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Jérémy Stauffacher Droit des Successions
Droit des Successions
1. Cours du 18 septembre 2012
Partie 1. Introduction
§1. Notions, fondements, sources
Le droit des successions (ou droit successoral) est la partie du droit privé qui
s’occupent du transfert à une ou plusieurs personnes physiques ou morales
des droits et des obligations (souvent pécuniaires) d’une personne décédée.
Le but est donc de régler le sort du patrimoine d’une personne à son décès.
La personnalité finit par la mort : l’être humain perd la capacité d’être sujet de
droits et d’obligations. Certains et certaines prennent fin, mais d’autres sont
simplement transféré(e)s (changement de titulaire) : ils peuvent notamment
être transmis aux successeurs du défunt. Le droit des successions est la
partie du droit privé en vertu de laquelle les droits et obligations d’une
personne décédée passent à une ou plusieurs personnes physiques ou
morales. Le but du droit des successions est de régler le sort du patrimoine
d’une personne au moment de son décès.
Au sens objectif, le droit des successions (tel que décrit ci-dessus) doit être
distingué des droits de succession, qui sont les droits subjectifs privés
conférés à certaines personnes (successeurs en particulier). Dans le CC
(source principale : art. 457-650 CC), les successions prennent place entre le
droit de la famille et les droits réels. Il s’agit en effet d’un prolongement du
droit de la famille (successeurs choisis en fonction des liens familiaux) et d’un
élément essentiel de la propriété privée (transmission de biens). Il existe donc
un double fondement (familial et économique) qui permet d’expliquer
l’implantation du droit des successions dans les ordres juridiques nationaux.
En ce qui concerne les sources du droit des successions, on retiendra bien
entendu les art. 457-650 CC qui forment le titre troisième du Code civil. On
peut mentionner comme sources accessoires dans le CC les art. suivants :
31 ss (fin de la personnalité), 39 al. 2 ch. 1 (enregistrement des décès), 109
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et 120 al. 2 (effets de l’annulation du mariage et du divorce), 204 ss et 236 ss
(liquidation du régime matrimonial). En outre, on trouve dans le CO quelques
règles relatives à l’influence de la mort sur certains rapports juridiques. De
même, il existe un certain nombre de lois fédérales pertinentes : la LDFR (loi
sur le droit foncier rural, art. 11-35), la LPart (loi sur le partenariat enregistré,
art. 1 ss) ou encore la LFors (loi sur les fors, art. 18). Enfin, au niveau
cantonal, les règles se trouvent la plupart du temps dans les lois d’application
du CC (abstraction faite des dispositions sur les impôts successoraux).
Le droit des successions règle le sort du patrimoine transmissible (au
contraire de certains éléments intransmissibles, comme certains droits : droits
d’usufruit, servitudes personnelles proprement dites, rentes, etc.) d’une
personne physique (le système pour les personnes morales est différent) au
décès de celle-ci. Le droit des successions ne concerne donc pas les
questions liées au moment de la mort, au droit de mourir (aide au suicide) ou
au sort du cadavre (géré par le droit administratif). En outre, les proches sont
protégés dans leur sentiment par rapport au défunt, d’où la question des
oppositions de la famille du défunt par rapport à différents actes (liés à la
police, aux enquêtes, aux autopsies).
En matière de succession, le défunt est appelé le de cuius (is de cuius
successione agitur : celui dont la succession est en discussion). Le droit des
successions amènent une idée de continuité : les personnes changent mais
les droits subsistent (les dettes également). Les survivants récupèrent le
patrimoine du de cuius. En Suisse, 30 milliards de francs sont concernés par
le système des successions (2,5% du PNB national). Sans droit des
successions, toute la vie économique serait affectée : en effet, les dettes
seraient éteintes à la mort des personnes (physiques et morales). De ce fait,
les transactions seraient risquées, le paiement étant toujours subordonné à la
vie des personnes. De même, le sort des biens des personnes poserait
problème : à la mort de celles-ci, leurs biens deviendraient « sans maître » et
seraient donc certainement occupés par les premiers arrivés, par les plus
riches ou les plus puissants. On pourrait envisager que l’État récupère
automatiquement les biens des défunts mais dans ce cas, les achats à long
terme n’auraient plus aucun intérêt.
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Enfin, il faut tout de même préciser que même si le droit des successions
intervient matériellement au décès d’une personne, ses règles exerceront tout
de même une influence durant la vie des gens et ce en fonction des
conséquences successorales de chaque acte (mariage, filiation, adoption ou
autres). Le régime matrimonial joue ainsi un rôle central en matière de droit
des successions (questions de liquidation).
§2. Principes fondamentaux
En droit des successions, il existe 6 grands principes généraux :
- Le principe de l’unité de la succession : le sort du patrimoine du de
cuius fait l’objet d’un régime juridique unique qui s’étend à l’ensemble
des actifs et passifs, peu importe leur nature ou leur origine. La mort
d’une personne n’ouvre donc qu’une seule succession.
- Le principe de la succession universelle : le droit des successions est
régi par le principe de la succession universelle : l’ensemble des actifs
et des passifs du de cuius passent, du seul fait de la mort de ce
dernier, à ses héritiers (art. 560 al. 1). L’héritier est donc le successeur
universel du de cuius, il succède seul ou avec ses cohéritiers et répond
aussi des dettes de celui-ci. Dès lors, il n’y a pas de succession à titre
particulier pour cause de mort : aucun bien ne passent directement du
de cuius à un successeur à titre particulier. La loi offre tout de même la
possibilité de transmettre un ou plusieurs biens à une personne sans
que celle-ci ne réponde des dettes (legs, art. 484 al. 1-2 CC). Malgré
tout, le légataire ne succède pas directement et ne bénéficie que d’une
créance (créance contre les héritiers en délivrance de son legs, art.
562 al. 1). Ainsi, l’acquisition par le légataire s’effectue dans le cadre
de la succession universelle et n’est qu’indirecte. Par souci de
simplification, on dit souvent que le légataire est un successeur à titre
particulier. Il faut en tous cas se souvenir qu’il ne reçoit que certains
actifs et qu’il ne répond pas des dettes.
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- Le principe de la saisine des héritiers : les héritiers acquièrent la
succession de plein droit dès que celle-ci est ouverte (art. 560 al. 1) : le
mort saisit le vif, son hoir le plus proche. L’acquisition par les héritiers
présente donc les deux caractéristiques suivantes :
o Elle se produit immédiatement à l’ouverture de la succession (à
la mort du de cuius, art. 537 al. 1). Il y a donc continuité dans la
titularité des droits et des obligations (de cuius – héritiers).
o Elle se produit de plein droit : l’héritier devient ipso iure titulaire
des droits et des obligations du de cuius (même s’il ignore le
décès). L’acquisition ne dépend donc pas d’un acte positif
d’acceptation (sous certaines exceptions).
Le légataire, au contraire, n’acquiert pas de plein droit les biens
légués : ils passent d’abord aux héritiers qui sont alors chargés de
remettre le legs à son bénéficiaire, selon les règles ordinaires du
transfert entre vifs à titre particulier.
- Le principe de la nécessité de la succession universelle : nul ne meurt
sans héritier. S’il n’y a aucun héritier, c’est la collectivité publique qui
hérite (art. 457-460). Le principe de succession universelle est de droit
impératif, le de cuius ne peut donc pas exclure toute succession. Si
tous les héritiers répudient la succession, celle-ci est liquidée par
l’office des faillites (art. 573 al. 1). Si un solde subsiste, celui-ci revient
aux héritiers, comme si la répudiation n’avait pas existé.
- Le principe de la communauté héréditaire : lorsque le de cuius laisse
plusieurs héritiers, ceux-ci acquièrent ensemble l’universalité de la
succession et forment alors, de par la loi, une communauté héréditaire
(hoirie, communauté en main commune, art. 602 CC). Pour que
chacun devienne propriétaire individuel, il faut alors procéder à une
nouvelle opération : le partage de la succession (art. 604 ss CC),
fonctionnant selon les règles ordinaires des transferts entre vifs
propres à chaque catégorie de biens (inscription au RF, transfert de
possession, cession écrite de créances et autres). Si, au contraire, il ne
laisse qu’un seul héritier, celui-ci devient ipso iure titulaire des droits du
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défunt. Dès lors, sauf processus diverses (mise à jour du RF), aucune
démarches n’est nécessaire au transfert des biens successoraux.
- Le principe de la responsabilité personnelle et solidaire des héritiers :
les héritiers répondent non seulement sur l’actif successoral mais
également sur leurs propres biens (art. 560 al. 2). Entre eux, ils
assument une responsabilité solidaire (art. 603 al. 1) : chacun peut être
recherché pour tout ou partie de la dette, quitte à se retourner ensuite
contre ses cohéritiers s’il a payé plus que sa part (art. 143 ss CO).
L’acquisition de la succession n’est donc pas toujours sans risque. De
ce fait, il existe divers moyens de se protéger : l’héritier peut ainsi
refuser la succession par répudiation (art. 566 ss CC). Il renonce dès
lors aux actifs successoraux mais se libère également de toute
responsabilité. Il peut aussi demander l’établissement d’un inventaire
des actifs et des passifs et n’accepter ensuite la succession que sous
bénéfice d’inventaire (il ne répond alors que des dettes inventoriées,
art. 580 ss CC). Enfin, s’il souhaite limiter sa responsabilité aux actifs
successoraux, il peut aussi demander la liquidation officielle de la
succession. Dans ce cas, il ne répond plus personnellement des dettes
mais perd le contrôle de la liquidation successorale : il touchera sa part
de l’excédent actif s’il en existe un (art. 593 ss CC).
Partie 2. Vocation successorale
La première question concerne la vocation héréditaire (art. 457-536 CC). La
vocation héréditaire s’intéresse à l’identité et à la quantité. Les règles sur la
vocation successorale (art. 457-536 et 626-633 CC) permettent de déterminer
qui succède au de cuius et, s’il existe plusieurs successeurs, quelle partie du
patrimoine doit revenir à chacun (dévolution). Lorsqu’il existe plusieurs
héritiers (légaux ou volontaires), il faut définir la partie que chacun reçoit. Il
faut alors déterminer quelle fraction revient à chacun et ensuite donner une
valeur à ces parts en établissant le montant total (masse successorale). Il ne
s’agit pas de déterminer quels biens reviennent à qui (rôle de la dévolution
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successorale, règle sur le partage). Nous verrons ainsi la vocation légale puis
la vocation volontaire (la dévolution sera la seconde partie).
La transmission successorale suppose un titre (fait juridique en vertu duquel
la loi appelle une personne à succéder). Ce titre peut résulter de la loi, qui
attache à un état de fait le droit de succéder en tant qu’héritier légal (art. 457-
466 et 626-633) vocation successorale légale) ou d’une déclaration de
volonté du de cuius exprimée dans une disposition pour cause de mort
(testament ou pacte successorale ; art. 467-536) vocation successorale
volontaire). La VS reposant sur la loi (VSL, opposée à la VSV) concerne
toujours des successeurs universels : il n’existe aucun successeur particulier
légal (pas de légataire légal). Par contre, en matière de VSV, le de cuius peut
désigner des successeurs universels (héritiers institués) et des successeurs
particuliers (légataires), en fonction des biens dont il est question. Concernant
l’identité des successeurs, on peut établir les distinctions suivantes :
- Les héritiers ou successeurs universels (art. 560 CC) : ils succèdent de
plein droit (art. 560 al. 1-2) au défunt dans l’ensemble des droits et
obligations de celle-ci (art. 560 al. 1). C’est le principe de la saisine : le
mort saisit le vif, son hoir le plus proche. Cette distinction met en
œuvre un autre principe : l’unité de la succession : au décès d’une
personne, une seule succession est ouverte. Les héritiers forment
entre eux une hoirie et acquièrent la propriété en commun (propriété
commune, art. 602 CC). Enfin, les héritiers répondent personnellement
et solidairement des dettes (art. 560 al. 2 et 603 CC) : chaque héritier
répond pour toutes les dettes. Ainsi, le créancier d’une personne
décédée peut choisir n’importe quel héritier et exiger la totalité de la
somme. Naturellement, le dit héritier pourra ensuite agir à l’interne pour
rééquilibrer ce qu’il a payé (règles de la solidarité).
- Les légataires ou successeurs particuliers : au contraire des héritiers,
ils ne succèdent que dans certains droits (à titre particulier, que pour
certains actifs déterminés) et ne répondent pas des dettes. Le légataire
n’a donc pas le souci de savoir si la succession est déficitaire ou non
puisqu’il n’engage pas son propre patrimoine. Le légataire n’est en fait
pas un successeur du de cuius, il n’a qu’une créance contre le ou les
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héritier(s). En réalité, les légataires sont des successeurs entre vifs des
héritiers (succession à travers les héritiers).
De même, une deuxième distinction, complétant la première peut être faite
(les 4 types d’héritiers peuvent être combinés) :
- Les successeurs légaux (héritiers légaux, art. 457-466) : en principe, il
s’agit des proches du de cuius (y compris le conjoint ou le partenaire
enregistré) ou de la collectivité publique (cantons ou communes en cas
d’absence d’autres héritiers légaux). En droit suisse, nul ne meurt sans
héritier (principe de la nécessité de la succession universelle). Le
principe romain ereditas jacens n’est donc pas appliqué.
- Les successeurs institués (héritiers institués, légataires, art. 467-538) :
la vocation héréditaire est alors créée par le de cuius par le biais d’une
disposition pour cause de mort (instrument qui déploie ses effets au
moment de la mort de celui qui l’a rédigé). Il en existe deux formes :
o Les testaments (art. 498 ss) : ils sont unilatéraux, révocables
(le de cuius est libre de changer d’avis : on parle ainsi de
document de dernière volonté) et peuvent prendre trois formes :
olographes (écrits), publics (notaire) ou oraux (urgence).
o Les pactes successoraux (art. 512) : là encore, le de cuius
prend des dispositions en vue du décès mais de manière
bilatérale (contrat). Il s’engage donc vis-à-vis d’autrui. La forme
authentique qualifiée est requise pour les pactes successoraux.
Le de cuius ne peut alors plus changer d’avis seul.
En outre, il existe deux types de successeurs institués :
o Les héritiers institués : la relation entre les héritiers légaux et
institués est régie par l’art. 481 al. 2 : en principe les héritiers
institués l’emportent sur les héritiers légaux. La coexistence est
naturellement possible pour l’excédent. Le de cuius n’est
toutefois pas totalement libre (art. 481 al. 1, 470-471 CC) : le de
cuius peut disposer de sa quotité disponible, définie aux art. 470
et 471 CC, en respectant les réserves.
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o Les légataires : au contraire des héritiers institués, les légataires
ne répondent pas des dettes. Le legs consiste en l’attribution
d’un avantage patrimoniale et n’ouvre pas de succession
universelle : le légataire est un successeur particulier.
2. Cours du 25 septembre 2012
Une fois l’identité du successeur précisée, il s’agit de déterminer la part de
chacun. On se demande ainsi quelle est la masse de biens transmissibles et
quelle part de cette masse revient à chaque successeur (s’il y en a plusieurs
naturellement). Premier principe, la masse des biens transmissibles
comprend uniquement les actifs et les passifs du de cuius.
A la mort d’une personne, divers éléments se produisent, notamment la
naissance de certains droits pour les survivants. L’AVS fournira ainsi parfois
une rente de survivant mais il ne s’agit pas d’un droit hérité (1er pilier). Il en va
de même pour le 2ème pilier (prévoyance professionnelle), les survivants
n’héritent pas du de cuius, il s’agit d’une prestation de nature sociale, payée
par les cotisations de chacun. Il faut en outre distinguer ce que le conjoint
reçoit dans la succession et ce qu’il reçoit de par la liquidation du régime
matrimonial. En effet, il faut liquider le régime matrimonial avant de liquider la
succession. Le conjoint reçoit donc d’abord à titre matrimonial puis après à
titre successoral. Cela dépend du statut des époux quant à leurs biens
(communauté formée par les époux sur le plan patrimonial). La logique du
droit matrimonial doit tenir compte de la communauté alors que du point de
vue successoral on prend en compte les conséquences du décès.
Par défaut, si les époux n’ont rien prévu d’autres, le régime est celui de la
participation aux acquêts. Ce régime répartit les biens de chaque époux en
deux masses, deux patrimoines distincts : les biens propres et les acquêts.
Les biens propres sont ce que chacun apporte au mariage ou ce que chacun
reçoit à titre gratuit durant le mariage. Les acquêts sont ce que chaque époux
acquiert à titre onéreux durant le mariage. Pour tenir compte de la
communauté, les acquêts sont partagés par moitié, chaque époux ayant droit
à la moitié des acquêts de l’autre. Les époux restent par contre propriétaires
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de leurs biens propres. Dans ce système, il n’y a donc aucun partage des
biens durant le mariage (chaque époux reste propriétaire de ses biens
pendant la durée du mariage) mais seulement un partage des acquêts en cas
de dissolution du mariage (pour n’importe quelle cause : divorce, mort,
déclaration d’absence).
Pour les partenaires enregistrés, traités comme des conjoints, le régime
partenarial doit lui-aussi être liquidé avant la succession. L’opération est alors
beaucoup plus simple car les partenaires sont soumis à un régime ordinaire
ne prévoyant aucun partage (sorte de séparation de biens). Il n’y a rien à
partager, les partenaires restant propriétaire de leurs biens.
Deuxième principe, la masse successorale ne comprend que les droits et les
obligations transmissibles. En principe, ce qui est pécuniaire (estimable en
argent) est transmissible. Au contraire, ce qui n’a pas de valeur patrimoniale
ne peut être transmis (droits de la personnalité par exemple). Il existe bien
entendu des exceptions, pour la première catégorie : l’usufruit s’éteint au
décès de l’usufruitier ; certains contrats, comme le mandat, basé sur une
relation de confiance, prennent fin au décès de l’une des parties ; les
créances d’entretien prennent fin au décès du débiteur.
Troisième principe, la masse successorale ne prend en compte que les biens
du de cuius à son décès. Ce principe souffre toutefois un certain nombre
d’exceptions. En effet, imaginons le cas d’un de cuius veuf ayant trois enfants
et un patrimoine de 600'000 francs. L’un de enfants souhaitent construire une
maison et le père décide alors de faire un avancement d’hoirie de 150'000
francs. Au décès, si rien n’a changé, le patrimoine du père sera de 450'000
francs, tout en tenant compte des 150'000 francs de l’avance d’hoirie. On
tiendra ainsi compte de biens qui ne sont plus propriétés du de cuius. La
masse successorale doit être reconstruite à hauteur de 600'000 francs.
L’enfant ayant touché l’avance ne recevra que les 50'000 francs restants de
sa part successorale (200'000 francs chacun).
Quatrième principe, les dettes (du de cuius et de la succession) doivent être
déduites, payées ou attribuées à un héritier. Ces dettes vont donc diminuer la
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masse à partager. Les dettes de la succession peuvent également naître
après la mort du de cuius (frais liés aux obsèques).
La masse successorale comprend donc les biens extants (biens
transmissibles du de cuius), certaines libéralités entre vifs, les dettes du de
cuius et les dettes de la succession.
3. Cours du 2 octobre 2012
Titre 1. Vocation légale
En l’absence de dispositions pour cause de mort désignant qui sont les
héritiers, c’est la loi qui détermine quels sont les héritiers légaux du de cuius.
Il n’y a dès lors pas d’héritiers institués ou de légataires. Ainsi, les règles sur
la vocation (successorale) légale (V(S)L) ont valeur de droit dispositif
(art. 457-466 CC). Le premier chapitre concernant la vocation légale
concernera les principes qui régissent la désignation des héritiers légaux et la
fraction de la succession qui revient à chacun. Dans un deuxième temps, il
s’agira de préciser comment est calculée la masse successorale.
Chapitre 1. Les héritiers légaux
Les héritiers légaux sont en général les proches du de cuius (lien étroit de
parenté). Il s’agit ainsi souvent du conjoint (art. 462 CC) ou des parents (art.
457-460). A titre subsidiaire, il s’agira de la collectivité publique (cantons et
communes, art. 466). Nous allons donc voir les trois héritiers légaux : parents,
conjoints et partenaires enregistrés et collectivité publique.
§3. Les parents
Avant de présenter les trois parentèles (parents : descendants, pères et
mères et grands-parents), il convient de préciser un certain nombre de
principes et d’informations générales :
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- La notion de parentèle (1.1) : une parentèle consiste en l’ensemble des
personnes qui descendent d’un auteur communs, y compris s’il vit
encore. La définition dépend donc d’une personne déterminée, autour
de laquelle gravite l’ensemble des descendants. Le CC utilise le terme
de parentèle dans un sens particulier en regroupant les parentèles de
la mère et du père et celles des 4 grands-parents. Il existe de ce fait
trois parentèles : la P des descendants (ensemble des enfants, petits-
enfants et arrière-petits-enfants du de cuius), la P des père et mère
(père, mère, frères, sœurs, neveux et nièces du de cuius) et la
parentèle des grands-parents (quatre grands-parents, oncles, tantes,
cousins et cousines du de cuius). Les liens entre les membres d’une
parentèle doit être un lien juridique de filiation au sens des art. 252 ss
(lien biologique ou adoptif). Ainsi, une descendance biologique qui
n’est pas établie juridiquement n’est pas suffisante : un enfant né hors
mariage et dont la filiation paternelle n’a pas été établie (ni
reconnaissance, ni jugement) n’hérite pas de son père biologique. Il
faut en outre distinguer la parentèle :
o De la souche : la souche est le groupe particulier que forment, à
l’intérieur d’une parentèle, une personne et ses descendants.
o De la ligne : la ligne est le groupe particulier que forment, à
l’intérieur de la deuxième et respectivement de la troisième
parentèle, le père et ses descendants d’une part, et la mère et
ses descendants d’autres part (respectivement chacun des
grands-parents et de ses descendants).
- Les principes régissant le système des parentèles : le système des
parentèles (détermination des héritiers légaux parmi l’ensemble des
parents) est régi par les 6 principes suivants :
o Limitation de la succession à 3 parentèles : seuls les membres
des trois parentèles listées ci-dessus peuvent être héritiers
légaux. Faute de membres dans ces trois parentèles et si le de
cuius ne laisse pas de conjoint, la succession passe à la
corporation publique (art. 466 CC).
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o Priorité d’une parentèle sur la suivante : la première parentèle
l’emporte sur la suivante et la deuxième sur la troisième. S’il y a
un ou plusieurs membres dans la première P, il(s) hérite(nt)
seul(s) à l’exclusion des membres de la deuxième et de la
troisième P (art. 457 al. 1, 458 al. 1 et 459 al. 1). La priorité
d’une parentèle sur la suivante est absolue : un concours entre
les membres de parentèles différentes est impossible (concours
impossible entre un oncle et un neveu par exemple).
o Partage par lignes à l’intérieur des deuxièmes et troisièmes
parentèles (1.2) : dès que la succession parvient aux P2 et 3,
elle se partage en deux moitiés : l’une pour la ligne maternelle et
l’autre pour la ligne paternelle. Ce n’est que s’il n’y a aucun
membre dans une ligne que les membres de l’autre reçoivent
l’entier de la succession (art. 458 al. 4 et 459 al. 5). Le même
système s’applique à l’intérieur de la P3 : la succession est
partagée en deux moitiés pour chacune des lignes. Il y a donc
au final un quart pour chacune des lignes (art. 459 al. 4 CC).
o Priorité de l’ascendant vivant sur ses descendants : à l’intérieur
de la P, l’ascendant vivant hérite et exclut ses propres
descendants. Ainsi, si dans la première parentèle un des fils du
de cuius est vivant, il hérite et exclut ses propres enfants. Le
moment déterminant pour juger si un parent est ou non héritier
est celui de l’ouverture de la succession.
o Représentation de l’ascendant prédécédé par ses descendants :
lorsqu’un ascendant est prédécédé, il est représenté par ses
descendants (art. 457 al. 3, 458 al. 3 et 459 al. 3). Ce type de
représentation successorale nécessite quatre précisions :
Les descendants acquièrent la succession en vertu d’un
droit propre (iure proprio). Il s’agit en fait plus d’un droit
d’intervention ou de substitution. En effet, les héritiers
descendants ne tiennent pas leur vocation héréditaire de
leur ascendants : ils auraient pu hériter même si
l’ascendant prédécédé n’avait lui-même pas été héritier.
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Le terme descendant n’est également pas tout à fait
correct. Il s’agit en fait des enfants de la personne
prédécédée. De ce fait, les enfants vivants excluent leurs
propres descendants (leurs propres enfants).
Le droit d’intervention ne se limite pas à l’hypothèse du
prédécès, il s’applique également lorsque la personne est
écartée de la succession suite à une exhérédation
(art. 478 al. 2-3), suite à son indignité (art. 541) ou suite à
une répudiation (art. 572 al. 1).
Dans deux cas particuliers, la cause écartant une
personne de la succession exclut également les
descendants de cette personne : lorsqu’un héritier
potentiel renonce volontairement à la succession par
pacte successoral (art. 495 al. 3, sous réserve de la
clause contraire) et lorsque tous les héritiers du rang le
plus proche ont répudié la succession (art. 573).
o Partage par souche à égalité de droit (1.3) : à l’intérieur de la
parentèle (ou de la ligne), le partage se fait par souche (art. 457
al. 3, 458 al. 3 et 459 al. 3). Chaque souche a un droit égal à la
succession (principe d’égalité). En outre, à l’intérieur de la
souche, le prédécès d’un membre accroît la part des autres
(principe d’accroissement). Le partage se fait par souche à tous
les degrés. S’il est vivant, le chef d’une souche a la priorité sur
ses descendants : la souche n’est alors présente dans la
succession que par une seule personne (partage par tête, art.
457 al. 2, 458 al. 2, 459 al. 2). Le partage par tête doit être
compris comme un cas particulier de partage par souche.
- Les cas particuliers de la demi et de la double-parenté : les six
principes ci-dessus s’appliquent également aux demi-parents (1.4-1.5),
mais ceux-ci n’héritent que dans la parentèle qu’ils ont en commun
avec le de cuius. Les demi-parents sont des collatéraux qui n’ont qu’un
seul ascendant commun (demi-frère ou demi-sœur par exemple), à la
différence des collatéraux germains qui ont deux ascendants communs
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(mêmes père et mère ou mêmes grands-parents). On dit qu’ils sont
consanguins s’ils ont le même ascendant paternel (père ou grand-
père) et qu’ils sont utérins s’ils ont le même ascendant maternel (mère
ou grand-mère). De même, dans de rares cas, il peut arriver qu’une
personne appartienne à deux souches descendant du de cuius : elle a
alors une double vocation successorale (1.6). Il s’agit de cas
exceptionnels, où une personne marie son cousin ou sa cousine.
Il s’agit à présent de présenter les trois parentèles, formant les parents,
première catégorie d’héritiers légaux (parents : descendants, père et mère et
grands-parents), puis les principes de la succession du conjoint ou du
partenaire enregistré survivant (deuxième catégorie d’héritiers légaux) et enfin
la succession de la collectivité publique (troisième type d’héritier légal). La
parentèle des descendants (P1, 1.7) est la parentèle appelée à succéder en
premier (art. 457 al. 1 et 458 al. 1). Dès lors, pour autant qu’elle comprend un
membre vivant, elle exclut les autres parentèles (art. 458 al. 1 et 459 al. 1).
Elle est formée par les enfants vivants du de cuius, qui excluent leurs propres
descendants et succèdent par tête (art. 457 al. 2). Les enfants prédécédés
sont par contre représentés par leurs descendants, qui succèdent par souche
à tous les degrés (art. 457 al. 3).
La parentèle des père et mère (P2, 1.8.1 ; 1.8.2 ; 1.8.3) recueille la
succession lorsque le de cuius n’a pas de descendants vivants (art. 458 al. 1).
Si le père et la mère du de cuius sont vivants, ils succèdent par tête et
excluent leurs descendants (art. 458 al. 2). Si l’un d’eux est prédécédé, il est
représenté par ses descendants, qui succèdent par souche à tous les degrés
(art. 458 al. 3). A défaut de descendant, c’est la ligne de l’autre parent qui
hérite de l’ensemble des biens (art. 458 al. 4).
La parentèle des grands-parents (P3, 1.9.1 ; 1.9.2) est la dernière à recueillir
la succession (art. 460). Si elle ne comprend pas de membre vivant et qu’il n’y
a pas de conjoint survivant, la succession est dévolue à la corporation
IUR III 2012-2013 14
Jérémy Stauffacher Droit des Successions
publique (art. 466). La parentèle des grands-parents ne vient à la succession
que si les deux premières P ne comportement aucun membre (art. 459 al. 1)
et que s’il n’y a pas de conjoint survivant (art. 462 ch. 3). Si les 4 grands
parents sont vivants, ils succèdent par tête à parts égales et excluent leurs
descendants (art. 459 al. 2). Si l’un d’eux est prédécédé, il est représenté par
ses descendants (art. 459 al. 3). A défaut de descendant, la part du grand-
parent décédé revient à l’autre grand-parent ou à ses descendants
(art. 459 al. 4). S’il n’y a pas de représentant dans une ligne, toute la
succession revient à l’autre ligne (art. 459 al. 5).
4. Cours du 9 octobre 2012
§4. Le conjoint ou le partenaire enregistré survivant
Les droits de succession légaux sont quasiment tous fondés sur les liens
familiaux qui unissent les héritiers (sauf exception de la collectivité publique).
Le législateur n’a pas uniquement considéré les liens du sang mais a estimé
que le conjoint doit recevoir une partie de la succession et avoir la qualité
d’héritier. Les liens du de cuius avec le conjoint justifient qu’il l’emporte sur
des parents éloignés. De même, l’art. 462 confère au partenaire enregistré le
statut d’héritier, avec les mêmes droits que ceux du conjoint survivant. Le
principe est donc de ne pas imposer au conjoint ou au partenaire enregistré
survivant (CPES) une réduction excessive de ses ressources économiques. A
l’origine, les droits de succession du conjoint s’exprimaient sous la forme d’un
usufruit portant sur l’ensemble des ressources du de cuius. Toutefois, de
nombreux facteurs ont amené la refonte de ce système et le nouveau
système, mis en place dans la révision du CC de 1984. Le droit de
succession du CPES varie selon la P avec laquelle il est en concours :
- Concours avec la P1 : en concours avec les descendants, le CPES a
droit a la moitié de la succession (art. 462 ch. 1).
- Concours avec la P2 : en concours avec les père et mère, le CPES a
droit aux trois-quarts de la succession (art. 462 ch. 2).
IUR III 2012-2013 15
Jérémy Stauffacher Droit des Successions
- Concours avec la P3 : s’il n’y a aucun héritier P1 ou P2 (et donc
éventuellement des héritiers P3), le CPES a droit à toute la
succession : il l’emporte donc sur la troisième parentèle (grands-
parents) et sur la collectivité publique.
Ainsi, la présence d’un CPES modifie les droits des successions des parents.
Il faut donc calculer la part revenant au CPES avant de calculer les droits de
succession des parents (2.1.1 ; 2.1.2). La qualité de conjoint nécessite d’être
marié avec le de cuius au moment de l’ouverture de la succession. Ainsi, les
fiançailles ne créent pas de vocation légale, pas plus que le fait de vivre en
union libre. Il faut donc être déjà marié au moment de l’ouverture de la
succession. De même, il faut être encore marié à ce moment, peu importe
que les époux aient suspendu leur vie commune (art. 175 ss) ou qu’une
séparation de corps ait été prononcée par le juge (art. 117 ss). Ces situations,
qui peuvent avoir des effets sur le régime matrimonial, n’ont aucune influence
sur la VSL. En cas de divorce, le mariage est considéré comme dissous au
moment de l’entrée en force du jugement (à l’échéance du délai de recours
ordinaire). Ce n’est qu’à ce moment-là que les époux divorcés cessent d’être
héritiers légaux l’un de l’autre (art. 120 al. 2). En cas d’annulation du mariage,
l’art. 109 al. 1 réserve les droits successoraux du conjoint survivant : celui-ci
perd donc ses droits si le jugement annulant son mariage avec le de cuius
entre en force après l’ouverture de la succession (effet rétroactif en matière
de droits successoraux, exception de l’art. 109 al. 1 CC). Les principes
énoncés ci-dessus s’appliquent également au partenaire enregistré : celui-ci
est héritier légal si, au moment de l’ouverture de la succession, il est lié au de
cuius par un partenariat enregistré (art. 3 ss LPart), qui n’a pas été annulé
(art. 9 ss : 11 al. 2 LPart) ou dissous judiciairement (art. 29 ss : 31/35 LPart).
Les rapports entre régime matrimonial et droit de succession légal sont assez
importants. Le décès d’une personne mariée entraîne en effet la liquidation du
régime matrimonial (art. 204 al. 1 et 236 al. 1), en plus de l’ouverture de la
succession (art. 537 al. 1). Il faut alors toujours procéder à la liquidation du
régime matrimonial, l’époux décédé y étant représenté par l’ensemble de ses
héritiers. En d’autres termes, le patrimoine successoral du de cuius est
constitué des biens qui reviennent à celui-ci dans la liquidation du régime
IUR III 2012-2013 16
Jérémy Stauffacher Droit des Successions
matrimonial. Le conjoint survivant commence donc par recevoir à titre
matrimonial ce qui lui revient et participe ensuite à titre d’héritier à la
succession du de cuius dans laquelle il reçoit la part légale qui lui revient
(art. 462 CC).
Pour les partenaires enregistrés, le régime matrimonial correspond à une
séparation de biens (régime patrimonial légal subsidiaire, art. 18 ss LPart) : il
n’y a donc pas lieu de procéder à une liquidation de régime, chacun
conservant ses biens.
