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Fraternités de Jérusalem | Atelier biblique en ligne Saint Luc | 1 http://jerusalem.cef.fr | © FMJ2009 Pour commencer À la rencontre d’un texte... ou plutôt d’une bibliothèque ! La Bible est un livre difficile, attirant et rebutant à la fois : si loin de nous dans son style et ses expressions, et en même temps si exact et si proche dans sa représentation du cœur de l’homme. Il n’est donc pas facile d’ouvrir la Bible mais si, aujourd’hui encore, nous lisons et prions ces textes qui forment les Écritures, c’est parce que Dieu nous y parle. Et il le fait à travers une histoire, à travers des auteurs qui ont leur culture, leur manière de per - cevoir et de dire Dieu à l’œuvre dans l’histoire d’Israël. La Bible, c’est donc à la fois l’homme qui nous parle de Dieu, Dieu qui nous parle de l’homme et Dieu qui nous parle de lui-même ! Discours multiple et multiforme dont la rédaction court sur une durée très longue (environ 1000 ans !). On comprend que l’on parle parfois, à juste titre, de «bibliothèque» pour désigner la Bible... Dès lors, ouvrir la Bible, c’est commencer un voyage. Entamer une rencontre avec l’inconnu. Cet atelier biblique voudrait être un guide dans ce périple qui sera aussi un pèlerinage. Il peut arriver qu’on se lasse durant un pèlerinage... Le fait de se savoir accompagné par plus de 1700 pèlerins pourra être une aide. Et si vous êtes est un peu perdu, n’hésitez pas : posez votre question là où il vous est proposé de le faire ; les réponses seront publiées au fur et à mesure et leur lecture pourra servir à tous. Un évangile, un évangéliste Nous ne retenons souvent des évangiles que les extraits qui sont lus à la messe dominicale. Des récits ou enseignements marquants qui, certes, contiennent l’essentiel du message évangélique, mais qui ne permettent pas de saisir comment chaque épisode est enchâssé dans l’ensemble. Or chaque évan- géliste, qui a reçu de la tradition le récit des paroles et des gestes de Jésus, les a disposés et agencés en fonction de son propre projet théologique. Ce qui nous permet de contempler des visages du Christ, non pas différents, mais complémentaires. C’est cette visée du rédacteur que permet de comprendre la lecture continue d’un évangile. Celui de Luc a été choisi en premier, d’abord pour une raison liturgique : c’est l’évangile qui va être lu pendant l’année C qui commence le dimanche 29 novembre, 1er dimanche de l’Avent. Il est écrit pour une communauté issue, non du judaïsme mais du paganisme, et souligne donc les traits universels du message du Christ. Il met fortement l’accent sur des traits importants aujourd’hui : le rôle de l’Esprit Saint, la miséricorde du Père, la joie… Un bon guide donc pour rafraîchir et appro- fondir notre regard sur le visage de Jésus. Comment procéderons-nous ? Chacun peut évidemment butiner à sa convenance dans les éléments qui seront proposés. Si l’on veut procéder méthodiquement, voilà le cheminement que l’on pourra suivre : Lire, dans une grosse bible*, le chapitre proposé, en étant attentif à la façon dont les différents éléments se succèdent. Cette première étape n’est pas encore présente dans l’atelier du 10 novembre. Méditer plus particulièrement le passage à travailler et la présentation globale qui en est faite. Ce passage vous sera fourni en version imprimable* de façon à pouvoir travailler directement sur le texte.Vous pourrez aussi approfondir les mots et expressions en couleur (ou en gras) dans le texte : un clic de souris vous donne accès à des précisions et explications complémentaires. Enfin, pour conclure ce deuxième temps, il vous sera encore proposé d’enrichir votre réflexion grâce à la lecture d’un texte spirituel. Sachez aussi qu’il vous est possible de poser une question sur un point à élucider (les réponses seront mises en ligne au fur et à mesure de l’arrivée des questions). • Enfin, prier à partir de tout ce qui aura été (re)découvert… Une prière vous sera proposée à la fin de chaque atelier, mais libre à vous de vous laisser inspirer une autre prière ! Vous pourrez aussi nous l’envoyer si vous souhaitez la partager aux autres participants de l’atelier biblique en ligne. • L’ultime étape, contempler, sera l’occasion de faire dialoguer art et Écritures à travers la contemplation d’une œuvre. Un fond d’écran vous sera aussi proposé pour chaque atelier. * La traduction que nous avons choisie est celle de la Bible de Jérusalem.

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Pour commencer

À la rencontre d’un texte... ou plutôt d’une bibliothèque ! ◗La Bible est un livre difficile, attirant et rebutant à la fois : si loin de nous dans son style et ses

expressions, et en même temps si exact et si proche dans sa représentation du cœur de l’homme. Il n’est donc pas facile d’ouvrir la Bible mais si, aujourd’hui encore, nous lisons et prions ces textes qui forment les Écritures, c’est parce que Dieu nous y parle.

