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TRIMESTRIEL N°59 – JANVIER/FÉVRIER/MARS 2014 – DÉPÔT BRUXELLES X – AGRÉATION P401130 palestine BULLETIN DE L’ASSOCIATION BELGO-PALESTINIENNE / WALLONIE-BRUXELLES ASBL Belgique/België P.P. Bruxelles X 1/1624 Gaza : quand des trombes d’eau s’abattent sur une terre sous blocus Le 13 novembre 2013, plus de 35 000 mètres cubes d’eaux usées non traitées se sont déversés dans les rues de Zeitoun à cause d’une panne de sa station de pompage, affectant plus de 3000 personnes du voisinage. Alors que le nettoyage des dégâts était en cours, le quartier a de nouveau été inondé – par un volume d’eau environ deux fois supérieur – en raison des pluies violentes qui se sont abattues sur la bande de Gaza entre le 11 et le 15 décembre. SOMMAIRE DOSSIER D’un apartheid à l’autre > 3 Conversation avec Noura Erakat et Leila Farsakh > 10 Violence des colons > 12 Festival Eye on Palestine > 18

Palestine n°59

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Trimestriel de l'Association belgo-palestinienne - janvier-février-mars 2014

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TRIMESTRIEL N°59 – JANVIER/FÉVRIER/MARS 2014 – DÉPÔT BRUXELLES X – AGRÉATION P401130

palestineBULLETIN DE L’ASSOCIATION BELGO-PALESTINIENNE / WALLONIE-BRUXELLES ASBL

Belgique/BelgiëP.P.

Bruxelles X1/1624

Gaza : quand des trombes d’eau s’abattent sur une terre sous blocus Le 13 novembre 2013, plus de 35 000 mètres cubes d’eaux usées non traitées se sont déversés dans les rues de Zeitoun à cause d’une panne de sa station de pompage, affectant plus de 3000 personnes du voisinage. Alors que le nettoyage des dégâts était en cours, le quartier a de nouveau été inondé – par un volume d’eau environ deux fois supérieur – en raison des pluies violentes qui se sont abattues sur la bande de Gaza entre le 11 et le 15 décembre.

SOMMAIREDOSSIER D’un apartheid à l’autre > 3Conversation avec Noura Erakat et Leila Farsakh > 10Violence des colons > 12Festival Eye on Palestine > 18

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Dans leurs hommages unanimes à Nelson Mandela, leurslouanges sans fin à l’homme de paix et de dialogue, les chefsd’États occidentaux et le Secrétaire général de l’OTAN, AndersFogh Rasmussen, avaient-ils pour but de faire oublier la totalecomplicité des Occidentaux et de l’OTAN au maintien du systèmed’apartheid et aux crimes contre l’humanité commis en son nom?Aucun n’a été convoqué devant la Commission Justice et Véritéprésidée par Desmond Tutu, aucun n’a intégré dans ses messagesde condoléances une demande de pardon. Le moins hypocrited’entre eux n’aura-t-il pas été en fin de compte l’arrogant Neta-nyahou qui s’est abstenu de se rendre en Afrique du Sud? À moinsqu’il n’ait craint d’être chahuté et déclaré persona non grata parles populations sud-africaines très au fait des complicités étroitesentre Israël et le régime blanc d’Afrique du Sud.

Honorer la mémoire de Nelson Mandela, c’est d’abord rappelerson combat et la résistance de tout un peuple contre l’apartheid,crime contre l’humanité. C’est rappeler que tant Mandela queDesmond Tutu ont tous deux critiqué Israël pour son systèmed’apartheid à l’égard des Palestiniens.

Le régime d’apartheid a bénéficié, tout comme Israël, du soutienpermanent des États Unis qui n’ont jamais hésité à opposer leurvéto pour défendre l’un et l’autre chaque fois qu’ils étaient sus-ceptibles d’être condamnés pour crimes de guerre et crimescontre l’humanité.

De 1972 à 2002, les États-Unis opposeront 40 fois leur véto en faveur d’Israël ; ils l’avaient fait 17 fois en faveur du régime d’apar-theid, soit au total la majorité des vétos du Conseil de Sécurité.Gardant en mémoire les résistances et les luttes des peuplescontre le colonialisme et l’apartheid, la résistance palestiniennes’inscrit dans leur sillage. Aujourd’hui, elle nécessite plus que jamais la solidarité internationale.

La campagne BDS, dont les ressorts sont très semblables à ceuxdu boycott contre l’apartheid, s’impose comme un levier indispen-sable pour obliger les responsables politiques, tant à l’ONU, auxUSA qu’en Europe, à prendre des mesures de sanctions contre Israël pour l’occupation et la colonisation illégales de la Palestine.Une campagne contre le Mur de séparation, lui-même déjà una-nimement condamné à l’ONU en 2004, à l’exception des États

Unis et de quelques États inféodés, dénonce ce que lesjuristes internationaux qualifient de persécutions du peu-

ple palestinien. Le Mur, aujourd’hui les murs, ce sont tousles ouvrages érigés en Cisjordanie, à Gaza et à Jérusalem qui

isolent les Palestiniens et entravent leur liberté de mouvement,les enclavant dans des sortes de «bantoustans». Ils constituenttous des crimes contre l’humanité.

Occupation, colonisation, emprisonnements individuels et collec-tifs, Murs de séparation auxquels s’ajoutent la spoliation des res-sources des Palestiniens, la destruction de villages palestiniens, la politique de ségrégation à l’égard des Palestiniens d’Israël, lanégation du droit au retour pour les réfugiés expulsés en 1948:en concluant ses travaux en mars dernier, le Tribunal Russell surla Palestine invitait les juristes à examiner quel pouvait être leterme qui rendrait au mieux compte de l’ensemble de ces crimeset retenait celui de sociocide.

Le concept de sociocide met en lumière tout à la fois la nature illégale et criminelle du colonialisme israélien et le déni illicite dudroit à l’autodétermination du peuple palestinien.

palestine no 59Comité de rédaction Marianne Blume, Ouardia Derriche,

Nadia Farkh, Pierre Galand, Katarzyna Lemanska, Julien Masri,Christiane Schomblond, Gabrielle Lefèvre, Rabab Khairy,

Hocine Ouazraf, Nathalie Janne d’Othée / A contribué à cenuméro Paul Delmotte / Relecture Ouardia Derriche

Association belgo-palestinienne Wallonie-Bruxelles asblSiège social rue Stévin 115 à 1000 Bruxelles

Secrétariat quai du Commerce 9 à 1000 Bruxelles tél. 02 223 07 56 / fax 02 250 12 63 / [email protected]

www.association-belgo-palestinienne.be IBAN BE30 0012 6039 9711 / Tout don de plus de 40 euros

vous donnera droit à une exonération fiscale Graphisme Dominique Hambye & Élise DebounyAvec le soutien de la Fédération Wallonie-Bruxelles

HOMMAGES

et hypocrisiepar Pierre Galand, Président

palestine 02 ÉDITO

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palestine 03 DOSSIER D’UN APARTHEID À L’AUTRE

Le 5 décembre 2013, Nelson Mandela a définitivementrendu les armes. Ce militant contre le régime d’apartheid

en Afrique du Sud avait acquis une renommée mondiale pour son investissement en faveur de la paix dans son pays.

Au-delà de ce combat, celui que l’on surnommait affectueusement Madiba était également solidaire d’autres luttes contre l’injustice,

comme celle des Palestiniens contre l’occupation israélienne (article p. 4-5).Son décès a remis en lumière les similitudes entre l’apartheid sud-africain

et la situation actuelle en Israël et en Palestine occupée et celles entre les moyens de lutte utilisés (article p. 6-7). Mais alors que les Sud-A fricains avaient réussi

à dépasser leurs divisions raciales, la lutte contre l’occupation israélienne reste encoremenée sur des bases ethnico-nationales en Israël/Palestine (article p. 8-9).

DOSSIER

D’un apartheid À L’AUTRE

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Entre Nelson Mandela et l’Israël-Palestine, il y a sans doute eu,

tout d’abord, son christianisme (protestant) fervent. Quant à l’importance de

sa solidarité militante avec la cause palestinienne, elle n’est plus à rappeler. Les photos «googlées»

de la vie de Madiba ne mentent pas. La moue de circonstance lors d’une accolade avec Shimon

Peres. Le sourire radieux pour Yasser Arafat. Et, à l’annonce de sa mort, les Palestiniens s’en sont d’ailleurs dûment souvenus.

toujours aimé les grandes envolées lyriques… C’est aussi à Peresque l’on devra un secrétariat commun avec Pretoria pour la «guerrepsychologique» visant entre autres. à redorer l’image du régime, etmême une offre de lui vendre des têtes nucléaires. Une coopérationque scellera, en 1976, la visite de Balthazar John Vorster, Premier ministre sud-africain (ministre de la Justice lors du procès de Rivonia)et sympathisant nazi à… Yad Vashem. Et un accord nucléaire avecPretoria.

Quant à «Bibi», en évoquant le « freedom-fighter opposé à la violence»,il ne s’est, en fait, guère démarqué d’une bonne partie des puissantsde ce monde qui, soudainement amnésiques, ont rivalisé d’effortspour faire oublier leurs accointances avec l’ancien régime de Pretoriaet le fait qu’hier encore, ils plaçaient Mandela dans le camp «ennemi».Dans le camp « terroriste». Précisément, début décembre, le JT de laRTBF, évoquant la vie du leader sud-africain, diffusait un messagequasi explicite : ce qui fait la grandeur de Mandela, c’est son renon-cement au « terrorisme». Amalgamant « lutte armée» et « terrorisme»,le journaliste ne se demandait bien sûr pas si, sans ce « terrorisme»,quelqu’un aurait vraiment porté attention à l’apartheid ou –plus– siMadiba aurait pu réaliser ce qui allait le faire tant apprécier en 1990.

