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UNIVERSITÉ PARIS-SORBONNE ÉCOLE DOCTORALE IV T H È S E pour obtenir le grade de DOCTEUR DE L’UNIVERSITÉ PARIS-SORBONNE Discipline : Études germaniques Présentée et soutenue par : Jean-Marie GUASTAVINO le : 16 janvier 2014 Des gravures rupestres du Bohuslän, vers une approche quantitative. Sous la direction de : M. Jean-Marie MAILLEFER – Professeur, Université Paris-Sorbonne Président du jury : Membres du jury : Mme Annie BOURGUIGNON Professeur, Université de Lorraine M. Sylvain BRIENS Professeur, Université Paris-Sorbonne M. Jarl NORDBLADH Professeur, Université de Göteborg, (Suède) M. Jean-Marie MAILLEFER Professeur, Université Paris-Sorbonne

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UNIVERSITÉ PARIS-SORBONNE

ÉCOLE DOCTORALE IV

T H È S E pour obtenir le grade de

DOCTEUR DE L’UNIVERSITÉ PARIS-SORBONNE

Discipline : Études germaniques

Présentée et soutenue par :

Jean-Marie GUASTAVINO

le : 16 janvier 2014

Des gravures rupestres du Bohuslän, vers une approche quantitative.

Sous la direction de :

M. Jean-Marie MAILLEFER – Professeur, Université Paris-Sorbonne

Président du jury :

Membres du jury :

Mme Annie BOURGUIGNON – Professeur, Université de Lorraine

M. Sylvain BRIENS – Professeur, Université Paris-Sorbonne

M. Jarl NORDBLADH – Professeur, Université de Göteborg, (Suède)

M. Jean-Marie MAILLEFER – Professeur, Université Paris-Sorbonne

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1 Introduction

Le premier chapitre traite des généralités de l’art préhistorique et protohistorique dans le

monde, en montre l’étendue, le faible nombre de sites retenus par l’UNESCO, les similitudes

et les divergences des diverses représentations artistiques. Une catégorisation des

interprétations qui se sont succédé montre l’étendue des interprétations au moins pour l’art

rupestre européen.

Il est difficile en effet de donner une signification aux gravures ou aux images rencontrées sur

les parois ou sur des dalles. Leur décodage dépend des images de notre société et de notre

culture ainsi que de celles de la culture concernée. Quand deux guerriers de l’Âge du Bronze

se font face en brandissant des armes, doit-on évoquer une menace préparatoire au combat ou

à la dissuasion ou tout au contraire un salut militaire ? Une des gravures parmi les plus

célèbres représente un individu de grande taille semblant tenir une hache, se situant près de

deux individus qui s’accouplent. Deux interprétations s’opposent : pour certains, il s’agit d’un

prêtre ou d’un shaman bénissant le couple, pour d’autres d’un mari outragé par une relation

extraconjugale. Par ailleurs, aujourd’hui dans notre culture du XXIème siècle, de nombreux

pictogrammes, qui se veulent informatifs, ne sont que très mal décodés suivant les générations.

2 Les gravures du Bohuslän

Les gravures du Bohuslän en Suède, côte ouest, proche de la Norvège sur lesquels nous avons

effectué nos travaux datent de l’Âge du Bronze (1500 av JC. – 500 av JC.). Elles sont très

généralement localisées sur des dalles de granite polies par les glaces et formant des surfaces

arrondies dites moutonnées. Les éléments représentés concernent des animaux, des guerriers,

des anthropomorphes, de nombreux bateaux de morphologie bien différente et de très

nombreuses cupules dont les arrangements montrent une grande varieté. Parfois des scènes

avec des activités d’accouplement, de présentation d’armes ou d’agression, de vie à bord de

bateaux sont relativement bien déchiffrables.

3 Les interprétations

L’histoire des interprétations de ces gravures montrent d’une part une grand variété et d’autre

part des tendances générales suivant le temps. Alors que les relevés de Baltzer du tout début

du XXème siècle montrent une grande objectivité, ceux qui précèdent et en particulier celui

d’Alfssön avec le Cordonnier se distancient avec la gravure. Alfssön en décrivant le

personnage central, supprime le phallus du relevé pour le rendre acceptable par la population

de l’époque relie la main tendue à une « pic», redresse les bateaux en position oblique et d’une

façon générale reconstruit le panneau en fonctions de critères acceptables.

