phgie éco

Embed Size (px)

Citation preview

  • 7/25/2019 phgie co

    1/29

    1

    La science conomique sous le regard de Husserl

    (Version provisoire de fvrier 2008, ne pas citer, merci)

    Thierry POUCH1

    La science conomique a cette particularit que les crises quelle traverse ne sont que fortpeu souvent des crises paradigmatiques, o un modle dominant est rfut et laisse place unconcurrent plus efficace dans sa capacit expliquer le monde de lconomie. Au contraire,les crises que connat la discipline se distinguent par une srie de critiques portant sur sastructure interne, en loccurrence sa tendance se mathmatiser outrance au risque deperdre contact avec la ralit de lconomie. Son dsir de faire science la pousse estimerquelle disposait des instruments raccourcissant la distance qui la sparait jusque l de

    disciplines comme la physique. Le discrdit est dautant plus profond que ses rpercussionsse font sentir jusque dans la sphre de lenseignement suprieur o lconomie est enseigne.La rcurrence de ces controverses interpelle lconomiste. Et ce dernier peut se demander siune incursion dans la philosophie de Husserl nest pas mme de rsoudre lnigme de cettemathmatisation de lconomie.

    Mots-Cls : science conomique philosophie histoire de la pense conomique

    mathmatiques Husserl

    The economic science has this particularity that moments of crises it can experiment arerarely paradigmatic, that is, periods when a dominating model is questioned and leaves theground to a competing one that reveals more efficient in its capacity to explain the economicworld. On the contrary, the crisis undergone by the discipline differ in the sense that thecriticisms addressed to the theory concern its internal structure namely its tendency toovermathematise the real world at the risk of loosing ground with the economic reality. Itsdesire to become a science as such led it to think that it had at its disposal the scientific toolscapable of shortening the distance that separated it from a discipline such as physics. Thedisrepute is so deep that its consequences can be felt as far as within the universities whereEconomics is taught. These sharp and recurring controversies call out the attention of theacademic economist who can only wonder whether reading Husserls philosophy would not

    help solve the enigma of the mathematization of Economics.

    Key-Words : economics philosophy history of economic thought mathematics

    Husserl

    Classification JEL : A11, A12, B16, B41, N01

    1Chercheur associ lUniversit de Reims-Champagne-Ardenne, Laboratoire Organisations Marchandes et Institutions(OMI-ESSAI EA 2065), et conomiste lAssemble Permanente des Chambres dAgriculture, Sous-direction conomie etPolitiques Agricoles. Courriel : [email protected]

  • 7/25/2019 phgie co

    2/29

    2

    ans une contribution un ouvrage qui fit date par la problmatique adopte et par

    les questions fondamentales quil souleva pour la science conomique, E.

    Malinvaud informa la profession des conomistes que la discipline stait de

    manire irrversible rapproche des sciences dures2. Le diagnostic quil livra cette occasion

    tait le suivant : le processus de rapprochement vers les sciences dures stait engag selon lui

    partir de la seconde moiti du vingtime sicle, et lon ne voyait pas comment il pourrait

    scarter de cette trajectoire. En dpit des quelques rserves quE. Malinvaud mettait quant

    la fiabilit de la science conomique compare celle qui se dgage des sciences dures, il

    tait donc question dun point daboutissement pour une discipline qui cherchait latteindre

    depuis sa formation vers la fin du dix-huitime sicle. Que des carts subsistent entre les deux

    champs, celui des sciences de la nature et celui de la science conomique, notamment en

    termes de mthodologie et de fiabilit des rsultats, nempchait dsormais plus les

    conomistes de savourer un tel sentiment de satisfaction, aprs des dizaines dannes defforts

    et de luttes pour faire triompher cette perspective. Le dsir de voir la science conomique

    affuble de tous les attributs de la scientificit tait enfin combl. Ce faisant, experts des

    mthodes quantitatives en conomie et conomistes taient parvenus selon Malinvaud

    accder cette promesse galilenne dinstaller leur discipline dans le monde de lobjectivisme

    et des rgularits calculables grce la prcision et la robustesse de loutillage

    mathmatique.

    La posture adopte par lancien professeur au Collge de France ne laisse place au

    moindre doute. Elle vient en quelque sorte clore un dbat vieux de prs de deux sicles,

    malgr les rsistances et les tentatives de faire de lconomie autre chose que ce quelle est

    devenue, savoir une discipline apte se rapprocher du rel et le dcrire. Le long

    cheminement vers la scientificit emprunt par les conomistes se rclamant du projet

    galilen, accompli avec toute la tnacit que lon connat, sest souvent heurt des critiques

    parfois vigoureuses ouvrant la voie ce que H. Brochier avait nomm la balkanisation dela science conomique (Brochier [1988]). La tension dans laquelle a volu la discipline, et

    qui la caractrise encore aujourdhui, sest manifeste il y a quelques annes par la fronde

    organise par les lves de lcole Normale Suprieure et les tudiants des Universits

    franaises dans lesquelles lconomie est enseigne, lencontre dune science qui nnonce

    et nimpose quune vision du monde, qui larraisonne au calcul, aux grandeurs, sans autre

    2Il sagit de louvrage publi par A. dAutume et J. Cartelier (ds.) [1995], Lconomie devient-elle une science dure ? ,ditions Economica, ouvrage dans lequel E. Malinvaud signa larticle Lconomie sest rapproche des sciences dures,mouvement irrversible mais achev , p. 9-17.

    D

  • 7/25/2019 phgie co

    3/29

    3

    alternative, inscrivant ainsi leur dmarche en faveur dun pluralisme mthodologique leur

    faisant cruellement dfaut pour apprhender la socit dans laquelle chacun de nous vit.

    Quel que soit le regard que lon porte sur ces questionnements, le crdit quon leur

    accorde, ils sont illustratifs du doute qui sest empar des apprentis conomistes comme de

    bon nombre de spcialistes, mme si chez ces derniers ce doute est souvent ressenti in petto,

    vis--vis dune discipline qui, force de postuler quil existe des lois naturelles en conomie,

    prouve de srieuses difficults rendre compte de manire raliste des grands problmes de

    notre temps conomique, et agir sur eux. Lcart se creuse entre la multitude des recherches

    suivies de publications, limpressionnante nergie intellectuelle mobilise pour rendre visibles

    les rsultats de ces recherches, et une vie conomique dont lorganisation et lintelligibilit

    semblent encore totalement chapper la profession. La scientificit de lconomie, tant

    recherche, suscitant sans doute beaucoup de fiert et conduisant la dtention dun pouvoir

    au sein mme de linstitution universitaire, tombe aujourdhui, et ncessairement, sous le

    regard du philosophe E. Husserl (1859-1938).

    Pourquoi Husserl ? Quest-ce qui pourrait justifier que la philosophie husserlienne, si peu

    voire pas du tout investie par les conomistes, sintroduise dans des controverses rserves

    des chercheurs qui ont tant uvr pour justement expulser comme un corps tranger tout

    discours philosophique ? Le sort qui fut rserv K. Marx, ou mme, aprs lui, aux

    sociologues et leur prtention de construire une alternative la naturalisation des

    phnomnes conomiques, aurait d pourtant nous inciter considrer que les livres de

    philosophie sont, en conomie, des livres brler. Querelle dun autre ge dira-t-on au regard

    des progrs accomplis en conomie. Sauf quelle semble corroborer le message que

    Schumpeter livra dans son History of Economic Analysis de 1954, selon lequel lconomie

    peut elle-mme se dfaire des opinions philosophiques, justifies dans le seul cas dun

    systme pr-analytique qui devra ensuite rester forcment indpendant du travail scientifique

    (la clbre thse schumpetrienne du voile philosophique , jumelle en quelque sorte du voile de la monnaie des thoriciens no-classiques, montaristes en particulier).

    Dailleurs, le tome III de cette History sintitula Lge de la science, comme pour indiquer

    demble aux lecteurs quils allaient devoir simprgner du saut qualitatif que venait

    daccomplir lconomie. Et justement, dans la priode actuelle, il semble bien qu mesure

    que lconomie accde au statut de science, samenuise la part des fondements philosophiques

    contenus dans une pense pr-analytique (ce sera dailleurs lun des thmes fdrateurs du

    Cercle de Vienneau dbut du vingtime sicle (Ouelbani, [2006])).

  • 7/25/2019 phgie co

    4/29

    4

    Pour poser un pralable ce travail, disons que, en accdant ce vieux rve galilen de

    faire de lconomie une science, les conomistes ont pens pouvoir saffranchir de la critique

    svre que Husserl avait nonce lendroit de la science galilenne de la nature et des

    mathmatiques en particulier. Or cest parce que lconomie a t porte au devant de

    lintention qui fut celle de Galile pour les sciences de la nature, quelle est devenue du coup

    lune, si ce nest la dernire des disciplines devoir connatre son tour cette entreprise

    gnralise de doute quant la signification et la porte de sa scientificit. Elle est dsormais

    concerne par la dmonstration qunona Husserl dans sa srie de confrences de 1935-1936,

    runies depuis dans La crise des sciences europennes et la phnomnologie transcendantale.

    Husserl fut en effet le philosophe qui souhaita, dans son crit testamentaire, revenir aux

    choses mmes (Lebenswelt), et nous alerter des dangers dune mathmatisation de la ralit,

    sur la perte de signification de la science galilenne pour lexistence des hommes.

    Le temps est venu, au regard de lvolution de la science conomique, dinclure

    lconomie dans le pluriel des sciences europennes et dans leur crise. Le brutal

    diagnostic que dressait Husserl ds le dbut de son cycle de confrences prononces Prague

    vaut pour la science conomique contemporaine et ne peut que hanter lconomiste qui

    devrait pourtant admettre que son travail intellectuel sinscrit dans le monde : dans la

    dtresse de notre vie, cette science na rien nous dire 3. Dtresse de notre vie puisque cette

    vie est expose dsormais au rgne du calcul cot-avantage, de la rationalit triomphante et de

    labsorption de la socit par lconomie (Latouche [2005]). Il ne saurait par consquent tre

    question de revenir ici sur le problme de la scientificit de lconomie. Ce nest pas cette

    scientificit qui est en cause mais bien la mthode pour y parvenir. Nous admettrons le fait

    quelle dtient le statut de science comme que lui accorde E. Malinvaud dans son texte.

    Dailleurs, Husserl lui-mme prvient son auditoire lorsquil indique, au tout dbut de la

    premire partie de la Krisis, que son intention nest pas de jeter le discrdit sur la scientificit

    des sciences, mais de sinterroger sur la signification de cette scientificit pour lexistence deshommes.

    Notre intention nest par consquent pas de produire une conomie phnomnologique ,

    projet qui serait hors de notre porte dans limmdiat car il exigerait une matrise parfaite de

    la phnomnologie, et qui sortirait de surcrot des limites quimposait la rdaction dun article

    dconomie. Ce qui nous intressera tout au long de cet article, cest une autre question.

