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S eine-et-Marne Le Parisien / Jeudi 26 septembre 2013 V A près un été particulière- ment clément, les quel- ques mûriers et autres ar- bres fruitiers qu’on trouve en bord de Marne, entre Chelles et Champs-sur-Marne, sont chargés de fruits sucrés et gorgés de soleil. Pour le plus grand bonheur de quelques perruches à collier. Ces oiseaux originaires des tropiques et qui nichent depuis quelque temps dans le secteur. « On ne les avait pas vues de tout l’hiver, puis elles sont reve- nues au début de l’été », précise Didier, dont la maison de Chelles jouxte un jardin à l’abandon où est planté un prunier prisé des volatiles colorés. « J’en ai compté huit. Elles viennent en fin de jour- née picorer. Puis, en général, elles partent en groupe avec un dernier fruit dans le bec », raconte sa fem- me, Monique. « Ce sont de très beaux oiseaux, assez gros pour des perruches d’ailleurs, puis- qu’ils font à peu près la taille d’une tourterelle », précise Didier. Ils s’étonnent que ces oiseaux, qu’ils ont vus par centaines au cours de leurs dernières vacances aux Canaries, se soient habitués à un climat tout sauf tropical. Pourtant, depuis quelques an- nées, les perruches à collier pros- pèrent en Ile-de-France. Estimées à 1 600 fin 2011, elles seraient dé- sormais plus de 3 000 ! Par ail- leurs, jusqu’ici cantonnées essen- tiellement aux alentours de leurs lieux de reproduction historiques (aux confins des Hauts-de-Seine, du Val-de-Marne et de l’Essonne ainsi qu’à la frontière de la Seine- Saint-Denis et du Val-d’Oise), leur présence tend à s’étendre dans toute la région. C’est notamment le cas en Seine-et-Marne et dans l’Oise, dont elles étaient quasi- ment absentes avant 2008. « Nous avons eu énormément de retours de particuliers dans ces deux dé- partements à partir du prin- temps », indique Phlippe Cler- geau, professeur chargé du dos- sier « perruches à collier » au Mu- séum national d’histoire naturelle. « Cela nous laisse pen- ser que des sites de nidification ont émergé dans le secteur », ajou- te le professeur. Le phénomène est d’ailleurs loin de se cantonner à la région parisienne. « En parallèle de l’étu- de francilienne, nous avons mis en place un comptage national car on en observe de plus en plus en province, notamment à Mar- seille (Bouches-du-Rhône), Tou- louse (Haute-Garonne) et à Ville- neuve-d’Ascq (Nord) », précise Philippe Clergeau. Mais aussi dans une douzaine de pays euro- péens, comme le Royaume-Uni, la Belgique, les Pays-Bas, la Grèce ou l’Espagne. Si les recherches sur sa possible nuisibilité pour la faune et la flore locales sont encore bal- butiantes (lire ci-contre), une cho- se est sûre : leurs crottes salissent autant que celles des pigeons ! GRÉGORY PLESSE 3 000perruchesàcollier nichentenIle-de-France Observées en région parisienne à l’état sauvage depuis les années 1970, les perruches à collier, originaires des tropiques, se plaisent en Ile-de-France où leur nombre a doublé depuis 2011. Ces oiseaux exotiques prolifèrent en Ile-de-France. Ils sont notamment apparus récemment dans le secteur de Chelles et Champs-sur-Marne, où elles étaient quasiment inexistantes en 2008. (Mohammed Bouloussa.) P hilippe Clergeau est profes- seur au Muséum national d’histoire naturelle. Il dirige une étude financée par les conseils généraux de Seine-Saint- Denis et des Hauts-de-Seine, des- tinée à recenser la population, les principaux lieux de nidification, d’alimentation et les dortoirs des perruches à collier en Ile-de-Fran- ce. PHILIPPE CLERGEAU. Com- ment les perruches à collier sont-elles arrivées en Ile-de- France ? Elles ont été introduites dans les années 1970, comme animaux d’ornement. Les principaux lieux de nichage, proches des aéroports parisiens, nous laissent penser qu’un certain nombre de spéci- mens, au moins une cinquantai- ne, se seraient échappés d’un conteneur depuis Orly (94). Le même scénario s’est reproduit au début des années 1990 à Roissy, auquel se sont très certainement ajoutés des lâchers de particu- liers. Encore aujourd’hui, ce sont dans des zones proches des