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Le cordonnier (Skomakaren, Brastad) 1

1 Les deux illustrations du haut de page proviennent de l’ouvrage « Hällristningar » de Pehr Hasselrot et de Åke Ohlmark (1966) et celles du bas de page, du Musée d’Underslös à fin pédagogique pour souligner l’évolution des perceptions.

Photographie de la dalle. Dessin reproduisant l’aquarelle initiale de

Peder Alfssön. (1627).

Illustrations de Petrus Adolphi 1627 (Peder Alfssön) à gauche.

et de Lauritz Baltzer 1881 à droite. (Panneaux du Musée d’Underslös).

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4 Approche quantitative

Une première approche quantitative avait déjà émergé dans les années 1980 (travaux de Jarl

Nordbladh2 et de Bertilsson3) où pour la première fois ces auteurs pionniers ont effectué des

comptages et des mesures et tenté des corrélations. Cette démarche ne s’est prolongée faute de

moyens techniques informatiques, la faible puissance des ordinateurs de l’époque et le manque

de logiciels ne permettant pas d’effectuer des analyses multivariées.

L’intérêt pour ce type d’analyse s’est ensuite éteint et les chercheurs ont dirigé leurs efforts

vers des recherches plus interprétatrices.

Très récemment Ling4 2008, en Suède et Gjerde5 2010 en Norvège reprennent la démarche

quantitative et reconstruisent le paysage des sites de l’Âge du Bronze en utilisant les apports

de la géologie : le niveau des terres s’est élevé d’une quinzaine de mètres depuis l’Âge du

Bronze à cause de la fonte des glaces. Ils mettent ainsi en évidence une donnée nouvelle

fondamentale : les sites étaient situés au niveau de le mer.

Les travaux proposés ici portent sur trois sites proches les uns des autres de 6-7 kilomètres

Bottna, Kville et Svenneby. Ils délaissent le domaine de l’interprétation déjà bien fourni et

s’attachent davantage à l’étude de la structure, de la singularité des trois sites proches et des

relations entre objets.

Ils utilisent très largement un corpus déjà construit par une quizaine de chercheurs et

techniciens universitaires sur une période qui s’étale de 1940 à 1981. Un total de 385 sites sont

ainsi répertoriés par différentes méthodes dont la photographie.

2 NORDBLADH, Jarl. Glyfer och rum kring hällristningar i Kville. Doktorsavhandling (thèse de doctorat), Göteborgs Universitet, Institutionen för Arkeologi. Göteborg, 1980, 230 p. (Texte suédois avec sommaire en anglais. Première approche quantitative et mise en évidence du besoin d’une approche spatiale et structurale). 3 BERTILSSON, Ulf. The Rock Carvings of Northern Bohuslän : spatial structures and social symbols. Doktorsavhandling (thèse de doctorat), Göteborgs Universitet, Institutionen för Arkeologi. Göteborg, 1987, 103 p. (Texte anglais, quantification des items et affirmation de l’importance d’une analyse quantitative à venir.) 4 LING, Johan, « Elevated rock art : Towards a maritime understanding of Bronze Age rock art in northern Bohuslän, Sweden ». Thèse de doctorat Göteborg University, 2008, 271 p. 5 GJERDE, Jan Magne. Rock art and Landscapes : studies of Stone Age rock art from northern Fennoscandia. Thèse de doctorat. Universitetet i Tromsø, Tromsø, 2010, 506 p.

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Sont systématiquement notés :

- Les cupules par un cercle de diamètre variable ayant en son centre une petite étoile.

- Les états de surface (lisses ou granuleux ainsi que le degré d’altération par l’érosion),

- Les limites du panneau par rapport à la terre et la végétation au moment du relevé.

- Les incertitudes sur l’appartenance du panneau à un ensemble d’autres panneaux,

- Les fissures dans le rocher (pour éviter de les confondre avec des tracés),

- Les lignes de plus grande pente, donnée largement utilisée dans l’étude sur la position des

bateaux, ainsi que les variations de ces lignes à la fois en direction et en importance de la

pente. Cette information d’une grande précision, qui s’est avérée fondamentale par la suite,

n’est pas régulièrement indiquée sur d’autres relevés.