§5. La collectivité publique
Pour terminer avec ce chapitre sur les héritiers légaux, il convient de parler de
la collectivité publique. Si le de cuius ne laisse ni parents des P1-2-3, ni
CPES ou si ceux-ci ne recueillent pas la succession (indignité, exhérédation,
pacte de renonciation ou répudiation), c’est la corporation publique qui hérite
(art. 466 ; nul ne meurt sans héritier). Selon l’art. 466, c’est en principe le
canton du dernier domicile du défunt qui hérite. Ce canton peut également
désigner une ou plusieurs commune(s) héritière(s). La corporation publique
succède de plein droit au de cuius, dans ses actifs comme dans ses passifs
(art. 560 al. 1-2) : elle est pleinement héritière légale. S’il y a plusieurs
corporations héritières ou si la corporation est en concours avec des héritiers
institués (pour une partie de la succession), il se forme une communauté
héréditaire. Toutefois, il ne serait pas juste que la corporation doive assumer
les passifs du de cuius lorsque ceux-ci excèdent les actifs, les contribuables
devraient alors prendre en charge les dettes privées du de cuius, ce qui
dénaturerait totalement le système de la responsabilité personnelle. Ainsi,
l’art. 592 prévoit que la succession est inventoriée d’office et que la
responsabilité de la corporation publique pour les dettes est limitée aux actifs
de celle-ci (au pire, la succession peut donc être nulle).
IUR III 2012-2013 17
Jérémy Stauffacher Droit des Successions
5. Cours du 16 octobre 2012
Chapitre 2. La masse successorale (masse à partager)
Une fois que l’on sait qui hérite de combien, il faut définir la masse de biens
totale. Ce n’est qu’ensuite qu’on pourra déterminer le montant qui doit revenir
à chaque héritier. La masse à partager (MàP) comprend :
- Des actifs : il s’agit de tous les biens qui appartenaient au DC
(de cuius) au moment de son décès (biens extants, art. 475) ainsi que
des rapports. Les rapports sont en fait toutes les libéralités que les
héritiers ont reçues du vivant du DC à titre d’avances sur leur part
héréditaire (avancement d’hoirie).
- Des passifs : il faut déduire de l’actif brut les dettes du DC qui passent
aux héritiers et certains frais que la loi met à la charge de la
succession. Ces dettes peuvent être réglées au cours de la liquidation
de la succession ou reprises par un héritier au moment du partage.
Dès lors, dans les deux cas, ces dettes diminuent la valeur de la
succession que les héritiers ont à se partager.
Au final, on peut donc résumer la composition de la MàP par ce tableau :
biens extants + rapports – dettes du de cuius – dettes de la succession =
masse à partager (ou masse successorale) :
Biens extants (§6)+ Rapports (§7)- Dettes du de cuius (§8)- Dettes de la succession (§9)= Masse à partager
§6. Les biens extants
Les biens extants comprennent les droits transmissibles qui existaient dans le
patrimoine du DC à l’ouverture de la succession. Cette définition, qui précise
la composition des BE, met donc en lumière trois éléments :
IUR III 2012-2013 18
Jérémy Stauffacher Droit des Successions
- Des droits appartenant au DC : il faut donc dégager le patrimoine du
DC des rapports patrimoniaux plus vastes puis distinguer les droits du
DC des prétentions que ses successeurs peuvent faire valoir en raison
de son décès et qui leur appartiennent. Ces prétentions ne font en effet
pas partie des biens du DC qui parviennent aux successeurs par
l’intermédiaire de l’hérédité. Deux étapes sont donc nécessaires :
o Dissociation du patrimoine du DC d’autres masses
patrimoniales : il peut arriver que tout ou partie du patrimoine du
DC soit lié à d’autres patrimoines. Ainsi, si le DC était marié, il
est nécessaire de procéder à la liquidation du régime
matrimonial (sauf séparation des biens). Ainsi, en cas de
participation aux acquêts, la liquidation s’achève par la
détermination d’une créance (qui augmente les BE) ou d’une
dette (qui augmente les passifs successoraux). Dans le régime
de la communauté de biens, le patrimoine du DC est compris
dans la masse des biens communs (propriété commune des
conjoints). Le partage peut dès lors être effectif (le conjoint
survivant et les héritiers procèdent au partage en nature) ou
virtuel (les BE du DC comprennent le montant de sa part à la
communauté matrimonial et le partage se fait au moment du
partage successoral). En sus du mariage, il se peut que le DC
ait été membre d’une communauté héréditaire, d’une indivision
(art. 336 ss CC) ou d’une société entraînant la propriété
commune de ses membres sur le patrimoine social (société
simple, société en nom collectif, société en commandite).
Autrement dit, dès que le DC est partie à d’autres rapports
juridiques liant son patrimoine, la liquidation préalable de ces
rapports est nécessaire.
o Droits propres des successeurs : il est fréquent que le décès
d0une personne ouvre chez les successeurs des prétentions
personnelles contre des tiers. Acquises en vertu d’un droit
propre et indépendant de la succession, elles n’entrent donc pas
dans la détermination des BE. Il s’agit notamment des
IUR III 2012-2013 19
Jérémy Stauffacher Droit des Successions
prétentions découlant de l’AVS (art. 23 ss LAVS), des
prétentions de la PP (art. 18 ss LPP), des prétentions de l’AA
obligatoire (art. 28 ss LAA) ou facultative ou de l’assurance
militaire (art. 51 ss LAM), des prétentions d’une éventuelle
assurance-vie (art. 78 LCA) ou des prétentions dues à la perte
de soutien (art. 45 al. 3 CO).
- Des droits transmissibles : certains droits sont tellement liés à la
personne de leur titulaire qu’ils s’éteignent de plein droit au décès de
celui-ci (au contraire de la plupart des droits, qui demeurent inchangés
et passent aux héritiers). Dès lors, il faut distinguer :
o Les droits non pécuniaires, en principe intransmissibles : droit à
la protection contre les engagements excessifs (art. 27 al. 2)
droits de la personnalité (art. 28 ss) qualité de membre d’une
association (art. 70 al. 33) ou fonction de curateur (art. 517).
o Les droits pécuniaires, en principe transmissibles : droits réels,
droits de la propriété immatérielle, droits de créance, droits
corporatifs ou d’autres valeurs patrimoniales comme la clientèle
d’une entreprise ou les secrets d’affaires. Certains droits
pécuniaires conservent toutefois un caractère strictement
personnel et prennent dès lors fin de plein droit à la mort de leur
titulaire. Il s’agit notamment de l’usufruit (art. 749), du droit
d’habitation (art. 776 al. 2), des servitudes irrégulières de l’art.
781 et des créances d’entretien. En outre, la mort d’une des
parties met fin à des nombreux contrats.
- De tels droits appartenant au DC au moment de l’ouverture de la
succession : les BE sont l’ensemble des actifs qui existaient dans le
patrimoine du DC au moment de l’ouverture de la succession : le DC
devait donc en être titulaire à ce moment. De ce fait, les biens dont il a
déjà fait donation n’entrent pas dans la composition des BE. Dès lors,
les libéralités entre vifs peuvent avoir le caractère d’avancement
d’hoirie (sujettes à rapport) ou servir à éluder les règles successorales.
Toutefois, il s’écoule souvent un certain temps entre le moment du
décès et celui où les héritiers légaux liquident effectivement la
IUR III 2012-2013 20
Jérémy Stauffacher Droit des Successions
succession par le partage. Durant ce délai, des changements peuvent
affecter les BE (obligations échues, appareil défectueux à remplacer).
Comme tous ces BE appartiennent à l’ensemble des héritiers, ils
forment un patrimoine distinct, qui doit être géré indépendamment.
Ainsi, les BE sont composés de l’ensemble des droits transmissibles
du DC, tels qu’ils existaient au moment de l’ouverture de la succession
et ont ensuite évolué jusqu’au partage conformément aux règles de
gestion du patrimoine distinct qu’ils forment.
La composition des BE ayant été vue, il s’agit maintenant de préciser
comment ils sont évaluer (art. 617-619 CC). Le moment déterminant pour
l’évaluation des biens est le moment du partage (art. 617). En effet, les
héritiers ne peuvent se partager que les biens tels qu’ils existent au moment
du partage : ils bénéficient donc de l’ensemble des plus-values survenues
depuis le décès mais doivent également supporter les moins-values.
La valeur déterminante est la valeur vénale (art. 617), à savoir la valeur
marchande des biens. Elle correspond au prix qu’un bon père de famille, à qui
l’opération ne s’impose pas de manière urgente, pourrait raisonnablement
retirer dans un délai convenable compte tenu des conditions générales du
marché, déduction faite des éventuels impôts, émoluments ou frais à payer.
§7. Les rapports
Le de cuius remet souvent certains biens à ses futurs héritiers. La plupart du
temps, le DC n’entend pas avantager quantitativement un (futur) héritier mais
simplement faire un avance sur sa part successorale (avancement d’hoirie).
Le rapport successoral est l’institution qui permet de trouver une solution
successorale satisfaisante dans ce genre de situation.
Le rapport est l’obligation faite à un héritier légal de faire rentrer dans la
succession certaines attributions qui lui ont été faites par le DC du vivant de
celui-ci. Le CC prévoit deux modes de réintégration : le rapport en nature des
biens reçus ou l’imputation de la valeur des biens reçus. S’il choisit le rapport
en nature, l’héritier doit transférer à la communauté héréditaire la propriété du
IUR III 2012-2013 21
Jérémy Stauffacher Droit des Successions
bien reçu (et celui-ci sera alors attribué dans le partage). En général toutefois,
l’héritier attributaire préfère garder le bien reçu et effectuer un rapport par
imputation. Il conserve alors le bien mais sa valeur est ajoutée à la masse à
partager. Dès lors, au moment du partage, la valeur du bien rapportée est
imputée sur la part de l’héritier qui a reçu le bien. Ainsi, si un DC a remis à
l’un de ses héritiers (A) 100'000 francs et que ses BE se montent à 500'000
francs, chacun de ses trois enfants (A, B et C) recevra 200'000 mais on
imputera 100'000 francs sur la part de A. Le rapport par imputation (de loin le
plus fréquent en pratique) permet donc à l’héritier attributaire de conserver ce
qu’il a reçu de la part du DC moyennant imputation lors du partage.
L’institution du rapport permet avant tout au DC de faire des libéralités entre
vifs à ses futurs héritiers, sans pour autant modifier les parts successorales
de chacun d’eux. Il s’agit donc simplement d’avancer le moment où un héritier
reçoit tout ou une partie de sa part. Malgré tout, le DC peut aussi décider de
remettre un bien à un futur héritier à titre de véritable libéralité (non
rapportable) que l’héritier pourra conserver en plus de sa part successorale
(si elle respecte les limites de la quotité, art. 628 al. 2 CC). Il peut exprimer sa
volonté soit en ordonnant le rapport du bien donné, soit au contraire en
dispensant le futur héritier de tout rapport. Lorsque le DC n’a pas exprimé sa
volonté, le législateur a posé les présomptions suivantes :
- La loi part du principe que le DC ne veut pas rompre l’échelle des
valeurs de la succession légale (égalité entre les enfants). Dès lors, le
CC présume le rapport des libéralités faites à un descendant pour lui
permettre de s’établir dans l’existence (art. 626 al. 2 CC) ou pour
financer sa formation au-delà de ce qui est usuel (art. 631 al. 1 CC). Si
le DC veut que de telles libéralités ne soient pas rapportées, il doit
ainsi le préciser par une dispense de rapport.
- Inversement, si le DC fait des libéralités à d’autres héritiers légaux
(conjoint ou membre de la P2 et de la P3), on présume qu’il entend les
favoriser au détriment des autres héritiers. La loi présume donc qu’il ne
s’agit pas d’un avancement d’hoirie (art. 626 al. 1). Il en va de même
pour les libéralités faites à des descendants hors des prévisions des
art. 626 al. 2 et 631 al. 1 CC. Dès lors, pour autant que la libéralité
IUR III 2012-2013 22
Jérémy Stauffacher Droit des Successions
respecte les limites de la quotité disponible, l’héritier attributaire pourra
conserver et réclamer en plus l’entier de sa part successorale. Si le DC
veut que de telles libéralités soient rapportées, il doit donc le préciser
expressément par une ordonnance de rapport.
Concernant les espèces de rapports, les art. 626 et 631 al. 1 CC ne
s’appliquent que si le DC n’a pas pris de disposition pour cause de mort. En
effet, c’est dans le contexte d’une vocation légale que le rapport est
intéressant puisqu’il permet au DC de faire des libéralités entre vifs sans
s’écarter de l’équilibre existant entre les héritiers légaux (on parle alors de
rapport proprement dit). Dans le contexte d’une vocation volontaire,
l’institution du rapport permet au DC de faire des avancements d’hoirie alors
même qu’il s’est déjà écarté des parts légales (on parle alors de rapport
improprement dit). Il convient de présenter plus précisément les deux types :
- Les rapports proprement dits (art. 626 ss CC) : il en existe deux types :
o Les rapports légaux : il s’agit des rapports prescrits par la loi
pour certains types de libéralités faites aux descendants.
o Les rapports volontaires : il s’agit des rapports fondés sur une
ordonnance de rapport (libéralités faites à un héritier légale qui
n’est pas un descendant ou libéralités faites à un descendant en
dehors des prévisions des art. 626 al. 2 et 631 al. 1 CC).
- Les rapports improprement dits : il s’agit des rapports qui interviennent
en cas de vocation volontaire (et non légale comme pour les rapports
proprement dits). Bien que non prévus par les art. 626 ss CC ces
dispositions s’appliquent néanmoins par analogie dans 2 situations :
o Le DC peut avoir pris des dispositions pour cause de mort sans
que celles-ci n’influencent le régime légal : l’équilibre entre les
héritiers reste donc le même (l’échelle des valeurs ab intestat
est maintenue). Dans ce genre de cas, jurisprudence et doctrine
admettent que le rapport légal prévu en cas de vocation légale
s’applique par analogie (rapport volontaire présumé). Ainsi, si le
DC laisse son conjoint et deux enfants (dont A auquel il a donné
100'000 francs) et se borne à désigner une institution caritative
IUR III 2012-2013 23
Jérémy Stauffacher Droit des Successions
comme héritière de 1/8 de la succession (700'000 de BE), les
100'000 francs donnés à A seront sujets à rapport. Selon l’art.
481 al. 2, les 7/8 restants sont attribués aux héritiers légaux. Le
conjoint reçoit donc 1/2 x 7/8, soit 7/16 et chaque enfant reçoit
1/4 x 7/8, soit 7/32. Dès lors, les parts de tous les héritiers étant
proportionnelles à leurs parts légales, l’art. 626 al. 2 CC
s’applique par analogie. La masse à partager est donc de
800'000 francs (100'000 pour l’institution, 350'000 pour le
conjoint et 175'000 pour chaque enfant, dont 100'000 déjà
compris pour A). Précisons que si le DC ne perturbe pas
l’égalité légale entre les enfants mais modifie tout de même
l’échelle des valeurs entre tous les héritiers légaux, il n’y a pas
de d’application par analogie des règles légales sur le rapport.
Ainsi, si le DC avantage son conjoint et maintient le régime légal
pour ses enfants, il n’y a pas de rapport volontaire présumé.
o Même en cas de modification des parts légales, le DC peut
souhaiter faire des avancements d’hoirie. Les art. 626 ss CC ne
s’appliquent alors pas directement mais doctrine et
jurisprudence admettent que le DC peut ordonner le rapport
dans ce type de situation (rapport volontaire improprement dit).
Avant de passer aux conditions du rapport, il convient de préciser que le
tableau 3.1 des annexes reprend de manière globale ces types des rapports.
Les conditions du rapport (3.2.1) sont au nombre de deux : le DC doit avoir
fait de son vivant un avancement d’hoirie (apprécié au moment de la
libéralité) et l’un des héritiers doit avoir l’obligation de le rapporter lors du
partage de la succession (apprécié au moment du partage) :
- Un avancement d’hoirie : un avancement d’hoirie est un acte
d’attribution entre vifs fait par le DC à un futur héritier (point 1 de la
condition). Cet acte d’attribution doit ensuite avoir fait l’objet d’une
ordonnance, légale ou volontaire, de rapport (point 2 de la condition) :
o Un acte d’attribution entre vifs : il s’agit en principe de toutes les
libéralités entre vifs (art. 626 al. 1 CC). Toutefois, les rapports
IUR III 2012-2013 24
Jérémy Stauffacher Droit des Successions
légaux ne sont exigés que pour certaines libéralités déterminées
(dotations et contributions non usuelles aux frais de formation) :
En général (art. 626 al. 1 CC) : l’ordonnance volontaire
ou légale de rapport peut en principe concerner tout acte
d’attribution fait à titre gratuit en vue de favoriser autrui. Il
faut en outre distinguer les cas particuliers des présents
d’usage, dont la réglementation dépend de l’art. 632 CC :
Un acte d’attribution : il s’agit d’un acte du DC qui
procure à un futur héritier un avantage patrimonial
en appauvrissant d’autant le DC, que ce soit par la
diminution ou la non-augmentation (perte de gain)
de son patrimoine. Le plus souvent l’acte
d’attribution sera un contrat tendant au transfert
d’une chose, à la cession d’un droit ou à la remise
d’une dette (mais un acte unilatéral, renonciation à
une servitude, est aussi possible).
Dans l’intention de favoriser un futur héritier : le
DC doit faire l’attribution en ayant conscience de
favoriser l’attributaire. Elle doit être volontaire et
donc ne pas s’imposer par une obligation légale
(comme l’obligation de prise en charge des frais
usuels de la formation des enfants).
A titre gratuit : la gratuité peut être totale ou
partielle. Dans ce second cas (donation mixte), la
partie gratuite peut être sujette à rapport pour
autant que les cocontractants aient été conscients
de l’existence d’une libéralité.
Le cas particulier des présents d’usage : il s’agit
des cadeaux faits dans une mesure usuelle à une
occasion particulière. Normalement, les présents
d’usage sont peu importants par rapport à la
succession : l’art. 632 CC prévoit ainsi qu’ils ne
sont pas sujets à rapport. Malgré tout, le DC peut
IUR III 2012-2013 25
Jérémy Stauffacher Droit des Successions
toujours prescrire le rapport de tels éléments (ce
qui fait perdre au cadeau son caractère usuel).
Dans le cas des rapports légaux : lorsqu’il présume le
rapport (et donc lorsque l’ordonnance de rapport provient
de la loi elle-même), le législateur définit plus
précisément qu’à l’art. 626 al. 1 CC quelles sont les
libéralités sujettes à ce rapport : il s’agit ainsi des
dotations de descendants (art. 626 al. 2 CC) ou des frais
de formation non usuels (art. 631 al. 1 CC) :
Les dotations de descendants (art. 626 al. 2) : la
formule de l’art. 626 al. 2 comprend toutes les
libéralités qui sont destinées à créer, assurer ou
améliorer l’établissement du bénéficiaire dans
l’existence (dotation du descendant bénéficiaire). Il
s’agit donc de libéralités permettant de favoriser
une certaine autonomie dans la vie familiale.
Les frais de formation non usuels (art. 631 al. 1) :
conformément à la notion générale de libéralité, la
règle ne peut viser que les dépenses qui vont plus
loin que le devoir légal d’entretien des enfants qui
inclut les frais d’éducation et de formation (au sens
de l’art. 276 al. 1 CC) et s’étend jusqu’à la fin de la
formation (pour autant que les circonstances
permettent de l’exiger des parents et que la
formation soit achevée dans des délais normaux,
art. 277 CC). L’art. 631 al. 1 CC exclut du rapport
légal les libéralités usuelles, au contraire de
l’art. 626 al. 2 qui prévoient le rapport de toutes les
libéralités. L’art. 631 al. 1 constitue donc une lex
specialis par rapport à l’art. 632 al. 2 CC.
Précisons en outre que l’art. 631 al. 1 ne
s’applique pas qu’aux enfants mais à l’ensemble
des descendants du DC qui auraient bénéficié de
libéralités sous forme d’une prise en charge de
IUR III 2012-2013 26
Jérémy Stauffacher Droit des Successions
frais de formation non usuels. Le caractère non
usuel suppose des libéralités extraordinaires au vu
de la situation familiale et sociale des intéressés et
des ressources du DC à l’époque.
o Une ordonnance légale ou volontaire de rapport : un acte
d’attribution entre vifs fait par le DC ne constitue un avancement
d’hoirie que s’il est assorti d’une ordonnance de rapport. Dans le
cadre des art. 626 al. 2 et 631 al. 1 CC, cette ordonnance
résulte de la loi elle-même (ordonnance légale). En dehors de
ces deux cas, il n’y a ordonnance de rapport que si le DC a
exprimé une volonté correspondante au sens de l’art. 626 al. 1.
Naturellement, cette ordonnance ne produit son effet que si elle
n’a pas été infirmée par le DC, par une dispense de rapport (ou
révocation d’ordonnance de rapport volontaire) ou par une autre
disposition pour cause de mort manifestant la volonté du DC de
s’écarter de la vocation légale :
Une ordonnance de rapport :
Les ordonnances légales de rapport : il y a
ordonnance légale de rapport dans les situations
prévues aux art. 626 al. 2 et 631 al. 1 CC. Les
deux règles ont un caractère de droit dispositif.
L’ordonnance volontaire de rapport : pour toutes
les autres attributions entre vifs, l’art. 626 al. 1
précise qu’il n’y a rapport que si la libéralité a été
reçue à titre d’avancement d’hoirie. Le DC doit
donc avoir signifié au bénéficiaire, au plus tard au
moment de la libéralité, que celle-ci devait être
rapportée. L’ordonnance volontaire de rapport (par
opposition à l’ordonnance légale) est une
disposition pour cause de mort au sens matériel
mais sa validité ne dépend pas de sa figuration
dans un testament ou dans un pacte successoral.
L’ordonnance de rapport doit être faite au plus tard
IUR III 2012-2013 27
Jérémy Stauffacher Droit des Successions
au moment de la libéralité : le DC ne peut donc
pas qualifier par la suite d’avancement d’hoirie ce
qu’il a donné sans restriction (sauf lorsque le DC
s’est réservé le droit d’ordonner le rapport
ultérieurement, lorsque l’ordonnance postérieure
est acceptée par le bénéficiaire ou lorsque
l’ordonnance postérieure ne fait que prolonger
l’effet d’une ordonnance légale de rapport).
Pas d’infirmation de l’ordonnance de rapport :
l’ordonnance légale de rapport prévue aux art. 626 al. 2
et 631 al. 1 CC (droit dispositif) comme l’ordonnance
volontaire de rapport faite par le DC lors de la libéralité
(ou postérieurement si cela est valable) ne produisent
leurs effets à l’ouverture de la succession que si, entre
temps, elles n’ont pas été infirmées. En effet, le rapport
successoral n’est qu’un instrument mis à disposition du
DC pour lui permettre de faire des libéralités ente vifs
sans pour autant bouleverser l’équilibre entre héritiers.
De ce fait, il reste libre (sauf règles sur les réserves) de
suivre ou non cette voie. Dès lors, l’ordonnance de
rapport peut être infirmée par deux voies : soit par une
dispense de rapport, soit par d’autres dispositions pour
cause de mort ayant pour effet indirect de supprimer
l’ordonnance de rapport précédemment établie :
La dispense de rapport : il s’agit d’une MdV par
laquelle le DC dispense du rapport légal un
descendant qui y serait en principe tenu (en vertu
des art. 626 al. 2 et 631 al. 1 CC) ou révoque une
ordonnance de rapport volontaire qu’il a faite
précédemment. Dans les deux cas, il s’agit d’une
disposition pour cause de mort au sens matériel
soumise à aucune exigence de forme. Toutefois,
lorsque le DC veut dispenser un descendant de
rapporter ce qu’il a reçu à titre de dotation, la loi
IUR III 2012-2013 28
Jérémy Stauffacher Droit des Successions
exige que la dispense de rapport soit expresse
(art. 626 al. 2, au contraire de l’art. 631 al. 1).
Cette exigence ne vaut que dans la mesure où la
libéralité faite n’excède pas la part successorale.
Pour l’excédent, l’art. 629 al. 1 admet la dispense
de rapport conformément au principe général : il
suffit donc que la preuve puisse être faite que telle
était la volonté du disposant. L’art. 629 al. 2
présume même la dispense de rapport de
l’excédent lorsque la libéralité a été faite en faveur
de descendants à titre de dotation à l’occasion de
leur mariage (art. 626 al. 2 CC). Précisons que la
dispense de rapport peut être antérieure,
concomitante ou postérieure à la libéralité. Si elle
a été communiquée au bénéficiaire ou à des tiers,
elle est alors irrévocable (ordonnance postérieure).
Les autres dispositions entraînant indirectement
l’infirmation de l’ordonnance de rapport : si le
rapport s’inscrit dans une succession ab intestat
(rapport proprement dit), il a pour but de permettre
au DC de faire des libéralités entre vifs sans
remettre en cause l’échelle des valeurs entre les
héritiers : il n’y a donc rapport (légal, art. 626 al. 2
ou 631 al. 1 CC, ou volontaire, art. 626 al. 1) que
si le bénéficiaire de la libéralité est un héritier légal
(ab intestat). Ainsi, si après avoir fait la libéralité
rapportable le DC prend des dispositions pour
cause de mort qui modifient cette échelle des
valeurs, les conditions du rapport proprement dit
ne sont plus remplies car celui-ci a perdu son
fondement. Le DC a en effet manifesté sa volonté
de traiter les héritiers de manière inéquitable : il n’y
a donc plus aucune raison d’admettre un rapport.
Ce genre de dispositions pour cause de mort
IUR III 2012-2013 29
Jérémy Stauffacher Droit des Successions
entraîne donc indirectement l’infirmation de
l’ordonnance légale ou volontaire de rapport
proprement dit. La situation est différente lorsque
le DC a lui-même ordonné le rapport alors que
l’échelle des valeurs entre héritiers était déjà
modifiée : une modification ultérieure ne change
donc rien à la situation : le rapport est nécessaire.
- L’obligation de rapporter : pour être tenu au rapport, l’héritier doit avoir
l’obligation de rapport l’avancement d’hoirie et ce au moment du
partage de la succession. Il doit donc être débiteur du rapport.
Forcément, un ou plusieurs créanciers doivent également exister et
exiger le rapport. Enfin, l’obligation de rapport ne doit pas s’être éteinte
dans l’intervalle (entre le moment de la libéralité et le moment du
partage de la succession). Cette deuxième condition s’analyse donc au
moment du partage de la succession, au contraire de la première qui
s’analyse au moment de la libéralité.
o Le débiteur du rapport : en principe, le débiteur du rapport est le
bénéficiaire de l’avancement d’hoirie. Malgré tout, la loi impose
parfois à d’autres personnes que le bénéficiaire de la libéralité
de procéder au rapport en lieu et place de celui-ci :
Le bénéficiaire de l’avancement d’hoirie : le bénéficiaire
n’est tenu au rapport que s’il est effectivement devenu
héritier du DC. Il faut donc d’abord qu’il ait la qualité
d’héritier. Ainsi, il ne doit pas y avoir renoncé par un
pacte de renonciation conclu avec le DC (art. 495 CC) ni
avoir été exhérédé par ce dernier (art. 477 ss CC).
Ensuite, il faut qu’il ait la capacité de succéder au DC, et
donc qu’il soit encore en vie au moment de l’ouverture de
la succession, qu’il ait à ce moment là la jouissance des
droits civils et qu’il ne soit pas indigne (art. 539 ss CC).
Enfin, il faut que le bénéficiaire devenu héritier soit
encore héritier jusqu’au moment du partage. Il ne doit
donc pas avoir répudié la succession (art. 566 ss CC).
IUR III 2012-2013 30
Jérémy Stauffacher Droit des Successions
Le rapport pour autrui (3.2.2 ; 3.2.3) : si le bénéficiaire
perd sa qualité d’héritier (renonciation, exhérédation,
prédécès, indignité ou encore répudiation) avant ou après
l’ouverture de la succession, ceux qui prennent sa part
sont soumis au rapport en son lieu et place (art. 627 al. 1)
si les conditions suivantes sont remplies :
La part du bénéficiaire de la libéralité est attribuée
à d’autres personnes en lieu et place de ce
bénéficiaire. Tel est notamment le cas lorsque les
descendants du bénéficiaire deviennent héritiers
par représentation successorale dans la
succession ab intestat (prédécès, art. 457 al. 3,
458 al. 3 et 459 al. 3, exhérédation ordinaire,
art. 458 al. 2-3, indignité, art. 541 et répudiation,
art. 572 al. 1) ou lorsque la part des cohéritiers du
bénéficiaire s’accroît du fait que le bénéficiaire ne
vient pas à la succession.
Le DC ne doit pas avoir dispensé du rapport pour
autrui : l’art. 627 CC ne réserve pas cette
possibilité mais la règle est de droit dispositif.
Enfin, il faut que le ou les héritiers qui recueille(nt)
la part du bénéficiaire de l’avancement soi(en)t en
concours avec d’autres héritiers envers qui
l’absence de rapport constitueraient une rupture
d’égalité de traitement découlant de l’ordonnance.
o Le créancier du rapport : il faut distinguer selon qu’il s’agit d’un
rapport légal (art. 626 al. 2 et 631 al. 1 CC, dont on peut
rapprocher le rapprochement volontaire présumé) ou d’un
rapport volontaire (art. 626 al. 1 CC, dont on peut rapprocher le
rapport volontaire improprement dit) :
En cas de rapport légal : en cas de rapport légal
proprement dit (art. 626 al. 2 et 631 al. 1) ou de rapport
volontaire présumé, la situation concerne toujours un
IUR III 2012-2013 31
Jérémy Stauffacher Droit des Successions
descendant (P1). La qualité de créancier du rapport est
subordonnée aux deux conditions suivantes :
Il faut être héritier du DC au moment du partage
de la succession. Ainsi, les héritiers qui ont perdu
cette qualité après l’ouverture de la succession et
les légataires ne sont pas créanciers du rapport.
Il faut être héritier légal, et donc descendant,
conjoint ou partenaire enregistré survivant.
En cas de rapport volontaire : l’art. 626 al. 1 prévoit que
les héritiers légaux sont tenus l’un envers l’autre du
rapport ordonné par le DC (règle de droit dispositif).
o L’obligation de rapporter non éteinte : enfin, le rapport n’est dû
lors du partage que si l’obligation de rapporter ne s’est pas
éteinte dans l’intervalle. Il y a extinction dans deux cas :
confusion (3.2.4 ; qualités de débiteurs et de créanciers réunies,
art. 118 al. 1 CO) et renonciation (créanciers du rapport qui
renoncent à faire valoir leurs droits, art. 115 CO).
Les conditions du rapport ayant été examinées (avancement d’hoirie et
obligation de rapporter), il convient de présenter les effets du rapport en
analysant successivement les modes, la valeur, l’étendue du rapport et enfin
la mise en œuvre judiciaire des règles sur le rapport :
- Les modes de rapport : selon l’art. 628 al. 1, l’héritier tenu au rapport
peut choisir entre le rapport en nature ou le rapport par imputation.
- La valeur du rapport : l’ensemble des règles prévues par le CC en
matière d’estimation de la valeur du rapport est de droit dispositif, le
DC peut donc les modifier à sa guise. Selon le système légal, si le
bénéficiaire n’a pas aliéné l’objet de l’avancement d’hoirie, le moment
déterminant est le jour de l’ouverture de la succession (au sens des
art. 630 al. 1 et 537 al. 2 CC). Si par contre il a aliéné l’objet avant
l’ouverture de la succession, le rapport a lieu selon le prix de vente des
choses aliénées (art. 630 al. 1 in fine CC). Les rapports s’ajoutant aux
BE, leur estimation fonctionne selon les mêmes règles que ces-
derniers. Il faut donc en principe estimer les biens à leur valeur vénale.
IUR III 2012-2013 32
Jérémy Stauffacher Droit des Successions
Pour les avancements d’hoirie faits sous forme d’un montant en argent,
le rapport se fait à la valeur nominale sans intérêts. Si l’attribution est
une donation mixte (negotium mixtum cum donatione), seule la partie
gratuite est soumise au rapport. La valeur de cette part est fixée selon
la méthode de la proportionnalité, qui consiste à déterminer au moment
de l’avancement d’hoirie quelle fraction représente la partie gratuite
pour ensuite appliquer cette fraction à la valeur du bien lors de
l’ouverture de la succession. Ainsi, si un DC cède à un héritier un
terrain valant 90'000 francs pour un prix de 60'000 francs, la part
gratuit et de 1/3. Dès lors, si au moment de l’ouverture de la
succession l’héritier doit rapporter la part gratuite du terrain valant
désormais 150'000, il devra en rapporter 1/3, soit 50'000 francs.
Lorsque le bien subit une modification de valeur entre l’avancement
d’hoirie et l’ouverture de la succession, la situation est différente. Selon
l’art. 630 al. 2 CC, il faut appliquer à ce genre de situation les
dispositions sur les droits et les obligations du possesseur, à savoir les
art. 938-940 CC. Ce renvoi pose problème sur deux points. D’une part,
le débiteur du rapport (et donc en principe le bénéficiaire) n’est pas un
possesseur illégitime puisqu’il est le légitime propriétaire du bien et
d’autre part parce qu’il ne peut être ni de bonne ni de mauvaise foi,
étant conscient qu’il devrait probablement un jour rapporter le bien.
