Parler Verlan

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    Vivienne Mla

    Parler verlan : rgles et usagesIn: Langage et socit, n45, 1988. pp. 47-72.

    Abstract

    Mela Vivienne - "Speaking Verlan slang: rules and use".

    Verlan is a form of back slang used in actual French groups of young petty delinquents in which whole syllables are inverted. This

    article gives an account of the way verlan words are formed, based on a phonological analysis of the syllable, and the way they

    are used in discourse. Two simple rules are formulated which can account for the majority of verlan words. The analysis of an

    interview of a college pupil, member of a group of petty delinquents, shows how verlan is used in narrative and the way in which it

    is linked to the speaker's social behaviour and speech habits. We discuss especially the function of secrecy of this slang and

    its role as a way of building up a social identity.

    Rsum

    On s'intresse la gnration du verlan, argot actuel des milieux des jeunes dlinquants, et son utilisation dans le discours. On

    formule tout d'abord deux rgles simples bases sur l'analyse phonologique de la syllabe en franais parl, qui permettent de

    dfinir la formation des mots en verlan. On analyse ensuite, sur la base de l'interview d'un lve de CES, appartenant au milieu

    de la petite dlinquance, l'emploi du verlan dans des rcits et comment il s'intgre dans l'ensemble des pratiques sociales et

    langagires d'un locuteur. On s'intresse en particulier l'aspect de langue secrte de cet argot et son rle comme moyend'affirmation d'une identit.

    Citer ce document / Cite this document :

    Mla Vivienne. Parler verlan : rgles et usages. In: Langage et socit, n45, 1988. pp. 47-72.

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/lsoc_0181-4095_1988_num_45_1_2405

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_lsoc_373http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/lsoc_0181-4095_1988_num_45_1_2405http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/lsoc_0181-4095_1988_num_45_1_2405http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_lsoc_373
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    PARLER VERLAN : REGLES ET USAGES

    Vivienne MELAUniversit Paris VIII - Saint-Denis

    Utilis par la pgre et connu depuis le dix-neuvime sicle - en 1 884le bagne de Toulon est appel lontou (Guiraud 1956) - le verlan, quin'avait jamais cess d'tre parl, connat un nouvel essor dans la banlieuede Paris depuis la fin des annes 1970. Tout comme les anciens argots, leverlan tait - et demeure en partie - aussi bien un moyen d'voquer motscouverts des oprations illgales qu' un signe de ralliement entre gens quise reconnaissent dans la mme vision du monde. De nos jours les cits ontremplac les fortifs ; les truands et les apaches ont cd la place auxbandes djeunes dsargents et sans perspectives qui trompent leur ennuien tirant des portefeuilles dans le mtro. (Le gebour est loin de souponner que le keus de la meuf que des jeunes veulent rti en esprant ytrouver un scalpa, est en fait le sac de sa femme qu'ils projettent de volerdans l'espoir d'y trouver un billet de 500 francs.)

    Hlas pour les tireurs, descendants des tire-laine, la France s'estmise tudier ses cits. Des chanteurs comme Lavilliers, Higelin,Renaud, des dessinateurs comme Margerin, parmi d'autres, ont popularist potis la zone, ses moeurs, sa langue. D'argot de malfaiteurs leverlan est devenue langue d' adolescents, reprise faon mode par les publicitaires voire par des personnalits du monde du spectacle ou de lapolitique (sans pour autant perdre totalement son caractre illicite).Petit petit le verlan pntre la langue franaise. Dans la rgionparisienne, depuis 1985, il apparat sur les affiches publicitaires - la mode* Je remercie Claude de m'avoir initie au verlan et d'avoir ralis l'interview ainsi queSad pour m'avoir fait bnficier de ses talents de verlaniste. Je remercie Jo Arditty etMichle Mittner pour leurs intressantes remarques qui ont enrichi cet article, ainsi que

    Thelma Sowley pour sa critique rigoureuse de la premire partie.

    langage et socit n45 septembre 1988

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    chbran des Galeries Lafayette, la chetron sauvage du chanteur Renaudet, dernires en date, les cuisines Gicavo (Vogica) Le succs du film LesRipoux a dj port ce mot dans tous les coins de France ; Les Keufs suivrasans doute le mme chemin.La popularit du verlan ne l'empche nullement de rester hermtiquepour les gens qui ne s'y intressent pas. La difficult ici dcoule la foisdu codage lui-mme, du fait que le vocabulaire de dpart n'est pas lefranais standard et que ce vocabulaire, comme tout vocabulaire argotique, e renouvelle sans cesse.

    Si l'on questionne un locuteur du verlan, sur les mcanismes ducodage, il rpondra il faut dire les mots l'envers ou ventuellementil faut inverser les syllabes. Cette dernire formule, invoque par tousceux qui parlent verlan (ou qui en parlent), ne peut suffire rendre comptedu phnomne.

    Bien que le verlan ait depuis longtemps attir l'attention, une seuletude, ma connaissance, lui a t entirement consacre (Bachmann etBasier 1 984). Comme on le verra, je reprends mon compte une part importante de ses conclusions en ce qui concerne l'analyse sociologique duverlan. Je crois pourtant que plusieurs problmes mritent encore d'treclarifis. Tout d'abord je rserverai strictement le terme verlan auprocd de cryptage dcrit ci-dessous en termes d'inversion et de tronca-tion (ce qui n'exclut pas que le verlan puisse tre utilis conjointement d'autres procds (en amont: choix du terme lexical de dpart - ou en aval:suffixation parasitaire).Pour ma part je n'ai jamais trouv chez les locuteurs du verlan que j ai approchs l'amalgame dont parlent Bachmann etBasier entre verlan et argot d'une autre origine. Au contraire, ils distinguaient trs nettement ce qui tait du verlan de ce qui ne l'tait pas, mmes'ils ne connaissaient pas toujours l'origine exacte des autres mots d'argotqu'ils employaient. J'essaierai galement d'tre plus prcise sur lesaspects phonologiques de ce cryptage (1re partie) et les lments lexicaux qui peuvent tre crypts (2me partie). Bachmann et Basier secontentent d'une analyse schmatique de la structure du mot verlanissans indiquer les tapes de la verlanisation ce qui ne permet pas de comprendre comment flic devient keuf. Je tcherai dans mon analyse dedfinir des rgles qui rendent compte de faon explicite de cette musique u verlan qu'voquent les informateurs de Bachmann et Basier.

    D'autre part, je pense que l'on peut amliorer la comprhension dela pratique du verlan par le recueil d'lments lexicaux ou de phrases,ventuellement complts de commentaires mtalinguistiques, en don-

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    PARLER VERLAN : REGLES ET USAGES 49nant voir (3me partie) son utilisation au cours d'un entretien relativementong qui nous montrera un adolescent intgrant le verlan sapratique discursive. On verra alors concrtement comment le verlans'emploie au cours d'une narration; ce que l'utilisation d'un lexique codpeut apporter au rcit sur le plan stylistique ; comment l'emploi du verlanpermet de cerner le personnage social du locuteur.

