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Strictement réservé aux étudiants de Psychologie de l’Université de Provence Licence PSY E02 Psychiatrie, Psychopathologie et Psychologie Clinique Cours : Jean Louis PEDINIELLI PSYCHIATRIE, PSYCHOPATHOLOGIE ET PSYCHOLOGIE CLINIQUE : APPROCHE EPISTEMOLOGIQUE ET HISTORIQUE "Ruse et nouveau triomphe de la folie : ce monde qui croit la mesurer, la justifier par la psychologie, c'est devant elle qu'il doit se justifier, puisque dans son effort et ses débats, il se mesure à la démesure d'oeuvres comme celle de Nietzsche, de Van Gogh, d'Artaud. Et rien en lui, surtout pas ce qu'il peut connaître de la folie, ne l'assure que ces oeuvres de folie le justifient". (Michel Foucault Histoire de la folie p. 557). La psychiatrie, la psychopathologie, la psychologie clinique, la psychopathologie quantitative, la psychanalyse, ont en commun de s'intéresser à la maladie mentale en produisant, avec leurs spécificités, un savoir et des pratiques. Contrairement à ce qu'une présentation didactique pourrait laisser penser, ces discours théoriques (qui visent à une interprétation des observations et à une généralisation de ces interprétations) ne sont pas radicalement séparés. Ils possèdent leur originalité, mais, tant dans la pratique quotidienne que dans les théories formulées, apparaissent de multiples recoupements. Ainsi la psychiatrie en vient-elle à proposer, à partir de la rencontre avec les malades (clinique) une interprétation des faits (psychopathologie) qui peut, à l'occasion, s'inspirer de la psychanalyse. De même, le psychiatre est-il amené, dans sa pratique quotidienne, à se référer à des théories psychopathologiques qui lui permettent de faire des hypothèses, et d'agir sur les pathologies rencontrées. On doit donc considérer comme essentiellement différentes les disciplines autonomes que sont la psychopathologie, la psychiatrie, et la psychanalyse, bien que ces ensembles puissent se recouper (intersections) en certaines occasions. Toutefois, dans leur réflexion, ces disciplines peuvent faire appel à des connaissances issues d'autres domaines : psychologie générale, linguistique, anthropologie, philosophie, ethnologie, biologie, neurologie, neurophysiologie, éthologie... De même, la psychiatrie, la psychopathologie, ne sont pas les seuls corpus théoriques et les seules pratiques à s'intéresser à la maladie mentale : les spécialités précédemment citées peuvent à l'occasion produire des interprétations des phénomènes pathologiques. A- LA PSYCHIATRIE La psychiatrie est une spécialité médicale ("iatrie" désigne le soin) qui, comme d'autres spécialités médicales, est d'apparition récente (la constitution du savoir psychiatrique commence réellement au début du XIXème siècle). Sa spécificité est toutefois attestée par le vote de la Loi du

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Strictement réservé aux étudiants de Psychologie de l’Université de Provence

Licence PSY E02 Psychiatrie, Psychopathologie et Psychologie Clinique Cours : Jean Louis PEDINIELLI

PSYCHIATRIE, PSYCHOPATHOLOGIE ET PSYCHOLOGIE CLINIQUE : APPROCHE EPISTEMOLOGIQUE ET HISTORIQUE

"Ruse et nouveau triomphe de la folie : ce monde qui croit la mesurer, la justifier par la psychologie,

c'est devant elle qu'il doit se justifier, puisque dans son effort et ses débats, il se mesure à la démesure d'oeuvres comme celle de

Nietzsche, de Van Gogh, d'Artaud. Et rien en lui, surtout pas ce qu'il peut connaître de la folie, ne l'assure que ces oeuvres de folie le justifient".

(Michel Foucault Histoire de la folie p. 557). La psychiatrie, la psychopathologie, la psychologie clinique, la psychopathologie quantitative, la psychanalyse, ont en commun de s'intéresser à la maladie mentale en produisant, avec leurs spécificités, un savoir et des pratiques. Contrairement à ce qu'une présentation didactique pourrait laisser penser, ces discours théoriques (qui visent à une interprétation des observations et à une généralisation de ces interprétations) ne sont pas radicalement séparés. Ils possèdent leur originalité, mais, tant dans la pratique quotidienne que dans les théories formulées, apparaissent de multiples recoupements. Ainsi la psychiatrie en vient-elle à proposer, à partir de la rencontre avec les malades (clinique) une interprétation des faits (psychopathologie) qui peut, à l'occasion, s'inspirer de la psychanalyse. De même, le psychiatre est-il amené, dans sa pratique quotidienne, à se référer à des théories psychopathologiques qui lui permettent de faire des hypothèses, et d'agir sur les pathologies rencontrées. On doit donc considérer comme essentiellement différentes les disciplines autonomes que sont la psychopathologie, la psychiatrie, et la psychanalyse, bien que ces ensembles puissent se recouper (intersections) en certaines occasions. Toutefois, dans leur réflexion, ces disciplines peuvent faire appel à des connaissances issues d'autres domaines : psychologie générale, linguistique, anthropologie, philosophie, ethnologie, biologie, neurologie, neurophysiologie, éthologie... De même, la psychiatrie, la psychopathologie, ne sont pas les seuls corpus théoriques et les seules pratiques à s'intéresser à la maladie mentale : les spécialités précédemment citées peuvent à l'occasion produire des interprétations des phénomènes pathologiques.

A- LA PSYCHIATRIE La psychiatrie est une spécialité médicale ("iatrie" désigne le soin) qui, comme d'autres spécialités médicales, est d'apparition récente (la constitution du savoir psychiatrique commence réellement au début du XIXème siècle). Sa spécificité est toutefois attestée par le vote de la Loi du

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30 juin 1838 (dons l'esprit reste en vigueur) qui organise les modes de placement des malades et consacre l'existence des hôpitaux psychiatriques. L'activité de la psychiatrie ne se limite cependant pas à ce qui est régi par la Loi de 1838. Psychiatrie désigne donc la spécialité médicale qui a pour objectif la connaissance et le traitement des sujets présentant une "maladie mentale". La forme "iatrie" est relativement inhabituelle en médecine : la plupart des spécialités (cardiologie, pneumologie, neurologie, endocrinologie...) - qui travaillent le plus souvent par organes - possèdent le radical "logie" qui désigne le savoir, le discours. En revanche la psychiatrie partage avec la gériatrie et la pédiatrie la notion de soin : son objet n'est pas un organe mais une entité qui concerne la "psyche". I)- ELEMENTS HISTORIQUES. Les évolutions de la psychiatrie sont liées à quelques séquences essentielles qui n'ont sans doute pas eu, sur le moment, le rôle qu'on leur a donné ultérieurement. Toutefois, certains événements ou certains courants extérieurs à la psychiatrie ont manifestement contribué à orienter sa pratique et son champ d'intervention. On peut tenter de dégager quelques moments, scènes, ou épisodes principaux dans cette histoire. De plus amples informations peuvent toutefois être obtenues dans différents ouvrages bien documentés1. 1)- La "folie", l'intérêt pour elle, n'ont pas attendu le XIXème siècle pour se manifester. Dans l'Antiquité les médecines grecques (Hippocrate, Arétée de Cappadoce) et latines (Galien) ont décrit des tableaux cliniques sous des termes utilisés encore actuellement (hystérie, mélancolie, manie, démence, hypochondrie...)2. 2)- Le livre du regretté Michel Foucault. Histoire de la folie à l'âge classique. Paris, Gallimard, 1972, retrace brillamment le sort de la "folie" de la Renaissance au XIXème siècle et, corrélativement, le passage de la "folie" à la "maladie mentale". Bien qu'une telle simplification soit abusive, quelques jalons peuvent être mentionnés : - Au Moyen-Age la folie avait sa place dans la hiérarchie des vices. - A la Renaissance la folie "règne sur tout ce qu'il y a de mauvais dans l'Homme". Elle s'ouvre sur un univers moral. Folie et raison entrent dans une relation réversible : toute folie a sa raison qui la juge et la maîtrise, toute raison a sa folie en laquelle elle "trouve sa vérité dérisoire". - 1656 Création par Louis XIV des Hôpitaux Généraux, qui ne sont pas des établissements médicaux, mais qui sont destinés à recueillir les pauvres et d'autres catégories. Cette procédure d'internement concerne les fous, mais aussi d'autres classes de population (miséreux, vénériens, malades, délinquants). Foucault emploie le terme de "Grand Renfermement" pour désigner cette nouvelle situation qui répond aussi à des impératifs économiques et qui comporte une dimension morale, puisque la folie - les fous- voisine avec le péché (les vénériens). Dans un second temps, ces hôpitaux se médicaliseront, mais ils ne le sont pas au départ, les ordres religieux étant les personnages clefs pendant quelques temps. La "folie" devient cependant un objet de "désordre" qu'il convient d'exclure, de cacher et de "discipliner", notamment par le travail. Toutefois, dans le même temps, la Médecine s'intéresse de plus en plus à la folie : "La maladie mentale, que la médecine va se donner pour objet, aura été lentement constituée comme l'unité mythique du sujet

1- Cf. notamment BEAUCHESNE H. Histoire de la psychopathologie. Paris, P.U.F., 1986 (coll. "Le psychologue"). 2- cf. le très intéressant livre de J. PIGEAUD (Les maladies de l''âme. Paris, Les Belles Lettres, 1981) entièrement consacré aux conceptions grecques et latines de ce que nous nommons "maladie mentale". Mais si certains termes sont les mêmes il ne désignent pas toujours les mêmes états qu'actuellement .

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juridiquement incapable, et de l'homme reconnu comme perturbateur du groupe" (M. Foucault op. cit.). - La fin du XVIIIème et le XIXème siècles voient éclore les classifications cliniques, quasi "botaniques", de la maladie à partir du "visible" et des tentatives de découvertes causales de la folie : causalité des substances corporelles : atteintes du cerveau, humeurs, esprits animaux, passions. La Médecine constitue ses objets : la démence, la manie, la mélancolie, l'hypocondrie, l'hystérie, la frénésie, font l'objet de descriptions et d'interprétations "savantes". 2)- Pinel (1745-1826) représente une des figures de la fondation de la psychiatrie : il "libère" les aliénés de leurs chaînes (sur le conseil de son infirmier) à Bicêtre au début du XIXème siècle et à ce titre il apparaît comme le représentant du courant "humaniste"3. Il contribue à décrire, par observation, les signes et les différentes formes de maladie et propose des conceptions étio-pathogéniques. Il est le fondateur du traitement moral, traitement qui comporte des règles de vie, des exercices corporels, et vise à diriger les esprits des malades4. 3)- Découverte (par Bayle) de l'origine syphilitique de la paralysie générale - qui était jusqu'alors considérée comme une "folie" (1824). Le modèle anatomo-pathologique (lésion repérable à l'autopsie et expliquant les troubles) demeurera un des axes principaux des conceptions étiologiques de la maladie mentale en général. 4)- Vote de la Loi du 30 juin 1838. La loi a été préparée par le rapport d'Esquirol (qui date de 1818) : "Des établissements consacrés aux aliénés en France et des moyens de les améliorer". Le triste tableau dépeint par Esquirol après une enquête soigneuse, jouera un rôle certain dans la constitution de la loi. Elle assigne au malade mental un statut particulier puisqu'il peut être privé de sa liberté ("internement") sans son accord et sans qu'un juge d'instruction ait à se prononcer sur la décision d'internement5. D'un point de vue juridique cette loi, par ailleurs techniquement utile et 3- Les psychiatres - ou plus exactement les aliénistes - ne sont pas les seuls à se préoccuper de la folie. Les philosophes contribuent eux aussi à l'étude des formes de folie. Kant, Hegel (sur le "délire de présomption") notamment écrivent des textes proches des préoccupations psychiatriques. 4- La conception de Pinel est toutefois plus importante qu'on ne le dit souvent. G. Swain (SWAIN G. (1977) Le sujet de la folie. Naissance de la psychiatrie. 1977. Privat, Toulouse) rappelle qu'il y a chez Pinel une critique de l'idée d'une folie complète. L'aliénation mentale n'est jamais totale : l'aliéné conserve toujours une distance à son aliénation. "Pour autant l'aliénation n'est jamais partielle au sens où elle concernerait seulement une part de la personnalité qu'on pourrait purement et simplement séparer du reste. Elle est en prise sur le tout du sujet sans jamais se faire annulation pure et simple de la fonction subjective". Ce qui permet d'apprécier la différence des formes d'aliénation entre elles, c'est la manière dont l'aliéné est pris dans sa folie et dépris d'elle. "Derrière et au fondement de ses descriptions de style clinique, il y a une entente de la folie qui revient fondamentalement à la penser comme folie d'un sujet." (Swain p. 22-23). 5- Rappelons quelques éléments de la Loi dans sa formulation originaire: - Chaque département est tenu d'avoir un établissement "destiné à recevoir et soigner les aliénés". - Ces établissements sont placés sous la surveillance de l'autorité publique (préfet).

- Il existe deux formes de placements (le Placement Volontaire et le Placement Ordonné par l'Autorité Publique). - Le Placement Volontaire (PV) nécessite 1)- une demande écrite d'admission rédigée par un tiers et 2) -"un certificat de médecin constatant l'état mental de la personne à placer, et indiquant les particularités de sa maladie et la nécessité de faire traiter la personne désignée dans un établissement d'aliénés, et de l'y tenir renfermée" et 3)- une pièce d'identité permettant de s'assurer de l'"individualité" de la personne placée. - Le Placement Ordonné par l'Autorité Publique (appelé aussi Placement d'Office ou PO) correspond à une autre démarche Le préfet peut ordonner "d'office le placement dans un établissement d'aliénés, de toute personne, interdite ou non interdite, dont l'état d'aliénation compromettrait l'ordre public ou la sûreté des personnes". L'ordre du préfet doit être motivé et énoncer les circonstances rendant nécessaire le placement. Mais l'article 19 stipule que : "En cas de danger imminent, attesté par le certificat d'un médecin ou la notoriété publique" , les maires peuvent ordonner provisoirement le placement. - Dans le cas du Placement Volontaire (terme qui, avouons-le, ne manque pas d'humour implicite puisque la "volonté" du malade n'est nullement prise en compte) la sortie est prononcée à la demande du médecin

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garantissant un certain nombre de droits, pose donc un problème de liberté individuelle, de statut du sujet malade mental, et de modification de l'équilibre des pouvoirs entre le juridique et le technique (médecins). Les fous qui étaient auparavant disséminés dans divers types d'établissements - dont les prisons - sont maintenant considérés comme des malades et justiciables d'un traitement ("traitement moral" auquel s'adjoignent des thérapeutiques physiques parfois violentes)6. Elle est maintenant remplacée par la loi du 27 juin 1990 qui conserve certaines dispositions en préservant la liberté du malade (cf supra). 5)- Théorisation de la notion de "traitement moral" par Leuret et Falret7. Cette notion implique que les hypothèses sur l'étiologie organique de la maladie mentale - alors dominantes - coexistent parfaitement avec des pratiques considérées par certains comme les précurseurs de la psychothérapie, voire dans le cas de Leuret, des thérapies comportementales. La notion de "traitement moral", qui désigne tout autant le "moral" comme opposé au physique que la "morale" (éthique), comporte toutefois des connotations inquiétantes8. 6)- Constitution du savoir neurologique par Charcot (1880 sq.) et reconnaissance de l'hystérie comme une maladie. Bien que neurologie et psychiatrie soient à notre époque des spécialités différentes, le rôle de Charcot a été particulièrement important. En décrivant la sémiologie de l"hystérie, en isolant ses formes cliniques, il a fait de cet état souvent rejeté par la psychiatrie de l'époque, un objet neurologique - et psychiatrique - pertinent? Son successeur

ou de la famille, ou de la personne qui a signé la demande d'admission. Mais le préfet peut aussi ordonner la sortie immédiatement. - Dans le cas du P.O. le préfet prononce la sortie (après demande du médecin mais cette mesure n'est ni spécifiée ni obligatoire). - Dans le cas du PV le médecin doit adresser à l'Administration (préfet) dans les 24 heures un certificat, un autre 15 jours plus tard ("...ce certificat confirmera ou rectifiera, s'il y a lieu, les observations contenues dans le premier certificat, en indiquant le retour plus ou moins fréquent des accès et des actes de démence") - Dans le cas du PO la loi prévoyait que le médecin adresse, pour chaque patient concerné, le premier mois de chaque semestre un rapport "sur la nature de sa maladie et les résultats du traitement". - Par ailleurs la loi prévoyait un certain nombre de garanties contre les internements arbitraires, l'appropriation des biens de l'aliéné et imposait des contrôles.

Cette Loi fait donc du Préfet le personnage central des garanties mais aussi des obligations. La notion de traitement y est mentionnée, mais aussi celles de "renfermement", d'"ordre public" et de "sûreté des personnes". Elle écarte, en s'appuyant sur le jugement médical, le risque d'"internement arbitraire" (c'est-à-dire d'internement de quelqu'un de "sain") mais elle donne au malade mental un statut qui le prive du statut de sujet (tout se passe en dehors de lui). Si les deux types de placement existaient encore récemment sous cette forme, les procédures pratiques étaient assouplies. D'autre part, la plupart des malades soignés dans les Hôpitaux Psychiatriques, le sont au titre du "Traitement Libre", c'est-à-dire du libre choix qui leur laisse la possibilité de sortir contre avis médical. 6- De très nombreux articles et ouvrages sont consacrés à cette Loi de 1838, qu'il s'agisse des textes préparatoires ou des différentes contestations successives. L'ouvrage de Castel (CASTEL R. L'ordre psychiatrique. Paris, Minuit, 1976) constitue un document historique et sociologique très utile. 7- Les étudiants intéressés par l'analyse historique, sociologique et "archéologique" de la psychiatrie et du "pouvoir psychiatrique" peuvent se reporter aux ouvrages suivants : CASTEL R. L'ordre psychiatrique. Paris, Minuit, 1976, BERCHERIE P. Les fondements de la clinique. Paris, Navarin, 1980. FOUCAULT M. Histoire de la folie à l'âge classique. Paris, Gallimard, 1972. FOUCAULT M. Surveiller et punir. Paris, Gallimard, 1975. 8- Inquiétantes par leurs présupposés et par certaines de leurs techniques, en particulier chez Leuret. Ce dernier définissait ainsi le traitement moral : "J'entends par traitement moral de la folie l'emploi raisonné de tous les moyens qui agissent directement sur l'intelligence et sur les passions des aliénés" . Mais certains de ces moyens ont pu être critiqués comme relevant plus du dressage ou de l'intimidation. Toutefois, chez d'autres auteurs comme Falret, le "traitement moral" est avant tout "non violent" et purement moral. Certains concepts sont particulièrement intéressants : "direction" à donner à l'esprit de l'aliéné, effets bénéfiques de l'ordre et la discipline asilaires... Un certain nombre de "pratiques thérapeutiques" de l'époque peuvent toutefois surprendre par leur violence (voir de FREMINVILLE B. La raison du plus fort. Traiter ou maltraiter les fous ? Paris, Seuil, 1977).

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Babinski rejettera l'hystérie hors du champ de la neurologie : le terme même d'hystérie sera remplacé par celui de "pithiatisme". 7)- Essor, en France de la théorie de la dégénérescence sous l'influence de Morel (1809-1873) et de Magnan (1835-1912). On retrouve cette théorie dans les romans de Zola (cf les différents tomes des Rougon-Macquart)9. Chez Morel la dégénérescence "est une déviation par rapport au type humain normal qui est transmise par l'hérédité et qui s'aggrave peu à peu jusqu'à l'extinction de la famille". Les causes ne sont pas seulement somatiques, mais aussi sociales, morales, écologiques. 8)- Constitution de la nosologie "classique" par Kraepelin (entre 1895 et 1910). Nous sommes encore tributaires de cette classification. Kraepelin (1856-1926) est à la fois l'auteur d'une méthode, le fondateur de la psychiatrie clinique et le créateur de certaines entités. Il décrit les maladies à partir de l'observation (méthode clinique sémiologique) de nombreux cas en accordant à l'évolution de la maladie une place prépondérante. Bien que certains termes aient été employés avant lui, il est le créateur des tableaux cliniques de la paranoïa, de la paraphrénie, de la démence précoce (future schizophrénie), de la folie maniaco-dépressive (future PMD)10. La démarche "objectiviste" de Kraepelin constituera le modèle de la démarche psychiatrique pendant de nombreuses années. C'est contre ce modèle que s'érigeront les conceptions "dynamiques" (phénoménologiques, psychanalytiques, existentielles) qui tenteront de restituer le statut du sujet et de comprendre le sens des signes présentés par le malade. 9)- Constitution du savoir psychanalytique par Freud (à partir de 1895). Précisons que Freud était, au départ, neurologue et que son domaine de recherche a été constitué plus par les névroses11 que par les états psychotiques - qui formaient l'essentiel des "objets" de la psychiatrie. Freud fournira une théorisation psychopathologique de l'hystérie (Etudes sur l'hystérie, le cas Dora), de la phobie (Le Petit Hans), de la névrose obsessionnelle (L'Homme aux Rats). Ses incursions dans le domaine des psychoses (Le Président Schreber) ne se fondent pas sur sa pratique. Toutefois, à partir des travaux freudiens, plusieurs auteurs se sont attachés à produire des théories psychopathologiques des psychoses. Parmi eux on peut citer Mélanie Klein, Paul Federn, Harold Searles, Herbert Rosenfeld, Paul Racamier, Jacques Lacan. 10)- Travaux de E. Bleuler (1857-1939) qui met l'accent non pas sur la description des maladies mais sur leurs mécanismes (psychopathologie) ; il considère chaque cas (méthode clinique) pour tenter d'en comprendre les symptômes. En 1911, il crée le terme "schizophrénie" pour décrire et élargir ce que l'on appelait auparavant "Démence précoce". On lui doit aussi le terme "autisme" pour décrire un des symptômes de la schizophrénie (repli dans un monde à soi, coupé des autres, perte de contact avec la réalité). 11)- Travaux de Karl Jaspers (1883-1969) qui inaugure une approche phénoménologique de la psychiatrie dans sa Psychopathologie Générale (1919). La dimension du "vécu" et du "monde du malade" devient un objet de la psychiatrie qui ne vise pas seulement à décrire les symptômes.

9- Le "Docteur Pascal", personnage central des romans, est un adepte de la théorie de la dégénérescence. 10- Voir KRAEPELIN E. Introduction à la psychiatrie clinique. Paris, Navarin éditeur, 1984, et BERCHERIE P. Les fondements de la clinique. Paris, Navarin éditeur, 1980. 11- Précisons schématiquement que l'opposition entre névrose et psychose demeure centrale en psychopathologie. Traditionnellement, la névrose désigne une affection "psychogène" (origine psychologique) et dans laquelle le sujet est conscient d'être malade (exemples : hystérie, phobie, obsession...). La psychose désigne la maladie mentale au sens strict : le malade n'est pas conscient d'être malade, le trouble atteint son rapport à la réalité et l'étiologie - hypothétique - est organique (exemples : schizophrénie, paranoïa, paraphrénie, bouffées délirantes aiguës, manie, mélancolie...). Il convient de garder présentes à l'esprit ces définitions simplistes qui permettent de se repérer. Cependant, la clinique a vite fait de remettre en cause ces certitudes défensives.

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Jaspers - qui ne manquera pas de s'attirer les critiques des philosophes phénoménologues comme Husserl - distingue la compréhension (verstehen) qui repose sur l'Einfühlung (interpénétration dans le monde du malade) et l'explication (erklären) qui consiste en la découverte d'un lien objectif de cause à effet par les méthodes des sciences naturelles. Les travaux phénoménologiques représenteront un courant essentiel au développement de la psychiatrie et de la psychopathologie. Binswanger, Minkowski, Tellenbach, s'inspirant des conceptions de Husserl, puis de Heidegger, offriront une doctrine extrêmement élaborée des maladies mentales12. Les travaux de Jaspers fondent la psychopathologie en proposant une compréhension psychologique de la pathologie mentale. 12)- Travaux de G. de Clérambault (1872-1934) - chez lequel Lacan s'est formé et qu'il reconnaîtra comme son seul maître en psychiatrie - sur les psychoses passionnelles (érotomanie, quérulence, jalousie), et l'automatisme mental13. 13)- Découverte des différentes thérapeutiques de choc (malariathérapie par Wagner von Jauregg en 1917, insulinothérapie par Sakel en 1933, cardiazol par von Meduna en 1935, électro-chocs par Cerletti en 1938). L'efficacité de ces méthodes (ou de ce qui les entoure) amène un espoir (avec ce qu'il comporte de positif dans la représentation du malade) de guérison. L'apparition ultérieure des thérapeutiques médicamenteuses entraînera une disparition de la plupart de ces techniques. Seul l'électro-choc continue à être pratiqué, la plupart du temps, dans des états dépressifs graves14. 14)- A partir de 1945 réflexion des psychiatres sur une nécessaire désinstitutionnalisation du malade, sur la transformation des "asiles" et sur la possibilité de "prévenir" la maladie - ou l'hospitalisation psychiatrique - en intervenant sur leurs origines. Deux courants - complémentaires ou opposés - émergent de cette réflexion : le courant de "psychothérapie institutionnelle" (rendre l'institution réellement soignante et éviter les effets de chronicisation) et le courant dit du "secteur" visant à travailler "hors les murs"15.

12- Pour de plus amples détails, voir LANTERI-LAURA G. La psychiatrie phénoménologique. Paris, P.U.F., 1957. 13- Ses oeuvres complètes viennent d'être rééditées in G. GATIAN DE CLERAMBAULT Oeuvres Psychiatriques. Frénésie Editions, Paris, 1987. Ses travaux de théoricien ont laissé moins de souvenirs que ses descriptions cliniques (psychoses passionnelles, automatisme mental) et ses "présentations de malades" (méthode clinique), genre dans lequel il excellait. Il nous a laissé, comme Kraepelin, de très remarquables études de patients, études qui ne manquent pas de soulever quelques questions quant à son contre-transfert (fascination, mise en scène, agressivité...) : "Un style lapidaire, fascinant de concision et d'efficacité, un véritable génie de l'observation analytique, le goût et le talent des grandes synthèses et des vues d'ensemble, une culture psychiatrique encyclopédique et constamment présente à son esprit, un charisme personnel certain, doublé d'un sentiment assuré de sa supériorité, tels sont les éléments qui nous restent pour comprendre la fascination qu'exerça G.G. de Clérambault sur ses contemporains et les passions, souvent hostiles, qu'il suscita comme personne avant lui dans le petit monde de la psychopathologie française." (Bercherie P. Les fondements de la clinique. op. cit., p. 251.). On peut aussi trouver dans PAPETTI Y., VALIER F., de FREMINVILLE B., TISSERON S. La passion des étoffes chez un neuro-psychiatre. Paris, Solin, 1980, des éléments biographiques nouveaux sur la vie et le suicide de G. de Clérambault. 14- L'électro-choc est loin d'être en voie de disparition. Après une période de contestation, il connaît un regain de popularité - du fait des résultats positifs - notamment aux U.S.A. Dans certains troubles dépressifs, son efficacité est considérée comme supérieure à celle des thymoanaleptiques (anti-dépresseurs). 15- Dans le même temps la théorie psychiatrique tentait de s'appuyer sur différentes conceptions psychopathologiques, dont la psychanalyse. André Green rappelle que "la psychanalyse française d'après la deuxième guerre mondiale voyait croître ses oeuvres sur le terreau de la psychiatrie, nombre d'analystes de cette époque conservant les marques de leurs origines psychiatriques. Or la psychiatrie moderne, sous l'impulsion d'Henri Ey, était imprégnée de phénoménologie, quand elle ne cherchait pas son inspiration du côté de Marx, chez ceux qui, conformément à leurs options politiques, croyaient à la sociogenèse des maladies mentales". (GREEN A. (1993) Le travail du négatif. Paris, Minuit, 1993, p. 10).

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15)- Découverte en 1954 des premières molécules efficaces sur certains troubles mentaux (neuroleptiques comme la Chlorpromazine, puis anti-dépresseurs (Imipramine) et anxiolytiques comme le Diazepam). L'apparition de ces médicaments a trois effets : 1- limitation très nette de l'agressivité dans les services psychiatriques qui peuvent alors s'ouvrir plus facilement, 2- la psychiatrie rejoint le modèle clinique, étiologique et thérapeutique des autres spécialités médicales, 3- les biologistes commencent à s'intéresser à la psychiatrie et aux maladies psychiatriques. 16)- Circulaire du 15 mars 1960 sur la sectorisation psychiatrique. Elle rend possible la pratique de la prévention et du suivi des malades à l'extérieur de l'hôpital. Chaque secteur possède une équipe composée de psychiatres, de psychologues, d'infirmiers (ères) psychiatriques, d'assistants (tes) sociaux (les) intervenant en des lieux différents : hôpital, dispensaire, hôpital de jour, visites à domicile, clubs thérapeutiques... 17)- A partir de 1969 séparation dans l'Université de la Neurologie et de la Psychiatrie. Auparavant, les chaires d'enseignement étaient confondues et il n'existait qu'un seul CES (Certificat d'Etudes Spécialisées de Neuro-Psychiatrie). Jusqu'à cette époque la plupart des Professeurs de Psychiatrie étaient avant tout neurologues. Cette séparation a donné un essor certain à la psychiatrie16. 18)- Remise en cause des fondements de la psychiatrie par les courants "anti-psychiatrique" (Laing, Cooper, Esterson) et "psychiatrie démocratique" (Basaglia) entre 1960 et 1975. Dénonciation de la double aliénation du malade mental (aliéné par sa folie et par la société), reconnaissance de la dimension créatrice de la folie, critique des pratiques et des théories psychiatriques, des rapports entre les différentes spécialités "psy-" et le pouvoir. Ouverture de quelques institutions mettant en pratique les conceptions anti-psychiatriques (Kingsley Hall) ou italiennes 17. 19)- A partir des années 70, essor de la psychiatrie biologique et des thérapies comportementales, systémiques18, et cognitives19. La Psychose Maniaco-Dépressive devient un

16- La psychiatrie reste une spécialité médicale, mais son statut universitaire change lorsqu'elle se dégage de la "tutelle" de la Neurologie. Toutefois, le savoir et la pratique psychiatriques continuent à s'intéresser à des "objets frontières" comme la démence (origine neurologique et effets psychologiques), la confusion mentale. De même l'examen psychiatrique comporte nécessairement des pratiques communes avec celles de l'examen neurologique : étude du langage, de la mémoire, des praxies, des gnosies.... 17- Les principaux travaux anti-psychiatriques ou sur l'anti-psychiatrie, (mais les anti-psychiatres étaient aussi psychiatres de formation), ou la psychiatrie italienne sont les suivants : COOPER D. Psychiatrie et anti-psychiatrie. Paris, Seuil (coll. Points), 1970. BASAGLIA F. L'institution en négation. Paris, Seuil, 1970. BASAGLIA F. Qu'est-ce que la psychiatrie ? Paris, P.U.F., 1978. MANNONI M. Le psychiatre, son "fou" et la psychanalyse. Paris, Seuil (coll. Points), 1970. LAING R. La politique de l'expérience. Paris, Stock, 1969. LAING R. Le moi divisé. Paris, Stock, 1970. SZASZ T.S. Le mythe de la maladie mentale. Paris, Payot, 1975. SZAZ T.S. Idéologie et folie. Paris, P.U.F., 1976. SZASZ T.S. (1976) Fabriquer la folie. Paris, Payot, 1976. L'"irruption" de l'anti-psychiatrie dans le champ culturel n'a pas manqué de soulever des débats passionnés. Si les critiques des anti-psychiatres avaient parfois un contenu explosif et remettaient en cause les certitudes de l'"establishment" psychiatrique, psychologique, et psychanalytique, certaines de leurs analyses étaient parfaitement argumentées et invitaient à une réflexion sur ce qui fonde nos pratiques. Le débat polémique ne s'est pas toujours orienté dans ce sens. Les réponses violentes et sectaires de certains psychiatres, psychologues, et psychanalystes aux critiques formulées par l'anti-psychiatrie ont parfois été de parfaites illustrations de la pertinence de ces critiques. 18- Les magazines de psychiatrie comme "Synapse" et "Nervure", journaux récents, montrent bien l'éclectisme actuel en psychiatrie : les articles à référence biologiques ou comportementales côtoient des travaux psychanalytiques ; les "revue de la littérature" sur un objet clinique utilisent les informations venant de perspectives différentes et parfois peu compatibles. L'éclectisme semble donc être de mise en psychiatrie, même si les psychiatres sont individuellement plus sensibles à telle ou telle théorie. La "montée" des thérapies systémiques (qui portent sur la pragmatique de la communication) représente un fait relativement important car elles semblent se distinguer à la fois des conceptions psychanalytiques, des conceptions biologiques et des conceptions comportementales.

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terrain de choix dans la mesure où l'on retrouve la preuve d'une transmission génétique dans un nombre important de cas. Dans le même temps, on assiste à une régression des conceptions psychopathologiques psychanalytiques et phénomènologiques qui restent néanmoins les principaux artisans des théories psychopathologiques et les discours dominants de nombreuses institutions. 20) En 1980, apparition de la nouvelle classification américaine DSM-III, actuellement révisée sous la forme du DSM-III-R, puis du DSM-IV. Cette classification - discutable et discutée - renouvelle complètement l'approche descriptive et nosologique. 21)- En France, vote de la Loi du 27 Juin 1990 qui remplace la loi du 30 juin 1838. Cette Loi reprend les mêmes types de placement, appelés différemment (Hospitalisation d'Office pour le Placement d'Office, Hospitalisation à la Demande d'un Tiers pour le Placement Volontaire). Elle modifie certaines procédures : - il faut deux certificats médicaux pour l'HDT (au lieu d'un auparavant), - le maintien en H.O. doit être demandé (alors qu'avant il fallait demander la sortie). Conclusion : L'histoire de la psychiatrie va dans le sens d'un dégagement progressif des entités, d'une médicalisation grandissante et d'un souci de clarification des procédures thérapeutiques. Son champ, auparavant (au XIXème siècle) circonscrit à la psychose, s'étend assez largement à d'autres entités qui n'ont parfois qu'un rapport lointain avec la pathologie mentale. II)- LES MODES D'APPROCHE EN PSYCHIATRIE. En apparence, la psychiatrie s'organise comme n'importe quelle autre discipline médicale. La différence réside cependant : - dans la définition, toujours très difficile, de la maladie mentale, - dans la diversité des conceptions nosologiques (les mêmes signes peuvent être regroupés diversement et leurs regroupements appelés différemment), - dans la diversité des positions étiologiques (certaines faisant référence à l'organique et d'autres restant psychologiques), - dans son rapport, parfois inquiétant, aux normes sociales et culturelles dans la définition de ce qui est normal, pathologique, ou anormal. - dans sa référence à la chronicité. Le schéma diagnostic-pronostic-traitement est jusqu'alors peu pertinent en psychiatrie du fait de la chronicité de certains troubles. Il ne convient pas seulement de donner un traitement, souvent plus efficace sur les symptômes que sur la maladie elle-même, mais de suivre un malade - qui est aussi un sujet qui souffre. - dans l'élargissement concret et théorique du champ de la psychiatrie. Si au XIXème siècle les psychiatres s'intéressaient surtout à la psychose, le domaine psychiatrique - et psychopathologique - concerne maintenant d'autres troubles (états dépressifs, névroses, maladies psychosomatiques, conséquences de maladies organiques, différentes formes d'inadaptation, handicaps, troubles du caractère et du comportement). La légitimité de l'intervention psychiatrique sur certains objets n'a pas fait l'objet de beaucoup d'analyses ; il y aurait pourtant là matière à réflexions historique, sociologique, éthique, épistémologique et technique. La psychiatrie s'est par ailleurs spécialisée, tant au niveau des problématiques (psychiatrie biologique), que des "objets" et 19- Sur ces modifications on pourra lire CASTEL R. La gestion des risques. De l'anti-psychiatrie à l'après-psychanalyse. Paris, Minuit, 1981.

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domaines : psychiatrie du nourrisson, de l'enfant, de l'adolescent, géronto-psychiatrie, ethnopsychiatrie etc... - dans le fait que la maladie mentale atteint le patient dans son identité et pas seulement dans son corps. Si l'on peut dire d'un malade organique qu'il a une cardiopathie, on considère généralement qu'un malade présentant une dissociation est un schizophrène. Mais le savoir psychiatrique s'organise comme tout savoir médical. Il y a donc une distinction entre sémiologie (description), étio-pathogénie (explication, cause, production du phénomène pathologique) et thérapeutique20. 1)- La description des troubles - sémiologie et diagnostic. L'approche psychiatrique repose sur un certain nombre d'outils qui ne sauraient être confondus. Il s'agit du symptôme, du signe, de la maladie et de la personnalité. a)- le symptôme se situe du côté du sujet, c'est ce dont il se plaint (ex : "on m'en veut", "je ne dors plus"). Sur un plan médical, le symptôme doit être "traduit" en termes opératoires (signes : idées de persécution, insomnie). Dans une approche compréhensive, le symptôme peut toutefois être considéré comme ce qui constitue la demande du sujet21. Ce dont il se plaint ne se situe pas entièrement dans le simple énoncé de la plainte. Le terme symptôme est cependant utilisé parfois comme synonyme imprécis de "signe" ; on parle ainsi des symptômes de la dépression. Cet usage n'est pas impossible mais, en toute rigueur, il conviendrait de parler des "manifestations" de la dépression pour désigner sa présentation concrète, de "signes" pour décrire le tableau clinique et des "symptômes" pour évoquer la manière dont le patient exprime ses difficultés. Ce qu'observe le psychiatre n'est pas la même chose que ce que dit et ressent le malade. Le terme symptomatique, quant à lui, est parfois employé pour désigner la manifestation d'autre chose. Une dépression symptomatique d'une affection organique est une dépression exprimant et masquant une affection organique (tumeur cérébrale par exemple) qui en est la cause. Le terme est aussi employé en désignant l'existence d'une signification :"c'est symptomatique" signifie que le phénomène attire l'attention et qu'il révèle quelque chose qui, sans lui, serait passé inaperçu. b)- le signe se situe du côté de l'observateur. Il n'a d'importance qu'au regard d'une conception de la maladie (ex : la dissociation est un signe de schizophrénie, mais ces termes n'ont de sens que pour l'observateur qui est censé connaître le caractère pathognomonique de la "dissociation"). La sémiologie - ou séméiologie - constitue donc l'ensemble des signes permettant de reconnaître, de décrire, de discuter une maladie ou un état pathologique (ex : "je dors mal" est

20- Comme dans les autres spécialités médicales, il y a en psychiatrie, un secteur de recherche. De même la psychiatrie développe, à l'instar des autres spécialités un secteur "épidémiologique" (étude de la fréquence, de la répartition, de l'origine des maladies). Nous n'aborderons pas ici ce domaine dont les travaux apportent des informations sur les différentes maladies. On trouvera dans la revue Psychologie Médicale, 1988, 20, 12 ("Epistémologie et Méthodologie en Recherche Psychiatrique"), et LELLOUCH J. Présent et Futur de l'Epidémiologie. Les Editions INSERM, 1988, des informations sur ce champ. 21- Ces différents problèmes sont abordés dans CLAVREUL J. L'ordre médical. Paris, Seuil, mais aussi chez CANGUILHEM et chez FOUCAULT.

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un symptôme, il sera nommé "insomnie" ou "trouble du sommeil", il peut être le signe d'un état anxieux ou d'un état dépressif (mais il peut aussi n'avoir aucune importance). Le travail sémiologique (analyse sémiologique) consistera à caractériser ce signe et à rechercher les autres signes du tableau (insomnie de début ou de fin de nuit ?, cauchemars ?...., l'insomnie est-elle accompagnée de tristesse, de pessimisme, de ralentissement, d'anxiété, d'asthénie ? ). Dans la démarche clinique, la présence d'un signe possède une importance, mais son absence peut être aussi déterminante. Chez un sujet triste, insomniaque, anorexique, pessimiste, l'absence de ralentissement est une donnée fondamentale quant à l'existence et/ou la nature de l'état dépressif. A l'exception de quelques situations précises (hallucination, délire ...), un signe isolé n'a aucune valeur diagnostique, il n'a d'importance qu'associé à un tableau (ensemble de signes). Toute interprétation sur un seul signe peut être considérée comme particulièrement contestable. D'autre part, les signes isolés peuvent se retrouver dans des situations pathologiques différentes ou dans des situations communes (le néologisme est retrouvé dans la schizophrénie, mais chez chacun d'entre nous aussi). Enfin, reconnaître un signe suppose une expérience clinique ; il est impossible d'employer avec pertinence la sémiologie, sans une familiarité avec les situations pathologiques et sans être dans le cadre précis d'un examen psychiatrique ou psychologique. c)- Le syndrome est un regroupement de signes qui peuvent avoir plusieurs étiologies ou se retrouver dans des situations (maladies) différentes (ex le syndrome de Cotard se rencontre principalement dans les états dépressifs mélancoliques, mais aussi dans d'autres psychoses comme la schizophrénie ; il en va de même du syndrome de Korsakoff qui peut être d'étiologie alcoolique ou bien traumatique). d)- La maladie - entité - proprement dite est caractérisée par la stabilité d'un ensemble de signes et elle se distingue radicalement d'une autre (ex la paranoïa n'est pas la schizophrénie bien qu'il puisse y avoir délire dans les deux cas). Le terme de "trouble(s)" ('disorder(s)') est aussi utilisé, du fait de l'influence du DSM III, pour caractériser ce que l'on considérait jusqu'alors comme une maladie22. La nosologie est l'étude et le classement des différentes maladies. Le modèle médical suppose que l'on isole des "maladies" - caractérisées par une association de signes précis - qui répondent à une même étiologie (même cause). Dans le domaine psychiatrique, la question de l'étiologie demeure, pour certaines maladies, non résolue. La reconnaissance d'une maladie

22- Naturellement le terme de maladie donne lieu à de nombreuses interrogations. On peut dire qu'une maladie est, comme le rappelle Huber, autant - une expérience subjective de malaise, d'indisposition et d'être handicapé

- une modification de la personne et du coprs en ce qui concerne le bien-être, le comportement et le niveau de performance

- un rôle social comportant des droits et des devoirs. Mais cette conception est restrictive, il peut en effet exister des maladies sans souffrance (maladie asymptômatique) ou sans conscience de celle-ci (psychose, anosognosie, perversion). D'autant plus que : "la notion s'impose que la maladie de l'homme malade n'est pas la maladie anatomique du médecin. Une pierre dans une vésicule biliaire atrophique peut ne pas donner de symptômes pendant des années et par conséquent ne pas créer une maladie, alors qu'il y a état d'anatomie pathologique… Sous les mêmes dehors anatomiques on est malade et on ne l'est pas… On ne doit plus escamoter la difficulté en disant tout simplement qu'il y a des formes silencieuses et larvées des maladies : ce n'est là que le verbalisme. La lésion ne suffit peut-être pas à faire la maladie clinique, la maladie du malade. Celle-ci est autre chose que la maladie de l'anatomopathologiste" (Leriche 1936). Toutefois, du point de vue médical, l'idée de maladie comporte en arrière plan une quadruple conception : les troubles ont leur origine dans une déficience spécifique, cette déficience se trouve dans l'individu et constitue l'essence de la maladie, elle a son origine dans une cause univoque ou un ensemble de causes univoques, ces causes sont de nature corporelle.

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n'implique pas forcément une certitude étiologique, sauf pour certains troubles précis. Certaines maladies sont subdivisées en "formes cliniques", terme qui désigne des tableaux sémiologiques différents participants d'une même entité (par exemple l'héboïdophrénie, la catatonie, l'hébéphrénie sont des formes cliniques de schizophrénie). Le diagnostic consiste à reconnaître, à partir d'une analyse sémiologique, le type de maladie dont le sujet est atteint23, sa forme clinique, chaque maladie étant considérée comme possédant une étio-pathogénie singulière. Mais le terme maladie est-il bien approprié pour tout le champ de la psychiatrie ? e)- La personnalité pathologique est une déviation permanente, purement quantitative, de la personnalité. Elle est caractérisée, non pas par des signes évoquant une maladie, mais par des difficultés d'adaptation ou une souffrance subjective. Une personnalité pathologique n'implique pas nécessairement l'apparition d'une maladie mais peut avoir un caractère prédisposant : un sujet avec une personnalité obsessionnelle ne produira pas forcément une névrose obsessionnelle, mais la présence d'une personnalité sensitive implique la possibilité de manifestations pathologiques d'une certaine forme ; d'autre part, le même trouble délirant (érotomanie par exemple) selon qu'il apparaît sur une personnalité sensitive ou une personnalité paranoïaque sera considéré soit comme une "paranoïa sensitive", soit comme une psychose passionnelle, avec un pronostic différent. Dans une approche clinique classique on distingue les signes qui permettent le diagnostic d'une maladie et ceux qui définissent la personnalité sous-jacente. Le DSM III (et ses différentes mises à jour) est à cet égard un bon exemple de classification permettant de distinguer le niveau de la "maladie" de celui de la "personnalité". Sa conception de la personnalité est à la fois cognitive et comportementale : "ensemble de conduites fortement enracinées qui incluent la manière dont on perçoit, on réagit à et on conçoit son environnement et sa propre personne. Les traits de personnalité sont les aspects saillants de la personnalité24. On pourra opposer à cette définition les élaborations psychanalytiques qui, bien que n'ayant pas parlé de personnalité, avancent des théories dynamiques très différentes. f)- Ces différents éléments descriptifs constituent les bases de la démarche du diagnostic25 en psychiatrie : symptômes ===> signes ===> regroupement des signes en un tableau cohérent et ordonné (tenant compte à la fois des signes présents et de ceux qui sont absents) ===> possibilités diagnostiques ===> recherche d'autres signes (dont le type de personnalité) ==> hypothèses concernant la maladie ==> discussion de ces hypothèses ==> diagnostic (absolu et différentiel) ===> traitement. Traduction concrète du schéma : 1er exemple (simpliste) - Plaintes du malade : "je ne dors pas" (symptôme), - Opérations cognitives du Psy : insomnie ? (signe) ==> quel type d'insomnie ==> faire préciser le malade. S'il s'agit bien d'insomnies : il peut s'agir (entre autres) : d'un état anxieux, d'un

23- Rappelons l'excellente formule de DAUMEZON G. Obsession de négation trente ans après. Annales Médico-psychologiques, 1979, 137, 3-4 : 271- 276 : "la maladie n'est que le modèle que le médecin choisit en face d'un patient ; ce modèle est choisi en raison des moyens d'action qui sont à la disposition des auteurs et des hypothèses pathogéniques qu'ils bâtissent ; cela dit, nul ne peut échapper à cette nécessité de classer". 24- Voir DEBRAY Q., NOLLET D. (1995) Les personnalités pathologiques. Paris, Masson. 25- Voir l'excellent ouvrage HARDY-BAYLÉ M.C. (1994) Le diagnostic en psychiatrie. Paris, Nathan (coll. "128").

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état dépressif, d'une contrariété passagère, d'un problème neurologique, d'un début de psychose etc... ==> demande de précisions sur l'insomnie. - Le malade évoque des insomnies de fin de nuit, réveil précoce, rumination, impossibilité de se rendormir, mais difficultés à se lever le matin. - Psy : rapprochement entre les symptômes donnés par le patient et certains aspects du tableau clinique de l'état dépressif (hypothèse) ==> vérifier les autres signes ==> le malade est-il triste, anorexique, ralenti, asthénique, inhibé, pessimiste, anxieux, a-t-il des idées de suicide, des idées de ruine, de culpabilité, a-t-il changé récemment d'attitude, se déride-t-il sans difficultés... ect. (recherche des autres signes en fonction d'un tableau connu à l'avance). - Le malade "répond" bien à ces différents critères. - Psy : Hypothèse et discussion de l'hypothèse : les différents signes correspondent au tableau d'un "épisode dépressif majeur" (diagnostic). Il faut maintenant prouver qu'il se s'agit pas d'une autre maladie et caractériser la forme clinique de cet état dépressif (diagnostic différentiel)26. 2ème exemple reposant sur la collecte partielle d'un matériel volontairement limité27 et mettant surtout l'accent sur la procédure du diagnostic. Mme V, 40 ans est hospitalisée en service de Médecine, pour fatigue et amaigrissement. Les examens somatiques ne montrent aucune anomalie. Il est demandé au psychiatre de la rencontrer. Son discours est assez pauvre, monotone, le débit est lent ; elle se plaint de ne plus avoir de force, de n'avoir envie de rien, d'être oppressée : "je ne dors plus, toutes les nuits je me réveille, pourtant je suis fatiguée, je n'arrive pas.... je fais rien, je suis capable de rien, je suis tout le temps triste". Elle dit elle-même qu'elle n'a plus faim, qu'elle pense ne pas pouvoir aller mieux et qu'elle se sent abandonnée. A plusieurs reprises elle pleure au cours de l'entretien et dit qu'elle a peur de mourir; le reste du temps son visage exprime la tristesse. Il n'existe ni antécédents familiaux, ni antécédents personnels. Aucun événement marquant ne peut être relevé dans les mois précédents l'apparition de son état qui dure depuis environ 5 semaines.

1)- Recueil des signes : pessimisme, tristesse, asthénie, ralentissement, pauvreté du discours, perte des intérêts, anorexie, idées de mort, pleurs, idées d'incapacité, anxiété (peur de la mort), absence d'antécédents (personnels et familiaux), âge 40 ans

2)- Ces éléments évoquent la présence d'un état dépressif

26- Cette présentation est naturellement fictive et ne correspond nullement à la manière dont se passe un entretien. Dans la réalité, il n'est pas question de se "précipiter" sur le premier symptôme pour couper la parole au malade et faire un diagnostic. Il convient classiquement de laisser parler le malade qui expose ses symptômes, sa souffrance, ses attentes, en relevant les différents éléments qui paraissent importants. Ce n'est que dans un second temps, ou bien au fil de ce que dit le patient, qu'on tente de lui faire préciser les éléments permettant de formuler le diagnostic. Contrairement à ce qui peut se passer dans la Médecine somatique où la question du diagnostic est essentielle pour l'approche thérapeutique, la psychiatrie s'intéresse avant tout au malade (sujet). De même, la présentation méthodique visant à repérer les signes, les traits de personnalité, l'histoire du sujet, ses mécanismes de défense, sa "structure"... n'a d'intérêt que pédagogique. Dans un entretien, le patient utilise la situation comme il le souhaite et aborde ces différents niveaux à sa manière. Le clinicien fonctionne donc sur plusieurs registres à la fois. Enfin, le travail de tout clinicien ne s'arrête pas à la formulation d'un diagnostic, mais constitue une écoute du sujet dans sa totalité. Toutefois, dans un but démonstratif, on peut se reporter aux arbres diagnostics du DSM III ou à ceux proposés par HARDY-BAYLE dans "Enseignement de la Psychiatrie" pour cerner les opérations permettant la formulation d'un diagnostic. 27- L'observation et son analyse sont sujettes aux mêmes critiques que précédemment. Nous ne gardons que les éléments essentiels à des fins démonstratives. Nous laissons aussi de côté les traits de personnalité.

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3)- Existe-t-il des signes en faveur d'un trouble organique ? 4)- Non (examens normaux), 5)- ==> syndrome dépressif (à cause naturellement de l'existence de signes dépressifs), 6)- Un autre trouble peut-il expliquer ce syndrome dépressif ? 7)- Non (pas d'antécédents, pas d'autres éléments) 8)- ==> hypothèse : Episode dépressif 9)- Forme de l'épisode : existe-t-il des signes d'endogénéité ?

10)- En faveur du diagnostic de dépression endogène : insomnie du petit matin, importance du ralentissement psychomoteur, absence d'élément déclenchant

11)- En défaveur du diagnostic de dépression endogène : pas de facteurs héréditaires 12)- Hésitation entre le diagnostic de "dépression psychogène" ou "névrotique" et celui de "dépression endogène" 13)- L'apport d'autres éléments et/ou l'évolution permettront de trancher entre les deux diagnostics.

Le diagnostic28 vise donc à reconnaître une maladie à partir de signes qui sont repérés dans le discours ou le comportement du malade. Il permet de nommer la maladie, et d'en inférer un processus, ou un mode de fonctionnement, ou une étiologie précise. Or la psychiatrie n'est pas toujours en mesure de fournir ce type de données, ce qui a pu valoir à cette activité de diagnostic des critiques soulignant l'aspect "d'étiquette" du diagnostic. Le modèle de Kraepelin décrivant des maladies à partir de signes et postulant un pronostic est ici particulièrement visé. Pour fondées que soient ces critiques, elles appellent néanmoins quelques réserves :

- Le diagnostic permet une représentation standardisée et communicable des différentes difficultés d'un patient. - Le savoir clinique est fondé sur la typologie des maladies. Même chez les auteurs les plus critiques à l'égard de la notion de diagnostic, on retrouve des caractérisations qui sont une autre forme de diagnostic. On échappe donc pas à la typologie. - Le diagnostic n'est qu'un des éléments permettant au clinicien de situer les difficultés de son patient. Cependant, si un clinicien définissait le sujet uniquement à partir du diagnostic en inférant chez lui les autres éléments du tableau (ex : c'est un déprimé donc il a une personnalité "limite"), il s'agirait là d'une erreur particulièrement injustifiable.

2)- L'approfondissement des informations.

28- Il va sans dire que le psychiatre n'est pas le seul à porter un diagnostic. Il existe aussi un diagnostic fait par le psychologue clinicien, diagnostic qui n'est pas forcément formulé dansles mêmes termes que celui du psychiatre. W. Huber (1993) donne du "psychodiagnostic clinique" (diagnostic opéré par le psychologue clinicien) : "résultat final d'un processus complexe au cours duquel le psychologue clinicien cherche des informations sur une personne et les élabore en vue de cerner les problèmes de celle-ci et leurs causes, de décider s'il y a lieu d'intervenir et comment, et d'évaluer les interventions et leurs effets". Il fait une ifférence entre diagnostic médical et diagnostic psychologique pour lequel le terme "évaluation" (assessment) paraît plus approprié : "Faire un diagnostic médical, pasychiatrique par exemple, consiste à situer un cas concret par rapport à un système de classification (syndromatique ou nosologique) ; faire une évaluation psychologique revient à aller plus loin, à ne pas se limiter à une classification en fonction d'un système de pathologie, mais à décrire en plus toute la dynamique individuelle, le jeu des forces, faiblesses, déficits et fonctions adaptatives, qui déterminent ce comportement individuel et son évolution. L'évaluation psychologique complète donc le diagnostic psychiatrique".

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La psychiatrie ne se limite naturellement pas à cette démarche sémiologique qui sert surtout à reconnaître des entités dont on suppose qu'elles ont des pronostics, des évolutions, des mécanismes différents. D'autres éléments sont aussi pris en compte, éléments qui correspondent soit aux apports des techniques médicales soit à une perspective légèrement différente car inspirée de la psychanalyse ou de la psychologie : examens complémentaires, épreuves psychométriques, mécanismes de défense, "structure". a)- les examens complémentaires (ex : EEG, PL, Scanner, IRM29, PET30...). Ce niveau correspond à une définition objective des troubles ou des atteintes organiques. Cette pratique répond à plusieurs soucis dans la démarche psychiatrique. 1)- Certaines maladies "d'allure psychiatrique" peuvent en effet être le masque d'une autre affection, cette fois organique et curable (ex : états dépressifs liés à un dysfonctionnement de la thyroïde) ; il convient donc de faire la preuve que les signes présentés par un malade ne sont pas liés à un autre trouble. 2)- Certaines maladies considérées comme objet de la psychiatrie - car se manifestant par des troubles psychiques - ont une origine organique décelable (exemple : la maladie d'Alzheimer est liée à une atteinte du cortex ; dans le cas d'un sujet âgé présentant des troubles de la mémoire, du jugement, de l'attention et du caractère, le scanner peut fournir des éléments à un diagnostic qui est cette fois étiologique ; les signes observés sont rapportés à ce que découvre le scanner). 3)- Les conceptions émanant de la psychiatrie biologique soulignent l'existence de troubles organiques dans certaines maladies mentales (dépression et neuro-transmetteurs par exemple). b)- La quantification des traits ou des états (Echelle, tests). Le "trait" est défini par sa stabilité, l'"état" par son caractère transitoire. Exemples : La MADRS permet de mesurer l'intensité de l'état dépressif en cotant de 0 à 6 chacun des dix items suivants : tristesse apparente, tristesse exprimée, tension intérieure, réduction du sommeil, réduction de l'appétit, difficultés de concentration, lassitude, incapacité à ressentir, pensées pessimistes, idées de suicide. Le MMPI - questionnaire de personnalité - mesure des traits. Le test - mental - peut être défini comme "une situation standardisée servant de stimulus à un comportement qui est évalué par comparaison statistique avec celui d'individus placés dans la même situation, afin de classer le sujet soit quantitativement, soit typologiquement" (P. Pichot). La W.A.IS., le W.I.S.C., le Rorschach, le T.A.T. sont des tests, les deux premiers d'intelligence, les deux seconds de personnalité. A côté des tests d'intelligence et des tests de personnalité, il existe aussi des tests d'aptitude.

29- Indications de l'IRM (Imagerie par Résonance Magnétique) : confusion ou déence de cause inconnue, premier épisode d'un trouble psychiatrique d'origine inconnue, trouble moteur d'origine inconnue, anorexie mentale, en particulier d forme atypique, catatonie prolongée, premier épisode d'un trouble de l'humeur ou de la personnalité majeur après 50 ans, avant une ponction lombaire en cas d'hypertension intra-crânienne suspectée, présence de troubles neurologiques inexpliqués. 30- Étude topographique in vivo du débit sanguin et du métabolisme cérébral. La Tomographie à Emission de Positrons visualise "en temps réel" l'activation cérébrale qui accompagne un comportement cognitif, sensoriel ou moteur. Elle en situe le maximum et en précise le décours spatial. Elle est donc particulièrement adaptée à l'exploration de la plasticité cérébrale. Un mouvement résulte de la mise en jeu simultanée des synergies de plusieurs zones cérébrales. La TEP produit une imagerie instantanée de ces synergies dans des conditions aussi proches que possible de la motricité normale sans les extrapolations de l'expérimentation animale.