- La direction des stries glaciaires, ainsi que :

- L’orientation par rapport au nord magnétique, également largement utilisée dans l’étude

sur l’orientation des panneaux.

Les relevés sont tous à la même échelle : 1/10 en linéaire (10 cm représentant 1 m) soit 1/100

en surface.

Cet ensemble de données et leur précision en font des documents de travail exceptionnels.

Des différences infimes sans incidence notable sur notre recherche apparaissent lors des

quelques comparaisons que nous avons effectuées entre les relevés du corpus et des

observations sur le terrain. Il s’est avéré que nos relevés souffraient de quelques imprécisions.

Par ailleurs, il est possible que les gravures se soient altérées avec le temps.

Nous avons reconstitué les sites en assemblant les feuilles A4 des ouvrages de référence,

manuellement et électroniquement, entouré les dalles dans un rectangle divisé en 9 secteurs

égaux.

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Relevé du glyphe reconstitué à partir de deux feuillets A4

Le rectangle encadrant le glyphe est divisé par

- 3 colonnes : A, B et C et

- 3 lignes : 1, 2 et 3 donnant

- 9 secteurs de surface égale (de A1 à C3).

Kville148, Södra Ödsmål I et II.

Nous avons ensuite relevé systématiquement par secteur la quasi totalité des items : bateaux de

différents types et tailles, cupules suivant l’arrangement en ligne en matrices en cercle…

anthropomorphes, animaux, cercles, pieds et semelles, etc. ainsi que l’orientation

géographique et la plus grande pente de la dalle.

5 Analyse

L’analyse s’effectue à plusieurs niveaux

a ) -Tout d’abord une comparaison par item pour l’ensemble.

Elle montre :

- Une disparité générale entre les items sur l’ensemble des sites : peu d’araires (moins de 10)

et beaucoup de cupules (plus de 400), de même l’item bateaux se différencie en deux sous

catégories.

- Une comparaison des items par site.

- Une densité générale différente par site : alors que celui de Svenneby ne comporte

qu’environ 3300 objets par unité de surface, les sites de Bottna et Kville en comptent plus du

double : environ 8000.

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- Une densité relative différente par site : quand on utilise une autre variable : celle des

bateaux par unité de surface, c’est alors le site de Bottna qui s’oppose à ceux de Kville et

Svenneby. Environ 850 pour Svenneby et Kville et plus de 1800 pour Bottna.

-Une signature particulière par site.

Bottna : La densité en bateaux, deux fois plus de bateaux par unité de surface, s’exerce surtout

sur les bateaux « 2 traits »

Kville : Ce site se caractérise par une présence en anthropomorphes à tête cornue très

importante comparativement aux autres sites, (26 vs 2 et 2 respectivement pour Bottna et

Svenneby)

Svenneby : La faible densité en objets, moins de la moitié d’objets, sépare nettement ce site

des deux autres. La densité en « cupules bloc » est par ailleurs trois plus faible que pour les

autres sites.

b ) Résultats obtenus grâce aux analyses multivariées.

L’utilisation d’analyses multivariées6 permet d’affiner les résultats et de mettre en évidence

d’autres signatures.

On compare alors la présence d’un item sur un site par rapport à celle de l’ensemble et on

indique la probablilité que cette différence soit due au hasard.

On obtient ainsi des résultats voisins de ceux résultant des comparaisons simples mais plus

précises ainsi que d’autres caractéristiques.

6 Méthodes statistiques d'analyses des données (Analyse en composantes principales :ACP et analyse factorielle des correspondances AFC) mises au point par Jean-Paul Benzecri et Brigitte Escofier-Cordier dans les années 60 et largement proposées à un ensemble de disciplines dans les années 80 à l'Université Pierre-et-Marie-Curie à Paris. Elles sont utilisées en démographie car les échantillons sont de grande taille, mais aussi en archéologie Meredith Wilson “Pacific rock-art and culture genesis : a multivariate exploration”.. The Archaeology of Rock-Art, Christopher Chippindale and Paul S.C. Taçon, Cambridge University Press, 1998, p 172-177.