Dès lors, il convient d’analyser l’application de ces art. 938-940 CC
pour chaque type de problème qui peut se poser :
o Jouissance : l’art. 938 al. 1 est applicable par analogie : le
débiteur du rapport peut librement percevoir les fruits du bien à
rapporter conformément à son droit présumé. Cela signifie que
le débiteur doit s’en tenir à une jouissance normale du bien
rapportable, sans mettre en cause la substance de celui-ci. Dès
lors, en cas d’abus, il est tenu de verser une indemnité aux
différents créanciers du rapport (rapport vidé de tout intérêt).
o Impenses : l’art. 939 CC s’applique lui-aussi par analogie. Le
débiteur peut donc demander le remboursement des impenses
nécessaires et utiles, seulement dans la mesure où celles-ci
IUR III 2012-2013 33
Jérémy Stauffacher Droit des Successions
dépassent la valeur des fruits perçus. Il peut en outre récupérer
ce qu’il a uni à la chose par des impenses somptuaires.
o Dommage et perte de la chose : l’art. 940 al. 1 et 3 est encore
une fois applicable par analogie. Le débiteur du rapport répond,
s’il a commis une faute, des détériorations causées au bien ainsi
que de la perte ou destruction de celui-ci. La condition de la
faute est justifiée : le débiteur est en effet propriétaire du bien et
n’est pas sûr, avant l’ouverture de la succession, que le bien
devra être rapporté, justifiant un régime moins sévère.
o Aliénation : l’art. 630 al. 1 in fine est applicable (directement ou
par analogie, peu importe) : le débiteur, en tant que propriétaire,
a le droit d’aliéner l’objet du rapport (par une vente, une
donation ou la constitution d’un DRL). Si l’aliénation a lieu
moyennant versement d’une somme d’argent (adaptée au bien
aliéné), cette somme doit être rapportée. Dans les autres cas
(échange, donation mixte ou totale ou autre), le montant
rapportable est déterminé en fonction de la valeur vénale du
bien au moment de l’aliénation (art. 630 al. 1 in fine).
- L’étendue du rapport : en principe, le débiteur doit rapporter l’entier de
l’avancement d’hoirie. Dans deux cas toutefois, la dette de rapport est
limitée à une partie de l’avancement d’hoirie pour tenir compte de
circonstances particulières : lorsque le montant rapportable excède la
part héréditaire et que l’héritier est dispensé du rapport de l’excédant
ou lorsqu’une partie de l’avancement d’hoirie a déjà dû être restitué :
o Libéralités excédant la part héréditaire : en principe, lorsque le
DC fait un AdH, la libéralité est inférieure à la part que recevra
probablement le bénéficiaire dans la succession. Ainsi,
l’imputation du montant pourra se faire facilement et l’attributaire
recevra au moment du partage un montant supplémentaire. Il
peut toutefois arriver que la libéralité excède la part héréditaire
(notamment si le patrimoine du DC a fortement diminué au fil du
temps ou qu’au contraire la valeur du bien reçu a augmenté).
Dès lors, l’attributaire devrait rapporter un montant plus élevé
IUR III 2012-2013 34
Jérémy Stauffacher Droit des Successions
que sa part héréditaire et aurait donc intérêt à répudier la
succession pour échapper à l’obligation de rapport. L’art. 629
n’exclut toutefois pas la possibilité de rapporter au-delà de sa
part, il présume que le DC dispense l’attributaire d’un tel rapport
lorsque l’AdH a été fait pour contribuer à l’établissement d’un
descendant à l’occasion de son mariage. Dans les autres cas, le
DC peut dispenser l’attributaire du rapport de l’excédent mais
cela n’est pas présumé. Précisons que l’excédent correspond
au montant rapportable estimé au moment de l’ouverture de la
succession, déduction faite de la valeur de la part héréditaire
(schémas sur le calcul de l’excédent : 3.3.1 ; 3.3.2).
o Libéralités déjà réduites au titre du régime matrimonial (en cas
de régime matrimonial de la participation aux acquêts).
- La mise en œuvre judiciaire sur les rapports : en principe, les
créanciers du rapport doivent agir en exécution par une action en
partage et demander que le débiteur du rapport soit condamné au
rapport. Préalable ou partie de l’action en partage, l’action en rapport
n’est soumise à aucun délai et le jugement ne produit d’effets qu’entre
les parties au procès (for déterminé par l’art. 18 al. 1 LFors).
§8. Les dettes du de cuius
En principe, les héritiers sont tenus de par la loi de toutes les dettes du DC,
dont ils répondent personnellement (art. 560 al. 1 CC). S’il y a plusieurs
héritiers, ceux-ci sont solidairement responsables des dettes (art. 603 al. 1).
L’art. 560 al. 2 réserve toutefois les exceptions prévues par la loi. Il s’agit des
cas où les héritiers, sans aller jusqu’à la répudiation, souhaitent limiter leur
responsabilité en acceptant la succession sous bénéfice d’inventaire au sens
des art. 589 ss CC ou en demandant la liquidation officielle de celle-ci selon
les art. 593 ss CC. Pour déterminer la MàP, il faut déduire les dettes des
actifs successoraux. Les dettes du DC comprennent toutes les dettes
transmissibles que celui-ci avait au moment de l’ouverture de la succession.
De plus, l’art. 603 al. 2 CC y assimile les indemnités dues aux enfants et
petits-enfants qui ont fourni des prestations au ménage commun :
IUR III 2012-2013 35
Jérémy Stauffacher Droit des Successions
- Les dettes transmissibles du DC : toutes les dettes sont en principe
transmissibles (dettes hypothécaires, dettes envers le conjoint
découlant de la liquidation du régime matrimonial, cautionnement,
art. 591 CC, dettes résultant d’actes illicites et autres). Malgré tout,
certaines dettes s’éteignent à la mort du débiteur (en particulier les
dettes d’entretien du droit de la famille, art. 124 ss, 163 ss, 276 ss et
328 CC, les dettes éminemment personnelles, art 338, 379 al. 1 et
405 al. 1 CO ou les amendes fiscales infligées au DC).
- Les indemnités dues pour les sacrifices faits pour la famille : parfois, un
enfant ou un petit-enfant majeur vivant avec le DC consacrait son
travail ou ses revenus soit au DC lui-même soit à la communauté
familiale, soit encore à l’entreprise du DC. S’il n’est pas indemnisé, les
autres héritiers profitent alors de son travail, qui a permis
l’accroissement (ou au moins le maintien) de la fortune du DC. Pour
rétablir l’égalité entre héritiers, les art. 334 et 334bis CC prévoient
l’octroi d’une indemnité équitable aux descendants ayant fait des
sacrifices pour la famille. L’art. 603 al. 2 précise que cette indemnité
est alors comprise dans les dettes du DC. Les conditions du droit à
l’indemnité peuvent être classées en trois types :
o Créancier : il peut s’agir d’un (ou de plusieurs) enfant(s) ou
petit(s)-enfant(s) majeur(s) du DC. Il n’est en outre pas
nécessaire qu’ils soient eux-mêmes héritiers du DC.
o Débiteur : selon l’art. 334bis al. 2 CC, il s’agit du bénéficiaire des
prestations correspondantes et donc du père, de la mère, du
grand-père ou de la grand-mère. Si les prétentions sont liées à
une entreprise, le bénéficiaire doit être propriétaire de celle-ci ou
tout du moins en assumer la responsabilité.
o Conditions matérielles : il existe 4 conditions matérielles :
Le créancier et le débiteur doivent avoir fait ménage
commun (art. 334 al. 1 CC) et donc avoir vécu en
communauté d’habitation et d’entretien.
L’enfant ou le petit-enfant doit avoir consacré son travail
et/ou ses revenus à ses (grands-)parents (art. 334 al. 1).
IUR III 2012-2013 36
Jérémy Stauffacher Droit des Successions
L’enfant ou le petit-enfant ne doit pas avoir été rémunéré.
L’ayant droit ne doit pas avoir renoncé à l’indemnité.
Concernant le montant de l’indemnité, l’ayant droit doit recevoir une
indemnité équitable (art. 4 et 334 al. 2 CC). Le montant ne pourra être
supérieur à ce que l’ayant droit aurait pu épargner en accomplissant le
même travail au service d’un tiers. De plus, lorsqu’elle est octroyée à
l’occasion du décès du bénéficiaire, l’indemnité ne doit pas excéder les
possibilités de la succession (et donc l’actif successoral, art. 603 al. 2).
§9. Les dettes de la succession
A côté des dettes du DC, il faut également tenir compte de certaines autres
dettes qui résultent de l’ouverture même de la succession (6 catégories
présentées ci-dessous). Ces dettes sont, dans une certaine mesure, à la
charge des héritiers et réduisent donc le montant total à partager. Pas
mentionnées à l’art. 560 al. 2 car naissant après l’ouverture de la succession,
elles ne sont pas non plus visées par l’art. 603 al. 1 qui ne régit que les dettes
du défunt. Certaines sont par contre énumérées à l’art. 474 al. 2 en relation
avec la succession volontaire. Il convient de les présenter :
- Les frais funéraires : mentionnés à l’art. 474 al. 2, ces frais recouvrent
l’ensemble des dépenses liées aux obsèques (selon l’usage local, la
situation financière du DC et éventuellement ses propres vœux).
- Les frais de la dévolution : également mentionnés à l’art. 474 al. 2, ces
vrais recouvrent toutes les dépenses nécessaires pour que la
succession puisse être liquidée conformément à la loi (frais de scellés,
art. 552, frais d’inventaire, art. 553 et 584 al. 2, administration d’office,
art. 554, appel aux héritiers, art. 555, expertise des actifs, liquidation
officielle de la succession, art. 590 ss, rémunération de l’exécuteur
testamentaire, art. 517 ss, et autres frais divers).
- Les frais nécessités par la gestion des biens successoraux : bien que
non mentionnés dans la loi, ces frais (frais nécessaire à la continuation
IUR III 2012-2013 37
Jérémy Stauffacher Droit des Successions
de l’entreprise du défunt, frais d’entretien d’un immeuble ou autres)
doivent être considérés comme des dettes de la succession.
- Les frais d’entretien pendant un mois des héritiers qui faisaient
ménage commun avec le DC : la succession doit ainsi prendre en
charge, durant le mois qui suit le décès, l’ensemble des frais
d’entretien des héritiers qui étaient logés et nourris dans la demeure et
aux frais du DC (art. 474 al. 2, qui renvoie à l’art. 606 CC).
- Les frais d’entretien de la mère d’un enfant conçu, héritier du DC :
l’enfant conçu ne peut hériter que s’il naît vivant (art. 544 et 31 al. 2).
Avant cela, la mère peut faire valoir contre les héritiers une créance
tendant à l’octroi des moyens nécessaires (art. 605 al. 1-2). Il s’agit de
la reprise en droit suisse du principe romain missio ventris causa.
- L’indemnité due aux enfants encore en formation ou infirmes : prévue à
l’art. 631 al. 2, cette indemnité poursuit deux buts radicalement
différents (en fonction des deux hypothèses visées) : le premier est de
rétablir une certaine égalité entre les enfants du DC lorsque certains
ont pu bénéficié d’une formation complète financée par le DC alors que
d’autres sont encore en formation. Le second est au contraire
d’avantager financièrement les enfants infirmes, auxquels le DC aurait
certainement apporté un soutien financier accru. Pour atteindre ces
deux buts (liés au final à l’égalité), la loi prévoit le prélèvement d’une
indemnité équitable au titre de dettes de la succession.
6. Cours du 23 octobre 2012
Titre 2. Vocation volontaire
§10. Généralités
Il y a vocation successorale volontaire lorsque le titre en vertu duquel le
successeur est appelé est la volonté du DC et non pas la loi. Cette volonté est
exprimée par une disposition pour cause de mort (ce qui explique l’intitulé du
titre 14ème du CC, art. 467-536 CC). La structure de ce titre permettra
d’organiser les développements (chapitre 1-6 : §11-34) mais il est tout d’abord
IUR III 2012-2013 38
Jérémy Stauffacher Droit des Successions
nécessaire de définir les dispositions pour cause de mort puis de préciser la
relation entre vocation volontaire et vocation légale.
Une disposition pour cause de mort est un acte juridique par lequel une
personne prend une mesure qui a un effet sur la transmission de son
patrimoine à son décès. Les volontés exprimées par le DC à propos du
déroulement des obsèques, du don d’organes ou d’autres points similaires ne
sont donc pas des dispositions pour cause de mort car elles n’ont pas trait à
la transmission du patrimoine. Seul le DC peut prendre des disposition pour
cause de mort : toute forme de représentation, légale ou volontaire, ainsi que
toute intervention de tiers sont exclues. L’expression dispositions pour cause
de mort peut désigner le contenu de la volonté exprimée ou la forme donnée
à l’expression de cette volonté. On distingue ainsi entre les dispositions pour
cause de mort (DpCM) au sens matériel (contenu) et au sens formel (forme) :
- Les DpCM au sens matériel (contenu) : il s’agit des modes de disposer
au sens des art. 481-497 CC, à savoir les différentes possibilités
offertes au DC par rapport au contenu des DpCM. Il peut s’agir :
o D’un acte d’attribution de tout ou partie du patrimoine ou de
certains biens : l’acte vise alors le transfert de la propriété aux
héritiers (universels) ou la désignation de légataire (particuliers).
o D’un acte sans caractère attributif : l’acte peut consister en une
condition, une charge, des règles de partage, la désignation
d’un exécuteur testamentaire ou encore une exhérédation.
- Les DpCM au sens formel (forme) : les dispositions des art. 481-497
ne sont valables que si elles sont revêtues d’une certaine forme. Ainsi,
les art. 498-516 CC régissent les actes de disposition pour cause de
mort, à savoir le testament ou le pacte successoral :
o Le testament : il s’agit de l’acte unilatéral de DpCM résultant de
la déclaration de volonté d’une seule personne (testateur ou
disposant, seul maître de l’acte). Le testateur est libre de
modifier ou de révoquer le testament : il s’agit donc d’un acte de
dernière volonté, censé représenté la volonté actuelle et future
IUR III 2012-2013 39
Jérémy Stauffacher Droit des Successions
du DC. Les dispositions prises par testament sont donc
appelées dispositions de dernière volonté.
o Le pacte successoral : il s’agit de l’acte bilatéral de DpCM
(contrat) résultant de l’échange de déclarations de volonté
concordantes de deux personnes (DC et cocontractant). On
distingue en outre deux types de pactes successoraux :
Le pacte d’attribution (positif) : le disposant institue
héritier le cocontractant ou un tiers, ou fait un legs.
Le pacte de renonciation (abdicatif) : un héritier
présomptif renonce à la succession du disposant.
Dans les deux cas, le disposant n’est pas maître de l’acte
(volonté des deux parties). Ni l’une ni l’autre ne peuvent donc
modifier ou révoquer le pacte : il ne correspond donc pas
forcément à la dernière volonté du DC puisqu’il n’est pas
librement modifiable par celui-ci (le DC est lié par son contenu).
Il est important de distinguer les DpCM (au sens matériel) des actes entre
vifs. En effet, des actes au but presque identique sont pourtant soumis à des
règles totalement différentes (capacité, représentation, forme, invalidation)
selon qu’ils sont fait entre vifs ou pour cause de mort. Le critère de distinction
choisi par la jurisprudence est le moment à partir duquel l’acte produit ses
effets : si l’acte doit produire ses effets à la mort du DC, il s‘agit d’une DpCM.
Au contraire, s’il produit déjà ses effets pendant la vie de celui-ci, il s’agit d’un
acte entre vifs (un contrat conclu pendant la vie du DC mais dont le terme est
la mort de ce-dernier est un acte entre vifs car le DC est lié durant sa vie).
Avant de passer au relation entre la succession volontaire et la succession
légale, il est nécessaire de parler de l’interprétation des DpCM. Bien que
soumises à une forme rigoureuse, les DpCM sont sujettes à interprétation.
Pour établir la réelle intention du DC, on se réfère aux 8 principes suivants :
- L’interprétation peut s’appuyer sur les différentes présomptions légales
établies dans le CC : art. 483 al. 2, 484 al. 3, 486 al. 3, 511, 522 al. 2,
608 al. 3, 539 al. 2, 626 al. 2, 629 ou encore 631 al. 1 CC.
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- L’interprétation ne peut conduire (pour les testaments) à établir une
volonté que le DC n’a absolument pas voulu. Le résultat ne peut donc
porter que sur une volonté qui a trouvé une expression quelconque
(même confuse et incomplète ; rattachement à la volonté exprimée).
- Si la volonté doit être exprimée dans une certaine forme, on présume
que l’expression donnée correspond à la volonté effective. Le texte de
l’acte pour cause de mort doit donc être le premier point d’appui. Dès
lors, le TF estime que si le texte est clair, il n’y a rien à interpréter
(principe d’univocité). Cette affirmation semble excessive : en effet,
considérer que le texte est clair est déjà une étape d’interprétation.
- Le deuxième point d’appui doit être la logique interne de l’acte. Il faut le
considérer dans son ensemble (logique systématique).
- Il reste possible de recourir à des éléments extrinsèques (déclarations
verbales du DC, notes laissées, liens sociaux, milieu, connaissances
culturelles, professionnelles ou juridiques) pour préciser l’interprétation.
- La recherche de l’intention réelle du DC ne doit pas être limitée par des
considérations liées à la sécurité des transactions. La manière dont un
tiers a pu comprendre la MdV n’a donc qu’un impact mineur. Le
principe s’applique également aux pactes successoraux, sauf lorsque
ceux-ci ont un caractère onéreux. Dans ce cas, le cocontractant peut
se baser sur le principe de la confiance pour fonder son avis.
- En cas de doute, l’interprétation qui maintien les DpCM doit être
favorisée, au détriment de celle qui conduit à les déclarer nulles ou
caduques (principe du favor testamenti, art. 469 al. 3, 482 al. 3 ou
encore 539 al. 2 CC). Ce principe rend possible la conversion d’une
DpCM viciée en une autre valable.
- En prenant ses DpCM, le DC avait comme base de réflexion la
succession légale. Il a ainsi voulu la confirmer, la compléter ou
l’exclure. Sauf en cas d’exclusion totale, il est donc possible de recourir
au texte légal pour interpréter ses dispositions. Ainsi, en cas de doute,
on choisira plutôt la solution qui maintient l’échelle des valeurs de la
succession légale (art. 522 al. 2 ou encore 608 al. 3 CC).
IUR III 2012-2013 41
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En principe, la relation entre succession volontaire et succession légale peut
être précisée en développant trois points :
- L’ordre de succession légal (art. 457-466 CC) jouit d’une primauté sur
l’ordre volontaire (art. 467-536 CC) : il s’applique en effet aussi
longtemps que le DC ne l’a pas écarté ou modifé. L’ordre légal est
donc la règle et la succession volontaire l’exception.
- L’ordre volontaire jouit donc logiquement d’une primauté sur l’ordre
légal : le DC peut en effet librement décider d’écarter l’ordre légal en
faisant usage de sa liberté de disposer. Cette possibilité de modifier
l’échelle des valeurs de l’ordre légal est essentielle dans notre droit des
successions puisqu’elle est le prolongement de la propriété privée.
- Malgré tout, la loi limite la liberté de disposer en permettant à certains
héritiers d’exiger au moins une fraction de leur part légale (il s’agit de la
réserve héréditaire, art. 470-480 CC). Dès lors, l’échelle de valeur de la
succession s’impose au DC pour certains héritiers et une certaine part.
Vocation légale et vocation volontaire ne sont pas incompatibles : la règle du
droit romain qui veut que nul ne puisse décéder alors que sa succession est
réglée en partie par testament et en partie sans (nemo partim testatus partim
intestatus decedere potest) ne s’applique donc pas en droit suisse, comme le
confirme l’art. 481 al. 1 CC. Selon le principe de la primauté de l’ordre légal,
l’art. 481 al. 2précise que les biens dont le défunt n’a point disposé passent à
ses héritiers légaux. Les règles de la succession légale s’appliquent donc à
toute la partie de la succession pour laquelle le DC n’a pas pris de DpCM. Si
le DC a institué héritiers ses propres héritiers légaux, on présumera qu’il a
simplement voulu confirmer l’ordre légal. De même, en cas de prédécès d’un
héritier légal institué, on applique les principes des art. 457-459 CC.
Comme dit précédemment, la structure du titre 14ème du CC permet de
construire le plan du résumé : ainsi, les 6 prochains chapitre (et donc les
paragraphes 11 à 34 du livre et du résumé) seront les suivants :
- Chapitre 1 (art. 467-469 CC) : qui peut prendre des dispositions pour
cause de mort, qui a la capacité et la volonté de disposer ?
- Chapitre 2 (art. 470-480 CC) : de quoi peut disposer le DC ?
IUR III 2012-2013 42
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- Chapitre 3 (art. 481-497 CC) : comment disposer du point de vue
matériel, quels sont les modes de disposer que le DC peut utiliser ?
- Chapitre 4 (art. 498-508 CC) : quelle forme doivent revêtir les DpCM ?
- Chapitre 5 (art. 509-516 CC) : quand les DpCM sont-elles caduques ?
- Chapitre 6 (art. 519-536 CC) : quelle est la sanction des règles légale,
comment est organisée la mise en œuvre judiciaire des règles ?
Chapitre 1. Capacité et volonté de disposer
§11. Capacité de disposer
Toute intervention de tiers ou délégation de compétence étant exclues, les
règles sur la capacité de disposer pour cause de mort ont une importance
particulière. Les DpCM ne peuvent être prises que par le DC lui-même : s’il
n’agit pas ou n’a pas la capacité de disposer, c’est la vocation légale qui
s’applique par défaut. Pour le reste, le CC distingue deux situations :
- La capacité de disposer par testament : la capacité de tester est
soumise à deux conditions cumulatives (art. 467 CC) :
o La capacité de discernement (art. 16) : elle est admise lorsque
la personne a la faculté d’agir raisonnablement (mesurer la
portée de son comportement, aspect intellectuel, se comporter
en conséquence, aspect volontaire). Est également considéré
comme capable celui qui n’a pas cette faculté en raison d’une
cause d’altération autre que celles énoncées à l’art. 16 CC.
o L’âge de 18 ans révolus : cette condition garantit que le
testateur jouit d’une certaine maturité de jugement et de volonté.
- La capacité de disposer par pacte successoral : l’art. 468 CC exige la
capacité de discernement et la majorité. Toutefois, cet article ne règle
que la capacité de celui qui dispose pour cause de mort dans le pacte.
Il faut donc distinguer deux situations : si une seule partie prend une
DpCM et que l’autre ne fait qu’accepter ou promettre un avantage
entre vifs, la capacité du disposant est régie par l’art. 468 alors que
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celle du cocontractant dépend des règles ordinaires. Si par contre les
deux parties disposent pour cause de mort (institution réciproque), la
capacité de disposer des deux parties est régie par l’art. 468 CC :
o La capacité du (des) disposant(s) (art. 468 CC) : la capacité de
disposer par pacte successoral se distingue de la capacité de
tester en ce qu’elle nécessite que le disposant ait l’exercice des
droits civils. Dès lors, les mineurs et les interdits (même
capables de discernement) ne peuvent pas disposer
valablement par le biais d’un pacte successoral.
o La capacité du cocontractant : le cocontractant ne disposant pas
pour cause de mort, sa capacité dépend des règles ordinaires
sur la capacité civile active et passive (art. 12-19 CC).
En cas d’incapacité de disposer, les DpCM prises peuvent être annulées aux
conditions de l’art. 519 al. 1 ch. 1 CC. Il faut toutefois distinguer deux cas :
- L’incapacité a été constatée après le décès : dans ce cas, une action
en nullité (art. 519 CC) est nécessaire pour faire constater la nullité.
- L’incapacité a été constatée avant le décès : il faut alors encore
distinguer selon qu’il s’agit d’un testament ou d’un pacte successoral :
o Un testament : le DC (re)devenu capable peut révoquer le
testament et/ou en faire un nouveau (art. 509-511 CC). Dès lors,
le testament vicié sera caduc de plein droit et l’ouverture d’une
action en nullité ne sera donc pas nécessaire. Si le DC
conscient (ou non) du vice n’agit pas, les personnes lésées
doivent attendre le décès pour ouvrir action (art. 519 al. 1 ch. 1).
o Un pacte successoral : le disposant ou le cocontractant
(re)devenus capables peuvent en tout temps relever la nullité.
§12. Volonté de disposer
Les DpCM sont des MdV : elles sont donc en principe soumises aux règles
générales du CO, en particulier en ce qui concerne les vices de volonté
(renvoi aux art. 23-31 CO). L’art. 469 CC prévoit toutefois quelques règles
spéciales précisant la situation en matière successorale. Il convient donc de
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Jérémy Stauffacher Droit des Successions
présenter les principes, puis plus précisément les vices de volonté retenus en
matière successorale et enfin les conséquences qui y sont rattachées.
Comme dit précédemment, la sécurité des transactions ne joue pratiquement
aucun rôle en matière de DpCM : le principe de la confiance n’a donc en
principe aucune utilité. C’est en effet la volonté réelle du DC qui importe. Dès
lors, l’art. 469 CC s’écarte des règles du CO en admettant plus largement la
possibilité d’invoquer les vices de la volonté : sont ainsi nulles toutes les
dispositions que leur auteur a faites sous l’empire d’une erreur, d’un dol,
d’une menace ou d’une violence. Toutes les DpCM viciées peuvent être
attaquées par la voie de l’action en nullité (art. 519 al. 1 ch. 2 CC). Il faut donc
préciser le champ d’application de cet art. 469 CC :
- Quant au type de MdV : la règle de l’art. 469 CC n’est justifiée que si le
vice affecte une DpCM. Elle s’applique alors sans restriction aux
testaments. Par contre, elle ne concerne logiquement que les MdV du
disposant dans le cadre d’un pacte successoral. Malgré cela, le TF,
pour des raisons d’égalité entre le disposant et le cocontractant, a
considéré que l’erreur du disposant ne pouvait être retenue que si elle
se rapporte à des faits qu’il considérait comme nécessaires au contrat.
- Quant au vice affectant la volonté : l’art. 469 CC s’applique lorsque la
volonté de disposer existait mais était viciée (erreur, dol, crainte). Si
par contre le DC n’avait pas de volonté de disposer, l’acte est
inexistant. On peut envisager les deux cas suivants :
o La contrainte physique : le DC est victime d’une force absolue
(vis absoluta) qui le contraint à faire une DpCM. Dans de telles
conditions, on considère que le DC n’a pas fait de DpCM.
o Un désaccord voulu entre la volonté et la déclaration : l’auteur
agit alors par jeu ou dans un but didactique (démonstration).
Il est à présent nécessaire de présenter les différents vices de la volonté
retenus en matière successorale. Le vice doit être causal et avoir exercé une
influence déterminante sur le disposant. On doit pouvoir admettre que sans
cet influence le DC n’aurait pas disposé comme il l’a fait. Si le vice n’a affecté
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Jérémy Stauffacher Droit des Successions
que certaines clauses, seules ces clauses sont annulables (sauf si les
clauses doivent être considérées ensemble, art. 20 al. 2 CO) :
- L’erreur : toute erreur causale peut être retenue (en dérogation aux
règles du CO, et sous réserve du pacte successoral) :
o L’erreur de déclaration : le DC déclare, sans s’en apercevoir,
autre chose que ce qu’il voulait. Peu importe l’objet de l’erreur
(nature ou objet de la disposition, bénéficiaire, étendue).
o L’erreur sur les motifs : le DC prend alors une DpCM sur la base
d’une fausse représentation de la réalité (fondement erroné).
- Le dol : il s’agit du fait d’éveiller chez le disposant une fausse idée ou
d’exploiter un erreur commise pour l’amener à faire une DpCM. Peu
importe que le dol soit le fait du bénéficiaire ou d’un tiers.
- La crainte : même si l’art. 469 CC mentionne la crainte et la violence, il
s’agit en réalité de leur effet sur la volonté du disposant qui est visé
(crainte dans laquelle il se trouve du fait de la contrainte physique
exercée sur lui). Il n’est pas nécessaire que la crainte soit qualifiée (ou
fondée, au sens de l’art. 30 CO), il suffit qu’elle soit causale.
Pour terminer avec ce premier chapitre, nous parlerons des conséquences
des vices de la volonté. Il faut distinguer deux états de fait :
- Le DC est vivant : le DC qui découvre le dol ou l’erreur ou cesse d’être
sous l’empire de la crainte peut en tout temps révoquer son testament
mais doit alors respecter les formes prévues aux art. 509-511 CC. Il en
va de même pour le pacte successoral mais seulement dans l’année
après la découverte du dol ou de l’erreur ou après la cessation de l’état
de crainte (art. 469 al. 2 CC). Il y a donc un délai de péremption pour la
révocation des pactes successoraux. La révocation ne doit alors pas
respecter de forme particulière mais le DC doit la communiquer au
cocontractant, faute de quoi elle est nulle.
- Le DC est mort : si le DC est mort sans avoir révoqué (valablement) la
DpCM prise sous l’empire d’un vice de volonté, la disposition peut en
principe être annulée par une action en nullité (art. 519 al. 1 ch. 2 CC).
Il existe toutefois deux exceptions à ce principe d’annulation :
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Jérémy Stauffacher Droit des Successions
o L’exclusion de l’action en nullité : l’action est exclue lorsque le
disposant qui a découvert l’erreur ou le dol ou a cessé d’être
sous l’empire de la crainte n’a pas fait usage de son droit de
révocation dans le délai de péremption de l’art. 469 al. 2 CC
(pour les pactes). La disposition est maintenue car il faut nier le
caractère causal du vice de volonté. Il y a donc validation entre
vifs de l’acte vicié et l’action en nullité n’est plus admissible.
o La rectification de la disposition en cas d’erreur manifeste de
désignation : lorsque le DC a commis une erreur de déclaration
manifeste dans la désignation d’une personne ou d’une chose, il
serait exagéré d’annuler la disposition et de revenir à la vocation
légale. L’art. 469 al. 3 permet de rectifier la disposition si la
volonté réelle peut être constatée avec certitude. Pour ce faire,
l’ouverture d’une action n’est pas nécessaire, les intéressés
peuvent rectifier eux-mêmes la disposition. En outre, si le juge
est saisi, il doit, en plus d’annuler la disposition, lui substituer
une autre disposition correspond à la volonté du DC.
Chapitre 2. Liberté de disposer
La liberté du DC de disposer de ses biens pour cause de mort n’est illimitée :
le législateur a considéré qu’il ne pouvait pas se désintéresser totalement de
l’avenir matériel de ses proches parents et de son conjoint. Le CC assure
ainsi aux héritiers légaux proches une part de succession intangible (fraction
de leur droit de succession légale). Cette fraction est appelée la réserve
héréditaire et les héritiers (réservataires) peuvent, dans la mesure où elle
n’est pas respectée, tenir en échec la volonté exprimée par le DC par le biais
de l’action en réduction (ou de l’exception correspondante, art. 522 ss CC).
Lorsque le DC laisse des héritiers réservataires, la succession peut être
divisée en deux parties : la portion réservée (constituée par la somme des
réserves) et la quotité disponible (solde de la succession dont le DC peut
disposer librement). La réserve est respectée si celui qui y a droit reçoit le
IUR III 2012-2013 47
Jérémy Stauffacher Droit des Successions
montant correspondant (art. 522 al. 1 CC). Par contre, la manière importe
peu : le montant peut lui parvenir à titre d’héritier, de légataire ou par le biais
d’une libéralité entre vifs. Comme pour la détermination des parts légales, il
faut tout d’abord définir qui sont les héritiers réservataires (§13) et quelles
fractions de la succession leur reviennent (§14). Enfin, il faut bien entendu
préciser à quelle masse ces fractions doivent être appliquées (masse de
calcul des réserves et de la quotité disponible, §15).
§13. Les héritiers réservataires
Le CC désigne qui sont les héritiers réservataires (HR) à l’art. 470 al. 1 CC.
Ceux-ci n’ont toutefois droit à leur réserve que s’ils n’ont pas été
(valablement) exhérédés par le DC. Ainsi, sont en principe HR les proches
parents du DC (descendants du DC et père et mère) ainsi que le CPES, pour
autant qu’ils eussent été héritiers légaux en cas de vocation légale (la réserve
étant calculée sur la base de la part légale). Dès lors, les descendants sont
des HR seulement s’ils ne sont pas exclus de la succession par un ascendant
vivant (le petit-fils du DC n’est HR que si son père ou sa mère est
prédécédée). De même, les père et mère ne sont HR que s’il n’y a pas de
descendants. Le CPES, quant à lui, n’est réservataire que s’il était déjà et
encore marié ou en partenariat enregistré avec le DC au moment du décès.
Enfin, le réservataire qui ne vient pas à la succession (prédécès, renonciation,
exhérédation ou indignité) ou qui répudie celle-ci n’a plus droit à sa réserve.
Comme dit précédemment, les HR n’ont droit à leur réserve que s’ils n’ont
pas été valablement exhérédés par le DC. L’exhérédation est la DpCM de
dernière volonté (révocable en tout temps, même dans le cadre d’un pacte
successoral : le DC ne peut être lié par une clause d’exhérédation) par
laquelle le DC prive un HR de sa réserve. L’héritier non réservataire à qui le
DC préfère un tiers n’est ainsi pas exhérédé mais déshérité.
Quant aux espèces d’exhérédation, il en existe deux :
- L’exhérédation ordinaire (art. 477-479 CC) : elle trouve son fondement
dans le fait que la réserve se justifie par les liens de famille qui
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attachent le DC à ses proches. Si ces liens sont rompus, le disposant
peut priver l’héritier de sa réserve (exhérédation à caractère punitif) :
o Conditions : le HR doit avoir commis une infraction pénale grave
ou avoir gravement failli aux devoirs familiaux, sans que le DC
ne lui ait pardonné ses différents manquements :
Une infraction pénale grave : il doit s’agir d’une infraction
commise intentionnellement (crime ou délit). L’auteur
peut avoir agi à titre de complice ou d’instigateur et il
n’est pas non plus nécessaire que l’infraction soit
achevée (une tentative suffit). L’infraction doit enfin être
dirigée contre le DC ou l’un des proches de celui-ci.
Une violation grave des devoirs de famille : les devoirs de
famille englobent les devoirs découlant du droit du
mariage (art. 159 ss CC), du partenariat enregistré
(art. 12 ss LPart), du droit de la filiation (art. 272 ss CC)
ou du droit de la famille (art. 328 ss CC).
L’absence de pardon : s’il y a pardon, on présume que le
manquement de l’héritier n’a pas eu pour effet de détruire
définitivement les liens qui l’unissaient au DC. Le HR
peut donc prouvé que le DC lui a pardonné pour
contester la validité de l’exhérédation. Le pardon en tant
que tel ne fait donc pas cesser l’exhérédation, au
contraire de la situation de l’art. 540 al. 2 CC (indignité).
