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Neurovision Pathologies ophtalmologiques de l’enfant cérébrolésé et du polyhandicapé Ophthalmological pathologies of the cerebro-injured child and of the polyhandicapped child M.-T. Jacquier 6, place du Général-de-Gaulle, 78580 Maule, France Disponible sur Internet le 13 avril 2010 Résumé Les pathologies ophtalmologiques et neuro-ophtalmologiques ont longtemps été mal explorées chez l’enfant polyhandicapé. Cependant, la vision représente une part importante dans l’activité cérébrale et dans la construction de l’enfant. Après avoir situé le rôle de l’ophtalmologiste et de l’orthoptiste, nous avons tenté, en suivant le chemin anatomophysiologique de l’influx visuel, d’envisager quelques-unes de ces pathologies et d’évoquer quelques conduites thérapeutiques pratiques. Celles-ci sont décrites au niveau des yeux, des voies visuelles, des fonctions visuelles cérébrales, de l’oculomotricité et de quelques situations particulières de l’enfant handicapé. La meilleure connaissance possible de ces pathologies est indispensable à une action thérapeutique et éducative respectant la globalité de l’enfant. # 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Abstract For a long time, ophthalmologic and neuro-ophthalmologic pathologies have not been explored enough in polyhandicapped children. However, vision makes up for an important part in cerebral activity and in child construction. After having located the ophthalmologist and orthoptist contribution, we tried, following the anatomophysiological way of the visual impulse, to describe any pathologies and practical therapeutic behaviors. Those are described concerning eyes, optical pathways, cerebral visual functions, ocular motility and some specific situations of the disabled child. The best possible knowledge of these pathologies is essential to a therapeutic and educative intervention, respecting the child as a whole. # 2010 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Mots clés : Ophtalmologie ; Neuro-ophtalmologie ; Orthoptie ; Déficience visuelle ; Oculomotricité ; Rééducation ; Polyhandicap Keywords: Ophthalmology; Neuro-ophthalmology; Orthopty; Visual deficiency; Ocular motility; Rehabilitation; Polyhandicap Les pathologies ophtalmologiques et surtout neuro- ophtalmologiques ont longtemps été négligées chez les jeunes enfants cérébrolésés et plus tard, lorsque le handicap est déjà installé. En effet, elles sont souvent difficiles à évaluer et les traitements sont très spécifiques à mettre en œuvre. De plus, il semble parfois exister un certain isolement des différents intervenants dans le polyhandicap de l’enfant. Nous avons tenté, en suivant le fil conducteur de l’influx visuel, d’établir un lien entre les informations www.em-consulte.com Motricité cérébrale 31 (2010) 4559 Adresse e-mail : [email protected]. 0245-5919/$ see front matter # 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.motcer.2010.03.001

Pathologies ophtalmologiques de l’enfant cérébrolésé et du polyhandicapé

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Neurovision

Pathologies ophtalmologiques de l’enfant cérébrolésé etdu polyhandicapé

Ophthalmological pathologies of the cerebro-injured child and

of the polyhandicapped child

M.-T. Jacquier6, place du Général-de-Gaulle, 78580 Maule, France

Disponible sur Internet le 13 avril 2010

Résumé

Les pathologies ophtalmologiques et neuro-ophtalmologiques ont longtemps été mal explorées chez l’enfant polyhandicapé.Cependant, la vision représente une part importante dans l’activité cérébrale et dans la construction de l’enfant. Après avoir situé lerôle de l’ophtalmologiste et de l’orthoptiste, nous avons tenté, en suivant le chemin anatomophysiologique de l’influx visuel,d’envisager quelques-unes de ces pathologies et d’évoquer quelques conduites thérapeutiques pratiques. Celles-ci sont décrites auniveau des yeux, des voies visuelles, des fonctions visuelles cérébrales, de l’oculomotricité et de quelques situations particulières del’enfant handicapé. La meilleure connaissance possible de ces pathologies est indispensable à une action thérapeutique et éducativerespectant la globalité de l’enfant.# 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Abstract

For a long time, ophthalmologic and neuro-ophthalmologic pathologies have not been explored enough in polyhandicappedchildren. However, vision makes up for an important part in cerebral activity and in child construction. After having located theophthalmologist and orthoptist contribution, we tried, following the anatomophysiological way of the visual impulse, to describeany pathologies and practical therapeutic behaviors. Those are described concerning eyes, optical pathways, cerebral visualfunctions, ocular motility and some specific situations of the disabled child. The best possible knowledge of these pathologies isessential to a therapeutic and educative intervention, respecting the child as a whole.# 2010 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Mots clés : Ophtalmologie ; Neuro-ophtalmologie ; Orthoptie ; Déficience visuelle ; Oculomotricité ; Rééducation ; Polyhandicap

Keywords: Ophthalmology; Neuro-ophthalmology; Orthopty; Visual deficiency; Ocular motility; Rehabilitation; Polyhandicap

www.em-consulte.com

Motricité cérébrale 31 (2010) 45–59

Les pathologies ophtalmologiques et surtout neuro-ophtalmologiques ont longtemps été négligées chez lesjeunes enfants cérébrolésés et plus tard, lorsque lehandicap est déjà installé. En effet, elles sont souvent

Adresse e-mail : [email protected].

0245-5919/$ – see front matter # 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droitsdoi:10.1016/j.motcer.2010.03.001

difficiles à évaluer et les traitements sont trèsspécifiques à mettre en œuvre. De plus, il sembleparfois exister un certain isolement des différentsintervenants dans le polyhandicap de l’enfant.

Nous avons tenté, en suivant le fil conducteur del’influx visuel, d’établir un lien entre les informations

réservés.

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théoriques apportées par la neurophysiologie, les pointsde vue de la médecine fonctionnelle, de la neuropédia-trie, de l’orthoptie et la pratique de l’ophtalmologiepédiatrique.

1. Introduction

1.1. Développement psychomoteur et fonctionsvisuelles

À la naissance, il existe une préprogrammation desoutils perceptifs et moteurs qui deviennent rapidementfonctionnels s’ils n’ont pas été endommagés dans lapériode ante- ou périnatale. Pendant la première année,l’instrumentation de la vision, de l’audition, de laproprioception, du tact, des perceptions vestibulaires etde la motricité se mettent en place. Ainsi se constituent,par coordination entre les différents flux sensoriels et lescomportements moteurs, la représentation corporelle,l’espace de préhension unifié, et l’espace visuel. Puis lamaturation de chaque système sensorimoteur en permetl’utilisation isolée à des fins cognitives. Cette matura-tion dépend des interactions entre les différentssystèmes, des compétences de chaque outil et descompétences corticales [1–7]. L’environnement, quidétermine l’expérience, joue aussi un rôle importantselon qu’il est inhibiteur ou stimulant, du fait de laplasticité cérébrale très active au cours des premiersmois de vie. Cependant, cette plasticité ne permet pasune restitution ad integrum des systèmes archaïqueslésés précocement [8].

Les fonctions visuelles peuvent être regroupées enun système visuel focal et système visuel périphériqueassociés au système oculomoteur qui permet l’utilisa-tion de ces fonctions perceptives dans tout l’espacevisuel. La coordination entre ces systèmes, qui s’établitnormalement vers trois mois, permet l’explorationvisuelle guidée par un projet spatial.

1.2. Comment voit-il ?

Cette question doit être posée, aussitôt que possible,pour tout enfant qui présente une atteinte neurologiqueou un facteur de risque (prématurité), un syndromemalformatif, un trouble spécifique du développementou tout trouble du comportement visuel.

Cela peut être une absence de contact visuel dès lespremiers jours de vie, une errance du regard, unnystagmus, un strabisme, une absence de fixation, uneabsence de contrôle du regard, une absence d’attractionvisuelle, une absence de poursuite oculaire, un aspect defuite du regard, le regard bloqué dans une direction, des

mouvements anormaux transitoires ou un comporte-ment de malvoyant.