    Je m'appuierai, au cours de ce travail, d'une part sur une enqute dontj ai extrait une interview de 20 minutes (qui sera analyse dans latroisime partie), et d'autre part sur un sondage visant recueillir deslments lexicaux, le tout aboutissant un corpus de 260 mots. Aucontraire de Bachmann et Basier je n'ai pas demand directement desadolescents de me faire part de leurs connaissances du verlan, pour viterde confondre mots crs pour l'occasion avec des mots effectivementutiliss par des verlanisants. Mes informateurs avaient pour consignedans un premier temps de noter les mots d'usage courant. J'ai fait appelaux intuitions de certains adolescents pour vrifier les rgles que j'avaistablies. Les conclusions prsentes ici sont videmment tributaires deslimites de ce corpus ; nanmoins tout porte croire que l'tude d'uncorpus plus tendu donnerait les mmes rsultats au niveau des rgles deformation du verlan; on dtecterait surtout des diffrences au niveau desvariantes rgionales ou des expressions propres des groupes plusferms que ceux que j ai approchs, ou constitus autrement (par exempleavec des locuteurs d'autres origines ethniques). La troisime partie, bienqu'elle ne traite que de la pratique d'un seul individu, permet d'illustrerl'utilisation stylistique du verlan par un conteur dou, pour rendre un rcitvivant et passionnant. Les dtails biographiques que donne le jeune Said,fournissent galement des indications intressantes sur la situation sociale d'un locuteur de verlan.I - LE SYSTEME DE CRYPTAGEM. Les clefs du cryptage

    Tout comme le largonji, le loucherbem et le javanais, le verlan faitpartie des codages cryptologiques du franais argotique et vernaculaire.Pour comprendre comment fonctionne ce cryptage, il faut partir d'uneanalyse du terme de dpart qui puisse fournir un modle de ce que fait unlocuteur du verlan. Dans cette optique, je propose de traiter la structure desmots du franais parl selon le schma suivant :

    (/s/) (consonne) (liquide) - (semi-voyelle) voyelle (liquide) - Xla Id 2

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    50 Vivienne MELACe schma comporte un seul lment obligatoire, la voyelle, et une

    srie d'lments facultatifs (X pouvant tre nul ou bien reprsenter unesquence, non pertinente ici, d'un ou de plusieurs lments vocaliques et/ou consonantiques). Il permet de rendre compte aussi bien des monosyllbesue des dissyllabes ou des polysyllabes.

    Le premier lment pourrait rendre compte si ncessaire des groupesconsonantiques l'initiale: /skr/,/str/, /spr/, /gr/, /dr/, /bl/, /si/, /vr/, /fr/ (lasquence /sr/ tant exclue). Pour des raisons que j'examinerai plus loin,j'exclus galement les squences initiales de ptrodactyle et de pneu.

    Le deuxime lment, le noyau vocalique, peut se terminer par uneliquide (/r/ ou /l/); cette analyse ne s'applique que lorsqu'une autreconsonne est prsente en 2, place que les liquides peuvent occuper elles-mmes dans les autres cas. On aura ainsi # g ar dj#, mais #d y r#.la lb 2 la 1b 2

    Si l'lment 2 est compos d'une consonne suivie d'un e muet,celui-ci est compt comme une voyelle part entire. Si l'lment 2 n'estcompos que d'une consonne, un schwa penthtique s'ajoute celle-ci:

    la lb consonne => la lb consonne +Ainsi, le premier lment des termes analyss est toujours considrcomme une syllabe ouverte, ou, la rigueur, termin par une liquide. Ceprocessus augmente le nombre de termes dissyllabiques ( 90% du corpus).1-2. Verlan, premire tape. La rgle de dplacement.1-2-1. La rgle de base du verlan est la suivante:

    1 2 => 2 1Cette rgle s'applique tout naturellement aux dissyllabes (et quelqueslocutions dissyllabiques),exemples :

    bloquercolebilletcollerpascaltaximichetontravelotbiftonputainvideurgardien

    [ blo ke]lalb 2[e kaJ][bi je][ko le][pa skal][ta ksi][mi Ji][tra vlo][bi ft5][py tt][vi dr][gar dje]

    =>=>=>=>=>=>=>=> >=>=>=>

    [keblo]21alb[kDle][jebi][leko][skalpa][ksita][JtSmi][vlotra][ft?bi][ffpy][drvi][djigar]

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    PARLER VERLAN : REGLES ET USAGES 51bonhommecelui-lpar terrecomme avas-yfais voirtout seul

    [bo nom][sji la][par ter][kom sa][va zi][fe vwar][tu sl]

    ==^=>=>=>=>=>=>

    [nombo][lasyi][ttrpar][sakom][ziva][vwarfe][sltu]

    1-2-2. La rgle s'applique rgulirement de la mme manire auxmonosyllabes ferms, ranalyss en dissyllabes termins par une syllabeouverte grce au schwa penthtique. Ce schwa a dans le mot verlanisdeux ralisations phontiques, [ 0 ] en syllabe ferme et [ce] en syllabeouverte.Le // en syllabe ouverte ([n0|t]) tend tre ralis [e], ce qui estune tendance du franais parl. L'astrisque signifie que ce terme neparat pas sous cette forme dans le corpus mais subit obligatoirement largle de truncation (cf infra 3)Ex.: mrecaissetronchelouchechane

    soeurflicsacshitshoottafpunkjuifnoirdurlourd

    [mi[kt[tro[luik[s[fli[sa[Ji[Ju[ta[po[3>i[nwa[dy[lu

    ra]s]fa/]n]ra]ko]ke]t]ta]fa]ko]mra]r*]ra]

    >=>=>=>=>=>=>=>=>=>=>=>=>=>=>=>

    * [rmt][s0k^[J0tr3][Jolu][noJfc]* [roe soi][k0fli]* [k0sa]Mi]Mu][fOta]

    [k0po][f0J>i][r0nwa][r0dy][r0lu]

    (II faut noter ici que la verlanisation des adjectifs s'applique au masculinet produit un adjectif invariable (cf infra 4). J'ai bien recueilli la forme[]0fo] mais son usage semble limit certains groupes de filles o cetteforme est une alternative [uf] uniquement dans le contexte t'es1-2-3. La rgle s'applique galement des polysyllabes.Exemples :

    cigarette [si garet] => [garctsi]corrida [ko rida] => [ridako]

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    52 Vivienne MELAII faut noter que les polysyllabes ne sont pas nombreux dans le

    corpus; le franais vernaculaire et le verlan ou bien les abrgent ou bienleur prfrent des termes plus courts.1-2-4. Les monosyllabes ouverts : une variation de la rgle.Dans le cas des monosyllabes ouverts nous trouvons la variation suivantede la rgle :

    #la lb# => #lb la#Exemples :fou [f u]

    chaud [/ o]pue [p y]chat [} a]pied [p je]seins [s 1]craint [kr i]chien [J je]viens [v j]bien [b j]to i [t wa]moi [m wa]l [1 a]a [s a]con [k 5]cul [k y](Pour ce dernier nous trouvons la variante [lyk]1 - un des rares exemples,

    avec [zen] (nez) et [k0pu] (coup) o le verlan fait appel l'orthographe.)1-2-5. Exceptions.a) Deux polysyllabes font exception la rgle et ncessitent un dcoupage et un type de permutation particuliers:

    portugais [por ty ge] => [getypor]12 3 3 2 1encul [S ky le] => [leaky]12 3 321

    II n'y a pas de raison phontique ni phonologique pour expliquer la nonapplication, dans ces deux cas, de la rgle qui aurait donn => [tygep^r]et [kylea].b) Nous trouvons trois exceptions galement parmi les dissyllabes oceux-ci sont ranalyss en polysyllabes par le comptage du schwa. Ainsi1 - [lyk] serait peut-tre une variante plus ancienne. Cellard et Rey citent [lyk] et [nok] formspar inversion graphique, d'usage littraire au dbut du 18e sicle.

    =>=>=>=>=>=>=>=>=>=>=>=>=>=>=>=>

    [uf][of][yp][af]Uep][es][tkr]ijij][jtv][jb][wat][warn[al][as]Pk][yk]

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    PARLER VERLAN : REGLES ET USAGES 53partouze, calibre et frangine s'opposent musique ,baraque,salope, pdale .bizarre, traits, eux, comme des dissyllabes([zikmy],[rakba] etc).