On considère par contre que les conditions matérielles de
l’exhérédation ne sont plus réunies s’il y a eu pardon.
o Formes : l’exhérédation doit figurer dans un testament ou dans
un pacte successoral. Elle consiste en une déclaration de
volonté. La loi exige en outre que la cause soit indiquée dans
l’acte qui l’ordonne de manière suffisamment précise pour que
le juge puisse contrôler la valeur du motif (art. 479 al. 1 CC).
o Effets : la personne totalement exhérédée ne devient pas
héritière du tout : elle n’a aucun droit sur les actifs mais ne
répond pas non plus des dettes et n’est pas tenue au rapport. Si
IUR III 2012-2013 49
Jérémy Stauffacher Droit des Successions
l’exhérédation n’est que partielle, l’exhérédé participe à la
succession pour la part qu’il lui reste selon ce qui est prévu par
le DC. Selon l’art. 478 al. 2, la réserve de l’exhérédé (ou la part
dont celui-ci est privée) augmente la quotité disponible, ce qui
peut avoir deux effets, suivant les choix du DC :
Si le DC n’a pas disposé de la part de l’exhérédé, celle-ci
est dévolue aux héritiers légaux du DC (art. 478 al. 2 :
comme si on considérait que l’exhérédé était précédé).
Si le DC a disposé de sa part, celle-ci va aux personnes
désignées, mais les descendants de l’exhérédé ont droit
à leur propre réserve (art. 478 al. 3 : là encore, la
situation est la même que si l’exhérédé était précédé).
o Contestation : l’exhérédation entachée d’un vice n’est pas nulle
de plein droit mais l’exhérédé peut en contester la validité grâce
à deux voies de droit (en fonction du vice invoqué) :
L’action en nullité (art. 519 ss CC) : l’exhérédé peut
intenter une action en nullité et invoquer les clauses
générales de nullités des DpCM (vice de volonté ou de
forme, art. 519 ch. 1-2, ou absence de capacité du DC,
art. 520 CC). Si l’action en nullité est admise,
l’exhérédation tombe et l’exhérédé retrouve toute sa part
légale (pas seulement le montant de sa réserve).
L’action en réduction (art. 522 ss CC) : si l’exhérédé ne
peut invoquer une clause générale de nullité mais
uniquement un vice propre à l’exhérédation, il doit
intenter une action en réduction. Si elle aboutit,
l’exhérédé ne reçoit que le montant de sa réserve. Cette
action doit être ouverte lorsque l’exhérédé se fonde sur la
cause de l’exhérédation (absente, insuffisante ou non
indiquée). L’action doit être dirigée contre l’héritier ou le
légataire qui profite de l’exhérédation (art. 479 al. 2).
- L’exhérédation d’un insolvable (art. 480 CC) : elle est liée au fait que la
réserve doit contribuer à assurer les conditions de vie des proches du
IUR III 2012-2013 50
Jérémy Stauffacher Droit des Successions
DC. Si le HR est insolvable, la réserve qu’il touche risque surtout de
servir à désintéresser ses nombreux créanciers. Dans le même ordre
d’idée, l’art. 524 al. 2 reconnaît d’ailleurs aux créanciers la faculté
d’ouvrir une action en réduction si le débiteur renonce à exiger sa
réserve. Toutefois, le législateur a considéré que la position des
créanciers était trop favorable lorsque le HR est un descendant ayant
lui-même des enfants. Ces derniers ne doivent en effet pas être lésés
du fait que la réserve forme la garantie des créanciers. Ainsi, le DC
peut priver son descendant de la moitié de sa réserve et l’attribuer aux
enfants nés ou à naître (exhérédation à caractère préventif) :
o Conditions : l’art. 480 CC soumet l’exhérédation d’un insolvable
à quatre conditions relativement strictes :
Elle n’est possible qu’à l’égard d’un descendant.
Ce descendant doit être insolvable : l’existence d’actes
de défaut de bien représentant au moins le quart du droit
héréditaire de l’exhérédé doit être prouvée (art. 480 al. 2).
Elle ne peut porter, au maximum, que sur la moitié de
la réserve de l’insolvable (art. 480 al. 1).
La part dont l’exhérédé est privée doit être attribuée aux
enfants (aux descendants) de celui-ci.
o Formes : voir règles sur l’exhérédation ordinaire (analogie).
o Effets : l’exhérédation réduit de moitié (au maximum) la réserve
du descendant. De ce fait, la part que les créanciers de cet
héritier peuvent faire réaliser diminuer également. L’autre moitié
passe aux enfants (la quotité disponible reste donc inchangée).
o Contestation : selon les mêmes conditions que l’exhérédation
ordinaire, l’exhérédation de l’insolvable peut être attaquée par
une action en nullité ou une action en réduction. Elle devient
également caduque, à la demande de l’exhérédé, s’il n’existe,
au moment de l’ouverture de la succession, plus d’actes de
défaut de bien pour un montant supérieur au quart du droit
héréditaire de l’exhérédé (art. 480 al. 2 CC).
§14. Les réserves et la quotité disponible
IUR III 2012-2013 51
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Sauf exhérédation, les HR sont les descendants, les père et mère ainsi que le
CPES (art. 470 al. 1 CC). Pour chacun d’eux, la réserve consiste en une
fraction de leur droit de succession légal (art. 471 CC). Dans un cas
particulier toutefois, la réserve des enfants communs est modifiée pour
permettre au DC de favoriser d’avantage le conjoint survivant (art. 473 CC).
La réserve du CPES est de la moitié de son droit de succession légal, comme
le précise l’art. 471 ch. 3 (en lien avec le ch. 1). Comme le droit du CPES
varie en fonction des parents avec lesquels il est en concours, la fraction de la
succession qui lui est réservée est également variable :
- Si le CPES est en concours avec des descendants, sa part légale est
de 1/2 (art. 462 ch. 1) et sa réserve est donc de 1/4 de la succession.
- S’il est en concours avec des membres de la P2, sa part légale est de
3/4 (art. 462 ch. 2) et sa réserve est donc de 3/8 de la succession.
- Dans tous les autres cas, il a droit à toute la succession (art. 462 ch. 3)
et sa réserve est donc de la moitié de la succession (1/2).
La réserve des descendants est de 3/4 de leur droit de succession légal
(art. 471 ch. 1 CC), peu importe leur nombre. La fraction de la succession qui
leur revient dépend donc de leur part légale et ainsi des concours possibles :
- En l’absence de CPES : la fraction réservée aux descendants est de
3/4 de la succession totale (quotité disponible de 1/4). La réserve
individuelle dépend dès lors du nombre de descendants :
o 3/4 pour l’enfant unique du DC (seul héritier légal du DC).
o 3/8 (1/2 x 3/4) pour chacun des deux enfants du DC.
o 1/16 (1/3 x 1/4 x 3/4) pour chacun des quatre petits-enfants du
DC nés de l’un des trois enfants précédés de ce même DC.
- En cas de concours avec le CPES : la fraction réservée aux
descendants est alors de 1/2 (part légal, l’autre demi est attribué au
CPES) de 3/4 (fraction de la réserve), soit 3/8. Au final, le total des
réserves des descendants et du CPES est donc de 1/4 + 3/8, soit 5/8.
Là encore, la réserve individuelle de chaque descendant varie en
fonction de leur nombre. Elle sera ainsi par exemple de :
IUR III 2012-2013 52
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o 3/8 pour l’enfant unique.
o 3/16 (1/4 x 3/4) pour chacun des deux enfants du DC.
o 1/8 (1/6 x 3/4) pour chacun des trois enfants du DC.
La réserve des père et mère est de la moitié de leur droit de succession
(art. 471 ch. 2 CC, en lien avec le ch. 2). Comme toujours, la fraction des père
et mère varie en fonction des concours :
- En l’absence de CPES : plusieurs cas sont alors possibles :
o Si le père et la mère sont tous deux vivants, la réserve de
chacun est de 1/4 de la succession (quotité disponible : 1/2).
o Si le père ou la mère est prédécédé(e) sans descendance, le
parent survivant reçoit toute la succession et sa réserve est
donc de 1/2 du tout, tout comme pour la quotité disponible.
o Si le père ou la mère prédécédé(e) laisse des descendants, la
part légale du parent survivant est de 1/2 et sa réserve est donc
de 1/4. Ensuite, les frères et sœurs du DC n’étant pas
réservataires, la quotité disponible est de 3/4.
- En cas de concours avec le CPES : la part légale du CPES étant de
3/4 de la succession (art. 462 ch. 2), les membres de la P2 n’ont droit
qu’à 1/4 de la succession. La réserve des père et mère varie alors :
o Si le père et la mère sont tous deux vivants, la réserve de
chacun est de 1/16 (1/2 de 1/8) de la succession (celle du CPES
est de 3/8). Dès lors, la quotité disponible est de 8/16, soit 1/2.
o Si le père ou la mère est prédécédé(e) sans descendance, le
parent survivant a droit à 1/2 de 1/4, soit 1/8. La réserve du
CPES sera alors de 3/8 et la quotité disponible sera de 1/2.
o Si le père ou la mère prédécédé(e) laisse des descendants, sa
réserve est de 1/16 (1/8 x 1/2). Comme les frères et sœurs du
DC (descendants du parent prédécédé) ne sont pas HR, le 1/8
du parent prédécédé n’entre pas en compte. Le CPES a une
réserve de 3/8. Dès lors, la quotité disponible et de 9/16.
HR Réserve Fraction finale
IUR III 2012-2013 53
Jérémy Stauffacher Droit des Successions
CPES (1) 1/2 de leur droit 1/2 x droit de succession
Descendants (2) 3/4 de leur droit 3/4 x droit de succession
Père et mère (3) 1/2 de leur droit 1/2 x droit de succession
On voit donc que pour obtenir la réserve de chacun, il faut multiplier la fraction
de réserve (art. 471 CC) par leur droit de succession légal (art. 462 CC
notamment). Naturellement, la fraction finale dépend des cas de concours et
du nombre de descendants.
Il convient à présent de parler du cas particulier du legs d’usufruit, au sens de
l’art. 473 CC (concours entre les descendants et le conjoint). En dérogation à
la règle de l’art. 471 CC (réserve des descendants de 3/8, réserve du conjoint
de 1/4 et quotité disponible de 3/8), l’art. 473 permet du DC de grever toute la
part dévolue aux enfants communs d’un usufruit en faveur du conjoint. Il s’agit
d’une lex specialis par rapport aux art. 471, 484 al. 2 et 530 CC.
Le but poursuivi est de permettre au DC de laisser à son conjoint l’usufruit de
toute la succession (les descendants ont la nue-propriété). Cela contribue à
maintenir les conditions de vie que le conjoint avait avant le décès et évite de
devoir partager la succession entre le conjoint et les descendants. En plus de
cela, l’art. 473 al. 2 permet de laisser au conjoint tout ou partie de la quotité
disponible en propriété, en plus de l’usufruit de la part revenant aux enfants
communs. Ces possibilités, fréquemment utilisées dans la pratique, exigent
un sacrifice des descendants communs, qui doivent attendre le décès du
conjoint titulaire de l’usufruit pour recevoir leur part.
Il convient de rappeler les règles ordinaires en matière de legs d’usufruit
(règles auxquelles l’art. 473 CC déroge en tant que lex specialis). Au lieu de
léguer un bien en propriété, le DC peut en léguer l’usufruit. Le légataire
(personne à qui le DC lègue l’usufruit, pas le conjoint dans l’hypothèse) exige
alors des héritiers qu’ils constituent en sa faveur une servitude d’usufruit. Il en
acquiert dès lors la possession et en a l’usage et la jouissance (art. 745 ss).
Les héritiers restent les nus-propriétaires du bien, dont ils peuvent donc
IUR III 2012-2013 54
Jérémy Stauffacher Droit des Successions
librement disposer. Sauf précision contraire, l’usufruit s’éteindra au décès du
légataire et les héritiers récupéreront à ce moment-là la pleine propriété de
l’objet. Pour apprécier l’importance du legs d’usufruit en rapport avec les
règles sur les réserves et la quotité disponible, il faut en déterminer la valeur.
Cette valeur ne correspond en effet pas à la valeur de l’objet lui-même
puisque le légataire n’en a que l’usage et la jouissance. La valeur du legs est
alors déterminée par l’art. 530 CC, qui prescrit de prendre en compte la valeur
capitalisée, qui dépend de la durée présumable du droit (et donc en principe
de l’âge du légataire). Plus le légataire est jeune, plus l’usufruit durera
longtemps et plus sa valeur capitalisée sera élevée. Il faut estimer le
rendement annuel net de l’objet de l’usufruit et le multiplier par un coefficient
qui est fonction du nombre probable d’années que durera l’usufruit. Dès lors,
pour déterminer si un legs d’usufruit respecte la quotité disponible, il faut
comparer la valeur capitalisée de cet usufruit avec la valeur de la quotité
disponible. Si la valeur capitalisée de l’usufruit coïncide avec la valeur de la
quotité disponible, l’usufruit va porter sur un montant qui sera forcément plus
grand que la quotité. Le HR ne recevra donc pas toute sa réserve en pleine
propriété. Pour compenser cela, le HR reçoit une part de sa réserve en nue-
propriété, qui vaut autant que l’usufruit qui empiète sur sa réserve. Au final, le
HR reçoit un montant respectant sa réserve, même si une partie de ce
montant est en nue-propriété : il ne peut pas l’utiliser dans son intégralité.
Voyons un exemple : le DC laisse un seul héritier, un enfant. La succession
s’élève à 160'000 francs. Selon l’art. 471 ch. 1 CC, l’enfant a droit aux 3/4 de
la succession, soit à 120'000 francs (la quotité disponible est alors de 40'000
francs). Si le DC lègue à une vieille femme l’usufruit de la moitié de sa
succession (soit un usufruit portant sur 80'000 francs), la valeur capitalisée de
l’usufruit est de 39'312 francs (selon les tables de capitalisation). La quotité
disponible est donc respectée. Malgré tout, l’enfant du DC ne recevra que la
moitié de la succession en pleine propriété, l’autre moitié étant grevée de
l’usufruit. Cette partie grevée d’usufruit a toutefois une valeur, qui correspond
à la valeur du patrimoine grevé, déduction faite de la valeur de l’usufruit (soit
dans notre cas 40'688 francs). Au final, l’enfant reçoit donc 120'688 francs,
soit plus que le montant de sa réserve, qui est dès lors respectée.
IUR III 2012-2013 55
Jérémy Stauffacher Droit des Successions
Le but de l’art. 473 CC est de permettre au DC de laisser à son conjoint, à
certaines conditions et avec certains effets particuliers, un usufruit sur un
montant plus élevé (l’usufruit de toute la succession) que ce qu’autoriserait la
règle ordinaire de l’art. 530 CC. En effet, à partir d’un certain âge (plus le
légataire est jeune, plus l’usufruit a de valeur capitalisée, et donc moins la
part de nue-propriété est importante) et d’une certaine part léguée, la valeur
de la nue-propriété revenant aux HR n’est plus suffisante pour assurer leur
réserve. Pour permettre cela, il faut que les enfants en concours avec le
conjoint survivant soient communs. Dès lors, si le conjoint survivant est en
concours avec des enfants communs, le DC peut lui léguer l’usufruit de toute
la part revenant à ces descendants sans effectuer de calculs. Si au contraire
le conjoint est en concours avec des enfants non-communs, l’usufruit doit
respecter la règle ordinaire de l’art. 530 CC.
L’art. 473 CC a pour effet que si le conjoint accepte le legs d’usufruit, il
renonce par là même à sa réserve (et à sa qualité d’héritier). La réserve des
enfants communs, quant à elle, est réduite à la nue-propriété de la part de
succession qui est grevée de l’usufruit. Si le DC a légué à son conjoint
l’usufruit de toute la succession (quotité disponible léguée en usufruit), les
enfants reçoivent la nue-propriété de l’ensemble de la succession. Mais il est
également possible que le DC dispose de 1/4 de la succession en pleine
propriété. L’usufruit porte alors sur les 3/4 de la succession. Dès lors,
l’art. 473 a pour effet de substituer à la réserve des descendants de 3/8 en
propriété une réserve de 3/4 en nue propriété (au minimum). Le 1/4 restant
constitue alors la quotité disponible (art. 473 al. 2 CC). Dans la majorité des
cas, le DC utilise la possibilité offerte par cet article pour attribuer la quotité
disponible en propriété à son conjoint, en plus du legs d’usufruit. Il reçoit alors
1/4 de la succession en propriété et l’usufruit des 3/4 restants.
Une dernière précision : le privilège accordé au conjoint par l’art. 473 al. 1-2
prend fin en cas de remariage de celui-ci (art. 473 al. 3 CC). Dès ce moment,
son usufruit cesse de grever la partie de la succession qui n’aurait pas pu être
l’objet du legs d’usufruit selon les règles ordinaires sur les réserves des
descendants. Il convient donc de calculer quelle partie de la succession
n’aurait pu être grevée d’usufruit selon les règles générales.
IUR III 2012-2013 56
Jérémy Stauffacher Droit des Successions
§15. La masse de calcul des réserves et de la quotité
Une fois les HR identifiés et les fractions de la succession qui leur reviennent
déterminées, il faut déterminer à quelle masse de biens ces fractions vont
être appliquées. Il faut ainsi définir la masse de calcul des réserves et de la
quotité disponible (MCRQD). En appliquant la réserve à cette masse, il sera
possible de déterminer concrètement combien chaque HR touchera.
La MCRQD comprend tout d’abord les mêmes éléments que le MàP (actif
successoral duquel sont déduites les dettes du DC et les dettes de la
succession). Elle comprend donc les BE du DC au moment de l’ouverture de
la succession, les rapports dus par les héritiers (art. 626 ss CC), ce qui
correspond à l’actif successoral. De cet actif, il faut déduire les dettes du DC
(dettes transmissibles ou éventuelles indemnités pour sacrifices familiaux) et
les dettes de la succession (frais funéraires et autres). Conformément à
l’art. 475 CC, il faut encore ajouter certaines libéralités entre vifs faites par le
DC (réunion successorale). Le but de ces réunions est d’éviter que le DC ne
rende illusoires les réserves en procédant à des libéralités entre vifs non
sujettes à rapport qui diminuent les BE. On peut donc résumer la composition
de la MCRQD grâce au tableau suivant :
Biens extants+ Rapports- Dettes du de cuius- Dettes de la succession+ Réunions= MCRQD
La détermination de la MCRQD n’est nécessaire que si le DC a pris des
DpCM attributives de biens ou de montants déterminés ou s’il a fait des
libéralités entre vifs non rapportées. S’il s’est contenté de modifier les
fractions revenant à certains héritiers, l’art. 474 CC ne s’applique pas. En
effet, dans ces cas-là, la MCRQD est égale à la MàP et les fractions
revenants aux héritiers sont réparties sur la base de cette MàP. Si un DC a
attribué toute la QD à son conjoint (réduisant la part de ses enfants à leur
réserve), il n’est pas nécessaire de déterminer la MCRQD car il n’y a aucune
libéralité sujette à réunion.
IUR III 2012-2013 57
Jérémy Stauffacher Droit des Successions
Il convient à présent de parler des modalités d’évaluation de la MCRQD. Le
moment déterminant est le jour de l’ouverture de la succession, tant pour la
détermination de l’état de la succession que pour l’évaluation de sa valeur
(art. 474 al. 1, 630 al. 1 et 537 al. 2 CC). Même si les art. 474 ss CC ne
précisent pas quelle valeur doit être retenue pour l’estimation des biens, il est
généralement admis que le principe de la valeur vénale s’applique.
Après ces quelques généralités, il convient de parler (longuement) des
réunions. Les réserves étant des fractions de la masse successorale, le DC a
la possibilité, par le biais de libéralités, de diminuer la valeur des BE et donc
des réserves. Il pourrait ainsi faire de nombreuses libéralités peu avant sa
mort pour supprimer la protection des HR. Ceux-ci recevraient alors bien la
fraction de la succession qui leur est due mais la MàP serait tellement faible
que cette fraction deviendrait dérisoire. Les héritiers peuvent également eux-
mêmes influer sur la MàP. Un héritier tenu au rapport peut ainsi répudier la
succession pour y échapper, faisant dès lors baisser la MàP. Les réunions
successorales, éventuellement suivies de la réduction des libéralités faites et
de la restitution par leur bénéficiaire de ce qui excède la QD, permettent de
tenir en échec de telles manœuvres et ainsi d’assurer une protection
effectives des HR. Le montant des libéralités faites entre vifs par le DC est
alors réuni à la MàP pour calculer les réserves. Dès lors, la MàP et la quotité
disponible augmentent. Si la MàP au décès du DC permet de couvrir les
réserves, les libéralités ne sont pas remises en cause. Par contre, si la masse
restante ne permet pas d’assurer les réserves, les HR peuvent faire réduire
les libéralités et exiger la restitution de ce qui est nécessaire pour garantir leur
réserves (action en réduction et en restitution, art. 522 ss CC).
La réunion est donc une opération purement comptable consistant à ajouter à
la MàP le montant de certaines libéralités afin de calculer les réserves et la
QD (d’où son nom, masse de calcul des réserves et de la quotité disponible).
Le législateur précise à l’art. 527 CC quelles libéralités sont incompatibles
avec les réserves héréditaires et doivent dès lors être réunies. La réunion doit
avoir lieu dans tous les cas où une réduction serait possible selon l’art. 527,
même si la réduction n’est au final pas nécessaire (parce que les libéralités
n’excèdent pas la quotité disponible).
IUR III 2012-2013 58
Jérémy Stauffacher Droit des Successions
Il s’agit désormais de préciser l’objet des réunions. L’art. 527 CC (art. 475)
prévoit tout d’abord 4 cas. Il faut ensuite ajouter le cas particulier des
assurances en cas de décès (art. 476) ainsi que les règles spéciales relatives
aux libéralités faites par modification du régime matrimonial (art. 216 al. 2 et
241 al. 3 CC) ou par convention sur les biens entre partenaires enregistrés
(art. 25 LPart). Voyons donc successivement ces sept points :
- Les libéralités que le DC pouvait librement révoquer et celles
exécutées dans les 5 années antérieures à son décès (art. 527 ch. 3) :
en soi, toutes libéralités entre vifs faites par le DC diminuent les BE et
devraient donc être sujettes à réunion. Toutefois, le législateur a limité
à cinq ans avant le décès la période à prendre en considération. Cela
permet d’éviter que le DC n’agisse peu avant sa mort. Au-delà de cette
période de cinq ans, la réunion n’a lieu que si la libéralité tombe sous
l’un des six autres cas de réunions. L’art. 527 ch. 3 CC exige :
o Une libéralité : il peut s’agir de toute forme d’attribution
volontaire effectuée à titre (partiellement) gratuit.
o La libéralité ne doit pas être un présent d’usage.
o La libéralité doit avoir été faite entre vifs, peu importe à qui.
Précisons que les libéralités faites en exécution d’une DpCM
n’ont pas à être réunies car elles ne sont exécutées qu’après
l’ouverture de la succession au moyen des biens extants.
o La libéralité doit être librement révocable par le DC jusqu’à son
décès (très rare en pratique) ou avoir été exécutée dans les 5
ans avant le décès. C’est le moment du transfert de possession
ou de l’inscription au registre foncier qui est déterminant.
- Les libéralités faites à titre d’avancement d’hoirie quand elles ne sont
pas soumises au rapport (art. 527 ch. 1) : les libéralités visées sont
celles faites sous forme de dot, d’établissement ou d’abandon de
biens. De manière générale, l’article vise les mêmes libéralités que
l’art. 626 al. 2 CC (et donc également les remises de dette ou les
autres avantages semblables : au final toutes les libéralités faites à titre
de donation). Si ces libéralités échappent au rapport, elles doivent être
réunies. Le TF précise que l’art. 527 ch. 1 CC vise trois cas :
IUR III 2012-2013 59
Jérémy Stauffacher Droit des Successions
o Le bénéficiaire de la libéralité est un descendant qui serait tenu
au rapport mais qui ne vient pas à la succession pour une cause
diverse (prédécès, répudiation, indignité, exhérédation).
o Le bénéficiaire de la libéralité est un descendant qui serait tenu
au rapport mais qui en a été expressément dispensé par le DC.
o Le bénéficiaire de la libéralité est un héritier (autre qu’un
descendant) mais la libéralité a tout de même le caractère d’une
dotation. Dès lors, elle n’est pas rapportable car le bénéficiaire
n’est pas un descendant mais un autre héritier.
- Les libéralités faites à titre de liquidation anticipée de droits
héréditaires (art. 527 ch. 2) : cet article vise l’hypothèse où le DC
passe avec un HR un pacte successoral de renonciation, à titre
onéreux. Le DC verse donc au renonçant une contre-prestation en
échange de sa qualité de HR. En ce sens, il y a une liquidation
anticipée des droits héréditaires du renonçant. L’art. 527 ch. 2 doit être
lu en relation avec les art. 535-536 CC, qui précisent le statut de la
contre-prestation en lien avec les réserves et la QD. Précisons en
outre que le pacte passé par le renonçant est en principe opposable à
ses descendants : ceux-ci perdent également leur réserve, ce qui
augmente alors la QD (et non pas les réserves des autres HR). Si la
contre-prestation ne fait que compenser la perte de la réserve, il ne
s’agit pas d’une libéralité : seul le montant qui excède la réserve du
renonçant est sujet à réduction. Par contre, c’est l’ensemble du
montant qui est sujet à réunion (sans quoi le calcul serait faussé).
Ainsi, l’ensemble du montant de la contre-prestation doit être réuni
mais seule la part excédant la réserve peut être réduite (exception au
parallélisme entre montant réuni et montant réduit).
- Les aliénations faites par le DC dans l’intention manifeste d’éluder les
règles concernant la réserve (art. 527 ch. 4) : au contraire des autres
chiffres, l’art. 527 ch. 4 s’étend à toutes les aliénations. La seule
condition de la réunion est l’intention (élément subjectif) manifeste du
DC d’éluder les réserves (concrétisation de l’interdiction de l’abus de
IUR III 2012-2013 60
Jérémy Stauffacher Droit des Successions
droit de l’art. 2 al. 2 CC). Cet article permet ainsi de réunir des
libéralités faites plus de cinq ans avant le décès du DC.
- Les règles particulières sur les assurances en cas de décès : pour faire
une libéralité, il est possible de faire bénéficier une personne du capital
en cas de décès. Si le DC conclut une telle assurance (preneur), la
créance contre l’assureur entre dans les BE et profite ainsi aux
héritiers. Toutefois, le DC peut faire bénéficier un tiers de ce capital (en
le désignant par une clause bénéficiaire, art. 76 al. 1 LCA). Dès lors,
l’art. 78 LCA prévoit que l’assureur doit verser le capital directement au
bénéficiaire. De ce fait, celui-ci n’entre pas dans les BE et la clause ne
constitue ainsi pas une libéralité entre vifs. En général librement
révocable par le DC (art. 77 al. 2 LCA), la libéralité en cause est visée
par l’art. 527 ch. 3 CC et prend effet dès le moment où il est acquis que
le DC ne la révoquera pas (et donc à la dernière seconde de sa vie).
Le DC peut également choisir de faire profiter un tiers de l’assurance
en lui cédant celle-ci entre vifs à titre gratuit. Enfin, le DC peut aussi
léguer le capital assuré. Normalement, le capital devrait être versé aux
héritiers qui devraient alors le transmettre au légataire. Toutefois, le
CC prévoit une règle spéciale : l’art. 563 al. 2 prévoit que le légataire
peut faire valoir ses droits directement contre l’assurer. Au final, peu
importe la forme utilisée, le capital assuré n’entre pas dans les BE. Dès
lors, l’art. 476 CC prévoit la réunion des assurances en cas de décès
constituées sur la tête du défunt. L’art. 476 vise les assurances en cas
de décès, constituées par le DC sur sa tête, en faveur d’un tiers :
o Une assurance en cas de décès est une assurance qui prévoit
le versement d’une somme d’argent à la mot d’une personne
(assurance-vie simple : la somme est due au décès de l’assuré
ou si celui-ci atteint un âge très avancé, assurance-vie mixte : la
somme est due lorsque l’assuré atteint un âge fixé ou, dans tous
les cas au décès de l’assuré). L’art. 476 CC ne s’applique alors
que si la somme a été versée au décès du DC.
o L’assurance doit avoir été constituée par le DC sur sa tête : il
doit donc être le preneur d’assurance et l’assuré.
IUR III 2012-2013 61
Jérémy Stauffacher Droit des Successions
o L’assurance doit bénéficier à un ou plusieurs tiers (personnes
autres que le DC ou ses héritiers). De plus, ce bénéficiaire ne
doit pas avoir fait de contre-prestations au DC.
Si ces conditions sont réunies, l’art. 476 CC prescrit que la réunion
s’opère pour la valeur de rachat calculée au moment de la mort. Il
écarte donc la valeur de l’assurance (montant touché par le tiers) ou la
valeur du total des primes. La valeur de rachat est toujours inférieure à
la somme assurée : l’art. 476 fait donc exception au principe selon
lequel l’entier de la libéralité reçue doit être réuni et favorise ainsi le
tiers bénéficiaire par rapport aux HR (le bénéficiaire peut conserver la
différence entre le montant assuré et la valeur de rachat).
- Les règles spéciales relatives aux libéralités faites par une modification
du régime matrimonial : la liquidation du régime matrimonial précédant
la succession, les époux peuvent exerçant une influence sur les BE et
les dettes en modifiant leur régime matrimonial. Le CC fixe des limites
à de tels procédés pour assurer une protection suffisante des HR. Ces
limites varient selon le régime matrimonial des époux. Nous nous
limiterons à la présentation des limites imposées aux époux mariés
sous le régime de la participation aux acquêts (en cas de mariage sous
le régime de la séparation de biens, la question ne se pose pas car il
n’y a pas de partage de bénéfice ou de biens). En principe, à la
dissolution du régime, chaque époux (ou ses héritiers) a droit à la
moitié du bénéfice réalisé par son conjoint (art. 215 al. 1 CC). Les
époux peuvent toutefois prévoir une autre répartition (art. 216). Cette
possibilité fréquemment utilisée en pratique (l’entier des bénéfices
revient au conjoint survivant) peut diminuer fortement les BE, qui sont
désormais restreints aux seuls biens propres du DC. Le conflit entre
héritiers et conjoint survivant est arbitré par l’art. 216 al. 2 CC qui
prévoit que les conventions modifiant la répartition des bénéfices ne
peuvent porter atteinte à la réserve des enfants non communs et de
leurs descendants. Il convient alors d’analyser deux points :
o L’art. 216 al. 2 en tant que lex specialis : l’art. 216 al. 2 est une
lex specialis par rapport aux art. 475 et 527 ch. 3 : il signifie que
IUR III 2012-2013 62
Jérémy Stauffacher Droit des Successions
seuls les enfants non communs et leurs descendants peuvent
faire réunir et, le cas échéant, réduire, la libéralité faite au
conjoint. La réserve des autres HR (enfants communes et père
et mère) n’est donc pas protégée. La réunion de la libéralité faite
au conjoint est exclue pour le calcul des réserves de ces HR,
quand bien même les conditions des art. 475 et 527 ch. 3 sont
remplies. Pour les enfants communs, l’art. 216 al. 2 signifie que
la réserve n’est protégée que pour les 3/8 des biens propres du
DC (à la condition que celui-ci n’ait pas fait usage des
possibilités offertes par l’art. 473 CC, car dans ce cas la réserve
des enfants communs est réduite à la nue-propriété des 3/4 des
biens propres du DC, voire même à l’ensemble si le DC a
étendu l’usufruit au 1/4 restant de la QD).
o La réserve des enfants non communs : l’art. 216 al. 2 CC
signifie que les enfants non communs et leurs descendants
peuvent exiger la réunion et, au besoin, faire réduire la libéralité
faite au conjoint par contrat de mariage. L’art. 216 al. 2 fonde
donc un cas supplémentaire de réunion, indépendant des
conditions de l’art. 527 ch. 1-4 CC. Pour déterminer cette
libéralité, il faut calculer le bénéfice selon les règles ordinaires et
considérer que toute part qui excède la moitié de ce bénéfice
(règle légale) est une attribution au conjoint à titre gratuit. La QD
ne peut alors plus être déterminée en fraction mais doit être
déterminée en valeur directement, en soustrayant la somme des
réserves de la MàP. Voyons deux exemples :
Le DC laisse son conjoint et un enfant commun : le
bénéfice réalisé par les époux est de 240'000 francs et
les biens propres du DC sont de 160'000 francs. Ces
160'000 francs constituent les BE mais également la
MCRQD. Selon l’art. 216 al. 2, l’enfant ne peut exiger la
réunion des 120'000 francs qui auraient dû revenir au DC
(moitié des bénéfices, selon la règle générale de l’art.
215 al. 1 CC). Dès lors, la réserve de l’enfant est de 3/8
IUR III 2012-2013 63
Jérémy Stauffacher Droit des Successions
de ces 160'000 francs (60'000 francs). Si le DC a en plus
constitué un usufruit sur ses propres biens en faveur de
son conjoint (et cédé à ce même conjoint la QD de
40'000 francs), l’enfant ne dispose alors que de 120'000
francs en nue-propriété (soit les 3/4 des biens du DC).
Le DC laisse son conjoint et un enfant non commun :
dans ce cas (reprise des éléments chiffrés de l’exemple
précédent), l’enfant peut exiger la réunion des 120'000
francs (part revenant au DC dans le partage des
bénéfices) pour la détermination de la MCRQD. Sa
réserve est ainsi des 105'000 francs : 3/8 (fraction) des
160'000 francs de biens propres du DC auxquels
s’ajoutent les 120'000 francs de part de bénéfice.
- La règle spéciale relative aux conventions sur les biens passés entre
partenaires enregistrés : selon l’art. 25 al. 2 LPart, la convention
passée entre partenaires enregistrés ne peut porter atteinte à la
réserve des descendants de l’un ou de l’autre. Le système est donc
analogue à celui des art. 216 al. 2 et 241 al. 3 CC : les libéralités faites
au partenaire enregistré doivent être réunies pour calculer la MCRQD.