Tout aspect ou comportement visuel anormal doitêtre exploré sans tarder, à la recherche d’une pathologieoculaire organique et d’une atteinte neurovisuelle. Lediagnostic de manifestation psychiatrique ne seraévoqué que secondairement ou considéré commeconséquence des frustrations de l’enfant liées à ladysharmonie entre ses compétences.

Cette recherche se fait en essayant de localiser lesatteintes organiques de l’appareil optique et des zonescérébrales impliquées dans la vision, en synthèse avecles observations cliniques pluridisciplinaires, mais engardant à l’esprit le fait que certaines pathologiesneurovisuelles et troubles développementaux desacquisitions peuvent exister sans lésion organiquedécelable avec les méthodes actuelles de diagnostic,et sans pour autant devoir être attribués à une pathologiepsychiatrique.

À l’issue de l’évaluation des compétences de l’outilvisuel et des éventuels troubles neurovisuels, il estpossible de tenter d’estimer l’impact du handicap visuelsur les autres déficiences.

La mise en place des stimulations visuelles et descompensations se fait aussitôt que possible, sansattendre les précisions diagnostiques, en tenant comptecependant d’éventuels traitements ophtalmologiquesmédicaux et chirurgicaux en cours.

1.3. L’examen ophtalmologique et orthoptique

Nous rappelons que le domaine de l’ophtalmologies’étend au-delà du fond de l’œil. Cependant, tous lesophtalmologistes n’ont pas l’expérience de la neuro-ophtalmologie pédiatrique.

La demande d’examen ophtalmologique seraaccompagnée d’un dossier médical bien renseigné(électrorétinogramme et potentiels évoqués visuelss’ils ont déjà été pratiqués, comptes rendus d’imageries,d’EEG, d’hospitalisation et de bilans), des observationsde l’équipe éducative et d’un questionnement précis.L’ophtalmologiste pédiatrique tentera de répondre auxquestions suivantes : existe-t-il un défaut réfractifnécessitant une compensation optique et dans quellescirconstances faut-il la porter ? Existe-t-il une pathologieoculaire organique et quels traitements proposer ? Dansquelle mesure cette pathologie est-elle invalidante pourles acquisitions et peut-elle expliquer à elle seule lesanomalies du comportement ? Existe-t-il des signespouvant faire rechercher des atteintes neurovisuelles ? Leprincipal signe est l’existence d’un trouble du compor-tement visuel ou de difficultés d’apprentissage alors qu’il

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n’existe pas de pathologie oculaire organique réellementinvalidante.

Le bilan orthoptique sera fait de préférence aprèsl’examen ophtalmologique. Il peut être prescrit par toutmédecin.

Le bilan sensoriel testera la discrimination (rarementexprimée en dixièmes), la vision binoculaire (souventfruste) et les champs visuels. Le bilan optomoteurdéterminera les caractéristiques du regard, et le bilanfonctionnel renseignera sur les capacités de communi-cation (désignation du regard, échanges interperson-nels), et de saisie de l’information, sur l’organisation etle contrôle du geste, et sur les relations vision–

mouvement–posture–équilibre. Ce bilan évalue lescompétences visuelles dans leur ensemble et il peutfaire apparaître des anomalies des gnosies visuelles.

L’orthoptiste proposera un projet de rééducation etd’adaptation et prendra en charge les troubles perceptifs(amblyopie, basse vision, troubles perceptifs d’originecentrale), oculomoteurs et les troubles de la visionfonctionnelle. L’orthoptiste collaborera, en fonction deson expérience, avec l’équipe rééducative, à l’évalua-tion et la prise en soin des troubles neurovisuels [9–11].

Pour suivre la démarche diagnostique et décrirequelques pathologies, nous nous sommes donnés pourbut d’adopter un plan anatomophysiologique« ophtalmologique » au fil de la construction etl’utilisation de l’information visuelle, en explorantsuccessivement :

� l’outil visuel (les yeux) ;� les voies visuelles, les aires visuelles, primaires,

secondaires et associées ;� les mouvements oculaires ;� les relations avec les autres fonctions perceptives,

motrices et cognitives.

Les atteintes multiples sont fréquentes.

2. L’outil visuel

2.1. Les défauts réfractifs et leur correction

Un défaut réfractif, même sévère, ne peut êtreresponsable à lui seul d’un comportement visuelanormal. Même les strabismes accommodatifs hyper-métropiques sont exceptionnellement isolés chez cesenfants. La seule prescription de lunettes n’est pas letraitement des troubles du comportement visuel et desapprentissages de l’enfant neurologique. Il est cepen-dant indispensable de vérifier systématiquement laréfraction.

2.1.1. Quels défauts corriger et quand ?Pour répondre à cette question, il faut tenir compte

du niveau de maturation visuelle de l’enfant, de soncomportement oculomoteur, de ses activités et del’importance du défaut.

Lorsque l’enfant utilise uniquement la visionpériphérique, les lunettes sont plus pénalisantes quebénéfiques. Il est préférable de commencer par stimulerl’équilibre et le relais entre la vision globale et la visionfocale par une éducation orthoptique spécifique. Quandla vision focale commence à s’installer, les lunettes sontutiles à condition que le défaut soit conséquent. Dès lorsque la correction optique est décidée, la compensationdoit être ajustée.

Une myopie forte doit être compensée pour toutes lesactivités visuelles à partir de quelques dizaines decentimètres, mais l’utilisation de la myopie noncorrigée peut constituer une aide optique lors desactivités discriminatives de près.

Les hypermétropies fortes sont corrigées en per-manence en cas de strabisme convergent et d’aphaquie.La correction des astigmatismes forts est nécessaire,mais peut être source d’aberrations optiques importan-tes s’il existe des mouvements oculaires anormaux.

2.1.2. Que faire lorsque l’enfant ne veut pas porterde lunettes ?

C’est une situation extrêmement fréquente dans lescentres spécialisés. Il faut absolument en tenir compte etchercher une explication technique avant d’évoquer unproblème psychologique, observer le comportementavec et sans correction, et en reparler, si possible, avecl’ophtalmologiste prescripteur afin de confirmer l’indi-cation et trouver les équipements qui permettent le portde la compensation optique dans de bonnes conditions.

Les montures sont souvent mal adaptées. C’est le caspour l’enfant équipé d’une têtière et qui a une positionpréférentielle du regard tête tournée. Il faut alorsrecommander des montures souples.

Si un appui visuel périphérique est indispensable autonus axial et à la posture, les montures représententplus une gêne mécanique et un obstacle à l’explorationvisuelle périphérique qu’une aide [1]. Dans ce cas, soitles montures choisies doivent être fines mais solides, cequi est parfois très difficile, soit les lunettes sontenlevées très ponctuellement au cours des activitésrééducatives de repérage spatial si l’efficacité estmeilleure sans correction.

La correction optique peut modifier l’équilibre bi-oculaire et perturber les repères visuels. Les aberrationsoptiques peuvent être invalidantes. Mais cela peutsurtout signifier que le bénéfice optique n’est pas

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suffisant et qu’il existe une pathologie organique sous-jacente. Les rétinopathies génétiques sont souventassociées à des défauts réfractifs importants.

L’indication et la valeur de la correction optique sontrévisables régulièrement.

2.1.3. La correction par lentilles de contactElle représente théoriquement la solution idéale. Elle

supprime la gêne mécanique représentée par lesmontures, évite les aberrations optiques et libère lavision périphérique et les mouvements de la tête et desyeux. Cependant, sa mise en œuvre est parseméed’écueils au quotidien.

2.1.4. Les systèmes pénalisantsCes systèmes (occlusions, secteurs, rysers) prescrits

aux petits patients valides pour le traitement desstrabismes et des amblyopies, ne doivent être utilisésqu’avec une extrême circonspection chez les enfantsdont les compétences visuelles sont souvent déjàinvalidées et qui ont absolument besoin de toute leurvision afin de mener à bien leurs activités perceptivo-motrices et leur développement psychomoteur. Cepen-dant, il reste fondamental de ne pas laisser s’installerune amblyopie fonctionnelle. L’éducation et la réédu-cation orthoptiques prolongées de l’ensemble desfonctions visuelles, associées à une surveillanceophtalmologique attentive, sont les éléments quipermettent d’adopter une attitude thérapeutique plusstimulante que pénalisante.

