78/2007 Revue n° 78, date de publication: 2007-11-19 Copyright © EPO, Etudes marxistes et auteurs La reprise, la publication et la traduction sont autorisées pour des buts strictements non lucratifs Colofon et table des matières Rédaction des Etudes marxistes Introduction - Le socialisme à la chinoise Herwig Lerouge Le développement du socialisme en Chine - 1. De la féodalité à la révolution Peter Franssen La force et le déclin de la féodalité bureaucratique La soumission de la Chine Un redoublement d'intensité Le développement du socialisme en Chine - 2. 1949-1976 : la première période [...] Peter Franssen La révolution bourgeoise-démocratique La fin précoce de la politique de socialisation à long terme Des équipes d'entraide aux coopératives Le Grand bond en avant La démocratie interne dans un triste état La Révolution culturelle Le développement du socialisme en Chine - 3. Les réformes Peter Franssen Zones d'ombre et goulets d'étranglement Les conditions du socialisme économique L'émancipation de l'esprit La réforme de l'agriculture La réforme de l'industrie Le poids du secteur d' État Les multinationales capitalistes vont et viennent Le développement du socialisme en Chine - 4. Les réalisations et les problèmes Peter Franssen Une économie toujours faible Les problèmes dans les zones rurales Que faire ? Les syndicats et les droits syndicaux Le Parti communiste 1

Où va la Chine?

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En 2006, la croissance de l'économie chinoise a été de 10,7 %. Depuis 1978, c'est une moyenne annuelle. En Europe occidentale, les experts économiques parlent d'une bonne année quand la croissance dépasse les 2 %. En plus, il ne faut pas oublier qu'une partie de cette croissance européenne est à mettre sur le compte des chiffres spectaculaires de la croissance chinoise. La Chine a besoin de pétrole, d'acier, de machines, de matières premières, de technologies... que les multinationales occidentales se font un plaisir de lui fournir.

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Etudes marxistes 78/2007

Revue n° 78, date de publication: 2007-11-19 Copyright © EPO, Etudes marxistes et auteurs La reprise, la publication et la traduction sont autorisées pour des buts strictements non lucratifs

Colofon et table des matièresRédaction des Etudes marxistes

Introduction - Le socialisme à la chinoiseHerwig Lerouge

Le développement du socialisme en Chine - 1. De la féodalité à la révolutionPeter FranssenLa force et le déclin de la féodalité bureaucratique La soumission de la Chine Un redoublement d'intensité

Le développement du socialisme en Chine - 2. 1949-1976 : la première période [...]Peter FranssenLa révolution bourgeoise-démocratique La fin précoce de la politique de socialisation à long terme Des équipes d'entraide aux coopératives Le Grand bond en avant La démocratie interne dans un triste état La Révolution culturelle

Le développement du socialisme en Chine - 3. Les réformesPeter FranssenZones d'ombre et goulets d'étranglement Les conditions du socialisme économique L'émancipation de l'esprit La réforme de l'agriculture La réforme de l'industrie Le poids du secteur d' État Les multinationales capitalistes vont et viennent

Le développement du socialisme en Chine - 4. Les réalisations et les problèmesPeter FranssenUne économie toujours faible Les problèmes dans les zones rurales Que faire ? Les syndicats et les droits syndicaux Le Parti communiste

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IntroductionLe socialisme à la chinoise | Herwig Lerouge

En 2006, la croissance de l'économie chinoise a été de 10,7 %. Depuis 1978, c'est une moyenne annuelle. En Europe occidentale, les experts économiques parlent d'une bonne année quand la croissance dépasse les 2 %. En plus, il ne faut pas oublier qu'une partie de cette croissance européenne est à mettre sur le compte des chiffres spectaculaires de la croissance chinoise. La Chine a besoin de pétrole, d'acier, de machines, de matières premières, de technologies... que les multinationales occidentales se font un plaisir de lui fournir.La Chine est aussi de plus en plus une épine dans le pied du monde capitaliste. Prenons les relations de la Chine avec le tiers monde. La Chine achète à des prix honnêtes des matières premières en Afrique, en Amérique latine et au Moyen-Orient. Beaucoup de pays du tiers monde reçoivent ainsi la possibilité de se dégager de l'étreinte paralysante des prix de dumping imposés par les États-Unis et l' Europe. Ils ont aujourd'hui le choix.Contrairement aux pratiques courantes dans les pays capitalistes, la Chine fournit aux pays du tiers monde avec lesquels elle fait du commerce des prêts bon marché qu'elle utilise pour construire avec eux l'infrastructure de leur pays. Et elle ne les oblige pas à acheter des produits finis chinois avec l'argent de ces prêts 1.La Chine est aujourd'hui un allié fort dans le front croissant de résistance du tiers monde à la poigne mortelle exercée par l'impérialisme étasunien et européen sur l'économie mondiale. La Chine semble aussi être pour le moment le seul pays qui puisse contrecarrer à long terme les plans de domination mondiale des forces impérialistes US. Chez certains dirigeants européens, d'ailleurs, on pousse à se ranger résolument du côté de la Chine pour ne pas rester sur la touche. C'est ce que dit notamment Guy Spitaels, ancien président du Parti socialiste belge. La Chine a déjà construit, avec des moyens purement économiques, un tel contrepoids qu'il est déjà trop tard, pense-t-il, pour les États-Unis de la battre militairement. Ce qui n'empêche pas les forces ultra conservatrices aux États-Unis de plaider sans arrêt pour une telle intervention. " Plus on attend, plus dur ce sera ", dit-on.On entend de plus en plus de protestations contre la Chine dans la presse occidentale. Naturellement, on ne s'en prend pas au fait que la Chine est en train de gâcher le marché des matières premières pour nos multinationales. Non, on parle de l'impérialisme chinois qui ne regarde pas de trop près avec quels régimes il travaille et qui est en train de détruire le marché intérieur africain avec des produits chinois bon marché.La Chine suit un cours anti-impérialiste. Cela au moins est clair. Mais cette Chine triomphante reste-t-elle aussi socialiste ? L'économie n'est elle pas dominée de plus en plus par une nouvelle classe capitaliste ? La Chine ne connaît-elle pas les défauts classiques du capitalisme : chômage croissant, conditions de travail épouvantables, différenciation de plus en plus grande entre riches et pauvres et entre la ville et la campagne, corruption ? Que reste-t-il encore, dans " l'économie socialiste de marché ", des principes classiques d'une économie socialiste : planification centrale, propriété étatique des grandes entreprises, collectivisation de l'agriculture ? Les paysans et les ouvriers sont-ils encore les maîtres de l'Etat ? Qu'en est-il de " la continuation de la lutte de classe sous le socialisme " ? Comment le Parti communiste chinois travaille-t-il à la suppression des différences de classe ? Peter Franssen, journaliste à l'hebdomadaire Solidaire, essaie d'offrir une réponse à ces questions complexes. Il juge les trente premières années de la révolution chinoise sous la direction de Mao Zedong de manière dialectique. L'industrie lourde s'est développée et le secteur de la santé ainsi que l'enseignement ont connu une croissance spectaculaire. La Chine, un pays presque exclusivement agricole en 1949, a en 1970 depuis longtemps dépassé son

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voisin l'Inde. Mais pendant cette période, le parti a commis aussi beaucoup d'erreurs de gauche, dit-il. Et il les décrit.Une conséquence en a été que le bien-être n'était pas ce qu'on aurait pu attendre. La consommation par ménage n'augmentait pas suffisamment, le financement de l'industrie lourde se faisait trop aux dépens de l'agriculture. Le revenu des paysans augmentait moins vite que celui des ouvriers et des habitants des villes. Le secteur du commerce et celui des hôtels et restaurants ne se développaient pas non plus à cause de la conception rigide de l'économie planifiée qui voulait que le petit commerce et les hôtels, restaurants et cafés restent entre les mains de l' État. Le développement de l'industrie légère aurait progressé plus rapidement dans cette phase de développement économique si les forces sociales qui travaillaient dans ce domaine avaient pu prendre des initiatives. Mais cela ne rentrait pas dans les conceptions courantes à l'époque de Mao Zedong. Tout cela rendait évidente à la plupart des hauts cadres du parti, à la fin des années 1970, la nécessité d'une nouvelle approche économique.L'auteur soutient complètement les réformes et se base en cela sur Marx et Engels qui pensaient que le socialisme naîtrait dans les pays où le capitalisme aurait rempli son rôle historique. " Quand ce rôle historique a été rempli, la raison d'existence de cette organisation de la société tombe et, par nécessité économique, elle est détruite par une forme supérieure d'organisation. Le rôle historique du capitalisme consiste à socialiser l'organisation du travail et, ainsi, à remodeler les individus isolés en êtres sociaux ; à amener les forces productives à une croissance encore jamais vue et à transformer l'économie agraire en une économie industrielle ; à développer la science et la technique de telle façon que la nature ne soit plus impénétrable et sujette à l'idolâtrie, mais qu'elle se mue en un instrument de progrès social et d'émancipation idéologique ; à réduire le temps de travail nécessaire pour la production des moyens de subsistance en augmentant la productivité du travail, de manière à créer la possibilité de produire en abondance d'autres marchandises et de développer la culture générale. En un mot, le capitalisme doit créer les conditions qui rendront possible le socialisme. " Surtout à partir du milieu des années 1950, une partie des dirigeants chinois pensait trop que " le socialisme et le communisme naissent du néant et que les rapports de production peuvent être choisis à sa guise et selon ses propres convictions idéologiques.Que le socialisme ne peut se construire pleinement que dans un pays où le capitalisme a rempli son rôle ne veut dire nullement que les communistes russes et chinois devaient renoncer au pouvoir. Lorsqu'en Russie la classe ouvrière a pris le pouvoir pendant la révolution d'Octobre, la Russie était économiquement et socialement très loin du stade de développement capitaliste avancé. L'industrie, et par conséquent aussi la classe ouvrière, n'étaient que très faiblement développées (5 % d'ouvriers), le pays était encore principalement agraire... et pour comble dévasté par la guerre.Lénine se rendait compte qu'il devait trouver un chemin concret pour aller pas à pas de l' État réellement arriéré et de la situation de destruction de la Russie vers le socialisme " idéal ", le modèle que Marx et Engels avaient justement et correctement esquissé. Il a dit clairement qu'en Union soviétique régnait le pouvoir de la classe ouvrière. L'économie ne peut pas d'emblée être vraiment socialiste - c'est l'objectif auquel la classe ouvrière se consacre. Il y a d'abord toute une période de transition.En 1921, Lénine a introduit la NEP (Nouvelle politique économique) : une politique qui permettait le développement du capitalisme et du marché. Il parle d'une phase intermédiaire qui durera " quelques décennies ". Mais ce développement comporte bien sûr le danger que le capitalisme devienne trop fort et essaie de casser le pouvoir de l' État socialiste. C'était le cas en 1930 en Russie lorsque les paysans riches compromettaient l'approvisionnement des villes en retenant leur récolte dans l'espoir d'obtenir des prix plus élevés. Des prix des céréales trop élevés auraient alors fait augmenter les salaires et mis en danger l'industrialisation. C'est

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pourquoi l' État soviétique a dû collectiviser l'agriculture à vive allure et casser le pouvoir des paysans riches. Peu être le gouvernement soviétique aurait-il préféré maintenir la NEP encore un certain temps, mais les attaques de la bourgeoisie, dont la force augmentait, ne le permettaient pas.Autant la NEP que plus tard son abandon (plutôt que prévu) et son remplacement par une industrialisation socialiste " forcée " ne répondent à aucun modèle marxiste " théorique ", mais aux besoins concrets d'une situation concrète : c'est à chaque fois la seule manière d'aller vers le socialisme ou de consolider ce qui est déjà acquis et de ne pas retourner à la case départ. La classe ouvrière peut prendre le pouvoir d'un jour à l'autre par la révolution. Mais la construction d'une économie socialiste et d'une société socialiste (selon le " modèle " que Marx et Engels ont posé comme principe) exige certainement dans des pays faiblement développés une période de transition, qui peut être de longue durée. Cette période de transition peut traverser différentes phases qui peuvent même être contradictoires.Au début des années 1980, les marxistes chinois ont élaboré une théorie de " la première phase du socialisme ". La caractéristique principale de cette phase est le sous-développement de la société qui est une conséquence du niveau bas de développement des forces productives et de leur productivité peu élevée. Les communistes chinois voient donc comme leur tâche la plus importante de développer les forces productives au maximum. Cela implique que le rôle historique de la propriété privée n'est pas encore achevé.Peter Franssen décrit comment dans les réformes le PCC se base sur une recherche très concrète et non pas sur des dogmes fossilisés. Les résultats de ce type de recherches ont mené à la conclusion que la forme de propriété la plus apte à faire progresser les forces productives dépend de la situation économique spécifique. Dans une économie qui n'est pas encore très développée, il semble que l'exploitation privée soit souvent plus efficace et productive que l'exploitation collective. Mais le socialisme impose que l'exploitation privée profite au développement socialiste ou, en d'autres mots, que le capitalisme soit mis au service de la construction socialiste.Toute la discussion sur les réformes est liée aux thèses de Mao Zedong sur la recherche de la vérité dans les faits. Les Chinois arrivent à la conclusion que le marxisme n'est pas un dogme gravé dans la pierre et qui, pardessus le marché, contiendrait des réponses à des problèmes dont Marx et Engels n'auraient pas pu avoir connaissance. Aucune science n'est achevée et toute science revient à plusieurs reprises sur ce qui semblait dans un premier temps être juste et complet. Cela vaut aussi pour le socialisme scientifique. Parce que la pratique en chaque lieu et à chaque moment est toujours différente et en plus continuellement en train de changer, le marxisme peut bien formuler des principes de base et proposer des méthodes de pensée pour examiner la pratique, mais ne peut pas donner de réponse toute faite aux problèmes qui se posent. Marx n'a nulle part expliqué comment il fallait développer un pays arriéré, qui jusqu'à la libération était mi-féodal et mi-colonial, dit l'auteur. Les Chinois sont obligés d'approfondir le marxisme et d'innover pour être à la mesure des problèmes complexes qui se posent à eux. Ils sont obligés de résoudre des questions théoriques telles que : qu'est-ce le socialisme dans un pays sous-développé ? comment et dans quelle mesure organiser la lutte de classe sous le socialisme ? quel est le rôle du parti communiste dans une économie socialiste qui connaît certaines relations capitalistes ?...Depuis lors, le parti communiste chinois réalise des réformes radicales. La terre qui était travaillée collectivement a été confiée aux ménages. Les Chinois ont besoin du capital, de la technologie et des techniques de management des économies capitalistes hautement développées et en autorisent l'importation. Des entreprises privées chinoises aussi sont mises sur pied. Peter Franssen décrit en détail les succès de cette politique, les corrections et aussi les dangers. Selon lui, le Parti communiste chinois est très conscient de ce que le marché toujours

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plus envahissant comporte des dangers pour le socialisme. Il est d'accord avec Mao Zedong qui a dit en 1957 que la question de savoir qui l'emporterait en Chine, du socialisme ou du capitalisme, était loin d'être résolue. " C'était une vérité à l'époque et c'est toujours correct aujourd'hui. Mais si on jette un regard rétrospectif sur l'histoire du parti et que l'on considère le palmarès de ce dernier, ce ne sont pas les raisons qui manquent de se montrer optimiste ", dit-il. Que cet article soit l'amorce d'un débat fructueux. Dans les rangs de la bourgeoisie internationale, il y a une grande division sur le jugement à porter sur la voie dans laquelle la Chine s'est engagée. Pour certains, la Chine a définitivement choisi le côté du développement capitaliste. D'autres au contraire voient à regret comment un pays dirigé par un parti communiste remporte des succès inconnus dans le monde capitaliste. Ils sont convaincus qu'il s'agit d'une phase de transition. Une fois que les forces productives auront atteint dans tout le pays un degré de développement suffi santé, ils craignent que la Chine ne retourne à une économie collective et planifiée. Sans nul doute, les deux opinions feront tout pour soutenir à l'intérieur du Parti communiste chinois les forces qui veulent rendre l'évolution vers le capitalisme inéluctable. Chez les gens de gauche et les communistes, on pose les mêmes questions, même si c'est à partir d'un tout autre souci. Une Chine socialiste forte peut rapidement changer les rapports de force au niveau mondial. Mais certains se demandent si les réformes actuelles ne sont pas déjà allées trop loin, ou si les forces bourgeoises dans l'économie et peut-être même dans l'appareil d'Etat n'ont pas déjà pris des positions trop solides pour se laisser encore neutraliser pacifiquement.Que cet article aide à faire connaître les résultats manifestement positifs, à percer quelques contrevérités manifestes, à écouter objectivement les arguments avec lesquels le Parti communiste chinois justifie sa politique. Qui voudrait poser des questions, éclairer des problèmes mal connus ou contester certains concepts théoriques pourra faire part de ses remarques dans cette revue. Le 20e siècle nous a appris que le cours de la construction socialiste doit être jugé sur une longue période - quelques dizaines d'années ne signifient pas grand-chose à l'échelle de l'histoire. Ce n'est qu'un début, continuons le débat.1 Lire plus sur ce thème dans le périodique Lalkar de mars-avril 2007, " China and Development in Africa ", http://www.lalkar.org/issues/contents/mar2007/chinaafrica.php.

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Le développement du socialisme en ChinePeter Franssen

1. De la féodalité à la révolution

Il y a dix mille ans, la Chine passait de la chasse, la pêche et la cueillette à l'agriculture. En Europe occidentale et centrale, ce passage n'allait avoir lieu qu'entre cinq mille et sept mille ans plus tard. La société chinoise revêtait alors progressivement la forme de féodalité que l' Europe a connue jusqu'aux 18e et 19e siècles, avec seigneurs et vassaux et toute une noblesse pour laquelle la source d'enrichissement résidait dans le travail de la terre par les paysans. La Chine a sauté la phase historique de l'esclavage, précurseur de la féodalité en Occident et pilier des démocraties grecque et romaine toujours portées aux nues dans nos contrées. En Chine, l'évolution classique de la société primitive vers le socialisme, en passant par l'esclavage, la féodalité et le capitalisme, n'a pas suivi le même cours qu'en Occident. Les modèles de pensée et schémas de travail que nous utilisons dans notre analyse de l'évolution et de la situation de la société occidentale ne peuvent s'appliquer à la Chine qu'avec une extrême circonspection et sans perdre de vue sa situation spécifique. Au moment où, chez nous, la féodalité n'existe pas encore, la Chine, elle, l'abolit déjà. Ce qui veut dire qu'elle supprime la féodalité dans sa forme originelle pour la remplacer par un système que Karl Marx a défini comme étant le mode de production asiatique1. Lors de l'unification de la Chine, en 221 av. J.-C., s'enclenche un processus qui voit l'empereur affaiblir le pouvoir de la noblesse et installer une administration qui va désormais diriger l'économie agricole en son nom. La féodalité bureaucratique centralisée de la Chine est supérieure à la féodalité morcelée de l' Europe qui, en fait, n'est pas en mesure de créer une société allant vraiment plus loin, sur le plan économique, social et idéologique, que la civilisation grecque ou romaine.Ce degré de supériorité peut se déduire du développement de la production chinoise, de la rapidité des progrès technologiques et de l'émancipation idéologique. La Chine a produit des penseurs et des hommes de science comme peu d'autres pays au monde l'ont fait. Durant les 14 premiers siècles de l'ère chrétienne, la Chine offre à l' Europe un trésor de découvertes et d'inventions. Aujourd'hui encore, l' Occident véhicule toujours l'erreur que le progrès général et la révolution industrielle découlent des innovations techniques produites par les génies occidentaux. Cette vision eurocentriste est très tenace, même si des hommes de science comme Léonard de Vinci et des historiens comme George Sarton et Lynn White ont prouvé que la plupart de ces innovations proviennent de la Chine 2. Ces découvertes ont emprunté les routes de la soie qui reliaient la Chine à l' Europe en passant par la Perse, l' Arabie et la Turquie. N'en citons que quelques-unes :

• En médecine : la science de l'immunologie et des vaccinations. Les Chinois avaient déjà un vaccin contre la variole dès le 11e siècle.• En mathématiques : le système décimal.• En mécanique : l'horlogerie et la transformation d'un mouvement rotatif en un mouvement linéaire.• Dans l'art militaire : la poudre à canon et l'étrier, grâce auquel la force animale se mue en force de frappe militaire et qui permet au cavalier de ne faire qu'un avec sa monture.• Dans l'industrie lourde : la technologie de la fonte du fer et de l'acier.• Dans l'agriculture : la brouette, le harnais et la charrue.• Dans la navigation maritime : la boussole magnétique.• Dans les lettres : le papier et l'imprimerie.

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L'éminent philosophe et savant britannique Francis Bacon écrit en 1620 : " L'invention de l'imprimerie, de la poudre à canon et de la boussole magnétique ont changé la face et la condition des choses sur toute la terre. La première, dans l'art d'écrire, la seconde, dans l'art militaire et la troisième dans la navigation maritime. Elles ont entraîné des changements tels qu'aucun empire, aucune secte, aucune étoile ne semblent avoir exercé autant de puissance et d'influence sur les affaires humaines que ne l'ont fait ces arts mécaniques 3. " En Europe occidentale, la révolution industrielle débute dans le secteur textile, mais bien des avancées de celle-ci avaient déjà été développées en Chine. Au 16e siècle déjà, la Chine est universellement connue en raison de sa soie. En Europe, la révolution commence avec le métier à tisser et la force motrice. En Chine, le métier à tisser a au moins deux mille ans et, au 10e siècle déjà, les Chinois font tourner leurs rouets à l'aide de la force hydraulique. Les objets en fer constituent des atouts importants dans la révolution industrielle européenne. La Chine découvre l'usage du fer déjà sous la dynastie Shang, durant la période allant de 1600 à 1046 avant Jésus-Christ. Des outils fabriqués à partir de fer fondu ont été disponibles en Chine quelque 2000 ans plus tôt que partout ailleurs dans le monde. L'avance technologique et la bureaucratie centralisée assurent un niveau de vie plus élevé en Chine qu'en Europe. Jusqu'au 15e siècle, le paysan chinois vit nettement mieux que son collègue français ou allemand. À la fin du 13e siècle, le produit national brut (ce qui est produit annuellement dans un pays) par tête de la population chinoise est de 600 dollars. En Europe occidentale, il est inférieur d'un sixième 4. Ce n'est qu'aux 15e et 16e siècles que l' Europe entame un mouvement de rattrapage qui n'est possible que grâce au pillage des territoires coloniaux entre autres. Pourtant, en 1750, la production en Chine représente toujours 32 pour cent de la production mondiale et, en 1820, quand le mode de production asiatique commence à s'effondrer, le produit national brut chinois est toujours de 30 pour cent plus élevé que celui de l' Europe occidentale 5.De même, sur le plan de la pensée, la Chine est beaucoup plus avancée, même après les révolutions bourgeoises que l' Europe connaît en 1789 et 1848. La science moderne n'apparaît que très lentement en Europe, lorsque l'astronome Galilée, en 1620, met en place la méthode consistant à théoriser à partir d'hypothèses vérifiées empiriquement et s'enhardit à contredire les dogmes de l' Église avec sa thèse héliocentrique qui sera d'ailleurs condamnée par celle-ci. Puis il faudra encore les lois de Kepler, environ à la même époque, et la théorie de la gravitation de Newton, en 1680, pour donner raison à Copernic qui, en 1540 déjà, avait affirmé que c'était le soleil, et non la terre, qui constituait le centre de notre système solaire. Selon ses propres dires, Galilée doit ses conclusions scientifiques aux Chinois qui, un bon millénaire plus tôt déjà, avaient découvert qu'il n'existait pas de sphère céleste fermée, mais des espaces infinis dont la terre et ses habitants faisaient partie sans toutefois en être le centre. Après Galilée, les savants européens devront encore se battre quelques siècles contre la doctrine de l'Église qui constitue un frein à l'émancipation idéologique. La Chine, elle, ne connaît pas ce problème. C'est non seulement une conséquence de son système de société depuis la naissance de l'empire, mais également de la philosophie chinoise qui, déjà plus tôt, a fait un sort à l'idéalisme métaphysique. Bien avant notre ère, en effet, c'est déjà le matérialisme qui prévaut en Chine : c'est la pratique, et non l'idée, qui forme la pierre de touche de la vérité. Il est donc logique que, très tôt, la science chinoise ait été caractérisée parle sens du concret et de l'expérience, indépendamment des grandes et petites vérités idéologiques. Entre parenthèses, c'est encore un puissant atout aujourd'hui. Le processus de réforme chinois lancé en 1978 reçoit comme devise : " Pour franchir la rivière, on doit sentir avec le pied où se trouvent les pierres. " En d'autres termes, il faut expérimenter avant de lancer une réforme ou une opération de grande envergure. C'est pourquoi chaque grande étape est d'abord testée à petite échelle.

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La force et le déclin de la féodalité bureaucratique

Manifestement, la société chinoise a eu tout en main beaucoup plus tôt que les pays de l' Europe occidentale pour abandonner la féodalité. Pourtant, rien ne se produisit. L' Europe occidentale vint à bout du féodalisme cent ans avant la Chine. Comme dans chaque passage d'un système social au suivant, la solution de ce problème réside dans la capacité de croissance des forces productives à l'intérieur des rapports de production existants. Les forces productives chinoises - la paysannerie, la technologie et la science - prospèrent, dans les rapports de production de l'empereur, l'administration impériale et la paysannerie. Ces rapports de production n'entravent pas le progrès et le développement des forces productives, mais, au contraire, les encouragent, du moins jusqu'à la fin du 18e siècle. Bien avant les Européens, les Chinois sont passés maîtres dans la gestion de leur réseau hydrographique. Ils savent exactement où et comment percer des canaux, construire des digues, installer des réservoirs d'eau. Tout cela ne résulte pas du hasard, mais de la nécessité, et a été rendu possible sous une bureaucratie centralisée. Un pouvoir centralisé est en effet nécessaire si l'on veut pouvoir mener à bien des travaux hydrographiques couvrant des étendues immenses. Sans ces travaux, le paysan chinois est tributaire de la pluie qui, dans certaines régions, peut très bien ne pas tomber durant une année. Après quoi, ce même paysan peut tout aussi bien se noyer si Dieu juge brusquement utile d'ouvrir toutes les vannes célestes. Entre les années 587 et 608 de notre calendrier grégorien, l'empereur fait creuser un réseau de canaux destinés au commerce et à l'irrigation. L'un de ces canaux relie Beijing à la ville de Luoyang, située plus au sud. Le canal, de 60 mètres de large, est long de 1 500 kilomètres et est longé par une route impériale. Sur ce trajet, les Chinois installent des postes commerciaux et des greniers à blé. Pas un seul petit royaume féodal d' Europe n'est en mesure de réaliser de tels travaux. Dans le même temps, le pouvoir centralisé favorise également l'envoi d'expéditions vers le nord du pays et dans les régions situées 5 000 kilomètres plus au sud afin d'étudier la position des étoiles et de déterminer les méridiens terrestres. Ce genre de recherche assure dans bien des domaines scientifiques des innovations qui auront des répercussions dynamisantes sur l'économie et qui viendront encore renforcer la conception matérialiste du monde. En Europe, le moyen âge connaît un rapport de production dans lequel seigneur et vassal s'opposent. En Chine, l'empereur et le paysan sont, sinon en permanence, du moins la plupart du temps, du même côté et ils sont les opposants communs des autres classes. En d'autres termes, l'empereur n'entend pas partager l'exploitation du paysan avec d'autres classes et groupes sociaux comme la noblesse, les paysans riches, les commerçants, les banquiers. Avant la fondation même de l'empire, la noblesse creuse son propre tombeau par ses guerres mutuelles. L'empereur, issu de l'un des anciens royaumes, expropriera bien vite 120 000 familles nobles pour les déporter vers d'autres territoires. Il répétera ce genre d'opérations jusqu'à la fin du 1er siècle 6. L'empereur décrète également par loi que l'héritage du propriétaire terrien ne sera plus transmis au fils aîné, mais partagé équitablement entre les enfants, ce qui provoque le morcellement de la propriété et affaiblit donc systématiquement le pouvoir économique et, par conséquent, politique de la noblesse.Au fil des siècles, les empereurs adoptent la même attitude vis-à-vis des commerçants et des industriels. Les commerçants sont d'abord remis à leur place en se voyant interdire, par décret impérial, de se vêtir de soie, de monter à cheval et de porter des armes. Ensuite, l'empereur taxe lourdement le transport des marchandises par voie fluviale et par voie terrestre. Au 2e siècle, il instaure un monopole d' État, tant pour la production que pour la vente du sel et du fer, à l'époque les deux secteurs économiques les plus actifs et les plus rentables. Dans l'industrie, les empereurs feront toujours valoir un monopole d' État sur les secteurs qui dirigent l'économie et qui sont les plus rentables. Déjà, dans les premiers temps du moyen

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âge, apparaît un capitalisme d' État : des industriels privés s'enrichissent comme fournisseurs dans les secteurs d' État et dans l'économie qui repose sur la propriété de l' État. Voilà dans les grandes lignes les caractéristiques des rapports de production sous la bureaucratie féodale. N'empêche que, dans les campagnes, dans l'industrie et dans les villes réapparaissent sans cesse des paysans riches et une noblesse foncière, des industriels et des commerçants qui ne seraient que trop heureux de pouvoir briser le carcan impérial afin d'exploiter d'autant plus vilainement les paysans et les travailleurs. Mais, presque toujours, ces nouvelles classes montantes trouvent en travers de leur route non seulement les paysans, mais aussi l'empereur et l'administration impériale. C'est la raison pour laquelle la plupart des révoltes paysannes d'avant le 19e siècle combattent en général les nouvelles classes montantes et non - ou seulement en seconde instance - la dynastie impériale. À partir de la fin du 18e siècle, à la suite d'une combinaison de contradictions internes et de guerres impérialistes, la bureaucratie féodale de la dynastie mandchoue Qing se retrouve dans une spirale descendante qui aboutira à sa perte. À partir de 1750, la richesse relative de la Chine assure une croissance démographique très rapide. En 1750, le pays compte 144 millions d'habitants, soit autant que l' Europe. En 1800, l' Europe compte 193 millions d'habitants, soit une hausse de 34 pour cent. Cette même année, la Chine, elle, compte 340 millions d'habitants, soit une hausse de 130 pour cent. Durant cette période, la richesse produite en Chine croît plus rapidement qu'en Europe, mais doit être répartie sur un bien plus grand nombre de personnes et la prospérité se met donc à décroître 7. La prospérité matérielle débouche sur une corruption bien plus répandue - comme si chaque fonctionnaire voulait gagner le plus d'argent possible dans le laps de temps le plus court. Il s'ensuit une baisse de l'efficacité au sein de l'administration de l' État et de la gestion économique. Les digues sont mal entretenues. Entre 1798 et 1820, sept inondations successives font plusieurs millions de victimes.À la même époque, l'empire mène une série de guerres très coûteuses en Asie centrale, au Népal et en Birmanie. Le budget ne peut plus suivre et l'empereur applique des réductions salariales dans l'administration, à la suite de quoi la corruption gagne encore en ampleur. L'empereur impose de plus en plus de taxes aux paysans. À partir de 1820, l'économie tombe dans une profonde récession. La surpopulation s'accroît, le prix des terres augmente sans cesse, de plus en plus de paysans sont sous la dépendance d'une classe de grands propriétaires terriens et de paysans riches qui se développe fortement et auprès de laquelle ils se sont endettés. Bref, l'administration impériale commence à perdre son emprise sur le pays, comme cela arrive périodiquement à la fin de chaque dynastie. Mais cette fois-ci, les Européens augmentent leur présence et vont intervenir. À la fin du 18e siècle, des révoltes paysannes éclatent dans plusieurs provinces. En 1803, elles connaissent la défaite. Mais, huit ans plus tard, elles reprennent de plus belle. Ce scénario va se répéter jusqu'en 1850. C'est alors qu'éclate l'insurrection des Taiping, qui durera quatorze ans et qui, selon les sources, fera entre 30 et 50 millions de morts. Il s'agit d'un mouvement paysan qui sonnera le glas de la bureaucratie féodale. En chinois, Taiping signifie " paix céleste ". Le but du mouvement est la paix suprême dans une société d'égaux au sein de laquelle il ne peut y avoir de commerce privé et où chacun reçoit ce dont il a besoin. Les insurgés veulent également l'égalité des sexes. Ils instaurent l'interdiction de comprimer les pieds. Ils interdisent également l'alcool, le tabac et l'opium. Ils prônent l'iconoclasme, le puritanisme et le rejet de tout luxe. Ce sont des idées qu'on a déjà pu remarquer plus tôt, dans d'autres révoltes paysannes, et qui reviendront plus tard dans un groupe qui, avec d'autres, sera à la base de la fondation du Parti communiste. On les retrouvera en partie aussi dans le Grand bond en avant de la fin des années 1950, et plus encore durant la Révolution culturelle (1966-1976).L'insurrection des Taiping débute en 1850 dans la province méridionale du Guanxi et, quatre

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ans plus tard, elle atteint Beijing, 4 000 kilomètres plus au nord. À plusieurs reprises, les paysans défont les armées impériales. Une défaite impériale décisive suit en 1856. Maintenant qu'il s'avère que les armées impériales ne sont pas de taille, les anciens et nouveaux riches de plusieurs provinces redressent la tête et, dans leurs régions respectives, lèvent des armées en vue de mater la révolte des paysans. Des banquiers chinois et étrangers financent des armées de mercenaires. En 1860, il s'ensuit une expédition commune des trois plus importantes armées de mercenaires et d'un corps de mercenaires étrangers sous commandement britannique. Quatre ans plus tard, l'insurrection des Taiping est brisée. Désormais, les paysans sont directement opposés à l'empereur et à sa bureaucratie féodale. Mais leur révolte a également débouché sur un renforcement des nouvelles classes montantes d'exploiteurs et de l'impérialisme en Chine. Les paysans sont vaincus et le seront encore à plusieurs reprises, mais, chaque fois, ils ouvriront un peu plus la porte vers un changement complet de société.