    Ces trois exemples sont verlaniss selon le mme schma queportugais.partouze [par tu ze] => [z0tupar]12 3 3 2 1calibre [ka li bra] => [br0lika]frangine [fnT x\ nJ => [n0Tifr]On peut tenter d'expliquer ce traitement dans le cas de calibre par

    le fait que l'application de la rgle donnerait une suite de trois consonnes(*[librka] ) qui est impossible en franais. Toutefois cette explicationn'est pas vraiment satisfaisante dans la mesure o le verlan accepted'autres suites de consonnes exclues en franais l'initiale( [jt'omi],[vlotra], [ksita] , [ftobi]).Il n'y a pas lieu d'exclure *[tuzpar] en utilisant l'argument que lasuite [zp] deviendrait [sp] en franais, puisque [rakbar], qui pose le mmeproblme, est verlanis normalement. On peut expliquer le mot beurpar une drivation analogue : arabe [a ra b9| => [botara] =>simplification de l'hiatus [bra] => par truncation [beer]. (Cette drivationst hypothtique. A.Zehraoui (cit par B. et B.) drive [br] de[r0b0], si c'est le cas il n'en reste depuis des annes aucune trace que j aiepu trouver dans la conscience ou la pratique des verlanisants (ou verlano-phones?). Au contraire [r0b0] (r)apparat rcemment, et doit tre considr comme une reverlanisation (cf 2-1))c) II existe dans mon corpus une seule exception parmi les dissyllabesanalyss effectivement en dissyllabes. Il s'agit du mot fatma verlanisen [mafat] et non [tmafa]. Puisque c'est le seul exemple o on trouve ungroupe consonantique contenant une nasale prcde d'une plosive on nepeut pas en tirer de conclusions. Cependant, il semble que cette suite soitexclue en verlan. Bien que le mot ne figure pas dans les donnes, plusieursinformateurs m'ont assure que pneu serait verlanis en [np] (suivantla prononciation [pna]) et non [dpn]Ces exceptions, peu nombreuses par ailleurs, dmontrent le caractreexical de ce type de cryptage. La rgle, bien qu'elle soit appliquede faon trs systmatique, ne peut expliquer tous les mots de verlan dontla cration est troitement lie l'utilisation par des groupes plus ou moinsferms. Exceptionnellement un terme qui a reu le consensus du groupe

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    54 Vivienne MELApeut tre accept mme s'il n'est pas strictement conforme la rgleprincipale. De la mme manire, un terme, mme s'il est bien form,peut tre rejet s'il n'a pas reu l'aval du groupe.

    Il en va de mme pour le verlan des publicitaires - ou des linguistes.Un locuteur du verlan admettra que le slogan Mes parents se sont paysune cuisine GICAVO applique la rgle du verlan; de la mme manire,il acceptera, pour les besoins de la cause, de verlaniser facteur parexemple, et vous donnera sans hsiter [kt0rfa], mais il insistera avec forceque ce n'est pas l du verlan. Je reviendrai l-dessus dans la sectiondeux.1-3. Verlan, deuxime tape1-3-1. La truncation.Quiconque a dj entendu parler verlan sait qu'un flic n'est pas unkeufli mais un keuf. Il y a donc un autre mcanisme enjeu que la seulergle de dplacement. En effet, on peut, partir des dissyllabes du verlan,analyss selon les mmes principes que les termes non crypts, revenir des monosyllabes par application de la rgle suivante :#la lb consonne (consonne) (liquide) voyelle => la lb consonne 0Exemples :

    (mre )(pre)(frre)(soeur)(flic)(sac)(mec)(juiO(noir)(femme)(gueule)(bite)(putain)(maquereau)(fayot)(cond)(taxi)

    [r0m][ropj][r0fn][r0S0][k0fli][k0sa][k0mfc][f0j;i][r0nwa][m0fa][l0gO][t0bi][upy][kroma][jofa][det][ksita]

    =>=>=>=>==^>=>=> >=>=>=>=>=>=>=>=>=>

    [rm][rp][rf][rs][kf][ks][kcem] (facultatif)[fj][rn][mf][lg] (facultatif)[tb][ttp][krom]Uof][dek][ksit]II faut prciser que la rgle de truncation du verlan n'a pas le statut

    d'une rgle phonologique ou syntaxique mais s'apparente plutt unergle stylistique dont le champ d'application est assez flou. Il s'agit d'unergle facultative dont l'application dpend de l'usage idiosyncrasique du

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    PARLER VERLAN : REGLES ET USAGES 55groupe plutt que des proprits des termes eux-mmes. Toutefois nouspouvons dire que cette rgle s'applique, dans la majorit des cas, destermes qui taient au dpart des monosyllabes ferms, transforms endissyllabes par le comptage ou bien par l'adjonction du schwa. Nouspouvons constater galement que les voyelles arrondies (/o/, /u/, /y/) et lesvoyelles nasales rsistent mieux la truncation que les voyelles /a/ et //Cependant nous ne pouvons pas prvoir dans quels cas cette rgle sera ounon applique ; rien n'empchera *[fb] de devenir la forme usuelle deblanche (la poudre blanche) du moment que cette forme est lgitimepar un groupe de locuteurs du verlan.1-3-2. Nouvelle dissyllabation , nouvelle verlanisation.Le produit de la rgle de truncation peut servir de point de dpart un nouveau cycle de cryptage. Ainsi keuf et beur sont devenusfeukeu et reubeu,dans certains groupes de verlanisants; ailleursmeuf commence alterner avec feumeu. Cette possibilit de rever-laniser ce qui est dj du verlan, permet de rendre nouveau hermtiqueun terme trop utilis qui est tomb dans le domaine public. Si le cryptageinitial ne remplit plus sa fonction, qui est de dguiser les mots pour lesrendre incomprhensibles au tout venant, il doit tre remplac par unnouveau procd. L'avantage du verlan est de pouvoir s'appliquerplusieurs fois de suite. Ainsi, pour prendre l'exemple de tout l'heure,* [J0bl?l pourrait donner [Jb] qui donnerait [b0/0] qui, son tour,pourrait devenir [bj] avant qu'on soit oblig de rechercher un nouveauterme de dpart.1-4. Caractristiques phonologiques et grammaticales propres auverlan1-4-1. Au niveau phonologique,la diffrence essentielle entre la structuredu verlan et celle du franais rside dans les suites de consonnes possibles.En verlan on trouve en position initiale des suites de consonnesexclues en franais (/kt/, //t/, fks/Jfxf). L'existence de ces suites est laconsquence de l'analyse qui privilgie les syllabes ouvertes commepremier lment du terme de dpart.

    En verlan les syllabes ouvertes prdominent;toute syllabe fermepeut donner naissance une syllabe ouverte par adjonction de schwa.

    On note galement l'absence de liaison lorsque le mot verlaniscommence par une voyelle: par ex. (les seins) devient [lels] et non [lezs],(deux fous) devient [d uf] et non [dzuf]. (cf. Said 2 1 7: y a [d uf] dansma cit)

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    1-4-2. Etant donn que le verlan est un procd de cryptage qui neconcerne que le lexique, les rgles syntaxiques du franais s'appliquentlorsqu'on parle verlan. Nanmoins la verlanisation entrane la perte decertains marqueurs grammaticaux

    L'adjectif en verlan n'a pas de forme fminine (mis part l utilisationxceptionnelle de [l0fo] cite plus haut); on dit elle est [uf],[r0lu],[o/] ; il n'y a pas de forme fminine pour les termes de nationalitou de race ( elle est [fee/], [br], [nwa] ).

    La forme du verbe n'indique plus son appartenance une conjugaisonarticulire au moyen d'un suffixe mais l'intrieur du mot: parexemple, [pe/ol (choper),[mefy] (fumer),[vr0syi](suivre),[dr0pr] (prendre), [tir&r] (sortir).Les seules formes verbales qui se trouvent dans mon corpus sont l infinitif, la premire, deuxime et troisime personne du singulier et la troisime personne du pluriel du prsent et le participe pass. Ces formes onttendance devenir invariables ; on entend dans l'interview analyse dansla troisime section, ils te [p/o] (chopent), et il m'a [pe/o] (chop),j'en [reti] (tire) une et j'ai t [reti](tirer)>>. Toutefois des formes telsque [s0ka] (je me casse etc) et [seka] ( il s'est cass) existent chez leslocuteurs du verlan et ici encore les formes se diffrencient au moyend'une alternance vocalique dans la premire syllabe au lieu d'un suffixe.