2.2. Les pathologies de l’œil, la déficience visuelle

2.2.1. Les atteintes organiques de l’œilLes pathologies de l’œil peuvent être malformatives,

génétiques, dégénératives. Elles atteignent les paupiè-res, l’appareil oculomoteur, la cornée, l’appareilciliaire, le cristallin, le vitré, la choroïde, la rétine etle nerf optique. Les associations avec des atteintes desvoies visuelles, du système nerveux et des autresorganes sont fréquentes.

Elles peuvent résulter de maladies ou d’accidentspérinataux : rétinopathies du prématuré, atrophiesoptiques, infections extra- ou intraoculaires. Dans laprématurité, la déficience visuelle sévère (< 3/10) estseulement de 1 %, ce qui conduit à penser que larétinopathie du prématuré est actuellement mieuxcontrôlée. Cependant, l’enquête nationale qui révèleces statistiques ne se réfère qu’à l’acuité visuelle pourdéfinir la déficience visuelle. Les pathologies neurovi-suelles et oculomotrices ne sont pas prises en comptedans l’évaluation des déficiences visuelles. Elles sont

incluses dans l’ensemble des pathologies cognitives qui,elles, sont encore très nombreuses dans la grandeprématurité [12].

Les pathologies oculaires peuvent aussi être trauma-tiques, liées au handicap : automutilations, traumatismesà répétition au cours des stéréotypies, chutes quiprovoquent des décollements de rétine, cataractes, plaiesdu globe. Liés aussi au handicap, les ulcères de cornée pardéfaut d’occlusion palpébrale ou par sècheresse oculairepeuvent aussi passer longtemps inaperçus.

2.2.2. La déficience visuelleLa déficience visuelle doit être évaluée aussi

précisément que possible, afin que l’ensemble del’équipe éducative comprenne comment voit l’enfant.Il est important de savoir si la pathologie oculaire estévolutive ou stable, si elle atteint la vision périphériqueet/ou la vision centrale. Il ne faut surtout pas négliger laprise en charge thérapeutique et éducative de la bassevision malgré les handicaps associés. Les services desoins pour déficients visuels peuvent intervenir enambulatoire et il existe des professionnels locaux(ophtalmologistes, orthoptistes) spécialisés, en libéral.La notion de rééducation et de compensation de ladéficience visuelle a été longtemps peu diffusée, maisles rééducateurs sont désormais nombreux à se formeret certains sont particulièrement expérimentés dans ledomaine du polyhandicap.

3. Les voies optiques intracrâniennes et les airesvisuelles cérébrales

3.1. Anatomie fonctionnelle des voies et airesvisuelles

La recherche dans ce domaine évolue beaucoup,enrichie par les progrès de l’imagerie, mais il persisteencore de nombreux inconnus. Cependant, la connais-sance de certains schémas anatomophysiologiquespermet de suspecter les conséquences fonctionnellespossibles des atteintes organiques révélées par lesexamens complémentaires et de mieux comprendrecertains comportements cliniques [13–15,17,18].

3.1.1. De la rétine aux lobes occipitauxDepuis les photorécepteurs (cônes et bâtonnets)

jusqu’aux cellules ganglionnaires, il existe une orga-nisation neuronale différente de la rétine centrale (hautedéfinition) et de la rétine périphérique (large champ), etune spécialisation des cellules ganglionnaires (bêta,alpha et gamma). Les axones des cellules ganglionnai-res constituent le nerf optique.

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Les deux nerfs optiques se rejoignent au niveau duchiasma où se produit une décussation des fibresnasales constituant ainsi les deux hémichampsvisuels. À ce niveau, quelques fibres rejoignent lesnoyaux suprachiasmatiques transmettant des infor-mations sur les rythmes nycthéméraux (horlogebiologique). La voie visuelle principale emprunte letractus optique.

Avant le corps genouillé latéral (CGL), une partiedes axones quitte la voie visuelle principale et projettevers les noyaux du système optique accessoire quiassurent les réflexes de stabilisation du globe, verscertains noyaux du prétectum qui jouent un rôle dansl’ajustement du réflexe photomoteur, de l’accommoda-tion et du réflexe de poursuite de grands objets enmouvement. Une autre partie des axones projettent versle colliculus supérieur (cellules alpha et gamma) : c’estla voie rétinotectale impliquée dans les mouvementsd’attraction visuelle et vers le pulvinar, constituant lepôle postérieur du thalamus (cellules gamma), qui a unrôle dans l’attention visuelle, la perception dumouvement et la stabilité de l’environnement visuel.

Ces structures projettent directement vers les airesvisuelles secondaires sans passer par le cortex occipital.L’épargne de ces voies dans la cécité cérébrale pourraitexpliquer le phénomène de vision aveugle, oublindsight, ou vision implicite.

Le reste des axones (70 à 80 %) qui constituent lavoie visuelle principale dite rétinogéniculée-striée, seprojette vers les lobes occipitaux via les CGL (noyauxthalamiques). C’est le premier niveau de perception dela vision binoculaire : répartition en couches rétinoto-piques. C’est là aussi que la spécialisation des neuronesse confirme par une organisation en couches magno-cellulaires (M), parvocellulaires (P) et intermédiaireskoniocellulaires (K). Les neurones M, issus des cellulesrétiniennes alpha, ont une conduction rapide, sontsensibles aux forts contrastes, aux mouvements rapideset reçoivent par l’intermédiaire des cellules ganglion-naires spécialisées les stimuli en large champ. Ils n’ontpas les mêmes exigences métaboliques que les neuronesP, et peuvent donc subir des pathologies spécifiques[19]. Les neurones P (cellules bêta) ont une conductionlente et sont sensibles aux faibles contrastes et auxcouleurs. Les cellules ganglionnaires qui les activentont besoin de stimuli prolongés et ont des champsrécepteurs de petite taille mais constitués d’une grandedensité de cellules. Les neurones K (cellules gamma)ont un rôle mal connu (perception des contrastescolorés ?).

Après les CGL, les radiations optiques conduisent lesfibres visuelles vers les lobes occipitaux.

3.1.2. Les aires visuelles primaires (aires striées deV1)

C’est le lieu du traitement primaire de l’informationvisuelle. Les neurones y sont groupés par fonction :origines et cibles des axones, représentation du champvisuel (partie centrale du champ visuel très privilégiée),binocularité et dominance oculaire, sélectivité àl’orientation des stimuli, sélectivité aux basses ouhautes fréquences spatiales.

3.1.3. Les aires visuelles secondaires etassociatives

Elles permettent de finaliser l’image : c’est ledécodage du sens, au niveau gnosique.

Ces aires ont une spécialisation fonctionnelleimportante, mais elles codent parfois plusieurs moda-lités sensorielles et plusieurs aires sont sollicitées pourune même fonction. Ces aires extrastriées intègrent lesinformations d’espace, de dimension, de forme pro-venant des systèmes auditif, vestibulaire, tactile etsomesthésique. Elles se projettent vers les lobespariétaux, temporaux et frontaux avec des connexionssouvent réciproques.

Dans l’aire V2 s’organise encore un tri, cette fois-civers les aires assurant des fonctions spécifiques, tellesque la reconnaissance des formes en mouvement, desformes colorées, des bordures et textures, et desmouvements.