Depuis la disparition de Nelson Mandela, d’aucuns se sont mis àgloser sur les raisons pour lesquelles aucun «Mandela palestinien»ni aucun «de Klerk israélien» n’apparaissaient à l’horizon de l’Israël-Palestine. Même John Kerry a appelé, le 6 décembre, Israéliens etPalestiniens à « suivre l’exemple de Mandela ». La question est-ellebien posée?

Uri Avneri a bien cerné les différences de situation entre l’ex-Afriquedu Sud et l’Israël-Palestine1. Différence d’époque: aujourd’hui, peud’observateurs relient encore la chute de l’apartheid à celle de…l’URSS. La fin de la guerre froide a, en effet, réduit la valeur straté-gique du régime alors en place à Pretoria. Jouent aussi l’espace et le

MadibaCela semble toujours impossible,

jusqu’à ce que ce soit fait.»Nelson Mandela

par Paul Delmotte

Je fais l’hypothèse que –outre, bien sûr, les qualités humaines dujeune Mandela et la philosophie humaniste de l’Ubuntu – les juifscommunistes sud-africains qui l’ont aidé dans sa carrière, ontcombattu à ses côtés au sein de l’ANC, ont subi avec lui la prison oul’on défendu lors de ses procès, ont contribué à lui montrer que lalutte n’était pas celle de Blancs contre des Noirs. Mais bien une lutte– internationaliste – contre l’Oppression et l’Injustice. «Combattre ladomination blanche comme la domination noire», dira-t-il. Cela sansignorer pour autant que, parmi ces juifs sud-africains, les partisans del’apartheid n’ont pas manqué non plus. Le procureur qui l’avaitcondamné en 1964 à la prison à vie à l’issue du procès dit de Rivoniaétait, lui aussi, juif. Très tôt, Mandela a ainsi dû comprendre quel’ennemi n’est pas à définir par ce qu’il est, mais par ce qu’il fait.Ou ne fait pas. Que ce soit en complicité avec l’injustice ou pour lacombattre. Parmi les les treize militants jugés en 1964, cinq étaientjuifs. Et, parmi ceux-ci, un ancien du… Palmakh. Mandela ne pouvaitpas ne pas se souvenir de l’attachement de ces compagnons de lutteà l’État juif. En octobre 1999, retiré des affaires politiques et en visitedans les Territoires et en Israël, n’avait-il pas déclaré: «une des raisonspour lesquelles je suis si heureux d’être en Israël est aussi l’hommageque je veux faire à l’énorme contribution de la communauté juived’Afrique du Sud. Je suis très fier d’eux!». Sans jamais tergiverser surle principe de «deux peuples, deux États»: «selon moi, parler de paixtant qu’Israël continue à occuper des terres arabes est vain» disait-il.

En rendant hommage au leader sud-africain, Shimon Peres a faitpreuve de son hypocrisie coutumière. Même des médias israéliensne s’y sont pas trompés. Car le président de l’État d’Israël, aux alluresde sage incompris et revenu de tout, fut l’un des principaux artisansdes relations entre son pays et le régime de l’apartheid sud-africain.Ministre de la Défense, Peres avait souligné à la Knesset, en no-vembre 1974, « l’importance vitale» d’une coopération avec le régimesud-africain, fondée «sur les bases inébranlables de notre haine del’injustice et de notre refus de nous y soumettre ». Shimon Peres a

palestine 04 DOSSIER D’UN APARTHEID À L’AUTRE

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mondial renforcé lors de la première guerre d’Irak, assassinat de« statures » comme Abou Jihad et Abou Ayad, concurrence duHamas,… Yasser Arafat a certainement cru qu’en sauvant le Fatah, ilsauvait la lutte palestinienne. Au vu des dix années écoulées, espé-rons que l’avenir ne le démentira pas.

Marwan Barghouti s’est adressé à feu Mandela : «Vous êtes bien plusqu’une inspiration» a-t-il écrit. Et d’aucuns considèrent aujourd’hui leprisonnier de Hadarim comme l’homme qui serait susceptible d’êtrele «Mandela palestinien». L’on peut, je crois, partager ici le point devue d’Avneri : c’est précisément pour cela que l’ancien leader desTanzim croupit en prison. Du fait de l’intransigeance israélienne et desordides calculs au sein de l’Autorité.

Seul Yuli Edelstein, président de la Knesset, « aussi anonyme que la plupart des Israéliens ne le reconnaîtraient pas», note Avneri 2, areprésenté son pays lors de l’hommage planétaire rendu à NelsonMandela à Pretoria. Un mauvais point supplémentaire pour la diplo-matie israélienne. Shimon Peres, « malade », n’a pu se déplacer. Indisposition, constate Avneri, qui ne l’a pas empêché de prononcerun discours et de recevoir des visiteurs le même jour. «Bibi » non plusn’a pas assisté à la cérémonie. Trop cher, a-t-on dit. Conséquence del’« Affaire des bougies » ? En décembre, le Maariv avait révélé que1700 $ d’argent public avaient été dépensés pour l’achat de bougiesparfumées destinées à l’une des trois luxueuses résidences du Premier ministre… à charge du contribuable israélien 3.

Une chose est sûre toutefois : «Bibi » n’a rien d’un de Klerk.

1/ Uri Avneri’s Column ([email protected]): The New Mandela, 31.03.12 – Taking Apartheid Apart, 26.10.13 – Mandela The Movie, 28.12.132/ Counterpunch, 13-15.12.133/ Yediot Aharonot/Courrier international, 12-18.12.13

nombre : 1,2 millions de km2 contre 27 000 pour l’ensemble de laPalestine mandataire ; 20% de Blancs dans l’Afrique du Sud d’avant1994 contre 20% de «citoyens» arabes d’Israël et une quasi-équiva-lence démographique entre les deux peuples sur ce même terri-toire… Autre différence majeure : alors que l’Afrique du Sud était etreste tributaire de la main-d’œuvre noire, Israël s’est pratiquementdébarrassé de ses travailleurs palestiniens suite aux Intifada. Last butnot least, le fait que, dans l’Israël-Palestine, la «solution» d’un Étatcommun est loin de rallier une majorité au sein des deux peuplespose aussi la question de façon différente.

Madiba avait opté pour la fin du recours aux armes et le «pardon»entre Sud-Africains. Pourtant, lorsque Yasser Arafat a annoncé re-connaître Israël et renoncer au «terrorisme», l’on n’a guère vu, de lapart de ladite communauté internationale, un encensement similaireà celui de Mandela. En 1999, Mandela avait publiquement admis lespréoccupations d’Israël – et de ses amis juifs – en matière de sécu-rité : « je ne peux pas concevoir de retrait d’Israël si les États arabesne reconnaissent pas Israël dans des frontières sûres ». Ce qui a étéfait par l’OLP, Amman et Le Caire depuis près de dix ans. Et proposépar l’ensemble des États arabes en mars 2002 à Beyrouth. Depuis…

Ne faudrait-il pas évoquer aussi les rapports de force qui, ici, ontpoussé Frederik de Klerk à sa décision historique et là, à Oslo? C’est,en effet, dans une Afrique du Sud affaiblie que le Premier ministre entame, dès son entrée en fonctions en 1989, son «grand tournant ».Revers militaires en Angola l’année précédente, boycott internationaldont l’impact, à vrai dire plus moral qu’économique, encourage néan-moins une lutte des Noirs qui ne faiblit pas. Tout en décourageant lesBancs qui se sentent « trahis» par leurs « frères» occidentaux (Avneri).Pour Abou Ammar par contre, la situation est nettement plus défavo-rable. Au moment d’Oslo, l’OLP connaît depuis dix ans une descenteaux enfers: éviction en 1983 de ses fiefs au Liban, éparpillement deses forces de par le monde arabe, dissensions internes, ostracisme

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1985 qui ont entrainé un revirement des derniers soutiens internatio-naux de l’Afrique du Sud. Le contexte géopolitique avait entre-tempschangé; les États-Unis, sortis victorieux de la longue période de laguerre froide, avaient alors moins besoin de leur allié sud-africaincontre l’expansion du communisme.

LE BOYCOTT D’ISRAËL DE PLUS EN PLUS VISIBLEAujourd’hui, plusieurs événements semblent indiquer une évolutionde la perception du boycott vis-à-vis d’Israël. En ce début d’année2014, le boycott s’est invité dans plusieurs médias israéliens. Uneémission d’information très regardée sur la chaîne israélienneChannel 2 News a consacré 16 minutes en prime time à la question.Les opinions et articles sur le boycott se succèdent dans la pressequotidienne israélienne.

Le boycott inquiète à juste titre en Israël puisqu’il commence à pro-duire ses effets au niveau économique. Le Washington Post rapporteainsi la portée du boycott sur les 21 colonies de la Vallée du Jourdain.Leur revenu, essentiellement basé sur les exportations de produitsagricoles, a baissé de 14% –soit 29 millions de dollars– du fait durefus de certaines chaines de supermarchés d’Europe de l’Ouest – essentiellement britanniques et scandinaves – de s’approvisionnerauprès d’entreprises impliquées dans les colonies. Dans Haaretz,Chemi Shalev énumère d’autres récents succès de la campagne Boy-cott, Désinvestissement et Sanctions: une compagnie néerlandaisemet fin à ses liens avec Mekorot, la compagnie israélienne deseaux ; la plus grande Église protestante canadienne rompt ses liensavec trois compagnies israéliennes; le gouvernement roumain refuse d’envoyer de nouveaux travailleurs dans le secteur de la constructionen Israël et l’American Studies Association a voté une motion prônantla cessation de toute relation avec les universités israéliennes.