La soumission de la Chine

En 1750, le produit industriel de la Chine représente 33 pour cent du produit industriel mondial. En 1860, alors que la révolution industrielle bat son plein en Europe, mais que l'économie chinoise est en chute libre, cette part n'est plus que de 20 pour cent, puis de 12 pour cent en 1880 et de 5 pour cent à peine en 19508. Le déclin de la Chine durant cette période fait suite aux changements internes qu'a connus le pays, mais est également dû à l'emprise toujours plus forte de l'impérialisme. L'ouvrage The Opium Wars (Les guerres de l'opium) de W. Travis Hannes et Frank Sanello commence par ces mots : " Imaginez ceci : le cartel - colombien de la cocaïne - de Medellín lance avec succès une offensive militaire contre les États-Unis. Le cartel force ces derniers à autoriser la cocaïne et il reçoit l'autorisation d'introduire cette drogue dans cinq grandes villes sans le moindre contrôle des autorités américaines. En outre, le gouvernement des États-Unis doit encore payer des dommages de guerre de 100 milliards de dollars. C'est évidemment un scénario absurde qui ne pourrait germer que dans l'esprit du plus fantaisiste des auteurs de science-fiction. Et, pourtant, c'est ce qui s'est réellement passé, dans la Chine du 19e siècle. Dans ce cas, le cartel de Medellín n'était autre que la Grande-Bretagne, la nation la plus développée du monde 9. "En 1699, la Compagnie anglaise des Indes orientales envoie son premier navire vers la ville chinoise de Canton pour y faire du commerce. Les Chinois ne sont pas disposés à ouvrir leur pays. À Canton uniquement, ils autorisent un commerce limité. Outre des porcelaines et des laques, les Britanniques achètent surtout du thé. Par contre, les Chinois ne témoignent que peu d'intérêt pour les produits occidentaux. Ils se contentent d'importer quelques épices, des étoffes de coton et des armes à feu. C'est ainsi que la balance commerciale européenne avec la Chine reste négative jusqu'en 1800. Cela change lorsque les Anglais se mettent à exporter de plus en plus d'opium indien vers la Chine. L'affaire rapporte beaucoup d'argent aux colons, mais, pour la Chine, le bilan est extrêmement négatif. En 1830, quelque 12 millions de Chinois sont déjà dépendants de cette saleté. En 1839, les autorités chinoises décrètent l'interdiction du commerce de l'opium. À Canton, elles confisquent les stocks d'opium des Anglais. Aussitôt, des navires de guerre quittent les Indes britanniques et mettent le cap sur la Chine. C'est le début de la première guerre de l'opium. Elle va durer deux ans. Les Britanniques ont le dessus. En 1842, la Chine doit signer le traité de Nankin qui reprend toutes les exigences des vainqueurs. Les Britanniques reçoivent comme possession Hongkong et son port. En outre, cinq autres ports sont ouverts au commerce anglais, dont Canton et Shanghai. Le traité de Nankin stipule qu'il faut négocier régulièrement de nouvelles

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concessions.En 1856, l'empereur de Chine dit qu'il refuse d'encore en faire. Il n'en faut pas plus pour qu'éclate la seconde guerre de l'opium, cette fois contre l' Angleterre et la France. Le conflit dure quatre ans et les Chinois sont à nouveau vaincus. Il s'ensuit le traité de Tientsin : dix nouveaux ports sont ouverts aux étrangers. En 1884, la France entame une guerre de plus contre la Chine. Cette guerre se déclenche lorsque la France envahit le Vietnam pour en faire une colonie et qu'elle fait d'une pierre deux coups en occupant en même temps quelques provinces du sud-ouest de la Chine. La guerre se termine par un autre traité humiliant qui assure plus encore les coudées franches aux Français dans le pays. En 1894, le Japon lance la première guerre sino-japonaise, qui durera deux ans. Elle se conclut par le traité de Shimonoseki. La Chine doit céder aux Japonais toute sa province de Taiwan, une partie importante de sa province de Liaoning et l'archipel des escadores, à l'ouest de Taiwan. Quelques années plus tard, les États-Unis commencent leurs conquêtes impérialistes par la guerre hispano-américaine. L'enjeu de la guerre contre l' Espagne est la reprise des colonies de Cuba, des Philippines, de Porto Rico et de l'île de Guam. Une fois que les États-Unis ont gagné cette guerre, des voix s'élèvent à Washington pour annexer des parties de la Chine. Capitalistes, commerçants, membres du Congrès et sénateurs partagent un même avis : " Le marché chinois nous appartient 10. " En 1900 suit une nouvelle guerre contre la Chine dans laquelle les États-Unis s'engagent. Les autres membres de la communauté internationale en guerre sont la Grande-Bretagne, le Japon, la France, l' Allemagne, l' Italie, la Russie et l'Autriche-Hongrie. Leur guerre est une réponse au mouvement insurrectionnel des paysans, travailleurs et petits indépendants, mais aussi du lumpenprolétariat, des petits bandits et des petits propriétaires terriens. Ce mouvement s'appelle Yi He Tuan, les Boxers (poings pour la justice et la concorde), à l'origine une société secrète qui pratique entre autres un art martial s'apparentant à la boxe.En 1899, les Boxers s'insurgent contre l'impérialisme allemand qui tente d'étendre son contrôle sur la province du Shandong, dans le nord-est de la Chine. À l'instar de la plupart des insurrections qui ont éclaté depuis 1850, la révolte des Boxers a une double base : 1) la résistance à l'impérialisme et aux expéditions de missionnaires surgissant dans son sillage et 2) la résistance à l'empire et à la bureaucratie féodale. L'empire a pris conscience du grand danger et ne trouve d'autre option que de contrôler le mouvement et de le distraire de son double but. Et il y parvient. Le Yi He Tuan est reconnu par l'empire et de hauts dignitaires infiltrent la direction du mouvement, qui reçoit une nouvelle orientation politique, exprimée dans le slogan : " Soutenons la dynastie, détruisons les étrangers. " La révolte s'étend jusqu'à la province voisine du Shandong. En 1900, les Boxers contrôlent la majeure partie de Beijing. L'alliance militaire internationale réunit 45 000 hommes sous les ordres d'un général britannique. Les Boxers mènent une résistance héroïque, mais ils ne peuvent rien contre la suprématie des forces de l'alliance, mieux organisées et disposant d'un bien meilleur armement. Les troupes étrangères sillonnent Beijing et d'autres villes, multipliant quotidiennement pillages, assassinats, viols. L'impératrice Ci Xi (Ts'eu-hi) s'enfuit vers la ville de Xian, dans la province centrale du Shaanxi, mais seulement après avoir qualifié les Boxers de pillards et demandé aux troupes étrangères d'en venir à bout. En 1901, suit un protocole établissant que les impérialistes peuvent construire des casernes à l'intérieur et autour des villes de Beijing et Tientsin ainsi que sur une partie de la côte est. La Chine doit verser d'énormes dommages et intérêts. Après la signature du protocole, l'impératrice rentre à Beijing afin de proposer ses services à l'impérialisme.Dix ans plus tard, en mission pour son gouvernement, le général de corps d'armée américain, Joseph Stilwell, se rend à Shanghai. L'historienne Barbara Tuchman décrit comme suit la vue

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qui s'offre à Stilwell :" La première chose qu'a découverte son regard à Shanghai, c'était la flotte des navires de guerre étrangers : deux japonais, deux français, un britannique, un allemand et un américain, qui ne se balançaient pas dans les eaux brun café du port en qualité de visiteurs, mais d'occupants. Cette métropole et capitale d'affaires de la Chine, créée par des entrepreneurs étrangers, formait une concession surtout dirigée par des étrangers. La ville est située sur l'embouchure du Yangtze, la principale voie d'eau du pays et le fleuve le plus parcouru de l'Asie. La moitié de l'industrie chinoise se situait dans ses parages et ses quais accueillaient la moitié du commerce chinois 11. " Les puissances étrangères contrôlent les principaux ports et les voies commerciales sur terre, sur les cours d'eau et sur mer, elles fixent les taxes à l'importation, elles supervisent la douane. À l'intérieur de plusieurs villes et autour, elles construisent des bases militaires destinées à protéger leur empire. La Chine est devenue une terre à profit de l'impérialisme.

Un redoublement d'intensité

Lors de la défaite de la révolte des Boxers, l'empire s'est à nouveau allié à l'impérialisme. Cela montre clairement à bien des Chinois que la résistance a besoin d'une direction conséquente qui ne se laisse pas entraîner comme une feuille au vent. La révolte a prouvé en même temps qu'un grand potentiel était présent parmi les paysans et les autres couches de la population. Dès lors apparaissent plusieurs organisations bourgeoises-démocratiques dont la plus importante n'est autre que la Ligue révolutionnaire chinoise, dirigée par Sun Yat-sen. Le mouvement est anti-impérialiste et antiféodal. Dans son programme de base figure le slogan de la Révolution française : Liberté, Égalité et Fraternité. Et aussi : " Dans le passé, nous avons eu des révolutions de héros. Aujourd'hui, nous avons besoin d'une révolution du peuple 12. " Cette révolution doit s'appuyer sur trois piliers : le principe du nationalisme, le principe de la démocratie, le principe du gagne-pain du peuple. Le premier est anti-impérialiste, le second est pour la république bourgeoise et contre l'empire. Le troisième principe se tourne contre le féodalisme, mais, en même temps, contre le capitalisme. Sun Yat-sen est convaincu que la Chine peut sauter la phase historique du capitalisme et réaliser un socialisme agraire utopique. Lénine a beaucoup d'admiration et de respect pour Sun Yat-sen en tant que représentant de la classe révolutionnaire montante, mais il insiste également sur les caractéristiques petites-bourgeoises de son idéologie. Lénine écrit : " Le président intérimaire de la République de Chine [Sun Yatsen], lui, est un démocrate révolutionnaire, plein de la générosité et de l'héroïsme propres à une classe ascendante et non déclinante qui ne craint pas l'avenir, mais croit en lui et lutte pour lui avec abnégation, la classe qui hait le passé et sait rejeter sa pourriture morte qui étouffe tout ce qui est vivant, au lieu de s'accrocher à la sauvegarde et à la restauration du passé pour défendre ses privilèges. " Mais il ajoute : " [...] cette idéologie de la démocratie militante s'unit [...] avec l'espoir de sauter l'étape du capitalisme en Chine, de prévenir le capitalisme [...]. Cette théorie, si on la considère du point de vue de la doctrine, est une théorie de "socialiste" petit-bourgeois réactionnaire. Car c'est un rêve parfaitement réactionnaire que de vouloir "prévenir" le capitalisme en Chine, que de croire qu'une "révolution sociale" serait plus facile en Chine du fait de son retard...13 " Dans la première décennie du 20e siècle, le mouvement du docteur Sun Yat-sen connaît un important développement. Des intellectuels, des sociétés secrètes et des militaires de l'armée impériale le rallient. L'un des innombrables édits de l'impératrice débouche en septembre 1911 sur un énième mouvement rebelle. En octobre, la cour impériale s'enfuit. En lieu et place vient un régime militaire dirigé par le seigneur de guerre Yuan Shikai qui, aussitôt, s'autoproclame président de la République. Cela signifie l'échec de la révolution bourgeoise-

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démocratique. Il s'avère que la bourgeoisie est trop faible pour mener la révolution vers la république bourgeoise-démocratique.Après la Première Guerre mondiale, les vainqueurs se réunissent à Paris afin de se partager le butin. La Chine fait partie du camp des vainqueurs. La conférence de Paris, en mai 1919, stipule que le Japon reprendra les territoires chinois sous contrôle allemand. Cela débouche sur le Mouvement du 4 Mai, à l'origine une révolte estudiantine anti-impérialiste et radicale contre l'occupation japonaise du territoire chinois et pour la destitution des ministres pro japonais au sein du gouvernement chinois. Le mouvement démarre à Beijing, mais s'étend rapidement. En juin 1919, les étudiants reçoivent le soutien de 70 000 travailleurs en grève à Shanghai. C'est la première fois que la classe ouvrière chinoise apparaît sur la scène politique en tant que force militante et révolutionnaire. Sous la pression du mouvement, le gouvernement chinois ne peut faire autrement que de refuser de signer le traité de paix de Paris, même s'il a participé aux négociations. Entre-temps, de plus en plus d'intellectuels chinois se sentent interpellés par la révolution russe de 1917. Ils constituent des groupes d'étude du marxisme et créent toutes sortes de revues. L'Union soviétique s'attire encore plus de sympathie lorsqu'elle déclare solennellement qu'elle renonce à toutes les possessions et droits tsaristes en Chine. Mao Zedong est alors rédacteur en chef de la revue Les commentaires du Xiangjiang du mouvement étudiant au Hunan. Il rédige des articles sur la révolution d'Octobre et essaie de mettre la main sur le plus de littérature possible concernant l'Union soviétique. Bien des années plus tard, il racontera : " C'est durant cette période que je suis devenu marxiste 14. " La même chose se produit avec d'autres dirigeants communistes, comme Cai Hesen et Zhou Enlai. Wu Yuzhang, un autre vétéran révolutionnaire, écrit : " Éduqué par la révolution d'Octobre et le Mouvement du 4 Mai il m'est apparu du plus en plus clairement qu'il fallait s'appuyer sur les couches inférieures de la population et suivre la voie des Russes 15. " En avril 1920, Lénine envoie quelques communistes sur place pour aider les Chinois. En mars 1921, le Parti communiste chinois est fondé à Shanghai. Douze délégués représentent 53 membres du parti. Quatre ans plus tard, le parti compte déjà 20 000 membres et, en 1927, ils sont 58 00016.En 1924, le Parti communiste scelle une alliance avec le Guomindang, le parti politique de Sun Yat-sen, qui a une base politico-militaire à Canton. L'alliance vise l'unité nationale, contre les seigneurs de guerre qui, après l'effondrement de l'empire, en 1911, dirigent de grandes parties de la Chine comme des royaumes à part. L'alliance veut également l'indépendance nationale. Durant la période 1924-1927, le mouvement révolutionnaire prend de l'ampleur, tant dans les villes que dans les campagnes. Les deux partis politiques y deviennent plus forts, mais les contradictions, elles aussi, s'accentuent et minent le front. En 1925, Sun Yat-sen meurt et l'anticommuniste Chiang Kai-shek (Jiang Jieshi) prend la direction du Guomindang. En 1926, Chiang entreprend avec succès une expédition contre les seigneurs de guerre dans le Nord. À son retour, il entend mettre un terme à l'influence du Parti communiste, en première instance dans son bastion de Shanghai. Dans cette ville, les communistes détiennent le pouvoir de fait. Chiang Kai-shek tient des pourparlers secrets avec des représentants de la Grande-Bretagne, des États-Unis, de la France, de l'Italie et du Japon, ainsi qu'avec des banquiers chinois et les chefs des organisations criminelles de Shanghai. Le 12 avril 1927 au matin, des centaines de membres des organisations mafieuses de la Bande verte et de la Bande rouge se précipitent de divers consulats étrangers et ouvrent le feu sur des groupes de travailleurs armés qui protègent les bâtiments du syndicat et du Parti communiste. En même temps, les troupes du seigneur de guerre Sun Chuanfang, qui s'est rangé du côté de Chiang Kai-shek, attaquent la ville de l'extérieur. Il s'ensuit un bain de sang qui, à Shanghai, décime le Parti communiste. Des gens sont alignés en rue et arbitrairement décapités ou abattus. La terreur gagne bientôt le reste du pays. Elle va tuer des centaines de milliers de travailleurs, de paysans et de communistes. C'est la fin du front uni, le parti se retire dans les

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campagnes afin d'entamer, de là, une nouvelle lutte révolutionnaire. Dans la première moitié des années 1930, le Japon lance des expéditions militaires dans le but de soumettre toute la Chine. Le Parti communiste se rend compte qu'une situation nouvelle apparaît. Le 25 décembre 1935, son Bureau politique adopte une résolution dans laquelle on peut lire : " La situation actuelle montre que les tentatives des impérialistes japonais d'annexer la Chine ont secoué toute celle-ci et le monde entier. Dans la vie politique du pays, des changements se sont produits ou sont en train de se produire dans les relations entre les classes et couches sociales, entre les partis politiques et entre les forces armées. Un regroupement des forces dans le front de la révolution nationale et dans le front de la contre-révolution nationale est en train de s'opérer. Aussi la ligne tactique du parti est-elle de mobiliser, d'unir et d'organiser toutes les forces révolutionnaires à travers le pays et parmi toutes ses nationalités, afin de lutter contre l'ennemi principal de l'heure, l'impérialisme japonais et Chiang Kai-shek, le chef des traîtres à la patrie. Pour autant qu'ils soient opposés à l'impérialisme japonais et au traître Chiang Kai-shek, tous les hommes, tous les partis, toutes les forces armées et toutes les classes doivent s'unir pour mener une guerre révolutionnaire nationale, une guerre sacrée, pour chasser les impérialistes japonais hors du pays, renverser la domination de leurs valets en Chine, réaliser la libération complète de la nation chinoise et sauvegarder l'indépendance et l'intégrité territoriale de la Chine 17. " Ici, Chiang Kai-shek est traité de traître et d'ennemi, et on dirait : cela crève les yeux, car il est responsable du bain de sang des années 1927-1930. Mais la situation change. En février 1935, Chiang Kai-shek dit encore : " Il est nécessaire que le Japon et la Chine s'épaulent mutuellement. " " Le peuple chinois ne nourrit aucun ressentiment à l'égard du Japon, ni ne se livre à aucun acte hostile à son égard. Pourquoi d'ailleurs le ferait-il ? Je n'en vois pas la nécessité 18. " Moins d'un an plus tard, ChiangKai-shek dira : " La guerre sino-japonaise est devenue inévitable [...]19. " Pour cette raison, en mai 1936, l' État-major de l' Armée populaire de libération donna ordre d'arrêter la lutte contre Chiang Kai-shek et de chercher l'unité avec ses militaires. C'est ainsi qu'est rétabli le front uni avec le Guomindang.La recherche d'un front uni aussi large que possible est une politique que le Parti communiste chinois a poursuivie jusqu'à ce jour. Sans cette politique visant à unir qui peut l'être, la victoire de la révolution chinoise aurait été beaucoup plus malaisée, sinon impossible. Le Parti communiste chinois a une expérience particulièrement grande dans la stratégie du front uni. Les textes qui en parlent sont riches d'enseignement. À propos du front uni anti-japonais, Mao Zedong écrit par exemple ce qui suit : " [...] sur la question du front uni avec la bourgeoisie (surtout avec la grande bourgeoisie), le parti du prolétariat doit engager une lutte résolue, rigoureuse, sur deux fronts. D'une part, il combattra l'erreur de ceux qui méconnaissent la possibilité de voir la bourgeoisie, au cours de certaines périodes et dans une certaine mesure, participer à la lutte révolutionnaire, une erreur gauchiste [...] qui néglige [...] la politique d'un front uni avec la bourgeoisie, front à maintenir aussi longtemps que possible. D'autre part, il doit lutter contre l'erreur de confondre le programme, la politique, l'idéologie, la pratique, etc. du prolétariat avec ceux de la bourgeoisie et de négliger les différences de principe qui les séparent. Cette erreur revient à ne pas voir que la bourgeoisie (surtout la grande bourgeoisie) s'efforce d'influencer non seulement la petite bourgeoisie et la paysannerie, mais aussi le prolétariat et le Parti communiste dont elle cherche à supprimer l'indépendance sur le plan idéologique, politique comme sur celui de l'organisation, pour faire d'eux un appendice de sa propre classe et de son parti politique, et accaparer les fruits de la révolution à son seul profit ou au profit de son parti politique ; c'est aussi oublier que la bourgeoisie (surtout la grande bourgeoisie) trahit la révolution dès que celle-ci va à l'encontre de ses intérêts égoïstes ou de ceux de son parti. Négliger cet aspect de la question, c'est tomber dans l'opportunisme de droite 20. " À propos du front uni, Zhou Enlai écrit : " [...] certains ennemis ont un double caractère. En

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constituant avec eux un front uni, les camarades ayant des vues droitières ne pensaient qu'à la possibilité de s'allier avec eux et oubliaient leur caractère réactionnaire. Par exemple, au début de la Guerre de Résistance, le groupe de Jiang Jieshi, qui représentait les grands propriétaires fonciers et la grande bourgeoisie, s'était engagé dans la résistance, mais il conservait son caractère réactionnaire. Ceux qui tombaient dans la déviation de droite cherchaient à le blanchir en estompant son caractère réactionnaire. [...] on eut tort d'affirmer que le groupe de Jiang Jieshi n'était pas composé de fascistes ni de seigneurs de guerre. [...] Les camarades ayant des vues gauchistes étaient aveugles aux changements survenus [...] ; ils ne prêtaient attention qu'au caractère réactionnaire de leurs ennemis et ne voyaient pas la possibilité de s'allier avec eux. [...] Ceux qui ont des vues gauchistes refusent de reconnaître ces contradictions, soutenant que tout ennemi est à renverser du même coup. Mais en voulant tout renverser, on arrive à ne rien renverser 21. " Le sens de la stratégie et de la tactique, du pragmatisme avec une vue claire sur le caractère de classe des forces politiques et sociales et sur la différence entre front uni et parti, restera en permanence au premier plan, également après la révolution de 1949. Et, chaque fois, de nouveau, jusqu'à nos jours, le parti sera confronté à des conceptions erronées, droitières et gauchistes, qui combattent cette vision et cette ligne et qui, de ce fait, hypothèquent le travail.Notes1 Karl Marx, préface à la Critique de l'économie politique (1859), http://www.marxists.org/ francais/marx/works/1859/01/km18590100b.htm.2 Joseph Needham, Science in Traditional China, Harvard University Press, Massachusetts, 1981, p. 7.3 Francis Bacon, Novum Organum - Aphorisms concerning the Interpretation of Nature and the Kingdom of Man, 1620.4 Angus Maddison, Chinese Economic Performance in the Long Run, OECD-OCDE, Development Center Studies, Paris, 1998, p. 29. Maddison calcule en dollars de 1990.5 Angus Maddison, The World Economy, Development Centre Studies, OECD, Paris, 2006, volume 1, p. 119.6 Jacques Gernet, Le monde chinois, Armand Colin, Paris, 2005, tome 1, pp. 150-154.7 Ibidem, tome 2, p. 243.8 He Kang, China's Township and Village Enterprises, Foreign Languages Press, Beijing, 2006, p. 3.9 W. Travis Hannes et Frank Sanello, The Opium Wars - The Addiction of One Empire and the Corruption of Another, Sourcebooks, Naperville Illinois, 2002, p. xi.10 Saul Landau, " Chinese Influence on the Rise in Latin America ", Foreign Policy dans Focus, 23 juin 2005.12 Jian Bozan, Shao Xunzheng et Hu Hua, A Concise History of China, Foreign Languages Press, Beijing, 1986, p. 127.13 V. I. Lénine, " Démocratie et populisme en Chine " (juillet 1912), OEuvres, tome 18, Éditions du Progrès, Moscou, 1969, pp. 164-166.14 Edgar Snow, Red Star over China, Random House, New York, 1938, p. 139.15 Hu Sheng (responsable de la publication), L'histoire du Parti communiste chinois, 1921-1991, Éditions en langues étrangères, Beijing, 1994, p. 23 ; et Wu Jie, On Deng Xiaoping Thought, Foreign Languages Press, Beijing, 1996, p. 220.16 Maurice Meisner, Mao's China and After - A History of the People's Republic, The Free Press, New York, 1986, p. 25.17 Cité dans Mao Zedong, OEuvres choisies, tome 1, Éditions en langues étrangères, Beijing, 1967, p. 310.18 Hu Sheng, op. cit., p. 193.19 Ibidem, p. 202.20 Mao Zedong, " Pour la parution de la revue Le Communiste " (octobre 1939), OEuvres choisies, tome 2, Éditions en langues étrangères, Beijing, 1967, p. 310.

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2. 1949-1976 : la première période de mise en place du socialisme

Une industrie détruite, une production agricole arriérée, un pays dévasté et ruiné par cent cinquante ans d'une régression économique accompagnée de cent ans de guerres civiles et de guerres contre l'impérialisme. Telle est la situation lorsque, le 1er octobre 1949, les communistes proclament la République populaire de Chine.À partir de la première guerre de l'opium, en 1840, jusqu'en 1922, chaque défaite de la Chine par l'impérialisme européen ou japonais lui vaut de payer des dédommagements très élevés. En 1895, par exemple, le Japon impose des dommages et intérêts de 200 millions de liang, ce qui équivaut à trois années de recettes des autorités chinoises. Après la révolte des Boxers, la Chine doit payer aux impérialistes 450 millions de dollars en argent. Dans un cas comme dans l'autre, la Chine va contracter des emprunts à l'étranger, emprunts auxquels les rentrées douanières serviront de gages. Mais comme il s'avère que ces rentrées sont trop modiques pour couvrir les intérêts des emprunts et les emprunts mêmes, l'Occident s'arroge le contrôle des douanes, puis celui de toute l'administration fiscale. Nous avons décrit comment de nouvelles classes sont apparues, en conséquence du déclin et de la désintégration de l'empire. En Europe occidentale, ces classes sont également nées de la féodalité, mais, en Chine, elles font immanquablement penser à des charognards se repaissant des restes de l'empire moribond. En outre, elles sont intimement mêlées aux impérialistes. Les armées de mercenaires qui ont écrasé l'insurrection des Taiping ont été financées par des banquiers chinois et étrangers. La production chinoise de soie, de textiles et de thé s'effondre, suite à l'importation par l'impérialisme de produits meilleur marché. Cette importation est co-organisée par des compradores, le mot portugais pour commerçants. Il s'agit ici de capitalistes commerciaux chinois oeuvrant au service de l'impérialisme. Ils donneront naissance à la bourgeoisie compradore, les capitalistes de mèche avec l'ennemi. Ils collaborent non seulement dans le commerce, mais aussi dans l'industrie. En 1935, les multinationales étrangères contrôlent 80 pour cent de l'industrie du fer et de l'acier, 56 pour cent de l'exploitation houillère, 76 pour cent de la production d'électricité, 64 pour cent de la production de coton, 57 pour cent de l'industrie du tabac. Elles prennent également à leur compte 70 pour cent du transport des marchandises par eau et 90 pour cent du transport ferroviaire. Leurs 32 banques monopolisent la totalité du secteur financier. Entre 1894 et 1937, elles investissent pour 1,5 milliard de dollars en Chine, mais en retirent 2,08 milliards de bénéfices. Elles accordent au gouvernement chinois des prêts à concurrence de 700 millions de dollars ; les intérêts que paiera le gouvernement s'élèveront à 1,43 milliard de dollars 22. Pendant la Seconde Guerre mondiale, le Japon emporte de Chine 46 millions de tonnes de minerai de fer et 346 millions de tonnes de charbon. Sans les payer, ça va de soi. Rien qu'à Shanghai, les Japonais détruisent 2 270 usines. La moitié des installations industrielles du delta du Yangtze ne sont plus qu'un amas de décombres et de ferrailles. La guerre contre les Japonais tuera 21 millions de Chinois 23. Après la victoire sur le Japon, les États-Unis deviennent les principaux pillards de la Chine. En 1945, ils signent avec le gouvernement de Chiang Kai-shek un accord qui leur garantit une liberté commerciale absolue. Avant la guerre, le capital américain ne représentait que 8 pour cent de la totalité des capitaux étrangers en Chine. En 1948, il est passé à 80 pour cent. À cette date, les États-Unis ont 300 usines dans le pays. Durant la même période, ils soutiennent les quatre principales familles de capitalistes : les Chiang Kai-shek, Soong, Kung et Tchen Lifou. Avec l'aide américaine, ces quatre familles tentent de liquider la classe des capitalistes nationaux qui se sont opposés à l'impérialisme. Cela se fait entre autres par l'importation massive de produits américains. En 1947, la moitié des importations chinoises proviennent des Etats-Unis 24. En Chine, de 1890 à 1935, le produit national brut (PNB) par habitant augmente de 0,16 pour

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cent par an, ce qui équivaut à peu près à une stagnation. Suivent huit années de guerre de résistance contre le Japon, puis trois années de guerre contre les troupes de Chiang Kai-shek En 1952, trois ans après la fondation de la République populaire, le PNB par habitant est inférieur à celui de 1890. À la fin du 19e siècle, le revenu du Chinois est le même que celui de la moyenne mondiale 25. En 1949, par contre, il n'est plus que la moitié de la moyenne du miséreux Indien voisin 26. En 1952, la production industrielle n'est pas plus élevée qu'en 1900 27. En 1952 toujours, la quantité de blé disponible par habitant n'est pas plus élevée qu'en 1800 28. De même, le revenu par habitant n'est pas plus élevé que 130 années plus tôt. Et si la Chine connaît de très hauts chiffres de natalité, ses chiffres de mortalité sont très élevés également. Au moment de la libération, 90 pour cent de la population chinoise vit dans les campagnes. L'agriculture ne se caractérise pas seulement par un manque de machines, mais également par les dimensions extrêmement réduites des fermes. En 1930, une famille moyenne d'agriculteurs américains dispose de 67 hectares de terres, c'est-à-dire quarante fois la superficie dont dispose le paysan chinois en moyenne 29. L'industrie est très faible. Elle compte moins de 3 millions de travailleurs, soit 0,6 pour cent de la population. En outre, trois quarts de ces travailleurs sont employés dans l'industrie légère, ce qui fait que la base d'une véritable édification de l'industrie est en grande partie absente 30. Et encore l'industrie n'est-elle concentrée que dans une petite partie du pays, sur les côtes. C'est là que se réalisent les trois quarts de la production industrielle. La population de l'intérieur du pays ne voit rien du développement industriel, déjà minime de toute façon. Dans les villes, une inflation particulièrement élevée affecte l'économie. En août 1948, les prix à la consommation à Shanghai sont 4,7 millions de fois plus élevés qu'en 1937 31. Durant les six derniers mois du contrôle des villes par le Guomindang, on estime que le coût de la vie augmente de 25 pour cent par semaine. Durant l'année qui précède la libération de Beijing, le prix de la farine est multiplié par 4 500 32.La peste, le choléra, la variole et autres maladies contagieuses déciment la population. Le nombre d'institutions de soins de santé et d'hôpitaux est extrêmement réduit. Le pays ne compte que 0,14 lit d'hôpital par 1 000 personnes. L'espérance de vie du Chinois qui vient au monde en 1949 est de 35 ans à peine. Seulement 0,2 pour cent des personnes de plus de 15 ans ont fréquenté l'enseignement moyen. 90 pour cent des Chinois ne savent ni lire ni écrire 33. La société chinoise pourra-t-elle sortir de ce sous-développement sans l'aide de la classe des capitalistes ? Le parti communiste estime que non.

