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Penser la psychanalyse avec Lacan

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Penser la psychanalyse avec Lacan

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Du même auteur

Lacan le BorroméenCreuser le nœud

Toulouse, érès, coll. « Point Hors Ligne », 2014.Prix Œdipe le Salon 2015

Au risque de la topologie et de la poésieÉlargir la psychanalyse

Toulouse, érès, coll. « Point Hors Ligne », 2011.

Des mélancoliesavec Jacques Adam, Françoise Gorog,

Anne Juranville, Frédéric Pellion, Antonio Quinet, Danièle Silvestre et Colette Soler,

Paris, Éditions du Champ lacanien, coll. « Cliniques », 2001.

Figures du pireLogique d’un choix, éthique d’un pari

(Dante, Hölderlin, Beckett, Blanchot, etc.), Toulouse, Presses universitaires du Mirail,

coll. « Psychanalyse & », 2000.

Psychanalyse… ou religion ?Du réel au sens : pratique d’une antinomie

Toulouse, érès, 1991.

a-bords de la perversion,Toulouse, Presses universitaires du Mirail,

coll. « Les Série de la Découverte freudienne », n° VI, 1990.

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Michel Bousseyroux

Penser la psychanalyse avec Lacan

Marcher droit sur un cheveu

Point Hors Ligne

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Conception de la couverture :Anne Hébert

Illustration de couverture : Giorgio De Chirico, Œdipe et le sphinx © Adagp, Paris, 2016

Conception des schémas et des figures :Xavier Doumen

Correction et mise en pages :Isabelle Calas

Version PDF © Éditions érès 2016 ic - ISBN 978-2-7492-5084733, avenue Marcel-Dassault, 31500 Toulousewww.editions-eres.com

Aux termes du Code de la propriété intellectuelle, toute reproduction ou représentation, intégrale ou partielle de la présente publication, faite par quelque procédé que ce soit (repro-graphie, microfilmage, scannérisation, numérisation…) sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle. L’autorisation d’effectuer des reproductions par reprographie doit être obtenue auprès du Centre français d’exploitation du droit de copie (cfc), 20, rue des Grands-Augustins, 75006 Paris, tél. 01 44 07 47 70, fax 01 46 34 67 19.

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Table des matières

Liminaire« Le Point le Plus Critique » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11

L’impossible à penser. Penser l’impossibleCe que cernent les discours et qui donne encore

à penser au psychanalyste

1. Pratiques de l’impossible et théorie des discours . . . . . . 212. Cette facticité réelle, « trop réelle », qui, à l’horizon de la psychanalyse en extension, défie la pensée . . . . . . 353. L’acédie, jouissance de la pensée, et le gay sçavoir Pour un traitement éthique de la tristesse . . . . . . . . . . . . . . . . 434. Penser une autre raison depuis Freud Du savoir de l’inconscient au savoir-faire du sinthome . . . . . . . . 575. Penser le déchet de la structure avec l’hétérologie de Georges Bataille L’analyste rebut de l’humanité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 756. Les douze impossibles de la science au regard du réel que cerne la psychanalyse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 95

Penser l’acte, la passe et les fins d’analyseLa voie borroméenne et la voie möbienne

7. Le contrôle au lieu de la passe L’analyste et son acte. Lacan et le rhinocéros . . . . . . . . . . . . . 1098. La passe à l’autre nuit L’expérience du Dehors de Maurice Blanchot . . . . . . . . . . . . . 121

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Penser la psychanalyse avec Lacan

9. La passe par le borr oméen Comment se reconnaître dans le noir ? . . . . . . . . . . . . . . . . . 13110. Apprendre de Beckett, I La dernière bande. Lacan’s last tape . . . . . . . . . . . . . . 13711. Apprendre de Beckett, II. La margarita Au commencement, le symptôme. À la fin, le sinthome ou… ? 155

Penser l’Œdipe et son au-delà avec LacanLe tout et le pastout ; l’objet a et le phallus

le fantasme et le symptôme ; le dire et ce qu’il noue

12. Penser la jouissance : une affaire de pantalon Pourquoi Cantor a-t-il tort ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17913. Penser l’Ombre : féminité et jouissance féminine Le manteau de Freud et la théorie des nuages . . . . . . . . . . . . 20114. Penser l’objet insaisissable au miroir Le vase de Werner Boy et le dahlia noir de l’angoisse . . . . . . . 22515. Penser les phobies : entre peur et attraction L’embarras du phallus . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 24316. Penser l’analyse au-delà de l’Œdipe Ce que la psychanalyse, de réussir, prouve . . . . . . . . . . . . . . 265

Index des noms propres d’auteurs, des personnes et des personnages cités . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 295

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À ma femme Nicole et à ma fille Isaure

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Toute la valeur de mon livre, s’il en a une, sera d’avoir su marcher droit sur un cheveu.