Le CC ne régit que très partiellement la détermination du montant précis de la
réunion à effectuer. On peut affirmer l’application des principes suivants :
- Le moment déterminant pour estimer le montant de l’attribution est
celui de l’ouverture de la succession (art. 537 al. 2 CC). La règle est
ainsi la même qu’en matière d’estimation des BE.
- La valeur déterminante est la valeur vénale, sauf pour les immeubles
et entreprises agricoles, estimés à leur valeur de rendement, pour les
usufruits et les rentes, estimés à la valeur capitalisée, pour les
libéralités faites par le biais d’assurances, réunies à leur valeur de
rachat pour les assurances visées par l’art. 476 et au montant du
capital assuré pour les autres assurances ou pour les libéralités faites
en argent, prises en comptes à leur valeur nominale.
IUR III 2012-2013 64
Jérémy Stauffacher Droit des Successions
- En cas de donation mixte, la libéralité est estimée selon la méthode de
la proportionnalité. On réunit la fraction de la valeur actuelle du bien
transféré qui correspond à la part gratuite au moment de la libéralité.
- Pour terminer, il est nécessaire de déterminer comment on tient
compte de ce qu’il s’est passé entre le moment où l’attributaire a reçu
le bien du DC et le moment de l’ouverture de la succession. Cela
concerne ainsi l’aliénation du bien, les impenses, les fruits perçus :
o L’attributaire étant légitime propriétaire du bien, il peut l’aliéner
en tout temps à un prix normal et c’est alors ce prix qui est pris
en compte pour la réunion (art. 630 al. 1 CC).
o Les diminutions fautives de valeur (donation ou vente en temps
inopportun ou en dessous du prix, perte, destruction) ne sont
pas prises en considération et ne diminuent donc en rien la
valeur à réunir. En cas d’aliénation totale, la réunion doit être
faite à la valeur normale du bien au moment de l’aliénation,
augmentée du montant du dommage causé. En cas de
détérioration, la réunion se fait à la valeur résiduelle. Les
diminutions de valeur fortuites, par contre, sont prises en
compte et la réunion se fait alors à la valeur résiduelle.
o Les fruits perçus par l’attributaire ne sont pas pris en compte.
o Les plus-values apportées par des impenses nécessaires et
utiles ne sont déduites de la valeur du bien que si elles excèdent
les fruits perçus. Les plus-values apportées par des impenses
somptuaires sont par contre déduites de la valeur du bien.
7. Cours du 30 octobre 2012
Chapitre 3. Modes de disposer
La liberté de disposer n’est pas seulement limiter par les règles sur les
réserves et la QD (quantitatif, art. 470-480 CC). Elle l’est également quant
aux instruments juridiques utilisables : sur le plan formel, le DC doit passer
par un testament ou un pacte successoral (art. 498-508 CC). Ensuite, sur le
IUR III 2012-2013 65
Jérémy Stauffacher Droit des Successions
fond, il doit utiliser l’une des manières de disposer prévues par la loi (modes
de disposer, art. 481-497 CC). Parmi ces modes, on distingue :
- Selon le caractère successoral :
o Les modes sans caractère successoral : il s’agit des modes
ressortissant du droit des personnes, du droit de la famille ou du
droit des obligations. Il s’agit de mesure que le DC prend en vue
de sa mort mais qui ne visent pas à régler directement la
transmission de son patrimoine. Il peut s’agir de la constitution
par DpCM d’une fondation (art. 81), de la reconnaissance par
testament d’un enfant naturel (art. 260 CC), de la désignation du
bénéficiaire d’une assurance-vie (art. 76 ss LCA), de la
proposition d’une personne comme tuteur (art. 381 CC), du
testament parental, d’une clause compromissoire prévoyant la
liquidation des litiges par voie d’arbitrage.
o Les modes à caractère successoral : ils s’agit des modes qui
concernent la transmission des biens du défunt. Parmi ceux-ci
on distingue encore les dispositions attributives de biens de
celles qui n’ont pas ce caractère attributif :
Les dispositions attributives fondement une vocation
successorale ou confère un avantage à un successeur ou
à un tiers. Il s’agit de l’institution d’héritier (art. 483), du
legs (art. 484-486), des substitutions (art. 487-492), de
certaines charges (art. 482) et du cas particulier de
l’attribution de biens à une fondation (art. 493 CC).
Les dispositions non attributives comprennent
l’exhérédation (art. 477-480), l’exclusion d’un héritier non
réservataire (art. 470 al. 2), les règles de partage
(art. 608 al. 1), la désignation d’un exécuteur (art. 517), la
révocation d’un testament ou d’un pacte (art. 509 ss CC),
l’ordonnance de rapport (art. 626 al. 1).
- Selon le caractère unilatéral ou contractuel : la plupart des dispositions
peuvent avoir soit l’un, soit l’autre caractère, selon qu’elles se trouvent
dans un pacte successoral (PS, contrat) ou dans un testament (acte
IUR III 2012-2013 66
Jérémy Stauffacher Droit des Successions
unilatéral révocable). Certaines dispositions sont toutefois par nature
unilatérales. Dès lors, si elles se trouvent dans un PS, elles ne seront
valables qu’à condition d’être révocables (reconnaissance d’un enfant,
art. 260 al. 3, exhérédation, art. 477 ss, désignation d’un exécuteur
testamentaire, art. 517 al. 1 et révocation d’une disposition de dernière
volonté). Précisons que la renonciation d’un héritier par pacte
successoral n’est pas un mode de disposer (pas un acte du DC).
Nous nous limiterons à l’étude des modes de disposer proprement dits régis
par les art. 482-497 CC. La première section sera consacrée aux modes
pouvant avoir leur place dans un testament comme dans un pacte
successoral, à savoir l’institution d’héritier et le legs (nous laisserons de côté
les différents types de substitution, l’affectation de biens à une fondation ainsi
que les conditions et les charges). La seconde section, quant à elle, sera
consacrée aux modes spécifiques du pacte successoral et concernera le
pacte en général, le pacte d’attribution et le pacte de renonciation.
Section 1. Les modes de disposer de caractère général
§16. L’institution d’héritier
L’institution d’héritier est la DpCM par laquelle le DC désigne un successeur
universel. L’art. 483 apporte quelques précisions quant à la manière de
procéder et quant aux personnes qui peuvent être choisies comme héritier.
La désignation des héritiers peut être faite de plusieurs façons (art. 483 al. 1) :
- Un héritier unique peut être désigné pour toute la succession.
- Plusieurs héritiers peuvent être désignés ensemble, le DC précisant
alors quelle est la quote-part personnelle de chacun.
- Plusieurs héritiers peuvent être désignés, sans que le DC n’indique les
parts de chacun. La disposition doit alors être interprétée pour
déterminer quelle fraction des biens revient à chacun. On présume en
principe que les héritiers succèdent à parts égales. Par contre, si le DC
IUR III 2012-2013 67
Jérémy Stauffacher Droit des Successions
a simplement institué ses héritiers légaux, on doit au contraire
présumer qu’il a simplement voulu confirmer la succession légale.
Enfin, précisons que le DC n’est pas forcé d’utiliser les termes héritiers ou
successeurs universels. Il suffit qu’il exprime sa volonté d’instituer un
successeur universel. En ce sens, l’art. 483 al. 2 CC prévoit que toutes
dispositions portant sur l’universalité ou sur une quote-part (notamment la
réserve ou la QD) de la succession est réputée institution d’héritiers.
§17. Le legs
L’art. 484 CC définit le legs de manière négative (libéralités qui n’emportent
pas d’institution d’héritier). De manière positive, il s’agit d’une DpCM qui
oblige un héritier (ou un autre légataire) à faire une prestation à une ou
plusieurs personnes. Un legs présente les caractéristiques suivantes :
- Il s’agit de l’attribution d’un avantage patrimonial.
- Au contraire de l’institution d’héritier, le legs n’ouvre pas de succession
universelle. Le légataire est un successeur à titre particulier : il ne
succède que dans certains actifs et ne répond pas des dettes du DC.
Il ne fait donc pas partie de la communauté héréditaire.
- Le légataire n’acquiert pas de droit direct sur l’objet du legs mais
seulement une créance contre la personne grevée (art. 562 al. 1 CC).
Le légataire est donc un successeur du débiteur du legs (en général
l’ensemble des héritiers) et non pas un successeur direct du DC.
Il convient maintenant de parler des bénéficiaires du legs et des débiteurs du
legs. Le DC peut désigner comme légataire (bénéficiaire) toute personne
physique ou morale ayant, au moment de l’ouverture de la succession, la
jouissance des droits civils (art. 543 al. 1 CC). Le DC peut ainsi faire un legs à
une personne qui est aussi héritière légale ou instituée (art. 486 al. 3 CC), on
parle alors de legs préciputaires (legs par préciput). Dans ce cas, l’héritier a le
droit de prendre son legs avant de recevoir sa part. Les débiteurs du legs
préciputaire sont en principe l’ensemble des héritiers (y compris le
bénéficiaire). En outre, la volonté du DC d’attribuer un ou plusieurs biens en
plus de sa part à un héritier doit pouvoir être clairement établie. En effet, le
IUR III 2012-2013 68
Jérémy Stauffacher Droit des Successions
DC peut avoir simplement établi une règle de partage qui précise comment
l’héritier doit recevoir sa part. D’ailleurs, le CC présume la règle de partage
(art. 522 al. 2 et 608 al. 3). En ce qui concerne le(s) débiteur(s), le DC peut
désigner la ou les personnes tenue(s) d’exécuter le legs. Selon l’art. 484 al. 2,
il peut s’agir d’héritier(s) ou de légataire(s) (on parle alors de legs au second
degré ou de sous-legs). Faute de précision, le legs est dû par l’ensemble des
héritiers légaux et institués (art. 562 al. 1 CC).
L’objet du legs doit maintenant être précisé. Il peut porter sur toute prestation
qui peut faire l’objet d’une obligation et qui est destinée à procurer un
avantage patrimonial direct ou indirect. La prestation ne doit pas être illicite,
immorale ou impossible (art. 519 al. 1 ch. 3). L’art. 484 al. 2-3 énumère en
outre 5 types de prestations pouvant être léguées :
- Le legs d’une chose en propriété : il s’agit du cas le plus fréquent : le
DC lègue un immeuble, un meuble, de l’argent, sa voiture ou tout autre
objet (qui doit être déterminé ou au moins déterminable).
Normalement, il s’agit d’une chose dépendant de la succession, au
sens de l’art. 484 al. 2 (figurant parmi les actifs successoraux).
Toutefois, aux conditions de l’art. 484 al. 3, le DC peut léguer un objet
ne se trouvant pas dans ces actifs successoraux.
- L’octroi d’un droit réel limité : l’art. 484 al. 2 mentionne le legs de
l’usufruit de tout ou partie de la succession mais il peut aussi s’agir
d’un droit d’habitation, d’une autre servitude personnelle, d’une
servitude foncière voire d’un droit de gage ou d’une charge foncière.
Le légataire n’acquiert alors qu’une créance tendant à la constitution
du droit réel limité. Cette dernière n’intervient que par la suite, à titre
dérivé, par le biais du débiteur du legs, moyennant inscription au
registre foncier ou transfert de la possession (art. 563 al. 1 CC).
- Le legs d’une créance ou d’un autre droit : il peut s’agir d’une servitude
personnelle transmissible ou des droits de la propriété immatérielle.
- Le legs portant libération d’une obligation (d’une dette) : cette forme de
legs vise à libérer le légataire d’une dette envers le DC, envers le
débiteur du legs ou envers un tiers. Si le débiteur du legs est lui-même
le créancier de la dette, l’exécution du legs consiste en une remise de
IUR III 2012-2013 69
Jérémy Stauffacher Droit des Successions
dette. Dans les autres cas, le débiteur du legs doit libérer le légataire
en payant lui-même la dette ou en reprenant celle-ci.
- Le legs d’une autre prestation matérielle ou personnelle.
En ce qui concerne le rapport entre le legs et la succession, le droit suisse ne
pose pas de limite quant à l’étendue des legs que peut faire le DC. Dès lors,
le débiteur du legs peut devoir utiliser tout ce qu’il retire de la succession
(voire plus) pour l’exécuter. Pour les HR, la question ne se pose pas : ceux-ci
peuvent en effet s’opposer à la délivrance du legs s’il excède la QD. Le
débiteur non réservataire, par contre, n’a pas cette possibilité (même s’il peut
répudier la succession, aux conditions des art. 566 ss et 593 ss CC, avec les
problèmes familiaux que cela peut entraîner). En outre, même en cas de
répudiation de la succession par le débiteur, l’art. 486 al. 2 prévoit que le legs
est maintenu. Pour compenser cela, l’art. 486 al. 2 donne au débiteur du legs
une voie générale pour obtenir la réduction du legs qui excède les forces de
la succession ou respectivement la libéralité qu’il a reçue.
Section 2. Les modes de disposer propres au pacte
§22. Le pacte successoral en général
La notion de pacte successoral sera présentée ici en quatre points :
- Le pacte successoral est un contrat pour cause de mort conclu entre le
DC (disposant) et un tiers (cocontractant) concernant la succession du
DC. Le pacte lie donc le DC tout en réglant sa succession.
- Il existe deux types de pactes successoraux :
o Le pacte d’attribution (pacte positif) : le DC prend des DpCM en
faveur du cocontractant ou d’un tiers (art. 494 al. 1) : le DC se
lie sur la manière dont il dispose pour cause de mort.
o Le pacte de renonciation (pacte abdicatif ou négatif) : un héritier
présomptif renonce à ses futurs droits de succession. Ce n’est
donc pas le DC qui se lie sur le plan successoral mais bien le
cocontractant (renonçant, art. 495 al. 2-3).
IUR III 2012-2013 70
Jérémy Stauffacher Droit des Successions
- Le PS, dans sa forme simple, ne comporte qu’une seule prestation, à
savoir la DpCM du DC pour le pacte positif ou la renonciation du
cocontractant dans le pacte négatif. Toutefois, la prestation est souvent
faite en échange d’une contre-prestation (pacte onéreux).
- L’intérêt du pacte de renonciation est de permettre au DC de venir en
aide immédiatement à un HR dans le besoin. Son intérêt à conclure un
pacte attributif réside dans les contre-prestations qu’il pourrait recevoir.
§23. Le pacte d’attribution
Après avoir analysé le contenu du pacte, nous étudierons les droits du
disposant et enfin la protection du bénéficiaire dès l’ouverture de la
succession. Par rapport au contenu du pacte d’attribution, l’art. 493 al. 1
précise que le disposant peut s’obliger à laisser sa succession ou un legs à
l’autre partie contractante ou à un tiers. Cet article appelle quatre précisions :
- L’art. 494 al. 1 CC ne décrit pas l’objet du contrat. En concluant le
pacte, le DC ne s’oblige pas à disposer mais il s’oblige immédiatement
pour cause de mort. Dès lors, il ne peut plus valablement faire des
DpCM qui tiendraient celles du pacte en échec. Le pacte crée donc en
faveur du bénéficiaire une vocation successorale que le DC ne peut
plus révoquer, mais là s’arrête son effet.
- Le cocontractant accepte la disposition du DC mais ne se lie pas
autrement. Il reste libre de répudier la succession ou de renoncer à
l’avantage que lui confère la disposition prise par le DC.
- Le pacte est en général conclu au bénéfice du cocontractant.
Toutefois, il peut aussi l’être au bénéfice d’un tiers (stipulation pour
autrui, sans application de l’art. 112 al. 3 CO). Le disposant n’est lié
qu’envers le cocontractant : du vivant du disposant, le tiers n’a donc
qu’une expectative de fait, les parties au pacte pouvant en tout temps
révoquer d’un commun accord la disposition (même si le tiers a eu
connaissance de la disposition et a déclaré qu’il l’acceptait).
- Le pacte peut porter sur une institution d’héritier ou sur un legs mais
également sur toute DpCM qui n’est pas par nature unilatérale.
IUR III 2012-2013 71
Jérémy Stauffacher Droit des Successions
Comme toute DpCM, le pacte d’attribution ne produit d’effets qu’à la mort du
DC. Tant qu’il est vivant, le bénéficiaire du pacte n’a aucun droit sur son
patrimoine (le cocontractant a une expectative de droit, le tiers une
expectative de fait). Cette expectative est tout de même plus forte que celle
de l’héritier ou du légataire institués par testament car le DC ne peut plus la
révoquer unilatéralement. De ce fait, l’expectative du bénéficiaire d’un pacte
se rapproche de celle d’un HR. De son vivant, le DC continue à pouvoir
disposer de ses biens à sa guise (art. 494 al. 2 CC).
Après avoir parler des droits du DC durant son vivant, il convient de terminer
ce paragraphe consacré au pacte d’attribution en parlant de la protection du
bénéficiaire après le décès du disposant. La mort du DC transforme
l’expectative du bénéficiaire en un véritable droit, auquel l’art. 494 al. 3 donne
une protection rétroactive. Le bénéficiaire peut en effet attaquer les DpCM ou
les donations inconciliables avec les engagements résultant du pacte. L’une
comme l’autre ne sont pas nulles de plein droit : le bénéficiaire doit en obtenir
l’annulation par une action analogue à l’action en réduction :
- Les DpCM attaquables : il s’agit des dispositions figurant dans des
testaments antérieurs (révocables) ou postérieurs au pacte d’attribution
ou dans des PS postérieurs à celui-ci. Toutes ces dispositions peuvent
être attaquées si elles sont incompatibles avec les attributions
conventionnelles prévues par le pacte successoral d’attribution. Ainsi,
si le disposant lègue par testament un objet qu’il a déjà légué par
pacte, le second lègue est attaquable par le bénéficiaire du premier.
- Les donations attaquables : deux conditions doivent être remplies :
o Il doit s’agir d’un acte à titre gratuit (ou au moins de la partie
gratuite d’une donation mixte). Ainsi, contre les actes onéreux,
le bénéficiaire ne peut rien faire, même si ceux-ci sont
préjudiciables à ses intérêts (prise de valeur du bien aliéné).
o La donation doit être inconciliable avec les engagements
résultant du pacte d’attribution. Le TF estime que c’est le cas si
le DC s’est engagé à ne pas faire de donation ou si la donation
a été faite dans l’intention de nuire au bénéficiaire du pacte.
IUR III 2012-2013 72
Jérémy Stauffacher Droit des Successions
§24. Le pacte de renonciation
Le pacte de renonciation est un contrat que le disposant passe avec un
héritier présomptif et par lequel ce dernier renonce en tout en en partie à ses
futurs droits de succession (art. 495 al. 1). Par héritier présomptif on entend
toute personne qui succéderait à titre universel si celui-ci décédait au moment
où le pacte est conclu. Le DC peut écarter de la succession certains héritiers
sans conclure de pacte de renonciation (en disposant de ses biens par
testament) : celui-ci n’est donc nécessaire que si l’héritier présomptif est un
HR. Même si l’art. 495 al. 1 n’envisage que la renonciation à l’ensemble de la
succession, le cocontractant peut également renoncer à une partie de celle-ci.
La notion ayant été précisée, il s’agit de parler des modalités du pacte de
renonciation et de la contre-prestation du DC. En effet, même si la
renonciation de l’héritier (en principe réservataire) présomptif peut avoir lieu à
titre gratuit, celui-ci demande en générale une contre-prestation en échange
de l’abandon de ses expectatives successorales. Cette contre-prestation est
presque toujours fournie entre vifs (liquidation anticipée des droits
héréditaires au sens de l’art. 527 ch. 2 CC). Si la contre-prestation ne fait que
compenser la perte de la réserve, elle ne constitue que le versement d’un
montant auquel le renonçant aurait de toutes façons eu droit et ne lèse donc
pas les autres HR. Par contre, si elle excède le montant de sa réserve, elle
constitue une libéralité éventuellement sujette à réduction (art. 535 ss CC).
Enfin, concernant les effets, il faut distinguer selon le type de renonciation. Si
la renonciation est totale, le cocontractant ne devient pas héritier, n’est pas
membre de la communauté héréditaire, ne répond pas des dettes et n’est pas
associé aux opérations de partage. Naturellement, le DC peut toujours
instituer le renonçant héritier ou faire à celui-ci un legs malgré le pacte. Si elle
est partielle, les effets du pacte dépendent des prestations concrètes
auxquelles le cocontractant a renoncé. Dans les deux cas, la renonciation a
pour effet d’augmenter la QD. Concernant les descendants du renonçant, le
pacte est, sauf clause contraire, opposable aux descendants (contrairement
IUR III 2012-2013 73
Jérémy Stauffacher Droit des Successions
aux principes généraux), peu importe le type de renonciation (à titre gratuit ou
non). Concernant la contre-prestation, comme cela a déjà été dit, seule la
partie qui excède le montant de la réserve doit être réunie et peut être réduite.
Enfin, il faut préciser que les créanciers de l’héritier présomptif renonçant,
contrairement à ceux de l’HR (art. 524 CC), ne bénéficient d’aucune
protection contre l’abandon de l’expectative successorale. Par contre,
l’art. 497 CC protège les créanciers héréditaires dans la succession du DC
dans la mesure où le renonçant a reçu une part des actifs sur lesquels les
créanciers auraient normalement pu se payer.
8. Cours du 6 novembre 2012
Chapitre 4. La forme de dispositions
La forme revêt une importance particulière pour les DpCM, d’une part parce
qu’elles entraînent souvent des conséquences sur la totalité du patrimoine
d’une personne et d’autre part parce qu’elles produisent leurs effets à un
moment où leur auteur ne peut plus être interrogé sur ses intentions. Les
règles des art. 498 ss CC ont donc pour but d’amener l’auteur à bien mûrir sa
décision et à l’exprimer de manière claire. En principe, le non respect de ces
règles de forme entraîne l’annulabilité (nullité successorale) des dispositions
(art. 520 al. 1 CC). Toutefois, les actes qui se présentent sous une forme
véritablement éloignée de ce qui est requis peuvent être déclarés nul
d’emblée. A l’inverse, la loi prévoit quelques exceptions pour des informalités
mineures. Enfin, le TF a rappelé que les prescriptions de forme doivent être
interprétées en fonction des buts qu’elles poursuivent et en tenant compte du
principe du favor testamenti. En ce qui concerne le testament, l’art. 498 CC
énumère exhaustivement quelles peuvent être les formes possibles :
- Le testament public, forme qualifiée d’acte authentique (art. 499-504).
- Le testament olographe, forme qualifiée sous seing privé (art. 505).
- Le testament oral, forme qualifiée de déclaration verbale (art. 506-508).
Les deux premières formes sont dites ordinaires alors que la dernière est dite
extraordinaire, réservée à certaines circonstances exceptionnelles. En ce qui
IUR III 2012-2013 74
Jérémy Stauffacher Droit des Successions
concerne le pacte successoral, il doit toujours être reçu dans la forme du
testament public et donc de l’acte authentique qualifié (art. 512 CC).
§25. Le testament public
Le testament public est l’acte de DpCM de dernières volontés reçu par un
officier public avec le concours de deux témoins (art. 499). La confection d’un
testament public comporte 5 phases (art. 500-502 CC) :
- Le DC (testateur) indique ses volontés à l’officier public (art. 500 al. 1).
Il s’agit de la phase de la communication de la volonté.
- L’officier public transcrit ou fait transcrire les volontés dans un acte
(art. 500 al. 1). Il s’agit de la phase de rédaction de l’acte.
- Le testateur s’assure que l’écrit correspond à sa volonté, consacrant la
phase de vérification. Cette phase peut avoir lieu de deux manières :
o Le testateur peut lire lui-même l’acte et ensuite confirmer sa
vérification en signant le testament (art. 500 al. 1-2 CC).
C’est la forme principale du testament public.
o L’officier public donne lecture de l’acte au testateur et aux deux
témoins. Le DC déclare ensuite que l’acte contient ses dernières
volontés (art. 502 al. 1, forme secondaire du testament public).
- L’officier signe et date l’acte, lui conférant son caractère authentique
(art. 500 al. 3, phase de l’authentification du testament public).
- Les deux témoins confirment que le testateur a procédé à la
vérification du contenu et certifient qu’il leur a paru capable de disposer
(art. 501 al. 1-2). Il s’agit de l’attestation des témoins.
Les deux premières phases relèvement de la procédure préalable, ayant pour
but de préparer la procédure d’instrumentalisation proprement dite, constituée
des trois dernières étapes indiquées ci-dessus. L’art. 503 CC définit divers
cas d’incapacité et de récusation qui empêchent un officier public ou des
témoins de concourir valablement à l’acte. Les personnes qui participent avec
le DC à la confection du testament doivent ainsi présenter les qualités
IUR III 2012-2013 75
Jérémy Stauffacher Droit des Successions
personnelles nécessaires pour éviter que la procédure ne soit faussée en
raison de leurs intérêts personnels.
Précisons en outre que la forme du testament public est de droit fédéral : il
s’agit d’une forme qualifiée d’acte authentique, caractérisée par l’intervention
de deux témoins. Le droit cantonal joue tout de même un certain rôle, soit
parce que le droit fédéral y renvoie (art. 499 et 504 CC), soit parce qu’on peut
trouver en droit cantonal des solutions aux questions non régies par le CC.
Ainsi, les cantons ont notamment l’obligation de veiller à ce que les officiers
publics conservent en original ou en copie les testaments publics reçus ou
alors qu’ils les remettent en dépôt à une autorité (art. 504).
§26. Le testament olographe
Le testament olographe est le testament sous seing privé, entièrement écrit,
daté et signé de la main du testateur (art. 505 CC). Environ 90% des
testaments sont olographes : les avantages de cette forme tiennent
essentiellement à sa simplicité de rédaction et de modification. Le testament
olographe permet également au DC de tenir ses dernières volontés secrètes.
Toutefois, cette forme présente certains inconvénients : le DC ne peut en effet
pas se rendre compte des difficultés d’interprétation que ses dernières
volontés pourraient poser. Dès lors, il est utile que le DC se fasse conseiller
par un spécialiste. De plus, le risque d’être influencé par l’entourage est plus
grand que pour le testament public, pour lequel la présence d’un officier
public apporte une certaine garantie. Enfin, le testament olographe risque
plus facilement d’être détruit ou ignoré, d’où l’intérêt de le déposer chez une
personne de confiance. Il convient à présent d’examiner quelques points :
- Le support matériel : la loi ne précisant rien à ce sujet, le testament
peut être écrit sur tout ce qui supporte l’écriture (papier, bois, toile ou
encore mur, peu importe). Le testament n’a pas besoin de constituer
un document distinct, ni même d’être intitulé testament.
- L’écriture : toutes les dispositions du testament doivent être écrites de
la main du testateur. Il doit donc écrire lui-même, de la manière qui lui
est habituelle. L’utilisation de l’ordinateur, de la machine à écrire ou de
IUR III 2012-2013 76
Jérémy Stauffacher Droit des Successions
toute autre machine rend le testament invalide. Tant que le document
n’est pas daté et signé, les modifications apportées sont valables, pour
autant que le texte conserve une clarté suffisante. Après la signature,
les modifications sont régies par d’autres règles :
o Les ratures et biffages ont la portée de suppressions partielles
de l’acte (art. 510 al. 1 CC) et sont donc valables.
o Les corrections ou adjonctions, par contre, constituent une
nouvelle DpCM qui doit respecter la forme de l’art. 505 CC et
doivent donc être datées et signées. Malgré cela, une adjonction
faite par le DC (indubitablement) au-dessus de la signature est
valable même si elle n’a pas été à nouveau signée.
- La date : elle consiste dans la mention écrite de l’année, du mois et du
jour où l’acte a été dressé (art. 505 al. 1 CC). Grâce à la date, il est
possible de vérifier si le DC avait la capacité de disposer au moment
où il a fait le testament. On pourra également rétablir l’ordre
chronologique entre plusieurs testaments et mieux distinguer l’acte
définitif des simples projets. En outre, depuis 1996 (révision de
l’art. 505), la mention du lieu n’est plus exigée. L’art. 520a CC relativise
l’exigence de date : ainsi, le testament dont la date fait défaut ne peut
être annulé que s’il est impossible de déterminer d’une autre manière
les données temporelles requises et que la date est nécessaire pour
juger de la capacité de tester de l’auteur de l’acte, de la priorité entre
plusieurs dispositions ou de toute autre question de validité.
- La signature : en général, la signature consiste dans l’apposition du
nom et du prénom du testateur. Mais, d’une manière générale, toute
indication ne laissant planer aucun doute sur l’auteur est suffisante
(nom de famille ou prénom seuls, diminutifs, pseudonyme). Il n’est en
outre pas nécessaire que la signature soit légalisée. Celle-ci doit par
contre figurer au bas de l’acte, de manière à couvrir le bas de celui-ci.
§27. Le testament oral
IUR III 2012-2013 77
Jérémy Stauffacher Droit des Successions
Le testament oral consiste dans la déclaration par le testateur de ses
dernières volontés à deux témoins, qui les communiquent ensuite é une
autorité judiciaire ou, si le testateur est un militaire en service, à un officier
ayant au moins le grade de capitaine (art. 506 al. 2-3 et 507 CC). Il s’agit
d’une forme exceptionnelle : le DC ne peut y recourir que s’il est empêcher de
tester sous une autre forme (art. 506 al. 1). Le DC doit donc être incapable
d’écrire et ne pas avoir le temps de faire appel à un officier public pour
recevoir ses dernières volontés (danger de mort imminent, épidémie, guerre,
communications interceptées ou autres circonstances extraordinaires : DC
grièvement blessé dans un accident de voiture par exemple). En ce sens, le
testament oral perd sa validité (et devient donc caduc) 14 jours après que le
DC a recouvré la possibilité de tester d’une autre manière (art. 508 CC).
§28. Le pacte successoral
Le pacte successoral ne peut être conclu que dans la forme du testament
public (art. 512 al. 1, renvoyant aux art. 499-503 CC). Comme le testament
public, le pacte successoral peut être passé en la forme principale ou en la
forme secondaire. Enfin, les formalités du testament public doivent tout de
même être adaptées au caractère bilatéral du pacte (art. 512 al. 2 CC). Ainsi,
les deux parties doivent prendre connaissance de l’acte, ce qui suppose que
disposant et cocontractant doivent être présents devant l’officier public.
Chapitre 5. La caducité des disposition
Entre le moment où les DpCM sont prises et celui de l’ouverture de la
succession, divers événements peuvent rendre caduques certaines mesures
décidées par le DC. Il faut distinguer le cas des testaments (art. 509-511 CC)
de celui des PS (art. 513-515 CC). Enfin, pour des raisons historiques,
l’art. 516 rapproche la caducité de la diminution de la liberté de disposer.
§29. La caducité des testaments
IUR III 2012-2013 78
Jérémy Stauffacher Droit des Successions
Le testament étant une disposition de dernière volonté, la première cause
possible de caducité est la révocation par le DC (art. 509, 510 al. 1 et 511). Le
testament peut toutefois également devenir caduc indépendamment de la
volonté du DC, par l’effet de forces extérieures (art. 510 al. 2 CC) selon la loi :
- La révocation du testament : par nature, le testament peut être révoqué
en tout temps par son auteur (art. 509 al. 1 CC). Pour ce faire, il
dispose de quatre moyens, utilisables pour les 3 formes de testament :
o La révocation proprement dite (art. 509) : il s’agit d’une DpCM
par laquelle le DC déclare révoquer tout ou partie d’un
testament. Cette révocation expresse doit obéir aux règles des
DpCM et doit donc être revêtue de l’une des formes du
testament ou du PS (valable dans un PS si révocable).
o La suppression de l’acte par le testateur (art. 510) : comme la
révocation expresse, la suppression équivaut à une DpCM. Le
disposant doit donc avoir la capacité de disposer (art. 567 CC)
et la volonté de détruire l’acte en vue de révoquer le testament.
Ainsi, une destruction involontaire ne remplit pas les conditions
de l’art. 510 al. 1 mais constitue un cas de l’art. 510 al. 2 CC.
Par suppression on entend toute action matérielle sur le
testament qui révèle l’intention de le révoquer en totalité ou en
partie. Le testateur ne doit pas forcément agir lui-même, il suffit
que ce soit lui qui prenne la décision et donne les directives.
o La confection de DpCM ultérieures (art. 511 al. 1 CC) : le
testament étant une disposition de dernières volontés, les
DpCM inconciliables avec une disposition antérieure l’emportent
sur celles-ci. Dans le cas contraire, si la disposition postérieure
est compatible avec la précédente, on considère qu’il s’agit
uniquement d’une précision (toutes les deux sont dès lors
maintenues). C’est parce que la volonté du DC n’est pas
toujours forcément claire que le législateur a voulu instituer en la
matière une présomption en faveur de la révocation des
dispositions précédentes (art. 511 al. 1 CC).
IUR III 2012-2013 79
Jérémy Stauffacher Droit des Successions
o L’aliénation de l’objet de la DpCM (art. 511 al. 2 CC) : le DC
restant libre de disposer de son vivant des choses qu’il a
attribuées, l’aliénation d’une de ces choses manifeste son
intention de révoquer la DpCM. Toutefois, le CC ne fait que
présumer que telle était l’intention du DC. Dès lors, le
bénéficiaire peut établir que, dans l’esprit du DC, il devait
recevoir la contre-valeur de la chose aliénée ou l’objet acquis en
remplacement de celle-ci. Précisons que le terme « legs » de
l’art. 511 al. 2 est trop étroit : l’art. vise toutes les DpCM qui
peuvent se rapporter à une chose déterminée.
La révocation elle-même étant une DpCM, elle peut être révoquée à
son tour. Il faut alors déterminer si le DC voulait revenir sur son
intention primitive et faire revivre la première disposition ou s’il souhaite
plutôt revenir à la succession légale (ce que le TF présume).
- Suppression du testament (art. 510 al. 2) : cet art. vise tous les cas où
le document est supprimé indépendamment de la volonté du DC (par
cas fortuit). Dans tous ces cas, le testament n’est pas caduc de plein
droit mais ne le devient que s’il est impossible d’en reconstituer le
contenu. Toute personne qui y a intérêt peut donc prouver quel était le
contenu (sens) exact et intégral (pas forcément le texte) du testament.