La révolution bourgeoise-démocratique

En avril 1945, Mao Zedong rédige son essai Du gouvernement de coalition. On peut y lire que la Chine a besoin d'une révolution démocratique bourgeoise sous la direction du Parti communiste. Voici ce que Mao écrit : " Ce serait une pure chimère que de vouloir construire une société socialiste sur les ruines d'un ordre colonial, semi-colonial et semi-féodal sans l'existence d'un État unifié de démocratie nouvelle, sans le développement du secteur d' État de l'économie de démocratie nouvelle, du secteur privé capitaliste et du secteur coopératif, sans le développement d'une culture nationale et scientifique des masses populaires, c'est-à-dire d'une culture de démocratie nouvelle, sans l'émancipation et le développement de l'initiative individuelle de centaines de millions d'hommes, en un mot, sans une révolution démocratique bourgeoise, conséquente et de type nouveau, dirigée par le Parti communiste. Certains se demandent pourquoi les communistes, loin de redouter le capitalisme, en préconisent au contraire le développement dans des conditions données. Notre réponse est simple : la substitution d'un capitalisme développé jusqu'à un certain degré au joug de l'impérialisme étranger et du féodalisme intérieur n'est pas seulement un progrès, c'est un

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processus inéluctable. Cela est profitable tant à la bourgeoisie qu'au prolétariat, et même plus à ce dernier. Partant de la conception marxiste des lois du développement social, nous, communistes, nous comprenons clairement qu'en Chine, sous le régime d' État de démocratie nouvelle, il est nécessaire, dans l'intérêt du progrès social, de faciliter outre l'essor de l'économie d' État et de l'économie individuelle et coopérative des travailleurs, le développement de l'économie privée capitaliste, dans la mesure où elle ne domine pas la vie économique du peuple 34. " Deux ans plus tard, Mao écrit également : " Confisquer les terres de la classe féodale et les transférer aux paysans, confisquer le capital monopoliste dominé par Chiang Kai-shek, T. V. Soong, H. H. Kung et Tchen Li-fou, et le transférer à l' État, protéger l'industrie et le commerce de la bourgeoisie nationale, voilà les trois grands principes du programme économique de la révolution de démocratie nouvelle. Ce que la révolution démocratique nouvelle vise à éliminer, c'est seulement le féodalisme et le capitalisme monopoliste, c'est seulement la classe des propriétaires fonciers et la bourgeoisie bureaucratique (la grande bourgeoisie), et non le capitalisme en général, non la couche supérieure de la petite bourgeoisie ni la moyenne bourgeoisie. Vu le retard économique de la Chine, il sera encore nécessaire, même longtemps après la victoire de la révolution dans l'ensemble du pays, d'admettre l'existence d'un secteur capitaliste de l'économie, représenté par la couche supérieure très étendue de la petite bourgeoisie et par la moyenne bourgeoisie ; et, en accord avec la division du travail dans l'économie nationale, nous aurons encore besoin d'un certain développement de tous les éléments de ce secteur capitaliste qui sont profitables à l'économie nationale. Ce secteur capitaliste sera encore un élément indispensable dans l'ensemble de l'économie nationale 35. " Un mois après la proclamation de la République populaire, la Conférence consultative politique du peuple chinois se réunit à Beijing. Il s'agit d'une assemblée regroupant des représentants du Parti communiste, des partis politiques démocratiques, de plusieurs organisations populaires, de l'Armée populaire de libération, des nationalités du pays, des Chinois de l'étranger et de personnalités éminentes non affiliées à un parti politique. Plus tard, le Premier ministre Zhou Enlai formera un gouvernement composé de représentants de ces organisations : 11 des 24 ministres du premier gouvernement ne sont pas membres du Parti communiste. Trois des six vice-présidents de la République ne sont pas des communistes non plus. La Conférence adopte un programme commun qui reprend les quatre secteurs concourant à l'économie : le secteur d' État, l'économie coopérative, le secteur privé et le secteur capitaliste d' État, dans lequel est prise en compte l'industrie privée qui se charge des commandes de l' État. La Conférence jette également les bases de la Loi de réforme agraire. L'article 2 de cette loi dit que l' État va confisquer les terres et le bétail des grands propriétaires. Mais l'article 4 stipule que l' État ne confisquera toutefois pas les entreprises industrielles et commerciales des grands propriétaires ni les terrains que ces mêmes propriétaires utilisent pour leurs activités économiques. Là où les grands propriétaires créeront une activité économique, l' État ne touchera pas à leurs possessions. Il les encouragera au contraire à poursuivre le développement de cette économie capitaliste. La loi de réforme agraire définit une même politique de souplesse à l'égard des paysans riches. Ces derniers ne constituent que six pour cent de la population paysanne, mais leurs exploitations agricoles produisent à peu près la moitié de la production agricole du pays. La loi prévoit que " ni la terre qu'ils travaillent eux-mêmes ou pour laquelle ils incorporent des travailleurs agricoles ni leurs propriétés ne seront confisquées, mais au contraire protégées ". Les paysans riches peuvent donc toujours donner des terres à ferme à des paysans. La loi de réforme agraire élimine la propriété terrienne féodale, mais ne modifie pas le caractère individuel de l'agriculture. La loi de réforme agraire n'élimine pas non plus deux mécanismes cruciaux d'exploitation : la location de main-d'œuvre et le fermage des terres. La réforme agraire ne correspond donc

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nullement au principe de " répartition égale de la terre entre tous les paysans " ni non plus à celui de " la terre à qui la travaille ". La loi de réforme agraire ne sort pas du cadre du capitalisme. La même chose vaut dans le secteur industriel : le capital étranger et le capital de la grande bourgeoisie qui collabore avec l'impérialisme sont confisqués, mais l'industrie capitaliste privée reçoit soutien et encouragements. Mao Zedong écrit en 1949 : " La Chine doit mettre à profit le capitalisme des villes et de la campagne en en faisant jouer tous les facteurs qui soient profitables, et non nuisibles, à l'économie nationale et à la vie du peuple. Notre politique actuelle consiste à limiter le capitalisme et non à le supprimer 36. " Combien de temps les communistes devraient ils poursuivre cette politique ? Durant une longue période, en tout cas. Mao écrit encore en 1949 : " L'économie paysanne est dispersée, et la socialisation de l'agriculture, à en juger par l'expérience de l'Union soviétique, exigera un temps très long et un travail minutieux. Sans socialisation de l'agriculture, il ne peut y avoir de socialisme intégral, solide. La socialisation de l'agriculture doit s'accorder dans son processus avec le développement d'une industrie puissante dont le secteur principal est constitué par les entreprises d' État 37. " Le socialisme économique ne serait donc possible que par la mise sur pied d'une industrie forte et, sur cette base, la socialisation de l'agriculture. Durant la session de la Conférence consultative politique du peuple chinois, des non-communistes posent à Mao la question : combien de temps cela va-t-il durer ? Mao répond : " Sans doute de vingt à trente ans. " Liu Shaoqi et Zhou Enlai s'en tiennent à " quinze ou vingt ans 38 ".

La fin précoce de la politique de socialisation à long terme

Dans la seconde moitié des années 1950, plusieurs contradictions poussent le parti à rompre avec la ligne politico-économique décrite ci-dessus. La première contradiction est celle qui oppose le plan de socialisation à long terme, tel que le parti l'avait défini, et les desiderata des paysans pauvres et des travailleurs agricoles, qui constituent en gros 70 pour cent de la population rurale. Ils veulent aller beaucoup plus loin et plus vite que le Parti ne l'envisage. Mao Zedong fera référence à leurs souhaits pour reprendre des dirigeants du parti qui entendent freiner l'élan spontané des paysans pauvres. Ces dirigeants du parti sont convaincus qu'une socialisation précipitée ne sera pas profitable à la stabilité du pays et aux relations entre ville et campagne. Les paysans pauvres et les travailleurs agricoles ont beau constituer 70 pour cent de la population rurale, leur contribution à l'approvisionnement des villes n'en reste pas moins très modeste. Les villes reçoivent leurs denrées alimentaires en premier lieu des paysans moyens et riches. Une socialisation accélérée vaudrait sans aucun doute au parti de se mettre ces deux groupes à dos et pourrait avoir des retombées désastreuses pour la situation alimentaire dans les villes et pour le calme dans le pays. Mais Mao soutient le mouvement spontané dans les campagnes. Il rédige un rapport débutant par ces mots : " Un nouveau mouvement de masse, socialiste, est sur le point de prendre son essor dans toutes les régions rurales de notre pays. Toutefois, certains de nos camarades marchent clopin-clopant, comme une femme aux pieds bandés, et ne cessent de se plaindre, disant : "Ah ! Vous allez trop vite !"39 "La deuxième contradiction qui donne lieu à une rupture avec la ligne élaborée dans les années 1940-1950 est celle qui existe entre la complexité du processus économique et l'inexpérience de la plupart des dirigeants du parti sur ce plan. Plus tard, en janvier 1962, malgré treize années d'expérience, Mao dira : " Pour nous, l'économie socialiste est encore sur bien des points un règne de la nécessité qui demeure inconnu. Prenez mon cas, par exemple : dans les tâches de l'édification économique, il y a beaucoup de questions que je n'ai pas encore assimilées. Je n'entends pas grand-chose à l'industrie et au commerce. L'agriculture, je m'y

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connais un petit peu. Mais cette connaissance est toute relative, elle est après tout limitée. Je me suis surtout penché sur les problèmes touchant au système social, aux rapports de production. Au sujet des forces productives, je sais très peu de choses. Dans l'ensemble de notre parti, ce qu'on connaît de l' édification socialiste est très insuffisant. Du fait de notre inexpérience dans le domaine de l'édification économique, nous n'avions d'autre alternative que de copier sur l'Union soviétique. Dans l'industrie lourde, en particulier, nous copiions pratiquement tout sur l'Union soviétique et faisions très peu appel à notre créativité 40. "Durant les années 1950, plus de 10 000 conseillers soviétiques travaillent en Chine. Plus de 80 000 ingénieurs et chercheurs chinois reçoivent leur formation en Union soviétique41. Le premier plan quinquennal chinois (1952-1957) bénéficie d'une importante contribution soviétique. Durant cette période, la moitié des investissements proviennent de l'Union soviétique 42. Sans cette aide soviétique, il aurait été bien plus difficile d'obtenir les succès engrangés dans la construction économique. Voilà pour le côté positif. Mais il y a également un revers à la médaille. En février 1953, Mao Zedong lance un appel en faveur d' " une campagne nationale pour apprendre de l'Union soviétique et construire ainsi le pays ". Apprendre s'avèrera synonyme de copier, comme Mao lui-même le fera remarquer plus tard. La situation en Chine est bien plus arriérée que celle de l'Union soviétique - copier est de toute manière exclu. Au moment où l'Union soviétique lance son premier plan quinquennal, en 1928, la production de blé par habitant est le double de celle de la Chine de 1952, date du lancement du premier plan quinquennal chinois. Le nombre de kilomètres de voies ferrées en Chine atteint à peine dix pour cent de celui de l'Union soviétique en 1928. La production chinoise d'électricité, de charbon, d'acier et de ciment est de moitié inférieure, par habitant, à celle de l'Union soviétique en 1928 43.De plus, il y a surtout le fait que les Chinois tirent des conclusions insuffisantes de l'étude de la politique économique de l'Union soviétique des années 1918-1929. En 1918, Lénine, le fondateur de l' URSS définit une politique économique qui présente bien des similitudes avec celle que désirent les Chinois dans les années 1940-1950 : de l'espace pour le capitalisme privé, un front uni avec la bourgeoisie afin de venir à bout de la situation arriérée, une discipline stricte dans les usines, l'introduction du salaire à la pièce, un front uni avec la paysannerie, y compris la moyenne paysannerie, etc. Cette ligne sera baptisée Nouvelle politique économique (NEP). En février 1928, Staline, le successeur de Lénine à la tête de l' État soviétique, écrit : " La Nouvelle politique économique constitue la base de notre politique économique et elle le restera durant une longue période historique. Voici en quoi consiste la NEP : la circulation des marchandises et l'acceptation du capitalisme à condition que l' État conserve le droit et la possibilité de réguler le commerce selon le point de vue de la dictature du prolétariat 44. " Quatre mois plus tard, Staline renvoie de nouveau à la NEP de 1918. Il dit que la NEP a été temporairement interrompue en 1919 du fait que l'impérialisme avait lancé une offensive militaire contre le jeune État soviétique. Mais, après la fin de cette intervention, dit Staline, nous avons repris la NEP. Et d'ajouter : " Le fait que la dictature du prolétariat en Union soviétique a dû revenir aux principes de la Nouvelle politique économique déjà établis en 1918 indique, on ne peut plus clairement, par quoi la dictature du prolétariat a dû entamer le travail de construction dès le premier jour qui a suivi la révolution et sur quoi cette construction doit s'appuyer 45. " Moins d'un an après ce discours, le Parti communiste de l'Union soviétique change son fusil d'épaule et, une fois encore, par la force des choses, puisqu'il n'a pas d'autre choix. Cette fois, la raison est double : les paysans riches passent à l'offensive contre l' État soviétique et gardent les récoltes dans leurs greniers, tandis que, dans l'industrie, les anciens propriétaires tentent d'endommager et de détruire la production, et de la paralyser en se livrant à des actions de sabotage. Et ainsi, le front uni avec la bourgeoisie nationale est pulvérisé, non pas par le Parti communiste, mais par les paysans riches et les capitalistes. En Chine, durant la première moitié des années 1950, la situation est tout autre. Il

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n'est nullement question de révolte des paysans moyens ou riches et les capitalistes collaborent assez bien - même si certains capitalistes, en Chine, se livrent également à des actes de sabotage, mais les communistes parviendront très rapidement à réprimer cette résistance. Pourtant, certains dirigeants chinois ne veulent pas reprendre la politique économique telle qu'exposée par Lénine, mais préfèrent la politique de l'Union soviétique dans les années 1930 et les années 1950. La troisième contradiction qui pousse certains dirigeants chinois à rompre avec la ligne définie dans les années 1940-1950 réside entre leur désir d'égalitarisme et l'inégalité croissante. La réforme agraire n'aplanit pas les différences entre paysans riches et pauvres. En 1954, le paysan pauvre possède en moyenne 0,8 hectare, le paysan moyen 1,1 et le paysan riche 2,1. Le paysan pauvre a en moyenne une tête de bétail pour deux familles et une charrue pour trois familles. Le paysan riche a deux têtes de bétail et une charrue par ménage 46. Ces différences ne cessent de s'accroître, au point que Mao Zedong dira, à la mi-1955 : " Au cours des années écoulées, s'est accrue l'influence des forces qui, dans les campagnes, tendent spontanément vers le développement du capitalisme. Partout, de nouveaux paysans riches sont apparus et bien des paysans moyens prospères font tout leur possible pour se muer en paysans riches. Bien des paysans pauvres disposant de trop peu de moyens de production demeurent pauvres et certains courbent l'échine sous de lourds emprunts. D'autres encore vendent ou louent leur terre. Si nous laissons cette situation suivre son cours, les campagnes vont connaître une polarisation croissante 47. " De même, les différences entre la ville et la campagne augmentent. Entre 1949 et 1952, le salaire ouvrier moyen augmente de 143 pour cent. Durant la même période, le revenu des paysans n'augmente que de 69 pour cent 48. L'inégalité entre ville et campagne s'accroît parce que l'industrie se développe à un rythme bien plus rapide. Les conditions de vie dans les villes s'améliorent considérablement, alors que la prospérité dans les campagnes est loin de progresser aussi rapidement 49. Il existe également de grosses différences dans les salaires. En 1952, un tiers des ouvriers de l'industrie chinoise sont payés à la pièce. Partout règne un système de bonus. Lénine lui-même, en 1918, avait plaidé en faveur de ce système, mais, en Chine, il se heurte dès le début à une forte opposition idéologique. Il existe au sein du parti un courant opiniâtre qui ne veut pas appliquer le principe socialiste de " la rémunération selon le travail ", mais le principe communiste " à chacun selon ses besoins ". Mao Zedong déclare en 1960 : " Pourquoi serait-il inacceptable de construire le communisme ? Pourquoi devons-nous garder un système salarial ? Ce sont des concessions à la bourgeoisie. Il en résulte un développement de l'individualisme. Nous devons éradiquer les règles de droit bourgeoises et l'idéologie bourgeoise. Faire prévaloir la position et le rang de quelqu'un, accorder des salaires plus élevés aux travailleurs intellectuels et des salaires plus bas aux travailleurs manuels sont des survivances de l'idéologie bourgeoise. Notre parti s'est développé, passant de centaines de milliers à des millions de membres. Au début, nous avions une vie collective et égalitaire. Chacun d'entre nous était zélé au travail et courageux au front. Nous ne faisions en aucun cas appel à des stimulants matériels. Nous avions confiance dans la morale révolutionnaire 50. "L'idée de " construire le communisme " dans les circonstances d'une économie arriérée n'est pas nouvelle. Le mouvement des Taiping qui, entre 1850 et 1864, avait dirigé une révolte de dizaines de millions de paysans, voulait l'égalité absolue. Le mouvement démocratique-bourgeois de Sun Yat-sen, qui était apparu au début du 20e siècle, plaidait pour une sorte de socialisme agraire égalitaire. Entre 1915 et 1919 s'est développé le Mouvement pour la nouvelle culture. Son chef était Chen Tuhsiu. Le mouvement voulait la destruction de la culture chinoise existante et de l'ancienne et il entendait les remplacer par un égalitarisme total. En 1921, Chen Tuhsiu fut le premier président du Parti communiste chinois. Durant les premières années de son existence, le parti compte beaucoup de membres provenant des milieux du Mouvement pour la nouvelle culture.

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Il est logique que, dans les circonstances de l'époque, de telles idées refassent surface. Nous avons vu la même chose dans le mouvement ouvrier occidental. Chez nous, le socialisme a d'abord fourni Claude-Henri Saint-Simon, Charles Fourier et Robert Owen. Eux aussi rêvaient d'une société socialiste qui se serait mise en place avant même que le capitalisme n'ait rempli sa tâche historique et sans éléments capitalistes dans la société proto-socialiste. Ils nourrissaient également l'idée d'une égalité absolue entre tous les membres. Friedrich Engels fut plutôt bienveillant à leur égard, mais n'hésita pas à attirer l'attention sur leur utopisme petit-bourgeois : " La prise de possession de tous les moyens de production par la société a, depuis les débuts du mode de production capitaliste dans l'histoire, bien souvent plus ou moins vaguement flotté devant les yeux tant d'individus isolés que de sectes entières, comme idéal d'avenir. Mais elle ne pouvait devenir possible, devenir une nécessité historique, qu'une fois données les conditions matérielles de sa réalisation. Cette prise de possession, comme tout autre progrès social, devient praticable, non pas du fait qu'on se sera rendu compte que l'existence des classes est contraire à la justice, à l'égalité, etc., non pas par la seule volonté d'abolir ces classes, mais en vertu de certaines conditions économiques nouvelles 51. "La quatrième contradiction qui aboutit à l'abandon de la politique à long terme de la socialisation se situe entre la nécessité de construire l'économie en paix et l'agressivité de l'impérialisme et, en particulier, de l'impérialisme américain. En juin 1950 éclate la guerre de Corée. Le président américain Harry Truman envoie la Septième Flotte dans le détroit de Taiwan afin de patrouiller entre la Chine continentale et l'île de Taiwan. L'ordre de Truman n'a rien à voir avec la guerre en Corée : le détroit de Taiwan est situé à des milliers de kilomètres au sud de la Corée et la Chine n'est pas encore impliquée dans ce conflit. À ce moment même, la Chine est prête à libérer Taiwan, la dernière province à être encore sous le contrôle des troupes de Chiang Kai-shek. L'ordre de Truman vise à saboter la réunification et la construction de la Chine. Le 27 juin 1950, le président américain fait une déclaration disant notamment ceci : " L'occupation (sic) de Taiwan par les troupes communistes signifierait une menace directe pour la sécurité de la région de l'océan Pacifique et des forces américaines qui accomplissent leur tâche légitime et nécessaire dans cette région 52. " Truman décide d'envoyer le général MacArthur à Taiwan afin de se concerter avec Chiang Kai-shek, de donner à Taiwan l'argent et le matériel militaire demandé et de faire exécuter des vols de reconnaissance le long de la côte continentale de la Chine. Autant d'ingérences dans les affaires intérieures de la Chine et autant d'atteintes à la souveraineté territoriale chinoise. Cette agressivité de l'impérialisme américain culmine lorsque, lors d'une conférence de presse donnée en 1953, le président Truman menace d'utiliser l'arme nucléaire contre la Chine. Dès le début des années 1950, il existe un embargo américain sur le commerce avec la Chine. Les États-Unis gèlent les avoirs chinois dans leur pays. Les navires et avions américains ne peuvent plus rallier la Chine. Tout indique que les Américains n'ont absolument pas l'intention de permettre à la Chine de se développer. Les Chinois sentent la nécessité d'accélérer et même de forcer la mise sur pied de leur économie afin de pouvoir mener une guerre de défense avec succès.La cinquième contradiction qui amène certains dirigeants chinois à renoncer à la politique de socialisation à long terme est celle qui réside entre la ferme confiance dans le socialisme, d'une part, et l'attaque brutale du dirigeant de parti Nikita Khrouchtchev contre le socialisme en Union soviétique ainsi que l'insurrection hongroise de 1956, d'autre part. L'attaque de Khrouchtchev reçoit le soutien reconnaissant du service américain des renseignements, la CIA, qui s'en sert pour noircir le socialisme partout dans le monde et allumer et alimenter les querelles au sein même des partis communistes et entre les partis communistes de divers pays. De l'intervention de Khrouchtchev, les Chinois concluent que, dans les pays socialistes, il existe un danger réel de rétablissement d'un régime capitaliste. L'insurrection hongroise le prouve d'ailleurs à suffisance. Les deux événements renforcent la conviction de certains

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dirigeants chinois : il faut aller plus vite qu'on ne le prévoyait originellement et il faut intensifier la lutte contre les " éléments droitiers " qui, au sein du parti, incitent à la prudence et à l'application de la ligne élaborée dans les années 1940-1950.

Des équipes d'entraide aux coopératives

Fin 1952, la Chine a une économie agricole de type principalement individuel qui, sous cette forme, évidemment, ne peut constituer la base de son industrialisation, de sa modernisation et de son socialisme. Le Parti communiste veut appliquer progressivement la socialisation de l'agriculture, en première instance par le biais des équipes d'entraide. Celles-ci sont apparues spontanément, déjà avant la révolution de 1949, parce que les paysans voulaient utiliser en commun les rares moyens techniques disponibles à l'époque. Les équipes d'entraide comprennent quatre ou cinq familles paysannes qui s'entraident sur une base non permanente. Les communistes prennent ces équipes déjà existantes comme point de départ, mais rassemblent désormais jusqu'à vingt familles dans ce genre d'équipes. En 1952, un quart de la population paysanne est organisée en équipes d'entraide. En 1953, on en est déjà à 30 pour cent. Durant la même période, les communistes créent des coopératives de bas niveau auxquelles les paysans collaborent sur base permanente. La règle de conduite de ces coopératives de bas niveau consiste en ce que les familles concernées mettent leurs terres en commun sans perdre leur droit de propriété. La plupart de ces coopératives comptent environ vingt familles. En 1953, à peine 0,2 pour cent des familles sont organisées dans une coopérative. En 1955, elles sont déjà 14 pour cent. Outre ces coopératives de bas niveau, les communistes créent des coopératives de haut niveau dans lesquelles les familles paysannes apportent et cèdent leurs terres, leur bétail et leurs outils. En 1953, elles sont une quinzaine, auxquelles collaborent 2000 familles de paysans. Deux ans plus tard, elles sont 530 réunissant 40 000 familles 53. En 1955, environ 15 pour cent des familles paysannes sont organisées en coopératives. Mao Zedong écrit alors : " Au printemps 1958, les coopératives de type semi-socialiste doivent englober la moitié de la population rurale 54. " C'est plus que ce que le Comité central avait prévu dans le premier plan quinquennal. Celui-ci avait décidé que, fin 1957, un tiers seulement des paysans seraient organisés dans des coopératives agricoles de bas niveau.Mais, à partir de 1955, apparaissent également les premières erreurs gauchistes : certains cadres veulent aller trop vite et forcent les paysans à faire partie d'une coopérative. Dans certaines régions, les paysans moyennement riches d'avant veulent se retirer de la coopérative parce que les résultats sont moins bons pour eux. Les cadres communistes refusent qu'ils le fassent, après quoi, en divers endroits, les paysans tuent le bétail, abattent les arbres fruitiers et volent le matériel de la coopérative pour le revendre 55. La plupart des dirigeants du parti estiment désormais que le degré et la forme de coopérative doivent d'abord être consolidés avant de franchir de nouvelles étapes dans la socialisation. D'autres dirigeants du parti estiment qu'on doit continuer sur sa lancée. Au printemps 1955, paraît un texte de compromis de la section Agriculture du parti dans lequel on peut lire que les équipes d'entraide sont encouragées à se muer en coopératives de bas niveau et qu'un an plus tard, le nombre de ces coopératives peut passer de 650 000 à un million. Le Bureau politique du parti approuve ce texte. Mais, peu après, Mao Zedong propose de pousser ce chiffre à 1,3 million dans le même laps de temps. Le mouvement de socialisation se poursuit à une vitesse éclair. Fin 1956, on compte 96,3 pour cent de paysans organisés dans une coopérative. Parmi ceux-ci, presque 88 pour cent sont organisés dans des coopératives de haut niveau dans lesquelles la propriété privée des moyens de production a été supprimée 56. Ce qui, selon Mao Zedong et Zhou Enlai, devait durer entre vingt et trente ans a été accompli en sept ans.

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C'est dans de telles circonstances que se tient en septembre 1956 le 8e congrès du parti communiste. Le vice-président Chen Yun, qui entend freiner les choses, dit dans un discours : " Dans les coopératives agricoles, les cultures céréalières et industrielles, ainsi qu'une partie des activités subsidiaires, devront être soumises à l'exploitation collective, mais beaucoup d'autres activités subsidiaires devront être pratiquées à titre individuel par les membres des coopératives. Au lieu de concentrer sans distinction toutes les activités productives dans les mains des coopératives, il faudra laisser aux membres des coopératives une entière liberté de se livrer à toutes sortes d'activités subsidiaires, car cela permettra d'augmenter la production de divers produits, de mieux répondre aux besoins du marché et d'accroître les revenus des paysans. Là où la surface de terre cultivée par tête d'habitant est relativement élevée, les coopératives pourront réserver à chacun de leurs membres une parcelle de terre un peu plus grande 57. " Oui à la socialisation dans l'agriculture, mais avec le maintien d'une part importante de l'économie privée, dit Chen Yun. Il étend cette vision du développement à toute l'économie pour dire : " Notre économie socialiste présente les caractéristiques suivantes: dans l'exploitation de l'industrie et du commerce, les entreprises d' État et les entreprises collectives forment l'ossature, secondées par un certain nombre d'entreprises individuelles. Celles-ci complètent les entreprises publiques et collectives. Dans le domaine de la planification, la production des principaux produits industriels et agricoles est régie par des plans, mais celle d'un certain nombre de produits est soumise au jeu régulateur du libre échange, dans les limites autorisées par le plan d' État. La production planifiée occupe donc une place prédominante, elle n'est que complétée par la production soumise à l'infuence régulatrice du libre échange, dans les limites autorisées par le plan d' État. Dans ces conditions, notre marché ne peut absolument pas être un marché de type capitaliste, mais un marché socialiste unifié. Ce marché socialiste est essentiellement constitué par un marché d' État, complété par un marché libre, qui fonctionne dans un cadre déterminé, sous la direction de l' État 58. " Le congrès accepte ces positions et les fait figurer dans la résolution finale. En décembre, le quotidien du parti publie un éditorial s'opposant à la vision qui prétend qu'autoriser l'activité économique individuelle serait néfaste pour le processus de socialisation à long terme 59. À la même époque, Mao Zedong déclare qu'il n'y a pas de problème si les petites et grandes usines privées augmentent en nombre. Les individus, dit-il, doivent être autorisés à fonder des usines. Mao qualifie cela de " nouvelle politique économique 60".Immédiatement après la session du 8e congrès, le Comité central nouvellement élu se réunit pour définir les grandes lignes du deuxième plan quinquennal. Ici, les divergences de vues se font jour de façon beaucoup plus nette. Zhou Enlai et Chen Yun préconisent une croissance prudente de l'économie, dans l'optique d'une consolidation des résultats obtenus. Mao affirme que la croissance proposée est trop faible. La direction du parti est grandement divisée. Lors de la session plénière du Comité central, en octobre 1957, Mao déclare que la contradiction majeure en Chine se situe entre la bourgeoisie et le prolétariat, entre le capitalisme et le socialisme. Cela contredit la ligne que Mao a défendue jusqu'alors et c'est également en contradiction avec ses essais fondamentaux de la période 1940-1950. La nouvelle position de Mao est en outre en contradiction avec les conclusions du 8e congrès qui a élu ce Comité central. Mao et le 8e congrès avaient déclaré auparavant que le principal problème n'était pas la bourgeoisie, mais la situation sociale et économique arriérée et qu'on devait unir les gens qui pouvaient l'être afin de s'attaquer à ce problème. À ce propos, dans la situation économique de l'époque, on avait impérieusement besoin de la bourgeoisie et de la petite bourgeoisie pour améliorer la situation sociale et économique. Dans la résolution finale du 8e Congrès, on peut lire ceci : " La principale contradiction qui se trouve dans notre pays est la contradiction entre la demande du peuple d'édifier un pays industriel avancé d'une part et l' État actuel de pays agricole arriéré d'autre part, entre le besoin du peuple de développer

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rapidement l'économie et la culture d'une part, et l'incapacité actuelle de notre économie et de notre culture de satisfaire aux besoins du peuple d'autre part. À l'heure actuelle, le Parti et le peuple du pays entier ont pour tâche principale de concentrer toutes les forces pour résoudre cette contradiction, pour transformer au plus vite notre pays de pays agricole arriéré en un pays industriel avancé 61. " Le revirement théorique de Mao à l'automne 1957 signifie la fin du front uni avec la bourgeoisie qui, désormais, est désignée comme l'ennemi. C'est ainsi la fin de la politique appliquée depuis 1949. Le Comité central écrira plus tard : " [...] [cette] remise en cause du jugement scientifique [...] théoriquement parlant [...] fut à l'origine des excès que le parti allait commettre à maintes reprises [...] 62. "

Le Grand bond en avant

Un mois après ce revirement théorique vers l'extrême gauche, le journal du parti écrit dans un éditorial : " Certaines personnes ne peuvent pas comprendre qu'après la formation des coopératives agricoles, on a les conditions et la nécessité de réaliser un grand bond en avant sur le front de la production. " La socialisation très poussée rendrait possible une production beaucoup plus élevée. Maintenant que les rapports de production ont été socialisés en grande partie, les forces productives pourraient se développer bien plus rapidement. Mao Zedong explique ce qu'on entend par production plus élevée. Le 18 novembre 1957, lors d'une visite à Moscou, il déclare : " Le camarade Khrouchtchev nous dit que l'Union soviétique peut rattraper les États-Unis d'ici quinze ans. Je pense que la Chine peut rattraper la Grande-Bretagne d'ici quinze Ans 63. " En avril 1958, il déclare : " Cela va prendre dix ans pour rattraper la Grande-Bretagne et dix autres années encore pour rattraper les États- Unis 64. " En juin 1958, il dit : " Nous allons rattraper la Grande-Bretagne dans les trois ans et les États-Unis dans les dix ans. La chose est certaine 65." On doit savoir qu'à la même époque, les États-Unis ont un produit national brut par habitant au moins vingt fois supérieur à celui de la Chine. La part de la Chine dans le produit mondial brut est de 5 pour cent, celle des États-Unis est de 28 pour cent. Le taux de croissance de la Chine se situe, il est vrai, de moitié plus haut qu'aux États-Unis, mais, si ces taux de croissance devaient rester les mêmes, il faudrait attendre presque un siècle pour que la Chine puisse rattraper les États-Unis 66. Les objectifs irrationnels sont caractéristiques du Grand bond en avant, dont le slogan par excellence est : " Un jour vaut vingt ans. " Ce qui veut dire : La Chine peut atteindre en un jour ce pour quoi l'Occident a eu besoin de vingt ans.D'abord, les objectifs de production des produits agricoles sont augmentés de 20 à 50 pour cent. Ensuite, il est dit que la production d'acier doit augmenter et, dans les cinq ans, passer de 12 à 30 millions de tonnes. Ces objectifs de production élevés coïncident avec les objectifs de socialisation maximale. En avril 1958, le Comité central déclare que les coopératives devraient se muer en de grandes communautés rassemblant des milliers de familles paysannes. En août 1958, le Bureau politique affirme : " Il semble que l'avènement du communisme en Chine n'appartient plus à un avenir lointain 67. " Le communisme, la forme la plus élevée de l'organisation socio-économique, doit donc être réalisé dans un pays où le mode de production est arriéré, où l'on n'utilise un tracteur que dans cinq pour cent des champs à peine, où l'écrasante majorité de la main-d'œuvre produit juste assez, ou pas même assez, pour assurer sa propre subsistance et où des centaines de millions de personnes courent encore en haillons.Les hauts objectifs de production aboutissent au chaos dans l'économie. Pour pouvoir réaliser la production d'acier envisagée, un mouvement national de masse se met en branle. Des dizaines de millions de personnes se rendent dans les montagnes pour couper le bois et

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collecter le charbon qui sont nécessaires comme combustibles pour un million (selon une estimation) de petits fourneaux à acier qu'on construit dans les villages. Le parti lance un mouvement de masse similaire pour accélérer la production d'électricité, les travaux d'irrigation, le transport. Les coopératives sont rassemblées en de grandes communes dont les membres perdent la parcelle qu'ils travaillent en privé, de même que leur petit bétail, leur basse-cour et leurs arbres fruitiers. Durant la période des coopératives, les parcelles privées des paysans représentaient environ 7 pour cent de la superficie cultivée. Fin 1958, toute la population paysanne est organisée en 24 000 communes comptant en moyenne 5 000 familles. Il existe même des communes de 100 000 familles 68. Cet ensemble de mesures aboutit à une catastrophe. En 1958, la production céréalière est de 195 millions de tonnes. L'année suivante, elle baisse, passant à 170 millions de tonnes. Un an plus tard, elle n'est plus que de 143 millions de tonnes. En 1961, elle n'est plus que de 135 millions de tonnes. La baisse, entre 1958 et 1961, est de 32 pour cent. La production de coton chute de 35 pour cent. La production de plantes oléagineuses baisse de plus de la moitié, pour retomber au niveau de 1949. Le nombre de porcs baisse, lui, de 43 pour cent 69. En 1960, la consommation moyenne de blé dans les campagnes est d'un cinquième inférieure à celle de 1957. La consommation de viande baisse de 70 pour cent. Les gens connaissent la faim. Le Comité central écrira plus tard : " [...] le taux de mortalité augmenta parmi la population rurale dans de nombreuses provinces. Selon les statistiques officielles, à la suite du taux de natalité et de la hausse du taux de mortalité, la population du pays diminua en 1960 de dix millions par rapport à l'année précédente. [...] On ne peut imaginer plus terrible démenti aux affirmations de ceux qui avaient prétendu améliorer plus rapidement le niveau de vie de la population par un "grand bond en avant" et par la création des communes populaires 70. "L'industrie elle aussi traverse des années extrêmement difficiles. La plupart des nouvelles entreprises industrielles dans les communes et les districts manquent de matières premières, de machines, d'équipements et de personnel technique. Les " spécialistes " qui doivent s'occuper des fours à acier sont des forgerons, des menuisiers et de simples paysans. La qualité de la production d'acier est médiocre, au point même qu'une grande partie de cette production est inutilisable : les outils agricoles tombent en pièces à leur première utilisation. Les rails de chemin de fer restent inutilisés le long des voies du fait qu'ils sont de trop mauvaise qualité. Le volume de la production d'acier augmente en 1958 et 1959, mais retombe considérablement en 1960. Ce n'est qu'en 1964 qu'on peut à nouveau atteindre le niveau de 1958. Finalement, il s'avère que cette forme d'industrialisation équivaut à un vaste gaspillage de matières premières, une destruction des forêts, une production massive de marchandises inutilisables, un gaspillage de main-d'œuvre et une démoralisation de la population rurale 71.Le Grand bond en avant résulte d'une conception prétendant que plus le degré de socialisation des rapports de production est élevé, plus les forces productives croissent rapidement, quelle que soit la situation du mode de production. La catastrophe économique que fut le Grand Bond prouve l'inexactitude de cette conception. Après la mort de Mao Zedong, le Parti communiste en tirera la leçon suivante : les forces productives se développent dans la mesure où les rapports de production sont adaptés au mode de production évolué. Exactement comme Marx l'avait théorisé.