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Parmi les autres méthodes de quantification utilisées on retrouve les questionnaires, les listes de critères, et les échelles d'évaluation31 qui se distinguent des tests psychométriques. Les échelles existent sous deux formes : échelles d'hétéro-évaluation, remplies par le clinicien, et échelles d'auto-évaluation remplies par le sujet. La MADRS (Montgomery Asberg Depression Rating Scale) est une échelle d'hétéro-évaluation, le B.D.I. (Beck Depression Inventory) est une échelle d'auto-évaluation, le B.I.Q (Beth Israel Questionaire) qui mesure l'alexithymie32 est une liste de critères. Ces outils servent, dans le domaine clinique comme dans celui de la recherche, à qualifier et quantifier, de manière standardisée et précise, un état ou un trait en vue d'un diagnostic, d'un examen des effets d'un traitement, ou d'une analyse des processus. Une échelle pertinente doit posséder trois qualités métrologiques. Sa validité repose sur le fait qu'elle mesure bien ce pourquoi elle est constituée et rien d'autre. L'examen de la validité est double; il peut porter sur les items (inter-corrélations) ou sur la note globale (par comparaison avec un autre outil). L'utilisation de l'analyse factorielle permet de dégager des facteurs indépendants possédant une signification clinique. La fidélité implique que l'échelle donne des résultats comparables dans des situations identiques (fidélité test-retest, fidélité inter-juges). La sensibilité dépend de la capacité à noter des variations entre des états différents. L'intérêt de ces techniques est de faire apparaître des éléments difficiles à percevoir dans un entretien. S'il est parfois facile de reconnaître des signes dépressifs dans un entretien, il est en revanche plus délicat d'apprécier l'intensité des troubles, notamment lorsqu'il s'agit de troubles cognitifs. En outre, ces techniques donnent des résultats chiffrés, qui permettent des comparaisons (du sujet par rapport à lui-même : avant et après traitement). Elles sont naturellement employées aussi dans le domaine de la recherche pour définir des informations précises et permettre de valider certaines hypothèses thérapeutiques ou cliniques. Il convient toutefois de noter que les échelles ou les tests réduisent les objets cliniques à ce qui est mesurable et qu'elles ne donnent qu'un éclairage partiel qui doit être complété par les données de l'entretien. c)- L'étude des mécanismes de défense (à partir de l'entretien et/ou de tests projectifs comme le Rorschach ou le TAT). Les mécanismes de défense peuvent être considérés comme des "opérations dont la finalité est de réduire, de supprimer toute modification susceptible de mettre en danger l'intégrité et la constance de l'individu biopsychologique". Parmi les mécanismes de défense les plus "connus" on peut citer, le déni, la projection, l'isolation, l'annulation rétroactive, l'identification projective, la régression etc... Certains de ces mécanismes se retrouvent préférentiellement dans certaines entités. Bien que ce concept soit issu des travaux psychanalytiques (voir sur ce point l'Abrégé de Psychologie Pathologique de Bergeret), il est largement utilisé en psychologie. Les mécanismes de défense sont, dans ce dernier cas, assimilables à des "coping process" et ne correspondent pas à la définition psychanalytique. Leur description est donc extérieure et peut être assimilée à une démarche sémiologique. Il existe des échelles permettant de définir ces mécanismes de défense. Le DSM-III-R fournit la liste suivante : agression passive, annulation (rétroactive), clivage, déni, déplacement, dépréciation, dissociation, formation réactionnelle, idéalisation, intellectualisation, isolation, passage à l'acte, projection, rationalisation, refoulement, répression, rêverie autistique, somatisation. Comme on peut le noter certains

31- Se reporter au polycopié de 352 (option clinique). 32- L'alexithymie (incapacité à verbaliser ses émotions) est un style cognitif qui s'apparente à la "pensée opératoire" décrite par Pierre Marty. On retrouve fréquemment ce style chez les patients atteints de maladie somatique, ou, plus exactement chez les malades psychosomatiques (chez lesquels des facteurs psychologiques influencent le cours ou la survenue d'une affection organique).

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mécanismes de défense sont identiques - dans les termes - à ceux repérés par la psychanalyse alors que d'autres ont une provenance différente. Pour le DSM-III-R, les mécanismes de défense répondent à la définition suivante : "Certains ensembles de sentiments, de pensées ou de comportements relativement involontaires et survenant en réponse à des perceptions d'un danger psychique. Ils sont conçus pour masquer ou atténuer les conflits ou les facteurs de stress qui font naître l'anxiété" . Il en donne les défénitions suivantes (que l'on pourra confronter aux définitions psychanalytiques) :

- agression passive : Mécanisme par lequel la personne exprime une agression envers autrui de façon indirecte et non combative. - annulation (rétroactive) : Mécanisme par lequel la personne s'oblige à un comportement conçu pour corriger symboliquement ou nier des pensées, des sentiments ou des actions antérieures. - clivage : Mécanisme par lequel la personne se voit elle-même ou voit autrui comme étant "tout bon" ou "tout mauvais" échouant à intégrer défauts et qualités de chacun dans desimages cohérentes ; il existe fréquemment une alternance d'idéalisation ou de dépréciation. - déni : Mécanisme par lequel la personne n'arrive pas à reconnaître comme réels certains aspects extérieurs qui paraissent évident à autrui. - déplacement : Mécanisme par lequel la personne généralise ou déplace un sentiment ou une réponse d'un objet vers un autre, habituellement moins menaçant. - dépréciation : Mécanisme par lequel la personne s'attribue - ou attribue à autrui - des défauts exagérés. - dissociation : Mécanisme par lequel la personne subit une altération temporaire des fonctions d'intération de la conscience et de l'identité. - formation réactionnelle : Mécanisme par lequel la personne substitue à un comportement, à des pensées ou des sentiments inacceptables, d'autres qui leur sont diamétralement opposés. - idéalisation : Mécanisme par lequel la personne s'attribue - ou attribue à autrui - des qualités exagérées. - intellectualisation : Mécanisme par lequel la personne s'adonne à des pensées exagérément abstraites pour éviter d'éprouver des sentiments gênants. - isolation : Mécanisme par lequel la personne est incapable d'éprouver simultanément les éléments cognitifs et affectifs d'une exérience en raison d'un refoulement de ces affects. - passage à l'acte : Mécanisme par lequel la personne agit sans réflexion et sans souci apparent des conséquences négatives. - projection : Mécanisme par lequel la personne attribue à tort à autrui ses propres sentiments, impulsions ou pensées, non reconnus comme tels. - rationalisation : Mécanisme par lequel la personne invoque des explications rassurantes ou complaisantes mais erronées pour rendre compte de son comportement ou de celui d'autrui. - refoulement : Mécanisme par lequel la personne est incapable de se souvenir ou d'avoir une conscience cognitive de souhaits, sentiments, pensées ou expériences pénibles. - répression : Mécanisme par lequel la personne évite délibérément de penser à des problèmes, des désirs, des sentiments ou des souvenirs dérangeants.

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- rêverie autistique : Mécanisme par lequel la personne substitue une rêverie diurne excessive à la poursuite des relations humaines, à l'action plus directe et plus efficace ou à la résolution des problèmes. - somatisation : Mécanisme par lequel la personne se préoccupe de symptômes somatiques de façon disproportionnée à toute atteinte physique réelle.

d)- L'étude de la "structure" (organisation inconsciente du sujet qui peut être spécifiée - du moins dans certaines conceptions théoriques - en "hystérique", "obsessionnelle", "psychotique", "perverse"...). Le concept de structure désigne l'organisation fondamentale des processus qui peuvent s'actualiser ou non dans l'apparition de symptômes. Son principal intérêt est de dépasser le niveau du "visible", des "faits", pour tenter de cerner ce qui les détermine. Ainsi, les mêmes signes, les mêmes symptômes, pourront posséder une valeur différente selon la structure dans laquelle ils prennent place. Les débats actuels autour de la notion de "psychose hystérique" sont des débats portant sur la structure, puisque la même symptomatologie peut être interprétée différemment. La notion de structure, dans l'utilisation clinique qui peut en être faite, présente toutefois une difficulté dans la mesure où son aspect inconscient, invisible, fait qu'elle doit être inférée à partir des discours du sujet. On peut ainsi développer des raisonnements parfaitement tautologiques, le symptôme permettant de définir la structure qui va permettre de comprendre le symptôme. Malgré ces difficultés elle est une des notions les plus intéressantes de la psychopathologie33. Lorsque l'on pose la question de la structure ou des mécanismes de défense, on se situe dans une conception psychologique de la maladie mentale. En ce sens, bien qu'utilisées par la psychiatrie, ces notions doivent être considérées comme étant du domaine de la psychopathologie. Toutefois, il arrive que la question de la structure soit le problème principal que se posent les cliniciens devant une situation concrète. Diagnostiquer une maladie - surtout lorsque le traitement n'est pas très efficace - débouche automatiquement sur des hypothèses concernant la manière dont cette maladie vient prendre place dans l'organisation du sujet.

33- D'autres conceptions de la structure pourront être abordées à partir de FERBOS C. La notion de structure dans la théorie psychanalytique. In FERBOS C., MAGOUDI A. Approche psychanalytique des toxicomanies. Paris, P.U.F. (coll. "Le fil rouge"), 1986 et du livre de J. DOR Structure et Perversion. Paris, Denoël, 1987. 34- D'autres conceptions de la structure pourront être abordées à partir de FERBOS C. La notion de structure dans la théorie psychanalytique. In FERBOS C., MAGOUDI A. Approche psychanalytique des toxicomanies. Paris, P.U.F. (coll. "Le fil rouge"), 1986 et du livre de J. DOR Structure et Perversion. Paris, Denoël, 1987.

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Type Se définit à

partir de Recueillis dans Au moyen de

Maladie Signes • Motif de consultation, • Antécédents (personnels et familiaux), • Anamnèse, • Histoire de la maladie, • Examen du comportement, de l'activité de pensée, de l'affec-tivité et des traits de personna-lité, • Eléments médicaux, • Evolution.

• Observation, • Renseignements (sponta-nés ou suscités) émanant d'autres personnes, • Examen psychométrique (tests, questionnaires, échel-les), • Entretien (dont une partie peut être directive).

Structure ou

Organisation psychique

Demande, Mécanismes de défense, Types d'angoisse, Relation d'objet, Histoire, Répétitions.

• Discours du sujet, • Occasionnellement discours de l'entourage, • Transfert.

• Entretien, • Techniques projectives, • Jeu, dessin, modelage (chez l'enfant), • Productions artistiques.

3)- Explication des troubles. Etiologie et psychopathologie. La maladie se définit par un ensemble de signes, mais elle possède aussi une étio-pathogénie. Pour chaque maladie, ou pour chaque groupe de maladies, il existe donc une formulation théorique de son origine et de ses mécanismes. Actuellement, plusieurs types de conceptions étiologiques s'affrontent, bien qu'elles soient parfois complémentaires. a)- La conception biologique (la maladie mentale est liée à un dysfonctionnement des neuro-médiateurs (Dopamine, Noradrénaline, Sérotonine...), ou à une origine génétique). Ce courant est représenté à la fois par la "psychiatrie biologique" et, dans une moindre mesure, par les courants issus des "neuro-sciences" qui s'intéressent aux aspects psychologiques de ces phénomènes (cf. la théorie du ralentissement chez Widlöcher) et il ouvre sur des thérapeutiques biologiques, mais aussi psychologiques. Ce courant vise principalement à découvrir des thérapeutiques biologiques efficaces et les mécanismes biologiques, parfois biopsychologiques, de la maladie mentale. Il s'agit là d'un courant travaillant selon les méthodes des "sciences de la vie", avec rigueur méthodologique, et qui a l'intérêt de renouveler les connaissances sur la maladie mentale. Les travaux de recherche mettent bien en évidence des résultats, mais pour l'instant, ils ne permettent pas toujours de conclure sur les mécanismes en jeu. L'écart anatomo-clinique (décalage entre une même atteinte et ses différentes manifestations concrètes chez les sujets) reste important35.

35- On pourra consulter les différents articles paru dans l'American Journal of Psychiatry, ou dans Psychiatrie et Psychobiologie pour se rendre compte du sérieux méthodologique des travaux, mais aussi des contradictions des

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b)- Les conceptions psychologiques peuvent être spécifiées selon la place dévolue à l'inconscient (psychanalyse) et selon leur conception du sujet. Il reste que toute les conceptions psychologiques sont loin d'être des conceptions étiologiques, du moins au sens où on l'entend en Médecine. Il s'agit d'hypothèses beaucoup plus difficiles à valider que celles proposées par la psychiatrie biologique. D'autre part, la plupart des courants psychologiques ont été amenés à proposer des interprétations de certains faits pathologiques : Pavlov s'est intéressé à l'hystérie, le behaviorisme aux névroses... Ainsi la plupart des conceptions psychologiques - qui n'ont pas pris naissance dans le champ de la psychiatrie - en viennent-elles à proposer une application de leurs positions au domaine du pathologique. Elles adoptent donc une démarche inverse de celle de la psychiatrie qui, à partir d'une pratique auprès de la souffrance psychologique, produit ses propres théories psychologiques en adaptant les théories ambiantes. La confrontation entre les deux positions ne peut qu'être fructueuse, même si elle donne parfois lieu à des incompatibilités. Parmi les conceptions psychologiques36, il faut citer : b.1. le comportementalisme37. Ce courant s'appuie sur les travaux de Watson, puis de Skinner (conditionnement opérant), d'Eysenck (modèle typologique), de Wolpe (modèle de l'inhibition réciproque), de Bandura (modèle de l'apprentissage social). L'idée centrale originaire est que les comportements pathologiques, les symptômes, sont des réponses apprises. Les comportements pathologiques sont considérés comme acquis et entretenus par les mêmes mécanismes que les comportements normaux. Pour la théorie classique, n'importe quel stimulus simple ou complexe qui est associé à une situation qui entraîne de la peur peut par la suite déclencher à lui seul des réactions de peur "ouvertes" (verbales, motrices comme fuite, évitement) et "couvertes" (pensées, affects, images, réponses physiologiques). Les hypothèses de Skinner sur le conditionnement opérant ont renouvelé les conceptions en introduisant la notion de contingences de renforcement. On a pu reprocher à ce modèle son réductionnisme, ses simplifications abusives, son mécanicisme et son utilisation extensive du modèle animal. b.2. le courant cognitif s'inspire du paradigme du "traitement de l'information". Il postule un sujet actif qui utilise des processus d'auto-organisation pour modifier son environnement. L'organisme traite l'information (stimuli) en fonction de schémas acquis qui, avec l'aide des processus cognitifs (assimilation, accomodation...), transforment l'information en événements cognitifs (pensées et images mentales) qui inter-agissent avec les comportements moteurs. Dans le cas de la maladie mentale, des schémas irrationnels stockés en mémoire, vont induire des

résultats et des difficultés éprouvées par les auteurs pour apporter une conclusion qui dépasse la portée de l'étude empirique. 36- Nous laissons de côté deux conceptions qui ont eu, dans un passé récent, une influence assez nette sur le développement des théories psychiatriques, mais qui sont actuellement peu présentes dans les débats théoriques. Il s'agit de l'organodynamisme de Henri EY et du courant sociogénétiste (mise en rapport de la maladie mentale avec les phénomènes sociaux et/ou culturels). Pour une revue détaillée de la question on pourra consulter Ionescu S. (1991) Quatorze approches de la Psychopathologie. Paris, Nathan. 37- Voir COTTRAUX J. (1978) Les théories comportementales. Paris, Masson. 1978, WOLPE J. La pratique de la thérapie comportementale. Paris, Masson, 1975, SKINNER B.F. (1968) L'analyse expérimentale du comportement. Bruxelles, Dessart, 1971, BANDURA A. L'apprentissage social. Bruxelles, Mardaga, 1978.

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événements cognitifs qui vont participer au déclenchement et au maintien de comportements pathologiques38. b.3. la phénoménologie. Elle s'appuie sur une attitude et des conceptions issues des travaux de la philosophie phénoménologique (Husserl, Heidegger, Scheler). En premier lieu, la psychiatrie phénoménologique (L. Binswanger, E. Minkowski, A. Tatossian, H. Tellenbach, J. Zutt, G. Lanteri-Laura...) tente de décrire l'"être-au-monde" caractéristique de certaines situations pathologiques comme la schizophrénie, la mélancolie, la manie... Dans ce contexte, le point de départ est la réalité clinique de la maladie que les théories phénoménologiques vont tenter d'interpréter à partir des concepts propres à cette position philosophique. En second lieu, l'attitude phénoménologique - qui prend modèle sur l'idée d'une saisie intuitive de la vie intérieure du patient - tente une mise à jour des conditions de possibilités de l'approche psychiatrique39. b.4. la psychanalyse développe une théorie reposant sur la notion d'inconscient. L'origine de la maladie - ou de la souffrance - est à découvrir dans les conflits inconscients du sujet. L'inconscient doit être considéré comme formé, en grande partie, par les représentations sexuelles infantiles qui ont été refoulées dans la période oedipienne, du moins chez les névrosés. Le champ psychanalytique se décompose en plusieurs écoles selon les conceptions des formations de l'inconscient. En restant dans le domaine freudien, on peut mentionner au moins quatre problématiques différentes : le kleinisme, l'ego-psychology, le lacanisme et les courants "marginaux"40. L'originalité de la psychanalyse réside dans sa référence à la "causalité inconsciente", à la prise en compte du "désir" et de la sexualité dans son interprétation de la pathologie41. Rappelons toutefois que la "scientificité" de la psychanalyse fait l'objet de critiques (et de "réponses") appuyées en particulier sur les travaux de Karl Popper qui lui reproche de ne pas inclure de procédure de "validation" et de "réfutation". Le très intéressant débat épistémologique sur les relations entre Science, Méthode et Psychanalyse a le mérite de poser un certain nombre de questions sur le statut du "sujet de la science" et du "sujet de l'inconscient"42. De nombreuses critiques qu'il serait fastidieux de reprendre ont été portées contre les théories psychanalkytiques, mais aussi contre la pratique analytique dans le domaine psychiatrique, voire contre les positions de certains analystes. Freud lui-même avait souligné que la psychanalyse ne pouvait être la "bonne-à-tout-faire de la pychiatrie".

38- Voir BLACKBURN I.M., COTTRAUX J. Thérapie cognitive de la dépression. Paris, Masson, 1988. 39- Voir TATOSSIAN A. Phénoménologie des psychoses. Paris, Masson, 1979. 40- cf. l'excellent article de BERCHERIE P. L'oculaire quadrifocal (II) Epistémologie de l'héritage freudien : les quatre courants fondamentaux de la psychanalyse. Ornicar ?, 1984, 30 : 94-125. 41- Voir FREUD S. L'interprétation des rêves. Paris, P.U.F., 1967 42- Voir notamment POPPER K. Conjectures et réfutations (1972).1985, Paris, Payot. BOURGUIGNON A. Quelques problèmes épistémologiques posés dans le champ de la psychanalyse freudienne. Psa. Univ., 1981, 6, 23 : 381-414. DOR J. Néo-positivisme et scientificité de la psychanalyse. Psa. Univ., 1983, 8, 30 : 193-209. DOUMIT E. Excès de signifiant et zéle de falsifiabilité. Nodal, 1984, 1 : 226-248. LEGRAND M. Le statut scientifique de la psychanalyse. Topique, 1973, 11-12 : 237-258. SILVESTRE D. Entre deux. Rev. méd. psychosom.,1981, 23, 4 : 357-364. WIDLOCHER D. Pratique et recherche clinique. Revue de Psychologie Appliquée,1981 ,31, 2 : 117-129. REUCHLIN M. Options fondamentales et options superficielles. Revue de Psychologie Appliquée, 1981, 31, 2 : 97-115.

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b.5. le courant humaniste. Il s'est développé à partir de 1960 aux USA et a pour origine une opposition contre le behaviorisme et la psychanalyse. Les auteurs les plus connus sont A. Maslow, C. Bühler, C. Rogers. Le programme de l'Association of Humanistic Psychology propose les thèses suivantes : primauté de l'expérience vécue et nonpas recherche de l'objectivation, refus du réductionnisme (tenir compte de ce qui fait le propre de l'être humain : créativité, poursuite des valeurs et de la réalisation de soi), primauté du sens, études des forces positives de l'homme qui fondent sa dignité. Les conceptions étiologiques conçoivent les troubles come une entrave à la tendance à la réalisation de soi. Pour Rogers par exemple il y a inadaptation psychologique lorsque l'organisme refuse l'accès à conscience d'expériences sensorielles et viscérales significatives qui par conséquent ne sont pas symbolisées et organisées sous forme de structure du Self. Lorsque cette situation se présente, il y a une tension psychologique fondamentale ou potentielle. La théorie de Rogers se veut "phénoménologique" (en fait existentielle) ; il entend par là la reconstitution du monde interne de l'individu. On lui a reproché sa naïveté (foi inébranlable en la bonté de l'homme), ses concepts vagues et peu opérationels b.6. le systémique s'appuie sur les théories de la communication. Il appartient à ce que les auteurs anglo-saxons nomment la "psychopathologie écosystémique" qui privilégie entre l'individu et son environnement. Ce courant est issu de la théorie générale des systèmes de Bertalanffy et développe les notions de causalité circulaire, de systèmes ouverts et fermés, de téléologie, d'homéostasie et de changement. Cette conception s'intéresse avant tout au système familial, ou au contexte relationnel, et non plus à l'individu isolé. Elle s'appuie sur les théories de la communication développées par l'Ecole de Palo Alto43 et développe une analyse des types et systèmes de communication dont les dysfonctionnements sont à l'origine des situations pathologiques44. Avec ces différents courants qui proposent une interprétation psychologique de la maladie mentale et ouvrent sur la pratique des psychothérapies, nous touchons aux rapports entre la psychiatrie et la psychopathologie. Si la psychiatrie vise à soigner les malades, si elle est donc une pratique s'appuyant sur un savoir et des théories, la psychopathologie est un discours scientifique explicatif (qui n'est ni l'apanage des psychiatres, ni celui des psychologues) qui tente d'expliquer les processus de chaque maladie mentale ou de chaque comportement pathologique. Il y a une sémiologie (ensemble des signes) de la dépression, une étiologie, une pathogénie, mais il y a aussi une psychopathologie de la dépression : tentative d'explication ou d'interprétation psychologique des phénomènes dépressifs et de leur sens. Mais cette "psychopathologie" est un cadre générique qui se morcelle en approches différentes selon les problématiques théoriques sur lesquelles elle s'appuie : phénoménologique, cognitive, psychanalytique.... La Psychopathologie est l'ensemble de

43- Voir les conceptions de BATESON G. Vers une écologie de l'esprit. Paris, Seuil, 1977, WATZLAWICK P., BEAVIN J.H., JACKSON D.D. Une logique de la communication. Paris, Seuil, 1972, MINUCHIN S. Familles en thérapie. Paris, Delarge, 1980, 44- Watzlawick a avancé cinq principes de la communication : 1- on ne peut pas ne pas communiquer, 2- la communication présente deux aspects : le contenu et la relation (la communication informe sur la relation entre les partenaires), 3- la nature d'une relation dépend de la ponctuation des séquences de la comunication entre les partenaires, 4- les êtres humains usent de deux modes de communication : digital (langage) et analogique et analogique (formes d'expression non verbales accompagnant la communication), 5- l'échange de communication est symétrique (même niveau) ou complémentaire (lorsque les positions sont inégales [exemple :chef et subordonné]).

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ces théories et elle constitue une partie du savoir opérant en psychiatrie, les psychiatres n'en étant ni les seuls détenteurs ni les seuls auteurs. III)- LE DOMAINE DES SIGNES CHEZ L'ADULTE. Les signes ne se repèrent pas n'importe où et n'apparaissent pas seuls. L'"examen psychiatrique" consiste, entre autres choses, à rechercher ces signes dans des domaines précis. La sémiologie psychiatrique - et psychologique, lorsque le psychologue recherche des signes - se recueille principalement dans les domaines suivants45 : 1)- Le langage. a)- Possibilité de production verbale. Exemple de quelques signes : mutisme (absence de production verbale sans perte du langage), écholalie (répétition immédiate et fidèle des derniers mots de l'interlocuteur), palilalie (répétition involontaire et quasi mécanique de syllabes ou de mots), persévération verbale (persistance de mots ou de phrases qui appartiennent à un moment précédent du dialogue : le sujet répète à une autre question la réponse à la première question), barrages (brusque suspension du fil du discours qui reprend quelques instants plus tard sur le même thème ou sur un autre sujet)... b)- L'expression verbale : Exemple de quelques signes : maniérisme verbal (mode d'expression précieux, recherché, emphatique)46, le puérilisme verbal (caractère infantile de l'expression verbale). c)- Sémantique et syntaxe. Il s'agit ici d'un domaine plus proche de nos préoccupations habituelles dans la mesure où il concerne la structure du langage, la sémantique désignant les rapports entre le signifiant et le signifié, ou plus généralement la question du sens, et la syntaxe celle de l'organisation de la phrase; Exemple de quelques signes : néologisme (création d'un mot nouveau n'ayant de sens que pour le sujet), glossolalie (création d'un nouveau langage), verbigération (émission de mots ou de propositions dénuées de sens qui se répètent ou s'enchaînent)47. 45- Nous donnons ici les termes employés en psychiatrie, sans préjuger de leur pertinence. L'utilisation de termes comme "intelligence", "conduite instinctuelle"... montre déjà que la psychiatrie se fonde parfois sur des concepts psychologiques "simples", "spontanés" dont la définition est loin d'être claire pour tous. Ces concepts n'ont en fait qu'une valeur opératoire et permettent un repérage, mais ils ne constituent pas, tels qu'ils sont formulés, des "objets scientifiques" pertinents. La psychiatrie est bien une pratique et, comme telle, emploie des outils généraux qui peuvent paraître contestables aux spécialistes d'autres disciplines. Son problème n'est pas de produire une théorie de l'intelligence mais de désigner de manière compréhensible le niveau des "opérations mentales" comme distinct d'autres niveaux afin de cerner les difficultés présentées par le sujet. Certains de ces domaines nécessitent obligatoirement l'utilisation de tests ou d'échelles, l'analyse du discours spontané ne fournissant que l'indice du trouble. Une des difficultés de la clinique psychiatrique et psychologique se trouve d'ailleurs dans ce décalage entre ce que perçoit le clinicien et ce que des scientifiques souhaiteraient voir défini. Tout psychiatre, tout psychologue, sait reconnaître (espérons-le !) une discordance chez un malade schizophrène, mais il lui est généralement difficile d'expliquer à un observateur "non-initié" l'ensemble des raisons qui ont permis cette reconnaissance. De même, il lui est difficile de donner la preuve irréfutable que ce qu'il a reconnu est un signe de discordance et non autre chose. 46- Une fois encore, il convient de dire que la plupart des signes isolés n'ont aucune valeur diagnostique. Un seule signe ne suffit pas, d'autant que la plupart des signes sont parfois très difficile à définir et peuvent se retrouver chez des sujets ne présentant aucune pathologie. Le signe n'a d'importance que comme élément d'un tableau ; isolés, la plupart des signes n'ont aucune signification prédictive ou diagnostique.

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d)- L'élocution : Exemple de quelques signes : bégaiement, dysarthrie (difficulté d'articulation, notamment des consonnes, le plus souvent liée à une atteinte organique) e)- Les aphasies. Il s'agit de troubles du langage dus à des lésions cérébrales ; la compréhension, l'élaboration, l'expression du langage sont perturbées (expression orale, compréhension orale, expression par l'écriture et compréhension du langage écrit). On oppose deux formes principales : l'aphasie de Wernicke et l'aphasie de Broca. Dans l'aphasie de Broca, l'aphasie est d'abord totale, puis régresse en laissant persister une aphasie motrice pure (anarthrie) avec des troubles de l'écriture et de la lecture. Elle est généralement associée à un déficit hémiplégique du côté dominant du corps (côté droit chez les droitiers ==> atteinte de l'hémisphère gauche dit "hémisphère dominant") Dans l'aphasie de Wernicke, le trouble porte sur la compréhension des mots (oraux ou écrits) et sur l'élaboration du langage intérieur : manque du mot, oubli du vocabulaire, perte de la compréhension du mot, agrammatisme, acalculie, production verbale abondante et incompréhensible (jargonaphasie) du fait de la déformation des mots et des erreurs de sens. f)- La pragmatique Elle correspond à l'étude du rapport entretenu par les sujets avec les signes linguisitiques et son domaine d'élection est l'analyse de la conversation. Bien que les signes précis ne soient pas encore complètement répertoriés, différents travaux ont montré que ce niveau était mis en cause dans certains troubles mentaux48. 2)- La mémoire Parmi les troubles de la mémoire, troubles dont la mise en évidence nécessite souvent l'usage de tests, on peut mentionner a)- L'amnésie de fixation : incapacité d'intégration de nouvelles informations alors que les informations anciennes sont conservées. En quelques minutes ou en quelques heures les données nouvelles sont oubliées. b)- L'amnésie antérograde : elle est liée à l'amnésie de fixation ; la lacune de mémorisation progresse avec le temps. c)- L'amnésie d'évocation : incapacité de remémorer une information qui a été normalement fixée. Cette incapacité peut être liée à une destruction du stock mnésique (lésion du cortex), à une incapacité de mémorisation ou à des oublis sélectifs (origine affective). d)- L'amnésie rétrograde : incapacité d'évoquer des souvenirs antérieurs au début de la maladie. e)- L'amnésie de conservation : effacement définitif des souvenirs normalement fixés. f)- L'amnésie lacunaire porte sur une période précise nettement limitée dans le temps.

47- Le livre de BOYER P. Les troubles du langage en psychiatrie. Paris, P.U.F. (coll. Nodules), 1981, celui de MENAHEM R. Langage et folie. Paris, Les Belles Lettres, 1986, et celui de PLAZA M. Ecriture et folie. Paris, P.U.F. (coll. Perspectives critiques), 1986, fournissent des exemples et des analyses de certains de ces troubles. 48- Voir le poly sur la schizophrénie.

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g)- Les paramnésies comme l'ecmnésie (hallucination de la mémoire) qui consiste en l'irruption dans la conscience du sujet de souvenirs ressentis et vécus comme actuels, comme l'"illusion du déjà vu", les "fausses reconnaissances". 3)- L'intelligence Le discours psychiatrique restait jusqu'alors tributaire d'une conception ancienne de l'intelligence puisqu'il la considérait comme l'aptitude à reconnaître et à comprendre les éléments d'une situation ou d'un problème et distinguait intelligences abstraite, concrète, et sociale. Le problème de la psychiatrie n'est cependant pas de fournir une théorie de l'intelligence mais de repérer rapidement les sujets présentant des troubles des fonctions intellectuelles. En revanche, il appartient au psychologue clinicien de posséder des outils pertinents de diagnostic, une méthode précise d'interprétation et une conception rigoureuse de l'intelligence et de la structuration cognitive. a)- La débilité : elle correspond à une limitation ou à un retard du développement intellectuel. Le critère psychiatrique en est le QI (Quotient Intellectuel obtenu avec un test). La barre varie selon l'étalonnage des tests. Toutefois un QI inférieur à 80 peut être le signe d'une débilité. Les méthodes de Piaget permettent une appréciation différente du raisonnement. b)- La détérioration : il s'agit de la baisse de l'efficience psychométrique évoluant avec l'âge. Dans certaines affections (démence) la détérioration pathologique est particulièrement importante : certains tests généraux (WAIS) ou spécifiques permettent de mesurer la détérioration. 4)- Agnosies et apraxies a)- Les agnosies Il s'agit de l'impossibilité de reconnaître et d'identifier les objets, bien que : - les fonctions sensitives et sensorielles soient conservées, - les appareils perceptifs soient intacts, - les voies de conduction et les aires de projection primaire au niveau du cortex cérébral soient intactes. Elles sont généralement dues à des lésions localisée du cortex cérébral, situées dans les zones associatives qui entourent les aires de projection primaires. Exemples : - agnosies visuelles (agnosie des couleurs : incapacité à reconnaître les couleurs ; alexie : impossibilité de reconnaître un mot écrit ; prosopagnosie : incapacité à reconnaître les visages ; agnosie topographique : incapacité de se repérer et de s'orienter dans l'espace) - agnosies auditives - agnosies tactiles, (asymbolie tactile : impossibilité de reconnaître par palpation un objet dont le malade peut décrire la forme, le poids et la taille) ; autotopoagnosie : incapacité de reconnaître et de nommer les parties de son corps ou de celui de l'observateur, asomatognosie : incapacité à reconnaître comme sienne une partie du corps 49.

49- Dans le syndrome d'Anton-Babinski qui est lié à une lésion pariétale droite et s'accompagne d'une hémiplégie gauche, on retrouve une hémiasomatognosie (incapacité à reconnaître l'hémicorps paralysé), une anosognosie (le sujet n'a pas conscience de sa paralysie), des sensations pseudo-hallucinatoires dans le côté paralysé et des fabulations concernant cet hémicorps. On trouvera dans SACKS O. L'homme qui prenait sa femme pour un

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b)- Les apraxies Il s'agit de l'impossibilité d'exécuter volontairement des mouvements orientés vers un but en l'absence de troubles sensitifs ou de troubles cérébelleux qui pourraient les expliquer. Elles sont liées à des lésions corticales en dehors de l'aire motrice centrale. Exemples : - les apraxies gestuelles (apraxie idéo-motrice : incapacité à exécuter sur ordre un geste simple : sourire, froncer les sourcils, fermer le poing ; apraxie idéatoire : impossibilité d'exécuter des enchaînements de gestes plus complexes utilisant plusieurs objets : allumer une cigarette), - les apraxies complexes (apraxie constructive : impossibilité de réaliser un dessin spontané ou copié, une forme géométrique ; apraxie de l'habillage...). 5)- L'activité psychomotrice a)- Les déficits : Exemples : le ralentissement psychomoteur (que l'on retrouve dans les états dépressifs), le syndrome catatonique (négativisme et passivité : le patient reste figé avec un refus total de toute mobilisation corporelle)50, la stupeur, certaines conversions hystériques. b)- L'agitation : expression motrice de l'excitation psychique. c)- Les troubles moteurs spécifiques. Exemples : les tics, les rituels, les impulsions (besoin impérieux et brutal de réaliser un acte sans qu'il y ait lutte anxieuse contre ce besoin) 6)- Le fonctionnement de la pensée. Le terme "pensée" appartient au vocabulaire du siècle dernier, mais il conserve une place originale. Il désigne ici l'activité psychique consciente qui traite les éléments apportés par les connaissances, la mémoire, la perception, l'imagination, en organisant les idées (raisonnements, jugements). La recherche des signes opère sur le cours de la pensée (son déroulement), les contenus de la pensée et l'attitude du sujet à son égard51. a)- Troubles du cours de la pensée : Ils concernent le rythme et l'organisation de la pensée. Exemples : tachypsychie (accélération de tous les processus psychiques ==> pensée rapide dans laquelle se succèdent rapidement les idées, les souvenirs ==> fuite des idées)52, bradypsychie (ralentissement des processus psychiques : pensée lente, laborieuse, mono-idéisme)53, troubles de la synthèse mentale (pensée confuse, lente, peu cohérente)54 discontinuité de la pensée55 : dissociation psychique, la pensée se disperse, s'interrompt, est parasitée. b)- Troubles du contenu de la pensée.

chapeau. Paris, Seuil, 1988 des descriptions fort intéressantes des manifestations psychiques associées à des atteintes neurologiques. 50- Se retrouve dans la schizophrénie. 51- Ces trois formules appliquées à la pensée sont parfaitement identiques à celles qui concernent le langage (forme, contenu, rapport du locuteur à son message). 52- Se retrouve notamment dans les états maniaques ou dans les intoxications par psycho-stimulants. 53- Très fréquente dans les états dépressifs, notamment dans les états mélancoliques. 54- Se retrouve dans les états de confusion mentale. 55- Se retrouve dans la psychose schizophrénique.

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- Troubles imaginatifs : rêverie, mythomanie - Troubles avec idée prévalente : idée fixe (idée qui s'impose au sujet et qu'il accepte bien qu'elle puisse envahir son activité psychique), obsession (pensée qui s'impose au sujet et dont il reconnaît le caractère pathologique) - Les idées délirantes : croyance en une idée erronée, en opposition avec la réalité ou l'évidence, cette idée est l'objet d'une conviction inébranlable, elle s'impose comme une évidence et n'est pas partagée par le groupe socioculturel du sujet. Les idées délirantes peuvent être rangées par thèmes : idées de persécution ("on m'en veut", "on veut me tuer"), idées de grandeur (toute-puissance, mégalomanie), idées d'influence (sous l'influence de quelqu'un d'autre, télépathie...), idées de jalousie, idées de référence (impression que tout le monde surveille le patient), idées de négation ("il n'y a plus rien, tout est mort, vous n'existez pas....").. Un délire présente plusieurs caractéristiques que l'on découpe lorsque l'on fait l'analyse du délire : mécanismes, thèmes, degré de systématisation, degré d'extension, acuité ou chronicité, participation émotionnelle au délire. - Les mécanismes sont : l'intuition (idée admise comme telle sans vérification, ni logique : "je le sais... j'en suis convaincu, tout simplement, ça ne s'explique pas.."), l'imagination, l'illusion (perception réelle mais dénaturée par le sujet qui la reçoit), l'interprétation (explication erronée d'un fait réel : "il est passé devant chez moi c'est donc qu'il me surveille"), l'hallucination (perception sans objet à percevoir) - Les thèmes : hypocondriaques, de persécution, mégalomaniaques, d'influence, de jalousie, d'érotomanie, de référence (être l'objet de l'intérêt d'autrui).... - degré de systématisation (systématisé : le délire a un développement cohérent et ordonné ; polymorphe : lorsqu'il y a multiplicité de thèmes et de mécanismes) - extension (délire en secteur, c'est-à-dire qu'il ne concerne qu'une partie de la vie du sujet, ou délire en réseau lorsqu'il s'étend graduellement à l'ensemble de la vie du sujet). - humeur : le trouble est- il congruent à l'humeur. - acuité ou chronicité - degré de conviction c)- Distorsions globales de la pensée : On cite généralement - la pensée autistique : qui se replie sur soi et se détourne de la réalité extérieure. - la pensée magique - la pensée déréelle : ne tient pas compte de la réalité, demeure soumise aux manifestations "instinctuelles" - la pensée paralogique : le raisonnement semble exact, mais les prémisses sont fausses. - l'automatisme mental56 : la pensée est ressentie comme entravée, imposée, contrôlée par une influence externe. 7)- Les manifestations émotionnelles

56- Terme forgé par de Clérambault. Il désigne des hallucinations psychiques éprouvées comme des "voix intérieures" ou des transmissions de pensée : énonciation, commentaire des actes et de la pensée, écho de la pensée et de la lecture, vol et devinement de la pensée (intrusion de la pensée d'autrui dans l'intimité de la pensée du sujet), phénomènes et illusions d'étrangeté de la pensée, d'idéation imposée, de télépathie, sensations de mouvement, mouvements imposés.

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L'émotion désigne l'ensemble des sentiments éprouvés par un sujet à un moment donné. a)- L'expression des émotions. Exemples : l'hyperémotivité, l'absence d'expression émotionnelle ("froideur affective"), l'inadéquation entre le discours et les émotions exprimées (fous-rires immotivés). b)- Les troubles de l'humeur. Exemples : l'humeur dépressive (tristesse, pessimisme, douleur morale), l'humeur expansive (euphorie, élation), l'indifférence affective (athymie). c)- Les réactions émotionnelles. Exemples : la peur, l'anxiété et l'angoisse (sentiment d'alarme, d'appréhension d'un danger imminent et imprécis avec des manifestations somatiques), la colère 8)- Conscience et perception. En psychiatrie, le terme conscience désigne un état dans lequel les informations venues de l'extérieur et de l'intérieur sont clairement perçues et intégrées. Le terme perception désigne la fonction par laquelle l'esprit se représente les objets à partir des données sensorielles. a)- Troubles de la vigilance (degré de présence dans l'entretien). Exemples : obnubilation (lenteur de la pensée, difficulté de compréhension, difficulté à se repérer dans le temps et l'espace), hébétude (désintégration plus profonde), confusion mentale (diminution de la conscience avec désorientation spatiale et temporelle : le sujet ne sait plus où il est et ne peut retrouver la date). b)- Les troubles de l'attention. Exemple : aprosexie (diminution de l'attention). c)- Etats spécifiques de la conscience. Exemples : déréalisation (l'environnement a perdu son caractère familier, ambiance et choses sont bizarres, irréelles), onirisme (un ensemble de scènes rappelant le monde du rêve envahit la conscience du patient), état crépusculaire (proche de la confusion mais laisse possible une activité coordonnée et cohérente). d)- Troubles de la conscience de soi Exemples : troubles du schéma corporel (illusion du membre fantôme, hémiasomatognosie), altérations de l'image du corps57 (impression de changement de forme du corps, négation de l'existence du corps), dépersonnalisation (impression de modification corporelle et de transformation de la personnalité)58. e)-Les fausses perceptions - les illusions (déformation de la perception d'un objet réel).

57- Il existe une différence entre "schéma corporel" et "image du corps". Le schéma corporel est un concept neurologique qui désigne l'intégration du corps au niveau cérébral à partir des information somesthésiques, visuelles et vestibulaires. L'image du corps est un concept psychologique (mais aussi psychanalytique) désignant la représentation consciente et/ou inconsciente de notre corps. Une discussion de ces notions peut être retrouvée dans SCHILDER P. L'image du corps. Paris, Gallimard (collection Tel), 1968. 58- Lire La métamorphose de F. KAFKA

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- les hallucinations (perception sans objet - à percevoir -) qui se subdivisent en deux : les hallucinations psychosensorielles (ont la même qualité qu'une perception normale et sont considérées comme la projection sur l'extérieur des préoccupations intérieures ; exemples : hallucinations auditives [le sujet entend des "voix"], visuelles, tactiles, olfactives...) et les hallucinations psychiques (qui ne sont pas sensorielles et que le sujet ressent comme une intrusion du monde extérieur dans sa propre vie psychique ; exemple l'automatisme mental, le syndrome d'influence (sentiment d'être dépossédé de sa vie intérieure, d'être dirigé, influencé de l'extérieur). 9)- Conduites "instinctuelles" et sociales a)- Troubles du sommeil : insomnies, hypersomnies, somnambulisme. b)- Troubles alimentaires : anorexie (diminution ou perte de l'appétit), boulimie (sensation de faim intense avec ingestion rapide d'une grande quantité de nourriture), potomanie (besoin d'ingérer de grandes quantités de liquide, souvent de l'eau), dipsomanie (besoin d'ingérer de grandes quantités de boissons alcoolisées). c)- Troubles sphinctériens : énurésie (absence de contrôle de l'émission des urines), encoprésie (incontinence fécale). d)- Troubles sexuels : impuissance, éjaculation précoce, absence d'éjaculation, frigidité, dyspareunie, vaginisme, perversions sexuelles (fétichisme, masochisme, voyeurisme, exhibitionnisme, sadisme, zoophilie, ondinisme...). e)- Troubles des conduites sociales : délits, violences.... 10)- Sphère relationnelle Les relations avec les autres se repèrent à la fois dans la relation entre le psychiatre (le psychologue) et le patient (au cours de l'entretien) et dans les différents aspects de son existence. Exemples : relation autistique (repli sur soi, le sujet vit dans son monde sans tenir compte des autres), relation ludique, demandes excessives et insatiables, relation "contrôlée" avec maîtrise de tous les mouvements affectifs, dissimulation... La réticence59 pathologique, notamment, peut être considérée comme un indice qu'il convient d'approfondir. 11)- L'anamnèse et l'histoire Cet aspect concerne le recueil des informations sur l'existence antérieure du patient. On peut faire une différence entre anamnèse - qui suppose une enquête objective sur la biographie du patient - et histoire - qui désigne la façon dont le sujet rapporte (avec des oublis, des interprétations, des ruptures... ) son passé. L'anamnèse est une "mise à plat de l'histoire", l'écoute

59- Bien que le terme ne soit pas médical mais rhétorique, on pourrait donner l'exemple de l'aposiopèse (interruption brusque d'une construction, traduisant une émotion, une hésitation, une menace. Mais la réticence va du silence obstiné, à la réserve, voire à des tentatives de dissimulation. Bien entendu, toute réticence n'est pas pathologique, il ne s'agit que d'un indice à confirmer.

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de l'histoire du patient est en fait l'écoute de la manière dont il reconstruit son passé et lui donne sens. Une auto-biographie littéraire est une "histoire", un dossier médical reprenant les antécédents est une anamnèse. Une anamnèse recueille généralement des informations dans les domaines suivants : a)- L'épisode actuel : description des plaintes du sujet (symptôme), de sa manière de les rapporter et de son rapport à elles. b)- Les antécédents pathologiques personnels et familiaux. c)- L'histoire personnelle du sujet : première enfance, seconde enfance et adolescence, l'âge adulte. d)- L'anamnèse familiale et sociale. e)- Les données somatiques. 12)- Conclusions. a)- Le domaine des signes est extrêmement vaste, mais la plupart des signes considérés isolément ne sont pas pathognomoniques (spécifiques d'une affection et d'une seule). Seuls des regroupements de signes ont une signification. b)- Un grand nombre de signes se retrouvent chez des sujets ne présentant pas de maladie mentale. Si l'on observe (presque) toujours un ralentissement chez les déprimés, tous les sujets présentant un ralentissement ne sont pas déprimés. Le signe n'est donc qu'un indice qui appelle la recherche d'autres signes. c)- Les mêmes signes se retrouvent dans plusieurs maladies. Seule leur association avec d'autres signes a un sens. La sémiologie est donc un travail d'interprétation. d)- Pour repérer un signe, il faut être "entraîné" : l'étude de la sémiologie n'est pas connaître "par coeur" des tableaux cliniques. L'apprentissage de la sémiologie se fait principalement à partir de situations cliniques concrètes (entretien avec des patients, études d'observations écrites ou filmées, lecture de textes présentant un cas avec une analyse sémiologique). e)- Beaucoup des signes cités correspondent à la manifestation d'un trouble organique (par exemple neurologique). La psychiatrie est un domaine dans lequel les connaissances médicales jouent un rôle essentiels. Mais, l'existence d'une étiologie organique ne signifie nullement l'exclusion de toute réflexion psychologique. f)- Le "regard de surface" que suppose l'activité sémiologique permet simplement de décrire et de reconnaître la maladie. L'interrogation et le travail du psychiatre ne s'arrêtent naturellement pas là. Ils portent aussi sur la formulation d'hypothèses concernant les opérations psychiques internes qui entraînent l'apparition des signes. La sémiologie n'est qu'un des aspects du travail d'analyse. L'activité clinique est précisément de passer du général (diagnostic, tableau clinique) au particulier, pour saisir les particularités et les mécanismes propres à un malade. g)- La psychopathologie (en tant que discipline), la psychologie clinique (en tant que discipline et en tant que pratique) travaillent en partie sur le domaine psychiatrique avec leurs conceptions, leurs méthodes et leurs problématiques spécifiques. Il paraîtrait parfaitement irréaliste - voire dangereux - de méconnaître la "culture psychiatrique" pour construire ex nihilo une conception psychologique méconnaissant radicalement les enseignements de la psychiatrie. Il appartient au contraire aux psychologues de connaître parfaitement le schéma psychiatrique pour définir la spécificité de leur approche. IV)- LE DOMAINE DES SIGNES CHEZ L'ENFANT (ELEMENTS GENERAUX)

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Plusieurs signes sont considérés comme évocateurs de la psychose de l'enfant. Il reste que ces signes isolés ne sont que très rarement pathognomoniques. Ils doivent être relevés comme invitant à la recherche d'un tableau psychotique ou à son exclusion. 1)- Sémiologie des conduites motrices. a)- Gestualité inhabituelle pour l'âge. - persistance de comportements antérieurs b)- Anomalie du tonus : - hypotonie généralisée, - dystonie et paratonie (fréquentes dans les psychoses), - catatonie (elle est rare, mais peut se retrouver dans les psychoses de la seconde enfance). c)- Comportements moteurs. - les stéréotypies motrices sont très fréquentes dans les états psychotiques (mouvements répétitifs de type bercement dans lesquels l'enfant paraît s'absorber). Certaines stéréotypies incluent un objet indéfiniment manipulé ou l'ensemble du corps). Certains balancements sont toutefois fort fréquents chez les enfants abandonniques (qui ne sont pas psychotiques). - le flairage (l'enfant renifle les objets, les personnes, les aliments qu'il approche). d)- L'instabilité. Elle est extrêmement fréquente dans les psychoses précoces non autistiques (enfant agité, heurts fréquents avec les meubles, chutes n'entraînant pas de mouvement de défense ou de plainte). Chez d'autres sujets on retrouve une inhibition motrice massive (avec maladresse, dyspraxies). e)- Troubles de la latéralisation. f)- Les tics Ils consistent en l'exécution soudaine et impérieuse, involontaire et absurde, de mouvements répétés. g)- La débilité motrice. Il s'agit d'une association de syncinésies (mouvements diffusant à des groupes musculaires normalement non concernés par un geste précis), d'une paratonie (impossibilité à obtenir un relâchement musculaire actif) et d'une maladresse de la motilité volontaire. 2)- Sémiologie des troubles des fonctions intellectuelles. Le trouble le plus fréquent est la déficience mentale Le déficit intellectuel est défini à partir de la note au QI qui est inférieure ou égale à 75. On distingue : - la déficience mentale profonde

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- la déficience mentale moyenne - la déficience mentale légère. 3)- Les troubles du comportement. a)- Dans la 1ère année. Certains signes peuvent être évocateurs d'une psychose de l'enfant, le plus souvent d'un autisme : - enfant très calme, se manifestant peu, ne demandant rien, heureux lorsqu'il est seul. - indifférence en présence d'un adulte - absence d'attitude anticipatrice : ne tourne pas la tête vers la mère qui rentre dans la chambre, ne tend pas les bras. - absence de sourire (3ème mois). - absence de réaction d'angoisse devant l'étranger (8ème mois). b)- Dans la 2ème et la 3ème année. Certains signes peuvent être évocateurs d'une psychose de l'enfant, le plus souvent d'un autisme : - pas de contact avec la mère (et l'entourage). - regard vide, absent, impossible à accrocher (on peut parfois noter une vigilance extrême avec un "regard périphérique" : observation "en coin" lorsque l'enfant ne se sent pas observé). - refus du contact physique ou, lorsqu'il existe, partiel : l'enfant ne s'intéresse qu'à une partie du corps de l'adulte (cheveux, genoux, pieds...) ou bien utilise l'adulte comme un simple instrument (prend la main de l'adulte pour la diriger vers un objet désiré). - pas de réaction au départ des parents ou à l'apparition d'étrangers. - signe du "cube brûlant" : l'enfant approche lentement la main de l'objet et la retire soudainement lorsqu'il le touche. - réactions d'agressivité devant les jouets représentant des êtres humains (poupées...) avec destruction brutale. - utilisation des objets et des personnes de manière partielle, bizarre, non symbolique, répétitive et stéréotypée. Les objets sont eux-mêmes bizarres : objets bruyants, durs, morceau d'objets... - indifférence au jeu. - relations nulles ou inexistantes avec les autres enfants. - les tentatives de contact provoquent des conduites bizarres pouvant aboutir à la colère et à des comportements auto ou hétéro-agressifs. c)- Le mensonge d)- Le vol e)- Les fugues f)- Les conduites hétéro-agressives.

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g)- Les conduites auto-agressives comme les automutilations, les pathomimies, les gestes suicidaires 4)- Troubles affectifs. a)- crises d'angoisse. - elles peuvent être accompagnées de crises d'agitation et de manifestations coléreuses hétéro ou auto-agressives. - elles peuvent être spontanées ou succéder à des frustrations minimes ou à des changements dans l'environnement. - elles peuvent survenir lorsque l'on tente de forcer l'attitude de repli de l'enfant dans certains états psychotiques. b)- troubles de l'humeur Alternance rapide de phases de tristesse, de pleurs avec inhibition ou prostration motrice et de phases d'éxubérance, de rire, d'agitation. Manifestations dépressives avec apathie, inhibition et replis sur soi. c)- crises. - crises de rire : le rire ressemble alors au rire discordant de l'adulte. - crises d'angoisse - cris ou plaintes brutales sans liens apparents avec la situation. - crises de colère. - intolérance aux frustrations. - automutilations et gestes autovulnérants. 5)- Troubles du langage. Ils sont constants dans les psychoses de l'enfant, mais peuvent aussi apparaître dans d'autres troubles. Ils peuvent être décomposés en plusieurs types. a)- Absence de langage.

- c'est la cas de l'autisme de Kanner : l'enfant est silencieux, ou n'émet que des bruits bizarres et stéréotypés : grincements de dents, cris... - le langage peut apparaître plus tardivement, vers 4-5 ans. Il survient de manière anarchique (des blocs de phrases entières sont correctement prononcés alors que l'enfant ne peut pas répéter de simples phonèmes, apparition d'un langage incompréhensible, fréquence du chantonnement). - présence d'écholalie (répétition systématique par l'enfant du mot ou de la phrase qu'il vient d'entendre).

- anomalies de la mélodie. - troubles articulatoires.

- difficultés dans l'utilisation des pronoms (inversions des pronoms) : "je" remplacé par "tu" ou "il".

- absence d'acquisition du "oui". - stéréotypies verbales.

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- néologismes. - verbalisme solitaire. - régressions après apparition du langage : disparition de certains mots, mutisme secondaire.

- dans de très rares cas, surinvestissement du langage avec extrême maîtrise du langage, mais sans réelle capacité de communication.

- indifférence au langage des autres personnes et absence de communication. b)- Troubles de l'articulation (comme le zozotement et le schlintement). c)- Les retards de langage et de parole d)- Audimutités e)- Dyslexie-dysorthographie. La dyslexie se caractérise par une difficulté à acquérir la lecture à l'âge habituel (en dehors de toute débilité ou déficience sensorielle). On ne peut donc parler de dyslexie avant l'âge de 7 ans ou 7,5 ans. A cette dyslexie s'associent des difficultés d'orthographe. On retrouve dans la dyslexie des confusions de graphèmes dont la correspondance phonétique est proche (a et an, s et ch, u et ou), des inversions, des omissions ou des additions et des substitutions. f)- Bégaiement g)- Mutisme. Il s'agit de l'absence de langage chez un enfant ayant antérieurement parlé et dont les désordres n'entrent pas dans le cadre de l'aphasie. 6)- Altérations du fonctionnement mental. a)- Les rituels. Ils peuvent se retrouver chez l'enfant normal ou présentant une névrose, mais aussi dans les états psychotiques. Leur aspect franchement pathologique se déduit de leur intensité et du fait qu'ils sont envahissants. Ils échouent à maîtriser l'angoisse. b)- Les phobies. Même remarque que précédemment. c)- Le délire. - il est extrêmement rare chez l'enfant. - après 10 ou 11 ans on peut voir apparaître une production imaginative qui peut parfois évoquer le problème de la transformation de la réalité. - les thèmes du délire sont généralement corporels (proches des idées délirantes hypocondriaques) ou persécutifs. - il existe chez les enfants des délires induits (reprenant le délire de quelqu'un d'autre). d)- Les hallucinations.

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Elles très difficile à mettre en évidence et, sans doute, rares. Certains enfants ont des attitudes d'écoute ou d'observation fixe rappelant les hallucinations de l'adulte. 7)- Les troubles alimentaires a)- anorexie du second semestre. b)- refus du biberon ou du sein. c)- vomissements répétés. d)- Obésité e)- Boulimie f)- Pica L'enfant absorbe les substances les plus diverses (clou, pièce de monnaie, bouton, cigarette...). La pica s'observe chez les enfants en situation de carence affective ou chez des enfants psychotiques. 8)- Troubles du sommeil a)- Pathologie de l'endormissement a.1. insomnies de la première année : - l'insomnie calme : l'enfant (le bébé) garde les yeux ouverts dans le noir, sans dormir, mais ne réclame pas la présence de la mère. - l'insomnie agitée : l'enfant (le bébé) crie, remue, hurle pendant des heures, chaque nuit, sans pouvoir être calmé. Ces insomnies peuvent durer des mois, voire des années. a.2. difficultés d'endormissement de l'enfant : - opposition au coucher - rituels du coucher - phobie du coucher - insomnie vraie - phénomènes hypnagogiques b)- Conduites pathologiques au cours du sommeil. b.1. Angoisses nocturnes. - terreurs nocturnes : brusquement l'enfant hurle dans son lit, les yeux hagards, le visage effrayé. Il ne reconnaît pas l'entourage et est inaccessible à tout raisonnement. La crise dure au plus quelques minutes et l'enfant se rendort aussitôt. - réveil anxieux - rêve d'angoisse

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b.2. Somnambulisme Au cours de la première moitié de la nuit l'enfant se lève et déambule. Au bout de quelques minutes, il se recouche ou se laisse conduire au lit. Il intervient le plus souvent pendant le stade IV du sommeil qui prècède de 10 à 15 minutes une phase de sommeil paradoxale. Dans tous les cas il interrompt une phase de sommeil paradoxal. b.3. Enurésie nocturne. c)- Autres pathologies du sommeil. - apnées du sommeil - hypersomnie. 9)- Troubles sphinctériens. a)- énurésie. Elle se définit comme l'émission active complète et non contrôlée d'urine une fois passée l'âge de la maturité physiologique. b)- encoprésie. Il s'agit d'une défécation dans la culotte chez un enfant qui a dépassé l'âge habituel d'acquisition de la propreté. V)- RAPPEL DU DECOUPAGE DES ENTITES PSYCHIATRIQUES Les maladies prennent place à l'intérieur d'un découpage des entités morbides (nosologie, nosographie). Il y a de nombreuses classifications, mais il existe un consensus entre les praticiens sur les entités et leurs signes. Cependant, il y a d'autres niveaux de classification qui ne reposent pas sur les signes mais sur les mécanismes internes (intrapsychiques). Le consensus n'est pas toujours retrouvé dans la réalité clinique lorsqu'il s'agit de l'analyse des processus et des positions subjectives ; tel malade délirant peut ainsi être considéré comme schizophrène par l'un et paranoïaque par l'autre du fait des différences de modèles théorico-cliniques employés. Il ne faut pas voir là un échec de la psychiatrie, mais bien le décalage existant entre les tableaux cliniques et les malades eux-mêmes, entre des critères généraux et les mécanismes qui les sous-tendent, entre le niveau sémiologique-diagnostique et le niveau des processus définis par les modèles psychopathologiques. La psychanalyse lacanienne par exemple fournit une représentation théorique de la paranoïa, mais pas de la schizophrénie qu'elle limite à la catatonie ou à l'hébéphrénie. En revanche certains travaux kleiniens évoquent plus souvent la schizophrénie que la paranoïa. Selon le modèle psychopathologique de référence, un malade - sémiologiquement - schizophrène sera perçu par tous comme tel mais son organisation psychique sera définie comme "paranoïaque" par les uns et "schizophrénique" par les autres. Ce point ne concerne cependant pas les conceptions des entités mais seulement les interprétations psychologiques qui peuvent en être faites. Cette difficulté tient à ce que : "... depuis toujours, deux modèles différents ont été utilisés plus ou moins simultanément dans l'établissement des classifications des maladies mentales. Le premier modèle repose sur la description des symptômes, alors que le deuxième fait appel à la notion de maladie. Le recours

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aux deux modèles à la fois a ainsi conduit à des classifications mélangeant.... une nomenclature syndromique et une nosologie étiologique"60. Le DSM III est une classification syndromique, la CIM-10 (ou ICD-10) aussi les classifications psychanalytiques sont étiologiques. 1)- Découpage traditionnel français (antérieur au DSM III) - névroses : comme l'hystérie, la névrose obsessionnelle, la névrose phobique - psychoses : comme la schizophrénie ou les délires chroniques ou la PMD61 - troubles du comportement (alcoolisme, toxicomanie, perversion, troubles du comportement alimentaire) et du caractère (personnalité psychopathique) - arriérations (débilités) - démences (,, maladie de Pick) - auxquels il faut ajouter la psychosomatique et les troubles organiques entraînant des conséquences psychologiques. 2)- Classifications "historiques". La classification traditionnelle que nous venons de citer est dépendante des classifications antérieures, notamment de celle de Kraepelin. a)- Classification de Pinel Il classe ce que nous appelons les maladies mentales dans les "névroses cérébrales" (celles dont le siège est le cerveau). Il distingue deux classes : les affections comateuses (apoplexie, catalepsie, épilepsie) et les vésanies (hypocondrie, mélancolie, manie, démence, idiotisme, somnambulisme, hydrophobie)62. b)- Kraepelin (6ème édition : 1899) 1- Folies infectieuses (delirium fébrile et infectieux), 2- Folies d'épuisement (délire aigu, amentia, neurasthénie acquise), 3- Intoxications, 4- Folies thyréogènes, 5- Dementia praecox (démence précoce), 6- Démence paralytique, 7- Folies des lésions du cerveau, 8- Folies d'involution (mélancolie, délire de préjudice présénile, démence sénile), 9- Folie maniaco-dépressive, 10- Paranoïa, 11- Névroses générales, 12- Etats psychopathiques (folie dégénérative),

60- PULL C., PICHOT P., OVERALL J.E., PULL M.C. Validation conceptuelle d'une classification psychiatrique syndromique. Annales médico-psychologiques, 1976, 134, 2 : 353-370. On oppose ainsi une classification structurale (allemenade et française) donnant des types et une classification sémiologique pragmatique (anglo-saxonne). 61- Voir plus loin le découpage INSERM 62- Bien que ces termes soient actuellement utilisés ils ne désignent pas toujours les mêmes maladies qu'actuellement. (NB l'"hydrophobie" est en fait la rage).