Et il le fait à travers une histoire, à travers des auteurs qui ont leur culture, leur manière de per-cevoir et de dire Dieu à l’œuvre dans l’histoire d’Israël. La Bible, c’est donc à la fois l’homme qui nous parle de Dieu, Dieu qui nous parle de l’homme et Dieu qui nous parle de lui-même ! Discours multiple et multiforme dont la rédaction court sur une durée très longue (environ 1000 ans !). On comprend que l’on parle parfois, à juste titre, de «bibliothèque» pour désigner la Bible...

Dès lors, ouvrir la Bible, c’est commencer un voyage. Entamer une rencontre avec l’inconnu. Cet atelier biblique voudrait être un guide dans ce périple qui sera aussi un pèlerinage. Il peut arriver qu’on se lasse durant un pèlerinage... Le fait de se savoir accompagné par plus de 1700 pèlerins pourra être une aide. Et si vous êtes est un peu perdu, n’hésitez pas : posez votre question là où il vous est proposé de le faire ; les réponses seront publiées au fur et à mesure et leur lecture pourra servir à tous.

Un évangile, un évangéliste ◗Nous ne retenons souvent des évangiles que les extraits qui sont lus à la messe dominicale. Des

récits ou enseignements marquants qui, certes, contiennent l’essentiel du message évangélique, mais qui ne permettent pas de saisir comment chaque épisode est enchâssé dans l’ensemble. Or chaque évan-géliste, qui a reçu de la tradition le récit des paroles et des gestes de Jésus, les a disposés et agencés en fonction de son propre projet théologique. Ce qui nous permet de contempler des visages du Christ, non pas différents, mais complémentaires. C’est cette visée du rédacteur que permet de comprendre la lecture continue d’un évangile.

Celui de Luc a été choisi en premier, d’abord pour une raison liturgique : c’est l’évangile qui va être lu pendant l’année C qui commence le dimanche 29 novembre, 1er dimanche de l’Avent.

Il est écrit pour une communauté issue, non du judaïsme mais du paganisme, et souligne donc les traits universels du message du Christ. Il met fortement l’accent sur des traits importants aujourd’hui : le rôle de l’Esprit Saint, la miséricorde du Père, la joie… Un bon guide donc pour rafraîchir et appro-fondir notre regard sur le visage de Jésus.

Comment procéderons-nous ? ◗Chacun peut évidemment butiner à sa convenance dans les éléments qui seront proposés.Si l’on veut procéder méthodiquement, voilà le cheminement que l’on pourra suivre :• Lire, dans une grosse bible*, le chapitre proposé, en étant attentif à la façon dont les différents

éléments se succèdent. Cette première étape n’est pas encore présente dans l’atelier du 10 novembre.• Méditer plus particulièrement le passage à travailler et la présentation globale qui en est faite.

Ce passage vous sera fourni en version imprimable* de façon à pouvoir travailler directement sur le texte. Vous pourrez aussi approfondir les mots et expressions en couleur (ou en gras) dans le texte : un clic de souris vous donne accès à des précisions et explications complémentaires. Enfin, pour conclure ce deuxième temps, il vous sera encore proposé d’enrichir votre réflexion grâce à la lecture d’un texte spirituel. Sachez aussi qu’il vous est possible de poser une question sur un point à élucider (les réponses seront mises en ligne au fur et à mesure de l’arrivée des questions).

• Enfin, prier à partir de tout ce qui aura été (re)découvert… Une prière vous sera proposée à la fin de chaque atelier, mais libre à vous de vous laisser inspirer une autre prière ! Vous pourrez aussi nous l’envoyer si vous souhaitez la partager aux autres participants de l’atelier biblique en ligne.

• L’ultime étape, contempler, sera l’occasion de faire dialoguer art et Écritures à travers la contemplation d’une œuvre. Un fond d’écran vous sera aussi proposé pour chaque atelier.

* La traduction que nous avons choisie est celle de la Bible de Jérusalem.

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Méditer

Ce passage est celui que nous vous proposons de creuser plus particulièrement pour ce tout premier atelier biblique. Il s’agit d’un «échauffement», c’est pourquoi il est très court ! Les expressions en gras sont commentées sous le texte.

1. Puisque beaucoup ont entrepris de composer un ré-cit des événements qui se sont accomplis parmi nous, 2. d’après ce que nous ont transmis ceux qui furent dès le début témoins oculaires et serviteurs de la Parole, 3. j’ai décidé, moi aussi, après m’être informé exactement de tout depuis les origines, d’en écrire pour toi l’exposé suivi, excellent Théophile, 4. pour que tu te ren-des bien compte de la sûreté des enseignements que tu as reçus.

Ces quatre versets forment une sorte de prologue. Il n’est pas majestueusement théologique comme celui de Jean, mais se présente comme une dédicace ainsi qu’avaient coutume d’en rédiger les historiens hellénistiques. Cette longue phrase soigneusement composée nous apprend déjà beaucoup de choses sur son rédacteur : Luc est d’origine grecque et de bonne

culture, sans doute le «cher médecin» dont parle Paul (Col 4,14).

