60
MELITE ou Les fausses lettres de Pierre Corneille Pièce comique PERSONNAGES : ERASTE, amoureux de Mélite. TIRSIS, ami d'Eraste, et son rival. PHILANDRE, amant de Cloris. MELITE, maîtresse d'Eraste et de Tirsis. CLORIS, sœur de Tirsis. LISIS, ami de Tirsis. LA NOURRICE de Mélite. CLITON, voisin de Mélite. ACTE PREMIER SCÈNE PREMIÈRE ERASTE, TIRSIS ERASTE Parmi tant de rigueurs n'est-ce pas chose étrange Que rien n'est assez fort pour me résoudre au change ? Jamais un pauvre amant ne fut si mal traité, Et jamais un amant n'eut tant de fermeté : Mélite a sur mes sens une entière puissance, Si sa rigueur m'aigrit, ce n'est qu'en son absence, Et j'ai beau ménager dans un éloignement Un peu de liberté pour mon ressentiment, Un seul de ses regards l'étouffé, et le dissipe, Un seul de ses regards me séduit et me pipe, Et d'un tel ascendant maîtrise ma raison, Que je chéris mon mal, et fuis ma guérison; Son œil agit sur moi d'une vertu si forte Qu'il ranime soudain mon espérance morte, Combat les déplaisirs de mon cœur irrité, Et soutient mon amour contre sa cruauté : Mais ce flatteur espoir qu'il rejette en mon âme, N'est rien qu'un vent qui souffle, et rallume ma flamme; Et reculant toujours ce qu'il semble m'offrir

Pierre Corneille Melite

  • Upload
    ferkes

  • View
    14

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

  • MELITEou

    Les fausses lettresde

    Pierre CorneillePice comique

    PERSONNAGES :ERASTE, amoureux de Mlite. TIRSIS, ami d'Eraste, et son rival. PHILANDRE, amant de Cloris. MELITE, matresse d'Eraste et de Tirsis. CLORIS, sur de Tirsis. LISIS, ami de Tirsis. LA NOURRICE de Mlite. CLITON, voisin de Mlite.

    ACTE PREMIER

    SCNE PREMIRE ERASTE, TIRSISERASTEParmi tant de rigueurs n'est-ce pas chose trange Que rien n'est assez fort pour me rsoudre au change ? Jamais un pauvre amant ne fut si mal trait, Et jamais un amant n'eut tant de fermet : Mlite a sur mes sens une entire puissance, Si sa rigueur m'aigrit, ce n'est qu'en son absence, Et j'ai beau mnager dans un loignement Un peu de libert pour mon ressentiment, Un seul de ses regards l'touff, et le dissipe,Un seul de ses regards me sduit et me pipe, Et d'un tel ascendant matrise ma raison, Que je chris mon mal, et fuis ma gurison; Son il agit sur moi d'une vertu si forte Qu'il ranime soudain mon esprance morte,Combat les dplaisirs de mon cur irrit, Et soutient mon amour contre sa cruaut : Mais ce flatteur espoir qu'il rejette en mon me, N'est rien qu'un vent qui souffle, et rallume ma flamme; Et reculant toujours ce qu'il semble m'offrir

    {C0A8C5 9F-6E8F-43c4 -8453-6 5D208 276F40} {45B3 D8EB- 33AE-4 3C6- A43D -3AB 2AB6 B9897} {C0A 8C59F-6E8F -43c4-8453 -65D208276F40 }

  • Me fait plaire en ma peine, et m'obstine souffrir.TIRSISQue je te trouve, ami, d'une humeur admirable, Pour paratre loquent tu te feins misrable, Est-ce dessein de voir avec quelles couleurs Je saurais adoucir les traits de tes malheurs ?Ne t'imagine pas que dessus ta parole D'une fausse douleur un ami te console, Ce que chacun en dit ne m'a que trop appris Que Mlite pour toi n'eut jamais de mpris.ERASTESon gracieux accueil, et ma persvrance Font natre ce faux bruit d'une vaine apparence, Ses ddains sont cachs, encor que continus, Et d'autant plus cruels que moins ils sont connus.TIRSISEn tant bien reu du reste que t'importe ? C'est tout ce que tu veux des filles de sa sorte.ERASTECet accs favorable, ouvert, et libre tous, Ne me fait pas trouver mon martyre plus doux, Sa hantise me perd, mon mal en devient pire, Vu que loin d'obtenir le bonheur o j'aspire Parler de mariage ce cur de rocherC'est l'unique moyen de n'en plus approcher.TIRSISNe dissimulons point, tu rgles mieux ta flamme Et tu n'es pas si fou que d'en faire ta femme.ERASTEQuoi ? tu sembls douter de mes intentions ?TIRSISJe crois malaisment que tes affections Arrtent en un lieu si peu considrable D'une chaste moiti le choix invariable : Tu serais incivil de la voir chaque jour Et ne lui tenir pas quelques propos d'amour. Mais d'un vain compliment ta passion borne Laisse aller tes desseins ailleurs pour l'hymne; Tu sais qu'on te souhaite aux plus riches maisons O de meilleurs partis...ERASTE

    Trve de ces raisons,Mon amour s'en offense, et tiendrait pour supplice D'avoir prendre avis d'une sale avarice,Je ne sache point d'or capable de mes vux Que celui dont Nature a par ses cheveux.TIRSIS

  • Si c'est l le chemin qu'en aimant tu veux suivre, Tu ne sais gure encor ce que c'est que de vivre, Ces visages d'clat sont bons cajoler,C'est l qu'un jeune oiseau doit s'apprendre parler, J'aime remplir de feux ma bouche en leur prsence, La mode nous oblige cette complaisance, Tous ces discours de livre alors sont de saison, II faut feindre du mal, demander gurison,Donner sur le phbus, promettre des miracles, Jurer qu'on brisera toutes sortes d'obstacles, Mais du vent et cela doivent tre tout un.ERASTEPasse pour des beauts, qui soient dans le commun, C'est ainsi qu'autrefois j'amusai Crisolite,Mais c'est d'autre faon qu'on doit servir Mlite, Malgr tes sentiments il me faut accorder Que le souverain bien gt la possder : Le jour qu'elle naquit, Vnus quoique immortelle Pensa mourir de honte en la voyant si belle.Les Grces, au sjour qu'elles faisaient aux cieux, Prfrrent l'honneur d'accompagner ses yeux, Et l'Amour, qui ne put entrer dans son courage, Voulut tout le moins loger sur son visage.TIRSISTe voil bien en train, si je veux t'couter Sur ce mme ton-l tu m'en vas bien conter. Pauvre amant, je te plains, qui ne sais pas encore Que bien qu'une beaut mrite qu'on l'adore, Pour en perdre le got on n'a qu' l'pouser. Un bien qui nous est d se fait si peu priser, Qu'une femme ft-elle entre toutes choisie, On en voit en six mois passer la fantaisie, Tel au bout de ce temps la souhaite bien loin, La beaut n'y sert plus que d'un fantasque soin A troubler le repos de qui se formalise, S'il advient qu' ses yeux quelqu'un la galantise : Ce n'est plus lors qu'un aide faire un favori, Un charme pour tout autre, et non pour un mari.ERASTECes caprices honteux, et ces chimres vaines Ne sauraient branler des cervelles bien saines, Et quiconque a su prendre une fille d'honneur N'a point redouter l'appas d'un suborneur.TIRSISPeut-tre dis-tu vrai, mais ce choix difficile Assez et trop souvent trompe le plus habile, Et l'hymen de soi-mme est un si lourd fardeau

  • Qu'il faut l'apprhender l'gal du tombeau. S'attacher pour jamais au ct d'une femme! Perdre pour des enfants le repos de son me. Quand leur nombre importun accable la maison! Ah! qu'on aime ce joug avec peu de raison!ERASTEMais il y faut venir, c'est en vain qu'on recule, C'est en vain que l'on fuit, tt ou tard on s'y brle, Pour libertin qu'on soit, on s'y trouve attrap; Toi-mme qui fais tant le cheval chapp Un jour nous te verrons songer au mariage.TIRSISAlors ne pense pas que j'pouse un visage, Je rgle mes dsirs suivant mon intrt, Si Doris me voulait, toute laide qu'elle est Je l'estimerais plus qu'Aminthe, et qu'Hypolite, Son revenu chez moi tiendrait lieu de mrite :C'est comme il faut aimer, l'abondance des biens Pour l'amour conjugal a de puissants liens, La beaut, les attraits, le port, la bonne mine, Echauffent bien les draps, mais non pas la cuisine, Et l'hymen qui succde ces folles amoursPour quelques bonnes nuits, a bien de mauvais jours, Une amiti si longue est fort mal assure Dessus des fondements de si peu de dure : C'est assez qu'une femme ait un peu d'entregent, La laideur est trop belle tant teinte en argent.Et tu ne peux trouver de si douces caresses, Dont le got dure autant que celui des richesses.(MELITE parat.) ERASTEAuprs de ce bel il qui tient mes sens ravis A peine pourrais-tu conserver ton avis.TIRSISLa raison en tous lieux est galement forte.ERASTEL'essai n'en cote rien, Mlite est sa porte, Allons, et tu verras dans ses aimables traits Tant de charmants appas, tant de divins attraits, Que tu seras contraint d'avouer ta honte, Que si je suis un fou je le suis bon compte.TIRSISAllons, et tu verras que toute sa beaut Ne me saura tourner contre la vrit.SCENE II ERASTE, MELITE, TIRSISERASTE

  • Au pril de vous faire une histoire importune Je viens vous raconter ma mauvaise fortune : Ce jeune cavalier autant qu'il m'est amiAutant est-il d'amour implacable ennemi, Et pour moi, qui depuis que je vous ai servie Ne l'ai pas moins pris qu'une seconde vie, Jugez si nos esprits se rapportant si peu Pouvaient tomber d'accord, et parler de son feu;Je me suis donc piqu contre sa mdisance Avec tant de malheur, ou tant d'insuffisance, Que les droits de l'amour bien que pleins d'quit N'ont pu se garantir de sa subtilit, Et je l'amne vous n'ayant plus que rpondre, Assur que vos yeux le sauront mieux confondre.MELITEVous deviez l'assurer plutt qu'il trouverait En ce mpris d'amour qui le seconderait.TIRSISSi le cur ne ddit ce que la bouche exprime Et ne fait de l'amour une meilleure estimeJe plains les malheureux qui vous en donnez Comme d'tranges maux par leur sort destins.MELITECe reproche sans cause inopin m'tonne,Je ne reois d'amour, et n'en donne personne,Les moyens de donner ce que je n'eus jamais ?ERASTEIls vous sont trop aiss, et par vous dsormais La nature pour moi montre son injustice A pervertir son cours pour crotre mon supplice.MELITESupplice imaginaire et qui sent son moqueur.ERASTESupplice qui dchire, et mon me et mon cur.MELITED'ordinaire on n'a pas avec si bon visage Ni l'me ni le cur en un tel quipage.ERASTEVotre divin aspect suspendant mes douleurs Mon visage du vtre emprunte les couleurs.MELITEFaites mieux, pour finir vos maux et votre flamme Empruntez tout d'un temps les froideurs de mon me.ERASTEVous voyant les froideurs perdent tout leur pouvoir, Et vous n'en conservez qu' faute de vous voir.MELITE

  • Eh quoi ! tous les miroirs ont-ils de fausses glaces ?ERASTEPenseriez-vous y voir la moindre de vos grces ?De si frles sujets ne sauraient exprimerCe qu'amour dans les curs peut lui seul imprimer, Et quand vous en voudrez croire leur impuissance, Encor cette lgre, et faible connaissance Que vous aurez par eux de tant de raretVous mettra hors du pair de toutes les beauts!MELITEVoil trop vous tenir dans une complaisance Que vous dussiez quitter du moins en ma prsence, Et ne dmentir par le rapport de vos yeux Afin d'avoir sujet de m'entreprendre mieux.ERASTELe rapport de mes yeux aux dpens de mes larmes Ne m'a que trop appris le pouvoir de vos charmes.TIRSISSur peine d'tre ingrate il faut de votre part Reconnatre les dons que le ciel vous dpart.ERASTEVoyez que d'un second mon droit se fortifie.MELITEMais plutt son secours fait voir qu'il s'en dfie.TIRSISJe me range toujours avec la vrit.MELITESi vous la voulez suivre, elle est de mon ct.TIRSISOui sur votre visage, et non en vos paroles : Mais cessez de chercher ces refuites frivoles, Et prenant dsormais des sentiments plus doux Ne soyez plus de glace qui brle pour vous.MELITEUn ennemi d'amour me tenir ce langage ! Accordez votre bouche avec votre courage, Pratiquez vos conseils, ou ne m'en donnez pas.TIRSISJ'ai reconnu mon tort auprs de vos appas, II vous l'avait bien dit.ERASTE

    Ainsi ma prophtie Est, ce que je vois, de tout point russie.TIRSISSi tu pouvais produire en elle un mme effet Crois-moi, que ton bonheur serait bientt parfait.MELITE