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13- Arrêts du développement psychique. 3)- Classification INSERM La classification INSERM, parfois encore utilisée en France, donnait les catégories suivantes

010- PMD accès mélancolique 06 - Tbles mentaux de l'épilepsie 011- PMD accès maniaque 07 - Sénilité et démences 012- PMD Forme non classable en 011 ou 012 08 - Affection cérébrale 013- Mélancolie d'involution 09 - Autre affection somatique 014- Autres PMD 100- Név d'angoisse 020- Schizophrénie simple 101- Hystérie 021- Schizophrénie hébéphrénique 102- Név phobique 022- Schizophrénie catatonique 103- Név obsessionnelle 023- Schizophrénie paranoïde 109- Autres névroses 024- Schizophrénie dysthymique. 110- Déséquilibre mental 025- Schizophrénie forme résiduelle 111- Personnalité pathologique 026- Schizo pseudo névrotique ou psychopathique 112- Perversions sexuelles 027- Schizophrénie infantile. 113- Perversions autres 029- Autres Schizophrénies 114- Toxicomanie 030- Paranoïa 12 - Alcoolisme chronique 031- Délires passionnels 130- Etat dépressif névrotique 032- PHC (Psychose Hallucinatoire Chronique) 131- Dépression réactionnelle 033- Paraphrénie 139- Autre dépression 034- Autres délires chroniques 14 - Troubles psychosomatiques 040- Accès délirant aigu (BDA) 15 - Troubles isolés non classable 043- Etat confusionnel 16 - Débilité 05 - Psychoses alcooliques 20 - Autres

Classiquement, au-delà de cette nomenclature INSERM, on adoptait en France une classification qui, bien que syndromique, supposait une continuité, pour certaines maladies comme les névroses et les psychoses, entre la sémiologie et les processus psychopathologique. A chaque maladie on attribuait une interprétation psychopathologique spécifique avec le danger d'inférence arbitraire que pouvait représenter une telle démarche lorsqu'elle se fonde notamment sur une démarche réductionniste déduisant la maladie de quelques symptômes majeurs. Bien qu'un tel schéma des maladies soit contestable et qu'il soit loin de faire l'unanimité, en France, on classe souvent les maladies repérées chez l'adulte de la manière suivante:

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Groupe de maladies Caractéristiques classiques Maladies Névroses. Le sujet est conscient d'être ma-

lade, ne connait pas de perturba-tions majeures de l'identité et du rapport à la réalité. L'origine se-rait psychologique.

Hystérie, Névose obsessionnelle, Névrose d'angoisse, Névrose phobique, Névrose traumatique, Névrose hypocondriaque.

Psychoses. Le sujet n'est pas conscient d'être malade. Les rapports à la réalité, aux autres et à l'identité sont perturbés. Le sujet est "aliéné" (de alienus : autre) et ne dispose plus de son libre-arbitre. L'origine serait somatique.

Schizophrénies (formes paranoïde, hébéphrénique, catatonique, dysthy-mique…) Délires chroniques (dont les délires paranoïaques systématisés, les psy-choses hallucinatoires et les para-phrénies), Psychoses Maniaco-Dépressives (accès maniaque ou mélancolique), Bouffées délirantes aiguës.

États dépressifs non psychotiques.

Dépression "névrotique", Dépression "réactionnelle"…

Démences. Altération progressive et irré-versible des fonctions supérieures (origine somatique).

Classées en fonction de la forme et de l'étiologie (la maladie d'Alzheimer, la maladie de Pick sont des démences).

Arriérations. Arrêt du développement de l'in-telligence.

Différentes formes de débilité.

Troubles du compor-tement et du carac-tère.

Alcoolisme, Toxicomanie, Anorexie, Boulimie, Psychopathie, Perversions, Déséquilibre mental, Personnalités pathologiques.

Troubles mentaux en rapport avec une af-fection organique.

Une cause organique produit des troubles à présentation psycholo-gique.

Syndromes confusionnels, troubles liés aux tumeurs cérébrales, à l'alcoolisme, encéphalopathies, aux maladies neurologiques…

Troubles psychoso-matiques.

Troubles somatiques dans l'ori-gine ou l'évolution desquelles in-terviennent des facteurs psycho-logiques.

Certains asthmes, certains infarctus, certains troubles cutanés (eczéma, psoriasis, urticaire…), certains ulcères gastriques, certaines hypertensions artérielles…

Cette classification empirique est évidemment insatisfaisante et insuffisante et ne rend pas compte de certaines contradictions, ce qui a entraîné des modifications de divers ordres. On voit notamment que les "caractéristiques classiques", en particulier des névroses et des psychoses, sont contestables dans leur formulation et leur adéquation à la réalité. Certains troubles pourraient appartenir à plusieurs rubriques (selon qu'on raisonne à partir de leur forme ou de leur étiologie), la

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question de l'étiologie est incertaine, les troubles du comportement et du caractère constituent une catégorie trop hétérogène, le statut des états dépressifs est particulièrement difficile à situer (unicité ou hétérogénéité des dépressions ?). Pour certains, l'épilepsie devrait constituer une catégorie autonome, alors que pour d'autres elle "appartient" à la neurologie, pour d'autres la dépression névrotique n'existe pas (c'est le sujet qui est de structure névrotique), pour d'autres encore la débilité n'est pas une maladie mais un handicap… 4)- DSM III et sq a)- Ce type de découpage, encore utilisé, a toutefois été partiellement remis en cause par le DSM III et par les nouvelles classifications françaises. Le DSM III (et la nouvelle version le DSM IV-R) - qui correspond à la classification américaine - regroupe différemment les troubles à partir de syndromes. Il fournit à la fois des critères d'inclusion et des critères d'exclusion. Sans reprendre l'ensemble du tableau on peut citer (à partir du DSM-III, et en ne prenant en compte que la pathologie de l'adulte) : - troubles mentaux organiques (correspondant aux démences et aux atteintes organiques) - troubles liés à l'utilisation de substances toxiques - troubles schizophréniques (psychoses) - troubles paranoïaques (psychoses) - troubles psychotiques non classés ailleurs (psychoses) - troubles affectifs (toutes formes d'états dépressifs) - troubles anxieux - troubles somatoformes - troubles dissociatifs - troubles psychosexuels - troubles factices - troubles du contrôle des impulsions - trouble de l'adaptation - facteurs psychologiques influençant une affection physique. b)- Exemple de maladie pour le DSM III : 300.70 Hypocondrie (ou Névrose hypocondriaque) (le numéro rend possible l'identification informatique) qui appartient à la rubrique "Troubles somatoformes". A. "La perturbation prédominante consiste en une interprétation erronée de certaines sensations ou de certains signes physiques que le patient juge anormaux. La crainte ou la croyance d'être atteint d'une maladie sérieuse devient alors préoccupante. B. Un examen physique minutieux ne permet de faire le diagnostic d'aucun trouble physique en rapport avec les sensations ou les signes allégués par le malade, ou avec l'interprétation erronée qu'il en donne. C. Malgré les examens médicaux rassurants, la crainte ou la croyance erronée d'être atteint d'une maladie persiste et est responsable d'un handicap du fonctionnement social ou professionnel. D. Non dû à un autre trouble mental comme la Schizophrénie, un Trouble affectif ou une Somatisation." c)- Les personnalités pathologiques font l'objet d'une classification distincte (Axe II):

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- personnalité paranoïaque - personnalité schizoïde - personnalité schizotypique - personnalité histrionique - personnalité narcissique - personnalité antisociale - personnalité limite (borderline) - personnalité évitante - personnalité dépendante - personnalité compulsive - personnalité passive-agressive

d)-Le DSM III est une classification multi-axiale dans laquelle la pathologie est définie à plusieurs niveaux. Le diagnostic suppose 5 axes différents : - Axe 1 : Troubles psychiques - Axe 2 : Troubles de la personnalité - Axe 3 : Maladie organique - Axe 4 : Sévérité des facteurs de stress psychosociaux - Axe 5 : Niveau d'adaptation et de fonctionnement le plus élevé dans l'année écoulée.

Exemple : Mr B., 45 ans, présente depuis plusieurs semaines un état caractérisé par une perte d'intérêt pour toutes ses activités ; il est triste pratiquement tout le temps, il ne mange plus (anorexie), il dort très mal, est ralenti, se sent fatigué, a du mal à se concentrer, mais n'a pas d'idées de suicide, ni d'auto-accusations. Lorsqu'il est entouré, il se sent mieux, mais il reste pensif. Il n'a pas d'antécédents pathologiques psychiatriques. Diabétique depuis 6 ans, il continue à respecter son traitement. Il a beaucoup de mal à remplir ses fonctions professionnelles. Il se décrit comme ayant toujours manqué de confiance en lui, laissant les autres assumer la responsabilité de sa vie. Son épouse a été malade récemment.

- Axe 1 : Troubles psychiques : "Episode dépressif majeur sans mélancolie" - Axe 2 : Troubles de la personnalité : "Personnalité dépendante" - Axe 3 : Maladie organique : "Diabète insulino-dépendant" - Axe 4 : Sévérité des facteurs de stress psychosociaux : "Sévère" (maladie du conjoint)

- Axe 5 : Niveau d'adaptation et de fonctionnement le plus élevé dans l'année écoulée : "Moyen" (il lui est parfois difficile de travailler)

e)- NB : rappel des critères des Axes 4 et 5 : - Axe IV : Sévérité des facteurs de stress psychosociaux 1- Aucun (Absence de facteur de stress apparent) 2- Minime (Délit mineur. Petit emprunt à la banque) 3- Léger (Dispute avec voisin, changement d'horaire de travail) 4- Moyen (Nouvelle carrière, décès d'un ami proche, grossesse)

5- Sévère (Maladie grave du sujet ou d'un parent, perte d'argent importante, séparation conjugale, naissance d'un enfant)

6- Extrême (Mort d'un parent proche, divorce) 7- Catastrophique (Expérience de camp de concentration, catastrophe naturelle dévastatrice)

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0- Non spécifié (absence d'information) - Axe V : Niveau d'adaptation et de fonctionnement le plus élevé dans l'année écoulée.

1- Supérieur (Fonctionnement exceptionnel dans les relations sociales, l'activité professionnelle et les loisirs). 2- Très bon (Fonctionnement supérieur à la moyenne dans les relations sociales, l'activité professionnelle et les loisirs)

3- Bon (Altération à peine marquée du fonctionnement social ou professionnel) 4- Moyen (Altération modérée du fonctionnement professionnel ou des relations sociales ou altération modérée dans les deux domaines) 5- Mauvais (Altération marquée du fonctionnement professionnel ou des relations sociales ou altération modérée dans les deux domaines) 6- Très mauvais (Altération marquée des relations sociales et de l'activité professionnelle)

7- Altération majeure (Dans presque tous les domaines du fonctionnement) 0- Non spécifié (absence d'information) f)- Le DSM III se veut "a-théorique" (terme contestable et parfaitement inapproprié dans ce cas) et purement descriptif, correspondant à un consensus entre psychiatres. On mesure son intérêt pour la recherche et les aspects économiques de la psychiatrie, mais aussi ses limites. Son aspect "catalogue" ne répond pas réellement à l'expérience clinique et limite arbitrairement l'analyse à la production d'un diagnostic qui ne préjuge en rien des processus. De nombreuses critiques se sont élevées contre lui, tant aux USA qu'en Europe. Il reste toutefois un outil essentiel montrant les limites d'une perspective classificatoire. g)- Le DSM-III-R Le DSM-III-R a peu modifié les différentes rubriques de maladies et de personnalité mentionnées ci-dessus. Il a cependant modifié les définitions, les entités elle-mêmes. Il propose par ailleurs une Echelle d'Evaluation Globale du Fonctionnement (Echelle EDF). Elle permet une cotation légèrement différente sur l'Axe V. Enfin, les DSM-III-R introduit de nouvelles catégories sans un chapitre "Propositions de catégories diagnostiques demandant des études supplémentaires". Parmi celles-ci : - le Trouble dysphorique de la phase lutéale tardive - la Personnalité sadique - la Personnalité à conduite d'échec. 5)- Nosologies "étiologiques", "structurales" ou "processuelles" Dans la pratique psychiatrique, d'autres nosologies sont parfois employées soit de manière concurrente, soit en complément des nosologies syndromiques. Il s'agit le plus souvent de classifications qui utilisent les conceptions psychanalytiques. Ces classifications reposent non pas sur des signes extérieurs mais sur des éléments comme : - l'étiologie (Oedipienne vs non oedipienne) - les mécanismes de défense (comme l'isolation, l'annulation...)

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- la structure (névrotique vs psychotique vs perverse) - le type de relation d'objet (fusionnelle, anaclitique, génitale) - le mécanisme fondateur (refoulement vs déni vs projection ou identification projective ou forclusion)..... Le projet de ces nosologies n'est pas de désigner une maladie à partir de signes, mais de rompre avec l'attitude descriptive pour soutenir une position interprétative. Les entités définies impliquent une organisation particulière et spécifique qui permet d'interpréter les symptômes présentés, de leur donner un sens et, en certaines occasions, de guider la conduite thérapeutique. En termes DSM III, un diagnostic (par exemple d'épisode dépressif majeur avec mélancolie) n'implique pas forcément une compréhension du trouble, ni même une thérapeutique spécifique63 En revanche, dire d'un sujet qu'il est mélancolique - en termes psychanalytiques - spécifie une position particulière à l'égard de l'objet, un mécanisme et une représentation théorique des phénomènes. Les différentes conceptions psychanalytiques ont produit leurs propres entités selon leurs propres concepts, toutefois on retrouve dans ces classifications certaines entités dont les noms sont connus mais qui n'ont pas tout à fait le même sens. a)- Position freudienne (1915) 1- "Névroses actuelles" (névrose dont l'origine n'est pas dans les conflits infantiles mais dans le présent ; les symptômes n'ont pas de sens symbolique) : névrose d'angoisse, neurasthénie et hypocondrie 2- Psychonévroses (dont l'origine est dans les conflits infantiles ; les symptômes ont un sens symbolique) qui se décomposent en deux

2.a. Psychonévroses de transfert : hystérie de conversion, hystérie d'angoisse, névrose obsessionnelle (accessibles à la thérapie psychanalytique) 2.b. Psychonévrose narcissiques : manie, mélancolie, psychose maniaco-dépressive, paranoïa, paraphrénie64 (peu ou pas accessibles à la thérapie psychanalytique)

En fait chez Freud on retrouve deux oppositions complémentaires : opposition entre les troubles actuels et les troubles qui ont une étiologie sexuelle infantile inconsciente, opposition entre les processus de la névrose (avec des spécificités pour chaque forme de névrose) et ceux de la psychose (avec des spécificités pour chaque forme de psychose). b)- Position de Bergeret (actuelle)

Symptômes Type d'angoisse Relation d'objet Défenses

63- Si ce n'est la prescription de thymoanaleptiques. 64- Freud parle peu de la schizophrénie et de la démence précoce. Mais le concept de paranoïa et celui de paraphrénie désignent des troubles dont certains seraient actuellement appelés schizophrénie, d'autres paranoïa, d'autres Psychose Hallucinatoire Chronique, et d'autres paraphrénie. Il y a à cela deux raisons : 1)- Freud ne décrit pas une sémiologie mais des processus inconscients qui peuvent se manifester de façons très diverses et qui sont donc communs à ces différentes entités, 2)- La nosologie de l'époque - à laquelle il emprunte certains termes - n'était pas la même que la nôtre.

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PSYCHOSES Dépersonnalisation Délire

Morcellement Fusionnelle Déni Dédoublement du Moi

ETAT-LIMITE Dépression Perte d'objet Anaclitique Dédoublement des imagos Forclusion

NÉVROSES Signes - Obsessionnels - Hystériques

Castration Génitale Refoulement

Les conceptions de Bergeret opposent trois groupes - qui eux-mêmes se subdivisent - en fonction du type d'angoisse, du type de relation d'objet et des mécanismes de défense. Il intercale entre névrose et psychose le groupe des "états-limites" qui permet de rendre compte, notamment de certains états dépressifs. Il existe, tant dans le domaine psychanalytique que dans les domaines phénomènologiques, et existentiels, de nombreuses "nosologies" dont le but est de discriminer des formes de troubles et de fournir des conceptions étiologiques et explicatives. Bon nombre de psychiatres, confrontés à la question non plus de la sémiologie, mais de la signification des troubles, utilisent ces classifications. L'analyse des différentes classifications montre toutefois un fait particulièrement important puisqu'il s'agit de l'extension indéniable du champ de la pathologie vers des objets dont l'inclusion ne va pas sans poser quelques problèmes. Les classifications syndromiques intègrent dans le domaine de la psychiatrie les troubles de la personnalité, des comportements certes préjudiciables, mais ne semblant pas du registre médical. Les classifications structurales, par l'identification implicite qu'elles opèrent parfois entre le normal et la névrose risquent, elles aussi, de "pathologiser" certaines situations. Il appartient à la psychologie clinique de relativiser les assertions de ces nosologies et de bien situer leurs niveaux d'application. Mais il serait vain de croire que la psychologie clinique peut se passer de classifications ; on peut simplement s'étonner de ce qu'elle n'en ait pas produit elle-même et qu'elle se réfère si souvent à celles édifiées par la psychiatrie clinique ou la psychanalyse. 6)- Le domaine de l'enfant et de l'adolescent. a)- La classification de Mises 65. Cette classification tente de reprendre certains des principes du DSM III en conservant la spécificité de l'Ecole Psychiatrique française. Les auteurs ont retenu deux axes : - Axe I : Catégories cliniques de base - Axe II : Facteurs associés ou antérieurs éventuellement étiologiques. a.1. L'Axe I.

65- Voir : MISES R., FORTINEAU J., JEAMMET P., MAZET P., PLANTADE A., QUEMADA N. Vers une classification française des troubles mentaux de l'enfant et de l'adolescent. L'Information Psychiatrique, 1987, 63, N° spécial : 189-302. et MISES R., FORTINEAU J., JEAMMET P., MAZET P., PLANTADE A., QUEMADA N. Classification française des troubles mentaux de l'enfant et de l'adolescent. Psychiatrie de l'enfant, 1988, 31, 1 : 67-134.

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Il comprend : 1/ Les psychoses 2/ Les troubles névrotiques 3/ Les pathologies de la personnalité (hors névroses et psychoses) 4/ Les troubles réactionnels 5/ Les déficiences mentales (arriérations, débilités mentales, démences) 6/ Les troubles des fonctions instrumentales 7/ Les troubles liés à l'usage de drogues et d'alcool 8/ Troubles à expression somatique et/ou comportementale 9/ Variations de la normale a.2. - L'Axe II. Il comprend (avec des sous-classes, elles-mêmes subdivisées : 1/ Facteurs organiques 10 Pas de facteurs organiques reconnus 11 Facteurs anté-nataux d'origine maternelle 12 Facteurs périnataux 13 Atteintes cérébrales post-natales 14 Maladies d'origine génétique ou congénitales 15 Infirmités et affections somatiques invalidantes 16 Convulsions et épilepsies 17 Autres 18 Pas de réponse possible par défaut d'information. 2/ Facteurs et conditions d'environnement 20 Pas de facteurs d'environnement à retenir 21 Troubles mentaux ou perturbations psychologiques dans la famille 22 Carences affectives, éducatives, sociales, culturelles 23 Mauvais traitements et négligences graves 24 Evénements entraînant la rupture des liens affectifs. 25 Contexte socio-familial particulier 26 Enfant né par procréation artificielle 27 Autres 29 Pas de réponse possible par défaut d'information. a.3. Exemple : la classification des psychoses. Les auteurs retiennent : 1.00 Autisme infantile précoce type Kanner ; 1.01 Autres formes de l'autisme infantile ; 1.02 Psychoses précoces déficitaires ; 1.03 Dysharmonies psychotiques ; 1.04 Psychoses de type schizophrénique survenant dans l'enfance ; 1.05 Psychoses schizophréniques débutant à l'adolescence ; 1.06 Psychoses dysthymiques ;

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1.07 Psychoses aiguës ; 1.08 Autres ; 1.09 Non spécifiées. Définition des critères.

La liste est accompagnée d'un glossaire qui précise la forme, les critères d'inclusion et d'exclusion.

1.00 Autisme infantile précoce type Kanner ; Inclusion : état réunissant les manifestations suivantes. 1/ Début dans le cours de la 1ère année avec organisation complète du tableau avant 3 ans ; 2/ Présence de l'ensemble des troubles caractéristiques : retrait autistique majeur, recherche de l'immuabilité, stéréotypies, absence de langage ou troubles spécifiques du langage, dysharmonie du développement cognitif. Exclusion : - les autres psychoses de l'enfant - les déficiences intellectuelles dysharmoniques - les démences - les troubles complexes du langage oral. b)- 1.01 Autres formes de l'autisme infantile ; Description : Formes présentant une prédominance du retrait autistique mais se distinguant du syndrome de Kanner par un tableau ne réunissant pas l'ensemble des traits caractéristiques et/ou par une date de survenue plus tardive. Inclusion : Certaines formes de psychose de type symbiotique lorsque dominent des traits autistiques. Exclusion : - les autres psychoses de l'enfant - les déficiences intellectuelles dysharmoniques - les démences - les troubles complexes du langage oral. b)- Eléments de la classification courante.

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MAHLER TUSTINDUCHE STORK DIATKINE MISES LANG

Autisme infantile pathologique

Autisme primaire anormal

Autisme infantile précoce

Autisme de Kanner

Psychoses autistique

Psychoses symbiotiques

Autisme secondaire encapsulé

Psychose de dévelop- pement

Psychoses précoces

Psychoses à expression déficitaire

Autisme secondaire régressif

Prépsychoses

Dysharmonie évolutive structure psychotique

Dysharmo nie évolu tive

Para- psychose

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Psychoses de l'enfant 1)- Psychoses précoces a)- Autisme b)- Autres psychoses précoces : psychoses à expression déficitaire, psychose symbiotique, dysharmonies évolutives de structure psychotique. c)- Formes marginales : prépsychose, parapsychose. 2)- Les psychoses de la phase de latence ou de la seconde enfance. a)- Le syndrome inhibition-dépression b)- Le syndrome d'excitation psychique c)- Le syndrome d'incontinence fantasmatique c)- Les formes pseudo-névrotiques. Psychoses de l'enfant : classification de Misès 1.00 Autisme infantile précoce type Kanner ; 1.01 Autres formes de l'autisme infantile ; 1.02 Psychoses précoces déficitaires ; 1.03 Dysharmonies psychotiques ; 1.04 Psychoses de type schizophrénique survenant dans l'enfance ; 1.05 Psychoses schizophréniques débutant à l'adolescence ; 1.06 Psychoses dysthymiques ; 1.07 Psychoses aiguës ; 1.08 Autres ; 1.09 Non spécifiées.

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Psychoses de l'adolescent 1)- La schizophrénie (entrée dans...) a)- Formes aiguës b)- Formes progressives ou subaigües c)- Formes insidieuses 2)- Les bouffées délirantes aiguës. 3)- Les états psychotiques spécifiques. a)- Troubles mettant en cause le corps b)- Troubles mettant en cause l'identité c)- Troubles mettant en cause le narcissisme 4)- Les états psychotiques liés à la prise de toxique. a)- Psychose aiguë réactionnelle à une prise de toxique. b)- Utilisation de toxiques dans certaines psychoses chroniques. c)- Le DSM-III-R. Le DSM-III-R a une position originale puisque : - il refuse le terme de psychose pour l'enfant et lui préfère la désignation "Troubles envahissants du développement". - il code ces troubles sur l'Axe II. - il ne reconnaît dans cette classification qu'un seul sous-groupe : le "Trouble autistique". Ce dernier correspond à l'Autisme de Kanner. - il invite à classer les autres psychoses de l'enfant dans le "Trouble envahissant du développement non spécifié". - il maintient que les caractéristiques essentielles des Troubles de l'humeur et de la Schizophrénie sont les mêmes chez l'enfant et chez l'adulte et que l'on rencontre fréquemment chez l'enfant et l'adolescent le trouble schizophréniforme. En revanche le "Trouble délirant (paranoïaque)" n'est pas mentionné. Le clinicien peut donc coter sur l'Axe I ces catégories pour l'enfant. VI)- LES THERAPEUTIQUES. La psychiatrie vise à soigner ("iatrie") les malades. Elle dispose pour ce faire d'un "arsenal" thérapeutique "éclectique". Toutefois, le soin aux malades utilise le plus souvent plusieurs types de thérapeutiques. 1)- La chimiothérapie

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Plusieurs classes de médicaments66 sont utilisées - seules ou en association - selon le type de syndrome présenté. a)- Les neuroleptiques Exemples : Largactil, Haldol, Nozinan, Tercian, Melleril, Neuleptil, Piportil, Modecate... Effets : (dépendent du type de neuroleptique : sédatif, polyvalent, désinhibiteur) : action sédative, anti-excitatoire, anti-agressive, anti-délirante, anti-hallucinatoire, mais aussi désinhibitrice pour certains d'entre eux. Indications principales : états psychotiques, états d'agitation. b)- Les tranquillisants. Exemples : Tranxène, Seresta, Lexomil, Equanil, Victan, Valium, Temesta, Xanax, Librium. Effets : sédation de l'anxiété (sédation et anxiolyse). Indications principales : états anxieux névrotiques ou réactionnels. c)- Les hypnotiques. Exemples : Halcion, Rohypnol, Mogadon, Indications principales : troubles du sommeil. d)- Les antidépresseurs. Exemples : Anafranil, Laroxyl, Ludiomil, Vivalan, Athymil, Floxyfral, Pragmarel...

Effets : (dépendent du type d'anti-dépresseur : sédatif, désinhibiteur) : action sur l'humeur (relever l'humeur).

Indications principales : états dépressifs et certains troubles anxieux (attaques de panique) e)- Les thymorégulateurs. Exemple : Lithium, Tégrétol, Dépamide.

Effets : action prophylactique sur les accès de la psychose maniaco-dépressive, action dans la schizophrénie dysthymique.

2)- Les thérapeutiques de choc a)- L'électrochoc Réalisation, sous anesthésie générale, à l'aide du passage d'un courant électrique (électrodes bi-temporales), d'une crise convulsive généralisée à des fins thérapeutiques. Le nombre efficace de chocs se situe entre 8 et 12 à raison de 3 par semaine. L'efficacité semble démontrée dans les épisodes mélancoliques de la psychose maniaco-dépressive. Le mode d'action reste toutefois mal connu. b)- Autres techniques

66- Nous n'entrerons pas ici dans les détails pharmacologiques des différentes classes et des effets spécifiques de ces produits. Pour de plus amples informations voir GINESTET D., PERON-MAGNAN P. Abrégé de Chimiothérapie psychiatrique. Paris, Masson.

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Le déclenchement de crises convulsives par le Cardiazol, la malariathérapie, les chocs insuliniques (appelés "cure de Sakel" qui consiste à provoquer une série de comas hypoglycémiques par utilisation d'injection d'insuline puis à réveiller le malade par injection de sérum glucosé et à le materner pendant son réveil) sont abandonnés. 3)- Les psychothérapies La notion de psychothérapie67 est vague et correspond à un domaine vaste qui va de la cure analytique au simple "soutien moral". Pour Carl Rogers il n'y a pas réellement de définition de la psychothérapie ; le terme serait synonyme de "relation d'aide". Sous ce terme il désigne "une série de consultations directes avec un individu en vue de l'aider à changer ses attitudes et ses comportements. Il y a une tendance à utiliser le terme "aide psychologique" pour les entretiens accidentels, et à réserver le terme "psychothérapie" pour des contacts plus intensifs et deplus longue durée". Dans une définition classique et très adamptée au standards psychiatrique on peut concevoir la psychothérapie comme "un processus interactionnel conscient et planifié visant à influencer des troubles du comportement et des états de souffrance qui, dans un consensus (entre patient, thérapeute et groupe de référence), sont considérés comme nécessitant un traitement, par des moyens psychologiques (par la communication) le plus souvent verbaux, mais aussi non verbaux, dans le sens d'un but défini, si possible élaboré en commun (minimalisation des symptômes et/ou changement structurel de la personnalité), moyennant des techniques pouvant être enseignées sur la base d'une théorie du comportement normal et pathologique"68. Huber (1993) donne ainsi les critères permettant de parler de psychothérapie. 1/ qu'elle soit basée sur une théorie scientifique de la personnalité et de ses troubles

2/ qu'elle se fonde sur une théorie scientifique de la modification des troubles et sur une technologie éprouvée

3/ qu'elle présente des évaluations empiriques de ses effets, positifs et négatifs69 4/ qu'elle porte sur des troubles du comportement ou des états de souffrance considérés comme requérant une intervention

5/ qu'elle soit pratiquée par des personnes formées et compétentes.

On notera donc l'importance des définitions de la souffrance, des indications, voire du consensus technique et scientifique, et des théories explicatives qui servent de support à la fois aux conceptions de la psychologie clinique et aux techniques psychothérapiques. Une fois encore le problème des multiples significations de ce qui est "scientifique" et de ce qui ne l'est pas se pose, surtout dans un domaine où les changements sont difficilement appréciables et où les méthodes permettant une validation rigoureuse sont d'usage délicat ou donnent des résultats insuffisants. On sera toutefois étonné que, malgré ces précautions, se développent aux U.S.A. des techniques qui, bien que se définissant comme des psychothérapies, n'ont qu'un très loin rapport avec ces exigences.

67- Naturellement les psychothérapies ne sont pas l'apanage des psychiatres. Les psychologues peuvent aussi pratiquer des psychothérapies. 68- STROTZKA H. Was ist Psychotherapie ? in H. STROTZKA (edit.) Psychotherapîe ; Grundlagen Verfahren, Indikationene. München, Urban & Schwarzenberg, 1978. 69- Voir GERIN P., DAZORD A. (1992) Recherches cliniques "planifiées" sur les psychothérapies. Paris. INSERM.

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Parmi les psychothérapies utilisées dans le domaine psychiatrique on peut citer : a)- La psychanalyse : réactualisation des conflits infantiles inconscients par reproduction et liquidation dans le transfert (relation avec le thérapeute qui intervient uniquement par interprétations)70. Son ouverture aux non-médecins soutenue par Freud, sa capacité à apporter une écoute dans certaines situations pathologiques et sa tentative de rupture avec les conceptions nosologiques et psychopathologiques classiques constituent aussi un élément déterminant pour l'appréciation des effets des psychothérapies et de leurs mécanismes. b)- Les psychothérapies d'inspiration psychanalytique : méthode psychothérapique structurée - ne répondant pas à tous les critères de la cure analytique - mais pratiquée par des thérapeutes de formation analytique. c)- Les psychothérapies brèves : nombre de séances limité et intervention focale. d)- Les psychothérapies de groupe : analyse de la dynamique des relations à l'intérieur d'un groupe e)- Le psychodrame : jeu sur un thème choisi avec interprétation des expressions (il existe une différence entre le psychodrame et le psychodrame analytique qui s'appuie sur les concepts psychanalytiques) f)- Les psychothérapies de soutien : non codifiées mais visent un renforcement des capacités adaptatives du patient. g)-La relaxation : méthode permettant un état de détente et de relâchement musculaire et permettant, dans certaines techniques, la verbalisation des conflits, fantasmes et perceptions du sujet. h)- Les thérapies comportementales et cognitives : visent une modification des comportements pathologiques soit par déconditionnement (comportementalisme), soit par modifications cognitives. Les moyens en sont la désensibilisation systématique, l'immersion (confrontation au stimulus pathogène), techniques assertives (affirmation de soi), rétroaction biologique (bio-feedback), techniques cognitives. Ses indications sont : agoraphobie, attaque de panique, phobies, anxiété généralisée, réaction au stress, TOC (troubles obsessifs-compulsifs,) dépression non mélancolique, troubles du sommeil, troubles sexuels et problèmes de couple. Toutefois, certaines études actuelles considérent qu'elles sont une bonne indication dans certaines addictions (boulimie, alcoolisme, toxicomanie, anorexie), la réadaptation des psychotiques chroniques71.

70- cf FREUD S. La technique psychanalytique. Paris, P.U.F., 1953., FREUD S. Cinq psychanalyses. Paris, P.U.F., 1954. 71- A la suite d'une conférence de consenssus en Novembre 1989, l'Organisation Mondiale dela Santé (O.M.S.) a conclu que les T.C.C. représentent le traittement de choix pour l'anxiété, la plupart des dépressions, les maladies liées au stress, en association ou non avec des traitrements médicamenteux. D'autres domaines de la pathologie relèvenet aussi de ces méthodes : maladies psychosomatiques, troubles de la personnalité, difficultés sexuelles, troubles des conduites alimentaires, troubles psychologiques de l'enfant, réhabilitation de patients psychotiques chroniques. Les points importants de cette information sont les suivants : - il s'agit d'une position de l'OMS donc d'une reconnaissance internationale,

- la notion de consensus ne signifie pas une preuve scientifique mais un accord majoritaire des praticiens. Cet accord est fondé sur des arguments, mais il ne s'agit pas là de recherche méthodologiquement cohérente. - la notion de "traitement de choix" et celle de "en association ou non avec des médicaments" qui confère à une psychothérapie un rôle aussi déterminant que celui des médicaments. Il est admis en outre qu'une psychothérapie peut être un traitement aussi efficace, voire plus efficace, que les traitements chimiothérapiques.

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i)- Les thérapies éco-systémiques : Elles sont surtout connues en France à causes des psychothérapies familiales "systémiques" qui établissent un lien entre la modification des communications familiales ou groupales et la modification de la pathologie du patient. Mais il existe en fait plusieurs niveaux :

- Le patient est un éco-système. Au même titre que l'environnement naturel, il nécessite d'être respecté et protégé conformément aux règles de sa propre écologie. Tout dysfonctionnement de la personne remplit aussi une fonction utile, de même que tout comportement a une intention positive qui doivent être préservées pour que le changement souhaité puisse s'opérer sans être entravé par des résistances. - L'être humain est appréhendé comme système composé de multiples parties et sous-parties: lorsque ces parties coopèrent, l'individu se sent bien; mais lorsqu'elles entrent en conflits pour se combattre ou se paralyser mutuellement, il y a souffrance. Cette hypothèse conduira le thérapeute à faire émerger, actualiser ou réactualiser les fonctions utiles des parties en conflits pour rétablir entre elles le dialogue et la coopération . On a aussi recours au "pari utile et bénéfique", en mettant en scène la partie "thérapeute" qu'a en réserve, sans le savoir, le patient. - Lorsqu'une personne fait part d'un problème, elle dispose généralement des ressources pour le résoudre, mais elle ne sait pas y accéder seule, et c'est au thérapeute de la conduire à en retrouver l'accès. Les traumatismes qu'a vécu le patient ont simultanément construit en lui des ressources qui devront être mises à jour et mises à profit dans la démarche thérapeutique. Ce n'est pas que le patient ne peut pas ou ne veut pas résoudre son problème, c'est qu'il ne sait pas comment le résoudre seul. Cette hypothèse est fondamentale dans l'articulation de la démarche thérapeutique. Le thérapeute doit, avant toute intervention, se poser la question de base : "qu'est-ce que ce patient a besoin d'apprendre pour aller mieux ?" - Les personnes qui consultent souffrent de leur construction de la réalité. Ce sont moins les situations qui leur posent problème que les interprétations qu'elles en donnent, du fait de leur construction de la réalité. - Une communication est thérapeutique lorsqu'elle modifie la construction de la réalité du patient de manière telle qu'elle génère de nouvelles possibilités d'actions et expériences plus bénéfiques pour lui. - Les conflits humains, notamment familiaux, sont fondés sur des interprétations différentes de la réalité dans laquelle chacun vit. - Les symptômes du patient résultent de ses relations interpersonnelles dans son cadre familial, social ou professionnel, comme ils les produisent.

- l'importance numérique des indications.

Toutefois, l'aspect rééducatif, l'absence de référence au désir du sujet, à son discours, à son histoire, la technicité rappelant l'intervention médicale, le risque de rééducation forcée (manipulation) suscitent des craintes chez certains cliniciens et, ce, malgré une réelle efficacité symptomatique. Nous retrouvons ici le partage entre des conceptions se référant à la psychanalyse visant à respecter le symptôme, à ne pas objectiver et des conceptions se fondant sur une théorie différente du sujet (sujet cognitif), soucieuses de validation et d'efficacité. En France, le débat entre psychanalyse et cognitivisme est loin d'être clos ; espérons simplement que les protagonistes connaissent bien les techniques et les conceptions qu'ils rejettent, et que l'intérêt et le respect des patients est bien l'élément essentiel d'un débat qui est aussi un problème de Santé Publique.

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- Le patient est avant tout considéré comme un être de relation. Quand il parle de lui, il parle en fait de sa relation avec lui-même; de même, lorsqu'il parle des autres, il décrit ses relations avec les autres et les résultats qu'il en obtient. - La réduction de la souffrance du patient est une qualité émergente de l'interaction thérapeutique: d'où le concept de "communication thérapeutique". - Il ne s'agit donc pas de mécanique d'intervention (qui serait nécessairement inappropriée compte tenu de la complexité et de la singularité de l'être humain), mais d'une adaptation systématique à "la réalité du patient", impliquant le respect de sa construction de la réalité, une utilisation raffinée de "sa logique" et l'exploitation judicieuse de la fonction utile de ses résistances afin de la réorienter dans un sens plus profitable pour lui. Ainsi, au lieu d'imposer son propre langage, son propre système, le thérapeute doit s'insérer dans celui du patient en vue d'une transformation intérieure.

j)- Autres psychothérapies : analyse transactionnelle, thérapie primale, bio-énergie, gestalt-thérapie, rebirthing72.

La psychiatrie est donc une pratique médicale ("iatrie") qui vise à soigner les maladies mentales. Ces dernières sont définies à partir d'une sémiologie précise et d'une nosographie. Cependant l'activité psychiatrique est une activité clinique. Le problème n'est pas seulement de savoir reconnaître la maladie, mais de comprendre comment cette maladie modifie l'identité du malade et de savoir de quelle manière il souffre. Concrètement, il ne suffit pas de porter le diagnostic de schizophrénie à partir de l'existence d'ambivalence, d'autisme, de bizarreries, d'hermétisme, d'apragmatisme et d'un délire flou, mais il faut aussi savoir que ce patient schizophrène est différent d'un autre schizophrène et que le travail clinique, est de l'aider à moins souffrir. La démarche relationnelle sera, pour la même maladie, différente d'un patient à un autre et l'apport chimiothérapique ne constitue qu'une partie de la thérapeutique. S'il existe un consensus sur les signes et la description des maladies, il y a en revanche des divergences dans les conceptions des processus, les modèles interprétatifs et les hypothèses étio-pathogéniques.

72- Ces thérapies sont naturellement plus controversées que les précédentes. Peu pratiquées en France, elles se développent aux U.S.A.

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APPROCHE EPISTEMOLOGIQUE ET HISTORIQUE : B- LA PSYCHOPATHOLOGIE ET LA PSYCHOLOGIE CLINIQUE

"La théorie, c'est quand on sait tout et que rien ne fonctionne La pratique, c'est quand tout fonctionne et qu'on ne sait pas pourquoi"

Albert Einstein En apparence la psychopathologie73 pourrait être considérée comme un discours psycholo-gique - à prétention scientifique - explicatif et/ou interprétatif des processus de chaque maladie mentale ou de chaque comportement pathologique. Dans une définition stricte, il s'agit de l'étude des "phénomènes pathologiques", c'est-à-dire d'"une étude psychologique de la maladie mentale et des dysfonctionnements des sujets réputés normaux" ce qui pose naturellement la question de la différence entre le normal et le pathologique. Son rapport avec la psychiatrie peut se définir comme suit : le champ d'étude est proche mais les buts et les moyens sont différents. Le but de la psychopathologie c'est la connaissance et la compréhension alors que le but de la psychiatrie c'est de soigner. Mais le discours psychopathologique est un cadre générique qui se morcelle en ap-proches différentes selon les problématiques théoriques sur lesquelles il s'appuie : phénoménolo-gique, cognitive, psychanalytique.... Il y aurait une psychopathologie comme il y a une psychologie génétique, une psychologie sociale, une psychologie différentielle...., son objet étant défini par le "pathologique". De même, il pourrait y avoir une psychopathologie psychanalytique, une psychopa-thologie cognitive, une psychopathologie phénoménologique.... Pour satisfaisante qu'elle paraisse, cette définition ne rend que très partiellement compte des problèmes posés par la psychopathologie. Il faut toutefois préciser que, dans l'usage courant, le terme "psychopathologie" est parfois utilisé comme un synonyme d'activité clinique, c'est-à-dire comme l'activité concrète d'un "psy" (-chologue, -chiatre, -chothérapeute, -chanalyste...) auprès de sujets considérés comme présentant une pathologie mentale. Cet usage est purement trivial. Intégrer ici une réflexion sur la Psychologie Clinique ne va pas sans difficultés. En effet, la situation française est particulièrement originale puisqu'il existe une Psychologie Clinique très liée à la Psychanalyse et se définissant non par l'objet clinique mais par une méthode visant avant tout la singularité. D'autres raisons historiques interviennent aussi : la Psychopathologie est restée long-temps "aux mains" des médecins, alors que la Psychologie Clinique se voulait résolument l'affaire de psychologues. En toute logique, il n'y a pas de raisons majeurs de distinguer radicalement Psychologie Clinique et Psychopathologie puisque toutes deux s'intéresent à la souffrancepsy-chiques avec des outils, des discours assez semblables74. Toutefois, l'originalité française fait que 73- Voir pour plus de détails WIDLÔCHER D. (1994) Traité de Psychopathologie. Paris, P.U.F. 74- D'un point de vue extérieur aux débats français on pourrait dire que les seules choses qui distinguent Psychologie Clinique et Psychopathologie ce sont

- qu'il existe une clinique du normal (parler d'une psychopathologie du normal peut en revanche paraître curieux), - qu'il existe une psychopathologie n'utilisant pas la méthode clinique.

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l'on doit bien distinguer le "domaine clinique", la "méthode clinique", la "pratique clinique" et la "Psychologie Clinique" comme discipline s'opposant à la Psychologie Expérimentale et corres-pondant à une orientation pouvant se retrouver dans chaque sous-discipline de la Psychologie. I)- HISTOIRE DE LA PSYCHOPATHOLOGIE ET DE LA PSYCHOLOGIE CLINIQUE On pourrait penser que l'histoire de la psychopathologie se confond originairement avec celle de la psychiatrie, puis qu'elle s'en démarque à partir de la constitution de la Psychologie, celle-ci élaborant alors un domaine spécifique appelé psychologie pathologique, puis psychopathologie. En fait, les choses sont plus compliquées dans la mesure où il y a toujours eu des tentatives de sys-tématisation théorique, mais qui n'ont pas toutes été psychologiques. Or la question est de savoir si l'on peut considérer des théories organicistes - qui ne s'intéressent nullement au comportement ou aux autres phénomènes psychologiques - comme des théories psychopathologiques. Quoi qu'il en soit, il ne peut être question de considérer que la psychopathologie ne se confond plus avec la psy-chiatrie depuis que la psychologie s'y intéresse : la psychopathologie est actuellement autant le fait des psychiatres, que des psychologues et des analystes. L'histoire de la psychopathologie, en tant que réflexion, est donc à la fois plus ancienne et plus diversifiée que ce que nous allons présenter75. 1)- Ebbinghaus (1878) aurait été le premier auteur à employer le terme "psychopathologie" qu'il utilise comme synonyme de "psychiatrie clinique", usage qui se maintient encore actuellement. Il désigne donc la "pathologie du psychologique" dans sa forme constatable dans la relation avec le malade (clinique). 2)- Ribot (1839-1916) est philosophe et n'a pas de formation médicale. Il est le créateur de la psychologie pathologique et de la méthode pathologique. Cette méthode consiste en la reprise de l'observation du fait pathologique pour comprendre la psychologie normale. Il s'agit donc d'une conception assez proche de celle de la Médecine. Cette méthode se rapproche à la fois de l'observation pure et de l'expérimentation76. Théodule Ribot, étudie ainsi à partir de la pathologie, des conduites comme la mémoire, la volonté, l'attention, le sentiment... Ses conceptions étaient dépendantes de l'évolutionnisme de Jackson77. 3)- Freud (1856-1939) a publié en 1901 un ouvrage, au demeurant fort intéressant et dis-trayant, qui s'intitule "Psychopathologie de la vie quotidienne". Le terme "psychopathologie" est employé dans un sens classique puisqu'il s'agit de l'analyse, du décryptage, d'un certain nombre de faits de la vie quotidienne (actes manqués, lapsus...) qui possèdent la même organisation, le même sens, que les symptômes (donc la pathologie mentale) et sont justiciables de la même analyse. Freud peut être considéré comme un psychopathologue dans la mesure où il s'est efforcé de proposer une

Si historiquement il y a eu différence entre les deux, dans la réalité des disciplines et dansleur logique, il n'y a aucune raison de les opposer ou d'en ignorer une pour défendre l'autre. 75- Voir aussi BEAUCHESNE H. Histoire de la psychopathologie. Paris, P.U.F., 1986. 76- "C'est un puissant moyen d'investigation et qui a été riche en résultats. La maladie en effet, est une expérimentation de l'ordre le plus subtil, instituée par la nature elle-même dans des circonstances bien déterminées et avec des procédés dont l'art humain ne dispose pas : elle atteint l'inaccessible. D'ailleurs si la maladie ne se chargeait pas de désorganiser pour nous le mécanisme de l'esprit et de nous faire mieux comprendre aussi son fonctionnement normal, qui donc oserait risquer des expériences que la morale la plus vulgaire réprouve ?… La physiologie et la pathologie - celles de l'esprit aussi bien que celles du corps - ne s'opposent donc pas l'une à l'autre comme deux contraires, mais comme deux parties d'un même tout". 77- Parmi les élèves et successeurs de Ribot, on peut citer Georges Dumas (1866-1946), lui aussi philosophe et médecin, qui renforcera la séparation de la psychopathologie par rapport à la philophie, Charles Blondel (1876-1939) qui intègrera la psychologie pathologique aux sciences humaines,

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explication (dite "métapsychologique") des phénomènes psychiques. Il est donc le créateur d'une psychopathologie psychanalytique de l'hystérie, de l'obsession, de la phobie..., mais aussi de phénomènes qui ne sont pas identifiables à une entité nosologique : le rêve, le fantasme, le désir... La spécificité des conceptions psychanalytiques fait que plusieurs précisions doivent être apportées aux relations entre psychanalyse et psychopathologie.

- Du côté des psychanalystes semble exister une réticence à considérer la psychanalyse comme un discours psychopathologique et, ce, pour deux raisons. La première tient au fait que la psychanalyse propose un modèle normal de l'appareil psychique ; la psychanalyse ne saurait donc être assimilée à une théorie de la pathologie. La seconde implique le refus de certains psychanalystes de considérer que les conceptions de la psychanalyse sur certaines entités sont de la psychopathologie. Certains psychanalystes tiennent ainsi à séparer radica-lement le discours et l'expérience psychanalytiques fondées sur le transfert et les conceptions psychologiques qui supposent une autre théorie du sujet78. - Du côté des psychologues, la psychanalyse, ou, plus exactement, le corpus théorique psy-chanalytique, peut être utilisé pour soutenir certaines interprétations ou certaines hypothèses concernant chaque entité. Nous sommes alors dans le cadre d'une psychopathologie s'appuyant sur la psychanalyse. Mais la question est de savoir quelle pertinence possède la psychanalyse une fois sortie de son champ et de son contexte.

4)- Janet (1851-1947) est un élève de Ribot, d'abord philosophe, puis médecin. Il est un des fondateurs de la psychopathologie. Il est à l'origine de travaux cliniques et théoriques sur l'hystérie et la psychasthénie (névrose obsessionnelle), mais aussi de conceptions théoriques ori-ginales sur la fonction du réel, le rétrécissement de la conscience, le subconscient, et la tension psychologique. Et, d'une certaine façon, il peut être considéré comme le fondateur de la "psychologie clinique"79. La psychopathologie apparaît chez lui comme reposant sur la méthode clinique (rencontre et examen des malades) et comme produisant une explication psychologique des phénomènes (conduites) pathologiques comme les obsessions, les manifestations hystériques...). La notion française de conduite - qui est différente de la notion de comportement (traduction de behavior) - est centrale dans l'oeuvre de Janet. 5)- Aux U.S.A. L. Witmer (1867-1956)80, élève de Wundt, fonde la première "Psychological Clinic" (1896) et développe la nouvelle discipline qu'est la Psychologie Clinique. Cette clinique est une institution à vocation d'aide mais ouverte aussi sur la recherche et sur la formation. Il est avec Freud et Janet considéré comme un des fondateurs, voire comme le fondateur de la Psychologie Clinique. En fait, il est plus le fondateur d'une institution, voire d'une appellation, que d'une discipline. 6)- Publication par A. Marie (1911) du Traité international de psychologie pathologique. Ce terme y est synonyme de psychiatrie. 7)- Jaspers (1883-1969) publie la "Psychopathologie Générale" (1913). Il donne de la psy-chopathologie une définition qui l'oriente pour de nombreuses années : "L'objet de la psychopatho-logie est l'activité psychique réelle et consciente. Nous voulons savoir ce que les hommes vivent et 78- Cette position fort défendable n'est pas toujours, dans la réalité de la pratique des psychanalystes, à la hauteur de ce sur quoi elle s'appuie. Un certain nombre de travaux cliniques psychanalytiques n'ont strictement rien à voir avec une "clinique sous transfert" et ne sont que des interprétations psychologiques positivant l'inconscient, sans aucune rigueur tant sur le plan théorique que sur le plan clinique. 79- Voir PREVOST M. Janet, Freud et la psychologie clinique. Paris, Payot, 1973. Janet a toutefois peu parlé de la psychologie clinique. 80- C. M. Prévost cite dans son ouvrage sur la Psychologie Clinique, la parution de 1897 à 1901 de la Revue de psychologie clinique et thérapeutique (dirigée par Hartenberg et Valentin, médecins à Saint-Anne).

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sentent et comment ils le font, nous voulons connaître l'étendue des réalités de l'âme. Nous vou-lons examiner non seulement la vie des hommes, mais les circonstances et les causes qui la con-ditionnent, ce à quoi elle se relie, tous les aspects qu'elle présente. Mais il ne s'agit pas de toute l'activité psychique : le pathologique seul est notre objet". Cette définition appelle plusieurs com-mentaires : - on y retrouve une exclusion de l'inconscient.

- une méthode est proposée (compréhension par interpénétration) ; cette méthode sera con-sidérée comme phénoménologique alors qu'elle a peut à voir avec la phénoménologie. Il s'agit ici de restituer une expérience et non pas des essences. Pourtant nous voyons ici en germe la confusion qui agite encore la psychiatrie et la psychopathologie : confusion entre phénoménologique et existentiel. - le domaine est celui de la pathologie ; il s'agit donc d'une psychologie de la pathologie mentale. - cette psychopathologie se fixe comme objectif la description, mais aussi la recherche de causes. La notion de psychogenèse sera l'un des éléments du système de Jaspers

8)- Bleuler (1857-1939) représente une réaction contre la réification des descriptions de Kraepelin. Il met donc l'accent non plus sur la description atomisée de symptômes, mais sur les mé-canismes. Au génie de Kraepelin qui réside dans sa capacité à édifier des types en ne s'intéressant qu'aux phénomènes visibles, s'oppose la finesse interprétative de Bleuler qui tente de pénétrer dans le monde intérieur du malade. Il peut être considéré comme un psychopathologue dans la mesure où il tente de formuler les principes qui expliquent la production de certains symptômes utilisant la méthode clinique (casuistique, observation, sensibilité aux rapports entre les phénomènes indivi-duels et leur généralisation). Bleuler, créateur du terme de schizophrénie, a eu, à l'hôpital du Burghölzli à Zurich, pour élèves C. Jung, L. Binswanger, K. Abraham, H. Rorschach (entre autres)81. Ses conceptions de la schizophrénie montrent bien sa position quant à la psychopatholo-gie. Pour lui, il y a une atteinte cérébrale primaire qui est à l'origine du processus pathologique. Ce processus morbide est révélé par les troubles des associations (qu'il appelle "symptômes pri-maires") et crée, par réaction du psychisme, des symptômes secondaires : dissociation, autisme. Il distingue donc bien les causes de la maladie (qui sont organiques) et les processus qui sont psycho-logiques. 9)- En 1919, Formation de la section "Psychologie Clinique" de l'American Psychological Association. 10)- Kretschmer (1888-1964). Son oeuvre est considérée comme étant du registre de la psychopathologie. Il adopte en effet une démarche qui n'est pas seulement descriptive, mais qui vise à comprendre l'apparition de la pathologie mentale. Son système intègre les données biologiques, psychologiques et sociales dans l'explication de la pathologie. Ainsi, dans sa conception du délire de relation des sensitifs (délire particulier appartenant au groupe de la paranoïa) tente-t-il de mettre en évidence la rencontre entre un caractère (le caractère sensitif), les événements de la vie, les hu-miliations. Les manifestations pathologiques (c'est-à-dire les phénomènes témoignant d'une souf-france d'origine ou de manifestation psychologique) semblent donc déterminées par une subtile in-teraction entre une constitution (qui comporte des éléments biologiques) et des événements. La di-mension réactionnelle est ainsi soulignée.

81- Il n'est pas inintéressant de remarquer que ces quatre élèves ne sont pas restés aliénés à leur "Maître" mais ont, chacun, fondé un système théorique différent.

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11)- Ian Pavlov (1849-1936) inaugure un courant tout à fait original que l'on pourrait appe-ler psychopathologie expérimentale. Dans sa conception, les symptômes peuvent être traduits en termes physiologiques. Les états pathologiques peuvent être expliqués par les déséquilibres entre excitation et inhibition. Nous touchons ici au problème de l'interface entre la psychologie du patho-logique et l'analyse en termes réflexologiques des phénomènes pathologiques. 12)- Kurt Schneider (1887-1967) représente une tendance (École d'Heidelberg) inspirée par Jaspers. En 1946, il publie sa "Psychopathologie clinique" qui est en fait un ouvrage de psy-chiatrie clinique. Ses conceptions de la classification (purement syndromique) se retrouvent dans le DSM III. Il distingue en effet les symptômes de premier et de second rang : les symptômes de premier rang sont pathognomoniques alors que les symptômes de second rang sont accessoires. Sa conception psychopathologique reste toutefois limitée. 13)- Henri Ey (1900-1977) est l'auteur de la théorie de l'organo-dynamisme (qui s'appuie sur les conceptions de H. Jackson). Sa conception a eu une influence très importante en France, même si la lettre de cette conception n'a pratiquement plus d'influence. Il édifie un système psycho-logique qui permette d'expliquer la maladie mentale : "toute forme psychopathologique exige pour sa formation un trouble organique primordial (condition sine qua non ) et une structure psycholo-gique nécessaire qui en constitue la phénoménologie, la base existentielle". 14)- En 1947 une Commission présente un rapport à l'American Psychological Association : Recommended Graduate Training Program in Clinical Psychology. Cette base permettait l'évaluation des programmes d'enseignement de Psychologie Clinique proposés par les universités :le programme était réalisé en quatre ans avec un an de stage. Il comportait un enseignement de psychologie générale, psychologie dynamique du comportement, méthodes diagnostiques, méthodes de recherche, disciplines apparentées, thérapies. Il assurait une continuité entre la psychologie générale et la psychologie clinique. La conférence de Boulder (1949) propose le modèle du scientifique-professionnel (scientist-professional) pour le psychologue-clinicien. 15)- En 1949 Daniel Lagache prononce une conférence intitulée "psychologie clinique et méthode clinique" : "On entend essentiellement par psychologie clinique une discipline psycholo-gique basée sur l'étude approfondie des cas individuels. En termes plus précis, la psychologie cli-nique a pour objet l'étude de la conduite humaine individuelle et de ses conditions (hérédité, maturation, conditions psychologiques et pathologiques, histoire de la vie), en un mot, l'étude de la personne "en situation". " Les buts de la psychologie clinique sont : conseiller, guérir, éduquer". Les travaux de Lagache (Professeur à la Sorbonne) seront suivis par ceux de Juliette Favez-Boutonier qui créera en 1966 le premier certificat de Maîtrise de Psychologie Clinique (Sorbonne). 16)- Après 1968 création sous l'impulsion de Juliette Favez-Boutonier, de Fédida, de Gagey, de Prévost, et de quelques psychosociologues (Arbousse-Bastide, Avron, Lévy) d'une UER de "Sciences Humaines Cliniques" à Paris VII, marque d'une scission avec la Psychologie enseignée à Paris V (Sorbonne). Graduellement, à Paris VII, la Psychologie Clinique rentre en conflit avec la psychanalyse - plus exactement avec certains enseignants de Psychologie Clinique psychanalystes - ce qui aboutit à une confusion entre Psychanalyse et Psychologie Clinique (qui sert parfois de "couverture") et à un recul très net de cette dernière. 17)- En France, Jean Bergeret (médecin, psychanalyste et professeur de psychologie patho-logique) publie, en 1972, un Abrégé de Psychologie Pathologique, qui fait encore autorité. Il s'agit en fait, comme le rappelle Daniel Widlöcher dans la préface, d'un ouvrage de psychopathologie psychanalytique, qui, corrélativement, ne concerne qu'une partie de la psychopathologie générale. Les auteurs définissent ainsi la psychologie pathologique : "L'objet de la psychologie pathologique ne peut être confondu avec celui de la psychiatrie ; il demeure l'étude de l'évolution et des avatars

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du psychisme humain, sans s'intéresser aux aspects techniques des thérapeutiques" (p 1). On re-marquera donc que, dans cette définition, l'objet de la psychologie pathologique est confondu avec celui de la psychologie et que le soin est en dehors de la psychologie du pathologique. 18)- En 1993, l'ouvrage de Winfrid Huber (Professeur à l'Université Catholique de Louvain) intitulé "L'homme psychopathologique et la psychologie clinique"82 propose une concep-tion plus pragmatique de la psychologie clinique qu'il définit comme "la branche de la psychologie qui a pour objet les problèmes et troubles psychiques ainsi que la composante psychique des troubles somatiques. Elle est donc l'étude des problèmes psychiques se manifestant dans des con-duites normales et pathologiques, et de l'intervention dans ces conduites" (p. 16)83.

Ces points de repères historiques montrent que la notion de psychopathologie peut prendre différentes significations : synonyme de psychiatrie clinique, analyse psychologique de phénomènes pathologiques qui concernent la sphère du mental... De même, plusieurs méthodes et plusieurs courants existent dans ce domaine : méthode clinique, méthode expérimentale, méthode clinique "armée" (quantitative). Enfin, si la psychopathologie tente toujours une explication ou une interprétation des faits pathologiques, elle se réfère à des conceptions théoriques différentes : phé-noménologie, comportementalisme, associationnisme, réflexologie, psychanalyse.

II)- DIFFERENTES MODALITES - LES CONTRADICTIONS DU TERME. La distinction, que l'on doit à Minkowski, entre psychologie du pathologique et pathologie du psychologique est certes la plus féconde. Elle n'épuise cependant pas le sujet, dans la mesure où d'autres usages du terme psychopathologie sont venus se greffer. Ces sens ne sont pas systémati-quement opposés, mais correspondent à des niveaux différents d'analyse, le domaine psychopatho-logique regroupant l'ensemble de ces niveaux. 1)- La pathologie du psychologique En médecine le terme "Pathologie" désigne la "science qui a pour objet l'étude des mala-dies". On distingue ainsi :

- la pathologie externe : partie de la pathologie consacrée à l'étude des maladies ou lésions siégeant à la surface du corps ou dont les lois nécessitent l'emploi de moyens chirurgicaux. - la pathologie interne : partie de la pathologie consacrée à l'étude des maladies siégeant à l'intérieur du corps ou justiciables de traitements purement médicaux.

82- P.U.F. (coll. "1er Cycle"). 83- On notera la proximité avec la définition de la psychopathologie donnée plus loin. En ce qui concerne la situation de la Psychologie Clinique en France, il précise encore "Il reste donc à souhaiter que la psychologie clinique française se libère de sa fixation sur la psychanalyse, sorte de ses querelles locales et retrouve le dialogue avec la communauté scientifique internationale". En note il précise que "ce qui fait problème n'est pas la référence à la psychanalyse, mais une conception de la psychanalyse qui la coupe de la recherche empirique et de la communauté scientifique internationale". (p. 11.)

