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FannyAndré
Pasdedeux
Premierrôle
Épisode2
Emma
Dépassée, je restai figée surplace.Madenportait un sweatnoir à capucheetdes lunettesde soleilaviateur.Enpleinenuit?Ilcharriait.—Bonsoir,DarkVador,l’accueillis-je.Pour réussir à me montrer à l’aise en sa présence, je devais instaurer nos relations sur le ton de
l’humour.—Quoi?medemanda-t-ilenenlevantsacapuche.Quandsonbonnetapparutendessous,jereçusunlégerchoc.C’étaitlebonnet.Leseuletl’unique!Il
l’arboraitchaquehiveret,mêmesilamodecontaminaitbeaucoupdestarscesdernièresannées,j’avaistoujourscraquésur«Madenenbonnetdelaine»,àlalimitedubéretlâche.Lepremieràavoirprovoquécette fascination étrange chez moi avait sûrement été Johnny Depp, en période baba cool post-JackSparrow.Jem’empourpraietbaissailatêteenouvrantlaporte.Jefisvolte-facepourmedirigerverslapiscine,contentedepouvoirluitournerledos.—Vutonaccoutrement,ondiraitl’amiDarkVadorpartiencourses…Surtoutaveclacapucheetles
lunettes.Unverre?Ilyaduwhiskyoudelavodkacaramel.C’estunebouteillequivientdePologne.Ilseservitlui-mêmependantquejereplaçaismespiedsdanslebassin.Jem’allongeaiànouveausur
le grès. L’eau fraîche m’apaisa, mais je commençais rapidement à frissonner. Et c’était bien dû à latempératurede l’air,nonàMaden,àquelquesmètresàpeine. Jem’appliquaià sirotermavodkasansm’interrogersur lesraisonsdesaprésence.Monespritse lovaitdéjàdans lesbrumesconfortablesdel’alcool. Ilme rejoignit et se posa au coin de la piscine, à troismètres demoi.Les reflets du bassinéclairéilluminaientsonvisageparendessous,faisantressortirledessindesamâchoireetdonnantàsesyeuxunaspectsombre,presquechocolat.—J’aiapprisqueJacksonprenaitl’avionaujourd’hui.Jesuispassévoirsiçaallait.Ilmodifia sapositionpour semettreen tailleuret je lorgnai ses jambesducoinde l’œil.Ellesme
semblaientdémesurémentlongues.Combiendecentimètrespouvaient-ellesfaire?Àl’évidence,sij’envenaisàcegenredeconsidérations,j’étaispluspartiequejenelepensais.Jereportaimonregardsurlecielvideau-dessusdemoi.Iln’yavaitjamaisd’étoilesenville.—Çava.Onn’étaitpasvraimentensemble,jetel’aidit.Jen’attendaisrien…maisilmemanquera.Je
m’accordeunesoiréeensolitaire.Ilmecontemplaàtraverslafuméedelacigarettequ’ilvenaitd’allumer.—Donne-m’enune,s’ilteplaît.Ilsepencha,meprésentantlaflammedubriquet,inversant,parcegeste,unesituationvécueentrenous
quelquesjoursplustôt.—Tufumessouventpourunefillequiaarrêté.—Effectivement,jefaiséclatermonquota,maislàlescirconstancesl’autorisent.J’examinaimon verre, unœil clos. Je cherchai à faire des ronds avec la fumée et y parvins après
plusieursessais.LeriredeMadenrésonnaàmescôtésetjecompristoutàcoupquejemesentaistristede levoir ici.Parceque j’étais fatiguée,parceque j’avaisunpeubu,parcequeJacksonmemanquaitdéjà…etj’auraispuoubliertoutcelaàcausedeMaden.Saprésence…c’étaitcommelavodkacarameldePologne,onenauraitbien repris. Ilprovoquait tropde remouspourun«ami».Etmonbeausex-
friend, Jackson, drôle, adorable, qui embrassait comme un dieu…et semblait tout aussi doué pour lereste,pourcequej’avaispuenapercevoir,auraitmalgrétoutpus’effaceràcemomentprécis.J’imputaitoutcemicmacàdevieuxinstinctsdefan,etmelereprochaid’autantplus.Bon, STOP ! Je t’interdis de continuer sur cette voie, arrête ce genre de conneries ! Ça ne te
ressemblepas,merappelai-jeàmoi-même.J’avalailefonddemavodkaculsec,grimaçantsouslefeudel’alcool,etmeredressaisurlescoudespourdissipermatorpeur.—Queveux-tufaire?Situesd’accord,jeresteavectoi,proposa-t-il.Jetournailatêteversluietécrasaimacigarettedanslacoupelle.J’hésitaientre«non,surtoutpas»et
«tentant».—Jenesaispas,j’aiannulémesprojets.J’aienvied’êtreaucalme,cesoir.—Quelsprojets?mequestionna-t-il.—…Musée.Jepensaismerendreàunenocturne.Sourcilsfroncés,Madencontemplaunmomentlapiscine.Jeregardaisesépauleslégèrementcrispées,
sesdoigtspianotantlebéton.Jemerendiscomptequ’ildevaitpenserauxjournalistesetfansquenousrisquerionsdecroiser.—Laissetomber,uneautrefois.J’aiencoredutempsetjenesuispasd’humeur,vraiment…,repris-je,
malàl’aise.Ilselevasansriendireetmetenditlamain.J’insistai,ignorantsapaume.—Sérieusement,jevaisrestertranquille.—Écoute, leconcertavecJacksonet tois’estbienpassé.Onn’aeuqu’unepoignéedephotos. Ily
avait plusde chancesque çadégénèrequedansunmuséeun jour de semaine, acheva-t-il, semblant àmoitiéconvaincuparsespropresparoles.Il agita samain sousmon nez,me poussant à l’accepter. Je soupirai etm’en saisis. Engourdie par
l’alcool,jemerendiscomptequejemerévélaisparticulièrementsensibleàsachaleuretàlalongueurdesesdoigts…J’adoraislesbellesmainschezunhomme,bienplusqu’unejoliepairedefesses,àvraidire.Et celles deMaden, selonmes critères,ma foi…Thia !Thia,Thia ! Un copain, un pote, un ami, uncollègue,uncompagnon,uncamarade,un…Bon,jenedisposaisplusdesynonymes,maisjedevaismeforcer à me souvenir de cette liste et de sa définition. Je détaillai mon mini-short déchiré et mondébardeurcourt.—Euh,jevaismechanger.Faiscommecheztoi.Ilmedévisageaensouriantetarboraunpetitair«çavautmieux»quejerenonçaiàinterpréter.Jeme
détournaipourm’engouffrerdans lesalon.Encoreunefois, je l’avaispeut-être imaginé.Mêmesimoninstinctmepoussaitàcroirequenon.Jesoupiraidebonheur.Jeflottaisdansunocéandetableaux,apaisée.Lavodkapolonaiseavaitcertes
dûaider,maislegéniedeRothkon’yétaitpasétranger.Rienquedemetrouverlà,jemesentaismieux.Jen’avaisenviederiend’autre,àpartmeperdredansmacontemplationsilencieuse.Depuisdixminutes,jecampaisdevantune toileabstraitequimedonnait lamême impressionquecelle ressentie lorsd’uncoucherdesoleil.Fabuleux.DirequedesgenscommeMadenpouvaientsepayercegenred’œuvresenmettantunpeudecôté.Ou
pas,d’ailleurs.Quantàmoi…Jepouvaisacheterunposteràlaboutiquedumusée.Nousévoluionsdansdesmondesopposésetdetelsdétailslesoulignaientcommeuneévidence.J’avaissortimes«atoursmusée»pourl’occasion.Jeportaisuntopquej’aimaisbien,assezpopart,
avec un leggings noir imitation cuir et des bottesmontantes. J’avais enfilé un très long foulard que jepouvais enrouler plusieurs fois autour demon cou et qui retombait encore dansmon dos. C’était ma
«tenueexpo»,caraucunartistesérieuxneseseraitsapéainsipourunvernissage:tropcliché.Grâceàmes talons, jemesentaismoinspetiteauxcôtésdeMaden.Cedernieravaitenfinarrêté le
styleDarkVadoràforced’entendremesmoqueriesrépétées.Sijemeprononçaisenfaveurdubonnet,jene pouvais le laisser vadrouiller avec ses lunettes de soleil toute la nuit. Ce camouflage le rendaitd’autantplusreconnaissable.Jem’étaisdemandés’ilapprécierait lavisiteous’ilavaitacceptépargentillesse,mais il se révéla
vite à l’aise dans ce décor. Il se montra curieux de manière générale : recherchant des toiles qu’ilconnaissaitets’intéressantauxœuvresque j’étaisvenueadmirer.Nousdéambulâmesplusieursheures,jusqu’àl’approchedelafermeture.Madenavaiteuraisonaufinal:lemuséecesoir-làs’avéradésertetnousnecroisâmesquequelques
puristes. Seulema tenue recevait une certaine attention et des haussements de sourcils circonspects, àcroireque jemebaladaisenbikini.Bref,pas leprofildes fanshabituelsdeMaden.Celui-cisemblaitposséder une sensibilité artistique exacerbée, et ce trait de caractèrem’avait toujours séduite chez unhomme. Il aimait lamusique, le cinéma, la littératureet je ledécouvris captivé, avided’enapprendredavantagesurl’artmoderne.Cefurentnosprincipauxthèmesdeconversation.Laplupartdeshommesdemaconnaissancesepassionnaient,aumieux,àdeuxdecessujets.J’appréciaislechangement.—Peintrepréféré?demanda-t-il.—Nooon!Pascettequestion!Jeladéteste…Déjà,jedevraisenciterplusieurs.Jenesaispas,ça
dépenddemonhumeur,decequej’aivurécemment.J’essaied’acheterdesmagazinesdetempsentempsoudemerendreàdesexpos,maisjesuisloind’êtrecalée.—Allez!Uneliste.— OK… Rothko, Pollock… Les boîtes de Cornell, et je suis française donc je dirais… Louise
Bourgeois,SophieCall,Boltanski.J’aimebienaussiAnishKapoor,Lautrec,ChagallouNanGoldin…Jepeuxcontinuerunmoment.Àmoi!Tesfilmspréférés?Envrai,pasZombiesetsentiments,letaquinai-je.Repensantàuneinterviewluesixmoisplustôt,jedétournailatête,gênée.Ilyannonçaitadorerl’un
despremiersfilmsdeLauren,évidemment.Jegrimaçaietm’agaçaicontremoi-mêmedecetteréaction.Horssujet!Cen’étaitpasl’attituded’uneamie.Ilestamoureux,ilfautt’habituermagrande…Aprèsuninstantderéflexion, ildressaune longuelistedont jeneconnaissaisqu’unepetitemoitié.Jenepusm’empêcherderemarquerqueceluidesacopinen’yapparaissaitpas.Peut-êtreuneblagueentreeux?Nousn’aimionspaslemêmetypedefilms.Enlamatière,meschoixsemblaientmoinsclassiqueset,
surtoutmoinscultivés.Jefonctionnaisaucoupdecœur:pointdeGodartoudefilmundergroundbranchépourmoi,justedesovnisplusbizarres,commelesGondry.Nousavionsle«Go»encommun.Jeluiavouai–difficilement–quej’avaislucertainslivresoufilmsenfonctiondesesinterviews.Je
dusd’ailleursvirerrougecoquelicotetadmiraiconsciencieusementunetoileimmondepouréviterdeluifaire face. En réalité, je l’épiai derrière mes cheveux. Je maudis la vodka caramel et l’honnêtetés’écoulanttoutdroitdugoulotdecettedernière.JemepromisdeneplusboirequandMadentraînaitdanslecoin.Tropdangereux.Sonexpressionsongeusesetransformaenunsourirediscretetjemedemandaicequ’ilpensait,incapablededéchiffrersestraits.—Quelsbouquins?s’enquit-ilenfin.J’étais ravie qu’on ne puisse mourir foudroyée par la gêne, sinon j’aurais fini en petite tache
carboniséesurlesol.—J’aimebienlesclassiquesdemanièregénérale.J’aidoncreluLeportraitdeDorianGraylorsque
j’aisuquetul’interpréterais…Etj’aidécouvertSabaangedelamortgrâceàtoi.J’aiadoré.Unprojetgénial,j’aihâtedelevoirportéàl’écran.Jenemecomportepascommeçauniquementvis-à-visdetoi,
conclus-je, encore pivoine. J’ai loué à la bibliothèqueDu côté de chez Swann quand j’ai appris queLaurenparticiperaitàl’adaptationetj’aiécoutédesgroupesdemusiquedontparlaitJacksonàlatélé.Jefaispareilpourtouteslesréférencesévoquéesdansdesinterviewsdegrandschorégraphes…C’estunemarotte,j’avoue.Ilme regardaunmomentet se remitàmarcher. Jemesentismalà l’aise. Jevenaisd’annoncerune
simplevéritéquidominaitmavie:j’agissaistoujoursparricochetculturel.Maisilnemecroiraitjamais.Çadevaitjustem’estampiller«fanfurieuse».J’avais lu une kyrielle de livres ayant trait à la Russie grâce à un film quim’avait transportée. Je
m’étaisplongéedansl’artduKabukiaprèsunreportageàlatéléauhasardd’uneinsomnie.Etainsidesuite. J’avaismêmecommencé ladanseà cinqans après avoirvuet revu la comédiemusicaleSwingTime,deFredetGinger.Etc’étaitdevenumongagne-pain.J’étaisfaiteainsi.JesuivisMaden,légèrementenretraitetdeplusenplusmalàl’aise.Ils’exprimaenfinaprèscequi
meparutuneéternité.— OK, dans ce cas, j’ai besoin de t’interviewer. J’ai du travail devant moi, pour te rattraper et
connaîtretesgoûts.Sousl’effetdelasurprise, jerestaiunmomentfigéesurplace,alorsqu’ilcontinuaitàmarchervers
unetoilepourendéchiffrerlecartel.—Jecommence,enchaîna-t-il.Qu’est-cequetuécoutes?Jenepusm’empêcherderire.Jerefermailabouchedevantl’aircourroucédugardienauboutdela
salle.Aprèsunsigned’excuseàcelui-ci, jefinisparaccepterdemeprêteraujeuetm’ouvrisdemonmieuxaufeuroulantdequestions.JedusfourniruneénumérationdesderniersCDachetés,desconcertsauxquelsj’étaisalléeouquejesouhaitaisvoir…Régulièrement,jeluiretournaissesinterrogationsetj’enapprisplussurlui.Loindesmagazinesetdes
réponsestoutesfaites.Làencore,nousdivergionssouvent.Jeconnaissaismaisn’appréciaispasplusqueça certains de ses incontournables. Il sembla plus perdu dansma liste. Il devait surtout écouter de lamusiqueanglo-saxonne.J’osaimêmeglisser,timide:—J’aimeraisassisteràunconcertd’uncertainMadenThomas,quandilsortiraenfinsonalbummisen
suspensaudébutdelasaga.Lorsqu’ilouvritlabouche,jelecoupaiimmédiatement:—Alorslàjet’arrêtetoutdesuite,lesquestions,c’estfinipourcesoir.Viens,jevaisinvestirdansle
mondedel’art!J’attrapai sa main sans réfléchir pour le traîner à ma suite. À mi-parcours, je réalisai mon geste
instinctifetlerelâchaiaussitôt.J’espéraiqu’ilneremarqueriendemonmanège,mêmesic’étaitdetoutefaçontroptard.Idiote,m’insultai-jementalement.Jel’entendisrirederrièremoi.—Investirdanslemondedel’art?Jepréféraiséviterdemeretournerpourluirépondre.—Toutàfait!Jem’achèteuntableau.J’hésitejustesurl’heureuxéluquibénéficierademesfaveurs.Je m’engouffrai dans la boutique, me dépêchant pour ne pas me faire jeter dehors, la vendeuse
semblant prête à fermer. Je memis à fouiller dans les reproductions à la recherche d’un Rothko. Jetombai enfin en admiration devant une affiche et allai la demander à la vendeuse. Sur une étagère,plusieurs livres attirèrent mon attention. Si mes finances l’avaient permis, au moins cinq de cesmerveilles auraient rejointma collection. Je détaillai les trois premiers et les reposai bien vite.Tropcherspourmesmaigresmoyens!—Jetelesoffre?proposalavoixdeMadendansmondos.Jelecontemplaipar-dessusmonépaule,sourcilsfroncés.