  • Pour voir si peu de chose aussitt vous ddire Me donne vos dpens de beaux sujets de rire, Mais outre qu'il m'est doux de m'entendre flatter Ma mre qui m'attend m'oblige vous quitter, Excusez ma retraite.ERASTE

    Adieu belle inhumaine, De qui seule dpend, et mon aise et ma peine.MELITEPlus sage l'avenir quittez ces vains propos, Et laissez votre esprit et le mien en repos.SCNE III ERASTE, TIRSISERASTEMaintenant, suis-je un fou ? mritai-je du blme ? Que dis-tu de l'objet, que dis-tu de ma flamme ?TIRSISQue veux-tu que j'en die ? elle a je ne sais quoi Qui ne peut consentir que l'on demeure soi : Mon cur jusqu' prsent l'amour invincible Ne se maintient qu' force aux termes d'insensible, Tout autre que Tirsis mourrait pour la servir.ERASTEConfesse franchement qu'elle a su te ravir,Mais que tu ne veux pas prendre pour cette belle Avec le nom d'amant le titre d'infidle. Rien que notre amiti ne t'en peut dtourner Mais ta Muse du moins s'en lairra suborner,N'est-il pas vrai, Tirsis, dj tu la disposes A de puissants efforts pour de si belles choses ?TIRSISEn effet ayant vu tant et de tels appas, Que je ne rime point, je ne le promets pas.ERASTEGarde aussi que tes feux n'outrepassent la rime.TIRSISSi je brle jamais je veux brler sans crime.ERASTEMais si sans y penser tu te trouvais surpris ?TIRSISQuitte pour dcharger mon cur dans mes crits. J'aime bien ces discours de plaintes, et d'alarmes, De soupirs, de sanglots, de tourments et de larmes, C'est de quoi fort souvent je btis ma chanson, Mais j'en connais, sans plus, la cadence et le son. Souffre qu'en un sonnet, je m'efforce dpeindre Cet agrable feu que tu ne peux teindre,

  • Tu le pourras donner comme venant de toi.ERASTEAinsi ce cur d'acier qui me tient sous sa loi Verra ma passion pour le moins en peinture. Je doute nanmoins qu'en cette portraiture Tu ne suives plutt tes propres sentiments.TIRSISMe prpare le ciel de nouveaux chtiments, Si jamais ce penser entre dans mon courage.ERASTEAdieu, je suis content, j'ai ta parole en gage, Et sais trop que l'honneur t'en fera souvenir.TIRSIS, seul,En matire d'amour rien n'oblige tenir, Et les meilleurs amis lorsque son feu les presse Font bientt vanit d'oublier leur promesse.SCNE IVPHILANDRE, CLORISPHILANDREJe meure, mon souci, tu dois bien me har, Tous mes soins depuis peu ne vont qu' te trahir.CLORISNe m'pouvante point, ta mine je pense Que le pardon suivra de fort prs cette offense Sitt que j'aurai su quel est ce mauvais tour.PHILANDRESache donc qu'il ne vient sinon de trop d'amour.CLORISJ'eusse os le gager qu'ainsi par quelque ruse Ton crime officieux porterait son excuse : Mais n'importe, sachons.PHILANDRE

    Ton bel il mon vainqueur Fait natre chaque jour tant de feux en mon cur, Que leur excs m'accable, et que pour m'en dfaire Je recherche par o tu me pourras dplaire, J'examine ton teint dont l'clat me surprit, Les traits de ton visage, et ceux de ton esprit, Mais je n'en puis trouver un seul qui ne me plaise.CLORISEt moi dans mes dfauts encor suis-je bien aise Qu'ainsi tes sens tromps, te forcent dsormais A chrir ta Cloris, et ne changer jamais.PHILANDRETa beaut te rpond de ma persvrance, Et ma foi qui t'en donne une entire assurance.CLORIS

  • Voil fort doucement dire que sans ta foi Ma beaut ne pourrait te conserver moi.PHILANDREJe traiterais trop mal une telle matresse De l'aimer seulement pour tenir ma promesse, Ma passion en est la cause, et non l'effet : Outre que tu n'as rien qui ne soit si parfait, Qu'on ne peut te servir sans voir sur ton visage De quoi rendre constant l'homme le plus volage.CLORISTu m'en vas tant conter de ma perfection, Qu' la fin j'en aurai trop de prsomption.PHILANDRES'il est permis d'en prendre l'gal du mrite, Tu n'en saurais avoir qui ne soit trop petite.CLORISMon mrite est si peu...PHILANDRE

    Tout beau, mon cher souci, C'est me dsobliger que de parler ainsi, Nous devons vivre ensemble avec plus de franchise : Ce refus obstin d'une louange acquise M'accuserait enfin de peu de jugement, D'avoir tant pris de peine, et souffert de tourment, Pour qui ne valait pas l'offre de mon service.CLORISA travers tes discours si remplis d'artificeJe dcouvre le but de ton intention,C'est que te dfiant de mon affectionTu la veux acqurir par une flatterie.Philandre, ces propos sentent la moquerie, Une fausse louange est un blme secret,Epargne-moi de grce, et songe plus discretQu'tant belle tes yeux plus outre je n'aspire.PHILANDREQue tu sais dextrement adoucir mon martyre ! Mais parmi les plaisirs qu'avec toi je ressens A peine mon esprit ose croire mes sens, Toujours entre la crainte et l'espoir en balance, Car s'il faut que l'amour naisse de ressemblance Mes imperfections nous loignant si fort Qu'oserais-je prtendre en ce peu de rapport ?CLORISDu moins ne prtends pas qu' prsent je te loue. Et qu'un mpris rus que ton cur dsavoue Me mette sur la langue un babil affet Pour te rendre mon tour ce que tu m'as prt :

  • Au contraire, je veux que tout le monde sacheQue je connais en toi des dfauts que je cache. Quiconque avec raison peut tre nglig A qui le veut aimer est bien plus oblig.PHILANDREQuant toi tu te crois de beaucoup plus aimable ?CLORISSans doute, et qu'aurais-tu qui me ft comparable ?PHILANDRERegarde dans mes yeux, et reconnais qu'en moi On peut voir quelque chose aussi beau comme toi.CLORISC'est sans difficult m'y voyant exprime. PHILANDREQuitte ce vain orgueil dont ta vue est charme, Tu n'y vois que mon cur qui n'a plus un seul trait Que ceux qu'il a reus de ton divin portrait Et qui tout aussitt que tu t'es fait paratre Afin de te mieux voir, s'est mis la fentre.CLORISDois-je prendre ceci pour de l'argent comptant ? Oui, Philandre, et mes yeux t'en vont montrer autant Nos brasiers tout pareils ont mmes tincelles.PHILANDREAinsi, chre Cloris, nos ardeurs mutuelles Dedans cette union prenant un mme cours Nous prparent un heur qui durera toujours, Cependant un baiser accord par avance Soulagerait beaucoup ma pnible souffrance.CLORISPrends-le sans demander, poltron, pour un baiserCrois-tu que ta Cloris te voult refuser ?SCNE DERNIRE TIRSIS, PHILANDRE, CLORISTlRSIS(Il les surprend sur ce baiser.)Voil traiter l'amour justement bouche bouche; C'est par o vous alliez commencer l'escarmouche ? Encore n'est-ce pas trop mal passer son temps. PHILANDREQue t'en semble, Tirsis ?TIRSIS

    Je vous vois si contents,Qu' ne vous rien celer touchant ce qu'il me semble Du divertissement que vous preniez ensemble, Je pense ne pouvoir vous tre qu'importun, Vous feriez mieux un tiers, que d'en accepter un.

  • CLORISDis ce que tu voudras, nos feux n'ont point de crimes Et pour t'apprhender ils sont trop lgitimes, Puisqu'un hymen sacr promis ces jours passs, Sous ton consentement les autorise assez.TIRSISOu je te connais mal, ou son heure tardive Te dsoblige fort de ce qu'elle n'arrive, Cette lgre amorce irritant tes dsirs Fait que l'illusion d'autres meilleurs plaisirs Vient la nuit chatouiller ton esprance avide, Mal satisfaite aprs de tant mcher vide.CLORISTa belle humeur te tient, mon frre.TIRSIS

    Assurment.CLORISLe sujet ?TIRSIS

    J'en ai trop dans ton contentement.CLORISLe cur t'en dit d'ailleurs.TIRSIS

    II est vrai, je te jure,J'ai vu je ne sais quoi.CLORIS

    Dis-le, je t'en conjure.TIRSISMa foi, si ton Phialndre avait vu de mes yeux, Tes affaires, ma sur, n'en iraient gure mieux.CLORISJ'ai trop de vanit pour croire que Philandre Trouve encor aprs moi qui puisse le surprendre.TIRSISTes vanits part, repose-t'en sur moi, Que celle que j'ai vue est bien autre que toi.PHILANDREParle mieux de l'objet dont mon me est ravie, Ce blasphme tout autre aurait cot la vie.TIRSISNous tomberons d'accord sans nous mettre en pourpoint.CLORISEncor cette beaut ne la nomme-t-on point ?TIRSISNon pas si tt, adieu, ma prsence importune Te laisse la merci d'amour, et de la brune. Continuez les jeux que j'ai...

  • CLORISTout beau gausseur,

    Ne t'imagine point de contraindre une sur, N'importe qui l'claire en ces chastes caresses Et pour te faire voir des preuves plus expresses, Qu'elle ne craint en rien ta langue, ni tes yeux, Philandre d'un baiser scelle encor tes adieux.PHILANDREAinsi vienne bientt cette heureuse journe Qui nous donne le reste en faveur d'hymne.TIRSISSa nuit est bien plutt ce que vous attendez, Pour vous rcompenser du temps que vous perdez.

    ACTE II

    SCNE PREMIREERASTEJe l'avais bien prvu que cette me infidle Ne se dfendrait point des yeux de ma cruelle, Qui traite mille amants avec mille mpris,Et n'a point de faveurs que pour le dernier pris : Mme ds leur abord je lus sur son visage De sa dloyaut l'infaillible prsage, Un inconnu frisson dans mon corps pandu Me donna les avis de ce que j'ai perdu;Mais hlas ! qui pourrait gauchir sa destine. Son immuable loi dans le ciel burine Nous fait si bien courir aprs notre malheur Que j'ai donn moi-mme accs ce voleur, Le perfide qu'il est me doit sa connaissance,C'est moi qui l'ai conduit, et mis en sa puissance, C'est moi qui l'engageant ce froid compliment Ai jet de mes maux le premier fondement. Depuis cette volage vite ma rencontre, Ou si malgr ses soins le hasard me la montre, Si je puis l'aborder, son discours se confond, Son esprit en dsordre peine me rpond, Une rflexion vers le tratre qu'elle aime Presques tous moments le ramne en lui-mme Et tout rveur qu'il est, il n'a point de soucis Qu'un soupir ne trahisse au seul nom de Tirsis.Lors par le prompt effet d'un changement trange Son silence rompu se dborde en louange. Elle remarque en lui tant de perfections, Que les moins aviss verraient ses passions,Sa bouche ne se plat qu'en cette flatterie,

  • Et tout autre propos lui rend sa rverie. Cependant chaque jour au babil attachs Ils ne retiennent plus leurs sentiments cachs, Ils ont des rendez-vous o l'amour les assemble,Encor hier sur le soir je les surpris ensemble, Encor tout de nouveau je la vois qui l'attend : Que cet il assur marque un esprit content. Sus donc perds tout respect, et tout soin de lui plaire, Et rend dessus le champ ta vengeance exemplaire.Non il vaut mieux s'en rire, et pour dernier effort Lui montrer en raillant combien elle a de tort.SCNE II ERASTE, MELITEERASTEQuoi ? seule et sans Tirsis ? vraiment c'est un prodige, Et ce nouvel amant dj trop vous nglige, Laissant ainsi couler la belle occasion De vous conter l'excs de son affection.MELITEVous savez que son me en est fort dpourvue.ERASTEToutefois, ce dit-on, depuis qu'il vous a vue, Ses chemins par ici s'adressent tous les jours, Et ses plus grands plaisirs ne sont qu'en vos discours.MELITEEt ce n'est pas aussi sans cause qu'il les prise. Puis qu'outre que l'amour comme lui je mprise, Sa froideur que redouble un si lourd entretien Le rsout d'autant mieux n'aimer jamais rien.ERASTEDites n'aimer rien que la belle Mlite.MELITEPour tant de vanit j'ai trop peu de mrite.ERASTEEn faut-il tant avoir pour ce nouveau venu ?MELITEUn peu plus que pour vous.ERASTE

    De vrai, j'ai reconnu,Vous ayant pu servir deux ans et davantage, Qu'il faut si peu que rien toucher mon courage.MELITEEncor si peu que c'est vous tant refus, Prsumez comme ailleurs vous serez mpris.ERASTEVos mpris ne sont pas de grande consquence, Et ne vaudront jamais la peine que j'y pense,