Le décès de Nelson Mandela en décembre et l’absence remarquéedes dirigeants israéliens à la cérémonie d’hommage organisée enAfrique du Sud n’ont fait que mettre davantage en lumière ces acquisde plus en plus nombreux du boycott international d’Israël. Ainsi, toutrécemment, les critiques contre l’actrice Scarlett Johansson et son

D’un boycott à l’autre : À QUAND LE SEUIL CRITIQUEPOUR LE MOUVEMENT BDS?par Nathalie Janne d’Othée

L’EXEMPLE SUD-AFRICAIN Depuis longtemps, les similitudes du système de discrimination israélien avec le régime de l’apartheid et les contacts qu’ils entre-tiennent avec les Sud-Africains ont inspiré les Palestiniens dans leurlutte contre l’occupation. En 2005, l’appel Boycott, Désinvestissementet Sanctions (BDS) mentionne explicitement la source d’inspirationsud-africaine. « Nous, représentants de la société civile palestinienne,invitons les organisations des sociétés civiles internationales et lesgens de conscience du monde entier à imposer de larges boycottset à mettre en application des initiatives de retrait d’investissementcontre Israël tels que ceux appliqués à l’Afrique du Sud à l’époque de l’apartheid. » Dans le cas de l’Afrique du Sud, le boycott et lesdésinvestissements internationaux ont en effet contribué à faire tomber le régime de l’apartheid.

Le succès du boycott international n’a atteint son objectif en Afriquedu Sud que grâce à la convergence d’un certain nombre de facteurs :une résistance civile interne constante, des changements du contextegéopolitique, des événements qui ont heurté l’opinion publique inter-nationale… Dans Haaretz, Chemi Shalev évoque les thèses des poli-tologues américaines Martha Finnemore et Kathryn Sikking sur lagenèse et l’évolution des normes internationales. Tout d’abord, desentrepreneurs sociaux comme les ONG contribuent à l’« émergence»d’une norme. Vient ensuite une « évolution en cascade » de la normelorsque les États commencent à l’appliquer. Pour passer d’une étapeà l’autre, il faut atteindre un « seuil critique », c’est-à-dire un momentde convergence d’une masse critique d’événements et d’opinions enfaveur de la nouvelle norme.

La révolte de Soweto a été un premier élément de «seuil critique»dans la lutte contre l’apartheid. Après la révolte de Soweto en 1976,la société civile sud-africaine a commencé à mettre en place une résistance civile qui ne s’est pas relâchée jusqu’à la chute de l’apar-theid. La violence de la répression de la révolte de Soweto par le régime a par ailleurs poussé les Nations unies à décréter en 1977 unembargo sur les ventes d’armes à destination de l’Afrique du Sud.Un deuxième élément de « seuil critique » a été la mise en place dela Constitution de 1983 et l’établissement de la loi d’urgence en 1984-

palestine 06 DOSSIER D’UN APARTHEID À L’AUTRE

Le décès de Nelson Mandela en décembre dernier a eu pour effet de remettre en avant la question du boycott. Le boycott ayant réussi à mettre fin à l’apartheid sud-africain, l’appliquer à Israël est encoredécrié. Mais des changements sont déjà perceptibles et laissentespérer une évolution vers une acceptation plus large du principe des sanctions internationales contre Israël.

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qui a tenu une réunion spéciale sur la question le 29 janvier dernier.De telles divergences d’opinion sont courantes au sein de la classepolitique israélienne. Mais la crainte de plus en plus grande d’unemise au ban internationale de leur pays a par ailleurs poussé leschefs d’entreprise israéliens présents en janvier à Davos à inciter lesnégociateurs à parvenir rapidement à une solution à deux États. Legouvernement Netanyahou fait fi de nombreuses critiques, mais ilpourra difficilement ignorer celle-là.

L’UNION EUROPÉENNE DONNE LE TONDevant la sourde oreille du gouvernement Netanyahou en matière decolonisation, l’Union européenne a, quant à elle, adopté en juillet2013 des Lignes directrices excluant les entreprises et les projets israéliens situés en territoire palestinien occupé de tout financementeuropéen. Certains États membres sont même allés plus loin en pro-diguant des conseils à leurs entreprises en matière de rapports avecles colonies israéliennes. C’est le cas par exemple des Pays-Bas quiont déconseillé à une de leurs entreprises de poursuivre un projetavec la société israélienne Mekorot dans la Jérusalem-Est occupée.

Depuis de nombreuses années, l’Union européenne se déclarecontre la colonisation et en faveur de la paix, sans résultat probant.Aujourd’hui, elle se décide enfin à accorder ses actes à ses paroleset ça fonctionne. On ne peut donc qu’encourager l’UE et ses membresà l’adoption de résolutions claires et fortes contre la colonisation desterritoires palestiniens, comme l’interdiction de la commercialisationdes produits issus des colonies ou la mise en place de lignes direc-trices claires aux entreprises qui souhaitent investir en Israël.

Sans doute est-il encore un peu tôt pour prédire la fin de l’occupationisraélienne, le retour des réfugiés et l’octroi de droits égaux aux Pa-lestiniens d’Israël. Néanmoins, la conjugaison actuelle de nombreuxfaits et opinions semble tendre à rapprocher le boycott d’Israël d’uncertain « seuil critique ». C’est donc le moment de redoubler d’effortsen vue d’élargir et généraliser le boycott, les désinvestissements etles sanctions contre la politique israélienne!

contrat signé avec la marque Sodastream ont bénéficié d’une cou-verture médiatique sans précédent, tant dans les médias israéliensqu’internationaux.

LE BOYCOTT PROVOQUE LE DÉBAT EN ISRAËLEn soi, le sujet du boycott a déjà fait couler beaucoup d’encre en Israëlmais la nouveauté aujourd’hui est le débat qu’il suscite. Il ne s’agit plus,en effet, de dénoncer l’antisémitisme à l’égard d’Israël, mais bien de seposer la question de la multiplication des conséquences du boycott.Ce résultat est déjà en soi un succès de poids puisque nombreux sontceux qui s’opposent au boycott par crainte d’une crispation de l’opinionpublique israélienne, ses partisans soutenant quant à eux qu’il estsusceptible de provoquer le débat au sein de la société israélienne.

Au cœur du débat, se trouve la politique du gouvernement Netanya-hou : un investissement minimal dans le processus de paix et une politique de colonisation accélérée en dépit de toutes les critiques internes et internationales. John Kerry avait demandé un délai de 9 mois pour parvenir à une relance du processus de paix. Cette période prendra fin en avril et les espoirs de le voir engranger unquelconque résultat s’amenuisent de plus en plus. Les négociationssont en effet bloquées par les annonces régulières de construction denouveaux logements dans les colonies et ce, en dépit de toutes lescritiques et mises en garde internationales.

La récente visibilité du boycott s’est également immiscée dans ledébat politique. Tzipi Livni, l’ex-ministre des Affaires étrangères et au-jourd’hui négociatrice pour le parti d’opposition Kadima, a récemmentdéclaré : «Le boycott se déplace et progresse de façon uniforme etexponentielle. Ceux qui refusent de le voir vont finir un jour ou l’autrepar le ressentir. » Dans la droite ligne de l’attitude générale du gou-vernement, Naftali Bennett, le ministre de l’Économie, du parti na-tionaliste « Maison juive », a repoussé cette mise en garde d’unrevers de la main en déclarant que la création d’un État palestinienreprésentait un danger mortel pour Israël. Selon lui, la lutte contre la montée internationale du boycott passe par une propagande (hasbara) accrue. La question divise donc le gouvernement israélien

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«non». Avant et après 1948, l’axe politique palestinien était nationa-liste et anticolonial par essence. Il était fondé sur la notion d’identiténationale palestinienne-arabe et la définition d’Israël comme une en-tité coloniale, imposée par la force aux Palestiniens par les puissancesimpériales, en les privant de leurs droits nationaux. Les colons juifsétaient d’origine étrangère et –en tant que groupe– n’avaient aucunerevendication valide sur le pays, qui restait arabe de par son histoire,de par sa population et de par son environnement régional. (…)

Il est intéressant de noter, à partir de la perspective actuelle, que lalutte sud-africaine a fort peu influé à ce moment-là. Les modèles préférés étaient ceux de l’Algérie, de Cuba et du Vietnam, qui étaientconsidérés comme des luttes de libération anticoloniales et anti-im-périalistes couronnées de succès. Ces analogies, cependant, étaienttoujours problématiques. (…)

Le cas de la Palestine était différent. Ce n’étaient pas seulement les militants armés et les dirigeants qui étaient en exil, mais la majeurepartie de la base populaire. Ce n’était pas une situation temporaire,mais plutôt semi-permanente, le seul cas dans l’histoire moderned’un peuple qui lutte pour libérer son pays de la conquête coloniale,en étant forcé d’opérer d’au-delà de ses frontières. (…) Cela ne signifie pas un changement automatique de modèle, mais un écartouvert entre la résilience de la conceptualisation d’origine et l’adap-tation pratique de la stratégie. Cela a été rendu nécessaire par l’échecdes organisations de la résistance armée dans leurs incursions dansle territoire contrôlé par Israël et leurs défaites d’abord en Jordanie,puis au Liban. Leur retrait dans des pays arabes loin du territoire d’Israël/Palestine a enfin condamné les perspectives de changementdirigées depuis l’extérieur du pays.