Gustave Flaubert, Lettre à Louise Colet,

nuit du 20-21 mars 1852.

Sapere aude !Ose penser !

Horace, Épîtres,Livre I, 2,40

(devise des Lumières selon Emmanuel Kant)

Si maintenant l’on trouve très difficile le chemin que j’ai montré y mener,

du moins peut-on le découvrir.

Spinoza, Éthique (traduction de Bernard Pautrat)

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Liminaire« Le Point le Plus Critique »

Penser ! Penser… c’est perdre le fil.Paul Valéry, Cahiers

Penser la psychanalyse est une urgence éthique pour le psychanalyste, pour autant que la psychanalyse – qui n’est pas, au contraire de la science (et en dépit du mathème tenté par Lacan), transmissible – est toujours à réinventer.

Mais qu’appelle-t-on penser ? Que veut dire « penser » ? Was heisst Denken  ? C’est le titre de l’allocution de Martin Heidegger qui fut diffusée à la radio bavaroise en mai 1952 1. Nous pouvons penser, dit-il, seulement lorsque nous aimons ce qui est, en soi, « la Chose à considérer », das Bedenken. Cela s’apprend. Nous devons être prêts à apprendre à penser en tant que nous portons à notre attention ce qu’il y a à considérer. La Chose qui est à considérer, Heidegger l’appelle das Bedenklich, qu’on peut traduire par «  la chose critique », «  le point cri-tique » de la réflexion. Alles Bedenkliche gibt zu denken. « Toute chose critique donne à penser.  » Puis il y a ce qui donne et donnera toujours le plus à penser : das Bedenklichste, qu’André Préau traduit, avec des majuscules, par «  le Point le Plus Critique ». Heidegger écrit : «Was ist das Bedenklichste ? Wie zeigt es sich in unserer bedenklichen Zeit ? Das Bedenklichste ist, daß wir noch nicht denken ; immer noch nicht, obgleich

1. M. Heidegger, « Que veut dire “penser” ? », dans Essais et conférences, traduit de l’allemand par A. Préau et préfacé par J. Beaufret, Paris, Gallimard, coll. « Tel », 1980, p. 151-169.

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der Weltzustand fortgesetzt bedenklicher wird. » « Qu’est-ce que le Point le Plus Critique ? En quoi se montre-t-il, à notre époque qui donne elle-même à réfléchir  ? Le Point le Plus Critique se montre en ceci que nous ne pensons pas encore. Toujours pas encore, bien que l’état du monde donne toujours davantage à penser. »

«  Nous qui sommes  », dit Hölderlin dans un projet d’hymne, « un signe, vide de sens », nous, les hommes d’au-jourd’hui, les hommes d’un aujourd’hui qui dure depuis bien longtemps – depuis Parménide – et pour longtemps encore, nous ne pouvons prendre appui que sur ce vide, cet abîme qui se montre en ceci que nous ne pensons pas encore. Toujours pas encore, tant la représentation (le signifié) fait se détourner la pensée de «  ce qu’il faut penser  » et qui appartient, écrit Heidegger, à la présence (die Anwesenheit), à ce qui apparaît comme présence et qui se présente là. L’homme a à se tour-ner vers die Gegenwart, vers la présence d’un impensé dans le présent (au sens du temps) du pensé. Répondre à la question « Was heisst Denken ? », c’est faire un saut dans l’obscurité de cette présence que nous ne pouvons pas penser présentement, toujours pas encore.

Il en va de même pour le psychanalyste. Il a à faire un saut dans le non-élucidé, le toujours pas encore pensé de l’ex-périence. Penser la psychanalyse, c’est prendre en considéra-tion la Chose freudienne – das Ding comme l’appelle Freud, la jouissance comme la nomme Lacan – en son Point le Plus Critique, le plus scabreux. Le réel des jouissances qui nous agitent, qui est le réel de l’expérience psychanalytique, donne toujours davantage à penser aux psychanalystes.