À partir de ces aires occipitales, on peut schématiseren décrivant deux voies corticales (ou systèmes d’airesspécialisées) qui traitent des aspects différents de lascène visuelle, bien que subissant des interactions entreelles :

� la voie occipitopariétale, dorsale, ou voie du where,de l’analyse spatiale. Elle reçoit en particulier lesprojections des couches M des CGL et de la voieextragéniculée-occipitale (voie de la vision impli-cite). Elle gère la vision du mouvement, de lalocalisation spatiale (environnement, position ducorps dans l’espace, lecture de cartes), des fortscontrastes, la coordination visuomotrice (pilote auto-matique de la main). C’est la voie rapide de l’actionen temps réel. Elle participe à la représentationsensorimotrice. Elle permet la vision inconsciente,mais il semble qu’une voie ventrale fonctionnelle soitnécessaire à la conscience spatiale ;� la voie occipitotemporale, ventrale, voie du what, de

la reconnaissance. Celle-ci reçoit, entre autres, lesprojections des couches M, P et K. La conduction yest lente. Elle permet l’identification des formes,textures, couleurs, objets, visages et des faibles

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contrastes. Elle participe à la représentation cognitive(présentation explicite de l’identité des objets) etserait responsable de la vision consciente. Elle seraitle siège du contrôle visuel précis du mouvementvolontaire [4].

3.1.4. Les fonctions cognitives associéesElles sont indissociables des fonctions ci-dessus.

Parmi celles-ci, l’attention visuelle est un mécanismetrès important [20–22]. Elle joue le rôle de filtre quichoisit les informations venant du système de recon-naissance ou du système de localisation spatiale, mais lafenêtre attentionnelle ne peut être efficace que s’il existeun équilibre fonctionnel suffisant entre les deuxsystèmes. Elle est modifiée par la qualité du stimulus,le niveau de vigilance (hyperactivité, médicaments,affectivité), la qualité de la mémoire, la capacité deréponse de l’outil qui utilise de l’information visuelle.Les régions concernées sont les aires préfrontales, lesaires visuelles corticales, le thalamus et le systèmelimbique. De plus, il semblerait qu’il existe unedissymétrie hémisphérique : l’hémisphère droit auraitun rôle dans l’attention spatiale et précoce, etl’hémisphère gauche dans l’attention focale et tardiveet dans la sélection du niveau global ou local del’attention.

De même, la mémoire associative, qui permet decomparer le stimulus visuel identifié au catalogue misen mémoire, est indispensable à la reconnaissancefinale. Encore faut-il que l’enfant ait pu constituer cecatalogue. Il a pu en être empêché par une déficiencevisuelle, motrice, par un défaut de la mémoire, de lastimulation, de l’expérience. Ce catalogue visuelparticipe largement à la représentation mentale.

L’utilisation de l’information visuelle dépend descompétences des autres fonctions cognitives et per-ceptives et des capacités de réponse motrice et decommunication.

Par exemple, lorsqu’on demande à un enfant, s’il en ala possibilité praxique, de montrer un objet, le stimulusvisuel doit suivre le long chemin que nous venons dedécrire, puis l’objet identifié stimule les aires frontalesde prise de décision qui envoient la commande auxcentres moteurs, qui à leur tour activent les moto-neurones de la moelle et enfin les muscles sont mis enmouvement. Ce « rallye cérébral » peut prendrebeaucoup de temps chez un enfant neurologique et ilfaut savoir attendre la réponse.

Si l’acte visuel n’est pas récompensé par laproduction d’une action, ou par l’accès à la significationet à la communication, alors l’appétence visuelles’éteint et le visuel n’est plus utilisé que de façon

fugace et globale. Au cours des diverses activitéséducatives, il faut savoir rendre l’acte visuel productif etsource de satisfaction.

3.2. Les atteintes des voies et aires visuelles

La longueur des voies visuelles et la complexité del’organisation cérébrale de la vision explique sa fragilitéet ses ressources compensatrices, et la multiplicité desatteintes possibles [8,17,23–27].

3.2.1. La substance blancheElle correspond aux voies de communication entre

les aires corticales. Les maladies de la substanceblanche sont les leucodystrophies et la leucomalaciepériventriculaire, qui peuvent toucher aussi les zonessous-corticales et corticales adjacentes (en particulierpariétales). Elles rendent impossibles, lentes oualéatoires les transmissions entre les aires cérébralesprovoquant des séquelles motrices et sensorielles, etpeuvent invalider l’expression des fonctions cognitives.

3.2.2. Les atteintes localisées situées entre lechiasma et les lobes occipitaux

Elles provoquent les hémianopsies et les quadrano-psies, avec ou sans épargne maculaire, dont lasystématisation est bien connue. Les prématurés atteintsde leucomalacie périventriculaire présentent souventune baisse de sensibilité du champ visuel inférieur, quipourrait s’expliquer par le rapport entre le ventriculelatéral et les fibres supérieures des radiations optiques.

3.2.3. Les atteintes des lobes occipitauxUnilatérales, elles se manifestent par une quadrano-

psie ou une hémianopsie latérale homonyme avecépargne maculaire.

L’atteinte bilatérale massive des lobes occipitauxconstitue la cécité cérébrale. Elle se manifeste par unedouble hémianopsie sans épargne maculaire et par laperte de toute vision consciente (malgré l’intégrité del’appareil optique et des voies visuelles intracrânien-nes). Les neurones qui ont quitté la voie visuelleprincipale avant les lobes occipitaux sont épargnés.Ainsi persistent la capacité de repérer des objets enmouvement et d’éviter des obstacles contrastés, lescycles nycthéméraux, même la capacité de réaliser desgestes visuellement guidés et les réflexes pupillaires –

c’est la vision implicite. Les causes sont multiples :traumatique (enfants secoués), infectieuse (encéphaliteherpétique), compressive, toxique (CO2), hypoxique(souffrance fœtale périnatale, arrêts respiratoires). Larécupération se fait habituellement dans le même ordre :

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perception de la lumière, du mouvement, de la couleuret enfin des formes. Cependant, elle est souvent partielleet il faut tenter d’évaluer précisément les séquelles auniveau du champ visuel, du faisceau maculaire et desdifférentes fonctions gnosiques (spatiales et de recon-naissance). Les zones réactivées produisent souvent desinformations visuelles déformées par rapport à cellesqui existaient avant l’accident dans le cas d’une atteintepostnatale, et ne correspondent plus aux référencesmises en mémoire. Elles constituent alors un parasitagequi rend difficile la réorganisation des correspondancesvisuoproprioceptives et des coordinations sensorimo-trices.

L’épilepsie occipitale, lorsqu’elle a pour originestricte le cortex primaire, provoque des manifestationsvisuelles peu élaborées telles que points, lumières,formes simples. Mais si elle est plus étendue, elle peutse manifester par des hallucinations visuelles, maisaussi par les mêmes signes que les séquelles de cécitécérébrale : atteintes partielles au niveau des deux voiescorticales spécialisées. Les crises, parfois nocturnes,peuvent passer inaperçues avec pour conséquence uneperte partielle des acquis (des précédentes séances derééducation, par exemple).

3.2.4. Les atteintes de la voie dorsaleoccipitopariétale : troubles visuospatiaux

La négligence spatiale est un déficit neurologiquetouchant la perception, la représentation mentale et/oula réalisation d’actions dans l’espace. Elle est plussouvent gauche ou bilatérale. Elle n’existe sous cetteforme que lors des lésions neurologiques acquisessecondairement. Les conséquences visuospatiales deslésions précoces sont plus complexes puisque lescoordinations multisensorielles, motrices et oculomo-trices nécessaires à la construction des notions spatialesn’ont pas pu se mettre en place correctement.

Les atteintes de la voie dorsale se manifestent aussipar une absence de globalisation (très invalidante pourla lecture), une désorientation spatiale, des troubles dela localisation spatiale, de la stratégie visuelle, de laconstruction, de l’attention spatiale et des mouvementsoculaires. Les anomalies de la coordination visuomo-trice sont constantes : le contrôle visuel des mouve-ments n’est plus assuré que par la voie ventrale lente, àchamp plus étroit, recrutant beaucoup d’attention et trèsconsommatrice d’énergie. Un mouvement guidé par leseul contrôle visuel focal entraîne une rigidificationtonique et des gestes peu fluides.

Les déficits visuospatiaux apparaissent dans l’espaceen trois dimensions et/ou dans l’espace proche en deuxdimensions. Certains dysfonctionnements dans ce

dernier, les troubles de la globalisation, mettraient encause les réseaux magnocellulaires présents dans lesdeux voies [19].