Pendant ce temps, les attitudes envers les Juifs israéliens ont aussichangé. Au départ d’un rejet initial de ceux qui étaient arrivés dans lepays après 1917 et de la rhétorique notoire d’Ahmad Shuqeiri, l’OLPa commencé à accepter les Juifs comme légitimes, dans un premier

À LA RECHERCHE D’UN MODÈLE DE LUTTE

contre l’apartheid en Israël/Palestinepar Ran Greenstein

Plusieurs définitions de la question ont été présentées historique-ment : une lutte du mouvement national palestinien pour l’indépen-dance et l’autodétermination, un combat d’une peuple colonisé pourse libérer d’une domination étrangère, une quête de l’égalité politiqueface à un régime analogue à celui de l’apartheid, une mobilisationaxée sur le droit pour éliminer les obstacles juridiques et étendre lesmêmes droits à tous les résidents, et ainsi de suite. (...)*

Ces définitions ne s’excluent pas mutuellement et peuvent se che-vaucher l’une l’autre dans une certaine mesure. Elles considèrenttoutes le régime israélien (et avant lui le projet sioniste de colonisation)comme le problème principal. Et pourtant, chacune d’entre elles iden-tifie une population et des limites politiques d’inclusion et d’exclusionquelque peu différentes. (…) Aucune de ces définitions n’est seule-ment théorique ; chacune implique une stratégie d’organisation et de résistance particulières et pourrait conduire à différents types de mobilisation politique. Pour comprendre de quoi il en retourne, observons la lutte anti-apartheid sud-africaine. Elle a été guidée, pourl’essentiel, par la Charte de la Liberté de 1955 et son idée que« l’Afrique du Sud appartient à tous ceux qui y vivent, Noirs et Blancs».La charte a été produite par le Congrès du peuple, rassemblant quatreorganisations représentant des groupes raciaux distincts. La contra-diction entre l’objectif d’un pays sans discrimination raciale et unifié etune lutte sur une base raciale a été résolue au fur et à mesure. (…)

Par conséquent, la lutte n’a pas été définie comme raciale (opposantun mouvement noir aux Blancs), ni comme une lutte nationale despeuples autochtones contre les colons, mais plutôt comme une luttede toutes les forces démocratiques contre un régime de suprématieblanche. Ainsi, les Blancs progressistes sont devenus une partie dela solution et tous les Blancs sont devenus des partenaires potentielsdans la construction d’une société nouvelle. (…)

Ce modèle « idéal-typique» du mouvement anti-apartheid vaut-il pourla lutte palestinienne ? Historiquement, la réponse est clairement

palestine 08 DOSSIER D’UN APARTHEID À L’AUTRE

Comment définir et comprendre la nature de la lutte contre l’oppression politique en Israël/Palestine? À première vue, la réponse est simple : la cible en est le régime israélien et ses pratiques. Mais y-a-t-il un principe commun au nom duquel la lutte est menée?

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Aucun mouvement palestinien ou israélienn’a encore adopté un véritable modèle

de lutte anti-apartheid.

– cela nécessiterait un glissement d’une organisation sur une baseethnico-nationale à une mobilisation des gens sur base d’un agendasocial, économique et basé sur les droits, indépendamment des origines. Cela signifie prendre en compte les différentes positionsstructurelles des segments de la population, ce qui peut donner lieuà des changements d’alliances en fonction du lieu, des intérêts, despriorités, des capacités ;– en d’autres termes, cela signifie dépasser les limites de la sépa-ration, en insistant en même temps sur la nécessité de lutter contreles séquelles de la colonisation et de la dépossession de manièredifférenciée.

Aucun mouvement palestinien ou israélien n’a encore adopté un telmodèle. Il ne fait aucun doute que les Juifs israéliens seraient réticentsà un tel changement. Les militants radicaux ont pris des mesures dansce sens, mais généralement accompagnées d’une réaffirmation de lafracture indigène-colon. Ainsi, l’héritage d’organisations nationalistesdistinctes reste dominant.

Les avantages d’un changement complet vers un nouveau para-digme ne sont pas évidents. Est-il réaliste de s’attendre à ce que desmilitants transcendent tous en même temps le nationalisme, étantdonné son ancrage profond durant le siècle dernier ? Cette questionnécessite une réflexion plus approfondie. (…)

Ran Greenstein est d’origine israélienne, professeur agrégé dans le départementde sociologie à l’Université de Witwatersrand, à Johannesburg, en Afrique du Sud.

Source : Searching for a genuine anti-apartheid struggle in Israel/Palestine sur972mag.com, 14 décembre 2013 – Traduction N.J.O.* Cet article ne reprend que des extraits de l’analyse de Ran Greenstein parue dans972mag. Vous pouvez retrouver l’entièreté de son analyse sur le site de l’ABP.

temps seulement s’ils renonçaient au sionisme, plus tard sans condi-tions idéologiques préalables, lorsqu’est apparu le slogan d’une «Palestine laïque et démocratique». Cela se rapprochait d’un modèleanti–apartheid où les Juifs israéliens étaient considérés comme ungroupe religieux– pas une nationalité comme ils se définissent eux-mêmes –dans le cadre d’une Palestine arabe.

Vers le milieu des années 1970, l’État laïque et démocratique avaitété relégué au second plan et remplacé par l’accent mis sur l’indé-pendance d’un État palestinien en Cisjordanie et à Gaza. Cela impli-quait directement un modèle anticolonial, anti-occupation pour unepartie du pays. L’essentiel de l’effort national palestinien pour les troisdécennies suivantes fut consacré à atteindre cet objectif. Mais endépit de progrès apparents avec la première Intifada et les accordsd’Oslo, il n’a mené nulle part. De nouvelles approches ont été évo-quées depuis que l’échec du processus d’Oslo est devenu évident,confondant souvent différents paradigmes (solution à un seul Étatavec le bi-nationalisme, par exemple), avec ou sans reconnaissanceexplicite des différences nationales, avec ou sans le soutien explicitedu droit au retour pour les réfugiés, avec ou sans le retrait des colonsde la Cisjordanie.

Dans quelle mesure ces nouvelles approches rejoignent-elles un véritable modèle anti-apartheid ? À quoi ressemblerait un tel modèledans le contexte actuel ?– Il impliquerait l’abandon du fait que la Palestine est un pays arabe,que ce soit dans un sens politique ou juridique (bien que les gensresteraient libres de pratiquer leur différence culturelle) ;– il embrasserait l’ensemble de la population dans une seule entitépotentielle, et pas seulement ceux d’origine arabe palestinienne (bienque surmonter la dépossession historique des Palestiniens resteraitla tâche politique la plus importante) ;– il transcenderait les distinctions entre populations autochtones et co-lons dans la mesure où celles-ci impliquaient des droits différents (touten œuvrant à corriger les conséquences historiques de la distinction) ;

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Leila Farsakh etNoura Erakat étaient

toutes deux à Bruxellesen novembre pour intervenir

dans une conférence organiséeau Parlement européen sur le thème

Nouveaux paradigmes pour Israël et laPalestine. À cette occasion, l’émission Le

Mur à des Oreilles (LMaDO) les a interviewées1.

le mieux qu’ils pouvaient obtenir, c’était un État palestinien sur la Cis-jordanie et la bande de Gaza. L’Europe a joué un rôle très important,en fournissant à l’OLP les moyens de se faire entendre et aussi enpoussant Israël à accepter de commencer à traiter avec les Palesti-niens. De ce fait, 1993 a été un succès jusqu’à un certain point carcela a permis la première reconnaissance officielle israélienne del’existence des Palestiniens en tant que peuple et de leur droit à l’au-todétermination. Maintenant, nous savons qu’Oslo a mal tourné. Latragédie, vingt ans après Oslo, c’est qu’au lieu de nous avoir donnéla possibilité de créer effectivement sur le terrain une solution à deuxÉtats, nous avons fini par avoir la réalité d’un seul État et le pire, quiressemble à l’apartheid. Nous avons tous les mécanismes juridiquespour mettre en œuvre la solution à deux États, mais pas la volonté politique israélienne de le réaliser.J’ai entendu deux aveux importants aujourd’hui à l’Union européenne.Le premier est que c’est la dernière chance de faire aboutir une solu-tion à deux États. Deuxièmement, j’ai pensé qu’il a été très importantpour eux de dire sans ambages qu’ils n’ont plus d’argent pour conti-nuer à subventionner l’occupation et soutenir l’Autorité Palestinienne(AP). Cela crée une ouverture officielle pour réellement changer ledébat sur le conflit et pour formuler l’option d’une solution à un seulÉtat de manière plus concrète, plutôt que seulement en termes demorale ou de slogans.

Noura Le problème est le fait que la direction palestinienne est elle-même le reflet du processus d’Oslo qui était censé être un accordprovisoire. L’AP a été conçue comme un organe administratif provi-soire qui a depuis supplanté l’OLP et tout type de mécanisme de représentation. Avant cela, les Palestiniens ne pouvaient pas exercerleur volonté d’autodétermination, mais au moins ils pouvaient exercerleur volonté populaire. Maintenant nous avons perdu les deux. LesPalestiniens faisant partie de la représentation officielle ne peuvent

Noura Erakat Deux choses m’ont frappée au cours de la conférence.D’une part, les diplomates qui se sont exprimés parlaient de deux Étatspour deux peuples, du fait que c’était la seule solution, tout en recon-naissant que la réalité sur le terrain avait changé et que nous pourrionsbientôt être confrontés à la perspective d’un seul État de facto.

Mais n’est-ce pas là que se situe le plus gros problème préci-sément? Tous savent ce qui se passe sur le terrain mais, concrè-tement, ils ressassent toujours les mêmes antiennes et mytheset s’alignent en fait sur les États-Unis. L’Europe devrait-elle sedémarquer ou les Européens pourraient-ils se démarquer ?Leila Farsakh Nous devons mettre les choses en perspective. Lasolution à deux États est, d’un point de vue juridique et politique, laseule solution envisageable sur le terrain. Pourquoi ? Parce que les résolutions de l’ONU sur le conflit depuis 1947 ont été fondées sur leconcept de la partition du territoire. Le mouvement national palesti-nien avait rejeté celui-ci et dans les années 1970, quand le Fatah etle Front Populaire ont pris le contrôle de l’OLP, la plate-forme politiquede 1971 affirmait que la seule solution était celle d’un seul État, unÉtat démocratique en Palestine, incluant juifs, musulmans et chrétiens.Cette proposition n’était acceptable ni pour Israël, ni pour la commu-nauté internationale qui ne pouvait y adhérer parce que le XXe sièclea été un siècle de nationalismes. La seule solution à tout problèmepolitique, c’était soit qu’il s’agissait d’un problème humanitaire, commecelui des réfugiés qui nécessitait alors une solution humanitaire, soitd’un problème politique et c’était alors une question d’autodétermina-tion. Lorsque l’on parlait d’autodétermination au XXe siècle, on enten-dait État. Donc, dans le contexte historique, des Palestiniens venantdéclarer « Nous voulons un État palestinien », c’était là une étape politique très importante. C’était là assurément une étape qui a beau-coup coûté pour y parvenir. L’Histoire se souviendra d’Arafat commedu leader palestinien qui a préparé le peuple palestinien à l’idée que

Nouveaux paradigmes

POUR ISRAËL ET LA PALESTINE conversation avec Noura Erakat et Leila Farsakh

palestine 10 ENTRETIEN

Leila Farsakh

Noura Erakat

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C’est pourquoi le débat sur un seul État est aujourd’hui plus oppor-tun que jamais parce que la solution à deux États a été tentée et aéchoué. Cependant, dire que la solution à deux États est morte ne si-gnifie pas que la solution à un seul État est derrière le coin. Il y a laréalité d’un seul État, mais pas une solution à un seul État. Pour quecela devienne une solution, il y a de nombreuses questions fonda-mentales à résoudre. Nous voulons créer un État pour tous ses ci-toyens. Cela signifie que les Palestiniens et les Israéliens doivent vivreensemble. Quand les gens parlent d’un seul État, ils disent que c’estla seule solution morale et j’en conviens. Mais pour que cette solutionmorale puisse devenir un projet politique, il y a un ensemble de ques-tions qui doivent être abordées et c’est là la difficulté.