aéro- ports, aux frontières du Val-de- Marne et de l’Essonne au sud et de la Seine-Saint-Denis et du Val- d’Oise au nord qu’on retrouve la plus forte concentration de perru- ches à collier. Mais comment ces oiseaux tropicaux, originaires d’Afri- que équatoriale et d’Asie du sud, peuvent-ils survivre sous nos latitudes, en parti- culier l’hiver ? Il faut d’abord savoir qu’en Inde, on peut observer des perruches à collier assez haut sur l’Himalaya. Ensuite, c’est l’une des raisons pour lesquelles elles privilégient les zones urbaines denses, où la température est plus élevée qu’en rase campagne. Mais c’est surtout grâce à l’homme qu’elles se sen- tent si bien en région parisienne : ce sont de jolis oiseaux que les gens prennent plaisir à nourrir, et avec des aliments très riches, comme des cacahuètes ou des graines de tournesol, qui leur per- mettent d’assurer leur survie l’hi- ver. Les spécimens que nous avons bagués nous montrent qu’ils passent plus de la moitié de leur temps consacré à l’alimenta- tion sur les mangeoires installées chez des particuliers ou dans les jardins publics. Leur nombre a doublé en deux ans. Sont-elles nuisibles à la faune et la flore locales ? Il n’y a pas encore eu d’étude sur le sujet en France. Nous allons en lancer une l’année prochaine. El- les sont considérées comme nui- sibles en Inde, où elles se nourris- sent des bourgeons et ravagent les cultures. A Londres, où on en dénombre plus de 25 000, une étude a été menée dans ce sens suite aux plaintes de riverains à cause des bruits émis par les per- ruches. Et les viticulteurs du Grand Londres les accusent de manger les bourgeons de leurs vi- gnes. Par rapport à la faune, on sait qu’elles peuvent voler la pla- ce des sitelles torchepot, qui ni- chent également dans des cavités d’arbres l’hiver. Mais on n’en est pas totalement sûr non plus. C’est un sujet très délicat où l’affectif prend souvent le dessus sur le scientifique. Propos recueillis par G.P. « C’est grâce à l’homme qu’elles sont aussi bien en région parisienne » INTERVIEW PhilippeClergeau, professeurauMuséumnationald’histoirenaturelle Philippe Clergeau est spécialiste de l’écologie urbaine. (DR.) L a perruche à collier est un oiseau qui se nourrit essentiellement de baies et de graines. D’une taille et d’une envergure d’environ 40 cm, elles sont facilement reconnaissables à leur plumage vert clair, à leur bec rouge et arrondi, ainsi qu’à leur cri puissant et strident. Seuls les mâles adultes portent un collier rose et noir. C’est un oiseau sédentaire et social, puisqu’il vit essentiellement en groupe. Ces perruches se regroupent notamment lors des périodes de reproduction à la fin de l’hiver et de la fin de l’été jusqu’en hiver, dans des dortoirs, en l’occurence des arbres creux et assez âgés. C’est à ces périodes qu’on peut voir et entendre des groupes assez importants. Où les observer ? En Essonne : au square Arthur Clark à Wissous, dans la zone industrielle des Lilas à Morangis. Dans les Hauts-de- Seine : dans le parc du lycée Lakanal et au Parc de Sceaux, au parc Heller, à Antony. En Seine- Saint-Denis : au parc de la Poudrerie à Sevran et au parc du Sanatorium à Villepinte. Dans le Val- de-Marne : au parc de la Roseraie à l’Haÿ-les-Roses. A Paris : au parc Montsouris et dans le bois de Vincennes. Comment participer à leur recensement ? En faisant part de vos observations sur la base de données participative de la Ligue de protection des oiseaux (LPO) en Ile- de-France : www.faune- iledefrance.org. Ou en les adressant directement à Phlippe Clergeau par mail à l’adresse [email protected]. Faut-il les nourrir ? Leur nuisiblité pour la faune et la flore autochtones n’étant ni avérée, ni écartée, par mesure de précaution, la LPO Ile-de- France recommande aux particuliers de ne pas les alimenter afin de ne pas favoriser leur expansion. G.P. Des oiseaux au plumage vert et au bec rouge (DR.) De jolis oiseaux que les gens prennent plaisir à nourrir” Elles sont revenues au début de l’été” Didier, un habitant de Chelles Une étude francilienne et un comptage national mis en place” Le Muséum d’histoire naturelle