«Beaucoup…» : Luc n’écrit pas à partir de rien : en plus des traditions orales de sa communauté, il connaît d’autres «évangiles». Les paroles de Jé-sus, les «récits des événements» circulaient et se transmettaient dans les communautés ; certaines les avaient déjà mises par écrit, partiellement ou de façon plus organisée (comme l’évangile «selon saint Marc», sans doute rédigé vers 65).

«D’après ce que …» : Luc n’est pas un apôtre ni même de la génération apostolique. Il ne connaît Jésus que par la «tradition» (ce qui a été «trans-mis»), terme qu’utilisait déjà le judaïsme pour dé-signer la transmission orale par des maîtres.

«Témoins…» : on voit que les transmetteurs ont une double fonction qui correspond globalement à leur rôle avant et après la Passion-Résurrec-tion du Seigneur. Cela correspond aussi aux deux parties de l’œuvre de Luc (malheureusement dis-sociées dans nos bibles) : la première – l’évangile – relate les paroles et actes de Jésus dont les apô-tres furent les «témoins oculaires» ; la seconde – les Actes des Apôtres – les débuts de la course de la Parole portée à toutes les nations, dont les apôtres deviennent dès lors les «serviteurs». Ain-si symboliquement l’évangile de Luc commence dans le temple de Jérusalem et s’y achève ; c’est à Jérusalem aussi que commencent les Actes qui se

déploient ensuite dans tout le Bassin méditerra-néen jusqu’à Rome.

«Après m’être…» : Luc n’est pas un historien au sens moderne du terme ; mais il indique sa mé-thodologie :- une information exacte (nous ne connaissons pas toutes ses sources, mais elles sont variées de telle façon qu’il est seul à rapporter certains épisodes : l’enfance de Jésus, des paraboles telles le fils prodigue ou le bon Samaritain, des récits comme le pardon de la pécheresse ou le repas chez Marthe et Marie…) ;- un exposé suivi : il ne cherche ni à être exhaus-tif, ni à suivre une succession chronologique. Son plan est essentiellement théologique et marqué, à partir du chapitre 9, par la montée de Jésus vers Jérusalem.

«Excellent Théophile» : Le dédicataire de l’œuvre de Luc, qui ne nous est pas autrement connu, était peut-être un chrétien d’origine païenne (il porte un nom grec), occupant une fonction importante, selon l’usage qui faisait dédier les ouvrages à des protecteurs influents. Mais son prénom signifie «ami de Dieu» : c’est donc à tout disciple qu’est dédié le livre, à celui qui veut s’approcher de Dieu et apprendre à le connaître tel qu’il s’est révélé en son Fils Jésus-Christ.

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Parole divine, parole humaine ◗

Dans la Bible, toute parole du ciel qui nous atteint passe par la terre, donc par un point par-ticulier dans l’espace et dans le temps. D’où sa saveur et, aussi, sa limite. Par exemple nous en saurions plus sur Moïse si Moïse nous en parlait lui-même. Mais il est humain que dans l’histoire d’un peuple on continue à parler d’un grand homme longtemps après lui : les échos

les plus lointains sont moins certains historiquement. Dieu n’empêche pas cela et même il l’utilise. Cela vaut aussi pour l’Évangile. La parole de Dieu reste humaine : Dieu économise les révélations directes et ne donne pas, en général, de visions sur le passé lointain qui assureraient une meilleure exactitude historique. Il est nécessaire d’en tenir compte en lisant nos récits.

Humain signifie qu’il n’est pas suffisant de nous intéresser à la chose qui est dite : il faut s’occuper aussi de celui qui parle. On l’a dit : Dieu se révèle non seulement par lui mais en lui. Sa manière propre de parler est déjà une révélation. Donc, il faut se demander comment est, qui est, où est celui qui parle. Nous n’aurions pas besoin de ce genre d’études si Dieu passait par-dessus celui qui parle et l’utilisait comme on utilise un télégraphiste ou un facteur. Dieu inspire une parole : ce n’est pas la même chose que la dicter. Depuis Pie XII (Divino afflante Spiritu, 1943), l’Église nous invite avec insistance à cette démarche, avec des formules comme «manière de parler, style, genre littéraire, habitudes de langage d’un homme et d’une époque», etc. Les limites et les faiblesses que nous rencontrerons ne nous auto-riseront pas à dire que nous ne sommes pas devant la Parole de Dieu. Elle est de Dieu jusque dans ces faiblesses et peut-être surtout par elles.

Paul BeauchampParler d’Écritures Saintes, Le Seuil, Paris, 1987, p. 25-26

Prier

Seigneur, tu as choisi de nous parler à travers les mots des hommes. Envoie sur nous ton Esprit d’intelligence pour qu’il nous donne de percevoir la voix de ton amour qui s’adresse à nous dans le langage de tes saintes Écritures. Montre-nous combien ta Parole est «vivante, efficace et plus incisive qu’aucun glaive à deux tranchants» (Hébreux 4,12). Nous croyons, Seigneur, que c’est

vraiment toi qui nous parles, béni sois-tu !

