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Pascale Colé, Séverine Casalis, Ana Belén DomÍnguez, Jacqueline Leybaert, Marie-Anne Schelstraete et Liliane Sprenger-Charolles Lecture et pathologies du langage oral Presses universitaires de Grenoble

Pascale Colé, Séverine Casalis, Ana Belén DomÍnguez ... · Belén Dominguez, considérera également l’impact des traitements de la déficience auditive proposés aux enfants

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Pascale Colé, Séverine Casalis, Ana Belén DomÍnguez, Jacqueline Leybaert,

Marie-Anne Schelstraete et Liliane Sprenger-Charolles

Lecture et pathologies du langage oral

Presses universitaires de Grenoble

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Pour profiter de ce livre…

Dans les sociétés industrialisées, savoir lire constitue une condition essentielle d’intégration professionnelle et sociale. Néanmoins, en France, comme le rapportent des évaluations nationales (MJENR, 2003) et internationales (PISA, 2010) entre 12 % et 20 % d’enfants ou d’adolescents présentent des difficultés relativement importantes de lecture. Cette population de lecteurs en difficulté est très hétéro-gène puisqu’elle comprend les dyslexiques, les enfants appartenant à des milieux socio-économiques défavorisés (Hatcher, Hulme et Snowling, 2004) mais également les enfants qui sont affectés par des déficits dans la sphère du langage oral (surdité ou troubles spécifiques du langage oral). L’origine des difficultés de lecture peut donc être très diverse. Pour mieux prendre en charge ces lecteurs, il est crucial d’identifier précisément les processus fondamentaux engagés dans l’apprentissage de la lecture, ce qui doit permettre à terme de comprendre pourquoi ces enfants ne parviennent pas à bien lire (Expertise INSERM, 2007).L’objectif de cet ouvrage est de présenter une synthèse très détaillée des questions et données des travaux dans le domaine de l’acquisi-tion de la lecture conduits avec les différentes populations d’enfants que constituent les enfants « normolecteurs », les dyslexiques, les enfants souffrant de troubles spécifiques du langage oral et les enfants sourds. Ainsi, l’ouvrage est structuré de la façon suivante. Le chapitre 1, écrit par Pascale Colé et intitulé « Apprendre à lire : quelques repères » propose une synthèse des recherches qui s’inté-ressent à l’apprentissage de la lecture chez les enfants pour lesquels cet apprentissage s’effectue sans difficultés notables. Ce chapitre a également pour objectif de fournir des repères pour la lecture des chapitres suivants. Le chapitre 2, écrit par Liliane Sprenger-Charolles et intitulé « Lecture et habiletés reliées à la lecture dans la dyslexie » traite des difficultés en lecture, et de leur origine, dont souffrent les enfants dyslexiques développementaux (par la suite, appelés dyslexiques). Une autre forme de dyslexie, la dyslexie

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acquise, qui affecte des individus ayant appris à lire normalement mais qui, suite à un accident vasculaire cérébral par exemple, manifestent des difficultés importantes de lecture, ne sera pas abordée. En effet, ce type de dyslexie ne constitue pas un trouble développemental, et donc, ne concerne pas l’enfant. Le chapitre 3 s’intéresse à l’acquisition de la lecture chez des enfants souffrant d’un déficit spécifique du développement du langage parlé (l’effi-cience intellectuelle n’étant pas atteinte) et de ses répercussions sur l’acquisition de la lecture. Ce chapitre qui s’intitule « Lecture et habi-letés en lecture de l’enfant présentant un trouble spécifique du langage oral » a été écrit par Séverine Casalis et Marie-Anne Schelstraete. Le chapitre 4 s’organise autour de l’acquisition de la lecture chez l’enfant sourd souffrant d’un développement entravé du langage oral, mais contrairement à l’enfant avec un trouble spécifique du langage oral, l’origine de ce trouble du langage n’est pas cognitive mais sensorielle (auditive). Ce chapitre intitulé « Apprendre à lire avec une déficience auditive » et écrit par Jacqueline Leybaert et Ana Belén Dominguez, considérera également l’impact des traitements de la déficience auditive proposés aux enfants sourds que sont les prothèses auditives conventionnelles et l’implantation cochléaire qui connaît un essor important depuis une quinzaine d’années environ. Enfin, le chapitre 5 intitulé « Quelques conclusions » écrit par Pascale Colé propose une synthèse et une réflexion sur certai-nes des questions centrales abordées dans les chapitres présentés et s’attache, en particulier, à la question fédératrice de cet ouvrage qui concerne les relations entre troubles du langage oral et troubles du langage écrit.