  • Sachant qu'il vous voyait, je m'tais bien dout Que je ne serais plus que fort mal cout.MELITESans que mes actions de plus prs j'examine,A la meilleure humeur je fais meilleure mine,Et s'il m'osait tenir de semblables discours,Nous romprions ensemble avant qu'il ft deux jours.ERASTESi chaque objet nouveau de mme vous engage, II ne tardera gure changer de langage, Caress maintenant aussitt qu'aperu Quaurait-il se plaindre tant si bien reu ?MELITEEraste, voyez-vous, trve de jalousie,Purgez votre cerveau de cette frnsie,Laissez en libert mes inclinations,Qui vous a fait censeur de mes affections ?Vraiment, c'est bien vous que j'en dois rendre compte.ERASTEAussi j'ai seulement pour vous un peu de honte Qu'on murmure partout du trop de privaut, Que dj vous souffrez sa tmrit.MELITENe soyez en souci que de ce qui vous touche.ERASTELe moyen sans regret de vous voir si farouche Aux lgitimes vux de tant de gens d'honneur, Et d'ailleurs si facile ceux d'un suborneur ?MELITECe n'est pas contre lui qu'il faut en ma prsence Lcher les traits jaloux de votre mdisance. Adieu, souvenez-vous que ces mots insenss L'avanceront chez moi plus que vous ne pensez.SCNE IIIERASTEC'est l donc ce qu'enfin me gardait ta malice ?C'est ce que j'ai gagn par deux ans de service ?C'est ainsi que mon feu s'tant trop abaissD'un outrageux mpris se voit rcompens ?Tu me prfres donc un tratre qui te flatte ? Inconstante beaut, lche, perfide, ingrate,De qui le choix brutal se porte au plus mal fait,Tu l'estimes faux, tu verras l'effetPar le peu de rapport que nous avons ensembleQu'un honnte homme et lui n'ont rien qui se ressemble. Que dis-je, tu verras ? il vaut autant que mort,Ma valeur, mon dpit, ma flamme en sont d'accord,

  • II suffit, les destins bands me dplaireNe l'arracheraient pas ma juste colre.Tu dmordras, parjure, et ta dloyaut Maudira mille fois sa fatale beaut.Si tu peux te rsoudre mourir en brave homme,Ds demain un cartel, l'heure, et le lieu te nomme.Insens que je suis! hlas, o me rduitCe mouvement bouillant dont l'ardeur me sduit!Quel transport drgl! quelle trange chappe! Avec un affronteur mesurer mon pe ! C'est bien contre un brigand qu'il me faut hasarder, Contre un tratre qu' peine on devrait regarder, Lui faisant trop d'honneur moi-mme je m'abuse,C'est contre lui qu'il faut n'employer que la ruse : II fut toujours permis de tirer sa raison D'une infidlit par une trahison : Vis doncques dloyal, vis, mais en assurance Que tout va dsormais tromper ton esprance,Que tes meilleurs amis s'armeront contre toi, Et te rendront encor plus malheureux que moi. J'en sais l'invention qu'un voisin de MliteExcutera trop aussitt que prescrite. Pour n'tre qu'un maraud, il est assez subtil.SCNE IV ERASTE, CLITONERASTEHol! ho, vieil ami.CLITON

    Monsieur, que vous plat-il ? ERASTEMe voudrais-tu servir en quelque bonne affaire ?CLITONDans un empchement fort extraordinaire Je ne puis m'loigner un seul moment d'ici.ERASTEVa, tu n'y perdras rien, et d'avance voici Une part des effets qui suivent mes paroles.CLITONAllons, malaisment gagne-t-on dix pistoles.SCNE VTIRSIS, CLORISTIRSISMa sur, un mot d'avis sur un mchant sonnet Que je viens de brouiller dedans mon cabinet.CLORISC'est quelque beaut que ta Muse l'adresse ?TIRSIS

  • En faveur d'un ami je flatte sa matresse, Vois si tu le connais, et si parlant pour lui J'ai su m'accommoder aux passions d'autrui.

    SONNETAprs l'il de Mlite il n'est rien d'admirable.CLORISHa! frre, il n'en faut plus.TIRSIS

    Tu n'es pas supportable.De me rompre si tt.CLORIS

    C'tait sans y penser,Achve.TIRSIS

    Tais-toi donc, je vais recommencer.SONNET

    Aprs l'il de Mlite il n'est rien d'admirable, II n'est rien de solide aprs ma loyaut, Mon feu comme son teint se rend incomparable, Et je suis en amour ce qu'elle est en beaut.

    Quoi que puisse mes sens offrir la nouveaut, Mon cur tous ses traits demeure invulnrable : Et bien qu'elle ait au sien la mme cruaut, Ma foi pour ses rigueurs n'en est pas moins durable.

    C'est donc avec raison que mon extrme ardeur Trouve chez cette belle une extrme froideur, Et que sans tre aim je brle pour Mlite :

    Car de ce que les Dieux nous envoyant au jour Donnrent pour nous deux d'amour, et de mrite,Elle a tout le mrite, et moi j'ai tout l'amour.CLORISTu l'as fait pour Eraste ?TIRSIS

    Oui, j'ai dpeint sa flamme.CLORISComme tu la ressens peut-tre dans ton me ?TIRSISTu sais mieux qui je suis, et que ma libre humeur N'a de part en mes vers que celle de rimeur.CLORISPauvre frre, vois-tu, ton silence t'abuse,De la langue, ou des yeux, n'importe qui t'accuse, Les tiens m'avaient bien dit, malgr toi, que ton cur Soupirait sous les lois de quelque objet vainqueur,

  • Mais j'ignorais encor qui tenait ta franchise, Et le nom de Mlite a caus ma surprise Sitt qu'au premier vers ton sonnet m'a fait voir Ce que depuis huit jours je brlais de savoir.TIRSISTu crois donc que j'en tiens ?CLORIS

    Fort avant.TIRSIS

    Pour Mlite ?CLORISPour Mlite, et de plus que ta flamme n'excite Dedans cette matresse aucun embrasement.TIRSISQui t'en a tant appris ? mon sonnet ?CLORIS

    Justement.TIRSISEt c'est ce qui te trompe avec tes conjectures. Et par o ta finesse a mal pris ses mesures, Un visage jamais ne m'aurait arrt S'il fallait que l'amour ft tout de mon ct. Ma rime seulement est un portrait fidle De ce qu'Eraste souffre en servant cette belle Mais quand je l'entretiens de mon affection J'en ai toujours assez de satisfaction.CLORISMontre, si tu dis vrai, quelque peu plus de joie. Et rends-toi moins rveur afin que je te croie.TIRSISJe rve, et mon esprit ne s'en peut exempter, Car sitt que je viens me reprsenter, Qu'une vieille amiti de mon amour s'irrite,Qu'Eraste m'en retire, et s'oppose Mlite, Tantt je suis ami, tantt je suis rival, Et toujours balanc d'un contrepoids gal J'ai honte de me voir insensible, ou perfide, Si l'amour m'enhardit, l'amiti m'intimide,Entre ces mouvements mon esprit partag Ne sait duquel des deux il doit prendre cong.CLORISVoil bien des dtours pour dire au bout du compte Que c'est contre ton gr que l'amour te surmonte; Tu prsumes par l me le persuader, Mais ce n'est pas ainsi qu'on m'en baille garder,A la mode du temps, quand nous servons quelque autre; C'est seulement alors qu'il n'y va rien du ntre,

  • Un chacun soi-mme est son meilleur ami Et tout autre intrt ne touche qu' demi.TIRSISQue du foudre tes yeux j'prouve la furie, Si rien que ce rival cause ma rverie.CLORISC'est donc assurment son bien qui t'est suspect, Son bien te fait rver, et non pas son respect, Et toute amiti bas, tu crains que sa richesse En dpit de tes feux n'emporte ta matresse.TIRSISTu devines, ma sur, cela me fait mourir.CLORISVaine frayeur pourtant dont je veux te gurir.TIRSISM'en gurir !CLORIS

    Laisse faire, Eraste sert Mlite, Non pas ? mais depuis quand ?TIRSIS

    Depuis qu'il la visite Deux ans se sont passs.CLORIS

    Mais dedans ses discours Parle-t-il d'pouser ?TIRSIS

    Oui, presque tous les jours.CLORISDonc sans l'apprhender poursuis ton entreprise, Avecque tout son bien Mlite le mprise, Puisqu'on voit sans effet deux ans d'affection, Tu ne dois plus douter de son aversion, Le temps ne la rendra que plus grande et plus forte, On prend au premier bond les hommes de sa sorte, De crainte que la longue ils n'teignent leur feu.TIRSISMais il faut redouter une mre. CLORIS

    Aussi peu.TIRSISSa puissance pourtant sur elle est absolue.CLORISOui mais dj l'affaire en serait rsolue Et ton rival aurait de quoi se contenter Si sa mre tait femme la violenter.TIRSISPour de si bons avis il faut que je te baise,

  • Mais si je t'abandonne, excuse mon trop d'aise, Avec cette lumire et ma dextrit J'en veux aller savoir toute la vrit.Adieu.CLORIS

    Moi je m'en vais dans le logis attendre Le retour dsir du paresseux Philandre, Un baiser refus lui fera souvenirQu'il faut une autre fois tarder moins venir.SCNE VI ERASTE, CLITON(Il baille une lettre CLITON.) ERASTECours vite chez Philandre, et dis-lui que MliteA dedans ce papier sa passion dcrite, Dis-lui que sa pudeur ne saurait plus cacher Un feu qui la consomme, et qu'elle tient si cher : Mais prends garde surtout bien jouer ton rle, Remarque sa couleur, son maintien, sa parole, Vois si dans la lecture un peu d'motion Ne te montrera rien de son intention.CLITONCela vaut fait, Monsieur.ERASTE

    Mais avec ton message Tche si dextrement de tourner son courage Que tu viennes bout de sa fidlit.CLITONMonsieur, reposez-vous sur ma subtilit. II faudra malgr lui qu'il donne dans le pige,Ma tte sur ce point vous servira de plge Mais aussi, vous savez...(CLITON rentre.)ERASTE

    Oui, va, sois diligent,Ces mes du commun font tout pour de l'argent Et sans prendre intrt au dessein de personne Leur service et leur foi sont qui plus leur donne, Quand ils sont blouis de ce tratre mtal Ils ne distinguent plus le bien d'avec le mal, Le seul espoir du gain rgle leur conscience,(CLITON ressort brusquement.) Mais tu reviens bien tt, est-ce fait ?CLITON

    Patience,Monsieur, en vous donnant un moment de loisir, II ne tiendra qu' vous d'en avoir le plaisir.

  • ERASTEComment ?CLITON

    De ce carfour j'ai vu venir Philandre, Cachez-vous en ce coin, et de l sachez prendre(PHILANDRE parat, et ERASTE se cache.)L'occasion commode seconder mes coups, Par l nous le tenons, le voici, sauvez-vous.SCNE VIIPHILANDRE, ERASTE, CLITONPHILANDREQuelle rception me fera ma matresse ?Le moyen d'excuser une telle paresse ?CLITONMonsieur, tout propos je vous rencontre ici Expressment charg de vous rendre ceci.PHILANDRE Qu'est-ce ?CLITON

    Vous allez voir en lisant cette lettre Ce qu'un homme jamais ne s'oserait promettre. Ouvrez-la seulement.PHILANDRE

    Tu n'es rien qu'un conteur.CLITONJe veux mourir au cas qu'on me trouve menteur.

    LETTRE SUPPOSEDE MELITE A PHILANDRE

    Malgr le devoir et la biensance du sexe, celle-ci m'chappe en faveur de vos mrites; pour vous apprendre que c'est Mlite qui vous crit, et qui vous aime. Si elle est assez heureuse pour recevoir de vous une rciproque affection, contentez-vous de cet entretien par lettres jusques ce qu'elle ait t de l'esprit de sa mre quelques personnes qui n'y sont que trop bien pour son contentement.(Cependant gu PHILANDRE lit, ERASTE s'approche par-derrire, et feignant d'avoir lu par--dessus son paule, il lui saisit la main encore pleine de la lettre toute dploye.)ERASTEC'est donc la vrit que la belle MliteFait du brave Philandre une louable lite, Et qu'il obtient ainsi de sa seule vertuCe qu'Eraste et Tirsis ont en vain dbattu ?Vraiment dans un tel choix mon regret diminue,Outre qu'une froideur depuis peu survenuePortait nos deux esprits s'entrengliger, Si bien que je cherchais par o m'en dgager.PHILANDRE

  • Me dis-tu que Tirsis brle pour cette belle ?ERASTEII en meurt.PHILANDRE

    Ce courage l'amour si rebelle ?ERASTELui-mme.PHILANDRE

    Si ton feu commence te lasser, Pour un si bon ami tu peux y renoncer, Sinon, pour mon regard ne cesse de prtendre, Etant pris une fois je ne suis plus prendre, Tout ce que je puis faire son brasier naissant C'est de le revancher par un zle impuissant, Et ma Cloris la prie afin de s'en distraire De tourner ce qu'elle a de flamme vers son frre.ERASTEAuprs de sa beaut qu'est-ce que ta Cloris ?PHILANDREUn peu plus de respect pour ce que je chris.ERASTEJe veux qu'elle ait en soi quelque chose d'aimable, Mais la peux-tu juger l'autre comparable ?PHILANDRESoit comparable, ou non, je n'examine pas Si des deux l'une ou l'autre a plus ou moins d'appas, J'ai promis d'aimer l'une, et c'est o je m'arrte.ERASTEAvise toutefois, le prtexte est honnte.PHILANDREJ'en serais mal voulu des hommes et des Dieux.ERASTEOn pardonne aisment qui trouve son mieux.PHILANDREMais en quoi gt ce mieux ?ERASTE

    Ce mieux gt en richesse.PHILANDREO le sale motif changer de matresse!ERASTEEn amour.PHILANDRE

    Ma Cloris m'aime si chrement Qu'un plus parfait amour ne se voit nullement.ERASTETu le verras assez, si tu veux prendre garde A ce qu' ton sujet l'une et l'autre hasarde.