Contempler

De Luc, le «cher médecin», la légende a fait un peintre. À Byzance on vénérait une icône de la Vierge attribuée à saint Luc. Toute invraisemblante que soit cette tradition, elle a le mérite de refléter un trait réel de l’écri-ture de Luc : son attention aux personnes. De même qu’il est ici tout entier concentré sur son travail d’expression picturale du mystère qu’il a le bonheur de contempler, de même Luc semble toujours avoir une sorte de tendresse particulière pour ses personnages : Marie, dont il nous permet de suivre l’iti-néraire de foi, les apôtres, et tous ceux qu’il est le seul à nommer : Zacharie et Élisabeth, Syméon et Anne, Zachée, les marcheurs d’Emmaüs... C’est bien l’œuvre d’un peintre qu’il nous est donné tant de lire que de contempler.

Saint Luc dessinant le portrait de la Vierge, 1435 (Boston, Museum of Fine Arts). Dans une salle dallée, s’ouvrant à l’extérieur par une large baie, saint Luc vêtu de rouge, à demi agenouillé, dessine à la pointe d’argent sur une feuille de parchemin, le portrait de la Vierge. La Vierge richement vêtue, est assise sur les marches d’un trône en bois, tendu d’un dais de brocart. Elle donne le sein à l’Enfant, qu’elle tient de la main droite. Au deuxième plan, un couple accoudé à un mur crénelé, contemple un plan d’eau bordé de bâtiments, de rochers et d’arbres. L’œuvre aurait été commandée pour la chapelle de la Gilde des peintres de Bruxelles, ville dont il était sans doute déjà le peintre en titre.

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Lire

Les deux premiers chapitres de Luc forment ce qu’on a coutume d’appeler «l’évangile de l’enfance» et lui sont propres. Marc en effet commence plus abruptement son évangile au début du ministère public de Jésus ; Jean, au contraire, remonte beaucoup plus haut et, dans son prologue, évoque l’origine éternelle du Fils : «Au commencement était le

Verbe…» Matthieu comporte lui aussi un évangile de l’enfance, mais avec des matériaux tout autres que ceux de Luc : l’annonce de la naissance est apportée à Joseph, et non à Marie ; les témoins de la Nativité sont des mages, et non des bergers ; l’épisode du massacre des enfants par Hérode et de la fuite en Égypte sont propres à Matthieu qui, en revanche, ne parle pas de la Présentation de l’enfant au Temple de Jérusalem, etc.

Luc a donc composé de façon originale ce cycle de l’enfance, ou plutôt des enfances, car les annonces et les naissances de Jean et de Jésus sont mises en parallèle. Ces deux chapitres sont en effet construits de manière très précise et minutieuse : on y lit sept scènes successi-ves dont plusieurs se répondent. À l’annonce à Zacharie (1,5-25) succède l’annonce à Marie (1,26-38), puis la rencontre des deux enfants dans le sein de leur mère, lors de la «Visitation» (1,39-56). Puis le récit de la naissance et circoncision de Jean (1,57-80) est suivi de celui de la naissance et circoncision de Jésus (2,1-21), et de sa Présentation au Temple (2,22-40). L’ensem-ble se clôt par l’épisode de Jésus retournant au Temple de Jérusalem, à 12 ans (2,40-52).

On voit donc qu’il y a un parallélisme très marqué entre ce qui est dit de Jean, qui se montre en tout «précurseur», et ce qui est dit de Jésus. Cependant un examen attentif montre que Jésus ne répète pas ce qui est arrivé à Jean, mais que les événements le concernant ont un caractère de solennité et d’importance plus grand : c’est particulièrement visible pour sa nais-sance et sa manifestation dans le Temple, ou encore dans le dernier épisode qui lui est propre où l’on montre Jésus enseignant les docteurs. Tout est donc composé pour montrer que le rôle de Jean est bien, comme cela sera dit en 3,4, de «préparer le chemin du Seigneur».

Luc a choisi de faire commencer son récit dans le Temple de Jérusalem où officie le prê-tre Zacharie. De même ces deux chapitres se terminent dans le Temple où Jésus monte pour ses douze ans, c’est-à-dire l’âge de la majorité religieuse : manière pour le rédacteur de mon-trer que la naissance, et plus tard, le ministère public de Jésus, comblent bien l’attente du peuple de l’Alliance. Tout le texte contient d’ailleurs de nombreuses citations implicites de l’Écriture et des allusions à l’histoire biblique (à commencer par la ressemblance entre la situation de Zacharie et Anne et celle d’Abraham et Sarah).

Ceci est particulièrement flagrant dans les quatre cantiques qui jalonnent ces chapitres : celui de Marie lors de sa rencontre avec Élisabeth (1,49-53), de Zacharie après la naissance de Jean (1,68-79), des bergers à la naissance de Jésus (2,14) et de Syméon lors de la Présen-tation au Tempe (2,29-32). Ces cantiques, construits à partir de citations bibliques, ont paru si importants pour la Tradition que l’Église les a repris dans sa prière liturgique (le Benedictus, le Magnificat et le Nunc dimittis, chaque jour dans la prière des heures ; et le Gloria, à la messe de chaque dimanche).