    La drivation est prsente galement dans les termes verlaniss sousforme d'alternance vocalique dans la premire syllabe: par ex. [devi](vider) et [drvi] (videur), [degar] (garder) et [djtgar] (gardien).Certains marqueurs grammaticaux peuvent se retrouver donc en tantque prfixe au lieu de suffixe, ce qui est logique tant donn que le verlaninverse l'ordre des syllabes.

    Les rgles du verlan ont un statut particulier. Ce ne sont ni des rglesphontiques, ni des rgles phonologiques mais des rgles lexicales dontle champ d'application est dfini non seulement par les proprits destermes eux-mmes mais plus encore par la pratique langagire et socialedes diffrents groupes de locuteurs.II -. QUEL ENDROIT POUR LE VERLAN ?H-l. L'tude du corpus dcrit ici montre aisment la nature du vocabulairequi sert de point de dpart au verlan. Il s'agit d'une langue vernaculaire,argotique o on trouve des expressions images du franais populaire(couler un [z0br5]), des mots anglo-saxons, surtout dans le domaine de la

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    PARLER VERLAN : REGLES ET USAGES 57drogue,([f0sni], [t0ji] , [tgfu], des expressions arabes ([zarma], sur la viede ma [rm]), des termes qui ont acquis un sens particulier, technique,dans le domaine du vol ou de la bagarre ( [reti], [keblo],[skalpa], [beto],[t0/u] ) aussi bien que des adjectifs passe-partout la mode ([s0kla],[oi],[r0lu], [J0lu], [r0dy], [zarbi], [ltzba],[uf], [bleka]. L'incomprhensi-bilit du verlan pour des non initis vient souvent du fait que le mot codest inconnu ou utilis dans un sens spcialis. On ne verlanise paspantalon, mais futal ou fute ; on prfre pompes chaussures,gueule ou tronche visage, caisse voiture, bcane moto, taf bouffe, mater regarder, shooter frapper,courser poursuivre et ainsi de suite.

    Le mot verlanise est souvent limit une seule signification tandisque le mot de dpart peut avoir plusieurs sens, [reti] n'est utilis que pourtirer un porte-feuille et non pour le mouvement de traction en gnral,[keblo] dsigne l'action du complice du tireur qui se positionne demanire empcher la victime de voir qu'on fouille dans son sac. Etre[jegri] signifie tre pris en flagrant dlit , on ne l'utilise pas pour unesaucisse grille. [bet3] peut tre employ pour tomber dans le senslittral (je suis [betS] sur la chaise) mais aussi avec le sens de se fairearrter, mettre en prison ( il est [beto] pour la tire). Le mot verlan [J0bla]dsigne la poudre blanche uniquement et ne peut pas tre employcomme un adjectif au fminin. La [m0ka] s'applique la drogue et nonpas la came (camelote) en gnral.

    Comme tous les argots, le verlan est riche dans les domaines qui onttrait des activits illgales. En ce qui concerne la drogue, le verlan reprsente un codage particulirement efficace puisque les mots de dpart sontemprunts l'anglais - le chemin de marihuana [tj], de [ks0fi] injection 'hrone est assez tortueux pour ne pas tre immdiatementreprable.Ce n'est pas un hasard si la reverlanisation intervient dans cedomaine. Le mot keuf, trop connu du grand public, avait perdu sa valeurde cryptage; cette dvalorisation exigeait une nouvelle cration, feu-keu est ainsi venu prendre le relais de keuf.

    L'autre exemple de reverlanisation que j ai cit plus haut, concernele mot beur qui devient reubeu. Il est intressant de se pencher unmoment sur le destin de ce mot qui est en train de devenir un mot dufranais courant. Le terme beur remplit une lacune dans la languefranaise puisqu'il sert dsigner un arabe vivant en France et plusparticulirement un arabe de la deuxime gnration. Ce terme qu'ont

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    58 Vivienne MELAadopt les jeunes beurs eux-mmes traduit leur situation particulire:ni tout fait franais, ni tout fait arabe Tout comme le mot niggerrepris par les noirs amricains, le mot beur a ainsi perdu ses connotationsjoratives. En mme temps il a perdu sa valeur de cryptage. Quandl'establishment se met parler des beurs, ils sont en passe de perdre leuridentit sinon leur spcificit. La reverlanisation rend beur sonagressivit et raffirme la diffrence des reubeu. Il est important de nepas perdre de vue cet aspect du verlan.II-2. Comme je l'ai indiqu, le verlan est parl par plusieurs populationsdiffrentes. C'est d'abord un argot2 de malfaiteurs pratiqu notamment la [tesa] et [rifl0] ; c'est l'argot des petit dlinquants, tireurs et dealersqui, comme le dit Said dans l'entretien (voir section 3), vont faire despetits tours [rifl0]; de ceux qui ctoyent ce milieu sans pour autantprendre part aux activits illgales ; c'est aussi l'argot des adolescents qui,fascins par la marginalit, la miment dans leur langage dfaut d'yparticiper activement et de ceux aussi qui cherchent simplement sediffrencier du monde des adultes. Ces populations participent desrseaux diffrents d'utilisation du verlan, ce qui explique les dialectesqui diffrent quant leur lexique de base et leur application de la rglede truncation. Chaque groupe a son lexique qui ne peut pas tre modifini largi sans le consensus du groupe. C'est d'autant plus vrai que legroupe est plus ferm. Dans les bandes de collgiens et de lycens il y aau contraire une expansion constante des termes de verlan o le codageest appliqu un vocabulaire standard ([jurbo], [simtr], [mtd0] etc)3.

    Bachmann et Basier tablissent une distinction entre le verlanludique, utilis par les collgiens, et le verlan des [km], qui est le refletde la culture de rue propre aux milieux dfavoriss des cits de banlieue.2 - J'utilise le mot argot faute de mieux sans lui donner de connotation pjorative. Il seraitsans doute plus juste de dire une varit de franais non-conventionnel pour reprendrele terme de Cellard et Rey3 - Le verlan des lycens montre plus de dviance par rapport aux rgles que j 'ai dfinies. Parexemple ici => [iis] ou bien bonbon =>[nbnob] recueilli par Bachmann et Basier.On voit ici que le dsir de coder l'emporte sur l'application des rgles du verlan. Il existeaussi une reverlanisation applique la dernire syllabe d'un terme disyllabique. Parexemple vas-y au lieu de [ziva] donne [ziav] Dans le cas d'un terme de la forme (C)V C C V , contrairement l'analyse initiale, la coupure syllabique vient entre les deuxconsonnes ; une permutation de la consonne et de la voyelle de la deuxime syllabe donnealors (C)VCVC , par exemple [trakma] => [trakam]. Ce type de reverlanisationne semble pas connatre encore une grande diffusion.

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    PARLER VERLAN : REGLES ET USAGES 59Dans ces groupes - l'interview de Sad en tmoigne - le verlan, plus qu'unjeu de langage, est un composant important de l'identit sociale.

    Quel que soit le groupe qui l'utilise, le verlan demeure un moyend'exprimer la diffrence et la rvolte (ft-elle momentane ou toutsimplement mythique). Pour que cette diffrence, cette rvoltepuissent s'exprimer, la langue ne doit pas tre rcupre par les mdiaou le monde politique. Il faut qu'elle ait la capacit interne de serenouveler sans cesse pour conserver toujours une avance significativesur ses imitateurs.