—Non,merci.Gardetonargent…pourt’acheterunnouveausweat,parexemple,celui-ciafaitsontemps,répondis-jedutacautacàunMadenéberlué.Jetendismamonnaieàlavendeuseetrepartis,lepostersouslebras.Ilmesuivitenriant.—Sympa,Thia.J’appréciedelapartde«mademoiselleTous-mes-shorts-sont-déchirés».—Ah,maismoijeneroulepassurl’or,«monsieurJe-touche-des-mille-et-des-cents-pour-galocher-
devant-une-caméra».Etdescréaturesmagnifiques,quiplusest,contre-attaquai-je,goguenarde.J’espéraiquemavoixn’avaittrahiaucuneenvieoujalousie.—Montravailneserésumepasnonplusàça.—Biensûr,sifflotai-je.—Enfin,tupeuxparler.Toi,ontepaiepourcequed’autresfontpours’amuser…Jemarquai un tempsd’arrêt. Sa phrase était largement à double sens. Je vis du coin de l’œil qu’il
venait de réaliser et une expression vraiment gênée se peignit sur son visage. Je me retins de rire,préférantarborermonairdémoniaquenumérotrois:—Alorsça,mongars…Ilpouffa.—Tusaisceque jevoulaisdire !Bon, jem’excuse,OK?Platement.Maisquandon réfléchità ta
propreréplique…Unpartout.—Oh,oh.LavoixdeMadenavaitperduunedizainededegrésetfrisaitleglacial.Je le contemplai, désarçonnée par son soudain changement d’attitude. Ses traits s’étaient
considérablement durcis et il n’avait plus rien de commun avec l’homme qui avait déambulé dans lemuséeàmescôtés.Ilfixaitunpointprécisàtraverslesvitresdumusée.Jesuivissonregard:unpetitgroupedefilles.—Tupensesqu’ellessontlàpourtoi?Peut-êtrepas,tudeviensparano!Puisjeremarquailelivrequetenaitl’uned’elles.Couverturerougeetblanche,unedagueensanglantée
bienvisible.Effectivement,ilneviraitpasparanoïaque,dumoinspasencore.Ilsedirigeaversl’accueiletexpliqualasituation.Jel’observaideloin,soupçonnantMadend’userde
soncharmesurlarouquineenfacedelui.Lapaniquesursonvisagerappelaitl’expressiond’unpoissonhorsdel’eau.Lapauvre.L’idéedésagréablequejeressemblaisaussiàcelaetquemoncerveaumalades’emballaitquandnousparlionsme fitgrimacer. Jenesavaisplusquid’elleoudemoiétait laplusàplaindre.Maden se montrait souriant, tête basculée sur le côté, séducteur en diable. Salop va, il dosait
parfaitementseseffets.Etcettepetitescènem’enseignaunechose:iln’avaitjamaisagiainsiavecmoi.Jedevaisbienl’admettre.Elle nous indiqua une autre sortie s’ouvrant dans une rue transversale sur le flanc du musée. Je
réprimaiunsourirequand,enpaiementdesonaide,ellereçutunautographegriffonnéàlava-viteassortid’unselfie.Pournouséchapper,ilnousfallaitparcourirensensinverseuneaileentière,àunedizainedeminutesdelafermeture.Jemeretrouvaidoncàtraverseraupasdechargeunlongcorridor,lesœuvres,autourdemoi,défilantàtoutevitesse.Dehors, nous ne vîmes personne etMaden soupira, soulagé.Alors qu’il s’apprêtait àme parler, un
hurlementretentitàl’angledumusée,àcentmètresdelàoùnousétions.Visiblement,unefanavaitfaitleguetpoursurveillercetteporte.Sidérée,jel’admiraientraind’effectuerdegrandssignauxàsescopinespostées un peu plus loin, se transformant en pompomgirl hystérique. Je priai pour n’avoir jamaisressembléàça.Vraiment.
—Oncourt!déclaraMaden.Ilattrapamamainetpiquaunsprint.Mespiedssuivirentsansquej’yréfléchisse,dansuninstinctde
surviequim’évitaunerencontrebrutaleavec lebitume.Quelle idéedemettredesbottesaux talonssihauts!Ilapparutrapidementcommeuneévidencequejenepouvaisgardercerythme.Jen’étaispasuneBondGirlentraînéeaucentmètresentalonsetjedevaisproduireunvraieffortpournepasm’étalersurlasurfaceinégaledutrottoir.Madenenfermaittoujoursmapaume,nousdirigeantaumilieud’undédaled’alléespavées,augmentant
deminuteenminutelaprobabilitéd’unebiseamicaleentrelarueetmoi.Jemeconcentraietrégulaiunpeumieuxmarespiration,mesfootingsvenantàmonsecours.Jeréussisàaccordermafouléeàlasienneetretrouvaiassezdesoufflepourprotester.—Maden!Jenetiendraipaslongtemps!Pourquoijecours,d’ailleurs?Personnenemeconnaît!Iltournabrièvementlatêteversmoietresserrasaprisesurmamain.—S’ilteplaît,resteavecmoi!répondit-ilseulement,savoixhachéeparcettecavalcadefaisantécho,
àlamienne.Dans son cas, ce n’étaient pas des talons qui l’handicapaient mais un paquet de clopes par jour.
Heureusement, il ralentit,mepermettantdenepasm’étalersuiteau légerbugprovoquéparsonregardsuppliantcomplètementdéloyal.— Ça va, ça va. Mais je te préviens, on finit fissa le marathon ou tu continues seul ton jogging
nocturne,annonçai-jeenluiretirantmamainpourmeconcentrersurmacourseetmonéquilibre.Nousarrivions surunegrandeartèreet ilhélaun taxi. Ilmecatapultadedanset s’yengouffraàma
suite. Alors que la voiture démarrait, je retrouvai rapidement une respiration plus fluide. C’étaitl’avantage d’exercer unmétier physique,même si le sprint ne faisait pas partie demon entraînementrégulieretquemescuissesmebrûlaient.—Merci,dit-ilsimplement,jem’excusedetoutça.Jesaisquec’est…ridicule.D’habitude,jenefuis
pas.Maislà,jen’avaispasenviedevoirdesphotosdenousdeuxsurInternetdèsdemain.Sesmotsmeramenèrentlespiedssurterreetjepercutailefondduproblème.S’ilenavaitsûrement
marredececirque,ilavaitcesoiruneraisonparticulièrepournepaslaisserdetraces.Ellemerevintaussitôtàl’esprit,commejel’avaisobservéeàlaconvention,sepenchantversluialorsqu’illuiparlait,rieur…Lauren,biensûr.Jesoupiraienm’attachantàdétailler lepaysageau-dehors.Ilpouvaitbiensecacherderrièresapseudo-amitiéavecmoi,cegenredecomportementmefaisaitdouterquesacopinefûtaucourantdel’endroitoùilsetrouvait.Etquedevais-jeendéduire?Jecommentaid’unairdétaché:—Elle n’apprécierait pas, effectivement. Ce serait idiot qu’elle se fasse des idées. Pas besoin de
t’excuser.Jecaptai sonregard indéchiffrabledans le refletde lavitre,mais iln’ajouta rien.Alorsque le taxi
nous ramenait chezmoi, jecontinuaiàcontempler les ruesvidesautourdenous.Nousenavionspourquaranteminutesderouteetlacoursealler-retourluicoûteraitunepetitefortune.Jehaussailesépaulespourmoi-même;aprèstout,l’argentnedevaitpasluiposerproblème.Jenepouvaism’empêcherdemesentirmorose.Nepasinterpréterlemoindredesesgestessemblait
difficile. Son regard pendant notre sprint, la pression de sa main, son expression quand il m’avaitdemandéderesteraveclui…Jepinçaileslèvres,agacée.Jenemereconnaissaisplus!Habituellement,jenemecomportaispasenmidinetteimpressionnable.Sacélébritédevaitvraimentmetroubleretcelanemeplaisaitpasdutout.Pourquoiyprêtais-jeattention,d’ailleurs?Leschosesétaientplutôtclaires:ilétaitprisetjevenaisàpeinedequitterJackson.Saprésencen’auraitdûmefairenichaudnifroid.Entempsnormal j’étaisassezcompliquée ; ilmefallaitun longmomentpour tombersous lecharmed’unhomme, alors que là, je devenais sensible à deux personnalités différentes simultanément. Aucune
logique.Àmoinsd’accuserencoreleclimatanglais.Ilavaitbondoscelui-là!—Onestarrivés,jeteraccompagne,meproposa-t-il.—Paslapeine.Tuvasperdretontaxiet,vul’heure,ilnevautmieuxpas.Bonnenuitetmercipourta
compagniecesoir…Rentrebien!Jebondissurletrottoirsansattendresaréponseetm’éloignaiàgrandspas.Incapablederetenirmon
impressionbizarredepuissadernièreréplique, jepréféraisdécamperavantdedirequelquechosequej’auraispuregretterparlasuite.Nous nous trouvions dans la rue qui bordait l’arrière de lamaison. Jeme dirigeai d’une démarche
rapide vers l’entrée du jardin et passai le bras par-dessus pour l’ouvrir. Le système était plutôtcompliqué,saufquandonl’avaitobservédel’intérieur.Aprèsavoirunpeubataillé,leloquetcéda.Alors que je m’apprêtais à refermer la porte, je sentis une résistance. Je relevai les yeux
machinalement et croisai le regard d’ambre de Maden, la paume posée sur le battant… Super, jen’entendsmême plus les bruits de pas derrièremoi. Si ça avait été quelqu’un d’autre, j’aurais étéagresséesansrienvoirvenir!Fini,lavodkacaramel,jusqu’ànouvelordre.—Attends!Tum’enveuxpourlesprint?Jesuisdésolé,jetel’aidéjàdit.Jen’avaispaslecourage
d’affronterlaséanced’autographesmaintenant.Çafaitpartiedujeuquandjesors,sinonjedoisvivreenreclus…Maisàcertainsmoments,jen’enpeuxplus.J’évitaiderépondreettentaid’apercevoirlaruederrièrelui.Plusdetaxi.—Maden,pasdesouci,jet’assure.Tuvasgaléreràretrouveruntaxi,tusais?Ilmedévisagea,incertain.—Jepourrais…rester ? Jedormirai sur le canapé. Jen’aipasenviede retourner àmonhôtel. Ils
campentdevantdepuiscematinet…pascesoir.Jelecontemplaiunmoment,cherchantàliresursonvisagefatiguésijedevaisarrêterdemeprendre
la tête sans raison, tout en ayant la désagréable impression de trahir Jackson. L’alcool produisait dedrôles d’effets sur moi… ou les acteurs en général, au choix. Déstabilisée, je capitulai. Après tout,pourquoipas?Lesfillesseraientheureusesdeletrouverlàlelendemain.Certainesproposeraientmêmeaimablementdepartagerleurlitsansproblème.— OK. J’espère pour toi qu’il n’y aura pas de fuite dans la presse. Sinon, ta dulcinée secrète,
appelons-laMlleX,neserapasraviedesinsinuationsàproposdetoiquidécouches.Le commentaireme parut un peu déplacé aumoment où je le prononçai,mais je ne pus le retenir.
Sûrementlafauteauxsentimentsmitigéscontrelesquelsjemedébattais.Sonregardsedurcit,ilsemblaitplusombrageuxquandilétaitfatigué.—Évitecegenrederemarques,merci.Ilpassadevantmoicommes’ilétaitchezluietcefuttrop.Jeclaquailaporteetcriaiàsondos:—Jetepréviensdirect, tumeparlesencoresurcetonuneseule fois,TUTECASSESD’ICI!Et
plusvitequeça!Tueschezmoi,bordel!Furibarde, je refermai le loquet et remontai le jardin aupas de course en luttant pour conserver un
équilibredignedansunepelousemeuble,avecdixcentimètresdetalons.Cettepetitegueulantem’avaitsoulagée.Ilpouvaitbienporterlenomqu’ilvoulait,jerefusaisdemelaissermarchersurlespieds.Maden n’avait pas bougé d’un poil, comme abasourdi.Quand j’arrivai à son niveau, j’aperçus son
expressionetl’apostrophaid’unevoixtendue:—Quoi?— Tu te rends compte que tu viens de m’engueuler en français ? J’ai compris les grandes lignes,
mais…Undemi-souriresedessinasurseslèvres.Jeclignaidespaupières.Enfrançais?Merde,lesvieilles
habitudesavaientlaviedure.Leridiculedumomentmedéridaetjepouffai.Jedevaisressembleràuncaniche hargneux avec ce débordement intempestif ; il n’était pas le seul à être crevé.Rapidement, ilm’imitaet jemeretrouvaià2heuresdumatin,dans le jardind’unebanlieueanglaise, secouéeparunénormefourireavecunacteurmondialementconnu.LecôtéirréalistedelasituationrenforçaencoremonhilaritéetlerirecommunicatifdeMadennem’aidapas.Jeréussisenfinàmecalmer.—Tuesfranchementmignonne,énervée,finit-ilpardire,avantdesepencherversmoi.Ilmeserraquelquessecondescontresontorse.Sonodeurm’enveloppaetmesyeuxsefermèrent.Je
dusarrêterderespirersansm’enrendrecompte,carilmefallutreprendreuneprofondeinspirationquandilmerelâchapresqueaussitôt.Justeàtemps,mesbrasavaientfaillil’entourer.Denouveau,ilattrapamamainetm’entraînaverslamaison.Ildevaitbienêtre4heuresdumatinpassées.J’étaisaffaléesurletapisdusalonauxcôtésdeMaden.Il
étaitinstallélégèrementdetravers,desortequesatêtereposaitprèsdelamienne.Laplaylistquenousavionscrééeensemblesuiteàunelonguesuitedecompromisétaitdiffuséeàbonvolume.Ilétaitallérécupérerlavodkacarameletj’avaissuccombéàunnouveauverre…Maisj’arrêteraisdès
le lendemain.Promis.J’avaiseubesoindeçapourm’empêcherdepenseràsonodeurquisemêlaitàmonmanquedeJackson,quejen’oubliaispasetquimerendait tristemalgrétout.Cesdeuxsensationscontradictoiresmeperturbaient.Jem’étaisditquel’alcoolm’aideraitàm’engourdiretàdébranchermoncerveau.Je m’étonnais moi-même de la manière dont je m’attachais à beaucoup trop de détails concernant
Maden. Son parfum, la taille de sesmains, son regard quand ilme charriait ou lors de notre course-poursuite, l’espèce de lueur taquine et… je ne savais pas ce que je ressentais vis-à-vis de soncomportementà la foisespiègleetattentionné.Quelquechoseme troublait, en toutcas. Jem’habituaisdifficilementàsesbrusqueschangementsdecomportement;cesinstantspendantlesquelsilsemblaitsidétendu,simûr,biendanssesbaskets,etlesautresoùilmeparaissaitsurlabrèche,tenduetpaumé.L’alcoolavaitsuffisammentbienmarchépourquej’arrêted’essayerdecomprendre.Quecesoitluiou
moi.Auboutd’unquartd’heure, j’avaisoublié toutça,oupresque.Jemeretrouvaisdoncallongéeentravers d’un tapis, à beugler en rythme avecMaden, abandonnant à jamais la possibilité d’avoir l’airmystérieuse, séductrice ou charmante après une telle prestation. J’enfilais ainsi le costume officiel demeilleurepote,plutôtverséedanslesmomentsfoireuxetdrôles.Pouruntypequiavaitétudié lechantlorsdesesétudes,jeremarquaiquesonquotadefaussesnotesaugmentaitdèslecinquièmeverre.—Fafafafafaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaa…Jene réalisaique tardivementque jecontinuais surmon«aaaaa»alorsqu’OtisReddingétaitdéjà
deuxphrasesplusloin.Hilare,jem’arrêtaietroulaisurmoi-même,peinantàreprendremonsouffle.—Tuchantesaffreusementmal,Thia,ondiraitmoi!TuasréclaméunconcertdeThomas,vistonrêve,
bébé!dit-ildansunegrandeimitationdecrooner.Secouéeparunfourireirrépressible,jeretombaienarrière,deslarmescoulantpresquedemesyeux
etleszygomatiquesdouloureux.Jemedemandaidepuisquandjen’avaispasvécucela:unfouriredegosse,sansretenue,sanspudeur,sansm’inquiéterdesavoirsij’avaisl’airbêteourougeécrevisse.Jemegondolais,point.Unretourenenfanceinattendu…grâceàunartificealcooliséôcombienadulte.Madenessayaitdereprendresoncalmeetentonnait,braillard,l’ultimecouplet,couvrantlavoixsuave
d’Otis. Je luttaipour retrouvermon souffle, victimed’unpointde côté, etme rendis comptequenouspassionsunexcellentmoment.Enfin,pourmapart;jenesavaispascequ’ilenpensait.Jeréussisàmehisser jusqu’àun fauteuil et contemplaiMadenchantonner àvoixbasse ledébutd’unmorceaudeTheKills.Cefutladernièreimagequejegardaienmémoireavantdeglisserdanslesommeil.