La démocratie interne dans un triste état

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Durant le Grand bond, sévit au sein du parti une lutte contre tous ceux qui recommandent la prudence et préconisent une approche scientifique et progressive. Cette lutte est si virulente que le débat démocratique au sein du parti subit de très graves dommages. Un parti communiste ne peut exister sans démocratie. Il a besoin d'avis internes opposés, de nuance, d'avertissements contre des thèses unilatérales. Dès que cela devient impossible, le débat interne finit par disparaître et le parti va trouver bien plus difficilement, voire plus du tout, la voie correcte vers la solution des problèmes.En 1957, à la veille du Grand bond en avant, Mao écrit déjà des textes dans lesquels il définit le débat et la lutte au sein du parti comme une lutte classe contre classe dans laquelle bien des gens dont l'avis diffère du sien sont catalogués comme personnes " collaborant avec les capitalistes ". Le débat interne n'est plus une discussion entre camarades de parti. En 1957, Mao fait publier un livre intitulé Socialist Upsurge in China's Country side (montée du socialisme dans les campagnes chinoises). C'est un recueil d'articles de divers cadres désireux d'appliquer la socialisation très rapidement et à tous les niveaux. Mao accompagne chaque texte d'un bref commentaire. Ainsi, il écrit :" Dans de très nombreuses sections locales, les opportunistes de droite l'emportent. Ils travaillent main dans la main avec les forces du capitalisme. Ils empêchent les masses importantes des paysans pauvres et moyens de choisir la voie de la coopérative. Certains individus se prétendent communistes, mais témoignent de peu d'intérêt pour le socialisme que nous construisons. Non seulement ils ne soutiennent pas l'enthousiasme des gens - ils versent également de l'eau froide sur la tête du peuple 72. " En octobre de la même année, Mao déclare que la principale contradiction en Chine réside entre le capitalisme et le socialisme. Dans la foulée, ceux qui recommandent la prudence sont appelés des " éléments pro-capitalistes ".Du 2 juillet au 1er août 1959, le Bureau politique se réunit à Lushan en compagnie d'un certain nombre d'autres membres du Comité central. C'est le moment où, chez de nombreux cadres supérieurs, apparaissent des doutes quant au bien-fondé du Grand bond en avant. Parmi ces personnes, le Premier ministre Zhou Enlai et les vice-présidents du parti Chen Yun et Zhu De. L'assemblée a été convoquée afin de combattre les fautes de gauche dans le Grand bond. Au cours des deux premières semaines de la réunion, c'est d'ailleurs ce que l'on fait, mais, selon un nombre de personnes présentes, pas de façon assez approfondie. Le 14 juillet, en cours de réunion, Peng Dehuai rédige une lettre personnelle à l'adresse de Mao Zedong. Peng Dehuai est membre du Bureau politique et ministre de la Défense. Il écrit entre autres : " Il y a une tendance à l'exagération et au simplisme. Nous n'avons pas bien appliqué le principe de la recherche de la vérité dans les faits. Il y a du fanatisme petit-bourgeois et, dans nos têtes, vit l'idée que nous pouvons réaliser le communisme d'un seul coup. " Peng Dehuai reçoit dans ses exposés le soutien du vice-ministre des Affaires étrangères Zhang Wentian, du chef de l' État-major général Huang Kecheng et du secrétaire du parti pour la province de Hunan, Zhou Xiaozhou. Ils demandent que la réunion examine plus profondément les causes politico-idéologiques des erreurs de gauche. C'est à ce moment précis que, sur intervention de Mao Zedong, la réunion, initialement prévue pour corriger les erreurs de gauche, se transforme en une chasse aux sorcières contre les " éléments droitiers ". Mao y va d'un discours extrêmement cinglant dans lequel il dit que Peng, Zhang, Huang et Zhou se sont unis au révisionniste Khrouchtchev. Mao déclare : " Le parti est sous le feu de forces intérieures et étrangères. " Dix jours après la conférence, Mao adresse à toutes les sections du parti une circulaire dans laquelle on peut lire :" Au Comité central siègent des opportunistes de droite. Au niveau provincialaussi, siègent des opportunistes de droite, comme le secrétaireprovincial du parti Chang Kai-fan, de l'Anwei. Je pense que ce sont des gens qui se sont infiltrés dans le parti. Durant la période de transition du capitalisme vers le socialisme, ils défendent le point de vue bourgeois et ils essaient de saper la dictature du prolétariat, de

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diviser le Parti communiste, d'étendre leur influence et de fonder un parti opportuniste 73." Après cela, on assiste au déclenchement d'une campagne idéologique à l'échelle nationale. Sans l'ombre d'une preuve, Peng Dehuai se voit reprocher d'être un agent de Khrouchtchev. Le plus virulent est le nouveau ministre de la Défense, Lin Biao. Selon lui, Peng est un " hypocrite ", un " conspirateur " et un " arriviste " 74. (Soit dit en passant, plus tard, Lin Biao fomentera un coup d' État militaire contre Mao Zedong,le parti et la république.) En compagnie de Peng, de très nombreux cadres subissent des sanctions. Plus de trois millions d'entre eux se voient taxer d'opportunisme de droite. Mao Zedong déclare : " La lutte dont Lushan est le théâtre constitue une lutte de classes ; elle est le prolongement de la lutte à mort [...] entre les deux grandes classes antagonistes : la bourgeoisie et le prolétariat 75. " C'est ainsi que les discussions se muent en une lutte à mort entre la classe ouvrière et les capitalistes. Cela s'avère néfaste pour la démocratie et pour la mise au point de la politique correcte. Après la conférence de Lushan, les erreurs de gauche et le fanatisme se multiplient de plus belle jusqu'au moment où, en janvier 1961, le Grand bond est abandonné. Mais, entre-temps, sous l'impulsion une fois de plus de Lin Biao, se développe dans le parti un culte de la personnalité de Mao Zedong au point que, jusqu'à deux ans après sa mort, il sera encore impossible d'émettre une critique de fond de ses erreurs de gauche et, partant, de la ligne politique et de l'idéologie qui ont été à la base du Grand bond en avant.

La Révolution culturelle

Juste après la fin du Grand bond, débute une polémique virulente entre le Parti communiste chinois et celui de l'Union soviétique, où le dirigeant Khrouchtchev jette par-dessus bord, l'un après l'autre, les principes marxistes. Les Chinois voient en Khrouchtchev l'homme occupé à installer systématiquement le capitalisme et à jeter aux orties l'héritage de la révolution - un jugement dont on peut dire aujourd'hui, cinquante ans plus tard, qu'il était correct. En mai 1966, Mao Zedong a un entretien avec le dirigeant vietnamien Hô Chi Minh. Il lui dit : " Nous sommes des septuagénaires, Marx va bientôt nous rappeler à lui ; mais je ne sais pas encore si celui qui me succédera sera un Bernstein, un Kautsky ou un Khrouchtchev. Heureusement, nous avons encore le temps de nous préparer à une telle éventualité 76. " Mao est convaincu que la Chine a régulièrement besoin d'un mouvement de masse pour épurer le parti, pour combattre les vieilles idées féodales et les nouvelles idées bourgeoises dans la société et pour empêcher que la Chine emprunte la voie du capitalisme. Ce n'est que de cette façon qu'on pourrait éviter l'apparition d'un Khrouchtchev chinois. Aux yeux de Mao, en fait, celui-ci a déjà surgi. Non pas sous les traits d'une seule personne, mais de tout un groupe de personnes. Il écrit en mai 1966 : " Les représentants de la bourgeoisie qui se sont infiltrés dans le Parti communiste nient la nécessité de la lutte du prolétariat contre la bourgeoisie, de la révolution du prolétariat contre la bourgeoisie, de la dictature du prolétariat sur la bourgeoisie. Ils sont les loyaux serviteurs de la bourgeoisie et de l'impérialisme. Ils s'efforcent ensemble de maintenir en place l'idéologie bourgeoise de l'oppression et de l'exploitation du prolétariat. C'est une bande de contre-révolutionnaires qui sont opposés au Parti communiste et au peuple. Leur lutte contre nous est une lutte à mort. C'est pourquoi notre lutte contre eux doit également être une lutte à mort. Les représentants de la bourgeoisie qui se sont infiltrés dans le parti, le gouvernement, l'armée et les secteurs culturels sont une bande de révisionnistes contre-révolutionnaires. S'ils en ont l'occasion, ils transformeront la dictature du prolétariat en une dictature de la bourgeoisie . "Cette présentation des choses, comme le dira plus tard le Comité central, ne correspond pas à la réalité. Bien sûr, il y a des opportunistes de droite dans le parti, tout comme il y a des opportunistes de gauche. Mais les contradictions entre eux et le parti ne sont pas antagonistes.

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Ce sont des contradictions qui reposent sur des visions différentes de la façon de construire le socialisme. Ce texte de Mao se situe directement à l'opposé, lui aussi, de l'idéologie de ses essais fondamentaux que sont La démocratie nouvelle (1940), Le gouvernement de coalition (1945) et De la juste solution des contradictions au sein du peuple (1957), où l'on recherche un front uni avec la classe des capitalistes afin de sortir le pays de son sous-développement et où est défendue la construction du socialisme sur une très longue période historique et de façon progressive. À ce moment, la lutte contre les prétendus éléments capitalistes bat déjà son plein. Le 18 mars 1966, le général Luo Ruiqing commet une tentative de suicide après avoir été accusé de toutes sortes d'infamies par Lin Biao. Luo Ruiqing est un vétéran révolutionnaire et il est le chef d' État-major de l'armée. Le 17 mai, l'ancien rédacteur en chef du journal du parti, Deng Tuo, se suicide après avoir subi lui aussi le feu roulant de la critique. Six jours plus tard, c'est au tour de Tian Jiaying qui, durant de nombreuses années, a été l'un des secrétaires politiques les plus fidèles et les plus compétents de Mao. Le 25 juin, le directeur du ministère des Affaires étrangères se suicide à son tour, bientôt suivi, le 10 juillet, par Li Qi, le directeur de la section propagande de la ville de Beijing. De même, les cadres supérieurs du parti comme le président de la République et premier vice-président du parti Liu Shaoqi, le Premier ministre Zhou Enlai, le maréchal Zhu De, le vice-président du parti Chen Yun, le chef du secrétariat du parti Deng Xiaoping se voient adresser de sévères critiques. À l'automne 1966, la direction du parti est remaniée. Il ne reste désormais plus qu'un vice-président et c'est le ministre de la Défense, Lin Biao. Les anciens vice-présidents Liu Shaoqi, Zhou Enlai, Zhu De et Chen Yun ne sont plus cités. Un autre vétéran écope lourdement : Bo Yibo. Il fait partie des Huit Immortels, le groupe des huit vétérans les plus respectés de la révolution chinoise. Durant la Révolution culturelle, il ne fait plus partie des Immortels, mais des 66 traîtres, les cadres supérieurs qui se retrouvent en prison. Lors du 9e Congrès du parti, en avril 1969, quelque 70 pour cent des membres encore en vie du huitième Comité central ne sont plus réélus. 25 des 29 secrétaires provinciaux sont démis de leurs fonctions.Aux yeux de Mao, la lutte contre tous ces " éléments de droite " doit être menée en premier lieu par les masses. Le 8 août 1966, Mao déclare : " Dans la Grande révolution culturelle prolétarienne, la seule méthode valable consiste en ce que les masses se libèrent elles-mêmes. Ne craignez ni l'agitation ni la fureur. Laissez les masses s'éduquer elles-mêmes dans ce grand mouvement révolutionnaire et laissez- les apprendre à faire la distinction entre ce qui est juste et ce qui est erroné. " Ici aussi, Mao va à l'encontre des principes politiques de la révolution chinoise. Auparavant, il s'est opposé à plusieurs reprises au slogan " Faites tout ce que les masses veulent ", car, disait-il, les masses ont besoin du rôle dirigeant du parti et pas de cadres qui leur caracolent après. Mais, à partir du Grand bond, tout le salut vient des masses. En février 1967, naît un confl it entre le ministre de l' Agriculture Tan Zehnlin et Jiang Qing qui, en compagnie de Wang Hongwen, Zhang Chunqiao et Yao Wenyuan, constituent la Bande des quatre, le groupe d'extrême gauche qui s'arroge la direction de fait de la Révolution culturelle. Tan Zehnlin écrit : " Les masses, toujours rien que les masses... et qu'en est-il du rôle dirigeant du parti ? Aujourd'hui, tout se fait sans le parti. Les masses se libèrent elles-mêmes, elles s'éduquent toutes seules, elles font la révolution. Qu'est-ce que c'est que tout cela ? C'est de la métaphysique ! Le but des gens d'extrême gauche est d'évincer l'un après l'autre les vieux cadres et de balancer quarante années de révolution à la poubelle 78. " Dans nombre de villes et dans de nombreuses usines, les gens d'extrême gauche évincent le parti et les autorités. En janvier 1967, à Shanghai, éclate une révolte à l'issue de laquelle la totalité des hautes instances du parti sont envoyées promener. La même chose se passe dans les villes de Beijing, Taiyuan et Harbin. De plus en plus, le parti est mis hors circuit. Au sein de la direction nationale du parti est fondé le Groupe de la Révolution culturelle, sous la direction de Jiang Qing et de Chen Boda. Le 17 février 1967, il s'ensuit un échange verbal

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particulièrement cinglant entre des membres de ce groupe et un groupe de vétérans révolutionnaires sous la direction de Li Xiannian et du maréchal Ye Jianying. À un moment donné, ce dernier lance sarcastiquement à Chen Boda : " Non, c'est vrai, nous ne connaissons pas les principes communistes. Dites-les-nous donc. Par exemple : peut-on faire une révolution sans la direction du parti 79 ? " Après cette prise de bec, les réunions du Bureau politique seront tout simplement supprimées. La direction effective du parti est désormais dans les mains du Groupe de la Révolution culturelle qui, pourtant, n'a aucun mandat ni du Comité central ni du Congrès du parti. Le Groupe de la Révolution culturelle développe une ligne qui, sous bien des aspects, ressemble à l'idéologie du Mouvement pour la nouvelle culture de la période 1915-1919. Le premier président du Parti communiste vient de ce mouvement. Déjà à l'époque, ses militants appelaient à une révolution culturelle. Dans leur iconoclasme, ils exigeaient le rejet de tout ce qui émanait de la culture chinoise traditionnelle parce que, d'après eux, cette culture était un frein au progrès. Ils estimaient que le changement révolutionnaire culturel et intellectuel était la condition essentielle au progrès socio-économique. Ils étaient convaincus que l'histoire était déterminée par ce que pensaient les gens et que cette pensée était formée par des mouvements révolutionnaires tels que des révolutions culturelles. Entre 1966 et 1976, c'est également cela qui constitue le noyau central de la Révolution culturelle : ce sont les idées qui déterminent le cours de l'histoire. Tous les quinze ou vingt ans, des révolutions culturelles récurrentes doivent balayer les vieilles idées et créer de nouvelles idées révolutionnaires. Lénine avait une tout autre vision de cela. Il croyait que les communistes devaient utiliser du passé tout ce qui était correct. Le socialisme, disait-il, ne peut être construit sans s'appuyer sur ce qu'il y a eu de bon et de correct dans le passé. Une belle expression de lui dit : " Le passé, c'est la pâte que l'on pétrit aujourd'hui pour faire le pain de demain. ". Lénine estimait également que le développement de la culture d'un peuple dépendait en première instance du développement matériel, car, sans base matérielle, aucune civilisation supérieure n'était possible. C'est pourquoi Lénine disait que plus un pays était arriéré, plus il serait malaisé d'y construire le socialisme. En 1961-1962, Mao rédige une critique de l'ouvrage Économie politique des communistes soviétiques. Il écrit : " Lénine dit : "Plus un pays est arriéré, plus il est difficile de passer du capitalisme au socialisme." Cela ne semble pas correct aujourd'hui. Aujourd'hui, ce passage est moins difficile à mesure que l'économie est plus arriérée ; plus elle est arriérée, plus les gens veulent la révolution 80. " L'arriération deviendrait ainsi un atout. Mao défend la même idée à la veille du Grand bond en avant. En 1958, il décrit le peuple chinois comme une feuille de papier blanc : " Les 600 millions d'habitants de la Chine ont deux particularités remarquables : ils sont avant tout pauvres et en second lieu blancs. Cela semble une mauvaise chose mais, en réalité, c'est une bonne chose. Les gens pauvres veulent le changement, ils veulent faire des choses, ils veulent la révolution. Il n'y a pas de taches sur une toute nouvelle feuille de papier blanc. Les mots les plus neufs et les plus beaux peuvent y être écrits et on peut y faire les dessins les plus neufs et les plus beaux 81. " Partant de là, il est logique qu'à partir de cette période, Mao Zedong va estimer que le spontanéisme des masses peut changer leurs propres idées et le monde dans sa totalité. Ici, nous sommes très éloignés de l'opinion de Lénine qui disait que le socialisme ne peut être le résultat de la seule et unique volonté des masses, mais que sa condition de base réside dans un mode de production très avancé. Lénine disait également- et c'est différent de ce que Mao dira après 1957 - que les masses ne pouvaient venir d'elles-mêmes au socialisme scientifique, mais que le socialisme scientifique devait leur être apporté, car il s'agissait d'une science et d'une expérience accumulée et théorisée. Notes22 Liu Suinian et Wu Qungan, " Ébauche d'une histoire de l'économie socialiste en Chine ", Beijing Information, Beijing, 1984, pp. 8-9.

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23 He Kang, China's Township and Village Enterprises, Foreign Languages Press, Beijing, 2006, pp. 9-10.24 Liu Suinian et Wu Qungan, op. cit., p. 10.25 Angus Maddison, Chinese Economic Performance in the Long Run, OECD-OCDE, Development Center Studies, Paris, 1998, pp. 39-41.26 Hu Sheng, op. cit., p. 436.27 Carl Riskin, China's Political Economy - The Quest for Development since 1949, Oxford University Press, New York, 1996, p. 51.28 Angus Maddison, op. cit., p. 33.29 Albert Feuerwerker, Economic Trends in the Republic of China, 1912-1949, Center for Chinese Studies, University of Michigan, Ann Arbor, 1977, p. 55.30 Liu Suinian et Wu Qungan, op. cit., p. 13.31 Carl Riskin, op. cit., p. 33.32 Maurice Meisner, Mao's China and after - A History of the People's Republic, The Free Press, New York, 1986, p. 86.33 Liu Suinian et Wu Qungan, op. cit., p. 14.34 Mao Zedong, " Du gouvernement de coalition " (avril 1945), OEuvres choisies, tome 3, Éditions en langues étrangères, Beijing, 1968, pp. 246-247.35 Mao Zedong, " La situation actuelle et nos tâches ", OEuvres choisies, tome 4, Éditions en langues étrangères, Beijing, 1969, pp. 172-174.36 Mao Zedong, " De la dictature démocratique populaire " (juin 1949), OEuvres choisies, tome 4, Éditions en langues étrangères, Beijing 1969, pp. 440-441.37 Ibidem, pp. 438-439.38 Hu Sheng, op. cit., p. 436.39 Mao Zedong, " Sur le problème de la coopération agricole " (juillet 1955), OEuvres choisies, tome 5, Éditions en langues étrangères, Beijing 1969, p. 196.40 Mao Zedong, " Discours à une conférence de travail élargie convoquée par le Comité central du Parti communiste chinois " (30 janvier 1962), Beijing Information, no 27, 10 juillet 1978, pp. 16-18.41 John Gittings, The Changing Face of China - From Mao to Market, Oxford University Press, Oxford-New York, 2005, pp. 24-25.42 Carl Riskin, op. cit., p. 55.43 Ibidem, p. 53.44 Staline, " Die ersten Ergebnisse der Beschaffungskampagne und die weiteren Aufgaben der Partei " (13 février 1928), Werke, Dietz Verlag, Berlin, 1954, Band 11, p. 14.45 Staline, " Über das Programm der Komintern " (5 juillet 1928), Werke, Dietz Verlag, Berlin, 1954, Band 11, pp. 129-130.46 Carl Riskin, op. cit., pp. 51 et 66-67.47 Mao Zedong, " On the Cooperativization of Agriculture " (31 juillet 1955), dans Chao Kuochün, Agrarian Policies of Mainland China - A Documentary Study (1949-1956), Harvard University Press, Cambridge, 1957, pp. 85-86.48 Carl Riskin, op. cit., p. 62.49 Maurice Meisner, op. cit., pp. 135-136.50 Mao Zedong, " Opinion On The Free Supply System ", 1960, dans : Long Live Mao Zedong Thought, A Red Guard Publication, Beijing, 1969.51 Friedrich Engels, M. E. Dühring bouleverse la science (Anti-Dühring), t. 3, Alfred Costes, Paris, 1946, p. 44.52 Harry S. Truman, Memoires 1945-1953, Elsevier, Amsterdam-Bruxelles, 1956, tome 2, p. 382.53 Liu Suinian et Wu Qungan, op. cit., pp. 143-146.54 Mao Zedong, " Sur le problème de la coopération agricole " (31 juillet 1955), OEuvres choisies, tome 5, Éditions en langues étrangères, Beijing, 1977, p. 216.55 Liu Suinian et Wu Qungan, op. cit., p. 146.56 Hu Sheng, op. cit., p. 487.57 Chen Yun, " Nouveaux défis ", Textes choisis, tome 3, Éditions en langues étrangères, Beijing, 1998, p. 16.58 Ibidem, p. 21.59 " How to treat Individual Handicrafts Households ", People's Daily, 21 décembre 1956.60 Hu Sheng, op. cit., p. 538.61 " Résolution sur le rapport politique adoptée le 27 septembre 1956 par le 8e Congrès national du Parti communiste chinois ", Recueil de documents, numéro spécial des Cahiers du communisme, Paris, 1956, p. 214.62 Hu Sheng, op. cit., p. 554.63 Mao Zedong, " Speech at the Moscow Meeting ", Mao Zedong's Manuscripts since the Founding of the PRC, volume 6, Central Party Literature Publishing House, Beijing, 1992, p. 635.64 Mao Zedong, " Introduction to a Cooperative ", Mao Zedong's Manuscripts since the

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Founding of the PRC, volume 7, Central Party Literature Publishing House, Beijing, 1992,p. 179.65 Cité dans : Bo Yibo, Review of Some Important Decisions and Events, volume 2, The Central Party School Publishing House, Beijing, 1993, p. 702.66 Angus Maddison, op. cit., tableaux 2.1, 2.2.a et 2.2.b, p. 40.67 Hu Sheng, op. cit., p. 563.68 Maurice Meisner, Mao's China and after, op. cit., pp. 233 et 236.69 Liu Suinian et Wu Qungan, op. cit., p. 296 ; et Hu Sheng, op. cit., pp. 590-591.70 Hu Sheng, op. cit., p. 591.71 He Kang, op. cit., pp. 33-34.72 Introduction de Mao Zedong à l'article de Li Yi-chun, " Opportunism is falling, Socialism is on the Rise ", dans : Socialist Upsurge in China's Countryside, Foreign Languages Press, Beijing, 1957, p. 159.73 Mao Zedong, " Comment on a Report on Secretary Chang Kai-fan' giving Orders to abolish Mess-halls in Wu-Wei County ", 10 août 1959, dans : Long Live Mao Zedong Thought, A Red Guard Publication, Beijing, 1969.74 Hu Sheng, op. cit., p. 586.75 Mao Zedong, " The Origin of Machine-guns and Mortars and Others ", 16 août 1959, cité dans : Hu Sheng, op. cit., p. 587.76 Cité dans Hu Sheng, op. cit., p. 662.77 The Great Proletarian Cultural Revolution, Foreign Languages Press, Beijing, 1970,pp. 128-130 et 141.78 John Gittings, op. cit., p. 55.79 Ibidem.80 Mao Zedong, " Reading Notes On The Soviet Text Political Economy " (1961-1962), dans : Long Live Mao Zedong Thought, A Red Guard Publication, point 14.81 Mao Zedong dans un article du Drapeau Rouge, 1er juin 1958, pp. 3-4, traduit dans Peking Review, 10 juin 1958.

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3. Les réformes

Malgré le Grand bond en avant et la Révolution culturelle, la première période de la construction du socialisme (1952-1978) est positive, dans l'ensemble. Deux importantes réalisations se distinguent : le développement de l'industrie lourde et la croissance spectaculaire du secteur de la santé et de l'enseignement.La base de toute grande économie indépendante est son industrie lourde. Celle-ci est pratiquement inexistante encore, dans la Chine de 1952. Le pays n'a d'autre choix que de concentrer ses moyens, limités en capitaux, dans la mise en place de son industrie lourde sans laquelle aucune industrialisation globale n'est possible. Sans industrialisation, un pays agricole ne peut sortir de son sous-développement ni transférer les forces moins productives de l'agriculture vers l'industrie ni non plus mécaniser l'agriculture elle-même. Ce qui surprend, c'est la façon dont la Chine, en un laps de temps relativement limité, va parvenir à franchir un pas important dans cette voie : en 1952, la production industrielle ne représente encore qu'un sixième en valeur de ce que produit l'agriculture ; en 1978, le produit de l'industrie dépasse déjà celui de l'agriculture 82. En 1976, la production houillère chinoise est 8,4 fois plus élevée qu'en 1952, la production d'électricité 40 fois plus élevée et celle de l'acier 17 fois 83. Dans son ensemble, entre 1952 et 1976, la production industrielle croît en moyenne de 11,2 pour cent par an, et la croissance la plus forte se manifeste dans l'industrie lourde 84. Une comparaison entre la Chine et l'Inde montre la rapidité de la progression chinoise. Le tableau suivant nous permet de voir le rapport entre les deux pays en 1952, puis en 1970, pour un certain nombre de produits 85.TABLEAU 1. LE DÉVELOPPEMENT INDUSTRIEL DE LA CHINE ET DE L'INDE Produit Chine% de l'Inde en 1952 Chine% de l'Inde en 1970Houille 193 458Pétrole 128 450Électricité 122 193Acier 67 191Minerai de fer 110 236En 1952, la production de charbon de la Chine représente 193 pour cent de celle de l'Inde, soit près du double. En 1970, elle est déjà 4,5 fois plus importante. Durant la même période, la production chinoise de pétrole passe de 128 à 450 pour cent de celle de l'Inde. En 1978, dans les campagnes, on assiste également à un début d'industrialisation : de petites entreprises industrielles y embauchent 28 millions de paysans qui, auparavant, étaient actifs au travail des champs. Lors du Grand bond en avant et de la Révolution culturelle, cette forme d'industrialisation doit se heurter au courant d'extrême gauche du parti qui prétend qu'elle sort du cadre de l'économie planifiée et qu'il convient donc de la proscrire. Au cours de ces deux périodes, écrira plus tard le ministre de l'Agriculture He Kang, les fautes idéologiques freinent le développement des campagnes 86. N'empêche que cette forme d'industrialisation est quand même lancée en 1978. Dans les années 1980, ces petites entreprises industrielles deviendront le moteur du développement économique dans les campagnes. Le nombre de paysans qui y

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trouvent du travail passe de 28 millions en 1978 à 80 millions en 1986 et, enfin, à 139 millions en 2004 87.Outre l'industrialisation, la période 1952-1978 voit la Chine effectuer une seconde percée encore : cette fois, sur le plan de l'enseignement et des soins de santé. Au cours de la première moitié de la Révolution culturelle, la plupart des universités sont à l'arrêt, mais la période 1952-1978 est dans l'ensemble très positive pour l'enseignement. En 1980, on compte 3,7 fois plus d'écoliers et d'étudiants qu'en 1952 88. Le nombre de scientifiques et de techniciens est d'à peu près un demi-million, en 1952. En 1977, il est déjà de 5 millions 89. Deux tiers de la population ne sont plus analphabètes à cette date 90. La plupart des maladies contagieuses sont éradiquées en 1978. L'espérance de vie du Chinois moyen passe de 35 ans en 1949 à 50 ans en 1957 et à 65 ans en 1980 91.

