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TEXTE MATHILDE GIARD PHOTOS STEPHEN WILKES APRèS NEW YORK, JéRUSALEM ET SHANGHAI, l’artiste américain Stephen Wilkes a posé ses objectifs à Paris en octobre dernier pour sa série Day to Night, « du jour à la nuit ». Zoom sur l’immortalisation du chevet de la cathédrale Notre-Dame de Paris. Photographe des villes CONEY ISLAND, NEW YORK Sur la célèbre plage du sud de Brooklyn, Stephen Wilkes a capturé et fusionné les mille instants d’une journée de l’été 2011. Ses compositions font penser à des tableaux. 56 57 PASSION

Photographe des villes Zoom sur l’immortalisation …...le groupe Coldplay, le crooner Peter Cincotti, des morceaux joués par son fils, Sam, qui accompagne à la basse une chanteuse

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Après New York, JérusAlem et shANghAi, l’artiste américain stephen wilkes a posé ses objectifs à paris en octobre dernier pour sa série day to night, « du jour à la nuit ».

Zoom sur l’immortalisation du chevet de la cathédrale notre-dame de paris.Photographe des villes

CoNeY isl AND, New York Sur la célèbre plage du sud de Brooklyn, Stephen Wilkes a capturé et fusionné les mille instants d’une journée de l’été 2011. Ses compositions font penser à des tableaux.

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À la façon d’un puzzle, Stephen Wilkes fabrique une image unique racontant une journée entière, du lever au coucher du soleil.

wrigleY F ielDs, ChiCAgoLe temple du base-ball américain

photographié en juillet 2013, avant sa rénovation. C’était un jour de

« doubleheader » (programme double) pour l’équipe des Cubs de Chicago,

avec deux matchs le même jour devant le même public.

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Bien emmitouflé dans sa doudoune orange vif, un bonnet noir sur la tête, il est posté sur le pont de la Tournelle depuis l’aube. Stephen Wilkes ne bougera pas de la journée de cet emplacement stratégique, même pour quelques minutes. Le photographe amé-ricain a installé son matériel sur une avancée for-mant un balcon sur la Seine, entre l’île Saint-Louis et le quai de la Tournelle. Dans son objectif : le che-vet de la cathédrale Notre-Dame, cerné par les deux bras du fleuve enveloppant l’île de la Cité.L’artiste déclenche son appareil sur ce panorama de carte postale plusieurs fois par minute. « J’at-trape ce qui retient mon attention. J’ai vu des embarcations arriver au loin, c’était une course d’aviron ! Je me suis aussi focalisé sur une petite fille venue nourrir les canards », raconte ce natif du Connecticut. Tout en parlant, il reste aux aguets, concentré sur son large champ d’observation. Chaque allée et venue, chaque mouvement des nuages, chaque modulation de lumière est enregis-trée. Aucun détail ne lui échappe. Une heure après la tombée de la nuit, près de 1 500 clichés auront

les photos réalisées à paris font partie du projet day to night dans lequel stephen wilkes fusionne la nuit et le jour sur un seul cliché où se chevauchent plusieurs atmosphères. l’idée a germé en 1996 sur le tournage à mexico du film Roméo + Juliette avec leonardo diCaprio. « Je devais réaliser un panorama de l’ensemble du casting pour le magazine Life. le lieu étant carré, j’ai dû penser différemment l’image, en m’inspirant du travail de david hockney », se souvient l’artiste. en 2009, après l’essor du numérique, il met en application son concept sur un paysage pour une commande du New York Magazine : une photo de la high line montrant les mouvements du temps. le photographe se consacre ensuite, toujours dans la Grosse pomme, à times square, Central park ou encore Coney island. hors des frontières, il choisit pour décor Jérusalem, shanghai et londres… stephen wilkes reviendra à paris cet été pour mettre en boîte l’arrivée du tour de France sur les Champs-Élysées, le moulin-rouge et notre-dame côté face.

été pris. Stephen Wilkes les examinera avec minu-tie et isolera les éléments qui l’intéressent. « La post-production prend plusieurs semaines. Un vrai travail d’artisan ! », souligne-t-il. À la façon d’un puzzle, il fabriquera une image unique racontant une journée entière, du lever au coucher du soleil.