À la fin de cet évangile de l’enfance, qui forme comme un long prologue, tout est donc en place pour que Jésus se manifeste comme héritier des promesses de la Première Alliance et porteur d’une nouveauté absolue.

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Méditer

Ce passage est celui que nous vous proposons de creuser plus particulièrement pour ce premier atelier biblique. Les ex-pressions en italique sont commentées sous le texte.

Scène centrale de l’évangile de l’enfance, puisqu’elle est point de jonction entre le cycle de Jean et le cycle de Jésus, ce qu’on appelle la «Visitation», la rencontre de Marie et de sa cousine Élisabeth, est aussi la rencontre de deux enfants qu’elles portent en elles : Jean s’y montre déjà le Précurseur qui annonce la venue du Christ, et Jésus y est mani-

festé comme «le Seigneur», venant accomplir les promesses faites à Israël.

39. En ces jours-là, Marie partit et se rendit en hâte vers la région montagneuse, dans une ville de Juda. 40. Elle entra chez Zacharie et sa-lua Élisabeth. 41. Et il advint, dès qu’Élisabeth eut entendu la salutation de Marie, que l’enfant tressaillit dans son sein et Élisabeth fut remplie d’Esprit Saint. 42. Alors elle poussa un grand cri et dit : «Bénie es-tu entre les femmes, et béni le fruit de ton sein ! 43. Et comment m’est-il donné que vienne à moi la mère de mon Seigneur ? 44. Car, vois-tu, dès l’instant où ta salutation a frappé mes oreilles, l’enfant a tressailli d’allégresse en mon sein. 45. Oui, bienheureuse celle qui a cru en l’accomplissement de qui lui a été dit de la part du Seigneur !»

46. Marie dit alors :«Mon âme exalte le Seigneur,47. et mon esprit tressaille de joie en Dieu mon Sauveur,48. parce qu’il a jeté les yeux sur l’abaissement de sa servante. Oui, désormais toutes les générations me diront bienheureuse, 49. car le Tout-Puissant a fait pour moi de grandes choses.Saint est son nom, 50. et sa miséricorde s’étend d’âge en âgesur ceux qui le craignent.51. Il a déployé la force de son bras,il a dispersé les hommes au cœur superbe.52. Il a renversé les potentats de leurs trôneset élevé les humbles,53. Il a comblé de biens les affamés et renvoyé les riches les mains vides.54. Il est venu en aide à Israël, son serviteur,se souvenant de sa miséricorde,55. – selon qu’il l’avait annoncé à nos pères –en faveur d’Abraham et de sa postérité à jamais !»

56. Marie demeura avec elle environ trois mois, puis elle s’en re-tourna chez elle.

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«… partit et se rendit en hâte vers la région mon-tagneuse» : on peut s’émerveiller de la joie de Marie et de sa serviabilité qui la pousse à venir en aide à sa cousine sans plus songer à elle-même. Mais cette notation parle surtout de la course du Verbe qui commence dès avant sa naissance et sera portée par les apôtres «jusqu’aux confins de la terre». C’est le bien-aimé du Cantique des Cantiques qui «arrive sautant sur les montagnes, bondissant sur les collines» (Cantique 2,8) vers l’humanité, sa bien-aimée.

«… tressaillit dans son sein» : l’ange avait annoncé à Zacharie que l’enfant qu’il allait concevoir dans sa vieillesse, serait «rempli d’Esprit Saint dès le sein de sa mère» (Lc 1,15). Le petit Jean prophétise donc dans le sein de sa mère, en voyant venir vers lui, por-té dans le sein de Marie, celui qu’il a vocation d’an-noncer. Et il transmet déjà par son «tressaillement d’allégresse», cette révélation de l’Esprit à sa mère.

«Bénie es-tu entre les femmes, et béni le fruit de ton sein !» : la salutation d’Élisabeth reprend les termes des bénédictions accordées à des femmes qui ont été cause de salut pour Israël, telles Yaël (Jg 5,24) ou Judith (Jdt 13,18). Mais ici est aussi «béni le fruit de son sein» : Marie n’apporte pas le salut par son action – et encore moins par une action guerrière ! –, mais en donnant au monde Celui qu’Élisabeth nomme «mon Seigneur». Un titre qui était accordé par l’Écriture au Messie (cf. par exemple le Psaume 110,1 : «Le Seigneur a dit à mon Seigneur : Siège à ma droite…») et qui sera celui de Jésus ressuscité (cf. Actes 2,36).

«Bienheureuse celle qui a cru» : première béati-tude de l’évangile. Marie a été «comblée de grâ-ces» par le Seigneur, mais Dieu respecte notre liberté : ce n’est que parce qu’elle a ajouté foi à la parole portée par l’ange que celle-ci a pu s’ac-complir et prendre chair en elle. Elle est donc non seulement «mère du Seigneur» (le Concile d’Éphèse, en 431, s’appuiera sur ce passage pour la proclamer Theotokos, Mère de Dieu), mais aus-si le modèle du croyant. Cf. la réponse de Jésus à une femme disant : «Heureuses les entrailles qui t’ont porté et les seins que tu as sucés !» : «Heu-reux plutôt ceux qui écoutent la parole de Dieu et l’observent !» (Lc 11,27-28).