Il est important de remarquer que les atteintesspatiales existent sans atteinte du champ visuel, si lesvoies visuelles intracrâniennes et les lobes occipitauxsont intacts.

3.2.5. Les atteintes de la voie ventraleoccipitotemporale : troubles de reconnaissancevisuelle

Les agnosies visuelles des images et des dessins sonttrès fréquentes chez l’infirme moteur cérébral (IMC). Ilest souvent intéressant de comparer les capacités dereconnaissance d’un objet, de sa photo, de son dessin,de sa représentation symbolique pour apprécier leniveau de l’agnosie. Il est important de faire ce testavant de proposer des idéogrammes comme langagealternatif.

Il est déroutant de constater que certains enfants sontincapables de reconnaître les images des tests d’acuitévisuelle, mais sont plus à l’aise dans le déchiffrage deslettres.

L’agnosie des signes écrits conventionnels peutconduire aux formes plus ou moins sévères d’alexieglobale. L’alexie verbale ou pure qui se manifeste parune incapacité à lire des mots mais aussi par unecapacité à lire des lettres, peut être confondue avec destroubles de type aphasique. Chez les IMC, les alexiessont souvent associées à d’autres troubles de recon-naissance.

La prosopagnosie (trouble de reconnaissance desvisages) survient souvent comme séquelle de cécitécérébrale ou de souffrance cérébrale diffuse, et elles’associe alors à d’autres troubles neurovisuels,cognitifs, et souvent psychotiques. Dans leurs centres,les enfants atteints de prosopagnosie reconnaissent leséducateurs qui leur sont familiers à certains détailssignificatifs qui ne doivent pas être changés sous peined’inquiétude. Cependant, ils n’ont souvent pas accès àla reconnaissance des visages sur les trombinoscopesaffichés dans les services.

L’examen de très jeunes enfants à risque de lésioncérébrale révèle parfois une nette différence d’intérêtentre les visages et les objets. Soit, seule la fixation surun visage familier ou très stimulant permet d’obtenirune poursuite oculaire, soit, il existe une absence decontact visuel mais un intérêt marqué pour certainsobjets. Ces anomalies de fixation habituellementétiquetés comme du désintérêt visuel ou un retard dematuration, ne seraient-ils pas les prémices de troublesspécifiques de reconnaissance ?

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L’agnosie des couleurs est un trouble de l’accès à lasignification des couleurs. Elle est à différencier d’uneachromatopsie périphérique et d’une anomie. L’enfantpeut associer les couleurs, en établir un classement endégradé, mais il ne sait pas attribuer la bonne couleuraux objets en coloriant et n’utilise pas les indicescolorés pour reconnaître les objets.

Les déficits de la voie ventrale se manifestent aussipar des anomalies du contrôle visuel précis de gesteconscient, le contrôle visuel ne se faisant plus que par lavoie dorsale gérant les mouvements rapides, à champlarge et sans attention focale.

3.3. La difficulté du diagnostic

Le classement des pathologies visuelles cognitivesen fonction des deux voies, ventrale et dorsale, estschématique et doit être considéré comme une aide audiagnostic [10,26,28,29]. Les fonctions cérébrales sontbeaucoup plus complexes, et il reste encore denombreuses inconnues dans la connaissance desmécanismes. Ainsi, on décrit actuellement une asymé-trie latérale : il semblerait que les modules cognitifs del’hémisphère droit soient plus sensibles à la recon-naissance configurale, ceux de l’hémisphère gauche sechargeant de la comparaison des détails et de ladénomination.

De plus, les conséquences des lésions cérébrales del’enfant sont différentes de celles qui sont décrites chezl’adulte, du fait de leurs intrications avec lesphénomènes de développement, même si la connais-sance des pathologies neurovisuelles de l’adulte peutaider à analyser celles de l’enfant [17,27,30].

Les troubles visuospatiaux et les agnosies visuellespeuvent constituer une réelle déficience visuellesévère, souvent mal évaluée. Hors du polyhandicap,les enfants qui en sont victimes sont des déficientsvisuels pouvant avoir 10/10 d’acuité visuelle. Ils ontsouvent du mal à trouver leur place dans les structureséducatives spécialisées et peuvent être orientés vers desservices traitant la déficience mentale, les pathologiespsychiatriques et motrices diverses. Rares sont lesservices pour déficients visuels capables de lesaccueillir avec leurs troubles spécifiques. Dans lecadre du polyhandicap, c’est le diagnostic qui doit êtrerecherché systématiquement car il est fréquent etsouvent masqué. La non-reconnaissance ou le diag-nostic tardif des agnosies visuelles et des déficitsvisuospatiaux chez un enfant normalement intelligentpeut faire apparaître des troubles psychologiques quisont conséquence et non cause des distorsions de sescompétences.

L’évaluation des fonctions visuelles cérébralesnécessite la coopération entre l’ensemble des inter-venants médicaux, rééducatifs et éducatifs, afin deconfronter les données anatomiques, cliniques etfonctionnelles. Le diagnostic des lésions organiquesdonne une orientation vers des fonctions qui peuventêtre invalidées, mais il n’y a pas de correspondanceentre l’importance des lésions révélées par la clinique etl’imagerie, et le pronostic fonctionnel.

L’interprétation des réponses des enfants aux testsexige de se poser la question suivante : s’agit-il d’untrouble de perception, d’identification et d’accès à lasignification ou de restitution motrice ou verbale ? Lebilan des fonctions visuelles cérébrales s’exprime defaçon plus qualitative que quantitative et peut êtreévolutif [31,32]. Il est souvent rendu très difficile par lestroubles de communication fréquents chez ces enfantset l’association d’autres atteintes sensorimotrices. Mais,complétant le bilan de l’éventuelle déficience visuelleorganique, il peut aider à élaborer un mode alternatifd’acquisition des connaissances et de la communication[33].

4. Les mouvements oculaires

Les anomalies des mouvements oculaires représen-tent un signe d’appel des pathologies neurovisuelles. Cesont des gestes qui peuvent subir les mêmes pathologiesque les autres gestes. Ils sont le reflet de l’attentionvisuelle. Autant le diagnostic précis des atteintesneurovisuelles est long et complexe à élaborer, autantl’examen du comportement oculomoteur est facilementaccessible.

L’évaluation et le traitement précoce adapté desincompétences oculomotrices sont très importants. Leregard est l’outil du contrôle des mouvements, de larecherche et de l’acquisition des informations, maisaussi de la communication (échanges interpersonnels).C’est la porte d’entrée qui permettra, au cours de larééducation, d’estimer et de stimuler les compétencesvisuelles cognitives de l’enfant, surtout s’il ne possèdeni communication verbale, ni praxique. Les mouve-ments oculaires représentent l’instrument des liensentre la vision spatiale et la vision focale, entre lescompétences motrices et les compétences sensorielles,et le chemin vers la fixation efficace : il faut « lesregarder bouger leurs yeux pour comprendre commentils voient, leur faire bouger les yeux pour leur apprendreà voir ».

Les mouvements oculaires sont examinés dans lesactivités de motricité conjuguée (saccades, fixation,poursuites, réflexe vestibulo-oculaire [RVO], réflexe

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optocinétique [ROC] et nystagmus optocinétique[NOC]), dans les vergences, et dans les activités decoordination (coordination oculocéphalique, coordina-tion oculomanuelle, posture, contrôle visuo-attention-nel).

4.1. La motricité conjuguée

4.1.1. Les saccadesCe sont des mouvements conjugués rapides, à

déclenchement spatial et à but focal, qui permettentde changer d’image et de mettre en place la stratégied’exploration qui est la plus utilisée [34–39].

Associées aux récepteurs proprioceptifs des musclesoculomoteurs, les saccades ont une valeur calibrantetrès importante. Elles participent ainsi à l’estimation dela distance entre deux cibles, la mesure de l’espace depréhension, la représentation corporelle, la positionrelative des objets entre eux, l’organisation prédictivedu mouvement, et la perception de l’espace accessible àla marche.