Jemeréveillaivers5heures ; il faisaitencoresombre.JemelevaietenjambaiMaden,endormien
traversdutapis.Dansl’entrée,j’aperçuslesaffairesdesfilles,unsacendésordre,unepairedetalonscompensés, une veste…Elles étaient rentrées et je ne les avais pas entendues. Jeme servis un verred’eauetuneaspirinepourdissiperlagueuledeboisàvenir.Malgrél’heure,j’avaischaudetl’airmesemblaitlourd.Jemedécidaiàsortirunpeuetcontournaide
nouveau Maden. Je ne pus m’empêcher de m’arrêter quelques instants et m’accroupis à ses côtés.Silencieuse,jelescrutai.Sonvisageparsemédepetitsdéfautsnepouvaitprétendreàlaperfection;lenez un peu plus épais que ceux des mannequins de magazines, les lèvres larges pour un homme, lessourcilsdroitsetfournis,despommettessaillantesetunecicatriceàpeinevisibleàlatempegauche…Pourtant, je lui trouvaisun charme fou,mêmeendormi.L’harmoniede l’ensemble était indéniablementvirile, sans rendre ses traits durs. Et si son corps n’était pas celui d’un athlète aguerri, l’amorce desmuscles affleurait sous la peau, juste comme il le fallait, donnant une impression générale souple etnerveuse.Legenredesilhouettesquiavait toujoursobtenumes faveurs,bienplusque lesgarscommeKurt,tropbodybuildéspourmoi.Danslecalmedelanuit,jem’attardaisurlesdétails,prenantletempsdeleregardercommejeneme
l’étaisjamaisautoriséquandilétaitéveillé.J’essayaimentalementdemeconvaincrequejefaisaisçaentout bien tout honneur, comme pour un beau tableau. Mais je savais que mon attitude était tropambivalentepouruneamie.Lecharmebrutqu’ildégageaitn’aidaitpasvraiment.Labarbequiombraitàpeinesesjouesànotrerencontreavaitcontinuéàpousserdepuis,soulignantla
lignedesesmâchoires.Jesuivislecontourdusourcil,puislenezdroitetledébutd’unefossetteàsonmenton.Peuprononcée,ellesedessinaitmieuxaveclabarbe.Enfin,arrivaitlacourbedeslèvres…Jeme montrais honnête, ou relativiste ? Honnête : parfaites. Celle du bas en particulier, parfaite pourembrasser,mordiller,lécher…Undrôledecreuxseformadansmonestomac.Uneautresortedefaim.Mauditsalopardtropbeau!STOP!Tutelèvesdesuiteettutecassesdelà!Espècedemalade,mehouspillai-je.Et pour une fois, je m’obéis aussitôt et me relevai. À bloquer ainsi sur des détails, je devenais
carrémentbizarre. Il fallaitarrêterces fantasmes idiots. Ilsnem’apporteraientquede la frustrationet,auxdernièresnouvelles,jenepostulaispasaurôledemasochistedeservice.Etilavaitunecopine!Unefillequ’il idolâtraitdans tous lesmagazines, avec laquelle il travaillait etvivaitdepuisbientôtquatreans.Uneéternitédansleurmilieu.Laurenavecsescheveuxblonds,seslonguesjambesetsonhabitudedeporterdesmini-jupesdecréateurs…Honnêteousalopejalouse?Honnête,maispastoutàfait:pasloind’êtreparfaite.Bref,àmillelieuesdemoietdemonlookatypique.Jepassailabaievitréeetm’écartaidelatentationd’unmètrequatre-vingt-dixendormiesurmontapis
desalon.Iln’yavaitrienàjeterchezLauren.Ellefaisaitpartiedesonmonde,ilspartageaientcepassifcommun, avec la saga et ce succès phénoménal… Jememontais des films alors qu’objectivement ils’étaitmontrétactile,certes,maiscelanecomptaitpasvraimentpourdeladraguenonplus.Pourcequej’ensavais,ilsecomportaitpeut-êtretoujoursainsi.UndemesmeilleursamismetouchaitmillefoisplusenunesoiréeenboîtequeMaden…maisilétaitgay.Quoiqu’ilensoit,ilavaitjouécartessurtableetj’avaisacceptésesconditions.Ilmefallaitassumer
etenterrertouscesfantasmesridicules.Onn’agitpasdelasorteavecsespotes,çadevaitêtremarquédansleBroCodedeBarneyStinson.J’approchai de la piscine sans y penser et effleurai demonpied la surface de l’eau.Ellemeparut
bonne,plusfraîchequel’airambiant,maisagréable.Pourquoipas?Jeréfléchisrapidement.Culotteetsoutien-gorgenoirs, pasdu tout transparents.Pleinenuit, personned’éveillé aux alentours…Je retirai
meshabitsetmeretrouvaiensous-vêtementssurlerebord.Jeglissaimesjambesdansl’eaupourdonnerletempsàmoncorpsdes’habitueràlatempératureavant
demelaisserflotter,nemeretenantplusàlamargellequed’unemain.J’avaisôtémesbijouxetrelâchémescheveux. Ilmefallutunmomentpourm’immerger jusqu’auxépaules,prenantappuisur le fonddubassin. Jeme décidai finalement à enlever aussimon soutien-gorge, le jetant sur le tas et soupirai debien-être.Auboutd’unmoment,jepassailatêtesousl’eaueteffectuaiplusieurslongueurs.J’essayaidefairele
moins d’éclaboussures possible. Déjà pour le bruit, vu l’heure,mais surtout pour ne pas troublermapropretranquillité.Jemesentaisdansunétatpresqueméditatif,enapesanteur,dansunebulledecalme.Aprèsunelargeinspiration,jetraversail’intégralitédelapiscinesouslasurface,lentement,jouissantdechaquemouvement,del’effetdel’eauglissantsurmoi.Latempératuremeparaissaitplusfraîcheaufuretàmesuredesminutes,maiscelademeuraitplaisant,mapeausecouvrantd’unelégèrechairdepoule,mesmamelonssedurcissantpetitàpetit,meprocurantundélicieuxfrisson.En pleine brasse, des remous me parvinrent, accompagnés d’une rumeur étouffée que l’eau de la
piscine propagea.Mon cœur bondit et j’ouvris la bouche pour crier. Évidemment, je bus la tasse etémergeaiencrachant.—Thia,çava?Je reconnus lavoixdeMadenentredeuxquintesde toux.Oh,non…J’essuyaides larmessousmes
yeuxet réussisenfinàdécollermespaupières. Jepeinaià reprendremarespirationet lui fis signederesteràdistancequandilvoulutapprocherpourm’aider.—Qu’est-ceque tu…fabriques ici?prononçai-je, lavoixrenduerauquepar lechloreetmagorge
irritée.Jemerepliaisurmoi-même,plaquant lesbrassurmapoitrine,conscientedemesmamelonsdressés
sousmespaumes.Vusonétat,jen’auraisjamaiscruqu’ilseréveillerait.— Je t’ai vue nager, j’ai attendu unmoment,me disant que tu allais ressortir, mais tu semblais si
bien…Jen’aipasréfléchi,jemetrouvaisdanslapiscineavantmêmededéciderdeterejoindre.Excuse-moidet’avoireffrayée…Tutesensmieux?J’acquiesçai sans répondre.Lanuitn’était pas complètementnoire, certaines lueursparvenaientdes
lampadairesde la rueet, si j’avaisvolontairementéteint lebassinavantd’yentrer, je redoutaisquandmêmequ’ilpuissemedétaillerà loisir.Après tout, ilavaitpumereconnaîtredans l’eauoupercevoirmonhochementdetête,doncilnedevaitrienignorerdematenue…Ehmerde.—Thia?m’interpella-t-il,approchantànouveau.—Maden,stop!Nebougepas.Jenesuispas…beaucouphabillée.Gardetesdistances,s’ilteplaît.Le sourire moqueur qu’il m’adressa provoqua un frisson de mes orteils jusqu’à la racine de mes
cheveux.—J’aivuletasdevêtements,approuva-t-ilavecl’expressiondutypequis’amusebien.Écoute,n’aie
paspeurdemoi,jenevaispastesauterdessus!Jenesuispascommeça.Ilmetournaledoseteffectuaplusieursallers-retourspendantquej’adoptaislastratégieducrabeet
rejoignaislebord.Jemerelaxeraisdifficilementdanscesconditions.Nagernueavecunecopineoumonmecnem’auraitposéaucunproblème,maispasaveccegenre«d’ami».Jem’installai sur unemarche de la piscine, dans un coin, et restai immergée jusqu’aux épaules, le
surveillantducoindel’œil.Ilnageadansmadirectionets’assitsur lamarchedudessous,àquelquespas. Contrairement à moi, il semblait parfaitement à l’aise. Ses cheveux mouillés étaient plaqués enarrière et il détaillait le ciel au-dessus de nous. Sans réfléchir, je suivis lemouvement de sa pommed’Adam,attentiveàsarespirationetconfonduedeletrouversibeau.
—Lebainanti-cuite,c’estunebonneidée…Direquedemainjedevraidéménagermesaffaires…etj’aicinqinterviewsprévuesdanslamatinée.Tuparlesdevacances,finit-ilsombrementensefrottantlesyeux.Jen’arrivaispasàluirépondre,monespritétaitoccupéailleurs.Monregards’obstinaitàpiquervers
le bas pour déterminer sa tenue de baignade… juste par volonté d’équité, pour détenir autantd’informationsquelui.J’aperçus–sanstroploucherbiensûr–unboxernoir.OK,nousétionsàégalité,maisenplusgênantpourmoi.—Détends-toi,jenevaispastesauterdessus!rappela-t-il.Dommage…Ehmerde!Jenepouvaisdoncpasavoirlemoindrecontrôlesurmespensées?Encore
une fois, jeme retrouvai complètement perdue,mon expérience etmon intuitionm’incitant à croire lecontraire.Cettephraserassurante,anodine,avaitétéprononcéesuruntonbas,avecunevoixloindeluiêtre habituelle. Je conservais l’impression qu’il jouait un jeu de séduction en prônant l’inverse, sedéclarant au-dessus de tout ça et se cachant derrière sa relation avec Lauren. Hérissée, je pinçai leslèvres.Commes’ilpouvaitm’abuseravecdesparolestoutenm’envoyantd’autressignaux.Jenem’étaisencore–àmaconnaissancedumoins–jamaistrompéesurlesintentionsdelagentmasculine.Jevoulaisbien croire que le charmedeMadenbrouillaitmes radars,mais tout demême ! Il trichait, je l’auraisparié.OK,tuasenviedejouer?Pasdesouci,jepensesavoirfaireça,acteurounon.J’émisunpetitrire,
quej’espéraisléger,melaissaiflotterjusqu’àluietluiadressaiungrandsourire.—Tuasraison,annonçai-jeenrelevantlesmainsensignedereddition.Jenevoispaspourquoij’ai
réagicommeça.Lagueuledebois,toutça…j’enaipresqueoubliénotreamitié.Jeposaimapaumesursonépaule,l’embrassaisurlajoue,visantprèsdeslèvressansm’enapprocher
trop,avantdem’éloignerennageant.Jerestaiavecluidanslapiscineunedizainedeminutesdeplus.Puis je l’avertis que j’avais un peu froid et traversai le bassin d’une brasse calme, pour ressortirtranquillementparlesmarches.Jem’arrêtaipouressorermescheveux,penchéesurlecôté,toujoursenluitournantledos,avantdeme
diriger versmon tas de vêtements que je ramassai, sereine. Je regagnai lamaison en petite culotte etdégoulinante,commesiderienn’était.Jem’offrismêmeleluxed’undernier«Bonnenuit.».Sentantlepoids de son regard me suivre jusqu’à l’entrée du salon, j’évitai soigneusement de me retourner. Ilpouvaits’amuserà rejoindreunefilleàmoitiénuedansunepiscinesibon luisemblait, toutcommeilpouvait lareluqueraulieudesedétourner.C’étaitsonchoix,paslemien.MaissiMadenpouvaitniersoncomportementambigu,jeleluirenverraissanshésiter.Contrairementàlui,personnenepouvaitrienmereprocher.Jeremontaidansmachambre,lesourireauxlèvres.