Noura La solution à deux États n’est pas en soi un problème. Le pro-blème, c’est la solution à deux États qui a été présentée à Oslo, unesolution à deux États qui était seulement une solution politique, une solution fondée sur des concessions, sans reconnaissance del’histoire, sans restauration des droits, sans conformité à des termesde référence. De nombreux tenants d’un seul État auraient soutenuune solution à deux États qui aurait intégré une approche fondée sur les droits. La leçon à tirer est que, quelle que soit la solution quiaboutisse, elle doit compter avec les droits individuels et collectifs demanière à intégrer l’histoire. Et Leila souligne comment il faut prendreen compte avec sérieux la question de l’histoire des Juifs israéliens,qui sont là maintenant depuis quatre générations, comment traiteravec eux, leurs revendications, leur histoire, et aller de l’avant.

Leila Beaucoup de Palestiniens ont répondu en disant qu’ils pou-vaient rester. La question la plus cruciale, c’est de savoir commentles amener à accepter le droit au retour, à partager la terre sur un piedd’égalité. Ils ont aujourd’hui des privilèges auxquels ils ne veulent pasrenoncer. Comment avoir un programme humaniste? Une solution àdeux États est plus facile. Vous restez là, je peux rester ici, nous créonsdes frontières. La solution à deux États est la meilleure solution pourIsraël sur le long terme. Israël aurait dû la mettre en place et évacuerdes colons. Mais Israël ne voit pas les choses de cette façon. Donc,il faut répondre aux questions pratiques, mais certaines questions fon-damentales doivent aussi être prises en compte. Comme l’a dit Noura,l’approche fondée sur les droits est la bonne approche. Ce qui a faitéchouer la solution à deux États, c’est que nous n’avons pas abordéles données fondamentales du problème. Si Israël avait accepté la résolution 194, beaucoup de gens se seraient entendus sur deux États.Idem pour le partage de Jérusalem. La solution à deux États aurait étéréalisée. Cela nous dit que nous devons revenir aux données fonda-mentales du problème. Nous sommes confrontés à un mouvementsioniste au passé colonial. Comment l’émanciper de son héritage colonial ? La seule façon de le faire est par l’acceptation d’un paradigmede droits dans lequel tout le monde a des droits égaux en Palestine.

1/ Cet article reprend partiellement l’interview de Leila Farsakh, professeur en sciencepolitiques à l’Université de Massachussetts, et Noura Erakat, avocate en droits del’Homme, réalisée en anglais le 7 novembre 2013 par Le Mur a des Oreilles. Vouspouvez retrouver l’entièreté de la traduction française sur le site de l’Associationbelgo-palestinienne. Traduction par Thierry Bingen.

rien demander de plus à ce stade parce qu’ils n’existent que grâce àun financement extérieur.

Alors, comment commencer à reformuler la question autour dela solution à un seul État ? Jusqu’à présent, l’opinion publiquemajoritaire pense que les Palestiniens sont un peuple vivanten Cisjordanie et à Gaza. Ayant compris que la plupart d’entreeux vivent en dehors de ces limites (diaspora, réfugiés...), leplaidoyer pour un seul État deviendra beaucoup plus simple.Noura Votre question implique une question plus large: qui s’exprimeau nom des Palestiniens en l’absence d’un quelconque organe degouvernement ? Ce n’est pas la première fois que cette questionsurgit. Elle est apparue de façon manifeste en 2006, lorsque le Hamasa remporté les élections législatives, et en 2007 encore, quand le Fataha été évacué de la bande de Gaza par un coup d’État préventif. Laquestion alors était aussi : « Comment rester solidaires des Palestiniensquand personne ne représente vraiment entièrement leur peuple?» Enfait, c’est un faux-fuyant, surtout pour les groupes de solidarité quidevraient davantage se préoccuper de la façon dont leurs propresgouvernements sont parties prenantes et complices des violationspersistantes des droits ainsi que de la négation de l’autodétermina-tion du peuple palestinien, indépendamment de ce à quoi leurs pro-grammes formels ressemblent. Ainsi, même si vous ne disposez pasd’un programme politique quant à un ou deux États, ou n’importequoi qui vous agrée, vous ne pouvez que convenir que l’UE, qui estsans conteste le plus grand marché pour les produits israéliens, devraitavoir pour politique de cesser d’être ce marché et de servir Israël.Nous devrions en convenir, parce que les 27 membres de l’UE sontaussi hautes parties contractantes à la 4e Convention de Genève,qu’ils doivent respecter l’avis consultatif de la CIJ de 2004 et ne par-ticiper à aucune activité économique, diplomatique ou politique quifavorise la construction du Mur d’annexion. Donc, pour le mouvementde solidarité, même si l’interrogation est très sincère, je ne pense pasqu’elle doive avoir un impact sur son action politique. Pour les Pales-tiniens, c’est une question qui se pose différemment, une question àlaquelle nous devons répondre par nous-mêmes...

Leila L’idée d’un seul État est une idée ancienne. Des sionistes israé-liens, ceux que nous appelons les sionistes humanistes, l’ont avancéedans les années 1920 et 1930, les Palestiniens l’ont avancée dans lesannées 1970 ; elle a été mise en avant dans la déclaration palesti-nienne d’indépendance en 1988 et à Oslo et elle revient maintenant.On y revient parce que la réalité sur le terrain, avec un demi-million decolons en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, avec la création de ban-toustans en Cisjordanie et à Gaza, avec plus de 96 points de contrôlepermanents, 465 mobiles, avec le déclin économique par la fragmen-tation géographique, les routes de contournement, les gens disent surle terrain : « Nous vivons la réalité d’un seul État ». Nous ne voyonspersonne du côté israélien qui puisse véritablement évacuer les colons, qui veuille partager Jérusalem, qui veuille donner aux Pales-tiniens la souveraineté sur le Jourdain, même si Kerry pousse del’avant, et nous lui souhaitons bonne chance; le côté israélien nesemble pas intéressé par une solution à deux États réellement viable.

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Les attaques des colons israéliens contre la population palestinienne deCisjordanie sont un phénomène qui se développe depuis longtemps

sur une large échelle et qui prend des proportions de plus en plusalarmantes. Incluant l’usage d’armes à feu et la destruction

de propriétés privées, elles portent gravement atteinte à la sécurité des populations civiles de Cisjordanie.

Provoquant des dommages très graves aux biensdes personnes, aux édifices publics et religieux,

des blessures, voire parfois des décès, cesagressions se produisent souvent autour

de Naplouse, Qalqilya, Bethléem, Ramallah et Hébron, à proximité

de certaines colonies.

se sont intensifiées en 2011, en réponse à l’évacuation forcée d’uncertain nombre d’avant-postes de colonies en Cisjordanie.

UNE VIOLENCE INSTITUTIONNALISÉE Certains groupes de colons sont officiellement reliés à ces attaques,comme ceux de la colonie La Ferme de Maon à côté d’Hébron, oude la colonie de Yitzhar, près de Naplouse. Des personnalités israé-liennes, des membres de la classe politique soutiennent et justifientles actes de violence des groupes de colons qui ont, parfois, béné-ficié du soutien administratif et financier d’institutions israéliennes.

Du côté religieux, le rabbin Yitzhak Ginsburg, président de la yeshivade la Tombe de Joseph (un colon de Yitzhar), le rabbin David Dodko-witz, le grand rabbin de la colonie, et le rabbin Yitzhak Shapira, le mairede la colonie ont publiquement défendu le principe des attaques « leprix à payer ». Du côté politique, des membres du Parlement israélienles appuient, comme Michael Ben-Ari (parti de l’Union nationale) qui aréclamé, après le meurtre de cinq membres d’une famille de la colonied’Itamar (mars 2011), que le gouvernement israélien utilise des mesuresdu type « prix à payer » pour identifier le village d’origine des responsa-bles, en déporter tous les habitants et le détruire afin de construire surson emplacement une colonie. Le séminaire Od Yosef chai, dans la colonie de Yitzhar, a reçu des financements publics israéliens, malgréle fait que ses étudiants soient régulièrement impliqués dans des agres-sions de civils palestiniens. D’autres groupes similaires reçoivent desfinancements de l’étranger, des USA ou d’Europe.

Face à ces agressions, certains responsables israéliens ont expriméleur condamnation comme le ministre de la Défense, Ehud Barak oula ministre de la Justice, Tzipi Livni, pour qui « le prix à payer est un

Selon UN-OCHA, les actes de violence de colons ayant causé desdommages matériels ou blessé des personnes ont augmenté de 32% entre 2010 et 2011. Par rapport à 2009, cela correspond à une augmentation de 144 %. Les chiffres indiquent clairement uneescalade de la violence coloniale tout au long de 2011 : au cours decette année-là, 5 Palestiniens (dont deux enfants) ont été tués et plus d’un millier blessés (près de 1/5 d’entre eux étaient mineurs).Pour 2013, en octobre, la destruction d’environ 8800 arbres avait déjà été enregistrée.