Zones d'ombre et goulets d'étranglement

Le choix " l'industrie lourde d'abord " s'inscrit dans une stratégie de développement qui défend les priorités suivantes : investir est plus important que consommer, l'industrie est plus importante que l'agriculture, l'industrie lourde est plus importante que l'industrie légère, la production est plus importante que l'infrastructure, l'enseignement (surtout technique et professionnel) est plus important que le logement. Ce modèle est sans doute le plus correct dans la période 1952-1978, mais il présente de graves désavantages inhérents. Son choix va en outre de pair avec une application unilatérale de l'économie planifiée, sans espace suffisant pour l'économie individuelle, l'économie capitaliste et les investissements en provenance de l'étranger. C'est contre cet unilatéralisme qu'entre autres le vice-président du parti Chen Yun allait mener la lutte, la plupart du temps en vain. " L'industrie lourde d'abord " et l'économie planifiée posent les bases de la construction économique, mais soulèvent en même temps des problèmes qui, en 1978, vont aboutir à la conclusion qu'il est temps d'aborder une nouvelle politique économique. Un premier problème grave se pose sur le plan de la prospérité. Les investissements dans l'industrie lourde requièrent beaucoup de capitaux et se font au détriment, entre autres, de la consommation privée. En 1978, la constitution du capital brut dans l'industrie est déjà treize fois plus élevée qu'en 1952, mais la consommation ménagère globale n'a encore été multipliée que par trois. Entre 1950 et 1978, la population passe de 550 à 962 millions d'individus. La richesse produite doit être répartie entre bien plus de gens : entre 1952 et 1978, la consommation par ménage n'augmente que de 2,3 pour cent en moyenne par an 92. En Allemagne, au Japon, aux États-Unis, au Canada, cette croissance est deux fois plus élevée. Durant cette période, la Chine ne parvient pas à réduire le fossé qui la sépare de la plupart des pays capitalistes sur le plan du revenu moyen ; au contraire, ce fossé s'élargit. Second problème, l'agriculture. Le financement de l'industrie lourde se fait aussi au détriment de l'agriculture : les paysans reçoivent des prix relativement bas pour leurs produits et doivent payer des prix relativement élevés pour ce qu'ils achètent à l'industrie. Le paysan doit également se débrouiller sans guère de soutien de l' État, sans grandes possibilités de mécanisation et de développement des semences améliorées et des pesticides. Entre 1952 et 1978, la production agricole croît en moyenne de 2,5 pour cent par an alors que la croissance moyenne annuelle de l'industrie est de 11,2 pour cent. En outre, le nombre de paysans ne diminue pas, mais s'accroît, ce qui fait que la production agricole par paysan connaît plus ou moins le statu quo 93. En 1978, la production alimentaire est toujours loin derrière la moyenne mondiale. Par habitant, la Chine ne produit que 73 pour cent de la moyenne mondiale pour les céréales, 16 pour cent pour les plantes oléagineuses, 9 pour cent pour le sucre, 41 pour cent pour la viande. De ce fait, après 30 années de révolution, la Chine fait toujours partie des pays

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les plus pauvres. Le faible niveau de consommation de nourriture reste en 1978 le signe le plus clair de l'important retard économique et de l'absence d'équilibre économique 94.Un troisième problème grave, c'est la régression du secteur commercial et du secteur de la restauration. Le Grand bond en avant et la Révolution culturelle se sont opposés au développement de ces secteurs, surtout individuels à cette époque. La conception rigide de l'économie planifiée voulait également que le petit commerce et le secteur des cafés et restaurants fussent aux mains de l' État. En 1952, on compte un petit commerçant pour 81 personnes. En 1978, un pour 214. En 1952, il y a un restaurant pour 676 personnes. En 1978, un pour 8 189. Normalement, quand un pays agricole en vient à se développer, la part de l'agriculture dans le produit national brut baisse au profit de l'industrie et des services. Durant la période 1952-1978, par contre, la part du secteur chinois des services baisse, passant de 29 à 24 pour cent du produit national brut. En 1978, l'emploi dans le secteur des services ne représente que 12 pour cent de l'emploi total (contre 33 pour cent en 2007). Entre 1952 et 1978, la population laborieuse passe de 207 à 398 millions d'unités. Si le secteur des services avait pu se développer, il aurait été en mesure d'absorber une part importante de cette augmentation. En lieu et place, deux tiers de cette main-d'œuvre supplémentaire vont à l'agriculture qui, en 1978, compte 70 pour cent de bras de plus qu'en 1952. Conséquence : une hausse très limitée de la rentabilité dans l'agriculture, un important chômage ou sous-emploi caché dans les campagnes, une urbanisation faible. Quatrième problème important en 1978 : le faible développement de l'industrie légère. À partir des années 1960, la croissance industrielle globale commence à baisser. Voici l'évolution de la croissance annuelle moyenne :TABLEAU 2. L'ÉVOLUTION DE LA CROISSANCE ANNUELLE MOYENNE DE L'INDUSTRIE (EN %) Période 1952-1979 Croissance moyenneen %1952-1957 + 17,01952-1976 + 11,21957-1976 + 9,51970-1979 + 8,0Période 2003-20062003 + 12,12004 + 11,52005 + 11,62006 + 12,5Le taux de croissance en baisse durant la période d'avant 1978 montre la limite de la priorité (unilatérale) accordée à l'industrie lourde. À deux reprises, cette dernière s'est cogné la tête au plafond : l'agriculture ne peut continuer à supporter le financement de l'industrie lourde et

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l'industrie légère ne peut faire croître l'industrie lourde parce qu'elle n'est pas suffisamment développée. Dans cette phase de développement économique, le développement de l'industrie légère pourrait progresser le plus rapidement si les forces de la société désireuses de prendre l'initiative sur ce terrain le pouvaient vraiment. Mais c'est rarement le cas dans la période 1957-1978.Pour la plupart des cadres supérieurs du parti, tout cela indique clairement la nécessité d'une nouvelle approche économique, à la fin des années 1970, même s'ils reconnaissent que les réformes qu'ils entendent lancer désormais et qui propulsent le pays avec force, seraient impossibles s'il n'y avait eu la période précédente, celle allant de 1952 à 1978. À ce propos, le Comité central écrit : " La base matérielle et technique qui nous permet actuellement d'entreprendre la modernisation du pays a été, dans une très grande mesure, établie durant cette période. Cela constitue l'aspect prédominant du travail accompli par notre Parti dans la période en question 95. "

Les conditions du socialisme économique

Marx et Engels croyaient que le socialisme allait d'abord venir à bout du capitalisme dans les pays industriels les plus avancés, comme l' Angleterre, la France, l'Allemagne. Une opinion très logique, car la société évolue d'un stade inférieur vers un stade toujours plus élevé, dans un processus où toute organisation de la société est née de la précédente et où toute organisation a un rôle historique à remplir. Quand ce rôle historique a été rempli, la raison d'existence de cette organisation de la société tombe et, par nécessité économique, elle est détruite par une forme supérieure d'organisation. Le rôle historique du capitalisme consiste à socialiser l'organisation du travail et, ainsi, à remodeler les individus isolés en êtres sociaux ; à amener les forces productives à une croissance encore jamais vue et à transformer l'économie agraire en une économie industrielle ; à développer la science et la technique de telle façon que la nature ne soit plus impénétrable et sujette à l'idolâtrie, mais qu'elle se mue en un instrument de progrès social et d'émancipation idéologique ; à réduire le temps de travail nécessaire pour la production des moyens de subsistance en augmentant la productivité du travail, de manière à créer la possibilité de produire en abondance d'autres marchandises et de développer la culture générale. En un mot, le capitalisme doit créer les conditions qui rendront possible le socialisme.En 1917, les communistes russes sous la direction de Lénine ont forcé l'histoire. En 1949, les communistes chinois sous la direction de Mao Zedong ont fait la même chose. Dans les deux cas, le capitalisme était loin d'avoir rempli son rôle historique. Les communistes russes et chinois devaient-ils pour autant renoncer au socialisme ? Devaient ils ne pas faire la révolution dans leur société agraire arriérée et plutôt laisser le capitalisme se développer pleinement dans son cadre naturel, celui de l' État capitaliste et de l'économie capitaliste dans son ensemble ? Non, bien sûr que non, mais cela rendit toutefois leur tâche particulièrement difficile après la victoire de la révolution.Karl Marx écrit : " Si donc le prolétariat renverse la domination politique de la bourgeoisie, son triomphe ne sera que passager, ne sera qu’un facteur au service de la révolution bourgeoise elle-même, tout comme en l’an 1794, tant que, dans le cours de l’histoire, dans son « mouvement », ne sont pas créées les conditions matérielles qui rendent nécessaire l’abolition du mode de production bourgeois et, par conséquent, la chute définitive de la domination politique bourgeoise. (…) Au cours de leur évolution, (les hommes) doivent d’abord produire eux-mêmes les conditions matérielles d’une nouvelle société, et nul effort de l’esprit ou de la volonté ne peut les libérer de cette destinée96. "La vision marxiste de l'histoire remet à leur place les utopistes qui croient que le socialisme et

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le communisme naissent du néant et que les rapports de production peuvent être choisis à leur guise et selon leurs propres convictions idéologiques. Friedrich Engels écrit : " Toute transformation de l'ordre social, tout changement dans les rapports de propriété sont la conséquence nécessaire de l'apparition de nouvelles forces productives ne correspondant plus aux anciens rapports de propriété. La propriété privée elle-même est apparue de cette façon. Car la propriété privée n'a pas toujours existé. Lorsque, à la fin du moyen âge, un nouveau mode de production est apparu avec la manufacture, mode de production en contradiction avec la propriété féodale et corporative de l'époque, cette production manufacturière, ne correspondant plus aux anciens rapports de propriété, donna naissance à une nouvelle forme de propriété : la propriété privée. En effet, pour la manufacture et pour la première période du développement de la grande industrie, il n'y avait pas d'autre forme de propriété possible que la propriété privée, pas d'autre forme de société possible que la société basée sur la propriété privée. [...] La société du moyen âge, qui repose sur la culture de la terre, nous donne le seigneur féodal et le serf ; les villes de la fin du moyen âge nous donnent le maître-artisan, le compagnon et le journalier ; le dix-septième siècle, le propriétaire de la manufacture et l'ouvrier ; le dix-neuvième siècle, le grand industriel et le prolétaire. Il est clair que jusqu'à présent, les forces productives n'étaient pas suffisamment développées pour produire assez pour tous et pour que la propriété privée soit devenue un poids, un obstacle à leur développement 97. "Sur base de l'analyse marxiste de l'évolution de la société, qui est en premier lieu l'évolution du mode de production, des forces productives et des rapports de production, les marxistes chinois développent, au début des années 1980, la théorie de " la première phase du socialisme 98". La caractéristique principale de cette phase est le sous-développement de la société, conséquence du faible degré de développement des forces productives et de leur faible productivité. C'est pourquoi les communistes chinois considèrent que leur tâche la plus importante consiste à développer au maximum les forces de production. Deng Xiaoping disait : " La société socialiste constitue la première phase du communisme ; la période historique qu'elle représente peut durer très longtemps. Sa tâche primordiale est de développer les forces productives pour élever graduellement le niveau de vie matérielle et culturelle du peuple. L'expérience faite entre 1958 et 1978 nous apprend que la pauvreté, ce n'est pas du socialisme : ce système veut, au contraire, la faire disparaître. Ne pas développer les forces productives et ne pas améliorer les conditions d'existence du peuple, ce n'est en aucune manière répondre aux exigences du socialisme 99. "Le sous-développement existant des forces productives implique que le rôle historique de la propriété privée tel qu'il est décrit ci-dessus par Engels et Marx n'a pas encore été rempli. En d'autres termes : la supériorité des rapports économiques socialistes constitue, au moment où la Chine met en marche les réformes, une fiction dans de nombreux secteurs de l'économie ; beaucoup de forces productives croissent plus rapidement sous d'autres formes de propriété que sous les formes socialistes, où les moyens de production sont aux mains de l' État ou de la communauté. Ce que Marx et Engels décrivent en théorie est visible dans la réalité chinoise. En 1983, Du Runsheng, secrétaire général de la section Agriculture du Parti communiste chinois, constate : " Certaines personnes commettent une erreur en pensant que le système de la propriété collective et de la répartition du travail est supérieur à l'économie individuelle, même sans le moindre progrès technologique. En réalité, ce n'est absolument pas le cas 100. "Durant l'été 1961, le vice-président du parti, Chen Yun, passe deux mois dans les campagnes. Il y fait, entre autres, une enquête sur la façon dont on organise l'élevage des porcs, et des truies en particulier. Après la culture des champs, l'élevage des porcs constitue la principale branche de l'agriculture et il est donc d'une importance cruciale pour l'économie. Après son enquête, Chen Yun rédige deux rapports à l'adresse du Bureau politique. Voici ce qu'il dit

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dans l'introduction du premier rapport : " Nous sommes arrivés à la conclusion qu'il est plus rentable de confier l'élevage des truies aux particuliers qu'aux collectivités : les portées des truies sont plus nombreuses et le taux de survie des petits est plus élevé 101. " Ensuite, il décrit comment une truie, élevée dans une commune, met bas en moyenne 4,5 porcelets par an. Chez un paysan privé, elle en met bas 14 par an. De ces porcelets, dans une commune, il en meurt jusqu'à 90 pour cent, contre 6 pour cent seulement chez le paysan privé. Chen Yun a demandé aux paysans les raisons de ces différences énormes. Les paysans lui ont cité les six raisons que voici :L'éleveur privé donne une meilleure nourriture à ses bêtes. La composition de la ration alimentaire des truies et des cochons de lait dépend de leur âge et de leurs besoins. Tantôt on leur donne surtout des fourrages à haute valeur nutritive, tantôt des fourrages verts ; parfois on ne mêle pratiquement pas d'eau au fourrage, parfois on leur sert une espèce de bouillie. On observe les truies et les cochons de lait pendant leurs repas, pour savoir quels sont les aliments qui leur plaisent et déceler éventuellement des maladies en cas de perte d'appétit. Les élevages collectifs leur servent la même pâtée standard, en y mêlant une quantité invariable d'eau, sans s'inquiéter le moins du monde de savoir si les animaux la trouvent à leur goût.

• L'éleveur privé veille à la propreté et au confort des porcheries, en répandant de l'herbe verte sur le sol de sorte que les truies et les cochons de lait ont toujours la peau propre et ne risquent pas d'attraper des maladies. Quand c'est une collectivité qui élève des truies, personne ne pense à couper de l'herbe verte, on se contente de répandre un peu de paille de riz sur le sol. L'étable étant constamment humide, les truies et les cochons de lait pataugent dans une espèce de boue et attrapent facilement des maladies. • L'éleveur privé tâche de protéger les truies durant leur période de gestation en veillant particulièrement à leur éviter toute frayeur. Certains paysans prennent des mesures pour que les animaux ne soient pas effrayés par le grondement du tonnerre ou le crépitement de pétards (une habitude en Chine : chaque fête, grande ou petite, est l'occasion de produire un vacarme infernal). Quand ils ont à ramasser le fumier accumulé dans la porcherie, ils en évacuent d'abord les truies afin de ne pas leur faire peur au cours de l'opération.• L'éleveur privé assiste à l'accouchement. Quand une truie est sur le point de mettre bas, le paysan couche près de la porcherie pour être à même d'intervenir au moment de la délivrance, et il veille à ce que la truie n'écrase pas les petits sous son poids. • L'éleveur privé protège les cochons de lait. On prend particulièrement soin des derniers-nés d'une cochonnée parce qu'ils sont les plus faibles. On les place près de la troisième paire de mamelons, celle qui donne le plus de lait. Grâce à ces précautions, les cochons de lait prennent l'habitude de toujours téter le même mamelon, ce qui leur assure un rythme de croissance à peu près égal.• L'éleveur privé veille à rafraîchir la porcherie en été, et à la chauffer en hiver. En été, on jonche de plantes aquatiques le sol de la porcherie, de sorte que les truies ont une litière plus fraîche. En hiver, on répand de la paille sèche dans les étables couvertes et de dimension réduite, ce qui permet de maintenir plus longtemps la chaleur. Par contre, dans les porcheries collectives qui occupent des surfaces plus grandes, il fait froid en hiver et les cochons de lait se réfugient dans le tas de paille ou sous le ventre de la truie, risquant ainsi d'être écrasés par celle-ci.

Voilà pour les six raisons données à Chen Yun par les paysans. Le vice-président du parti a encore découvert quatre autres raisons, qu'il cite également dans son rapport et que voici :

• L'éleveur privé ne lésine pas sur le fourrage. Actuellement, comme il est 38

impossible de nourrir les porcs uniquement avec des fourrages de haute valeur nutritive, on sert aux animaux un mélange comprenant une quantité assez importante de fourrage vert. Or il se trouve que l'éleveur privé est capable de s'en procurer en plus grande quantité parce qu'il n'hésite pas à aller couper de l'herbe ou à repêcher des plantes aquatiques à ses moments perdus, quand il ne confie pas cette tâche à des membres de sa famille. Les herbes tendres sont données à manger aux bêtes, tandis que celles qui sont trop coriaces servent à couvrir le plancher des porcheries. Lorsqu'on annonça dans la commune populaire de Xiaozheng la décision de permettre aux paysans d'élever pour leur propre compte cochonnets, porcs de boucherie et truies, on vit le soir même et le lendemain beaucoup d'entre eux aller récolter des plantes aquatiques ou couper de l'herbe qu'ils séchèrent en prévision de l'hiver. Il apparaît que pour une quantité égale de fourrage de haute valeur nutritive fournie par l' État, l'éleveur privé donne à ses porcs une nourriture plus abondante et de meilleure qualité que les éleveurs collectifs. • Les porcs élevés par des particuliers grossissent plus vite parce qu'ils mangent mieux et couchent dans de meilleures conditions. Un porc de boucherie voit son poids augmenter d'une livre (un demi-kilo) en moyenne par jour. Par contre, les porcs élevés par des collectivités prennent seulement cinq à six livres en moyenne par mois. • L'élevage privé des porcs produit davantage d'engrais. Comme l'éleveur privé répand une grande quantité d'herbe verte sur le sol de sa porcherie, il obtient une importante quantité d'engrais d'excellente qualité. Dans les collectivités, on se contente d'éparpiller un peu de paille de riz sur le plancher des étables. La quantité d'engrais obtenue est moindre et de qualité inférieure. Les truies élevées par des particuliers produisent en moyenne environ dix tonnes d'engrais par an et par tête, tandis que celles élevées par des collectivités n'en produisent que cinq à six tonnes dont la qualité laisse, d'ailleurs, beaucoup à désirer. • L'élevage privé des porcs permet de réaliser des économies de paille de riz. Chaque porc élevé par une collectivité nécessite journellement un minimum de deux livres de paille de riz, qui sert soit de combustible pour la cuisson des fourrages, soit de litière, ce qui donne un total de 350 kilos de paille de riz annuellement, c'est-à-dire une quantité supérieure à celle que produit un mu de riz (environ 300 à 350 kilos). L'éleveur privé prépare la pâtée de ses porcs sur le feu familial et utilise de l'herbe fraîche comme litière : il consomme donc moins de paille de riz.

Chen Yun conclut : " On comprend maintenant pourquoi l'éleveur privé peut réaliser des bénéfices alors que les porcheries collectives sont perpétuellement dans le rouge. Dans la commune de Xiaozheng, le cheptel porcin s'élevait en 1957 à environ 16 000 têtes, mais, en 1960, quand l'élevage des truies a été confié aux seules collectivités, celui-ci est tombé à 5 600 têtes, soit une diminution des deux tiers environ. Selon les statistiques établies vers la fin de juin dernier, les 909 truies élevées par des collectivités dans la commune n'ont, avec elles, que 1 234 cochons de lait 102. "Les résultats de ce genre d'enquête et des expérimentations qui ont eu lieu durant le Grand bond en avant et la Révolution culturelle aboutissent à la conclusion que c'est de la situation spécifique du moment que dépend la forme de propriété qui sera le plus à même de faire progresser les forces productives. Des expériences ultérieures prouveront encore maintes fois que, dans une économie qui n'est pas encore hautement développée, l'exploitation privée est souvent plus efficace et plus productive que l'exploitation collective. On est de nouveau

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renvoyé à Marx disant : " Une formation sociale ne disparaît jamais avant que soient développées toutes les forces productives qu'elle est assez large pour contenir, jamais des rapports de production nouveaux et supérieurs ne s'y substituent avant que les conditions d'existence matérielles de ces rapports soient écloses dans le sein même de la vieille société 103. "Sous les conditions du socialisme dans un pays sous-développé, cela signifie que l'exploitation privée doit favoriser le développement socialiste ou, en d'autres termes, que le capitalisme doit travailler au service du socialisme. Comme l'écrivait Mao Zedong en 1957 : " Dans notre pays, les contradictions entre la classe ouvrière et la bourgeoisie nationale sont de celles qui se manifestent au sein du peuple. La lutte entre ces deux classes relève en général du domaine de la lutte de classes au sein du peuple, car, en Chine, la bourgeoisie nationale revêt un double caractère. [...] Dans la période de la révolution socialiste, elle exploite la classe ouvrière et en tire des profits, mais en même temps, elle soutient la Constitution et se montre disposée à accepter la transformation socialiste. [...] Les contradictions qui l'opposent à la classe ouvrière sont des contradictions entre exploiteurs et exploités ; elles sont certes de nature antagoniste. Cependant, dans les conditions concrètes de notre pays, ces contradictions peuvent se transformer en contradictions non antagonistes et recevoir une solution pacifique si elles sont traitées de façon judicieuse. Si les contradictions entre la classe ouvrière et la bourgeoisie nationale ne sont pas réglées correctement, c'est-à-dire si nous ne pratiquons pas à l'égard de celle-ci une politique d'union, de critique et d'éducation, ou si la bourgeoisie nationale n'accepte pas une telle politique, elles peuvent devenir des contradictions entre nous et nos ennemis104. "

L'émancipation de l'esprit

En 1978, la recherche d'un modèle de développement économique sous des rapports globalement socialistes est en corrélation étroite avec la nécessité de rompre avec le dogmatisme que la pensée puise dans ce qui fut un jour dit et écrit par les mentors de la classe ouvrière. Durant la période située entre le décès de Mao Zedong, en septembre 1976, et le début des réformes, en décembre 1978, il y a au sein du Parti communiste chinois un débat autour du slogan du président du parti à l'époque, Hua Guofeng : " Quelles que soient les décisions politiques que Mao Zedong eût prises, celles-ci devaient être respectées ; quelles que soient les instructions qu'il eût données, celles-ci devaient être suivies de façon inébranlable 105. " Ces deux " quelles que soient " veulent susciter un profond respect à l'égard du rôle historique et de l'autorité de Mao Zedong. En réalité, cette théorie sape l'héritage de Mao Zedong. L'élément clé dans la pensée de Mao Zedong est en effet la recherche de la vérité dans les faits. Inlassablement, Mao n'a cessé de répéter : " D'où viennent les idées justes? Tombent-elles du ciel ? Non. Sont-elles innées ? Non. Elles ne peuvent venir que de la pratique sociale 106. " Et encore : " La théorie matérialiste dialectique de la connaissance met la pratique à la première place ; elle estime que la connaissance humaine ne peut, en aucune manière, être coupée de la pratique et rejette toutes ces théories erronées qui nient l'importance de la pratique et coupent la connaissance de la pratique. Lénine a dit : "La pratique est supérieure à la connaissance (théorique), car elle a la dignité non seulement du général, mais aussi du réel immédiat"107. "Les deux " quelles que soient " de Hua Guofeng nient la nécessité de se livrer soi-même à un travail d'analyse, d'étudier soi-même la pratique et les conditions qui changent en permanence. Les deux " quelles que soient " ne considèrent pas le marxisme et le socialisme comme une science, mais comme un dogme. En décembre 1978, le vice-président du parti, Deng Xiaoping, tient un discours dans lequel il dit :" Rechercher la vérité dans les faits est le fondement de la conception prolétarienne du monde et la base idéologique du marxisme. C'est

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à ce principe que nous devons toutes nos victoires dans les révolutions du passé. Lorsqu'on examine un problème ou qu'on entreprend une tâche, on doit suivre le même principe, libérer son esprit et faire travailler son cerveau ; c'est nécessaire non seulement pour le Comité central et les comités du parti de province, de préfecture, de district ou de commune populaire, mais aussi pour chaque usine, chaque organisme, chaque école, chaque magasin ou chaque équipe de production agricole. Pour faire la révolution comme pour édifier le pays, il faut un grand nombre de pionniers qui osent réfléchir, explorer et créer 108. " Rester fidèle à la pensée de Mao Zedong ne signifie pas, déclare Deng, se cramponner à des citations ou à des paragraphes, mais essayer de comprendre et d'appliquer la méthode et le système d'analyse de Mao.Ce qui vaut pour la pensée de Mao Zedong, vaut dans la même mesure pour le marxisme. Durant cette période, et en contradiction avec ce qu'ils ont vécu durant la Révolution culturelle, les Chinois en viennent à se rendre compte que le marxisme n'est pas sacré et intouchable. Il n'est aucune science qui soit définitive, aucune science qui ne revienne pas itérativement sur ce qui, à première vue, semblait correct et définitif. Et ce n'est pas le cas du socialisme scientifique non plus. Parce que la pratique est chaque fois différente en chaque endroit et à chaque instant et qu'en outre, elle change en permanence, le marxisme peut bien formuler les principes de base et indiquer les méthodes de pensée en vue d'examiner la pratique, mais il ne peut donner de réponse toute faite aux problèmes qui se posent. À l'instar de toute autre science, le marxisme se développe au fur et à mesure qu'une nouvelle pratique est examinée et que la théorisation de l'ancienne pratique s'en trouve améliorée. C'est pourquoi il est vide de sens de parler du marxisme en dehors de la réalité concrète d'un pays et en dehors du développement que ce pays a derrière lui. Le futur président du parti, Jiang Zemin, exprime la chose de la façon suivante : " Nous n'arriverons nulle part si nous étudions le marxisme de façon statique et isolée et si nous séparons le marxisme de son développement dans la vie concrète ou si nous plaçons le marxisme et la vie concrète en opposition mutuelle 109. "Nulle part Marx n'a expliqué comment il fallait construire un pays arriéré qui, jusqu'au moment de sa libération, a été mi-féodal, mi-colonial. Les Chinois sont obligés d'approfondir le marxisme et d'innover afin de pouvoir aborder leurs problèmes complexes. Ils sont obligés de résoudre des problèmes théoriques du genre : qu'est-ce que le socialisme dans un pays sous-développé, comment et dans quelle mesure organiser la lutte des classes sous le socialisme, quel est le rôle du parti communiste dans une économie socialiste qui connaît certains rapports capitalistes, etc.110 ?Tenir le marxisme en haute estime sans le développer mène au dogmatisme et développer le marxisme sans le tenir en haute estime mène à la trahison. Le développement du marxisme se fait dans la pratique : dans le processus de réforme et de modernisation entamé depuis 1978, le Parti communiste chinois acquiert une compréhension plus profonde de ce qu'est le socialisme et de ce que signifi e développer le socialisme. L'actuel Premier ministre Wen Jiabao déclare : " Pour pouvoir réaliser ce que nous avons réalisé, nous nous sommes attachés au principe qui dit que la pratique est le seul critère menant à la vérité111. " Pour rendre la chose possible, il fallait d'abord faire un sort aux deux " quelles que soient " de Hua Guofeng. Au cours d'un entretien, avec Ali Hassan Mwinyi, le vice-président de la Tanzanie, Deng Xiaoping déclare : " Comment édifier le socialisme ? Vous avez dit que vous vouliez étudier l'expérience chinoise pour en tirer profit. La Chine a suivi une route bien sinueuse. La leçon de l'histoire nous rappelle un très important principe pour édifier le socialisme : il faut agir selon le matérialisme dialectique et le matérialisme historique marxistes ou, selon une formule condensée du camarade Mao Zedong, rechercher la vérité dans les faits ; en d'autres termes, il faut, en toute chose, partir de la réalité 112. "

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La réforme de l'agriculture

Le Parti communiste engage la réforme par une forte hausse des prix des céréales payés aux paysans par l' État. Nous sommes en décembre 1978. Le prix que l' État paie pour les quotas céréaliers augmente de 20 pour cent. Ce que les paysans produisent en sus de ces quotas est acheté par l' État à un prix de 50 pour cent supérieur au prix d'avant. Les prix d'autres produits agricoles grimpent également. La hausse moyenne des prix des produits agricoles est de 22 pour cent. Dans les années 1980-1984 suivront chaque fois de nouvelles hausses des prix, oscillant entre 2 et 7 pour cent 113. Ce faisant, le parti veut rétablir quelque peu l'équilibre entre l'industrie et l'agriculture. En même temps est lancé un mouvement visant à confier aux ménages les terres qui sont travaillées collectivement. Ce mouvement est spontané, ce sont les paysans eux-mêmes qui l'enclenchent. Lors de la session du Comité central, en décembre 1978, qui marque le lancement des réformes, il n'est encore nullement question de la dé collectivisation du travail à la campagne. La direction du parti estime toutefois que la gestion du système collectif doit sérieusement être améliorée, entre autres, en accordant aux paysans des incitants individuels pour leur travail. Mais le parti défend toujours le point de vue que le système collectif constitue la base de la production agricole. Pourtant, à ce moment, dans nombre d'endroits, les quotas collectifs ont déjà été répartis entre les ménages. Cela se fait à partir de l'été 1978, entre autres dans la province de l'Anhwei. Comme il s'avère que cette opération fournit une récolte bien plus élevée, le mouvement prend rapidement de l'extension. En 1980, 14 pour cent des collectivités sont incorporées à la production par ménage, en 1981, on en est à 45 pour cent, en 1982, à 80 pour cent et, fin 1983, à 99 pour cent 114. En septembre 1980, les secrétaires politiques des provinces, des districts et des territoires autonomes se réunissent. Après discussion, ils rédigent un texte dans lequel on peut lire : " Si les masses ont perdu leur confiance dans le système collectif et désirent des quotas de production par ménage, nous devons satisfaire leur souhait 115. " La reconnaissance officielle du système de responsabilité des ménages ne vient que fin 1981. L' État demeure propriétaire des terres, mais les met à disposition pour trois ans. En 1984, ce terme est porté à quinze ans et, en 1993, le gouvernement décide qu'à la fin de cette période, le paysan peut encore prolonger le contrat de trente ans. Maintenant que la responsabilité de la production incombe aux ménages, l'agriculture se développe très rapidement, plus rapidement même que l'industrie. En 1983, la récolte de froment par hectare cultivé est de 60 pour cent plus élevée qu'en 1978 et celle de maïs de 55 pour cent 116. Le tableau 117 qui suit permet de voir l'accroissement de la production en 1982.TABLEAU 3. AUGMENTATION DE LA PRODUCTION AGRICOLE ENTRE 1978 ET 1982 Produit % de la récolte de 1982par rapport à celle de 1978Blé 116Coton 166Plantes oléagineuses 226Betteraves sucrières 248Thé 148

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Fruits 117Porcins, bovins et ovins 157Produits de la pêche 111Au cours de la période 1978-1984, le produit agricole brut augmente d'en moyenne 9 pour cent par an, ce qui ne s'est encore jamais produit dans l'histoire de la Chine ou, du moins, pas durant une période supérieure à deux ou trois ans. La production agricole plus élevée assure une hausse rapide du revenu. Entre 1978 et 1984, le revenu du ménage paysan moyen augmente de 98 pour cent, alors que le revenu moyen du citadin augmente de 42 pour cent 118.En même temps, le système de la responsabilité par ménage montre clairement qu'il y a un gros excédent de main-d'œuvre dans les campagnes. Auparavant, cet excédent pouvait rester dissimulé dans la forme collective d'exploitation. Et, une fois de plus, ce sont les paysans eux mêmes qui abordent le problème dans la pratique. En 1987, Deng Xiaoping repense à cette période et il déclare : " Que devions-nous faire avec l'excédent de main-d'œuvreœ après l'introduction du système à responsabilité par ménage ? Au début, nous ne savions pas très bien par où nous devions commencer. Des siècles durant, entre 70 et 80 pour cent de la main-d'œuvre rurale avait été liée à la terre. Un paysan n'avait qu'un petit lopin de terre, largement insuffi sant pour en tirer un revenu convenable. Notre expérience a désormais prouvé que le problème ne pouvait être résolu que si l'on s'adressait à l'initiative des organisations de base et des paysans eux-mêmes. Ils devaient mettre sur pied diverses activités économiques et de nouveaux types de petites entreprises. De la sorte, environ la moitié de l'excédent de la main-d'œuvre rurale a pu être absorbée. Cette brillante idée n'est pas venue de la direction du parti, mais des paysans eux-mêmes, des organisations de base et des institutions agricoles 119. " TABLEAU 4. MAIN-D'ŒUVRE EMPLOYÉE DANS LES PETITES ENTREPRISES INDUSTRIELLESCAMPAGNARDES, PAR RAPPORT À LA MAIN-D'ŒUVRE RURALE TOTALE (EN %) Année Pourcentage1978 91984 111985 191990 221995 262005 28

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Avec les réformes intervient également, et de façon progressive, un changement dans la structure familiale rurale. Auparavant, dans les campagnes, trois ou quatre générations vivaient généralement ensemble, sous le même toit. Aujourd'hui, les trois quarts des familles ne sont constituées que de trois ou quatre membres. Dans le temps, les mariages avaient lieu dans un cercle restreint. Aujourd'hui, les conjoints sont originaires d'une zone géographique bien plus étendue. Et on se marie aussi plus tard. Le statut social de la femme a également progressé du fait que le revenu de la famille ne dépend plus uniquement de l'homme ; la femme peut désormais faire carrière dans l'industrie ou le commerce.