Cet ouvrage a été conçu pour permettre au lecteur d’accé-der directement au chapitre traitant de la pathologie qui le questionne. L’information nécessaire pour faciliter la compréhension est donc systématiquement fournie dans chacun d’eux.

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Chapitre 1

Apprendre à lire : quelques repères

Les différents systèmes d’écriture

Tous les humains ne lisent pas avec le même système d’écriture. Les Chinois lisent avec un système d’écriture « idéographique », les Japonais avec ce dernier système mais également avec un système kana et le lecteur occidental (européen) avec un système alphabéti-que. Les systèmes d’écriture sont donc des moyens de transcrire les langues orales et ils se caractérisent par le format des unités sonores constituant les mots parlés qu’ils encodent. Ainsi, par exemple, le système kana du japonais code les syllabes des mots parlés à l’aide de symboles visuels appelés syllabogrammes (les kanas). Le système « idéographique » du pékinois code les mots parlés à la fois au niveau syllabique (à l’aide de syllabogrammes) et au niveau morphémique (les morphèmes constituent les plus petites unités de sens d’une lan-gue et par exemple le mot « amoureux » est constitué des morphèmes « amour » et « eux ») à l’aide signes visuels appelés morphogrammes. Enfin, le système alphabétique (utilisé par la langue française, par exemple) code les sons (ou phonèmes) qui composent les mots parlés à l’aide de symboles visuels que sont les lettres (ou graphèmes).

On conçoit intuitivement qu’apprendre à lire et lire dans ces diffé-rents systèmes d’écriture engage des traitements cognitifs différents. Toutefois, des études montrent (Ferrand et Grainger, 1993 ; Perfetti et Zhang, 1995) que quel que soit le système d’écriture considéré, le lecteur (adulte expert) active automatiquement le code phono-logique des mots qu’il lit (les phonèmes du mot transcrit et leur combinaison ; par exemple, le code phonologique du mot écrit chaton est [SatÕ]). En effet, même si le format des unités sonores encodées par l’écrit peut être très différent, tous les systèmes d’écriture ont pour fonction première de coder une langue orale.

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De plus, (nous y reviendrons dans ce chapitre), à l’intérieur d’un système d’écriture alphabétique, les langues adoptent des systèmes orthographiques différents se caractérisant par des niveaux de dif-ficultés très divers. Nous verrons en particulier que l’opacité d’un système orthographique a un impact fort sur la vitesse d’acquisition de la lecture. De fait, nous ne nous intéresserons dans cet ouvrage qu’à la seule acquisition de la lecture dans un système d’écriture alphabétique.

Qu’est ce qu’apprendre à lire dans un système d’écriture alphabétique ?

La majorité des recherches sur l’apprentissage de la lecture utilise pour cadre général le « modèle simple de la lecture » proposé par Gough et Tunmer (1986), selon lequel la compréhension en lec-ture est le produit de deux habiletés : la compréhension orale et la reconnaissance des mots écrits (Ouellette et Beers, 2010). Ce modèle (voir Figure 1) rend compte du fait que, chez le lecteur expert, la compréhension de ce qui est lu s’effectue aisément et sans effort cognitif apparent parce qu’elle repose sur une reconnaissance des mots écrits qui se déroule de façon quasi-réflexe (Guttentag et Haith, 1978). Le lecteur peut alors consacrer une partie de ses ressources attentionnelles à la gestion des traitements complexes engagés dans la compréhension de ce qu’il lit. Toutefois, le modèle pointe également le fait que la compréhension en lecture dépend aussi des habiletés de langage oral du lecteur, ce qui permet d’atteindre chez des lecteurs très entraînés que sont les étudiants un niveau de compréhension écrite égal à leur niveau de compréhension orale (Gersnbacher, Varner et Faust, 1990).

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Figure 1. Les principaux composants de la lecture et leurs liens.