Les attaques de colons s’intensifient lors de la récolte des olives (demi-septembre à fin novembre). En 2012, durant cette période, al-Haq en a répertorié plus de 29 contre des agriculteurs palestiniens.Plus de 747 oliviers ont également été détruits, brûlés, arrachés ouendommagés. Sur toute l’année 2012, ce sont plus de 7500 oliviersqui ont été abîmés ou détruits par les colons. Toujours en 2012, UN-OCHA a enregistré 359 incidents ayant causé des blessures ou desdommages matériels. Al-Haq a noté une augmentation significativeau cours de la même année, tant du nombre que de la violence des attaques des colons.

Depuis 2008, ces derniers se livrent à un type particulier d’attaques :les attaques dites du prix à payer. Celles-ci, menées par des groupestrès organisés comme les Jeunes des collines, sont des représaillesexercées sur des Palestiniens à chaque fois que les autorités israé-liennes agissent contre l’intérêt du mouvement de colonisation. Ils’agit de porter atteinte aux biens privés ou publics de la population,ce qui inclut l’incendie de voitures aussi bien que le vandalisme surdes sites religieux, mais aussi parfois des agressions physiques sur des personnes pouvant aller jusqu’au meurtre. Ces agressions

L’INSTITUTION-NALISATION DE

l’impunitépar Julien Masri

palestine 12 VIOLENCE DES COLONS

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sont proposées pour donner une forme d’immunité aux rabbins et àd’autres personnalités publiques qui incitent à la violence, des pres-sions sont exercées sur la classe politique, des arrangements sonttrouvés avec les tribunaux. Ainsi, Noam Federman, membre éminentd’un mouvement colonial, a été jugé coupable d’incitation à la haineet à la violence à l’encontre des Palestiniens à la télévision publique et dans d’autres médias, proposant de « déporter les Arabes », seréférant à eux un comme à « un cancer », proposant de « démolir des mosquées ». Il n’a été condamné qu’à quatre mois de travauxd’utilité publique et six mois de mise à l’épreuve. De leur côté, les Palestiniens sont soumis à la juridiction militaire, qui impose des restrictions draconiennes de leurs droits.

Toutes les colonies israéliennes de Cisjordanie (ce qui inclut Jérusa-lem-Est) sont illégales au regard du droit international (article 49-6 dela IVe Convention de Genève), ce qui a été confirmé à de nombreusesreprises par le Conseil de sécurité et l’Assemblée générale de l’ONU).La colonisation, la violence des colons à l’encontre des populationsciviles palestiniennes et le défaut manifeste de protection de ces populations par les autorités israéliennes constituent des violationsgraves du droit. La responsabilité des États tiers est aussi avancée :ces États devraient prohiber toute relation entre des individus ou desgroupes nationaux et des individus ou des groupes liés aux actes deterreur perpétrés par les colons. Lorsque les structures détruites aucours des attaques sont financées ou gérées par ces États tiers, cesderniers devraient demander à Israël de prendre les mesures néces-saires (dont l’inculpation des responsables). Enfin, les représentantsde l’État de Palestine devraient entamer les démarches pour adhérerau Statut de Rome de la Cour pénale internationale, afin d’assurer unmaximum de protection juridique à la population civile de Cisjordanie.

euphémisme pour des crimes haineux » qui doivent « être stoppés ».D’autres voix se sont élevées contre ces violences, en Grande-Bre-tagne, aux USA, aux Nations unies. Pourtant, plutôt que de prendredes mesures pour éradiquer la violence des colons, le gouvernementisraélien préfère prendre des initiative pour apaiser ceux-ci en autorisanta posteriori certains avant-postes, en développant l’extension des colonies et en continuant à inciter les citoyens israéliens à s’installerdans les colonies.

En outre, les autorités israéliennes font preuve d’un manque flagrantde volonté lorsqu’il s’agit de faire respecter le droit par les colons. Laplupart des enquêtes n’aboutissent pas. L’organisation israélienneYesh Din a suivi 938 incidents pour lesquels la police a ouvert uneenquête entre 2005 et 2013. Dans plus de 90% des cas, l’enquêten’a abouti à aucune inculpation. De plus, les victimes de violences ontsouvent beaucoup de mal à engager une procédure judiciaire : à lafaible probabilité que la procédure aboutisse, s’ajoutent le temps etle coût nécessaires ainsi que le risque de représailles des colons. Quiplus est, pour déposer plainte, il faut pouvoir accéder au commissariatde police, c’est-à-dire disposer d’un permis pour entrer dans la colonie où il se situe ! Quel contraste avec le cas où un Palestinien estsoupçonné d’avoir commis une agression sur des colons! Les auto-rités israéliennes prennent alors des mesures à grande échelle, commede vastes campagnes d’arrestations, de fouilles et d’interrogatoires.

PROTÉGER LES COLONSBien que le code pénal israélien condamne fermement toute incitationà la violence et qu’il puisse parfaitement s’appliquer aux actes de violence sur des Palestiniens, les groupes qui soutiennent le mou-vement de colonisation s’évertuent à protéger les colons. Des lois

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palestine 14 VIOLENCE DES COLONS

(G4S) est toujours présente dans la colonie de Kedumim (près deNaplouse)1 et la collaboration entre les agents de sécurité et l’arméeest avérée. Une barrière coupe la seule route pavée menant au villagede Kfar Kaddum et c’est un employé d’Hashmira qui la garde : ilstoppe les véhicules palestiniens et déclare au journaliste : « Personnene peut passer en voiture. Nous permettons aux enseignants et àceux que nous reconnaissons de passer à pied. Les autres doiventprendre des routes alternatives. » Auparavant, les habitants mettaient20 minutes pour aller à Naplouse ; depuis, cela leur prend environ 5heures, par des routes de campagne. Même les ambulances sontstoppées et le garde n’hésite pas à tirer. Les colons expliquent qu’ilssecondent ainsi l’armée dans sa mission dans les « territoires ».

De leur côté, les enquêteurs de Who profits témoignent de la pré-sence de cette même firme dans les colonies de Qiryat Sefer, Ma’alehAdumim et Har Adar.

SUPERPOSITION DES RÔLES DE L’ARMÉE ET DES FIRMES DE SÉCURITÉ PRIVÉESEn fait, le président d’Hashmira est très clair sur le rôle de ses agentsdepuis la 2e Intifada: « En temps normal, la division de la Sécuritétraite principalement de la surveillance des biens et des personnes.Soudain, sans avertissement préalable 2, ils étaient tenus d’effectuerdes missions semblables à celles généralement effectuée par la policeet la police des frontières. Nous avons dû recruter du personnel dehaute qualité et, en très peu de temps, les entraîner à utiliser des armesà longue portée pour faire face à une population ennemie équipéed’armes à feu. Le travail aujourd’hui comprend des patrouilles dansles colonies, le long des clôtures de périmètre, à l’entrée des coloniesainsi que le fonctionnement des unités de garde. » (Peter LAGERQUIST,«Very active defence», London Eeview of Books, 19/09/2002). Il ressortclairement de cette déclaration que les agents de sécurité jouent lemême rôle que l’armée ou la police. On peut aller plus loin : chaque

Une vidéo, publiée récemment par B’Tselem (Settler Attack in Urif),montre clairement des colons, accompagnés de soldats et d’un gardearmé, attaquant un village et son école. Des vidéos de ce genre pullu-lent sur le Net. Quelle est l’implication des firmes de sécurité et quelssont leurs liens avec l’armée ?

L’ÉTAT ET LE GARDIENNAGE PRIVÉ DES COLONIES Non content de protéger les colons avec l’armée, le gouvernement israélien alloue des subsides pour des gardes privés au travers du mi-nistère du Logement et ce, depuis les années 70 (initiative de Sharon).Leur nombre exact n’est pas connu (discrétion oblige) ; à elle seule,la compagnie Hashmira (appartenant à 91% à G4S) affirme, en 2002,en compter des centaines dans les Territoires occupés. D’autres com-pagnies sont aussi présentes sur le terrain. Dont Modi’in Ezrachi qui,en 2013, employait, rien qu’à Jérusalem-Est, 350 agents de sécuritérépartis sur 56 colonies (soit 1 agent de sécurité pour 5 colons) et quiétait, en 2003, le plus gros employeur en Israël. À Jérusalem-Est pré-cisément, l’État fournit aux colons des gardes 24h/24h, dans chaquemaison, en plus d’escortes et même de transport. Le budget annuelaffecté est d’ailleurs en croissance constante (54 millions de NIS en2009-2010 contre 70 millions pour l’année 2011-2012). (Settlementsin Palestinian Neighborhoods in East Jerusalem, Peace Now, sep-tembre 2011) Pour les colonies en Cisjordanie, les chiffres exacts sontinconnus mais on sait que toutes les colonies en emploient.

HASHMIRA/G4S S’EST RETIRÉ DES COLONIES EN CISJORDANIE ?Suite aux vives critiques dont G4S a été l’objet, son PDG avait déclarés’être retiré de Cisjordanie. Tout en précisant, il est vrai, qu’il continuaità protéger à l’intérieur des colonies les supermarchés et les banques…Or, d’après le Guardian (P. LAGERQUIST et J. STEELE, « Group 4 Security firm pulls guards out of West Bank», 09/09/2002), Hashmira

L’ARMÉE, LES AGENTS DE SÉCURITÉ PRIVÉS

ET LES MILICES DES COLONS

l’union sacrée contre les Palestiniens(1E PARTIE) par Marianne Blume

D’après les règles internationales, une armée d’occupation doit assurer la sécurité des populations occupées. Suivant les Accords d’Oslo, Israël est responsable de la sécurité dans les zones B et C (60% de la Cisjordanie); sa mission théorique est de protéger les colons mais aussi les Palestiniens. Un récent rapport de l’ONU(2013) constate que les attaques de colons ont quadruplé en 8 ans.