Je n’avais pas croiséMadenpendant plusieurs jours après ce petit épisode. Il était occupépar desinterviews et des rencontres avec des producteurs ou des séances photos pour un grandmagazine.Unprogrammechargépourunepersonneenvacances.Maisj’étaisbienlaseuleraviedecettesituation,mesamies grognant un peu et annonçant déjà que nous ne le reverrions plus. Je recevais beaucoup deremarquessurmanuitaveclui.Mêmesijem’insurgeaischaquefoissurcetteexpressiontrompeuse.Jegardaisunsouvenirplutôtbrumeuxet…douloureuxdetoutça.Jeneréalisaistoujourspasquejem’étaisbaladéequasimentnuedevantlui.Lanuitetl’alcoolserévélaientbienpiètresconseillers!Toutçapourleprendreàsonproprejeu.Idéestupidedefillebourrée!Aveclerecul,jeconservaisenplusunsentimentdeculpabilitéassezdésagréable;commesiaulieu
deluirendrelamonnaiedesapièce,j’avaisdépassédeslimites,trahisapetiteamieetJacksonenmêmetemps.SijemefichaisunpeudeLauren,j’avaisenrevanchedumalàsupportercetteidéevis-à-visdemonsex-friend.Objectivement,nousnenousétionsrienpromis.Maisilvenaitàpeinedepartir.J’auraisdûrefuserlapropositiondeMadenlorsqu’ilavaitvoulum’accompagner.Ounepasboiredelavodkaetlelaisserdormircheznous,mêmes’ilnes’étaitrienpassé.Jen’arrêtaispasderessassercettehistoireetm’inquiétaisdemaprochainerencontreavecMaden.Je
n’étais pas coincée, loin de là, mais j’évitais généralement de tels débordements devant un presqueinconnu.Iln’yavaitquequandjedansaisquemesinhibitionstombaientd’elles-mêmes,moncerveausemettantsurpausepourlaisserplaceauxsensations.Commepourlesexe,auraientditcertains.Depuis,j’avaisreçuplusieursappelsmasqués.Jemedemandaiss’ilsémanaientdeMadenoudema
sœur.Jen’avaispasencore trouvé lecouragedevérifier.Cesderniers jours,nousavionscontinué lesvisites toutes ensemble. Lou et Janis allaient rentrer dans deux jours alors que Lianne était partie lelendemaindudépartdeJackson.Pournotreultimesortie,nousavionsplanifiéuneviréeenboîtedenuit.SelonLou,notredévoreusede
guides touristiques, l’établissement était réputé pour ses différentes salles aux ambiancesmarquéesoùplusieurscommunautéssecôtoyaient.J’avaisbataillédurpourréaliserceprojet.Janisdétestaitcegenredesoiréesetlamotiveravaittenu
duchantageenrègle.Finalement,elleavaiteupitiédemoiàforcedemevoirdansersousnotrevérandaune heure chaque jour, mon lecteurmp3 vissé sur les oreilles. J’étais comme toutes les sportives envacances : rapidement enmanque. J’avais besoin de sentirmon corps enmouvement, d’exprimermesémotions,etdanserparticipaitpleinementàmonéquilibrementaletphysique.Lelendemain,nousdevionsallerauconcertdeNeil;Timavaitfiniparnousconvaincre.Caràdéfaut
de croiser Maden, son meilleur ami l’avait remplacé depuis le barbecue. Aucun hasard là-dedans,puisqu’ils’entendaitdemieuxenmieuxavecMiou.Celle-cisemblaitauxanges.Neilétaitpassélaveillepours’assurerdenotreprésenceàsonconcertetpourpartagernotresoirée
«cuisineanglaise».Jem’étaisappliquéeaufourneausouslesordresdeTim,notrechefdujour.Luietmoi sympathisions chaque jourunpeuplus et j’étais raviede levoir flirter avecMiou.Neil et lui semontraientadorables, s’intégrant facilementparminous. J’aimais lagentillessedeNeil et l’humourdeTim.Neil avaitmêmeconvaincuMiouet les fillesde l’accompagner àune représentationdesPumpkins,
groupeforméparNancyetAllen,lacousineetlefrèredeMaden.Jeconnaissaislenomdugroupeparles journaux,mais je n’avais jamais pris le tempsd’écouter leurmusique.Mes amies avaient acceptéavecenthousiasme,pendantquejeblêmissais,silencieuse.Je me préparai pour notre soirée en boîte et enfilai une robe noir et bordeaux, les couleurs se
mélangeantsousformedeflammesstylisées.Lacoupebustierdégageaitmesépaulesetcréaitun légerdécolleté,alorsquelebasdelarobes’évasaitendenombreuxplis.Unetenueidéaletrès«gypsy»,ensomme.J’accentuail’effetparmonmaquillage,delargescréolesetunchignonflou.Monportablevibrasurlelit.Jemepenchaipourapercevoirl’écran:«APPELMASQUÉ».Encore?
Jenevoyaisquemasœurpours’acharnercommeça.Jesoupiraietappuyaisurlatoucheverte.—Thia?Enfin!J’aiessayédesdizainesdefois!Commentsepassentcesvacanceslondoniennes?
Raconte-moitout!C’étaitbienLucia.Unepartiedemoi futdéçue.Prisesur le fait, jedusadmettreque, indécrottable,
j’espéraisentendrelavoixdeMaden.Jeparlaiunmomentavecmasœur, toujoursauxprisesavecsesamants, ses deux gosses, son boulot… Je l’écoutai, distraite, me contentant de vagues grognementsapprobateurs,etachevaidemepréparer.Au bout d’une demi-heure, je réussis à raccrocher. Ouf ! Je l’adorais, mais elle était atteinte de
« téléphonite aiguë ».Mon portable vibra de nouveau. Super.Victime du syndrome deColumbo, elleoubliaitsanscessequelquechoseetrappelaitsystématiquement.—Oui,Lucia!soupirai-jeencalantletéléphonecontremonépaule.Jesaisqu’aupieuilestdivin,tu
arrêteraisderadotersurlesujet?Jetraçaiunderniertraitd’eye-linerd’unemainexperteetj’étaisfinprête!—Lucia?demandaunevoixgrave.Juste quand je ne m’y attendais pas, Maden réapparaissait. Je commençai à rougir, avant de me
souvenirqu’ilparlaittrèsmallefrançais.SauvéeduridiculeparlalanguedeMolière.—Oh,désolée,j’aicruquec’étaitmasœur,repris-jeenanglais.—Euhnon,cen’estquemoi…J’aiessayédetejoindreplusieursfois,maistunerépondspassouvent,
remarqua-t-il,incertain.—Jetel’aidéjàdit,jen’appréciepaslesnuméroscachés.Laplupartdutempsc’estLucia,ettoujours
laplupartdutemps,cequ’elleracontenem’intéressepasforcément.Elleestcommel’homéopathie, ilvaut mieux se contenter de petites doses diluées ! Mmh, ça va ? questionnai-je pour lancer laconversationetdissimulermonmalaise.—Jedemanderaiàmonagentde reconfigurermon téléphone, jen’yarriveraipas seul ; je suisnul
pourtoutcequiestmoderneoutechnique.Monnuméroapparaîtraettun’aurasplusd’excusepourévitermesappels…C’étaituneblague,précisa-t-il aprèsun instantde silence,commes’il s’inquiétaitde lamanière dont j’avais interprété sa phrase. Sinon, ça va… un peu crevé. J’en ai ras le bol de leursinterviews qui se répètent, de poser devant les photographes… Me montrer spirituel ou intelligentm’épuise.Pardon,jenedevraispasmeplaindre.Letravailestcommeça,point.Tu…m’asmanqué.Nospetitsdélires,nosconversations…Taprésencem’amanqué,manouvelleamiefrançaise.Il appuyasur ladernièrepartieditedansun françaisà l’accentàcouperaucouteau. Je ris ; il était
irrésistibledansmalangue.Amis,jedevaism’ensouvenir.Mêmesiencoreunefoisjetrouvaisdanssescommentairesdesmarquesdeséduction.Peuimportait,sijevoulaiséviterdem’humilierunefoisdeplusenmebaladantàmoitiénue,ilmefallaitarrêterdepenserça.Présumerunpeumoinsd’unflirtetmefierunpeuplusàl’absenced’avancesconcrètesparaissaitjudicieux.—Maistunousasaussimanqué,Maden,assurai-je,insistantàmontoursurle«nous».Lesfillesont
demandédetesnouvellesàTim,ilnousatenucompagnieenattendant.Iltel’asansdoutedit,maisluietMiou,çamarcheplutôtbien!Nerveuse,doncbavarde.Thia,stop!Tunedéblatèresrienqu’ilnesachedéjà,apriori.—J’aicrucomprendre.Vousavezprévuquelquechosepourcesoir?Sijerépondaisparlanégative,ilapprendraitlavéritéparTim.Ilfallaitsûrementluiproposerdese
joindreànous,engentille«amiefrançaise».—Oui,onvadanser.Jeluidonnailenomduclub.—OK, j’yseraidansdeuxheures,dèsque j’aurai finidedîneravecmonagent.Vousrestezencore
combiendetempsenAngleterre?s’enquit-ild’untonbrusque.— Euh… Qui ? Lou part dans deux jours, Annouk quatre jours plus tard. Janis, Miou et moi les
suivronsunesemaineaprès,etLianneestdéjàrepartie.Enfin,jecommenceàmedemandersiMiounetenterapasunoudeuxcastingsici,pourvoiroùçalamèneavecTim…L’infonevientpasdemoiettun’aspasintérêtàlarépéter.Compris?—Noté.—Bon,àtoutàl’heure…situpeux.Jeraccrochairapidement.Respire,respire…Lapremièreprisedecontactn’étaitpastropmal,pasde
remarquessurnotre«entrevuepiscine».Toutallaitbiensepasser.Leclubétaitgénial!J’étaisauxanges!Depuisplusdedeuxheures,jeflottaisdansmonparadis.Mes
amies se succédaient autour de moi, mais elles ne pouvaient supporter mon rythme et préféraientm’abandonner.Demoncôté,jepouvaistenirencorelongtempsainsi.Ellesmerécupéraientrégulièrementaumilieudesdanseursetm’emmenaientderrièreellespourchangerd’ambiance.Conciliante,jesuivaislemouvement:peuimportaitlamusique,jevoulaisjustemetrémousser!Nousétionsrestéesuneheuredanslasallelatino,vingtminutesdanslasalleWorldMusic,etavions
éludomiciledepuisdans la salleR’n’B/hip-hop.UnmorceaudesBlackEyedPeas résonnait et jemedandinais en rythme,même sima robe jurait dans cette foule. Je possédais cet albumetmedéfoulaissouvent dessus à la maison. Je concentrai mon attention sur mes hanches. Je mélangeais mesconnaissances de danses hawaïenne et orientale, pour un hip-hopmétissé demon cru.Mon bassin sesecouaitd’avantenarrière,puisdegaucheàdroite,enaccordavecletempo.Jemesentaistransportéedansunmondeparallèle,toutmoncorpsn’étaitquemusique.J’accentuaimesmouvementsaurefrain.Jegardais les yeux clos pour ressentir mes ondulations. La chanson se termina. Je rouvris enfin lespaupières.Quand je lesavais fermées,LouetMiousedémenaientàmescôtés.Nousnousétionsmises surun
borddepistepourresterprochesdelatableoùJanisetAnnoukétaientrivées.Ellesn’appréciaientpastrop le hip-hop et attendaient avec impatience notre départ de la salle. À présent,Maden et Tim lesaccompagnaient.Unebousculademepermitdeleurtournerledosetdereprendrecontenance.Jecroisaile regarddeMiou.Elle rayonnait, ravieduretourdeTim,etavait la têtede la fillequiaime laTerreentière.Bizarre,ilavaitlemêmeeffetsurellequel’alcool.Ellemeserracontreelleavecenthousiasmeetprofitadelaconversationdesautrespourmeglisseràl’oreille.—Mabelle,heureusementquetuesmameilleureamie.Sansça,jetedétesterais!Déjàquelà,c’est
presquelecas.—Hein?—TuasfaillifairedécrocherlamâchoiredemonTim,maisjetepardonne.Onvoitbienàquelpoint
tun’asplusconsciencedumondeautourdetoi.D’ailleurs,unebonnepartiedelaboîtet’aremarquée:
touslesgarstereluquent!—N’importequoi!Arrêted’enfairedescaissespouréviterunepiquedemapartsurl’airniaisquetu
arboresdèsqueTimapparaît,lançai-jeenmedégageantdesesbras.Jedétaillailafouleautourdemoietrepéraiplusieurshommes,leregardfixésurmoi.Jem’étaispeut-
êtreunpeulaisséeallerenfait…—Ehmerde,jen’aipasfaitattention,murmurai-je,gênée.Tantqueça?Ellepouffaetinsista,adorablecommeàsonhabitude.— J’ai dû faire rempart de mon corps pour empêcher deux gros lourds de venir te coincer. Je te
connaisetj’aiunepetiteidéedelamanièredontilsauraientétéreçus,lespauvres…EtjenetediraismêmepascommentMadent’aboufféedesyeux.Ilnevapass’enremettre.Je fronçai les sourcils en lui lançant un regard que j’espéraisméchant, pour lui signifier que je la
savaisenpleineexagération.Mêmesijedoutaisdel’effetproduit,tropperturbéeparsessous-entendus.Nous finîmes par rejoindre la table et, enme faufilant entre les danseurs, je jetai un nouveau coup
d’œilcirculaire,essayantd’évaluerjusqu’àquelpointmonamiepouvaitenrajouter.—JecomprendsmieuxlescommentairesélogieuxdeMiousurtestalentsdedanseuse,Thia!Tues
fascinante!Etplutôtsexy,sijepeuxmepermettre,mecomplimentaTim,enriantdevantl’airassassindemacoloc.Ellepassasonpoucedevantsagorge,avantdesourire.Ill’attiraàluietl’embrassasurlecoindela
bouche.Aupetitploiementdetoutsontorse,c’étaitelle,àcetinstant,quioubliaitlemondealentour.Jelestrouvaismignons.Quandillarelâcha,elleenchaînaaussitôt:—Jete l’avaisdit!Elleestsublime.Et làvousn’avezvuqu’unepartiedesontalent, la«Thiaen
vacances ». Au boulot, elle devient d’une précision redoutable, ses spectaclesme sidèrent toujours !Peut-être aussi parceque jen’y connais rien. J’ai découvert ladansehawaïennegrâce àThia et vousn’imaginezmêmepas.Shakirapeutserhabilleravecsondéhanché!Ellemefrottalebrasavecunairfierdemamanpoule.Jesecouailatête,riantdesescompliments.—Çava,stop!C’estmonjob,sijenesavaispasbouger,ilfaudraits’inquiéterpourmesélèves.Tu
étaisgénialedanslapiècedeTchekovl’autrefoisettut’envantes?Non.—TupeuxvraimentfairedestrucsàlaShakira?m’interrogeaTim,curieux.—Oui.Enfin,danslegenre…—Elleesttropmodeste,contraMiou.—Arrête,c’esttoiquiabuseslà.Après,c’estunehistoiredemuscles,d’entraînementetdesouplesse.
J’aicommencéàapprendreàMiou,annonçai-jeminederien.Timdécrochaaussitôt,leregardrivésurelle.Illuichuchotaàl’oreillequelquesmotsetelleéclatade
rire,rougissantàmoitié.Tropmignons!JemedétournaidecedérapagedansleurintimitéetremarquaiqueMaden venait dem’imiter. Lui aussi paraissait amusé par leur comportement, presque attendri. Ilavaitencorelaissépoussersabarbeetavaitpeuàvoiravecl’imagequ’ilrenvoyaithabituellementdanslesmédias.Jecomprisqu’ildevaitagirainsipourse«camoufler»et,effectivement,jenevisaucunedesfillesautourdenousledévisager.Il me détailla et mon sourire s’évanouit sur mes lèvres. S’il ne disait rien, il me regardait
différemment.Miouavait-elleditvrai?M’avait-il reluquéesur lapistededanseetcela l’avait-il…?Quoique,jenevoulaispassavoir.Jesentaisdéjàunepartiedemoiseréjouir,mêmesic’étaitstupideetmesquin.J’étaisravied’avoirproduitmonpetiteffetsansmêmelerechercher.Ego,quandtunoustiens…JanisetAnnouknous supplièrentdechangerde salle. Je les suivisdocilement, encadréeparLouet
Maden. Je retirai au préalablemes chaussures qui commençaient àmemartyriser les pieds. J’adoraisdanserpiedsnus,maisjepriaipournepasrencontrerdestessonsdeverresurmaroute.