La compréhension du principe alphabétique

Avant d’apprendre à lire, l’enfant a acquis l’essentiel du langage oral et, par conséquent, il sait reconnaître les mots sous leur forme parlée. L’objectif principal de l’apprentissage de la lec-ture consiste donc à apprendre à reconnaître ces mots sous leur forme écrite. Pour cela, il doit en premier lieu comprendre le principe fondamental d’un système d’écriture alphabétique qui consiste à coder les sons des mots parlés ou phonèmes (le phonème est l’élément distinctif permettant dans une langue particulière de différencier deux mots : loi et roi) à l’aide de symboles visuels que sont les lettres (ou graphèmes). Ainsi, le mot parlé [tablo] se représente à l’écrit à l’aide de la séquence de lettres tableau. Pour comprendre le principe alphabétique, l’apprenti-lecteur doit procéder à une analyse consciente de la structure des mots parlés que l’on nomme conscience phonologique ou capacités méta-phonologiques (voir la méta-analyse récente de Melby- Lervag, Haalas-Lyster et Hulme, 2012). Celle-ci est définie comme la compétence qui permet d’identifier les unités phonologiques qui constituent les mots parlés et de les manipuler intentionnellement

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(Gombert et Colé, 2000). Ces unités renvoient à des segments sans signification tels que les phonèmes et les syllabes par exemple. La conscience phonologique et plus particulièrement la conscience phonémique amène l’enfant à concevoir que les mots parlés sont constitués d’une séquence de sons (les phonèmes), ce qui lui per-met à terme de comprendre que les sons élémentaires correspon-dent à l’écrit à des lettres ou groupes de lettres. L’enfant peut alors découvrir et apprendre les correspondances graphèmes-phonèmes et les utiliser pour décoder les mots écrits en traduisant chacune des lettres de ces mots en leurs sons correspondants. Ceux-ci sont stockés dans une mémoire particulière appelée mémoire à court terme (MCT) phonologique et assemblés pour recouvrir le code phonologique des mots lus (leur prononciation). Ces mots sont alors reconnus à partir de l’activation des connexions entretenues par les codes phonologiques et les codes sémantiques de ces mots qui ont été développés au cours de l’acquisition du langage parlé. L’élaboration de cette voie de lecture ou « médiation phonologi-que » (autres termes utilisés : voie sublexicale, indirecte, décodage) renvoie à une étape cruciale de l’apprentissage de la lecture parce qu’elle constitue le socle sur lequel s’établit une deuxième voie de lecture dénommée voie orthographique (autres termes : voie lexicale, directe) (Share, 1995). Celle-ci permet au lecteur de reconnaître rapidement les mots écrits directement à partir de l’analyse de leur structure orthographique. Cette conception de l’apprentissage de la reconnaissance des mots écrits s’inspire du modèle double voie de la lecture experte (Coltheart, Rastle, Perry, Langdon et Ziegler, 2001).Les recherches sur l’apprentissage de la lecture ont montré que la réussite de celui-ci dépend de façon cruciale d’un ensemble de traitements phonologiques impliqués dans la conscience phoné-mique, la mémoire à court terme phonologique et la médiation phonologique (Sprenger-Charolles et Colé, 2006).

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Les systèmes orthographiques et l’apprentissage de la lecture

La majorité des études sur l’acquisition de la lecture provient de travaux conduits en langue anglaise, langue qui, comme l’a souligné Share (2008), pourrait constituer un cas particulier en raison de l’opacité importante de son système orthographique. Les systèmes d’écriture alphabétique sont supposés coder les phonèmes de la langue orale mais une des difficultés de ces systèmes est qu’ils ne permettent pas le codage de tous les phonèmes. Par exemple, le nombre de phonèmes de la langue française s’élève à 36 ; ils ne peuvent être tous transcrits directement par les vingt-six lettres de l’alphabet. Pour remédier à ce problème, on a par exemple recours à des combinaisons de lettres pour transcrire les phonèmes non codés par ces lettres. Ainsi, le phonème [S] s’écrit avec les lettres ch. Par conséquent, l’unité de base d’un système d’écriture n’est pas la lettre mais le graphème qui renvoie au phonème. Le gra-phème peut contenir soit une ou plusieurs lettres soit des marques diacritiques (les accents par exemple) ce qui peut constituer une difficulté pour l’apprenti-lecteur. De plus, les langues qui utilisent un système d’écriture alphabétique se différencient par la transpa-rence de leur système orthographique qui renvoie à la régularité des correspondances grapho-phonologiques. Ainsi, on qualifie un système orthographique de transparent lorsque ces correspondan-ces sont univoques ou quasi univoques. C’est le cas de l’espagnol, dans lequel les 32 phonèmes de la langue orale sont codés par 45 graphèmes (Martin, Colé et al., 2010). À l’inverse, celui de l’anglais est opaque avec 40 phonèmes codés par plus de 1000 graphèmes. Le français est considéré comme intermédiaire avec 130 graphè-mes pour 36 phonèmes. Par ailleurs, la transparence d’un système orthographique peut être considérée selon deux directions : de la phonie vers la graphie (cas de l’écriture) et de la graphie vers la phonie (cas de la lecture). Pour les orthographes européennes, en général, l’opacité est plus importante dans le cas de l’écriture que de la lecture (Ziegler, 1999). Le français est de ce point de vue plus

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transparent pour la lecture que l’écriture. Par exemple, le phonème [o] peut s’écrire avec de nombreux graphèmes différents : o, au, eau, ot, op, mais ils codent toujours le même phonème.