- Autres causes légales de caducité : il s’agit des situations suivantes :
o Le prédécès (art. 542-543) ou l’indignité (art. 540 et 572 al. 2)
du gratifié et la répudiation par celui-ci (art. 572 al. 2 et 577 CC).
o Le divorce et l’annulation de mariage rendent caduques les
DpCM faites par l’un des époux en faveur de l’autre avant la
litispendance de la procédure (art. 120 al. 2 et 190 al. 2 CC).
o La dissolution judiciaire et l’annulation du partenariat enregistré
rendent également caduques les dispositions pour cause de
mort prises par l’un des partenaires en faveur de l’autre avant la
litispendance de la procédure (art. 31 al. 2 et 11 al. 2 LPart).
o L’écoulement du délai légal de 14 jours dans le cas du
testament oral (DC retrouvant la capacité de tester ; art. 508).
o La destruction, volontaire ou non, de la chose attribuée.
IUR III 2012-2013 80
Jérémy Stauffacher Droit des Successions
o L’avènement d’une condition résolutoire ou le non-avènement
d’une condition suspensive mise à la DpCM.
§30. La caducité des pactes successoraux
De par sa nature contractuelle, le PS ne peut être révoqué unilatéralement : il
ne peut ainsi être rendu caduc que d’entente avec les parties (art. 513 al. 1).
Dans deux cas, il est possible de mettre fin au pacte par un acte unilatéral
(art. 513 al. 2 et 514). Les PS peuvent devenir caduc de par la loi (art. 515).
- Convention contraire : comme tout contrat, le PS peut être remis en
cause par un contrarius des parties, même si le bénéficiaire est un
tiers. Par contre, au contraire de ce que prescrit l’art. 115 CO, la
convention contraire doit être passée en la forme écrite.
- Révocation unilatérale pour cause d’exhérédation : l’expectative de la
personne gratifiée par un pacte d’attribution est analogue à celle d’un
HR. Dès lors, le législateur a considéré que le disposant devait pouvoir
priver le cocontractant de son expectative s’il se rend coupable, après
la conclusion du pacte, d’un acte cause d’exhérédation (art. 513 al. 2).
L’annulation unilatérale doit alors se faire dans l’une des formes
prescrites pour le testament (art. 513 al. 3 CC). En outre, si le pacte a
été conclu à titre onéreux, elle doit être notifiée au cocontractant.
- Résolution du pacte pour cause d’inexécution : le pacte ne peut être
remis en cause que si la ou les prestation(s) due(s) n’est (ne sont) ni
exécutée(s) valablement (art. 68 ss CO), ni garantie(s) selon ce qui
avait été convenu. La remise en cause est également possible lorsque
le disposant dissipe sa fortune ou rend impossible l’exécution d’un legs
(art. 514 par analogie). Dans tous les cas, le créancier doit procéder
conformément aux règles prévues par le droit des obligations pour les
cas d’inexécution des contrats synallagmatiques (art. 107-109 CC).
- Autres causes légales de caducité : il s’agit des mêmes causes que
pour les testaments. Ainsi, si l’héritier ou le légataire gratifié
prédécèdent, ils ne succèdent pas (art. 542-543 CC) et leur part revient
IUR III 2012-2013 81
Jérémy Stauffacher Droit des Successions
aux héritiers légaux du disposant (art. 572 al. 2 par analogie). Le pacte
est alors résilié de plein droit. Cette règle est toutefois de droit
dispositif : les parties peuvent donc convenir d’une substitution vulgaire
en faveur des héritiers du gratifié ou de tiers (art. 572 al. 2 CC).
§31. L’influence de la diminution de liberté de disposer
Il peut arriver que la situation familiale du DC se modifie de telles façons que
sa liberté de disposer diminue (mariage, partenariat enregistré ou nouveau
descendant, que ce soit par naissance, adoption, reconnaissance ou action
en paternité). Dans ce genre de cas, le droit romain et certains droits
cantonaux prévoyaient la caducité des DpCM. Le droit suisse, au contraire, se
contente de rappeler que les dispositions sont réductibles à la demande du
nouvel HR (art. 516 CC), afin d’assurer sa réserve (et non sa part légale).
9. Cours du 13 novembre 2012
Chapitre 6. L’inefficacité des dispositions
Pour terminer l’étude de la vocation volontaire, il faut analyser la sanction des
règles sur les DpCM. Deux voies de droit, applicables tant aux testaments
qu’aux PS, sont prévues par le CC : l’action en nullité, sanctionnait les règles
sur la capacité et la volonté de disposer, sur les modes de disposer et sur la
forme des DpCM (art. 519-521 CC) et l’action en réduction, permettant
d’obtenir le respect des réserves héréditaires et sanctionne la violation des
règles sur la liberté de disposer (art. 522-533 CC). Avant d’analyser ces deux
voies de droit, il convient de présenter l’ensemble des causes d’inefficacité
des dispositions pour cause de mort.
§32. Les causes d’inefficacité des dispositions
L’inefficacité des DpCM peut résulter de l’inexistence de l’acte, de la caducité
de l’acte ou de son invalidité. En général l’invalidité entraîne l’annulabilité :
IUR III 2012-2013 82
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la disposition reste donc valable tant que l’invalidité n’a pas été prononcée par
une action en nullité. Il existe tout de même quelques cas de nullité absolue.
Il faut également distinguer le cas particulier des dispositions réductibles, qui
forment une catégorie particulière de dispositions invalides :
- Les dispositions ne produisant d’emblée aucun effet : inexistantes,
caduques ou nulles de plein droit, ces DpCM sont d’emblée sans effet.
Il n’est pas nécessaire de les attaquer par le biais de l’action en nullité
(ou en réduction). Tout intéressé peut faire constater en tout temps
l’inefficacité de la DpCM par une action déclaratoire, qui n’est pas
soumis aux art. 519 ss (que ce soit pour ses conditions ou ses effets).
o Les dispositions inexistantes : il s’agit des DpCM auxquelles il
manque un élément constitutif. Voici deux exemples :
La volonté de disposer fait défaut : la DpCM peut être
simulée, faite par plaisanterie ou dans un but didactique,
avoir été rédigée sous la contrainte ou exprimer un vœu.
L’acte n’émane pas du DC : si l’acte est faux dans son
ensemble, il n’existe pas du tout. Si des tiers ont fait des
adjonctions, seules celles-ci sont considérées comme
inexistantes mais l’acte en lui-même demeure valable.
o Les dispositions caduques : il s’agit des DpCM dont la validité
était subordonnée à la survenance d’une condition suspensive
(légale) qui ne s’est pas réalisée ou à la non-survenance d’une
condition résolutoire (légale) qui s’est réalisée.
o Les dispositions nulles de plein droit : ce sont les DpCM
affectées d’une vice si fondamental que la jurisprudence ou la
doctrine admettent, en dérogation aux art. 519-521 CC, qu’elles
sont privées de tout effet juridique. Il peut notamment s’agir
d’une clause par laquelle le DC s’en remet à un tiers afin que
celui-ci attribue ses biens successoraux, du legs d’une chose
dont le DC ne pouvait disposer (substitution fidéicommissaire),
d’une clause frappée d’une impossibilité objective initiale, d’une
promesse de passer un pacte successoral ou encore de cas
extrêmes de violation des règles sur la capacité de disposer
IUR III 2012-2013 83
Jérémy Stauffacher Droit des Successions
(testament rédigé par un enfant de huit ans) ou sur la forme des
dispositions pour cause de mort (testament d’origine douteuse,
écrit entièrement à l’ordinateur, non daté et non signé).
- Les dispositions annulables : il s’agit de toutes les DpCM visées par les
art. 519 et 520 CC (absence de capacité de disposer, vice de la
volonté, illicéité du mode de disposer et vice de forme). Alors que de
tels actes passés entre vifs sont en principe nuls (nullité absolue ou
relative), le droit successoral ne prononce qu’une annulabilité. La
disposition est donc valable tant que personne ne l’a attaquée. Si
personne ne le fait ou si l’action n’aboutit pas (irrecevabilité ou rejet), la
disposition devient donc pleinement valable.
- Les dispositions réductibles : ce sont toutes les DpCM qui portent
atteinte aux réserves héréditaires. Elles ne sont alors pas annulées
entièrement mais seulement réduites de ce qui est nécessaire pour
reconstituer les réserves lésées. Tout comme l’action en nullité, l’action
en réduction est formatrice (ou constitutive).
§33. L’action en nullité
L’action en nullité est la voie de droit qui sanctionne les règles sur la capacité
et la volonté de disposer, sur les modes de disposer et sur la forme des
dispositions pour cause de mort. La nullité peut également être invoquée par
voie d’exception (art. 521 al. 3 CC). L’action comme l’exception ont un
caractère formateur (constitutif) : elles tendent à supprimer les effets de
DpCM jusqu’alors valables. Si l’invalidité de la disposition est admise par
toutes les personnes à qui celle-ci donne droit, l’ouverture d’une action en
justice n’est toutefois pas nécessaire. Il s’agit à présent d’analyser les
conditions (personnelles, matérielles, for et péremption) et les effets :
- Les conditions personnelles et matérielles, le for et la péremption :
o Les conditions personnelles : la qualité pour agir appartient à
toute personne intéressée, héritière ou légataire, à l’annulation
des dispositions litigieuses (art. 519 al. 2 et 520 al. 3). L’action
doit être dirigée contre toutes les personnes qui tirent
IUR III 2012-2013 84
Jérémy Stauffacher Droit des Successions
directement avantage, au détriment du demandeur, de la
disposition dont l’annulation est demandée.
o Les conditions matérielles : l’action n’est admise que si la
disposition est affectée d’une cause de nullité (art. 519 ss CC) :
Incapacité de disposer (art. 519 al. 1 ch. 1 et 467-468).
Vice de la volonté (art. 519 al. 1 ch. 2 et 469).
Illicéité ou immoralité (art. 519 al. 1 ch. 3 et 482-497).
Vice de forme (art. 520 al. 1 et 498-508, 512 et 509-515).
Vice de forme concernant la date (art. 520a CC).
o Le for : le for est au dernier domicile du DC (art. 18 al. 1 LFors).
o La péremption : même si l’art. 521 parle de délais de
prescription, il s’agit de délais péremptoires, qui ne peuvent être
ni suspendus ni interrompus et doivent être mis en œuvre
d’office par le juge. Il faut distinguer deux situations, selon que
la nullité est invoquée par action ou par exception :
L’exception de nullité : l’exception de nullité ne se périme
pas et peut être opposée en tout temps (art. 521 al. 3).
L’action en nullité : l’art. 521 prévoit 3 délais :
Un délai relatif d’une année à compter du jour où
le demandeur a eu la possibilité subjective d’agir.
Un délai absolu de dix ans dès l’ouverture de l’acte,
indépendant de la conscience du demandeur.
Un délai absolu prolongé à trente ans, applicable
lorsque l’action est dirigée contre un défendeur de
mauvaise foi et lorsque l’annulabilité de la
disposition est fondée soit sur le caractère illicite
ou immoral de celle-ci, soit sur l’incapacité de
disposer du DC (art. 521 al. 2). Si ce délai de 30
ans est applicable, les deux autres ne le sont plus.
- Les effets : le jugement entraîne l’annulation de l’acte vicié. Toutefois,
le principe favor testamenti impose si une conversion est possible :
o L’annulation de l’acte : si la nullité est prononcée pour incapacité
de disposer ou pour vice de forme, le jugement invalide en
IUR III 2012-2013 85
Jérémy Stauffacher Droit des Successions
principe l’acte dans son entier (sauf art. 520 al. 2). Au contraire,
en cas de vice de la volonté et d’illicéité ou d’immoralité, seules
les dispositions affectées sont annulées (sous réserve du cas où
il est possible de prouver que le DC n’aurait pas pris l’ensemble
des DpCM sans celles frappées de nullité, art. 20 al. 2 CO par
analogie). Le jugement produit un effet rétroactif : on considère
que la disposition n’a jamais existé et on applique dès lors les
DpCM antérieures ou, s’il n’y en a pas, la vocation légale. Ainsi,
un HR devrait favoriser l’action en nullité car cela lui permet de
retrouver sa part légale, en plus de sa réserve.
o La conversion des actes viciés : chaque fois que cela est
possible, la DpCM viciée doit être convertie de plein droit en une
autre DpCM valable. Pour être convertie, une disposition doit
être viciée et remplir les conditions de validité d’une autre DpCM
ou d’un acte juridique entre vifs poursuivant un but analogue.
Enfin, on doit pouvoir admettre que le DC aurait préféré choisir
la disposition valable plutôt que l’absence de disposition.
§34. L’action en réduction
L’action en réduction est la voie de droit qui permet à l’héritier dont la réserve
est lésée d’obtenir que les libéralités pour cause de mort ou entre vifs faites
par le DC soient réduites jusqu’à due concurrence (art. 522 al. 1 : sanction en
cas de violation des règles sur la liberté de disposer, art. 470-480). L’action
en réduction est une action formatrice (constitutive) tendant à la modification
d’effets juridiques déjà produits (résultant d’une DpCM ou d’une libéralité
entre vifs). Cette caractéristique amène trois précisions (trois conséquences) :
- La protection des HR n’est pas assurée d’office : celui-ci doit faire
valoir ses droits au cours du processus de liquidation de la succession.
L’ouverture d’une action n’est toutefois pas nécessaire si le droit à la
réserve est reconnu par les bénéficiaires des libéralités réductibles.
Inversement, le HR peut décider, après l’ouverture de la succession,
de renoncer, sans forme et même tacitement à faire valoir sa réserve.
IUR III 2012-2013 86
Jérémy Stauffacher Droit des Successions
- Le HR indûment exhérédé ou passé sous silence par le DC n’a pas la
qualité d’héritier tant qu’il n’a pas obtenu le respect de sa réserve : il ne
devient pas droit propriétaire et possesseur des biens successoraux
par l’effet de l’art. 560 CC et ne peut demander le partage. De même, il
ne répond pas des dettes du DC : il reste simplement héritier virtuel
jusqu’à l’entrée en force du jugement de la réduction.
- Le HR qui ne reçoit pas l’intégralité de sa réserve mais qui n’est pas
exclu par le DC est héritier : il participe à la gestion des biens, peut
demander le partage, répond des dettes et autres conséquences. La
voie pour obtenir la réduction varie alors selon le type de libéralité :
o Si le HR doit attaquer des DpCM non exécutées ou
(exceptionnellement) des libéralités entre vifs non exécutées,
l’héritier peut se contenter d’attendre que le gratifié ouvre action
pour obtenir son dû et lui opposer l’exception de réduction
(imprescriptible, comme le précise l’art. 533 al. 3 CC).
o Si le HR doit attaquer une libéralité entre vifs ou une DpCM
portant sur des biens dont le bénéficiaire est déjà possesseur, il
doit ouvrir, dans le délai de l’art. 533 CC, l’action en réduction.
La nature de l’action ayant été précisée, il convient de parler de son objet. La
réduction ne tend pas forcément à la suppression totale de la DpCM ou de la
libéralité entre vifs, mais seulement à ce qu’elle soit diminuée de ce qui est
nécessaire pour reconstituer la réserve. Si la libéralité n’a pas encore été
exécutée, demander la réduction suffira pour atteindre le résultat recherché.
Par contre, si elle a déjà été exécutée ou si son bénéficiaire se trouve, d’une
autre façon, déjà en possession des biens, la seule réduction de la libéralité
ne suffira pas à reconstituer la réserve. L’action en réduction doit alors être
complétée par une action en restitution de la partie de la libéralité qui a été
réduite. Les deux actions, généralement ouvertes en même temps, ne sont
toutefois pas de même nature : la première est formatrice (et personnelle)
alors que la seconde est condamnatoire (restitution du manque pour assurer
la réserve). Il s’agit à présent d’analyser les conditions personnelles,
matérielles, les règles sur le for et la péremption de l’action en réduction :
IUR III 2012-2013 87
Jérémy Stauffacher Droit des Successions
- Les conditions personnelles : légitimation active et passive :
o La qualité pour agir : elle appartient aux HR et, à certaines
conditions, à ses créanciers. L’exécuteur testamentaire et le
cessionnaire de la part héréditaire sont donc exclus :
Les HR : tout HR qui ne reçoit pas le montant de sa
réserve peut agir en réduction (art. 522 al. 1 CC), seul ou
avec d’autres HR dans la même situation. Toutefois
s’il renonce (pacte de renonciation) ou répudie à la
succession ou s’il est indigne, il perd la qualité pour agir.
Enfin, s’il décède après l’ouverture de la succession, ses
propres héritiers ont qualité pour agir (action pécuniaire).
Les créanciers des HR : l’expectative successorale des
HR constitue une partie de son crédit. L’attente des
créanciers est donc trompée si ceux-ci sont privés de leur
réserve et n’intentent pas d’action en réduction. Pour
éviter cela, l’art. 524 CC reconnaît la qualité pour agir en
réduction à la masse en faillite de l’héritier lésé ou au
créancier possédant contre lui un acte de défaut de biens
(avec les conditions de l’art. 480 en cas d’exhérédation).
o La qualité pour défendre : l’action peut être dirigée contre toute
personne ayant reçu une libéralité qui porte atteinte à la réserve
du demandeur. Précisons que l’exécuteur testamentaire et la
communauté héréditaire n’ont pas la qualité pour défendre.
- Les conditions matérielles : selon l’art. 522 al. 1 CC, l’admission de
l’action suppose l’existence d’une ou plusieurs libéralités du DC
excédant la quotité disponible et lésant le montant de sa réserve :
o Une disposition réductible : il s’agit de dispositions prises par le
DC qui constituent des libéralités (procurant à un tiers une
attribution sans contre-prestation équivalente) :
Des DpCM (institutions d’héritiers, legs, charges ; selon
les art. 522 al. 2 et 528 al. 2 CC) : l’art. 522 al. 2 CC
présume d’ailleurs que les dispositions relatives aux lots
des héritiers sont des règles de partage et non des legs
IUR III 2012-2013 88
Jérémy Stauffacher Droit des Successions
préciputaires (art. 608 al. 3 CC). En outre, il ressort de
l’art. 528 al. 2 CC que les attributions faites par PS sont
sujettes à réduction même si elles ont donné lieu à une
contre-prestation. Ainsi, si l’attribution a été réduite, la
contre-prestation peut l’être également.
Des libéralités entre vifs : les libéralités entre vifs ne sont
réductibles que si la loi le prévoit (art. 527 ch. 1-4 CC,
art. 529, art. 216 al. 2, 241 al. 3 CC, 25 al. 2 LPart).
o Une libéralité excédant la quotité disponible : si l’ensemble des
libéralités portent sur une fraction de la succession qui excède
la QD ou sur des biens dont la valeur dépasse celle de la QD, la
situation est claire. Par contre, il peut arriver que la réserve d’un
HR soit lésée alors même que le DC a respecté la QD. En effet,
la partie de la succession dont le DC n’a pas disposé revient
aux héritiers légaux (art. 481 al. 2 CC). Or, les réserves ne
portent pas toujours sur la même fraction de la part légale
(3/4 pour les descendants et 1/2 pour les autres HR). Ainsi, la
réserve de certains HR peut être lésée du fait de l’acquisition ab
intestat d’autres héritiers sur la partie de la succession dont le
DC n’a pas disposé. Il s’agit d’un cas de libéralité cachée.
Voyons un exemple : un DC laisse son conjoint et un enfant. La
part légale de chacun est de 1/2 (art. 462 ch. 1 CC). La réserve
du conjoint et de 1/2 de 1/2, soit 1/4 (art. 471 ch. 3) et de 3/4 de
1/2 pour l’enfant, soit 3/8 (art. 471 ch. 1). La QD est donc de 3/8.
Si le DC se contente de léguer cette QD à un tiers, le reste, soit
5/8 doit être partagé entre le conjoint et l’enfant (art. 481 al. 2).
Dès lors, chacun reçoit 5/16, ce qui lèse la réserve de l’enfant
(qui est de 6/16) et dépasse celle du conjoint (de 4/16).
Etrangement, la loi ne règle pas cette question : il y a donc une
lacune proprement dite (art. 1 al. 2 CC), qui doit être comblée :
Soit on considère que la réduction de la libéralité peut
être opérée alors même que le DC n’a pas excédé la QD
(il s’agirait alors d’une exception à l’art. 522 al. 1 CC).
IUR III 2012-2013 89
Jérémy Stauffacher Droit des Successions
Soit on admet que l’acquisition ab intestat d’où découle la
lésion de la réserve peut être réduite alors même qu’elle
ne procède pas d’une disposition du DC mais de
l’application de l’art. 481 al. 2 CC. Le DC ayant manifesté
sa volonté d’utiliser la QD, on peut présumer qu’il n’a pas
imaginé que les mécanismes successoraux conduiraient
à la lésion de la réserve de certains HR. Dès lors, cette
seconde solution semble mieux respecter la volonté du
DC : une acquisition ab intestat et doit être réduite en
priorité lorsque les dispositions du DC respectent la QD.
o Une libéralité portant atteinte à la réserve du demandeur :
lorsque les libéralités dépassent les QD, les réserves sont
forcément atteintes mais cela n’implique pas toujours que la
réserve individuelle du demandeur soit lésée. En effet, la
répartition du solde de la succession ne se fait pas forcément en
proportion des réserves. Il faut donc vérifier dans chaque cas si
la réserve du demandeur est lésée. Ainsi, si le DC laisse un
enfant et son conjoint et institue un tiers héritier de la moitié de
sa succession (soit 1/8 de plus que la QD), le conjoint recevra
2/8, soit sa réserve (1/4) et l’enfant 2/8 également, soit 1/8 de
moins qu’il ne devrait (application de l’art. 481 al. 2 CC).
o Le demander n’a pas reçu le montant de sa réserve : pour que
la réserve du demandeur soit lésée, il ne suffit pas qu’il ne
reçoive pas la fraction de la succession à laquelle il a droit selon
les art. 471 ss CC, il faut encore (art. 522 al. 1) qu’il n’ait pas
reçu, sous une autre forme, le montant de sa réserve. Ainsi, la
réserve est respectée si le HR reçoit l’équivalent de celle-ci en
valeur, peu importe, en principe, sous quelle forme. De ce fait, il
doit se laisser imputer sur sa réserve les avantages que le DC
lui a accordés (biens accordés en vertu d’une règle de partage
selon l’art. 608 CC ou par une libéralité entre vifs si celle-ci est
sujette à réunion selon l’art. 475 CC). Tout de même, seules
sont imputables les attributions en propriété (excluant ainsi les
IUR III 2012-2013 90
Jérémy Stauffacher Droit des Successions
usufruits ou les rentes : la réserve doit être couverte par des
biens facilement négociables, ce qui n’est pas le cas des
usufruits ou des rentes). Selon l’art. 522 al. 1, le HR ne peut
exiger d’être héritier s’il a reçu le montant de sa réserve en
propriété sous forme de legs ou de libéralités entre vifs. Dès
lors, il ne répond pas des dettes de la succession (à titre
primaire) mais une responsabilité subsidiaire (application
analogique des art. 497 et 579 CC) semblerait équitable.
- Le for : le for est au dernier domicile du DC (art. 18 al. 1 LFors).
- La péremption : comme pour l’action en nullité, même si l’art. 533 parle
de délais de prescription, il s’agit de délais de péremptions, qui ne
peuvent être ni suspendus ni interrompus et doivent être mis en œuvre
d’office par le juge. Là encore, il faut distinguer action et exception :
o L’exception de réduction : elle ne se périme pas (voir exception
de nullité) et peut être opposée en tout temps (art. 533 al. 3).
o L’action en réduction : l’art. 533 al. 1 institue deux délais :
Un délai relatif d’une année qui court dès le jour où le HR
a eu connaissance de la lésion de sa réserve.
Un délai absolu de dix ans qui court dès le moment où
l’action est objectivement possible (ouverture du
testament en cas de dispositions testamentaires ou
ouverture de la succession dans tous les autres cas).
Les conditions ayant été vues, il s’agit à présent de parler des effets de
l’action en réduction. Il faut ainsi préciser l’ordre dans lequel les libéralités
doivent être réduites et, si cela s’avère nécessaire, dans quelle proportion. Le
CC règle également les modalités de la réduction partielle de certaines
libéralités ainsi que des conséquences de la réduction :
- L’ordre des réductions : le législateur considère que le DC commence
par utiliser la QD avant d’entamer les réserves des HR. Logiquement
donc, la réduction s’opère sur les libéralités dans l’ordre inverse où
celles-ci ont été faites (art. 532 CC). La réduction s’opère donc en
IUR III 2012-2013 91
Jérémy Stauffacher Droit des Successions
première ligne sur les DpCM, puis sur les libéralités entre vifs (en
remontant de la plus récente à la plus ancienne) :
o La réduction des DpCM : la réduction porte en premier lieu sur
les libéralités faites par testament ou par PS (institutions
d’héritiers, legs, constitution d’une fondation et autres) et sur les
donations à cause de mort (art. 245 al. 2 CO). Ces dispositions
produisant leurs effets au moment de l’ouverture de la
succession (et donc toutes simultanément), l’art. 525 al. 1
prévoit que la réduction s’opère au marc le franc et donc
proportionnellement. Ainsi, on compare la réduction globale (R)
qui doit être opérée au total des libéralités (L). Le pourcentage
est ensuite appliqué à chaque libéralité (l) afin d’établir le
montant dont celle-ci doit être réduite (r). On peut résumer la
formule avec le tableau suivant : Voyons un exemple : le DC
laisse un enfant et a légué, par testament, 12'000 francs à X,
18'000 à Y et 30'000 à Z. La masse successorale est de
160'000. L’enfant a droit aux 3/4, soit 120'000 francs (la QD est
de 40'000). Dès lors, il faut réduire l’ensemble des libéralités de
20'000 francs. On applique donc la formule. On multiplie chaque
libéralité (l) par 20'000 (R) et l’on divise ensuite le tout par
60'000 (L). On obtient alors le montant dont il faut réduire
chacune des trois libéralités (un tiers de chaque : 4'000, 6'000 et
10'000, soit 20'000 francs au total).
Pour terminer avec la réduction des
DpCM, il convient de parler du cas
particulier des libéralités faites à des réservataires. Selon l’art.
523 CC, les principes ci-dessus s’appliquent aussi aux
libéralités faites à des HR. Toutefois, dans ces cas, la réduction
ne s’opère pas sur l’ensemble du montant car l’attribution faite
par le DC couvre d’abord la réserve (il ne s’agit dès lors pas
d’une attribution). Ainsi, la formule doit être appliquée
uniquement sur le montant qui excède la réserve. Là encore, un
IUR III 2012-2013 92
R x lr =
L
Jérémy Stauffacher Droit des Successions
exemple permettra de mieux comprendre : le DC laisse deux
enfants (A et B). Dans un testament, il a décidé de laisser 1/2 à
A, 1/6 à B et 1/3 à X (un tiers). La masse successorale et de
240'000 francs. La réserve de chacun des deux enfants est de
3/8 (soit 90'000 francs). Le tableau suivant présente le cas :
Part légal Réserve (1) Part réelle (2) (2) – (1)
A 1/2 (120) 3/8 (90) 1/2 (120) +30
B 1/2 (120) 3/8 (90) 1/6 (40) -50
X 0 (0) QD 2/8 (60) 1/3 (80) +20
Comme le démontre ce tableau, B a 50'000 francs de moins que
sa réserve. Il faut donc réduire les libéralités. Pour déterminer
de combien chacune des deux libéralités doit être réduite, on
applique la formule. Pour A, on multiplie la libéralité faite, soit
30'000 (seul l’excédent est pris en compte : 120'000 – 90’000)
par 50'000 (R, soit le manque) et l’on divise le tout par 110’000
(soit le total des libéralités, L : 80'000 + 30'000) : on doit donc
amputer 13'636 francs à la libéralités faite à A. Pour B, on
multiplie 80'000 par 50'000 et l’on divise le tout par 110'000 : on
doit donc amputer 36'363 francs à la libéralités. Au total,
B récupère donc les 50'000 francs manquants à sa réserve. On
voit donc que l’on ne doit prendre en compte que la part qui
excède le montant de la réserve. Dans la formule, R reste
inchangé (manque pour le HR), mais l et L diffèrent : l
correspond à l’excédent et L au total des libéralités.
o La réduction des libéralités entre vifs : si la réduction des DpCM
n’est pas suffisante pour reconstituer la réserve, il faut réduire
les libéralités entre vifs, en remontant de la plus récente à la
plus ancienne (art. 532 CC). Si plusieurs libéralités ont été faites
au même moment, elles sont réduites proportionnellement. Le
moment déterminant pour établir quand la libéralité a été faite
est celui de l’acquisition du droit par le bénéficiaire, et non celui
IUR III 2012-2013 93
Jérémy Stauffacher Droit des Successions
de l’exécution de la libéralité. Au final, l’ordre dans lequel les
réductions doivent être opérées semble être le suivant :
1. Acquisitions ab intestat.
2. Dispositions pour cause de mort.
3. Libéralités de la modification du régime matrimonial.
4. Clauses bénéficiaires révocables d’assurance-vie.
5. Autres libéralités entre vifs (récente – ancienne).
- La proportion des réductions : chaque réservataire est en principe libre
de faire valoir ou non sa réserve. Ainsi, s’il y a plusieurs HR, il est
possible que seuls certains d’entre eux agissent pour obtenir la
réduction des libéralités excédant la QD. De même, il est possible
qu’un HR n’attaque que certaines libéralités. Dans tous ces cas, les
principes restent applicables et le demandeur ne peut obtenir les
réductions que dans la proportion de sa réserve par rapport à
l’ensemble des réserves lésées ou des libéralités faites.
- Les modalités de la réduction partielle de certaines libéralités : il peut
arriver qu’un legs ne soit que partiellement sujet à réduction en ce sens
qu’une partie respecte les limites de la QD. Cela soulève alors une
difficulté si l’objet du legs est une chose déterminée (œuvre d’art,
immeuble bâti ou tout autre corps certain) qui ne peut être partagée
sans entraîner une perte de valeur. Dans ce genre de situations,
l’art. 526 CC offre une alternative au légataire :
o Soit il demande que la chose lui soit remise moyennant
versement aux HR le montant nécessaire aux réserves.
o Soit il abandonne la chose au(x) HR, à charge pour lui (eux) de
lui transférer le disponible, à savoir l’équivalent de la valeur du
legs comprise dans la QD (valeur respectant les réserves).
Avant de présenter les conséquences de la réduction, il est nécessaire
de parler du deuxième cas de réduction partielle, celui des rentes et
des usufruits. Pour déterminer si une rente ou un usufruit se tient dans
les limites de la QD, il faut prendre en compte leur valeur capitalisée
(art. 530 CC). Si cette valeur excède la QD, le HR a le choix de faire
réduire le montant grevé de l’usufruit ou de la rente de façon à ce que
IUR III 2012-2013 94
Jérémy Stauffacher Droit des Successions
leur valeur capitalisée ne lèse plus la réserve ou alors de transférer le
disponible en pleine propriété au bénéficiaire de la libéralité.
La notion, les conditions et les effets ayant été analysés, nous terminerons ce
chapitre consacré à l’action en réduction en parlant de ses conséquences.
L’action en réduction débouche sur un jugement formateur qui modifie la
libéralité attaquée. Si elle a déjà été exécutée, l’action en réduction sera
complétée par une action en restitution de la partie réduite de la libéralité. Le
TF a jugé que l’action tend au versement d’une somme d’argent équivalente à
la valeur de la réduction qui doit être opérée (et non pas, comme l’estime la
doctrine majoritaire, à la restitution en nature). Il reste encore à préciser
l’étendue de la restitution lorsque l’objet de la libéralité a été endommagé ou
détruit ainsi que le sort à réserver aux impenses faites par le bénéficiaire et
aux fruits perçus. L’art. 528 al. 1 ne donnant qu’une réponse très partielle à
ces questions, il est nécessaire de distinguer deux situations, selon que le
possesseur a eu ou non conscience (ou aurait dû avoir conscience) que la
libéralité reçue porterait atteinte aux réserves à l’ouverture de la succession :
- Le possesseur est de bonne foi : la restitution ne porte alors que sur la
valeur de son enrichissement au jour de l’ouverture.
- Le possesseur est de mauvaise foi : la mauvaise foi peut avoir existé
déjà au moment de l’attribution ou seulement plus tard. Inversement, le
bénéficiaire de mauvaise foi peut devenir de bonne foi, notamment s’il
a conscience d’une augmentation importante du DC. L’étendue de la
restitution par le bénéficiaire de mauvaise foi n’étant pas régie par la loi
(au contraire de la restitution du possesseur de bonne foi, dépendant
de l’art. 528), le TF a jugé qu’elle allait aussi loin que l’exige la
reconstitution du patrimoine qui serait revenu aux réservataires si le
DC n’avait pas fait la libéralité.
Le dernier point sera consacré aux réductions au second degré. Il peut en
effet arriver que le bénéficiaire d’une libéralité réduite doive lui-même faire
des prestations en faveur de tiers ou en faveur des héritiers. Il ne serait
toutefois pas juste que ces prestations soient maintenues alors que la
IUR III 2012-2013 95
Jérémy Stauffacher Droit des Successions
libéralité a été réduite. Dès lors, le bénéficiaire peut demander la réduction au
second degré des prestations auxquelles il est tenu. Il existe deux cas :
- Le bénéficiaire de la libéralité réduite est lui-même tenu d’acquitter les
legs (art. 525 al. 2 CC) : le législateur est parti de l’idée que si le DC
avait su que la libéralité serait réduite, il aurait diminué de manière
correspondante le legs mis à la charge du bénéficiaire. Ainsi, l’art. 525
prévoit qu’en l’absence d’intention contraire du DC, si les libéralités
faites à une personnes sont réduites, cette personne peut demander
que les legs dont elle est débitrice soient proportionnellement réduits.