    Si le verlan peut tre un moyen cod de parler de choses franchementillgales, c'est aussi une faon d'aborder des sujets tabous en public. Lescollgiens qui, devant la porte du bahut, discutent des maladies o t'asdes boutons plein le [tb] , le gosse qui remarque ca [yp] ici, ens'asseyant ct du clochard dans le mtro prouvent le plaisir del'impunit.

    Pour d'autres encore, des adultes surtout, parsemer son discours dequelques mots de verlan est une faon de montrer qu'on est l'coute desjeunes.H-3 La notion de parler verlan mrite ici quelques claircissements.Le verlan n'est pas une langue en soi, c'est un simple codage quine s'applique, dans la vaste majorit des cas, qu des mots lexicaux(bien qu'on trouve quelques mots grammaticaux (toi, moi, celui-l et l).Comme nous allons le voir dans la section suivante, un locuteur deverlan ne se sert jamais de toutes les possibilits de codage pour sesnoncs. En gnral, dans les rcits de Sad on ne trouve pas plus de 10%de mots en verlan. L'incomprhensibilit du discours vient surtout dufait que ce sont les mots cls qui sont cods ; ces mots sont utiliss avecun sens spcialis, inconnu du grand public. De plus le locuteur duverlan a recours galement d'autres types d'argot (javanais parexemple4). Cette accumulation de vocabulaire argotique donne l'impression'un discours tout fait tranger, alors qu'en ralit, la structure syntaxique de la phrase et la plupart des mots relvent du franais parlordinaire.

    4 - Sad, en plus du verlan, emploie les termes larfeuille (porte-feuille en largonji);gravands et cavoup ( grands et coup en javanais) et gengen (argent). Ce derniersemble spcifique son groupe.

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    60 Vivienne MELAIII - VERLAN ET PRATIQUE DISCURSIVEill-l. Les donnes.

    Mon recueil de vocabulaire de verlan une fois constitu, j ai vouluvoir comment ce vocabulaire s'intgrait dans un discours suivi. C'est dansce but que j ai fait enregistrer l'interview que j'analyse ici. La forme del'interview a t choisie plutt que l'enregistrement d'une discussionentre jeunes locuteurs de verlan, d'une part pour des raisons techniques- j avais besoin d'un enregistrement de bonne qualit et je ne disposaispas du matriel sophistiqu qui m' aurait permis de faire un enregistremente groupe analysable en dtail - ; d'autre part, mon intrt portaitsur l'utilisation stylistique du verlan dans des rcits continus plutt quedans des changes rapides.

    L'interview, d'une dure de vingt minutes, a t conduite par Claude,tudiant et surveillant dans un L.E.P. de la Courneuve o l'interview,Sad, 13 ans, tait lve. Nous avons choisi Sad cause de sa matriseaffiche du verlan. Nous avons constat cette occasion, ainsi quel'indiquent Bachmann et Basier, que les locuteurs les plus comptents enverlan sont les plus dviants par rapport aux rgles sociales en gnralet aux nonnes scolaires en particulier. C'tait le cas de mon informateur.

    L'interview a t enregistre sur le territoire de Sad,dans un caf dela cit du Clos Saint Lazare, Stains (93), o il habite.L'interviewer a expliqu Sad que l'enregistrement tait destin

    une enseignante de l'Universit Paris 8 qui dsirait faire une tude sur leverlanni- 2. Les axes de l'analyse.

    Said est en reprsentation au cours de cet entretien. Il veut impressionner l'auditrice destinataire de l'enregistrement par sa matrise de lalangue qu 'elle a exprim le dsir de connatre. Il veut galement lui dcrirel'univers des cits et des tireurs que cette auditrice certainement neconnat pas.

    Il s'agit aussi pour Sad de faire bonne figure devant l'interviewer.Du moment qu'il a accept de participer l'enqute - ce qu'il a fait sanshsitation - il se doit lui mme, et Claude, d'tre la hauteur.

    L'interviewer connat bien la banlieue pour y avoir grandi et -antillais de pre - il est reconnu comme un frre par Sad, lui-mmed'origine arabe. Said a l'habitude de parler verlan en prsence de Claudemais, du fait des rapports d'autorit entre eux (surveillant-lve), il n'a

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    PARLER VERLAN : REGLES ET USAGES 61pas l'habitude de s'adresser directement lui en utilisant le verlan, rservpour des conversations entre copains. La chose est trs bien illustre autout dbut de l'enregistrement lorsque Claude emploie son premier motde verlan:(C.3) t'as eu des problmes avec :les /les [kctf] ?(S. 4) ouaisLa reprise de Claude et les rires de Sad montrent la gne qu'ils prouvent(mais qui va s'attnuer au cours de l'entretien) de parler verlan entre eux.

    Au cours de l'interview Sad utilise un total de 58 termes de verlan- (voir annexe) 18 verbes, 35 substantifs, dont 11 renvoient des tresanims, 6 adjectifs, 1 pronom et 6 locutions (comme a, tout seul etc). Leschamps smantiques que recouvrent ce lexique concernent essentiellementes relations humaines, le vol, la drogue. La plupart des termes quisont employs plusieurs reprises, apparaissent galement au moins unefois en franais. Cependant, un certain nombre de ces mots en verlann'alternent pas avec leurs quivalents franais; c'est le cas de l'valuatif[o;], des termes qui renvoient des tres anims , [f0k0], [n mbo], [rf],[km], [mf] et des verbes qui ont acquis un sens spcialis pour latechnique du vol la tire [keblo], [vajetra], l'objet principal du vol, le[ks] et le lieu o le vol se pratique, le [trome], le [s0by]

    Les termes de verlan sont rpartis de faon irrgulire au cours del'interview. Je vais tenter d'expliquer cette alternance entre franais etverlan en prenant en considration plusieurs aspects.

    L'interview se divise en rcits et en parties de dialogue. Comme nousl'avons dit plus haut, Said est en reprsentation devant deux trangers(un visible, un invisible) et il va, travers ses rcits, mettre son personnageen scne pour eux . Les plus passionnants de ses rcits concernent le volet Sad y montre son image de tireur malin face des victimes d'une btisedsolante, courageux face des policiers brutaux. Sad joue mais il revit,en les recrant pour son public, ces scnes pleines de dangers, de suspenseet parfois d'humour. Comme l'a montr Labov (1974) lorsqu'un locuteur parle d'expriences qui constituent une partie importante de sa biographie, il revit partiellement cette exprience et n'est plus libre desurveiller son langage comme il le fait normalement dans une interview.Dans le cas des rcits de Sad, quelle norme va-t-il oublier : la normegnrale d'interaction linguistique avec Claude ou bien la norme spcifique de cet entretien, c'est dire le verlan ?Le cadre de l'interview, artificiel par sa nature mme, tant donnles rapports dans la vie entre Sad et Claude, tait rendu plus contraignant

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    62 Vivienne MELAencore par la consigne explicite donne au dpart : l'interview devait sedrouler en verlan. Le thme est ncessairement de la comptence deSad, mais la construction d'un rcit ncessite la participation des deux interlocuteurs Ceci implique la fois que Said soit vritablement assurdans sa comptence et que Claude donne la preuve de ce minimumncessaire de connaissances partages pour que l'interview puisse sepoursuivre en verlan5.Le degr de comptence des deux locuteurs dans les domaines abordsinfluera-t-il sur l'utilisation du verlan en tant que lexique spcialis?

    On se rend vite compte que Said est un conteur dou qui sait trs bienmener un rcit - tenir son auditeur afin que son attention ne se relchejamais. Les effets de suspense et d'intensification l'aide de pauses,d'interruptions momentanes du fil du rcit, de reformulations inattendues ont parfaitement efficaces. Quelle est donc la place du verlan dansla construction de ces effets ?