Plusieurs études ont montré que l’opacité du système orthographi-que a une incidence sur la vitesse d’acquisition de la lecture. Ainsi, l’étude de Seymour, Aro et Erskine (2003) a été conduite sur treize systèmes orthographiques européens. La lecture d’enfants en fin de première année d’apprentissage a été évaluée avec une tâche de lecture de pseudomots (destinée à évaluer la voie phonologique) et de mots très familiers (destinée à évaluer la voie orthographique). Comme le montre la figure 2, on constate que la performance des apprentis-lecteurs est fonction du degré de transparence du système orthographique dans lequel se fait l’apprentissage de la lecture ; les enfants les plus pénalisés étant les petits anglophones.

Figure 2. Lecture de pseudomots bisyllabiques et de mots très familiers (mots grammaticaux) en fonction de la transparence du système orthographique à maîtriser. Celui de l’anglais est opaque, celui de l’espagnol transparent et celui du français inter-médiaire.

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Les prédicteurs de la réussite en lecture et leur évolution

De très nombreuses recherches ont cherché à identifier les prédic-teurs qui conduisent à un apprentissage de la lecture réussi. Il est difficile d’en faire une synthèse en raison de la diversité des mesures utilisées et des niveaux scolaires envisagés. Néanmoins, l’étude de Ouellette et Beers (2010) se révèle particulièrement informative. Ces chercheurs ont évalué la compréhension en lecture (lecture de passages courts suivie de questions) d’élèves de première année de primaire et de première année de collège ainsi que la conscience phonémique, la voie phonologique (avec la lecture de pseudo-mots), la voie orthographique (avec la lecture de mots irréguliers tels que le mot oignon, ne pouvant pas être lus par la voie phonologique), la compréhension orale (par la compréhension d’histoires courtes) et le vocabulaire oral. Plus précisément, l’étendue (soit le nombre de mots connus) et la précision (mesurée avec une épreuve de définition de mots) du vocabulaire ont été évaluées. En première année de primaire, on constate que la conscience phonémique explique une part très importante de la variance en compréhension écrite (45,4 %), le décodage en explique 20 % et la lecture de mots irréguliers 5,4 %. La compréhension orale en explique 2,5 % et la contribution du vocabulaire (étendue : 2,5 % et précision : 0,2 %) n’est pas significative quelle que soit la dimension considérée. En première année de collège, la performance de compréhension en lecture est prédite par la conscience phonémique (17,6 % de part de variance expliquée), la lecture de mots irréguliers (12,6 %), la compréhension orale (5,8 %) et l’étendue du vocabulaire (15,3 %). En revanche, ni la lecture de pseudomots (3,9 %), ni la précision du vocabulaire (0,9 %) ne sont des prédicteurs significatifs de la compréhension écrite.

Ces résultats montrent que les composants du modèle simple de la lecture (reconnaissance des mots écrits et compréhension orale) rendent bien compte des performances de compréhension en lecture en première année de primaire et de collège avec toutefois

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une évolution particulière. On observe ainsi une asymétrie de la contribution respective du décodage et de la compréhension orale au cours de l’acquisition de la lecture avec une baisse de la contribution du décodage (et une augmentation de celle de la voie orthographique) et une augmentation de celle du langage oral. Dans le même sens, on constate également l’influence d’une composante essentielle du langage oral, le vocabulaire dans l’expli-cation de la compréhension écrite. En effet, au collège, le niveau de compréhension en lecture atteint est expliqué, dans une proportion importante (15,3 %), par l’étendue du vocabulaire.