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- la pathologie générale : partie de la pathologie qui traite des éléments communs à toutes les maladies (causes, lésions, symptômes), considérés en eux-mêmes et non plus dans leurs groupements constituant les différents types morbides.

Dans ce courant la psychopathologie est bien évidemment définie comme l'étude de la pa-thologie mentale. La "pathologie du psychologique" est l'acception la plus courante et la plus classiquement admise84. Elle suppose l'existence d'une pathologie mentale. Dans ce contexte, "psychologique" dé-signe le lieu de la pathologie (c'est dans le psychisme que se situe le problème : il s'agit donc des troubles à manifestation ou à origine psychologique). "Psychopathologie" spécifie un domaine qu'on pourrait confondre avec celui de la pathologie mentale, telle que la découpe la psychiatrie. Mais, dans les faits, cette conception ne peut en rester là. Elle se double d'une activité de discours (logos) qui utilise une théorie générale de la psychologie pour rendre compte des phéno-mènes décrits par la psychiatrie clinique. La psychologie vient, comme le dit Lanteri-Laura, "régenter du dehors la psychiatrie clinique et en ordonner le désordre apparent". Dans ce contexte, "psychopathologie" désigne aussi le savoir (qui fonctionne comme discours de vérité) qui permet de comprendre la pathologie. Le chapitre "psychopathologie" de certains manuels de psychiatrie correspond ainsi à la reprise des différentes théories explicatives de la maladie considérée. On voit donc que cette conception comporte deux postulats :

1- il existe une pathologie du psychologique (c'est là le sens le plus courant de psychopa-thologique : psychopathologie de l'enfant, de l'adolescent...). 2- la psychologie peut fournir une représentation de ces phénomènes pathologiques (cette deuxième conception est proche du point "2)- La psychologie du pathologique", mais ce qui la caractérise ici c'est sa limitation à la sphère des maladies psychiatriques).

Cette conception ne va pas sans difficultés dans la mesure où : 1 - elle suppose une référence au savoir psychiatrique en en restant dépendante.

2 - elle se pose comme théorie de la clinique psychiatrique, tentant de jouer le rôle que rem-plit la physiologie pour la Médecine. 3- elle risque fort d'amener l'édification de théories parfaitement en décalage avec la réalité clinique : théories psychopathologiques de la névrose, de la psychose, parfaitement spécula-tives et sans aucun rapport avec la clinique85. Ces théories ne sont en fait que des tentatives de systématisation des faits apportés par la clinique psychiatrique.

Elle correspond toutefois à une partie de ce qu'est la psychopathologie comme domaine et comme activité : étude de la pathologie mentale et tentative d'interprétation des faits observés à partir d'une théorie psychologique. La question se pose alors de connaître le rapport entre la théorie psychologique et les autres problématiques théoriques (biologie, anthropologie...) ainsi que la rela-tion entre les théories qui assignent une cause et celles qui fournissent une interprétation. 2)- La psychologie du pathologique

84- Le terme psychopathologue a été employé pour désigner des psychologues travaillant dans le domaine de la psychiatrie ; il est maintenant remplacé par celui de "psychologue clinicien" où le terme clinicien désigne plus un objet de travail - celui de la clinique psychiatrique - qu'une méthode. 85- Exemple classique KANT E. Essai sur les maladies de la tête. Evolution Psychiatrique, 1977, XLII, 2.

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La notion de psychologie du pathologique est naturellement proche de la précédente puisqu'elle désignerait l'analyse psychologique du fait pathologique (ou de la dimension psycholo-gique du fait pathologique). On peut cependant remarquer ici quelques nuances subtiles qui tien-nent à sa méthode et à l'élargissement de son objet. a)- La méthode. Minkowski86 soulignait que dans cette acception la pathologie était l'objet d'une investiga-tion psychologique susceptible de l'éclairer. Il s'agissait donc de comprendre, ce qui suppose deux démarches :

- démarche clinique : saisir l'expérience du patient du patient en se rapprochant le plus pos-sible de son expérience vécue, mais aussi de tout ce qui concerne la relation établie avec lui. - démarche théorique : repérer le plus petit nombre d'altérations originaires et irréductibles de l'expérience des patients et dont découlent toutes les autres perturbations effectives.

La psychopathologie, entendue comme psychologie du pathologique, est alors inséparable de l'activité clinique dont elle part et dont elle essaie de fournir une représentation explicative. Cette démarche est autant celle des phénoménologues, que des analystes, ou des cliniciens cognitivistes. b)- Le champ. Parler de pathologie n'est pas se réduire à la maladie mentale. La pathologie peut désigner toutes les situations de souffrance, quelle que puisse en être l'origine. Prenons un exemple : le deuil n'est pas une maladie mais il comporte une souffrance. Faire une psychopathologie du deuil consiste donc à analyser cliniquement (c'est-à-dire à partir de situations de rencontre avec des malades en deuil) les différents mécanismes de cette souffrance. Il ne suffit toutefois pas de rencontrer des malades en deuil pour produire une psychopathologie ; il faut encore savoir repérer les processus communs, le nommer, les articuler en une représentation théorique et vérifier que ces mécanismes concernent bien le deuil et pas autre chose. Deuxième exemple : la maladie organique est bien une maladie, mais elle n'est pas "mentale". On peut toutefois faire une psychopathologie du somatique (de la souffrance somatique) en s'intéressant non pas à la maladie mais au malade et à ses positions subjectives, à son rapport à la maladie, sans préjuger de la cause de cette maladie. Les limites de cette conception - qui élargit le champ de la psychopathologie hors de la psy-chiatrie - réside dans l'existence de la notion de souffrance et dans son rapport avec l'anormalité.

1 - il y a des sujets qui ne souffrent pas, mais dont le comportement provient d'une atteinte "pathologique". Certains tableaux neurologiques (anosognosie) peuvent à l'extrême faire considérer qu'il y a bien une atteinte (une pathologie) mais que le sujet ne la ressent pas comme telle : il est hospitalisé, mais pour lui "pas de problèmes, tout va bien..." etc. Le cri-tère de la souffrance exprimée par le patient n'est donc pas suffisant. Il ne vient pourtant à l'idée de personne de penser que ce patient n'est pas malade. La souffrance ne peut donc être simplement définie par l'existence d'une plainte, d'une demande formulée, mais on se

86- Voir LANTERI-LAURA G. (1989) Eugène MINKOWSKI 1885-1972. Notes sur son oeuvre psychiatrique. Psychiatrie Française, 1989, 20, 2 : 101-106.

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fonde aussi sur l'existence objective d'une pathologie. Aussi faut-il avancer que toute pathologie (même sans souffrance exprimée) peut amener une analyse psychopathologique, de même que toute souffrance exprimée sans pathologie au sens médical du terme. Le même problème peut se poser à propos de la psychopathologie du nourrisson, qui, jusqu'à plus amples informations, n'exprime pas lui-même une demande. 2 - Certains sujets ne souffrent pas, n'ont pas de lésion, mais présentent des comportements dits anormaux (c'est-à-dire en dehors de la norme, dont on sait qu'elle est fluctuante87). Le cas des pervers peut être cité : ces sujets, contrairement aux névrosés, ne souffrent pas de leurs désirs. Ceux-ci sont toutefois considérés comme hors norme et on imagine mal une psychopathologie qui ne tenterait pas de fournir une interprétation de ce qui se passe dans la perversion.

Il faut donc noter que le champ de la psychopathologie (en tant que discours théorique) est, en fait, beaucoup plus large que celui de la pathologie mentale, mais qu'il ne suffit pas de dire que son objet est la souffrance pour se croire à l'abri de certaines difficultés. Son objet est la pathologie mentale avérée, les effets de toutes pathologies, la souffrance exprimée, la souffrance inexprimable, et certains comportements déviants pour lesquels la légitimité de sa réflexion ne va pas sans poser de question. On voit que le problème est parfaitement superposable à celui de la psychiatrie (en tant qu'activité de connaissance et de soin) et à celui de la psychologie clinique (en tant qu'activité d'un psychologue clinicien en institution). Il convient d'autre part de se départir de l'idée que la psychopathologie est l'étude des causes psychologiques d'une maladie (mentale ou somatique) ou d'un comportement. Elle tente au contraire de dégager l'objet psychologique dans des situations qui sont de tous ordres. Si l'on peut parler de causes psychologiques dans la souf-france du deuil, l'étude psychopathologique de la démence ne veut pas dire que la démence soit liée à une cause psychologique88, mais que, dans la démence, il y a aussi un dément dont il faut reconstituer les mécanismes psychologiques. 3)- Psychologie clinique et psychopathologie Ce sujet amène à repréciser certaines notions de base concernant la clinique médicale, la clinique psychologique et la méthode clinique. Le terme "clinique" possède en effet des sens diffé-rents. Si la double opposition classique (clinique vs théorie et clinique vs expérimentation) constitue une représentation commode, elle n'est pas entièrement exacte. La signification du terme "clinique" varie selon que l'on se situe dans l'axe de la psychiatrie clinique (où prédomine l'observation), dans celui de la clinique psychologique telle qu'elle s'est développée en France (singularité et totalité de la situation), dans la pratique du psychologue travaiallant dans le domaine de la santé ou dans la

87- On imagine les excès d'une médecine, d'une psychiatrie, d'une psychologie, qui seraient subordonnées aux normes sociales, considérant comme malade à traiter toute personne produisant un comportement socialement réprouvé. La pathologie n'est pas l'anormalité mais une forme de souffrance liée à une lésion ou à un dysfonc-tionnement. La question de l'éthique (médicale, psychiatrique, psychologique) se pose aussi, et très couramment, dans la pratique clinique en particulier à propos des psychopathes. 88- Tout ce qui est avancé ici pourrait être contesté ou discuté à partir de la notion de "lecture psychosomatique". Pour clarifier un débat déjà bien compliqué, je laisse de côté cette dimension. Mais il est utile de savoir que certains théoriciens, certains cliniciens, montrent comment une maladie ne survient pas n'importe quand et comment sa survenue peut correspondre à une désorganisation psychologique. Voir notamment CELERIER M.C. Corps et fantasme. Paris, Dunod, 1989 et MARTY P. L'ordre psychosomatique Paris, Payot.

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clinique psychanalytique ("clinique sous transfert"). Parler de "clinique" c'est donc désigner un ensemble de pratiques, de méthodes, différentes qui ont en commun de reposer sur la rencontre avec le sujet, mais ne forment une unité qu'au regard de ce dont elles se distinguent, à savoir l'expérimentation. a)- La clinique médicale89 clinique, adj (de cliné, lit). 1° Qui concerne l'enseignement de l'art médical donné auprès du lit du malade - 2° Qui peut être effectué, ou constaté par le médecin, au lit du malade, sans le secours d'appareils ou de méthodes de laboratoire - sens figurés 1° Enseignement de l'art médical donné auprès du lit du malade et ensemble de connaissances acquises de cette manière. - 2° Service hospitalier où se donne cet enseignement et local spécialement affecté à cet usage. En Médecine, la clinique désigne donc la partie de l'acte médical réservée à l'examen du malade. Par extension, la clinique désigne un enseignement se fondant sur la réalité de la maladie et ce que l'on peut en observer. Un clinicien est donc avant tout quelqu'un qui voit des malades et un "simple" théoricien, fût-il théoricien de la clinique, n'est certainement pas un clinicien90. D'une certaine façon, la clinique médicale englobe la sémiologie, mais aussi la démarche qui va du recueil des signes à leur association en syndromes et à la découverte de la maladie. La clinique n'est donc ni la pathologie, ni la thérapeutique, autres disciplines, qui désignent les formes de la maladie et les principes du soin. "la clinique ne s'installe pas dans la certitude de soi-même, mais commence par l'examen de chaque patient, et s'efforce d'aller de ce point d'origine, particulier et empirique, à un moment où l'on comprendra comment un certain nombre de singularités du patient coïncident avec ce qu'apporte le discours universel de la pathologie ; mais la clinique demeure une discipline propre..." (Lanteri-Laura P. Préface à P. Bercherie p. 10) En d'autres termes , la clinique c'est le "primat du voir", du "nommer" et elle suppose le si-lence des théories. Il est sûrement très important de connaître la dernière subtilité théorique sur la dépression, mais ce que l'on attend d'un clinicien c'est qu'il sache reconnaître une dépression et par-ticiper à son traitement91. Rappelons la formule de Charcot : "la théorie ça n'empêche pas d'exister". A la clinique s'oppose en Médecine, le paraclinique (examens de laboratoire effectués hors de la présence du patient). On sait que la médecine devient de plus en plus "paraclinique", mais le "bon clinicien" est celui qui sait reconnaître rapidement certains troubles sans avoir besoin de passer par l'utilisation du scaner pour confirmer son diagnostic. Mais la clinique a ses limites et certains diagnostics doivent être confirmés par le paraclinique : soit pour éliminer un autre diagnostic, soit pour avoir la preuve de ce que l'on avance. Un bon examen clinique neurologique permet d'avoir la

89- Bien entendu voir FOUCAULT M. La naissance de la clinique. Paris, P.U.F., CANGUILHEM G. Le normal et le pathologique. Paris, P.U.F., BERCHERIE P. Les fondements de la clinique. Paris, Navarin. 90- Ce qui ne l'empêche pas de fournir une excellente analyse de l'acte clinique que le clinicien ne serait pas toujours à même de produire. 91- En termes médicaux, la formule est "qu'il ne passe pas à côté" ; on perçoit la prédominance du voir et du recon-naître.

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quasi certitude qu'il s'agit de tel trouble, mais la preuve en sera apportée par le scanner ou l'artériographie. b)- La clinique psychiatrique. La clinique psychiatrique s'est détachée de la clinique de Kraepelin92. Pour juger de l'aspect excessif, déshumanisant, de cette clinique nous pouvons reprendre une des observations extrêmes qui ont déjà fait couler beaucoup d'encre puisque Laing, dans son cri de révolte anti-psychiatrique, en avait utilisé certaines pour souligner l'attitude agressive, violente, réificatrice de la psychiatrie. "Messieurs, on est presque obligé de porter le malade que je vous présente aujourd'hui ; il marche en effet les jambes écartées et ne pose à terre que le bord externe des pieds. Il commence par jeter ses pantoufles, puis il chante un cantique et répète plusieurs fois cette phrase : "My Father, my real Father". C'est un garçon de 18 ans, de bonne constitution, encore élève au lycée ; son visage, pâle d'ordinaire, rougit à certains moments. Il s'assied, ferme les yeux et ne s'occupe pas de ce qui se passe autour de lui. Il ne bouge pas d'avantage quand on lui parle et répond à voix basse ; mais le ton s'élève petit à petit et il finit par crier : "Vous voulez savoir qui je suis ; je vous l'ai déjà dit ; celui qui est épié a été épié et doit être épié. Je sais tout cela et pourrais le dire, mais je ne veux pas." Demandons lui son nom. En réponse il s'écrie : "Quel est votre nom ? que ferme-t-il ? il ferme les yeux. Où est-ce qu'il entend ? il n'entend rien, et ne peux rien comprendre. Comment ? qui ? Où ? Quand ? Qu'est-ce qui lui prend ? Si je lui dis de regarder, il ne bouge pas. Dis donc, regarde un peu ici ! Quoi ? Qu'est-ce que c'est ? Attention. Si je dis cela, quoi donc ? Pourquoi ne me réponds-tu pas ? Tu redeviens de nouveau grossier ? Comment peut-on être si grossier ? Tu ne dois pas être bien poli ? Tu es un grossier personnage, un sale personnage. Je n'ai jamais vu encore un aussi misérable et aussi dégoûtant personnage. Tu veux de nouveau recommencer. Tu ne comprends donc rien, je te dis ? Veux-tu maintenant obéir ? Tu ne veux pas obéir ? Tu deviens encore plus impertinent ? etc.." Ses injures finissent en cris inarticulés. Il comprend fort bien tout ce qu'on lui dit. Il répète très souvent aussi des tournures de phrases qu'il a déjà entendues, mais il n'ouvre jamais les yeux. Il y a beaucoup d'affectation dans sa façon de parler ; tantôt il balbutie comme un enfant, tantôt il bégaie ou ne parle qu'à voix basse ; ou bien le voilà tout à coup qui chante et fait des grimaces. Il met toutes sortes de bizarreries dans l'exécution des ordres qu'il reçoit. C'est ainsi qu'il tient le poing fermé pour donner la main ; c'est ainsi que, se dirigeant vers le tableau pour écrire son nom, il lance la craie sur les auditeurs et renverse une lampe d'un coup de poing. Il se livre à mille mouvements absurdes, repousse la table, tourne sur lui-même les bras en croix, roule une chaise autour de lui ; il se balance enfin, les mains sur la tête et les jambes croisées. On constate en même temps des signes de catalepsie. Il faut le pousser pour le faire partir et il sort en criant : "Bonjour, Messieurs, ça ne m'a pas plu."93 (Tiré de Kraepelin Introduction à la psychiatrie clinique p. 100-101).

92- Rappelons que Kraepelin était aussi en attente d'une psychologie expériementale efficace dans le dommaine de la clinique psychiatrique : "Il est grand temps qu'également chez nous en matière de questions psychologiques, l'étude de cas sérieuse et consciencieuse prenne la place des affirmations spiritualistes et des inventions au sens profond, l'improuvable et le non-documentable ne nous avancent pas. Nous avons besoin de faits, pas de théories… Nous voulons tenter d'y donner une réponse, non pas autour d'un tapis vert, mais au laboratoire, non pas avec des idées brillantes, mais par la mesure et le calcul". (Kraepelin E. (1895) Der psychologische Versuch in der Psychiatrie. Psychologische Arbeiten, 1, 1-91). 93- On n'aura pas manqué de noter au fil de l'observation les phrases incohérentes, le négativisme, les stéréotypie, la coprolalie, les impulsions, le maniérisme, les bizarreries, ce qui permet à Kraepelin de porter le diagnostic d'"excitation catatonique". Ce cas pose clairement le problème des rapports entre description et tentative de compréhension. On a beaucoup reproché à Kraepelin de ne pas s'intéresser au contenu de ce que disait le malade. On notera assez aisément ici que le patient semble répéter des propos qui ont été tenus sur lui, que la question du

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La clinique psychiatrique est peu différente dans son principe de la clinique médicale, à ceci près que, comme on l'a vu dans le poly précédent, la plupart des signes sont extraordinairement flous et difficiles à interpréter et que l'écoute prend le pas sur le voir et le symptôme a autant d'importance que le signe. D'autre part la clinique psychiatrique emprunte à la fois à la médecine, à la neurologie, à la psychanalyse et à la psychologie clinique. Elle se situe donc à plusieurs niveaux contradictoires. L'activité d'un clinicien est, en psychiatrie, double à plusieurs égards, qu'il s'agisse de sa pratique concrète, de son expérience des faits psychiques, ou de ses références théoriques. Contrairement au chercheur, il n'est pas uniquement en présence de maladies, mais de malades, et son activité n'est que très rarement résumée par la formule "diagnostic - pronostic - traitement". Un clinicien est - du moins nous l'espérons - amené à "suivre" des malades, c'est-à-dire à établir une relation différente avec chacun d'entre eux. Même le modèle le plus médical de la maladie, à savoir le traitement d'un patient sous lithium, suppose une durée et un ensemble de relations qui, bien que n'étant pas a priori définies comme "psychothérapiques", nécessitent une sensibilité à l'individuel, au subjectif, à l'événementiel94. Dans cette double pratique, l'expérience du clinicien se situe à la fois au niveau des faits qu'il convient de repérer, et de l'intelligibilité, des possibles significations, de ces faits. Or cette dualité de la pratique du clinicien rencontre nécessairement ses positions sur la question de la causalité, question historique95 qui a toujours partagé la psychiatrie entre les tenants de l'organogenèse et ceux de la psychogenèse. La psychanalyse, pour sa part, a introduit une troi-sième possibilité qui est celle de la "causalité psychique". Ces trois problématiques apportent à la question des faits, de leur ordination, de leur interprétation, une nouvelle perspective. C'est dans ce contexte que peut se poser la question de l'originalité de la clinique et de la place du clinicien. On remarquera donc que la clinique psychiatrique constitue un aspect essentiel, mais qu'elle est beaucoup moins indépendante des théories que la clinique médicale. Lanteri-Laura évoque ainsi, dans son style original, les rapports entre psychopathologie et clinique : "Pour la psychopathologie, l'accès maniaque s'explique entièrement - grâce au vieil adage cujus regio, ejus religio, de cette diète de Spire qui n'arrangera d'ailleurs rien - soit par l'hyperactivité des parois du troisième ven-tricule, soit par la destructuration temporelle-éthique, soit par la libération du ça96, et l'observation clinique ne peut-être que l'ancilla domini de ce seigneur psychopathologique. Dans une position critique, l'examen clinique, à la recherche et à l'écoute des signes du syndrome ma-

"père" est posée, et que, d'une certaine façon, son discours n'est pas si incohérent que cela lorsqu'on le rapporte à la situation "vécue" (présentation de malade). Il ne faudrait pas pour autant en conclure que la schizophrénie n'est que l'effet de la situation familiale et que ce sujet n'est qu'un martyr de la famille, de la psychiatrie et de la nosologie. La question de la schizophrénie, comme de la plupart des psychoses, est que si le discours du sujet témoigne bien d'un sens, il n'est pas sûr que ce sens soit pour lui intégrable. Contrairement à ce que dit Kraepelin, ses propos, rapportés à la situation, ne sont pas incohérents, mais contrairement à ce qu'une vue positiviste pourrait laisser penser, la si-gnification que le sujet donne à ses actes et à ses paroles est totalement différente de la nôtre. Le fait que Kraepelin n'ait pas fait le rapport entre discours du patient et situation médicale et psychologique témoigne de son aveuglement nosologique, mais, malheureusement, cet aveuglement n'implique pas que la maladie mentale n'existe pas. 94- Il serait tout de même curieux, au moment où les somaticiens qui traitent des maladies chroniques (diabète, insuffisance rénale ou respiratoire..) s'intéressent à la dimension subjective, que les psychiatres et les psychologues ne voient dans leurs propres malades que des "porteurs de maladie" dont il convient de suivre le cours biologique. 95- Cf. Beauchesne H. Histoire de la psychopathologie. Paris, P.U.F., 1986. 96- Lanteri-Laura épingle en note P. Guiraud, H. Ey et K. Abraham et précise "Qui auriculas habent, audiant ; qui oculos habent, videant".

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niaque, à différencier des intoxications exogènes ou des aspects aigus de l'hébéphréno-catatonie97, renvoie à une discussion diagnostique, qui s'éclaire indubitablement du recours aux modèles psy-chopathologiques ; cet examen clinique peut, à la fois, contribuer à les affiner et à en faire son profit, leurs liens ne sont jamais de dépendance univoque, mais de fondements réciproques, dans un nécessaire polythéisme tolérant : nihil in psychopathologia, quod prius in clinica non fuerit. Or l'exemple de la manie peut se vérifier dans bien d'autres domaines, et renvoie à ce problème d'ensemble, qui revient toujours à se demander d'où proviennent ces affirmations générales, qui ont l'incontestable mérite de simplifier et d'ordonner le divers de l'expérience, mais qui tendent à employer ce privilège pour masquer leurs origines. "98 La psychopathologie, le savoir psychopathologiques sont donc éclairants dans la pratique clinique, mais ils constituent un frein puissant à la compréhension des situations, voire un savoir dont on peut questionner la légitimité. Pourtant, comme le souligne Lanteri-Laura, on n'échappe pas à la réflexion psychopathologique. La question est alors de savoir à quel moment on est dans une pratique clinique hors théorie, et à quel moment on fait appel à une réflexion psychopatholo-gique qui permette d'aller au-delà de la relation avec le patient. c)- La clinique psychologique et la psychologie clinique99. L'origine de la psychologie clinique est généralement référée à trois auteurs : Witmer, Janet et Freud, mais cette fliliation ne va pas sans ambiguïté. Même si Janet a fourni les intuitions (psychologie des conduites) qui ont servi de base à la constitution ultérieure de la psychologie cli-nique, il a peu parlé de celle-ci qu'il considérait d'ailleurs comme une application au domaine médi-cal des résultats de la psychologie expérimentale. Naturellement, une grande partie de son oeuvre se fondant sur l'analyse de cas, elle peut être considérée comme un travail de psychologie clinique. Freud, pour sa part, n'a pas réellement développé une conception originale de la psychologie en même temps qu'il jetait les bases de la psychanalyse, mais il est dans la même situation que Janet. Seul Witwer (1867-1956) aux Etats-Unis peut apparaître comme un fondateur et non une source d'inspiration dans la mesure où il jeta les bases d'une psychological clinic. En France, comme le rappelle Prévost, il convient par ailleurs de ne pas oublier Hartenberg et Valentin rédacteurs d'une "Revue de psychologie clinique et thérapeutique" qui parut de 1897 à 1901 et dont les éléments éditoriaux et la problématique constituent les prémices de ce qui sera ultérieurement présenté par Lagache et Favez-Boutonier. "La psychologie clinique, telle que nous la concevons, se distingue nettement de la psychologie expéri-mentale. La psychologie expérimentale isole et dissocie les éléments de la vie psychique. Elle suscite dans des conditions prévues d'avance, les phénomènes de sensation, de volition, d'idéation qu'elle note et qu'elle mesure à l'aide du calcul, et des instruments enregistreurs. Elle conduit à des moyennes d'autant plus satisfaisantes qu'elles sont plus abstraites et plus générales. C'est pour ainsi dire la mathématique de la psychologie.

97- Forme clinique de la schizophrénie. 98- En note Lanteri-Laura fait référence à Leibnitz et à Kant. Rappelons que Lanteri-Laura est psychiatre, historien et épistémologue de la psychiatrie et, on l'aura compris, philosophe. 99- Se reporter à l'excellent ouvrage de Claude PREVOST La Psychologie clinique. Paris, PUF (coll. Que sais-je ?).

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La psychologie clinique, au contraire, tout en puisant dans les recherches de laboratoire de précieux renseignements, observe la vie psychologique elle-même, considérée comme un tout concret et réel. Réunissant dans une vue d'ensemble les réactions naturelles et spontanées du sujet, en présence des excitations de tout genre, elle en constitue un tableau synthétique, à dominante variable, qui exprime son tempérament et porte la marque de son caractère. Par les influences combinées de l'hérédité et du milieu, elle poursuit le développement, normal et pathologique de la personnalité, la tâche n'est pas de schématiser mais d'individualiser". Revue de psychologie clinique et thérapeutique, 1897 (cité par C.M. Prévost) Or en France la Psychologie Clinique universitaire a connu un statut et une définition parti-culiers100 ce qui a abouti momentanément à une distinction institutionelle entre Psychologie Clinique et Psychopathologie, distinction institutionnelle qui a récemment été abolie, même si persistent des UV de Psychopathologie et des UV de Psychologie Clinique. Cette évolution étant spécifiquement française et le reste du monde ayant eu une autre - ou d'autres conceptions - de la Psychologie Clinique, nous ne nous engagerons pas dans une interrogation sur le "génie français" face à la barbarie (sous-entendu anglo-saxonne) ni sur le retard culturel et scientifique de la psychologie clinique en France (sous-entendu face à la merveilleuse réussite anglo-saxonne). Il faut admettre ce fait (dualité) qui ne risque pas d'évoluer beaucoup dans les prochaines années. Aussi présenterons-nous d'abord les conceptions ,que nous nommons par amusement "tradition française", c'est-à-dire celles sui ont été forgées à la suite des positions de Lagache et Favez et qui ont trouvé leur terreau à Paris VII avant de se diffucer dans nombre d'universités françaises. Puis, dans le point c.4 nous montrerons comment psychologie clinique et psychopathologie peuvent très largement confondues si l'on adopte le point de vue actuellement dominant hors de France101 qui, en fait considère la psychologie clinique à partir de son domaine d'intervention et secondairement à partir de sa méthode, mais qui, de toutes manières, ne la conçoit pas de façon aussi "idéale". c.1. Définition préalable dans la tradition française Si l'on reste dans le contexte français actuel, issu des travaux de Lagache et Favez-Boutonier, on pourrait naïvement dire que la clinique est une méthode (pouvant s'appliquer à la pathologie, mais aussi à d'autres situations) alors que la psychopathologie est l'ensemble des théories d'un domaine.

- la clinique a d'autres objets que la pathologie, la souffrance ; en termes classiques, il pour-rait y avoir une psychologie clinique de l'enfant, une psychosociale clinique etc.. Ce qui est clinique c'est la méthode qui s'oppose à la méthode expérimentale. - la psychopathologie peut adopter la méthode clinique, mais aussi d'autres méthodes (expérimentale, quantitative...) ; si elle est historiquement clinique, elle ne l'est pas exclusivement.

100- Dans le même ouvrage, Prevost dit à propos de la Psychologie Clinique : "En conflit aigu et exprimé, au départ, avec la médecine d'un côté, la psychologie expérimentale de l'autre, elle a cru pouvoir trouver son salut en se rapprochant - à tort ou à raison - de la psychanalyse, voire en se jetant dans ses bras, plus encore en lui fournissant un alibi universitaire. Mais dès lors, elle ne pouvait qu'être ébranlée par les conflits qui ont secoué la psychanalyse française, de 1963 à 1981, du fait entre autres de la raison de la présence en son sein de Lacan et des lacaniens ; la possibilité quele terme de psychologie fût utilisé dans ce secteur, autrement que comme parade essentiellement administrative, impliquait que si l'on ne discutait guère l'emploi de l'adjectif clinique, qualifiant méthode approche ou procédé, la psychologie clinique, comme discipline scientifique "substancielle", faisait rire les uns et rougir de honte les autres" (p. 5). 101- Un certain nombre de praticiens et d'enseignants exerçant en France ont d'ailleurs adopté ce point de vue.

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Psychopathologie et psychologie clinique seraient donc en intersection. Pour simple que soit cette opposition, elle pose néanmoins quelques problèmes dans l'utilisation courante :

- la méthode clinique reste à définir puisqu'il y a glissement sur les termes, y compris en Médecine. - il y a bien une confusion entre domaine clinique et domaine psychopathologie dans la me-sure où l'on parle de la clinique comme de la situation dans laquelle on rencontre les objets psychopathologiques, mais aussi dans la mesure où la psychologie clinique peut se fixer les mêmes objets que la psychopathologie en dépassant la méthode clinique. Les travaux de Favez-Boutonier sur l'angoisse, ceux de Janet sur l'hystérie et la psychasthénie, sont-ils de la psychopathologie ou de la psychologie clinique ? - il existe en enseignement de Psychologie Clinique qui, bien que se fondant sur la singula-rité (étude des sujets), fournit un savoir général qui se distingue parfois assez peu de celui de la Psychopathologie Clinique. - l'opposition entre Psychopathologie et Psychologie Clinique est historiquement liée à la place de la Médecine et de la Psychiatrie dans le domaine Psychopathologique (rôle des mé-decins dans la production des connaissances et dans les postes d'enseignant de Psychopathologie102). La Psychologie Clinique paraît être plus le domaine des non-médecins (encore que Lagache et Favez-Boutonier aient été médecins) ce qui, en certaines occasions, amènerait à penser comme le fait Le Ny que la psychologie clinique est une "psychologie de l'individu particulier. Jusqu'à présent, celle-ci n'a été développée que sur le versant patho-logique ou quasi pathologique, en sorte que, souvent, on appelle "psychologie clinique" une psychologie légèrement pathologique, pas la psychologie des grands malades mentaux, mais celle des individus qui ont des difficultés existentielles"103. Cette position historiquement déterminée ne saurait toutefois constituer une définition acceptable de la Psychologie Clinique et l'opposition avec la Psychopathologie ne saurait être maintenue sur cette base. Mais, dans les faits, elle est parfois prégnante et aboutit à la même opposition entre Psychopathologie et Psychologie Clinique qu'entre Psychologie Clinique et Psychologie Générale104. - Winfrid Huber (Professeur à l'Université Catholique de Louvain) dans "L'homme psycho-pathologique et la psychologie clinique"105 propose une conception plus pragmatique de la psychologie clinique qu'il définit comme "la branche de la psychologie qui a pour objet les problèmes et troubles psychiques ainsi que la composante psychique des troubles soma-tiques. Elle est donc l'étude des problèmes psychiques se manifestant dans des conduites normales et pathologiques, et de l'intervention dans ces conduites" (p. 16)106. Cette conception issue du modèle anglo-saxon n'exclut pas la possibilité de travaux expérimentaux dans le domaine clinique107.

102- Il est vrai que jusqu''à une période assez récente les postes de Professeur de Psychopathologie ou de Psychologie Pathologique étaient occupés par des médecins psychiatres qui, d'ailleurs, n'avaient pas toujours fait d'études de Psychologie. 103- La psychologie clinique est à la psychopathologie ce quele psychologue est au psychiatre. 104- On trouve toujours plus pathologique ou plus normal que soi ! 105- P.U.F. (coll. "1er Cycle"). 106- On notera la proximité avec la définition de la psychopathologie donnée précédemment. 107- Clinique est devenu par extension le synonyme de "souffrance" de "pathologie". Allons jusqu'au bout : cette Psychologie Clinique pourrait être expérimentale (pour une part). Sur le plan concret, le problème se pose à propos des thérapies cognitivo-comportmentale ou de l'a clinique des phénomènes neuropsychologiques.

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c.2. Définitions de la méthode et de l'attitude cliniquesdans la "tradition française". Traditionnellement on considère, après les travaux de Lagache108 que "la psychologie cli-nique est caractérisée par l'investigation systématique et aussi complète que possible des cas indi-viduels". L'objet de la psychologie clinique est donc l'étude et la compréhension des sujets singu-liers et de leurs conduites qui présuppose l'engagement de l'observateur et l'analyse serrée de cet engagement. On peut donc dire que la psychologie clinique part des cas (singularité)109, utilise la to-talité de la situation, pour aboutir à une généralisation. Il ne peut donc s'agir ni d'une réflexion sta-tistique ni d'une analyse typologique comme celle de Kraepelin, mais d'une tentative de description des processus. Ces résultats sont parfois considérés comme des préalables devant être justifiés et validés par d'autres méthodes. La méthode clinique se distingue donc de la méthode expérimentale en ce qu'elle ne coupe pas son objet de la réalité dans laquelle il apparaît110. Claude Revault d'allonnes donne de la démarche clinique les caractéristiques suivantes : elle possède un lien avec la pratique, elle prend en compte le rôle de la demande, l'importance de la relation, de l'implication ; elle a des rapports avec la psychanalyse et procède à une réévaluation du social. Les conditions de rigueur se trouvent remplies lorsque la démarche prend en compte l'implication du clinicien et lorsqu'elle tente d'élucider la masse d'implicite présente dans ses stratégies et ses dispositifs. La méthode et l'attitude cliniques ne signifient pas qu'aucune procédure d'objectivation soit utilisée : les tests, les techniques projectives, les différentes techniques d'entretien, la filmographie... constituent des outils utilisés dans la démarche clinique et peuvent faire l'objet de quantification. Mais leur utilisation répond plus souvent à une recherche de processus, à un souhait de qualifier (et non pas forcément de quantifier). Les échelles quant à elles, qui restent descriptives, extérieures, et quantitatives, sont utilisées en clinique, mais semblent plus éloignées de la problématique de la méthode clinique. Il reste que dans le domaine psychologique c'est avant tout le symptôme qui est l'objet de la démarche clinique et non le signe.

108- Daniel Lagache (1903-1972) était philosophe (même promotion que Sartre), psychiatre, psychanalyste et psychologue. Ses travaux ont porté sur le deuil, la jalousie, la psychologie clinique, les hallucinations... 109- Rappelons que Jaspers soulignait l'existence d'un rapport compréhensif ne voyait pas dans l'étude d'un cas une méthode suffisante : "Car le jugement concernant la réalité d'un rapport compréhensif dans un cas particulier ne repose pas seulement sur son évidence, mais avant tout sur le matériel objectif de points d'appui palpables (contenus linguistiques, créations intellectuelles, actions, conduite de vie, mouvements expressifs) danslesquels le rapport est compris ; ces objectivités restent cependant toujours incomplètes. Toute compréhension de processus singulier réel reste, pour cette raison, une interprétation qui ne peut atteindre des degrés relativement élevés de complétude du matériel objectif convaincant que dans des cas rares". 110- Sur les problèmes de la méthode clinique voir BOURGUIGNON O. Recherche clinique et contraintes de la re-cherche. Bulletin de Psychologie. 1986, 39, 377 : 750-754. JEAMMET N. Ebauche d'une méthodologie dans le champ de la recherche clinique. La psychiatrie de l'enfant, 1982, 25, 2 : 439-485. VEIL C. Potentiels vitalisant et mortifiant de la rigueur en clinique, Bulletin de Psychologie, 1986, 39, 377 : 754-759. REUCHLIN M. Clinique et vérification. Bulletin de Psychologie, 1972, XXVI : 550-563. REUCHLIN M. Options fondamentales et options superficielles. Revue de Psychologie Appliquée,1981,31,2 : 97-115. WIDLOCHER D. Pratique et recherche clinique. Revue de Psychologie Appliquée,1981 ,31, 2 : 117-129.

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La raison de l'existence d'une démarche clinique tient à la nature de certains faits111. Un pra-ticien, un chercheur peut en effet avoir deux attitudes face à l'objet réel : réduction de cet objet à ce qui est cernable par des méthodes réputées scientifiques, ou bien, tentative de saisir cet objet tel qu'il se présente pour en délimiter les différents aspects. La clinique paraît forcément moins "rigoureuse" que l'approche scientifique qui, quant à elle, ne répond pas aux questions posées par la réalité clinique. La clinique en tant que méthode et en tant que démarche est donc le lieu où s'élaborent des observations originales et des formes de questionnement. c.3. Les ambiguïtés.de cette position Les différents sens de clinique, psychologie clinique, méthode clinique, pathologie aboutis-sent à un certain nombre de problèmes. Le terme clinique garde son plein sens lorsqu'il est employé à propos du psychologue : par-ler d'un psychologue clinicien, c'est faire référence, le plus souvent, à un psychologue qui rencontre des malades (ou des "sujets en souffrance") et qui a une responsabilité technique dans les interven-tions auprès de ces patients. Mais, dans l'état actuel de l'usage du terme, on suppose que ce psycho-logue utilise des méthodes cliniques et non pas seulement des procédures d'objectivation (psychométrie) ou des thérapeutiques strictement codifiées (comme la psychomotricité ou une forme de rééducation par exemple). On suppose donc d'un psychologue clinicien qu'il est attentif à la situation globale, qu'il sache la décoder, qu'il sache reconnaître sa place et ses effets, mais aussi qu'il ait une distance par rapport à ses outils. On admet en fait qu'il travaille sans réduire le nombre de variables de la situation. On opposera alors praticien (celui qui exerce une technique) et clinicien (celui qui peut exercer une technique en la replaçant dans un contexte plus global). Ici se situent plusieurs problèmes que nous mentionnons uniquement pour faire comprendre les multiples significations et les contradictions du terme clinique : - un enseignant est-il un clinicien ? A priori non, il s'agit d'un praticien de l'"éducation". Pourtant son mode de travail, sa relation à sa classe peuvent être considérés comme cliniques s'il adopte certaines attitudes. Il y a bien un savoir clinique de l'enseignant, mais à ce moment là il faut retirer au terme clinique sa connotation "pathologique". On admettrait toutefois de parler d'un édu-cateur ou d'un infirmier psychiatrique en tant que clinicien, sans doute cette fois à cause de la con-notation "pathologique". On ne confondrait toutefois pas cette "clinique" (en tant que domaine de signes et de relations) avec la clinique du psychiatre112 ou du psychologue. - un observateur psychologue dans une classe est-il un clinicien ? S'il emploie une méthode clinique, il sera en position de clinicien ; toutefois sa non intervention fait de lui quelqu'un qui ne

111- Il y a chez Piaget des éléments de la méthode clinique. Dans son Autobiographie (1950) Piaget appelle sa méthode "interrogatoire en profondeur". Cette méthode s'appuie sur deux expériences : la consultation de malades (Saint Anne) et le laboratoire de Binet. Critique de Wallon : "La méthode qui a conduit M. Piaget à des résultats si féconds, est, elle aussi fort originale. Son auteur la baptise "méthode clinique". C'est, en somme, la méthode d'observation, qui consiste à laisser parler l'enfant, et à noter la façon dont se déroule sa pensée. La nouveauté, ici, c'est de ne pas se borner à enregistrer la réponse que donne l'enfant à la question qu'on lui a posée, mais de le lais-ser causer". 112- Il suffit de relire les textes historiques - mais pas seulement - de la psychiatrie pour comprendre qu'une part du savoir psychiatrique et psychopathologique est tirée des observations des infirmiers, à commencer par la libération, par Pinel, des fous enchaînés. On sait aussi, par expérience, que le travail de secteur et et le travail institutionnel en psychiatrie reposent sur le "savoir clinique" des infirmiers

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réalise pas d'acte clinique. Il ne peut donc être confondu avec un psychologue clinicien participant au soin d'enfants psychotiques par exemple. - un psychologue faisant de la psychométrie est-il en clinicien ? Il est un praticien d'une technique, s'il se limite à elle on dira difficilement qu'il est clinicien, s'il analyse la relation avec le sujet, on dira qu'il a une attitude clinique. Il existe pourtant un savoir clinique chez toute personne qui fait passer des tests et qui les interprète. - un psychologue en position de psychanalyste est-il un clinicien ? On a coutume de ré-pondre par l'affirmative : sujet, singularité, silence des théories (et pas seulement des théories !), analyse de la relation (transfert), relation entre les éléments apportés et la situation globale, irréduc-tibilité du cas à un autre... tout y est. Pourtant, le terme analyse suppose une atomisation, et l'analyse est une situation extraordinairement contraignante dans laquelle apparaît un "calcul de l'interprétation". On pourrait ainsi multiplier les exemples qui montrent le décalage entre les conceptions théoriques et l'aire sémantique des usages courants. On peut donc en retenir quelques points de re-pères généraux : - clinique peut désigner le domaine de la rencontre entre un psychologue et un sujet ou un groupe de sujets, rencontre dans laquelle est appliquée la méthode clinique (étude de la singularité, sans référence à des théorie, primat du voir et de l'entendre, mise en relation des phénomènes avec la totalité de la situation, en particulier le psychologue). - clinique peut désigner le domaine de la rencontre avec la souffrance, son observation et les interprétations singulières qui en sont données en dehors de la référence à tout système global ex-plicatif ; dans ce cas on peut parler de clinique psychiatrique, de clinique psychanalytique, de cli-nique de la névrose... pour rester dans notre domaine. Une clinique psychologique de la dépression serait : le recensement de toutes ses formes de manifestations (signes et symptômes) dans la rela-tion avec le sujet, les rapprochements faits entre toutes ces formes, la relation avec le psychologue, les différents rapports que les symptômes ont avec l'histoire singulière du patient. On voit qu'ici c'est le domaine (souffrance) et la méthode qui permettent de parler de clinique. - par extension, clinique se dit de toute situation de rencontre thérapeutique ou de dia-gnostic avec des malades (donc avec des sujets qui sont par ailleurs objets de la médecine). La question est alors de savoir quels sont les rapports entre activité clinique, activité technique et activité paraclinique. - par extension clinique désigne toute procédure d'observation (quantifiée ou non) qui n'est pas expérimentale, mais qui ne tient pas pour autant compte de la totalité de la situation. On parle ainsi de recherche clinique pour des situations qui sont "paracliniques"113. On s'éloigne nettement des conceptions "traditionnelles"

113- .Voir le récent article d'Odile BOURGUIGNON Recherche clinique en psychologie. Psychologie Française, 1988, 34, 4 : 267-279. Voir aussi le numéro spécial de Psychiatrie Française , 1988, n° 4 consacré à la recherche clinique en psychiatrie et le numéro de Psychologie Médicale, 1988, 20, n° 12 "Epistémologie et Méthodologie en Recherche Psychiatrique". La plupart des recherches quantitatives en psychiatrie possèdent certes un point de départ clinique, mais leur méthode ne l'est pas puisqu'elles travaillent avec des outils d'objectivation permettant de standar-diser les observations et de faire apparaître des faits ; il s'agit alors du domaine et non de la méthode clinique. Ces recherches choisissent un niveau restreint de réalité, des concepts précis et opératoires, formulent des hypothèses claires, vérifiables, reposant sur des variables contrôlées et mettent en oeuvre des procédures de validation cohérentes. Si elles s'adressent aux cliniciens auxquels elles apportent un savoir efficace et une perception différente des facteurs en cause dans les faits cliniques, elles laissent de côté la logique des situations, des processus, ou de la relation et l'agencement concret des processus. Leur aspect insatisfaisant pour le clinicien tient précisément à leur aspect parcellaire, à leur faiblesse heuristique et à leur décalage réducteur avec les situations cliniques. A cette forme de recherche, on peut opposer les travaux qui portent sur la "clinique de la singularité" et qui s'intéressent non

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c.4. Conception pragmatique de la psychologie clinique Pour intéressantes et fécondes que soient les orientations du courant postérieur à Lagache et à Favez-Boutonier, elles aboutissent à la création d'une sorte de "psychologie générale clinique"114 (clinique étant à entendre comme une méthode extrêmement restrictive) qui finit par n'avoir que peu de contact avec le domaine clinique lui-même. Comme on a pu le remarquer, certaines difficultés tiennent aux multiples sens du terme "clinique" et aux confusions entre "méthode clinique", "domaine clinique", "pratique de la psychologie clinique"… Il est donc possible de considérer que si l'on définit la Psychologie Clinique par son domaine (celui de l'activité du psychologue clinicien), on y inclut les objets de la psychopathologie (souffrance), mais aussi tout ce qui concerne les rapports - psychologiques - concrets (c'est-à-dire hors du Laboratoire) entre le sujet et son environnement. La Psychologie Clinique a ainsi pour objet la maladie, la souffrance, les troubles du comportement, mais aussi les situations de groupes, de formation, son plan de référence étant celui de l'individu et des mécanismes qu'il utilise. Si l'observation, l'écoute, le recueil de matériel standardisé demeure sa méthode principale, elle n'exclut pas de recourir à des techniques d'observation, de production des comportements et de traitement des résultats qui sont ceux employées en Psychologie expérimentale sans qu'il s'agisse là de sa méthode principale. En 1983 Didier Anzieu avait ainsi tenté une nouvelle définition large de la Psychologie Clinique : "Elle est une psychologie individuelle et sociale, normale et pathologique ; elle concerne le nouveau-né, l'enfant, l'adolescent, le jeune adulte, l'homme mûr, l'être vieillissant et enfin mouurant. Le psychologue clinicien remplit trois grandes fonctions : de diagnostic, de formation, d'expert apportant le point de vue psychologue auprès d'autres spécialistes. Le psychologue clinicien reçoit aussi une formation de base nécessaire mais non suffisante pour devenir éventuellement psychothérapeute, à charge pour lui d'acquérir ailleurs la solide expérience psychanalytique requise, personnelle et technique. Une distinction, plus facile à établir sur le papier que dans la pratique, doit néanmoins être maintenue comme capitale : le

plus aux faits isolés mais aux interactions et aux modes de fonctionnement. Nous pensons ici aux travaux qui prennent appui sur des situations cliniques complexes, tentent de mettre en évidence des processus généraux, mais spécifiques à un domaine, et procèdent à la discussion contradictoire d'hypothèses à partir du recueil d'un matériel en respectant la spécificité de la méthode clinique (singularité et soumission à la totalité de l'expérience) tout en utilisant des procédures d'objectivation. Ce courant, représenté par les travaux de N. JEAMMET, d'O. BOURGUIGNON, de B. GIBELLO, ou de L. SLAMA, tente donc de rendre intelligible une réalité complexe et de définir un cadre de réflexion et d'interprétation nouveau. Ce qui donne à ces travaux cliniques leur particularité réside dans l'apport d'éléments de connaissance et d'interprétations originales, mais surtout leur rapport au corpus théorique. Ce dernier est utilisé comme un ensemble de propositions logiques permettant de faire apparaître dans le matériel clinique des éléments pertinents et de combiner les interprétations dans une construction partielle, soutenue par un système élaboré. L'intérêt de ces recherches réside dans le fait qu'elles se dégagent à la fois de la parcellisa-tion des objets et de la "clinique de l'ineffable" pour proposer des modèles explicatifs tenant compte des processus. 114- Prévost in "Janet, Freud et la psychologie clinique" (1973, Payot) rappelle que "si le seul dogme de la psychologie clinique est la reconnaissance de la singularité, il reste que la psychanalyse est un modèle idéologique, dogmatique et universalisable, une théorie si l'on veut, résumable en lois où certains voient les articulations d'une nouvelle conception de la nature humaine. Des tensions risquent d'apparaître entre psychologie clinique et psychanalyse, rapidement étouffées par la prégnance de celle-ci, mais qui risquent de réapparaître au niveau de la formation universitaire et psychologues cliniciens…"

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psychologue clinicien à affaire à des "effets de transfert", qu'il doit savoir identifier ; seul le psychanalyste travaille sur la "névrose de transfert"115. Ces définitions pragmatiques possèdent plusieurs conséquences : - distinction entre psychanalyse et psychologie clinique, - délimitation d'un domaine, d'objets et d'un ensemble de méthodes - production de conceptions théoriques Dés lors, il y a peu de différences entre la psychopathologie, telle que nous l'avons définie plus haut, et la plus grande partie de la psychologie clinique ainsi conçue. La définition de Lagache est d'ailleurs assez éclairante : "La psychopathologie met en oeuvre toutes les méthodes psychologiques possibles, et elle les applique à des hommes vivants, pour lesquels les plus grandes réalités humaines, la vie et la mort, la santé et la maladie, la liberté et la détention, l'amour et le travail, sont en jeu. Par là elle est une inégalable école de psychologie concrète et vivante"116 c.5. Les rapports avec la psychanalyse Les rapports avec la psychanalyse - spécificité française - sont de plusieurs ordres : référence aux théories psychanalytiques, référence à l'expérience analytique comme activité différente mais informative, rapport individuel du psychologue clinicien à la pratique psychanalytique, à l'analyse personnelle, aux théories psychanalytiques. Les très conflictuels débats autour des rapports entre psychanalyse et psychologie clinique117 ont abouti soit : - à l'exclusion de la psychanalyse118 - à une contestation de la psychologie clinique au nom des conceptions psychanalytiques119

115- ANZIEU D. (1983) Possibilités et limites du recours aux points de vue psychanalytiques par le psychologue clinicien. Connexions, 1983, 40 : 31-37. Rappelons que Anzieu est analyste. Il est donc logique de retrouver cette insistance de distinction. Il ajoute par ailleurs "La référence importante mais non exclusive à la psychanalyse (l'ouverture à la psychologie dynamique, à la gestalttheorie, à la théorie des systèmes, à la théorie interctionniste, ect. ) contribue à fonder le sentiment d'identité professionnelle du psychologue clinicien, sentiment qui demande à être renforcé par un élargissement du consensus au domaine de la formation universitaire de futurs psychologues cliniciens et pas l'affiliation à un groupe commun tolérant la pluralité des tendances et vigilant à l'égard de tout risque de main mise par un sous-groupe". 116- LAGACHE D. La méthode pathologique. In Oeuvres Tome 1, Paris, PUF, 267. 117- Nous avons dèjà fourni quelques citations concernant ce problème plus haut. Nous pensons que la lecture de l'ouvrage de Prévost sur la psychologie clinique, de ceux de Huber est essentielle. On peut aussi se reporter à GORI R., MIOLLAN C. (1983) "Psychologie clinique et psychanalyse : d'une inquiétante familiarité". Connexions, 1983, 40 : 7-29, à ANZIEU D. (1983) Possibilités et limites du recours aux points de vue psychanalytiques par le psychologue clinicien. Connexions, 1983, 40 : 31-37. 118- C'est l'attitude majoritaire dans le monde. Se reporter aux livres de Huber. 119- Ainsi Ginette Michaud avance-t-elle que "l'existence même d'énoncés fantasmatico-idéologiques sur la pratique de la psychologie clinique, rend cette pratique vaine, voire scientifiquement une imposture, lorsqu'elle prétend s'exercer hors du référent psychanalytique. C'est-à-dire sans ces références minimum au corpus freudien qui supposent les concepts de transfert, d'inconscient et de désir". "Il faudrait qu'il (psychologue) travaille à briser ses propres articulations fantasmatico-idéologiques pour tenter de s'ouvrir à la cartographie du désir, tant sur le plan personnel qu'au niveau institutionnel. Cette remise en question lui offrirait d'abord la possibilité de cesser de perpétuer de l'un et du même pour s'ouvrir aux insignes de la différence, de l'invention, de la surprise ; elle l'engagerait ensuite à chercher des types de modèles distincts de l'herméneutique classique, pour aborder ce qu'il en est l'inconscient de groupe en groupe. "

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- à une utilisation du label universitaire "psychologie clinique" comme masque pour la psychanalyse120 - à une "utilisation/application" de conceptions issues de la psychanalyse - mais au même titre que d'autres informations - dans le cadre de la psychologie clinique. C'est ce que soulignait Anzieu121 : "La référence à la théorie, il vaudrait mieux dire aux théories psychanalytiques, apparaît fondamentale, mais non exclusive : nous enseignons, nous avons à enseigner d'autres théories, mais il faudrait préciser lesquelles. L'enseignement de la psychanalyse que nous donnons porte sur les concepts et sur ce qui, de la démarche psychologique, peut être transposé aux situations d'examen psychologique, de conseil psychologique, d'animation ou d'intervention psychologique dans des groupes ou des institutions. Mais, en tant qu'enseignants chercheurs de psychologie clinique, nous ne formons pas des psychanalystes…"

c.6. Conclusion Il convient d'en revenir à une définition pragmatique dela Psychologie Clinique pour la si-tuer par son domaine122 qui est avant tout celui de la souffrance et du dysfonctionnement (qui en constituent le noyau dur) mais aussi de situations qui sont du registre de la normalité : le dévelop-pement, comme l'a montré Piaget, peut aussi être du ressort de la Psychologie Clinique, comme certains objets psychosociologiques.

En Psychopathologie il est logique de proposer, à la suite de D. Widlöcher, un pluralisme psychopathologique dans le cadre duquel la psychanalyse aurait - sans exclusive - une triple fonction : 1- conceptualisation des processus observés, 2- compréhension psychopathologique des différents troubles et dysfonctionnements, y compris chez le sujet normal, 3- recours à la psychologie dans la psychiatrie et la démarche analytique elle- même.

4)- La psychopathologie quantitative Ce terme est apparu récemment à la suite des travaux de Pichot, Widlöcher, de Bonis pour désigner l'utilisation de méthodes quantitatives dans le domaine de l'étude de la pathologie mentale. Il va sans dire que cette psychopathologie va plus loin que la simple description par des chiffres. Il ne s'agit là que du moyen de mise en évidence des faits permettant de proposer des hypothèses ex-

120- Voir sur ce point les analyses de Prévost. 121- ANZIEU D. (1983) Possibilités et limites du recours aux points de vue psychanalytiques par le psychologue clinicien. Connexions, 1983, 40 : 31-37. 122- et secondairement seulement par la méthode dans la mesure où la notion de méthode clinique réduite à l'entretien et l'étude de cas pose un problème évident de limitation du champ et aboutit immanquablement à la situation dans laquelle s'est touvée la Psychologie Clinique française avec sa graduelle destruction face à la Psychanalyse et aux développements pratiques de la Psychologie Expérimentale renouvelée par la Psychologie Cognitive et la Neuropsychologie.

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plicatives. La théorie du ralentissement dépressif de Daniel Widlöcher repose sur cette probléma-tique. La question de savoir si cette psychopathologie quantitative123 peut être clinique est réduc-tible aux interprétations proposées précédemment : elle correspond à une clinique psychopatholo-gique, à un contact avec le malade, elle n'est pas expérimentale, mais elle réduit les variables de telle sorte qu'on ne peut réellement la considérer comme clinique, du moins au sens de Lagache et de Janet, sens que l'on est tenté de qualifier d'"extrême". En toute logique, il convient de distinguer, parmi les méthodes utilisées par la psychopathologie quantitative, celles qui servent à observer les faits et celles qui servent à traiter le matériel (techniques statistiques et informatiques). Ces dernières sont le plus souvent utilisées dans une démarche de recherche ou d'admnistration de la preuve. Les méthodes d'observation quantitative sont les tests psychométriques, les techniques projectives se prêtant à une analyse quantitative, les techniques d'observation permettant des évaluations graduées, et surtout les échelles d'évaluation. Cette psychopathologie quantitative privilégie la mesure des phénomènes pathologiques tant dans l'activité clinique que dans la recherche. Elle peut être susceptible de fournir des éléments essentiels à l'appréciation des effets thérapeutiques qu'il s'agisse de chimiothérapie ou de psychothérapie. On peut considérer que l'épidémiologie est une forme de psychopathologie quantitative qui vise à dénombrer les troubles dans une population. Si la psychopathologie quantitative - qui peut être comparée à une psychologie clinique "armée" - correspond généralement à la mesure d'un fait sur un groupe d'individus représentant une catégorie ou un type (par exemple mesure de l'anxiété chez les déprimés), elle a aussi sa place dans les études de cas en s'intéressant aux corrélations entre plusieurs variables chez un même sujet (plan d'expérience pour cas unique). 5)- La neuropsychologie Depuis quelques années, cette discipline "carrefour" se développe et se diversifie. Elle est née des travaux du début du XIXème siècle qui tentaient de mettre en relation certaines fonctions mentales et certaines zones du cerveau. Les travaux de Gall, puis ceux de Broca sur l'aphasie, représentent la préhistoire de la neuropsychologie. La neuropsychologie a donc pour objet d'établir une relation entre 1- les structures et le fonctionnement du cerveau et 2- le comportement et les opérations mentales. La neuropsychologie (rapports entre le fonctionnement cérébral et les phénomènes psychologiques, normaux ou pathologiques) est une discipline autonome que certains estiment être la branche psychopathologique de la psychologie cognitive, mais une partie de ses activités pratiques et des ses objets théoriques sont communs avec la psychologie clinique. Elle comporte en

123- Voir BOBON D. Us et abus des échelles d'évaluation en psychopathologie. Psychiatrie & Psychobiologie, 1987, II, 6 : 379-385. de BONIS M. (1988) Sagesse et illusions en psychopathologie quantitative. Psychologie Médicale, 1988, 20, 12 : 1757-1759.

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effet des objectifs de recherche et des objectifs cliniques (examens, prise en charge des patients). Les interventions cliniques et rééducatives portent sur des patients cérébro-lésés, ou atteints de démences, mais aussi sur des patients atteints d'une maladie mentale (schizophrénie par exemple) dans laquelle certains troubles (raisonnement, communication, langage…) peuvent nécessiter une étude neuropsychologique. L'approche de ces patients suppose nécessairement une perspective diagnostique et thérapeutique portant sur le symptôme, mais aussi une approche singulière du sujet "victime" de ce symptôme124. Les troubles du langage (différentes formes d'aphasie, oubli du mot…), les agnosies, les apraxies, les troubles de la mémoire, les troubles moteurs, la perception de l'espace, la lecture, le calcul mental, les troubles de l'expression des émotions… constituent, par ailleurs, des objets de la neuropsychologie qui intéressent très directement les cliniciens dont l'interrogation se situe au niveau de l'utilisation des outils diagnostiques, au niveau du fonctionnement cognitif, des mesures de rééducation pour les patients dont ils ont la charge. Mais les conceptions théoriques de la neuropsychologie, bien que cognitives, ne sont pas systématiquement antinomiques avec celles de la psychologie clinique, même celles qui se réfèrent à la psychanalyse. Tant pour la psychologie clinique que pour la neuropsychologie il paraît essentiel que l'on admette qu'il existe des troubles (isolables, à décrire, faisant l'objet d'une thérapeutique ou d'une rééducation appropriées) qui atteignent des individus (c'est-à-dire des sujets possédant une histoire, une économie psychique, des conceptions, des investissements spécifiques) affrontés à certaines situations. III)- LES OUTILS UTILISES EN PSYCHOLOGIE CLINIQUE 1)- Les particularités de la méthode clinique. La méthode clinique comporte deux niveaux complémentaires: le premier correspond au recours à des techniques (tests, échelles, entretien…) de recueil in vivo des informations (en les isolant le moins possible de la situation "naturelle" dans laquelle elles sont recueillies et en respectant le contexte du problème) alors que le second niveau se définit par l'étude approfondie et exhaustive du cas. On comprendra aisément que toutes les situations n'impliquent pas d'analyse exhaustive d'un cas, pas plus que la progression des connaissances, ne peuvent se fonder uniquement sur la méthode des cas sans comparaisons, regroupements ou généralisations. La différence entre le premier et le second niveau ne tient pas aux outils ou aux démarches mais aux buts et aux résultats : le premier niveau fournit des informations, le second vise à comprendre un sujet, ce que n'impliquent pas toutes les situations cliniques, notamment celles qui concernent la recherche sur des phénomènes psychopathologiques. Les techniques utiliséees sont l'entretien, les tests, les échelles d'évaluation, le dessin, le jeu, l'analyse de textes écrits, l'observation, le recueil des informations pouvant faire l'objet de différents types de traitement (analyse de contenu, analyse "psychopathologique", analyse de l'énonciation…). Lorsque ces méthodes s'appuient sur un matériel standardisé, lorsqu'elles visent une objectivation (tests, échelles, observations standardisées…), on parle de "clinique armée" ou de "clinique instrumentale". Pour certains auteurs français le terme "clinique" ne peut s'appliquer qu'aux activités non instrumentales. Les méthodes cliniques visent moins un résultat précis qu'un faisceau d'éléments dont les interrelations

124- Pour comprendre la nature de certains problèmes concrets de neuropsychologie clinique, on pourra consulter SACKS O. (1985) L'homme qui prenait sa femme pour un chapeau. Paris, Seuil, 1988, qui fournit de nombreuses histoires de malades.