Verslasortie,unebandefêtaitbruyammentunenterrementdeviedejeunefille.UnebousculadepressaMadendansmondos.Lachaleurdesoncorpsmeparvintà travers lefin tissudemarobe,etsamainfrôlamahanche.Jenemefisaucunfilm:lelieuexiguavaitprovoquécecontact,surtoutqu’ilavançaitenfaisantprofilbas,àlalimitederaserlesmurs.Jenepustoutefoism’empêcherderessentirprofondémentce simple effleurement. Un frisson parcourut ma colonne. Nous arrivâmes dans une salle plus pop,électro.Àpeineentrée,jereconnuslemorceauet,s’ildatait,jen’ensautaispasmoinssurplace,ravie.JerefilaiillicomeschaussuresàMadenetm’éloignaientenantlamaind’Annouk,quiharponnaMiou
aupassage,l’arrachantàTim.Nousnousrendîmestoutessurlapiste,laissantauxgarçonslesoindenoustrouverunetable.JepassaisunsupermomentàmedéhanchersurEmergedeFischerspooneravecmesamies. J’exécutai avec Janis uneparodie de tangodélirant et hurlai à tue-tête les paroles avecLou etAnnouk.Jegardailesyeuxbienouvertspourresteravecellesetfaireattentiondenepasm’envolerpour«Danseland»,comme l’auraitappeléMiou. Je rugisenentendantundesderniersmorceauxdeShakaPonk et me mis à pogoter de plus belle. Nous vivions un des meilleurs épisodes de notre séjourlondonien.Jel’avaistoujoursdit:lamusiquenepouvaitcréerquedebeauxsouvenirs!NousréussîmesàentraînerMadenetTimavecnous.Ilssedéhanchèrentcommedesidiots:persuadés
dèsledébutdeparaîtrestupides,ilslejouèrentàfond.Timenparticulierselançadansunconcoursd’airguitarsuivid’unsolodebatterie.Miouledévoraitduregard.Raidedingue,lapauvre.Jepouffai.Depuisnotrearrivéeplusieursheuresauparavant,jen’avaispasquittéuneseulefoisledancefloor.La
fatiguecommençaàpointerleboutdesonnezetj’acceptaienfindefaireunepausepourallerboireunverre.Unpeuessoufflée,lesourirejusqu’auxoreilles,jemetortillaissurplacecommeunjouetàressortqui
nepourraits’arrêter.SicelaamusaitbeaucoupTim,mesamies,elles,meconnaissaientmieuxetn’étaientdoncpassurprisesdemonattitude.Nousnousrelayionsà tourderôlesur lesdeuxsiègesdisponiblespoursoulagernospieds.MadenetTimsecontentaientderesterdebout,dosauxdanseurs.Je ne pouvais m’empêcher d’admirer Miou dans les bras de Tim. Elle respirait le bonheur. Elle
semblaitdéjàassezaccrochéeàlui.Jem’inquiétaipournotredépartprochain,puischassaicetteidée:elle était grande et savait dans quoi elle s’embarquait. Elle se montrait peut-être plus courageuse enprofitantàfonddeTim,quandjen’avaispasosémecomporterainsiavecJackson.Cetteréflexionmerenditnostalgique.Jackson,sonamitiéetsaprésencecontinuaientdememanquer.J’avaispulevérifier:sijen’étaispasamoureuse,celan’enlevaitpasquelquesregrets.Jedevinaisquej’étaispasséeàcôtédequelquechoseavecluietcelanemeressemblaitpas:habituellementjeprenaisplusderisques.—Miss,tuviendraisavecmoi?memurmuraMadenàl’oreille.Surprise,jeleregardai,ramenéeloindemespensées.—Euh,fumerdehors?Jevaisavoirfroidetj’aiassezfumépourlesmoisàvenir.Merci,mais…Ilignoralafindemaréponseetm’entraînaàsasuiteenmetenantparlamain.—Onrevient,lança-t-ilàlacantonade.—Oùm’emmènes-tu?Jedevraispeut-êtreremettremeschaussures.Illesavaitemportéesetmelestendit.Àl’entréedelasalle,jetentaidelesenfilerenprenantappui
surlemur.Mapaumeglissaet,unpiedenl’air,l’autremaintoujoursencombréedemonhauttalon,jeneréussis pas à me rattraper à temps. J’atterris lourdement sur une banquette où, Dieu merci, personnen’étaitassis.Entraversdudossier,jemeretrouvailesfessescoincées,enéquilibre.Jemedébattispourmereleversansavoirà lâchermachaussurederrière labanquette ; j’auraisalorsunmaldechienà larécupérer,transformantaussitôtcemomentdegêneenunoscardugenre.J’entendis l’énormefouriredontMadenfutsecouédansmondos.Puis jesentisqu’ilm’aidaitàme
redresserensaisissantmeshanches,toutenmemaintenantparuneépaule.Enfin,ilm’offritsonbrasle
tempsquejefinissel’opérationensécurité.Dessoubresautsl’agitaienttoujours,tandisquejefermaislalanièresurmacheville.Ilsefoutaitouvertementdemoietjeronchonnai,vexée:—Continue,vas-y,netegênepaspourmoi…—Ah,maiscen’estquejustice!Jecroismerappelerlesmoqueriesd’unecertainepersonnelorsque
jemesuiscoupéencuisinant.Tum’asmêmetraitéde«Ella».Preuveestfaite,noussommesdeuxEllaenpuissance,madameFesses-en-l’air.Jemecomposaiunvisagedecirconstance,légèrementhautain,maisl’amusementmegagna.—Neparlepasdemesfesses!Jenetepermetspas!L’éléganceanglaise,monœil.—Allezviens,dit-il,reprenantmamaindanslasienneavecdouceur.Je trouvais la sensation plutôt agréable…et naturelle. Ilm’emmena à l’étage inférieur. Je reconnus
rapidementlecoin,denombreuxcouplesytraînaient:lasalledesslows,àl’ambiancetamiséeetintime.Ohoh…Je compris cequ’il voulait et sentis instantanémentun creuxvertigineuxdansmonventre. Jen’étaispasprêtepourça.Pasprêtedutout.—Bon,tuasretrouvétesesprits?Tunet’écrouleraspasderrièrelebar,tunerouleraspassousune
tableenessayantderamasserDieusaitquoi?Jeluiadressaimaplusbellegrimaceetl’éclatdesesyeuxmoqueursmecoupalesouffle.Ilavaitdes
prunellesmagnifiques.Jenem’habituaispasauchocressentiquandjelevoyaisdesiprès.L’ambremeparutliquide,teintéderefletsdorés.BonDieu.Cen’étaitpasfair-play!—Tum’offrescettedanse?demanda-t-il.Paslameilleuremanièredereprendremesesprits,réalisai-je,paniquée.Maisdétalerillicosemblait
tropimmature.Sespupillesplantéesdans lesmiennes, ilarboraitunsourireencoinplutôtcraquantenattendantmaréponse.Jefinisparacquiescer,folleouinconsciente,auchoix.Jemeconnaissais,ladanseétaitleplussûrmoyendem’atteindre.Accepterrelevaitdusuicide.Ilm’entraînaverslecentredelapisteetjeremerciailapénombrededissimulermonjoliteintrouge.
Accessoirement, vu le nombre de jeunes femmes présentes aumètre carré, il valaitmieux qu’il passeinaperçu.UnairdeLhasaDeSalaquej’adoraisvenaitàpeinedecommenceretilm’attiracontreluisurlesaccordsdePoresomequedo.Enveloppéepar sonodeur, sesmainssurmeshanches, jemeconcentraidifficilementsurdesgestes
pourtantsimples.Commed’entourersoncoudemesbrasoucoordonnermespieds.Lecomblepourunedanseuse ! Heureusement, mon corps, habitué par des années d’expérience, enclencha tout seul lesmouvementssuivants,laissantmoncerveaugrillerenpaix.Madenserapprochaetpenchala tête.Avecmestalons, j’arrivais justesoussonvisage.J’avaisune
conscienceaiguëdechacundesesdoigtssurmoi,commesijepouvaisdessinermentalementlesendroitsqu’iltouchaitdansunecartographieintime.Jefermaiuninstantlesyeuxpouressayerdemesortirdelatorpeurquim’envahissait,maislamusique,sournoise,mepoussaàmemoulercontreluietjerouvrislespaupièresencatastrophe.Cegenrederéactionnem’aideraitpasdutout!Jemeconcentraidoncsurlafoulederrièreluipourmeforcerànepasdécrocherdelaréalité.Malgrémeseffortspourparaîtredétendue,jemeraidispetitàpetit.Pourquoiavais-jeaccepté?Jene
pouvaismelepermettrealorsquejemerévélaisdéjàsisensibleàsaprésence.Monregarddérivasurlecreuxdesoncou,admirantlemouvementdesaclaviculequijouaitsousla
peau, juste à l’ouverture du col de sa chemise noire. Jeme rendis alors compte que nous nous étionsbeaucoup rapprochés. Jene savaispasquandcelaavaiteu lieu,mais j’espéraisquemoncorpsnemetrahiraitpas, exploitant lagrève instauréeparmoncerveauhors service. Immergéedans sachaleur, jefixailalignedesesmâchoires.Jesentaisl’étreintedesesbrasautourdemoi,sonodeur…etlasensationdeperdrepieds’accentua.
Stop.Tune peux pas délirer ainsi. Tu te calmes tout de suite. Pense à autre chose, à tes tablesdemultiplication.6 fois7…42, énumérai-jeà toutevitesse.Ouhla, plus duraprès quelquesbières, cetexercice!8fois8…Madensepenchaversmoi,lenezdansmescheveux.Sonodeurmesubmergea.…8foiscombien?Je fermai les yeux et soupirai avant de capituler. OK, il avait gagné. J’allais juste profiter deux
minutes. Rien que deux minutes, au milieu d’une salle bondée, quelle importance ? Aucun risque dedérapage.Detoutefaçon,denousdeux,jen’étaispascellequidevaitfaireattention.J’écoutai les paroles, parlant un peu l’espagnol, et je me laissai emporter. Mon rythme s’accorda
naturellementetjememisàmurmurerlerefraintoutbas,bougeantàpeineleslèvres.Monfrontsenichasursonépaule,unedemesmainss’accrochaàsachemise.Nosmouvementscoordonnés,lamusique,sonparfum,sachaleursousmespaumes…Jemesentaissaturéedesensations.Chaquedétail,plustraîtrequeleprécédent,plusagréablementinsidieux…LaprisedeMadenautourdemoiseraffermitetsesdoigtsfrôlèrentmanuque.L’undemesbrass’enroulaàsataille.Jedusretenirunsoupir.Parfaitementbien.Jetournailatêtepourhumerl’intérieurdesoncoudiscrètement.J’adoraissonodeur.Mêmesijene
pouvais ladéfinir,ellem’avaitplu immédiatement.Elleétait lamêmequecesoiroù ilm’avaitserréecontrelui,aprèslemusée.Etjepariaiquejerespiraisbiensonodeuretpasunparfumdemarque.Lecreuxdansmonventremesemblaitdeplusenplusprofondetvertigineux.Unebouleseformadans
magorgeetjemisunmomentàprendreconsciencequelamusiqueavaitchangé.Nosdeuxcorpss’étaientadaptés naturellement au nouveau tempo et celame sortit dumonde de sensations dans lequel j’avaissombré.Mon cœur rata un battement quand je reconnus enfin lemorceau. Je possédais ceCD, j’étaistombéesouslecharmedeSiaetdesonBreathme.C’était une version live et la boule dansma gorge enfla,m’empêchant d’inspirer. Je connaissais la
significationdesparoles,j’avaisprésentéunechorégraphielibresurcettechansonpendantmesétudes.L’enregistrementm’avaitémuecommerarementetjegardaisunsouvenirmémorableduseulconcertdecetteartisteauquelj’avaisassisté.Lerefrainmetransperçaetuneenviedefuirmontaenmoi.Jemesentaissoudainterriblementfragile.
Chaquemotrésonna,enéchoàmessentimentsactuels,melaissantsurunfilténu,révélantdesémotionsquejemaîtrisaisparfaitementdansmaviecourante.Je repris ma respiration et, les yeux écarquillés, fixai le couple derrièreMaden sans le voir, son
souffleaccordéaumien,lapressiondesesmainssurmoi,commetatouéesdansmondos.Lasensationaucreux de mes côtes se fit plus douloureuse et âpre. Cette fragilité allait finir par me déborder et jecraignis de m’accrocher à lui à la fin de la chanson. Je ne pouvais pas agir ainsi. Des larmess’accumulèrentsousmespaupièresetjebaissailatête,m’appuyantcontresamâchoirepourcachermonvisage.
Bemyfriend,holdmeWrapmeup,unfoldme
Les parolesme frappaient, comme des vagues successives. J’étais de plus en plus en équilibre. Je
contractailespoingssursesreinsetquandlapartieinstrumentaledébuta,jereçusunvéritablecoupdansl’estomac.LessensationsqueMadenprovoquaitenmoimesemblaientselierauthèmedelachansonetaupoignantsentimentdesolitudeexprimépar lachanteuse.Unéchoquiretentissaitprofondémentchezmoi et que je tentais d’occulter au quotidien par la danse et un comportement joyeux. Pourtant, je nepouvaisniermesentirseule.
Jedusinspirerpluslongtempscommesi,pendantuneseconde,jemeretrouvaisimmergéesousl’eau,àdevoir lutter pour respirer, les poumons compressés par un étau. Je me crispai pour contenir monémotion,metendantsousl’effort.Jenepleurais jamais.Et jenecommenceraispasici,pasdevant lui,pascommeça…Jeserrailesmâchoires,rassemblanttoutemavolonté,biendécidéeàignorerlamusiquequimetrahissait.Ladernièrenoteéclataetjerestaidanssesbras,essayantdemereprendre.Ilfallaitquejerelèvevers
luiunvisagesouriantetquejeblaguesurn’importequelleidiotie,avantdem’éloignercommesiderienn’était…mais jem’en sentais incapable. Ilme garda contre lui, immobile, pendant que le son d’unenouvellechansons’élevait.Jenepouvaisplusdanseraveclui,pasentantqu’amis.Jetrouvailaforcedemedégageretmurmurai:—Allons-y,jen’aimepascelle-là…Mavoixétaitrauque,jen’avaispasréussiàlamaîtriser.Malgrétousmesefforts,jecroisaisonregard
un quart de seconde alors que je me retournais, et il dut voir les larmes dans mes yeux. Je pestaiintérieurement en m’enfuyant, slalomant entre les couples, sans vérifier s’il m’imitait. J’avais besoind’air.Depuisquej’avaisquittésesbras,unesensationbizarremedésorientaitcomplètement.Jeressentaisla
curieuse impressiond’êtredevenuepluspetiteetplus fine.Commesi j’avais laisséunepartiedemoicontrelui.Ridiculeetinquiétant.Unsentimentdepaniquem’étreignit,jen’avaisjamaiséprouvéçaetcelarestaittrèsnetmêmeloinde
lui.Jem’entouraidemesbras,essayantdecontenircechaosémotionnelcommejepouvais,etaccéléraiencorepourlefuir.Respire!merépétai-jeenbouclepourm’enconvaincre.Respire…Maden me suivit. Je ne savais pas comment, mais je pouvais le sentir, consciente de sa présence
derrièremoi,malgrélenombredepersonnesautourdenous.Jeretrouvaimesamiesavecunsoupirdesoulagement.Uninstinctdeconservationmeguidadèscemoment.Jusqu’ànotreséparationaumétro,jeressentissesregardssanslesvoir,anticipantsesmouvementsouparolesetmegardantloindeluicommesimavieendépendait.
—Jepeux?demandai-jeàuneMiouàmoitiéendormie.—Mmh,biensûrmabelle,dit-elleenrabattantlacouvertureetensedécalant.Jem’allongeaiàsescôtésdanslelitavantd’enfouirmatêtedansl’oreiller.Mioucomataitencoreet
s’étiracopieusement.—Quefais-tulààcetteheurematinalede…13h30?Merde,marmotta-t-elle,surprise.Quepasa?—Hier,çaaété…unpeurude.J’avaisbesoind’enparler.—«Unpeurude»?Toiquiminimisestoujours,tumefaispeur,remarqua-t-elled’unevoixneutre.Jehaussai les épaules en fixant leplafond. Installées l’une contre l’autre, nous restâmesunmoment
silencieuses.Miou enchaînait les bâillements.Sansqu’elle nedise rien, sa présenceme fit dubien etm’aida à relativiser. J’avais peut-être eu tort de vouloir me confier. Elle allait me prendre pour unegrossepsychotique.Non,jenetourneraisjamaisdansMiseryversionMaden,jemelepromettais.Jemeferais interner avant.Maismes sentiments confusm’inquiétaient.Mal à l’aise, je préférai changer desujet.—Tuasl’airheureuseavecTim.Jesuiscontentepourtoi,magrande.Unsourirefenditsonvisage.—Mmh,çasepassebien.Onseplaît,jecrois…—Tu«crois»?Et je donnedans l’euphémisme,memoquai-je gentiment.Moi, j’en suis certaine.