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Seine-et-Marne L e P a r i s i e n / J e u d i 2 6 s e p t e m b r e 2 0 1 3

V

Après un été particulière-ment clément, les quel-ques mûriers et autres ar-bres fruitiers qu’on trouve

en bord de Marne, entre Chelles etChamps-sur-Marne, sont chargésde fruits sucrés et gorgés de soleil.Pour le plus grand bonheur dequelques perruches à collier. Cesoiseaux originaires des tropiqueset qui nichent depuis quelquetemps dans le secteur.

« On ne les avait pas vues detout l’hiver, puis elles sont reve-nues au début de l’été », préciseDidier, dont la maison de Chellesjouxte un jardin à l’abandon oùest planté un prunier prisé desvolatiles colorés. « J’en ai comptéhuit. Elles viennent en fin de jour-née picorer. Puis, en général, ellespartent en groupe avec un dernierfruit dans le bec », raconte sa fem-me, Monique. « Ce sont de trèsbeaux oiseaux, assez gros pour

des perruches d’ailleurs, puis-qu’ils font à peu près la tailled’une tourterelle », précise Didier.Ils s’étonnent que ces oiseaux,qu’ils ont vus par centaines aucours de leurs dernières vacancesaux Canaries, se soient habitués àun climat tout sauf tropical.

Pourtant, depuis quelques an-nées, les perruches à collier pros-pèrent en Ile-de-France. Estiméesà 1 600 fin 2011, elles seraient dé-sormais plus de 3 000 ! Par ail-leurs, jusqu’ici cantonnées essen-tiellement aux alentours de leurslieux de reproduction historiques(aux confins des Hauts-de-Seine,du Val-de-Marne et de l’Essonneainsi qu’à la frontière de la Seine-Saint-Denis et du Val-d’Oise), leurprésence tend à s’étendre danstoute la région. C’est notammentle cas en Seine-et-Marne et dansl’Oise, dont elles étaient quasi-

ment absentes avant 2008. « Nousavons eu énormément de retoursde particuliers dans ces deux dé-partements à partir du prin-temps », indique Phlippe Cler-geau, professeur chargé du dos-sier « perruches à collier » au Mu-s é u m n a t i o n a l d ’ h i s t o i r enaturelle. « Cela nous laisse pen-ser que des sites de nidificationont émergé dans le secteur », ajou-te le professeur.

Le phénomène est d’ailleursloin de se cantonner à la régionparisienne. « En parallèle de l’étu-de francilienne, nous avons misen place un comptage nationalcar on en observe de plus en plusen province, notamment à Mar-seille (Bouches-du-Rhône), Tou-louse (Haute-Garonne) et à Ville-neuve-d’Ascq (Nord) », précisePhilippe Clergeau. Mais aussidans une douzaine de pays euro-péens, comme le Royaume-Uni, laBelgique, les Pays-Bas, la Grèce oul’Espagne. Si les recherches sur sapossible nuisibilité pour la fauneet la flore locales sont encore bal-butiantes (lire ci-contre), une cho-se est sûre : leurs crottes salissentautant que celles des pigeons !

GRÉGORY PLESSE

3 000perruchesàcolliernichentenIle-de-FranceObservées en région parisienne à l’état sauvage depuis les années 1970, les perruches à collier,originaires des tropiques, se plaisent en Ile­de­France où leur nombre a doublé depuis 2011.

Ces oiseaux exotiques prolifèrent en Ile­de­France. Ils sont notamment apparusrécemment dans le secteur de Chelles et Champs­sur­Marne, où elles étaientquasiment inexistantes en 2008. (Mohammed Bouloussa.)

P hilippe Clergeau est profes-seur au Muséum nationald’histoire naturelle. Il dirige

une étude financée par lesconseils généraux de Seine-Saint-Denis et des Hauts-de-Seine, des-tinée à recenser la population, lesprincipaux lieux de nidification,d’alimentation et les dortoirs desperruches à collier en Ile-de-Fran-ce.PHILIPPE CLERGEAU. Com-ment les perruches à colliersont-elles arrivées en Ile-de-France ?Elles ont été introduites dans lesannées 1970, comme animauxd’ornement. Les principaux lieuxde nichage, proches des aéroportsparisiens, nous laissent penserqu’un certain nombre de spéci-mens, au moins une cinquantai-ne, se seraient échappés d’unconteneur depuis Orly (94). Lemême scénario s’est reproduit audébut des années 1990 à Roissy,auquel se sont très certainementajoutés des lâchers de particu-liers. Encore aujourd’hui, ce sontdans des zones proches des aéro-ports, aux frontières du Val-de-Marne et de l’Essonne au sud etde la Seine-Saint-Denis et du Val-d’Oise au nord qu’on retrouve laplus forte concentration de perru-ches à collier.Mais comment ces oiseauxtropicaux, originaires d’Afri-que équatoriale et d’Asie dusud, peuvent-ils survivre