La saccade est constituée d’une activité motrice etd’une décharge tonique qui maintient l’œil en positionstable. La phase motrice ne peut se réaliser que s’il y adésengagement de la fixation (saccade = arrêt fixation,et fixation = arrêt saccade). Ces deux mouvementssubissent des contrôles différents. La sensibilité visuelleest supprimée pendant la saccade.

La commande et le contrôle corticaux des saccadesse situent dans la région frontale pour les saccadesintentionnelles, la production motrice saccadique et lamémoire spatiale de travail (champ oculaire frontal[COF], champ oculaire supplémentaire, cortex préfron-tal dorsolatéral), et dans les régions pariétales posté-rieures pour les saccades réflexes et l’intégrationspatiale (cortex oculomoteur pariétal [COP]). Lastructure sous-corticale impliquée dans les saccadesest le colliculus supérieur contenant des couchesspatiales et des couches motrices reliées aux noyauxdu tronc cérébral qui activeront les muscles oculomo-teurs. Le cervelet (vermis) joue un rôle de calibreur de lasaccade. La motivation des saccades intentionnelles sesitue dans le champ oculaire cingulaire et la mémoirespatiale à moyen et à long termes dans la régionhippocampique. Les aires corticales impliquées dépen-dent du type de saccade et plusieurs aires sont activéesdans chaque type de mouvement. Le système decontrôle est très complexe, associant des mécanismesactivateurs et inhibiteurs et des boucles de rétroactionentre les aires corticales et le cerveau profond. Ledéclenchement de la saccade dépend du niveaud’attention spatiale. Les saccades visuoguidées ne se

produisent que s’il existe une perception, mêmeinconsciente, du stimulus visuel. De plus, il sembleexister une latéralisation de l’activité du lobe pariétaldans les saccades : le cortex pariétal postérieur gaucheest activé pendant la phase de décision et de préparation,le droit pendant l’exécution de la saccade [40].

Il est intéressant de remarquer que les mécanismesde déplacement de l’attention visuelle, même enl’absence de tout mouvement oculaire, impliquent leszones cérébrales de commande des saccades (COP,COF) [20]. L’entraînement des mouvements oculaireset du déplacement du locus attentionnel sans mouve-ment oculaire permet d’améliorer le niveau deperception consciente des stimuli analysés par l’uneet l’autre des deux voies de traitement visuel et participeà l’amélioration des troubles neurovisuels [21,27].

Les saccades sont étudiées en fonction de leur modede déclenchement : intentionnelles (à la recherche d’unecible, de mémoire, prédictives, visuoguidées, guidéespar une autre perception sensorielle, sur ordre), réflexes(stimulation sensorielle, phase rapide du NOC),spontanées (à déclenchement interne sans but).

Elles sont étudiées aussi en fonction de leurdirection, de la tenue de tête, de la posture et desautres activités motrices.

Elles peuvent être absentes, mal calibrées, lentes,fatigables, déstructurées, hypométriques, asymétriques,parasitées par d’autres activités motrices (syncinésiesde la face, mouvements d’un membre, etc.), ouremplacées par des mouvements de tête.

4.1.2. Les poursuitesCe sont des mouvements lents, visuoguidés, servant

à maintenir la stabilité de l’image sur la macula, pilotéspar la vision périphérique et par la vision centrale (cibleponctuelle fovéale ou cible large optocinétique).

Dans le cortex frontal, le champ oculaire frontalparticipe à la formation du signal de poursuite. Dans lelobe occipital, ce sont les aires de la voie occipitopa-riétale, situées à la jonction temporopariétale posté-rieure (V5) spécialisées dans l’analyse du mouvement.Les structures corticales projettent vers les noyauxpontiques soumis aussi au contrôle cérébelleux. Lecervelet participe à la coordination des réponses entre lesystème des poursuites et le système optocinétiquecortical et au soutien de la vitesse du mouvement.Normalement, les mouvements des yeux et de la têtesont associés au cours de la poursuite, les yeuxprécédant la tête, ce qui implique la suppression duRVO (inhibition du mouvement de tête). Celle-ci estimpossible en cas de dyspraxie ou de pathologiecérébelleuse.

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Comme les saccades, les poursuites sont étudiéesselon le stimulus, la direction, la vitesse, la qualité, latenue de tête, la posture, le mode de déclenchement.Une poursuite normale doit être lisse sur une cibletonique et, à partir de trois ans, supérieure à un cycle parseconde (un aller-retour d’un pendule de 25 cm présentéà 35 cm du visage).

En pathologie, elle peut être nystagmiforme, rem-placée par des microsaccades successives, fugace avecpertes fréquentes de fixation. Au cours des poursuitessaccadées, la perception visuelle est supprimée. Ellepeut se faire sans fixation réelle, dans ce cas, le réflexepupillaire de proximité est absent. Elle peut être trèslente, voire absente.

Le passage dans l’espace visuel central entraîne desflux hypertonisants qui peuvent altérer la qualité desmouvements dans cet espace.

Les noyaux supranucléaires de commande despoursuites verticales se situent dans la partie postérieuredu plancher du troisième ventricule surplombantl’orifice de l’aqueduc de Sylvius. Cette zone est trèssensible aux hypertensions du liquide céphalorachidien.Dans ces cas, on peut observer le syndrome deParinaud : paralysie supranucléaire de la verticalité,apparaissant d’abord sur l’élévation puis se complétantpar la paralysie de l’abaissement. C’est un élémentclinique simple de surveillance d’une récidive d’hyper-tension intracrânienne chez les enfants hydrocéphales.

4.1.3. La fixationLa fixation est intimement liée aux mouvements

oculaires. C’est un processus actif au cours duquel l’œilest animé de microsecousses sans lesquelles touteperception est impossible (nystagmus physiologique).Deux mécanismes indépendants permettent le maintiende la fixation selon que les yeux sont en positionprimaire ou excentrée.

La fixation représente le niveau de maturation le plusélevé dans le développement de la vision. Elle estindispensable à toute activité discriminative et aucontrôle de la motricité fine, mais elle n’est possible ques’il existe une compétence fovéolaire. De plus, elle nepeut s’appliquer que s’il existe un certain niveau decompétence périphérique et une gestion de la fenêtreattentionnelle suffisamment experte.

De près, la fixation s’associe à l’accommodation, à laconvergence et au réflexe pupillaire de proximité.L’observation de ce réflexe (la pupille se resserrelorsqu’on approche des yeux une cible visuelle nonlumineuse), permet de vérifier que l’enfant est bien entrain de fixer. En cas d’agnosie visuelle sélective, lafixation est variable selon le stimulus : la fixation est

labile sur les cibles non signifiantes. De loin, elle estsouvent plus difficile chez l’enfant neurologique. Elleest absente chez les enfants qui sont en permanencedans la vision périphérique, et donne un aspect destrabisme divergent. Elle peut être labile, excentrée,instable (nystagmus), et ne pas permettre un recrute-ment suffisant en nombre et en durée des cellulesfovéolaires. Il existe une position préférentielle defixation qui est normalement droit devant mais souventdifférente chez le cérébrolésé.

4.1.4. Réflexe vestibulo-oculaire, réflexe etnystagmus optocinétiques

Le RVO permet de compenser un brusque mouve-ment de tête par un mouvement oculaire inverse etd’amplitude égale (gain du RVO = 1) afin de garder lafixité du panorama. Il est présent dès la naissance, maissa réponse est excessive. La manœuvre d’Alajouani dite« des yeux de poupée » le met en évidence. Le signed’Alajouani persiste chez l’enfant aveugle de naissance.Normalement cette réponse excessive s’estompe dès lespremiers jours quand s’installent les premiers élémentsde fixation. Le gain de RVO est égal à 1 à partir de sixmois chez l’enfant voyant, sans atteinte vestibulaire nicérébelleuse. Au sens strict, ce mouvement réflexe nemet en jeu que le vestibule, le noyau vestibulaire,l’archéocervelet, les noyaux et les muscles oculomo-teurs. La comparaison de ces mouvements réflexes avecles autres mouvements oculomoteurs à contrôle corticalpermet de faire la différence entre les atteintesparalytiques ou anatomiques et les déficits d’originesupranucléaire (par exemple, pseudoparalysie des droitsexternes de l’ésotropie congénitale). Cependant, leRVO subit aussi des mécanismes de contrôle corticaux.Il est adaptable et est inhibé par la fixation. Il doit êtreinhibé lors des mouvements de poursuite, mais cetteinhibition est souvent impossible chez l’IMC. Onretrouve un excès du RVO dans certaines incoordina-tions oculocéphaliques. C’est pourquoi il est nécessaire,au début de la rééducation de la motricité conjuguée, demaintenir la tête afin d’empêcher le RVO de s’activer defaçon incontrôlable.