    Pourquoi le monde construit par la science conomique grce son outillage mathmatique

    3 Dans tout ce qui suivra, nous utiliserons ldition franaise de Die Krisis der Europaischen Wissenschaften und dieTranszendentale Phaenomenologie, tablie par G. Granel et publie aux ditions Gallimard en 1976, puis dans la collection Tel en 1989, sous le titre La crise des sciences europennes et la phnomnologie transcendantale.

  • 7/25/2019 phgie co

    5/29

    5

    est dsormais pris pour le monde rel, pour notre vcu quotidien ? Pourquoi lordre

    pistmologique de lconomie sest impos au dtriment de lordre ontologique de la vie ?

    Pourquoi la science conomique ne questionne pas le mode de donation des objets sur

    lesquels elle prtend apporter des schmas interprtatifs ? Cette tentative dappliquer les

    critiques adresses par Husserl la science galilenne au cas de la science conomique revt

    un intrt non ngligeable, celui dviter de retomber dans les controverses du pass portant

    sur le statut scientifique, rel ou ni, admis ou rfut, de lconomie, pige qui guetterait

    ncessairement tout conomiste peu soucieux de saffranchir dune vision communautaire de

    la discipline dans et pour laquelle il travaille.

    Pour construire ce projet, il nous a fallu reconstituer dans une premire partie la gense de

    cette affirmation de lordre pistmologique de lconomie fond sur une mathmatisation

    croissante. Ce dtour par lhistoire de la pense conomique tait selon nous indispensable

    pour rtablir les motivations profondes des thoriciens de lconomie comme Cournot, Walras

    ou Pareto, afin dasseoir la domination dune science conomique mathmatise, et afin de

    montrer en quoi cette domination avait quelque chose voir avec lavertissement de Husserl,

    lequel, curieusement, neffectua aucune incursion dans le champ de lconomie. Mais il fallait

    insister sur les dangers dune importation massive de la philosophie de Husserl dans la

    science conomique et viter ainsi de reproduire les erreurs occasionnes par une telle

    dmarche dans les autres sciences humaines. Cette erreur, souvent commise dailleurs par les

    critiques adresses la science conomique, consiste appeler un plus de ralisme, revenir

    lhomme et sa complexit, bref mieux prendre en considration les faits et phnomnes

    du quotidien conomique. Lintention de la phnomnologie de Husserl tait autre, et elle

    peut du coup, comme nous allons tenter de le montrer, procurer une meilleure assise la

    critique de la mathmatisation de lconomie. Ce sera lobjet de la seconde partie.

    Bref retour sur la gense dun ordre pistmologique en conomie

    Lconomie sest donc rapproche des sciences dures. Sa scientificit nest plus conteste,

    en dpit de la subsistance de quelques doutes et rticences conduisant une conviction

    somme toute mal partage au sein de la communaut des conomistes (Benetti, Cartelier

    [1995]). On peut par consquent lui appliquer la dfinition dune science, celle qunonait

    par exemple A. Lalande dans son second volume du Vocabulaire technique et critique de laphilosophie

  • 7/25/2019 phgie co

    6/29

    6

    Ensemble de connaissances et de recherches ayant un degr suffisant dunit, de gnralit, et susceptiblesdamener les hommes qui sy consacrent des conclusions concordantes, qui ne rsultent ni de conventionsarbitraires, ni des gots ou des intrts individuels, qui leur sont communs, mais de relations objectives quondcouvre graduellement, et que lon confirme par des mthodes de vrification dfinies (Lalande [1926][1997], page 954)

    Vue sous cet angle, lopinion exprime par E. Malinvaud est de nature clore un chapitre

    ancien propre lconomie mais qui concerna galement dautres sciences humaines et

    sociales, comme en tmoigne la clbre querelle des mthodes au dix-neuvime sicle. Au

    regard de la position quoccupa E. Malinvaud dans le champ de la science conomique, une

    place quil est possible de qualifier de dterminante dans le processus de formation dune

    conomie mathmatise, le diagnostic sonne comme un propos irrfutable. Dans son texte

    publi en 1994, E. Malinvaud situe lmergence de ce rapprochement aux alentours des

    annes cinquante. Langle de vue vaut aussi et peut-tre surtout pour la France dont on sait

    que, jusqu cette poque, loutil mathmatique tait peu gnralis et lorigine dun retard

    franais sur les recherches menes et sur les rsultats obtenus aux tats-Unis en particulier. J.

    A. Schumpeter le rappelait en 1954 dans le troisime et dernier tome de son Histoire de

    lanalyse conomique, avant 1914,

    Trs peu de publications parues antrieurement exigeaient de leurs lecteurs (ou mme de leurs auteurs), une

    comptence quelconque en mathmatiques techniques

    4

    On sait en effet que, ds le dbut du vingtime sicle, au travers de revues comme la

    Review of Economics and Statisticsou Econometrica, lusage de la formalisation se rpandait

    outre-Atlantique, alors que la discipline en France se distinguait encore par des recherches

    dominante littraire, et lhistoire de la pense ou des doctrines conomiques faisait figure

    dexercice impos5. Leffectivit du rattrapage de la science conomique sur les sciences

    dures est donc une donne. Lancien directeur gnral de lINSEE a ainsi implicitement

    indiqu que la science conomique en France tait adoube, participant internationalement au

    progrs de la connaissance scientifique. Le voile philosophique de Schumpeter pouvait

    tre par consquent dfinitivement dchir, en juger par exemple, par la lecture que lon

    peut faire de Social Choice and Individual Valuede J.K. Arrow (1951) ou de Theory of Value,

    An Axiomatic Analysis of Economic Equilibrium de G. Debreu (1959). Toute trace de ce qui

    4 Citation extraite du troisime tome de ldition franaise de History of Economic Analysis, page 275, ditionsGallimard, bibliothque des Sciences humaines. Ce qui a t dit dans lintroduction cet article, propos du voile

    philosophique de Schumpeter, sappuie sur le chapitre III du tome I de cet ouvrage.5 Pour davantage dinformations sur la constitution dune conomie formalise aux tats-Unis, lire M. Beaud et G.

    Dostaler [1993].

  • 7/25/2019 phgie co

    7/29

    7

    avait t, vers la fin du dix-huitime sicle, au fondement mme de la formation du discours

    conomique, savoir la philosophie, seffaa au profit dune axiomatique destine

    reprsenter la prfrence de lagent conomique par un systme de relations binaires. De par

    sa capacit formaliser les relations conomiques, asseoir sa dmarche sur cette

    axiomatique, et faire de lindividu dot dune rationalit parfaite le point de dpart de son

    raisonnement, la science conomique moderne est parvenue saffranchir des racines

    philosophiques de lconomie politique, racines dans lesquelles A. Smith, pourtant considr,

    tort ou raison, comme le pre fondateur de la discipline, avait tant puis, et, par voie de

    consquence, ne plus tre une science au service de ltat (Arna [2005]). Le degr de

    formalisation est tel en conomie, quelle peut prtendre se hisser voire rivaliser avec les

    disciplines les plus scientifiques. Cette confrontation possible avec les sciences dites dures

    sest dploye selon trois canaux fondamentaux : la constitution de lconomie mathmatique

    comme ramification de la thorie conomique, le dveloppement de techniques de traitement

    des donnes, comme lconomtrie, et la formation dune thorie du choix social permettant

    de slectionner des instruments de politique conomique (Rosier [1993]).

    Un rapprochement avec les sciences dures aux origines plus lointaines

    En ralit, ce processus de rapprochement de la science conomique des sciences dures

    prend racine plus loin dans le temps. Que des prcurseurs de la fin du dix-septime sicle

    aient eu pour ambition dintroduire puis de dvelopper lusage de loutil mathmatique dans

    la perspective de construire des systmes de comptabilit nationale est un fait avr,

    lconomie politique ayant t une science de gouvernement, comme lont indiqu de

    nombreux et minents spcialistes de lhistoire de la pense conomique. Ce qui importe dans

    le paysage de lconomie tel quil se dessine durant la premire moiti du dix-neuvime

    sicle, cest la mise au point par A. A. Cournot dun dispositif intellectuel conu pour

    appliquer les mathmatiques lconomie et faire delle une science part entire (Cournot

    [1838]).

    Prendre pour point de dpart de la mathmatisation de lconomie luvre de Cournot ne

    signifie pas que nous ngligeons les tentatives antrieures opres par des auteurs comme F.

    Quesnay qui, dans le cadre de son Tableau conomique, avait jet les fondements dune

    science de lconomie, lgal de la gomtrie. Sous limpulsion de ce chef de file de la

    physiocratie, lconomie tait assujettie au calcul et pouvait du coup se dcomposer en

    agrgats simples et aiss mesurer (Cartelier, Piguet [1999]) (Steiner [2006]). Mais en ce

  • 7/25/2019 phgie co

    8/29

    8

    milieu de dix-huitime sicle qui voit merger la science de lconomie politique, lide dune

    mathmatique sociale, pour reprendre le projet de Condorcet, sinscrivait dans des rfrences

    explicitement revendiques aux sciences morales et politiques. Or cest prcisment un

    dtachement de lconomie vis--vis de la morale et de la politique, trop charges dune

    dimension mtaphysique que vont semployer tablir des auteurs comme Cournot.

    Le travail que C. Mnard consacra Cournot fut et est encore sur ce point dun apport

    prcieux, fondamental mme. Il suggre que la dmarche de A. A. Cournot en 1838 peut tre

    considre comme lacte fondateur de la science conomique (Mnard [1978]). Sopre alors

    ds ce moment un renversement de la hirarchie des questions fondamentales jusque l poses

    et traites par lconomie politique classique. Dsormais, au travers dune application des

    mathmatiques au systme de lchange, la priorit est accorde lanalyse du

    fonctionnement du march sous un angle quantitatif. En se posant comme un hritier de la

    pense de I. Newton, A. A. Cournot va substituer une thorie quantitative des relations entre

    agents conomiques sur un march une pense de la causalit qui prdominait chez les

    conomistes classiques. La science conomique se fait science des changes puisque cest par

    ces changes que senclenche le processus de lenrichissement des socits. Elle dissout du

    coup une pense classique toute proccupe par la recherche dune essence de la valeur, et fait

    merger avec des conomistes comme A. A. Cournot une approche de la valeur et de la

    richesse fonde sur lchange quantifi.

    De ce point de vue, et C. Mnard en avait livr une interprtation robuste, la position des

    polytechniciens dans lespace social des productions conomiques fut dterminante dans le

    cheminement menant la construction de cette science conomique. Dans le maniement des

    mathmatiques, ils dtiennent un avantage comparatif absolu. En toile de fond, limage que

    Cournot se fait des mathmatiques, cest--dire dune science do se dgagerait un ordre, une

    harmonie, sinspire directement de celle dcrite par Leibniz dans son uvre philosophique6.