La réforme de l'industrie

La réforme de l'industrie démarre de façon expérimentale. Dans la province du Sichuan, en octobre 1978, six entreprises d' État peuvent prendre les devants dans l'extension de l'autonomie des entreprises. La responsabilité de la production se déplace en partie de la structure d' État vers l'entreprise même. Jusqu'à cette date, la nature et le volume de la production dans les entreprises avaient été déterminés par les autorités. Désormais, les six entreprises du Sichuan qui atteignent les objectifs économiques peuvent garder pour elles-mêmes jusqu'à 20 pour cent du bénéfice de leur excédent de production. Les travailleurs reçoivent des primes quand ils dépassent la production à atteindre. Sur un chantier naval, par exemple, les travailleurs perçoivent un bonus dès qu'ils dépassent la quantité imposée de 55 chargements. En un minimum de temps, la quantité manipulée par travailleur passe de 30 mud (un mud représente environ 70 kilos) à 80 mud, soit plus que le doublement de la productivité 120. L'expérience du Sichuan est très rapidement imitée. Fin 1980, 6 600 grandes et moyennes entreprises appliquent déjà le système. Ensemble, elles représentent 60 pour cent du volume industriel et 70 pour cent des bénéfices de l'industrie 121.L'extension de l'autonomie des entreprises constitue le prologue de la réforme qui se poursuit de nos jours encore. Cette plus grande autonomie débouche sur les droits de conserver les bénéfices, de gérer son propre arrivage de matières premières et d'équipements, et de gérer de même la vente de ses produits finis. Les entreprises doivent définir leur propre gestion et le système des subsides d' État et de l'achat par l' État de leurs produits est remplacé par un impôt sur les bénéfices. Dans les entreprises, la productivité croît aussi du fait de l'instauration de schémas de travail plus stricts et plus disciplinés, de la suppression du statut de l'emploi à vie, d'une rémunération liée au volume et à la qualité du travail. Des études économétriques montrent que, dès le début des réformes, la productivité des entreprises d' État augmente, surtout dans les entreprises où les réformes ont été poussées le plus loin 122.Dans les années 1990, s'enclenche une nouvelle phase de réformes dans lesquelles les autorités se concentrent sur les grandes entreprises d' État. En 1993, les petites et moyennes entreprises d' État constituent 95 pour cent de toutes les entreprises d' État, mais ne détiennent toutefois que 38 pour cent du capital fixe123. Cette année, le Comité central décide que l' État et ses organes subalternes peuvent procéder à la vente des petites et moyennes entreprises d' État. La vente se fait généralement au management existant et au personnel. Ce processus connaît une grande accélération quand, en 1998, le Premier ministre Zhu Rongji proclame la ligne du zhuada fangxiao, gardez les grosses et laissez aller les petites. Une bonne moitié des entreprises d' État sont donc cédées. Il s'agit pour la plupart de petites et moyennes entreprises, qui tombent sous la juridiction des autorités locales et non sous celle de l'appareil central de l' État. Le secteur d' État est moins étendu, mais le contrôle par l' État est plus efficace et ce même secteur d' État devient donc plus rentable, ce qui lui permet de diriger plus strictement les parties restantes de l'économie 124. Ce projet a toujours cours aujourd'hui. Du 5 au 7 décembre 2006 a eu lieu à Beijing une conférence centrale de travail concernant

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l'économie, sous la direction du président du parti Hu Jintao et du Premier ministre Wen Jiabao. L'une des conclusions a été la suivante : " Nous devons continuer à approfondir la réforme des entreprises d' État à la lumière de la consolidation de leur compétitivité et de leur faculté de contrôler et diriger l'ensemble de l'économie 125. "Le poids du secteur d' ÉtatSelon ses structures de propriété, on peut sous-diviser l'industrie en Chine en une partie placée sous propriété collective, une partie privée et une partie qui est un mélange des deux premières. La partie sous propriété collective prend à son compte 38 pour cent de la production, la partie privée 30 pour cent et la partie mixte 32 pour cent 126. Ces proportions ont à peine changé depuis la fin des années 1990127. Dans la partie mixte, on trouve des entreprises où la communauté a un rôle dominant et d'autres où c'est le privé qui est majoritaire. On ignore les proportions exactes dans cette partie de l'industrie.Fin 2006, le nombre d'entreprises sous contrôle de l' État et de ses organes subalternes s'élevait à 122 000, soit 11 pour cent du nombre total des entreprises industrielles. Les entreprises d' État sont caractérisées par leur production de masse, leur important capital fixe et leur main-d'œuvre considérable. Même si elles ne constituent que 11 pour centdu nombre total d'entreprises, les entreprises d' État prennent néanmoins à leur compte la quasi-moitié du profit total réalisé 128.Au printemps 2005, la Fédération nationale des entreprises de Chine publie un top-500 des plus grosses entreprises. Le numéro un de cette liste est Sinopec, la première compagnie pétrolière. À peine 15 pour cent des entreprises de ce top-500 sont privées, toutes les autres sont des entreprises d' État. Les dix premières sont même de gigantesques entreprises d' État comme State Grid, CNPC et China Mobile, dont les bénéfices communs s'élèvent à 47 pour cent du total du Top-500 129.Au printemps 2006, China United Financial Consultants, de son côté, établit un top-100 de toutes les entreprises cotées en Bourse. Ici aussi, la plupart des places en vue sont réservées aux entreprises d' État : 21 d'entre elles, comme Sinopec, Baosteel Steel, Sinoair et COSCO prennent à leur compte 68 pour cent du volume d'affaires du top-100. Des 1 300 et quelques entreprises cotées en Bourse, le top-100 établi par China United Financial Consultants ne constitue qu'une petite minorité. Et pourtant, ces cent entreprises prennent pour elles 70 pour cent du bénéfice net total de toutes les entreprises cotées en Bourse 130.En 1998, trois entreprises chinoises figuraient dans le Fortune 500 du magazine Forbes, la liste des 500 plus grosses entreprises au monde. En 2005, elles sont 15. Toutes sont des entreprises d' État. Bien que moins nombreuses, ce sont quand même les entreprises d' État qui dirigent l'économie. L'économie privée est imbriquée dans la partie de l'économie contrôlée par les autorités. L' État détient tous les postes de commandement économique. Il détient le monopole ou, à tout le moins, la majorité dans les secteurs économiques qui forment l'épine dorsale de toute l'économie et qui en constituent les fers de lance : le secteur financier, celui de l'énergie, celui de l'acier, la pétrochimie, les télécommunications, la construction navale, la construction aéronautique, les métaux ferreux et non ferreux, les mines, le transport, le secteur automobile, celui de la construction. Même dans les secteurs moins essentiels comme l'industrie du tabac, le commerce de gros, l'industrie brassicole et les textiles, ce sont les autorités qui assurent le contrôle.Le journal boursier britannique Financial Times constate : " Des gens de l'extérieur croient que le secteur capitaliste en Chine peut suivre sa voie avec le soutien et l'aide du gouvernement communiste. En réalité, les entreprises privées doivent travailler dans le cadre que leur imposent les entreprises d' État et les autorités politiques. Tous les secteurs clés sont dominés par les entreprises d' État 131. " Et aussi : " Le principe directeur de Beijing est de ne pas renoncer aux postes de commandement léninistes dans l'économie et la politique, mais, au contraire, de les renforcer. Le secteur privé reste entravé par les limitations et les

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discriminations imposées par les autorités 132. "Bert De Graeve, secrétaire général de Bekaert, la multinationale belge du fil d'acier qui a des usines en Chine, déclare : " Le grand avantage de la Chine, c'est que, si vous êtes sur la voie qu'ils désirent, vous n'avez qu'une chose à faire, c'est courir pour essayer de suivre. Je pense qu'il serait malaisé de faire quelque chose qu'ils ne désirent pas. La politique y est naturellement pour beaucoup et on sait que le parti est plus important que la seule politique pure. Le parti est le véritable centre du pouvoir 133. " Autre témoin privilégié, Gilbert Van Kerckhove, qui réside en Chine depuis un quart de siècle déjà et qui est actuellement consultant pour Olympic Economics, une instance des autorités qui entend rentabiliser au maximum les jeux Olympiques de 2008 sur le plan économique.Gilbert Van Kerckhove déclare : " Les profanes renvoient aux investissements étrangers et au pourcentage en baisse des entreprises d' État, et ils en concluent que l' État est occupé à perdre son contrôle. Mais il ne faut pas se bercer d'illusions. L' État a bel et bien la mainmise sur l'économie. La National Development and Reform Commission est la nouvelle appellation de l'économie étatique planifiée d'antan. Elle est active tant sur le plan national que régional. Ce sont eux qui, dans les faits, dirigent l'économie. Aucun projet n'est approuvé sans leur bénédiction 134."En mai 2003, le gouvernement crée un nouveau ministère sous l'appellation de State Council's State-Owned Assets Supervision and Administration Commission ou SASAC (commission du conseil d' État pour la supervision et l'administration des avoirs de l' État), qui se voit confier la tutelle des 196 entreprises prioritaires de l' État. Ces entreprises doivent devenir le noyau de l'économie chinoise et assumer la direction centrale de l'ensemble de l'économie. Chacune d'entre elles emploie en moyenne 67 000 personnes. Gilbert Van Kerckhove, déjà cité un peu plus haut, déclare : " On ne retrouve pas seulement les gens de la SASAC dans les conseils d'administration des entreprises publiques, mais, par des voies détournées, dans les entreprises privées également. Dans ces dernières, les autorités exercent aussi leur influence, même si c'est d'une autre façon. Bien des gens ne le comprennent pas. Les firmes ont souvent l'air d'être à 100 pour cent privées, mais les apparences sont trompeuses. Dans de très nombreuses entreprises de ce type, les autorités conservent une participation minoritaire, parfois de 5 ou 10 pour cent seulement. Toutes ces participations minoritaires sont dirigées par des organes de l' État. Je puis vous dire qu'on les écoute, ces 10 pour cent, de même qu'on écoute l'éventuel conseil des autorités locales. Imaginez que le management d'une entreprise ne tienne pas compte de ce conseil : dans ce cas, il y a de fortes chances pour que, tôt ou tard, il se plante 135. "Bref, la construction de l'économie s'opère en un front uni des entreprises d' État et des entreprises privées, à l'image du front uni entre le Parti communiste chinois et le Guomingdang lors de la lutte contre l'occupant japonais. La direction de ce front uni est aux mains du Parti communiste. C'est lui qui définit ce que fait le front uni et la direction que doit prendre l'économie. Le chef de la SASAC est Li Rongrong. Dès sa nomination, il déclare aux managers des 196 géants : " Si vous ne pouvez pas faire partie du top trois dans votre secteur, préparez-vous dès lors à être repris par une autre entreprise 136. " Et trois ans plus tard : " Depuis la création de la SASAC, nous avons demandé aux entreprises prioritaires de l' État d'accroître leur compétitivité internationale et de tendre à devenir les numéros un, deux ou trois de leur secteur économique. Nous avons franchi de grands pas dans cette direction 137. "En 2006, toutes les entreprises d' État réalisent ensemble un bénéfice de 1 100 milliards de yuan (environ 110 milliards d'euros). Les 159 entreprises qui tombent sous la tutelle de la SASAC (à la suite de fusions et remaniements entre elles, leur nombre a été ramené de 196 à 159) en prennent les trois quarts pour leur compte. En 2005, les bénéfices des entreprises d' État augmentent de 19 pour cent par rapport à l'année précédente. En 2006, ils augmentent de

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18,5 pour cent. L'augmentation au sein des 159 entreprises d' État prioritaires est de respectivement 28 et 29 pour cent 138.Le gouvernement a l'intention de réduire à 80 ou 100 le nombre de ces entreprises prioritaires de l' État en les fusionnant. Les 80 plus grosses contrôlent aujourd'hui déjà plus de 90 pour cent du capital des 159 entreprises prioritaires et elles génèrent 99 pour cent de leur bénéfice total 139.Prenons l'exemple du secteur de l'acier. Voici la liste du top dix des principales aciéries qui, à l'exception de la cinquième, sont toutes des entreprises d' État 140 :TABLEAU 5. LES DIX PLUS GRANDES ACIÉRIES EN CHINE Producteur Volume en 2005 (millions de tonnes) Volume en 2004(millions de tonnes)Shanghai Baosteel 23,8 21,4Anben 18,4 16,8Tangshan 16,1 7,7Wuhan 12,0 9,3Jiangsu Shagang 10,5 7,6Shougang 10,4 8,5Jinan 10,4 6,9Laiwu 10,3 6,6Maanshan 9,6 8,0Panzhihua 6,2 6,0La Chine est le plus gros producteur d'acier au monde. Pourtant, un seul producteur d' État chinois, Shanghai Baosteel, fait partie du top dix mondial. En Chine, la production d'acier est très fragmentée et ce n'est pas bon pour la rentabilité. En 2005, on trouve plus de 1 000 producteurs d'acier dont 33 seulement lancent plus d'un million de tonnes, annuellement, sur le marché. Le 20 avril 2005, le gouvernement décrète le Plan de développement de l'industrie sidérurgique à moyen et long terme. On peut y lire : " Nous devons renforcer le contrôle et la gestion du secteur de l'acier sur le plan macroéconomique. Nous allons soumettre le lancement de nouvelles aciéries à des conditions sévères et limiter l'extension individuelle de la production de sorte que le volume, la nature et le lieu de la production soient mieux contrôlés et que nous puissions mieux procéder à la restructuration du secteur. La production d'acier doit être pleinement concentrée dans le top dix des plus grosses entreprises. Cela nous donne non seulement la possibilité d'accroître leur rentabilité, mais aussi de réduire considérablement la consommation d'énergie et d'eau par tonne d'acier produite 141. " En juillet 2005, le gouvernement publie un nouveau document disant que les plus grosses entreprises du secteur doivent croître en volume en absorbant les autres producteurs d'acier 142. Depuis lors, le numéro 2 chinois, Anben (12e mondial), a fusionné avec le producteur Liuzhou (52e mondial). Le numéro 3 chinois, Tangshan (18e mondial), a fusionné avec Xuangang (68e

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mondial). Au cours des années à venir, d'autres fusions auront encore lieu, de sorte qu'au sommet apparaîtront trois ou quatre géants de format réellement mondial. Les organisations patronales américaines du secteur de l'acier ne sont pas contentes de l'évolution de la situation. Dans un rapport d'un comique involontaire, elles écrivent que c'est de la faute du gouvernement chinois si le secteur chinois de l'acier est devenu le premier au monde en un minimum de temps. Les patrons américains déclarent :" Sous de véritables conditions de marché, la Chine n'aurait pas pu développer une industrie sidérurgique qui, de façon incroyable, prend à son compte 31 pour cent de la production mondiale totale d'acier. La sidérurgie chinoise dans sa forme actuelle est une création du gouvernement chinois 143. " En fait, cela revient à dire ceci : dans le secteur de l'acier, base de l'industrie lourde, l'économie planifiée socialiste s'avère supérieure à celle de libre marché. Eh bien, oui, si ce sont des patrons américains eux-mêmes qui le disent...Nous assistons à pareille création d'entreprises géantes, entre autres dans le secteur de la construction navale où, après fusions, reprises et restructurations mutuelles, est née la China State Shipbuilding Corporation (CSSC), le numéro trois mondial en 2006. En 2002, la CSSC n'était encore que numéro huit. À elle seule, la CSSC prend à son compte 43 pour cent du total de la production navale chinoise. Dans les dix ans, la CSSC doit devenir le numéro un mondial et faire de la Chine le plus gros producteur naval de la planète 144

Les multinationales capitalistes vont et viennentUn demi-million d'entreprises étrangères sont actives en Chine. En 2004, elles ont vendu en Chine pour 400 milliards de dollars de produits et elles ont exporté de Chine des produits assemblés pour une valeur de 350 milliards de dollars. Entre 1990 et 2004, les activités en Chine des firmes américaines ont rapporté à ces dernières un bénéficetotal de 250 milliards de dollars 145.La présence d'investisseurs étrangers n'a vraiment démarré qu'au début des années 1990. En 1990, les investissements étrangers étaient de 3 milliards de dollars. En 2005, ils étaient passés à 53,5 milliards de dollars. Les entrepreneurs qui investissent le plus viennent de six pays 146 :

Ce montant de 53 milliards de dollars semble énorme. Pourtant, cela ne fait que 37 dollars par Chinois. En guise de comparaison : la moyenne mondiale est de 120 dollars, la moyenne des pays développés est de 420 dollars et celle des pays sous-développés de 42 dollars 147. À

mesure que l'économie chinoise se développe, elle fait de moins en moins appel aux investisseurs étrangers. En 1999, la part des investissements étrangers représentait 7 pour cent des investissements totaux en Chine. En 2005, ce pourcentage a diminué et n'était plus que de

TABLEAU 6. INVESTISSEMENTS ÉTRANGERS EN CHINE EN 2005(EN MILLIARDS DE DOLLARS) Provenance En miliards de dollarsHongkong 17,0Japan 5,0Zuid-Korea 4,4Verenigde Staten 4,2Taiwan 3,3Singapore 2,0

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4 pour cent 148. L'appareil économique chinois tourne à 95 pour cent sur ses propres investissements, ce qui constitue un pourcentage exceptionnellement élevé. Aujourd'hui, les Chinois ont toujours besoin du capital, de la technologie et des techniques de management des économies capitalistes hautement développées, mais ce besoin diminue en permanence. En juin 2005, le Bureau politique du Parti communiste déclare : " Notre politique d'encouragement des investissements étrangers doit êtreplus sélective. Les investissements étrangers doivent aller prioritairement à l'agriculture, aux technologies de pointe, à la rénovation des vieilles bases industrielles et à la Chine centrale et occidentale. Il faut que soit mis un terme aux investissements étrangers dans des projets ordinaires 149. " John Surma, le grand patron de la US Steel Corporation, dit en exagérant un peu et, surtout, avec une certaine irritation : " La Chine nous montre clairement que les entreprises internationales ne sont plus les bienvenues 150. " Lu Jianfeng, directeur de la section Finances du gouvernement provincial du Jiangsu, répond : " La Chine a désormais assez de capital pour que nous nous montrions sélectifs dans l'acceptation d'investissements étrangers 151. "Dans divers secteurs économiques, les Chinois sont occupés à l'emporter sur les entrepreneurs étrangers. Par exemple, dans l'automobile. Il y a dix ans, les constructeurs automobiles chinois n'étaient pour ainsi dire nulle part. Aujourd'hui, ils ont conquis 30 pour cent du marché automobile chinois. Les constructeurs chinois sont sous la direction des trois plus grands d'entre eux : First Automobile Works, Dongfeng Motor et Shanghai Automotive Industry, trois entreprises d' État. Toutes trois ont acquis du savoir-faire en contractant des alliances avec des constructeurs automobiles étrangers que, désormais, elles refoulent progressivement hors de Chine 152. Un autre exemple, c'est celui des équipements en télécommunications. Ce secteur lui-même (réseaux, opérateurs) est entièrement aux mains de l' État. Mais les équipements en télécommunications étaient jusqu'il y a peu contrôlés par les multinationales capitalistes comme Nokia, Motorola, Ericsson. Ici aussi, les autorités chinoises ont suivi la politique du yi shichang huan jishu, l'accès à notre marché en échange de technologie. Dans la production d'équipements de télécommunications, le gouvernement chinois affirme qu'il opère en trois étapes : 1) importer, 2) absorber et acquérir, 3) croître et s'installer sur le marché. En 1998, il était quasiment impensable, en Chine, de se procurer des téléphones portables de fabrication chinoise. Aujourd'hui, 51 pour cent du marché chinois est aux mains de marques chinoises 153. Les gros avions qui sillonnent l'espace aérien chinois sont tous des Boeing américains ou des Airbus européens. Mais, à partir de 2008, la Chine va construire elle-même ses gros transporteurs de passagers. Fin 2005, Airbus concluait le plus important contrat de son histoire, lequel stipulait qu'Airbus allait livrer à la Chine 150 appareils de type A320 pour un montant de 8 milliards d'euros. Une clause de ce contrat prévoit également qu'Airbus s'engage à utiliser la technologie la plus avancée dans les appareils qui seront en partie construits en Chine même. Alain Wang travaille en qualité de consultant pour des multinationales françaises désireuses d'investir en Chine. Il met en garde : " Les Occidentaux sont en train de faire de grosses erreurs avec la Chine : ils sont prêts à tout pour lui vendre leurs produits. " Et de citer l'exemple d'Airbus, qui " a accepté des transferts massifs de technologie pour pouvoir emporter de juteux contrats dans ce pays. Une logique quasi suicidaire à long terme ", dit-il 154.La même chose se passe dans la production de locomotives. En octobre 2006, le groupe français Alstom conclut avec le gouvernement chinois un contrat prévoyant la livraison de 500 locomotives les plus modernes. Le contrat vaut 1 milliard d'euros. Il prévoit qu'Alstom doit conclure un accord temporaire de collaboration avec l'entreprise d' État chinoise Datong Electric Locomotive pour la construction des locomotives. Le partenaire chinois accède ainsi à la technologie de pointe la plus sophistiquée d'Alstom. La direction d'Alstom admet qu'à

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long terme, ça va écarter la firme française même du marché chinois. Drewin Nieuwenhuis, directeur de l'organisation patronale européenne Unife dans ce secteur, déclare : " Le grand problème, c'est toujours le transfert de technologie. Les Chinois ne sont pas stupides et ils ont d'excellents négociateurs. Ils veulent toujours que les technologies les plus modernes soient prévues dans l'ensemble des conditions. " Après la firme canadienne Bombardier, Alstom est le numéro 1 dans ce secteur. Siemens, le numéro 3 mondial, a pu participer à la liaison à très grande vitesse entre Shanghai et son aéroport, à condition d'amener sa technologie de pointe dans ses bagages. Pour les liaisons ferroviaires de la province du Tibet, Bombardier a pu livrer les locomotives qui doivent être à même de supporter les conditions particulièrement dures de l'Himalaya. Mais Siemens et Bombardier ont été soumis aux mêmes conditions qu'Alstom. Neil Harvey, un directeur de Bombardier, déclare : " Nous acceptons ces conditions, sans quoi le contrat nous passe tout simplement sous le nez 155. "Même dans le secteur high-tech, les multinationales capitalistes doivent lâcher du lest. Les entreprises chinoises se développent trois fois plus vite ici que les étrangères. Sur le plan de la productivité et des innovations, elles sont occupées à combler le fossé qui les sépare de leurs concurrentes étrangères 156. Au milieu des années 1990, il n'existait pratiquement pas de firmes chinoises spécialisées dans la haute technologie. Mais, en 2004, elles couvrent déjà 67 pour cent du marché chinois et les observateurs s'attendent à ce qu'elles en couvrent plus de 80 pour cent en 2010. Pourquoi ? Elles travaillent avec de très faibles marges bénéficiaires afin de mener à bien leur stratégie politico-économique et, pour ce faire, elles reçoivent l'aide de l' État chinois 157.Au printemps 2007, le parlement chinois décide de mettre la barre à la même hauteur pour tout le monde, dans l'impôt sur les sociétés. Jusqu'à présent, les entreprises étrangères devaient payer un impôt de 15 pour cent sur leurs bénéfices. Pour les entreprises chinoises, cet impôt est de 33 pour cent. À partir de 2008, le tarif sera de 25 pour cent pour les deux. Une pilule amère, pour les entrepreneurs étrangers, car leurs impôts vont grimper de deux tiers. Les conditions sont toutes différentes aujourd'hui d'il y a dix ans, lorsque la Chine avait bien davantage besoin des multinationales capitalistes 158.Notes82 Angus Maddison, Chinese Economic Performance in the Long Run, OECD-OCDE, Development Center Studies, Paris, 1998, p. 55.83 Comité central du Parti communiste chinois, Résolution sur l'histoire du PCC (27 juni 1981), Éditions en langues étrangères, Beijing, 1981, p. 14 ; et Maurice Meisner, Mao's China and after - A History of the People's Republic, The Free Press, New York, 1986, pp. 437 et 440.84 Qin Hui, " China's Economic Development Performance under the Prereform System ", The Chinese Economy, vol. 38, no 4, juillet-août 2005, tableau p. 72.85 Idem, tableau p. 77.86 He Kang, China's Township and Village Enterprises, Foreign Languages Press, Beijing, 2006, p. 51.87 Idem, tableau 2, pp. 399-400.88 Comité central du Parti communiste chinois, op. cit., p. 16.89 Maurice Meisner, op. cit., p. 437.90 Barry Naughton, The Chinese Economy - Transitions and Growth, Massachusetts Institute of Technology, 2007, p. 82.91 Maurice Meisner, op. cit., p. 440.92 Barry Naughton, op. cit., p. 80.93 Qin Hui, op. cit., p. 7094 Carl Riskin, China's Political Economy - The Quest for Development since 1949, Oxford University Press, Oxford-New York, 1996, p. 269.95 Comité central du Parti communiste chinois, op. cit., p. 29.96 Karl Marx : « La critique moralisante et la morale critique », Karl Marx, Œuvres, III, Philosophie, Gallimard, Paris, 1982, pp.754-75597 Friedrich Engels, Principes du communisme (1847), http://www.marxists.org/francais/marx/47-pdc.htm. 98 Robert C. Hsu, Economic Theories in China 1979-1988, Cambridge University Press, New York, 1991, p. 13.99 Deng Xiaoping, " Promouvoir la démocratie sur le plan politique et la réforme en matière d'économie " (15

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avril 1985), Textes choisis, Éditions en langues étrangères, Beijing, 1994, tome 3, p. 121.100 Du Runsheng, " The Production Contract System is a New Development of the Rural Cooperative Economy " (mars 1983), dans : Du Runsheng, Reform and Development in Rural China, St. Martin's Press, Londres, 1995, p. 44.101 Chen Yun, " Il convient de confier aux paysans l'élevage des truies ", Textes choisis, Éditions en langues étrangères, Beijing, 1998, tome 3, p. 177.102 Idem, pp. 181-182.103 Préface à la Critique de l'économie politique (1859),http://www.marxists.org/francais/marx/works/1859/01/km18590100b.htm.104 Mao Zedong, " De la juste solution des contradictions au sein du peuple " (27 février1957), Oeuvres choisies, Éditions en langues étrangères, Beijing, 1977, tome 5, p. 419.105 Formulé pour la première fois de la sorte dans un article éditorial commun du Renmin Ribao et du Journal de l'Armée de Libération populaire le 7 février 1977.106 Mao Zedong, " D'où viennent les idées justes ? " (mai 1963), cité dans Citations du Président Mao Tsé-toung (le " petit livre rouge "), Éditions en langues étrangères, Beijing, 1966, p. 227 et repris dans Cinq essais philosophiques, Éditions en langues étrangères, Beijing, 1967, p. 291.107 Mao Zedong, " De la pratique " (juillet 1937), OEuvres choisies, Éditions en langues étrangères, Beijing, 1967, tome 1, p. 331.108 Deng Xiaoping, " Libérer notre esprit, rechercher la vérité dans les faits et nous unir en portant nos regards vers l'avenir " (13 décembre 1978), Textes choisis, Éditions en langues étrangères, Beijing, 1985, tome 2, pp. 157-158.109 Jiang Zemin, " Rapport du Comité central au 15e Congrès du Parti communiste chinois ", Xinhua, 27 septembre 1997, chapitre 3.110 Theory Division of Propaganda Department of CPC Central Committee, " Strengthening Ideological, Theoretical Building is Most Important Task to forever maintain Advanced Nature of our Party ", Renmin Ribao, 26 mars 2006.111 Wen Jiabao, " Our Historical Tasks at the Primary Stage of Socialism ", Renmin Ribao, 8 mars 2007.112 Deng Xiaoping, " Promouvoir la démocratie sur le plan politique et la réforme en matière d'économie " (15 avril 1985), Textes choisis, Éditions en langues étrangères, Beijing 1994, tome 3, p. 123.113 Carl Riskin, op. cit., p. 285.114 Justin Yifu Lin, Fang Cai et Zhou Li, " The Lessons of China's Transition to a Market Economy", Cato Journal, vol. 16, no 2, automne 1996.115 Wu Jinglian, Understanding and interpreting Chinese Economic Reform, Thomson, Mason Ohio, 2005, p. 113.116 Joshua Cooper Ramo, The Beijing Consensus, The Foreign Policy Centre, Londres, 2004, p. 16.117 National Bureau of Statistics of China, China Statistical Yearbook 1982, China Statistics Press, Beijjng 1983, p. 10; et David L. Prychitko, " Modernizing Markets in post-Mao China : on the Road to Capitalism ? ", Cato Policy Analysis, no 95, 1 décembre 1987.118 Carl Riskin, op. cit., pp. 290, 292-293 et tableau p. 295.119 He Kang, China's Township and Village Enterprises, Foreign Languages Press, Beijing, 2006, pp. 81-82.120 Zhu Jianhong, " Meeting Difficulties head-on ", Renmin Ribao, 22 septembre 1999.121 Wu Jinglian, " Market Socialism and Chinese Economic Reform ", discours lors de la Conférence de table ronde Market and Socialism in the Light of the Experiences of China and Vietnam, 14-15 janvier 2005, Hong Kong.122 Ken Imai, " Explaining the Persistence of State-ownership in China ", Institute of Developing Economies, Chiba (Japon), Discussion Paper, no 64, juin 2006, p. 3.123 Stephen Green et Guy S. Liu, Exit the Dragon ? Privatisation and State Control in China, Chatham House, Londres, 2005, pp. 20-21.124 Mary Boyd, " The State Sector ", China Economic Quarterly, 3/2003.125 " The Central Economic Work Conference opens in Beijing on 5-7 December - Hu Jintao and Wen Jiabao deliver Important Speeches ", Xinhua, 9 décembre 2006.126 Minxin Pei, " The Dark Side of China's Rise ", Foreign Policy, mars-avril 2006.127 Ken Imai, op. cit., pp. 2 et 8.128 Bai Tianliang, " Li Rongrong urges Giving Full Play to Leading Role of State-owned Economy ", Renmin Ribao, 16 mars 2006.129 Tan Wei, " Géants locaux et puissances mondiales ", Beijing Information, no 46/2005.125 " The Central Economic Work Conference opens in Beijing on 5-7 December - Hu Jintao and Wen Jiabao deliver Important Speeches ", Xinhua, 9 décembre 2006.126 Minxin Pei, " The Dark Side of China's Rise ", Foreign Policy, mars-avril 2006.127 Ken Imai, op. cit., pp. 2 et 8.

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128 Bai Tianliang, " Li Rongrong urges Giving Full Play to Leading Role of State-owned Economy ", Renmin Ribao, 16 mars 2006.129 Tan Wei, " Géants locaux et puissances mondiales ", Beijing Information, no 46/2005.130 " China unveils Top 100 Listed Companies ", News Guangdong, 11 mai 2006.131 Victor Mallet, " China and India : the Two differ in Business as much as they do in Politics ", Financial Times, 12 décembre 2006.132 Minxin Pei, " China is stagnating in its "Trapped Transition" ", Financial Times, 24 février 2006.133 Ng Sauw Tjhoi et Marc Vandepitte, Made in China, EPO, Berchem, 2006, pp. 229-230.134 Ibidem, pp. 235-236.135 Ibidem, pp. 236-237.136 Barry Naughton, " The State Asset Commission : a Powerful Body ", China Leadership Monitor, no 8, automne 2003, p. 5.137 Bai Tianliang, " SASAC Offi cial explains New Guidelines on Further Reduction of SOEs ", Renmin Ribao, 22 décembre 2006.138 " Profits in China's SOEs exceed One Trillion Yuan ", Xinhua, 27 janvier 2007; et " Major SOEs report 28 % Profits Rise in 2005 ", Associated Press, 25 janvier 2006.139 Bai Tianliang, " Li Rongrong urges Giving Full Play to Leading Role of State-owned Economy ", Renmin Ribao, 16 mars 2006.140 International Iron and Steel Institute, Steel Business Briefing, China's Steel Industry 2006, tableau 1.141 " Devising Strategies under the Command Tent in Pursuit of Development ? ", Xinhua, 10 août 2005.142 National Reform and Development Commission, Steel and Iron Industry Development Policy, juillet 2005.143 The American Iron and Steel Institute, The Steel Manufacturers Association, The Speciality Steel Industry of North America et The Committee on Pipe and Tube Imports, The China Syndrome - How Subsidies and Government Intervention created the World's Largest Steel Industry, Washington, 2006, p. 59.144 " CSSC becomes World's Third Largest Shipbuilding Group ", Xinhua, 26 janvier 2007.145 State Council Information Offi ce, " White Paper : China's Peaceful Development Road ", Renmin Ribao, 22 décembre 2005.146 National Bureau of Statistics of China, China Statistical Yearbook 2005, China Statistics Press, Beijing, 2006, tableau 18-15, pp. 644-646.147 Jan Joost Teunissen, " China's Role in Asia and the World Economy - Fostering Stability and Growth ", Forum on Debt and Development, La Haye, 2004, pp. 114 et 118.148 Steven Barnett et Ray Brooks, " What's driving Investment in China ? ", IMF, Working Paper 06/25, Washington, 2006, p. 13.149 Liu Yantang, " Political Bureau Study Session : Seizing Initiative in International Competition ", Liaowang, 15 juin 2005. 150 Eugene Tang et Matthew Benjamin, China's Foreign-takeover Rules may hurt Growth, invite Backlash, Bloomberg, 18 décembre 2006.151 Idem.152 Geoff Dyer, " Automotive Sector : Homegrown Groups take a Larger Share ", Financial Times, 12 décembre 2006 ; et " Sleeping with Giants or just hiding in the Wings ? ", Xinhua, 10 décembre 2006.153 Cheng Li, " China's Telecom Industry on the Move : Domestic Competition, Global Ambition, and Leadership Transition ", China Leadership Monitor, no 19, automne 2006, pp. 5 et 8.154 Tom Braithwaite, " Airbus considers Building in China after $9.7 bn Deal ", Financial Times, 12 décembre 2005 ; et Gabriel Grésillon, " Selon l'Unesco, la Chine devient une rivale en matière d'innovation ", Les Échos, 20 janvier 2006.155 Robert Wright, " For Alstom China Train Success comes at a Price ", Financial Times, 26 octobre 2006.156 Jason Dean, " China Tech Firms gain Ground ", Wall Street Journal, 1er décembre 2006.157 Ingo Beyer von Morgenstern et Xiaoyu Xia, " China's High-tech Market : a Race to the Middle ", The McKinsey Quarterly, septembre 2006.158 Arthur Kroeber, " The Underestimated Party-state ", China Economic Quarterly, 27 février 2007.