  • L'une en t'aimant s'expose au pril d'un mpris. L'autre ne t'aime point que tu n'en sois pris. L'une t'aime engag vers une autre moins belle. L'autre se rend sensible qui n'aime rien qu'elle : L'une au desu des siens te montre son ardeur, Et l'autre aprs leur choix quitte un peu sa froideur :L'une...PHILANDRE

    Adieu, des raisons de si peu d'importance N'ont rien qui soit bastant, d'branler ma constance. Dans deux heures d'ici tu viendras me revoir.(Il dit ce dernier vers comme l'oreille de CLITON, et rentrent tous deux chacun de leur ct.)CLITONDisposez librement de mon petit pouvoir.ERASTE, seul.Il a beau dguiser, il a got l'amorce, Cloris dj sur lui n'a presque plus de force, Ainsi je suis deux fois veng du ravisseur Ruinant tout ensemble et le frre et la sur.SCNE DERNIRE TIRSIS, ERASTE, MELITETIRSISEraste, arrte un peu.ERASTE

    Que me veux-tu ?TIRSIS

    Te rendre Ce sonnet que pour toi je promis d'entreprendre.MELITE(Elle parat au travers d'une jalousie, et dit ces vers cependant qu'Eraste lit le sonnet tout bas.)Que font-ils l tous deux ? qu'ont-ils dmler ? Ce jaloux la fin le pourra quereller, Du moins les compliments dont peut-tre ils se jouent Sont des civilits qu'en l'me ils dsavouent. TIRSIS(II montre du doigt la fin de son sonnet Eraste.)J'y donne une raison de ton sort inhumain. Allons, je le veux voir prsenter de ta main A ce divin objet dont ton me est blesse.ERASTE(Feignant de lui rendre son sonnet, il le fait choir et TIRSIS le ramasse.)Une autre fois, Tirsis, quelque affaire presse Fait que je ne saurais pour l'heure m'en charger, Tu trouveras ailleurs un meilleur messager.TIRSIS, seul.La belle humeur de l'homme! Dieux! quel personnage! Quel ami j'avais fait de ce plaisant visage!

  • Une mine fronce, un regard de travers, C'est le remercment que j'aurai de mes vers, Je manque son avis d'assurance ou d'adresse Pour les donner moi-mme sa jeune matresse, Et prendre ainsi le temps de dire sa beautL'empire que ses yeux ont sur ma libert. Je pense l'entrevoir par cette jalousie : Oui, mon me de joie en est toute saisie.(MELITE se retire de la jalousie et descend.)Hlas ! et le moyen de lui pouvoir parler Si mon premier aspect l'oblige s'en aller ? Que d'un petit coup d'oeil l'aise m'est cher vendue! Toutefois tout va bien, la voil descendue, Ses regards pleins de feux s'entendent avec moi, Que dis-je, en s'avanant elle m'appelle soi.MELITEH bien, qu'avez-vous fait de votre compagnie ?TIRSISJe ne puis rien juger de ce qui l'a bannie, A peine ai-je eu loisir de lui dire deux mots Qu'aussitt le fantasque en me tournant le dos S'est chapp de moi.MELITE

    Sans doute il m'aura vue. Et c'est de l que vient cette fuite impourvue.TIRSISVous aimant comme il fait, qui l'et jamais pens ?MELITEVous ne savez donc rien de ce qui s'est pass ?TIRSISJ'aimerais beaucoup mieux savoir ce qui se passe, Et la part qu'a Tirsis en votre bonne grce.MELITEMeilleure aucunement qu'Eraste ne voudrait. Je n'ai jamais connu d'amant si maladroit,II ne saurait souffrir qu'autre que lui m'approche, Dieux! qu' votre sujet il m'a fait de reproche! Vous ne sauriez me voir sans le dsobliger.TIRSISEt de tous mes soucis, c'est l le plus lger, Toute une lgion de rivaux de sa sorteNe divertirait pas l'amour que je vous porte, Qui ne craindra jamais les humeurs d'un jaloux.MELITEAussi le croit-il bien ou je me trompe.TIRSIS

    Et vous ?

  • MELITEBien que ce soit un heur o prtendre je n'ose Pour lui faire dpit j'en croirai quelque chose.TIRSISMais afin qu'il ret un entier dplaisir II faudrait que nos curs n'eussent plus qu'un dsir, Et quitter ces discours de volonts sujettes Qui ne sont point de mise en l'tat o vous tes, Consultez seulement avecques vos appas, Songez leurs effets, et ne prsumez pas Avoir sur tout le monde un pouvoir si suprme Sans qu'il vous soit permis d'en user sur vous-mme; Un si digne sujet ne reoit point de loi, De rgle, ni d'avis d'un autre que de soi.MELITETon mrite plus fort que ta raison flatteuse Me rend, je le confesse, un peu moins scrupuleuse, Je dois tout ma mre, et pour tout autre amant Je m'en voudrais remettre son commandement : Mais attendre pour toi l'effet de sa puissance Sans te rien tmoigner que par obissance, Tirsis, ce serait trop, tes rares qualits Dispensent mon devoir de ces formalits.TIRSISSouffre donc qu'un baiser cueilli dessus ta bouche M'assure entirement que mon amour te touche.MELITEMa parole suffit.TIRSIS

    Ha! j'entends bien que c'est, Un peu de violence en t'excusant te plat.MELITEFoltre, j'aime mieux abandonner la place. Car tu sais drober avec si bonne grce Que bien que ton larcin me fche infiniment Je ne puis rien donner mon ressentiment.TIRSISAuparavant l'adieu, reois de ma constance Dedans ce peu de vers l'ternelle assurance.MELITEGarde bien ton papier, et pense qu'aujourd'hui Mlite veut te croire autant et plus que lui.TlRSIS(Il lui coule le sonnet dans le sein comme elle se drobe.)Par ce refus mignard qui porte un sens contraire Ton feu m'instruit assez de ce que je dois faire. O ciel, je ne crois pas que sous ton large tour

  • Un mortel eut jamais tant d'heur, ni tant d'amour.

    ACTE III

    SCNE PREMIREPHILANDRETu l'as gagn, Mlite, il ne m'est plus possible D'tre tant de faveurs dsormais insensible, Tes lettres o sans fard tu dpeins ton esprit, Tes lettres o ton cur est si bien par crit Ont charm tous mes sens de leurs douces promesses,Leur attente vaut mieux, Cloris, que tes caresses : Ah, Mlite, pardon, je t'offense nommer Celle qui m'empcha si longtemps de t'aimer. Souvenirs importuns d'une amante laisse Qui venez malgr moi remettre en ma penseUn portrait que j'en veux tellement effacer, Que le sommeil ait peine me le retracer Htez-vous de sortir sans plus troubler ma joie Et retournant trouver celle qui vous envoie Dites-lui de ma part pour la dernire foisQu'elle est en libert de faire un autre choix Que ma fidlit n'entretient plus ma flamme, Ou que s'il m'en demeure encore un peu dans l'me, Je souhaite en faveur de ce reste de foi Qu'elle puisse gagner au change autant que moi :Dites-lui de ma part que depuis que le monde Du milieu du chaos tira sa forme ronde, C'est la premire fois que ces vieux ennemis Le change et la raison sont devenus amis.Dites-lui que Mlite ainsi qu'une Desse Est de tous nos dsirs souveraine matresse, Dispose de nos curs, force nos volonts, Et que par son pouvoir nos destins surmonts Se tiennent trop heureux de prendre l'ordre d'elle. Enfin que tous mes vux...SCNE IITIRSIS, PHILANDRETIRSIS

    Philandre.PHILANDRE

    Qui m'appelle ?TIRSISTirsis dont le bonheur au plus haut point mont Ne peut tre parfait sans te l'avoir cont.PHILANDRETu me fais trop d'honneur en cette confidence.

  • TIRSISJ'userais envers toi d'une sotte prudenceSi je faisais dessein de te dissimulerCe qu'aussi bien mes yeux ne sauraient te celer.PHILANDREEn effet, si l'on peut te juger au visage,Si l'on peut par tes yeux lire dans ton courage,Je ne croirai jamais qu' force de rverAu sujet de ta joie on le puisse trouver,Rien n'atteint, ce me semble, aux signes qu'ils en donnent.TIRSISQue fera le sujet si les signes t'tonnent ? Mon bonheur est plus grand qu'on ne peut souponner, C'est quand tu l'auras su qu'il faudra t'tonner.PHILANDREJe ne le saurai pas sans marque plus expresse.TIRSISPossesseur autant vaut...PHILANDRE

    De quoi ?TIRSIS

    D'une matresse,Belle, honnte, gentille, et dont l'esprit charmant De son seul entretien peut ravir un amant, En un mot de Mlite.PHILANDRE

    II est vrai qu'elle est belle, Tu n'as pas mal choisi. Mais...TIRSIS

    Quoi mais?PHILANDRE

    T'aime-t-elle ?TIRSISCela n'est plus en doute.PHILANDRE

    Et de cur ?TIRSIS

    Et de cur.Je t'en rponds.PHILANDRE

    Souvent un visage moqueur N'a que le beau semblant d'une mine hypocrite.TIRSISJe ne crains pas cela du ct de Mlite.PHILANDREEcoute, j'en ai vu de toutes les faons.J'en ai vu qui semblaient n'tre que des glaons

  • Dont le feu gourmand par une adroite feinte S'allumait d'autant plus qu'il souffrait de contrainte : J'en ai vu, mais beaucoup, qui sous le faux appas Des preuves d'un amour qui ne les touchait pasPrenaient du passe-temps d'une folle jeunesse Qui se laisse affiner ces traits de souplesseEt pratiquaient sous main d'autres affections, Mais j'en ai vu fort peu de qui les passions Fussent d'intelligence avecques le visage.TIRSISEt de ce petit nombre est celle qui m'engage, De sa possession je me tiens aussi seur Que tu te peux tenir de celle de ma sur.PHILANDREDoncques si ta raison ne se trouve due Ces deux amours auront une pareille issue ?TIRSISSi cela n'arrivait je me tromperais fort.PHILANDREPour te faire plaisir, j'en veux tre d'accord, Cependant apprends-moi comment elle te traite, Et qui te fait juger son amour si parfaite.TIRSISUne parfaite amour a trop de truchementsPar qui se faire entendre aux esprits des amantsUn clin d'oeil, un soupir.PHILANDRE

    Ces choses ridiculesNe servent qu' piper des mes trop crdules. N'as-tu rien que cela ?TIRSIS

    Sa parole, et sa foi.PHILANDREEncor c'est quelque chose, achve et conte-moi Les douceurs que la belle toute autre farouche T'a laiss drober sur ses yeux, sur sa bouche, Sur sa gorge, ou que sais-je ?TIRSIS

    Ah, ne prsume pas Que ma tmrit profane ses appas, Et quand bien j'aurais eu tant d'heur, ou d'insolence, Ce secret touff dans la nuit du silence N'chapperait jamais ma discrtion.PHILANDREQuelques lettres du moins pleines d'affection Tmoignent son ardeur ?TIRSIS

  • Ces faibles tmoignages D'une vraie amiti sont d'inutiles gages, Je n'en veux, et n'en ai point d'autre que sa foi.PHILANDREJe sais donc bien quelqu'un plus avanc que toi.TIRSISPlus avanc que moi ? j'entends qui tu veux dire. Mais il n'a garde d'tre en tat de me nuire, Ce n'est pas d'aujourd'hui qu'Eraste a son cong.PHILANDRECelui dont je te parle est bien mieux partag.TIRSISJe ne sache que lui qui soupire pour elle.PHILANDREJe ne te tiendrai point plus longtemps en cervelle, Pendant qu'elle t'amuse avec ses beaux discours Un rival inconnu possde ses amours, Et la dissimule, au mpris de ta flamme, Par lettres chaque jour lui fait don de son me.TIRSISDe telles trahisons lui sont trop en horreur.PHILANDREJe te veux par piti tirer de cette erreur, Tantt, sans y penser, j'ai trouv cette lettre, Tiens, vois ce que tu peux dsormais t'en promettre.