«Mon âme exalte le Seigneur…» : en référence à son premier mot en latin, ce cantique de Marie est appelé le Magnificat ; il est chanté chaque soir, dans la liturgie de l’Église, au cours de l’office de

Vêpres. C’est un cantique de louange, aux multi-ples citations du Premier Testament, composé sur le modèle du cantique d’Anne, mère de Samuel (1 Samuel 2,1-10).

«… parce qu’il a jeté les yeux sur l’abaissement de sa servante» : seule allusion directe à l’occa-sion de cet hymne de louange, l’annonciation. Marie, «mère du Seigneur», ne revendique que le titre de «servante». C’était déjà le plus haut titre octroyé à Moïse, au moment de sa mort (Deuté-ronome 34,5). C’est surtout l’attitude qu’adopte Jésus lui-même et qu’il indique comme le chemin de la vraie grandeur : «Et moi, je suis au milieu de vous comme celui qui sert !» (Lc 22,27).

«Toutes les générations me diront bienheureu-se» : nouvelle béatitude. L’humilité de Marie va de pair avec une juste fierté ; mais cette fierté ne se fonde pas sur un mérite personnel, mais sur l’œu-vre de Dieu en elle. Comme déjà le proclamait Léa, épouse de Jacob (cf. Genèse 30,13), elle est louée pour l’enfant qu’elle porte.

«Il a déployé la force de son bras…» : la seconde partie de l’hymne (très inspiré du cantique d’Anne) magnifie l’œuvre de restauration de toutes choses qu’accomplit Dieu. Cette expression «déployer la force de son bras» est fréquemment utilisée, sur-tout par le Deutéronome, pour rappeler la sortie d’Égypte et la traversée de la mer, c’est-à-dire la première fois où Dieu s’est révélé à son peuple comme sauveur. Il s’agit ici aussi d’une «pâque», du passage à un monde nouveau qu’inaugure la venue du Christ dans la chair : toutes les valeurs sont renversées, les situations bouleversées ; le Dieu de justice se penche, de façon prioritaire, sur les pe-tits, les humbles et les pauvres, comme Luc le fait souvent remarquer. Ce cantique annonce déjà le grand renversement des béatitudes (Lc 6,20-26).

«… se souvenant de sa miséricorde, selon qu’il l’avait annoncé à nos pères» : l’œuvre de salut de Dieu commence cependant par l’accomplis-sement des promesses faites à Abraham : on est bien toujours dans ce prologue qui veut enraci-ner la naissance et la vie de Jésus dans l’espérance messianique séculaire. Le thème de l’ouverture aux païens ne viendra que plus tard dans le récit de Luc. Ici c’est la continuité qui est soulignée entre le Dieu qui s’est présenté à Moïse comme «le Dieu de tendresse et de miséricorde, lent à la colère, riche en grâce et en fidélité» (Exode 34,6) et l’enfant qui vient apporter son salut.

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Voici le Roi qui vient ◗

Voici le Roi qui vient, allons au-devant de notre Sauveur. Ce n’est pas un unique mes-sager, c’en est un grand nombre, mais animés d’un unique esprit, qui nous sont venus depuis le commencement du monde, formant une longue chaîne ; et tous n’ont eu qu’une seule voix, un seul message : «II vient. Voici qu’il vient» (Ez 39,8). De tels mes-

sagers sont une eau rafraîchissante et un breuvage de sagesse salutaire pour l’âme assoiffée de Dieu car, en vérité, celui qui annonce l’avènement du Sauveur lui donne à boire des eaux qu’il a puisées pour elle dans la joie aux sources du Sauveur (Is 12,3). Aussi, à celui qui lui fait cette annonce - que ce soit Isaïe ou quelqu’autre prophète – l’âme répond avec les mots d’Élisabeth, parce qu’elle a bu au même esprit qu’Élisabeth : «Et comment ai-je-le bonheur que mon Seigneur vienne à moi ? Car dès l’instant où le son de ton message a frappé mon oreille, mon esprit a tressailli de joie dans mon cœur, impatient de s’élancer au-devant de Dieu son Sauveur.»

Oui, c’est dans l’exultation de l’esprit qu’il faut aller a la rencontre du Christ.qui vient. Que notre esprit s’élance dans un transport de joie au-devant de son Sauveur ; que de loin il l’adore et lui dise : «Ô Seigneur, sauve-moi ! Salut à toi qui viens nous sauver ! Viens donc, ô Seigneur ! Viens, montre-nous ta face, et nous srons sauvés ! C’est toi que nous avons attendu, sois no-tre salut au temps de la tribulation ! » (Is 32,2) Ainsi les prophètes et les justes allaient à la rencontre du Christ avec un tel désir, un tel élan d’amour qu’ils auraient voulu, si cela avait été possible, voir de leurs yeux ce que déjà ils voyaient en esprit. C’est pourquoi le Seigneur disait à ses disciples : «Heureux les yeux qui voient ce que vous voyez !» (Lc 10,23). Notre joie doit donc être si grande que notre esprit, s’élevant au-dessus de lui-même, brûle de s’élancer, en quelque sorte, à la rencontre du Christ qui vient et que, se portant en avant par le désir, il s’efforce, sans souffrir aucun retard, de voir déjà celui qui va venir.