Vousvousplaisezàvousboufferdesyeuxetvoussauterdessusenpleineboîte.—Ohçava,j’essayaisjustedenepasparaîtrecomplètementbéateetidiote.—Troptard.— Je sais, confirma-t-elle en pouffant. En tout cas, pour le moment c’est parfait. Je n’ai pas pu
m’empêcher de parler avec lui de notre départ. Et… j’ai appelé son agent. Il m’a proposé plusieursauditionsdansdeuxjours.Jesuisunpeuperdue,j’aipeurqu’iltrouvequejemejetteàsatête.Jedoute!Capsur«Hésitationland»…Jeris ;Miouetsesfameux«lands».Elleavaitvraimentunticdelangage.Elletournaversmoiun
visagevoiléd’inquiétudeetjepuspercerlafaçadequ’elleaffichaitenpermanence.Enfin,jeperçuslesquestionnementsdans lesquelsellesedébattait seule. J’oubliais tropsouvent ladiscrétionnaturelledeMiou.Ellepouvaitjouerlacomédieetcachersessentimentsàtousparpeurdedérangerouparpudeur.Onseressemblaitsurcepoint.Jememaudisden’avoirpenséqu’àmonpetitnombril.Jetendislamainetluiserrail’épaule.—Tente,tun’aurasrienàregretter.Ilenditquoi,Tim?—Àvraidire,pasgrand-chose…Ilasourietm’adonnélenumérodesonagent,avoua-t-elleavec
unemoueboudeuse.—Etquandtuasappelé,commentças’estpassé?Ilt’arecontactéauboutdecombiendetempspour
lesauditions?l’interrogeai-je.—Hein?Enfait,jemesuisprésentéeetj’aiajoutéconnaîtreTimetquej’étaisactriceàlarecherche
d’un travail surLondres. Ilm’a toutede suiteproposéplusieursauditions.Pourquoi? s’enquit-elleentripotantunedesesmèchesblondes.—Alors,soitc’estunsuperagentetilgardeenmémoiretouslescastingsencours–peuprobable…
Soit,onl’avaitprévenuetilavaitcherchéaupréalableavantvotreéchange,non?Mioufixa leplafond, lessourcils froncés,semordillant les lèvres.Je la regardaienmeretenantde
sourire.Elletournabrusquementlatêteversmoi,lesyeuxpétillants.Jeperçuspresqueunpoidsglisserdesesépaulesetlibérersarespiration.Ellesedétenditcontremoi.Jeneréussispasàmecontenirpluslongtemps,etpouffai.—Tusaisquoi?Aufinal,jeletrouvemieuxqueKurt,monTim.Lacouleurdesesyeux,sabouche,on
croiraitpresquequ’ilfaitlamoue…— J’ai jamais entendu un truc aussi peu masculin, dit comme ça, avec une telle vénération. « La
moue»,sérieusement?Illogique.Donclogiquement:t’esaccro!—Oui.J’adoretout!annonça-t-elle,àdeuxdoigtsd’enrougir.Bon,ettoi?Explique.Àtonretour,tu
paraissais…Prêteàhurler,oupleurer.Tun’esjamaiscommeça.Jetevoistoujoursjoyeuse,pimpante,positive…Surtoutquandtudanses.Jenet’imaginemêmepasenlarmes.Tropbizarre.Unsourireseplaquasurmonvisagedemanièreautomatique.Ellevenaitdemettreledoigtenpleinsur
monproblème:«Madenetseseffetssecondairesnéfastes».—Eh!Ilpuetonsourire!Tuespèresquejenefassepasladifférenceentrecemachininfâmeetun
vraisourire?Jegrimaçaietm’agitaisouslacouette.Oncommençaitàbienseconnaîtreetonseressemblait,cequi
diminuaitmeschancesd’arriveràluicachermessentiments.—Raconte,insista-t-elle.—Bien ! soupirai-je. J’ai effectivement failli… pleurer, hier. C’est con,mais j’ai eu l’impression
d’être…Laissetomber.—Non,non,vas-y.—Maisçavateparaître…—Riennemesemblerabizarreouidiot.J’attends.—Tueschiante!Jemesuissentie…miseànue.Fragile.Prêteàpleurer,sansmêmelevoirvenir.Et
toutçapourunsimpleslow.Avecunamiquinel’estpastoutàfait,maisquiestassurémentdéjàpris.Lalose…Jenemecomportepascommeça,jamais.Sansrire,réaffirmai-je,pluspourmoi-mêmequepourelle.Jeconnaissais sonopinionsurcequ’elleappelaitma« lubiepersonnelle» :Miou,contrairementà
moi, avait la larme facile. Même devant une pub sur les accidents de la route, ses yeux pouvaients’embuerdecompassion.—Jesaisbien,seborna-t-elleàrépondre,pensive.— Et encore, pour un homme avec lequel je ne suis pas et ne serai jamais. Cerise sur le gâteau,
amoureux de quelqu’un d’autre en plus d’être inaccessible. Hier, j’ai eu l’impression bizarre d’avoirlaissé…Commentexpliquerça?Mêmemoi, je trouveçadélirant !Commesiunepartiedemoiétaitrestéeaveclui.Rétrécieaulavage,cycleMaden.Unepetiteblagueboiteuseétaitnécessairepourquemonamierenonceàmefaireinterner.Elledevait
m’estimertaréeetdéfinitivementperdue.Jefinismaconfessionàvoixbasse:—Commes’ilavaitprisunpeudemoi,demoncorps.Quejem’étaisretrouvée…volée.Enverrefin,
commeça,d’unclaquementdedoigts…OK,lâche-toi:«Maistuastropbuhier,tut’esfaitdesfilms!»ou«Mapauvre…On t’enferme?», lançai-jeen tournant la têteverselle. Jenepouvaism’empêcherd’êtresurladéfensive.—N’importequoi,jenesuispascommeça.C’estarrivéquand?s’enquit-elle,bizarrementsérieuse.—Hier,endansantaveclui.C’estlafautedecetteputaindemusique!Jen’avaispeut-êtrepasassez
mangéetavecl’alcool…
Miouéclataderireàmescôtés.—N’importequoi,tun’aspasbu!Tunet’enivrespasquandtudanses.Tumel’asdit,sinontusens
moinslamusique.Situasavaléunebière,etjenelecertifieraispas,c’estleboutdumonde.Démasquée.Jelapoussaiducoudeenlavoyantpliéeendeux.—Maisarrête,bordel!Jeteraconteletrucleplusinquiétantetsurréalistedetoutemavie,quej’étais
supermal,ETTUTEFOUSDEMAGUEULE!J’aimêmepenséàunecrisedepanique!J’attrapaiuncoussinetluienretournaiuncoupsurlatête.Sonrirefutétouffé,avantderepartirdeplus
belle.—Jevaistetuer.Pourquoijet’aiparlé?!grognai-je.Ellesedéfenditetmesubtilisamonarme,mettantfinaumassacre.—STOP! Jeneme fichepasde toiparceque j’aidumalà imaginer.C’est tamanièreéhontéede
mentirquim’amuse,pastoi.Jetecrois…Tuastoujourscettesensation?—J’aidansé,commed’hab.Plusdedeuxheuresavantderetrouvermonschémacorporelnormal.(Je
metus,malàl’aise,avecl’impressiondejargonnerdanseuse.)Peuimporte,jemesensmieux.MaisjenepeuxplusapprocherMaden,ilfautenresterlà.Jesembleincapabled’arrêterdemefairedesfilms,etenprime,jeculpabilisederéagircommeçadèsquejepenseàLauren…EtunpeuàJackson.Miouseredressa,alerte.—Alors,iltemanque?Jemerembrunis.—Évidemment,qu’est-cequetucrois?—Ehbien,commetun’enparlespas,avoua-t-elleengrimaçant.— Tu me connais, non ? Je préfère… faire profil bas. Nier ce que je ressens le fera sûrement
disparaître.Elletiquaetsecoualatête.Sesyeuxnoisettemedévisageaientavecunelueurmoqueusequim’agaça.
Oui,jen’étaispasréaliste.Etensuite?—Queveux-tuquejetedise?Quej’auraisdûavoirtoncourage?Qu’unehistoire,mêmetrèscourte,
valaitsansdoutemieuxetquejemesuisplantée?Sansunmot,ellehochalatête.—C’esttroptard,Miou.Jelesaisetj’essaiedefaireavec.Tucroisquejem’accrocheàMadenpour
éviterdepenser à Jackson?m’inquiétai-je àvoixhaute.Parceque jenepeuxdéfinitivementpasêtreattiréepardeuxhommes.Çanem’estjamaisarrivé…etpuisceseraitlaloseintégrale.Cette idéemeparaissait encorepireque les scénariosprécédents : dansce cas-là, je sous-estimais
mon attachement pour le beau Jackson en plus dem’emmêler les pinceaux avecMaden…et en clair,j’étaismalbarrée.Miouhaussacarrémentlesépaulesenlevantlesmainsenl’air.—Jesuisactrice,paspsy.Jet’aitoujourstrouvéeunpeuétrange…—Merci,tropaimable,râlai-je.—PourJackson,tunepeuxrienfairedeplus,réfléchitMiouàhautevoix.Concentre-toisurtonsouci
avecMaden;etnetefâchepasàjamaisaveclui,ilrestelemeilleuramidemonpetitcopain!Vousserezpeut-êtreappelésàvousrevoir.Jehochailatête.Allais-jemefairedesfilmsàchaquerencontre?—Commejesuisapparemment incapabledemeraisonner, jemecalmeraisansdouteendemeurant
loindelui,affirmai-je.Etc’étaitbienMiouquejevoulaisconvaincreetnonmoi.—Onpourraitlancerunemissionsauvetage?Ontecollepourlesprochainessorties?
—Oujel’évitetoutsimplement.—Çaparaîtrabizarresitudisparais;onaencoreplusieurssoiréesprévuesoùonrisquedelecroiser,
contraMiou.Non,cen’estpaslasolution.Onpeutenparlerauxfilles,tuconnaisledicton:l’union,laforce,toutça.Àplusieurs,onarriverabienànejamaistelaisserseuleaveclui.J’eusunemouedubitative.—Tentons,mais jegardeungrosdoute.Mêmeleregarderme remue.Graaa !Çamesaouled’être
commeça!Oncroiraitquej’ai15ans.Sombreidiote!Je pris le coussin et me couvris le visage avec, maigre rempart contre «Maden le méchant beau
gosse»…oumalibidoenfolie,auchoix.SonimagesesuperposaitàcelledeJacksonet jenesavaisplusàquelhommejedevaisimpérativementarrêterdepenser.Lesdeux,sansdoute…Jepoussaiuncridefrustration.—Çavafairetroplouche,jetedis!Onaquandmêmepasmaldeprojets:leconcertdeNeilcesoir,
lasemaineprochaineceluideNancyetAllen,etçac’est justeles trucsprévus.MaintenantqueTimetmoionsortensemble,çaparaîtnormaldecroiserrégulièrementMaden,ilssontsanscessefourrésauxmêmesendroits,commedessiamois.Etjenet’enaipasparlécarcen’étaitpascertain,maisTimaunepremière,deuxjoursaprèsledépartdesfilles.Ilneresteraquetoi,Janisetmoi.Noussommesinvitées.Biensûr,ilyauraMaden,m’apprit-elle,laboucheencœur.—Attends, la coupai-je, émergeant de sousmon coussin.Unepremière?D’un film ?Tapis rouge,
projection,presseettuttiquanti?Tutefousdemoi?Onnevapasyaller,quandmême!—Pourquoipas?Jenemesenspasdem’yrendreseuleaveclui,commeuneofficialisationdenotre
couple. Pas encore.Mais on peut venir en tant qu’invitées et passer sans eux.À trois, avec Janis, çaressembleraàunebandedepotes,non?J’ailetrac!Helpme,commediraitLeelooàCorben.Thia,s’ilteplaît!Jefronçailessourcils.Merde!Commentrefuserunappelàl’aidedelafillequiassuraitvouloirme
sauverdeMaden?J’étaisfichue.—Sansrire,onvanousphotographier?soupirai-je.—Yes!Ilnousfauttrouversanstarderdesrobesdeprincesse!Ceserarock’n’roll,souriiiiiis!Jeluiadressaimaplusbellegrimace,àlaquelleelleréponditd’unclind’œil.Jeladétestais.J’étais
danseuse,pasactrice!Jen’aimaispasdutoutl’idéedem’exposerailleursquesurunescène.—Allez,viretesfessesdemonlit!décréta-t-elle.Sansprévenir,ellemesecouaparlesépaules.—Etsoispluscombative,bordel!Jenetereconnaisplus.TupeuxlemangertoutcruceMaden,etle
recracheraprès!—Tumeprendspourunchatquiveutgoberunoiseau?—J’adoreleconceptMadendanslerôledeTitiettoiduGrosminet…surtoutavecsonmètrequatre-
vingt-dix,approuva-t-elle,pince-sans-rire.Jepouffai.—Petit-déj’?Ilesttemps,vul’heure…Enfin,brunchons,soyonsanglaises.—Mouais,j’enconnaisunequirêved’embrasserlanationalitéanglaiseencemoment,situvoisce
quejeveuxdire.Jereçusungroscoupdetraversindanslatête.Touchée,vusaréaction.Jeremerciailecield’avoirMioupourexpliquerleplanauxfillesconcernantMadenetmoi.Ellesse
montrèrent compréhensives et elles jurèrent dem’aider aumieux. J’appréciai leur discrétion : aucunen’émit de remarques surmon craquage.Certaines pouvaient sans doute semettre àma place.AnnoukentouramesépaulesetpromitdedevenirMmeSparadrap.
Janis,desoncôté,paraissaitsurexcitéeparl’avant-premièredufilmdeTim.Ellebondissaitsursonsiègeetpassaitmentalementenrevuesagarde-robe.Selonelle,uneviréeshoppings’imposaitd’urgence.JeregardaiMiouparlerdesesauditionsàveniretdeTim,etnepusm’empêcherdesourirefaceàcetteversionsurvoltéedemonamie.L’après-midifutdédiéauxboutiques.OntrouvasurCamdenTowndepetitsmagasinsdélirantsdans
lesquelsdesvêtementsexcentriquesdébordaientdesportants:ensemblesvintage,vestesextravagantes,accessoireshallucinants…Leparadisdelafashionista.Nousendénichâmesmêmeunquiproposaitdescopies dans le style de grands stylistes, en détournant des modèles existants. Les prix restaientexorbitants,maisjeparcouruslesrayons,rêveuse.Je flashai sur deux jupes d’inspiration VivienneWestwood – donc particulièrement adaptées à ce
séjourlondonien.L’uneentulle,dontchaquejuponsuperposéarboraituncolorisdifférent,dansunjoyeuxbordel.L’autre,plussobre,àbandesblanchesetnoires,affichaitunecoupeasymétriqueultratravaillée.Elledévoilaitunejambejusqu’àmi-cuisse,avantdetomberàrasdesol.Jecommençai l’habituelle luttementaleà laquellenoussommes toutesconfrontéesdanscescas-là :
«Non,tunepeuxpas,c’esttropcher!»,«Si,çareprésenteseulementlesalairedudernierclipauqueltuasparticipé…»AveccemoisdevacancesàLondres,cen’étaitpaslemomentidéalpourdetellesfolies, mais résister semblait bien plus difficile. Le commentaire sur mon bulletin d’un de mesprofesseurs de maths de lycée me revint : « A touché le fond, mais creuse encore ». La questiondemeurait:pouvais-jecreuserencoremondécouvert?Qu’enpenseraitmonbanquier?ToutçapourdeuximitationsWestwood,aussioriginales,magnifiqueset…Audiablelasagesse.J’attrapai les deux merveilles et une veste noire cintrée toute simple, avant de foncer en cabine
d’essayage.LouetJanis,entréesavecmoi,fouillaientdansunbacd’articlessoldés.J’enfilailarayéeaveclavesteetmecontemplaidanslaglace.Jesourisàmonreflet.Yes!Laclasse
pureetsimple.Etellem’allaitparfaitement.Jetournaisurmoi-mêmeetappelailesfillespourdemanderleuravis.—OKmabelle,tuprends!Mêmesiondoitt’aideràpayer.Lehautestsuper,ilmetbienenvaleurla
jupe,appréciaJanis.Avecleschaussuresadaptées,ceseramortel!Janis, styliste de son état, deviendrait un jour une grande costumière dumonde du cinéma français.