    LETTRE SUPPOSEDE MELITE A PHILANDREJe commence m'estimer quelque chose puisque je vous plais, et mon miroir m'offense tous les jours ne me reprsentant pas assez belle comme je m'imagine qu'il faut tre pour mriter votre affection. Aussi la pauvre Mlite ne la croit possder que par faveur ou comme une rcompense extraordinaire d'un excs d'amour, dont elle tche de suppler au dfaut des grces que le ciel lui a refuses.

    PHILANDREMaintenant qu'en dis-tu ? n'est-ce pas t'affronter ?TIRSISCette lettre en tes mains ne peut m'pouvanter.PHILANDRELa raison ?TIRSIS

    Le porteur a su combien je t'aime, Et par un gentil trait il t'a pris pour moi-mme, D'autant que ce n'est qu'un de deux parfaits amis.PHILANDREVoil bien te flatter plus qu'il ne t'est permis, Et pour ton intrt dextrement te mprendre.

  • TIRSISOn t'en aura donn quelque autre pour me rendre Afin qu'encore un coup je sois ainsi du.PHILANDREC'est par l qu'il t'en plat ? oui-d j'en ai reu Encore une qu'il faut que je te restitue.TIRSISDpche, ta longueur importune me tue.

    AUTRE LETTRESUPPOSE DE MELITE A PHILANDREVous n'avez plus affaire qu' Tirsis, je le souffre encore, afin que par sa hantise je remarque plus exactement ses dfauts, et les fasse mieux goter ma mre. Aprs cela Philandre et Mlite auront tout loisir de rire ensemble des belles imaginations dont le frre et la sur ont repu esprances.

    PHILANDRETe voil tout rveur, cher ami, par ta foi Crois-tu que celle-l s'adresse encor toi ?TIRSISTratre, c'est donc ainsi que ma sur mprise Sert ton changement d'un sujet de rise, Qu' tes suasions Mlite osant manquer A ce qu'elle a promis ne s'en fait que moquer, Qu'oubliant tes serments, dloyal, tu subornesUn amour qui pour moi devait tre sans bornes ? Avise te dfendre, un affront si cruel Ne se peut rparer moins que d'un duel, II faut que pour tous deux ta tte me rponde.PHILANDRESi pour te voir tromp, tu te dplais au monde, Cherche en ce dsespoir qui t'en veuille arracher, Quant moi, ton trpas me coterait trop cher, II me faudrait aprs par une prompte fuite Eloigner trop longtemps les beaux yeux de Mlite.TIRSISCe discours de bouffon ne me satisfait pas, Nous sommes seuls ici, dpchons, pourpoint bas.PHILANDREVivons plutt amis, et parlons d'autre chose.TIRSISTu n'oserais, je pense...PHILANDRE

    II est tout vrai, je n'ose, Ni mon sang, ni ma vie en pril exposer : Ils ne sont plus moi, je n'en puis disposer, Adieu, celle qui veut qu' prsent je la serve

  • Mrite que pour elle ainsi je me conserve.SCNE IIITIRSISQuoi ? tu t'enfuis, perfide, et ta lgret,T'ayant fait criminel, te met en sret ? Reviens, reviens dfendre une place usurpe. Celle qui te chrit vaut bien un coup d'pe,Fais voir que l'infidle en se donnant toi A fait choix d'un amant qui valait mieux que moi, Soutiens son jugement, et sauve ainsi de blme Celle qui pour la tienne a nglig ma flamme. Crois-tu qu'on la mrite force de courir ? Peux-tu m'abandonner ses faveurs sans mourir ? Si de les plus garder ton peu d'esprit se lasse, Viens me dire du moins ce qu'il faut que j'en fasse. Ne t'en veux-tu servir qu' me dsabuser ?N'ont-elles point d'effet qui soit plus priser ? O lettres, faveurs indignement places, A ma discrtion honteusement laisses, O gages qu'il nglige ainsi que superflus, Je ne sais qui des trois vous diffamez le plus,De moi, de ce perfide, ou bien de sa matresse, Car vous nous apprenez qu'elle est une tratresse, Son amant un poltron, et moi sans jugement De n'avoir rien prvu de son dguisement. Mais que par ces transports ma raison est surprise! Pour ce manque de cur qu' tort je le mprise! (Hlas ! mes dpens, je le puis bien savoir.) Quand on a vu Mlite on n'en peut plus avoir. Fuis donc, homme sans cur, va dire ta volage Combien sur ton rival ta fuite a d'avantage,Et que ton pied lger ne laisse ma valeur Que les vains mouvements d'une juste douleur, Ce lche naturel qu'elle fait reconnatre Ne t'aimera pas moins tant poltron que tratre. Tratre et poltron! voil les belles qualitsQui retiennent les sens de Mlite enchants. Aussi le fallait-il que cette me infidle, Changeant d'affection, prt un tratre comme elle, Et la jeune ruse a bien su rechercher Un qui n'et sur ce point rien lui reprocher,Cependant que leurr d'une fausse apparence Je repaissais de vent ma frivole esprance. Mais je le mritais, et ma facilit Tentait trop puissamment son infidlit, Je croyais ses yeux, sa mine embrase, A ces petits larcins pris d'une force aise,

  • Hlas ! et se peut-il que ces marques d'amour Fussent de la partie en un si lche tour ? Aurait-on jamais vu tant de supercherie Que tout l'extrieur ne ft que piperie ? Non, non, il n'en est rien, une telle beaut Ne fut jamais sujette la dloyaut : Faibles et seuls tmoins du malheur qui me touche, Vous tes trop hardis de dmentir sa bouche, Mlite me chrit, elle me l'a jur, Son oracle reu je m'en tins assur,Que dites-vous l contre ? tes-vous plus croyables ? Caractres trompeurs vous me contez des fables, Vous voulez me trahir, vous voulez m'abuser, J'ai sa parole en gage, et de plus un baiser. A ce doux souvenir ma flamme se rallume,Je ne sais plus qui croire ou d'elle, ou de sa plume, L'un et l'autre en effet n'ont rien que de lger Mais du plus ou du moins je n'en puis que juger. C'est en vain que mon feu ces doutes me suggre, Je vois trop clairement qu'elle est la plus lgre, Les serments que j'en ai s'en vont au vent jets Et ses traits de sa plume ici me sont rests, Qui dpeignant au vif son perfide courage Remplissent de bonheur Philandre, et moi de rage; Oui, j'enrage, je crve, et tous mes sens troubls D'un excs de douleur succombent accabls, Un si cruel tourment me gne, et me dchire Que je ne puis plus vivre, avec un tel martyre. Aussi ma prompte mort le va bientt finir, Dj mon cur outr, ne cherchant qu' bannir Cet amour qui l'a fait si lourdement mprendre, Pour lui donner passage, est tout prt de se fendre. Mon me par dpit tche d'abandonner Un corps que sa raison sut si mal gouverner, Mes yeux jusqu' prsent, couverts de mille nues, S'en vont les distiller en larmes continues, Larmes qui donneront pour juste chtiment A leur aveugle erreur un autre aveuglement Et mes pieds qui savaient sans eux, sans leur conduite,Comme insensiblement me porter chez MliteMe porteront sans eux en quelque lieu dsert. En quelque lieu sauvage peine dcouvert, Ou ma main d'un poignard achvera le reste, O pour suivre l'arrt de mon destin funesteJe rpandrai mon sang, et j'aurai pour le moins Ce faible et vain soulas en mourant sans tmoins Que mon trpas secret fera que l'infidle

  • Ne pourra se vanter que je sois mort pour elle.SCNE IV TIRSIS, CLORISCLORISMon frre, en ma faveur retourne sur tes pas, Dis-moi la vrit, tu ne me cherchais pas?Et quoi ? tu fais semblant de ne me pas connatre!O Dieux ! en quel tat te vois-je ici paratre !Tu plis tout coup, et tes louches regardsS'lancent incertains presque de toutes parts! Tu manques la fois de poumon et d'haleine,Ton pied mal affermi ne te soutient qu' peine.Quel accident nouveau te brouille ainsi les sens ?TIRSISPuisque tu veux savoir le mal que je ressens, Avant que d'assouvir l'inexorable envieDe mon sort rigoureux qui demande ma vie, Je vais t'assassiner d'un fatal entretien, Et te dire en deux mots mon malheur et le tien. En nos chastes amours de nous deux on se moque, Philandre, ah! la douleur m'touffe et me suffoque,Adieu, ma sur, adieu, je ne peux plus parler, Lis, puis, si tu le peux, tche te consoler.CLORISNe m'chappe donc pas.TIRSIS

    Ma sur, je te supplie...CLORISQuoi ? que je t'abandonne ta mlancolie ? Non, non, quand j'aurai su ce qui te fait mourir, Si bon me semble alors, je te lairrai courir.(Elle lit les lettres que TIRSIS lui avait donnes.) TlRSISHlas ! quelle injustice !CLORIS

    Est-ce l tout, fantasque ? Quoi ? si la dloyale enfin lve le masque Oses-tu te fcher d'tre dsabus ? Apprends qu'il te faut tre en amour plus rus,Apprends que les discours des filles mieux senses Dcouvrent rarement le fond de leurs penses,Et que les yeux aidant ce dguisement Notre sexe a le don de tromper finement : Apprends aussi de moi que ta raison s'gare,Que Mlite n'est pas une pice si rare, Qu'elle soit seule ici qui vaille la servir, Tant d'autres te sauront en sa place ravir,

  • Avec trop plus d'attraits que cette cervele Qui n'a d'ambition que d'tre cajolePar les premiers venus qui flattant ses beauts Ont assez de malheur pour en tre couts. Ainsi Damon lui plut, Aristandre, et Gronte, Eraste aprs deux ans n'en a pas meilleur conte, Elle t'a trouv bon seulement pour huit jours,Philandre est aujourd'hui l'objet de ses amours,Et peut-tre demain (tant elle aime le change) Quelque autre nouveaut le supplante et nous venge. Ce n'est qu'une coquette, une tte lvent, Dont la langue et le cur s'accordent peu souvent,A qui les trahisons deviennent ordinaires,Et dont tous les appas sont tellement vulgaires Qu'en elle homme d'esprit n'admira jamais rien Que le subject pourquoi tu lui voulais du bien.TIRSISPenses-tu m'amusant avecques des sottises Par tes dtractions rompre mes entreprises ?Non, non, ces traits de langue pandus vainement Ne m'arrteraient pas, encore un seul moment.SCNE VCLORISMon frre ! il s'est sauv, son dsespoir l'emporte. Me prserve le ciel d'en oser de la sorte. Un volage me quitte, et je le quitte aussi. Je l'obligerais trop de m'en mettre en souci, Pour perdre des amants celles qui s'en affligent Donnent trop d'avantage ceux qui les ngligent. Il n'est lors que la joie, elle nous venge mieux,Et la ft-on faux clater par les yeux,C'est toujours tmoigner que leur vaine inconstance Est pour nous mouvoir de trop peu d'importance, Aussi ne veux-je pas le retenir d'aller Et si d'autres que moi ne le vont appeler II usera ses jours courtiser Mlite Outre que l'infidle a si peu de mrite Que l'amour qui pour lui m'prit si follement M'avait fait bonne part de son aveuglement. On enchrit pourtant sur ma faute passe,Dans la mme sottise une autre embarrasse Le rend encor parjure, et sans me, et sans foi Pour se donner l'honneur de faillir aprs moi, Je meure s'il n'est vrai que la plupart du monde Sur l'exemple d'autrui se conduit et se fonde,A cause qu'il parut quelque temps m'enflammer La pauvre fille a cru qu'il valait bien l'aimer

  • Et sur cette croyance elle en a pris envie, Lui peut-elle durer jusqu'au bout de sa vie, Si Mlite a failli me l'ayant dbauch,Dieux, par l seulement punissez son pch, Elle verra bientt quoi qu'elle se propose Qu'elle n'a pas gagn, ni moi perdu grand-chose. Ma perte me console, et m'gaye l'instant. Ha ! si mon fou de frre en pouvait faire autant,Qu'en ce plaisant malheur, je serais satisfaite! Si je puis dcouvrir le lieu de sa retraite Et qu'il me veuille croire, teignant tous ses feux, Nous passerons le temps ne rire que d'eux. Je la ferai rougir, cette jeune vente,Lorsque son criture ses yeux prsente Mettant au jour un crime estim si secret,Elle reconnatra qu'elle aime un indiscret. Je lui veux dire alors, pour aggraver l'offense, Que Philandre avec moi toujours d'intelligenceMe fait des contes d'elle, et de tous les discours Qui servent d'aliment ses vaines amours. Si qu' peine il reoit de sa part une lettre, Qu'il ne vienne en mes mains aussitt la remettre, La preuve captieuse et faite en mme tempsProduira sur-le-champ l'effet que j'en attendsSCNE VIPHILANDREDonc pour l'avoir tenu si longtemps en haleineII me faudra souffrir une ternelle peine, Et payer dsormais avecque tant d'ennui Le plaisir que j'ai pris me jouer de lui ?Vit-on jamais amant, dont la jeune insolence Malment un rival avec tant d'imprudence ? Vit-on jamais amant, dont l'indiscrtion Ft de tel prjudice son affection ? Les lettres de Mlite en ses mains demeuresEn ses mains, autant vaut jamais gares Ruinent la fois ma gloire, mon honneur, Mes desseins, mon espoir, mon repos, et mon heur, Mon trop de vanit tout au rebours succde. J'ai reu des faveurs, et Tirsis les possde,Et cet amant trahi convaincra sa beaut Par des signes si clairs de sa dloyaut. C'est mal avec Mlite tre d'intelligence D'armer son ennemi, d'instruire sa vengeance; Me pourra-t-elle aprs regarder de bon il ?M'oserais-je en promettre un gracieux accueil ? Non, il les faut avoir des mains de ce bravache,