Quel est « le Point le Plus Critique » de la psychanalyse ? C’est le point de l’acte psychanalytique. Car entre la pensée et l’acte il n’y a pas de pont. Il y a un saut : le saut de l’acte psycha-nalytique que Lacan suppose du moment électif de la cure où le psychanalysant passe au psychanalyste, et dont il construit les coordonnées logiques dans le séminaire L’acte psychanaly-tique, qui commence juste après qu’il a fait sa Proposition du 9 octobre 1967 sur la passe.

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Liminaire 13

Ce qui donne le plus à penser au psychanalyste, c’est le « je ne pense pas » de l’acte qui tant lui fait horreur. Ce qui donne le plus à penser au psychanalyste, c’est bien ce qui se montre là où il ne pense pas, là où il y a de l’être qui daseine sans qu’il y pense. L’être qui daseine sans que j’y pense est autre chose que le «  je ne suis pas  » de l’inconscient, soit ce que nous savons depuis Freud : la Chose à considérer dans ce qui, comme sujet, me donne à penser, la Chose dite freudienne pense sans que j’y sois. Avec la Chose freudienne, en effet, la pensée existe comme un « ce n’est pas je qui pense », pour la raison que c’est un savoir sans sujet. Ce « sans su-je » fait plus que porter souci au psychanalyste. Ça l’angoisse. Un tel savoir est anxiogène. Il rend le psychanalyste anxieux, son anxiété tenant au statut analytique du penser.

Le psychanalyste se trouve dans une position intenable, explique Lacan dans « De la psychanalyse dans ses rapports avec la réalité 2 », du fait d’une aliénation qui est conditionnée d’un « je suis » dont, comme pour tous, la condition est « je ne pense pas », mais qui de plus se trouve renforcée de ce rajout que, à la différence de chacun, lui sait. C’est ce savoir qui n’est pas portable et que l’analyste ne partage avec d’autres dans une association qu’à ne pouvoir l’échanger.

L’acte de poser l’inconscient a donc un effet de rupture sur le cogito cartésien. Il exclut le ubi cogito ibi sum, le « là où je pense, ici je suis ». Le « je pense » et le « je suis » ne peuvent être vrais ni ensemble ni par implication. Car la pensée exclut le «  je suis  » de la jouissance, lequel «  je suis  » est «  je ne pense pas ». S’autorisant de la loi de De Morgan selon laquelle la négation de la conjonction de deux propositions est équi-valente à la disjonction des négations de ces deux propositions et qui pose que non (A et B) ↔ ou (non A) ou (non B), Lacan inverse le cogito en un anti-cogito  : ou je ne pense pas ou je ne suis pas.

Cette disjonction, Lacan la place au départ d’un demi-groupe de Klein, au sommet en haut et à droite d’un tétraèdre

2. J. Lacan, « De la psychanalyse dans ses rapports avec la réalité », dans Autres écrits, Paris, Le Seuil, 2001, p. 358-359.

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14 Penser la psychanalyse avec Lacan

d’où partent trois vecteurs, qu’il fait correspondre aux trois opérations logiques de l’analyse. D’une part, « l’opération alié-nation » ouvre sur le wo Es war du ça freudien, qui est la voie de l’acte, définie par un «  je ne pense pas », dont le psycha-nalyste révèle la nécessité. D’autre part, « l’opération vérité » ouvre sur un autre wo Es war, le là où c’était de l’inconscient, qui est la voie d’un faire – faire des associations –, définie par un « je ne suis pas », dont la tâche revient au psychanalysant. Entre les deux, il y a le vecteur de «  l’opération transfert  ». Lacan construit la logique du moment de la passe comme ren-contre entre ces opérations. La passe est conçue par lui comme séparation du (– ϕ) et du (a), de la castration et de son reste, par où l’assomption de la castration se trouve dans le « je ne pense pas le rapport sexuel », alors que le « je ne suis pas » du sujet de l’inconscient s’éclaire du « je suis ça » de l’objet.