Les « bas niveaux » de la lecture – soit les voies phonologiques et orthographiques de la reconnaissance des mots écrits – doivent être considérés comme des composants distincts, car chacune apporte une contribution unique à la compréhension en lecture aux deux niveaux scolaires (au collège, seule la voie orthographique est un prédicteur significatif ). De fait, les facteurs responsables de leur développement sont différents. Ainsi, on constate en première année de primaire que les performances en lecture de pseudomots sont expliquées uniquement par la conscience phonémique (37,9 %) alors qu’en première année de collège, la contribution de cette dernière n’est plus significative et celle de l’étendue du vocabulaire le devient (13,4 %). La lecture de mots irréguliers est prédite en première année de primaire par la lecture de pseudomots (28,5 %) et la précision du vocabulaire (2,9 %). En première année de collège, les prédicteurs sont la lecture de pseudomots (30 %) et l’étendue du vocabulaire. Le vocabulaire oral influence donc à la fois le déco-dage et la voie orthographique. L’étendue du vocabulaire prédit le décodage au collège mais pas au primaire, où c’est la conscience phonémique qui joue le rôle de prédicteur unique. Ces résultats montrent que la taille du lexique du lecteur influence la conscience phonémique et le décodage. Le modèle de restructuration lexicale de Whalley et al. (2003) suggère que l’accroissement du vocabulaire oral (en nombre d’entrées lexicales) repose sur des représentations phonologiques des mots qui doivent être de plus en plus détaillées/précises (exemple : jupe/jute). Cette restructuration du lexique serait

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liée à un traitement phonologique plus sophistiqué se développant pendant la scolarité avec l’apprentissage de la lecture. En première année de primaire, la conscience phonémique capte la plus grosse part de variance de ce phénomène et par conséquent c’est le seul prédicteur du décodage. En revanche, avec une habileté accrue dans le décodage, la contribution du vocabulaire est alors de plus en plus importante.

Enfin, le vocabulaire oral prédit la lecture de mots irréguliers aux deux niveaux scolaires avec une différence : en première année de primaire, le facteur d’importance est la précision du vocabulaire et en première année de collège, c’est l’étendue. La précision est un meilleur indicateur du vocabulaire chez les plus jeunes pour lesquels il peut y avoir un décalage important entre le nombre de mots connus (étendue) et la précision de leur sens. Or, des recherches ont montré que la lecture de mots irréguliers est affectée par des facteurs sémantiques qui aident à l’élaboration de leurs représen-tations orthographiques ; le recours à la médiation phonologique ne serait alors que de peu d’aide (Cocksey et Nation, 2009).

Pour clore notre propos, de très nombreuses recherches (voir Melby-Lervag et al., 2012) se sont intéressées aux prédicteurs précoces de l’acquisition des deux procédures de reconnaissance des mots écrits au début de l’apprentissage. Ainsi, ces études montrent que le niveau d’habiletés en reconnaissance des mots écrits a comme meilleur prédicteur la conscience phonémique, suivi de la connaissance des lettres (mais voir sur ce point Foulin [2005] pour le débat sur l’importance du nom et/ou du son).

Conclusion

Les études examinées dans ce chapitre soulignent l’importance des traitements phonologiques dans l’accès à l’alphabétisation. En effet, l’élaboration de la procédure phonologique (ou décodage) dépend du bon fonctionnement de différents types de traitement phono-logique tels que ceux impliqués par exemple dans la conscience

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phonémique ou la mémoire à court terme phonologique. De fait, le langage oral tient une part importante dans le développement des habiletés en lecture au cours de la scolarité. En effet, des études ont montré que la compréhension orale et le vocabulaire oral sont deux composantes essentielles à la fois dans l’élaboration des deux voies de lecture (phonologique et orthographique) et dans l’accès au sens de ce qui est lu. Ces faits nous rappellent que l’écrit a pour fonction première de permettre une trace pérenne de l’oral. En ce sens, la langue écrite est un codage second de la langue orale. De nombreuses études d’imagerie cérébrale montrent, en effet, que les circuits cérébraux impliqués dans la lecture utilisent majoritai-rement ceux impliqués dans la compréhension de la langue orale (Dehaene et al., 2010). On comprend alors pourquoi certaines pathologies du langage oral peuvent entraver fortement l’acquisition des habiletés de lecture.

Résumé du chapitre 1

Ce chapitre présente une synthèse des principaux résultats des très nombreuses recherches conduites dans le domaine de l’ac-quisition de la lecture dans un système d’écriture alphabétique. Ils montrent principalement l’importance des traitements du langage oral mis en place préalablement à l’apprentissage de la lecture. Ils montrent également l’effet retour de l’apprentissage de la lecture sur certains de ces traitements qui sont alors plus précis et développés. Ils permettent alors de comprendre pour-quoi certaines pathologies du langage oral peuvent alors avoir des conséquences importantes dans l’acquisition des habiletés de lecture.

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