    Ds le dbut de sa prface ses Recherches sur les principes mathmatiques de la thorie desrichesses, Cournot indiqua, en prenant soin de jeter le discrdit sur lconomie politique

    classique, que

    Lemploi des signes mathmatiques est chose naturelle toutes les fois quil sagit de discuter des relationsentre des grandeurs (). Lconomie politique est lhygine et la pathologie du corps social : elle reconnat pourguide lexprience ou plutt lobservation (). Au contraire, lide abstraite de richesse, telle que nous lavons

    6On citera, titre dexemple, cette phrase de Leibniz, tire de De la production originelle des choses prise sa racine ,dat de 1697 : Par l, on comprend avec admiration comment, dans la formation originelle des choses, Dieu applique une

    sorte de mathmatique divine ou de mcanisme mtaphysique, et comment la dtermination du maximum y intervient , inG. W. Leibniz, Opuscules philosophiques choisis, textes runis et traduits par P. Schrecker, Librairie philosophique J. Vrin,2001, page 177.

  • 7/25/2019 phgie co

    9/29

    9

    conue, constituant un rapport parfaitement dtermin, peut, comme toutes les ides prcises, devenir lobjet dedductions thoriques ; et si ces dductions sont assez nombreuses, si elles paraissent assez importantes pour trerunies en un corps de doctrine, il y aura, ce nous semble, avantage prsenter ce corps de doctrine isolment,sauf en faire telles applications quon jugera convenables aux branches de lconomie politique avec lesquellesla thories des richesses a des connexions intimes 7

    Le discrdit tait brutal, presque dfinitif, en ce sens que cest bien tout le dispositif de

    lconomie politique classique qui est touch, et celui lgu par D. Ricardo en tout premier

    lieu. Pourquoi lui ? Parce quil avait vu dans le jeu de lconomie, ce que reconnatra Marx,

    une lutte perptuelle pour repousser un tat stationnaire menaant lexistence des hommes ds

    lors quils ne trouveraient plus dans leur environnement de quoi la satisfaire. Exposs au

    risque dun essoufflement de lconomie productive, les hommes ne seraient plus en mesure

    dchapper une mort imminente.

    Tout ce questionnement anthropologique quinaugure A. Smith, que poursuit D. Ricardo,que met en vidence au mme moment T. R. Malthus dans ses clbres changes pistolaires

    avec son adversaire et ami, et que K. Marx, pour peu que lon admette, mme avec quelque

    rserve, de le classer dans cette cole classique, cherchera en dmonter les mcanismes

    cachs pour mieux faire surgir les linaments dune alternative politique et conomique, tout

    ce questionnement est rejet par Cournot et ranger au magasin de la mtaphysique. La

    problmatique du dveloppement conomique cde la place celle de lquilibre (dans son

    Economic Theory in Retrospect publi en 1961, M. Blaug mentionna que A. Marshall de parsa formation, ne se coupera toutefois pas totalement de lcole classique anglaise).

    Ce dont il convient dsormais de se dfaire, cest de la mthode interprtative en

    conomie, sur laquelle se greffe cette plaie de la science quest la vision du monde toujours

    sous-tendue par une idologie. Ce que conteste un auteur comme Cournot, cest laptitude des

    raisonnements a priori entrer en correspondance avec le monde rel. Il en dduit que

    lharmonie entre construction rationnelle et activit du monde passe ncessairement par la

    dmarche inductive qui trouve son fondement mme dans les mathmatiques. Les

    conomistes, pour faire uvre scientifique, pensaient quil tait indispensable de se

    dbarrasser de ces interminables dbats antrieurs, dautant plus que la physique, au regard

    des progrs accomplis, devenait dsormais larchtype de la scientificit (Rosier, op.cit).

    Schumpeter aurait donc vu juste. Le voile philosophique doit tre soulev pour

    quapparaisse en pleine lumire le caractre scientifique de lconomie, et la dynamique qui

    senclenche partir de la parution de louvrage de Cournot en 1838 nest pas un cas isol.

    7A. A. Cournot [1838], Recherches sur les principes mathmatiques de la thorie des richesses, Librairie J. Vrin, 1980pour ldition tablie par G. Jorland, p. 4 et 13.

  • 7/25/2019 phgie co

    10/29

    10

    Elle est lexpression dune crise gnrale de la philosophie qui, sous les coups de boutoir de la

    science et de ses avances, fait reculer tous les systmes dinterprtation jusque l en vigueur.

    La science entreprend une marche triomphale laquelle lconomie apporte sa contribution8.

    La construction de la socit par la science, lorganisation scientifique de lhumanit, passe

    aussi par la science conomique. Une revanche est prendre sur les auteurs ayant

    antrieurement mpris la science et les mathmatiques, commencer par G.W.F. Hegel ou

    son ami Schelling. Progressivement, sous limpulsion des no-kantiens runis dans ce que

    lon a appel lcole de Marbourg, la science saffirme, et il faudrait que les historiens de la

    pense conomique dploient beaucoup de temps et dnergie dmontrer que la rvolution

    marginaliste en fut soit une ardente contributrice, soit une continuatrice zle9. Ds 1838,

    Cournot semble ne pas procder autrement lorsquil invite se dbarrasser de lesprit de

    systme10.

    Quel tait, et quel est dailleurs encore lenjeu de cette imprgnation des mathmatiques en

    conomie ? Il est toujours possible, comme le suggre M. Schabas, dinterprter laffirmation

    des mathmatiques en conomie comme tant corrle celle du systme capitaliste,

    lhabillage mathmatique jouant dans ce cas prcis le rle de dissimulation de lapologie des

    conomistes pour le capitalisme (Schabas [1990]). Une autre interprtation, plus plausible aux

    yeux de M. Schabas, mais galement de P. Mirowski, est que le recours la formalisation

    prend forme dans un environnement scientifique prcis, celui de la deuxime moiti du dix-

    neuvime sicle, propice la rigueur scientifique, et fond sur la logique formelle, Mirowski

    y voyant une alternative plausible au dilemme caractrisant les lectures interne et externe

    explicatives de lmergence de lcole no-classique (Mirowski [1984]). Il sest agi dun lent

    mais rel processus dassimilation par les conomistes des nouvelles perspectives avances

    par la logique formelle partir des annes 1870, assimilation favorise une conception

    particulire de la science chez un Jevons. Sur ce point, M. Schabas indique

    Certainly Jevonss program to mathematize economic theory owed more to his broader conception ofscientific reasoning than to any single problem in the theory of production or consumption (Schabas [1990],page 135)

    8On lira avec profit le livre de L. Freuler [1997], dans lequel sont mentionns les propos tenus par un E. Renan sur lascience comme renfermant lavenir de lhumanit.

    9Sur les principaux fondateurs de cette cole, consulter A. Philonenko [1989].10Sur les implications sociales de lmergence des mathmatiques en conomie, on ne peut que recommander la lecture

    de lenqute magistralement mene par L. Le Van-Lemesle [2004], Le Juste ou le Riche. Lenseignement de lconomiepolitique (1815-1950), Comit pour lhistoire conomique et financire de la France, Ministre de lconomie et desFinances.

  • 7/25/2019 phgie co

    11/29

    11

    Ce faisant, le dispositif mis en place par Cournot fut annonciateur du dveloppement puis

    de laffirmation dune conomie mathmatise, trouvant dans des auteurs comme L. Walras

    avec sa thorie de lquilibre conomique gnral (il est intressant de noter propos de

    Walras, que Schumpeter ait parl de thorie statique de lunivers conomique le terme

    univers faisant penser lusage que les physiciens en avaient 11), lanalyse de lquilibre

    partiel d A. Marshall (la clbre courbe de demande, vritable idal-type de cette analyse

    partielle), ou les dfinitions de lophlimit et de loptimum chez V. Pareto, de puissants

    relais permettant de dvelopper une conomie abstraite (au dbut de son Cours dconomie

    politiquede 1896-97 profess Lausanne, Pareto indiquait que

    Parmi les sciences sociales, la science de lophlimit est la seule dont les rsultats aient atteint un degr de

    prcision et de certitude comparable celui des propositions des autres sciences naturelles, comme la chimie, laphysique, etc. )12

    Plus tard, dans le sillage des dcouvertes tablies par des mathmaticiens comme D.

    Hilbert et par le groupe Bourbaki, les conomistes consolideront la dmarche et les rsultats

    contenus dans le travail de Cournot et de ses successeurs, en construisant une axiomatique de

    lquilibre conomique, cest--dire quils poseront des relations entre les objets conomiques

    au moyen daxiomes sans se proccuper de la nature mme de ces objets conomiques

    (Schmidt [1985]), (Mongin [2003]). Certes, laffirmation puis la diffusion de cet ordrepistmologique en conomie ne se seront pas raliss sans rsistances, quelles proviennent

    de lintrieur mme de la discipline avec lconomie littraire, laquelle est aux mains des

    professeurs de droit, ou de lextrieur avec la sociologie de Durkheim. Sur le premier point, le

    clivage entre la filire littraire et la filire scientifique a contribu retarder lmergence de

    la science conomique mathmatise, conduisant un auteur comme Walras rompre avec le

    milieu qui aurait d laccueillir de manire presque naturelle pourrait-on dire (Dumez

    [1985]), (Le Van-Lemesle [2004]). Certains ont pu voir dans ces conflits, qui ont dailleursconcern le milieu des ingnieurs, rticents aux avances thoriques dun Walras, une

    explication du retard franais que les conomistes se sont efforcs de combler partir de la fin

    des annes soixante.

    Quelque vingt-cinq ans avant que ne soit publi le texte de Malinvaud qui nous a servi ici

    de point dentre, M. Allais (laurat du Prix Banque de Sude en sciences conomiques en

    1988) avait pu affirmer que, aprs la seconde guerre mondiale, lconomie avait accd au

    11Cf. J. A. Schumpeter, ibid, tome III, chapitre VII, page 291.12V. Pareto [1896], Cours dconomie politique, Libraire Droz, Genve, 1964, dition de G. H. Bousquet et G. Busino,

    page 6.

  • 7/25/2019 phgie co

    12/29

    12

    rang de vritable science , sans stre pour autant constitue en la science (Allais

    [1968]). Il entendait par l un processus dlaboration de thories dont la cohrence logique

    pouvait tre dmontre, et dont les mathmatiques permettaient de dsigner rigoureusement

    les grandeurs contenues dans les thories. Pour M. Allais, La formulation mathmatique a

    linapprciable avantage de forcer lesprit la rflexion et la prcision , (p. 17). Mais il

    ajoutait que pour quelle se transforme en science, lconomie devait respecter quatre

    critres : le premier tait selon lui relatif la cohrence logique de la thorie, ce qui

    ncessairement faisait appel aux mathmatiques ; une connaissance approfondie des faits

    conomiques ; sappuyer sur les progrs des techniques quantitatives et des ordinateurs ;

    mettre en vidence des rgularits conomiques irrfutables. Lvolution de la science

    conomique contemporaine semble avoir davantage respect les premier et troisime critres.