    J'ai dit plus haut qu'on doit considrer le verlan sous deux anglesdiffrents. D'un ct : jeu formel utilis grande chelle par desadolescents de tous horizons, de l'autre : pratique sociale qui, en tant quetelle, fait partie intgrante de la personnalit du locuteur. Est-ce que chezSad le verlan revt ce double aspect ?

    A ces diffrentes questions je vais tenter de rpondre en analysant deplus prs plusieurs parties de l'interview.ill- 3. Le verlan en contexte.III-3-1. Analyse des rcits.Que faut-il entendre par analyse ? On peut le prciser partir duparadoxe offert par les deux extraits de rcits suivants. (La numrotationrenvoie aux tours de paroles de Sad (S) et Claude (C) dans l'interview,que je ne transcris pas en entier)(S. 92) on s'fjeka] + les [f0k0] plusieurs fois y [sopa] [salom] + y nous cherchaient y nouscherchaient tout a y nous ont mme pas [vetru](S. 86) t'sais on tait tous cachs +'prs yz ont fouill yz ont fouill yz ont rien trouvLe contenu de ces deux extraits, pris dans deux rcits distincts, estidentique : suite au vol qu'ils ont commis, les enfants doivent se cacherpour chapper aux policiers. Pourtant dans l'un d'eux nous trouvonscinq mots de verlan et dans l'autre aucun. Il serait donc inutile dechercher un lien entre la forme syntaxique et l'apparition du verlan ou5 - On trouve ici les mmes problmes que dans les interviews bilingues o les locuteursdoivent faire appel deux lexiques distincts (Alber 1986).

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    PARLER VERLAN REGLES ET USAGES 63bien une simple corrlation entre l'emploi du verlan et le contenu smantique.

    Les clefs sont trouver dans une analyse la fois des thmes, del'interaction entre les deux locuteurs et du comportement linguistiquede Sad.

    Examinons alors le premier rcit.(S.38) 1. Regarde tu vois on tait dans 1' [trome]2. on tait [sakom] en train de + de [vajtra] une [mf] (C. hmm)3. et t'sais juste au moment qu'on tait en train de la [vajtra] la [mflt'sais4. j' regarde dans 1' [ks] [sak?m] (C. hmm)5. t'sais y avait l'iarfeuille tout bon6. j'ai dit c'est [oj] (C. hmm)7. elle avait dj pay t'sais l'entre du [trome] (C. hmm)8. et y avait plein de [jebi]9. alors on a dit on va la [vr0sfi]10. on va lui prendre le (3S5IJ bon

    1 1 aprs tu vois elle avait le [ks] [sakom]12. on regarde [sakom]13. on jette un coup d'oeil s'il tait en bas tout a (C. hmm)14. aprs on voit il est en bas :bon15. on commence ... l'aut y commence m' [keblo] (C. hmm)16. j'essaie de prend17. j'arrive pas18. j' le [keblo]19. il essaie20. et y prend pas21. prsc est moi..22. j' le prends..23. mais juste au moment y a un [nombo]24. t' sais il y a un [mmbo]25. y nous a vu [sakom]26. il dit euh attention madame vot' porte-feuille27. on tait [jegri]28. juste au moment 1' [trome]y s'arrte29. on veut [tisor]30. pis aprs on commence courir tout a31. aprs la [mf] elle crie au voleur., au voleur32. t' sais elle tire sur l'truc (C. hmm) au voleur au voleur..33. aprs euh il est tout partout /dans tous les cts y avait les [fok0]34. on s'est fait [jegri]35. aprs y nous ont emmens au commissariat36. y nous ont emmens au dpt tout a

    Ce rcit rpond aux critres formels poss par Labov ( 1 972) avec dessquences de contextualisation (1,2,3), des retours en arrire fonction

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    64 Vivienne MELAevaluative (7,8 et 25), une complication du rcit partir de (23) etfinalement, la chute (34 36).

    Ce texte (qui n'est pas seulement intressant en lui-mme mais aussicomme exemple de l'activit de Sad conteur) est caractris par despropositions courtes, une articulation rapide, un ton haut et l'utilisationd'une voix quasiment chuchote jusqu'en (33) qui traduisent la fbrilitdes actions et recrent l'atmosphre du danger. On trouve ici uneconcentration de termes en verlan plus grande que partout ailleurs dansl'entretien (27 mots de verlan - dont 12 diffrents- pour 36 propositions).Dans ce passage nous trouvons en verlan non seulement des termestechniques comme [ks],[jebi], [vajtra], [keblo] et [jegri] mais aussi destermes plus neutres comme [\r0syi], [tisor] , [yv]. Les protagonistes del'histoire sont toujours nomms en verlan : [mf], [nombo] et [f0k0]. Iciles termes verlan semblent avoir pris leur autonomie par rapport aux motsfranais de dpart et nous ne trouvons aucune alternance entre le franaiset le verlan. Par contre le verlan alterne avec d'autres termes d'argot pourdsigner l'argent ou la porte-feuille : [jebi],["5a3 , larfeuilleCe passage montre une implication personnelle extrme de la part dulocuteur. Il est le hros de l'histoire et en plus il se met en scne dans sonrle le plus valorisant. La construction de son image de tireur passencessairement par l'emploi du vocabulaire des tireurs qu'il possde surle bout des doigts.

    Pour Sad le rcit se termine avec son arrestation (35,36) ; il l'indiquebien avec une intonation plate, un ralentissement du rythme, l'emploid'un marqueur de clture, qu'on retrouve ailleurs chez lui, tout a ,prononc avec une intonation descendante, et le retour un vocabulairefranais.

    Si nous comparons ce rcit avec le passage qui le suit o l'interviewertente de prolonger la narration en posant des questions, nous constatonsque le verlan disparat presque entirement dans ce prolongement, pourtantnarratif, partir de (S. 60)(C.53) T'as t jug?(S. 54 ) ouais., et aprs a s'est termin aprs c'est oubli aprs ils ont dit euh pendant 5ans si tu fais pas d' conneries :ben(C.55) < rire>(S. 56) ce sera oubli(C.57) [redy](S. 58 ) ah ouais tu m'tonnes(C.59) Mais t'as pas eu/t'as pas du tout t en jugement rien du tout alors?(S. 60 ) Si pendant euh quand je/ d'abord quand j'tais au dpt j'tais rest quand mme

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    PARLER VERLAN : REGLES ET USAGES 65longtemps.j'tais :rest attends euh deux jours deux jours comme a non attends une journe t' sais euh le/le jour o je me suis fait arrter

    (C.61) hmm(S62) le soir j'tais encore :euh l bas + puis aprs euh le lendemain matin vers t'saisvers les coups de midi comme a j'suis sorti + aprs y m'ont emmen encore aucommissariat et t' sais y m'ont parl y m'ont dit euh avec qui t'tais t'sais euh ym'ont dit euh(C.63) hmm(S. 64) balance tous les [km] qu'ils taient avec [wat] + t' sais alors avec la serviettemouille ouh la a fait mal hein alors y..(C.65) oh oui y t'ont fait a ?(S. 67) ah ouais t' sais dans l' dpt y t' [pe/o] [sakam] + :pa/ils te mettent des coups t'saismme que tu soyes par terre mme que tu soyes un p'tit de 4 ans mon avis y tefrapperaient quand mme.

    Ce passage ne prsente pas la mme intensit dramatique que leprcdent. Le rythme en est plus lent, le ton plus bas,les faux-dparts s'yaccumulent - et il y a trs peu de termes en verlan. Mme le ponctuant[saksm] est remplac par comme a (S. 62).

    Ce brusque retour au franais semble li au fait que Said ne tient plusle rle du tireur. Il est intressant de constater que les premiers mots deverlan dans cette squence sont mis dans la bouche des policiers : balancetous les [km] qu'yz taient avec [wat]. Cette reformulation (ouretouche pour reprendre le terme de C. Blanche-Benveniste) - qu'ils'agisse ou non d'une reformulation plus fidle des paroles des policiersrapportes en (S62) : avec qui t'tais - mis en relief l'aide de pausesavant et aprs, sert de frontire au rcit et ouvre la voie la descriptiongnralisante du comportement violent des policiers envers les enfants cequi donne une chute fortement evaluative ce petit rcit.