Fig. 1. L’anti-cogito et la passe

Ainsi, le discours analytique supporte cette conjonction d’un acte et d’un faire. D’un faire, du côté de l’autre où se place le sujet dans ce discours, et d’un acte, du côté de l’agent où agit l’objet dont l’analyste se fait le semblant. Le faire des associations et du dire-ce-qui-vient relève d’une pensée qui s’appuie contre le signifiant, alors que l’acte, qui opère à ne pas penser, relève de l’objet qui rejette dans le désêtre. L’acte, on le voit bien, n’est pas compatible avec la pensée. Sauf que, si ce qui constitue la finalité d’une école de psychanalyse selon Lacan est l’acte psychanalytique, celui dont témoigne le passage du psychanalysant au psychanalyste, il n’en reste pas

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Liminaire 15

moins qu’une telle école attend de ses ae (analystes de l’École)qu’ils pensent la psychanalyse, en son point le plus critique.

Donner « sa juste place » à ce « je ne pense pas » du psycha-nalyste dans la psychanalyse est donc posé par Lacan comme la condition pour penser la psychanalyse sans être voué à la manquer. Il est sûr que l’analyste la manquera s’il cherche à la penser dans la cure, si pendant les séances, comme le préconise Daniel Widlöcher, il pense devoir penser dans une associa-tivité partagée avec son analysant. Car, quand il se tient à sa place dans le discours analytique, le psychanalyste n’est pas sujet. Et pour penser la psychanalyse il faut l’être, sujet, repré-senté par un signifiant pour un autre signifiant. C’est donc à ce que le psychanalyste vienne, comme sujet, à cette position du psychanalysant, par où le discours analytique s’offre à l’en-seignement, qu’il se pourrait qu’il la pense. Lacan nous en a donné l’exemple dans son séminaire.

Penser la psychanalyse avec Lacan, c’est la penser avec ce que son enseignement (ses Écrits et Autres écrits et le séminaire) nous donne à penser. C’est la penser avec ce que cet enseigne-ment nous donne à penser en son point le plus critique. Quel est le « Point le Plus Critique » de l’enseignement de Lacan ? Il y a bien des points critiques dans son enseignement, comme celui qui a provoqué en 1963 son « excommunication », ou celui de sa Proposition du 9 octobre 1967 sur le psychanalyste de l’École, mais son « Point le Plus Critique » est celui où Lacan pense la psychanalyse au-delà de Freud, par-delà Freud. C’est le point où, en même temps qu’il profère, pour la première fois, dans « Radiophonie », que rien dans l’inconscient ne rend compte du prétendu rapport sexuel, il annonce dans son sémi-naire L’envers de la psychanalyse, en février 1970, que le com-plexe d’Œdipe est strictement inutilisable dans une analyse et ne sert à rien aux psychanalystes, et que l’Œdipe doit être analysé comme un rêve de Freud !

Cela conduit Lacan à penser un au-delà du complexe d’Œdipe qui réponde à une logique de la fonction phallique autre que celle de l’universel œdipien de la castration  : cet au-delà ouvre sur la logique du pastout, qui rend compte de la sexuation des femmes. Il ouvre aussi sur la passe par l’objet a

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16 Penser la psychanalyse avec Lacan

et sur la passe par le réel de l’inconscient. Et surtout, et c’est là que ce « Point le Plus Critique » de la pensée de Lacan – le plus critique de Freud – a une conséquence majeure, d’une portée considérable pour notre façon de penser la psychanalyse, cet au-delà implique une remise en cause radicale, par Lacan, de la doctrine de la métaphore paternelle et du Nom-du-Père tel qu’il l’avait défini en 1957 comme le signifiant de l’Autre de la loi, ce qui, par voie de conséquence, le conduit à promouvoir un nouvel usage, non œdipien, de la fonction Père, repensée non pas tant comme un « dire que non » à la fonction castra-tion que comme un « dire qui noue en nommant », le père n’en étant d’ailleurs pas le seul opérateur. Nouvel usage que justifie, pour Lacan, le cas de James Joyce, d’où il tire une conclusion étonnante et dont les analystes n’ont pas encore mesuré l’inci-dence dans la pratique : la psychanalyse, de réussir, prouve que le Nom-du-Père, on peut s’en passer à condition de s’en servir – au lieu de le servir. S’en servir pour marcher droit sur la corde du réel, plutôt que de marcher sur la tête du père mort, dont l’Œdipe maintient, pour comme le Christ le sauver, le service religieux (alors qu’Œdipe, le héros de Sophocle, est l’abandonné des dieux).