    Et dailleurs, M. Allais indiquait dans ce mme article que la matrise de lconomie comme

    discipline nimpliquait nullement une connaissance de la ralit faite de multiples

    phnomnes, souvent encastrs dans le social et lhistorique. Ces constats, intgrs dans une

    section que M. Allais intitula Les limites de la science conomique , justifient le recours

    Husserl sur lequel portera la prochaine partie.

    Relativement au second ple de rsistance, on sait que le sociologue franais . Durkheim

    stait lev contre une science conomique dont le principale caractristique tait selon lui

    davoir une vision rductrice de la socit, et qui revendique une coupure avec les aspects

    moraux et sociaux du monde social. Il sen prendra lui aussi au schma walrasien dquilibre

    conomique gnral qui constitue une dnaturation du processus de socialisation, dans la

    mesure o les relations dchange ne portent que sur des objets, relations dchanant le plus

    souvent passions et violences entre les hommes. P. Steiner rappelle sur ce point, dans un

    fourmillement dinformations rsultant dune lecture serre de luvre de Durkheim, que

    celui-ci chercha dans les corporations un instrument de moralisation de la vie sociale (Steiner

    [2005])13.

    Des rsistances limperium la porte limite

    Des tentatives se sont donc faites jour pour questionner le rle des mathmatiques dans la

    science conomique, discipline en qute perptuelle de scientificit, fascine par le modle

    13Le mme P. Steiner indique que cette tentative de construction dune alternative au modle de Walras constituera un filconducteur important pour lhtrodoxie conomique en France, notamment dans celle produite par lcole franaise de largulation, autour de M. Aglietta et R. Boyer notamment. Voir sur ce thme le chapitre III de son ouvrage, intitul Simiand

    et la critique de lconomie politique . Dans un ouvrage rcent, F. Lordon insiste pour sa part, tout en le critiquant, surlapport du mouvement anti-utilitariste dans les sciences sociales (MAUSS), au cours des annes quatre-vingt et quatre-vingt-dix (Lordon [2006]).

  • 7/25/2019 phgie co

    13/29

    13

    galilen de la science. Elles ont marqu du sceau de la critique lconomie pure, scrutant ces

    failles mthodologiques relatives sa conformit au rel, empchant les plus farouches

    partisans de cet avnement accomplir sans tourment leur rvolution pistmologique. Mais

    ces tourments nont pas vritablement constitu un rempart suffisant au dploiement de

    lconomie mathmatise. Mme Keynes, dont on connat les rticences admettre

    lheuristique des mathmatiques en conomie, ne put empcher que, paralllement sa

    rvolution keynsienne , se prpare une autre rvolution qui allait sceller le destin de

    lconomie politique, celle de la mathmatisation gnrale de sa Thorie gnrale sous la

    forme du modle IS-LM (Beaud, Dostaler [1993]) (Dostaler [2005]). Les critres de slection

    des articles, des enseignants-chercheurs dans les universits, de reconnaissance par les pairs

    sont dsormais inscrits dans cette liturgie des mathmatiques.

    Mais il y a plus grave. Les rponses htrodoxes, hritires de linstitutionnalisme, de

    lcole historique allemande, de la sociologie de Durkheim, ont t impuissantes contenir la

    ralisation de cette ambition scientifique. Impuissantes non pas parce que mal outilles ou peu

    rigoureuses, mais parce que ces rponses ne sont finalement gure loignes de la thorie no-

    classique qui a instaur et approfondi ce processus de mathmatisation de lconomie. Si

    lagent conomique de lcole no-classique agit selon une intelligence conomique toute

    mcanique, en rptant en toutes circonstances le mme schma daction, celui des courants

    htrodoxes inscrit son action dans un registre calculatoire lui-mme insr dans des

    institutions et dans une paisseur historique dont on sait quelle fait dfaut aux thoriciens de

    la science conomique pure.

    En dcoule que linstitutionnalisme ne rend pas impossible le recours aux mathmatiques,

    il propose de le nuancer par le jeu de contingences particulires (Berthoud [2005])14. Dans ce

    dernier cas, ce qui compte, cest de produire, de repousser le spectre de ltat stationnaire, de

    faire crotre la force productive de lconomie, daccumuler du capital et des marchandises, en

    le dmontrant soit mathmatiquement, par le calcul, soit par les institutions, soit par les deuxen mme temps. Et lon peut tre rsolument pessimiste quant lavenir de la discipline

    lorsque le courant institutionnaliste estime apercevoir les signes annonciateurs du dclin de la

    domination de la thorie no-classique dans le champ de la science conomique, dtrne

    quelle serait pas la monte en puissance de la thorie des jeux, de lconomie exprimentale,

    de la neuroconomie ou de lconomie complexe non linaire (Davis [2006]). Ces formes de

    14Cest pour cette raison que lon ne peut que rejeter lhypothse, trop souvent faite, dune identification de la thorie

    no-classique la mathmatisation du savoir conomique. Pour sen convaincre, il suffit dexaminer lusage qui a t fait,depuis Nash, de la thorie des jeux. Et comme la thorie no-classique est souvent synonyme de libralisme, le pas est vitefranchi dassocier mathmatique et libralisme.

  • 7/25/2019 phgie co

    14/29

    14

    concurrence thoriques, outre quelles peuvent elles-mmes cder la tentation de la

    formalisation, peuvent aisment tre phagocytes par la thorie no-classique, dont on connat

    la force intgratrice de son modle.

    Fallait-il escompter un sursaut de la profession des conomistes scientifiques qui aurait pu

    tre dclencher par la fronde estudiantine qui fit son apparition au printemps 2000, pointant la

    dvalorisation voire lviction des autres formes de savoirs dans le processus dintelligibilit

    des activits conomiques humaines comme lhistoire des faits et de la pense conomiques,

    la gographie conomique, la sociologie. Cette action subversive donna lieu, face la

    pertinence des griefs adresss aux conomistes et au malaise quils suscitrent au sein de la

    profession, la ralisation dun Rapport sur lenseignement de la science conomique en

    France, sous limpulsion gouvernementale (Fitoussi [2001]) ? Six ans plus tard, ces tudiants

    ont pu prendre la mesure de limmobilisme de la profession, voire de sa rsistance (Les

    conoclastes [2003]) (Defalvard [2003]). Laffirmation de la mathmatisation de lconomie

    na pu tre ni stoppe ni ralentie en dpit de nombreuses tentatives visant souligner le

    danger dun tel processus. Cela navait dailleurs pas chapp G. Debreu qui, dans un article

    publi en 1991 dans l American Economic Review, indiquait quen dpit des critiques mises

    lendroit de la mathmatisation de la discipline, rien ne put tre en mesure ni de stopper ni

    de ralentir un tel processus (Debreu [1991]). En suivant la gnalogie de ces avertissements,

    mme le tournant sociologique dun V. Pareto, pourtant grand artisan de cette

    mathmatisation comme nous lavons rappel, ne constitua un rempart suffisant pour scarter

    de cet objectif troublant de btir une conomie pure formalise (Boldizzoni, Canziani [2005]).

    On remarquera au passage que le problme soulev par la mathmatisation croissante de la

    science conomique ne se rduit pas quelque controverse sur le statut scientifique de

    lconomie, sur la lgitimit dun recours massif aux mathmatiques, mais concerne

    galement son enseignement, ce qui en dit long sur lorganisation de celui-ci, notamment

    quant au mode de recrutement des professeurs de lenseignement suprieur en particulier dansun contexte durable de diminution des effectifs dtudiants dans cette discipline (Delaunay

    [1999]) (Lebaron [2000]) (Coup [2004]). Pouvait-il en tre autrement ? Le svre constat

    dress en 1970 par le laurat du Prix Banque de Sude en sciences conomiques, W. Leontief,

    dans un clbre article paru dans la non moins prestigieuse American Economic Review, neut

    quune porte limite. Quel tait-il ?

    Dans aucun autre domaine de la recherche empirique, il na t fait usage dun appareil statistique aussimassif et raffin pour des rsultats aussi mdiocres. Nanmoins, les thoriciens continuent prsenter modleaprs modle et les statisticiens laborer la chane des processus mathmatiques complexes. Lessentiel de

  • 7/25/2019 phgie co

    15/29

    15

    cette production est relgu dans les rserves sans jamais aucune application pratique ou aprs un exercice dedmonstration de pure forme. Et mme ce qui a t utilis un moment tombe bientt en dfaveur, non parce queles mthodes qui les supplantent sont meilleures, mais simplement parce quelles sont nouvelles et diffrentes 15

    Puisque ces rsistances ont t soit dans lincapacit de proposer une alternative robuste la thorie dominante faisant un usage intensif des mathmatiques, soit ont volu vers une

    trajectoire et des problmatiques faisant delles des proies faciles pour le camp adverse, quelle

    issue restait-il pour mettre au jour les failles de cette science conomique ? Voil bien plus

    dune dcennie que, lchelle internationale, mergent de nouveaux appels une rupture

    avec lconomie mainstream, que lon dnonce avec plus ou moins de fermet le

    ronronnement des sommaires des grandes revues dconomie, appels auxquels sintgrent le

    mouvement post-autistique (post-autistic) cr par les tudiants de lcole NormaleSuprieure en France (Brochier [1994]) (Sapir [2000] [2005]). Au risque den faire la

    discipline reine, lultime recours pour se dgager dune science conomique qualifiant les

    autres savoirs anthropologiques dinfra-scientifiques au regard de lexcellence qui

    caractriserait la science conomique, se situerait du ct de la philosophie de E. Husserl.

    Le regard de Husserl

    Prenons donc au srieux les griefs des tudiants en science conomique, griefs adresss

    leurs enseignants et au contenu de leurs enseignements. Que dissimulaient-ils en ralit ?

    Quelle pouvait bien tre leur signification profonde, et pour quel objectif intellectuel ? Quest-

    ce qui a pu faire quils aient pris le parti de mettre en cause une dmarche scientifique qui leur

    apportait pourtant, dans le vacarme du monde, une stabilit des perceptions et des modes de

    pense ? Auraient-ils ce point oubli le sens profond de l grecque, savoir la

    fermet et la stabilit ? Au trfonds de leur ambition, dans une sorte de rflexe cartsien, il y a

    linstillation du doute, dune ncessit de renverser, dans la phase mme de lapprentissage de

    lconomie, les connaissances acquises. Renversement qui sest concrtis par un appel au

    pluralisme dans la science conomique. Pluralisme des mthodes et des angles de vue16. Cette

    demande porte en elle un premier stade de renversement, savoir que si lon parle de retard

    de lconomie vis--vis des autres disciplines scientifiques, justifiant ainsi le recours la

    15W. Leontief [1971], Theoretical Assumptions and Non Observed Facts , American Economic Review, 61, repris dans

    Essais dconomiques, traduction franaise, 1974, Calmann-Lvy, p. 15.16 Nous ne traiterons pas ici de la question, souvent dbattue, du rle de la beaut et de lesthtisme en thorie

    conomique. Lire sur ce sujet C. Lee, P. L. Lloyd [2005].