    Examinons le deuxime rcit d'un vol dans un supermarch.(S.70) regarde + t'sais j'tais : /a Euro t'sais lundi j'avais dit ouais c'est [o/] j vaisprendre des [n0/e] + t'sais c'est : des / sont [o/] les [n0fe] c'est en [ro] + t'saiselles vont jusqu' [al](C.71) hmm(S.72) je dis bon +je vais m 'en [retilunej'y vais touty avait/yavaitdeuxdemes[p?ko]+et tu sais hein depuis longtemps on voulait le faire mais t'sais y/y avait les deuxspots encore(C.73) hmm(S.74) et pis j'sais pas y les ont enlevs les deux spots pendant un moment alors on a ditouais c'est [of] on va y aller + on va les [dopr?] + on va aller les reven' ou on vales [dogar] pour nous +j'lamets aprs j'en prends une deuxime + c'est pourmon [pZko] + j'en prends une troisime aprs juste au moment y a :un/ t'sais un[rombo] des services 33

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    66 Vivienne MELA(C.75) c'est quoi + services 33(S.76) t'sais des [nxnbo] ds qu'y t'[pejo] y t' [t0Ju] t'sais(C.77) hmm(S.78) service d'ord'(C.79) ouais ouais(S. 80) alors euh ils a/ ils arrivent comme a prs t sais yz ont un tout p'tit truc t'sais lsur le ct l(C.81) hmm c'est quoi ?(S. 82) eh ds/ ds qu'yz appuient t'sais a appelle \(C.83) \ah ouais\(S. 84) les les aut' videurs + alors les aut' videurs y sont arrivs + y nous ont courss touta ++ nous on est parti des / t'sais directement (...)

    Ce rcit, commenc en verlan comme le prcdent, se termine enfranais aprs l'interruption de Claude qui montre son incomprhension.

    Nous voyons ici clairement que l'apparition du verlan est certes lieau thme du rcit dans la mesure o une activit comme le vol la tirepossde son vocabulaire spcialis mais que la possibilit d'employer defaon continue ce vocabulaire dpend du contexte particulier de l'interaction.

    De faon plus prcise, nous constatons que les moments mmes oSad perd toute emprise consciente sur la forme de son discours dans le feudu rcit comportent prcisment un recours dense au lexique verlan. Parcontre le verlan cde la place au franais quand les demandes d claircissements e Claude ou son insistance obtenir davantage de discoursnarratif brisent l'lan du conteur.Le comportement de Sad peut apparatre paradoxal par rapport auxthses de Labov qui montre qu'un interlocuteur abandonne un langageartificiel en faveur d'un langage plus naturel lorsqu'il parled'vnements qui le passionnent. Ici l'artificialit semblerait renvoyer la consigne (contraire aux habitudes de Claude et Sad), savoir : parlerverlan. Nous constatons en fait que le verlan a le double (et paradoxal)statut d'artifice dans le cadre de l'entretien et de forme la plus spontaned'expression comme partie intgrante de la pratique sociale de Sad.

    Le thme de la tire implique pour Sad une utilisation d'un langagecrypt mais le manque de comptence de son interlocuteur en la matirel'amne abandonner le verlan par souci de comprhension.

    Voici un nouveau rcit o Sad n'apparat plus en hros de l'histoiremais en bouffon. Dans ce passage les talents de conteur de Sad sontillustrs d'une autre manire. Cette fois il s'agit explicitement de faire rirede soi-mme (stade suprme du travail sur la face, au sens de Goffman

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    PARLER VERLAN : REGLES ET USAGES 671974). Dans ce rcit la rpartition des termes de verlan diffre de celleobserve dans le premier.(C. 105) est-ce que t'as dj [mefy] du [t0|i] ?(S. 106-1 18) ouais + t'sais regarde + j vais t'raconter une histoire tu va / t'es oblig tu vast'exploser de rire l-d'dans + on tait la [m0bu] + t'sais c'est une [tn0bu] la [I0sa] l-bas + tu vois o qu' c'est la [rime] (...) on arrive l-bas euh + pis tuvois /j savais pas qu'yz taient en train d' [mefy] un joint (...) t'sais yz y vonttous vers le fond + je savais pas c'que c'tait tout + j'y vais + j'vois yz il t'sais

    y prennet du papier euh tabac + pis yz taient en train :de de l'[leko] (...) j'diseuh + vous tes en train d'faire un [wj]? + aprs y m'ont dit :eh oh (...) aprsy m'i'ont allum t'sais moi j'sais pas moi j' [mefy] la [garetsi] d'accord + t'sais:y/j'avais [me]/ amais [mefy] d'joint (...) y commencent [mefy] tout + j 'leurdis [warf] (= fais voir) une [f0ta] + j 'prends une [f0ta] + j'dis c'est rien a +c'est a euh le joint ? prs y font tourner aprs je reprends une deuxime tafj dis c'est a le joint pas terrib' + prs y m' [sepa] la troisime [f0ta] + j'prendsune troisime +j'tais + sur ma vie j 'tenais plus sur mes cannes j'tais [sak>m]j'suis [bet^ sur la chaise et [sabm][brpa] ah oh ouais j'tais compltement +++

    Ici, la rptition de [mefy], terme non spcifique l'usage de la drogue,fourni par Claude, reprsente 20% des occurrences, et les deux autrestermes clefs - [wgy] et [f0ta] - alternent avec leurs quivalents franais. Ilsapparaissent tout d'abord dans la bouche du frimeur qui fait semblantd'tre au courant des usages, mais qui se fait rabrouer puis succombe auxeffets du haschish : la non-comptence que Said met ici en scne nesemble pas feinte.Ce manque de comptence se mue en refus de comptence en lamatire lorsque Claude tente longuement de poursuivre la discussion surles drogues dures. Sad se trompe deux reprises dans l'emploi d'un termede base, reprenant [fTsde] (la dfonce) utilis par Claude, pour dfoncet emploie [f odese] pour dfoncent). Aprs plusieurs tentatives deClaude pour introduire le mot [dr0pu] Said, qui ne le reconnat pas commetant de son domaine (c'est les [grava] tout a) finit par le reprendremais avec une intonation interrogative qui signale bien son refus de cethme, qu'il justifie avec l'argument qu'il ne veut pas citer des noms(autre manire d'amliorer quand mme sa face).

    On peut dduire du comportement linguistique de Sad au cours decette partie de l'entretien que son manque de familiarit avec la pratiquede la drogue (et avec le lexique qui lui est associ ) influe donc sur sonutilisation du verlan.

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    68 Vivienne MELAIII-3-2. Verlan et production d'effets

    Aprs cet examen de quelques passages du corpus, on peut tenter decaractriser plus globalement la place du verlan dans cette interview.

    Comme je l'ai dit plus haut, Sad est en reprsentation et l'un des buts- et l'effet principal - de sa prestation, conformment la consigne dedpart, est de dmontrer sa virtuosit de verlaniste. Il y parvient ds sapremire rplique :(Cl) bon+ on va y aller(S. 2) [atak] poser des questionsII en fait preuve lorsqu'il interpelle l'auditrice absente (dont il sait qu'ellene pratique pas le verlan),

    (S. 207) (. .) t'as qu' venir faire un [r0tu} un de ces quat' ( ) tu vas dans ma [tesi] ( ) y arien que des [rrtis] l bas(S. 259) eh tu dois avoir un super grosse [t0te] toi hein ?