Bienheureux Guerrricabbé d’Igny au XIIe s.

Prier

Seigneur, tu es venu habiter la chair de l’homme pour la remplir du feu de ta divinité. Comme Marie, nous voulons courir à la rencontre de ceux que tu places sur notre route pour que nous témoignions de ta joie, portant en nous la promesse de notre salut éternel : ton Fils Jésus, notre Sauveur. Béni sois-tu !

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Contempler

Une «Bible en images»... C’est bien ainsi que le Moyen-Âge envisageait l’art de l’imagerie religieuse et en particulier des fresques dont il ornait volontiers les voûtes de ses édifices cultuels. À ses fidè-les bien souvent illettrés, l’Église dispen-sait les fondements de la foi et à travers des récits bibliques en images et, bien souvent, en symboles. La fresque que nous contemplons aujourd’hui a tout d’une bande dessinée : deux mystères s’y succèdent : celui de l’Annonciation (une «bulle» sort de la bouche de l’ange Ga-briel !) et celui de la Visitation. L’artiste a entouré la scène de nombreux rinceaux fleuris, lui prêtant ainsi un aspect paradi-siaque : il s’agit bien d’une nouvelle créa-tion. Au «non» effrayé de la première Ève, partie se cacher dans le jardin, répond le

«oui» libre et confiant de la Nouvelle Ève, Marie, qui court sur les collines annoncer et partager sa joie à sa cousine Élisabeth.

L’Annonciation et la Visitation (Église de Keldby, Danemark, XVIe s.). On compte aujourd’hui 1800 églises médiévales conservées au Danemark. Un grand nombre d’entre elles recè-lent en leur intérieur un véritable trésor pictural : des fresques qui, durant le Moyen Âge, ont recouvert et animé les murs des églises. Pendant plus de quatre siècles, cette véritable «Bible en images» s’est développée et modifiée selon les goûts et les besoins des époques et des lieux. On ne connait de nou-veau ces peintures murales que depuis un siècle et demi. Elles ont en effet été presque quasiment toutes recouvertes par une couche de peinture blanche à partir du 16e siècle, soit dans le souci de suivre les conseils des réformateurs en matière d’image lorsque les thèmes représentés n’étaient pas conformes, soit simplement parce que le goût de l’époque ne correspondait plus à celui qui avait donné naissance aux fresques. La fresque que nous contemplons aujourd’hui remonte à l’époque du gothique tardif (entre 1475 et 1550 environ) ; elle est située dans l’église de Keldby dont le patrimoine pictural est remarquable par sa conservation, son unité et son étendue. Keldby est une petite commune qui se trouve sur l’île de Møn, au sud de Sjælland. (Source : http://www.narthex.fr)

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Lire - Luc 3,1-5-16

Après l’évangile de l’enfance (cf. étape 1), voici l’évangile du «commencement». Le terme, employé en Lc 3,23, renvoie clairement à l’inauguration de la prédication de Jésus, tout comme à la fin de l’évangile (24,47) et dans les premiers chapitres des Actes des Apôtres, il va qualifier les débuts de la prédication apostolique. Ce

«commencement» est décrit, dans le passage lu ce mois-ci, en deux volets : les préparations du ministère de Jésus (3,1-4,13) et les débuts effectifs de ce ministère en Galilée (4,14-5,16).

1. Les préparations sont multiples, tant lointaines que proches. Luc utilise ici les mêmes matériaux que les deux autres évangiles synoptiques, Matthieu et Marc : la prédication de Jean Baptiste, le baptême de Jésus, les tentations au désert. Mais il les agence de manière un peu différente, en y intégrant en particulier une généalogie de Jésus, que Matthieu place tout au début de son évangile (1,1-17) et que Marc omet.

La première préparation s’opère par la prédication de Jean le Baptiste, «la voix qui crie dans le désert» (3,1-18). Solennellement inscrite dans l’histoire par l’énumération des autorités politiques et religieuses (3,1-2), la prédication de Jean renoue avec celle des grands prophètes d’Israël, en même temps qu’elle annonce déjà «la Bonne Nouvelle» (littéralement «l’évangile» : 3,18). Luc fait pleinement jouer à Jean son rôle de précurseur annonçant «un plus fort» (3,16) et, pour montrer que cette mission s’achève lorsque paraît Jésus, il insère un bref récit de son emprisonnement aux versets 18-19.

Cette première préparation débouche sur la manifestation éclatante de Jésus, à son bap-tême (3,21-22), raconté brièvement – et sans que Jean soit nommé puisqu’on vient de le dire emprisonné ! Jésus reçoit l’onction de l’Esprit et la voix du Père, citant le psaume 2,7, affirme sa filiation divine et l’intronise comme roi messie.