  • 7/25/2019 phgie co

    16/29

    16

    formalisation, cest supposer tabli que les conomistes se donnent comme idal atteindre la

    mthodologie et les rsultats des sciences dures. Il nest pas innocent de ce point de vue de

    lire sous la plume de G. Debreu que lconomie a inscrit sa dmarche dans le sillon trac par

    les sciences physiques vers la fin du dix-neuvime sicle (Debreu, art. cit). Le second stade

    du processus de renversement des certitudes acquises en conomie qui en dcoule a trait la

    difficult de faire de la science conomique un savoir constituant ses objets indpendamment

    des hommes qui font lactivit conomique. Elle ne peut tre quune pure technique de calcul,

    reposant sur le principe de linfrence logique.

    La tentative de renversement du savoir conomique mene par ces tudiants porte en elle,

    probablement sans quils en aient eu une claire conscience, les traces de la phnomnologie

    critique de Husserl. Il y eut du coup un questionnement sur le monde, une interrogation sur

    lexistence du monde comme nigme que ne parvient pas rsoudre la scientificit auto-

    proclame de lconomie, car ces tudiants appartiennent ce monde l. Cette scientificit

    laquelle linstitution universitaire a souhait les prparer nest plus en mesure de garantir la

    concordance de la connaissance avec les objets connus, ceux qui sont quotidiennement placs

    l devant nous (Husserl [1907])17. Cest donc bien du ct des conditions de possibilit de la

    connaissance conomique quil convient dinscrire tout questionnement sur lorientation prise

    par cette discipline.

    La main invisible de Galile

    Effectuer une incursion dans la philosophie de Husserl pour y voir un peu plus clair dans

    lincapacit de la science conomique expliquer le monde de lconomie, cest--dire son

    mode dapparatre, a quelque chose de paradoxal. Dabord parce que la tentative dimporter

    dans la science conomique la phnomnologie de Husserl comporte un danger quont

    dailleurs expriment les sciences humaines avant elle. On sait en effet que des tentatives ont

    t menes en sciences humaines pour remettre en question la drive scientiste de cesdisciplines, en procdant une r-introduction de la subjectivit, de lvnement ou du

    phnomne, en sappuyant justement sur les avances de Husserl. Mais ce fut au prix de

    distorsions conceptuelles, dinterprtations inexactes ou errones du message de Husserl

    (Bordeleau [2005]). La construction dune phnomnologie de lconomie, pour aussi

    stimulante quelle soit au regard du scientisme qui sest empar de la discipline, ne peut

    17Dans son livre de 1985 C. Schmidt indiquait : Lcart qui se creuse, entre une syntaxe toujours plus puissante et une

    smantique reste rudimentaire, quand elle nest pas simplement absente, constitue un symptme proccupant qui focaliseinvitablement lattention de lpistmologue (page 13). Lcart tant encore plus important aujourdhui, le dtour par laphilosophie de Husserl simpose donc, presque comme un tmoignage de limpuissance des conomistes rduire cet cart.

  • 7/25/2019 phgie co

    17/29

    17

    senvisager sans un dcorticage et une assimilation prcise des principes fondamentaux de la

    phnomnologie de Husserl. Lune des difficults de cette entreprise rsiderait, par exemple,

    dans la possibilit dtablir une correspondance entre lintersubjectivit propre Husserl et la

    socialisation par le march propre aux conomistes. Mais ce qui interpellera ncessairement

    dans notre dmarche, cest de savoir comment justifier le recours un philosophe ayant autant

    rflchi sur les mathmatiques pour questionner la lgitimit et lheuristique dune discipline

    comme la science conomique, recherchant dans les mathmatiques lessentiel de son

    fondement scientifique ? Car il faut bien le reconnatre, la mathmatisation de lconomie est

    appele, en juger par lvolution de la recherche et des publications, se dvelopper, ce

    quavait indiqu G. Debreu dans son article de 1991.

    Le fil conducteur de la philosophie de Husserl a en effet t une rflexion durable sur les

    mathmatiques, linstar de quelques-uns de ses prdcesseurs, comme Descartes ou Leibniz

    (Derrida [1962]). Mais ce qui distingue Husserl de ces illustres figures de la philosophie, cest

    labsence dune problmatique sur Dieu, ainsi que le montre la cinquime des Mditations

    cartsiennesquil consacra lintersubjectivit (Husserl [1931]). Husserl travailla de longues

    annes sur la gense de larithmtique et sur le concept de nombre, en particulier dans ses

    travaux universitaires sous la direction du mathmaticien Weierstrass. Trs tt Husserl posera

    comme soubassement de sa rflexion limpossibilit de confondre le nombre et sa

    reprsentation mentale. En dautres termes, lun des points de dpart de Husserl est de

    construire une phnomnologie sur une critique du psychologisme, psychologisme auquel

    pourtant il adhra vers la fin des annes 1880-90 (Dastur [1993] [1997]). Ce nest qu partir

    des annes 1910, notamment dans Prolgomnes la logique pure, que Husserl opra une

    rupture avec le psychologisme au profit de la phnomnologie. Par la suite, Husserl fusionna

    le principal dfaut du psychologisme avec celui des autres sciences naturelles : le monde nest

    pas une collection dobjets perus par un moi sujet. Cest ce qui ressort de la srie de leons

    prononces en 1907 par Husserl et runies dans Lide de la phnomnologie. Ce glissementfut dcisif dans la suite de la rflexion de Husserl, et, concernant notre propos, constituera le

    regard que Husserl aurait pu porter sur lvolution de la science conomique. Scarter du

    psychologisme et de la vision dveloppe par les sciences de la nature, signifie chez Husserl

    rompre avec cette ide selon laquelle la conscience jouerait le rle dun rceptacle dobjets

    tant en situation dextriorit par rapport au sujet. Il ny a pas degoqui serait suffisamment

    absolu pour crer des objets qui lui feraient face. Et Husserl davancer

  • 7/25/2019 phgie co

    18/29

    18

    Sous toutes ses formes, la connaissance est un vcu psychique : une connaissance du sujet connaissant.Opposs elle, il y a les objets connus. Or comment sassurer de son accord avec les objets connus, commentpeut-elle sortir au-del delle-mme et atteindre avec sret ses objets ? La prsence des objets de connaissancedans la connaissance, qui, pour la pense naturelle, va de soi, devient une nigme (Husserl [1907] [1950], p.41)

    partir de l se met en branle chez Husserl une dmarche critique, celle qui va

    prcisment nous aider mettre au jour les illusions dune science conomique croyant que

    son salut dpend de son imprgnation des mthodes nonces dans et par les sciences exactes,

    afin, comme le souligna E. Malinvaud, de se rapprocher delles. Lconomie, telle quelle se

    rvle nous, par son enseignement et les rsultats des recherches qui sont entreprises et sont

    ensuite socialement visibles dans les revues internationales dans lesquelles il est possible de

    dnombrer des articles contenu fortement mathmatis, voit se dresser devant elle

    lnigme de la connaissance 18. Car dsormais, ce qui devient de plus en plusproblmatique, et qui nous a t livr par la quantit non moins infrieure de critiques, cest la

    possibilit dune connaissance conomique. Pour reprendre Husserl, ltre de lconomie, sa

    validit, reste en suspens.

    La science conomique ne se distingue pas des autres sciences, en ce sens que les objets

    dont elle traite, thoriquement et empiriquement, sont des phnomnes apparaissant en

    situation dextriorit, ce sont des vnements, des apparences. Son activit se rapporte certes

    au monde, mais au monde naturel, celui-ci tant une donne de lexprience des agentsconomiques, qui du coup leur devient commune. Et les conomistes voient dans la

    mathmatisation de leur discipline une mthode leur permettant de saffranchir de toutes les

    perceptions subjectives du monde, dont on sait quelles sont multiples et complexes. En tant

    que donne naturelle, le monde de lconomie est celui de la raret, conduisant lagent

    calculer sous la contrainte. Cest le seul monde rel, et la mathmatisation rvle lagent

    quil ne peut en tre autrement, cest--dire quil ne peut agir que sous lemprise du calcul.

    La connaissance de lconomie est ainsi subordonne la dcision oprationnelle,tourne vers la maximisation du bien-tre individuel, du profit (la convexit tant de ce point

    de vue une notion centrale pour la thorie conomique des marchs), ou de la minimisation

    des efforts, des cots de production, des rpercussions environnementales de lactivit

    industrielle, ou bien, sur une chelle plus macroconomique, la dfinition dune politique

    conomique tatique efficace pour la croissance o la lutte contre le chmage, le systme

    conomique tant de toutes les manires apprhend comme optimal (Husserl parle

    18Sur lusage de la notion d nigme chez Husserl, se reporter Housset [2000], Barsotti [2003]. Voir galement deGandt [2004].

  • 7/25/2019 phgie co

    19/29

    19

    d universum calculable 19). En dcoule que tout savoir en conomie peut tre produit

    partir de formes mathmatiques sappliquant tout ce quentreprend lagent reprsentatif,

    lequel est confront des objets dont les proprits sont par avance connues et dtermines,

    quil sagisse de produire, de consommer, dinvestir, de sinsrer sur le march du travail une

    fois calcul le rendement de ses tudes, de sinsrer dans la division internationale du travail

    sil sagit dune firme voire dun pays ou dutiliser les ressources naturelles.