Surtoutsilamoderevenaitauburlesqueouauxannées1950,sespetitspéchésmignons.Elleconseillaitàmerveille,quellequesoitlamorphologie.Jel’écoutaisdoncaveuglément.Louapprouva.—Essaiel’autre!m’ordonnaLouensortant.J’enfilailaseconde,surnomméedansmatête:«letutuBlackSwanvaterhabiller»etmonvisagese
fendit d’un sourire extatique. Géniale ! Originale, atypique… Parfaite pourmoi. Les jupons de tullessuperposésdetouslescolorisétaientvisiblesgrâceaujeudedégradésurl’arrière,parunfroncé.Lesderniers rangsne faisaientplusquequelquescentimètres.L’ensembledonnait enviededanserdansunfilmdugenreAliceaupaysdestutusfous,sousladirectiond’unTimBurtondéchaîné.J’interpellaimes amies, qui sebattaientbec etonglepourune large ceinturevintageencrocobleu.
Elless’approchèrentetmecontemplèrent,circonspectes.Janisfrappadanssesmainsetsepenchapourtâterletissu,mefittournersurmoi-même,étudiantlacoupeet,jel’auraisparié,prenantdesnotespourelle-même.—Turoxes!Rienàdire.OK,c’estexcentriqueaupossible,toutlemonden’aimerapas,maisj’adore,
c’estdignedeCarrieBradshawdanssesgrandsjours!affirma-t-elleenriant.Elleavaittrouvéthecompliment.Jesourislargement,décidée.—Çatevabien,mapuce!Jen’appréciepas,c’esttroppourmoi,pourtantsurtoic’estparfait.
L’honnêtetédeLoumetoucha,elleluiressemblait;sansfaux-semblantsmaistouteendélicatesse.Jeressortisavecdeuxpaquetsvolumineux,untroudelatailled’uncratèredansmoncompteenbanque
etuneenvieirrépressiblededanser.Craquage,craquage…Jem’étaishabilléeavecsoinpourmesentiràl’aiseauconcertdeNeil;j’avaisrevêtuunecourterobe
indienneensoiesafranquidénudait largementmes jambes.J’enavaismarredeporterdes talonspourparaître plus grande et culminer à la hauteur denosLondoniens et avais doncopté pour des sandaleslacées, toutes simples.Mes cheveux étaient ceints d’un largebandeau etmonmaquillaged’inspirationindiennes’accompagnaitd’unBindisurletroisièmeœil.Jepassaisunebonnesoiréeetmesamies tenaientparole : jeneme retrouvais jamais seule. J’étais
franchementamuséeduzèlequ’ellesmettaientàme«protéger».TimetMadenétaientlàcommeprévu,maisj’avaisdûéchangertroisphrasesàtoutcasseraveccedernier.LeconcertdeNeilserévélaexcellent.Jemejuraid’acheter lerestedesesalbumsàmonretouren
France.JemedétendaispetitàpetitetparlaiàMadensansémotionmanifeste.Timsemblaintrigué;ilavait
sûrementdûremarquerlemanègedesfilles.IlneditrienlorsqueMiouinsistapourseplaceravecunediscrétion,sommetouterelative,entreMadenetmoi.ElleentraînaTimavecelle,nouséloignantencoredans lamanœuvre. Je ne pusm’empêcher de pouffer dansmon verre. Je croisai le regard surpris deMaden.Ildemeuraenretraitetnefitaucuncommentaire.Jecontinuaisàsentirsonregardquimesuivait,maisconservaisunairdégagé.Neilnousrejoignitaprèsleconcertetnousfêtâmessonshowaveclui.Unmouvementdemonvoisin
m’amenaàcôtédeMaden,cequejefismined’ignorer.Louesquissaungeste,maisjesecouailatête.Tantquejenedansaispasavec,j’étaissauve.Lereste,jepouvaislegérer.—Tuvasbien,cesoir?meglissa-t-ilendétaillantmatenue.Jeluidédiaimonplusbeausourireetacquiesçai,détendue.Enfin,c’étaitl’effetrecherché.Lesfilles,
comme dotées d’un radar, intervinrent rapidement et proposèrent d’immortaliser le moment par desphotos de groupe. Prétexte tout trouvé pour conserver quelques preuves de notre rencontre avec pasmoinsdetroisstarsenmêmetemps.EntreLou et unNeil grimaçant, je piquai un fou rire, de nouveau à l’aise.La suite de la soirée se
déroulasansaccroc.J’échangeaiavecNeilsursesprojetsmusicauxetlepoussaiàenvisagerunetournéefrançaiseou,àdéfaut,àorganiserplusieursdatesàParis,œuvrantainsipourmescompatriotes.Installéstoutaufonddesbanquettes,unpeuenretrait,pendantquelesautresparlaiententreeuxouallaientfumer,nousécoutionsauhasardlecontenudemonlecteurmp3,etnousnousretrouvâmesàchanterensemble.Notre petit duomarchait plutôt bien et je ris avec lui alors que jem’emmêlais les pinceaux sur le
refrain,moinsdansmonélémentque lui.Luiaussimemanquerait, réalisai-je. Jepariais sur le faitdecontinueràfréquenterTimtrèsrégulièrement,maisNeil?ÀmoinsqueMioun’immigreàLondrespourvivre avec Tim, cela paraissait peu probable.Nous entamâmes le duo deCats on Trees et Calogero,Jimmy.Lachansonétaitbilingue.Pardéfi,chacundenousimitalechanteurdesonsexeetjedevaisdoncprincipalementm’exprimerenanglaistandisqu’ilessayaitdesuivreenfrançais.Ilgémitsursonaccentetjel’aidaiàprononcersesphrases.Sentant un regard posé surmoi, je tournai la tête et visMaden nous observer du bout de la table,
derrièresabouteilledebière.Jen’arrivaispasàcomprendrecequejelisaisdanssesyeuxetpréféraireveniràmonduosanschercherplusloin.—On devrait enregistrer un titre, toi et moi, pour mon prochain album. Un duo français/anglais !
J’aimetatessiture,tulaplacesbien,onpourraitentirerquelquechose.
LavoixdeNeilmeramenasurterre.Jeris.—Jefredonne,Neil,jenechantepasréellement.C’estadorable,maisilyaunmondeentreundélire
dansunbaretunevraieparticipationsurunalbum.Dugenreinfranchissable.Tuasbutropdebièrespourproposeruntrucpareil,raillai-jegentiment.Décidément,cesvacancesserévélaientunedrôledeparenthèsedanslaréalité.Louétaitrepartiedepuisdeuxjoursetjemesentaistriste.Nouscontinuionsd’écumerlaville,souvent
accompagnéesdeTimouNeil.Malgrétout,avoirperduunepartiedenotretroupenousavaitunpeuminélemoral.Dansàpeinedeuxjours,nousallionsdireaurevoiràAnnouk,etcelamedéprimaitàl’avance.Inexorablement, notre folle escapade londonienne prenait fin. J’avais du mal à déterminer ce qui memanquerait le plus ici. J’essayais deme consoler comme je pouvais ; ilme restait encore une longuesemaineavecJanisetMiou.La date du concert des Pumpkins arriva avant que je nem’en aperçoive. Je venais de prendre une
doucheetmepréparaisdansmachambrequandMiouydébarquaentrombe:—Putain,jel’aieu!Jejoueunrôlesecondairedansundrameinspiréd’Othello!C’estrevuetcorrigé
demanièremoderne,etçasepassesuruncampusanglais!Ellesautillaitcommeunefurie.—YEAAAAAAAH!Jelaserraidansmesbras,puisl’applaudisavecapplication.—Tropforte!Jesuiscontentepourtoi!Tuespromiseàunecarrièreinternationale,jelesens.Jesuis
amieavecMarionCotillardbis.—TimadeplusbeauxyeuxqueGuillaume,pouffaMiou.—Ne critique pasGuillaume ! Jamais ! rétorquai-je en riant àmon tour. Public anglais,méfie-toi,
MiouCouriestdanslaplace!—Ilsvontadapterunpeumonpersonnage,ilserad’originefrançaise,pourexpliquermonaccent.—C’estvraimentgénial.Timlesait?—Oui… Il envisage de passer le casting lui aussi pour bosser avecmoi, m’avoua-t-elle avec un
sourireXXL.—Maisc’estqu’ilssontamoureux…Miougrimaçatoutenrougissantetj’éclataiderire.—Bon,changeonsdesujet!CesoironvoitlafamilledeMaden,fais-toisexy.Méfiante,jelaregardai.—Piètrediversion,Miou.—Loindemoicetteidée,nia-t-elleenarborantunairinnocentquinetrompaitpersonne.—Etpourquoidois-jemefairesexy,exactement?m’enquis-je.—Parcequesasœurdoitsesouvenirdetoicommede«ladanseusefrançaisemagnifique».Quantà
son frère, il faut qu’il n’ait qu’une pensée en tête : te draguer. Maden se décidera illico, tu verras.L’instinctcontradictoiredeshommes,larivalitéfraternelle,genretragédiegrecque!— N’importe quoi… Et je croyais qu’on disait plutôt ça des femmes pour la contradiction ?
remarquai-je.—Sinousétionslesseules…Mission«bonnepressechezlesThomas»lancée.Qu’ilsparlentdetoi
devantlui.J’ouvrisdegrandsyeux.—Tudélires,mapauvre!annonçai-jeenregagnantlasalledebainpourmebrosserlesdents.
—Jesuislucide,Londresmeréussit,iln’yapasderaisonquejesoislaseule.Prépare-toi,jeveuxqu’unebombesorted’ici,affirma-t-elle,lesourirediabolique.Ellerepartitsurleschapeauxderouesetjesecouailatête.Lanouvelledesonfuturtournagel’avait
visiblementsurexcitée.Jesoupiraietmecontemplaidanslaglace.Leplan«éviterMaden»fonctionnaitàmerveille…etilmemanquait.Ilavaittentédemejoindrepardeuxfois,maisjen’avaispasrépondu.Ilavaitd’ailleurstenuparole;sonnuméron’apparaissaitplusenmasqué.Bon.Danseuse françaisemagnifique ?Devais-je prêter foi aux divagations demameilleure amie ?
Non. Pensive, je détaillai mon placard. Excentrique ? Passe-partout ? Impossible de choisir. Je medécidai pour une robe blanche qui laissaitmon dos entièrement dénudé. Un drapé sur le devant étaitretenuparunbijouargenté.Letissuétaitfluideetvaporeux.Jemeregardaidanslemiroir.TrèsGrèceantique.AllonsdanserlesirtakietbuvonsdelaRetsina!J’empruntaiàJanis,l’accrodestalonshauts,unepaired’escarpinsàstrassassortieetmecomposaiunmaquillagesimple.Commenousallionsàunesoirée, jeme permis une petite excentricité de plus et pulvérisai surmoi des paillettes argentées quifaisaientlégèrementbrillermapeau.Jemecontemplaidenouveaudanslaglace:classique,maispastoutà fait.L’intérieurdemonpoignetdroit en témoignait ; j’y avais styliséunmot engrec ancienavecunmarqueur.«Manque».Clind’œilàMadenetJacksonquirefusaientl’uncommel’autredequittermespensées,malgrétousmesefforts.La salle de concert était bondée. J’aperçus immédiatement Maden à travers la foule. Un petit
attroupementl’encadraitetilsemblaittendu.Timsetenaitàproximité,maisilpréféraitresterenretrait.Quandilnousremarqua, ilsedirigeaversMiouet l’embrassasanshésiter,sousleregarddequelquescurieux–etsurtoutcurieuses.Mioubaissalatêtepourarrangersacoiffureetdissimulerunfardnaissant,accompagnéduplusbeaudessourires.Ons’installaàuneautretable,aucundenousnevoulantapprocherMadenpourlemoment.Ungroupe
defansdevaitsuivretouslesconcertsdesPumpkinsdansl’espoirdel’ycroiser.Plutôtmalin,appréciai-jeenmoi-même.Celui-cinous rejoignitenfin,aprèsundernierautographe. Jeperçusdes flashsetmeretournai.Ellesnousphotographiaientnous,paslui.Ehmerde.Jeleurtournailedos,àdéfautdepouvoirmieuxmefondredansledécor.IlnoussaluaetréponditauxquestionsdeJanis,quidétenditl’atmosphère,trèsàl’aiseavecluicomme
avecn’importequi ;monamie était toujours souriante et communicative.Tim,de son côté, accaparaitMiouetjedétaillailasalleensilence,sirotantmabière.Jenepouvaism’empêcherdejeterdesregardsfurtifsauxcinqfillesquicontinuaientleursurveillance
du bar. Ç’aurait tout à fait pu être nous.Mais par une espèce de hasard quelconque, nous profitionsrégulièrementde laprésencedeMadenetdesesprochesdepuisplusieurssemaines. Ilsparlaientavecnouscommeàdesvieillesconnaissances,voireàdesamies.Maiselles,ellesn’avaientobtenuqu’uneséried’autographesgriffonnésàlava-vite.Qu’est-cequitraçaitlalimite?Jemesentisperturbéeetunpeuhonteusedeceprivilègedontnousétionsseulesàbénéficier.Madensetenaitàmagaucheetjemeretrouvaisdoncenpleindanslechampdesphotographiesqueles
fansprenaientencoredeloin,réalisai-je,malàl’aise.JesoupiraietcroisaileregarddeMaden.Intrigué,ilfronçalessourcilsetjelusdanssesyeuxunquestionnementmuet.Jesecouailatêtesansriendire,enmebranchanttantbienquemalsurlaconversation.Miouévoquaitsaréussiteaucastinget,ausouriredeTim,jecompristoutdesuitequemonamieavait
faitlebonchoix.Saréponsesetrouvaitsurlevisagedesonhomme.LamaindeMadenfrôlamondos,m’invitant àme rapprocher de la table pour trinquer. Je ne l’avais pas touché depuis notre danse.Unfrisson courut immédiatement le long de mes bras. J’attrapai un des verres et le levai d’un geste
automatique.Janisdutcaptermapanique,carellemetiradecemauvaispasavecunecertaine«classe»,exigeantmonassistancepour l’escorterauxWC,devantunMadenébahi.Sur lechemin, jememoquaid’elleetdesonplanfoireux,avecl’impressiond’êtreretournéeaucollège.Mêmesisonexcuseprêtaitàsourire,moncomportementnevalaitguèremieux.Quelquesminutes plus tard, le concert débuta et jeme concentrai sur les premiersmorceaux. Je ne
connaissaispasdutoutletravaildesPumpkinsetfuscontented’apprécier.Madenmeparladenouveauet, à la finduconcert,nousdiscutâmesensemble,évoquant sa fratrieet lamusiqueengénéral.C’étaitrevenucommeça,naturellement,sansquej’yprennegarde.Lafauteau«manque»quej’avaisdelui,tracéaucreuxdemonpoignetetauquel,aufinal,jen’avaispasrésisté.Toutlemondesedirigeaversleslogespouralleràlarencontredugroupecomposédufrèreetdela
sœurdeMaden,ainsiquededeuxamisàeux. Je restais leplusen retraitpossible faceàNancy– lacousine–,brunefiliformeassezintimidante.Jemisunmomentàmerappelerdelaféliciterpourleshow.LeurfrèreressemblaitàMaden,maissestraitsparaissaientplusbruts,avecunnezplusépaté,unebouchefineetlesyeuxunpeutropenfoncésdansleursorbites.Mêmesesirisplusfoncéstiraientsurlechocolatplutôt que l’ambre troublant de son cadet. Le charme était perceptible, mais moins efficace. IlscharrièrentMaden,leplusjeune,etjedécouvrisunnouvelaspectdecedernier,plusdétenduquejenel’avaisjamaisvu,plus«gamin».Ilsouriaitauxtaquineriesdesacousinequilemartyrisaitgentiment.Laissantmesamiescontinuerd’échangersurleconcert, j’enprofitaipourm’éloigner.J’avaisbesoin
demerendreauxtoilettes,petitdétailprosaïquedelafillequiabuseduthéanglais.EnsortantdesWC,j’essayaidemerepérerdanslescouloirs,ayantundoutesurlesensdanslequelrepartir.Concentre-toi,Thia!Tuespasséeparlàilyacinqminutesàtoutcasser,tamémoiredoitpouvoircouvriruntellapsdetemps,espècedeDory,m’engueulai-jementalement.—Parici.JemeretournaipourtrouverMadenadosséàunmur,àquelquesmètres.Super,ilm’attendaitprèsdestoilettes.Lecombleduromantismeavaitétéatteint.Ilavaitencoresonbonnet.Jelecontemplai,l’œilcritique,puissansréfléchir,jeleluienlevaiavant
deleluifourrerdanslesmains,cédantàmonimpulsion.—Merci,j’hésitaissurl’aiguillage…Désolée,maisjedevaistel’ôter.Tescheveuxhurlaient:«On
veutrespirer,lesbonnets,çaneseportepasàl’intérieur!»,expliquai-je,mesentantrougirdecegesteunpeudéplacé.Nousn’étionspassuffisammentprochespournous«tripoter»lescheveux.Surtoutencemoment.Je
n’auraissûrementpasdûle toucher.Etparcequejevenaisdepenseràuneautrealternativedeceque« criaient » ses cheveux qui impliquait un peu de décoiffage, ce pour quoi je me serais portéevolontaire…Stop.Cesdérivesmentalesdevenaientunehabitude,jedevaismesurveiller.Etpourça,jedevaispartir:toutdesuite!Il me sourit et ne décolla pas du poteau quand je passai devant lui. Surprise, je me retournai et
l’interrogeaiduregard.—Ilfautqu’onparle,non?Encore.Noussommesrevenusaumêmepointqu’ilyaquelquesjours,je
metrompe?commença-t-ilenenfouissantlesmainsdanssespochesaprèsavoircalélebonnetsoussonbras.—Àproposde?questionnai-je,méfiante.—Tum’évites.Çadate,àpeudechoseprès,delasoiréeenboîteetdenotredanse…Je ne répondis pas. Je savais où cette conversation allait nous entraîner. Finalement, je serrai les
lèvres,décidée,etluifisface.Unsouriredétenditsestraitsquandilperçutmonchangementd’attitude.—Dis-moi,insista-t-il,moqueur.