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4. Les réalisations et les problèmes

Durant les 29 années qui ont suivi le lancement des réformes, aucune économie au monde n'a connu une croissance aussi rapide que celle de la Chine. Entre 1978 et 2007, cette croissance a été de 9,9 pour cent en moyenne par an. En 1978, le produit national brut chinois par tête était le même qu'en Inde, le pays voisin également très peuplé. Aujourd'hui, le PNB chinois par tête est le double de celui de l'Inde. En Chine, 91 pour cent de la population sait lire et écrire, contre 65 pour cent en Inde. En Chine, 98 pour cent des enfants de 6 à 12 ans vont à l'école, contre 50 pour cent en Inde 159. Le sociologue indien Ramgopal Agarwala conclut : " Dans l'histoire de l'humanité, aucune autre expérience ne mérite autant l'admiration que celle de la Chine. D'autres pays feraient bien de s'en inspirer au maximum 160. "En 1978, la production alimentaire chinoise par tête se situe loin en dessous de la moyenne mondiale. Depuis, la Chine a largement comblé ce retard. Le tableau ci-dessous indique l'évolution de la production, par habitant, de divers produits agricoles 161. TABLEAU 7. PRODUITS AGRAIRES, PRODUCTION PAR HABITANT (EN KILOS)

Produit 1978 1988 1998 2004 Hausse1978- 2004(en %)Céréales 318 357 412 362 + 13,8Coton 2,2 3,8 3,6 5 + 127Plantes oléagineuses 5,4 12 18 23 + 326Betteraves sucrières 25 56 79 74 + 198Thé 0,3 0,5 0,5 0,6 + 100Fruits 6,9 15 44 118 + 1.610Viande (porc, bœuf, mouton) -- -- 37 45 --Produits de la pêche 4,9 9,6 31 38 + 675La croissance de l'agriculture est phénoménale. Mais celle de l'industrie est trois fois plus grande encore. Voici le tableau de la production dans quelques branches de l'industrie, toujours calculée par habitant 162. TABLEAU 8. PRODUITS INDUSTRIELS, PRODUCTION PAR HABITANT

Produit 1978 1988 1998 2004 Évolution1978-2004(en %)Charbon (tonnes) 0,65 0,89 1,01 1,50 + 130Pétrole brut (litres) 108 124 130 135 + 2553

Électricité (kWh) 268 495 940 1.687 + 530Acier brut (kilos) 33 54 93 210 + 536Ciment (kilos) 68 190 431 748 + 1.000Textiles (mètres courants) 11,5 17,0 19,4 32,4 + 182Une comparaison avec d'autres pays montre une fois encore à quel point la croissance est forte en Chine. Dans le tableau ci-dessous, on peut comparer la croissance de la production industrielle en Chine et dans d'autres pays entre 1995 et 2004, en prenant la production respective de chacun de ces pays en 1995 comme base de 100 163.TABLEAU 9. COMPARAISON PRODUCTION INDUSTRIELLE EN 2004 (1995 = 100) Pays ProductionIndustrielleChine 244Inde 165États-Unis 130Allemagne 117France 116Afrique du Sud 116Japon 106Italie 104Grande-Bretagne 103La production en hausse assure aux habitants une prospérité à la croissance rapide. Durant la période 1952-1978, la prospérité par habitant a augmenté en moyenne de 2,2 pour cent par an. Cela change à partir de 1978, tant dans les villes que dans les campagnes. Dans les dix premières années de la réforme, le revenu dans les campagnes augmente plus rapidement que dans les villes. Ensuite, c'est le contraire qui se produit. Entre 1990 et 2006, déduction faite des hausses des prix, le revenu net par habitant des zones rurales augmente en moyenne de 4,8 pour cent par an. Dans les villes, la hausse est de 8,1 pour cent par an 164.À mesure que le revenu augmente, les gens en dépensent un pourcentage de plus en plus faible en nourriture. Cela crée plus d'espace pour les produits qui ne sont pas de première nécessité. En 1978, 68 pour cent du revenu des habitants des campagnes est consacré à la nourriture, contre 58 pour cent dans les villes. En 2004, le pourcentage est descendu à 47 pour cent dans les campagnes et à 37 pour cent dans les villes 165. De ce fait, on assiste à une augmentation du nombre de biens de consommation que peuvent se procurer les citadins et les habitants de la campagne. Les deux tableaux suivants montrent le nombre de ces produits par

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100 ménages, dans les villes d'abord, dans les campagnes ensuite 166.TABLEAU 10. BIENS DE CONSOMMATION DANS LES VILLES (PAR 100 MÉNAGES) Produit 1990 1995 2000 2004Motocyclette 2 6 19 25 Machine à laver 78 88 90 96 Réfrigérateur 42 66 80 90 Téléviseur couleurs 59 90 116 133Appareil photo 19 30 38 47 Conditionnement d'air 0,3 8 30 70Douche -- 30 49 70Ordinateur -- -- 10 33 Téléphone portable -- -- 19 111Auto -- -- 0,5 2,2Presque tous les ménages citadins ont une machine à laver. Il y a 1,3 récepteur de télévision en couleurs par ménage. Dans les campagnes, ces chiffres sont nettement moins élevés et, dans le tableau qui suit, nous avons encore dû prendre en compte les récepteurs en noir et blanc. TABLEAU 11. BIENS DE CONSOMMATION DANS LES ZONES RURALES (PAR 100 MÉNAGES) Produit 2000 2003 2004Motocyclette 22 32 36Machine à laver 28 34 37Réfrigérateur 12 16 18Téléviseur couleurs 48 67 75Téléviseur noir et blanc 53 43 38Conditionnement d'air 1,3 3,5 4,7Téléphone portable 4,3 24 35

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Téléphone fixe 26 49 54Le développement est moins rapide dans les campagnes que dans les villes. N'empêche que nous pouvons tirer notre chapeau devant de telles performances. Le directeur général de l' Organisation mondiale du commerce, Supachai Panitchpakdi, déclare : " Aucun pays dans l'histoire n'a connu semblable ascension économique. À tous points de vue, il s'agit de résultats impressionnants. La forte croissance économique de la Chine doit être perçue comme un moteur de la croissance dans le monde. La Chine est une source d'inspiration pour d'autres pays en voie de développement 167. "

Une économie toujours faible

Pourtant, l'économie est encore très faible, bien que la Chine soit parfois présentée comme une superpuissance. En fait, il s'agit d'un pays en voie de développement. La Chine compte 25 pour cent de toute la main-d'œuvre mondiale, alors que son économie ne représente que 6 pour cent de l'économie de la planète. En comparaison, les États-Unis comptent moins de 5 pour cent du total de la main-d'œuvre, mais leur économie représente 16 pour cent de l'économie planétaire.Ce n'est qu'en 2040 que l'économie chinoise sera aussi importante que celle des États-Unis. Mais, à cette date, le revenu par habitant en Chine ne se situera toujours qu'entre un quart et un tiers de celui des États-Unis. En 2040, la Chine aura une économie d'un niveau de développement semblable à celui de la Grèce aujourd'hui 168. Du moins, si nous tablons sur le maintien d'une croissance économique aussi forte que celle des 29 années écoulées, ce qui est loin d'être certain, car l'économie occidentale n'est pas en bonne santé et, en cas de krach, il en résulterait des répercussions négatives sur l'économie chinoise.On peut mesurer le taux de développement d'une économie à l'aide du produit national brut par habitant, de la partie de la population qui travaille en zone rurale et de la part de l'agriculture dans l'ensemble de l'économie. Quand on manie ces trois critères, la Chine de l'an 2000 est au même niveau que les États-Unis de l'an 1900169. Le tableau ci-dessous indique la proportion de main-d'œuvre dans les trois secteurs : agriculture, industrie, services, et la part de chacun de ces secteurs dans le produit intérieur brut :TABLEAU 12. COMPOSITION DU PRODUIT INTÉRIEUR BRUT ET EMPLOI PAR SECTEUR EN 2006 Secteur Emploi(en %) Part PIB(en %)Agriculture 44 11Industrie 24 50Services 32 39En Chine, 44 pour cent du total de la main-d'œuvre travaille dans l'agriculture. Aux États-Unis, 2 pour cent seulement. Les 44 pour cent travaillant dans l'agriculture n'ont produit en 2006 que 11 pour cent du produit intérieur brut.Un autre critère de développement est l'électrification du pays. La Chine a une capacité électrique installée de 0,3 kilowatt par habitant 170. Cela ne représente que 10 pour cent de la

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capacité des États-Unis, même si la production d'électricité en Chine a été multipliée par six ces 29 dernières années.Il n'y a pas que le volume de l'économie. Sa nature, aussi, présente un important retard sur les économies de l'Occident et du Japon. Quelque 130 millions de Chinois travaillent pour l'exportation, soit un sixième de la main-d'œuvre totale. Les exportations consomment beaucoup de main-d'œuvre, mais concernent surtout des produits assemblés à faible valeur. Par contre, les importations en Chine représentent des produits de valeur élevée. Concrètement : pour pouvoir payer un seul avion d'Airbus, la Chine a besoin des bénéfices de la vente de 800 millions de T-shirts 171. La Chine doit vendre 8,5 millions de paires de chaussures si elle veut acheter un seul Boeing 172. En décembre 2005, la Chine a commandé 150 appareils chez Airbus et 70 autres chez Boeing. On peut s'imaginer à quel point la Chine doit " inonder " les marchés mondiaux de ses T-shirts, chaussures, jouets et autres babioles de toutes sortes, rien que pour pouvoir se procurer ces avions. En équivalents, il s'agit de 120 milliards de T-shirts et de 600 millions de paires de chaussures. L'économie chinoise a très peu de technologie qui lui est propre. Les États-Unis et le Japon utilisent environ 5 pour cent de technologies étrangères, dans leur processus de production. En Chine, le pourcentage de technologies étrangères dépasse 50 pour cent 173. Financièrement et écologiquement, le très faible niveau technologique de l'économie est une affaire coûteuse. Pour produire une marchandise d'une valeur de 1 dollar, la Chine a besoin de 4,4 fois plus d'énergie que les États-Unis, déjà considérés comme de gros gaspilleurs sur ce plan. Si on la compare avec le Japon ou l' Europe occidentale, c'est encore pire : la Chine a besoin de 7,7 fois plus d'énergie que l'Allemagne et la France pour produire une marchandise de 1 dollar. Avec le Japon, le rapport est même de 11 174. Le faible niveau technologique du mode de production est l'une des raisons pour le quelles la richesse produite par un travailleur chinois moyen est tellement plus petite que celle produite par un travailleur américain, japonais ou ouest-européen. Il existe naturellement en Chine des usines qui, sur le plan de la technologie et de la productivité, sont comparables aux usines japonaises ou occidentales (entre autres, les filiales des multinationales étrangères), mais elles ne constituent qu'une petite minorité. En 2000, la valeur ajoutée moyenne produite par un travailleur de l'industrie aux États-Unis est 28 fois plus grande que celle d'un travailleur chinois de l'industrie 175. Un travailleur américain produit cette année une plus-value de 81 000 dollars, un travailleur allemand 80 000 dollars et un travailleur chinois 2 900 dollars. Même si on tient compte du fait que les salaires en Chine sont de loin inférieurs à ceux du Japon et de l'Occident, la compétitivité de l'économie chinoise reste quand même beaucoup plus faible 176. C'est pourquoi la part de la Chine dans le commerce international est médiocre. Aujourd'hui, la Chine ne prend toujours à son compte que 6,5 pour cent des exportations mondiales. C'est très peu si on considère qu'elle compte 22 pour cent de la population planétaire. Dans le tableau ci dessous, on peut découvrir les chiffres des exportations de divers paysen 2005, tant en volume que par habitant 177.TABLEAU 13. EXPORTATIONS EN VOLUME ET PAR HABITANT EN 2005 Pays Exportations (en milliards d'USD) Population (en millions d'hab.) Exportations par hab. (en USD)Allemagne 970 80 12.125États-Unis 904 292 3.095 Chine 762 1.300 586

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Japon 595 125 4.760France 460 60 7.666Pays-Bas 402 16 25.125Grande-Bretagne 382 59 6.474Italie 367 57 6.438Canada 359 32 11.218Belgique 334 10 33.400En volume d'exportation, la Chine figure en troisième place, après l'Allemagne et les États-Unis, ce qui n'est déjà pas très brillant. Mais, si on tient compte du chiffre de la population chinoise, on voit que c'est encore beaucoup plus grave. La Chine arrive en dernière place sur cette liste, avec 586 dollars d'exportations à peine par habitant. Tous les autres pays la dépassent de la tête et des épaules.Un autre aspect du faible degré de développement de l'économie réside dans le faible niveau des bénéfices d'entreprises. En 2005, dans le top 100 des entreprises les plus rentables au monde, figurent seulement quatre entreprises chinoises : Petro China au rang 10, China Mobile au rang 53, China Construction Bank au rang 72 et Sinopec au rang 89. Le top 6 américain fait 110 milliards d'euros de bénéfices. C'est autant que les 159 entreprises d' État centrales qui constituent l'épine dorsale de l'économie chinoise. Même tableau lorsqu'on se penche sur la situation financière, les possibilités de croissance et l'image de marque auprès du consommateur des firmes du top mondial. Dans le top 100 de ces marques les plus appréciées en 2007, on ne trouve quetrois entreprises chinoises : China Mobile au rang 5, Bank of China aurang 38 et China Construction Bank au rang 61 178.Le 11 octobre 2005, le Bureau politique du Parti communiste soumet un document à l'approbation du Comité central. On peut y lire : " Il nous faut absolument comprendre que notre pays se trouve toujours dans la première phase du socialisme et que cela va encore durer tout un temps. Les forces productives n'ont pas encore été pleinement développées et le développement en ville et dans les campagnes est encore inégal. La façon extensive de produire a été insuffisamment amendée, la structure économique n'est pas assez rationnelle, la capacité d'innover en toute indépendance n'est pas forte, les contradictions entre le développement économique et le développement social et entre l'économie et l'écologie s'accroissent. La pression sur l'emploi ne diminue pas. Il y a beaucoup de différences dans les revenus 179. "Le parti essaie d'aborder ces problèmes et contradictions, mais il ne faut pas se bercer d'illusions : dans cette phase du développement économique, il ne peut régner d'harmonie parfaite, des problèmes apparaîtront, et parfois très graves. Le socialisme est un processus de développement. Ce qui existe au début ou dans le cours de ce processus est différent et moins bon que ce qui aura été réalisé à la fin de ce même processus. Le 10 février 2005, le président du parti, Hu Jintao, déclare dans un long discours adressé aux principaux cadres du parti des niveaux national et provincial : " Notre société socialiste est une société qui présente des contradictions. Le processus de construction d'une société harmonieuse, socialiste, est un processus permanent visant à résoudre toutes les espèces de contradictions et un processus visant à écarter les facteurs non harmonieux et à renforcer les facteurs harmonieux. À mesure

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que la Chine va vers son développement, certaines contradictions s'amplifient. C'est un phénomène que nous ne pouvons pas éviter tout à fait, car notre société subit en permanence des mutations profondes. Nous devons aborder ces contradictions et trouver des façons de les résoudre 180. "

Les problèmes dans les zones rurales

En premier lieu, l'industrialisation de la Chine a été financée par les campagnes. C'est d'ailleurs le cas dans la plupart des pays qui tentent de sortir du sous-développement. Les villes se développent en même temps que l'industrie. Presque inévitablement apparaît un développement inégal : les villes progressent plus rapidement que les campagnes sur le plan du revenu individuel, des soins de santé, de l'enseignement, des infrastructures, de la culture et des transports, des équipements sociaux... Aussi, le plus gros problème économique et social auquel la Chine est confrontée aujourd'hui est-il celui du retard des zones rurales sur les zones urbaines.En Chine, la pauvreté a toujours été principalement l'affaire des campagnes. Sur ce plan, le pays peut présenter un palmarès susceptible de faire revenir sur ce jugement. James Morris, le directeur du Programme alimentaire mondial, dit que les prestations de la Chine dans la lutte contre la pauvreté " sont le plus grand miracle du 20e siècle 181 ". Si on applique la norme officielle chinoise en matière de pauvreté, le pays a réduit son nombre de pauvres, de 250 millions en 1978 à 25 millions de nos jours. Selon les normes internationales en matière de pauvreté (un revenu de moins de 1 dollar par jour), le nombre de pauvres a baissé, passant de 490 millions en 1978 à 85 millions aujourd'hui, soit de 49 pour cent de la population à 7 pour cent 182. Selon la norme chinoise, près de 24 millions de pauvres absolus vivaient dans les campagnes en 2005. Mais, si on y ajoute les gens des campagnes qui ont un revenu égal à cette norme et la dépassant de 50 pour cent, on atteint quand même un total de 65 millions de pauvres. Malgré les prestations excellentes, la pauvreté n'a donc pas encore été éradiquée. Du fait que le développement est plus rapide dans les villes qu'à la campagne, les différences de revenus sont de plus en plus grandes. Ces quinze dernières années, le revenu du citadin a augmenté presque deux fois plus vite que celui de l'habitant des campagnes. Le revenu moyen en ville est actuellement 3,2 fois plus élevé que le revenu moyen dans les campagnes. Le revenu moyen de Shanghai, de loin la ville la plus développée, est entre sept et dix fois plus élevé que dans les provinces rurales les plus arriérées. La province la plus riche est celle du Zhejiang. Ici aussi, le revenu du citadin est 2,5 fois plus élevé que celui du campagnard 183. Ensuite, il y a également de grandes différences sur le plan des soins de santé. L'espérance de vie du Chinois moyen a évolué de la façon suivante 184 :TABLEAU 14. ESPÉRANCE DE VIE EN CHINE Année Espérance de vieen années1949 351957 501980 652000 71

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Depuis la révolution, le Chinois peut espérer vivre deux fois plus vieux. Naturellement, il s'agit d'un grand progrès. Mais cette moyenne dissimule des différences importantes. Dans les villes de Beijing et Shanghai, l'espérance de vie est de 82 ans, soit presque autant qu'en Belgique. Mais, dans les provinces de Guizhou, Yunnan, Tibet, Qinghai et Xinjiang, l'espérance de vie se situe entre 64 et 67 ans. Les chiffres de mortalité des bébés de moins d'un an ont baissé dans l'ensemble de la Chine, passant de 20 pour cent en 1950 à 2,5 pour cent en 2005. Une performance pour laquelle le pays a été chaleureusement félicité par l' Organisation mondiale de la santé 185. Mais un rapport gouvernemental de 2004 affirme que le chiffre de mortalité des bébés dans les provinces les plus pauvres est quatre fois plus élevé que dans les villes 186.Pour mille habitants, on compte dans les villes trois fois plus de lits d'hôpital et cinq fois plus de travailleurs médicaux que dans les campagnes 187. Dans les campagnes vit 58 pour cent de la population, mais celle-ci n'y reçoit que 30 pour cent des dépenses en soins de santé. Le coût des soins de santé pour le patient y a également augmenté beaucoup plus vite que le revenu. Le traitement médical moyen coûte aujourd'hui 57 pour cent de plus qu'en 1998. Un séjour à l'hôpital coûte même 76 pour cent de plus 188. Résultat : dans les campagnes, presque la moitié des gens ne vont pas chez le médecin quand c'est nécessaire et 30 pour cent ne se font pas hospitaliser si un médecin le conseille 189. Dans un rapport où ils citent eux-mêmes ces chiffres tout en formulant également d'autres autocritiques, le Parti communiste et le gouvernement reconnaissent leur échec sur le plan des soins de santé dans les campagnes. Avec la disparition des communes en 1978-1980, a disparu également le système de santé dont elles étaient nanties. Le parti et le gouvernement ne sont pas intervenus suffisamment pour mettre en place un système collectif alternatif. De ce fait, les soins de santé sont devenus une responsabilité individuelle et une affaire de marché, " et on ne peut dire que ce fut un succès ", ajoute le gouvernement 190. Il existe également des problèmes au niveau de l'enseignement. Ce dernier, en Chine, a fait un énorme bond en avant. En 1977, 66 pour cent de la population savait lire et écrire. Aujourd'hui, on est passé à 91 pour cent 191. La Chine a le plus grand réseau d'enseignement au monde. Les classes maternelles comptent 23 millions d'enfants. L'enseignement primaire a 108 millions d'élèves, le moyen 60 millions, le moyen général supérieur 25 millions et le moyen professionnel supérieur 18 millions. 98,93 pour cent des filles et 98,97 pour cent des garçons de 6 à 12 ans suivent l'enseignement primaire 192. Presque un adolescent de 12 à 18 ans sur deux suit l'enseignement moyen. C'est surtout le nombre d'étudiants de l'enseignement universitaire et de l'enseignement supérieur non universitaire qui a augmenté de façon impressionnante.

Voici l'évolution du nombre des étudiants 193 :TABLEAU 15. ÉVOLUTION DU NOMBRE D'ÉTUDIANTS DANS L'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR Année Nombre d'étudiants (en millions)1978 0,81990 2,01995 2,92000 5,560

2003 11,02004 13,02006 17,4189 Ibidem.C'est ainsi que la Chine est le pays qui compte le plus d'étudiants universitaires et de l'enseignement supérieur. 1,1 million de jeunes suivent également un enseignement post universitaire. Les universités chinoises accueillent en outre quelque 100 000 étudiants étrangers. En 1990, 3 pour cent des jeunes de plus de 18 ans allaient à l'université ou dans une école supérieure. Aujourd'hui, ils sont 16 pour cent. Le plan prévoit qu'ils seront 23 pour cent en 2010 et 40 pour cent en 2020. Aujourd'hui, 5 pour cent des jeunes qui vont travailler pour la première fois ont suivi un enseignement universitaire ou supérieur non universitaire. En 2050, ils devront être 44 pour cent 194.Tous ces chiffres sont brillants, mais il y a également des problèmes. Les deux plus importants sont le coût pour les parents et la différence de qualité entre la ville et la campagne. À l'instar des soins de santé, les coûts de l'enseignement ont grimpé plus rapidement que le revenu des gens. En 2002, pour étudier à l'université, il fallait payer un droit d'inscription de 400 à 600 euros. Jusqu'en 1990, ce droit n'existait pas. Depuis les années 1990, les parents doivent également payer des frais de scolarité pour l'enseignement primaire et l'enseignement moyen. Les autorités centrales laissent le financement de l'enseignement aux autorités locales. Ce n'est pas une bonne chose pour les campagnes, plus pauvres que les villes. Les autorités locales doivent également payer les enseignants et il s'ensuit qu'un grand nombre d'entre eux s'en vont dans les villes où les traitements sont nettement plus élevés. Résultat : une pénurie d'enseignants et, en bien des endroits, ce sont des gens qui n'ont pas été formés à ces tâches qui doivent les remplacer.

Que faire ?

Les trois problèmes des campagnes que nous avons cités - le revenu, les soins de santé et l'enseignement - ont une base objective. Le modèle de développement appliqué par le Parti communiste part de la côte est où l'industrie est de loin la plus développée. On a désigné d'abord quatorze centres géographiques à partir desquels le développement est censé conquérir le reste du pays. Ce modèle de développement a pleinement prouvé sa valeur. Il est normal que, dans ces centres, se développent des villes où les habitants sont bien plus prospères. Pourtant, le Parti communiste et le gouvernement disent qu'eux-mêmes ont commis des erreurs qui étaient évitables. Chen Xiwen est le directeur du groupe dirigeant des ministères responsables du développement des campagnes. Chen déclare : " Le fait que la qualité de la vie du campagnard a du retard sur celle du citadin a des raisons historiques. Mais nous-mêmes n'avons pas suffisamment agi en vue d'améliorer les prestations de services destinées aux paysans 195. " C'est pourquoi le gouvernement a décidé que les campagnes, l'agriculture et les paysans (en chinois, résumés en un seul terme, san nong) auraient la priorité absolue. Il y aura davantage d'investissements dans les infrastructures, de soutien financier à l'agriculture, de prospérité et d'équipements sociaux pour les paysans 196.En octobre 2005, le Parlement décide que, dès le 1er janvier 2006, le revenu imposable passera de 800 à 1600 yuan par mois. Celui qui gagne 1600 yuan ou moins par mois, ne doit plus payer d'impôt sur ses revenus. C'est le cas pour plus de 80 pour cent des paysans 197. Dans

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le même temps, le gouvernement central décrète qu'il est désormais interdit aux autorités locales de prélever de nouveaux impôts dans les campagnes et d'augmenter ceux déjà existants 198. En 2006, le nombre de pauvres absolus dans les campagnes diminue de 2,2 millions, c'est à-dire de 10 pour cent, se réduisant ainsi à 21,5 millions. Le nombre de pauvres (les personnes qui ont un revenu égal au seuil de pauvreté chinois et jusqu'à 50 pour cent au-dessus) baisse cette même année de 5 millions, soit 12,5 pour cent : ils sont encore 35 millions 199.Entre-temps, le gouvernement met à nouveau sur pied un système de santé coopératif presque entièrement financé par les autorités centrales et régionales avec, en outre, une cotisation modique de la part des assurés. En 2004, 156 millions de paysans y sont affiliés. En 2006, ils sont déjà 410 millions, soit 55 pour cent de la population des campagnes. Selon le plan, l'assurance doit couvrir toute la population rurale pour 2010 200. Ensuite, un programme triennal est en cours afin d'améliorer la formation des travailleurs médicaux ruraux et d'envoyer dans les campagnes des médecins des villes 201.Sur le plan de l'enseignement non plus, le gouvernement ne reste pas inactif. Dès 2008, il entend payer les salaires des 6 millions d'enseignants des campagnes à partir du budget du ministère central de l' Enseignement 202. Le revenu des enseignants ruraux sera alors le même que celui de leurs collègues des villes. En outre, le gouvernement a décidé en 2007 de supprimer les coûts de scolarité pour 150 millions d'enfants des campagnes en âge d'aller à l'école (jusqu'à leur 15e anniversaire). Les 500 000 étudiants les plus pauvres des écoles supérieures ou des universités recevront dès 2007 une aide mensuelle de 150 yuan. En 2006, 50 000 étudiants seulement avaient pu en profiter. Dans les étapes suivantes, le gouvernement veut également assurer la gratuité des manuels scolaires tant dans l'enseignement primaire que dans le moyen (jusqu'à l'âge de 15 ans). Dans les campagnes, les uniformes scolaires doivent également être gratuits - c'est déjà le cas pour diverses provinces pauvres 203.La solution fondamentale au retard des campagnes réside dans l'industrialisation et l'urbanisation. Le lopin de terre arable d'une famille paysanne moyenne est trop petit pour espérer en tirer une prospérité égale à celle d'un citadin. Trop de personnes dépendent des activités agricoles. Pourtant, bien des choses ont déjà changé. Le tableau ci-dessous montre comment, après 1965, les activités professionnelles ont de plus en plus glissé vers l'industrie et les services.TABLEAU 16. EMPLOI PAR SECTEUR ÉCONOMIQUE (EN %) 1952 1957 1965 1978 2004 2006Agriculture 83 81 82 70 46 44Industrie 7 9 8 17 23 24Services 10 10 10 13 31 32Le passage de la main-d'œuvre excédentaire de l'agriculture à l'industrie et aux services est le mécanisme le plus effi cace pour l'augmentation du niveau de vie dans les campagnes, pour l'industrialisation du pays et pour l'émancipation culturelle et idéologique des habitants des campagnes. Actuellement, 284 millions de personnes travaillent toujours dans l'agriculture. C'est 150 millions de trop. L'excédent de main-d'œuvre va s'accroître à mesure que l'agriculture passera à une échelle plus grande et se mécanisera davantage 204. En même temps que l'industrialisation se développe l'urbanisation. Le tableau ci-dessous montre le résultat de 29 années d'urbanisation en Chine 205.

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TABLEAU 17. ÉVOLUTION DU RAPPORT DE POPULATION ENTRE ZONES RURALES ET URBAINES 1978 2004 Evolution1978-2004Population totale 962 miljoen 1.300 miljoen + 35 %Zones rurales 790 miljoen(82 %) 757 miljoen(58 %) - 5 %Villes 172 miljoen(18 %) 543 miljoen(42 %) + 215 %La partie de la population qui vit dans les campagnes a baissé en un quart de siècle : de 82 pour cent à 58 pour cent de la population. Ces dix dernières années, la population urbaine s'est accrue de 200 millions d'unités, ce qui équivaut à la population totale de l'Allemagne, de la Grande-Bretagne et de la France. Le rythme de l'urbanisation est très élevé. Pourtant, 750 millions de personnes vivent toujours dans les campagnes. L' Europe occidentale et les États-Unis ont eu besoin de 300 ans pour accomplir leur industrialisation et leur urbanisation. La Chine ne dispose pas de tout ce temps. Le pays a l'intention de construire chaque année 20 villes d'entre 500 000 et un million d'habitants. Chaque fois, 15 millions de personnes. Chaque année, on assiste à la naissance de villes qui, additionnées, sont aussi grandes que New York et Londres ensemble.

Les syndicats et les droits syndicaux

Le 8 mars 2007, dans le journal du parti, le Renmin Ribao, paraît un article signé par le Premier ministre Wen Jiabao. On peut y lire : " Le camarade Deng Xiaoping a prouvé qu'en essence, le socialisme consistait à libérer et développer les forces productives, à éliminer l'exploitation et la polarisation et à réaliser la prospérité pour tous. Cela signifie que, dans la consolidation et le développement du socialisme, nous devons nous concentrer sur deux tâches principales : la première est le développement des forces productives afin d'améliorer la prospérité du pays, la seconde consiste à améliorer la probité et la justice sociale, à faire s'enflammer la créativité de la nation tout entière et à tendre vers l'harmonie sociale. Ces deux tâches sont mutuellement liées et elles se renforcent l'une l'autre 206. "Force est de constater que, ces 29 dernières années, ces deux tâches n'ont pas toujours été mutuellement liées et qu'elles ne se sont pas non plus toujours renforcées l'une l'autre. Mais était-ce tout à fait évitable dans une société qui évolue si vite ? Lorsque, dans les années 1990, l'industrie privée et les multinationales étrangères prennent à leur compte une part toujours plus importante de l'emploi, la classe ouvrière et le syndicat sont confrontés à une situation nouvelle. L'industrie privée et les multinationales ont un premier atout : la plupart des travailleurs viennent du secteur agricole où, durant deux millénaires, a régné une mentalité féodale de servilité. Ces nouveaux travailleurs n'ont encore ni l'expérience de lutte ni les conceptions d'une classe ouvrière adulte. Un second atout : outre les anciens paysans, la classe ouvrière est surtout constituée de gens qui, des années durant, ont travaillé pour des entreprises d' État. Ils ont grandi dans des entreprises où la direction était aux côtés des travailleurs. Aujourd'hui, ils sont confrontés à des patrons qui, en premier lieu, cherchent leur propre intérêt. Brusquement, il y a là les contradictions de classes propres à l'usine capitaliste.