    La science conomique est alors investie par la main invisible de Galile. Il en rsulte un

    effacement effectif du monde pr-scientifique, sensible, quotidien. On sait en effet, selon la

    thse que dveloppa Husserl dans la section 9 de la premire partie de La crise des sciences

    europennes et la phnomnologie transcendantale, que Galile voulut substituer la nature

    pr-scientifique une nature objective, idalise, vis--vis de laquelle lhomme court le risque

    de ne plus se reconnatre. Husserl a cette audace de rappeler cette trivialit, masque par la

    science exacte , et qui touche directement la science conomique, selon laquelle

    Cest ce monde que nous trouvons en tant que monde de toutes les ralits connues et inconnues. Cest lui le monde de lintuition qui prouve effectivement quappartient la forme spatio-temporelle avec toutes lesfigures corporelles qui sinscrivent en elle, cest en lui que nous-mmes nous vivons, conformment notremode dtre, cest--dire dans toute la chair de notre personne. Mais ici nous ne trouvons rien des idalitsgomtriques, ni lespace gomtrique, ni le temps mathmatique avec toutes ses formes (Husserl, [1936],[1976], page 59)

    Entame avec Cournot, la qute daccession au rang de discipline scientifique sest

    prolonge ensuite jusqu nous, faisant dire E. Malinvaud que lconomie sest rapproche

    des sciences dures, mme si, dans un style plus nuanc, un conomiste comme P. Mongin

    estime que cela ne concerne que des poches dactivit bien spcialise sur lesquelles

    pourtant stalonnent les autres sphres20. Si P. Mongin a raison de souligner que des travaux

    complexes ont t mens en science conomique sans quaucune quation ne figure dans la

    mthode ni dans les rsultats, il pense en particulier aux ralisations de R. Coase, il demeure,

    comme le rappelait G. Debreu, que la phase intensive de mathmatisation de lconomie se

    poursuivra, et que ce nest qu ce prix que lconomiste accdera au statut de spectateur

    impartial de lactivit conomique, cest--dire lorsquelle aura achev le processus la

    conduisant noncer des propositions non contradictoires avec le monde ambiant, lorsquelle

    aura liminer les explications par les raisons au profit dexplications causales ou

    fonctionnelles. Les conomistes calculent et font calculer des individus empiriques rduits

    19Se reporter lAppendice 1 de la section 9 de la Krisis, p. 384-393 de ldition tablie par G. Granel.20Dans un article crit en raction la ptition des tudiants de lENS, publi sous le titre Les mathmatiques sont-elles

    neutres ? , dans le quotidien Le Mondedat du 14 novembre 2000.

  • 7/25/2019 phgie co

    20/29

    20

    ltat dagent reprsentatif, comme on calcule une force ou la chute dun corps en sciences

    physiques. Ils en dduisent que le modle de lagent maximisateur, lhomo oeconomicus,

    figure tant dcrie de la science conomique, constitue certes un modle imparfait, mais le

    cot que reprsenterait la recherche dun substitut et son incertitude quant la fiabilit

    scientifique de celui-ci, incite conserver ce modle initial (Mingat, Salmon, Wolfelsperger

    [1985]). Si la production de ce substitut aboutissait, les conomistes nauraient dautre crainte

    que de voir seffondrer la connaissance conomique (Brochier [1987]). Pour E. Malinvaud, ce

    processus est donc achev, et les conomistes ont accompli ce quils recherchaient depuis

    Cournot, savoir la naturalisation pistmologique de leur discipline21.

    Lconomie : loubli de son mode de donation

    En tant quelle est prsente dsormais comme une partie de la science produisant des

    thses scientifiques sur le monde, notamment par le dveloppement de grandeurs et de

    rgularits calculables rpondant des critres formels prcis, la science conomique

    objective le monde, ladmettant comme dj donn, simposant lagent conomique qui est

    conduit ajuster rationnellement son comportement cet environnement donn. Comme dans

    le reste des sciences ayant prcd lconomie, celle-ci devient

    Purement et simplement une Ars savoir un simple art dobtenir des rsultats grce une technique decalcul qui suit des rgles techniques. Le sens rel de vrit de ces rsultats sobtient seulement dans une pensedont la pntration est borne ses thmes spcifiques et sa mise en uvre effective. Les seuls modes depense et les seules vidences qui entrent alors en jeu sont ceux qui sont absolument ncessaires une techniqueen tant que telle. On opre avec des lettres, des signes de connexion ou de rapport (+, x, =, etc.) et daprs lesrgles du jeu de leur coordination, dune faon qui en fait ne diffre sur aucun point essentiel de la faon dont onopre au jeu de cartes ou dchecs. La pense originelle () est mise ici hors circuit (Husserl [1935], [1976],page 54)

    Lconomiste, en laborant des modles mathmatiques, oublie que ses constructions

    nexistent que dans le monde-de-la-vie dont il est fait abstraction dans telles constructions

    scientifiques. Certes il vit dans lintentio scientifique, mais est amen, au quotidien,

    enseigner, exposer ses modles devant des tudiants vivants, communiquer les rsultats de

    ses recherches dans des colloques face des individus empiriques qui se prsentent lui

    comme il se prsente eux. Lexpos scientifique ne se ralise ds lors que dans un monde

    extra-scientifique. Il est par consquent confront des savoirs ntant pas seulement des

    savoirs scientifiques, mais des savoirs appartenant ce monde-de-la-vie , alors quil fixe

    21Sur cette notion de naturalisation pistmologique , lire Ogien [2003] et Thomas-Fogiel [2005].

  • 7/25/2019 phgie co

    21/29

    21

    son attention et dploie son nergie sur des objets purs22. Or ce monde l apparat bel et

    bien oubli par une science conomique estimant stre rapproche des sciences dures. Tout

    ce qui apparat lindividu dans sa dmarche conomique lui provient de lextrieur. Lun des

    apports de la philosophie de Husserl va tre prcisment de contester ces apparences et

    dinvestir dans la recherche des origines de ces apparences, de dgager leurs essences. Husserl

    a eu recours pour cela au concept de rduction phnomnologique , cest--dire de retour

    soi, de retour aux choses mmes . Lhomme conomique, plutt que lagent reprsentatif,

    nest pas dtermin par lentrecroisement de causalits diverses, ni comme lobjet de

    lconomie. Merleau-Ponty le dira au sujet de la science dans son avant-propos

    Phnomnologie de la perception, tout ce que lhomme (conomique) sait, il le sait partir

    dune vue qui est la sienne,

    Dune exprience du monde sans laquelle les symboles de la science ne voudraient rien dire. Tout lunivers dela science est construit sur le monde vcu et si nous voulons penser la science elle-mme avec rigueur, enapprcier exactement le sens et la porte, il nous faut rveiller dabord cette exprience du monde dont elle estlexpression seconde (Merleau-Ponty [1945], p. 9)

    En convoquant Husserl, lconomiste, outre quil ne pourra plus, comme il le fit si

    souvent, diluer limportance que revt le questionnement philosophique, ne peut qutre

    amen suspendre son jugement vis--vis de lexistence objective des catgories de

    lconomie (Husserl reprend sur ce point la notion grecque dpoch, suspension du jugement

    ou mise entre parenthses du monde transcendant, suspension de lexistence absolue du

    monde) (Husserl [1907] [1936]). Laction conomique ne peut plus tre apprhende comme

    une rponse un stimulus extrieur, un vnement factuel. La conscience de cet extrieur se

    rduit en effet en conomie la connaissance des choses, au rle quelles joueront dans

    laccession au bien-tre individuel ou collectif. Sous le joug dune raret, dune hantise de la

    stationnarit de lactivit, lindividu conomique agira dans le sens dune amlioration de sa

    condition prsente, le march contenant toutes les variables lui permettant de rsoudre son

    problme (prix, quantit, information, tat de la concurrence, lagent rationnel connaissant

    toutes les conditions X1 Xn qui lui procurent un tat donn de la nature Y. On connat la

    clbre et apparemment inaltrable dfinition de lconomie due L. Robbins et datant de

    1932 : science qui tudie le comportement humain comme relation entre des fins et des

    22On se souviendra que la forme la plus excessive de lpuration de la vie laquelle se sont livres les conomistes se

    trouve dans la thse de M. Friedman, selon laquelle une hypothse na pas tre en relation immdiate avec la ralit, centresur une situation directement observable (Friedman [1953]). Sur les implications de cette thse en termes de philosophie dessciences pour lconomie, il convient de consulter Parthenay et Thomas-Fogiel [2005].

  • 7/25/2019 phgie co

    22/29

    22

    moyens rares, et susceptibles dutilisations alternatives ) (Sobel [2004])23. Mais la science

    conomique ne nous dit rien sur la dissolution des objets dans la conscience de lagent

    conomique, ni sur lessence de cette intentionnalit. Comme lindiquait J.-P. Sartre dans un

    texte court mais clbre dat de 1939,

    La connaissance ou pure reprsentation nest quune des formes possibles de ma conscience de cet arbre ; jepuis aussi laimer, le craindre, le har, et ce dpassement de la conscience par elle-mme, quon nommeintentionnalit, se retrouve dans la crainte, la haine et lamour (Sartre [1939] [1947], page 31)

    La volont de voir cette discipline tre adoube par les sciences exactes et intronise dans

    le monde de la science pure, ne saurait tre critique par son manque de retour sur lempirie

    des choses, par ces lacunes dcrire des faits rels quautoriserait, comme le laisse supposer

    le courant post-autistique franais, un usage du pluralisme. Ce serait senfermer autrementdans une approche du phnomne conu comme vnementiel, sans se proccuper ni de sa

    complexit ni de son mode de donation. La tche que stait donn Husserl dans sa

    phnomnologie se caractrisait par le souci de revenir aux choses mmes, cest--dire de

    produire une analyse de ce qui advient, de ce qui arrive, de ce qui apparat lindividu. Il

    sagissait de prendre le monde dans sa totalit

    En saffranchissant de toute thorie, tel quil se donne rellement dans lexprience et reoit lgitimation delenchanement des expriences (Husserl [1913] [1950], page 103)

    Comment les phnomnes conomiques se donnent lindividu ? La mathmatisation de

    lconomie procde de ce refoulement de la question des origines et donc de lnigme du

    monde conomique. Ce monde ne fait absolument pas face lagent conomique qui agirait

    en fonction des contraintes que ce monde lui imposerait et qui lobligerait recourir au calcul.

    Tout y serait rduit un monde de lobjectivit scientifique. Dans le discours conomique qui

    se veut scientifique, lagent conomique est une partie du monde, insr dans un jeu decausalits24. On ne peut nier que la science conomique prenne acte que les besoins de lagent

    trouvent leur traduction dans une connaissance objective des choses, les mathmatiques

    constituant alors un puissant secours. Mais elle nglige dclaircir le mode selon lequel ces

    23Sur ce point, un auteur comme M. Armatte a montr que les modles mathmatiques en conomie, mais galement lesmodles conomtriques, ont connu une volution sensible, passant de du statut d objet mdiateur purement cognitif entrethorie et observation , un statut inscrit dans une activit conomique, sociale, voire politique. Ces nouveaux modlesprennent dsormais davantage en compte les logiques dacteurs, comme en tmoignent limportance prise par la thorie desjeux, ou par les modles internationaux inscrits dans des programmes de gestion des risques climatiques. Lire sur tous cesaspects M. Armatte [2005].

    24 Cest finalement se demander Quest-ce quun monde ? . Sur ce point dcisif, outre Husserl, lire galement M.Merleau-Ponty [1945]. Les dbats que son analyse a suscits, notamment avec Sartre et S. d Beauvoir, sont examins dans M.Kail [2006], en particulier le chapitre I. Je remercie M. Kail davoir attirer mon attention sur ce point crucial .