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doivent être analysées. Elles se distinguent en cela des méthodes qui impliquent un protocole précis et intangible subordonnant la validité du résultat au suivi rigoureux de ce protocole (méthode expérimentale par exemple). Bien que certains cliniciens aient du mal à le reconnaître, les observations de Piaget, ses études du raisonnement de l'enfant procèdent d'une démarche clinique et sont une application de la méthode clinique. Historiquement et pratiquement la méthode clinique se distingue d'autres méthodes utilisées en psychologie clinique : méthode expérimentale, méthode génétique, méthode différentielle… Elle s'en distingue d'autant mieux que la plupart d'entre elles sont des méthodes de recherche (qui visent donc à produire des connaissances validées) et non pas des méthodes permettant une intervention thérapeutique ou une forme d'influence sur le comportement ou les pensées d'un individu. Mais se distinguer ne veut pas dire s'opposer : la psychologie clinique apporte d'autres informations, notamment dans des situations où le recours aux autres méthodes est impossible, insuffisant ou inapproprié. Considérer que la psychologie clinique s'oppose radicalement à la psychologie expérimentale ou à la psychologie du développement pour produire une psychologie générale qui couvre tous les domaines est du registre de l'erreur. La méthode expérimentale vise à isoler un certain nombre de variables qui semblent influencer le comportement étudié de manière à établir des liens de causalité entre des événements internes ou externes et les comportements. Pour réaliser cet objectif elle édifie une situation expérimentale (en laboratoire) qui est artificielle et rigoureusement contrôlée (contrainte). Cette situation permet, par la répétition des comportements, de valider les hypothèses formulées à partir des constructions théoriques, de les soumettre à l'épreuve des faits, d'utiliser la statistique pour décider de l'acceptation ou du rejet de l'hypothèse et de tirer les conclusions psychologiques correspondantes. On appréhende ici les différences : la méthode clinique ne réduit pas son objet à des variables isolées, elle reste au plus près du concret et ne tente pas de reproduire les phénomènes cliniques dans un cadre contrôlé. Mais la méthode expérimentale peut, en certaines occasions, apporter à la recherche en psychologie clinique des éléments importants en validant certaines des hypothèses ou en contribuant à analyser certains phénomènes cliniques : son apport est net dans le domaine des thérapies cognitivo-comportementales, de la neuropsychologie et de la psychopathologie cognitive (analyse du raisonnement chez les schizophrènes par exemple). Les différences entre méthode clinique et méthodes génétiques (analyses du développement chez l'enfant, mais aussi chez l'adulte et le sujet âgé) sont moins radicales dans la mesure où la clinique s'intéresse aussi au développement. Tant Piaget que Wallon peuvent être à bon droit considérés comme utilisant à certains moments une méthode clinique, même si cet usage n'est pas exclusif et si leur objet est autre que celui de la psychologie clinique. Si la méthode longitudinale est proche des exigences classiques de la clinique, en revanche la méthode transversale (analyse du développement des conduites en différenciant les niveaux et en les comparant) pourrait paraître contradictoire avec certaines conceptions cliniques qui placent l'individu au centre. Il faut ici encore distinguer les interventions pratiques et la recherche. L'observation clinique - surtout dans le domaine de l'enfant - correspond assez souvent à une méthode longitudinale puisqu'elle passe par l'étude des changements, de l'évolution du sujet, mais l'utilisation de méthodes transversales semble, quant à elle, peu appropriée à un travail clinique. En revanche, dans le domaine de la recherche en psychologie clinique, il n'est pas exclu de faire appel à ce type de méthodes pour produire des

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informations sur le développement, voire pour valider par d'autres méthodes ce que l'observation clinique a pu mettre en évidence. Le problème est d'autant plus important que la psychologie clinique se réfère très fréquemment aux problématiques du développement et que, si elle peut s'appuyer sur les autres théories du développement, elle doit aussi constituer son propre corpus de connaissances, ce qui peut comporter l'utilisation de techniques dépassant la simple observation et le recours à des procédures transversales, mais aussi comparatives utilisées en psychologie différentielle. 2)- Les tests La psychométrie est une méthode d'évaluation des phénomènes psychiques utilisant des instruments standardisés permettant de mesurer les composantes psychologiques. Galton peut être considéré comme le fondateur de cette conception. Les tests mentaux, les échelles d'évaluation, les listes de critères appartiennent à la psychométrie. Le terme anglo-saxon "test" signifie "épreuve" et semble être dérivé du vieux français, voire du vocabulaire alchimiste ("taste" : épreuve permettant de reconnaître la transmutation des métaux). Binet "inventera", avec Simon, le premier test d'intelligence qui était à l'origine destiné à séparer les élèves qui ne pouvaient suivre une scolarité normale (dépistage des arriérations). Cette démarche objectivante permettant de comparer les sujets n'est naturellement pas en contradiction avec l'approche compréhensive. Elle permet d'étayer certains jugements qui portent sur des faits. La construction des tests répond à des normes précises et ils doivent posséder des qualités métrologiques (cf. supra les "échelles d'évaluation"). Les projets de diagnostic (évaluation), de comparaison, voire de sélection justifient fréquemment l'utilisation des tests. a)- Types de tests Il existe de nombreuses formes de tests distingués en fonction de leur objet d'étude. Le but des tests est de faire apparaître certains troubles que les entretiens ne permettraient pas de repérer précisément (production d'informations inaccessibles), de fournir des résultats valides et objectifs, c'est-à-dire non soumis à la subjectivité du psychologue (objectivité) et d'enrichir le bilan clinique (ils ont alors le statut d'examens complémentaires). Les tests ne sont pas spécifiques à la psychologie clinique, ils sont utilisés avec des buts différents dans chacune des sous-disciplines de la psychologie. b)- Les tests cognitifs Parmi les épreuves les plus utilisées en psychologie clinique on rencontre les tests d'intelligences dont beaucoup fournissent un résultat en termes de Quotient Intellectuel (Q.I.), la notion d'Age Mental étant désormais obsolète. Ces tests sont plus souvent employés dans le domaine de la clinique de l'enfant ou de l'adolescent, le développement des fonctions intellectuelles étant supposé s'arrêter à la fin de l'adolescence125, mais il existe des échelles destinées aux adultes, certaines d'entre elles permettant aussi de calculer un indice de détérioration rendant possible

125- Sur les problèmes du développement cognitif et de la méthode des tests on pourra consulter : BIDEAUD J., HOUDE O., PEDINIELLI J.L. (1993) L'homme en développement. Paris, P.U.F.

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d'évoquer une atteinte (par exemple démence) des capacités cognitives et de localiser certaines des opérations intellectuelles mises en cause. Malgré la fréquence d'utilisation de ces épreuves nombre de critiques ont été portées contre elles tant sur la définition de l'intelligence que sur la capacité des tests à la mesurer ou sur la pertinence de la standardisation. Piaget notamment, a souligné l'aspect formel, partiel et inadapté de certains tests d'intelligence dans l'analyse du raisonnement de l'enfant, ce qui inviterait alors à parler plutôt de tests cognitifs. Les tests d'intelligence les plus classiques utilisés dans le domaine de l'étude des facteurs intellectuels chez l'enfant sont :

- Le Binet-Simon est le premier test d'intelligence dont ont été dérivées plusieurs autres épreuves comme le Terman-Merrill ou la Nouvelle Échelle Métrique d'Intelligence (N.E.M.I.) de Zazzo. - La N.E.M.I. s'adresse aux enfants de 3 à 14 ans. Ses résultats sont très corrélés à la réussite scolaire. Il comporte plusieurs types d'épreuves variables selon les âges : rendre la monnaie, reconnaître des phrases absurdes, définir des termes de vocabulaire, épreuves de logique verbale… - La W.I.P.P.S.I. (Échelle d'intelligence de Wechsler pour la période préscolaire et primaire) qui s'adresse à des enfants entre 4 ans et 6,5 ans. - La W.I.S.C. (Échelle d'intelligence de Wechsler pour enfants) concerne les enfants de 5 à 15 ans 11 mois et se compose de 12 échelles regroupées en épreuves verbales et épreuves performances. La W.I.S.C. fournit donc une note par épreuve, un Q.I. "performance", un Q.I. "verbal" et un Q.I. global, tous interprétables. Il est sans doute l'outil le plus utilisé en psychologie clinique de l'enfant notamment chez ceux présentant des difficultés scolaires, malgré certaines imperfections, notamment parce qu'il permet le diagnostic affiné des problèmes cognitifs. - Les échelles dérivées des travaux de Piaget, notamment les étapes de l'intelligence sensori-motrice de Casati et Lézine ou l'Échelle de Développement de la Pensée Logique de Longeot qui permet d'analyser les fonctions cognitives en référence aux stades opératoire concret et opératoire formel. Les épreuves portent notamment sur la conservation du poids et du volume, la quantification des probabilités, le schème de logique interpropositionnelle…

Il existe aussi des tests cognitifs destinés à l'adulte, notamment la W.A.I.S. (Échelle d'Intelligence de Wechsler pour Adultes) qui présente la même structure que la W.I.S.C. et permet de calculer la probabilité de détérioration mentale. L'attention des cliniciens est naturellement attirée par le fait que certains facteurs favorisent - ou défavorisent - l'intégration mnésique. Il s'agit par exemple de :

- l'âge : les capacités de traitement de l'information, notamment la mémoire, peuvent baisser avec l'âge. - l'apprentissage qui favorise l'intégration mnésique. - les motivations (l'apprentissage est d'autant plus rapide et efficace qu'il est important pour le sujet).

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- l'attention et la vigilance : un niveau élevé favorise une bonne intégration mnésique alors que la fatigue ou la distraction limitent l'intégration - les émotions - certaines substances pharmacologiques augmentent la vigilance (amphétamine, caféine) alors que d'autres peuvent la limiter (neuroleptiques, anxiolytiques…).

Les tests ont fait l'objet de critiques de la part de certains cliniciens plus préoccupés d'implication que d'objectivité des informations. Il est vrai qu'un simple résultat en termes de Q.I. ne saurait avoir un quelconque intérêt quant à la définition des difficultés d'un sujet ni même quant à l'organisation de son raisonnement et de ses compétences cognitives. En revanche, un test cognitif peut être un excellent instrument clinique à condition de l'intégrer dans une approche plus globale et de se donner les moyens de procéder à un authentique diagnostic des fonctions intellectuelles. Un test comme la W.I.S.C. se prête tout à fait à cette démarche diagnostique à condition de connaître les facteurs impliqués dans chaque échelle et de pouvoir situer les réussites et les échecs du sujet (méthodes des "scatters"). La W.I.S.C. se compose des sous échelles suivantes à l'intérieur desquelles sont impliqués certains facteurs intellectuels et affectifs

Épreuve Type Facteurs impliqués Information Verbal Adaptation scolaire, Investissement de la scolarité. Compréhension Verbal Adaptation sociale, Sociabilité. Arithmétique Verbal Représentation symbolique, Investissement de la scolarité,

Comportement, Représentation mentale, Valeur symbolique des chiffres.

Similitudes Verbal Conceptualisation, Abstraction, Catégorisation, Généralisation. Vocabulaire Verbal Adaptation scolaire, Verbalisation, Investissement de la scolarité,

Expression verbale. Mémoire des Chiffres

Verbal Mémoire, Valeur symbolique des chiffres.

Complètement d'images

Performance Adaptation à la réalité, Attention au détail, Capacité de perception fine.

Arrangement d'images

Performance Adaptation sociale, Structuration temporelle, Capacité d'ordonner logiquement et temporellement une situation.

Cubes de Kohs Performance Conceptualisation, Représentation symbolique, Motricité, Structuration spatiale, Latéralisation, Capacité d'analyse et de synthèse.

Assemblage d'objets

Performance Structuration spatiale, Latéralisation, Motricité, Schéma corporel.

Code Performance Capacité d'apprentissage, Graphisme, Capacité mnésiques, Concentration, Attention, Apprentissage.

Labyrinthes Performance Coordination perceptivo-motrice, Contrôle de l'impulsivité. La méthode des scatters consiste à comparer le sujet à sa propre moyenne et d'interpréter ses décalages. Si le calcul du QI se fonde sur 10 items, il peut être plutôt homogène (toutes les échelles ont une note proche) ou plutôt hétérogène (les échelles ont des notes très différentes). La

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technique vise à définir des écarts, à situer chacune des épreuves par rapports à ces écarts et, connaissant les facteurs impliqués, à interpréter les dysfonctionnements. On divise le total des notes pondérées par le nombre d'épreuves et on détermine des bornes à distance d'un ou de plusieurs écart-types autour de cette moyenne, bornes correspondant à des zones de faibles ou de fortes réussites qui permettront la comparaison. Un enfant présente une note de 100 pour dix épreuves, sa moyenne personnelle pour chaque épreuve est donc de 10. La détermination des bornes sera donc réalisée à partir de l'addition successive de 1,5 point (pour les zones de bonne réussite) et le retrait successif de 1,5 point (pour les zones de mauvaise réussite), soit :

- 1,5 -,5 -1,5 Moyenne +1,5 +1,5 +1,5 5,5 7 8,5 10 11,5 13 14,5

- - - - - - 0 + ++ +++ Il suffit alors de classer les épreuves en fonction du critère de réussite ou d'échec et d'analyser les résultats à partir des facteurs impliqués. Par exemple

- - - - - - 0 + ++ +++ Information

Arithmétique Vocabulaire Assemblage d'objet

Compréhen. Arrangement d'images Code

Cubes Similitudes Complète-ment d'images

On notera que les facteurs les plus défaillants (quel que soit le résultat global) sont Adaptation scolaire, Investissement de la scolarité, Représentation symbolique, Comportement, Représentation mentale, Valeur symbolique des chiffres alors que les facteurs les plus efficients sont Conceptualisation, Abstraction, Catégorisation, Généralisation, Adaptation à la réalité, Attention au détail, Capacité de perception fine. Les différents décalages, voire les contradictions (même facteur impliqué dans deux échelles dont l'une est réussie et l'autre échouée) permettent une interprétation fine des résultats et la validation des hypothèses à l'aide d'autres tests utilisés comme examens complémentaires, le tout dans une perspective qui est bien clinique. L'évaluation des fonctions cognitives peut s'attacher à plusieurs axes et utiliser plusieurs types de tests que l'on retrouve aussi en neuropsychologie

• Évaluation de l'attention126 Les troubles de l'attention peuvent se caractériser par : la lenteur intellectuelle, la distractibilité, les persévérations, la vulnérabilité à l'interférence (incapacité à inhiber des réponses spontanées mais inappropriées). Pour l'étudier on peut utiliser127 :

126- L'importance de cette question a été renouvelée par l'utilisation - sans doute excessive - du diagnostic de "trouble de l'attention" (cf. DSM-III et DSM-IV), d'hyperactivité, notamment chez l'enfant. 127- Naturellement les tests proposés ne mesurent pas seulement l'attention. En outre les résulats sont sensibles à d'autres facteurs (cf. infra sur les facteurs favorisant l'intégration mnésique.

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- Liste de mots simples (dire le plus rapidement possible - en une période de temps courte (1 mn par exemple - des mots commençant par telle lettre (L ou M) et des mots d'une même catégorie (noms d'animaux par exemple). - Tests de barrage ou de double barrage. - Test de séquences motrices : demander au patient de mimer une séquence de trois mouvements consécutifs (exemple se brosser les cheveux). - Digit Span : répéter après le clinicien des séries de nombres de plus en plus complexes128. - Test de Stroop : étude de la capacité d'inhiber une réponse spontanée (sensibilité à l'interférence) en utilisant notamment les relations entre couleurs désignées (mots désignant des couleurs) et supports matériels de couleur sur lesquels les mots sont inscrits.

• Évaluation de la Mémoire

Les troubles de la mémoire sont impliqués dans de nombreux troubles (notamment les démences). On distingue généralement l'amnésie rétrograde (oubli des événements anciens) et l'amnésie antérograde (oubli des phénomènes récents et difficulté d'apprentissage d'éléments nouveaux). On peut utiliser :

- L'Échelle clinique de Mémoire de Wechsler. Elle se compose de : - épreuve d'orientation temporo-spatiale, - information générale, - attention, - restitution de courtes histoires ordonnées en unités d'information (mémoire logique), - rappel en ordre direct et inverse d'une série de chiffres, - rappel de mots couplés, - reproduction visuelle de formes géométriques.

Elle permet de calculer un quotient mnésique, mais elle mesure principalement la mémoire immédiate, ce qui limite sa portée (certains sujets présentant une amnésie peuvent réussir l'épreuve mais échouer en mémoire différée. Si l'on fait procéder à un rappel (recall) en mémoire différée après 30 mn de délai des sous-échelles mémoire logique (souvenir d'une histoire), reproduction visuelle de formes géométriques, on limite cette difficulté129. - Les 15 mots de Rey : il s'agit d'une épreuve mnésique verbale. Le matériel se compose de deux listes de 15 mots chacune. Après cinq présentations consécutives de la première liste, on demande un rappel immédiat. Puis on lit la seconde liste une fois et un rappel immédiat de cette deuxième liste est requis. Il peut alors arriver que dans le rappel de cette seconde liste se glissent des mots de la première liste (intrusion qui représente un processus d'"interférence proactive"). Après le rappel de la seconde liste, on demande au patient d'énumérer (de mémoire) les items de la

128- Il se trouve aussi dans le WISC et dans le WAIS. 129- A titre d'exemple, après 30 mn., les sujets de la tranche d'âge 30-40 ans, mémorisent 90 de l'information de la tache en mémoire imédiate (sous-échelles verbales et non verbales). Plus les sujets avancent en âge, plus ils montrent un déclin de la rétention immédiate du matériel verbal.

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première liste. L'importance des erreurs induites par l'apprentissage de la liste 2 sur la rétention des items de la première liste représente un processus d'"interférence rétroactive". L'âge affecte les résultats mais le test représente un bon diagnostic des troubles de la mémoire. - La Figure Complexe de Rey. Elle consiste en une reproduction d'un dessin complexe comprenant 36 éléments qualifiants. Dans un premier temps le patient doit reproduire le dessin qui lui est présenté (recopie). Dans un second temps, après un délai de 15 mn le patient doit reproduire de mémoire la figure. La comparaison entre les deux dessins permet de repérer les erreurs de mémoire. - Le Visual Retention Test (VRT de Benton). On présente au sujet des dessins géométriques qu'il doit reproduire de mémoire (après 15 secondes) ou en les recopiant (modèle présent). Plusieurs types de dessins (simples ou complexes) et de reproduction (de mémoire ou de recopie) sont possibles. En fonction de l'âge et du QI certaines erreurs paraissent significatives d'un trouble organique cérébral.

• Évaluation des fonctions perceptivo-visuelles Une partie du cortex participe à la transformation de signaux sensoriels en percepts complexes. L'hémisphère mineur (hémisphère droit chez les droitiers) serait responsable des tâches perceptives non verbales incluant la reconnaissance des visages130. Certaines épreuves visuelles non verbales permettent d'estimer le degré d'intégrité de l'hémisphère mineur.

- Le Test d'Orientation des Lignes (Benton) est une épreuve sensible aux perturbations perceptives. La tâche consiste à désigner parmi 11 traits les deux lignes correspondant à l'inclinaison des stimuli de référence. La performance est faible chez les patients présentant une atteinte de l'hémisphère droit. Chez les sujets ne présentant pas de lésion neurologique, la compétence visuelle est préservée jusqu'à 70 ans ; après 70 ans 11% des sujets considéré comme "normaux" présentent une baisse de performance. Une baisse de performance, après 70 ans implique donc - à 89 chances sur 100 - une atteinte de l'hémisphère droit.

• Épreuves de Raisonnement et d'Abstraction On explore les capacités à manipuler les connaissances acquises et à résoudre de nouveaux problèmes (activités impliquant un raisonnement analogique ou l'extraction de principes abstraits). On peut utiliser :

- La sous-échelle Compréhension du WAIS (cf. infra. ; cette épreuve est très sensible aux données culturelles). - La sous-échelle Similitude du WAIS (cf. infra. ; épreuve malgré tout sensible aux données culturelles et scolaires)131. - Le Wisconsin Card Sorting Test : quatre cartes sont posées horizontalement devant le patient. Il y a en tout 64 cartes (qui représentent des figures géométriques différentes par le nombre, la couleur et la forme). La première carte contient un

130- cf le problème des agnosies et plus particulièrement la prosopagnosie. 131- Ce qui ne veut pas dire qu'elles sont mauvaises mais que certains échecs ou certaines réussites doivent faire l'objet de compléments d'information.

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triangle rouge, la seconde deux étoiles vertes, la troisième trois croix jaunes, la quatrième quatre cercles bleus. Les autres cartes contiennent de 1 à 4 éléments (triangle, étoile, croix, ronds). Il est demandé au patient de découvrir alternativement les trois catégorisations possibles. Il n'est pas informé du principe de classification par catégorie, c'est à lui de déduire le principe à partir de la consigne unique du début "choisissez une catégorie". L'examinateur lui demande de changer de catégorie quand une série de 10 cartes a été correctement choisie. L'épreuve est sensible aux atteintes frontales ; elle est souvent échouée par les schizophrènes.

• Épreuves constructives Les capacités constructives sont liées aux fonctions perceptives et motrices. On peut les évaluer par des épreuves telles que le dessin, les puzzles, les cubes. Bien que ces capacités soient en relation avec le jeu de l'hémisphère droit, des sujets présentant un trouble de l'hémisphère gauche peuvent aussi échouer à ces épreuves. Les différences entre les deux types de trouble sont principalement qualitatives.

- Les patients présentant un trouble de l'hémisphère droit ont une approche constructive partielle et segmentée (ils dessinent des segments de manière isolée et désorganisée ou en omettant des parties du modèle de référence. - Les patients présentant un trouble de l'hémisphère gauche ont tendance à préserver les grandes lignes du modèle mais oublient des détails ou ajoutent des lignes superflues.

On peut utiliser :

- Les Cubes de Kohs (ou l'épreuve des Cubes du WAIS) : épreuve de reproduction de figures complexes. - La Figure Complexe de Rey (cf. infra.) - Le test de l'horloge : copier une horloge en inscrivant les chiffres comme s'il se trouvait face à l'horloge (oubli de la partie gauche dans le cas de négligence hémi-spatiale gauche).

Épreuves utilisées dans le diagnostic de la démence132 La démence est un ensemble complexe de troubles et peut nécessiter l'emploi de plusieurs tests pour apprécier les particularités des troubles de la mémoire, de l'attention, du raisonnement, le syndrome aphaso-apraxo-agnosique… Il apparaît que les troubles cognitifs des déments sont très différents de ceux observés chez les sujets âgés.Wechsler a montré qu'il existait une détérioration des processus cognitifs liée à l'âge : le calcul mental, la mémoire de fixation, les similitudes subissent l'influence de l'âge. L'âge s'accompagne d'une baisse significative des performances à la plupart des épreuves mnésiques (par exemple reconnaissance, reproduction, rappel ou apprentissage). Certains résultats suggèrent que la baisse des performances pourrait être due essentiellement à une difficulté à traiter l'information au moment où les données leur sont présentées pour la première fois. - L'âge ne semble pas affecter la récupération mnésique.

132- Voir le poly II sur les psychoses.

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- Il existe une stabilité relative du QI verbal et un déclin progressif du QI performance. Il y a donc des tests qui "tiennent" avec l'âge et d'autres qui ne "tiennent" pas. - Le digit span, l'orientation temporo-spatiale, l'estimation de l'orientation des lignes ne se modifient pas avec l'âge. - La baisse des performances ne semble due ni à une augmentation de l'inférence proactive, ni à une augmentation de l'inférence rétroactive. - Le déclin des performances avec l'âge ne semble pas directement provoqué par une plus grande difficulté à organiser l'information. - La rétention n'est pas inférieure à ce qu'elle est chez les sujets jeunes. Ce ne sont pas les facteurs intervenants au cours de l'apprentissage qui sont responsables de la baisse de performance avec l'âge. - Le déficit de l'apprentissage pourrait être essentiellement lié à ce que les sujets âgés confrontés à une quantité d'information élevée appréhendent moins l'information lors de la toute première présentation du matériel.

- Origine de cette difficulté : • on peut éliminer un trouble de l'attention • la mémoire secondaire est atteinte alors que la mémoire primaire est indemne. Le trouble de la mémoire secondaire se situerait donc au niveau de la saisie initiale de l'information et de son stockage en mémoire secondaire. • La mémoire secondaire en cause ici est celle qui implique un stockage relativement automatique et peut-être inconscient. Cette mémoire secondaire serait atteinte alors que la mémoire secondaire intervenant lors de la répétition et impliquant un stockage plus volontaire et conscient ne serait pas atteinte. Cette conception est donc en contradiction avec la théorie de Craik et Byrd 133. Cette théorie avance que les déficits cognitifs des sujets âgés seraient essentiellement attribuables à un trouble des processus conscients volontaires qui requièrent des efforts attentionnels alors que les processus automatiques involontaires (pas nécessairement conscients) qui requièrent moins d'effort et d'attention seraient préservés. En revanche, elle est compatible avec la théorie de Chiarello 134 qui avance que les sujets âgés ont un niveau de mémoire implicite plus faible que les sujets jeunes et qu'en outre ils sont incapables d'utiliser le peu de mémoire implicite qui leur reste pour un rappel intentionnel.

Parmi les tests généraux utilisés dans la démence, on retrouve : - Le Mini Mental Status (MMS), - L'échelle de Démence de Mattis qui est composée de 5 échelles (attention, initiation et persévération, mémoire, construction, conceptualisation). - Les tests mesurant la détérioration mentale pathologique (WAIS par exemple).

133- CRAIK F.I.M., BYRD M. (1982) Aging and cognitive deficits. The role of attentional resources. In F.I.M. CRAIK (edit.) Aging and Cognitive Processes. New York, Plenum Press, 1982. 134- CHIARELLO C., HOYER W.J., RADVIN L., REDDOUT J. (1988) Decrement in implicit memory in the normal elderly.

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La neuropsychologie a, rappelons-le, pour objet "d'établir un rapport intelligible entre, d'une part, la structure et les lois de fonctionnement du cerveau et, d'autre part, le comportement et les opérations mentales"135. La clinique neuropsychologique se fonde pour partie sur l'utilisation de tests visant soit à diagnostiquer et préciser certaines difficultés, soit à examiner le mode de fonctionnement cognitif d'un patient, soit encore à réaliser un bilan préalable à une indication de rééducation ou à en mesurer les effets. Des batteries spécifiques ont été ainsi créées dans le domaine des troubles de la mémoire, des apraxies, des agnosies, des troubles du langage. Si pendant de nombreuses années ont été utilisés la W.A.I.S., les cubes de Kohs, le test de rétention visuelle de Benton, la figure de Rey, maintenant d'autres épreuves générales comme la Halstead-Reitan ou l'échelle de Luria-Nebraska ou plus spécifiques (échelles d'apraxie ou d'agnosie) sont maintenant employées. c)- La personnalité. c.1. Description Les inventaires de personnalité sont des questionnaires dont la construction est analogue à celle des autres tests. Les plus utilisés sont :

- l'Inventaire Multiphasique de Personnalité du Minnesota (M.M.P.I.) Il se compose de 550 questions inscrites sur des cartons que le sujet doit classer en fonction de trois possibilités : oui, non, je ne sais pas. Il est avant tout un outil de diagnostic permettant de définir l'intensité de certains traits comme la dépression, l'hypocondrie, la schizophrénie, la psychopathie, la paranoïa, l'hystérie, la psychasthénie. Plusieurs versions abrégées en ont été tirées. - l'Inventaire de Personnalité d'Eysenck (E.P.I.) se compose de 57 questions ; il est destiné à mesurer seulement deux dimensions générales : l'axe introversion-extraversion, l'axe névrosisme-stabilité. - L'Inventaire de Tempérament de Guilford-Zimmerman permet de dégager 10 traits bipolaires comme dynamisme-asthénie, commandement-soumission.

Les méthodes projectives représentent une forme d'investigation dynamique de la personnalité qui s'exprime à travers la perception d'un matériel peu structuré que le sujet construit à sa guise. Ils proposent au sujet un matériel auquel il va donner une ou plusieurs significations, révélatrices de ses modes de résolution des conflits, de son appréhension de la réalité, de ses mécanismes de défense ou de son économie affective. Les productions du sujet sont analysées et interprétées. Il existe des tests projectifs spécifiques aux adultes ou aux enfants. Comme dans d'autres secteurs de la psychologie clinique, on rencontre des interprétations différentes en fonction des écoles théoriques (psychanalytiques, phénoménologiques, cognitives…). Les plus classiques sont :

- Le psychodiagnostic de Rorschach propose dix planches au matériel non structuré (taches d'encre reproduites sur un fond blanc) mais symétrique. Il est demandé au sujet de dire ce que "cela pourrait être". Ses réponses sont notées et font l'objet d'une analyse quantitative et qualitative à partir du psychogramme (localisation de la réponse, déterminant, contenu,

135- HUBER W. (1993) L'homme psychopathologique et la psychologie clinique. Paris. P.U.F., p. 166.

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différents indices) et de la nature des réponses. La synthèse des résultats fournit une interprétation de l'ensemble des données qui apporte des informations sur la nature de l'angoisse et des relations d'objets, les mécanismes de défense, l'organisation du Moi, le rapport au réel, l'image du corps. Cette interprétation peut aussi apporter des hypothèses psychopathologiques interprétables en termes de diagnostic de structure ou d'organisation (névrotique, psychotique…). D'autres méthodes d'interprétation, plus cognitives comme celle d'Exner, permettent un traitement informatique d'une partie de l'analyse. - Le Thematic Aperception Test (T.A.T.) de Murray se composait originairement de 31 planches représentant des scènes souvent banales et peu ambiguës. Il est demandé au sujet d'"imaginer une histoire à partir de la planche". Le matériel sur lequel travaille le clinicien est représenté par un discours dont l'analyse repose sur l'étude de la cotation planche par planche des procédés utilisés dans la construction du récit et des problématiques. L'interprétation du T.A.T. s'apparente donc à une analyse de contenu fondée sur certains indicateurs (contrôle, labilité, évitement du conflit, émergence du processus primaire, accrochage au contenu manifeste…) ; l'ensemble des résultats est naturellement référé au sujet et à sa singularité. Comme le Rorschach, le T.A.T. permet de faire des hypothèses diagnostiques mais aussi d'apprécier le fonctionnement psychique de la personne. - Avec les enfants, on utilise fréquemment, avec des modalités de cotation différentes, des tests comme le Patte Noire (histoire d'un petit cochon qui se distingue des autres par la présence d'une tache noire sur une patte) ou le Children Aperception Test (C.A.T.) dont la structure est celle du T.A.T. dans une forme adaptée aux enfants.

c.2. Le Rorschach - Principes de cotation136 La cotation d'un protocole de Rorschach consiste à réduire les réponses à des signes conventionnels (code). Cette réduction ordonnée sert de point de départ à une analyse, à une réflexion et à une interprétation. Elle permet de dépasser la subjectivité, l'intuition et l'interprétation du clinicien et de fournir des arguments sujets à discussion et garantissant la cohérence de l'interprétation. La recherche des indices n'est cependant pas comparable à la mesure employée dans les tests cognitifs et n'est que le support d'une démarche visant à saisir l'originalité du patient. La cotation est réductrice et ne peut rendre compte de toute la richesse et de toute la complexité des protocoles. Ni la cotation, ni le psychogramme n'ont de sens pris isolément : il est donc indispensable de procéder à une analyse qualitative qui intègre toutes les données dans le but d'une synthèse clinique. Il est nécessaire de coter toutes les réponses (chaque image, chaque association, chaque transformation d'image formulées de manière affirmative ou négative ou interrogative). Il faut aussi noter les éléments qualitatifs (références personnelles, remarques de symétrie, remarques critiques, réactions de choc…) et les commentaires. La cotation repose sur la mise en évidence de plusieurs types d'informations. Pour simplifier, on peut dire que le psychologue doit se poser quatre questions pour chaque réponse.

136- Nous n'évoquerons pas ici les spécificités de la méthode Exner.

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1)- Quelle partie de la tache est interprétée. Il s'agit donc de la localisation : où se trouve l'image donnée ?(exemple : réponse Globale) 2)- Qu'est-ce qui a déterminé la réponse ou quelle(s) particularité(s) objective(s) ou subjective(s) du stimulus a provoqué l'interprétation ? C'est donc de la recherche du déterminant qu'il s'agit (exemple : réponse Forme) 3)- Quel est le contenu de la réponse. A quelle catégorie appartient-il ? (exemple : réponse Humaine) 4)- Cette réponse est-elle très fréquente dans la population donnée, est-elle banale ?

Localisation G, D, Dd, Dbl, Do Où Déterminant F, C, FC… Pourquoi, comment Contenu H, Anat, Objet Quoi Banalité Ban. Fréquence

• Étude des localisations (Mode d'appréhension de la planche)

G Globale D Détail courant Dd Détail plus rare Dbl Détail blanc Do Détail traité isolément

* Réponses G : cotation utilisée lorsque l'interprétation du sujet porte sur la tache dans son entier. ¬ Toutefois si un petit détail est exclu, on admet la cotation G barré.

¬ Une exception : - à la planche III à l'endroit, les personnages vus dans les parties noires latérales sont cotés G même si les rouges et le D gris médian en sont exclus. - à la planche III à l'envers : la localisation noire et le blanc intérieur est cotée G.

¬ La réponse globale qui inclut le blanc est cotée Gbl. * Réponses D : réponse de détail courant. On cote D lorsque l'interprétation porte sur une partie aisément isolable de l'ensemble. Il s'agit d'une découpe fréquemment donnée (1 fois sur 22) qui s'impose à la perception et qui est déterminée statistiquement. Il existe une liste exhaustive des localisations D. * Réponses Dd : réponse de détail plus rarement isolé (découpes rares, détails bizarrement délimités). * Réponses Dbl : interprétation d'un détail blanc (partie blanche située à l'intérieur ou à l'extérieur dela tache. * Réponses Do : lorsqu'un élément est traité isolément, dans un contenu partiel alors que d'habitude il fait implicitement partie d'un tout. Le Do correspond à des réponses banales ou fréquentes (donc F+) et à une double réduction (du champ perceptif et du contenu). Par exemple la réponse unique "une jambe" pour le détail

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latéral inférieur à l planche III qui correspond effectivement à la "jambe" des personnages habituellement vus dans leur entier est coté Do. * Il peut exister des localisations associées, réponses plus complexes aboutissant à un G à partie d'un détail ou incluant des détails blancs dans une localisation plus vaste. On peut alors associer les symboles en soulignant celui qui correspond à la localisation finale et, en général, en le notant en seconde position ; on met ainsi en évidence le processus perceptif (exemple D/G ou (D) G pour désigner la construction d'une réponse globale à partir de la combinaison de plusieurs G).

• Étude des déterminants

Les symboles se répartissent en plusieurs catégories en distinguant les caractéristiques qui appartiennent au stimulus (forme, couleur, estompage) ou d'un apport personnel (attribution de mouvements ou d'intentions ou de sentiments).

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F

F+ F- F±

Configuration de la tache Bonne forme Forme inadéquate Adéquation floue

C C'

FC ou FC' CF ou C'F C ou C'

Couleurs chromatiques Couleurs achromatiques

Forme dominante Couleur dominante Couleur seule prime

E FE FE- EF E

Estompage Forme dominante Forme inadéquate Estompage dominant Estompage seul

K K kp kan kob

Kinesthésies (mouvement) Forme humaine Partie seulement Animal Mouvement violent d'orignie interne

Clob FClob Clob F Clob

Clair obscur Forme domine Impression domine Forme Aucun support formel

* La Forme : quand la configuration seule de la tache ou d'une de ses parties a été à l'origine on cote "F". On apprécie pour chaque réponse la qualité de la forme qui peut être notée F+, ou F-, ou F±. La qualité d'une forme s'apprécie selon deux critères :

¬ adéquation formelle de la réponse à la tâche ; la forme en question est-elle ou non objectivement proche de la forme de la tache ou de la partie de la tache interprétée ? ¬ fréquence d'apparition de cette réponse : une forme très souvent donnée dans la population générale est effectivement adéquate au stimulus.

En l'absence d'une liste de F+ et de F- statistiquement établie sur la population adulte française, on peut se référer à la liste de Beizmann (Livret de Cotation Française). On cotera donc :

¬ F+ une forme réputée bonne et/ou précise. ¬ F- une forme inadéquate à la configuration du stimulus. ¬ dans les cas où la réponse ne permet pas de juger de l'adéquation ("des îles", "des nuages", "un animal"…), on cotera F± (forme floue).

* La couleur : il y a deux sortes de couleurs auxquelles le sujet peut réagir ¬ les couleurs chromatiques : rouge et pastels (C),

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¬ les couleurs achromatiques : gris, noirs et blancs (C'). Quand une couleur a effectivement joué un rôle dans la formation de la réponse il faut évaluer son importance. On pourra noter ¬ FC ou FC' lorsque la couleur est intégrée dans une réponse à la forme précise dominante. On cotera FC- si la forme est inadéquate. ¬ CF ou C'F lorsque l'impact de la couleur prime la formalisation. La forme est alors souvent imprécise. ¬ C ou C' quand seule la couleur est déterminante ("un bonnet rouge", C pour "du sang", CF pour "une tache de sang", C'F "des nuages gris éparpillés". Il convient de faire attention : il ne faut pas confondre les réponses couleurs avec la simple localisation que le sujet ferait spontanément ("le bleu, des crabes" à la planche X serait cotée en F+, ou "dans le rouge je vois un papillon" avec comme réponse à l'enquête "parce que ça en a la forme" qui est une forma pure F+ alors que "un papillon rouge" serait coté en FC"). On ne peut non plus considérer les réponses techniques sur les couleurs ("pour cette couleur il faut mélanger du rouge et du jaune") comme des réponses couleur.

* L'estompage : lorsqu'une réponse a été co-déterminée par l'aspect nuancé des couleurs (grises surtout), par leur dégradé ou l'impression tactile ou la profondeur ou la transparence. De la même manière que pour les couleurs on évalue le poids de ce déterminant par rapport à la Forme et on cote :

¬ FE lorsque l'estompage est intégré à une forme précise ou dominante. On peut noter FE- si la forme est inadéquate. ¬ EF quand l'estompage a été prépondérant sur la forme qui, en général, est alors indéterminée. ¬ E lorsque l'estompage est seul déterminant. Exemples :

- planche VI "une peau de tigre" (à l'enquête "ça a la forme d'une peau et l'aspect tacheté, les poils dégradés m'ont fait penser au tigre") : FE, - "une fourrure de mouton" (EF), - "de la fourrure" (E).

* Les kinesthésies : réponses dans lesquelles il y a attribution à une forme d'un mouvement ressenti. On distingue les K majeures (forme humaine), les K mineures (kan : animal en mouvement, kob : objet en mouvement, kp partie de corps humain en mouvement ou forme humaine entière en mouvement dans un Dd).

¬ K : on utilise ce symbole chaque fois qu'une forme humaine douée de vie est interprétée, ou bien le mouvement ou l'action des personnages est clairement exprimé, ou bien il s'agit d'une attitude ou même d'une intention ou d'une relation ("des personnages qui se regardent" ou "une femme en prière" ou "un homme endormi" ou "deux hommes qui se battent" sont cotés K). En revanche une description de personnages purement formelle, ou en dessen ou en statue sera cotée F+ ou F-. Comme l'aspect formel est partie intégrante de la K, on évalue toujours la qualité de cette forme pour une réponse donnée et on cote K- si la forme est inadéquate.

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¬ kp : le symbole est utilisé : - lorsqu'une partie seulement d'un corps humain est vue en mouvement ("un bras levé pour frapper"), - lorsqu'une forme humaine entière est perçue en mouvement dans un Dd.

¬ kan : le symbole est utilisé lorsque la réponse met en scène un animal auquel est attribué un mouvement. Il faut que le mouvement soit exprimé par un verbe d'action (exemple : "un papillon les ailes ouvertes" correspond seulement à un F, mais "un papillon qui vole" est une kan). ¬ kob : lorsqu'il y a attribution à un objet ou à un élément d'un mouvement en général violent dont l'origine est interne à cet objet ou à cet élément (exemple "explosion d'une bombe atomique", "de l'eau qui coule"). La détermination formelle est, dans ces réponses, quasi inexistante.

* Le Clob : (Clob = Clair-Obscur) On l'utilise lorsque la réponse est déterminée par l'effet massif et étendu, uniformément sombre de la tache entière ou d'un grand D, effet sous-tendu par un sentiment de peur, de menace, d'angoisse (exemples : "un étendard noir" n'est pas un Clob, mais "quelque chose de ténébreux, un vision de cauchemar, néfaste, rappelant un vampire" est Clob). Par définition ces réponses n'apparaissent qu'aux planches noires mais leur occurence est possible à la planche IX dans des images très chargées d'angoisse (exemple Planche IX "la fin du monde, une impression de terreur"). Les mêmes impressions de menace destructrice peuvent être ressenties à la planche II où la tendance Clob est fréquente. L'aspect formel peut être intégré à des degrés divers et on cote :

- F Clob pour des réponses dont l'élément formel est dominant. - Clob F lorsque l'impression prend le pas sur la forme. - Clob les réponses qui n'ont aucun support formel.

Exemples : - "une tête monstrueuse, comme un vampire, hirsute, horrible" F Clob, - "c'est inquiétant cette plante carnivore" ClobF, - "un cauchemar", "une puissance démoniaque" Clob.

* Déterminants doubles, associés et en tendance. Certaines réponses complexes comportent des aspects différents qui ne peuvent être transcrits par une seule cotation. Dans ce cas il convient :

¬ soit de dédoubler la réponse, ce qui a l'avantage de la netteté mais aussi l'inconvénient de gonfler artificiellement le nombre de D ou de G. Exemple: à la planche II "clowns qui jouent avec des ballons rouges" G K H et D FC Obj. ¬ soit d'associer deux déterminants en une seule cotation. Les associations les plus fréquemment observées concernent K et C, kob et C, K et Clob, E et C. Exemple : à la planche X : "des japonaises jouant dans un jardin au printemps" G KC H, à la planche IV "un géant qui fait peur avec sa massue" G KClob (H). ¬ soit de décider d'un déterminant principal et d'indiquer l'aspect complémentaire par une flèche signifiant tendance.

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Dans les déterminants doubles l'élément kinesthésique est toujours prioritaire pour la comptabilisation alors que le C ou le E complémentaire ne comptent que pour 1/2 point.

• Étude des contenus

Une abréviation indique la catégorie de contenu à laquelle appartient la réponse. Les catégories admises n'épuisent pas la richesse des réponses. Ultérieurement on pourra les regrouper par grands thèmes. Lorsqu'il paraît artificiel de faire rentrer certaines réponses dans un groupe il est préférable de les laisser telles que : par exemple "masque", "explosion". On distingue notamment

- A - Ad - H - Hd - Elem (Eléments) - Frgt (Fragments) - Obj (Objet) - Sex (Sexualité) - Anat (Anatomie) - Géo (Géographie) - Sang - Botaniques - Sc (Sciences) - Abstr (Abstractions) - Autres

Parmi les réponses humaines ou animales, on cote (H) ou (Hd) et (A) ou (Ad) celles qui font partie du domaine de l'irréel, du surnaturel ou de la légende (mais pas celle de l'Histoire).

• Les banalités Ce sont des contenus qui apparaissent une fois sur 6 dans une population donnée, pour une même localisation. La banalité se repère donc à la fréquence d'association d'une certaine localisation avec un certain contenu, c'est-à-dire la reconnaissance perceptive d'une certaine réalité quelle que soit l'élaboration éventuelle du contenu lui-même. Pour ces réponses on fait suivre le contenu par la mention "Ban". Le déterminant formel est par définition dominant. Toutefois la liste des banalités pour la population française résulte plus d'une confrontation entre praticiens que d'une vérification statistique. Ces banalités pouvant se modifier sous l'effet de l'évolution de la culture, il conviendrait de faire cette analyse statistique.

• Les cotations particulières ou rarement employées

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* DG ou G confabulé. Il y a confusion entre une partie et le tout sans critique. Il est obtenu soit par une généralisation arbitraire à partir d'un détail correctement perçu, soit par extension à l'ensemble de la tache. Les DG sont par définition des F-. * NC ou nomination de la couleur. Elle indique une simple nomination de couleur qui tient lieu d'interprétation "c'est du rouge, du bleu". (NB ne pas confondre avec les remarques que les sujets peuvent faire à propos de la couleur). * Pn : réponse due à la position dans l'espace : "le coeur parce que c'est au milieu" et non à la forme ou à la couleur.

• Autres éléments

* Le refus : il y a refus chaque fois que le sujet refuse une planche sans avoir fourni de réponse cotable. Il n'y a donc ni temps de latence ni temps global. * Le temps de latence : temps qui s'écoule entre la présentation de la planche et la première réponse cotable. Les remarques ne constituent pas une réponse. * Le temps total par planche : temps écoulé entre la présentation de la planche au sujet et la fin des associations portant sur cette planche.

• Le psychogramme Une fois la cotation terminée, on recense toutes les réponses en regroupent les catégories sur une feuille

¬ N : nombre de réponses. ¬ Refus : nombre de refus et quelles planches ont été refusées. ¬ Temps total : exprimé en minutes et secondes : somme des temps totaux à chaque planche. ¬ Temps de latence moyen : exprimé en secondes : somme des temps de latence / nombre de planches interprétées. ¬ Temps par réponse : temps total / nombre de réponses. ¬ Localisations : en regard de chaque localisation on note :

- leur nombre total dans le protocole, - leur pourcentage : (N/R) * 100. Pour les localisations associées, il est conseillé de les faire ressortir dans le psychogramme, bien que le calcul du pourcentage porte uniquement sur la localisation final.

¬ Déterminants : pour chaque déterminant, nombre total dans le protocole. Pour les réponses F, on note leur nombre total et leur répartition en F+, F-, F±. Les déterminants doubles,: chaque déterminant est recensé dans sa catégorie, pour le second déterminant, il faut évaluer le poids du déterminant formel. ¬ Contenus : pour chaque contenu on relève le nombre total dans le protocole. Le (H) et le (A) doivent être mis en évidence. ¬ Les pourcentages :

- F% : (Nombre total des F/R)*100. - F% élargi : ([Nombre total de F+K+kan+FC+FE+FClob]/R)*100. - F+% : ([nombre total de F+ et de F±/2]/nombre total de F)*100.

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- F+% élargi : [(F+)+(F±/2)+K+)+(kan+)+(FC+)+(FE+)+(FClob+) / Nombre de réponses à dominante formelle]*100. - H%: [(H+Hd)/R]*100. S'il y a de nombreuses (H) il faut calculer deux pourcentages, l'un en les incluant, l'autre en les excluant. - A% : [(A+Ad)/R]*100. S'il y a de nombreuses (A) il faut calculer deux pourcentages l'un en les incluant, l'autre en les excluant. - Ban : nombre de Ban dans le protocole. On ne calcule pas de pourcentage pour les Ban, puisque leur nombre ne varie pas en fonction du nombre de réponses dans le protocole. - Type d'appréhension :

- on note les localisations présentes dans le protocole, dans l'ordre conventionnel : G, D, Dd, Dbl, Do. - on souligne celles dont le pourcentage est supérieur à la norme et, pour les G et D seulement, on surligne celles dont le pourcentage est inférieur à la norme.

- Type de résonance intime : c'est la comparaison entre le nombre de kinesthésies majeures (K) et la somme pondérée des réponses couleur. On pondère les C de la manière suivante : - FC et FC' valent 0,5 point, - CF et C'F valent 1 point, - C et C' valent 1,5 point. La formule est ; T.R.I. : Somme des K/Somme des C. - Formule complémentaire : Comparaison entre le nombre de kinesthésies mineures et la somme pondérée des réponses Estompage. - FE : 0,5 point, - EF : 1 point, - E : 1,5 point. La formule est : F.C. : (kan+kob+kp)/Somme des E. - RC% : Pourcentage des réponses aux trois dernières planches par rapport au nombre de réponses total du protocole. La formule est : RC% : [(Nombre de réponses à VIII, IX, X)/R]*100. - I.A. (Indice d'Angoisse) : [(Hd+Anat+sSexe+Sang)/R]*100. - Succession : Rigide - Ordonnée - Relâchée - Incohérente. - Éléments qualitatifs :

- Chocs et équivalents de choc : On appelle "chocs" et "équivalents de choc" des perturbations du processus associatif qui portent sur différents éléments et essentiellement sur les facteurs temporels, sur la séquence des modes d'appréhension et la qualité des déterminants. Suivant l'intensité de la perturbation et la manière de s'en défendre, on peut distinguer:

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• Le choc manifeste s'exprimant soit verbalement d'une façon directe "oh ! quelle horreur !", "c'est affreux !", soit par le silence ou le refus. • Les équivalents de choc qui sont objectivés de différentes manières : nombreux retournements, allongement du temps de latence (temps plus long ou nettement supérieur au temps moyen), commentaires verbaux et critiques subjectives et objectives, réduction et augmentation spectaculaire du nombre de R, appauvrissement brusque de la qualité des réponses, en bref toute modification importante dans la réactivité. • Les phénomènes de choc les plus souvent décrits sont les chocs couleur (couleur pastel et couleur rouge), les choc-Clob, nommés aussi choc noir.

- Persévération Lorsqu'une réponse formellement adéquate à sa première apparition est répétée 2 fois arbitrairement (F-) aux planches suivantes. - Remarque couleur Remarque subjective de plaisir ou de déplaisir sur une ou des couleurs. - Remarque Symétrie Présence de remarques portant sur la symétrie des taches. A indiquer toujours dans les colonnes "Sym". - Critique subjective; Critique de soi, de son efficience ou difficultés. - Critique de l'objet. Critique portant sur les caractéristiques du stimulus.

• Psychogramme : Pourcentages - normes. R : entre 20 et 30. T : entre 20' et 30'. T/rep : entre 45" et 60". T. latence Moyen : <20". Type d'Appréhension

G : 20 à 30% D : 60 à 68% Dd : 6 à 10% Dbl : 3% G : 30 à 45% D : 68 à 80% Dd : 10 à 15% Dbl : 3 à 6% G : 45 à 60% D : 80 à 90% Dd : 15 à 25% Dbll : 6 à 12%

(NB on surligne G et D si % est supérieur à la norme). On présente toujours le T.A. dans l'ordre G, D, Dd, Dbl. F% : entre 50 et 70%. F+% : entre 80 et 95%. A% : entre 40 à 45%. H% : entre 12 et 18%.

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RC% : entre 30% et 40%. Ban : nombre compris entre 5 et 7 (pas de %). TRI : somme des K / somme des C.

Extratensif pur : 0 K pour y ΣC. Extratensif mixte : x K < y ΣC. Introversif pur : x K pour 0 ΣC. Introversif mixte : x K > y ΣC. Ambiéqual : x K = y ΣC. Coarté : 0 K = 0 C. Coartatif : 1 K // 0,5 à 1,5 C.

I.A. (Indice d'Angoisse) : [(Hd+Anat+Sexe+Sang)/R]*100. Il est significatif si il est supérieur à 12%.

c.3. Éléments de cotation du TAT • Procédés de la série A (contrôle)

AO Conflictualisation intra - personnelle. A1

1- Histoire construite proche du thème banal. 2- Recours à des références littéraires, culturelles, au rêve. 3- Intégration des références sociales et du sens commun.

A2 1- Description avec attachement aux détails (dont certains rarement évoqués), y compris expressions et postures. 2- Justification des interprétations par ces détails. 3- Précautions verbales. 4- Éloignement temporo-spatial. 5- Précisions chiffrées. 6- Hésitations entre interprétations différentes. 7- Aller et retour entre l'expression pulsionnelle et la défense. 8- Remâchage, rumination. 9- Annulation. 10- Éléments de type formation réactionnelle (propreté, ordre, aide, devoir, économie, etc.). 11- Dénégation. 12- Insistance sur le fictif. 13- Intellectualisation (Abstraction, symbolisation, titre donné à l'histoire en rapport avec le contenu manifeste). 14- Changement brusque de direction dans le cours de l'histoire (accompagné ou non de pause dans le discours). 15- Isolement des éléments ou des personnages. 16- Grand détail et/ou petit détail évoqué et non intégré. 17- Accent porté sur les conflits intra-personnels. 18- Affects exprimés à minima.

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• Procédés de la série B (labilité)

BO Conflictualisation inter-personnelle Bl

1- Histoire construite autour d'une fantaisie personnelle. 2 - Introduction de personnages non figurant sur l'image. 3 - Identifications souples et diffusées. 4 - Expressions verbalisée d'affects nuancés, modulés par le stimulus.

B2 1- Entrée directe dans l'expression. 2- Histoire à rebondissements. Fabulation loin de l'image. 3- Accent porté sur les relations interpersonnelles. Récit en dialogue. 4- Expression verbalisée d'affects forts ou exagérés. 5- Dramatisation. 6- Représentations contrastées. Altemance entre des états émotionnels opposés. 7- Aller-retour entre des désirs contradictoires. Fin à valeur de réalisation magique du désir. 8- Exclamations, commentaires, digressions, références/ appréciations personnelles. 9- Érotisation des relations, prégnance de la thématique sexuelle et/ou symbolisme transparent. 10- Attachement aux détails narcissiques à valence relationnelle. 11- Instabilité dans les identifications. Hésitation sur le sexe et/ou l'age des personnages. 12- Accent porté sur une thématique du style: aller, courir, dire, fuir etc. 13- Présence de thèmes de peur, de catastrophe, de vertige etc. dans un contexte dramatisé.

• Procédés de la série C (évitement du conflit) C/P

1- Tli (temps de latence initial) long et/ou silences importants intra-récit. 2- Tendance générale à la restriction. 3- Anonymat des personnages. 4- Motifs des conflits non précisés; récits banalisés à outrance, impersonnels, placages. 5- Nécessité de poser des questions. Tendance refus. Refus. 6- Évocation d'éléments anxiogènes suivis ou précédés d'arrêts dans le discours.

C/N 1- Accent porté sur l'éprouvé subjectif (non relationnel). 2- Références personnelles ou autobiographiques. 3- Affect-titre.

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4- Posture signifiante d'affects. 5- Accent mis sur les qualités sensorielles. 6- Insistance sur le repérage des limites et des contours. 7- Relations spéculaires. 8- Mise en tableau. 9- Critiques de soi. 10- Détails narcissiques. Idéalisation de soi.

C/M 1- Surinvestissement de la fonction d'étayage de l'objet. 2 - Idéalisation de l'objet (valence positive ou négative). 3 - Pirouettes, virevoltes.

C/C 1- Agitation motrice. Mimiques et/ou expressions corporelles. 2 - Demandes faites au clinicien. 3 - Critiques du matériel et/ou de la situation. 4 - Ironie, dérision. 5 - Clin d'oeil au clinicien.

C/F 1- Accrochage au contenu manifeste. 2- Accent porté sur le quotidien, le factuel, l'actuel, le concret. 3- Accent porté sur le faire. 4- Appel à des normes extérieures. 5- Affects de circonstance.

• Procédés de la série E (émergence et processus primaire)

1- Scotome d'objet manifeste. 2- Perception de détails rares et/ou bizarres. 3- Justifications arbitraires à partir de ces détails. 4- Fausses perceptions. 5- Perception sensorielle. 6- Perception d'objets morcelés (et/ou d'objets détériorés ou de personnages malades, malformés). 7- Inadéquation du thème au stimulus. Fabulation hors image;

Abstraction, symbolisme hermétique. 8- Expressions "crues" liées à une thématique sexuelle ou agressive. 9- Expression d'affects et/ou de représentations massifs liés à toute problématique (dont l'incapacité, le dénue ment, la réussite mégalomaniaque, la peur, la mort, la destruction, la persécution, etc.) 10- Persévération, 11- Confusion des identités ("télescopage des rôles") 12- Instabilité des objets. 13- Désorganisation des séquences temporelles et/ou spatiales. 14- Perception du mauvais objet, thème de persécution.

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15- Clivage de l'objet. 16- Recherche arbitraire de l'intentionnalité de l'image et/ ou des physionomies ou attitudes. 17- Craquées verbales (troubles de la syntaxe) 18- Associations par contiguïté, par consonance, coq-à l'âne. 19- Associations courtes. 20- Vague, indétermination, flou du discours.

d)- Les échelles d'évaluation. Parmi les autres méthodes de quantification, on trouve les échelles d'évaluation137 qui ne comparent pas les sujets les uns aux autres mais donnent une note. Ces échelles existent sous deux formes : échelles d'hétéro-évaluation, remplies par le clinicien, et échelles d'auto-évaluation remplies par le sujet. La Montgomery Asberg Depression Rating Scale (M.A.D.R.S.) est une échelle d'hétéro-évaluation, le Beck Depression Inventory (B.D.I.) est une échelle d'auto-évaluation. Ces outils servent, dans le domaine clinique comme dans celui de la recherche, à qualifier et quantifier, de manière standardisée et précise, un état ou un trait en vue d'un diagnostic, d'un examen des effets d'un traitement, ou d'une analyse des processus. L'intérêt de ces techniques est de faire apparaître des éléments difficiles à percevoir et/ou à apprécier dans un entretien : s'il est parfois facile de reconnaître des signes dépressifs dans un entretien, il est en revanche plus délicat d'apprécier l'intensité des troubles, notamment lorsqu'il s'agit de troubles cognitifs. En outre, ces techniques donnent des résultats chiffrés qui permettent des comparaisons (du sujet par rapport à lui-même : avant et après traitement). Elles sont naturel-lement employées aussi dans le domaine de la recherche pour définir des informations précises et permettre de valider certaines hypothèses thérapeutiques ou cliniques. Il convient toutefois de noter que les échelles, comme les tests, réduisent les objets cliniques à ce qui est mesurable et qu'elles ne donnent qu'un éclairage partiel qui doit être complété par les données de l'entretien. Les qualités métrologiques des échelles sont les suivantes Validité

Une échelle est valide si elle mesure ce qu'elle est supposée mesurer et rien d'autre. Cette question peut se poser pour chaque item et pour les résultats de l'échelle.

- pour les items: recherche des corrélations des items entre eux par analyse facto-rielle. - pour la note globale: comparaison entre des groupes témoins et des groupes de sujets présentant la pathologie en question.

Validité pragmatique : Adéquation du contenu de l'épreuve aux situations fréquemment rencontrées par le sujet.