    Au cours des rcits o Sad se passionne pour ce qu'il raconte il estdifficile parfois de faire une distinction nette entre virtuosit et spontanitl semble clair que pour parler de la tire le verlan est plus naturel quele franais ; lors des rcits de vols proprement dits on ne trouve presquepas d'alternance. Par contre les rcits des arrestations sont des scnes oles deux lexiques alternent. Lorsque Sad met dans la bouche des policiersla phrase : balance tous les keums qu'yz taient avec wat il semblechercher un effet stylistique. La rintroduction du verlan cet instantprcis ramne la scne banale du commissariat sur le plan du rcithroque qu'on fait aux copains, au lendemain de l'arrestation.

    Au cours du rcit sur son exprience du haschisch, l'alternance dufranais et du verlan, qu'elle dcoule ou non du manque rel de comptencede Sad en matire de drogue, a l'effet stylistique de renforcerl'image qu'il cherche donner du petit frimeur qui fait semblant d'treau courant de pratiques qu'il ignore

    Cependant, la volont de dmontrer une virtuosit linguistique nesemble pas tre le seul lment qui gouverne l'emploi du verlan par Sad.Certains termes en verlan remplissent des fonctions galement occupespar des lments non-crypts aussi bien dans les rcits que dans les partiesplus conversationnelles. Pourd'autres il ne semble pas y avoir d'alternanceans que cela soit aussi absolu, les protagonistes introduits par Saiddans ses rcits le sont gnralement en verlan : les [f0k0], les [nombo],les [km] ainsi que le [rf] et le [dj egar], ne sont jamais repris en

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    PARLER VERLAN : REGLES ET USAGES 69franais; nous trouvons un seul emploi de dame ( qui on demande unjeton la fte foraine - rminiscence du discours tenu alors ?) et decopain (dans le rcit interrompu cit plus haut) pour six occurrences de[mf] et quatre de [p'eko].Un des aspects les plus intressants du verlan, mon avis, est lapossiblit qu'il offre au locuteur de passer d'un monde un autre par lesnuances d'un vocabulaire crypt. Tout comme le locuteur bilingue qui,parce que telle activit ou tel sentiment est associ pour lui une langueparticulire, pratique le code-switching, Said emploie dans ses rcitsle vocabulaire qui correspond sa pratique sociale. Mais aussi, tel lebilingue, il introduit galement des termes trangers pour leur pouvoirvocateur. Un [gdmoj, quoi qu'on dise, n'estpas simplement un mongol l'envers, par plus qu'un [rrti] ne peut tre assimil compltement untireur. Ainsi l'usage du verlan au cours d'un rcit campe le dcoraussi efficacement qu'un vocabulaire recherch dans un contexte littraire.IV. CONCLUSION.

    Le but de mon travail tait de rpondre essentiellement deuxquestions : comment se fabrique le verlan, comment s'en sert-on ?

    Sur le premier point, on a vu qu'il est possible de formuler une rglede permutation qui dfinit le fonctionnement mcanique du codage. Pourcela il est indispensable de procder d'abord une analyse du dcoupagedu mot de dpart. Cette rgle de permutation, associe une deuximergle facultative, permet de rendre compte de la quasi totalit du lexiqueverlan. Cette analyse claircit, je pense, les rapports entre verlan etfranais au niveau phonologique et syntaxique.

    Si les rgles simples que j ai poses pour la verlanisation des motsfranais s'appliquent systmatiquement, le verlan ne peut tre pour autantconsidr comme un code rigide et fix, du fait que le vocabulaire de baseest en grande partie argotique, donc en volution constante, et comportede nombreuses variantes selon les proccupations des diffrents groupesd'utilisateurs. La reverlanisation permet galement de renouveler sanscesse le lexique.Tout aussi passionnante que la gnration des mots en verlan estl'intgration de ce lexique dans un discours. C'est cet aspect que tente decerner l'analyse de l'interview du jeune locuteur de verlan, Said. Cetteanalyse montre que pour lui la pratique linguistique du verlan fait partiede son identit sociale au mme titre que la pratique du vol la tire. La

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    70 Vivienne MELAmatrise du verlan implique une gale matrise des contextes sociaux oil est d'usage.

    L'emploi d'un mot de verlan, si anodin soit-il, marque toujours sonlocuteur comme marginal (dans le sens trs large du terme) par rapportaux valeurs tablies. Les lycens qui font usage du verlan jusque dans lecodage des gommes et des crayons montrent leur volont d'extrioriserdes comportements qui les diffrencient du monde adulte. D o le succsdes argots d'coles ou de bandes. De ce point de vue, le verlan ne sedistingue que par sa large diffusion sans doute lie, paradoxalement, aucaractre public que les mdias lui ont donn. Tout comme pour l'anglaisnoir vernaculaire (cf Labov (8)) nombre de locuteurs l'abandonnent enquittant l'adolescence, c'est--dire en changeant de rseau desocialisation.

    Mais couter le jeune Sad, on comprend que le verlan est aussibeaucoup plus qu'un simple code. Sad prend un plaisir vident raconterses petites histoires, manier un langage dont il est matre, garer sesauditeurs dans un univers l'envers ; puis aller les chercher en retournantses mots l'endroit pour qu'ils puissent suivre... Cette fonction potiqueest peut-tre aussi importante que sa fonction rfrentielle. C'est l querside sans doute la vritable richesse du verlan et sa valeur pour lelinguiste qui s'intresse la langue parle.

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    PARLER VERLAN : REGLES ET USAGES 71ANNEXE 1 LEXIQUE DU VERLAN UTILISE PAR SAD

    billetbloquerbonhommeboumbuscachercaissechanechaudchopercigarettecitclassecollercopaindfoncecolefemmeFleuryflicfootfoufrrefumergardergrillerjointlourdMairiemalinmaquereaumecmtromoimongolorpasserpauvreprendresacsalleshootersortirtaftaperttetirertireur

    Ucbi][keblo][nambo][m0bu][s0by][Jeka][s0ke][n0|fe][ol][pejo][garttsi][tesi][s0kla][leko][psko][fTsde][k=>le][mf][riflce][f0k0][t0fu][uf][rf][mefy][degar][jegri][*tj][rolu][rime][ltma][krom][km][trome][warn][golmS][ro][sepa][\T0po][dr0pra][ks][l0sa][teju][tirsar][fOta][peta][t0tt][reti][rrti]

    toitombertourtravaillertrouvervacancesvideurviens

    iwatj[befl[r0tu][vajetra]fvetru][kSsva][drvi]Ufcv]

    Quelques locutionscomme afais voirpar terretout seul[saksm][vwarf][ttrpar][slru]

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    72 Vivienne MELABIBLIOGRAPHIE.

    ALBER J-L et DESCH-SEREC (1986) - Aspects fonctionnels des marques transcodiqueset dynamique d'interaction en situation d'enqute. Ludi G (ed) Devenir bilingue/ Parlerbilingue Tiibingen : Niemeyer Verlag.ARDITTY J. et LEVAILLANT M. (1987) - Repres pour l'analyse d'interactions verbales.Paroles en construction. Encrages 18/19.BACHMANN C et BAS1ER L (1984) - Le verlan: argot d'cole ou langue des Keums?Mots 8.BLANCHE-BENVEN1STE C. (1984) - La dnomination dans le franais parl: une interprtation pour les rptitions et les hsitations , Recherches sur lefranais parl. 6.CELLARD J et REY A. (1980) - Dictionnaire du franais non conventionnel.Paris: Hachette.GOFFMAN E. (1974) - Les rites a interaction. Paris: Minuit.GUIRAUD P. (1956) - L'argot. Paris: P.U.F..LABOV W. (1972) - Language in the Inner City. Philadelphia: University of PennsylvaniaressLABOV W. (1974) - Sociolinguistic patterns. Philadelphia: University of PennsylvaniaPress.LABOV W. et FANSHEL (1977) - Therapeutic Discourse. New York: Academic Press.