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colons portent des uniformes militaires tandis que les gardes privésn’ont rien qui les distingue des civils.

Dans un rapport de Priv-War (Israel: The use and regulation of privatemilitary and security companies in situations of armed conflict Israel,2010), l’accent est mis sur cette confusion opérée dans les médias etrapports. En réalité, la collusion entre l’armée et les colons – organi-sés en milices ou se payant des agents de sécurité– n’en est queplus flagrante.

L’HISTOIRE N’EST PAS FINIE Là ne s’arrête pas le rôle des agents de sécurité et leur implication dansl’oppression et la répression des Palestiniens en Cisjordanie. Il faudraencore aborder la privatisation des checkpoints. Là ne s’arrête pas nonplus le rôle des colons et de leurs groupes paramilitaires. Il faudra aussiexpliquer pourquoi Israël délègue l’occupation à des privés. Ce seral’objet d’un autre article.

En attendant, on peut conclure sans se tromper que l’État d’Israëlprotège les colons et que les tirades de certains politiques contre lescolons extrémistes sont plus qu’hypocrites : l’État les a armés, il leuraccorde des subsides pour leur protection et il fait garder leurs colo-nies par l’armée. Si la Cisjordanie devient le « Far West » notammentavec les Jeunes des collines, c’est bien là le résultat d’une politiquequi vise avant tout à consolider l’occupation et à enfermer les Pales-tiniens dans des ghettos pour s’emparer du plus de terres possible.(à suivre)

1/ Enquête du Guardian.2/ Il fait allusion à la 2e Intifada.3/ Voir par exemple, Private security companies in the Occupied Palestinian Territories (OPT) : an international humanitarian law, Harvard University, mars 2008.

colonie possède sa propre patrouille de sécurité et celle-ci est enliaison avec les commandants militaires. C’est ainsi que ces milicesopèrent sur les routes et vont jusqu’à pénétrer dans les villages palestiniens. C’est ainsi aussi que, à la veille du vote de l’ONU sur l’admission de l’État de Palestine comme membre observateur,l’armée a entraîné des agents civils au maniement des gaz lacrymo-gènes et des grenades assourdissantes…

Les incidents impliquant des gardes privés sont trop nombreux pourêtre tous relatés3. Mais en voici un exemple : une manifestation paci-fique contre une carrière israélienne illégale située sur les terres deNil’in et Budrus. Les manifestants approchent et aussitôt, un gardeprivé hurle et se met à tirer sur eux à balles réelles. Quand l’armée arrive, non seulement elle n’arrête pas le garde mais de plus, elle décrète illico la zone zone militaire et tire des grenades lacrymogènes.Un Palestinien est blessé (J. DANA, «Private security guard attacks Palestinan protesters with live fire », Magazine 972). A Bil’in, ce sontl’armée, les gardes frontière et les firmes de sécurité privées qui attaquent conjointement les manifestants. (G. ALGAZY, «Settlers on Israel’s eastern frontier », Le Monde diplomatique, 04/08/2006)

Dans leur ouvrage Le livre noir de l’occupation israélienne, Breakingthe silence rapporte le témoignage d’un soldat de garde dans une co-lonie près d’Hébron: « C’est le responsable de sécurité de la coloniequi décide ce qui est permis et ce qui est interdit. C’est une situationassez amusante, quand on y pense, dans laquelle un civil dit à l’ar-mée ce que sont ses limites et quelles sont les lois. » À vrai dire, leresponsable de la sécurité n’est pas nécessairement un employéd’une firme de sécurité. Souvent, en effet, la confusion règne. Un observateur israélien des DH note que des jeeps avec l’inscription « sécurité » ont participé à des attaques contre le village de Hares où il était posté et qu’il est très difficile de faire la différence entre l’ar-mée et les colons, les gardes privés et les volontaires: de nombreux

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palestine 16 VINS ISRAELIENS

fait référence à des vignobles dans les régions viticoles « Shomron » et« Judean Hills », qui sont à cheval sur Israël et la Cisjordanie occupée.Il n’y a pas non plus de précisions sur l’origine des vignes utilisées. – La Tishbi Estate Winery possède des vignobles à Gush Etzion etdes parts dans Gush Etzion Wineries (Cisjordanie occupée).

En Belgique, ces vins sont vendus dans des vinothèques, en ligneou via des distributeurs indépendants. Certains vins produits par laGolan Heights Winery peuvent être achetés sur le site de Delhaize,Delhaize Wine World (l’origine indiquée est la Galilée) et chez Rob.

Sauf pour quelques bouteilles spécifiques de la Golan Heights Winery,il est impossible de distinguer les vins produits à base de raisin cultivéen Israël des vins pour lesquels des vignes des territoires syrien etpalestinien occupé ont été exploitées :

– L’agence israélienne d’exportation a mis au point une carte de«régions viticoles » dont le tracé ne correspond à aucune délimitationconnue. Ces régions s’étendent à la fois sur les territoires occupés etle territoire israélien. Il est donc impossible d’affirmer qu’un vin venduen Belgique dont la provenance indique « Galilée » soit réellementproduit en Galilée, Israël.– La classification des vins en «Nouveau / Ancien Monde» donne auxviticulteurs un outil supplémentaire pour brouiller la piste des vignesdes colonies. Les vins israéliens tombent dans la catégorie « vins duNouveau Monde », qui classe les vins selon la variété des raisins uti-lisés plutôt que par région. L’utilisation de raisin cultivé en territoireoccupé passe ainsi inaperçue. – Les viticulteurs n’indiquent pas l’origine des vignes, ce qui leur per-met de dissimuler l’exploitation de celles cultivées en territoire occupé.

Il est donc absolument impossible d’exclure que le vin israélien desmarques mentionnées ci-dessus et qui est en vente en Belgique n’apas été produit à partir de vignes situées en territoire occupé.

Les Conseils des colonies s’emparent parfois de puits, sources etbassins d’eau afin de les intégrer aux parcours touristiques, privantainsi les agriculteurs palestiniens d’espaces jusque-là publics et deressources hydriques déjà limitées. Le gouvernement israélien octroiedes incitants financiers aux entreprises agricoles pour développerleurs activités en territoire occupé: quotas d’eau subsidiés, fonds enprovenance des ministères de l’Agriculture (pour la construction desinstallations), de la Défense (pour la réfection de routes et la clôturede parcelles) et du Tourisme (pour développer le pendant touristiquedes vignobles).

Le marché viticole israélien est contrôlé par six maisons qui possèdenttoutes, sans exception, des vignobles en territoires occupés (syrienet/ou palestinien).– La Carmel Winery est propriétaire de trois vignobles dans le plateaudu Golan et exploite des vignes cultivées à Mevo Horon. Carmel estégalement à la tête de la Yatir Winery, fondée par des colons viticul-teurs, qui exploite des vignobles situés (entre autres) dans la régiondes « collines du sud d'Hébron ». – La Barkan Winery est la deuxième plus grande entreprise viticoled’Israël. Elle est propriétaire de vignobles dans le plateau du Golan etd’un vignoble en Cisjordanie. Plusieurs de ses vins sont entièrementproduis dans les colonies. – La Golan Heights Winery est une entreprise viticole fondée à Kat-zerin (Golan occupé) dont 96% des vignobles sont situés dans leplateau du Golan. 30% de la production sont destinés à l’exportation.Les vins commercialisés sous les marques Yarden, Gamla et Golansont produits à base de raisins cultivés dans le plateau du Golan. – La Teperberg 1870 Winery possède plusieurs vignes, dont cer-taines à Gush Etzion et Mevo Horon (Cisjordanie occupée). L’originedes vignes utilisées pour la fabrication des différents vins n’est pasindiquée par l’entreprise.– La Binyamina Winery exploite des vignobles en Israël, en Cisjor-danie et dans le plateau du Golan. Dans ses publications, l’entreprise

Vins des colonies

EN BELGIQUEpar Katarzyna Lemanska

L’industrie viticole israélienne collabore à l’occupation de la Cisjordanie et du plateau

du Golan, zones propices à la production de vins. Les entreprises viticoles s’approprient des terres

palestiniennes pour y planter des vignes, accaparentles ressources hydriques en territoire occupé, normalisent

la colonisation en développant l’œnotourisme et tirent des profits du tourisme et de la vente de vins en Israël et à l’étranger.

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palestine 17 THÉÂTRE

cette aventure d’une équipe d’amies aussi compétentes que soli-daires (l’une d’entre elles, Julia Strutz, par exemple, est turcologueen même temps que danseuse et chorégraphe). Elle s’est égalementadjoint le concours décisif d’un auteur et chercheur palestinien,Mas’ud Hamdan, de l’université de Haïfa, devenu passeur privilégiéde la parole des dramaturges issus des pays arabes.

DES VIES ET DES LANGUES QUI BIFURQUENT Introduits et mis en contexte par des rappels historiques, témoignagesd’artistes occidentaux et citations de pièces de théâtre s’entrecroisentau gré et au fil « des vies et des langues qui bifurquent (français, alle-mand, anglais, espagnol, turc, arabe, hébreu,…» Le tout, traduit enfrançais, donne lieu au déploiement de différentes «sortes de français»,qui sont le résultat du soin particulier apporté à la retranscription descréoles et des « dialectes » parlés par les personnes ayant traversé desfrontières. « Ces langues tordues par l’effort de justesse ont toutes leurplace au théâtre, observatoire poétique de la guerre des récits. »

ANATOMIE DU SPECTACLELe documentaire se présente sous forme d’épisodes qui se sontconstruits au fil des résidences. C’est une sorte de work in progressdont cependant le plan général est établi et toute la documentationrassemblée. Un dernier mot sur le titre : si l’on observe déjà que l’amourporté par les uns et les autres à la terre de Palestine n’empêche paspour autant de procéder à sa destruction, réelle ou symbolique, l’am-bition des artistes à vouloir la décrire peut paradoxalement aboutir à en détruire l’histoire. D’ailleurs, ne dit-on pas aussi traduire, trahir ? Embrasser le réel est toujours de l’ordre de la fiction mais certaines catégories de fiction peuvent devenir mortelles.