137- Cf BECH P., KASTRUP M., RAFAELSEN O.J. (1986) Échelles d'anxiété, de manie, de dépression, de schizophrénie. Paris, Masson, 1989 et COTTRAUX J., BOUVARD M., LEGERON P. (1985) Méthodes et Échelles d'évaluation des comportements. Paris, EAP.

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Validité empirique : Correspondance des résultats aux classifications cliniques. Elle se calcule en appariant une classification de dossiers (analysés par clinicien expérimenté) à des scores obtenus par l'instrument. Validité de structure : Encore appelée "construct validity". Etude de la structure interne par l'analyse factorielle Validité de contenu : La "content validity" examine l'adéquation de l'instrument au domaine ou à l'objet de l'étude. Dans le cas de l'alexithymie il s'agit donc de savoir si les échelles mesurent bien cet élément et pas un autre phénomène. Validité sur critère : "Criterion Validity": lorsque le phénomène est déjà défini par une mé-thode de mesure, la validité du nouvel instrument est appréciée par corrélation entre les ré-sultats de cet instrument et ceux de la méthode originaire. Validité concomitante : Corrélation de l'instrument à d'autres formes de mesure des mêmes variables. Validité concurrente : Corrélation de l'instrument à d'autres instruments du même type déjà validés.Lorsque le critère de référence appartient à la même famille on parle de validité concurrente en revanche si le critère de référence est différent au plan conceptuel on parle de validité concomitante.

Sensibilité Sensibilité interindividuelle. Capacité de l'instrument à discriminer des individus différents.

Sensibilité intra-individuelle. Capacité de l'instrument à détecter des différences chez un même sujet au cours de mesures répétées.

Fidélité et sensibilité sont inverses l'une de l'autre. Les tests et les échelles de personnalité recherchent un degré élevé de fidélité alors que les échelles d'évaluation recherchent un degré élevé de sensibilité.

Fidélité

Fidélité interjuges : Un même résultat doit être obtenu par deux observateurs utilisant le même outil au même moment. Fidélité test-retest: La répétition de la mesure doit donner le même résultat.

3)- L'entretien a)- Définition de l'entretien. L'entretien se définit comme l'action d'échanger des paroles avec une ou plusieurs personnes et il a pour synonymes conversation, discussion, entrevue, audience, conférence, dialogue…, termes qui font référence à l'existence de deux ou plusieurs personnes, d'un échange qui suppose une transmission symbolique (le langage) et des capacités de compréhension. L'entretien se différencie de la conversation ou de l'interrogatoire138. 138- Voir aussi GILLIÉRON E. (1994) Le premier entretien en psychothérapie. Paris, Dunod.

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L'entretien clinique a plusieurs but : permettre de dire, écouter, s'informer, faire dire, mais aussi dire quelque chose au sujet. L'entretien est donc producteur de faits de langage à partir desquels s'instaure un échange, une reconstruction des faits réels (que raconte-t-il de ce qui s'est produit), mais aussi une analyse des faits de discours (forme, construction des énoncés, mécanismes de défense, représentations prévalentes, place du sujet…). Le discours du sujet apporte des informations sur les faits auxquels le sujet a été réellement ou imaginairement confronté mais aussi sur sa position à l'égard de ces faits ainsi que sur ce qu'il attend du psychologue et sur la place à laquelle il le met. Il apporte aussi des informations sur l'économie psychique de ce sujet, sur l'organisation de ses mécanismes de défense que l'on voit à l'oeuvre dans le mot à mot de son discours (par exemple les dénégations) ou dans les scènes qu'il rapporte (par exemple les identifications) ou encore dans la manière dont il s'adresse au psychologue (les projections). Le discours est enfin le terrain sur lequel viennent se reconnaître un certains nombre de signes pathologiques, soit dans la plainte clairement énoncée (symptôme névrotique par exemple), soit au travers de ce qui est rapporté (idées délirantes par exemple), soit au travers de la construction, la forme ou la syntaxe du discours (troubles du cours de la pensée, aphasie…), soit encore au travers de ce que véhicule le discours (voix) ou ce qui l'accompagne (troubles de la prosodie des patients opératoires ou atteints de certaines lésions cérébrales, ralentissement dépressif…). b)- Conduite de l'entretien clinique. La conduite de l'entretien clinique répond à certains principes. Le psychologue se situe dans une position de "neutralité bienveillante" ce qui signifie en fait que son avis ou ses propres jugements ne doivent pas intervenir dans l'entretien, ce qui n'implique pas une attitude rigide ou distante. Une telle exigence éthique oblige donc le psychologue à se donner les moyens de prendre conscience de ses propres réactions à ce qui lui est dit et de contrôler ses propres manifestations émotionnelles. Par ailleurs, il doit reconnaître l'aménagement défensif du sujet et le respecter (Chiland 1983), c'est-à-dire que son intervention ne doit pas avoir d'effets préjudiciables pour le sujet et que les difficultés qui pourraient naître de la rencontre doivent être anticipées. Si le psychologue se doit d'être neutre dans l'entretien, il n'est pas pour autant dépourvu de savoir et de réactions émotionnelles, espérons-le. Il n'existe pas de clinique - donc pas d'entretien clinique - sans présupposés théoriques : le psychologue se réfère à des conceptions de l'entretien, mais aussi à des phénomènes psychologiques, voire à des fonctions et des finalités de la psychologie, qui orientent nécessairement son intervention. De même, ses réactions émotionnelles ne sont pas spontanément reconnues par lui-même et peuvent peser sur le déroulement de l'entretien. Or ces réactions sont liées à la fois à ce que dit le patient et à la position qu'occupe le psychologue. Être l'objet d'attentes, de demandes, d'idéalisation, de déplacement, d'agressivité de la part des patients, ne pas pouvoir répondre, être souvent impuissant quant aux faits parfois dramatiques qu'évoque le sujet, n'est pas toujours une position facile et le psychologue doit être capable de la soutenir et de promouvoir une intervention efficace ce qui peut être rendu difficile par son inaptitude à tolérer les effets de la situation. c)- Les stratégies d'intervention139.

139- Sur ce point lire BLANCHET A., GOTMAN A. (1992) L'enquête et ses méthodes, l'entretien. dont nous résumons quelques éléments ici.

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c.1. Les différents niveaux du discours. Au cours d'un entretien, que ce soit dans le cadre du travail thérapeutique ou d'une évaluation, le psychologue ne reste pas passif mais procède à plusieurs types d'interventions dont la finalité est de favoriser la production du discours et ses effets informatifs et modificateurs. Un discours peut être entendu de plusieurs manières et ne se résume par à la transmission d'un ensemble d'informations : parler, communiquer est plus qu'informer. Même les réponses les plus simples à un questionnaire ne sont pas de simples informations sur les faits. Aussi un discours doit-il être considéré comme une séquence verbale dans laquelle un sujet fournit à quelqu'un d'autre sa représentation et sa position à l'égard de faits. En termes plus rigoureux, le discours comporte une dimension référentielle (que dit le sujet des faits ?), une dimension modale (que dit -il de ce qu'il en pense?), une dimension illocutoire (quel acte accomplit-il lorsqu'il me parle ?). Lorsqu'un patient dit "je vous le dis une fois pour toutes mes parents me battaient mais je pense que ce n'était pas par méchanceté" on perçoit bien ces différents niveaux : "mes parents me battaient" est une information sur les faits141, et appartient donc au registre référentiel, "je pense que" est du registre modal puisqu'il définit sa croyance, sa position à l'égard des faits, "je vous le dis une fois pour toutes" appartient au registre illocutoire en définissant un acte du sujet par rapport à l'interlocuteur (qui, en l'occurence, devrait se le tenir pour dit et ne pas mettre en doute ce que pense le patient). Mais un entretien est aussi une forme de conversation, ce qui peut impliquer une analyse en termes de pragmatique de la communication142, c'est-à-dire d'interaction entre les deux participants. La psychanalyse, par l'opposition entre le contenu manifeste et le contenu latent (du récit du rêve, du discours) a par ailleurs contribué à attirer l'attention des cliniciens sur les significations inconscientes du matériel verbal ainsi que sur le non-dit ; le clinicien travaille donc aussi bien avec ce que désigne le discours qu'avec ses manques, ses contradictions, ses erreurs, ses lacunes, ses achoppements… Toutefois, pour inférer une signification inconsciente à partir du non-dit, de la dénégation ou du discours manifeste, il convient de posséder un certain nombre d'opérateurs (indicateurs langagiers). c.2. Les techniques d'intervention143. 144 Blanchet et Gotman (1992) signalent que, dans l'entretien de recherche, les interventions peuvent porter tant sur le registre modal (la représentation, la position de celui qui parle) que sur le registre référentiel (les faits, les objets). Ils isolent trois types de techniques (question externe, contradiction et relance) qui possèdent chacune une forme modale et une forme référentielle. Ils ne

140- Sur ce point lire BLANCHET A., GOTMAN A. (1992) L'enquête et ses méthodes, l'entretien. dont nous résumons quelques éléments ici. 141- tels que le sujet les décrit ce qui n'implique nullement une réalité : il peut inventer mentir ou se tromper ou, naturellement, dire ce qui se passait. 142- Voir sur ce point les travaux d'Alain TROGNON, notamment GHIGLIONE R., TROGNON A. (1993) Où va la pragmatique. Presses Universitaires de Grenoble. 143- Voir sur ce point le numéro spécial de Psychologie Française, 1990, 35, 3 intitulé "Anatomie de l'entretien" et dirigé par Alain Blanchet. 144- Voir sur ce point le numéro spécial de Psychologie Française, 1990, 35, 3 intitulé "Anatomie de l'entretien" et dirigé par Alain Blanchet. 145- Voir sur ce point le numéro spécial de Psychologie Française, 1990, 35, 3 intitulé "Anatomie de l'entretien" et dirigé par Alain Blanchet.

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retiennent toutefois comme technique pertinente que les formes de relances qui s'inscrivent dans le déroulement des énoncés. Ils définissent trois types de relances (l'interrogation, la déclaration et la réitération) qui correspondent à six formes concrètes (selon qu'elles se situent sur le registre modal ou référentiel) : la réitération est la répétition par le psychologue du point de vue avancé par le sujet alors que dans la déclaration, le psychologue fait connaître son propre point de vue. Les deux formes de réitération sont l'écho (répétition ou reformulation d'un ou de plusieurs énoncés référentiels) et le reflet : (répétition ou reformulation avec un préfixe modal d'un ou plusieurs énoncés de l'interviewé : "vous pensez que…", "vous croyez que…"). Les deux formes de délaration sont la complémentation (qui ajoute un élément d'identification de la référence à l'énoncé précédent sous forme de déductions partielles ou d'anticipations incertaines…) et l'interprétation (qui suggère une attitude non explicitée par l'interviewé). Il existe deux types d'interrogation : l'interrogation référentielle (demande d'identification supplémentaire de la référence ) et l'interrogation modale (demande d'identification de l'attitude propositionnelle de l'interviewé par exemple "qu'est-ce que vous en pensez ?"). c.3. Spécificité des interventions en clinique. Les éléments que nous venons de proposer concernent principalement le domaine de l'entretien de recherche. Le clinicien doit les connaître car ils sont aussi utilisés dans sa démarche, mais celle-ci comporte en plus quelques particularités. D'une part, les questions, notamment externes146, sont employées que ce soit pour faire préciser un fait ou pour aider le sujet à parler : elles sont cependant le type d'intervention le moins pertinent et le plus intrusif. Il est nécessaire de savoir les formuler (ni le ton, ni l'accompagnement gestuel, ni les mots employés ne doivent heurter le sujet et suspendre radicalement le fil de son discours) et les insérer dans la trame de son discours. D'autre part, l'objectif d'un entretien étant aussi d'impliquer le sujet dans son message, les interventions portant sur le registre illocutoire sont utilisées, parfois combinées avec d'autres formes d'intervention ; elles ont pour effet de rétablir le patient dans sa position de sujet du discours et de souligner l'acte qu'il réalise en parlant à quelqu'un. Il reste que les interventions maladroites dans ce registre peuvent favoriser des réactions de rejet, de sentiment de persécution, voire d'une forme de forçage du transfert en voulant ramener ce que le sujet dit des événements au seul ici et maintenant. La question des interprétations prend évidemment plus d'importance en psychologie clinique, mais il faut distinguer les contextes : entretien à vocation thérapeutique ou entretien d'évaluation. La plupart des psychothérapies qui se réfèrent théoriquement à la psychanalyse sont fondées sur l'utilisation des interprétations, voire des constructions, outils pertinents pour l'évolution du sujet. Certes, dans le cadre psychanalytique l'interprétation possède un sens précis notamment dans sa référence au transfert. Elle se définit comme le "dégagement par l'investigation analytique, du sens latent dans le dire et les conduites d'un sujet. L'interprétation met à jour les modalités du conflit défensif et vise en dernier ressort le désir qui se formule dans toute production de l'inconscient. Dans la cure, communication faite au sujet et visant à le faire accéder à ce sens latent, selon des règles commandées par la direction et l'évolution de la cure" (Vocabulaire de Psychanalyse).

146- Elles peuvent aussi bien porter sur ce dont il parle, le référent, que sur sa représentation ("Pouvez-vous me parlez de ce que tel événement représente pour vous ?"), son expérience ("comment cela se passe-t-il ?", que sur sa position en tant que locuteur.

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Mais dans les psychothérapies la question de l'intervention et des formes d'interprétation (tentative de donner un sens ou de poser la question du sens) se pose très directement. Alain Blanchet cite et analyse les interventions fréquentes en entretien que sont les analogies propositionnelles, les interprétations et les propositions thérapeutiques. Les analogies propositionnelles reposent sur l'opération suivante : p a la propriété F comme q a la propriété F ; p et q représentant des propriétés. (par exemple lorsqu'elle est enceinte, Malika est triste et pleure très souvent comme sa mère lorsqu'elle a perdu son premier bébé). Les interprétations procèdent selon la démarche : le sujet formule une proposition, l'auditeur en déduit une autre proposition. Les propositions thérapeutiques. Les interventions peuvent proposer un lien entre deux énoncés ou inverser le lien qu'il a établi. Dans le contexte général de ces psychothérapies les interventions du thérapeute peuvent adopter d'autres formes : reconstructions (remplacement de l'ordre d'origine par un ordre cohérent possédant un sens dans l'histoire du sujet) et interprétations. Ces dernières revêtent naturellement de multiples formes parmi lesquelles on peut citer les stratégies herméneutiques (réorganisation des repères biographiques du patient qui modifie l'espace psychique), les rapprochements entre deux faits ou deux paroles du sujet. Par ailleurs les interventions peuvent prendre des modalités incitatives ("Faites donc ce que vous désirez"), confrontatives ("Pourquoi ne pas faire ce que vous désirez ?") ou mimétiques ("à votre place je ferais ce que je désire"). Or plus encore que les autres types d'intervention, les interprétations font apparaître la place de locuteur qu'occupe le psychologue, qu'il s'agisse de stratégies assertives (qui engagent la responsabilité du psychologue : "je crois que…"), directives (essayer de faire faire quelque chose par le sujet), expressives (expression d'un état psychologique), déclaratives (affirmation ou nomination d'un état), contractuelles (établissement d'un engagement "je vous propose")147. Dans le cadre d'un entretien à visée diagnostique ou évaluative, il n'y a pas lieu d'intervenir sous forme d'interprétation visant à produire un changement du sujet, c'est-à-dire sous forme de processus d'influence interpersonnels. Sans doute peut-on se réjouir qu'un entretien évaluatif ait permis au sujet de se sentir soulagé, d'avoir perçu la nature de certains de ses problèmes, mais il ne saurait être question de procéder comme si l'on était dans un cadre thérapeutique, qui suppose une demande du patient et un contrat entre lui et le psychologue. Tout au plus pourra-t-on, à l'instar de certains cliniciens - et seulement dans le cadre d'une demande de thérapie - formuler une interprétation "test". Il n'empêche que même dans un entretien à vocation strictement diagnostique ou informative, il existe aussi des interventions qui peuvent se rapprocher des interprétations au sens non psychanalytique du terme. Les interventions consistant à proposer à un sujet une relation entre deux phénomènes rapportés comme séparés (inducteur de liens) ou à inverser les rapports formulés par le patient (opérateurs d'inversion) sont fréquentes, de même que les stratégies herméneutiques. On retrouve aussi dans les analyses d'entretiens les modalités confrontatives ou incitatives, rarement mimétiques. 4)- L'observation

147- Ces types d'intervention ne sont pas à recommander mais correspondent à ce qui est retrouvé dans certains enregistrements de psychothérapies.

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L'observation est à la base de la simple connaissance du monde, des autres et sans doute de l’activité de connaissance au sens scientifique du terme. Elle suppose l'attention centrée sur un objet et la capacité de discriminer les différences entre les phénomènes. a)- Définition générale. L'observation est traditionnellement définie comme l'"action de considérer avec une attention suivie la nature, l'homme, la société, afin de les mieux connaître". La systématisation de cette attitude peut être regardée comme le fondement de toute science empirique pour laquelle elle constitue un capital de connaissances. Elle vise à faire l'inventaire du réel mais elle ne saurait se résumer à cette activité puisqu'il lui appartient de ne relever que ce qui lui paraît pertinent et significatif, ce qui implique qu'il n'y ait pas, dans le domaine de la science ou de la pratique, d'observation entièrement naïve. Toute observation est guidée par certains principes et opère un choix dans les phénomènes : quelles séquences de comportement ou de discours retenir, quels en sont les éléments significatifs ? Le recueil du matériel est réalisé à l'aide de techniques d'observation qui, selon les domaines de la psychologie, peuvent être simples ou sophistiquées : au regard naturel se sont adjoints les enregistrements vidéoscopiques, les techniques d'imagerie ou des productions d'indices. L'observation peut ainsi être directe (avec le seul regard) ou indirecte (au moyen d'instruments techniques procédant à l'enregistrement des données). De même peut-on opposer une observation non structurée (qui vise à enregistrer le plus de détails possible) et une observation répondant à l'enregistrement planifié de séquences comportementales rigoureusement définies. Le premier type d'observation fait appel à une attention libre et flottante, apparemment soumise aux phénomènes, alors que la seconde suppose un plan d'observation rigoureux (définition des comportements et des indices à repérer, modalités d'enregistrement, technique d'échantillonnage, grille d'observation…). La psychologie clinique est certes plus proche de l'observation non structurée, mais il lui arrive de compléter cette approche, en certaines circonstances, par l'utilisation de procédures plus standardisées. b)- Spécificité de l'observation en psychologie clinique. En psychologie clinique, le terme observation est particulièrement ambigu puisqu'il désigne à la fois l'activité d'identification et de description des comportements et la présentation rapide d'un cas : une observation de malade est bien une étude singulière à laquelle on ne donne pas le terme d'"étude de cas" à cause, sans doute, du faible nombre d'informations. L'utilisation de l'observation comme méthode de recueil des données est souvent nécessaire et parfois obligatoire. Il existe en effet des situations dans lesquelles le recours à l'entretien ou aux épreuves verbales est impossible, qu'il s'agisse de l'enfance ou de situations pathologiques comme l'autisme ou la catatonie, voire l'aphasie ; dans ce cas l'observation est une méthode obligatoire et exclusive. Mais le plus souvent le recours à l'observation est nécessaire comme complément d'autres informations : le comportement concret du sujet, ses attitudes lors de la rencontre, fournissent d'autres éléments parfois révélateurs ou simplement posant de nouvelles questions. Enfin, l'observation clinique doit elle être définie

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comme une méthode spécifique, certains auteurs identifiant en effet l'observation à toute approche du sujet (entretien, observation, examen psychologique…) ? Jean Guillaumin148 précise ainsi que "l'acte d'observation, par quoi nous avons défini l'examen psychologique, correspond (…) à une visée intentionnelle précise. Le psychologue y recherche une connaissance ordonnée la plupart du temps à une action. Les moyens qu'il emploie pour atteindre son but ne peuvent donc que poursuivre, pour l'achever, l'objectivation du sujet, dont le jugement implicite de réalité contient déjà le principe et la base. Aux fins de l'action, l'esprit exige en effet un objet résistant et stable, dont la pratique puisse épouser sans erreur le contour, et guidée par des plans assurés, prévoir les modifications" (p. 249). Considérer comme synonymes "observation" et "examen psychologique" n'est sans doute pas dépourvu de signification. Toutefois, nous ne parlerons ici que de la méthode stricte de prélèvement d'informations en dehors du langage ou du contenu des productions (dessins, jeux…) : matériel postural, gestuel, mimique… b.1. Le projet de l'observation clinique. L'observation clinique traditionnelle se démarque des conceptions médicales et entomologistes dans la mesure où elle tente de décrire non seulement ce qui apparaît mais aussi de regrouper ces différentes informations. Mais cette activité est soutenue par un projet de soumission au matériel et de restitution du sens de l'ensemble de l'observation. Nous l'avons vu, la psychologie clinique privilégie le langage (importance de l'entretien) et semble plus réservée quant aux techniques faisant appel à d'autres productions que la parole. L'observation peut être ainsi considérée comme présentant trois risques : la réification (réduire le sujet à ce que l'on observe), l'objectivation extrême et l'absence de validité des interprétations qui en sont tirées (quel sens donner à un comportement sans pouvoir se référer au discours du sujet ?). Un exemple issu de la clinique neurologique permettra de comprendre ce dont l'observation utilisée en psychologie clinique souhaite se démarquer. Voici ce qu'écrit un des élèves de Charcot à propos d'une patiente qui présente un trouble neurologique (abaissement de la paupière gauche) : "Si on lui demande d'ouvrir les paupières, elle relève normalement la paupière du côté droit, celle du côté gauche en revanche ne remue pas d'une façon notable, pas plus que le sourcil, de sorte que l'asymétrie sourcilière s'accentue davantage. Dans ce mouvement la peau du front se ride, tandis qu'elle reste à peu près lisse du côté gauche. A l'état de repos la peau du front n'est ridée ni à droite ni à gauche. Il faut encore signaler deux points : une toute petite fossette très visible sous une certaine incidence de la lumière au dessus du sourcil gauche à 8 millimètres et à peu près à deux centimètres en dehors et à gauche de la ligne médiane du tronc et à l'intérieur de cette petite fossette une petite saillie qui semble due à la contraction du muscle sourcillé, ces deux points sont donc appréciables par comparaison à l'état normal du côté droit". On pourrait rapprocher cette description de celles créées dans les textes d'auteurs du Nouveau Roman (Robbe-Grillet, Nathalie Sarraute…). L'observation en psychologie clinique tente de rompre avec cet aspect pointilliste et cette objectivation extrême qui, pour nécessaires qu'ils soient en neurologie, ne sauraient être transposés comme tels dans notre pratique. Nous devons donc considérer que l'observation clinique, même si elle peut utiliser le langage objectivant, situe ses résultats dans le cadre de la singularité de la

148- GUILLAUMIN J. (1977) La dynamique de l'examen psychologique. Paris, Dunod (2ème édition).

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personne et analyse l'influence de l'observateur sur l'observation : l'observation clinique implique une participation de l'observateur et ses résultats sont pondérés par cette participation dans la mesure où ce ne sont pas uniquement des faits qui sont observés mais surtout un sujet dans une situation à laquelle participe l'observateur. Le projet de l'observation clinique est donc de relever des phénomènes comportementaux significatifs, de leur donner un sens en les re-situant dans la dynamique, l'histoire d'un sujet et dans le contexte de l'observation. Mais ce projet n'implique nullement le rejet de toute technique de standardisation de l'observation et de rigueur dans l'interprétation. Si observer un enfant autiste implique qu'on ne le perçoive ni comme une machine, ni comme un ensemble de signes comportementaux, interpréter l'autisme uniquement à partir de la situation serait ridicule tout autant que se priver de toute nomination précise de ce qui est observé : une observation clinique n'est pas une application systématique de grilles de lectures issues d'une théorie générale (psychanalytique, cognitive ou phénoménologique) visant à donner un sens, sans que ce qui a été observé n'ait pu être précisé. b.2. L'observation clinique stricto sensu. Le propre de l'observation clinique est de considérer que les coonduites sont des productions significatives d'un sujet et qu'ils expriment quelque chose. Cette formule est évidemment générale et n'implique pas que tout comportement ne soit étudié que sous l'angle de ce qu'il exprime. Les comportements sont relatifs à une situation et à un espace donné et dès lors qu'il y a un observateur présent, l'influence de ce dernier fait que nombre des comportements du sujet en situation deviennent des interactions : l'enfant que l'on observe dans une classe n'a sans doute pas le même comportement que chez lui et s'il se sait observé ses attitudes peuvent se modifier. Il ne saurait être cependant question de réduire le ralentissement d'un déprimé à la seule présence de l'observateur, voire d'annuler cet élément essentiel du diagnostic sous le prétexte qu'il ne peut être ramené à la situation et à la présence de l'observateur : le rôle du clinicien est de noter ce ralentissement et d'en situer les différentes formes en s'intéressant en même temps au sujet qui le produit ou, plutôt, qui en est victime. L'observation clinique, quasi naturaliste, se réfère volontiers à l'éthologie pour situer les spécificités de sa méthode en tentant ainsi de se distinguer de l'observation médicale ou ethnologique. L'observation en relation individuelle, l'observation des interactions mère-enfant, l'observation du sujet avec ses pairs, l'observation en institution, l'observation du sujet dans la réalisation d'une tâche sont des démarches classiques du psychologue, d'autant plus importantes que le sujet ne s'exprime pas par la parole. L'observation est donc un complément essentiel de l'entretien et, en certaines occasions, elle demeure l'unique moyen d'évaluer les difficultés ou les progrès d'un sujet. Cependant, les techniques d'observation sont rarement précisées par les cliniciens. A l'extrême, le souhait de se dégager de toute objectivation semble avoir entraîné certains à considérer l'observation comme une technique indéfinissable, sans critères précis, ni définition, ce qui risque d'aboutir à une disqualification complète de cette technique essentielle. Dans le domaine de l'enfance149, et plus particulièrement des premiers stades de la vie, l'observation a montré sa fécondité. La psychanalyse, comme la psychologie clinique et la

149- Sur ce point on pourra consulter PINOL-DOURIEZ M. (1984) Bébé agi - Bébé actif. Paris, P.U.F.

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psychologie du développement, ont recouru à cette technique pour produire leurs connaissances initiales. A la suite des travaux de Brazelton et de Stern, les interactions précoces ont constitué un des domaines les plus féconds de l'observation ; l'approche clinique dégage les interactions comportementales (manière dont le comportement de l'enfant et celui de la mère s'agencent l'un par rapport à l'autre), affectives (influence réciproque de la vie émotionnelle de l'enfant et de celle de la mère) et fantasmatiques (influence réciproque de la vie psychique de la mère et de celle de l'enfant). L'observation naturaliste permet d'appréhender assez largement les situations quotidiennes (sommeil, alimentation, jeux, soins corporels) mais aussi les contextes de séparation, de détresse, de souffrance…. b.3. L'observation standardisée. Les lacunes et les limites de l'observation naturaliste (non standardisée, sans critères) ont amené les cliniciens à recourir à des techniques d'observations plus rigoureuses, mais sans doute plus contraignantes et limitatives dans la production de résultats. On utilise ainsi d'autres techniques d'enregistrement des informations (utilisation de la caméra notamment) et d'autres moyens de recueil des données (grilles). Ces grilles d'observations répondent aux mêmes principes métrologiques que les échelles d'évaluation et elles ont un double but : permettre un recueil valide et fiable du matériel, tout en veillant à ce qu'il ne soit pas trop négativement dépendant de la subjectivité de l'observateur. b.4. Un exemple de situation d'observation, le jeu. Le jeu est une activité naturelle, plaisante, qui se caractérise par un ensemble de comportements dans lesquels l'enfant met aussi en scène son monde intérieur, projette certains désirs, recherche une satisfaction fantasmatique. Freud avait attiré l'attention sur la maîtrise des situations douloureuses par le jeu, notamment l'angoisse de séparation (jeu de la bobine) et Mélanie Klein avait introduit le jeu en thérapie en lui donnant la même valeur que les associations libres de l'adulte. Tant dans l'examen psychologique de l'enfant que dans la thérapie, le jeu est un outil essentiel dans la mesure où l'enfant est plus à l'aise dans l'expression de son monde imaginaire par les activités ludiques que par la conversation : il est généralement très difficile de réaliser un entretien avec un enfant, mais les médiations que représentent le jeu ou le dessin lui permettent de s'exprimer - verbalement et non verbalement. D'un point de vue cognitif, Piaget a montré que les jeux d'exercice (mouvements pour le mouvement, manipulations pour la manipulation, recherche d'un plaisir fonctionnel) débutaient au stade sensori-moteur, étaient suivi par les jeux symboliques (mise en jeu de l'intelligence représentative) et les jeux de règles (intelligence opératoire), ce qui confère aux activités ludiques toute leur importance dans le développement. La consultation psychologique, comme la thérapie, propose à l'enfant un matériel composé de petits jouets figurant des personnages humains, des objets familiers, des animaux, des voitures, des maisons, de la Pâte à modeler, de la peinture… Le jeu est d'abord un moyen de communication avec l'enfant ; mais les thèmes, les contenus du jeu, sa cohérence, son déroulement, mais aussi les paroles que prononce l'enfant sont à noter et forment le matériel à partir duquel sont formulées les hypothèses et les interprétations concernant les types de conflits et leurs modes de résolution, l'intensité des manifestations pulsionnelles, l'émergence de l'angoisse…. Le jeu possède ainsi des

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propriétés diagnostiques (exploration des conflits) et thérapeutiques (apaisement des tensions) : il constitue un outil essentiel de la méthode clinique. 5)- L'étude de cas La notion d'"étude de cas" est au centre de la méthode clinique à tel point que certains auteurs réfutent le terme "clinique" pour toute approche qui ne se référerait pas à la dimension du cas. Cette notion a toutefois en psychologie clinique une signification particulière. a)- Origine de la notion d'"étude de cas". La notion de cas provient en partie de certaines spécialités médicales : neurologie, psychiatrie. Un certain nombre de phénomènes rares ou exemplaires ont ainsi été décrits à partir d'observations cliniques souvent nommées "cas" que ce soit sous une formulation abrégée (M. D.) ou patronymique : le cas Susan Urban, le cas du Sergent Bertrand sont des "classiques de la psychiatrie" révélateurs d'un type de problème. La notion de "cas" désigne alors l'histoire de la pathologie originale et exemplaire représentée par un individu. Janet, Freud et d'autres psychanalystes ont eux aussi procédé par "cas" : le cas Schreber, l'"homme aux loups", le cas Aimée de Lacan ou le cas Madeleine de Janet sont des histoires de malades reprenant non seulement la spécificité de la pathologie mais aussi de l'histoire singulière. De même, dans le travail social apparaît aux États-Unis l'idée du "case work" qui vise à centrer l'action autour de l'individu et non pas d'un problème général. Le terme "cas" n'est donc pas dénué d'ambiguïté puisque, d'une part, il vise à éclairer la singularité d’un problème mais que, d'autre part, il transforme le sujet en porteur d'une maladie ou d'une situation particulière, ce dont le terme "faire de quelqu'un un cas" (l'isoler et le réifier) témoigne parfaitement. La notion de "cas" en psychologie clinique vise à se dégager des aspects désubjectivant de la position médicale. Définie comme la reconnaissance d'un trouble en appliquant au cas individuel des données générales accommodées aux particularités du malade (Lagache) ou comme l'histoire singulière d'une vie interprétée à la lumière d'une doctrine, l'"étude de cas" en psychologie clinique tente de restituer le sujet et non pas simplement de reconnaître la spécificité de la pathologie ou du problème qu'il présente. En ce sens, l'"étude de cas" est plus une méthode générale de réflexion sur les problèmes posés qu'une technique comparable à l'entretien ou au dessin. L'"étude de cas" apparaît ainsi comme une exigence dans le regroupement des informations provenant des différentes techniques employées lors de la rencontre du sujet et dans leur intégration. Dans la pratique clinique le recueil des éléments et leur interprétation s'opère donc en référence avec l'histoire singulière de l'individu. Dans le domaine de la recherche ou de la théorie, l'"étude de cas" est un des moyens - il n'est pas exclusif - de constitution et de validation des hypothèses et des interprétations. b)- Définitions et modalités de l'étude de cas. Traditionnellement, l'étude de cas vise "non seulement à donner une description d'une personne, de sa situation et de ses problèmes, mais elle cherche aussi à en éclairer l'origine et le

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développement, l'anamnèse ayant pour objet de repérer les causes et la genèse de ces problèmes"150. Mais à cette conception pragmatique qui met en avant la recherche holistique des éléments en s'intéressant plus à l'individu qu'au symptôme ou au dysfonctionnement, d'autres auteurs préfèrent des définitions plus larges encore. Ainsi C. Revault d'Allonnes151 élargit-elle la définition en insistant sur la notion d'histoire de vie qui rappelle aussi la dimension littéraire de l'autobiographie : "l'étude de cas vise à dégager la logique d'une histoire de vie singulière aux prises avec des situations complexes nécessitant des lectures à différents niveaux, et mettant en oeuvre des outils conceptuels adaptés. De ce fait, elle n'est plus essentiellement référée à l'anamnèse et au diagnostic, et se dégage des contraintes d'une psychologie médicale, tout en restant clinique et psychopathologique". Ces deux orientations sont proches, l'une vise à intégrer différentes données en les référant à l'individu et en évitant de le morceler, l'autre tente de restituer la singularité intérieure en se dégageant de l'objectivation. Ces deux positions ne sont pas opposées mais correspondent à des temps ou des objectifs différents : la première est évaluative alors que la seconde s'inscrit dans une conception thérapeutique inspirée de la psychanalyse ou dans une démarche d'illustration. Si l'étude de cas est une intégration des différentes données, elle suppose que dans l'approche d'un problème l'on se fixe comme objectif de comprendre une personne et non pas seulement le problème ; de même, d'un point de vue thérapeutique, on ne soigne pas une maladie ou un symptôme mais aussi un sujet même si en certaines occasions seule l'approche symptomatique est possible. L'étude de cas est toutefois une construction opérée par le clinicien qui répond à certains principes. Elle se fonde comme le rappelle Lagache sur plusieurs ordres de données émanant de la rencontre : entretien, observation, informations anamnéstiques152. Ces données, produites par des techniques (tests, écoute, compte-rendu…), intégrées dans un contexte (cadre institutionnel, des phénomènes relationnels…), sont articulées dans un projet, un cadre, permettant de rendre compte de l'ensemble des phénomènes, de les nommer et de produire des hypothèses sur la genèse, la fonction et les conséquences du problème posé, sur la place qu'il occupe dans l'histoire du sujet et sur le sens qu'il lui donne. La perspective sera naturellement différente selon que l'on s'inscrit dans une logique de l'évaluation ou du diagnostic, dans une logique de la thérapie et dans une logique de la démonstration théorique ou de la recherche. Inscrite dans une logique de la production de connaissances générales, d'hypothèses scientifiques, l'étude de cas possède plusieurs fonctions. Elle vise d'abord à illustrer certaines problématiques théoriques de manière à montrer concrètement le jeu des différents mécanismes. Elle a aussi pour but d'étayer, de prouver, ce qui est avancé. L'étude de cas est ainsi source de connaissances, lieu de vérification des hypothèses et procédure de transmission et de formulation de la preuve, ce qui a pu faire naître une critique à l'encontre de la transposition de cette méthode commode dans le domaine de la production de connaissances scientifiques. La critique est d'autant moins à prendre à la légère que l'étude de cas, comme toute 150- HUBER W. (1993) L'homme psychopathologique et la psychologie clinique. Paris. P.U.F. 151- REVAULT d'ALLONNES C. (1989) L'étude de cas : de l'illustration à la conviction. In C. REVAULT d'ALLONNES (edit.) La démarche clinique en Sciences Humaines. Paris, Dunod, p. 69. 152- "L'étude clinique d'un cas doit en règle générale reposer sur plusieurs ordres de données. En aucun cas, on ne peut se passer de l'anamnèse et de l'observation du sujet au cours d'une "rencontre" personnelle avec le clinicien" LAGACHE D. (1949) Sur la formation du psychologue clinicien. In D. Lagache Oeuvres Complètes (tome II). Paris, P.U.F., 1979.p. 297.

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activité de connaissance, opère une réduction calculée et raisonnée du matériel en fonction d'un but et d'une problématique qui, dans le cas de la psychologie clinique, implique que l'on ne réduise pas l'individu à une simple mesure ou à son symptôme, mais qui impose aussi que l'on n'annule pas le symptôme en ne s'intéressant qu'à l'histoire du sujet ou à la relation. c)- Intérêts et limites de l'étude de cas. L'intérêt de l'étude de cas est évidemment indiscutable dans le domaine de la pratique clinique. La discussion porte le plus souvent sur la fiabilité des informations fournies par le patient et sur la méthode de reconstruction du cas. Puisque toute étude de cas tend à opérer une réduction du matériel et à fournir une ou des interprétations ou à poser des hypothèses, il est possible de s'interroger sur la pertinence de certaines reconstructions : l'exemple des interprétations successives et parfois contradictoires des mêmes histoires de patients tendrait à pousser les cliniciens à expliciter plus clairement les démarches de reconstruction et à les confronter. Une autre critique - que nous avons déjà rencontrée - porte sur le risque de réduction du problème posé à la seule relation et à la seule référence au sujet. Certains cliniciens préoccupés d'efficacité dans le diagnostic, dans l'indication et la réalisation des thérapeutiques, tout en procédant par études de cas, se démarquent d'une conception trop "subjective" de celle-ci. Ils lui reprochent de privilégier indûment, par référence à une conception psychanalytique étroite, la construction abstraite d'un sujet à partir de catégories générales (le désir, le conflit, l'inconscient, la pulsion…), parfois utilisées de manière systématique et répétitive au détriment de l'étude du symptôme et des possibilités de changement. Le débat est ouvert entre deux conceptions extrêmes (voire extrémistes) l'une pouvant privilégier la prise en charge du symptôme, l'autre l'écoute d'un sujet. La dernière critique est à la fois plus théorique et plus historique. Elle prend appui sur les travaux de Michel Foucault153 pour s'interroger sur la participation de la méthode des cas aux procédures d'individualisation qui font que le sujet reçoit pour statut sa propre individualité et reste lié aux traits, aux mesures, aux écarts et aux notes qui le caractérisent. Si cette critique pose de nombreuses questions à la psychologie clinique en particulier, et aux sciences humaines en général, elle invite aussi à s'interroger, notamment dans les pratiques liées directement ou indirectement à une institution, sur la fonction que remplit le psychologue clinicien et sur le rôle "confortable" (pour l'institution) de l'attribution à un sujet (enfant, malade, déviant…) de la responsabilité d'un problème dont il n'est peut-être que le symptôme institutionnel ou social. En revanche, dans le domaine de la production des connaissances scientifiques, l'étude de cas fait l'objet de plus de discussion. On lui accorde en général d'être au plus près de la réalité concrète, d'être souple, de laisser place au contact affectif, et de permettre l'émergence de relations entre les faits, les événements passés et présents et les positions actuelles du patient. Sur un plan plus général elle peut fournir des hypothèses, en montrer la pertinence, la validité et la cohérence et en infirmer certaines. Toutefois, les critiques sont relativement nombreuses. La notion de cas déborde naturellement le domaine de la psychologie clinique en tant que théorie et en tant que pratique. La notion de "cas unique" est connue dans le domaine scientifique puisque l'on admet que le recours au cas est pertinent lorsqu'il s'agit d'un cas qui viendrait contredire une loi générale, lorsque le cas apparaît comme général (il suffit d'un seul corps pour étudier l'anatomie) ou quand il

153- Notamment FOUCAULT M. (1975) Surveiller et punir. Paris, Gallimard.

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s'agit de cas rares mettant en évidence un phénomène inhabituel. Il reste que ce recours au cas unique - et non pas à la monographie - doit faire l'objet d'une méthodologie rigoureuse154. Les principaux reproches adressés à l'"étude de cas" concernent la fiabilité des informations (mémoire sélective du patient et du psychologue, confusion entre observation et interprétation), les difficultés à répéter les observations et à produire une généralisation, les limites dans la confirmation des relations de causalité postulées. Ces critiques ne condamnent pas l'étude de cas comme méthode de recherche mais rendent nécessaire son couplage avec d'autres techniques de recueil et de validation. IV)- LA NOTION D'ANALYSE PSYCHOPATHOLOGIQUE D'UN CAS. Dans le domaine universitaire (études de cas, observations filmées...), comme dans le do-maine de l'activité pratique des psychologues - ou des psychiatres - cliniciens, on entend parler d'"analyse psychopathologique" à propos d'un cas. Cette analyse semble doubler l'analyse sémio-logique et s'en différencier. Elle correspond donc à une tentative d'élaboration clinique des éléments du cas et à une tentative d'interprétation, tentatives qui répondent à une logique particulière. On peut alors imaginer le modèle suivant qui comporte plusieurs niveaux. 1)- Rappel des principes généraux. Chaque situation crée ses outils et sa position ; la pratique de psychologue n'est pas la pra-tique psychiatrique ni psychanalytique. Toutefois, pour fixer les idées sur les différents niveaux de l'analyse d'un cas on peut reprendre le modèle suivant. Ce modèle découpe des niveaux et des ob-jectifs différents qui correspondent à des lieux et à des pratiques distincts : a)- Analyse sémiologique Elle consiste en une reprise de tous les signes et suppose donc la connaissance de l'ensemble de ces signes, signes qui se repèrent autant dans ce que dit le malade, que dans la re-lation qu'il établit avec le psy. Il ne saurait toutefois être question de se limiter à ces seuls signes ; il convient de relever aussi les signes généraux et de noter l'absence de certains signes. Cette analyse doit nécessairement (sauf si l'on manque de certains éléments) reprendre :

154- Sur ce point on pourra consulter WIDLÖCHER D. (1990b) Le cas au singulier. Nouvelle Revue de Psychanalyse, 42 : 285-302.

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- la présentation rapide du patient (âge, situation…) - le motif de consultation, - les antécédents personnels et familiaux, - l'anamnèse, - l'histoire des troubles (ou histoire de la maladie incluant les événements récents), - la nature de l'épisode actuel (analyse sémiologique complète de l'épisode actuel)155, - la sémiologie de la personnalité, - la sémiologie des mécanismes de défense (au sens psychiatrique cf p. ex DSM-III)156, - les éléments médicaux, - l'évolution, - une conclusion rappelant les éléments essentiels. Cette lecture aboutit à un regroupement syndromique qui va permettre la discussion du diagnostic (en termes de maladie). Elle suit les lois habituelles du diagnostic médical et/ou psychia-trique et procède à une production des signes et à une transformation des symptômes en signes, qu'il s'agisse des signes de maladie ou des traits de personnalité. A ce niveau peuvent intervenir des échelles d'évaluation, voire des questionnaires de personnalité. Cette analyse sémiologique est naturellement un inventaire qui doit être ordonné. Mais il se-rait faux de penser que la sémiologie se passe de toute interprétation. Reconnaître une hallucination et la définir comme psychique, par exemple, est un acte et suppose une interprétation conditionnée par la connaissance, l'expérience, et pouvant faire l'objet d'une discussion ; il faut des arguments et non pas seulement des "impressions". b)- Analyse diagnostique.

155- Cette description de l'épisode actuel est le point le plus important. Il existe des modes de présentation classiques qui reprennent systématiquement, sur le modèle d'un examen médical, des points essentiels (Exemple : découpage en sémiologie du comportement, sémiologie de l'affectivité, sémiologie de l'activité de pensée, avec naturellement des subdivisions dans chacune des trois rubriques). Le risque principal de ce genre de classification des signes est son aspect automatique, routinier et son inadaptation partielle à certaines situations cliniques. Mais il a aussi le mérite de constituer un bon guide permettant de ne rien oublier et de situer la présence et l'absence de certains signes. La lecture sémiologique de ce qui est présenté par le patient se double donc d'une enquête sur ce qui n'est pas présent (et donc devrait ou pourrait être présent). 156- Rappelons que dans le DSM-III-R figure une liste de mécanismes de défense à caractère pathologique comme le clivage, le déni, l'idéalisation, le déplacement.... Il s'agit-là d'un usage assez simple du terme qui, bien qu'employant parfois les mêmes concepts, se différencie, dans les présupposés, de l'usage psychanalytique. On peut donc considérer qu'il y a deux manières complémentaires de s'intéresser aux mécanismes de défense : en termes sémiologiques (mécanismes de défense type "DSM-III") et en termes psychopathologiques (mécanismes de défense au sens où Bergeret les répertorie). On doit distinguer les deux niveaux pour des raisons précises : le diagnostic d'un mécanisme de défense en termes "DSM-III" n'implique pas automatiquement les conclusions que les psychopathologues tirent de l'usage de certains mécanismes. Repérer un clivage (au sens DSM-III du terme) n'implique nullement des conséquences psychopathologiques concernant l'organisation du sujet alors que le repérage de certains clivages (au sens psychanalytique du terme) permet de tirer des conclusions quant à l'organisation psychologique du sujet. De même le DSM-III, et le DSM-III-R, fournissent une description des principales personnalités pathologiques ; il s'agit en fait d'un repérage grossier, mais utile. Il ne saurait toutefois être question de faire une équivalence entre les personnalités et les structures. Cette équivalence n'est pas impossible mais elle correspond à deux logiques différentes.

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Ce deuxième niveau suit nécessairement le premier qui lui sert de préalable. Le regroupe-ment des signes en tableaux ordonnés permet la reconnaissance de la maladie, la discussion de sa forme clinique, et l'exclusion des autres possibilités. La démarche est déductrice et correspond à une certaine logique qui peut être figurée sous la forme d'arbres décisionnels. Certains seront four-nis ultérieurement. c)- Analyse psychopathologique. Elle peut se composer de plusieurs niveaux qui correspondent à des modes de lecture diffé-rents, et à des préjugés d'écoles psychopathologiques. c.1. Etude du "mode de fonctionnement mental du sujet" (métapsychologie)157 En reprenant le schéma de Bergeret, on pourrait développer la démarche suivante :

- étude des mécanismes de défense, dont il convient de connaître la liste, les formes et l'importance, (le Rorschach est, pour tous ces éléments, un outil essentiel),

- étude du type de relation d'objet, - étude du ou des conflits, - étude du type d'angoisse, - étude du symptôme et de la demande, - étude des modes d'investissements libidinaux ,

- analyse de la relation avec l'interlocuteur (qui ne se confond pas avec l'analyse de la de-mande).

Les techniques projectives trouvent naturellement leur place ici. c.2. Analyse de l'histoire du sujet Le principe de ce mode d'analyse, qui est complémentaire du précédent, est de s'appuyer sur le récit de la vie du sujet telle qu'il la raconte. Il va alors être possible de relever des "faits sail-lants" (événements externes) mais ce qui importe ce sont : - les liens temporels qui sont établis par le psychologue dans la linéarité de l'histoire : cette analyse diachronique permet de faire des hypothèses sur les réactions possibles du sujet.

157- Métapsychologie désigne l'analyse des dimensions dynamique, topique et économique. Dans l'état actuel des choses on réserve généralement le terme "analyse psychopathologique" à une approche fondée sur la psychanalyse ou la phénoménologie. Nous donnerons ici des exemples psychanalytiques. En fait, on pourrait très bien imaginer une analyse psychopathologique en termes cognitivistes ; Piaget l'a fait pour l'analyse du raisonnement. Les travaux de Beck permettent de réfléchir à cette possibilité qui ne semble pas encore actualisée.

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Exemple : Mr X., qui présente un état hypocondriaque, dit souffrir d'une maladie de l'intestin depuis deux ans ; il se plaint de torsions, de douleurs, de brûlures.... mais les examens médicaux ne révèlent rien d'anormal. Il en a pourtant demandé et subi un certain nombre, passant de médecins en médecins... Il ne voit rien qui puisse expliquer sa maladie et d'ailleurs semble résister à toute question soulignant qu'il pourrait exister une "origine psychologique" à ces douleurs. En lui faisant raconter sa vie, on apprend que sa mère est décédée depuis deux ans. Il aimait beaucoup sa mère mais n'a pas eu de manifestations de deuil ou d'état dépressif après son décès. En revanche, ses douleurs ont débuté quelques jours après le décès de sa mère. Il est alors logique de se demander s'il n'existe pas un rapport entre la sensation de douleur physique et la perte de sa mère. Le psychologue, procédant à une analyse psychopathologique clinique, pourra alors faire l'hypothèse (qui demande à être vérifiée), d'une relation entre douleur physique, absence de douleur morale et absence de "travail de deuil". On notera que, pour faire cette hypothèse, il faut que le psychologue se fonde sur une conception théorique (celle du travail du deuil comme moment nécessaire ).

- les faits saillants de l'histoire tels que le sujet les rapporte et la manière dont il les inter-prète. Il s'agit en fait d'une analyse synchronique puisque ce qui importe c'est ce que dit le sujet au moment où il parle (hic et nunc : ici et maintenant). - les répétitions de son histoire. - les zones inabordables. Cette approche doit être considérée comme clinique puisqu'elle prend en compte différents aspects du sujet. Mais elle peut s'appuyer sur des procédures paracliniques permettant d'objectiver certains éléments de l'existence du sujet c.3. Etude de la structure. Selon les paradigmes auxquels on se réfère158, ce point peut se confondre avec l'analyse du fonctionnement d'un sujet ou bien être totalement différent (de quel type d'invariants procède le discours du sujet). Définir la structure n'est toutefois pas suffisant, la question est celle de la singu-larité, c'est-à-dire des modalités de cette structure chez le sujet : définir une structure hystérique est une chose, mais la question est de savoir comment elle est manifestée par ce sujet ? On peut par ailleurs considérer que l'analyse de la structure peut aussi s'appuyer sur le re-pérage des répétitions (dans le discours du sujet) et de ce qui pourrait être appelé "signifiants élec-tifs". Certains propos du sujet sont ainsi particulièrement déterminants dans son histoire dans la me-sure où ils condensent et rendent manifestes des éléments de la structure. c.4. Interprétation clinique

158- Voir FEDIDA P. (1964) Le structuralisme en psychopathologie. Histoire, langage et relation. L'Evolution Psychiatrique, 1964, 29, 1 : 85-129.

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L'ensemble des éléments précédents doit aboutir à une analyse clinique des différentes posi-tions du sujet. Cette analyse clinique représente la formulation d'une série d'hypothèses tenant di-rectement compte de la singularité de ce sujet et non un placage de théories ou de modèles tout faits. Parler d'analyse psychopathologique, c'est donc se référer à des paradigmes permettant de faire des hypothèses soit sur la pathologie considérée, soit sur la manière dont se constitue le sujet. On voit aussi apparaître la question de la nécessité d'une forme de diagnostic, d'évaluation diagnos-tique, ou de représentation des problèmes. Ce diagnostic opère à plusieurs niveaux, mais il ne cons-titue pas forcément une réponse. Il faut en effet distinguer le diagnostic qui permet de nommer les symptômes et la maladie, et le diagnostic qui permet, en définissant une structure ou un mode de fonctionnement, de poser certaines questions au matériel clinique, de faire certaines hypothèses (représentation des "possibles") à partir de la théorie de la structure concernée. 2)- Exemple (partiel) sur une très courte observation159. a)- Texte de l'observation. (les mots soulignés désignent un signe qu'il faut reconnaître et nommer ; la lettre entre pa-renthèses renvoie à cette nomination) "Mme C., 32 ans (A), d'origine polonaise et récemment arrivée en France (B), vient de subir brutalement la perte de son mari (C) : le tracteur qu'il conduisait s'est retourné sur lui accidentellement et c'est sa femme qui l'a découvert (C). Pendant 15 jours, la réaction de cette dernière a étonné son entourage : affrontant cette perte avec énergie, elle a déployé une activité surprenante (D). C'est 15 jours après que tout a changé (E) : elle ne s'alimentait plus (F), ne dormait plus (G), se rendait parfois la nuit au cimetière. Parfois elle disait que son mari était enterré en Pologne (H) ; d'autres fois qu'il y avait des micros cachés sous son lit et qu'on voulait la renvoyer en Pologne (I). Elle est hospitalisée après 15 jours de cet état. Dans le service elle apparaît très anxieuse (J), visiblement apeurée, observant toute chose avec un étonnement inquiet et une grande per-plexité (K). Son agitation est incessante et incohérente (L) ; elle retrouve bien sa chambre (M) mais, lorsqu'on l'interroge sur la date (N), elle répond : "c'est demain qu'on va me mettre dans le train et que je vais mourir (O)(P)". Elle pleure (Q) abondamment et c'est le matin que son état est le plus mauvais (R). L'examen somatique est normal (S). Depuis son arrivée en France 3 ans auparavant, son entourage la considérait comme une femme émotive, courageuse et timide (T) ; à l'entretien on relève toutefois des traits de

159- Tirée de l'ouvrage de M. Hardy-Bayle Enseignement de la psychiatrie. Paris, Doin, 1986.

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personnalité sensitive : émotivité, souci de bien faire, hyperesthésie des contacts, tendance à la rumination (U)." b)- Analyse sémiologique. Avant d'entreprendre cette analyse, il faut préciser que les informations contenues dans cette observation sont volontairement réduites pour écourter le commentaire. Dans la pratique cli-nique, les informations recueillies sont en nombre beaucoup plus important.

(A) Age de début des troubles : 32 ans (L'âge n'est généralement pas un bon indice, mais il peut être un critère).

(B) Transplantation (mais elle n'est pas si récente que cela) (C) Facteur déclenchant : perte d'un être cher dans des circonstances dramatiques = trauma-tisme psychologique sévère. (D) Période avec hyperactivité (comportement inattendu pouvant évoquer un état hypoma-niaque)

(E) Début brutal avec virage de l'humeur (F) Anorexie (G) Insomnie totale

(H) Idée délirante ou trouble mnésique (pour éliminer l'existence de troubles mnésiques on peut pratiquer un certain nombre de tests ou d'épreuves spécifiques) (I) Idée délirante de persécution (le mécanisme de cette idée n'est pas précisé) ; les micros cachés sous le lit pourraient faire poser la question de l'hallucination. La malade ne semble pas voir réellement de micros, mais elle invente leur existence, ou bien est sûre - sans preuve - de leur existence. Si elle voyait les micros alors qu'il n'y en a pas on parlerait d'hallucination psychosensorielle visuelle (perception sans objet), si elle estimait qu'il y a des micros parce qu'une voix, à l'intérieur de sa tête, enregistre et répète sa propre pensée et/ou ses propres paroles, on parlerait d'hallucinations psychiques, d'automatisme mental, d'énonciation de la pensée. En revanche, dans le cas présent, comme on ne nous dit pas qu'elle voit des micros ou qu'elle entend réellement des voix, il peut s'agir d'éléments imagi-natifs (elle "invente" des micros et croit à leur réalité), d'éléments intuitifs (elle est sûre parce que l'idée s'impose de manière indiscutable à elle) ou d'éléments interprétatifs (ce qui paraît, dans ce cas, peu probable car interpréter c'est donner un sens et non pas attester l'existence de ce qui n'existe pas).

(J) Anxiété (K) Perplexité (signe de confusion mentale) (L) Agitation permanente et incohérente (M) Pas de désorientation spatiale

(N) Désorientation temporelle (ou désintérêt pour les repères temporaux à cause de la pré-gnance des idées délirantes)

(O) Idée délirante de persécution et de mort (mécanisme non précisé) (P) Idées délirantes pauvres, monotones, sans enrichissement à mesure, mais congruentes à l'humeur

(Q) Pleurs, tristesse (éléments dépressifs ?) (R) Aggravation matinale

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(S) Examen somatique normal (T) Rupture entre la personnalité antérieure et l'état actuel

(U) Eléments de personnalité sensitive (qui peuvent être majorés par l'état actuel, mais ces éléments sont congruents avec ceux décrits par l'entourage).

c)- Réorganisation de la sémiologie c.1. Motif de la consultation Hospitalisation à la suite de troubles de la sphère délirante chez une femme de 32 ans. Il se-rait important de connaître les conditions de l'hospitalisation et le mode de placement (PO, PV, TL) ; on peut regretter aussi de ne pas savoir ce que la patiente et/ou les demandeurs de l'hospitalisation attendent. c.2. Antécédents (personnels et familiaux) Aucune information ==> à faire préciser (dans ce cas) par l'entourage dont la fiabilité doit être étudiée ; il convient de savoir s'il y a eu des états dépressifs dans la famille et si la patiente avait déjà présenté des épisodes semblables ou d'autres troubles. c.3. Anamnèse Transplantation (mais les éléments sont nettement insuffisants). c.4. Histoire des troubles. - Age de début : 32 ans - Début brutal (il y a un mois) - Succession de deux périodes

* une période hypomaniaque de 15 jours (D) faisant suite à un traumatisme psychologique (C)

* des éléments dépressifs évoluant depuis 15 jours et révélés par un virage de l'humeur (E) - La personnalité prémorbide est difficile à définir ; on note des éléments sensitifs, mais ceux-ci ne sont pas assez importants pour que l'on puisse parler - dans l'état actuel des informations - de personnalité pathologique.

c.5. Episode actuel - Le mode de début est présenté comme aigu. - Il existe un facteur déclenchant (C) - L'accès actuel est caractérisé par trois types de manifestations :

* des signes évoquant un syndrome dépressif : troubles du sommeil (G), anorexie (F), pleurs (Q), aggravation matinale (R). Certains de ces signes sont toutefois d'interprétation ambiguë et aucun n'est pathognomonique.

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* des signes évoquant un syndrome délirant : (H), (I), (O), (P). Ce syndrome délirant [28] présente les caractéristiques suivantes :

+ Thèmes : persécution, mort + Mécanismes : non précisé. On ne note pas d'hallucinations, ni d'automatisme men-tal. + Degré de Systématisation : il est trop pauvre pour s'ériger en système, mais il y a deux thèmes. Le délire est pauvre, monotone.

+ Extension : impossible de répondre à cette question (d'ailleurs sans intérêt ici) + Participation émotionnelle : les idées sont congruentes à l'humeur + Conviction délirante : il semble exister une conviction

+ Chronicité ou acuité : les idées sont récentes. Le délire peut être considéré comme aigu.

* des signes d'allure organique : trouble mnésique ? (H), perplexité anxieuse (K), désorien-tation temporelle possible (N).

- il n'existe pas de signes de discordance dans la sphère du comportement, de la pensée (idées délirantes) et de l'affectivité. On ne retrouve pas de bizarreries, un détachement de la réalité, de repli sur soi, des signes de pensée autistique. On ne retrouve pas non plus d'idées délirantes de négation ou d'auto-accusation, ni de troubles organiques. c.6. Eléments médicaux. Examen somatique normal c.7. Evolution Aucune information. Il s'agit ici des premières consultations, il faut donc se contenter de ce qu'on a et travailler dans le provisoire, ce qui est souvent le cas dans le domaine clinique. (On ne peut pas attendre pour prendre une décision que l'issue ait été favorable ou défavorable !!) c.8. Conclusion 1- Apparition récente de signes dépressifs et délirants chez un sujet jeune 2- signes faisant suite à une période hypomaniaque 3- intervenant (1 & 2) à la suite d'un traumatisme psychologique (mort du conjoint) 4- ces troubles sont accompagnés de quelques troubles qui pourraient être organiques 5- traits de personnalité sensitive. d)- Discussion du diagnostic. La présentation de cette discussion peut se faire de plusieurs manières. Nous retiendrons ici la technique consistant à faire une hypothèse, à la justifier, à préciser la forme clinique, puis à ex-clure les autres possibilités. d.1. Hypothèse.