- La partie gratifiée dans un PS a fait des contre-prestations au DC
(art. 528 al. 2 CC) : lorsqu’en contrepartie d’une institution d’héritier ou
d’un legs, la personne gratifiée par un PS a elle-même fait au
disposant des prestations entre vifs, il ne serait pas juste que ces
prestations soient maintenues telles quelles si la libéralité faite au
gratifié doit être réduite. Ainsi, l’art. 528 al. 2 permet à la partie gratifiée
de répéter une part proportionnelle des contre-prestations faites.
10. Cours du 20 novembre 2012
Partie 3. La dévolution
Les règles sur la dévolution (art. 537-640 CC) déterminent comment le
patrimoine du DC passe à son ou à ses successeur(s). Elles fixent tout
d’abord comment s’ouvre la succession (art. 537- 538 et 546-559, chapitre 1).
Les règles sur la dévolution fixent ensuite les conditions (art. 539-550) et les
modalités (art. 560-601) de la succession des actifs et des passifs du DC
(chapitre 2). Enfin, il faudra préciser comment assurer la gestion commune de
la succession (art. 602-640, chapitre 3).
Chapitre 1. L’ouverture de la succession
§35. Le moment de l’ouverture de la succession
IUR III 2012-2013 96
Jérémy Stauffacher Droit des Successions
La succession s’ouvre de plein droit par la mort du DC (art. 537 al. 1 CC),
indépendamment de toute constatation officielle de celui-ci ou d’une
quelconque manifestation de volonté des successeurs. Avant, l’héritier et le
légataire n’ont qu’une expectative (protégée en cas de HR ou de PS). Même
si le DC a procédé à des avancements d’hoirie, on ne peut pas parler de
succession (viventis non datus hereditas). L’ouverture de la succession
transforme alors l’expectative en un droit pur et simple : ils ont désormais une
vocation successorale, avec effet réel pour l’héritier et effet personnel pour le
légataire. La notion de mort est définie par les règles des personnes
physiques sur la fin de la personnalité (art. 31 ss). La preuve du moment de la
mort doit être apportée, si besoin, par celui qui veut faire valoir des droits
successoraux (art. 32 al. 1). Normalement, ces preuves se font par la
production d’un acte d’état civil démontrant le décès (art. 33 al. 1 et 39 al. 2).
Le décès peut toutefois également être établi par d’autres moyens, en
particulier si le DC est décédé à l’étranger (art. 33 al. 2 CC). En outre, selon
les art. 35 ss et 546 ss CC, la loi dispense les ayants droits d’apporter la
preuve de la mort du DC si celui-ci est déclaré absent. Dans ce genre de
situations, la succession est ouverte mais la dévolution a lieu selon des
modalités particulières (art. 546 ss CC).
§36. Le lieu de l’ouverture de la succession
La succession s’ouvre au dernier domicile du défunt pour l’ensemble des
biens (art. 538 CC, de droit impératif). Cette disposition adapte le principe de
l’unité de la succession au plan spatial : les différentes opérations liées à la
dévolution doivent être accomplies en un lieu unique. Le lieu permet de
déterminer quel est le droit applicable (lorsque le droit fédéral y renvoie). Il
fixe aussi le for. Enfin, il détermine également le domicile fiscal pour le
prélèvement des droits de succession.
Il convient de distinguer la juridiction gracieuse de la juridiction contentieuse.
En ce qui concerne la première, les autorités judiciaires ou administratives du
dernier domicile du défunt sont compétentes pour prendre les mesures liées à
IUR III 2012-2013 97
Jérémy Stauffacher Droit des Successions
la dévolution (art. 18 al. 2 LFors). Ces autorités sont également compétentes
pour recevoir les déclarations et les requêtes des héritiers relatives à la
répudiation ou à l’acceptation de la succession, au bénéfice d’inventaire ou à
la liquidation officielle (art. 566 ss CC). Enfin, ces autorités sont aussi
chargées de la surveillance de l’exécuteur testamentaire ainsi que des
mesures de juridiction gracieuse liées au partage. En matière de juridiction
contentieuse, le tribunal du dernier domicile du défunt est compétent pour
connaître des actions successorales ainsi que des actions en liquidation du
régime matrimonial faisant suite au décès d’un époux (art. 18 al. 1 LFors).
Chapitre 2. L’acquisition de la succession
Alors que la capacité de succéder au DC est réglée pratiquement de la même
manière pour les héritiers et pour les légataires (art. 539-545 CC, section 1),
les modalités de l’acquisition sont bien différentes selon que le successeur est
un héritier (art. 560 et 566-597, section 2) ou un légataire (art. 562-565 CC).
Cette distinction se retrouve d’ailleurs dans les voies de droit que les
successeurs peuvent mettre en œuvre (art. 562 et 598-601).
Section 1. La capacité de succéder
L’héritier (légal ou institué) et le légataire ne peuvent acquérir l’avantage
successoral résultant de leur vocation que s’ils remplissent les deux
conditions suivantes, auxquelles seront consacrées les deux prochains § :
- Ils doivent être vivants à l’ouverture de la succession, ce que les
art. 542-545 appelle la condition du point de survie (§38).
- Ils doivent avoir la capacité de recevoir, au sens de art.539-540 (§39).
§38. Le point de survie
IUR III 2012-2013 98
Jérémy Stauffacher Droit des Successions
L’héritier et le légataire doivent survivre au DC (art. 542 al. 1 et 543 al. 1 CC).
Ils doivent donc être déjà en vie au moment de l’ouverture de la succession et
être encore en vie à ce moment-là. La condition est donc double :
- Le successeur doit être déjà en vie : la personne physique doit être
déjà née, vivante (art. 31 al. 1 CC). La personne morale, quant à elle,
doit déjà avoir acquis la personnalité juridique (art. 52). Ce principe
souffre toutefois les six exceptions suivantes :
o L’enfant conçu (nasciturus) est capable de succéder pour autant
qu’il naisse vivanr (art. 544 CC). L’enfant conçu a en effet la
jouissance des droits civils s’il naît vivant (art. 31 al. 2). Dès lors,
l’art. 544 CC applique ce principe à la capacité de succéder.
o Une DpCM peut être faite en faveur d’une fondation qui n’existe
pas encore à l’ouverture de la succession mais à laquelle le DC
veut attribuer les moyens nécessaires à sa fondation (art. 493).
o Une substitution fidéicommissaire peut être prévue au profit
d’une personne qui n’est pas encore en vie à l’ouverture de la
succession (art. 545 al. 1, en lien avec l’art. 492 al. 1 CC).
o Une institution d’héritier ou un legs peuvent être prévus en
faveur d’une personne qui n’est pas encore née (art. 545).
o La succession répudiée peut être acquise par des héritiers de
remplacement qui n’étaient pas encore en vie (art. 572 ss).
o La part de succession dont est privé l’exhérédé insolvable doit
être attribuée ses descendants nés ou à naître (art. 480 al. 1).
- Le successeur doit être encore en vie : le CC établit cette règle pour
l’héritier (art. 542 al. 1) comme pour le légataire (art. 543 al. 1). Il suffit
que le successeur ait survécu un instant au DC pour qu’il acquière
pleinement ses droits successoraux. Ainsi, l’ensemble de ceux-ci
passent à ses propres héritiers (art. 542 al. 2, applicable aux héritiers
comme aux légataires). L’expectative successorale du successeur
prédécédé (expectative non réalisée) n’est pas un droit compris dans
la succession du prédécédé et ne passe donc pas à ses héritiers :
o Prédécès d’un héritier : il faut encore distinguer selon que la
vocation de l’héritier repose sur la loi ou sur la volonté du DC :
IUR III 2012-2013 99
Jérémy Stauffacher Droit des Successions
En cas de succession légale : le prédécès de l’héritier ne
porte pas préjudice à ses héritiers : ceux-ci viennent à la
succession en lieu et place de leur ascendant prédécédé.
Si l’héritier n’a pas de descendant, sa part viendra
accroître celle des cohéritiers (sauf substitution vulgaire).
En cas de vocation volontaire : les DpCM faites en faveur
d’un héritier institué qui ne survit pas sont réputées
caduques : ce sont donc les héritiers légaux du DC qui
succèdent. Ce principe n’est exprimé que pour la
répudiation par l’héritier institué (art. 572 al. 1) mais a
pourtant une portée générale et s’applique chaque fois
qu’un héritier institué ne vient pas à la succession.
Toutefois, si le DC a simplement voulu instituer ses
héritiers légaux, on présume qu’il a simplement voulu
confirmer la vocation légale. Dès lors, on appliquera les
règles régissant la succession légale en cas de prédécès.
o Prédécès du légataire : on présume que si le légataire
prédécède, son legs profite à celui qui eut été chargé de
l’acquitter (art. 543 al. 2). Précisons que la règle s’applique par
analogie aux cas où le légataire ne succède pas, que ce soit
pour cause de répudiation, d’indignité ou d’annulation du legs.
§39. La capacité de recevoir
La capacité de recevoir repose sur la jouissance des droits civils et l’absence
d’indignité (notes marginales des art. 539-541). La capacité de recevoir est
une émanation de la jouissance des droits civils (art. 11 CC) : toute personne
physique ou morale est en principe capable d’acquérir par succession (art.
539 al. 1 et 543 al. 1). L’art. 539 al. 1 réserve le cas des personnes
légalement incapables de recevoir (autorisation nécessaire pour l’acquisition
d’un immeuble en Suisse par une personne domiciliés à l’étranger).
IUR III 2012-2013 100
Jérémy Stauffacher Droit des Successions
L’indignité est l’incapacité dans laquelle se trouve une personne, pour une
cause déterminer, de succéder à une autre à titre d’héritier ou de légataire.
Elle prive de par la loi le successeur de sa capacité de recevoir dans les cas
où le DC ne lui aurait manifestement pas laissé sa succession (ou une
libéralité) s’il avait été en mesure d’exprimer sa volonté. Le but de l’institution
est de protéger le DC en enlevant au successeur le bénéfice d’un
comportement coupable envers le défunt (assassinat par exemple).
L’indignité est doublement relative : elle n’existe d’une part qu’envers le DC
qui est la victime de l’acte indigne et seulement si celui-ci n’a pas pardonné à
l’auteur de l’acte (art. 540 al. 2 CC) et d’autre part que pour l’auteur de l’acte
indigne : elle est donc personnelle (art. 541 al. 1 CC : les descendants de
l’indigne sont capables de recevoir). Il convient de présenter les cas
d’indignité, exhaustivement énumérés à l’art. 540 al. 1 CC :
- Attenter à la vie du DC (art. 540 al. 1 ch. 1 CC) : est indigne celui qui, à
dessein et sans droit, a donné ou tenté de donner la mort au DC.
- Mettre le DC dans l’incapacité permanente (physique ou mentale)
de disposer pour cause de mort (art. 540 al. 1 ch. 2 CC) : comme pour
le premier cas, il faut que l’auteur ait agi à dessein et sans droit.
- Induire illicitement le DC à disposer pour cause de mort ou l’empêcher
de le faire (art. 540 al. 1 ch. 3 CC) : il s’agit des cas où un successeur
influence la capacité et la volonté du DC par dol, menace ou violence
(mêmes notions qu’à l’art. 469 CC, sauf contrainte physique). La
disposition couvre deux cas assez différents selon que le successeur :
o A incité le DC à prendre ou à révoquer une DpCM.
o A empêché le DC de prendre ou à révoquer une DpCM.
- Dissimuler ou détruire (modifier) des DpCM (art. 540 al. 1 ch. 4 CC) :
le successeur doit avoir agi à dessein, sans droit et dans des
circonstances telles que le DC que le DC n’a pas été en mesure de
disposer à nouveau. Peu importe que les DpCM aient été valables ou
annulables. Par contre, la destruction ou la dissimulation de
dispositions inexistantes, nulles de plein droit ou caduques n’entraînent
pas l’indignité de la personne qui l’a provoquée. Précisons que la
dissimulation constitue également une violation de l’art. 556 CC.
IUR III 2012-2013 101
Jérémy Stauffacher Droit des Successions
Pour terminer avec l’indignité et la capacité de recevoir, il convient de parler
des effets de l’indignité. L’indigne n’a pas la capacité de recevoir et ne
succède pas au DC : cet effet se produit de plein droit à l’ouverture de la
succession et a un caractère impératif. La succession est dès lors liquidée
comme si le successeur était prédécédé :
- Si l’indigne était héritier institué, sa part revient aux héritiers légaux.
- Si l’indigne était légataire, le legs tombe, ce qui profite aux débiteurs.
- Si l’indigne était héritier légal, sa part revient à ses descendants qui ont
un droit propre à la succession (art. 541 al. 2 CC) ou, à défaut, aux
autres héritiers selon l’ordre légal.
11. Cours du 27 novembre 2012
Section 2. L’acquisition par les héritiers
§40. Généralités
Conformément aux principes de l’acquisition universelle et de la saisine, les
héritiers acquièrent de plein droit l’universalité de la succession dès qu’elle
est ouverte (art. 560 al. 1 CC). Ils deviennent titulaires de tous les droits et de
tous les passifs du DC, peu importe qu’ils s’agissent d’héritiers légaux ou
d’héritiers institués. Les héritiers sont donc immédiatement titulaires de plein
droit de tous les droits transmissibles du DC (propriété des meubles et des
immeubles, droits réels limités, créances et autres droits personnels, actions
et droits corporatifs, droit de la propriété immatérielle : art. 560 al. 2 CC).
Cette acquisition a lieu sans formalité : une inscription au RF n’est pas
nécessaire, pas plus qu’un transfert de la possession (possession fictive,
indépendante de la maîtrise effective des biens). L’art. 560 al. 2 réserve les
exceptions prévues par la loi (cas visés par l’art. 566 al. 2 CC, présomption de
répudiation en cas d’insolvabilité notoire du DC, ainsi que par les art. 574 et
575 al. 2 CC, personnes à qui la succession est proposée après la
répudiation par tous les héritiers du rang le plus proche).
IUR III 2012-2013 102
Jérémy Stauffacher Droit des Successions
Concernant le passif, les héritiers deviennent aussi, à l’ouverture de la
succession, personnellement (et solidairement, art. 603 al. 1) responsables
des dettes transmissibles du DC (art. 560 al. 2). Sauf pour la collectivité
publique (art. 592), les héritiers répondent de ces dettes sur les actifs
successoraux mais aussi sur leurs biens. Les héritiers répondent
(personnellement et solidairement) même si les dettes excèdent les forces de
la succession. Cette conséquence ne pouvant leur être imposée aux héritiers
(impossible de les forcer à accepter une succession déficitaire par exemple),
le CC leur donne trois moyens de se protéger :
- Chaque héritier peut, par une déclaration de répudiation refuser
purement et simplement la succession (§41, art. 566 ss CC). Il renonce
alors aux actifs successoraux mais se libère entièrement de toute
responsabilité pour les dettes du DC et pour celles de la succession.
La répudiation fait perdre la qualité d‘héritier. Malgré tout, si tous les
héritiers du rang le plus proche répudient et que la succession est
liquidée par l’office des faillites, un solde actif (après paiement de
toutes les dettes, des legs et des frais) peut éventuellement leur
revenir (art. 573 al. 2), comme s’ils n’avaient pas répudié.
- S’il est dans l’incertitude sur l’état des actifs et des passifs, chaque
héritier peut également demander l’établissement d’un inventaire pour
ensuite décider d’accepter la succession sous bénéfice d’inventaire
(§42, art. 580 ss CC). Il reste alors héritier et continue de répondre des
dettes mais limites sa responsabilité aux dettes inventoriées.
- Enfin, chaque héritier peut requérir la liquidation officielle de la
succession (§43, art. 593 ss CC). Si elle est ordonnée, la liquidation
limite la responsabilité des héritiers aux actifs successoraux : les
héritiers le restent mais perdent toute possibilité de procéder à la
liquidation et ne répondent pas des dettes. La liquidation n’est toutefois
pas ordonnée si un autre héritier accepte la succession (même sous
bénéfice d’inventaire). Dans ce cas, le requérant qui veut restreindre
sa responsabilité n’a plus d’autre choix que de répudier la succession
ou d’accepter celle-ci sous bénéfice d’inventaire.
IUR III 2012-2013 103
Jérémy Stauffacher Droit des Successions
§41. La répudiation
La répudiation est l’acte unilatéral par lequel un héritier rend caduque son
acquisition de la succession. Elle ne peut donc intervenir qu’après l’ouverture
de la succession, une fois que l’expectative est devenue un droit, dans un
délai de trois moi (art. 567 CC). Il est en effet important que clarté soit
rapidement faite sur l’identité des successeurs du DC. Il s’agit d’un acte
formateur irrévocable et inconditionnel (art. 570 al 2 CC) qui supprime la
qualité d’héritier. Tant que l’héritier a la possibilité de répudier, l’acquisition de
la succession est provisoire : durant cette période, l’héritier est un acquéreur
sous condition résolutoire. Dès lors, ses pouvoirs de gestion et de disposition
sur la succession sont limités : il ne peut procéder qu’à l’administration
ordinaire et liquider les affaires courantes (actes indispensables au maintien
de la substance de la succession : payer les factures, percevoir les loyers,
vendre des biens périssables, continuer une poursuite / un procès et autres).
La notion ayant été précisée, il s’agit de présenter les conditions de la
répudiation ordinaire et de la répudiation présumée de l’art. 566 al. 2 CC :
- Les conditions de la répudiation ordinaire : la répudiation est un acte
formel qui doit être fait dans un certain délai. En outre, le répudiant doit
avoir la qualité et la capacité pour renoncer à ses droits de
successions. Enfin, il ne doit pas être déchu de son droit de répudier :
o La qualité pour répudier : tout héritier légal ou institué a qualité
pour répudier, y compris la collectivité publique (art. 566 al. 1).
Si un héritier répudie, ce sont les héritiers appelés à sa place
(art. 572) qui deviennent titulaires du droit individuel de répudier.
Par contre, la succession répudiée par tous les héritiers du rang
le plus proche est liquidée par l’office des faillites (art. 573 al. 1).
o La capacité de répudier : elle requiert deux éléments :
La capacité civile active : s’agissant d’un acte juridique, le
répudiant doit avoir l’exercice des droits civils. On admet
que les personnes capables de discernement mineures
ou interdites peuvent répudier avec le concours de leur
représentant légal (art. 19 al. 1 CC).
IUR III 2012-2013 104
Jérémy Stauffacher Droit des Successions
Le pouvoir de disposer : le répudiant doit avoir le pouvoir
de disposer de ses biens. Ainsi, l’époux marié sous le
régime de la communauté de biens doit avoir le
consentement de son conjoint ou celui du juge pour
répudier (art. 230 CC). Ce consentement n’est pas
nécessaire dans le régime de la participation aux acquêts
(et à fortiori dans celui de la séparation de biens), mais le
répudiant doit tout de même tenir compte des intérêts de
l’union conjugal (art. 159 al. 2 et 167 par analogie). Enfin,
l’héritier en poursuite (ou objet d’un séquestre) ou en
faillite est en droit de répudier mais ses créanciers
peuvent attaquer la répudiation selon l’art. 578 CC.
o Le délai de répudiation : la répudiation doit intervenir dans les
trois mois, faute de quoi l’héritier acquiert la succession (art. 567
al. 1 et 571 al. 1 CC). Le point de départ du délai peut varier :
Pour chaque héritier légal, il court dès le moment où
celui-ci a connu le décès du DC et sa qualité d’héritier
(art. 567 al. 2 CC). Normalement, les deux vont de pair et
la loi présume ainsi que le délai court dès la
connaissance du décès (plus facile à établir).
Pour chaque héritier institué, le délai court dès le jour où
il a été prévenu officiellement de la disposition faite en sa
faveur (art. 567 al. 2 CC). Pour l’héritier institué par
testament, le délai court en général dès la communication
officielle des DpCM. Pour l’héritier institué par PS par
contre, ce jour correspond en principe au jour du décès
du DC (en raison du caractère contractuel du pacte).
o La déchéance du droit de répudier : elle peut résulter de :
L’acceptation de la succession (art. 571 al. 1-2 CC) :
l’héritier qui a accepté la succession (avant l’échéance du
délai) ne peut plus la répudier. L’acceptation peut
s’exprimer par une déclaration de l’héritier à l’autorité, à
IUR III 2012-2013 105
Jérémy Stauffacher Droit des Successions
un créancier ou même à un cohéritier. De même, lorsque
le délai est échu, la succession est réputée acceptée.
Certains actes d’immixtion dans les affaires : l’héritier qui
s’immisce dans les affaires de la succession et fait des
actes allant au-delà de ceux nécessités par une bonne
administration et la continuation des affaires du DC est
également déchu du droit de répudier la succession.
Les actes malhonnêtes : l’art. 572 al. 2 mentionne le cas
de l’héritier qui divertit ou recèle des biens de la
succession : cela vise les cas où un héritier dissimule ou
s’approprie des biens. Ainsi, si un héritier cache le fait
qu’il détient un bien ou qu’il était débiteur du DC, il sera
déchu du droit de répudier. Dans ce genre de cas, la
répudiation serait abusive au vu du comportement de
l’héritier (actes d’immixtion ou actes malhonnêtes).
o La forme de la répudiation : la répudiation doit être faite par une
déclaration écrite ou verbale de l’héritier à l’autorité (art. 570).
- La présomption de répudiation en cas d’insolvabilité notoire du DC :
dans un cas, le principe selon lequel la répudiation exige une
déclaration de l’héritier souffre une exception. Lorsque le DC était
notoirement insolvable à l’ouverture de la succession, l’art. 566 al. 2
prévoit une présomption de répudiation. Dès lors, les héritiers doivent
déclarer qu’ils acceptent la succession ou avoir un comportement
entraînant la déchéance du droit de répudier (art. 571 al. 2 CC). Dans
le cas contraire, la répudiation est présumée par l’art. 566 al. 2 CC.
Il s’agit à présent d’analyser les effets de la répudiation. La répudiation
entraîne la caducité de l’acquisition successorale du répudiant. Il faut alors
déterminer ce qu’il advient de la part successorale répudiées. En outre, le
législateur a tenu à protéger les créanciers de l’héritier et ceux de la
succession dans les cas où la répudiation leur porte préjudice :
- Le sort de la succession répudiée : il faut alors distinguer deux cas :
IUR III 2012-2013 106
Jérémy Stauffacher Droit des Successions
o Répudiation par l’un seulement des héritiers : dans ce cas, les
effets de la répudiation diffèrent encore selon que le répudiant
était un héritier légal ou un héritier institué :
Le répudiant était un héritier légal : dans ce cas, la part
du cohéritier répudiant est dévolue comme s’il était
prédécédé (art. 572 al. 1 CC). La règle étant de droit
dispositif, le DC put prévoir une autre règle par une
substitution vulgaire (art. 487 CC). Faute de tel
mécanisme, la part est dévolue comme suit :
Si le répudiant est un parent, sa part revient à ses
descendants. Faute de descendants, sa part
accroît celle des cohéritiers (art. 457 ss CC).
Si le répudiant est le conjoint survivant, la
succession est dévolue aux parents du DC.
Le répudiant était un héritier institué : la part de l’héritier
institué répudiant est dévolue aux héritiers légaux du DC
(art. 572 al. 2 et art. 481 al. 2 CC). Là encore, la règle
étant de droit dispositif, le DC peut prévoir une
substitution vulgaire pour modifier le régime (art. 487).
o Répudiation par tous les héritiers légaux du rang le plus proche :
si l’héritier légal unique ou si tous les héritiers légaux du rang le
plus proche répudient, la succession ne passe en principe pas
aux héritiers plus éloignés, mais est liquidée par l’office des
faillites (art. 573 al. 1 CC). Le législateur a estimé qu’il était
inutile de mener le processus de dévolution jusqu’à l’acquisition
par la collectivité publique alors que la succession a été refusée
par les personnes les plus proches du défunt. Le rang le plus
proche est formé par l’ensemble des personnes qui sont
immédiatement devenues héritières légales au décès du DC
(on pourrait donc parler des héritiers appelés en première ligne).
Si tous ces héritiers répudient, l’art. 573 al. 1 veut que la
succession ne passe pas aux descendants des répudiants ou à
des héritiers plus éloignés. Le principe de l’art. 573 al. 1 souffre
IUR III 2012-2013 107
Jérémy Stauffacher Droit des Successions
toutefois deux exceptions, énoncées aux art. 574 (répudiation
par les descendants et choix du conjoint) et 575 CC (répudiation
des héritiers de 1ère ligne et offre aux héritiers venant après).
Lorsque tous les héritiers ont répudié, le produit des actifs sert à
payer les dettes du DC et de la succession, puis les légataires
(comprenant les legs dont bénéficient les répudiants). S’il reste
un solde, celui-ci est abandonné aux ayants droit, comme s’ils
n’avaient pas répudié (art. 573 CC). Les héritiers légaux (en
première ligne, voire en seconde selon les art. 574-575 CC) se
partagent donc le solde selon les principes de la vocation légale,
bien entendu sans tenir compte des réserves.
- La protection des créanciers de l’héritier : si une succession échoit à
un héritier obéré, il peut être tenté de répudier pour éviter que sa part
ne profite à ses créanciers. Dans ce type de situations, l’art. 578
permet aux créanciers d’attaquer la répudiation et de faire procéder à
la liquidation officielle de la succession. L’action des créanciers est
soumise conditions suivantes (concours des art. 288 LP et 578 CC) :
o Qualité pour agir : elle appartient à toute personne envers qui
l’héritier a une dette (même non exigible) au moment de la
répudiation ou, dès que la faillite a été prononcée, à la masse
en faillite. La dette doit être une dette personnelle de l’héritier et
non une dette du DC ou de la succession.
o Qualité pour défendre : elle appartient à l’héritier répudiant.
o Conditions matérielles : l’admission de l’action est subordonnée
aux trois conditions matérielle suivantes. D’abord, l’héritier doit
être obéré : ses passifs doivent excéder ses actifs. Ensuite, il
doit avoir eu l’intention de porter préjudice aux créanciers
(soustraire des biens à leur emprise). Elle doit être solvable et
l’héritier doit être conscient de son surendettement. Enfin, les
créanciers ne doivent pas avoir reçu de sûretés suffisantes.
o Délai : l’action doit être ouverte dans les six mois qui suivent la
répudiation (art. 578 al. 1 CC), indépendamment du moment où
IUR III 2012-2013 108
Jérémy Stauffacher Droit des Successions
les créanciers ont appris celle-ci (délai de péremption). Le for
est déterminé par le dernier domicile du DC (art. 18 al. 1 LFors).
Si elle est admise, l’action amène la liquidation officielle de l’entier de
la succession (art. 578 al. 2 CC). La répudiation n’est toutefois pas
annulée : le répudiant ne retrouve donc pas sa qualité d’héritier.
- La protection des créanciers successoraux : alors que l’art. 578 vise
l’héritier obéré qui répudie une succession solvable, l’art. 579 concerne
l’héritier solvable qui répudie une succession obérée. En principe, cette
situation n’appelle aucune protection des créanciers successoraux
(sans quoi la répudiation n’aurait plus aucun sens). Par contre, si le
répudiant a reçu un avancement d’hoirie de la part du DC, il ne serait
pas équitable qu’il puisse conserver cette avance et échapper à sa
responsabilité pour les dettes successorales. Dès lors, dans de tels
cas, les créanciers successoraux peuvent agir en responsabilité contre
le répudiant sur la base de l’art. 579 al. 1 CC aux conditions suivantes :
o Qualité pour agir : elle appartient à chaque créancier de la
succession (créancier du DC) et à chaque personne ayant une
créance née après le décès contre la succession (frais
d’obsèques et autres). Elle est reconnue à chaque créancier
individuellement (masse en faillite également), même si la
succession a été liquidée selon les règles de la faillite.
o Qualité pour défendre : elle appartient à tout héritier qui a
répudié et qui avait reçu, dans les cinq ans qui ont précédé le
décès, des biens qui eussent été sujets à rapport. Une
exception est toutefois prévue par l’art. 579 al. 2 CC pour les
prestations usuelles d’établissement pour le mariage et les frais
d’éducation et d’instruction. Dès lors, l’art. 579 al.2 exclut
l’action contre les descendants du DC qui seraient tenus au
rapport à raison d’une dotation usuelle reçue à l’occasion de
leur mariage (art. 626 al. 2 ou en raison de la prise en charge
par le DC de frais de formation extraordinaires (art. 631 al. 1).
o Conditions matérielles : l’action est soumise aux trois conditions
matérielles suivantes. D’abord, la succession doit être insolvable
IUR III 2012-2013 109
Jérémy Stauffacher Droit des Successions
(le DC doit avoir au moment du décès plus de passifs que
d’actifs). Ensuite, il faut que le défendeur ait répudié la
succession ou que celle-ci soit considérée comme répudiée de
par l’art. 566 al. 2 CC). Enfin, il faut que le créancier ait subi une
perte suite à la liquidation de la succession. Les créanciers ne
peuvent agir que s’ils n’ont pu obtenir le paiement autrement.
o Délai : l’art. 579 ne fixe pas de délai pour ouvrir action mais le
défendeur peut naturellement opposer au demandeur la
prescription. Le for n’est pas celui de l’art. 18 LFors (l’action n’a
pas un caractère successoral) ni celui de l’art. 49 LP (l’action
n’est pas dirigée contre la succession) mais le for ordinaire du
domicile du défendeur (art. 3 LFors).
Si elle est admise, l’action ne remet pas en cause la répudiation. Par contre,
le défendeur répond personnellement envers le demandeur de la dette
successoral à concurrence de l’avancement d’hoirie qu’il a reçu.
§42. Le bénéfice d’inventaire
La procédure d’inventaire prévue aux art. 580-592 CC a un double but. Elle
permet d’abord à l’héritier d’obtenir une vue claire de l’état de la succession et
lui donne ensuite le moyen de rester héritier tout en limitant sa responsabilité
pour les dettes du DC. En effet, il arrive qu’à l’ouverture de la succession un
héritier n’ait pas assez d’informations sur la situation successorale financière
pour mesurer le risque qu’il prendrait en acceptant. Il peut certes demander la
liquidation officielle ou répudier mais cela peut être un choix difficile en raison
des liens qui le liaient au défunt. Le législateur lui offre donc un mécanisme
pour prolonger son temps de réflexion avant de prendre une décision :
l’établissement d’un inventaire de la succession. Plus encore, le CC permet à
l’héritier d’utiliser cet inventaire pour limiter sa responsabilité quant aux dettes
du DC : à la clôture de l’inventaire, l’héritier peut, au lieu d’accepter
simplement ou de répudier, n’accepter la succession que sous bénéfice
d’inventaire, limitant sa responsabilité aux dettes inventoriées. Avant de
IUR III 2012-2013 110
Jérémy Stauffacher Droit des Successions
passer à la liquidation officielle, nous devons présenter les effets de
l’inventaire. Pour ce faire, il faut distinguer deux situations :
- Acquisition par les héritiers ordinaires : la procédure d’inventaire
prolonge le délai de réflexion : après la clôture de l’inventaire, l’autorité
doit fixer à chaque héritier un délai d’un mois pour prendre parti
(art. 587 al. 1 CC). Dès lors, quatre choix s’offrent à lui :
o Il peut accepter purement la succession.
o Il peut répudier celle-ci.
o Il peut demander la liquidation officielle.
o Il peut accepter la succession sous bénéfice d’inventaire.
L’acceptation pure et simple et celle sous bénéfice d’inventaire
entraînent en outre la responsabilité restreinte de l’héritier en matière
de cautionnement (art. 591 CC). Chaque héritier peut faire son choix
individuellement. En cas de silence, l’héritier est censé avoir choisi
l’acceptation sous bénéfice d’inventaire (art. 588 al. 2 CC). Par contre,
si le DC était notoirement insolvable à l’ouverture de la succession, les
héritiers qui n’ont pas demandé l’inventaire ni exprimé leur choix sont
déjà présumés avoir répudié la succession (art. 566 al. 2 CC). Enfin,
dès que l’un des héritiers a accepté la succession, la liquidation
officielle ne peut plus être ordonnée (art. 593 al. 2 CC). L’héritier qui l’a
demandée dispose alors d’un nouveau délai pour prendre parti. En cas
d’acceptation sous bénéfice d’inventaire (acceptation bénéficiaire), la
succession passe à l’héritier avec les dettes constatées à l’inventaire
(art. 589 al. 1 CC). L’acceptant devient ainsi héritier définitif, avec effet
au jour de l’ouverture (art. 589 al. 2 CC). Il est donc saisi de tous les
actifs du DC, peu importe que ceux-ci aient été ou non portés à
l’inventaire. Par contre, il n’est tenu que des dettes du DC portées à
l’inventaire. L’acceptant répond solidairement et personnellement des
dettes, comme un héritier ordinaire (art. 560 al. 2 et 603 al. 1 CC). Pour
les dettes qui n’ont pas été inventoriées, l’héritier ne répond en principe
ni sur son patrimoine si sur les biens de la succession (art. 590 al. 1).
Ce principe souffre toutefois les cinq exceptions suivantes :
IUR III 2012-2013 111
Jérémy Stauffacher Droit des Successions
o Les créances que leurs titulaires ont sans faute omis de produire :
la perte totale de la créance constituant dans ce cas une sanction
trop sévère, l’art. 590 al. 2 prévoit que l’héritier demeure obligé
dans la mesure où il est enrichi. La garantie est illimitée mais la
dette est limitée au solde actif de la succession (ce qu’il lui reste
après le paiement des dettes inventoriées, des dettes de la
succession ainsi que des autres dettes qu’il doit exécuter, y
compris celles exigées au titre de l’art. 590 al. 2 CC.
o Les créances produites mais non inventoriées par l’autorité :
l’art. 590 al. 2 ajoute que l’héritier répond également, dans les
limites de son enrichissement, des créances dûment produites,
mais que l’autorité n’a pas du tout portées à l’inventaire ou n’a
inventoriées que pour un montant inférieur. Toute action en
responsabilité contre le canton ou contre les membres de
l’autorité (fautive) est alors naturellement réservée.
o Les créances garanties par des droits de gage : les créances
non produites ou non inventoriées mais garanties par des droits
de gage grevant les biens de la succession restent dues par
l’héritier (art. 590 al. 3). La dette est tout de même limitée au
montant de la garantie assurée par le droit de gage.
o Les créances de droit public : les art. 589-590 CC ne
s’appliquent pas aux créances de droit public (impôts,
assurances sociales notamment). Au final, il incombe donc aux
héritiers de se renseigner auprès des autorités compétentes
sous peine de devoir faire face à de mauvaises surprises.
o Les créances constituant la contre-prestation d’un droit du DC
que fait valoir l’héritier : les créances constituant la contrepartie
d’un droit du DC que l’héritier invoque dans le cadre d’un contrat
synallagmatique peuvent être opposées à ce droit (art. 82 CO).