Romance sous le ciel parisienCelui qui exerce aussi son talent dans la publicité s’est improvisé un mini-studio en plein air. Il a posé contre la rambarde du pont sa chambre pho-tographique format 20×25, équipée d’un dos numérique Leaf, et son appareil numérique grand format 10×12. Son ordinateur diffuse de la musique : le groupe Coldplay, le crooner Peter Cincotti, des morceaux joués par son fils, Sam, qui accompagne à la basse une chanteuse qui monte, Rozzi Crane. « Je choisis un rythme tranquille, apaisant », confie-t-il l’œil sur l’horizon. Stephen Wilkes en a besoin : la séance a été repoussée d’une journée à cause de la météo et la percée annoncée se fait désirer. « Je ne voulais pas une lumière d’été mais

Du jour à la nuit…

Notre-DAme, pAris Début octobre, par une journée d’automne, Stephen Wilkes (en bas à droite) a installé ses appareils sur le pont de la Tournelle et immortalisé le chevet de la cathédrale.

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un ciel nuancé d’intersaison », explique-t-il, tout en espérant pouvoir rentrer aux États-Unis le lende-main comme prévu.Alors que le soleil darde enfin ses rayons, une équipe japonaise prend en photo un mannequin au bord de l’eau. Dans une posture romantique, cette dernière fait mine de descendre l’échelle accrochée au quai et tend une main vers un jeune homme. « L’atmosphère de romance est la marque de fabrique de la ville », remarque Stephen Wilkes. Trois jours plus tôt, l’Américain à Paris avait choisi comme motif la tour Eiffel, immortalisée depuis la nacelle d’un engin élévateur amené sur le parvis du Trocadéro. « La plus belle scène de cette jour-née a été deux amoureux s’embrassant devant une fontaine, l’eau formant un halo autour d’eux sous un arc-en-ciel ! », se réjouit-il.

Un tableau de la RenaissanceCette première trilogie consacrée à la capitale fran-çaise a débuté au pied de la basilique du Sacré-Cœur à Montmartre. Le photographe l’a cadrée depuis l’étroit appartement d’un inspecteur de police à la retraite, d’une fenêtre offrant un angle de vue idéal. Stephen Wilkes a été marqué par le nombre de touristes se prenant en photo avec leur téléphone portable, dos au célèbre édifice. « L’image devient un nouveau langage, un miroir à travers lequel on voit le monde », analyse le quinquagé-naire. Parmi les autres détails qu’il intégrera dans la partie nuit de sa composition parisienne : une horloge ancienne. « Le ciel s’est éclairci de façon magique. On retrouve la lumière des tableaux de la Renaissance », s’enthousiasme-t-il. Le résultat a sidéré son hôte, le policier, qui a découvert un pay-sage à mille lieux de ce qu’il a sous les yeux au quotidien. « J’aime l’art qui permet de voir les choses différemment », se félicite le photographe. Son credo : capter l’essence d’un endroit faisant par-

tie de la mémoire collective en touchant à l’univer-salité. « Je suis fasciné par la façon dont les gens bougent dans un cadre délimité. À New York par exemple, j’ai ressenti une énergie incroyable, comme si les habitants étaient emportés par une ri vière ! », poursuit-il.Il n’est pas anodin que la première photo prise par Stephen Wilkes, à l’âge de 12 ans, zoomait sur ce qu’il voyait dans un microscope. Une belle méta-phore de son travail actuel, où l’infiniment petit est aussi important que le monument grandiose. « Comme dans un tableau des peintres flamands Jérôme Bosch ou Bruegel, une foule de personnages racontent des tas d’histoires sur une seule fresque », appuie-t-il. Il n’est pas anodin non plus que l’affiche punaisée dans sa chambre d’ado, reproduction de L’Empire des lumières du surréaliste René Magritte, soit d’un courant artistique faisant écho dans son travail. Une heure après le coucher du soleil, le chas-seur d’images remballe ses appareils. Sa semaine parisienne est terminée, avec des milliards de pixels à transformer en chefs-d’œuvre.

À NEW YORK, j’ai ressenti une énergie incroyable, comme si les habitants étaient emportés par une rivière ! »s t e p h e N w i l k e s

CeNtrAl pArk, New YorkeA La fontaine Bethesda, en 2012. Stephen Wilkes s’est amusé à garder sur la composition finale toutes les mariées venues se faire photographier cette journée d’automne.

le BuND, shANghAiLe photographe américain s’est installé

en haut d’un phare, en février 2012. Vue sur la ligne de gratte-ciel de la ville nouvelle

de Pudong, le flot des passants et le trafic intense sur la rivière Huangpu.

mur Des l AmeNtAtioNs, JérusAlem En octobre 2012, Stephen Wilkes a mis trois mois à choisir son poste d’observation, sur un toit, d’où il a photographié 100 000 fidèles priant lors de la fête juive de Souccot. « Une photo électrique », commente l’artiste.

mANhAttAN , New York En 2011, le ballet des mythiques taxis jaunes sur la 5e Avenue, dans la ville qui ne dort jamais…

stephenwilkes.com

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