  • 7/25/2019 phgie co

    23/29

    23

    choses se donnent voir au sujet. La science conomique et ses rgles formelles ne peuvent

    nous faire connatre objectivement le monde car elles supposent la ngation du sujet

    connaissant. Cest le sens que Husserl donnait la phnomnologie. Les choses ne sont

    intelligibles que parce que la conscience du sujet est en mesure den saisir le sens vritable. Il

    ne sagit plus dun monde auquel on sadapte par le calcul, rvlant ainsi une dualit

    sujet/objet, mais dun monde pralable la connaissance. Dans la Krisis, Husserl indique

    Le sens dtre au monde donn davance dans la vie est une formation subjective, cest--dire luvre de la viedans son exprience, de la vie pr-scientifique. Cest dans cette vie que se btissent le sens et la validit dtre dumonde, cest--dire chaque fois de ce monde qui vaut effectivement chaque fois pour le sujet dexprience (Husserl, op. cit. page 80)

    Il faut alors sen remettre cette critique fondamentale qui peut tre adresse la scienceconomique. Son histoire sintgrerait dautant mieux dans celle des sciences si, dans la

    mesure o elle constitue une fraction de lhistoire de la raison, elle voulait bien saffranchir de

    cette reprsentation du monde comme pure extriorit, et admettre comme nous y invite

    Husserl, que ce monde conomique est celui dont nous faisons finalement lexprience

    puisquil est toujours dj l, dans sa complexit, se donnant notre conscience, et dont nous

    sommes indissociables. Le monde conomique nest pas celui que nous dcrit la science

    conomique, celui de la puret qui isole lhomme par rapport au rel, en substituant

    limpuret chaotique de nos vies une vision ordonne de lconomie. La science conomique

    ne peut par consquent penser ltre, puisque cest la seule condition dune altrit qui

    brouille sa puret quil devient pensable. La phnomnologie husserlienne sen remet aux

    diffrentes faons dont la conscience vise son objet, cest--dire vise le sens que cet objet a

    pour cette conscience. La science conomique nous informe que lagent sadapte des

    contraintes en supposant quil ne peut faire autrement, dbouchant ainsi sur ce que Husserl

    nommait une multiplicit mathmatique . La phnomnologie elle, indique au contraire

    que, comme nous le dit Sartre, que cette conscience peut adhrer ou pas, aimer ou har lacte

    conomique. En dautres termes, il peut y avoir volont, action, vise dans un acte

    conomique, mais tout aussi bien soustraction, refus de cet acte.

    Il en dcoule une limite redoutable pour la science conomique. Puisque lhistoricit est

    chez Husserl lessence mme de lexistence humaine, celle-ci est en situation de surmonter le

    naturalisme qui structure les sciences, et celle de lconomie en particulier. Ce fut sur ce point

    la position prise par le philosophe V. Janklvitch, qui, dans Le pur et limpur, indiquait,

  • 7/25/2019 phgie co

    24/29

    24

    Le pur, une fois tomb dans lhistoire, deviendrait de toutes faons impur mme sil restait seul au monde() toute prophylaxie est illusoire et drisoire en face de cette infection aussi continuelle que les instantssuccessifs du devenir, aussi enveloppante et innombrable que le monde o nous sommes immergs (Janklvitch [1960] [1998], pages 613-614)

    Un obstacle se dresse pourtant devant notre dmarche. On sait en effet que Husserl naeffectu aucune incursion dans le champ de lconomie alors que celle-ci avait atteint une

    certaine maturit dans le processus de sa mathmatisation25. Et lusage que nous faisons de sa

    phnomnologie transcendantale comporte les limites qui sont celles de toute adaptation du

    champ philosophique celui des sciences sociales en gnral et de lconomie en particulier

    (Bordeleau [2005]). Il existe selon nous une issue qui nous ramnerait au sein mme de ce

    champ de lconomie. Elle nous est fournie par K. Marx. Comme la rappel si brillamment

    M. Henry

    Marx a cern le problme de la vie sous la forme quil appelle le travail vivant. partir des Grundrisse etdes manuscrits qui suivent Le Capital, ce travail vivant prsente des caractres prcis : il est vivant, il estsubjectif, il est rel et il est individuel. Ce qui est fondamental pour Marx, cest le travailleur, et celui-ci estdfini comme un tre vivant, cest--dire subjectif (Henry [1996] [2002], page 27)

    Toute lentreprise critique de lconomie politique de Marx a consist en effet a montr

    que les objets de cette conomie politique lchange en particulier , et nous dirions, par

    extension ceux de la science conomique contemporaine, navaient pas dexistence dans la

    ralit, et que par consquent, il lui fallait rechercher les conditions de leur gense. Exprime

    en termes phnomnologiques, lintuition de Marx tait que cette gense, en conomie, se

    situait dans le travail vivant. La pense de Marx serait-elle en quelque sorte annonciatrice de

    la phnomnologie de Husserl ? Elle forme en tous les cas les linaments de ce que pourrait

    tre une conomie phnomnologique si la philosophie et lconomie de Marx navaient pas

    t vinces de la science conomique. Car il apparat par surcrot que le diagnostic de

    Husserl selon lequel le dcalage entre limage du monde produite par la connaissance

    scientifique et celle retire de notre exprience de ce monde rel, faisait cho celui que Marx

    tirait de son analyse de lconomie (Ricoeur [1986]). La connaissance du monde par la

    science conomique, par sa mathmatisation, dbouche en ralit sur une d-moralisation, et,

    pour tout dire sur une d-politisation de lactivit conomique, dont on sait pourtant quelle

    fut pense, ses dbuts, par le truchement de la philosophie. La mathmatisation porte en elle

    25Ce nest pas dailleurs la seule critique que lon pourrait se voir adresser. Dans un autre registre, que nous ne pouvionspas aborder ici, C Rosset a pu montrer en quoi la tentative phnomnologique comportait le risque de voir rhabilit unnaturalisme duquel prcisment Husserl, et sa suite Merleau-Ponty, avait voulu se dtacher. Lire C. Rosset [1973].

  • 7/25/2019 phgie co

    25/29

    25

    la radicalit anthropologique du capitalisme, cest--dire que lhomme est un tre de dsir

    qui ne fait que calculer ses plaisirs et ses peines. Du coup, la mathmatisation de lconomie

    savrait en gestation ds la formation de cette discipline (Goux [2000]) (Laval [2007]).

    Cest ici que lon peut tablir le lien entre la priode durant laquelle fut crit la Krisiset

    notre moment prsent. La dtresse de nos vies quvoqua E. Husserl entre en rsonance

    avec notre propre dtresse contemporaine. Les calculs de nos peines et de nos bonheurs

    auxquels nous sommes somms de rpondre, de nous conformer afin de mieux grer nos

    intrts, ne parviennent pas nous extraire de lisolement dans lequel nos mes se trouvent,

    cet isolement renvoyant, comme le disait J. Lacan, notre originelle drliction (Lacan

    [1948]). Le lien entre les deux poques est dautant plus intressant tablir que Husserl

    rdigea sa Krisisdans un contexte troubl, annonciateur des drames que lon connat du fait

    que le lien social stait dcompos. Rduit de simples rapports dutilit, dintrts, dans une

    conomie capitaliste qui cherche constamment stendre, anantir tout ce qui pourrait

    relever dune autre logique, le lien social court le risque de se distendre puisque seul ce qui a

    trait au calcul, la production et la consommation, bref lutile, est, temporairement

    conserv, linutile tant exclu. Notre monde est un monde de crises, de troubles, dont la

    matrise savre des plus compromise par les seuls progrs de la production et de la

    consommation (Arendt [1958]).

    Malgr toutes les productions scientifiques issues des cerveaux des conomistes, dont

    lessentiel consiste dire que nous sommes dans le meilleur des mondes possibles, le rel

    conomique, celui qui forme notre praxis, cest celui de la crise, du chmage, et de

    lincertitude structurelle, des difficults nous penser uniquement comme tres conomiques.

    Mais la science conomique contemporaine voit dans Marx un discours non scientifique,

    teint didologie. En dcoule que retourner aux choses mmes en conomie apparat tre une

    tchedsormais bien insurmontable, en tous les cas seme dembches institutionnelles pour

    qui sy aventurerait.

    Conclusion

    La crise de la science conomique est dsormais un fait avr. Il faut entendre par crise un

    manquement la signification de cette science pour la vie. Au travers dune approche

    husserlienne de cette crise, nous avons voulu montrer que cette discipline ntait plus en

    mesure de nous dire quoi que ce soit sur le sens de nos vies. La science conomique ne

    semble porter, comme dailleurs le reste des autres sciences, que sur ce qui est et vis--vis de

  • 7/25/2019 phgie co

    26/29

    26

    quoi nous ne pouvons que nous adapter. Mais elle se prive du coup dune investigation sur

    lessence mme de lobjet conomique. La dmarche qui a t suggre ne saurait valoir

    condamnation des mathmatiques en conomie. Husserl, nous lavons rappel, navait pas

    cherch dresser un rquisitoire contre elles, au point den interdire lusage dans les sciences.

    Notre dmarche nest quun appel pour un examen critique de lusage et des abus dun tel

    recours aux mathmatiques, de leur efficacit quant la signification du monde. Cest

    pourquoi la construction dune conomie phnomnologique reste lordre du jour, mme

    si ce type de tentative se rvla dans le pass plus complexe et ardu quil ny paraissait, au

    regard de la destine de la sociologique phnomnologique de A. Schtz (Tellier [2003]).

    Les conomistes ont dilu dans leurs constructions scientifiques lide que le sens de nos

    vies peut tout autant et surtout porter sur un devoir-tre. Pour tre plus prcis, lconomie,

    enferme dans son systme mathmatique, sest dtache de lide que la connaissance du

    monde est indissociable de la connaissance de lhomme lui-mme. Cest lenseignement que

    nous pouvons tirer de la lecture de M. Henry lequel, dans son ouvrage La Barbarie, rappelait

    quen dpit des progrs accomplis dans les sciences, lhomme ne sait plus qui il est (Henry

    [1987]). Manifestement, la science conomique, en suivant Galile, a contribu cette

    subversion des autres valeurs propres lhomme. Et il lui faudra beaucoup de temps et

    dnergie avant de revenir une pense faisant de lhomme vivant le centre de sa

    problmatique. Car quon le veuille ou non, quon le dplore ou que lon sen rjouisse, les

    lments danalyse propres la science conomique sont des hommes. Rfutant cette

    perspective, la science conomique court un grand risque, celui du dsaveu, commencer par

    celui manantdes tudiants. La tension autour de son enseignement dans les Universits nest

    pas prs de steindre. La science conomique devrait par consquent revisiter ses fondements

    philosophiques, et se convaincre de se rinsrer dans lespace de la praxis.

  • 7/25/2019 phgie co

    27/29

    27

    RFRENCESBIBLIOGRAPHIQUES

    ALLAISM. [1968], Lconomique en tant que science , Revue dconomie politique, numro 1,janvier-fvrier, p. 5-30.