- Acquisition par la collectivité publique : la collectivité publique peut,
comme tout héritier, répudier la succession ou demander la liquidation
officielle au terme de l’inventaire. Si elle décide de liquider, l’art. 592
limite sa responsabilité aux actifs successoraux.
IUR III 2012-2013 112
Jérémy Stauffacher Droit des Successions
§43. La liquidation officielle
La liquidation officielle est un mode d’acquisition de la succession par les
héritiers qui présentent deux caractéristiques majeures. Premièrement, la
responsabilité personnelle illimitée est supprimée (le patrimoine de l’héritier
est séparé du patrimoine du DC, art. 593 al. 3). Deuxièmement, les héritiers
demeurent successeurs universels du DC mais, pendant la procédure, leurs
droits de gestion et de disposition sont suspendus et la liquidation est opérée
par l’autorité compétente ou la personne désignée (art. 595 CC). La
liquidation officielle doit être ordonnée dans trois cas :
- Lorsque les héritiers la demandent (art. 593).
- Lorsque des créanciers en font la requête (art. 594).
- Lorsqu’un héritier répudie et porte préjudice à ses créanciers (art. 578).
L’effet principal de la liquidation est que l’héritier (qu’il ait ou non demandé lui-
même la liquidation) ne répond plus personnellement des dettes du DC et des
dettes de la succession (art. 593 al. 3 CC). Ces dettes ne sont alors plus
garanties par les biens de l’héritier. Toutefois, il conserve sa qualité d’héritier
mais ne répond que sur l’actif successoral (responsabilité réelle).
Lorsque la succession semble d’emblée insolvable, la liquidation officielle
permet aux héritiers de ne pas répudier tout en restreignant leur
responsabilité. Une fois les dettes payées et les legs délivrés, l’éventuel solde
actif est remis aux héritiers. Ceux-ci procèdent alors au partage selon les
règles ordinaires. S’il apparaît que des dettes n’ont pas été payées, les
héritiers en répondent, mais seulement dans la limite du montant qu’ils ont
reçu. Lorsque la succession est solvable, la liquidation officielle évite aux
héritiers la charge de devoir procéder eux-mêmes aux opérations
d’établissement de l’actif et du règlement des dettes et des legs. Malgré les
avantages qu’elle présente, cette procédure est peu utilisée en pratique,
certainement parce que les héritiers refusent de laisser à une autorité le soin
de gérer la succession et de prendre les mesures préalables au partage.
IUR III 2012-2013 113
Jérémy Stauffacher Droit des Successions
Pour le reste, la liquidation officielle suspend les droits de gestion des
héritiers sur la succession. Ces derniers conservent le droit d’être informés
sur l’avancement des opérations et, dans la mesure où leurs intérêts sont
touchés, ils peuvent faire valoir leur avis sur la manière de procéder (ordre
des priorités, éventuelle réalisation des biens). Ils peuvent également recourir
contre les décisions du liquidateur officiel et conservent la possibilité d’ouvrir
les actions successorales destinées à protéger leurs droits. Le tableau
présent en annexe (4.1) résume la situation en matière de responsabilité de
l’héritier pour les dettes du DC.
12. Cours du 4 décembre 2012
Chapitre 3. Le partage
Lorsque le DC laisse plusieurs héritiers (légaux ou institués), ceux-ci forment
de plein droit une communauté héréditaire (ou hoirie) et deviennent
propriétaires communs des biens successoraux et débiteurs solidaires des
dettes (art. 602 ss, 635-636 CC, §51). Toutefois, chacun des héritiers peut,
sous certaines réserves, demander en tout temps le partage de la
succession, transformant ainsi la propriété collective en propriétés
individuelles. Les héritiers sont en principe libres de décider comment ils
veulent procéder au partage. Malgré tout, la loi ou le DC confère parfois à un
hériter un droit d’attribution sur certains biens (art. 604-618 CC, §52). Enfin,
une fois le partage effectué, diverses questions peuvent encore se poser,
notamment en lien avec les engagements pris entre héritiers ou envers les
créanciers (art. 637-640 CC, §54).
§51. La communauté héréditaire
Une fois la notion de communauté héréditaire précisée, nous analyserons le
statut des actifs successoraux et celui des dettes. Nous terminerons ce
chapitre avec la représentation de la communauté héréditaire :
IUR III 2012-2013 114
Jérémy Stauffacher Droit des Successions
- La notion de communauté héréditaire : la communauté naît de plein
droit à l’ouverture de la succession chaque fois qu’il y a plusieurs
héritiers (art. 602 al. 1 CC). Elle ne peut être évitée ni par une DpCM
du DC ni par n accord des futurs héritiers et dure en principe jusqu’au
partage (art. 602 al. 1 CC). Elle peut également prendre fin du fait
qu’un héritier a repris toutes les parts successorales ou que les
héritiers sont convenus de la transformer en une autre forme de
communauté (indivision, art. 336 ss, ou société simple, art. 530 ss CO)
ou de propriété collective (PPE). La communauté est donc éphémère,
destinée à assurer la transition durant la dévolution. La composition de
la communauté héréditaire doit être précisée :
o Quant aux personnes : elle regroupe tous les héritiers (légaux
ou institués) du DC, mais seulement eux. Ainsi les légataires (y
compris le conjoint survivant ayant reçu un legs d’usufruit de la
succession selon l’art. 473 CC) n’en font pas partie.
o Quant aux biens : elle s’étend à l’ensemble des BE du DC et
aux éventuels biens rapportés en nature par les héritiers. Ces
biens forment le patrimoine commun des héritiers (différent des
biens dont chacun est propriétaire à titre personnel). Les
héritiers profitent des accroissements (revenus) et supportent
les réductions (dommages) de ce patrimoine ensemble
La communauté héréditaire est une communauté en main commune
au sens de l’art. 652 CC (propriété commune de ses membres) sans
personnalité morale. Les cohéritiers sont titulaires de droits indivis : ils
ne disposent (légalement) d’aucune quote-part idéale distincte. Par
contre, chacun dispose d’un droit de participation dans la communauté
lui permettant d’être associé à la gestion des biens et des revenus et
surtout de bénéficier d’une partie des biens suite au partage. D’un
point de vue économique, on parle ainsi de parts héréditaires.
- Le statut des actifs successoraux : il convient de préciser 4 points : la
propriété, l’administration, l’usage et la jouissance et la disposition :
o Propriété : les membres de la communauté sont de plein droit
propriétaires communs des meubles et des immeubles compris
IUR III 2012-2013 115
Jérémy Stauffacher Droit des Successions
dans la succession. Ils sont également titulaires des créances et
des autres droits constituants les actifs successoraux.
o Administration : les membres doivent administrer en commun
les actifs (art. 653 al. 2 et 602 al. 2 CC) : toutes les décisions
doivent être prises à l’unanimité (sauf cas d’urgence, pour
lesquels chacun peut prendre les mesures nécessaires). Au vu
de cette situation, les héritiers désignent souvent un
représentant de la communauté (ou demandent à l’autorité
compétente de désigner un tel représentant).
o Usage et jouissance : tous les membres ont le droit d’utiliser les
biens successoraux. Chaque héritier a également le droit de
participer aux fruits et aux revenus des biens.
o Disposition : tous les actes de dispositions doivent émaner de
tous les membres de la communauté héréditaire (art. 653 al. 2
et 602 al. 2). Cela vaut pour le transfert de propriété, la
constitution de droits réels limités, la renonciation à de tels, la
résiliation d’un contrat ou encore l’acceptation d’un paiement.
Comme en matière d’administration, les membres peuvent
désigner un représentant pour accomplir ces actes.
- L’obligation aux dettes successorale : alors que l’actif est soumis aux
règles de la propriété en main commune, le passif donne lieu à une
obligation personnelle et solidaire de chaque héritier (art. 560 al. 2 et
603 al. 1 CC ; la dette commune est inconnue en droit suisse). Tant
que le partage n’a pas eu lieu, il est possible de poursuivre la
succession (tous les héritiers conjointement, art. 49 et 65 al. 3 LP).
- La représentation de la communauté héréditaire : la représentation
envers les tiers obéit également aux règles de la main commune : les
héritiers ne peuvent obliger la communauté et acquérir ou disposer
pour elle qu’en agissant tous ensemble. Ce système étant très
exigeant, les héritiers peuvent désigner conventionnellement un
représentant ou demander à l’autorité de désigner un tel représentant :
o Désignation conventionnelle d’un représentant : elle exige une
décision unanime des héritiers. Ils peuvent désigner un ou
IUR III 2012-2013 116
Jérémy Stauffacher Droit des Successions
plusieurs héritiers mais également un ou plusieurs tiers. Le
pouvoir du représentant peut être général, illimité (actes
d’administration et de disposition) ou limité à certains actes. La
procuration ne nécessite pas de forme, même si une procuration
écrite facilite évidemment la preuve des pouvoirs.
o Désignation d’un représentant par l’autorité : jusqu’au moment
du partage, chacun des héritiers peut demander à l’autorité
compétente (art. 18 al. 2 LFors : dernier domicile du DC) de
nommer un représentant de la communauté (art. 602 al. 3). Les
pouvoirs du représentant dépendent de la décision de l’autorité.
Sauf précision contraire, les pouvoirs du représentant doivent
être considérés comme égaux à ceux d’un exécuteur
testamentaire (sauf préparation du partage).
§52. Principes et modalités
En principe, la communauté prend fin par le partage. Chaque héritier a le droit
de demander le partage en tout temps (art. 604 al. 1 CC). La loi définit
toutefois quelques causes permettant aux cohéritiers d’obtenir l’ajournement
du partage (art. 604 al. 1-2 et 605 al. 1 CC). Si tous les héritiers sont
d’accord, ils peuvent procéder au partage même s’il existe une cause
d’ajournement (dans le cas contraire, ils peuvent ouvrir une action tendant au
partage). Le partage ne s’achève que lorsque tous les biens sont partagés.
Normalement, les héritiers procèdent au partage en une fois mais il est aussi
possible de partager certains biens tout en maintenant la communauté
héréditaire pour d’autres (partage partiel quant à l’objet). Un partage partiel
quant aux personnes est aussi possible : un cohéritier décide alors de sortir
de la communauté, en se faisant remettre la valeur de sa part. Nous allons
maintenant présenter les cinq causes d’ajournement :
- Convention entre les héritiers : les héritiers peuvent convenir de rester
en communauté (art. 604 al. 1 CC). Cette convention, tendant à la
création d’une communauté héréditaire prolongée, ne requiert aucune
forme et elle peut même résulter d’actes concluants.
IUR III 2012-2013 117
Jérémy Stauffacher Droit des Successions
- Règle de (non-)partage édictée par le DC : selon l’art. 608 al. 1, e DC
peut prescrire par DpCM des règles de partage. Il peut donc émettre
une règle de non-partage et ainsi demander, par exemple, que le
partage soit totalement ou partiellement ajourné jusqu’à la majorité de
tous ses enfants ou jusqu’à l’extinction de l’usufruit du conjoint.
- Atteinte notable à la valeur de la succession : si le partage requiert la
liquidation de certains biens et qu’une réalisation immédiate aurait lieu
dans de mauvaises conditions (cours très bas ou autres causes),
chaque héritier peut demander un ajournement (art. 604 al. 2 CC).
- Sauvegarde des droits d’un enfant conçu : l’enfant conçu devenant
héritier à condition qu’il naisse vivant, il est ainsi préférable d’attendre
sa naissance avant de partager la succession (art. 605 al. 1 CC).
- Présence d’enfants mineurs du DC dans une succession comprenant
une entreprise agricole : voir art. 12 al. 1-2 LDFR (droit foncier rural).
Avant de présenter les modalités du partage, nous devons parler de l’action
tendant au partage. L’objet de cette action est de faire constater le droit au
partage immédiat (et donc l’absence de cause d’ajournement). L’action a ainsi
un caractère constatatoire. La qualité pour agir appartient à chaque cohéritier
personnellement ainsi qu’à l’autorité appelée à concours au partage selon
l’art. 609 al. 1 CC. L’action doit être dirigée contre tous les autres héritiers
(ou au moins contre ceux qui n’ont pas déclaré qu’ils acceptaient le partage).
L’action doit être admise chaque fois qu’il ‘y a pas de cause d’ajournement.
Concernant les modalités à présent, nous traiterons de quatre points. En
principe, les héritiers sont libres de partager la succession comme ils
l’entendent (art. 607 al. 2-3, 609 et 610 al. 3 CC ; point 1). Toutefois, le DC
peut prévoir des règles de partage qui s’imposent aux héritiers, sauf décision
unanime (art. 608 CC ; point 2). A titre subsidiaire, la loi établit un certain
nombre de règles de partage (art. 607 al. 1 et 610-615 CC ; point 3). Ces
règles servent à guider les autorités de partage ou le juge appelés à concourir
au partage ou à décider de celui-ci (point 4). Voyons donc ces quatre points :
- La liberté des héritiers et ses limites : le partage est l’affaire des
héritiers (art. 607 al. 2 CC). S’ils sont tous d’accord, le partage se
IUR III 2012-2013 118
Jérémy Stauffacher Droit des Successions
déroulera selon leur volonté (art. 634) : ils peuvent décider quand,
comment et quoi partager. La répartition, la question d’un partage
partiel (objet ou personne) ou encore la décision de partager ne
dépend que de leur volonté. Plus encore, leur volonté unanime permet
d’écarter les règles de partage prévues par le DC et les règles légales
de partage. Tout de même, le CC introduit une obligation de renseigner
mutuellement sur les éléments de nature à influencer le partage. Ainsi,
l’art. 607 al. 3 oblige les héritiers en possession de biens de la
succession ou débiteurs envers celle-ci d’informer leurs cohéritiers. De
manière plus générale, l’art. 610 al. 2 oblige les héritiers à se
communiquer tous les renseignements utiles sur leur situation
personnelle envers le DC. Il est à présent nécessaire de parler des
limites : la liberté de partager des héritiers n’existe en effet qu’à moins
qu’il n’en soit ordonné autrement (art. 607 al. 2 CC). Ces limites ne
peuvent provenir que de dispositions impératives de la loi :
o Interdiction de partage ou de morcellement : les cas les plus
importants sont l’interdiction du partage matériel des entreprises
agricoles et l’interdiction de morcellement des immeubles
agricoles prévues par les art. 58 ss LDRF (droit foncier rural).
o Concours de l’autorité à la demande d’un créancier : tout
créancier qui acquiert ou saisit la part échue à un héritier, ou qui
possède contre lui un acte de défaut de biens, peut demander
que l’autorité intervienne au partage en lieu et place de cet
héritier (art.609 al. 1 CC). Si la part a été saisie et qu’un
créancier en a demandé la réalisation, le même droit appartient
alors à l’office des poursuites (art. 12 OPC). Le cessionnaire
d’une part héréditaire est assimilé à un créancier. L’intervention
de l’autorité restreint dès lors la liberté de l’héritier. Tout de
même, s’ils sont tous d’accord, les héritiers peuvent partager
selon d’autres modalités que celles proposées par l’exécuteur.
- Les règles de partage prescrites par le DC : pour faciliter le partage et
garantir la mise en œuvre de ses volontés, le DC peut désigner un
exécuteur testamentaire (art. 517-518 CC). Il s’agit d’une règle de
IUR III 2012-2013 119
Jérémy Stauffacher Droit des Successions
partage au sens large, l’exécuteur étant en principe chargé de préparer
le partage de la succession (art. 518 al. 2 CC). En outre, il existe
également des règles de partage proprement dites. Selon l’art. 608 al.
1, le DC peut par le biais de DpCM prescrire à ses héritiers certaines
règles pour le partage et la formation des lots. Ces règles sont
obligatoires pour les héritiers (art. 608 al. 2 CC) : dès lors que l’un
d’eux en demande le respect, elles s’imposent à tous pour le partage.
Cela signifie donc que les héritiers unanimes peuvent décider de
partager sans tenir compte des règles émises par le DC. Les règles ne
peuvent concerner que les modalités du partage et n’ont pas
d’influence sur l’étendue des droits des héritiers. Ainsi, l’art. 608 al. 2
prévoit que si le(s) bien(s) attribué(s) à un héritier par les règles du
partage excède(nt) la valeur de la part qui doit lui revenir, il faut rétablir
l’égalité des lots : l’attributaire doit alors verser une soulte pour
compenser ce qu’il a reçu en trop. Les règles de partage se distinguent
donc du legs préciputaires (libéralité en plus de la part) sur ce point.
- Les règles de partage légales : lorsque les héritiers ne parviennent pas
à se mettre d’accord sur les modalités de partage (précisons
rapidement qu’en cas de doute, une DpCM est présumée être une
règle de partage : l’art. 608 al. 3 reprend la règle de l’art. 522 al. 2) et
où le DC n’a pas prescrit lui-même comment partager, les art. 607 al.1
et 610-615 CC définissent un certain nombre de principes applicables
à titre subsidiaire. Deux idées directrices guident l’ensemble de ces
principes : la première est l’égalité de droit entre les héritiers
(ressortant des art. 607 al. 1 et 610 al. 1), la deuxième est la
conservation du patrimoine héréditaire (art. 612 al. 1 et 613 al. 1-2).
Autant que possible les biens doivent passer aux héritiers dans leur
état au moment du décès et ce sans privilège aucun entre les héritiers.
o Le droit du CPES à l’attribution du logement et du mobilier de
ménage (art. 612a CC) : le but est de permettre au CPES de
continuer à vivre dans les mêmes conditions et dans le même
cadre qu’avant le décès du DC (règle dérivée des art. 219 et
244 CC). Quatre conditions doivent être remplies :
IUR III 2012-2013 120
Jérémy Stauffacher Droit des Successions
Le CPES doit être héritier : l’art. 612a CC ne peut être
invoqué que si le CPES intervient au partage.
La prétention doit porter sur le logement ou le mobilier de
ménage : seul est visé le logement qui était occupé en
commun par les époux ou les partenaires enregistrés.
Les locaux dont l’attribution est demandée ne doivent pas
inclure ceux dans lesquels le DC exerçait une profession
ou exploitait une entreprise s’ils sont nécessaires à un
descendant pou continuer cette activité (art. 612a al. 3).
Le DC ne doit pas avoir écarté l’application de l’art. 612a
par une règle de partage ou par un legs. Le CPES ne doit
également pas avoir renoncé au bénéfice de l’art. 612a.
Pour le logement comme pour le mobilier, le CPES peut exiger
l’attribution de la propriété. Le CPES et les autres héritiers (ou
les héritiers seuls et à l’unanimité) peuvent demander à la place
la constitution d’un usufruit ou d’un droit d’habitation si les
circonstances le justifient (art. 612a al. 2 CC).
o Droit à l’attribution d’une entreprise ou d’un immeuble agricoles
ainsi que de l’inventaire : prévu aux art. 11 ss LDFR, ce doit
peut être rapproché du droit à l’attribution de l’inventaire d’une
entreprise agricole louée, prévu par l’art. 631a CC.
o Priorité au partage en nature : le partage doit en principe se
faire en nature (principe d’égalité de droit entre héritier et
principe de la conservation des biens). Ainsi, lorsque cela est
possible, les biens doivent être fractionnés en autant de parts
qu’il y a d’héritiers, en proportion de la part de chacun. Ce
principe ne peut toutefois pas obliger les héritiers à constituer
une PPE par la voie du partage. Il s’applique par contre sans
difficulté à de l’argent, des créances ou à de grands terrains
dont le morcellement n’entraîne aucune perte de valeur.
o Répartition égale entre les héritiers des biens qui ne peuvent
être partagés en nature (art. 610 al. 1, 611 al. 1 et 612 al. 1) :
les biens qui ne peuvent être divisés matériellement sans subir
IUR III 2012-2013 121
Jérémy Stauffacher Droit des Successions
de diminution notable de leur valeur doivent être répartis entre
les héritiers de façon à ce que chacun reçoive des exemplaires
de chaque catégorie de biens. Dès lors, on se rapproche du
partage en nature. Précisons que l’art. 651a CC prévoit une
exception pour les animaux vivant en milieu domestique.
o Pas de répartition d’une universalité de fait contre la volonté
d’un héritier : les objets formant par nature un tout (universalité
de fait) sont traités comme des biens uniques si un des héritiers
le demande (art. 613 al. 1 CC). Chaque héritier peut, pour
n’importe quelle raison (économique, culturelle, sentimentale ou
autres) demander que l’ensemble ne soit pas partagé : le sort
de l’ensemble est alors sauvegardé et régi par l’art. 613 al. 2.
o Formation de lots : en vue de mettre en œuvre les principes
présentés ci-dessus, les biens doivent être regroupés dans des
lots hétérogènes. Il faut composer autant de lots qu’il y a
d’héritiers ou de souches copartageantes. Si les héritiers ne
s’entendent pas, les lots peuvent être tirés au sort. Dès que ce
système devient trop compliqué (héritiers nombreux, libéralités
rapportables à imputer, parts ou lots inégaux), soit les héritiers
doivent s’entendre, soit ils décident de réaliser les biens pour
pouvoir partager l’argent, soit l’un d’eux saisit le juge. L’équité
entre héritiers peut au besoin être rétablie par des soultes.
L’autorité n’ayant pas la compétence pour procéder à
l’attribution des lots, il appartient aux héritiers de s’entendre,
faute de quoi l’attribution est laissée au hasard (art. 611 al. 3).
o Sort des biens qui ne peuvent être placés dans un lot : il peut
arriver que la valeur d’un bien excède celle des parts
successorales et qu’une division soit exclue (ou que la division
de plusieurs biens seraient également exclue). Dans ce genre
de situations, si les héritiers sont d’accord, ce bien ou cet
ensemble de biens peut être attribué à l’un d’eux moyennant le
paiement d’une soulte (art. 612 al. 1). Par contre, s’ils ne
s’entendent pas, l’art. 612 al. 2 prévoit que le(s) bien(s) doi(ven)t
IUR III 2012-2013 122
Jérémy Stauffacher Droit des Successions
être vendu(s) et le prix réparti entre les héritiers (sauf
éventuellement droit légal à l’attribution du bien).
o Papiers de famille et choses ayant un valeur d’affection : chaque
héritier a le droit de s’opposer à ce que les papiers de famille
(documents d’identité, diplômes, correspondances, généalogies,
archives familiales et autres) de même que les choses ayant
une valeur d’affection (photographies, portraits, décorations et
autres) ne soient vendus à des tiers (art. 613 al. 2 CC).
o Sort des créances du DC contre un héritier : ces créances sont
imputées directement sur la part de l’héritier (art. 614 CC) : il y a
dès lors confusion et la dette s’éteint. Le montant de la libération
vient alors réduire la part de succession de l’héritier concerné.
o Sort des dettes : le CC pose deux principes pour les dettes :
Chaque cohéritier peut exiger que les dettes soient
payées ou garanties avant le partage (art. 610 al. 3). Il
peut ainsi éviter d’être recherché comme débiteur
solidaire dans les 5 ans qui suivent le partage. La règle
est impérative : un cohéritier ne peut donc pas être privé
par le DC du droit que lui confère l’art. 610 al. 3 CC.
Si les dettes ne sont pas réglées, les héritiers
conviendront de la manière dont elles sont réparties. S’ils
ne l’ont pas fait ou s’ils ne s’entendent pas et s’il n’existe
aucune règle de partage du DC, la répartition s’effectue
proportionnellement aux parts. Les dettes garanties par
un droit de gage et les dettes propter rem, par contre,
sont reprises par l’hériter à qui l’objet est attribué.
- L’intervention de l’autorité de partage ou du juge : il faut distinguer
selon que l’intervention de l’autorité de partage est prévue par le droit
fédéral ou par le droit cantonal. Selon le droit fédéral, l’art. 611 al. 2
prévoit que l’autorité de partage n’intervient que sur demande d’un
cohéritier en cas de désaccord sur les modalités. L’autorité concourt
alors à la préparation du partage, principalement en formant les lots et
en dressant un projet de partage. Selon le droit cantonal (autorisation
IUR III 2012-2013 123
Jérémy Stauffacher Droit des Successions
de l’art. 609 al. 2), les cantons peuvent prévoir l’intervention d’une
autorité de partage, sans toutefois pouvoir conférer à celle-ci un
pouvoir de décision, ni exiger que le contrat de partage soit approuvée
par cette autorité. Il s’agit à présent de terminer ce chapitre en parlant
de l’action en partage. Alors que l’action tendant au partage permet de
faire trancher la question du principe du partage, l’action en partage est
destinée à faire prononcer par le juge le partage lui-même. L’origine du
désaccord entre les héritiers peut être lié à de nombreux éléments
(mise en œuvre du partage, estimation d’un bien, nécessité de vente,
répartition entre les héritiers et autres). De plus, l’action en partage
permet de faire trancher tous les litiges qui demeurent entre les
héritiers, notamment en lien avec les réserves ou les réductions, la
validité ou l’interprétation d’une DpCM ou une obligation de rapporter.
Les conditions personnelles de cette action sont les mêmes que celles
de l’action tendant au partage. Les conditions de fond, quant à elle,
découlent des règles matérielles applicables aux questions posées
(lorsque le procès porte sur de telles questions). Si en revanche le
procès porte sur les modalités du partage, le juge examine si les
conclusions du demandeur sont conformes aux règles de partage
émises par le DC et subsidiairement aux règles légales.
14. Cours du 18 décembre 2012
§54. Clôture et effets du partage
Sauf lorsqu’il résulte d’un jugement (action en partage), le partage s’opère par
un contrat entre tous les héritiers. Cette clôture du partage (art. 634) peut se
faire par un partage manuel ou par un acte de partage en la forme écrite. La
clôture du partage a pour effet de transformer la propriété commune en
propriété individuelle. Si des dettes ont été réparties, le partage entraîne une
reprise interne (art. 175 CO). Sous réserve des motifs entraînant une remise
en cause du contrat (art. 638 CC), la clôture du partage met un terme aux
relations juridiques résultant de la communauté héréditaire. Les héritiers
conservent toutefois une obligation de garantie pour les actifs repris en
IUR III 2012-2013 124
Jérémy Stauffacher Droit des Successions
propriété individuelle (art. 637 CC) et restent en principe tenus solidairement
des dettes pendant 5 ans (art. 639-640 CC). Enfin, il est nécessaire de
préciser que l’art. 837 al. 1 ch. 2 accorde aux cohéritiers de l’attributaire d’un
immeuble une hypothèque légale en garantie de la soulte due par celui-ci.
Concernant la clôture du partage (avant de parler de ses effets), il faut
distinguer le partage manuel de l’acte de partage :
- Le partage manuel : chacun des héritiers prend la maîtrise des biens
formant son lot (art. 634 al. 1). Le passage effectif des biens dans la
maîtrise exclusive de chaque héritier met alors fin au partage.
- L’acte de partage : les héritiers concluent alors un acte générateur
d’obligations (art. 634 al. 1) puis l’exécutent par les actes de
dispositions correspondants. L’acte de partage est donc le contrat par
lequel les héritiers s’obligent à procéder au partage selon les modalités
dont ils ont débattu dans la phase préparatoire. L’acte de partage est
soumis à la forme écrite (art. 634 al. 2 ; même si la succession
comporte des immeubles ou prévoit la constituions de DRL) et n’est
valable que si tous les héritiers l’ont signé (art. 13 CO). L’acquisition de
la propriété individuelle par le reprenant n’a lieu que lorsque l’acte de
partage est exécuté par les actes de dispositions. Les modalités
d’acquisition des biens sont les mêmes que pour le partage manuel.
Pour terminer ce chapitre lié au partage et cette partie sur la dévolution,
nous allons présenter les effets du partage en développant quatre points :
- La rescision du partage : le partage peut être attaqué pour les mêmes
causes que les autres contrats (art. 638 CC) : incapacité du
cocontractant, vice de forme, vice du consentement ou autres.
- L’obligation de garantie des cohéritiers : le partage ne rompt pas
complètement les liens unissant les héritiers, ils demeurent garants les
uns envers les autres selon les règles de la vente (art. 637 CC ; forme
de transfert à titre onéreux, l’héritier reçoit des biens en imputation sur
sa part). Dès lors, si le reprenant est privé d’un bien parce qu’un tiers
fait valoir si celui-ci un droit préférable ou s’il constate que le bien
présente un défaut qui réduit sa valeur, l’art. 637 lui permet de se
IUR III 2012-2013 125
Jérémy Stauffacher Droit des Successions
retourner contre ses cohéritiers, comme le ferait un acheteur, dans le
délai de prescription prévu, à savoir 1 an (art. 637 al. 3).
- L’hypothèque légale des cohéritiers : lorsque l’attributaire d’un
immeuble doit une soulte à ses cohéritiers, ceux-ci peuvent exiger la
constitution d’une hypothèque légale indirecte (art. 837 al. 1 ch. 2 CC).
- La responsabilité pour les dettes : les clauses du partage relative à la
répartition des dettes n’ayant que la valeur d’une reprise de dettes
interne, elles ne sont donc pas opposables aux créanciers. Dès lors,
l’art. 639 al. 1 CC prévoit que les héritiers demeurent solidairement
responsables sur tous leurs biens des dettes de la succession durant
les cinq années suivant le partage (ou, suivant l’art. 639 al. 2, durant
les cinq années après l’exigibilité de la dette). Après l’expiration de ce
délai (de péremption), la dette subsiste à l’égard des héritiers mais
ceux-ci ne sont tenus que pour la partie de la dette proportionnelle à
leur part héréditaire. La dette se prescrit selon les règles ordinaires
(art. 127 ss CO). Si la responsabilité solidaire après le partage conduit
un héritier à devoir payer une dette qui ne lui a pas été attribuée ou à
payer une part supérieure à celle qu’il a reprise, il a un droit de recours
contre ses cohéritiers (art. 640 al. 1 CC). Il doit alors diriger son
recours contre celui qui avait repris la dette à l’interne, car cela évite de
remettre l’ensemble du partage en cause (art. 640 al. 2 CC).
Partie 1. Introduction..................................................................................................................... 1§1. Notions, fondements, sources...............................................................................................................................1§2. Principes fondamentaux.........................................................................................................................................3
Partie 2. Vocation successorale.................................................................................................. 5Titre 1. Vocation légale...........................................................................................................................10
Chapitre 1. Les héritiers légaux........................................................................................................................10§3. Les parents.................................................................................................................................................................10§4. Le conjoint ou le partenaire enregistré survivant.....................................................................................15§5. La collectivité publique.........................................................................................................................................17
Chapitre 2. La masse successorale (masse à partager)..........................................................................17§6. Les biens extants.....................................................................................................................................................18§7. Les rapports...............................................................................................................................................................21§8. Les dettes du de cuius............................................................................................................................................35§9. Les dettes de la succession..................................................................................................................................36
Titre 2. Vocation volontaire..................................................................................................................38§10. Généralités...............................................................................................................................................................38
Chapitre 1. Capacité et volonté de disposer................................................................................................42§11. Capacité de disposer............................................................................................................................................42§12. Volonté de disposer.............................................................................................................................................44
Chapitre 2. Liberté de disposer.........................................................................................................................46§13. Les héritiers réservataires................................................................................................................................47§14. Les réserves et la quotité disponible............................................................................................................51
IUR III 2012-2013 126
Jérémy Stauffacher Droit des Successions
§15. La masse de calcul des réserves et de la quotité.....................................................................................56Chapitre 3. Modes de disposer..........................................................................................................................64
Section 1. Les modes de disposer de caractère général.......................................................................................66§16. L’institution d’héritier........................................................................................................................................66§17. Le legs........................................................................................................................................................................ 67
Section 2. Les modes de disposer propres au pacte...............................................................................................69§22. Le pacte successoral en général.....................................................................................................................69§23. Le pacte d’attribution..........................................................................................................................................70§24. Le pacte de renonciation...................................................................................................................................71
Chapitre 4. La forme de dispositions..............................................................................................................73§25. Le testament public.............................................................................................................................................73§26. Le testament olographe.....................................................................................................................................75§27. Le testament oral..................................................................................................................................................76§28. Le pacte successoral............................................................................................................................................77
Chapitre 5. La caducité des disposition.........................................................................................................77§29. La caducité des testaments...............................................................................................................................77§30. La caducité des pactes successoraux............................................................................................................79§31. L’influence de la diminution de liberté de disposer..............................................................................80
Chapitre 6. L’inefficacité des dispositions....................................................................................................81§32. Les causes d’inefficacité des dispositions..................................................................................................81§33. L’action en nullité.................................................................................................................................................83§34. L’action en réduction..........................................................................................................................................85
Partie 3. La dévolution................................................................................................................ 94Chapitre 1. L’ouverture de la succession......................................................................................................95
§35. Le moment de l’ouverture de la succession..............................................................................................95§36. Le lieu de l’ouverture de la succession........................................................................................................95
Chapitre 2. L’acquisition de la succession....................................................................................................96Section 1. La capacité de succéder.................................................................................................................................96
§38. Le point de survie.................................................................................................................................................97§39. La capacité de recevoir.......................................................................................................................................98
Section 2. L’acquisition par les héritiers..................................................................................................................100§40. Généralités............................................................................................................................................................100§41. La répudiation.....................................................................................................................................................102§42. Le bénéfice d’inventaire..................................................................................................................................108§43. La liquidation officielle....................................................................................................................................110
Chapitre 3. Le partage........................................................................................................................................112§51. La communauté héréditaire..........................................................................................................................112§52. Principes et modalités......................................................................................................................................115§54. Clôture et effets du partage...........................................................................................................................122
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