Le ROC fait que toute stimulation depuis la rétinecentrale vers la rétine périphérique provoque unmouvement rapide qui tend à ramener l’image sur lamacula. De la naissance à trois mois, chaque œil saitfixer de la tempe vers le nez, mais pas du nez vers latempe (priorité à l’espace oral). Puis la symétriedirectionnelle s’établit à partir de six mois, constituantle lien entre l’espace central et les espaces périphéri-ques. Tout se passe comme si l’œil droit apprenait del’œil gauche à fixer vers la gauche et si l’œil gauche

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apprenait de l’œil droit à fixer vers la droite. Le NOCmonoculaire est absent dans le sens nasotemporal dansle strabisme congénital au cours duquel le ROC ne s’estpas symétrisé. Ainsi, l’enfant continue à fixer à droiteavec l’œil gauche et à gauche avec l’œil droit entournant la tête pour échapper à l’écran du nez(strabisme à fixation croisée).

Le NOC peut être étudié à l’aide d’un tambour destimulation issu du tambour de Barany. Dans cesconditions, le NOC est constitué d’un mouvement depoursuite dans le sens de la rotation du tambour, puisd’une saccade en sens inverse. Pour que le NOC soitpossible, un certain niveau d’attention visuelle etd’intégrité des mouvements de poursuite et de saccadesest nécessaire.

Chez l’enfant cérébrolésé, les atteintes du NOC sontvariées : désorganisations, asymétries, voire absence.L’absence de saccade de retour peut signifier l’existenced’une hémianopsie dans l’hémichamp vers lequeldevrait être dirigé cette saccade. Le contrôle du NOCest en partie cortical et en partie sous-cortical (il utiliseles mêmes voies que le RVO).

4.2. Anomalies des mouvements oculaires

4.2.1. Les strabismesLes strabismes sont très fréquents chez les enfants

cérébrolésés [26,34,37,41]. Ils revêtent des formesdifférentes de ceux de l’enfant indemne. Ils sontcaractérisés par une grande variabilité de l’angle et uneassociation constante à des troubles oculomoteurs(autres que la déviation), très invalidants pour ledéveloppement et les acquisitions.

Tout strabisme chez un enfant prématuré doit fairerechercher des troubles neurovisuels associés.

Les troubles du regard se manifestent par uneabsence de fixation et d’attention focale chez ledivergent (un divergent qui devient convergent encours de rééducation est en train de mettre en place savision focale). Ils se manifestent aussi par des déficitsmoteurs et attentionnels dans certains espaces visuels(pseudoparalysies, inversion de latéralité de l’explora-tion visuelle dans le strabisme convergent à fixationcroisée), et par des anomalies constantes de la fixation etdes mouvements oculaires conjugués.

L’absence de vision stéréoscopique est peusignifiante par rapport aux troubles de la constructiondes espaces visuels et du calibrage des perceptionsspatiales.

Les amblyopies fonctionnelles unilatérales avecfixation excentrée sont rares du fait de l’absence deconfrontation bifovéolaire par défaut d’activité réelle-

ment focale. En revanche on retrouve, s’il n’y a pas eud’entraînement précis des fonctions visuelles, desamblyopies par absence de fixation sans aucune zonedéfinie de fixation rétinienne. Les amblyopies sontsouvent à la fois fonctionnelles et organiques, etbilatérales asymétriques.

Le traitement, outre la compensation de l’amétropie,passe par la stimulation monoculaire et bi-oculaire del’ensemble des fonctions visuelles motrices, perceptiveset gnosiques. Dans ces conditions, les amblyopiesfonctionnelles sont rares ou peu marquées. L’améliora-tion de la qualité du regard par la rééducation a, enpremier lieu, un effet sur l’angle de déviation et surl’efficacité visuelle, mais aussi sur les échangesinterpersonnels, et donc sur la qualité des stimulationsdiverses.

4.2.2. Les paralysies oculomotrices et lespeudoparalysies

Les paralysies congénitales, les limitations oculo-motrices des strabismes, la position de blocage desnystagmus, les parésies et viscosité des mouvementsdes maladies neuromusculaires, les limitations oculo-motrices des hémianopsies, les paralysies de fonction,sont autant d’anomalies oculomotrices qui empêchentl’unification et l’utilisation des espaces visuels, et quimodifient les coordinations oculomotrices et leséquilibres posturaux.

4.2.3. Déviations du regard et de la tête dans leshémianopsies

Lorsque l’hémianopsie est récente, le regard esttourné du côté opposé à l’hémianopsie, du côté de lalésion cérébrale, avec une absence de mouvementsconjugués du côté de l’hémianopsie. Puis la tête setourne un peu du côté de l’hémianopsie comme pourrecentrer l’hémichamp visuel fonctionnel. Les mouve-ments vers le côté déficitaire restent toujours limités,ainsi que les saccades de retour du NOC.

4.2.4. Les nystagmusLa mauvaise qualité de la fixation provoque une

déficience visuelle. Ils s’accompagnent de troublesimportants des mouvements oculaires. S’il existe uneposition de blocage qui permet la meilleure acuitévisuelle, elle est à respecter dans l’installation despatients.

4.2.5. Le comportement oculomoteur de ladyspraxie visuospatiale

Le regard étant un geste, il est perturbé toutcomme les autres praxies. Les saccades réflexes se

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font avec une incoordination oculocéphalique,la tête précédant le mouvement des yeux. Lessaccades visuoguidées sont imprécises, mal calibrées,accompagnées de saccades d’ajustement. Les sacca-des volontaires sur ordre sans cible visuelle sontdifficiles, voire impossibles à enclencher, surtout si latête est tenue (avant entraînement). Elles s’accompa-gnent de syncinésies du visage traduisant la difficultédu mouvement volontaire caractéristique de ladyspraxie. Les poursuites sont saccadées, la fixationn’est pas maintenue et les poursuites rapides sontimpossibles.

La coordination oculomanuelle et le contrôle visueldu geste sont de mauvaise qualité. Au mieux, le geste estimprécis et mal calibré, révélant des troubles delocalisation. Les troubles du contrôle visuo-attentionnelsont constants.

Cette dyspraxie oculomotrice fait partie de ladéfinition de la dyspraxie visuospatiale duprématuré, associée aux autres signes : dyspraxie(constructive en général) et troubles visuospatiaux.Cependant, il n’y a pas de parallèle absolu entrel’importance des troubles oculomoteurs et des autresdéficits. S’agit-il d’une association avec liens de cause àeffet ou de plusieurs conséquences d’une mêmepathologie ? Quoi qu’il en soit, la rééducation destroubles oculomoteurs, en rendant l’outil visuel pluscompétent permet de limiter les déficits visuospatiaux etde rendre leurs compensations plus fonctionnelles[22,28].

4.2.6. Le syndrome cérébelleuxLes caractéristiques générales du syndrome cérébel-

leux se retrouvent à l’examen des mouvementsoculaires [42,43]. La dyschronométrie s’exprime parun retard du déclenchement du mouvement, l’adiado-cocinésie par la désorganisation des saccades alterna-tives, la dysmétrie par l’hypermétrie des saccadescentripètes (caractéristique des atteintes du vermis),l’asynergie par l’apraxie oculocéphalique et l’absencede contrôle du RVO.