sous nos latitudes, en parti-culier l’hiver ?Il faut d’abord savoir qu’en Inde,on peut observer des perruches àcollier assez haut sur l’Himalaya.Ensuite, c’est l’une des raisonspour lesquelles elles privilégientles zones urbaines denses, où latempérature est plus élevée qu’enrase campagne. Mais c’est surtoutgrâce à l’homme qu’elles se sen-tent si bien en région parisienne :

ce sont de jolis oiseaux que lesgens prennent plaisir à nourrir, etavec des aliments très riches,comme des cacahuètes ou desgraines de tournesol, qui leur per-mettent d’assurer leur survie l’hi-ver. Les spécimens que nousavons bagués nous montrentqu’ils passent plus de la moitié deleur temps consacré à l’alimenta-tion sur les mangeoires installéeschez des particuliers ou dans lesjardins publics.Leur nombre a doublé endeux ans. Sont-elles nuisiblesà la faune et la flore locales ?Il n’y a pas encore eu d’étude surle sujet en France. Nous allons enlancer une l’année prochaine. El-les sont considérées comme nui-sibles en Inde, où elles se nourris-sent des bourgeons et ravagentles cultures. A Londres, où on endénombre plus de 25 000, uneétude a été menée dans ce senssuite aux plaintes de riverains àcause des bruits émis par les per-ruches. Et les viticulteurs duGrand Londres les accusent demanger les bourgeons de leurs vi-gnes. Par rapport à la faune, onsait qu’elles peuvent voler la pla-ce des sitelles torchepot, qui ni-chent également dans des cavitésd’arbres l’hiver. Mais on n’en estpas totalement sûr non plus. C’estun sujet très délicat où l’affectifprend souvent le dessus sur lescientifique.

Propos recueillis par G.P.

«C’estgrâceàl’hommequ’ellessontaussibienenrégionparisienne»

I N T E R V I E W PhilippeClergeau,professeurauMuséumnationald’histoirenaturelle

Philippe Clergeau est spécialiste del’écologie urbaine. (DR.)

L a perruche à collier est unoiseau qui se nourritessentiellement de baies et de

graines. D’une taille et d’uneenvergure d’environ 40 cm, ellessont facilement reconnaissables àleur plumage vert clair, à leur becrouge et arrondi, ainsi qu’à leur cripuissant et strident. Seuls les mâlesadultes portent un collier rose etnoir. C’est un oiseau sédentaire etsocial, puisqu’il vit essentiellementen groupe. Ces perruches seregroupent notamment lors despériodes de reproduction à la fin del’hiver et de la fin de l’été jusqu’enhiver, dans des dortoirs, enl’occurence des arbrescreux et assezâgés. C’est à cespériodes qu’onpeut voir etentendre desgroupes assezimportants.Où lesobserver ? EnEssonne : au square ArthurClark à Wissous, dans la zoneindustrielle des Lilas àMorangis. Dans les Hauts­de­Seine : dans le parc du lycéeLakanal et au Parc de Sceaux, auparc Heller, à Antony. En Seine­Saint­Denis : au parc de laPoudrerie à Sevran et au parc duSanatorium à Villepinte. Dans le Val­de­Marne : au parc de la Roseraie àl’Haÿ­les­Roses. A Paris : auparc Montsouris et dans

le bois de Vincennes.Comment participer à leurrecensement ? En faisant part devos observations sur la base dedonnées participative de la Ligue deprotection des oiseaux (LPO) en Ile­de­France : www.faune­iledefrance.org. Ou en les adressantdirectement à Phlippe Clergeau parmail à l’adresse [email protected]­il les nourrir ? Leur nuisiblitépour la faune et la flore autochtonesn’étant ni avérée, ni écartée, parmesure de précaution, la LPO Ile­de­France recommande aux particuliersde ne pas les alimenter afin de nepas favoriser leur expansion.

G.P.

Des oiseaux au plumagevert et au bec rouge

(DR.)

“De jolis oiseauxque les gens

prennent plaisirà nourrir”

“Elles sontrevenues au début

de l’été”Didier, un habitant de Chelles

“Une étudefrancilienne et un

comptage nationalmis en place”

Le Muséum d’histoire naturelle