    ARENAR. [2005], Walras, Schumpeter et la naissance de la science conomique moderne , in

    LEROUXA. et LIVETP. (ds.), Leons de philosophie conomique, Tome I, ditions Economica, p.332-356.ARENDT H. [1958], The Human Condition, University of Chicago Press, traduction franaise,

    ditions Calmann-Lvy, 1961.ARMATTEM. [2005], La notion de modle dans les sciences sociales : anciennes et nouvelles

    significations , Mathmatiques et Sciences humaines, numro 172, trimestre 4, p. 91-123.ARROW K. J. [1951], Social Choice and Individual Values, New York, Wiley.BARSOTTIB. [2002], Le rationalisme husserlien , in P. DUPOND et L. COURNARIE (ds.),

    Phnomnologie : un sicle de philosophie, ditions Ellipses, coll. Philo , p. 21-43.BEAUDM., DOSTALERG. [1993], La pense conomique depuis Keynes, ditions Le Seuil.BENETTI C., CARTELIER J. [1995], Lconomie comme science : la permanence dune

    conviction mal partage , in A. dAUTUME, J. CARTELIER (ds.), Lconomie devient-elle une

    science dure ?ditions Economica, p. 216-232.BERTHOUDA. [2005], Une philosophie de la consommation. Agent conomique et sujet moral ,Presses Universitaires du Septentrion, coll. Espaces politiques .

    BLAUG M. [1961], Economic Theory in Retrospect, Cambridge University Press, La penseconomique, origines et dveloppement, ditions Economica, 1986 pour la traduction franaise,quatrime dition.

    BOLDIZZONIF., CANZIANIA. [2005], Mathematics and Economics: Use, Misuse or Abuse? Annual Meeting of European Society for the History of Economic Thought, Stirling (UK), June 9-12,p. 1-40.

    BORDELEAU L.-P. [2005], Quelle phnomnologie pour quels phnomnes ? RecherchesQualitatives, volume 25 (1), p. 103-127.

    BROCHIERH. [1987], Les thories conomiques sont-elles rfutables? , conomies et Socits,

    Cahiers de lISMA, srie Histoire de la pense conomique , numro 8, p. 107-118.BROCHIERH. [1988], Fondements idologiques et vise scientifique en conomie , conomies

    et Socits, Cahiers de lISMA, srie Oeconomia , p. 169-188.BROCHIER H. [1994], Pour un nouveau programme de recherche en conomie , Revue du

    MAUSS, numro 3, p. 141-152.CARTELIER J., PIGUET M.-F. [1999], Produit, production, reproduction dans le Tableau

    conomique. Les concepts et les mots , Revue conomique, vol. 50, numro 1, p. 71-86.COUPT. [2004], What Do We Know about Ourselves? On the Economics of Economics ,

    Kyklos, 57(2), p. 197-215.COURNOT A. A. [1838], Recherches sur les principes mathmatiques de la thorie des richesses,

    uvres compltes tome VIII, Librairie Vrin, 1980.DASTUR F. [1993], Husserl. Des mathmatiques lhistoire, Presses Universitaires de France,

    coll. Philosophies .DASTURF. [1997], Husserl , in D. FOLSCHEID (d.), La philosophie allemande, de Kant

    Heidegger, Presses Universitaires de France, coll. Premier Cycle , p. 253-291.DAVISJ. [2006], The Turn in Economics: Neoclassical Dominance to Mainstream Pluralism ? ,

    Journal of Institutional Economics, 2 (1), p. 1-20.DEBREU G. [1959], Theory of Value. An Axiomatic Analysis of Economic Equilibrium, Cowles

    Foundation for Research in Economics.DEBREUG. [1991], The Mathematization of Economic Theory , American Economic Review,

    Vol. 81, number 1, p. 1-7.DEFALVARD H. [2003], Pour un nouvel enseignement de la microconomie en 1 cycle

    universitaire dconomie et de gestion , Revue dconomie politique, numro 5, septembre-octobre, p.

    569-580.DELAUNAYJ.-C. [1999], Lconomie acadmique : son recrutement professoral , Lhomme etla socit, numro 131, janvier-mars, p. 83-100.

  • 7/25/2019 phgie co

    28/29

    28

    DERRIDA J. [1962], Introduction , in HUSSERL E., Lorigine de la gomtrie, PressesUniversitaires de France, coll. pimthe , p. 3-171.

    DOSTALERG. [2005], Keynes et ses combats, ditions Albin Michel.DUMEZ H. [1985], Lconomiste, la science et le pouvoir, Presses Universitaires de France, coll.

    Sociologies .CONOCLASTES (Les) [2003], Petit brviaire des ides reues en conomie, ditions La

    Dcouverte.FITOUSSI J.-P. [2001], Rapport sur lenseignement de la science conomique en France, ditions

    Fayard.FREULERL. [1997], La crise de la philosophie au XIXe sicle, Librairie Vrin, coll. Histoire de la

    philosophie .FRIEDMAN M. [1953], Essays in Positive Economics, University of Chicago Press.GANDT(de) F. [2004], Husserl et Galile. Sur la crise des sciences europennes, Librairie Vrin,

    coll. Bibliothque dhistoire de la philosophie .GOUXJ.-J. [2000], Frivolit de la valeur. Essais sur limaginaire du capitalisme, ditions Blusson.HENRY M. [1987], La Barbarie, ditions Grasset.HENRYM. [1996], Phnomnologie et sciences humaines. De Descartes Marx , confrence

    lUniversit Paul Valry, Montpellier III, in HENRY M. (d.), Auto-donation. Entretiens etconfrences, ditions Prtentaine, 2002, p. 17-31.HOUSSETE. [2000], Husserl et lnigme du monde, ditions Le Seuil, coll. Points .HUSSERL E. [1907], Lide de la phnomnologie, Presses Universitaires de France,

    coll. pimthe , 2000, huitime dition de la traduction franaise.HUSSERLE. [1913], Ides directrices pour une phnomnologie, ditions Gallimard, coll. Tel ,

    1950, pour la traduction franaise.HUSSERL E. [1931], Mditations cartsiennes et Les Confrences de Paris, Presses Universitaires

    de France, coll. pimthe , 1994 pour la traduction franaise.HUSSERL E. [1935], La crise des sciences europennes et la phnomnologie transcendantale,

    ditions Gallimard, coll. Tel , 1976, pour la traduction franaise.JANKLVITCHV. [1960], Le pur et limpur, ditions Flammarion, repris inV. JANKLVITCH,

    Philosophie morale, ditions Flammarion, coll. Mille et une pages , 1998.KAIL M. [2006], Simone de Beauvoir philosophe, Presses Universitaires de France, coll. Philosophies .

    LACANJ. [1948], Lagressivit en psychanalyse , repris dans crits, ditions Le Seuil, 1966.LALANDEA. [1926], Vocabulaire technique et critique de la philosophie, Presses Universitaires

    de France, quatrime dition, coll. Quadrige , volume 2, 1997.LATOUCHES. [2005], Linvention de lconomie, ditions Albin Michel.LAVAL C. [2007], Lhomme conomique. Essai sur les racines du no-libralisme, ditions

    Gallimard, coll. Essais .LEBARONF. [2000], La croyance conomique. Les conomistes entre science et politique, ditions

    Le Seuil, coll. Liber .C. LEE, P. L. LLOYD[2005], Beauty and the Economist : the Role of Aesthetics in Economic

    Theory , Kyklos, Volume 58, Number 1, p. 65-86.LEIBNIZ G. W. [1697], De la production originelle des choses prise sa racine , in G. W.

    Leibniz, Opuscules philosophiques choisis, textes runis et traduits par P. Schrecker, Librairiephilosophique J. Vrin p. 169-191.

    LEONTIEFW. [1971], Theoretical Assumptions and Non Observed Facts , American EconomicReview, 61, repris dans Essais dconomiques, traduction franaise, 1974, ditions Calmann-Lvy.

    LEVANLEMESLEL. [2004], Le Juste ou le Riche. Lenseignement de lconomie politique (1815-1950), Comit pour lhistoire conomique et financire de la France, Ministre de lconomie et desFinances.

    LORDONF. [2006], Lintrt souverain. Essai danthropologie conomique spinoziste, ditions LaDcouverte, coll. Armillaire .

    MALINVAUD E. [1995], Lconomie sest rapproche des sciences dures, mouvementirrversible mais achev , inA. dAUTUMEet J. CARTELIER(ds.) [1995], Lconomie devient-elleune science dure ? , ditions Economica, coll. Grands dbats , p. 9-17.

  • 7/25/2019 phgie co

    29/29

    MNARD C. [1978], La formation dune rationalit conomique : A. A. Cournot, ditionsFlammarion, coll. Nouvelle bibliothque scientifique .

    MERLEAU-PONTY M. [1945], Phnomnologie de la perception, ditions Gallimard.MINGAT A., SALMON P, WOLFELSPERGER A. [1985], Mthodologie conomique, Presses

    Universitaires de France, coll. Thmis .MIROWSKI P. [1984], Physics and the Marginalist Revolution, Cambridge Journal of

    Economics, 8, p. 361-379.MONGIN P. [2003], Laxiomatisation et les thories conomiques , Revue conomique, vol. 54,

    numro 1, janvier, p. 99-138.OGIENR. [2003], Le rasoir de Kant et autres essais de philosophie pratique, ditions de lclat.OUELBANI M. [2006], Le Cercle de Vienne, Presses Universitaires de France,

    coll. Philosophies .PARTHENAY C., THOMAS-FOGIELI. [2005], Science conomique et philosophie des sciences :

    la question de largument transcendantal , Revue de Mtaphysique et de Morale, numro 3, juillet, p.428-453.

    PARETO V. [1896], Cours dconomie politique, Librairie Droz, 1964 pour ldition de Bousquetet Busino.

    PHILONENKOA. [1989], Lcole de Marbourg. Cohen, Natorp, Cassirer, Librairie Vrin, coll. la recherche de la vrit .RICOEURP. [1986], lcole de la phnomnologie, Librairie philosophique J. Vrin.ROSIER M. [1993], Ltat exprimentateur, Presses Universitaires de France, coll. Sciences,

    Modernits, Philosophies .ROSSET C. [1973], Lanti-nature. lments pour une philosophie tragique, Presses Universitaires

    de France, troisime dition, 1995, coll. Quadrige .SAPIRJ. [2000], Les trous noirs de la science conomique. Essai sur limpossibilit de penser le

    temps et largent, ditions Albin Michel.SAPIR J. [2006], Quelle conomie pour le XXIe sicle ? ditions Odile Jacob, coll. conomie .SARTRE J.-P. [1939], Une ide fondamentale de la phnomnologie de Husserl :

    lintentionnalit , in Situations I, Essais critiques, ditions Gallimard, p. 27-32.

    SCHMIDT C. [1985], La smantique conomique en questions, ditions Calmann-Lvy, coll. Perspectives de lconomique .SCHABAS M. [1990], A World Rule by Number. William Stanley Jevons and the Rise of

    Mathematical Economics, Princeton University Press.SCHUMPETER J. A. [1954], History of Economic Analysis, George Allen an