Les poursuites sont nystagmiformes surtout hors del’espace central, et de meilleure qualité tête tenue. Lenystagmus est inconstant.

Ces enfants présentent des dysgraphies, des déso-rientations spatiotemporelles, des troubles attentionnelset leurs compétences cognitives sont souvent sous-estimées.

Le diagnostic peut être évoqué sur le simple examende l’oculomotricité et la prise en soin rééducativeprécoce spécifique est là encore très utile à la qualité desacquisitions.

5. Les relations avec les autres fonctionsperceptives, motrices et cognitives

Certains éléments ayant déjà été évoqués précédem-ment, nous soulignerons ici les exigences et lesutilisations de la vision dans quelques situationspratiques.

5.1. La position préférentielle de fixation, le champvisuel fonctionnel, les espaces visuels préférés, lechamp du regard, l’empan perceptif, la qualité de laperception

Ce sont des notions à connaître afin de proposer àl’enfant la meilleure utilisation possible de sa vision.

5.1.1. La position préférentielle de fixationChez le sujet polyhandicapé, la position préféren-

tielle de la fixation n’est pas droit devant, du fait desanomalies oculomotrices et sensorielles évoquées. Ilfaut donc l’observer et la respecter au quotidien. Enrevanche, en situation de rééducation, les orthoptistestentent d’élargir le champ de cette position, de la rendreplus fonctionnelle. Chez beaucoup d’enfants, la posi-tion du regard droit devant est source d’hypertonies etde rigidification.

5.1.2. Champ visuel fonctionnel, espace visuelpréféré

De même, le champ visuel fonctionnel est àrespecter. Ainsi, il est préférable d’éviter de présenterles activités visuelles et celles qui nécessitent unecoordination oculomanuelle sur une tablette horizon-tale, en cas de difficulté dans le regard en bas, trèsfréquente chez l’ancien prématuré. Le pupitre « aide à lavision » est presque vertical.

Parfois l’espace visuel préféré et l’espace decoordination oculomanuelle ne sont pas les mêmes :il faut alors trouver le compromis confortable.

Dans le cas où il existe un espace visuel latéralpréféré (champ visuel attentionnel, champ du regard), ilest nécessaire de veiller à ce que les activités scolaires,de communication, d’acquisition des connaissancessoient présentées dans cet espace. Cela n’empêche pasde mobiliser le regard depuis les zones de confort versles zones de perception visuelle ou d’oculomotricité,plus difficiles pendant les rééducations, en utilisant desactivités ludiques et néanmoins éducatives.

L’installation de l’outil informatique doit se faire enfonction des informations précises sur l’état desdifférentes compétences visuelles.

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5.1.3. Adaptation de documents, capacités motriceset perceptives

Nombreux sont les enfants dont le champ du regardest limité, les saccades imprécises et l’empan perceptifétroit. Il faut en tenir compte dans les activités scolaireslors du choix des adaptations de documents. Ainsi,certains documents trop agrandis sont plus difficiles àdéchiffrer que s’ils sont écrits dans un espace visuel pluslimité, nécessitant un empan visuel moins large et desmouvements oculaires moins amples. Cependant,lorsque les saccades sont imprécises, il vaut mieuxque les différents éléments signifiants soient bienséparés et facilement repérables, et les textes épurés dedétails inutiles.

Rappelons la nécessité d’évaluer les agnosies et lesdéficiences visuelles instrumentales avant le choix desactivités de communication : pictogrammes, photos,images, indices colorés.

5.2. Maintien artificiel de la posture et efficacitévisuelle

Certains enfants ne peuvent contrôler leurs mouve-ments oculaires que si leur posture est totalementmaintenue artificiellement et si les mouvementsinvolontaires sont bloqués mécaniquement. D’autresau contraire ne peuvent pas bouger les yeux si onentrave les syncinésies. En revanche, un enfant laissétête rejetée en arrière ou tombant sur la poitrine ne peutpas utiliser sa vision.

Tel enfant profondément cérébrolésé et épileptique aperdu, après une arthrodèse rachidienne, l’ébauche decoordination oculomanuelle acquise après des annéesde rééducation. Mais tel autre, cérébelleux, a nettementamélioré la qualité de ses mouvements oculaires aprèsdeux mois de plâtre pour fracture de l’épaule ; ou encorel’enfant dyspraxique a mis en place sa motricitéoculaire volontaire coordonnée, après le port d’unplâtre cervicothoracique pendant plusieurs mois pourune scoliose.

De même, lorsqu’on a pu paramétrer les réponsesoculomotrices dans le but de les utiliser comme modede communication alternatif, il est très important derespecter l’installation de confort de l’enfant afind’interpréter ses réponses avec fiabilité.

Les anomalies de tenue de tête sont d’originecervicale, posturale ou oculomotrice, ces mécanismesétant souvent intriqués dans des proportions variables.Les aides techniques nécessaires à la correction de cesanomalies doivent cependant tenir compte de laposition de tête nécessaire à une vision fonctionnelle[44].

5.3. Utilisation de la vision pour le maintien de laposture et la locomotion

En revanche, il est possible d’utiliser la vision pourtenir la tête. L’entraînement des poursuites verticales etde la fixation améliore le contrôle volontaire de larectitude de la tête. Là encore, le mouvement des yeuxentraîne la tête.

Dans les exercices de locomotion, il est habituelde demander à l’enfant de fixer un but droitdevant et de ne pas le perdre du regard. Cependant,on peut ajouter des repères périphériques, observésavant d’initier la marche, et qui seront utilisés defaçon inconsciente pendant l’activité de déambula-tion.

5.4. Appuis périphériques et distracteurspériphériques

L’utilisation des panneaux structurés procure unappui sur les flux visuels périphériques qui permetd’augmenter le tonus axial, surtout chez les plusjeunes, et de dépasser les difficultés motrices liées àla non unification de l’espace visuel de préhension. Ilspeuvent être utilisés de façon asymétrique pourcorriger les asymétries posturales liées à desdifférences fonctionnelles des espaces visuels[1,45].

Les musiques de fond et certaines stimulationsproprioceptives constituent aussi des appuis périphéri-ques très utiles dans certaines circonstances. Enrevanche, certains enfants sont dans l’incapacitéd’utiliser leur vision focale s’ils sont envahis par desdistracteurs périphériques. Il est alors nécessaire de lesisoler visuellement ou auditivement et d’éviter l’inter-vention de plusieurs personnes en même temps lors desactivités éducatives.

Là encore, il s’agit de favoriser l’équilibre entre lesperceptions spatiales et les perceptions focales.

6. Remarques à propos du polyhandicapé adulte

Des révisions régulières des diagnostics et desévaluations visuelles sont indispensables car il existedes possibilités d’évolution, certaines pathologiesophtalmologiques apparaissant avec l’âge, et certainesopportunités thérapeutiques ayant pu échapper auregard des soignants.

De plus, comme toutes les autres fonctionscognitives et motrices, les fonctions visuelles insuffi-samment stimulées régressent.

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7. Conclusion

Les fonctions visuelles ont un rôle déterminant dansle développement psychomoteur et dans la constructiondes autres fonctions sensorielles, motrices et cognitives.Les mécanismes de la vision représentent une partimportante de l’activité cérébrale.

La longueur et la complexité du cheminement dumessage visuel ainsi que les liens permanents avec lesautres fonctions, expliquent la fréquence, la variété et lacomplexité des atteintes du système visuel.

Le déficit visuel peut alourdir le handicap, maisl’entraînement précoce et adapté de l’outil visuel limiteles pathologies gnosiques et rend leurs compensationsplus fonctionnelles, alors que les forces cognitivescompensatrices peuvent pallier les incompétencesinstrumentales.

L’évaluation des possibles incompétences visuellesest difficile mais nécessaire, et doit être aussi précoceque possible. Elle permet d’apprécier la place de ladéficience de la vision dans l’ensemble du handicap,et d’associer harmonieusement les traitementsophtalmologiques et la rééducation visuelle auxdifférentes prises en charges éducatives et thérapeu-tiques.

Conflit d’intérêt

Aucun.

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