  • Et laver de son sang cette honteuse tache. De force, ou d'amiti, j'en aurai la raison, Je m'en vais l'affronter jusque dans sa maison,Et l si je le trouve, il faudra que sur l'heure En dpit qu'il en ait il les rende, ou qu'il meure.SCNE VIIPHILANDRE, CLORISPHILANDRETirsis.CLORIS

    Que lui veux-tu ?PHILANDRE

    Cloris, pardonne-moi Si je cherche plutt lui parler qu' toi, Nous avons entre nous quelque affaire qui presse.CLORISLe crois-tu rencontrer hors de chez sa matresse ?PHILANDRESais-tu bien qu'il y soit ?CLORIS

    Non pas assurment,Mais j'ose prsumer que l'aimant chrement Le plus qu'il peut de temps, il le passe chez elle.PHILANDREJe m'en vais de ce pas le trouver chez la belle, Adieu, jusqu'au revoir. Je meurs de dplaisir.CLORISUn mot, Philandre, un mot, n'aurais-tu point loisir De voir quelques papiers, que je viens de surprendre ?PHILANDREQu'est-ce qu'au bout du compte, ils me pourraient apprendre ? CLORISPeut-tre leurs secrets : regarde si tu veux Perdre un demi-quart d'heure les lire nous deux.PHILANDREHasard, voyons que c'est, mais vite, et sans demeure. Ma curiosit pour un demi-quart d'heure Se pourra dispenser.CLORIS

    Mais aussi garde bienQu'en discourant ensemble, il n'en dcouvre rien, Promets-le-moi, sinon...PHILANDRE

    Cela s'en va sans dire.(Il reconnat les lettres et tche de s'en saisir, mais Cloris les resserre.)Donne, donne-les-moi, tu ne les saurais lire, Et nous aurions ainsi besoin de trop de temps.

  • CLORISPhilandre, tu n'es pas encore o tu prtends, Assure, assure-toi que Cloris te dpite De les avoir jamais que des mains de Mlite A qui je veux montrer avant qu'il soit huit jours, La faon dont tu tiens secrtes ses amours.(Elle lui ferme la porte au nez.)SCNE DERNIREPHILANDREConfus, dsespr, que faut-il que je fasse ? J'ai malheur sur malheur, disgrce sur disgrce,On dirait que le ciel ami de l'quit Prend le soin de punir mon infidlit. Si faut-il nanmoins en dpit de sa haine Que Tirsis retrouv me tire hors de peine, II faut qu'il me les rende, il le faut et je veuxQu'un duel accept les mette entre nous deux, Et si je suis alors encore ce Philandre Par un dtour subtil qu'il ne pourra comprendre, Elles demeureront, le laissant abus, Sinon au plus vaillant, du moins au plus rus.

    ACTE IV.SCNE PREMIRE LA NOURRICE, MELITELA NOURRICECette obstination faire la secrte M'accuse injustement d'tre trop peu discrte.MELITEVraiment tu me poursuis avec trop de rigueur, Que te puis-je conter, n'ayant rien sur le cur ?LA NOURRICEUn chacun fait l'il des remarques aises Qu'Eraste abandonnant ses premires brises, Pour te mieux tmoigner son refroidissement Cherche sa gurison dans un bannissement, Tu m'en veux cependant ter la connaissance : Mais si jamais sur toi j'eus aucune puissance, Par ce que tous les jours, en tes affections, Tu reois de profit de mes instructions, Apprends-moi ce que c'est.MELITE

    Et que sais-je, Nourrice,Des fantasques ressorts qui meuvent son caprice ? Ennuy d'un esprit si grossier que le mien, II cherche ailleurs peut-tre un meilleur entretien.

  • LA NOURRICECe n'est pas bien ainsi qu'un amant perd l'envie, D'une chose deux ans ardemment poursuivie : D'assurance un mpris l'oblige se piquer, Mais ce n'est pas un trait qu'il faille pratiquer. Une fille qui voit, et que voit la jeunesse, Ne s'y doit gouverner qu'avec beaucoup d'adresse,Le ddain lui messied, ou quand elle s'en sert, Que ce soit pour reprendre un amant qu'elle perd : Une heure de froideur propos mnageRembrase assez souvent une me dgage,Qu'un traitement trop doux dispense des mpris D'un bien dont un ddain fait mieux savoir le prix. Hors ce cas il lui faut complaire tout le monde, Faire qu'aux vux de tous son visage rponde,Et sans embarrasser son cur de leurs amours Leur faire bonne mine et souffrir leur discours, Qu' part ils pensent tous avoir la prfrence Et paraissent ensemble entrer en concurrence. Ainsi lorsque plusieurs te parlent la fois,En rpondant l'un, serre l'autre les doigts, Et si l'un te drobe un baiser par surprise, Qu' l'autre incontinent il soit en belle prise, Que l'un et l'autre juge ton visage gal Que tu caches ta flamme aux yeux de son rival,Partage bien les tiens, et surtout sache feindre De sorte que pas un n'ait sujet de se plaindre Qu'ils vivent tous d'espoir jusqu'au choix d'un mari. Mais qu'aucun cependant ne soit le plus chri. Tiens bon, et cde enfin, puisqu'il faut que tu cdes,A qui paiera le mieux le bien que tu possdes. Si tu n'eusses jamais quitt cette leon, Ton Eraste avec toi vivrait d'autre faon.MELITECe n'est pas son humeur de souffrir ce partage, II croit que mes regards soient son propre hritage, Et prend ceux que je donne tout autre qu' lui Pour autant de larcins faits sur le bien d'autrui.LA NOURRICEJ'entends demi-mot, achve, et m'expdie Promptement le motif de cette maladie.MELITETirsis est ce motif.LA NOURRICE

    Ce jeune cavalier ! Son ami plus intime, et son plus familier! N'a-ce pas t lui qui te l'a fait connatre ?

  • MELITEII voudrait que le jour en ft encore natre, Et si dans ce jour d'hui je l'avais cart, Tu verrais ds demain Eraste mon ct.LA NOURRICEJ'ai regret que tu sois la pomme de discorde, Mais puisque leur humeur ensemble ne s'accorde, Eraste n'est pas homme laisser chapper, Un semblable pigeon ne se peut rattraper, II a deux fois le bien de l'autre, et davantage.MELITELe bien ne touche point un gnreux courage.LA NOURRICETout le monde l'adore, et tche d'en jouir.MELITEII suit un faux clat qui ne peut m'blouir.LA NOURRICEAuprs de sa splendeur toute autre est trop petite.MELITETu te places au rang qui n'est d qu'au mrite.LA NOURRICEOn a trop de mrite tant riche ce point.MELITELes biens en donnent-ils ceux qui n'en ont point ?LA NOURRICEOui, ce n'est que par l qu'on est considrable.MELITEMais ce n'est que par l qu'on devient mprisable : Un homme dont les biens font toutes les vertus, Ne peut tre estim que des curs abattus.LA NOURRICEEst-il quelques dfauts que les biens ne rparent ?MELITEMais plutt en est-il o les biens ne prparent ? Etant riche, on mprise assez communment Des belles qualits le solide ornement, Et d'un riche honteux la richesse suivieSouvent par l'abondance aux vices nous convie.LA NOURRICEEnfin je reconnais...MELITE

    Qu'avecque tout son bien, Un jaloux dessus moi n'obtiendra jamais rien.LA NOURRICEEt que d'un cajoleur la nouvelle conqute T'imprime mon regret ces erreurs dans la tte. Si ta mre le sait...

  • MELITELaisse-moi ces soucis,

    Et rentre que je parle la sur de Tirsis, Je la vois qui de loin me fait signe et m'appelle.LA NOURRICEPeut-tre elle t'en veut dire quelque nouvelle ?MELITERentre sans t'informer de ce qu'elle prtend, Un meilleur entretien avec elle m'attend.SCNE II CLORIS, MELITECLORISJe chris tellement celles de votre sorte, Et prends tant d'intrt en ce qui leur importe, Qu'aux fourbes qu'on leur fait je ne puis consentir, Ni mme en rien savoir sans les en avertir. Ainsi donc au hasard d'tre la mal venue, Encor que je vous sois, peu s'en faut, inconnue, Je viens vous faire voir que votre affection N'a pas t fort juste en son lection.MELITEVous pourriez sous couleur de rendre un bon office Mettre quelque autre en peine avec cet artifice, Mais pour m'en repentir j'ai fait un trop beau choix, Je renonce choisir une seconde fois, Et mon affection ne s'est point arrte,Que chez un cavalier qui l'a trop mrite.CLORISVous me pardonnerez, j'en ai de bons tmoins, C'est l'homme qui de tous la mrite le moins.MELITESi je n'avais de lui qu'une faible assurance, Vous me feriez entrer en quelque dfiance, Mais je m'tonne fort que vous l'osez blmer Vu que pour votre honneur vous devez l'estimer.CLORISJe l'estimai jadis, et je l'aime, et l'estime Plus que je ne faisais auparavant son crime, Ce n'est qu'en ma faveur qu'il ose vous trahir, Aprs cela jugez si je le peux har, Puisque sa trahison m'est un grand tmoignage Du pouvoir absolu que j'ai sur son courage.MELITEVraiment c'est un pouvoir dont vous usez fort mal, Le poussant me faire un tour si dloyal.CLORISMe le faut-il pousser o son devoir l'oblige ?

  • C'est son devoir qu'il fuit alors qu'il vous nglige.MELITEQuoi ? Son devoir l'oblige l'infidlit ?CLORISN'allons point rechercher tant de subtilit, La parole donne, il faut que l'on la tienne.MELITECela fait contre vous, il m'a donn la sienne.CLORISOui, mais ayant dj reu mon amiti Sur un serment commun d'tre un jour sa moiti, Peut-il s'en dpartir pour accepter la vtre ?MELITEDe grce excusez-moi, je vous prends pour une autre, Et c'tait Cloris que je croyais parler.CLORISVous ne vous trompez pas.MELITE

    Doncques pour me railler, La sur de mon amant contrefait ma rivale ?CLORISDoncques pour m'blouir, une me dloyale Contrefait la fidle ? Ah, Mlite, sachez Que je ne sais que trop ce que vous me cachez, Philandre m'a tout dit, vous pensez qu'il vous aime, Mais sortant d'avec vous, il me conte lui-mme Jusqu'aux moindres discours dont votre passion Tche de suborner son inclination.MELITEMoi, suborner Philandre ! Ha ! que m'osez-vous dire ?CLORISLa pure vrit.MELITE

    Vraiment, en voulant rireVous passez trop avant, brisons l, s'il vous plat, Je ne vois point Philandre, et ne sais quel il est.CLORISVous en voulez bien croire, au moins, votre criture, Tenez, voyez, lisez.MELITE

    Ha, Dieux ! quelle imposture ! Jamais un de ces traits ne partit de ma main.CLORISNous pourrions demeurer ici jusqu' demain Que vous persisteriez dans la mconnaissance. Je les vous laisse, adieu.MELITE

  • Tout beau, mon innocence Veut savoir paravant le nom de l'imposteur, Afin que cet affront retombe sur l'auteur.CLORISVous voulez m'affiner, mais c'est peine perdue, Mlite, que vous sert de faire l'entendue ? La chose tant si claire, quoi bon la nier ?MELITENe vous obstinez point me calomnier,Je veux que si jamais j'ai dit mot Philandre...CLORISRemettons ce discours, quelqu'un vient nous surprendre. C'est le brave Lisis, qui tout triste et pensif, A ce qu'on peut juger, montre un deuil excessif.SCNE III LISIS, MELITE, CLORISLISIS, Clons.Pouvez-vous demeurer auprs d'une personne Digne pour ses forfaits que chacun l'abandonne ? Quittez cette infidle, et venez avec moi, Plaindre un frre au cercueil par son manque de foi.MELITEQuoi ? son frre au cercueil ?LISIS

    Oui, Tirsis plein de rageDe voir que votre change indignement l'outrage, Maudissant mille fois le dtestable jour Que votre bon accueil lui donna de l'amour, Dedans ce dsespoir a rendu sa belle me.MELITEHlas! Soutenez-moi, je n'en puis plus, je pme.CLORISAu secours, au secours.SCNE IVCLITON, LA NOURRICE, MELITE, LISIS, CLORISCLITON