Jesecouailatête,agacée,etmonmauvaiscaractèrerepritledessus.Jeplantaimesyeuxdanslessiensetattaquai,abrupte:—Bon,effectivementcettediscussionaunairdedéjà-vuetjemesuisassezridiculiséecommeça.Je
nesuispasfanducomiquederépétition.Désolée,jenesuispasanglaise…SijepensaiàBennyHillouMrBean,jeneleformulaipasàvoixhaute,c’étaituncoupbas.Àpart
cesdeuxexemples,jerestaisuneinconditionnelledel’humouranglais.—Comiquederépétition?—Oui, tesremarquessurmonimaginationdébordantesontl’équivalentdelatarteàlacrèmeoudu
gagrécurrent.Bref,jevaiséviterderécidiver,encore.—Thia…Jet’écoute,persista-t-il.Jesoupirai,excédée.—Bien!J’aibeauessayerdemeconvaincre, jenecroispasquetutecomportesainsiavectout le
mondeet,selonmoi, tesactessesituentau-delàdelalimitedel’amitié.Pastoutletemps,pasà«medonnertonnumérodechambre»,pourreprendretesmots…mais…Laissetomber.Jeluitournailedosetrepartisendirectiondelaloge,souhaitantmettredeladistanceentrenous.Tout
moncouragem’avaitabandonnéeetjepréféraisreculer.—Maisattends!Cequetuessanguine!Ilmerattrapaetjeluiretournaiunregardnoir.Ensigned’apaisement,ilrelevalesmains.J’oscillais
entredespôlesopposés,l’envied’endécoudreetcelledefuircommeunlapineffrayé.—Stop,Thia,onvaparlercinqminutescalmement.Profitonsdel’absencedetesamiesenvahissantes,
toujoursàdébarquerétrangementdèsquejet’adresselaparole…Oups,ill’avaitdoncremarqué.Ilmesemblaitbienquecertainesmanœuvresmanquaientdesubtilité.
Madenenchaînaavecunsourireabsolumentcraquant.Saletype.Jefronçailessourcils,furieused’yêtresensible.—Cen’estpaslelieuidéal,maistantpis,reprit-il.Autourdenous,denombreusespersonnesallaientetvenaientdanslecouloir.Ilattrapamonpoignetet
m’entraînadansuncoin.Surprise,jen’euspasleréflexedemesoustraireàsoncontact.—Jeneterépondraipaslamêmechosequeladernièrefois,sic’estcequit’inquiète.J’yaipensé
et…ceseraitmalhonnêtedet’accuserdetoutimaginer,commença-t-il.Monvisagedutafficherl’étonnement,carunsourireflottasurseslèvres.Alorsquejem’apprêtaisà
intervenir,ilm’enempêchaetenchaînaaussitôt:—Peut-être que jem’éloigne unpeuduplan sans réfléchir. Jem’en rends compte seulement après
coup.Commequandjesuisallémebaigneravectoiouquejet’aiinvitéeàdanser…Donc,çaarrive,jem’égareunpeu.Mais jene le faispasexprès.Laplupartdu temps, jesouhaitesimplementprofiterdenotrecomplicité.Jenesaispassitularessensaussi…Pourmoi,ilestrarequejem’entendesibienavecquelqu’un…etsivite,sifacilement.Jet’appréciebeaucoup,tesgoûts,tonhumour,taprésence…Tumemanquesentrenosrencontres,avoua-t-ilenmalmenantsescheveux.Moncœurfitunbeauratéetj’essayaidegarderl’expressionlaplusneutrepossible.— Comme pour tous mes amis, ajouta-t-il aussitôt, comme s’il réalisait les implications de sa
déclaration.OK,messagereçu,onsecalme.Ilmecontemplaunmomentet,devantmonmutismeprudent,finitpar
reprendrelaparole.—Çameperturbedetevoircomme…ungenredefan?Entoutcas,çameperturbaitaudébut,mais
quandjetraîneavectongroupeettoi,jel’oublierapidement.Çan’aplusd’importance.TunecherchespasFinnenmoi,j’ail’impression…quetusouhaitesmeconnaître,moi,quetunerestespassurl’image
quelefilmprojette.Commen’importequiavant,àl’époqueoùj’étaislibredesympathisersansréfléchir.Je ne l’aurais jamais cru possible actuellement, surtout avec des « anonymes ». Tant pis si ça sonnepédant.C’estbête,maisjecraignaisdenepouvoirmefairedenouvellesrelations,endehorsdesgensdema profession. Jeme suismis à fuir les bars, àmeméfier des tweets surmon emploi du temps, despaparazzisdans la rueouàneplus effleurer lebrasd’une fan lorsd’unephoto,de craintede lavoirs’imaginerunmariagesousquinzaine…Jesuisdevenuuncon.—Maden,tentai-jed’intervenir,gênée.— Si, j’ai conscience de l’image que j’ai dû te donner. Et c’est pour ça que j’ai besoin de te
fréquenter.Pourquetumeparlesnormalement,quetuarrachesmonbonnetouquetutemoquesdemeslunettes.Jerefused’êtrecegenredestarparano.Jen’enrevienspasd’avoirétéàcepointdéconnectédelaréalité.Jem’enveuxbeaucoup.Ettueslapremièreàmelafairecomprendre.Àtoutrenversersursonpassage.Évidemment,certaineschercheronttoujoursFinnenmoi,maispastoutes.J’ouvrislabouche,puislarefermai,souslechoc.Sonregardsincèremedéfiaitdelecontredireetje
finisparsecouerlatête.Àmontourd’êtrehonnête,jeleluidevaisbien.— Je peux accepter que tu aies pensé ça…mais je trouverais insupportable d’être traitée comme
cellesàquitujettesunautographe,commeunosàunchien.Jemesuismontréehonnêtedèsledépart–avecungrandmanquedetact,jedoisbienl’avouer:tum’intriguesmaisjenesuispasunefandesfilms.Monintérêtnevientpasdelà…jen’iraispasjusqu’àdirequ’ilestné«malgréça»,mais…—Pasloin?sourit-il.Jegrimaçaiavantd’acquiescer,penaude.—Jem’ensouviens,etc’estcequej’aiapprécié.Tun’aspasaimélesfilms,tutefousdemonrôle
danscecirquemédiatiquedanslequeljesuisempêtrédepuisdesmois…Cen’estpasuneexcuse,maisçaafiniparmemettredesœillères.Êtrepoursuiviquandtuachètesunjournalà6heuresdumatinouunsimple pack de bière la tête dans le coltar, n’aide pas à se comporter normalement. En tout cas, j’aibeaucoupdemal.Bref,jenesaispaspourquoituessi…àpart.Jen’ensaisvraimentrien,j’attendsjustedevoirquelletenuetuvasinventeroulepetitdétailquetuseraslaseule,detoutelaboîte,àarborer.J’essaied’imagineretjemeplantechaquefois.Commecesoir:jem’interrogedepuisdeuxheuressurlasignificationdecesigne.Aumoment où il termina sa phrase, son index caressa l’intérieur demon poignet, qu’il n’avait pas
lâchédepuistoutàl’heure.Madensortitsonportableettouchal’écranrapidement.Laphotoétaitpriseavantquejeleréalise,tropperturbéeparcebanalcontactsurmapeau.Jeluiretiraienfinmapaume.—Pourquoituasfaitça?demandai-je,unpeuperdue,mesentantdenouveaufragile.—Jeveuxregardercequetuasmarqué,c’estpeut-êtreunmessagepourmoi?lança-t-il,taquin.—Ouhla,turedeviensmégalo.Pourquoiest-cequeceseraitpourtoi?répliquai-jeplussèchementque
prévu,unpeuinquiètedesaperspicacité.—Quisait?Si jenevérifiepas…Jesuiscurieux.Pourenrevenirànotreconversation, ilnenous
restepaslongtempsavantledébarquementdetaflottedegardesducorps;ilarrivequej’oubliedemecomportercommeunsimpleami.Nousnousdévisageâmesunmoment.Jecherchaidesréponsesdanslesambresbrillantsdesesyeuxet
étrécislespaupières,méfiante.—Maisilyabienquelqu’undansmavie.Ellecompteetjenel’oubliepaspourautant.Jenesaispas,
c’estunpeudéstabilisant,avoua-t-ild’unevoixbasseettendue,commes’illuiencoûtait.J’aijustedesdifficultésànepas…tedraguer.Non!Pasdraguer.Cen’estpas lebonmot. Je…Tedistinguer desautres,peut-être?Ils’empêtraitdanssesexplicationsetjelecontemplai,fascinée.Ilyavaitdoncbienuntruc.Ouf,je
n’étaispascinglée.Monradarn’étaitpastotalementdéréglé,starounon.Maisilnecomprenaitpasplusque moi ce qu’il se passait entre nous. Et ça, je pouvais le croire. Je hochai la tête et ses épaulessemblèrentsedénoueràvued’œil.Jefusmêmeétonnéedenepaslevoirsoupirerdesoulagement.—Quand jemedisque tu rentresdansunegrossesemaine,çam’attriste.Septpetits jours,cen’est
rien,non?Autantenprofiter.Nouspouvonséviterderestertropprochessituveux,mais…arrêtedemefuir.OK?J’essayaidemecomposeruneexpressionneutreetacquiesçaienfin.Àmoiaussi ilmemanquait,et
j’étais prête à accepter qu’il semontre ambivalent, sans rien de plus concret. Ne l’étais-je pasmoi-même,àchercherdessignesdesaparttoutenayantdumalàmeretenird’envoyerdesSMSàJackson?Jeleregretteraissansdoutesijem’entêtaisàmecomportercommejelefaisaisactuellement…etj’enavais déjà bien assez concernantmon beau sex-friend, ça suffisait comme ça. Si nous nous tenions àdistancedespistesdedanse,toutiraitbien.—Onfaitungenrededeal.Tunemarchesplusàdeminuedevantmoi…Je rougis jusqu’à la racinedes cheveuxetmemordis l’intérieurde la joue,dépitée. Il avait osé en
reparler!—Etpourmapart,enchaîna-t-il,jeneteserrepluscontremoisurunslow,devanttoutlemonde,de
manièreinappropriée…Mon embarras s’atténua et le coin demes lèvres se souleva. Pour la première fois, c’était lui qui
semblaitàdeuxdoigtsdepiquerunfard.Curieusement,celamerasséréna.Jesentaisl’équilibreprécairedecedealunpeutrouble,maisaufond,celanemeconcernaitpas:ilétaitceluiquidistinguaituneautre.Moi,jepouvaislefairesansarrière-pensée;Jacksonétaitparti.Jen’avaispasàm’encacher.Àluidesedébrouiller avec sa conscience. Si les limites paraissaient faussées, ilme proposait tout demême ungenredestatuquo.Jemedécidaiàjouercartessurtableàmontour:—OK.Jenesuispassûredetoutbiensaisir,jenesaispasmoi-mêmeoùj’ensuis…Enattendant,toi
aussi tumemanques, je dois bien le reconnaître.Dans quelque temps, je regretterai de t’avoir tenu àdistancesijelefaispourlesmauvaisesraisons.Endehorsdetouteconsidérationpourtonmétieretlescirconstancesdenotrerencontre,jet’apprécie…Enroutepourleseuphémismes,raillai-je.—Celanesecantonnepasàl’idéedet’admirercommeunestarinaccessibleoutereluquerlesfesses.
J’aime réellement… ta présence.Alors, essayons.On va rester sur ce drôle d’équilibre et voir si çapasse.Maisnemecherchepas trop:moi, jen’aidecompteàrendreàpersonne.Etsi toutçaestuneerreur,dis-jeenmontrantl’espaceentreluietmoipoursoulignermespropos,tuesceluiquialeplusàperdre.Tuesleseulresponsabledeteshésitations.Jerefusedel’êtreoudeculpabiliser.OK?Jeplantaimesyeuxdanslessienset,pourfinirdemettrelespointssurles«i»,luiadressaimonplus
beausourirecarnassier:—Attentionà toi,Maden.Tunepourraspascontinuerà teplanquerderrière laphrase«Jesuisen
couple»,commetul’asfaitjusqu’àprésent.Jenel’accepteraiplus.Compris?JemedétournaietremontailecouloiroùjecroisaiMiouetJanis,venuesàmarescousse.Jeregagnai
lalogeenleurcompagnieetmeglissaiàcôtédeNeil.
FannyAndré est née en 1984. Elle vit actuellement dans lesAlpes, où elle a grandi. Elle doit sapremière parution, alors qu’elle était encore enfant, à un père enthousiaste qui a aussitôt lancél’impressiondeplusieursexemplairesduchef-d’œuvre,aujourd’huiintrouvable.Si2015estl’annéedesespremièrespublicationschezdeséditeurs,etquel’écritureaprisdésormaisunegrandeplacedanssonquotidien,elleessaietoujoursd’inviterdanssesécritslesimages,tableauxetmusiquesquilafontrêver,etqui,ellel’espère,enferontrêverd’autres.
Dumêmeauteur,chezEmma:
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Premierrôle:Épisode1–EntréeenscèneÉpisode2–Pasdedeux
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CollectiondirigéeparStéphaneMarsanetAlainNévant
©Bragelonne2015
Extraitd’œuvrecitée:Breathme©Sia,ColourtheSmallOne,Astralwerks,2004
Photographiedecouverture:©Shutterstock
L’œuvreprésentesurlefichierquevousvenezd’acquérirestprotégéeparledroitd’auteur.Toutecopie
ouutilisationautrequepersonnelleconstitueraunecontrefaçonetserasusceptibled’entraînerdespoursuitescivilesetpénales.
ISBN:978-2-8205-2364-8
Bragelonne–Milady
60-62,rued’Hauteville–75010Paris
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