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Bottna : Les « bateaux simples », les « bateaux deux traits » et l’ensemble des « bateaux »,

sont surreprésentés ce qui confirme bien le caractère « maritime » de ce site.

Kville présente, partiellement au moins, un profil symétrique de celui de Bottna : les bateaux

simples et l’ensemble des bateaux sont sous représentés. Par contre, les bateaux habités par

des individus plus clairement identifiables que sur les bateaux peigne et les cupules isolées

présentent des valeurs plus élevées que pour l’ensemble des autres sites.

Svenneby : Les « bateaux simples peigne » sont nettement surreprésentés, ce qui oppose ce

site à celui de Kville.

Ce même type d’analyse s’exerce également sur les données dites lexicales qui n’étaient pas

prévues lors de la saisie de données initiales.

On obtient alors des graphes de ce type qui regroupent les éléments suivant deux axes

principaux.

Les triangles représentent les lieux et les disques les items.

On remarque ainsi les caractéristiques de chaque site pour des items moins nombreux que

ceux retenus précédemment.

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A ces items déjà relevés par d’autres auteurs nous avons rajouté d’autres variables comme

l’orientation et la plus grande pente.

Il apparaît alors que les dalles sont très généralement orientées au nord ouest, ce qui était

remarqué par d’autres auteurs mais que la plus grande pente est orientée vers le bas de la dalle

où devait se situer l’artiste gravant la dalle.

Par ailleurs la liaison pétroglyphes-eau est mise en évidence. Les bateaux sont soit gravés

horizontalement et apparaissent en position que nous avons appelée de flottaison soit ils sont

dans le flux d’un écoulement d’eau. Il faut parfois se rendre sur le terrain pour remarquer la

trace laissée par l’écoulement, trace qui n’est pas portée sur les relevés qui ne relatent que les

gravures.

La traînée brunâtre est particulièrement visible sur cette photographie prise à l’ombre des photographes. Finntorp (Tanum).

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Notons toutefois que cette disposition soit horizontale soit dans le flux souffre quelques

exceptions et un petit nombre de bateaux présentent une position oblique par rapport à

l’horizontale sans qu’aucun cours d’eau ne puisse expliquer cette particularité.

L’analyse de la position des cupules montre leur répartition inégale suivant les sites.

Par exemple, sur ce diagramme, les « cupules-blocs » (regroupées sans structure visible)

caractérisent surtout le site de Kville où elles abondent.

BottKvil

Sven

Cup-Isolées

Cup-Lignes

Cup-Bloc

Cup-Matrices

0

50

100

150

200

250

300

350

400

450

500

Nombre de cupules de chaque type selon le lieu

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Les « cupules-matrices » (rangées en lignes et en colonnes) ne sont pratiquement présentes

qu’à Svenneby. Elles y sont même supérieures en nombre aux « cupules-lignes ».

D’autres caractéristiques croisant des variables comme site et taille ou recherchant des

caractéristiques de dalles en fonction de l’orientation et de la plus grande pente sont également

rapportées.

6 Conclusion :

Les résultats montrent des apports riches dans la connaissance de ces glyphes.

Outre la signature très particulière de ces trois sites pourtant très proches, on peut retenir la

forte liaison des dalles avec l’eau et la position de l’artiste graveur qui devait travailler « les

pieds dans l’eau » ou tout près du rivage. Le repérage chronologique est ainsi facilité : le

niveau de l’eau est bien connu des géologues durant toute cette période, tout comme ses

variations. Si on admet que les bateaux se situaient à l’affleurement de l’eau sur la roche, on

peut alors repérer l’âge de ces bateaux grâce aux données de la géologie associant le niveau de

l’eau à la datation.

Des réponses ont également été données à des questions qui n’ont pas été posées. Citons par

exemple le regroupement des cupules à la distribution bien particulière suivant les sites ainsi

que l’importance de l’orientation par rapport au nord géographique ou à la plus grande pente.

Ces méthodes, qui peuvent sembler réductionnistes ou positivistes et qui ont cependant

contribué à approfondir notre connaissance des gravures rupestres, ne trouvent toute leur

efficacité qu’en liaison avec les études sur le terrain et en synergie avec l’approche plus

sensible généralement utilisée.