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Cette hypothèse a été suggérée par le regroupement sémiologique - dont il convient de noter qu'il n'est pas neutre mais qu'il tient déjà compte de l'organisation des tableaux - qui nous laissait devant trois syndromes principaux (délirant, dépressif et des éléments organiques). L'existence de manifestations dépressives oriente le diagnostic. Nous faisons donc l'hypothèse de l'existence d'un état dépressif Toutefois, comme certains troubles d'étiologie organique peuvent fournir des tableaux qui ressemblent fort à un état dépressif, il convient d'exclure cette possibilité. Cette démarche est la suivante : d.2. Justification de l'hypothèse 1)- Il existe des idées délirantes (H) (I) (O) (P) 2)- Il existe des signes dépressifs (F) (G) (Q) (R) 3)- La première question à résoudre est de savoir s'il existe une cause organique pouvant expliquer la symptomatologie. La présence d'une perplexité anxieuse et de troubles mnésiques rend cette question essentielle. 4)- La réponse est non car on ne retrouve pas d'autres signes "organiques" (pas de déso-rientation temporo-spatiale vraie) et l'examen clinique est normal 5)- La seconde question est de savoir si l'on peut expliquer l'ensemble du tableau par un trouble thymique (si tel n'était pas le cas le diagnostic pourrait s'orienter vers la Bouffée délirante Aiguë réactionnelle). 6)- La réponse est oui car les symptômes thymiques ont précédé l'apparition du délire qui est d'ailleurs pauvre et monotone. 7)- Il convient de rechercher les autres signes qui, bien que non pathognomoniques, pour-raient renforcer l'hypothèse : présence de thèmes classiquement mélancoliques (indignité, auto-ac-cusation, congruence du thème persécutif à l'humeur), existence d'antécédents personnels ou fami-liaux de troubles thymiques. 8)- En l'absence de ces éléments l'hypothèse "état dépressif" (ou "troubles thymiques") est toutefois justifiée par les signes précédemment mentionnés : tristesse, signes objectifs, épisode hy-pomaniaque, idées délirantes pauvres et monotones. Les éléments de personnalité sensitive peuvent renforcer cette thèse. d.3. Définition de la forme clinique Il existe plusieurs formes d'état dépressif. La définition est rendue d'autant plus difficile que les différentes classifications ne raisonnent pas toutes de la même façon. Les éléments importants sont ici la présence d'idées délirantes. 1)- Si l'on se réfère à la classification traditionnelle de la clinique française, la présence d'idées délirantes et de troubles dépressifs dont l'intensité est élevée signe la mélancolie et plus précisément la mélancolie délirante.

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2)- En termes DSM-III (et non pas DSM-III-R), le diagnostic se formulerait ainsi "Episode dépressif majeur avec mélancolie". On pourrait aussi parler d'"Episode dépressif majeur avec carac-téristiques psychotiques". d.4. Exclusion des autres troubles L'existence de troubles délirants, de troubles d'allure organique, de l'acuité des troubles, au-rait pu orienter le diagnostic vers d'autres entités ; il nous appartient donc de faire la preuve qu'il ne s'agit pas de ces troubles là. La démarche est toujours la même : tel signe évoque telle entité, mais le réexamen du tableau exclut cette possibilité. Exemples : - Il pourrait s'agir d'une Bouffée délirante aiguë (BDA) dans la mesure où l'on retrouve des manifestations délirantes associées à quelques signes de la série confusionnelle et dans la mesure où le trouble est aigu. Mais, si l'on retrouve bien le début brutal, il manque l'aspect poly-morphe du délire (multiples thèmes et multiples mécanismes dont des hallucinations et un automa-tisme mental), vécu avec conviction, avec variabilité et labilité de l'humeur (passage de l'angoisse à la dépression et à l'élation...), et les expériences de dépersonnalisation et de déréalisation. D'autre part, comme il est mentionné plus haut, l'ensemble du tableau peut être expliqué par l'existence d'un trouble thymique. - Il pourrait s'agir d'un épisode confusionnel puisque l'on retrouve - peut-être - une déso-rientation spatiale et une perplexité anxieuse. Mais l'examen clinique est normal (il ne pourrait donc s'agir que d'une confusion psychogène - qui n'est donc pas une "confusion mentale" stricto sensu). En outre, il manque la recrudescence vespérale, la perturbation de la vigilance et les idées délirantes ne paraissent pas secondaires au trouble, pas plus qu'elles ne se construisent à partir d'un onirisme (qui, ici, n'existe pas). - A l'extrême, il pourrait s'agir du début d'un Délire chronique. En effet, les traits de per-sonnalité sensitive et les idées délirantes de persécution se retrouvent dans certains délires chro-niques160. Toutefois on ne retrouve pas ici de systématisation (les idées délirantes sont pauvres et

160- Classiquement, l'analyse d'un délire suppose la recherche d'informations sur : les thèmes délirants (exemple : persécution, mégalomanie, influence....), les mécanismes (ex : interprétation, hallucination, illusion, intuition, imagination), le degré de systématisation (plus un délire est logique et organisé plus on le considère comme sys-tématisé), le type d'extension (réseau ou secteur), l'acuité ou la chronicité, la participation émotionnelle (idées congruentes ou non congruentes à l'humeur, la conviction (croyance du sujet en la réalité de ce qu'exprime son délire), la richesse (ou la pauvreté) du délire. Les délires chroniques sont les entités : paranoïa, PHC, paraphrénie. Le terme "paranoia" est classiquement associé à celui de "persécution". Bien que la persécution se retrouve chez nombre de paranoïaques elle ne leur est certes pas spécifique (on la retrouve ailleurs), ni pathognomonique (tous les paranoïaques ne sont pas persécutés). Les délires paranoïaques présentent les caractéristiques suivantes. - ces délires sont des "systèmes" caractérisés par l'ordre, la cohérence et la clarté - ils apparaissent comme de véritables "pathologies de la croyance" - le délire survient sur une personnalité caractérisée par : * orgueil (égocentrisme, surévaluation mégalomaniaque de soi), * méfiance (tendance au soupçon), * psychorigidité (entêtement, obstination, froideur affective, certitude), * hypertrophie du Moi * fausseté du jugement (apriorisme, paralogie, tendance aux interprétations fausses, raisonnement apparemment logique sur un point de départ faux).

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monotones), ni de mécanismes spécifiques (soit interprétation comme dans le groupe des délires pa-ranoïaques systématisés, soit hallucinations comme dans la Psychose Hallucinatoire Chronique (PHC), soit mécanisme imaginatif comme dans la paraphrénie). L'existence de troubles thymiques n'est pas incompatible avec un délire chronique, mais elle n'est pas systématique. S'il devait s'agir du début d'un délire chronique, ce ne pourrait pas être une paraphrénie (pas assez riche), une PHC (pas d'hallucinations), un délire passionnel (pas de quérulance, pas d'érotomanie, pas de mégalo-manie, pas de jalousie), un délire d'interprétation (pas d'interprétations et pas d'extension en réseau). La question à débattre serait plutôt celle d'un délire de relation des sensitifs (de type Kretschmer) à cause de l'existence de traits de personnalité sensitive, des facteurs traumatiques et des troubles thymiques. Cette hypothèse n'est toutefois pas pertinente à cause de la pauvreté du délire, et, naturellement, à cause de la pertinence du diagnostic d'épisode dépressif majeur. La lecture sémiologique et nosologique visant à définir les éléments objectifs du trouble, à les décrire et à les nommer s'arrête là. Elle débouche sur une indication thérapeutique (ici anti-dé-presseurs avec sédatifs et, naturellement, psychothérapie) et sur une analyse psychopathologique qui vise à interpréter les troubles. e)- Lecture psychopathologique - repérage d'éléments. Cette lecture ne vise pas à reconnaître des signes mais à relever des éléments cliniquement pertinents à cause de ce qu'ils impliquent soit quant à l'organisation de ce sujet (ce qui lui est propre) soit quant à la nature des processus en cause. Le repérage de ces éléments correspond en fait à un ensemble de questions que l'on peut se poser en fonction des différentes représentations théoriques dont on dispose. Il va sans dire que différentes lectures psychopathologiques sont pos-sibles et que je ne présente ici qu'une des facettes (se référant à la psychanalyse). La phénoméno-logie, la psychologie existentielle, la psychologie cognitive, ont chacune leurs techniques d'analyse qui mettent en évidence d'autres liens et d'autres hypothèses. De même, la lecture ici proposée ne saurait prétendre à l'exclusivité et le lecteur ne manquera pas d'ajouter ses propres interprétations et hypothèses : la clinique est un domaine "ouvert" dans lequel il s'agit de se poser des questions pour aider le patient à modifier ses positions subjectives. Dans la pratique clinique, un psychopathologue ne perdra pas son temps à analyser les choses de cette manière et ira droit à l'essentiel en fonction, le plus souvent, de son expérience (analogie avec d'autres cas) et de son adhésion à certains paradigmes. Mais comme il s'agit ici d'illustrer les différents aspects d'une analyse psychopathologique, ils seront présentés avec leurs lacunes, leurs défauts et leurs excès.

Mais on peut aussi retrouver des sujets présentant une personnalité sensitive : longue élaboration des expé-riences vécues "sans en laisser paraître aucun signe extérieur" ; les sujets développent des sentiments douloureux d'échec, d'infériorité. Sur le plan nosologique on distingue, dans le groupe des psychoses paranoïaques, trois types de délires : Délires passionnels : érotomanie, jalousie, revendication (G. de Clérambault) Délire de relation des sensitifs (Kretschmer) Délires d'interprétation systématisés (Sérieux et Capgras)

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Il faut aussi préciser que nous avons très peu d'éléments provenant directement de la pa-tiente : son discours, ses propos ne sont pas notés, ce qui rend difficile l'analyse psychopatholo-gique fine, en particulier l'examen des rapports entre énoncé et énonciation. (B) "d'origine polonaise et récemment arrivée en France" : Cette patiente est transplantée depuis 3 ans à un âge relativement jeune. Il existe, il est vrai, une pathologie de la transplantation, ce qui ne veut pas dire que la transplantation implique automatiquement une pathologie mentale. D'autre part, ce serait utiliser les conceptions critiquables - et critiquées - de Jaspers sur la compré-hension que d'établir une relation de causalité entre la transplantation et l'apparition de troubles. La question est avant tout de savoir comment cette personne a vécu son départ de Pologne et ce que son pays, sa langue, sa culture représentent pour elle. D'autre part la notion de "récemment" pour désigner 3 ans peut être discutée et doit faire l'objet d'une enquête auprès de la malade et de ses proches. Les deux problèmes principaux sont donc ce qui a fait partir cette dame de Pologne et ce quelle a pu trouver dans le pays d'adoption. (C) "perte de son mari" : cet élément doit être lié aux deux autres "accidentellement" et "c'est sa femme qui l'a découvert". Dans une logique des faits on peut citer trois aspects : - la mort d'un être cher, qui renvoie à une problématique du travail de deuil - la brutalité de cette mort, qui pose le problème de la séparation et de la non-préparation du sujet à cet événement - le traumatisme de la découverte de l'accident, qui évoque la question des effets à long terme du traumatisme. Ces trois éléments sont essentiels dans la mesure où ils sont à l'origine (temporelle) de l'épisode actuel et où ils sont repris dans le discours du sujet, et notamment dans ses idées déli-rantes. Il convient de les prendre séparément et de poser un certain nombre de questions à leur pro-pos.

* : la mort du mari. Toute perte d'un être cher (il faudrait d'ailleurs connaître la nature de leurs relations) confronte le sujet à un processus que l'on appelle - du moins dans le corpus psychanalytique - "travail du deuil". Ce "travail" est un processus normal qui peut aussi se dérouler de manière pathologique, notamment en entraînant un déni de la mort de l'autre, ou des manifestations délirantes, ou un épisode dépressif avec impossibilité de se détacher de l'objet perdu.... La perte d'un objet libidinalement investi (c'est-à-dire d'un objet non indifférent) implique que l'on réfléchisse aux différents processus du travail du deuil et à son échec possible. Les éléments de culpabilité - affirmés ou dissimulés derrière un déni ou une thématique délirante - mais aussi l'absence de réaction doivent faire poser la question des rapports entre le sujet et la personne perdue. * : le traumatisme. Comment cette personne a-t-elle ressentie la situation de la découverte ? Quels effets a eu cette découverte sur le moment et après-coup ? Quels souvenirs en garde-t-elle et comment peut-elle supporter ces souvenirs ? * : la situation de l'événement par rapport à l'histoire de ce sujet. Cette perte et cette sépara-tion dramatiques ont-elles répété d'autres situations préalables du même ordre ?

* : l'objet. A quelle place se situait son mari dans son organisation psychologique ? (D) "activité surprenante" Bien qu'inattendue, cette réaction ne doit pas être considérée de manière normative. Toutefois, le passage rapide à la dépression contribue à soutenir l'hypothèse d'une modification des mécanismes de défense selon une logique du type :

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- traumatisme - puis agitation - puis dépression - et délire. Cette période constitue un symptôme (au sens où elle surprend), mais l'absence de réaction ou une tristesse profonde, bien que n'ayant pas forcément de signification dans une analyse sémio-logique, auraient tout autant posé une question psychopathologique. La période hypomaniaque, pour autant qu'il s'agisse bien de ce type de comportement, peut-elle correspondre à ce que certains auteurs ont nommé "défense maniaque", c'est-à-dire annulation de la perte de l'objet. (E) "tout a changé" La notion désigne l'existence d'une coupure dans l'état du sujet et d'une transformation. Si l'hypothèse précédente était exacte, peut-on penser que cette rupture signe l'échec de la défense maniaque ? (H) "elle disait que son mari était enterré en Pologne" Cette idée délirante est-elle simple-ment du domaine de l'erreur dépourvue de sens ou bien possède-t-elle réellement une signification ? On doit toutefois remarquer que : - la mort du mari est reconnue

- le signifiant "Pologne" qui désigne au premier chef le pays d'origine et ce qui s'y rattache (souvenirs, filiation, conflits...) est présent

- le lieu où se trouve le mari est éloigné. L'apparition d'une idée délirante pose toujours la question de savoir ce qu'elle exprime et la place qu'elle vient occuper dans les productions du sujet. Pour l'instant, sur ce seul éléments on ne peut aller très loin. Notons toutefois la contradiction entre les discours et les actes : elle va au cime-tière, mais affirme que son mari est enterré en Pologne. Cette fluctuation est déjà importante à noter comme correspondant à des aspects différents d'elle-même, mais elle pose surtout la question de ce qui est reconnu et refusé par cette patiente. "se rendait la nuit au cimetière" Quel est le sens de ces visites au cimetière et pourquoi la nuit ? (l'existence d'une confusion mentale - d'ailleurs peu évidente - ici n'empêche pas que ce com-portement puisse avoir un sens). Pourquoi la nuit ? Il faut ici bien distinguer la question de l'étiologie et celle du sens. On sait en effet que les sujets présentant un tableau de confusion mentale sont plus agités - et plus confus - le soir et la nuit. Dans le cas où elle serait confuse, l'origine de ces troubles particuliers pourrait être rapportée à la confusion. Mais une telle interprétation n'empêche pas que l'on s'interroge sur la signification que peut posséder ce comportement précis : toute agitation nocturne n'a pas une relation aussi directe avec le traumatisme. (I) "micros cachés sous son lit" : La notion de micro évoque au moins la notion d'enregistrement de la voix, si ce n'est (dans le cadre de la pathologie) l'émission de la voix. Elle peut renvoyer ici à la question d'une surveillance dont la patiente serait l'objet, ce qui pose plusieurs questions : - s'il existe une surveillance quelle en est, dans le délire de la malade, la raison ?

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- que font les micros (enregistrement de la voix et/ou de la pensée) ? - existe-t-il une relation, dans le délire, entre la mort du mari et les micros ? (I) "on voulait la renvoyer en Pologne" Il faut noter la réapparition du signifiant "Pologne". La première question à poser porte sur le "on" : à qui fait-elle allusion. Le terme "voulait" est aussi important à noter dans la mesure où la malade désigne là le désir de quelqu'un d'autre. Le terme "renvoyer" pourrait désigner - mais ce n'est pas entièrement sûr - une intention négative des autres à son égard. La Pologne serait ici associée, non plus à la "mort" du mari, mais à quelque chose de désagréable pour elle. La malade est objet de quelque chose. Le sens de cette phrase associée à celle qui précède semble être celui d'une surveillance et d'une persécution par des personnes non définies. Dans la logique de l'idée délirante, il faudrait alors connaître les raisons imaginées par la malade pour expliquer cette persécution. (J) "très anxieuse" : il existe des manifestations extérieures de l'anxiété, mais la question psychopathologique serait plutôt de savoir de quelle peur il s'agit et quel type d'angoisse est présent chez elle. (O)(P) "c'est demain qu'on va me mettre dans le train et que je vais mourir" Cette phrase en style direct est d'autant plus importante que c'est la seule qui nous soit rapportée. On y perçoit : - la réapparition du "on" qui pose les mêmes questions que précédemment - la vision négative d'un futur immédiat - la passivité de la patiente ; les choses doivent arriver et elle n'exprime pas de lutte contre son sort - la référence à la mort prochaine (comme le mari) Cette phrase peut naturellement être associée aux éléments précédents concernant la sur-veillance et la persécution. Il convient d'autre part d'établir le lien entre les éléments dépressifs et cette situation de persécution. La solution naïve consisterait à penser qu'elle est déprimée parce qu'on la persécute. En fait, il faut noter que la dépression qui n'est pas apparue à la suite de la mort du mari, semble déplacée sur d'autres éléments qui sont "inventés" par la malade et qui, bien que non réels, sont traités comme des événements réels. (T)(U) "émotivité, souci de bien faire, hyperesthésie des contacts, tendance à la rumina-tion" Les traits de personnalité peuvent être analysés un par un en se fixant comme objectif de com-prendre ce qu'ils engagent comme mode de fonctionnement psychologique. Le "souci de bien faire" par exemple, ne constitue un phénomène pathologique que dans la mesure où il entraîne des diffi-cultés pour la patiente (dépression, exigences impossibles à atteindre, écart insupportable...). Tous ces éléments doivent eux aussi faire l'objet d'une analyse dont les résultats fourniront des informa-tions pour l'étude du "mode de fonctionnement mental du sujet". (Q) "elle pleure" (et tous les autres éléments dépressifs) ; ces éléments doivent être repris pour tenter de savoir ce qui soutient ces éléments dépressifs. Même s'il paraît logique que la pa-tiente soit triste, il faut relever les thèmes dépressifs et la manière dont ils sont abordés. Pour l'instant on peut remarquer que la patiente n'exprime pas directement son chagrin à propos de son mari et, ce, quelles qu'en soient les raisons.

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)- Analyses psychopathologiques. La présentation qui suit est scolaire et n'a donc pas d'autre but que d'illustrer ce qui a été dit précédemment. Il va sans dire que le travail d'un clinicien se doit d'être un peu moins obsessionnel et un peu plus fin. D'autre part, l'aspect limité du matériel ne permet aucunement les conclusions, ni même les hypothèses que je vais formuler. f.1. Etude du "mode de fonctionnement mental du sujet" - étude des mécanismes de défense : déni de la réalité161 (avec aussi peu de matériel il est difficile à mettre en évidence, mais il pourrait être attesté au moins par le lieu ou est enterré le mari et les idées de persécution), projection162 (attestée par les éléments de persécution, mais ces élé-ments restent d'interprétation difficile, on ne peut notamment les utiliser pour interpréter les phé-nomènes), déplacement (le déplacement du lieu où est enterré le mari ne correspond pas réel-lement au mécanisme de déplacement). D'autres mécanismes pourraient être inférés mais les éléments présents ici ne permettent pas de leur accorder d'importance - étude du type de relation d'objet : Rien n'est dit de ses relations concrètes. On peut toutefois s'interroger sur ses réactions à la perte de l'objet. Cette perte n'est pas réellement niée, mais les réactions à cette perte sont en quelque sorte transformées : hyperactivité puis tristesse avec éléments de persécution. De manière formelle on peut se demander de quelle nature pouvait être la relation étant données les réactions lorsque celle-ci est rompue. Mais il est bien trop tôt pour tenter de définir une relation narcissique ou d'étayage. - étude du type d'angoisse. On peut nommer les éléments suivants : angoisse liée à des si-tuations de persécution et angoisse de mort. Il est toutefois difficile de préciser si ces angoisses concrètes peuvent être ramenées à une angoisse de morcellement ou de perte d'objet ou de castra-tion (pour reprendre la classification de Bergeret) - étude du symptôme et de la demande. La demande est non apparente mais elle pourrait être déduite de la phrase : "c'est demain qu'on va me mettre dans le train et que je vais mourir". Si l'on peut noter une interrogation sur l'avenir, sur la mort, la demande n'est toutefois pas claire. Le symptôme est ici la manière dont la patiente réagit à la mort du mari et/ou au traumatisme de la dé-

161- Le déni de la réalité désigne le refus de reconnaître la réalité. Il porte donc sur la réalité même de la perception. Le déni est considéré comme une mécanisme aboutissant au clivage. NB il ne s'agit pas ici du déni retrouvé dans les perversions. Déni : "mode de défense consistant en un refus par le sujet de reconnaître la réalité d'une perception traumatisante" (Vocabulaire de la Psychanalyse). L'usage du terme déni peut permettre d'inférer, à partir de la présence d'un délire, l'existence d'un déni. Cette démarche est toutefois peu pertinente cliniquement puisqu'elle est tautologique : on admet que le mécanisme de déni est constitutif du délire et corrélativement, on va le déduire dans soute situation de délire. Cette démarche est tout à fait critiquable, dans la mesure où l'existence d'idées délirantes ne signe pas forcément la psychose. Il existe d'ailleurs, même en psychanalyse, des significations moins péjoratives du terme "déni" qui ne porte plus alors sur la réalité en général mais sur une partie de celle-ci. 162- Pour S Freud il existe dans ce mécanisme trois temps consécutifs : tout d'abord la représentation gênante d'une pulsion interne est supprimée, puis ce contenu est déformé, enfin il fait retour dans le conscient sous la forme d'une représentation liée à l'objet externe" (Bergeret J. Abrégé.. p. 98). Pour Freud, la projection est un mécanisme central (possédant un rôle étiologique) de la psychose. La projection est toutefois un mécanisme qui se retrouve aussi dans des situations normales et sa seule présence ne peut être considérée comme un signe de pathologie.

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couverte. Ce symptôme ne fait toutefois pas l'objet d'une plainte clairement exprimée, mais doit être défini et compris à partir des situations qui succèdent à cette perte d'objet. - étude des modes d'investissements libidinaux. Le point central est ici la nature de l'investissement originaire du personnage du mari et la manière dont se déroule le désinvestisse-ment. Nous ne savons rien de la place qu'occupait le mari et du type de choix d'objet (étayage, nar-cissique...). On doit remarquer que la perte d'objet réelle est suivie de manifestations qui l'annulent puis d'une inversion de la souffrance (déplacement) qui fait de la patiente quelqu'un qui va mourir et qui déplace le problème de la séparation vers la persécution. Il faut tout de même s'interroger sur l'absence d'apparition de manifestations dépressives, absence dont le sens n'est pas clair : qu'est-ce-que la perte d'objet chez la patiente ? existe-t-il un travail de deuil chez elle ? qu'est-ce que le sujet a perdu ? - analyse des relations avec l'interlocuteur. L'observation ne les mentionne pas mais il ne semble pas que le contact soit syntone et que l'interlocuteur ait une quelconque importance. Mais de plus amples informations doivent être obtenues. f.2. Analyse de l'histoire du sujet Rappelons que cette analyse procède de plusieurs manières : liens que l'on peut établir de l'extérieur dans la linéarité de l'histoire, répétitions de l'histoire relevées par le psychologue, manière dont le sujet reconstruit son histoire. Ici encore nous devons utiliser, faute de mieux, le discours de l'observateur. f.2.a. liens temporels : L'épisode actuel est survenu après un double traumatisme représenté par la découverte de la mort d'un être cher et par l'existence même de cette mort. C'est à la suite de ces deux événements conjoints que réapparaissent des craintes (?) du passé. On peut reconstituer la pathobiographie de la manière suivante :

- il y a 3 ans arrivée en France (on ne sait pas ce qui s'est passé avant, mais il s'agit d'une transplantation,

- période sans difficultés pendant cette période de trois ans, - mort du mari et découverte du cadavre,

- manifestations hypomaniaques pouvant correspondre à un déni de la mort du mari et/ou du traumatisme, - période de reconnaissance de la mort du mari, période de persécution et d'angoisse de mort. Les thèmes délirants font réapparaître les souvenirs de Pologne.

On perçoit donc que la mort du mari et la découverte du cadavre impliquent une série de remaniements psychologiques possédant une signification. Cette succession peut apparaître comme une série de tentatives de réaction à une perte (dont on ne connaît pas la nature exacte) f.2.b. répétitions de l'histoire.

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Le manque d'information nous empêche d'y répondre, mais que répète la mort du mari et quels rapports existe-t-il entre le souvenir de la mort du mari et le souvenir du départ de Pologne ? f.2.c. reconstruction de l'histoire par le sujet. Elle en est apparemment incapable, les choses sont présentées comme actuelles et sont vé-cues comme réelles, les événements ne sont pas rapportés comme tels. Pourtant, au-delà des bribes qu'elles nous apporte on ne peut manquer de noter une continuité dans le thème de la mort qui con-cerne le mari et qui est aussi rapporté à propos d'elle. Mais la malade n'établit pas les liens de causa-lité. f.3. Etude de la structure. Avec aussi peu d'éléments, elle est impossible. Il faudrait avoir du matériel concernant ses liens avec son mari, mais aussi avec sa famille. Toutefois, à titre purement scolaire on peut propo-ser quelques lignes de réflexions. 1ère ligne d'interprétation : L'utilisation des équations théoriques tirées de l'analyse de Deuil et Mélancolie permet de faire une hypothèse a priori, hypothèse qui demande à être soutenue par d'autres éléments. L'absence de travail de deuil est attestée par trois arguments : - absence de manifestations témoignant d'un travail de deuil (souvenirs, tristesse, nostal-gie...) - épisode d'allure maniaque - éléments persécutoires. Cette absence de travail de deuil pourrait laisser penser que la perte d'objet est insuppor-table pour le sujet. Si le sujet ne peut pas renoncer à l'objet c'est sans doute à cause d'une relation d'objet témoignant d'un choix d'objet particulier ou d'une non-séparation originaire. On devrait alors situer la structure du sujet comme différente d'une structure névrotique (dans la mesure où la pré-sence de l'objet est la question principale) et comme différente d'une structure psychotique (puisque l'existence de l'objet semble acquise). On serait alors tenté de considérer l'objet sous l'angle d'une pathologie narcissique. 2ème ligne d'interprétation : On emploira une "équation théorique freudienne" : le "délire est un processus restitutif de guérison", il y a dans le délire un fondement de vérité historique, le délire remplace quelque chose qui a été dénié dans le passé... On s'interrogera alors sur l'identité entre la situation délirante et une situation infantile et sur ce que le délire dit de "vrai" quant aux in-certitudes du sujet concernant la mort, l'objet, les autres. Ces deux lignes sont purement hypothétiques et ne servent qu'à interpréter le matériel. Elles pourraient être complétées par d'autres lignes faisant référence aux travaux de Mélanie Klein (fixation, position paranoïde-schizoïde, identification projective), à ceux de G. Pankow (image du corps), de Racamier.... Ces conceptions ont toutefois le défaut de ramener abusivement la situation concrète de ce sujet à des modèles généraux qui définissent un ensemble de possibilités. Le pro-

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blème n'est cependant pas uniquement de ramener cette histoire à une généralité, mais aussi de cer-ner ce qui se passe chez ce sujet précis. Sur ce plan, il faut faire quelques hypothèses cliniques. L'analyse des signifiants essentiels de ce patient ne peut être ici réalisée étant donné la fai-blesse du matériel. Elle se confond donc avec les éléments relevés au point e). f.4. Hypothèses cliniques (succinctes). 1)- Une des premières choses qui frappent est la dimension de l'expérience de la perte et de ses conséquences. La patiente passe par un moment hypomaniaque qui correspond à un déni de deuil puis par un épisode persécutoire. On peut penser que la perte d'objet a d'abord été annulée, puis reconnue mais que les affects et les représentations qu'elle a suscitées ont été projeté au-dehors du sujet et réapparaissent sous une forme inversée. 2)- Le second élément concerne les formes particulières de la culpabilité qui peut réappa-raître à partir de l'inquiétude concernant ce qui peut lui arriver (mort, rejet, train...). La surveillance dont elle est l'objet va dans le même sens. 3)- L'hypothèse la plus intéressante concerne la manière dont la mort du mari entraîne dans un premier temps une situation d'inversion des affects, puis une dépression profonde avec crainte de mort pour elle. Le travail de deuil n'est pas même ébauché et le traumatisme semble avoir provoqué une situation intérieure insupportable dont le sujet se défend par expulsion (projection) sur le monde extérieur de ce qui est intolérable à l'intérieur. V)- LA PSYCHOPATHOLOGIE EN TANT QUE DOMAINE Nous avons détaillé l'aire sémantique et les contradictions du terme "psychopathologie". Il se dessine naturellement des différences mais aussi des points de convergence. On pourrait dire que dans le cadre d'un enseignement universitaire - qui se veut donc général - la psychopathologie re-groupe ces différentes possibilités. Aussi peut-on retenir que la psychopathologie est avant tout un discours scientifique tentant de fournir des interprétations théoriques de phénomènes repérés dans un domaine qui est celui de la souffrance. Or si l'on adopte un point de vue général, on ne peut manquer de signaler les différents ni-veaux, les différents concepts, les différentes problématiques de ce domaine. Plusieurs problèmes clefs apparaissent donc dans le domaine psychopathologique. 1)- Les problématiques théoriques. Plus encore que la psychiatrie, la psychopathologie, qui est donc un discours explicatif, dé-pend de conceptions théoriques générales. On retrouve donc les mêmes clivages qu'en psychiatrie entre différents courants, différentes "lectures" : psychopathologie phénoménologique, psychopa-thologie psychanalytique, psychopathologie systémique, psychopathologie cognitiviste, psychopa-thologie comportementale, psychopathologie sociogénétique... etc. Le paradoxe est le suivant.

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1)- Les cliniciens sont généralement en accord sur les signes principaux d'une mala-die, ou sur leur reconnaissance chez les malades. De l'analyste jusqu'au psychiatre biologiste adepte du DSM III, un état dépressif grave reste reconnu, quel que soit le nom qu'on lui donne... 2)- On voit déjà une différence au niveau du nom à donner à la maladie, ce qui n'est pas forcément sans signification : ne pas vouloir prononcer le terme d'"hystérie" c'est prendre position dans l'histoire de la psychopathologie, de même, refuser le terme de "dépression". 3)-Les signes secondaires sont encore plus équivoques dans la mesure où on ne leur accorde par la même importance selon le courant théorique auquel on se réfère. Tous les cliniciens auront repéré les auto-accusations d'un mélancolique, mais certains en feront un élément clinique essentiel alors que pour d'autres il s'agit d'un signe grave, péjoratif, sans plus. Le problème se pose d'ailleurs d'autant plus qu'on s'éloigne des troubles graves. 4)- Lorsque l'on aborde la représentation de la maladie, les différences de concep-tions deviennent majeures : le même sujet va se voir créditer, selon les conceptions, d'une "défaillance narcissique", d'une "dépressivité", d'une "hystérie dépassée", d'une "hystérie orale", d'"une psychose hystérique", d'"une maladie de l'idéalité".... En fait, aucune de ces assertions n'est fausse ; elles sont bien ou mal utilisées à l'intérieur de leur cadre théorique qui, lui-même, est cohérent et heuristique ou parfaitement contradictoire et obscurcissant. Et l'on peut ajouter : chaque assertion est vraie (et non pas exacte) si elle permet au clinicien d'écouter son malade et de l'aider à exprimer sa souffrance et à s'en dégager, chaque assertion est aliénante si elle enferme le malade dans un personnage qu'il n'est pas, si elle empêche le clinicien d'être attentif à ce qui se passe avec son malade, si elle permet au clinicien de se "soigner" c'est-à-dire de restaurer une image usurpée de lui-même163.

En toute logique popperienne, il y a les théories réfutables par des expériences et les théo-ries qui ne le sont pas. La plupart des théories psychopathologiques (psychodynamiques, psychana-lytiques, phénoménologiques...) appartiennent à la seconde catégorie. Ces théories pourraient donc être considérées comme parfaitement spéculatives. Dans le domaine de la pathologie mentale et de la clinique, le problème est beaucoup plus compliqué que dans d'autres domaines, en particulier médicaux. Dans toute élaboration théorique, même fondée sur les méthodes les plus heuristiques, il y a toujours une part interprétative, qui semble inévitable étant donnée la complexité des situations. La psychiatrie biologique est de ce point de vue assez caractéristique : la mise en évidence des faits est rigoureuse mais les interprétations ne le sont pas toujours autant et certaines affirmations ne

163- L'expérience des "groupes Balint", des réunions de synthèse dans les services, des groupes d'"inter-contrôle" permet de remarquer que l'utilisation de certaines théories a une fonction identifiante pour le clinicien mal à l'aise (comment ne pas l'être ?) qui trouve dans le patient un "complice involontaire" lui permettant d'apparaître à ses propres yeux comme "bon médecin", "psychanalyste", "thérapeute efficace", "scientifique"... Il ne suffit pourtant pas d'utiliser une conception élargie de la schizophrénie, de l'appliquer fallacieusement à un malade névrosé, pour "guérir la schizophrénie". Dans d'autres situations, la théorie apparaît aussi comme un outil défensif permettant au psychologue de se protéger contre ce que suscite la rencontre avec le malade et sa propre position. Il faut admettre une fois pour toutes qu'il est plus facile de s'intéresser à des maladies qu'aux malades, aux processus qu'aux sujets, mais que dans la clinique personne - pas même Charcot, Freud ou Beck - n'échappe à l'incertitude, à l'inconnu, à l'angoisse et à la rencontre avec un sujet. L'expérience clinique montre aussi que ce qui n'est pas admis, ce que l'on fait tout pour ne pas voir (que ce soit pour soi ou dans la relation avec le malade), réapparaît sous une autre forme, parfois dramatique.

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constituent en rien une aide pour le clinicien164. Dans le cadre des théories "invalidables" (en tant que théories), un problème différent se pose dans la mesure où elles fournissent parfois une inter-prétation invérifiable où c'est la cohérence interne qui pose un problème : théories trop cohérentes pour rendre compte des contradictions des faits (dogmatisme), théories très proches des contradic-tions cliniques et donc manquant de cohérence, théories supposant une logique dans leur utilisation, logique apparemment peu suivie par les cliniciens. a)- Les théories de référence Les théories de référence en psychopathologie ont déjà été abordées à propos de la psychiatrie165. En France, la référence dominante en psychopathologie est constituée par les discours psychanalytiques. Toutefois, les conceptions cognitives et systémiques opèrent une avancée non négligeable. La phénomènologie fait désormais partie du passé, même si certains auteurs demeurent attachés à son développement. Il faudrait, en toute rigueur distinguer les éléments suivants :

- Les paradigmes : conception dominante dans un champ du savoir à laquelle se rallie la communauté scientifique à un moment historique donné. Le paradigme166 est constitué d'un ensemble cohérent de faits et d'interprétations théoriques. Mais il est aussi consolidé par des éléments extérieurs au discours scientifique et tenant à l'institution scientifique, voire à l'extra scientifique. - Les théories : elles sont des discours sur les modèles. Elles représentent des conceptualisations abstraites. - Les modèles : représentations analogiques d'objets, de processus, ou de systèmes formels. Ils peuvent constituer la base sur laquelle reposent les sciences. Ils sont des schémas sur les relations entre des aspects de la théorie et seraient plus proches de l'empirique. Ils peuvent servir de "règles de rapports" entre la théorie abstraite et le travail appliqué. - Les objets empiriques : éléments concrets découpés par une science ou une pratique et sur lesquels travaillent les praticiens et les chercheurs.

Paradigmes Ex : la psychanalyse167 Théories Ex : la conception de l'Inconscient168 Modèles Ex : le modèle de la névrose

164- On note d'ailleurs que dans nombre d'articles, il existe un décalage entre l'interprétation des résultats d'une enquête et les hypothèses interprétatives. 165- cf. infra II)- LES MODES D'APPROCHE EN PSYCHIATRIE 3)- Explication des troubles. Etiologie et psychopathologie) . 166- Voir plus loin la discussion des paradigmes en psychopathologie. 167- Il faudrait naturellement distinguer les différentes conceptions de la psychanalyse (freudienne, école anglaise, ego psychology, Lacan…). 168- ou de l'Oedipe.

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Objets empiriques Ex : l'hystérie d'angoisse (se diffé-renciant de la névrose phobique)

b)- Les classifications cf. infra. ce qui concerne les classifications psychanalytiques notamment. 2)- La cause - Organogenèse et psychogenèse. a)- L'organogenèse Il s'agit là d'un débat historique - toujours actuel en psychopathologie - et qui concerne la question de la cause. La psychopathologie, comme la psychiatrie, est naturellement dépendante des courants dominants d'une période de l'histoire, et les éléments nouveaux ne viennent pas s'intégrer à une construction existante mais tentent de se substituer radicalement aux éléments anciens qui font alors l'objet d'une véritable occultation. Le débat entre organogenèse et psychogenèse est aussi an-cien que la psychiatrie et il a pour particularité d'être parfaitement vain. La question n'est pas uni-quement celle de la cause de la maladie mentale, mais celle de la psychologie. En effet, dans les spécialités médicales comme la neurologie où l'on sait que telle maladie organique donne des troubles psychiques, se développe un courant "neuropsychologique" ou "neuropsychopathologique" (de Bonis) qui vise à analyser les processus psychiques. On ne voit pas très bien comment une organogenèse psychiatrique pourrait ne pas ouvrir de facto sur le même type d'analyse. On ne voit pas non plus comment une psychogenèse "stricte" pourrait se maintenir sans tomber dans une conception quasi délirante de l'effet du psychisme sur la matière. D'autre part, la particularité de l'organogenèse actuelle est de méconnaître l'écart anatomo-clinique, mé-connaissance qui rend nécessaire une réduction de l'objet à ce qui en est stable, voire définition de l'objet à partir de ce qui en est stable. b)- La psychogenèse La psychogenèse, qui s'intéresse à l'origine psychologique de l'objet de la psychopathologie, propose un foisonnement d'approches hétéroclites mais en général non sans mimétisme avec les courants de pensée de l'époque concernée. Les théories psychogénétiques sont à la recherche d'un sens et proposent des modèles de compréhension des faits et des processus. Il en découle deux con-séquences principales.

1- la notion de psychogenèse est toujours associée à celle de compréhension intuitive (le "verstehen" de Jaspers) qui reste prisonnière d'une conception traumatique et qui fait bonne place à l'empathie. 2- la compréhension s'appuie sur un ensemble de propositions dont la pertinence et la cohérence sont douteuses. La théorie analytique qui les a soutenues ces dernières années ne dispose d'aucun privilège par rapport aux autres discours lorsqu'elle est reprise en dehors du cadre analytique. Dans la pratique clinique on ne saurait se passer d'un cadre théorique ne serait-ce que comme construction provisoire, à condition de rester prudent c'est-à-dire de ne pas prendre l'échafaudage pour le bâtiment. Le fait que suivant l'époque ou suivant

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l'école, une approche soit mise en vedette ou occultée, amène des critiques non dénuées de fondement sur les "modes" en psychopathologie.

c)- Fonction individuelle de la théorie. La puissance de ces théories, voire leur nécessité, est en bonne partie "imaginaire" car elles fournissent l'illusion rassurante de comprendre, de ne pas se laisser emporter par nos propres méca-nismes identificatoires ou projectifs ; elles protègent et une bonne identification à la théorie évite de vivre dans une trop grande insécurité les relations avec les malades. Le problème principal de cette opposition entre cause psychique et cause organique réside dans son caractère exclusif et dans la fermeture qu'elle implique. La pensée "causaliste" est au coeur de la psychiatrie comme permettant d'assurer une "origine" - et/ou un "coupable" - aux phénomènes pathologiques, mais elle laisse précisément de côté l'apport de la clinique psychiatrique, à savoir les différentes modalités d'expression du trouble et les manifestations proprement individuelles de la pathologie. Or la question de la cause n'élimine pas un des problèmes essentiels : le rapport établi par un sujet à une situation qui est celle de la maladie. Au-delà de la causalité de la maladie, il reste la question du discours ou d'un comportement d'un sujet, éléments qui ne se ramènent pas uniquement à la cause de l'état pathologique ou à un ensemble de signes. d)- La causalité psychique. La question de la causalité psychique a été posée par certains psychanalystes (Lacan) pour désigner non pas la causalité de la maladie mais les phénomènes qui se déroulent chez le sujet. Cette conception répond donc à l'expérience psychanalytique et au transfert. Dans le cadre de la causalité psychique, c'est le caractère fantasmatique du trauma, de l'événement, qui est le point es-sentiel. L'introduction de la notion de causalité psychique confronte la psychiatrie à une représenta-tion des faits qu'il n'est plus possible de réduire à une perspective organogénétique ou psychogéné-tique. Schématiquement nous pourrions donc dire que le psychiatre se trouve confronté du côté de la psychogenèse au traumatisme comme réalité et du côté de la causalité psychique au traumatisme comme fait de structure introduisant au sujet divisé, des fantasmes originaires, de l'après coup, du transfert. 3)- Structure et processus La psychopathologie constitue une partie de son savoir sur le découpage des entités. Traditionnellement un cours ou un manuel de psychopathologie reprend les différentes théories concernant les névroses, les psychoses, les perversions.... Pourtant, la psychopathologie ne limite pas son objet à cette étude des maladies. Deux aspects, notamment, apparaissent souvent dans les réflexions des psychopathologues, objets qui recoupent certes les maladies, mais qui s'en démar-quent. Ces deux objets ont un statut différent. Les processus désignent finalement soit des si-tuations transnosographiques (processus délirant, le "travail du deuil"), soit des phénomènes très particuliers (processus d'objectalisation). Les structures respectent d'une certaine manière le dé-coupage nosologique (structure névrotique) sans pour autant se fixer le même niveau d'analyse ni la même description.

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a)- La notion de processus. a.1. La notion de processus provient des travaux de Jaspers qui distingue le processus psy-chique et le processus physique (lésion). Comme on l'a vu précédemment, Jaspers oppose "expliquer" et "comprendre". Dans les troubles mentaux il distingue ainsi les pathologies expri-mables en termes de relations de compréhension et celles qui ne le sont pas. - le processus psychique s'oppose chez Jaspers au développement de la personnalité qui est exprimable en termes de compréhension. Dans la logique de Jaspers on "comprend" qu'un para-noïaque (de personnalité) soit persécuté. - le processus psychique introduit un élément hétérogène qui induit une nouvelle synthèse mentale (changement dans la vie psychique) - le processus psychique se marque ainsi par des expériences délirantes irréductibles, par l'échec partiel de la compréhension et par l'absence de lésion organique. a.2. Par extension la notion de processus est presque devenue un synonyme du terme méca-nisme, désignant cependant quelque chose de plus large : processus psychique, processus de pen-sée, processus de défense, processus primaire, processus secondaire... S'intéresser en psychopathologie aux processus, c'est dépasser la question du "pourquoi" pour définir le "comment". En fait, la question de la psychopathologie n'est pas seulement de défi-nir, par exemple, l'ensemble des théories psychologiques sur la dépression mais d'expliquer com-ment s'effectue le processus dépressif, c'est-à-dire de décrire les phénomènes dépressifs et d'en ex-pliquer les éléments psychologiques. Il va sans dire que cet objectif passe par la description de mé-canismes généraux et spécifiques. Il y a une psychopathologie de la dépression comme il y a une biologie de la dépression. b)- La notion de structure. b.1. Conceptions générales Le terme de structure169 est issu du courant structuraliste et il en conserve manifestement l'esprit. La notion centrale est celle d'invariants dont les rapports constituent la structure, les effets observés étant déterminés par cette structure. Cette notion est issue des travaux sur le langage dans lesquels ce ne sont pas les mots ou les lettres en eux-mêmes qui produisent le sens, mais leur com-binaison. Le jeu d'échec - ou de dames - illustre bien la notion de structure : les deux adversaires jouent sur le même échiquier, avec les mêmes pièces, mais le jeu c'est l'organisation des pièces dont la place sur l'échiquier conditionne les possibilités qui constitue la structure. A chaque coup joué la structure du jeu est modifiée bien que le "matériel" (pièce) reste le même. L'"analyse de la position" consiste en fait à repérer la place des différentes pièces et à prévoir les effets de leurs combinaisons. Le déplacement intempestif d'un seul pion peut avoir des conséquences "dramatiques" quelques coups plus tard.

169- "Une structure est un système de transformation qui comporte des lois en tant que système (par opposition aux propriétés des éléments) et qui se conserve et s'enrichit par le jeu même de ses transformations sans que celles-ci aboutissent en dehors de ses frontières ou fassent appel à des éléments extérieurs. Une structure comporte trois caractéristiques : de totalité, de transformation et d'autoréglage" (PIAGET J. Le structuralisme. Paris, P.U.F. (Que sais-je ?), 1970).

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Les conceptions structuralistes - qui s'opposent au fonctionnalisme et à l'évolutionnisme - se retrouvent dans certains des travaux de Levi-Strauss (anthropologie), de Lacan (psychanalyse), de Barthes (linguistique), de Foucault (histoire), bien que chacun d'entre eux ait pris ses distances avec l'idéologie structuraliste170. Toutefois, l'usage du terme "structure" en psychopathologie et en psy-chiatrie ne répond pas forcément toujours aux conceptions structuralistes. b.2. Conception de Bergeret. Dans le domaine psychiatrique la notion de structure a naturellement plusieurs significa-tions, mais le souci reste le même: la structure est une combinaison particulière d'éléments inaper-çus qui conditionne les troubles et leur sens. Bergeret, pour parler de la structure, reprend la méta-phore freudienne du cristal : si on laisse tomber un bloc de cristal les cassures s'opèrent selon des lignes invisibles extérieurement mais qui se trouvaient déjà déterminées par la "structure préalable du cristal". Aussi Bergeret peut-il avancer : "Il en serait de même pour la structure psychique. Peu à peu, à partir de la naissance (et sans doute avant), en fonction de l'hérédité pour certains fac-teurs, mais surtout du mode de relation aux parents dès les tous premiers moments de la vie, des frustrations, des traumatismes et des conflits rencontrés, en fonction aussi des défenses organisées par le Moi pour résister aux poussées internes et externes et des pulsions du Ça et de la réalité, peu à peu le psychisme individuel s'organise, se "cristallise" tout comme un corps chimique complexe, tout comme un minéral, avec des lignes de clivage originales et ne pouvant plus varier par la suite. On aboutirait ainsi à une véritable structure stable dont les deux modèles spécifiques sont représentés par la structure névrotique et la structure psychotique. Tant qu'un sujet répondant à l'une ou l'autre structure n'est pas soumis à de trop fortes épreuves intérieures ou extérieures, à des traumatismes affectifs, à des frustrations ou à des con-flits trop intenses, il ne sera pas "malade" pour autant. Le "cristal" tiendra bon. Mais si, à la suite d'un événement quelconque, le "cristal" vient à se briser, cela ne pourra s'effectuer que selon les lignes de force (et de rupture) pré-établies dans le jeune âge. Le sujet de structure névrotique ne pourra développer qu'une névrose et le sujet de structure psychotique une psychose" (Abrégé de Psychologie Pathologique p. 134-135.) Si l'on suit Jean Bergeret, plusieurs idées sont à retenir : - la structure existe chez tout le monde - malade ou pas.

- cette structure est "invisible" et correspond à un mode d'organisation inconscient qui se constitue dans les premières années de la vie

170- Le travail de G. DELEUZE Le structuralisme. In Histoire de la Philosophie. Tome Le XXème siècle. Paris, Hachette, résume très clairement les éléments du structuralisme :

- Existence d'un ordre symbolique irréductible à l'ordre du réel et de l'imaginaire et plus profond qu'eux. Cet ordre symbolique définit des places (ex : dans notre culture il y a des symboles déterminants comme ceux de Père et de Mère) - Les places dans un espace structural sont premières par rapport aux êtres qui viennent les occuper (ex : dans notre culture les symboles Père et Mère existent avant nos parents réels) - Les places déterminent les effets subjectifs (c'est le fait d'être à la place de Père ou de Mère qui condi-tionne l'apparition des phénomènes imaginaires)

- La structure est inconsciente.

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- la structure fait que tout sujet peut être un névrosé - voire un psychotique - sans symp-tôme, sans signes pathologiques. Pour être précis, nous pouvons être de structure hysté-rique sans jamais présenter un seul signe d'hystérie. - la structure c'est ce qui organise l'apparition des phénomènes pathologiques à la suite d'un événement intérieur ou extérieur. - il faut donc distinguer la structure, la maladie et la personnalité (manifestation visible de la structure mais sans automatiquement présence d'éléments pathologiques). - le même signe ne prend pas le même sens dans deux structures différentes. Ainsi l'apparition d'une même phobie (agoraphobie par exemple) n'impliquera pas les mêmes pro-cessus, ne sera pas interprétée de la même manière dans une structure hystérique et dans une structure obsessionnelle.

b.3. La conception lacanienne. Il n'est pas question ici de reprendre la théorie lacanienne, mais d'apporter quelques élé-ments de réflexion sur un usage assez courant du terme structure et sur ses ambiguïtés. Dans un texte classique (LACAN J. (1958) Remarque sur le rapport de Daniel Lagache171. In Ecrits, Paris Seuil, 1966). Lacan172 va, comme l'indique le titre, commenter les conceptions de Lagache, notam-ment sur la structure : "Dés lors, quand Daniel Lagache part d'un choix qu'il nous propose entre une structure en quelque sorte apparente (qui impliquerait la critique de ce que le caractère des-criptif comporte de naturel) et une structure qu'il peut dire à distance de l'expérience (puisqu'il s'agit du "modèle théorique" qu'il reconnaît dans la métapsychologie analytique), cette antinomie néglige un mode de la structure qui, pour être tiers, ne saurait être exclu, à savoir les effets que la combinatoire pure et simple du signifiant détermine dans la réalité où elle se produit. Car le structuralisme est-il ou non ce qui nous permet de poser notre expérience comme le champ où ça parle ? Si oui, "la distance à l'expérience" de la structure s'évanouit, puisqu'elle y opère non comme modèle théorique, mais comme la machine originale qui y met en scène le sujet" (p. 649).

- la position de Bergeret peut être rapprochée de celle de Lagache, telle, du moins, que Lacan la rapporte dans cet extrait. - dans cette conception il existe une structure apparente et une structure qui n'est pas appa-rente mais qui la détermine. - Lacan critique fermement cette position qui fait de la structure l'ensemble des processus cachés. - cette conception implique que la structure ce soit le langage, ou pour être plus précis, le symbolique173 ce sont les effets de combinatoire des signifiants qui produisent le sujet. Il n'y

171- Rappelons Lagache (1952) : "… Sans doute je parle d'analyse de la conduite et M. Lacan d'analyse du discours ; mais le discours, le discours du patient, nous ne le prenons pas à la lettre, dans sa signification objective, nous savons qu'il est souvent un leurre, nous lui cherons un sens caché qui écheppe à l'analyse, ce faisant ne transformons-nous pas la conduite abstraite en conduite concrète ou si l'on veut le discours en conduite…". Ici s'atteste, du point de vue analytique, mais aussi du point de vue psychologique, une différence maximale entre des conceptions du langage ("langage reflet" vs "langage consitutif") et des conceptions du sujet. 172- Mais il est vrai qu'on a pu rapprocher - à juste titre - les positions de Lacan (le symbole comme meurtre de la chose) de l'idéaliste hegelien. 173- "si l'imaginaire joue également un rôle capital dans le champ qui est le nôtre, ce rôle est tout entièrement pris, repétri, réanimé par l'ordre symbolique. L'image est toujours plus ou moins intégrée à cet ordre qui, je vous le rappelle, se définit chez l'homme par son caractère de structure organisée. Quelle différence y a-t-il entre ce qui est de l'ordre imaginaire ou réel, et ce qui est de l'ordre symbolique ? Dans l'ordre imaginaire ou réel, nous avons

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aurait pas comme le dit Lagache (puis Bergeret) de structure cachée (ensemble de proces-sus) à découvrir mais un discours qui a ses formes et ses propriétés. Et, ultérieurement Lacan dégagera 4 discours (discours du Maître, discours de l'Hystérique, discours de l'Universitaire, discours de l'Analyste) constitués des mêmes invariants (le signifiant maître, le savoir, le sujet, l'objet cause du désir) permutant sur quatre places (l'agent, la vérité, l'autre, le produit). Ces discours définissent en fait des structures174.

En étant plus précis, et plus proche de la clinique, on peut dire que, dans la théorie laca-nienne qui accorde une place prépondérante à l'Oedipe (c'est-à-dire au moment où l'enfant renonce à son amour exclusif et à sa rivalité pour ses parents), la structure dépend précisément de la résolu-tion de cette phase et de la place que l'enfant y occupe175. Joël Dor souligne ainsi le rôle d'éléments

toujours du plus et du moins, un seuil, une marge, une continuité. Dans l'ordre symbolique, tout élément vaut comme opposé à un autre" (LACAN J. Le Séminaire III. Les psychoses. Paris, Seuil, 1981 p. 17) 174- Dans cette conception théorique, toute interrogation sur un discours comporte deux questions elles-mêmes doubles : 1ère question "au nom de quoi ce discours ?" c'est-à-dire qu'est-ce-qui organise apparemment ce discours (quel en est l'agent) et quelle en est la vérité ; 2ème question "en vue de quoi ce discours ?" c'est-à-dire quel est l'autre auquel il s'adresse, quel produit engendre-t-il. Le tableau de Lacan est le suivant :

S1 $

S2 a

Discours du Maître

S2 S1

a $

Discours de l'Universitaire

$ a

S1S2

Discours de l'Hystérique

a S2

$S1

Discours de l'Analyste

S1 : Signifiant Maître S2 : Savoir $ : Sujet a : Objet a

Agent

Vérité

Autre

Produit

¬ On notera l'existence de quatre places et de quatre invariants qui, selon leur mode d'articulation, produisent des effets différents. 175- Leclaire définit ainsi la conception de l'Oedipe dans cette problématique : 1er temps La mère est le personnage principal en tant qu'être de désir, le sujet s'identifie à l'objet du désir de sa mère : "pour plaire à la mère, il faut et il suffit, garçon ou fille, d'être le phallus". (Dans cette conception le phallus est le "signifiant primordial du désir". Il ne saurait être confondu comme le fait Freud avec le pénis réel ; le phallus personne ne l'a, il est l'objet que chacun désire et qu'il ne trouve jamais, il est l'objet qui manque). 2ème temps Le sujet éprouve que la mère ne se satisfait pas de la situation et il se détache de son iden-tification à l'objet du désir de la mère. La persistance du désir de la mère le renvoie à l'existence d'autre chose ; l'énigme est alors pour l'enfant "que veut la mère ?". Entre en jeu le père, ou plus exactement la dimension pater-

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inducteurs qui varient d'une structure clinique à l'autre : "C'est sur le terrain d'une structuration psychique fondamentale que ces éléments interviennent et que nous sont donnés, dans la triangulation des désirs réciproques de la mère, du père et de l'enfant au regard de l'enjeu phal-lique, leurs relations internes. mais quelle que soit la nature de ces éléments inducteurs qui participent électivement à la détermination irréversible de la structure, tous restent fondamentalement assujettis au substrat du signifiant qui les leste" (Structure et perversions. Paris, Denoël, 1987. p. 84.) Ceci implique que l'on puisse concevoir à partir du discours des sujets en analyse plusieurs possibilités de structure selon l'organisation du discours et la place que va occuper le sujet parlant : structure hystérique, structure obsessionnelle, structure perverse, structure psychotique. Le propre de ces structures est de ne pas comporter de symptomatologie propre et/ou visible. Bien qu'une telle avancée soit risquée, on pourrait dire qu'un sujet présentant des signes apparents de la série psychotique peut être de structure hystérique. On voit à la fois l'avantage et le risque de cette no-tion :

- le symptôme, le signe, ne conditionnent pas automatiquement l'organisation psychique. Ce n'est pas parce que quelqu'un délire que l'on peut en tirer argument pour inférer un modèle psychopathologique qui ferait de lui un schizophrène ou un paranoïaque, c'est-à-dire quelqu'un dont le mode de fonctionnement est radicalement différent du nôtre. On distingue alors le syndrome et la structure ; le syndrome (au sens psychiatrique du terme) n'implique pas la structure (au sens psychodynamique du terme). - cependant l'inverse est tout à fait possible. Un sujet peut être de structure psychotique sans présenter un seul signe de psychose176. Etant données les significations qui s'attachent au terme de psychose, cette position n'est pas forcément un progrès dans la manière de percevoir le malade, mais une telle perception peut éviter certaines prises en charge intempestives.

La conception structurale, qu'elle soit celle de Bergeret ou celle issue des travaux de Lacan constitue un des fondements de nombre de discours psychopathologiques. Par extension, la notion de structure se confond avec la définition des processus spécifiques d'une entité, processus irréduc-tibles à ceux d'une autre entité, même si certains mécanismes sont communs. 4)- Paradigmes et usages des paradigmes. Si l'on regarde bien la structure du discours psychopathologique on voit qu'il offre un cer-tain nombre de représentations de la pathologie et de ses différentes formes. Mais comme le sou-ligne Lanteri-Laura, il s'agit de généralités dont le rapport à la clinique est loin d'être toujours évi-

nelle. Ce deuxième temps aboutit en fait à introduire un tiers dans la relation entre l'enfant et la mère. L'enfant n'est pas tout pour la mère, son désir à elle est aussi ailleurs. 3ème temps Le père (en tant qu'instance) est perçu comme détenteur de quelque chose qui constitue l'objet du désir de la mère : "Il n'est plus question pour l'enfant d'être ou de ne pas être le phallus, mais de l'avoir ou de ne l'avoir pas". Nous rentrons donc ici dans le registre des identification et de la question de l'Avoir et non plus de l'Etre. Ce mouvement est structurant puisqu'il ouvre le sujet vers l'extérieur et le "libère" de la relation duelle dans laquelle il pouvait être pris. 176- Le même problème se retrouve chez Piaget à propos des débiles. Il montre en effet qu'on peut avoir un QI normal ou limite et être débile (puisque incapable de certaines opérations qui caractérisent l'intelligence).

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dent. D'autre part, aucune clinique ne fonctionne sans présupposés. Aussi faut-il bien admettre que la psychopathologie est un savoir (sur les maladies, la souffrance etc..), un ensemble de paradigmes (modèles), mais qu'elle n'est pas seulement un discours général. Elle est étroitement liée à la réalité clinique et possède une fonction pour le clinicien. Elle est donc "utilisée" à des degrés divers dans chaque rencontre clinique. En effet, chaque clinicien se réfère à un ensemble de principes pour in-terpréter ce qu'il observe, voire pour établir (ou justifier) son action. a)- La notion de paradigme. Pour illustrer le mode de fonctionnement du savoir psychopathologique, nous pouvons re-prendre, à titre analogique, le modèle des paradigmes proposé en épistémologie.

1 - Elle est issue des travaux de Kuhn pour qui un paradigme est une oeuvre scienti-fique universellement reconnue qui fournit des problèmes et des solutions modèles à une communauté de praticiens pendant un certain temps. Il existe en fait plusieurs paradigmes à l'intérieur de la psychopathologie, comme à l'intérieur de la psychologie : le structuralisme, le cognitivisme, la psychanalyse, la phénomènologie sont des paradigmes. La notion d'"universel" employée par Kuhn est toutefois rarement retrouvée en psychopathologie, comme d'ailleurs dans d'autres disciplines. 2 - L'activité scientifique s'exerce à l'intérieur d'un paradigme. Son rôle consiste à re-cueillir ou à provoquer des faits qui actualisent les potentialités du paradigme (exemple ex-tension du paradigme cognitif à la dépression, extension du paradigme psychanalytique à la psychose.) L'activité scientifique agit "en accroissant la connaissance des faits jugés particulièrement révélateurs pour le paradigme, en améliorant la correspondance entre ces faits et les prédictions du paradigme et en précisant la formulation du paradigme lui-même". L'activité de recherche reste donc partiellement "prisonnière" du paradigme. 3 - La même interprétation peut être faite à propos de la psychopathologie, à condition de souligner que activité de recherche et activité clinique peuvent être considérées ici de la même façon. En psychopathologie, on retrouve bien ce même approfondissement du paradigme. Mais on trouve aussi l'édification de "sous-paradigmes" (conceptions théoriques d'un objet précis considérés comme valides). On aurait par exemple un paradigme (psychanalytique) de l'hystérie, un paradigme cognitif de la dépression, un paradigme comportementaliste de la phobie etc. 4 - Une révolution scientifique correspond au remplacement d'un paradigme par un autre (par exemple le remplacement du fonctionnalisme par le structuralisme en anthropolo-gie). Le paradigme suivant né des carences du premier, de phénomènes extérieurs à la science, reformule complètement les objets construits par le paradigme précédent. Le paradigme second a pour caractéristiques de ne pas réfuter (au sens poperrien) le paradigme antérieur mais de le dépasser en proposant une cohérence nouvelle et un système plus heuristique, c'est-à-dire qui explique plus que le précédent. 5 - En tant que paradigme, il n'est pas vérifiable. La validation des théories générales du paradigme reposent assez peu sur les faits, mais le plus souvent sur l'opinion des prati-ciens. La déstabilisation d'un paradigme est liée à son entropie (il finit par devenir inerte et tautologique), à ses contradictions internes, et à son incapacité à répondre à de nouvelles questions ou à son échec répété devant la même question.