Du 25 février au 8 mars au Théâtre Océan Nord, 63-65 rue Vandeweyer à 1030 BruxellesLes citations sont extraites du document de promotion du projet.

La rencontre avec l’Occident, ses missions religieuses, ses arméeset même ses artistes, illustre à merveille « l’histoire de l’Occident et safaçon de tracer des frontières au milieu de peuples pluriethniques,de prendre ses points de repère pour des réalités locales. »

DES TÉMOIGNAGES D’ARTISTES ET DES CITATIONS DE THÉÂTRELe projet documentaire d’Adeline Rosenstein est développé à partird’une double option. La première est de s’appuyer sur la parole d’ar-tistes occidentaux ayant vécu quelque temps en Israël ou en Palestine,dont elle a recueilli les témoignages sur des événements survenus durant leur séjour, avec des extraits, traduits de l’arabe, de pièces dethéâtre historiques sur les mêmes événements. On ne peut que saluerce changement de perspective qui permet de faire place à la parolede l’Autre. Celui-ci est enfin reconnu pour ce qu’il est, à savoir un sujetautonome et non l’éternel objet du regard de l’Occidental.

Pourquoi le choix de témoignages d’artistes ? Si l’on veut bien croireà leur sincérité, sont-ils pour autant plus clairvoyants sur le sens desévénements qu’ils sont amenés à vivre ? D’après Adeline Rosenstein,s’ils ne sont pas plus clairvoyants ni mieux informés, ils seraient pluschangeants et donc davantage susceptibles d'être conscients desoutenir ou d’avoir soutenu des discours idéologiques. Selon elle, ilsidentifieraient des contradictions dans leurs positions avec davan-tage de sincérité.

UN LANGAGE QUI DÉLIELa deuxième option est en fait une ambition relative au langage. Ils’agit de veiller à ce que le langage utilisé ne soit pas vecteur de tension, voire de rupture mais concourre à démêler le nœud de « ce quia bien pu se passer pour qu’on en arrive là » depuis plus de 100 ans.

Voilà un projet dont on se dit immédiatement qu’il est casse-gueuleà souhait. L’auteure et metteure en scène, mélange subtil de fragilitéapparente et d’énergie débordante, s’est entourée pour mener à bien

Décris-ravageUN PROJET DOCUMENTAIRE CONSACRÉ À LA QUESTION DE PALESTINE D’ADELINE ROSENSTEINpar Ouardia Derriche

Elias Sanbar nous le rappelait il y a peu dans son introduction à l’histoire sociale de la Palestine, au programme de la

Chaire Liebman de cette année, la Palestine est un petit territoire sur lequel se sont focalisés dès le début du 19e siècle des enjeux réels

et imaginaires immenses liés notamment à son statut de Terre sainte.

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palestine 18 FESTIVAL

Lundi 24 mars |Journée d'inauguration (KVS Brussels) Apples of the Golan (Film) // Toot Ard (Concert) //Al-Jisser par Subversive Films(Video Art) // This Mined Land of Ours (Video Art) par Mirna Bamieh // Disarming Design (exposition) // Mardi 25 mars From the field: Reportingan everyday colonial occupation. Débat avec Amira Hass (Gent / De Centrale) // Mercredi 26 mars Suspended Times (Montages 9 courtsmétrages/9 réalisateurs) suivi d'un débat avec Amira Hass (KVS / Bxl) // Jeudi 27 mars Genêt à Chatila (Film) suivi d'un débat avec Leila Shahid (KVS / Bxl) // Vendredi 28 mars Thanks God is Friday (Film) suivi d'un débat avec Jan Beddengenoots // Samedi 29 mars Fix Me (Film)suivi d'un débat avec Raed Andoni (KVS / Bxl) // Dimanche 30 mars | Journée de la Terre Route 60 (Film) suivi d'un débat avec Alaa Ashkar (Sphinx / Gent) // Mashrou Leila (Concert) (De Centrale / Gent) // Lundi 31 mars Leila and the Wolves (Film) suivi d'un débat avecHeiny Srour (KVS / Brussels) + The Common Archive (Exposition) (KVS / Bxl) // Mardi 1er avril Conférence de Diana K. Allan sur les archivesde la Nakba (MENARG, Ghent University / Ghent) // On the side of the road (Film) suivi d'un débat avec Lia Tarachansky // Mercredi 2 avrilStill Life // Terrace of the Sea (Films) suivi d'un débat avec Diana K. Allan (KVS / Bxl) // Jeudi 3 avril I wish I never took a photo of you. Exposéde Yazan Khalili (Cafe Palestine @ Monk / Brussels) // Off Frame: Réflexions sur le cinéma militant palestinien, exposé de Mohanad Yaqubi(KVS / Bxl) // Vendredi 4 avril The Society of Spectacle (Film) suivi d'un débat avec Lara Khaldi et Reem Shilleh (Pianofabriek – Bxl) // The lonely Crowd (exposition) (Pianofabriek / Bxl) // Samedi 5 avril | Clotûre Two Lady Bugs (Theater) // Occupying Palestine (Film) suivi d'undébat avec David Koff Restless Leg Syndrome (Concert/soirée) (KVS / Bxl)

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palestine 19 LIVRES/FILM

VOYAGE DANS UNE GUERREINVISIBLEDocumentaire de Paul Moreira, 2013(visible sur YouTube)

film

Excellent reportage sur l’occupation et lerôle des colonies dans la politique d’Israël.Le reportage débute et s’achève sur Hébron mais ne s’arrête pas là : les journalistes font un voyage en Cisjordanieoccupée, notamment à Kfar Kaddum etBurin. On y montre la réalité de terrainconfrontée aux témoignages de Palestiniensdont Issa Amro (Youth against settlements)et d’Israéliens dont Yehuda Saul (Breakingthe silence), de la représentante de B’tselem et de colons dont Dani Dayan(colon, ministre du Logement, du partiYesha). Tout y est : la vision stratégique, lacollusion entre colons et armée, les deuxréseaux de routes, les villages assiégés, leracisme, la religion, les manifestations populaires, le pouvoir des caméras et plusencore. L’Histoire n’est pas non plus oubliée et le résumé en est bien fait. Un reportage remarquable qui va au fonddes choses et donne une image fidèle del’occupation. Un tout petit détail me chiffonne : dans le commentaire de fin, ondit que les soldats israéliens « vont devoirde nouveau envahir la zone palestinienne(à Hébron) ». Devoir ?

M.B.

livresLA PALESTINE EXPLIQUÉE À TOUT LE MONDEpar Elias Sanbar, Éditions du Seuil, 2013

PALESTINE, TERRE PROMISEJOURNAL D’UNE VILLE ASSIÉGÉE par Rajah Shehadeh, Éditions Payot/Rivages, Poche, 2007, traduit de l’anglais par Karine Laléchère

L’auteur est écrivain et avocat, fondateurd‘Al-Haq, organisation de défense desdroits de l’Homme.

En avril 2002, l'armée israélienne investit laCisjordanie. Elle s'acharne sur Ramallah eten particulier sur la Mouqata’a qui abrite lequartier général d’Arafat. Durant cette période, Rajah Shehadeh a tenu son journal pour raconter la vie quotidienne enétat de siège. « Maintenant, je ne peuxmême plus franchir le seuil de chez moi. Le périmètre de cette maison est tout cequ’il me reste d’une Palestine que je puisse appeler mienne... Les adultes sont empêchés d’aller au travail, les enfantsd’aller à l’école, les malades de recevoirdes soins médicaux; une société entière sevoit dénier le droit de vivre normalement. »

Ce livre est rédigé dans une prose pudiqueet maîtrisée ; il constitue un document profondément émouvant et d'une grandeportée politique. Sept ans après sa parution, il est toujours cruellement d'actualité, même si le décor de la tragédiea quelque peu changé.

C.S.

L’auteur est l’une des grandes figures intellectuelles du mouvement national palestinien. Historien, écrivain, hommed’action, il fut l’un des négociateurs desaccords de paix d’Oslo et il est aujourd’huiambassadeur de Palestine à l’Unesco.

À ceux qui disent ne rien comprendre au«conflit israélo-palestinien», à ceux qui letrouvent trop compliqué, Elias Sanbar répond par ce petit texte qui restitue l’histoire de la Palestine contemporaine,depuis le mandat britannique à partir de 1917 jusqu’à aujourd’hui. Ce court récitraconte l’histoire palestinienne vécue del’intérieur; il est émaillé de souvenirs et decommentaires personnels.

L’auteur n’esquive pas les questions difficiles et ne nie pas que l’usage de laviolence a souvent malheureusement ternil’image des Palestiniens mais, comme ill’explique avec grande conviction, la luttepalestinienne ne se réduit pas à une stratégie terroriste.

C.S.

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En présence du réalisateur Alaa Ashkar

mercredi 26 mars à 20h – TournaiInauguration de la Semaine

de la Solidarité internationalejeudi 27 mars à 20h – Marche-en-Famenne

Tiroir des saveurs / Maison de la Culture (Chaussée de l'Ourthe 74 à Marche-en-Famenne)

vendredi 28 mars à 20h – Liège Centre Culturel Arabe en Pays de Liège (Rue Henri Orbay 1 à 4030 Grivegnée)

samedi 29 mars à 17h – Bruxelles Centre Culturel Jacques Franck (Chaussée de Waterloo, 94

à 1060 Bruxelles) suivi par une soirée conférence-débat organisée par la Communauté palestinienne de Belgique

dimanche 30 mars à 17h – GandFestival Eye on Palestine, Cinema Sphinx (Sint-Michielsplein 3 à 9000 Gent).

À L’OCCASION DELA JOURNÉE DE LA TERREL’ABP VOUS INVITE À LA PROJECTION DU FILM