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Les travailleurs, le syndicat et les membres du parti également ont eu besoin de plusieurs années pour s'y adapter. Aujourd'hui encore, il y a des cadres du parti, des autorités locales et du syndicat qui pensent qu'il ne faut pas être trop pointilleux avec la législation sociale. Ils pensent : du moment que l'économie progresse... Le troisième atout des patrons nationaux et étrangers, c'est que la Chine a besoin d'eux. Heureusement, de moins en moins, mais la Chine a toujours besoin de leurs capitaux, de leurs technologies, de leurs techniques de management et de leurs possibilités de création d'emploi. Ces trois éléments ont fait régulièrement en sorte que - comme le décrit Wen Jiabao - " la probité et la justice sociale " sont restées à la traîne sur " la libération et le développement des forces productives ".Ons Recht (notre droit), le journal du syndicat flamand des employés LBC (de la CSC) en Belgique, écrit : " Dans l'usine chinoise de Philips, le personnel travaille huit heures par jour, cinq jours par semaine. Et, en sus des salaires, Philips paie un fort pourcentage pour les pensions et l'assurance maladie 207. " C'est ce qui est écrit dans la loi et c'est ainsi que ça doit aller également. Mais Philips est une exception. La plupart des multinationales ont foulé aux pieds la législation sociale. En Occident, des hommes politiques disent souvent : " En Chine, les travailleurs n'ont pas de droits sociaux et ils sont exploités. " Mais ils ne disent pas que ce sont surtout les multinationales occidentales qui foulent aux pieds les droits des travailleurs et ne respectent pas la législation. Bien des multinationales pensent qu'elles peuvent faire en Chine ce qu'elles font dans d'autres pays du tiers monde. Dans la législation chinoise, il est écrit que les travailleurs peuvent travailler au maximum 44 heures et 5 jours par semaine. Mais dans la province relativement très industrialisée du Guangdong, c'est plutôt l'exception que la règle, ainsi qu'il ressort d'une enquête. Bien des travailleurs doivent prester " volontairement " des heures supplémentaires qui, parfois, ne sont même pas payées. Le journal gouvernemental China Daily écrit : " L'accroissement de l'efficience au travail est l'un des objectifs de la réforme et il est tout à fait justifié. Mais ce que font de très nombreux patrons est illégal, immoral et inadmissible 208. " La situation est la plus grave parmi les immigrés intérieurs, les gens qui quittent les campagnes pour se rendre dans les régions où l'industrie est répandue et y travailler quelques mois par an voire, parfois, quelques années. Ils sont 150 millions. Ils se voient généralement confier les travaux les plus sales ou les plus lourds, moyennant les salaires les plus bas 209. Wuyun Qimuge, un vice-président du Parlement, dit que le salaire moyen du migrant ne représente que 58 pour cent de celui des autres travailleurs. Parmi les femmes migrantes, seule une infime minorité a un contrat de travail sur papier. Une porte-parole de la Fédération des femmes du parti déclare : " Pas de contrat de travail signifie pas de protection des droits, un salaire instable et de mauvaises conditions de travail 210. "En 2003, le parti, le gouvernement, le Parlement et le syndicat lancent une campagne pour ramener les patrons dans les limites de la législation. Cela doit se faire en premier lieu en renforçant le syndicat dans les entreprises. Tant pour les migrants que pour tous les travailleurs. Le syndicat dit en même temps qu'il entend recruter 10 millions de nouveaux membres tous les ans, dont 6 millions de migrants. Et ça marche en 2003, le syndicat comptait 130 millions de membres ; en 2007, ce chiffre est passé à 170 millions. En 2003, le parlement chinois lance une commission d'enquête qui publie un rapport dans lequel on peut lire : " Moins de 10 pour cent des 500 000 entreprises étrangères en Chine ont toléré la présence d'un syndicat 211. " À la suite de quoi, Wang Zhaoguo, un autre vice-président du Parlement, met les patrons en garde dans des propos sans la moindre équivoque : " Les employeurs qui empêchent l'organisation d'un syndicat dans leur entreprise seront cités à comparaître devant le juge 212. " Les multinationales se démènent comme le diable dans un bénitier. À Shanghai et Beijing, elles organisent des journées d'étude afin de voir comment elles pourraient arrêter l'offensive chinoise. Lors de l'une de ces journées d'étude, un dirigeant d'entreprise en colère lâche : " Les Chinois veulent non seulement un syndicat, ils veulent également des sections du

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Parti communiste dans nos entreprises !213 " Ce qui, en outre, est parfaitement exact. Le gouvernement essaie en même temps une seconde tactique. En Chine, perdre la face est la chose à peu près la plus grave qui puisse arriver à une personne ou à une entreprise. En octobre 2005, le ministère de l' Emploi et des Affaires sociales de la province de Guangdong publie une liste sur laquelle figurent les noms de vingt entreprises et de leurs directeurs qui, selon le ministère, " commettent de graves infractions contre la législation du travail ". Et d'ajouter dans le même souffle que, désormais, il va publier tous les noms des entreprises et de leurs responsables qui ne s'en tiennent pas à la loi. Le ministère associe le communiqué à un appel aux travailleurs afin qu'ils n'acceptent plus ces pratiques déplorables 214.Mais le point principal réside dans la création et le renforcement du syndicat dans les entreprises et, en premier lieu, dans les plus importantes : les filiales des multinationales. Si, pour fin 2004, la situation ne s'est pas améliorée, les autorités chinoises vont durcir leur attitude. Cheng Siwei, encore un autre vice-président du Parlement, cite nommément les multinationales Wal-Mart, Kodak, Dell et Samsung. Il déclare : " Toutes les entreprises qui sont installées en Chine doivent respecter les lois chinoises. Qu'importe qu'elles soient grandes et importantes ou non 215. "Finalement, le parti et le syndicat décident d'opérer une percée en force auprès de l'une des multinationales les plus réactionnaires : la chaîne américaine de grands magasins Wal-Mart, propriété de la famille Walton. Wal-Mart emploie 30 000 personnes en Chine. Cinq membres de la tribu Walton occupent les places numérotées de 10 à 14 dans le hit-parade des personnes les plus riches au monde. Chacun d'entre eux possède 18 milliards de dollars sur son livret d'épargne. Partout dans le monde, la multinationale interdit les syndicats. En février 2005, quand deux cents employés du magasin Wal-Mart veulent fonder un syndicat à Jonquière (Canada), Wal-Mart ferme son magasin. La haine de Wal-Mart à l'égard des syndicats est telle que la firme préfère abandonner une activité plutôt que d'autoriser un syndicat. Dans le manuel que chaque manager doit étudier lors de sa désignation, il est écrit : " Tenir le syndicat à l'extérieur est une chose qui doit vous occuper l'esprit constamment. L'engagement de rester libre de tout syndicat doit exister à tous les niveaux du management : depuis le conseil de gestion jusqu'au responsable des magasins. 365 jours par an, vous devez garder cet objectif en vue 216. "Sans grand embarras de la part des autorités américaines, Wal-Mart fait même travailler régulièrement des enfants aux États-Unis. La CISL (Centrale internationale des syndicats libres) déclare en juillet 2004 : " Wal-Mart viole en permanence les droits des travailleurs aux États-Unis. Depuis 1995, quelque 60 plaintes sont en cours contre la chaîne de magasins pour infractions multiples à la législation sociale 217. " La Justice américaine ne fait rien. Elle refuse de condamner Wal-Mart, ne serait-ce qu'une seule fois. Si la Chine parvenait à mettre Wal-Mart à genoux, les autres multinationales en Chine devraient bien suivre. Et cela conforterait la position des syndicats qui, en Europe occidentale et aux États-Unis, luttent également pour faire accepter les syndicats chez Wal-Mart. Le dirigeant syndical Zhang Hongzun explique : " Si nous parvenons à organiser un syndicat chez Wal-Mart, cela constituera un gros encouragement pour le syndicat aux Etats-Unis 218. " Le 28 juin 2006 à 10 heures du soir, 25 travailleurs du siège de Wal-Mart à Pujiang (province méridionale du Fujian) se réunissent. Le siège local emploie 400 personnes. Si les travailleurs se retrouvent si tard, c'est pour toucher en même temps les gens des deux équipes, matin et après-midi. L'assemblée s'ouvre avec l'hymne populaire national :" Debout, toi qui ne veux plus être esclave ! " Cinq heures plus tard, l'assemblée se termine par l'Internationale219. Ensuite, on a désigné un président et deux vice-présidents. Ceux qui ont dirigé le processus jusqu'à ce moment sont le vice-président national du syndicat, Xu Deming, et le secrétaire local du parti, Zheng Wenshan. Les deux hommes sont en contact permanent avec les échelons supérieurs du syndicat et du parti. Les 25 travailleurs qui veulent créer la section

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syndicale doivent se mettre à l'oeuvre très prudemment afin d'éviter d'être licenciés. Ils ont été recrutés par des syndicalistes extérieurs à l'entreprise. Durant plusieurs semaines, ils s'adressent aux travailleurs quand ils entrent ou quand ils sortent, ils distribuent des tracts et des bulletins syndicaux aux portes de l'entreprise, ils se rendent incognito au domicile des travailleurs. Au bout d'un certain temps, ils ont d'abord convaincu un, puis deux, trois, quatre travailleurs. Ceux-ci commencent à leur tour à s'adresser à leurs collègues au sein de l'entreprise. Avec le message suivant : " Si vous ne désirez pas vous affilier au syndicat, c'est votre droit. Mais, par contre, motus et bouche cousue, car, autrement, notre boulot est en danger 220. " Ces premiers syndicalistes chez Wal-Mart diront plus tard : " Nous devions d'abord convaincre les gens de la nécessité d'un syndicat. Ce n'est pas si simple que cela, mais nous devions choisir cette voie : nous devions partir de leurs idées et conceptions, faire croître leur conscience démocratique et susciter leur enthousiasme à propos du travail syndical 221. " Fin juillet 2006, on en est là. Les syndicalistes introduisent une demande de mise en place d'une section syndicale. Wal-Mart ne peut faire autrement que d'accepter le fait accompli. Entre-temps, des délégations syndicales sont pratiquement prêtes dans quinze autres endroits. Aborder une confrontation musclée avec seize succursales en même temps, ce n'est pas possible, même pour Wal-Mart. Après la reconnaissance de la section syndicale de Pujiang, les choses vont très vite. Dans la semaine qui suit, six autres sections sont encore créées. Aujourd'hui, il y a des sections syndicales dans plus de 60 succursales de Wal-Mart en Chine. Après cette victoire, le syndicat ACFTU écrit dans son journal : " Ces dernières années, dans notre travail de constitution de syndicats, nous avons rencontré beaucoup de résistance passive de la part des employeurs. Les choses étaient très difficiles. Ce succès chez Wal-Mart recule les limites dans le sens où nous avons désormais trouvé une nouvelle façon de penser. Cela aura pour effet d'inciter plus encore les investisseurs étrangers et privés à s'en tenir aux lois et à autoriser les syndicats ; ensuite de faire comprendre aux syndicalistes qu'ils ont une nouvelle mission désormais. La nouvelle logique dans l'installation de syndicats requerra des adaptations de notre travail, de nos méthodes, de nos structures. Nous nous mettrons en quête des militants qui doivent constituer l'épine dorsale de notre organisation 222. "Après cette percée, d'autres sections syndicales suivront dans diverses multinationales et le mouvement se poursuit toujours. En janvier 2007, Foxconn, la multinationale qui fabrique l'iPod pour le compte d'Apple, a été obligée d'autoriser la présence de sections syndicales. En Chine, Foxconn emploie 200 000 personnes. En mars 2007, le syndicat et les autorités ont lancé une campagne en vue de forcer McDonald's (50 000 travailleurs), KFC et Pizza Hut (ensemble, 100 000 travailleurs) à respecter la loi. Toutes trois soumettent leur personnel à temps partiel à des barèmes salariaux qui se situent nettement en deçà des minima légaux 223. Pour la fin 2007, conformément au plan, il doit y avoir des sections syndicales dans au moins 70 pour cent des filiales des multinationales en Chine.Dans le prolongement de l'offensive nationale en vue de faire accepter les syndicats partout et de faire respecter la législation sociale, le Parti communiste a préparé une nouvelle Loi du travail qui doit encore entrer en vigueur en 2007. Le syndicat national ACFTU est déjà occupé à ouvrir 866 nouvelles " boutiques juridiques " auxquelles les travailleurs pourront s'adresser pour des renseignements ou pour introduire une plainte si le patron ne respecte pas la nouvelle loi.La loi prévoit que le patron et le syndicat doivent négocier sur un pied d'égalité les conventions collectives de travail. Lors de l'embauche d'un travailleur, la période d'essai peut durer deux mois au maximum, ensuite le travailleur doit recevoir un contrat définitif. Le licenciement collectif est interdit sans l'autorisation du syndicat. Le licenciement individuel doit être justifié et n'est autorisé que si le syndicat en est averti à l'avance. En cas de licenciement, le patron doit payer une indemnité fixe de licenciement. Il y a un contrôle strict du respect des lois sociales existantes, comme la semaine de travail de 44 heures, la semaine

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de cinq jours, le salaire minimal, le paiement des heures supplémentaires. Une composante très importante de la loi, c'est que tous les patrons sont obligés, à l'embauche, de signer un contrat de travail sur papier. En ce moment, 20 pour cent seulement des travailleurs du privé ont un contrat de travail écrit 224. Les contrats collectifs doivent être plus avantageux que les minima prescrits par les autorités nationales et locales. Les normes des contrats individuels ne peuvent être inférieures à celles des contrats collectifs. En avril 2006, une première version de cette nouvelle loi du travail devant encore être approuvée est publiée dans les médias chinois. Les autorités demandent à la population d'y aller de ses commentaires sur la loi et, à cet effet, elle met à sa disposition un site internet. Pas moins de 191 849 réactions entrent. Le syndicat, le parti, le Parlement tiennent d'innombrables réunions ouvertes afin de savoir ce que la population pense et comment il est encore possible d'amender la loi. Un petit échantillon de démocratie directe qui a également pour but de mobiliser la population et de la rallier à cette démarche importante. Mais il y a également des réactions de la part des multinationales et elles ne sont pas positives. L'American Chamber, le quartier général des multinationales américaines à Shanghai, rédige un document de 42 pages dans lequel il est dit que la loi " mine les possibilités d'embauche des travailleurs chinois et aura un impact négatif sur le pouvoir attractif de la Chine sur les investissements étrangers ". Keyong Wu, un conseiller de la Chambre britannique de commerce, dit que si la loi entre en vigueur, les multinationales pourraient bien tourner le dos à la Chine et se rendre en Inde, au Pakistan ou en Asie du Sud-Est. Serge Janssens de Varebeke, le président de la Chambre européenne de commerce, tient le même discours de chantage auquel nous ont habitués les capitalistes : " La loi va accroître les coûts de production. Cela va forcer les entreprises étrangères à reconsidérer les investissements prévus et à se poser la question de savoir si elles doivent poursuivre leurs activités en Chine 225. " Xie Liangmin, vice-président de la section Législation du syndicat ACFTU, répond : " Cela dépasse les bornes d'intervenir dans la mise en place de la législation d'un pays en le menaçant de retirer sesInvestissements 226. " Fin avril 2007, le Parlement s'attelle à l'évaluationde la troisième version de la législation du travail. Au moment de la mise sous presse du présent numéro d'Études marxistes, le résultat de cette évaluation n'est pas encore connu. En tout cas, des voix s'élèvent déjà pour que l'on complète la nouvelle loi du travail par de nouvelles lois sur la sécurité sociale, la sécurité au travail, la formation dans les entreprises, la sécurité de l'emploi, etc.

Le Parti communiste

Aucun parti, groupe ou instance dans l'histoire n'a tant fait pour un si grand nombre de personnes que le Parti communiste chinois. Le parti a libéré le pays d'un siècle de colonialisme et de deux mille ans de féodalité ancienne. Le parti a réunifié le pays et, en 60 ans, il a réalisé un revirement complet sur le plan social, économique, politique et culturel. Le capitalisme existe depuis quelque 300 ans déjà. Pourtant, il n'a pu apporter la modernisation que dans 40 pays à peine alors que plus de 100 pays se débattent toujours dans le sous-développement. En outre, le capitalisme n'a pu atteindre ce degré de développement dans un nombre restreint de pays qu'en s'emparant de millions d'esclaves dans d'autres pays et en institutionnalisant l'esclavage dans ces mêmes pays, qu'en pillant des matières premières - un pillage qui se poursuit toujours à l'heure actuelle - en Asie, en Afrique et en Amérique latine, et en déclenchant des guerres de conquête et de destruction aux quatre coins de la planète. Le Parti communiste chinois n'a eu besoin que de 60 années pour sortir 1,3 milliard d'humains de la misère et leur assurer un relatif bien-être sans voler pour autant un gramme d'argent, une once d'or ou une goutte de pétrole ailleurs dans le monde. Le parti a élaboré un modèle de

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développement qui s'est mué en source d'inspiration pour d'autres pays du tiers monde. Pour beaucoup de pays d'Afrique, d'Asie et d'Amérique latine, la Chine est un compagnon de route. Le président sud-africain Mbeki déclare : " L'espoir de l'Afrique réside sur la place de la Paix Céleste à Beijing 227. " Sous la direction du Parti communiste, la Chine met sur pied de nombreux fronts unis en compagnie d'autres pays et groupes de pays et elle parvient ainsi à jeter un solide barrage contre la menace de guerre des États-Unis et les exigences américaines d'un monde unipolaire sous le commandement de Washington. Durant ses 85 années d'existence, le parti a connu bien des dangers et bien des crises. Il les a tous surmontés en se cramponnant au marxisme et à ses principes de fonctionnement mis en oeuvre dans la pratique. Dans ses propres rangs, le parti n'a jamais cessé de mener la lutte contre les fautes de gauche et de droite. Les expériences, de même que l'innovation théorique qui les a accompagnées, sont extraordinairement enrichissantes pour les marxistes des autres pays du monde. Ce palmarès fait quelque peu hésiter lorsqu'on veut parler des problèmes que connaît le Parti communiste chinois. La direction du parti fait elle-même état de deux problèmes majeurs : la capacité du parti et des cadres à aborder de façon correcte les nouvelles contradictions complexes et la fermeté idéologique du parti. De nouvelles contradictions apparaissent, comme le développement inégal entre villes et campagnes, le contrecoup de la croissance économique sur l'environnement, le développement inégal de l'économie et des équipements sociaux, la montée d'un nouveau groupe de capitalistes, l'infiltration des idées libérales à propos de l'économie et de la société, la situation souvent injuste des 150 millions de migrants, la trop lente émancipation de la femme... Dans le même temps, le monde entier change à une vitesse étonnante. La mondialisation économique couvre aujourd'hui la totalité du globe terrestre. Les pays impérialistes se cramponnent obstinément à leurs empires alors que les pays du tiers monde en exigent la fin de façon de plus en plus insistante. Depuis 33 ans déjà, le capitalisme est en crise et il ne voit toujours pas d'issue à cette crise. Dans les pays capitalistes, le chômage demeure immense, les salaires stagnent malgré la productivité plus élevée, la pauvreté s'accroît et le fossé entre riches et pauvres n'a jamais été aussi large dans l'histoire. Tous ces changements et contradictions ont leur contrecoup sur la situation en Chine. Le Comité central du parti déclare : " La conjuration stratégique des forces hostiles en vue d'occidentaliser la Chine et de la désagréger se poursuit sans discontinuer 228. " Dans l'édification du pays, le parti tient compte de ces contradictions intérieures et extérieures et des objectifs des forces hostiles. Mais tout cela ne suffi t pas à modifier facilement la situation. Le parti dirige aujourd'hui le pays depuis presque 60 ans. Il compte 70 millions de membres et 3,4 millions d'unités de base. Il a des millions de cadres. Mais, selon la direction du parti, un très grand nombre de ces cadres doivent faire de sérieux efforts en vue de mieux s'acquitter de leur tâche. En décembre 2006, une assemblée sur la situation socio-économique réunit le Bureau politique du parti, nombre de membres du Comité central et des figures de pointe de divers secteurs économiques. À l'issue de son déroulement, la conférence publie un texte dans lequel il est dit : " Les cadres dirigeants doivent accroître d'urgence le niveau de leurs connaissances et leurs capacités de travail à la lumière de l'application du concept du développement scientifique. Ils doivent approfondir leur connaissance du marxisme-léninisme et s'approprier davantage ses points de vue et méthodes. Ils doivent étudier afin de mieux comprendre les principes moteurs et les décisions -stratégiques du parti. Ils doivent sans cesse affûter leur conscience et résoudre les problèmes qui surgissent lors de l'application du concept du développement scientifique. Ils doivent travailler dur pour accroître leur savoir professionnel. Ils doivent étudier l'économie moderne et augmenter leur capacité à diriger l'économie socialiste de marché. [...] Le concept du développement scientifique est l'expression concentrée de la conception du monde et de la méthodologie qui dirige le

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développement. C'est utiliser la position, le point de vue et la méthode du marxisme afin d'analyser et de comprendre la modernisation socialiste. Afin de pouvoir comprendre en profondeur le système scientifique et l'appliquer, nous devons étudier la philosophie marxiste. Nous devons constamment étudier le matérialisme dialectique, émanciper notre esprit et chercher la vérité dans les faits 229. " Dans d'autres circonstances, le président du parti Hu Jintao déclare : " Le sens des responsabilités de certains cadres du parti n'est pas assez fort. Leur façon de penser ne va pas droit au but. Leur style de travail n'est pas sain. C'est à peine s'ils ont des liens avec les masses. L'esprit de lucre, de jouissance et l'extravagance du style de vie sont de plus en plus fréquents chez nos cadres. Chez certains membres et cadres du parti, la façon saine de travailler dur s'est affaiblie et a même été complètement oubliée par une petite minorité. Certaines organisations de base du parti sont plutôt apathiques et certains membres du parti font tout sauf remplir leur rôle d'avant-garde. Dans certaines sections et unités et dans certains endroits, la corruption s'est gravement répandue 230."Lu Xianfu, un directeur de l'École centrale du Parti, déclare : " On rencontre toujours des cadres incompétents et de mauvais mécanismes dans la façon de diriger 231. " En 2004, l'École centrale du Parti a réalisé une étude sur la compétence des cadres au-dessus du niveau du district. Il en est ressorti que plus de la moitié de ces cadres n'étaient " pas en mesure de faire une analyse scientifique d'une situation ", qu'un tiers avaient " des difficultés pour aborder une situation complexe " ou " perdaient complètement les pédales dans ce genre de situation ", ajoute Lu Xianfu. " On a pu le voir quand a éclaté l'épidémie de SRAS 232 ", dit-il encore. (Comme on a également pu voir l'incompétence avec la maladie de la vache folle en Grande-Bretagne, la crise de la dioxine en Belgique ou la peste porcine dans bon nombre de pays européens.) La compétence professionnelle des cadres, d'une part, et leur fermeté idéologique et leur intelligence politique, d'autre part, sont deux éléments d'un ensemble. La compétence professionnelle n'a pas trait en premier lieu aux connaissances techniques de la branche économique dans laquelle les cadres sont actifs, mais à leur compréhension du processus concret de développement socialiste dans cette branche, la compréhension des contradictions qui surgissent et changent en permanence dans ce processus et la capacité de dominer et de gérer ces contradictions. Le concept socialiste du développement de la Chine est le résultat de l'unité entre la conception marxiste du monde, le matérialisme dialectique et le caractère propre et l'histoire de la Chine et du Parti communiste. En d'autres termes : la gestion de la branche ou de l'unité dont le cadre est responsable ne donne pas les résultats escomptés et emprunte une mauvaise direction quand le cadre n'a pas une compréhension suffisante du modèle socialiste de développement, alors que cette compréhension ne peut exister que si l'on a une connaissance approfondie du marxisme et du matérialisme dialectique. Le vice-ministre vietnamien de la Planification, Le Dang Doanh, déclare: " Le Vietnam cherche sa voie en se battant, en cherchant, en tombant et en se relevant. Il existe diverses voies qui mènent au socialisme. L'Asie est trop diversifiée pour un seul modèle socialiste. L'humanité a besoin de divers modes d'approche du socialisme pour en arriver à un consensus à propos du modèle 233. " Lénine dit, dans la même veine que " le socialisme achevé ne saurait résulter que de la collaboration révolutionnaire des prolétaires de tous les pays et à la suite de nombreuses tentatives dont chacune, considérée isolément, sera unilatérale et souffrira d'une certaine disproportion 234 ".Le socialisme à caractéristiques chinoises, comme l'a surnommé le Parti communiste chinois, a ses unilatéralismes et ses disproportions. Mais, à l'instar du Vietnam ou de Cuba, le pays ne peut pas faire autrement que de chercher sa propre voie et qu'il ait, ce faisant commis des fautes et même des fautes graves, est inévitable. Ceux qui croient qu'il pourrait en être autrement vivent sur une autre planète. Ce n'est pas auprès de la firme Marx-Engels-Lénine

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qu'il faut vous adresser si vous cherchez un modèle absolu, un complet sur mesure en prêt-à-porter, ou un kit IKEA du socialisme. L'élimination des partialités et des déséquilibres est un processus constant, car le pays est constamment en mouvement et en mutation. Le parti et les cadres qui dirigent ce processus doivent se former en permanence, dit le président Hu Jintao. Et, en premier lieu, dans la connaissance du socialisme scientifique. Ceux qui ne veulent pas en entendre parler ou qui sont incorrigibles doivent s'en aller. En 2004, la direction du parti a radié 490 000 membres et cadres de la liste des membres 235.C'est à tous les autres que s'adresse cet appel de Hu Jintao : " Nous devons nous consacrer davantage à l'étude et au développement de la théorie marxiste et formuler des réponses aux importantes questions théoriques et pratiques. Nous devons consolider le rôle prépondérant du marxisme dans l'idéologie du pays et guider le peuple dans le renforcement de sa conviction de ce que le socialisme à caractéristiques chinoises est correct. Nous devons promouvoir les idées collectivistes et socialistes de sorte que le peuple dans son ensemble puisse avoir une compréhension correcte des lois du développement social, qu'il puisse conserver un moral élevé et qu'il veuille toujours aller de l'avant 236. "En janvier 2005, le parti lance une campagne nationale " pour le maintien du caractère avant-gardiste des membres du parti ". Pendant un an et demi, on étudie le marxisme au sein du parti, chaque fois à l'aide de textes qui ont été adaptés à la situation de tout un chacun. La campagne est accompagnée d'une circulaire intitulée Conceptions du Comité central et dans laquelle la compétence professionnelle des cadres est associée à la force idéologique et à la formation marxiste. Hu Jintao déclare : " Le marxisme est l'idéologie dirigeante dans l'édification de notre parti et de notre nation. Il est le guide scientifique pour la mise en place d'une société socialiste harmonieuse. Si la position prépondérante du marxisme faiblit, une situation chaotique va apparaître dans le domaine idéologique et nous perdrons l'âme idéologique nécessaire à l'harmonie sociale. [...] La campagne que nous menons aujourd'hui pour le maintien du caractère avant-gardiste des membres du parti a laissé, en compagnie des acquis les plus récents dans la popularisation du marxisme, des traces profondes parmi les membres du parti et parmi le peuple. Nous devons étudier et développer le marxisme de façon durable et avec détermination 237. "Entre-temps, cette dernière phrase de Hu Jintao a été transformée en un programme pratique. Chaque année, cinq cents cadres du parti de niveau ministériel et 110 000 cadres de niveaux moindres reçoivent une formation de 16 jours, adaptée à leur niveau et à leur terrain de travail. Durant cette période, ils sont exemptés de leurs tâches. La formation se concentre sur l'objectif consistant à " élever le niveau idéologique et politique et améliorer leurs capacités à prendre des macrodécisions et à évaluer et diriger la situation globale ". Un autre groupe de 1 100 cadres sont formés à part afin de donner une direction à l'édification d'une " nouvelle campagne socialiste ". 700 figures éminentes des médias et de la recherche scientifique reçoivent, elles aussi, une formation adaptée. Il s'agit chaque fois de formations dirigées depuis le centre. À côté de cela, les provinces élaborent elles-mêmes des sessions de formation pour les cadres subalternes. Au bout de cinq ans, le Comité central vérifiera quels sont les résultats de ce programme 238.En outre, le Comité central a formé deux groupes de travail. Le premier a pour tâche de traduire en chinois toutes les oeuvres de Marx, Engels et autres marxistes importants et de vérifier les traductions déjà existantes sur le plan de leur exactitude. Un autre groupe de travail doit rédiger pour chaque terrain de spécialisation (sociologie, philosophie, économie, pédagogie, linguistique...) 40 manuels dans lesquels on appliquera à ces divers terrains les principes fondamentaux du marxisme, la conception matérialiste du monde et la méthode dialectique. Le tout dans l'intention de réaliser dans chacun de ces terrains de nouvelles percées dans l'application du marxisme. De la sorte, le parti espère enseigner -aux cadres comment utiliser le marxisme de façon scientifique et les mettre davantage en mesure

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d'utiliser le marxisme comme fil conducteur de leur pratique 239.Le Comité central et l'Académie chinoise des Sciences ont également constitué un groupe de travail pour l'étude du libéralisme. En 2004, ce groupe publie un premier ouvrage : Le néolibéralisme : analyse et commentaires. Les auteurs, dont le vice-président de l'Académie des Sciences et l'ancien recteur de l'université de Beijing, écrivent que le libéralisme est l'expression théorique du capitalisme monopoliste international. Ils écrivent en outre que les économistes chinois se trompent quand ils se laissent diriger par les oeuvres des avocats du capitalisme, comme Milton Friedman, Friedrich von Hayek et Karl Popper 240. Dans le sillage de cet ouvrage, on assiste durant le second semestre 2004 au lancement d'une campagne contre le libéralisme. Des articles paraissent dans divers quotidiens et hebdomadaires ainsi que sur divers sites Internet. En novembre 2004, la section Propagande du Comité central diffuse le Document no 29 qui critique entre autres les économistes Mao Yushi et Yang Xiaokai pour leurs points de vue libéraux. Et c'est la même chose pour nombre de journaux et de sites internet. Durant la même période, le chef de la section Propagande, Liu Yunshan, déclare dans un discours que " l'idéologie est un terrain d'importance stratégique " et que " des forces rivales entendent bien s'emparer de ce terrain 241 ".En juillet 2005 suit une campagne similaire, lancée cette fois par Liu Guoguang, un économiste à la retraite qui jouit d'un énorme prestige. Cette fois, la campagne se poursuit jusqu'à l'été 2006. Dans un discours, Liu Guoguang explique : " L'influence des théories économiques occidentales connaît un succès croissant alors que la position de l'économie marxiste en tant que guide s'est affaiblie. L'idéologie capitaliste s'est infiltrée dans le travail économique 242. " En janvier 2006, la campagne aboutit aux premières mesures répressives : les centres de recherche des économistes libéraux Mao Yushi et Wu Jinglian, situés respectivement à Beijing et à Shanghai, sont fermés 243. D'autres, comme le professeur Zhang Weiying, de l'université de Beijing, se voient reprocher d'avoir des points de vue trop proches de ceux des entrepreneurs. Tout cela montre au moins clairement que " le Parti communiste chinois s'est très bien rendu compte que le marché en perpétuelle expansionconstitue un défi à son organisation 244 ".En 1957, Mao Zedong disait qu'on ne savait pas encore avec certitude qui l'emporterait en Chine, le socialisme ou le capitalisme 245. C'était une vérité à l'époque et c'est toujours correct aujourd'hui. Mais si on jette un regard rétrospectif sur l'histoire du parti et que l'on considère le palmarès de ce dernier, ce ne sont pas les raisons qui manquent de se montrer optimiste.Peter Franssen,mars-avril 2007.Peter Franssen franssen.peter bij gmail.com est journaliste à l'hebdomadaire Solidaire. Il est co-auteur avec Ludo Martens de L'argent du PSC-CVP ou la mort d'un dirigeant de la CSC (EPO, 1984) et avec Pol De Vos de Le 11 septembre :pourquoi ils ont laissé faire les pirates de l'air (EPO, 2002).Notes160 Joshua Cooper Ramo, The Beijing Consensus, The Foreign Policy Centre, Londres, 2004, p. 36.161 National Bureau of Statistics of China, China Statistical Yearbook 2005, Statistics Press, Beijing, 2006, tableau 2-6, p. 40.162 Ibidem.163 Ibidem, tableau 2-5, p. 909.164 Ibidem, tableau 10-2, p. 335 ; et National Development and Reform Commission, Report on the Implementation of the 2006 Plan for National Economic and Social Development, Fifth Session of the Tenth National People's Congress, Beijing, 5 mars 2007, p. 10.165 National Bureau of Statistics of China, op. cit., tableau 10-2, p. 335 ; et Luo Yuanjun, " Economic Soft Landing: a Common Desire ", China Today, février 2005.166 National Bureau of Statistics of China, op. cit., tableau 10-5, p. 337 et tableau 10-30,p. 367.167 Supachai Panitchpakdi, " Putting the Doha Development Agenda back on track : why it matters to China ", Discours prononcé lors du forum international L'OMC et la Chine Beijing, 10 novembre 2003.

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