    D'o provient cette voix ?LA NOURRICEQuavez-vous, mes enfants ?CLORIS

    Mlite que tu vois...LA NOURRICEHlas ! elle se meurt, son teint vermeil s'efface. Sa chaleur se dissipe, elle n'est plus que glace.LISIS, CLITON. Va qurir un peu d'eau, mais il faut te hter.CLITON

  • Si proches du logis, il vaut mieux l'y porter.CLORISAidez mes faibles pas, les forces me dfaillent,Et je vais succomber aux douleurs qui m'assaillent.SCNE VERASTEA la fin je triomphe, et les destins amis M'ont donn le succs que je m'tais promis,Me voil trop heureux, puisque par mon adresse, Mlite est sans amant, et Tirsis sans matresse, Et comme si c'tait trop peu pour me venger, Philandre et sa Cloris courent mme danger, Mais quelle raison leurs mes dsuniesPour les crimes d'autrui seront-elles punies ?Que m'ont-ils fait tous deux, pour troubler leurs accords ? Fuyez de mon penser, inutiles remords, J'en ai trop de subjet de leur tre contraire, Cloris m'offense trop, tant sur d'un tel frre.Et Philandre, si prompt l'infidlit, N'a que la peine due sa crdulit. Allons donc sans scrupule, allons voir cette belle, Faisons tous nos efforts nous rapprocher d'elle, Et tchons de rentrer en son affection,Avant qu'elle ait rien su de notre invention. Cliton sort de chez elle.SCNE VI ERASTE, CLITONERASTE

    Eh bien, que fait Mlite ?CLITONMonsieur, tout est perdu, votre fourbe maudite, Dont je fus regret le damnable instrument, A couch de douleur Tirsis au monument.ERASTECourage, tout va bien, le tratre m'a fait place, Le seul qui me rendait son courage de glace, D'un favorable coup, la mort me l'a ravi.CLITONMonsieur, ce n'est pas tout, Mlite l'a suivi.ERASTEMlite l'a suivi ! que dis-tu, misrable ?CLITONMonsieur, il est tout vrai, le moment dplorable Qu'elle a su son trpas a termin ses jours.ERASTEHa, ciel! s'il est ainsi...CLITON

  • Laissez l ces discours,Et vantez-vous plutt que par votre imposture Ce pair d'amants sans pair est sous la spulture, Et que votre artifice a mis dans le tombeau Ce que le monde avait de parfait et de beau.ERASTETu m'oses donc flatter, et ta sottise estime M'obliger en taisant la moiti de mon crime ? Est-ce ainsi qu'il te faut n'en parler qu' demi ?Achve tout d'un trait, dis que matresse, ami, Tout ce que je chris, tout ce qui dans mon me Sut jamais allumer une pudique flamme, Tout ce que l'amiti me rendit prcieux, Par ma fraude a perdu la lumire des cieux :Dis que j'ai viol les deux lois les plus saintesQui nous rendent heureux par leurs douces contraintes, Dis que j'ai corrompu, dis que j'ai suborn, Falsifi, trahi, sduit, assassin, Que j'ai toute une ville en larmes convertie,Tu n'en diras encor que la moindre partie.Mais quel ressentiment ! quel puissant dplaisir ! Grands Dieux, et peuvent-ils jusque-l nous saisir Qu'un pauvre amant en meure, et qu'une pre tristesse Rduise au mme point aprs lui sa matresse ?CLITONTous ces discours ne font...ERASTE

    Laisse agir ma douleur. Tratre, si tu ne veux attirer ton malheur, Interrompre son cours, c'est n'aimer pas ta vie. La mort de son Tirsis me l'a doncques ravie, Je ne l'avais pas su, Parques, jusqu' ce jourQue vous relevassiez de l'empire d'amour, J'ignorais qu'aussitt qu'il assemble deux mes II vous peut commander d'unir aussi leurs trames, J'ignorais que pour tre exemptes de ses coups Vous souffrissiez qu'il prt un tel pouvoir sur vous.Vous en relevez donc, et vos ciseaux barbaresTranchent comme il lui plat les choses les plus rares ? Vous en relevez donc, et pour le flatter mieux Vous voulez comme lui ne vous servir point d'yeux :Mais je m'en prends vous, et ma funeste ruseVous imputant ces maux, se btit une excuse, J'ose vous en charger, et j'en suis l'inventeur, Et seul de ses malheurs le dtestable auteur, Mon courage au besoin se trouvant trop timide Pour attaquer Tirsis autrement qu'en perfide

  • Je fis mon dfaut combattre son ennui, Son deuil, son dsespoir, sa rage contre lui. Hlas ! et fallait-il que ma supercherie Tournt si lchement son amour en furie ? Fallait-il, l'aveuglant d'une indiscrte erreur,Contre une me innocente allumer sa fureur ? Fallait-il le forcer dpeindre Mlite Des infmes couleurs d'une fille hypocrite ? Inutiles regrets, repentirs superflus, Vous ne me rendez pas Mlite qui n'est plus,Vos mouvements tardifs ne la font pas revivre, Elle a suivi Tirsis, et moi je la veux suivre : II faut que de mon sang je lui fasse raison, Et de ma jalousie, et de ma trahison, Et que, par ma main propre, un juste sacrifice De mon coupable chef venge mon artifice. Avanons donc, allons sur cet aimable corps Eprouver, s'il se peut, la fois mille morts. D'o vient qu'au premier pas je tremble, je chancelle ? Mon pied qui me ddit contre moi se rebelle, Quel murmure confus ! et qu'entends-je hurler ? Que de pointes de feu se perdent parmi l'air! Les Dieux mes forfaits ont dnonc la guerre, Leur foudre dcoch vient de fendre la terre, Et pour leur obir son sein me recevantM'engloutit, et me plonge aux enfers tout vivant.Je vous entends, grands Dieux, c'est l-bas que leurs mes Aux champs Elysiens ternisent leurs flammes, C'est l-bas qu' leurs pieds il faut verser mon sang, La terre ce dessein m'ouvre son large flanc,Et jusqu'aux bords du Styx me fait libre passage, Je l'aperois dj, je suis sur son rivage. Fleuve, dont le sainct nom est redoutable aux Dieux, Et dont les neuf remplis ceignent ces tristes lieux, Ne te colre point contre mon insolenceSi j'ose avec mes cris violer ton silence :Ce n'est pas que je veuille, en buvant de ton eau, Avec mon souvenir touffer mon bourreau, Non, je ne prtends pas une faveur si grande,Rponds-moi seulement, rponds ma demande,As-tu vu ces amants ? Tirsis est-il pass ? Mlite est-elle ici ? mais que dis-je, insens ? Le pre de l'oubli dessous cette onde noire Pourrait-il conserver tant soit peu de mmoire ? Mais derechef que dis-je ? imprudent, je confondsLe Lth ple-mle, et ces gouffres profonds; Le Styx de qui l'oubli ne prit jamais naissance

  • De tout ce qui se passe a tant de connaissance Que les Dieux n'oseraient vers lui s'tre mpris, Mais le tratre se tait, et tenant ces espritsPour le plus grand trsor de son funeste empire De crainte de les perdre, il n'en ose rien dire. Vous donc, esprits lgers, qui faute de tombeaux Tournoyez vagabonds l'entour de ces eaux, A qui Caron cent ans refuse sa nacelle,Ne m'en pourriez-vous point donner quelque nouvelle ? Dites, et je promets d'employer mon crdit A vous faciliter ce passage interdit.CLITONMonsieur, que faites-vous ? votre raison s'gare, Voyez qu'il n'est ici de Styx, ni de Tnare, Revenez vous-mme.ERASTE

    Ah ! te voil, Caron,Dpche promptement, et d'un coup d'aviron Passe-moi, si tu peux, jusqu' l'autre rivage.CLITONMonsieur, rentrez en vous, contemplez mon visage, Reconnaissez Cliton.ERASTE

    Dpche, vieux nocher,Avant que ces esprits nous puissent approcher, Ton bateau de leur poids fondrait dans les abmes, II n'en aura que trop d'Eraste, et de ses crimes.CLITONII vaut mieux esquiver, car avecque des fous Souvent on ne rencontre gagner que des coups, Si jamais un amant fut dans l'extravagance II s'en peut bien vanter avec toute assurance.ERASTETu veux donc chapper l'autre bord sans moi, Si faut-il qu' ton col je passe malgr toi.(Il se jette sur les paules de CLITON, qui l'emporte du thtre.)SCNE VIIPHILANDRERival injurieux dont l'absence importuneRetarde le succs de ma bonne fortune, Et qui sachant combien m'importe ton retour De peur de m'obliger n'oserais voir le jour, As-tu sitt perdu cette ombre de courage Que te prtaient jadis les transports de ta rage ?Ce brusque mouvement d'un esprit forcen Relche-t-il si tt ton cur effmin ? Que devient prsent cette bouillante envie

  • De punir ta volage aux dpens de ma vie ? Il ne tient plus qu' toi que tu ne sois content,Ton ennemi t'appelle, et ton rival t'attend, Je te cherche en tous lieux, et cependant ta fuite Se rit impunment de ma vaine poursuite. Crois-tu laissant mon bien dans les mains de ta sur En demeurer toujours l'injuste possesseur,Ou que ma patience la fin chappe(Puisque tu ne veux pas le dbattre l'pe) Oubliant le respect du sexe, et tout devoir, Ne laisse point sur elle agir mon dsespoir ?SCNE VIII ERASTE, PHILANDREERASTEDtacher Ixion pour me mettre en sa place ! Mgres, c'est vous une indiscrte audace, Ai-je, prenant le front de cet audacieux, Attent sur le lit du monarque des cieux ?Vous travaillez en vain, bourrelles Eumnides, Non, ce n'est pas ainsi qu'on punit les perfides. Quoi! me presser encor! sus, de pieds et de mains Essayons d'carter ces monstres inhumains. A mon secours, esprits, vengez-vous de vos peines. Ecrasons leurs serpents, chargeons-les de vos chanes, Pour ces filles d'Enfer nous sommes trop puissants.PHILANDREII semble ces discours qu'il ait perdu le sens, Eraste, cher ami, quelle mlancolie Te met dans le cerveau cet excs de folie ?ERASTEEquitable Minos, grand juge des enfers, Voyez qu'injustement on m'apprte des fers.Faire un tour d'amoureux, supposer une lettre, Ce n'est pas un forfait qu'on ne puisse remettre, II est vrai que Tirsis en est mort de douleur. Que Mlite aprs lui redouble ce malheur, Que Cloris sans amant ne sait qui s'en prendre,Mais la faute n'en est qu'au crdule Philandre, Lui seul en est la cause, et son esprit lger Qui trop facilement rsolut de changer, Car des lettres qu'il a de la part de Mlite Autre que cette main n'en a pas une crite.PHILANDREJe te laisse impuni, perfide, tes remordsTe donnent des tourments pires que mille morts; Je t'obligerais trop de t'arracher la vie, Et ma juste vengeance est bien mieux assouvie

  • Par les folles horreurs de cette illusion.Ah! grands Dieux! que je suis plein de confusion!SCNE IXERASTETu t'enfuis donc, barbare, et me laissant en proie A ces cruelles surs, tu les combles de joie ? Non, non, retirez-vous, Tisiphone, Alecton, Et tout ce que je vois d'officiers de Pluton,Vous me connaissez mal, dans le corps d'un perfide Je porte le courage et les forces d'Alcide, Je vais tout renverser dans ces royaumes noirs, Et saccager moi seul ces tnbreux manoirs, Une seconde fois le triple chien CerbreVomira l'aconit en voyant la lumire, J'irai du fond d'enfer dgager les Titans, Et si Pluton s'oppose ce que je prtends, Passant dessus le ventre sa troupe mutine J'irai d'entre ses bras enlever Proserpine.SCNE DERNIRELISIS, CLORISLISISN'en doute aucunement ! ton frre n'est point mort, Mais ayant su de lui son dplorable sort Je voulais prouver par cette triste feinte Si ce cur recevant quelque lgre atteinte Deviendrait plus sensible aux traits de la pitiQu'aux sincres ardeurs d'une sainte amiti.Maintenant que je vois qu'il faut qu'on nous abuse Afin que nous puissions dcouvrir cette ruse Et que Tirsis en soit de tout point clairci Sois sre que dans peu je te le rends ici,Ma parole sera d'un prompt effet suivie, Tu reverras bientt ce frre plein de vie. C'est assez que je passe une fois pour trompeur.CLORISSi bien qu'au lieu du mal nous n'aurons que la peur ? Le cur me le disait, je sentais que mes larmesRefusaient de couler pour de fausses alarmes, Dont les plus furieux, et plus rudes assauts Avaient bien de la peine m'mouvoir faux, Et je n'tudiai cette douleur menteuse Qu' cause que j'tais parfaitement honteuseQu'un autre en tmoignt plus de ressentiment.LISISMais avec tout cela confesse franchement Qu'une fille en ces lieux qui perd un frre unique Jusques au dsespoir fort rarement se pique,

  • Ce beau nom d'hritire a de telles douceurs, Qu'il devient souverain consoler des surs.CLORISAdieu, railleur, adieu, son intrt me presse D'aller vite d'un mot ranimer sa matresse, Autrement je saurais te rendre ton paquet.LISISEt moi pareillement rabattre ton caquet.