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6 - Les sous-paradigmes sont quant à eux totalement différents. Ils supposent d'être validés et constituent le modèle d'interprétation de certaines réalités cliniques. Si leur vocation heuristique est déterminante leurs rapports aux fait supposent démonstration, validation (quelle qu'en soit la forme).

b)- Les paradigmes en psychopathologie. La psychopathologie est donc non seulement un savoir, mais un ensemble de sous-para-digmes dépendant de paradigmes généraux. Ces sous-paradigmes sont utilisés comme des "équations théoriques", permettant de penser des situations concrètes plus larges et tentant de passer de la singularité à la structure. Dans leur constitution, ces sous-paradigmes procèdent par recueil du matériel clinique, utilisation d'analogies, de raisonnements inductifs et du "travail du né-gatif" (utilisation du modèle de l'hypocondrie pour comprendre la boulimie, par exemple). L'utilisation des concepts correspond à une double tactique. D'une part, la définition de notions opératoires, parfois empiriques, correspond à la démarche clinique : des phénomènes sont re-groupés à partir de la production de nouveaux critères (les notions de "pensée opératoire", de "somatisation" par exemple regroupent des phénomènes auparavant considérés comme secondaires ou intégrés à d'autres ensembles). D'autre part, les concepts généraux sont utilisés comme opérateurs pour faire prendre sens aux notions opératoires. La plupart de ces travaux emploient des lois selon un modèle de propositions logiques (si... alors...) ou font "travailler" des concepts dans un cadre différent : les "propriétés" de la structure perverse permettent d'interroger le matériel de l'anorexie mentale chez Kestemberg, les modèles de l'hypocondrie et de la mélancolie guident l'analyse de Igoin sur la boulimie. Dans cette utilisation des concepts et des autres modèles, la ri-gueur théorique n'est pas plus exclue que la réfutabilité. Enfin, ces sous-paradigmes sont des "micro-systèmes" qui constituent des "révolutions" du savoir clinique, qui introduisent une nouvelle analyse, et qui modifient la perception ultérieure d'une part des cliniciens. C'est d'ailleurs là sans doute que réside leur plus grande fragilité. De travail de recherche, toujours imparfait, ils se voient constitués en "modèles" généraux - à la fois idéaux du moi du clinicien, signes de reconnaissance et ensembles d'interprétations, voire de formules, brillantes, mais aussi aveuglantes. On peut ainsi citer des formules,des locutions, qui, pour pertinentes qu'elles soient, ne constituent en rien des élaborations démontrées : "l'obsessionnel c'est le désir impossible", "la perversion c'est défi, délit, déni", "pratiques de l'incorporation", "psychose hystérique", "hystérie dépassée".... Mais en psychanalyse, l'élaboration théorique est toujours issue d'une clinique singulière ordonnée par le dire du patient dans le transfert ; "la production du savoir de l'inconscient n'est jamais une lecture de ce dire qui serait a priori ordonné par une grille d'interprétation fournie par un modèle. La psychanalyse comme pratique privilégie la parole du sujet, à partir de sa demande, et donc, entre autres, ce qu'il dira de sa conduite, mais elle ne s'intéresse pas à la réalité clinique de la conduite qui, en tant que telle, s'inscrit sur le plan plus phénoménologique de l'observation."177. Bien que ne correspondant pas au modèle traditionnel de la science, ce type de travail, qui constitue le principal "guide" des cliniciens, peut être considéré comme une activité de recherche, si

177- RIGAUD A., JACQUET M.M. Propos critiques sur les notions d'addiction et de conduites de dépendance. In BAILLY D., VENISSE J.L. (édit.) Dépendance et conduites de dépendance. Paris, Masson, 1994, p. 50.

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du moins il respecte la démarche de rigueur dans le recueil clinique du matériel, dans l'utilisation des concepts et dans la logique de la démonstration. Son intérêt principal réside dans sa double ré-futabilité - théorique et clinique - mais il demeure prisonnier d'une forme de généralisation qui peut en faire une théorie "hégémonique", ou "passe partout". Cette conception des paradigmes ne définit pas l'ensemble de la psychopathologie mais tend à montrer qu'il s'agit d'un discours vivant, en mouvement, fait de reconstructions successives, d'une tentative de théorie de la pratique et d'une articulation constante avec la clinique. VI)- RÔLES, ACTIVITES, LIEUX D'INTERVENTION DU "PSYCHOLOGUE CLINICIEN" Selon les lieux de travail, les activités peuvent varier de manière notable. Mais on peut les regrouper autour de quatre pôles : - l'évaluation et le diagnostic, - la pratique des thérapies ou des rééducations, - le conseil - l'intervention institutionnelle. auxquelles on peut ajouter l'activité de recherche et de formation. 1)- L'activité de diagnostic Il y a bien, chez les psychologues des situations où il s'agit de "diagnostic" au sens le plus strict du terme178. En psychologie clinique, comme ailleurs, le diagnostic au sens strict du terme doit permettre de décrire un sujet et les problèmes qu'il présente, de classer le problème et de définir sa forme spécifique ainsi que ce dont il se différencie (diagnostic différentiel), d'étudier le développement, l'origine et les mécanismes des problèmes présentés, de faire un pronostic et de poser une indication. Parler de diagnostic et d'évaluation, surtout lorsqu'on s'intéresse à la dynamique du sujet, c'est donc se référer à des paradigmes permettant de faire des hypothèses soit sur la pathologie considérée, soit sur la manière dont se constitue le sujet. On voit aussi apparaître la question de la nécessité d'une forme de diagnostic, d'évaluation diagnostique, ou de représentation des problèmes. Ce diagnostic opère à plusieurs niveaux, mais il ne constitue pas forcément une réponse. Il faut en effet distinguer le diagnostic qui permet de nommer les symptômes et la maladie, et le diagnostic qui permet, en définissant une structure ou un mode de fonctionnement, de poser certaines questions au matériel clinique, de faire certaines hypothèses (représentation des "possibles") à partir de la théorie de la structure concernée. Traditionnellement, les fonctions du diagnostic sont : 1- Décrire l'individu et son problème, 2- Analyser le développement et les causes de ce dernier, 3- Classifier et donner un diagnostic différentiel, 4- Faire un pronostic clinique et poser une indication, 5- Evaluer les effets de l'intervention.

178- Pour ce qui concerne le détail des opérations de diagnostic, se reporter au chapitre II (les modes d'approche en psychiatrie) et au chapitreIV (la notion d'analyse psychopathologique d'un cas).

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Le bilan psychologique est le moyen de parvenir à un diagnostic. Il peut être décrit à partir des éléments qu'il vise à établir et des techniques qu'il emploie. L'ensemble des éléments que le bilan peut fournir a déjà été évoqué à propos des approches sémiologique et psychopathologique. Naturellement aucun bilan psychologique d'un sujet n'aura l'ambition de recueillir toutes ces informations, mais chaque bilan tentera d'éclairer quelques-uns de ces éléments. Pour ce faire, le psychologue dispose des différentes techniques mentionnées précédemment (entretien, observation, dessin, test…) dont l'utilisation doit être adaptée au problème posé, à la relation avec le sujet et à ses particularités. La logique de l'étude de cas veut que la liberté du sujet prédomine et il serait donc impensable de lui imposer une batterie de tests, fut-elle utile, alors qu'il demande à parler et à s'exprimer.

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Tableau récapitulatif des opérations d'évaluation

Problème posé

Evaluation (étude de cas)

Analyse de la demande

Bilan

Indication

Buts éventuels : Analyse de la sémiologie Analyse de la dynamique Analyse de l'histoire Analyse de la structure

Techniques utilisables: Entretien Observation Tests Jeu Dessin Modelage

2)- Les thérapies Le domaine des psychothérapies ne concerne pas uniquement les psychologues179 et fait l'objet de débats portant sur le terme (que signifie thérapie ?), sur l'inclusion de certaines techniques (distinction entre psychothérapie et rééducation) sur la validation de leur efficacité, voire sur leur utilité. 3)- Le conseil psychologique, l'activité institutionnelle et les situations de crise. a)- Le conseil psychologique. Il représente une rencontre ponctuelle avec un sujet qui tente de résoudre un problème spécifique avec l'aide du psychologue. Le "conseil" consiste à aider le sujet à choisir une solution. Après l'exposition du problème, les questions du clinicien l'amènent à percevoir les implications personnelles,de sa décision (ou non-décision). La neutralité du psychologue est particulièrement

179- Se reporter au début du polycopié (Chapitre VI Les thérapeutiques).

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importante puisqu'il ne doit aucunement interférer avec les positions du sujet, ni décider à sa place, ni lui faire suivre la voie qui lui semble la meilleure. Cette pratique est bien connue des praticiens de l'orientation scolaire et professionnelle - dont certains ont une intervention que l'on peut qualifier de clinique - mais aussi de certains cliniciens intervenant dans le domaine de la santé (décision d'I.V.G., techniques médicales de réhabilitation, décision de demander une intervention chirurgicale non obligatoire) ou de l'aide aux personnes en difficulté (maltraitance, conflits interpersonnels…). Ces pratiques montrent qu'il existe des interventions des psychologues entre l'évaluation et la psychothérapie, interventions qui concernent l'orientation, l'aide à la décision ou l'approche ponctuelle des situations de crise. Le counselling est une pratique qui correspond à la pratique du conseil psychologique et à une forme de psychothérapie de soutien. Elle s'est développée dans les pays anglo-saxons dans le domaine des associations non professionnelles destinées à aider les sujets victimes d'agression ou d'atteintes physiques ou mentales. Son rôle est de faciliter l'existence des sujets d'une manière qui respecte leurs valeurs, leurs ressources personnelles et leur capacité de décision. b)- Les interventions de crise. Le développement des institutions de crise, les difficultés rencontrées dans certains lieux où se manifeste l'urgence ont contribué à promouvoir un ensemble de méthodes d'intervention de crise qui ne concernent pas seulement les situations dramatiques mais aussi des phénomènes qui ont pour caractéristiques l'intensité, la durée brève, la perte des repères et la recherche d'une solution immédiate - généralement impraticable : la "crise de nerfs", le conflit majeur enfants-parents, la confrontation à un drame personnel (décès brutal d'un proche par exemple), les épisodes de violence, les disputes… peuvent, selon leur modalité et l'aspect public de l'événement aboutir à une situation de crise qui apparaît comme une rupture dans la relation avec les autres mais aussi dans le sujet. Pour répondre à ces situations il existe quelques "lieux de crise" mais le plus souvent les situations de crise sont réparties dans les différentes institutions soignantes : admission des hôpitaux, services de psychiatrie, parfois lieux d'accueil non médicaux. L'intervention dans les situations de crise, si elle suppose bien qu'il y a eu un avant (facteurs de situation et de personnalité qui ont amené la situation) et un après (nécessité de suivre la personne et de reprendre avec elle, occasionnellement dans le cadre d'une psychothérapie, les événements déclenchants et la position du sujet), si elle admet que la crise exprime quelque chose et qu'elle puisse être résolutive, ne peut se limiter à une attitude correspondant à la position du psychothérapeute ou du psychologue réalisant une évaluation. Elle implique donc la mise en place de méthodes permettant la limitation des actions dangereuses pour le sujet et pour les autres, le soutien du patient ou de l'entourage, la facilitation d'un autre mode d'expression que le passage à l'acte, l'analyse avec le sujet de ce qui a déclenché cet état, et la mise en place d'une procédure de suivi ultérieur. La fonction contenante du psychologue est particulièrement sollicitée ainsi que sa capacité d'intervention verbale et ses possibilités d'aider le patient à exprimer son drame actuel en comprenant qu'il n'est peut être pas sans rapport avec certains éléments de sa personnalité et de son histoire. La principale difficulté tient à ce que dans certaines situations d'urgence les sujets semblent préférer le passage à l'acte à la verbalisation, vivent tous les phénomènes dans l'actualité sur le modèle de la tragédie classique

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(unité d'action, unité de lieu et unité de temps) et ne sont généralement pas demandeur d'une réflexion sur eux-mêmes : aussi le passage de la situation de crise à une prise en charge ultérieure est-il particulièrement difficile et incertain. c)- L'activité institutionnelle. Une bonne partie des psychologues travaillent dans des institutions dont les effets se font sentir sur les sujets auprès desquels ils interviennent. L'exemple des services de psychiatrie est sans doute le plus connu depuis les observations empiriques et les travaux de recherche qui ont montré que l'enfermement suscitait, quelles que soient les populations, des comportements identiques ce qui, pour les malades hospitalisés en psychiatrie, pouvait entraîner une suraliénation. Par ailleurs, une institution peut, elle aussi, avoir des dysfonctionnements qui doivent être relevés, étudiés et "traités". Enfin, le psychologue peut, en tant que tel, participer à la création, au fonctionnement d'une institution et posséder alors un rôle qui dépasse celui du consultant ou du psychothérapeute. Certaines de ces activités sont plus spécifiquement exercées dans le cadre des institutions psychiatriques qui se prêtent à ce type de réflexion et qui ont la particularité d'accueillir des sujets pour une période longue au cours de laquelle les relations avec les soignants et l'institution peut être déterminante. En revanche, dans d'autres lieux (hôpital général par exemple) son action portera plus sur le groupe des soignants ou sur la communication interne, les relations des patients avec l'institution étant difficiles à percevoir ou n'interférant que très peu avec les problèmes qui les amènent. Ces trois éventualités impliquent des activités différentes puisqu'elles vont de la simple "observation participante" à l'intervention institutionnelle. L'observation des modes de fonctionnement de l'institution, de ses conséquences sur les patients et les soignants, des circuits parallèles de l'information représente souvent une activité quasi implicite du psychologue. Elle participe à la fois de l'observation clinique et de l'approche ethnologique de manière à situer ce qui, dans les attitudes des acteurs, peut être déterminé ou surdéterminé par l'institution. Situé hors hiérarchie, c'est-à-dire "insituable", peu impliqué dans les tâches techniques et administratives, le psychologue est sans doute un observateur et un interlocuteur privilégié, ce qui lui permet parfois de révéler ce que d'autres ne peuvent percevoir, mais ce qui peut aussi le mettre dans une position difficile, l'institution, surtout si elle est le théâtre de conflits, risquant d'être perçu comme un persécuteur ou un intrus. L'animation d'activités institutionnelles représente un autre de ses rôles classiques. Il peut s'agir de réunions avec les patients, ou entre soignants et patients, d'ateliers à vocation thérapeutique, d'activités avec les patients…, toutes ces activités ont en commun de promouvoir des modes de communication et de représentation qui permettent que l'institution ne se fige pas et n'évolue pas vers la chronicité. Si la conduite de réunions, la gestion de la parole en groupe, les techniques communautaires sont des outils nécessaires, le psychologue clinicien ne peut les employer que dans le cadre d'un projet institutionnel réfléchi et articulé à ses connaissances de la situation et à l'équilibre interne de l'établissement. Le psychologue peut avoir son avis à donner sur la création d'une nouvelle structure qu'il s'agisse d'un établissement nouveau (Hôpital de Jour par exemple) ou de la modification d'un fonctionnement interne (spécialisation de certains services notamment). Cet avis ne peut être fourni que sur la base d'une étude et d'une démarche alliant observation et recherche et faisant référence aux problématiques de la psychologie clinique. La constitution de "départements de psychologie" dans certains hôpitaux correspond d'ailleurs à cette

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démarche et peut impliquer une réflexion sur les "services" que doivent offrir les psychologues d'un service public aux patients, à leur famille, aux soignants ainsi qu'au pôle administratif. d)- L'activité de prévention. Au même titre que les autres professionnels de la santé, le psychologue clinicien participe à des activité de prévention qui se décomposent en trois volets :

• prévention primaire : elle a pour but d'améliorer la qualité de la vie, de réformer les institutions sociales et d'aider la communauté à tolérer une plus grande diversité des modes d'ajustement (coping) individuels. • prévention secondaire : elle a pour but le dépistage actif, l'aide à apporter aux individus ou aux familles pour atténuer l'effet de stress. Plus précisément, dans le domaine de la santé mentale, elle vise à reconnaître les troubles mentaux et à apporter une aide aux individus ou aux groupes risquant de présenter des troubles. • prévention tertiaire : elle cherche à réduire le nombre des rechutes et à prévenir la chronicité des troubles.

4)- Problèmes éthiques liés à la pratique. Les questions éthiques sont présentes en psychologie comme dans les autres disciplines pratiques. Sous ce terme sont regroupés trois problèmes : l'éthique au sens strict, c'est-à-dire l'étude des fondements des principes moraux, la déontologie (règles et devoirs professionnels), la législation qui conditionne l'activité du psychologue et qu'il ne saurait méconnaître. Ces trois problèmes ne se situent pas au même niveau et peuvent même impliquer des contradictions comme on peut le voir en matière d'expertise judiciaire par exemple où le secret professionnel n'est pas applicable. a)- L'éthique. La question de l'éthique au sens strict intéresse le psychologue sur un plan théorique, sur un plan de recherche et sur un plan pratique. La psychologie clinique est directement concernée par une réflexion sur l'éthique, sur sa place dans la société et ne manque pas d'être intéressée, en tant que discipline, par les raisons qui font que les spécialistes des sciences humaines, médicales ou biologiques sont amenés, dans les média, à donner leur avis sur tous les problèmes de société ou sur les problèmes moraux. De même, elle ne peut que participer à l'interrogation générale sur ce qui motive, dans une société en perte de repères et de valeurs, le retour de la question de l'éthique (qui passait complètement inaperçue voici vingt ans) et du législatif. D'un point de vue plus pratique, les situations concrètes dans lesquelles elle travaille (sujets souffrants, sujets victimes, sujets dépendants d'une institution, sujets exclus et privés de certains de leurs droits…), l'invitent à réfléchir aux respects de certains droits fondamentaux (même si la lettre de la loi est respectée) et à promouvoir une interrogation éthique sur la manière dont on traite socialement certains malades, certains exclus, ou certaines victimes, sans parler de pratiques discutables - de psychologues ou d'autres soignants - pouvant occasionnellement apparaître dans telle ou telle institution (culpabilisation de familles ou de patients, utilisation de leur souffrance à des fins d'enseignement clinique sous forme de "présentation de malades", refus de l'éclectisme thérapeutique…). Enfin,

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d'un point de vue théorique, le psychologue clinicien n'est pas sans s'intéresser à la genèse individuelle du sentiment moral, de la constitution de l'éthique personnelle ou, plus fréquemment, à ce qui peut mettre en cause cette genèse, à ce qui pousse le sujet à enfreindre certains principes, voire à s'en donner pour mieux les enfreindre ou à définir sa propre éthique en dehors de tout lien avec les autres. b)- Le législatif. La question du législatif est importante bien que ne correspondant pas exactement à la réflexion éthique. Il existe en effet une distinction à respecter entre les lois votées - et qui peuvent être parfaitement scélérates, l'exemple de la France de Vichy est là pour le prouver - et l'éthique. Confondre le législatif et l'éthique serait méconnaître les rapports entre le législatif et le politique ; l'éthique ne se confond pas avec la loi même si certains principes sont communs. Rappelons aussi que contrairement à la loi qui définit principalement ce qui est permis et ce qui est punissable, la morale vise autant le Bien que le Mal et qu'elle comporte donc des prescriptions positives sur la manière de se conduire. Mais le législatif a dans les domaines d'application de la psychologie clinique une importance capitale dans la mesure où il conditionne plusieurs aspects des activités professionnelles : certains malades hospitalisés en services de psychiatrie le sont au titre de l'Hospitalisation d'Office ou de l'Hospitalisation à la Demande d'un Tiers, procédures prévues par la loi du 27 juin 1990, certains enfants sont placés en fonction de l'application de la loi, certains actes criminels graves aboutissaient à des non lieu si le prévenu était considéré comme présentant un trouble mental grave au moment de l'acte (ex article 64 du Code Pénal)180… Aussi les lois régissant les placements de malades mentaux, les obligations de soins (toxicomanies), les lois de protection de l'enfance en danger, les lois sur le secret professionnel et sur l'obligation de signalement de certaines situations rencontrées dans le cadre professionnel (enfant victime de sévices par exemple), pour ne citer qu'elles, doivent être connues. Cette connaissance est importante à plusieurs niveaux. En premier milieu, la familiarité avec la loi permet sans doute d'éviter certaines erreurs qui pourraient être préjudiciables aux patients et aussi … au psychologue qui ne manquerait pas de s'attirer quelques ennuis, s'il la méconnaissait. En second lieu, elle informe sur la manière dont la société (la loi est aussi le reflet - parfois déformé - d'une société) perçoit certains de ces membres. Elle permet aussi de comprendre ce à quoi ceux-ci ont été confrontés et les pratiques sociales dans lesquelles ils ont été pris. Enfin, le rapport des sujets - psychotiques et psychopathes notamment - constitue un domaine de recherche

180- L'article 64 de l'ancien Code Pénal (en vigueur depuis 1810 jusqu'en 1992) stipulait : "Il n'y a ni crime ni délit, lorsque le prévenu était en état de démence au temps de l'action, ou lorsqu'il a été contraint par une force à laquelle il n'a pu résister". Dans ce cas il y avait donc "non-lieu" et le terme démence, qui datait de 1810, était aussi compris comme trouble grave, par exemple "état psychotique". Dans l'actuel Code Pénal (qui date de 1992), l'article 122 a remplacé l'article précédemment cité. Il précise

art 122-1 : N'est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, d'un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernenement ou le contrôle de ses actes. La personne qui était atteinte, au moment des faits, d'un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernenement ou entravé le contrôle de ses actes.demeure punissable ; toutefois, la jurodiction tient compte de cette circonstance lorsqu'elle détermine la peine ou en fixe le régime. art 122-2 : N'est pas pénalement responsable la personne qui a agi sous l'empire d'une force ou d'une contrainte à laquelle elle n'a pu résister.

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particulièrement fécond évocateur de ce qui peut se jouer dans les rapports entre un sujet et la loi ou l'appareil juridique. c)- La déontologie. En 1953 l'Association Américaine de Psychologie publiait les "Ethical Standards for Psychologists". Une partie de ces principes concernaient au premier chef les cliniciens et la protection des personnes qui leur sont confiées. Le code de 1992 définit des principes généraux qui concernent la compétence, l'intégrité, la responsabilité professionnelle et scientifique, le respect des droits des sujets et de leur dignité, la responsabilité sociale et l'intérêt pour le bien-être des sujets. Un chapitre a trait à l'évaluation et à l'intervention, un à la thérapie, un à la confidentialité ; d'autres concernent la recherche et l'enseignement, l'organisation de la déontologie. Ce code, très complet met l'accent notamment sur les informations à fournir aux patients avant une psychothérapie, sur les responsabilités à l'égard du public. En France, le Code de déontologie actuel (réactualisation en 1987 par l'Association Nationale des Organisations de Psychologues) qui, comme son homologue américain, concerne tous les psychologues (cliniciens et non-cliniciens) a édicté des principes qui concernent l'éthique (respect de la dignité de la personne humaine, respect de l'éthique professionnelle, circonspection dans l'utilisation de certains termes comme "normal", "anormal", "adapté", "désadapté", le respect du secret professionnel (sauvegarde du secret dans les paroles et dans la diffusion des documents), le respect d'autrui, la science (nécessité de s'informer des progrès de la discipline, "tout psychologue s'attache à rechercher et à appliquer des critères et des méthodes scientifiquement communicables et contrôlables, limitant ainsi le recours au principe d'autorité"), l'autonomie technique, l'indépendance professionnelle, l'éthique internationale. Mais un code de déontologie n'est pas une loi et ce que se reconnaissent comme devoirs les psychologues n'est pas toujours perçu positivement par les instances administratives ou par les autres catégories professionnelles. Le code a le mérite de poser clairement certains problèmes et il implique de ce fait un ensemble de réflexions sur ce qu'il faut entendre par "science" qu'il serait abusif de réduire au scientisme ou au positivisme que certains opposent parfois à des secteurs de la psychologie clinique. De même l'autonomie technique implique-t-elle que soient réfléchies, définies, explicitées les différentes méthodes, notamment celles que l'on utilise dans le domaine clinique. D'autres aspects plus spécifiques à l'approche clinique pourraient d'ailleurs être abordés, à titre de réflexion, par les cliniciens concernant les psychothérapies et les garanties que l'on peut fournir au patient, la nécessité qu'il puisse être entendu et non pas confronté à un protocole systématique aussi pertinent soit-il, le type de connaissances théoriques et pratiques attendu des psychologues pour qu'ils puissent travailler auprès de sujets malades, la nécessité du respect d'un éclectisme méthodologique, théorique et technique dans un service de soins. Quant aux enseignants-chercheurs de Psychologie Clinique et de Psychopathologie, leurs réflexions éthiques portent sur l'adéquation entre ce qu'ils enseignent et les tâches concrètes des psychologues, sur la nécessaire séparation des fonction entre le rôle de clinicien et leur rôle universitaire et sur la nécessité, dans les programmes d'enseignement, de respecter et de présenter objectivement les différentes tendances de la psychologie clinique.

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Rappelons que les psychologues sont aussi astreints, comme chaque citoyen, à la Loi commune. Le nouveau Code Pénal opère une déspécification qui paraît aller dans le sens d'un renforcement du secret comme obligation d'ordre public. Il prévoit en ce qui concerne les atteintes au Secret Professionnel181 :

Art 226-13 : De l'atteinte au secret : La révélation d'une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d'une fonction ou d'une mission temporaire, est punie d'un an d'emprisonnement et de 100 000F d'amende. Art 226-14 : L'article 226-13 n'est pas applicable dans les cas où la loi impose ou autorise la révélation du secret. En outre, il n'est pas applicable : 1) A celui qui informe les autorités judiciaires, médicales ou administratives de sévices ou privations dont il a eu connaissance et qui ont été infligés à un mineur de moins de quinze ans ou à une personne qui n'est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son état physique ou psychique ; 2) Au médecin qui, avec l'accord de la victime, porte à la connaissance du Procureur de la République, les sévices qu'il a constatés dans l'exercice de sa profession et qui permettent de présumer que des violences sexuelles de toutes natures ont été commises. Art 434-1 : Des entraves à la saisine de la justice : Le fait, pour quiconque ayant connaissance d'un crime dont il est encore possible de prévenir ou de limiter les effets, ou dont les auteurs sont susceptibles de commettre de nouveaux crimes qui pourraient être empêchés, de ne pas en informer les autorités judiciaires ou administratives est puni de trois ans d'emprisonnement et de 300 000F d'amende. Sont exceptés des dispositions qui précèdent, sauf en ce qui concerne les crimes commis sur les mineurs de quinze ans : 1) Les parents en ligne directe et leurs conjoints, ainsi que les frères et soeurs et leurs conjoints de l'auteur ou du complice du crime. 2)- Le conjoint de l'auteur ou du complice du crime ou la personne qui vit notoirement en situation maritale avec lui. Sont également exceptées des dispositions du premier alinéa les personnes astreintes au secret dans les conditions prévues par l'article 226-13. Art 434-3 : Le fait, pour quiconque ayant eu connaissance de mauvais traitements ou privations infligés à un mineur de quinze ans ou à une personne qui n'est pas en mesure de se protéger en raison de son âge, d'une maladie, d'une infirmité, d'une déficience physique ou psychique ou d'un état de grossesse, de ne pas en informer les autorités judiciaires ou administratives est puni de trois ans d'emprisonnement et de 300 000F d'amende. Sauf, lorsque la loi en dispose autrement, sont exceptées

181- Art. 226-13, 226-14, 434-1, 434-3, 434-11.

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des dispositions qui précèdent, les personnes astreintes au secret dans les conditions prévues par l'article 226-13. Art 434-11 : Le fait, pour quiconque connaissant la preuve de l'innocence d'une personne détenue provisoirement ou jugée pour crime ou délit, de s'abstenir volontairement d'en rapporter aussitôt le témoignage aux autorités judiciaires ou administratives est puni de trois ans d'emprisonnement et de 300 000F d'amende. Toutefois, est exempt de peine celui qui apportera son témoignage tardivement, mais spontanément. Sont exceptées : 1) L'auteur ou le complice de l'infraction qui motivait la poursuite, ses parents en ligne directe et leurs conjoints, ainsi que ses frères et soeurs. 2) Le conjoint de l'auteur ou du complice de l'infraction qui motivait la poursuite, ou la personne qui vit notoirement en situation maritale avec lui. Sont également exceptées des dispositions du premier alinéa les personnes astreintes au secret dans les conditions prévues par l'article 226-13.

5)- Lieux d'intervention Le domaine de la psychologie clinique comporte une particularité liée à son histoire qui réside dans le fait qu'elle est avant tout une activité pratique intervenant avec des méthodes spécifiques sur un domaine circonscrit par la demande sociale et par celle des autres disciplines (psychiatrie, éducation…). Deux opérations sont donc essentielles à considérer : celle qui va de l'expérience clinique à la production d'un savoir et celle qui correspond à l'application pratique d'un savoir général. Le corpus théorique de la psychologie clinique est constitué par un ensemble de connaissances sur des objets particuliers (névrose, handicap, conflit…) et par des modèles théoriques généraux (psychanalyse, cognitivisme, systémique…) qui permettent l'interprétation des phénomènes concrets et la formulation de représentations des objets particuliers : le déprimé peut être un objet de connaissance de la psychologie clinique pour lequel elle fournit une représentation théorique (mécanismes, sens, fonction, genèse…) en s'appuyant sur certains modèles théoriques que, pour ainsi dire, elle importe. Comme tout discours scientifique, notamment en Sciences Humaines, la psychologie clinique utilise des modèles théoriques qu'elle ne produit pas forcément. Le champ théorique de la psychologie clinique est constitué du domaine de la psychopathologie clinique étendu aux manifestations psychologiques des différentes formes de souffrance. Mais ces objets traditionnels ont été complétés ces dernières années par ceux appartenant aux situations d'interaction et d'implication sans qu'il y ait de référence à la pathologie : psychologie de l'éducation, psychologie de l'enfant et de l'adolescent par exemple. La clinique trouve bien son origine dans la pathologie mentale (psychopathologie), mais se diversifie - du fait de sa méthode et des nouvelles situations - vers des situations concrètes éloignées du champ de la maladie ou des troubles graves du comportement. C'est en ce sens que la psychologie clinique peut être productrice d'une théorie de phénomènes appartenant au registre de la normalité (développement, processus de changement et de réalisation…). Mais la psychologie clinique n'est pas la seule à traiter de certains objets : la pathologie mentale fait tout autant l'objet d'une réflexion psychiatrique, psychanalytique, neurobiologique… que psychologique. La psychologie clinique

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offre une construction originale d'un objet théorique en propose une (des) représentation(s) et une (des) interprétation(s) en complément ou en concurrence avec d'autres disciplines. a)- La pathologie mentale et les troubles du comportement. Le noyau historique de l'activité du psychologue clinicien est formé par les différentes formes de la souffrance psychique. Le problème est d'autant plus important que règne dans le champ de la maladie mentale une opposition aujourd'hui parfaitement réactualisée entre les tenants d'un organicisme renouvelé par les recherches en psychiatrie biologique et en neurosciences et les tenants d'une psychogenèse des troubles mentaux qui s'appuient sur la psychanalyse ou d'autres modèles de référence. La recherche des conditions qui provoquent un trouble psychique est rendue difficile car le champ de la pathologie articule des modèles de causalité parfois systématiques et, finalement, simplistes car confondant les niveaux d'expérience et d'intervention. Un trouble est un phénomène complexe qui atteint un sujet et produit des effets repérables à différents niveaux : somatiques, comportementaux, cognitifs, discursifs… Aussi quelle que puisse être l'origine première du trouble, l'articulation des différents facteurs peut impliquer une analyse en termes psychologiques de certains phénomènes, mais certes pas de tous.

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Prenons deux exemples extrêmes. Un sujet perd quelqu'un de cher, les mois passent, il est de plus en plus triste et son état peut être considéré comme un épisode dépressif majeur (dépréciation de lui-même, idées de culpabilité, ralentissement, insomnie, anorexie), il se plaint de douleurs corporelles qui semblent ne pas avoir d'origine organique. Dire de ce sujet que la cause de son état dépressif est psychologique est possible - sous réserve d'avoir éliminé les autres étiologies - mais il ne s'agit que d'une hypothèse et celle-ci ne rend pas directement compte de tous les phénomènes : les idées tristes ne sont pas à mettre au même plan que le ralentissement ou l'anorexie. En revanche, les représentations de ce patient, ses paroles, sa manière de vivre la situation, ce qu'il dit de ses souffrances corporelles sont à entendre comme des phénomènes propres au sujet et constituant le champ de l'interrogation clinique. Un autre sujet se casse une jambe sans qu'on puisse imputer cet accident à sa volonté ou à un acte manqué, mais il ressent le handicap moteur qui en résulte comme une punition pour des faits dont il se sent coupable ; il ne saurait être question de penser que son état physique est d'origine psychologique mais en revanche, sa conception "punitive" de son état est, elle, un phénomène psychologique digne d'intérêt. L'objet psychologique est à redéfinir non pas en fonction de la cause du phénomène bien de ce qui est proprement psychologique, que ce soit la réaction du sujet ou la détermination psychologique de certains phénomènes. Mais, même dans les situations les plus organiquement déterminées, il existe l'équivalent de l'"écart anatomo-clinique" (distance entre la lésion et sa manifestation clinique, c'est-à-dire à mêmes lésions effets individuellement différents). Chaque sujet a sa manière d'être, par exemple, agnosique et son interprétation du trouble lui est propre, même si tous les sujets victimes d'agnosie ont un ensemble de traits communs. Aussi, le problème du psychologue clinicien n'est-il pas forcément celui de l'étiologie d'un trouble décrit en fonction d'une classification. L'intervention ne peut être limitée à ce qui serait liée à une hypothétique cause psychologique. L'exemple des troubles où l'organicité est déterminante (neuropsychologie, maladies somatiques, certaines psychoses) montre que la psychologie clinique est parfaitement opérante pour analyser les manifestations psychologiques qui apparaissent dans ce cadre que ce soit sur le plan théorique ou, à plus forte raison, sur le plan pratique : on imaginerait mal que le psychologue se récuse devant un malade en estimant que son trouble n'est pas d'origine psychologique. b)- Nouveaux domaines. L'évolution de la pathologie, de la demande sociale a entraîné la naissance de nouveaux objets pratiques qui peuvent être définis en fonction des thèmes (aide aux mourants, handicap, marginalité…) ou des lieux d'intervention (crèche, hôpital général, prison…), voire par des moments du développement (nourrisson, adolescent, sujet âgé…).

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Domaine de la santé

Psychopathologie clinique,

Clinique des conflits

Malades, familles, soignants Psychologie de la santé Neuropsychologie clinique

Education et Développement

Société

Interactions précoces Ages de la vie

Crises du développement Transmission d'informations

Echecs éducatifs

Phénomènes institutionnels Justice : expertises, aide

aux victimes, SMPR Transplantations culturelles

Difficultés sociales

b.1. Le domaine de la santé. Une grande partie du domaine de la santé correspond aux objets que nous avons précédemment mentionnés comme "classiques" (domaine de la psychopathologie), mais depuis plusieurs années les psychologues cliniciens interviennent en Hôpital Général en dehors des Services de Psychiatrie et travaillent auprès de malades atteints de troubles organiques ou handicapés, de leur entourage, voire du personnel soignant. Parallèlement des travaux cliniques sont menés dans le domaine psychosomatique, mais aussi des conséquences psychologiques des maladies organiques et des traitements de suppléance (hémodialyse, oxygénothérapie…). Les malades, les familles et les soignants. Si, à une certaine époque, le psychologue clinicien a pu se restreindre au champ de la "psychosomatique", il s'intéresse maintenant à tous les sujets atteints d'une maladie organique dont le cours, les conséquences immédiates, le traitement sont sources de difficultés pour les patients et pour leur entourage. Parmi les patients faisant l'objet d'une approche clinique on trouve - les malades atteints du SIDA,

- les malades bénéficiant d'une thérapeutique de suppléance (dialyse chez les insuffisants rénaux, oxygénothérapie chez les malades respiratoires, pace-maker, prothèses…), - les malades faisant l'objet d'une greffe, - les malades présentant des douleurs importantes (brûlés, "douloureux chroniques"), - les malades atteints d'un cancer (effets du diagnostic, du traitement, conséquences de certaines mutilations chirurgicales), - les malades dont les troubles peuvent être réactivés par des conflits ou des difficultés psychologiques,

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- les malades soumis à des traitements de longue durée nécessitant une observance stricte (diabète insulino-dépendant…), - les malades dont le trouble entraîne des restrictions progressives de la qualité de vie (sclérose en plaques, myopathie…) et dont le pronostic vital est réservé.

Le domaine de l'enfance malade fait l'objet des mêmes interventions et des mêmes interrogations. La technicité médicale, notamment dans le domaine de la procréation (F.I.V.), de la génétique, de la réanimation, de la chirurgie, et de la rééducation implique aussi des interventions des psychologues ; certains actes chirurgicaux (chirurgie esthétique, changement de sexe…) sont intégrés dans un protocole où le psychologue a sa place. Les soins aux mourants (que ce soit en Unité de Soins Palliatifs ou dans les Services Généraux) peuvent représenter un domaine d'intérêt pour les psychologues. Enfin le domaine du grand âge et de ses conséquences (fréquence des troubles cognitifs, des limitations motrices, isolement affectif, des pathologies démentielles…, placements en institution…) mobilise aussi les psychologues cliniciens. Ces interventions peuvent porter sur le sujet lui-même, sur son entourage familial qui est, lui aussi, atteint par les contraintes de la maladie, et sur les soignants (médecins, infirmières, autres paramédicaux.…) qui, confrontés à des situations dramatiques, ont souvent besoin de lieux où ils peuvent parler et où leurs propres attitudes peuvent être discutées (groupes de parole). Pour les malades, l'intervention peut porter sur la manière dont ils "vivent" la maladie et le traitement, sur les transformations des représentations et de l'économie que la rencontre avec la maladie et l'institution médicale provoque. Le psychologue clinicien s'intéresse aux rapports que le patient entretient avec sa condition de malade, occasionnellement à la manière dont il participe à l'apparition, au maintien, ou à l'aggravation de sa maladie. La cause de la maladie somatique est de nature biologique, mais d'autres conceptions (modèle psychosocial, modèle bio-psychosocial) tentent de restituer les dimensions psychologique et sociale dans la genèse ou l'évolution de la maladie. La science n'a pas le monopole des théories explicatives : les malades édifient aussi, en rapport avec des conceptions culturelles, des théories ("maladie-du-malade") qui tentent de rendre compte de l'intériorité corporelle, des relations entre les organes, des sensations ressenties et des causes (événementielles, magiques, traumatiques, psychologiques, biologiques…) de la souffrance liée à l'affection ou au traitement. La psychologie de la santé. La Psychologie de la Santé (Health Psychology) est une discipline récente officialisée en 1985 aux USA. Elle est distincte de la psychologie clinique mais certains de ces aspects correspondent à celle-ci. Elle a pour objet l'étude des facteurs et des processus psychologiques jouant un rôle dans la survenue, l'évolution des maladies somatiques. Elle s'intéresse notamment aux rapports entre les déterminants physiques, sociaux et psychiques dans la pathogenèse multifactorielle des maladies (hypothèse d'une interaction entre trois déterminants dans le maintien de la maladie et affirmation de la nécessité de traitements interdisciplinaires). Elle contribue à promouvoir des comportements et des modes de vie plus sains, la prévention et le traitement des affections ainsi que l'amélioration de la prise en charge des patients. Les interventions des praticiens peuvent porter sur la prévention (spécifique et non spécifique) avec des méthodes d'intervention et

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d'évaluation, les comportements à risque, les changements d'habitudes de vie, les stratégies de coping (adaptation), les systèmes de croyances (individuels et culturels), les réactions à la maladie. La neuropsychologie. La neuropsychologie (rapports entre le fonctionnement cérébral et les phénomènes psychologiques, normaux ou pathologiques) est une discipline autonome que certains estiment être la branche psychopathologique de la psychologie cognitive, mais une partie de ses activités pratiques est commune avec la psychologie clinique. Elle comporte des objectifs cliniques (examens, prise en charge des patients). Les interventions cliniques et rééducatives portent sur des patients cérébro-lésés, ou atteints de démences, mais aussi sur des patients atteints d'une maladie mentale (schizophrénie par exemple) dans laquelle certains troubles (raisonnement, communication, langage…) peuvent nécessiter une étude neuropsychologique. L'approche de ces patients suppose nécessairement une perspective diagnostique et thérapeutique portant sur le symptôme, mais aussi une approche singulière du sujet "victime" de ce symptôme182. Les troubles du langage (différentes formes d'aphasie, oubli du mot…), les agnosies, les apraxies, les troubles de la mémoire, les troubles moteurs, la perception de l'espace, la lecture, le calcul mental, les troubles de l'expression des émotions… constituent des objets de la neuropsychologie qui intéressent très directement les cliniciens dont l'interrogation se situe au niveau de l'utilisation des outils diagnostiques, au niveau du fonctionnement cognitif, des mesures de rééducation pour les patients dont ils ont la charge. Mais les conceptions théoriques de la neuropsychologie, bien que cognitives, ne sont pas systématiquement antinomiques avec celles de la psychologie clinique, même celles qui se réfèrent à la psychanalyse. Il paraît essentiel que l'on admette qu'il existe des troubles (isolables, à décrire, faisant l'objet d'une thérapeutique ou d'une rééducation appropriées) qui atteignent des individus (c'est-à-dire des sujets possédant une histoire, une économie psychique, des conceptions, des investissements spécifiques) affrontés à certaines situations. b.2. Développement, éducation, rééducation. Le domaine des interactions précoces est sans doute le plus connu actuellement. Les cliniciens se sont particulièrement intéressés aux problèmes de communication entre l'enfant et la mère et surtout aux échanges fantasmatiques entre les deux partenaires, en ne limitant pas leurs travaux au bébé mais en les étendant vers l'enfant plus âgé. L'intérêt pour les moyens d'expression et de communication de l'enfant a eu pour conséquence l'introduction de psychologues dans des maternités, des services de pédiatrie ou dans des crèches et dans les Services de Protection Maternelle et Infantile. Leurs actions ne se cantonnent pas à la pathologie mais concernent tous les enfants. Les différents âges de la vie et leurs difficultés font ainsi l'objet d'interventions. L'adolescence, les contraintes de l'entrée dans l'âge adulte, la "crise du milieu de la vie", l'approche de la sénescence, la vieillesse, le grand âge représentent des problèmes spécifiques auxquels s'attachent la psychologie clinique, en tant que discipline, et les psychologues cliniciens en tant qu'acteur. Ces moments possèdent leurs pathologies spécifiques (passage à l'acte et manifestations

182- cf infra.

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psychotiques de l'adolescence, manifestations anxieuses ou dépressives inhérentes aux événements de la vie adulte, troubles cognitifs et affectifs liés à la sénescence…), mais l'intérêt du psychologue clinicien se porte aussi sur le développement normal et sur ses avatars. Le psychologue clinicien intervient aussi dans le domaine de l'éducation, entendue au sens large, c'est-à-dire ne se confondant pas avec l'école. Les situations d'éducation existent maintenant à tous âges et peuvent concerner un enseignement initial (transmission de connaissances), les sujets demandeurs d'une formation permanente (formation à la relation pour les paramédicaux ou les enseignants), ou même des sujets en difficultés sociales et personnelles (chômage de longue durée). On rencontre donc de plus en plus fréquemment des psychologues cliniciens dans le domaine de la transmission des informations médicales à des populations victimes de certains troubles organiques, de la formation au sens large du terme, et auprès des sujets en difficultés scolaires et/ou sociales. b.3. Le domaine de la société. Les institutions, leurs modes de fonctionnement et leurs conséquences sur les individus ou les petits groupes constituent un des centres d'intervention du psychologue clinicien : capacité d'analyser les effets de certaines institutions dans lesquelles exerce le psychologue ou bien à l'intérieur desquelles se trouvent les sujets auxquels il s'intéresse : hôpitaux, lieux d'éducation, de rééducation, de formation, lieux de détention, lieux d'accueil de certains sujets… Si la "psychothérapie institutionnelle" a constitué un mouvement essentiel de réflexion sur la fonction soignante des institutions psychiatriques et une tentative de modification de leur mode de fonctionnement, mouvement auquel les psychologues ont participé, toute institution est productrice d'une forme de chronicité, mais aussi de culture, et en certaines occasions sécrète sa propre pathologie et empêche les objectifs primordiaux d'être atteints. L'institution judiciaire et celles qui collaborent avec elle (Aide Éducative en Milieu Ouvert notamment) constituent un champ particulièrement important suscitant de nombreux problèmes dans l'approche tant des victimes que des prévenus, des détenus que des condamnés. La pratique de l'expertise en matière judiciaire implique un examen médico-psychologique auquel le psychologue est amené à participer ce qui, eu égard aux conséquences pour le prévenu et pour la justice qui découle de son intervention, nécessite de sa part une rigueur théorique, méthodologique et éthique indéniable. Par ailleurs, il y a dans les institutions pénitentiaires, notamment dans les S.M.P.R. (structures pénitentiaires chargées d'accueillir les détenus malades somatiquement ou psychiquement), des psychologues qui exercent comme leurs collègues hospitaliers mais dans un cadre spécifique possédant ses propres contraintes. Les victimes peuvent aussi faire l'objet d'interventions psychologiques dans un registre évaluatif et thérapeutique : les victimes d'agression, de sévices (y compris les sujets victimes du terrorisme d'état et se réfugiant en France), les enfants maltraités, constituent un ensemble de situations très différentes. Les difficultés sociales entraînées par la crise économique peuvent avoir des retentissements individuels sévères. Les populations victimes de cette crise et se retrouvant dans des situations de précarité présentent parfois des difficultés psychologiques et une incapacité à faire face aux problèmes qui les assaillent autrement que par des réactions d'abandon et d'auto-destruction lente : il y a ainsi des sujets pour lesquels les aides sociales doivent être complétées par un soutien

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psychologique leur permettant de faire face à la situation et d'éviter les contre-attitudes qui risquent de les pousser dans la répétition des difficultés ; en outre, la recherche d'emploi, la réintégration dans certains réseaux sociaux, passé un certain temps de désinsertion, suppose un ensemble de stratégies personnelles et la restauration d'automatismes et compétences, ce qui nécessite une aide. Enfin, les transplantations culturelles et ces phénomènes d'acculturation, à la fois suscitent l'apparition de nouvelles pathologies et rendent, pour certains immigrés, inopérantes les techniques psychologiques employées traditionnellement. L'ethnopsychiatrie s'est d'abord intéressée à la représentation et au traitement de la maladie mentale dans d'autres cultures, mais elle s'oriente maintenant vers la production de nouvelles prises en charge adaptées aux patients transplantés183 dans une autre culture. Ces derniers proviennent de cultures dans lesquelles existe un savoir empirique concernant la folie, des pratiques soignantes, auxquels ils adhèrent ; confrontés à nos conceptions scientifiques et cliniques, leur malaise ne fait que croître, ce qui a entraîné la mise en place de techniques permettant de les restituer en tant que sujet dans un cadre thérapeutique cohérent avec leur expérience culturelle. Ce type d'intervention, que ce soit dans un cadre strictement psychiatrique ou dans celui de l'aide aux personnes en difficulté, est appelé à se développer du fait de l'importance des migrations. c)- Conclusions. Le domaine d'intervention du psychologue clinicien comprend de multiples champs qui ne se limitent pas à l'approche des sujets atteints de troubles mentaux. Il s'intéresse à des sujets, à des situations, qui impliquent qu'il dialogue avec d'autres sous-disciplines de la psychologie et d'autres problématiques. Il serait impensable qu'il se désintéresse des problèmes neuropsychologiques184, de ceux de l'éducation ou de la psychologie de la santé ou bien qu'elle souhaite proposer (à partir de quoi ?) sa propre théorie autonome de l'apraxie ou de l'agnosie sans tenir compte des réalités neurologiques. Si la psychologie clinique est bien une pratique auprès du malade, se référant à la singularité, elle ne peut éluder certains problèmes qui lui sont posés par les patients et par les soignants et qui concernent très précisément son champ.

Abrégé : La psychopathologie est l'étude des "phénomènes pathologiques", c'est-à-dire "une étude psychologique de la maladie mentale et des dysfonctionnements des sujets réputés normaux". Au sens le plus classique, la psychopathologie est donc un ensemble de théories issues de l'expérience clinique qui fournissent une explication et une interprétation psychologiques de la pathologie mentale. Par extension elle a pour objet la pathologie mentale avérée (objet de la psychiatrie), les effets psychologiques de toutes pathologies, la souffrance exprimée ou inexprimable, et certains comportements considérés comme "a-normaux". En tant que discipline la psychopathologie est un domaine qui utilise des méthodes différentes (quantitatives et qualitatives), se réfère à des problématiques diverses (cognitivisme, psychanalyse,

183- Voir sur ce point les ouvrages de Tobie Nathan, notammant NATHAN T. (1986) La folie des autres. Traité d'ethnopsychiatrie clinique. Paris, Dunod. 184- Rappelons ue le livre de O. Sacks (neurologue) est entièrement composé d'histoires de malades.

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phénoménologie, comportementalisme...), et produit un savoir psychologique, sur les maladies, les processus, les mécanismes, les structures.

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Table des Matières

A- LA PSYCHIATRIE ...........................................................................................................................1 I)- ELEMENTS HISTORIQUES. ...........................................................................................................2 II)- LES MODES D'APPROCHE EN PSYCHIATRIE. ...........................................................................7

1)- La description des troubles - sémiologie et diagnostic. .........................................................8 a)- le symptôme ...........................................................................................................8 b)- le signe...................................................................................................................9 c)- Le syndrome...........................................................................................................9 d)- La maladie .............................................................................................................9 e)- La personnalité pathologique................................................................................10

2)- L'approfondissement des informations. ..............................................................................13 a)- les examens complémentaires ...............................................................................13 b)- La quantification des traits ...................................................................................13 c)- L'étude des mécanismes de défense.......................................................................14 d)- L'étude de la "structure" .......................................................................................16

3)- Explication des troubles. Etiologie et psychopathologie......................................................17 a)- La conception biologique......................................................................................17 b)- Les conceptions psychologiques............................................................................18

b.1. le comportementalisme..........................................................................18 b.2. le courant cognitif..................................................................................18 b.3. la phénoménologie.................................................................................18 b.4. la psychanalyse......................................................................................19 b.5. le courant humaniste..............................................................................19 b.6. le systémique .........................................................................................20

III)- LE DOMAINE DES SIGNES CHEZ L'ADULTE. ........................................................................20 1)- Le langage.........................................................................................................................21 2)- La mémoire .......................................................................................................................22 3)- L'intelligence.....................................................................................................................22 4)- Agnosies et apraxies ..........................................................................................................23 5)- L'activité psychomotrice ....................................................................................................23 6)- Le fonctionnement de la pensée. ........................................................................................24 7)- Les manifestations émotionnelles.......................................................................................25 8)- Conscience et perception....................................................................................................25 9)- Conduites "instinctuelles" et sociales .................................................................................26 10)- Sphère relationnelle .........................................................................................................26 11)- L'anamnèse et l'histoire....................................................................................................27 12)- Conclusions. ....................................................................................................................27

IV)- LE DOMAINE DES SIGNES CHEZ L'ENFANT (ELEMENTS GENERAUX) ............................28 1)- Sémiologie des conduites motrices .....................................................................................28 2)- Sémiologie des troubles des fonctions intellectuelles. .........................................................29 3)- Les troubles du comportement ...........................................................................................29 4)- Troubles affectifs ...............................................................................................................30 5)- Troubles du langage...........................................................................................................30 6)- Altérations du fonctionnement mental. ..............................................................................31 7)- Les troubles alimentaires ...................................................................................................32 8)- Troubles du sommeil .........................................................................................................32 9)- Troubles sphinctériens. ......................................................................................................33

V)- RAPPEL DU DECOUPAGE DES ENTITES PSYCHIATRIQUES ................................................33 1)- Découpage traditionnel français (antérieur au DSM III).....................................................34 2)- Classifications "historiques". .............................................................................................34 3)- Classification INSERM......................................................................................................35 4)- DSM III et DSM III-R .......................................................................................................37 5)- Nosologies "étiologiques", "structurales" ou "processuelles"...............................................39

a)- Position freudienne (1915)....................................................................................40 b)- Position de Bergeret (actuelle) ..............................................................................40

6)- Le domaine de l'enfant et de l'adolescent............................................................................41 VI)- LES THERAPEUTIQUES. ...........................................................................................................45

162

1)- La chimiothérapie..............................................................................................................45 2)- Les thérapeutiques de choc ................................................................................................46 3)- Les psychothérapies ...........................................................................................................46

B- LA PSYCHOPATHOLOGIE ET LA PSYCHOLOGIE CLINIQUE..................................................51 I)- HISTOIRE DE LA PSYCHOPATHOLOGIE ET DE LA PSYCHOLOGIE CLINIQUE ...................52 II)- DIFFERENTES MODALITES - LES CONTRADICTIONS DU TERME. .....................................56

1)- La pathologie du psychologique.........................................................................................56 2)- La psychologie du pathologique.........................................................................................57

a)- La méthode...........................................................................................................57 b)- Le champ .............................................................................................................58

3)- Psychologie clinique et psychopathologie...........................................................................59 a)- La clinique médicale.............................................................................................59 b)- La clinique psychiatrique......................................................................................60 c)- La clinique psychologique et la psychologie clinique ............................................63

c.1. Définition préalable dans la tradition française ......................................64 c.2. Définitions de la méthode et de l'attitude cliniques.................................65 c.3. Les ambiguïtés.de cette position .............................................................66 c.4. Conception pragmatique de la psychologie clinique ...............................68 c.5. Les rapports avec la psychanalyse ..........................................................69 c.6. Conclusion.............................................................................................70

4)- La psychopathologie quantitative.......................................................................................70 5)- La neuropsychologie ..........................................................................................................71

III)- LES OUTILS UTILISES EN PSYCHOLOGIE CLINIQUE...........................................................72 1)- Les particularités de la méthode clinique ...........................................................................72 2)- Les tests.............................................................................................................................73

a)- Types de tests .......................................................................................................74 b)- Les tests cognitifs .................................................................................................74 c)- La personnalité. ....................................................................................................81

c.1. Description ............................................................................................81 c.2. Le Rorschach - Principes de cotation......................................................82 c.3. Éléments de cotation du TAT.................................................................91

d)- Les échelles d'évaluation. .....................................................................................94 3)- L'entretien .........................................................................................................................96

a)- Définition de l'entretien. .......................................................................................96 b)- Conduite de l'entretien clinique. ...........................................................................96 c)- Les stratégies d'intervention..................................................................................97

c.1. Les différents niveaux du discours. ........................................................97 c.2. Les techniques d'intervention. ................................................................98 c.3. Spécificité des interventions en clinique.................................................98

4)- L'observation ...................................................................................................................100 a)- Définition générale. ............................................................................................100 b)- Spécificité de l'observation en psychologie clinique. ...........................................100

b.1. Le projet de l'observation clinique........................................................101 b.2. L'observation clinique stricto sensu......................................................102 b.3. L'observation standardisée. ..................................................................103 b.4. Un exemple de situation d'observation, le jeu. ......................................103

5)- L'étude de cas ..................................................................................................................103 a)- Origine de la notion d'"étude de cas". .................................................................104 b)- Définitions et modalités de l'étude de cas. ...........................................................104 c)- Intérêts et limites de l'étude de cas. .....................................................................105

IV)- LA NOTION D'ANALYSE PSYCHOPATHOLOGIQUE D'UN CAS .........................................106 1)- Rappel des principes généraux.........................................................................................107

a)- Analyse sémiologique.........................................................................................107 b)- Analyse diagnostique..........................................................................................108 c)- Analyse psychopathologique...............................................................................109

c.1. Etude du "mode de fonctionnement mental du sujet"............................109 c.2. Analyse de l'histoire du sujet................................................................109 c.3. Etude de la structure ............................................................................110 c.4. Interprétation clinique .........................................................................110

2)- Exemple (partiel) sur une très courte observation .............................................................111

163

a)- Texte de l'observation. ........................................................................................111 b)- Analyse sémiologique.........................................................................................111 c)- Réorganisation de la sémiologie..........................................................................112

c.1. Motif de la consultation .......................................................................112 c.2. Antécédents (personnels et familiaux)..................................................113 c.3. Anamnèse............................................................................................113 c.4. Histoire des troubles.............................................................................113 c.5. Episode actuel......................................................................................113 c.6. Eléments médicaux..............................................................................114 c.7. Evolution .............................................................................................114 c.8. Conclusion...........................................................................................114

d)- Discussion du diagnostic ....................................................................................114 d.1. Hypothèse............................................................................................114 d.2. Justification de l'hypothèse ..................................................................114 d.3. Définition de la forme clinique ............................................................115 d.4. Exclusion des autres troubles ...............................................................115

e)- Lecture psychopathologique - repérage d'éléments ..............................................116 f)- Analyses psychopathologiques. ...........................................................................120

V)- LA PSYCHOPATHOLOGIE EN TANT QUE DOMAINE...........................................................123 1)- Les problématiques théoriques. ........................................................................................123

a)- Les théories de référence.....................................................................................125 b)- Les classifications...............................................................................................126

2)- La cause - Organogenèse et psychogenèse........................................................................126 a)- L'organogenèse...................................................................................................126 b)- La psychogenèse.................................................................................................126 c)- Fonction individuelle de la théorie......................................................................126 d)- La causalité psychique........................................................................................127

3)- Structure et processus ......................................................................................................127 a)- La notion de processus........................................................................................127 b)- La notion de structure.........................................................................................128

b.1. Conceptions générales .........................................................................128 b.2. Conception de Bergeret........................................................................129 b.3. La conception lacanienne.....................................................................129

4)- Paradigmes et usages des paradigmes. .............................................................................132 a)- La notion de paradigme......................................................................................132 b)- Les paradigmes en psychopathologie ..................................................................133

VI)- RÔLES, ACTIVITES, LIEUX D'INTERVENTION DU "PSYCHOLOGUE CLINICIEN" ......................................................................................................................................134

1)- L'activité de diagnostic ....................................................................................................134 2)- Les thérapies....................................................................................................................136 3)- Le conseil psychologique, l'activité institutionnelle et les situations de crise.....................136

a)- Le conseil psychologique. ...................................................................................136 b)- Les interventions de crise. ..................................................................................137 c)- L'activité institutionnelle. ...................................................................................137

4)- Problèmes éthiques liés à la pratique................................................................................138 a)- L'éthique. ...........................................................................................................139 b)- Le législatif. .......................................................................................................139 c)- La déontologie. ...................................................................................................140

5)- Lieux d'intervention.........................................................................................................142 a)- La pathologie mentale et les troubles du comportement. .....................................143 b)- Nouveaux domaines. ..........................................................................................144

b.1. Le domaine de la santé. .......................................................................145 b.2. Développement, éducation, rééducation. ..............................................147 b.3. Le domaine de la société. .....................................................................148

c)- Conclusions. .......................................................................................................149 Bibliographie de Base.........................................................................................................................149 Bibliographie Etendue ........................................................................................................................150