« Qu’est-ce que s’orienter dans la pensée ? », questionnait Emmanuel Kant  3. S’orienter dans la pensée, c’est, depuis Aristote l’arpenteur du Logos, marcher. C’est pourquoi Lacan soutient que nous pensons avec nos pieds. S’orienter dans la pensée, c’est savoir où on met les pieds. Savoir ne pas se four-voyer. Qu’on pense à ce que dit Gustave Flaubert, en train d’écrire Madame Bovary, dans sa correspondance avec Louise Colet : « Toute la valeur de mon livre, s’il en a une, sera d’avoir su marcher droit sur un cheveu, suspendu entre le double abîme du lyrisme et du vulgaire 4. » Pour celui qui se nommait l’homme-plume, son livre ne vaudra qu’à avoir satisfait à cette condition : avoir su marcher droit sur un cheveu. Mais pour marcher droit sur un cheveu que faut-il savoir ? Il faut savoir

3. E. Kant, Qu’est-ce que s’orienter dans la pensée ?, introduit, traduit et annoté par A. Philonenko, Paris, Vrin, coll. « Textes et commentaires », 2001.4. G. Flaubert, Correspondance, tome II, juillet 1851-décembre 1858, présentée, établie et annotée par J. Bruneau, Paris, Gallimard, coll. « La Pléiade », 1980, p. 57.

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se faire fourmi, comme les fourmis rouges de M. C. Escher marchant sur la bande de Möbius. C’est sur ce cheveu que marche la fourmi de l’expérience analytique, au bord du trou de l’inconscient où l’on est désorienté  : elle marche sur le cheveu de la ligne sans points dont la série structure cette bande de Möbius par laquelle, partout, en tout point, l’envers et l’endroit, le désir et la réalité, le savoir et la vérité, l’inconscient et le conscient s’unifient. Mais qu’on y prenne garde  ! Marcher droit sur le cheveu qui fourche de lalangue requiert plus que des paroles : l’efficace d’un dire, dont l’effet de nœud sorte le sujet de ses nœuds d’emmerdes et le hisse à l’existence.

Penser la psychanalyse avec Lacan, c’est la penser en mode non religieux, comme capable de se passer, comme il le disait relisant son séminaire du 17 décembre 1974 avant sa publi-cation dans Ornicar  ?, du  «  recours à la connerie religieuse, à quoi Freud ne manque jamais  : ce qu[’il] di[t] au passage quoique poliment (nous lui devons tout) ». La psychanalyse, nous avons encore du mal à la penser avec Lacan le Borroméen. Nous avons à réinventer une psychanalyse qui se passe du Notre Père – ce qui suppose que nous sachions comme enfer avec le «  dieure  » de l’Achéron qui, au fond de nous, fait, défait, refait le nœud deep propre à chacun.

« L’abîme dans lequel tu veux me rejeter est au plus pro-fond de toi », dit à Œdipe, dans le film de Pasolini, le Sphinx au masque de chouette. Cet abîme au plus profond d’Œdipe, c’est l’inconscient irréductible, là où penser… c’est perdre le fil. Quand il le réinvente, comme quand il construit l’objet a et le réel borroméen, Lacan pense ce que Freud ne pense pas et qui donne encore à penser au psychanalyste – ce que Georges Bataille appelle l’hétérogène.

Marchons droit sur le cheveu de ce que nous ne pensons toujours pas encore, d’en avoir encore perdu le fil.

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L’impossible à penserPenser l’impossible

Ce que cernent les discours et qui donne encore à penser au psychanalyste

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CollectifJabès, Le livre lu en Israël

Gérard HaddadJérusalem 2

Jorge Luis Borges, Bernardo GandullaLeopoldo Torres-Aguero et Isidoro Vegh Incidences freudiennes de l’écrit

Jean-Noël VuarnetLe Candelaio

Gérard HaddadJérusalem 1

Gérard Pommier Libido illimited

Marco FocchiLa langue indiscrète

Jean GuirPsychosomatique et cancer

Francois Flahaut Jeu de Babel

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