    ACTE V

    SCNE PREMIRECLITON, LA NOURRICECLITONJe ne t'ai rien cel, tu sais toute l'affaire.LA NOURRICETu m'en as bien cont, mais se pourrait-il faire Qu'Eraste et des remords si vifs, et si pressants, Que de violenter sa raison et ses sens.CLITONEt-il pu, sans en perdre entirement l'usage, Se figurer Caron des traits de mon visage, Et de plus me prenant pour ce vieux nautonier Me payer bons coups des droits de son denier ?LA NOURRICEPlaisante illusion!CLITON

    Mais funeste ma tte, Sur qui se dchargeait une telle tempte Que je tiens maintenant miracle videntQu'il me soit demeur dans la bouche une dent.LA NOURRICEC'tait mal reconnatre un si rare service.ERASTE, derrire la tapisserie. Arrtez, arrtez, poltrons.CLITON

    Adieu, Nourrice,Voici ce fou qui vient, je l'entends la voix, Crois que ce n'est pas moi qu'il attrape deux fois.LA NOURRICEEt moi, quand je devrais passer pour Proserpine, Je veux voir quel point sa fureur le domine.CLITONAdieu, saoule ton dam ton curieux dsir.LA NOURRICEQuoi qu'il puisse arriver j'en aurai le plaisir.SCNE II

  • ERASTE, LA NOURRICEERASTE, l'pe au poingEn vain je les rappelle, en vain pour se dfendre La honte et le devoir leur parlent de m'attendre, Ces lches escadrons de fantmes affreux Cherchent leur assurance aux cachots les plus creux, Et se fiant peine la nuit qui les couvreSouhaitent sous l'enfer qu'un autre enfer s'entrouvre, La peur renverse tout, et dans ce dsarroi Elle saisit si bien les ombres et leur roi, Que se prcipitant de promptes retraites Tous leurs soucis ne vont qu' les rendre secrtes.Le bouillant Phlgton parmi ses flots pierreux Pour les favoriser ne roule plus de feux : Tisiphone tremblante, Alecton, et Mgre De leurs flambeaux puants ont teint la lumire, Et tir de leur chef les serpents d'alentourDe crainte que leurs yeux fissent quelque faux jour Dont la faible lueur clairant ma poursuite A travers ces horreurs me pt trahir leur fuite : Eaque pouvant se croit trop en danger, Et fuit son criminel au lieu de le juger :Cliton mme et ses surs l'aspect de ma lame De peur de tarder trop n'osant couper ma trame A peine ont eu loisir d'emporter leurs fuseaux, Si bien qu'en ce dsordre oubliant leurs ciseaux Charon les bras croiss dans sa barque s'tonneD'o vient qu'aprs Eraste il n'a pass personne. Trop heureux accident, s'il avait prvenu Le dplorable coup du malheur advenu; Trop heureux accident si la terre entrouverte Avant ce jour fatal et consenti ma perte,Et si ce que le ciel me donne ici d'accs Et de ma trahison devanc le succs. Dieux, que vous savez mal gouverner votre foudre! N'tait-ce pas assez pour me rduire en poudre Que le simple dessein d'un si lche forfait ?Injustes, deviez-vous en attendre l'effet ? Ah! Mlite, ah! Tirsis, leur cruelle justice Aux dpens de vos jours aggrave mon supplice, Ils doutaient que l'enfer et de quoi me punir Sans le triste secours de ce dur souvenir.Souvenir rigoureux de qui l'pre tortureDevient plus violente et crot plus on l'endure, Implacable bourreau, tu vas seul touffer Celui dont le courage a dompt tout l'enfer. Qu'il m'et bien mieux valu cder ses furies !

  • Qu'il m'et bien mieux valu souffrir ses barbaries, Et de gr me soumettre en acceptant sa loi A tout ce que sa rage et ordonn de moi ! Tout ce qu'il a de fers, de feux, de fouets, de chanes Ne sont auprs de toi que de lgres peines,On reoit d'Alecton un plus doux traitement,De grce, un peu de trve, un moment, un moment, Qu'au moins avant ma mort dans ces demeures sombres Je puisse rencontrer ces bienheureuses ombres; Use aprs si tu veux de toute ta rigueur,Et si pour m'achever tu manques de vigueur,(Il montre son pe.)Voici qui t'aidera, mais derechef, de grce, Cesse de me gner durant ce peu d'espace. Je vois dj Mlite, ah! belle ombre, voici L'ennemi de votre heur qui vous cherchait ici, C'est Eraste, c'est lui, qui n'a plus d'autre envie Que d'pandre vos pieds son sang avec sa vie, Ainsi le veut le fort, et tout exprs les Dieux L'ont abm vivant en ces funestes lieux.LA NOURRICEPourquoi permettez-vous que cette frnsie Rgne si puissamment sur votre fantaisie ? L'enfer voit-il jamais une telle clart ?ERASTEAussi ne la tient-il que de votre beaut,Ce n'est que de vos yeux que part cette lumire.LA NOURRICECe n'est que de mes yeux ! dessillez la paupire, Et d'un sens plus rassis jugez de leur clat.ERASTEIls ont de vrit je ne sais quoi de plat, Et plus je vous contemple, et plus sur ce visage Je m'tonne de voir un autre air, un autre ge, Je ne reconnais plus aucun de vos attraits, Jadis votre nourrice avait ainsi les traits, Le front ainsi rid, la couleur ainsi blme, Le poil ainsi grison, Dieu!... c'est elle-mme. Nourrice, et qui t'amne en ces lieux pleins d'effroi ? Y viens-tu rechercher Mlite comme moi ?LA NOURRICECliton la vit pmer, et se brouilla de sorte Que la voyant si ple il la crut tre morte, Cet tourdi tromp vous trompa comme lui, Au reste elle est vivante, et peut-tre aujourd'hui Tirsis, de qui la mort n'tait qu'imaginaire,De sa fidlit recevra le salaire.

  • ERASTEDsormais donc en vain je les cherche ici-bas, En vain pour les trouver je rends tant de combats.LA NOURRICEVotre douleur vous trouble et forme des nuages Qui sduisent vos sens par de fausses images, Cet enfer, ces combats, ne sont qu'illusion.ERASTEJe ne m'abuse point, j'ai vu sans fiction Ces monstres terrasss se sauver la fuite, Et Pluton de frayeur en quitter la conduite.LA NOURRICEPeut-tre que chacun s'enfuyait devant vousCraignant votre fureur et le poids de vos coups, Mais voyez si l'Enfer ressemble cette place, Ces murs, ces btiments ont-ils la mme face ? Le logis de Mlite et celui de Cliton Ont-ils quelque rapport celui de Pluton ?Quoi ? n'y remarquez-vous aucune diffrence ?ERASTEDe vrai ce que tu dis a beaucoup d'apparence, Depuis ce que j'ai su de Mlite et Tirsis, Je sens que tout coup mes regrets adoucis Laissent en libert les ressorts de mon me : Ma raison par ta bouche a reu son dictame, Nourrice, prends le soin d'un esprit gar, Qui s'est d'avecques moi si longtemps spar, Ma gurison dpend de parler Mlite.LA NOURRICEDiffrez pour le mieux un peu cette visite, Tant que matre absolu de votre jugement Vous soyez en tat de faire un compliment : Votre teint et vos yeux n'ont rien d'un homme sage, Donnez-vous le loisir de changer de visage,Nous pourvoirons aprs au reste en sa saison.ERASTEViens donc m'accompagner jusques en ma maison, Car si je te perdais un seul moment de vue, Ma raison aussitt de guide dpourvue M'chapperait encore.LA NOURRICE

    Allons, je ne veux pas Pour un si bon sujet vous pargner mes pas.SCNE III CLORIS, PHILANDRECLORISNe m'importune plus, Philandre, je t'en prie,

  • Me rapaiser jamais passe ton industrie, Ton meilleur, je t'assure, est de n'y plus penser, Tes protestations ne font que m'offenser, Savante mes dpens de leur peu de dure Je ne veux point en gage une foi parjure, Je ne veux point d'un cur, qu'un billet apost Peut rsoudre aussitt la dloyaut.PHILANDREAh ! ne remettez plus dedans votre mmoire L'indigne souvenir d'une action si noire, Et pour rendre jamais nos premiers vux contents Etouffez l'ennemi du pardon que j'attends. Ma matresse, mon heur, mon souci, ma chre me.CLORISLaisse l dsormais ces petits mots de flamme, Et par ces faux tmoins d'un feu mal allum : Ne me reproche plus que je t'ai trop aim.PHILANDREDe grce redonnez l'amiti passe Le rang que je tenais dedans votre pense : Derechef, ma Cloris, par ces doux entretiens, Par ces feux qui volaient de vos yeux dans les miens, Par mes flammes jadis si bien rcompenses, Par ces mains si souvent dans les miennes presses, Par ces chastes baisers qu'un amour vertueux Accordait aux dsirs d'un cur respectueux, Par ce que votre foi me permettait d'attendre.CLORISC'est o dornavant tu ne dois plus prtendre, Ta sottise m'instruit, et par l je vois bien Qu'un visage commun, et fait comme le mienN'a point assez d'appas, ni de chane assez forte, Pour tenir en devoir un homme de ta sorte,Mlite a des attraits qui savent tout dompter, Mais elle ne pourrait qu' peine t'arrter : II te faut un sujet qui la passe, ou l'gale, C'est en vain que vers moi ton amour se ravale, Fais-lui, si tu m'en crois, agrer tes ardeurs,Je ne veux point devoir mon bien ses froideurs.PHILANDRENe me dguisez rien, un autre a pris ma place, Une autre affection vous rend pour moi de glace.CLORISAucun jusqu' ce point n'est encor parvenu, Mais je te changerai pour le premier venu.PHILANDRETes ddains outrageux puisent ma souffrance.

  • Adieu, je ne veux plus avoir d'autre esprance Sinon qu'un jour le ciel te fera ressentir De tant de cruaut le juste repentir.CLORISAdieu, Mlite et moi nous aurons de quoi rire De tous les beaux discours que tu me viens de dire : Que lui veux-tu mander ?PHILANDRE

    Va, dis-lui de ma partQu'elle, ton frre et toi reconnatrez trop tard Ce que c'est que d'aigrir un homme de courage.CLORISSois sr de ton ct que ta fougue et ta rage Et tout ce que jamais nous entendrons de toi Fournira de rise, elle, mon frre et moi.SCNE IV TIRSIS, MELITETIRSISMaintenant que le sort attendri par nos plaintes Comble notre esprance, et dissipe nos craintes, Que nos contentements ne sont plus traverss Que par le souvenir de nos travaux passs, Chassons-le, ma chre me, force de caresses, Ne parlons plus d'ennuis, de tourments, de tristesses, Et changeons en baisers ces traits d'oeil langoureux Qui ne font qu'irriter nos dsirs amoureux.Adorables regards, fidles interprtesPar qui nous expliquions nos passions secrtes, Je ne puis plus chrir votre faible entretien, Plus heureux je soupire aprs un plus grand bien, Vous tiez bons jadis quand nos flammes naissantesPrisaient, faute de mieux, vos douceurs impuissantes, Mais au point o je suis ce ne sont que rveurs Qui vous peuvent tenir pour exquises saveurs, II faut un aliment plus solide nos flammes Par o nous unissions nos bouches et nos mes.Mais tu ne me dis mot, ma vie, et quels soucis T'obligent te taire auprs de ton Tirsis ?MELITETu parles mes yeux, et mes yeux te rpondent.TIRSISAh! mon heur, il est vrai, si tes dsirs secondent Cet amour qui parat et brille dans tes yeux, Je n'ai rien dsormais demander aux Dieux.MELITETu t'en peux assurer, mes yeux si pleins de flammeSuivent l'instruction des mouvements de l'me,

  • On en a vu l'effet, lors que ta fausse mort Fit dessus tous mes sens un vritable effort, On en a vu l'effet quand te sachant en vie De revivre avec toi je pris aussi l'envie,On en a vu l'effet lors qu' force de pleurs Mon amour, et mes soins aids de mes douleurs Ont flchi la rigueur d'une mre obstineLui faisant consentir notre heureux hymne, Si bien qu' ton retour ta chaste affection Nous trouve toutes deux sa dvotion Et cependant l'abord des lettres d'un faussaire Te sut persuader tellement le contraire,Que sans vouloir m'entendre et sans me dire adieu, Furieux, enrag tu partis de ce lieu.TIRSISMon cur, j'en suis honteux, mais songe que possible Si j'eusse moins aim, j'eusse t moins sensible, Qu'un juste dplaisir ne saurait couter La voix de la raison qui vient pour le dompter, Et qu'aprs des transports de telle promptitude Ma flamme ne te laisse aucune incertitude.MELITEFaible excuse pourtant, n'tait que ma bont T'en accorde un oubli sans l'av