La seconde préparation enracine Jésus dans une lignée humaine en proposant sa gé-néalogie (3,22-38). Les deux séries d’événements, la prédication de Jean et la lignée humaine déployée dans l’histoire, convergent donc vers Jésus, affirmant ainsi implicitement sa double nature. La généalogie lucanienne est différente de celle de Matthieu : partant de Joseph, son père adoptif, elle remonte bien au-delà d’Abraham, jusqu’à «Adam, fils de Dieu». Jésus, Fils uni-que du Père, est donc aussi présenté comme fils de l’homme ; fruit, pourrait-on dire, de toute l’humanité, récapitulée en Adam, à qui le salut est promis. Et c’est pourquoi cette généalogie est immédiatement suivie par l’épisode de tentations au désert (4,1-13), où Jésus, fils d’homme, est éprouvé à la manière des hommes (voir plus loin : méditer).

2. Ayant ainsi présenté Jésus, Fils de Dieu et fils de l’homme, le rédacteur peut com-mencer le récit des débuts de sa mission, objet de la deuxième partie du texte lu ce mois-ci (4,14-5,16). Son ministère s’inaugure en Galilée par des enseignements et des actes de puis-sance «glorifiés par tous» (4,15).

La première scène qui ouvre cette seconde partie (4,14-30) est propre à Luc et fonc-tionne comme une sorte de sommaire. Elle annonce les caractéristiques du ministère de Jésus et résume ce qu’en retient le rédacteur : enseignements fréquents et fréquemment donnés dans les synagogues ; utilisation d’indices – ici la lecture et l’interprétation de la prophétie d’Isaïe – laissant deviner qu’il est bien le grand Prophète attendu, le Messie de Dieu, mais sans que cela soit explicitement affirmé ; premières réactions d’admiration de la foule promptes à

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se changer en un refus violent ; le fait enfin que Jésus «passe son chemin» (4,30) et va porter plus loin la Bonne Nouvelle refusée par les siens.

À cette introduction programmatique, succède une suite de guérisons opérées à Ca-pharnaüm, encadrée par la double mention de son enseignement dans la synagogue (4,31.44) : guérison d’un possédé dans la synagogue même (4,31-37) ; guérison de la belle-mère de Simon (alors qu’il n’a encore été question d’aucun disciple), qui est relatée aussi comme un exorcisme (4,38-39) ; guérisons multiples, enfin, de maux divers où se manifestent encore des «esprits mauvais» (4,40-41). Jésus est donc posé d’emblée comme celui qui, par sa prédication et ses miracles, met en œuvre «la Bonne Nouvelle du Royaume de Dieu» (4,43), c’est-à-dire libère les hommes des aliénations du mal et les rend ainsi capables d’accueillir ce Royaume.

L’autorité de Jésus et le sens de son enseignement ayant été ainsi posés, Luc place en-suite l’appel des premiers disciples (5,1-11), qui intervient bien plus tôt chez Matthieu, avant le premier discours de Jésus (4,18-22), et chez Marc (1,18-20) qui les fait ensuite témoins de la «journée de Capharnaüm». L’épisode, plus tardif donc en Luc, est centré sur la personne de Simon-Pierre et fait intervenir, pour préciser la vocation qui lui est donnée, une scène de pêche miraculeuse que le Quatrième Évangile situe, pour sa part, après la résurrection (Jn 21,1-8).

Un nouveau récit de miracle, celui de la purification d’un lépreux, (5,12-14), opéré cette fois-ci devant les disciples, clôt ce passage : il affirme à nouveau la puissance de Jésus qui guérit par sa seule parole, ainsi que sa liberté face à la loi qu’il enfreint en touchant le lépreux, et qu’il respecte en l’envoyant se montrer à un prêtre.

Tel est donc le «commencement» du ministère de Jésus : il est reconnu comme un thau-maturge efficace qui étonne par son autorité et attire l’admiration des foules (4,37.42 ; 5,15). À partir de la séquence suivante, que nous lirons le mois prochain, les controverses avec les Pharisiens vont commencer et les contours de son enseignement se dessiner.

Méditer - Luc 4,1-13

Ce passage est celui que nous vous proposons de creuser plus particulièrement pour cette étape de l’atelier biblique. Les expressions en italique sont commentées sous le texte.

À l’orée de son ministère public, le récit des tentations de Jésus au désert peut sem-bler être une ultime préparation. Composé comme une histoire en trois scénettes, il est en fait placé par Luc au début de la vie publique comme un porche symbolisant le sens profond de la mission de Jésus : combattre le mal sous toutes ses formes pour

en être définitivement vainqueur par sa mort-résurrection.

4 [1] Jésus, rempli d’Esprit Saint, revint du Jourdain et il était mené par l’Esprit à travers le désert [2] durant 40 jours, tenté par le diable. Il ne mangea rien en ces jours-là et, quand ils furent écoulés, il eut faim. [3] Le diable lui dit : «Si tu es Fils de Dieu, dis à cette pierre qu’elle devienne du pain.» [4] Et Jésus lui répondit : «Il est écrit : Ce n’est pas de pain seul que vivra l’homme.»

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[5] L’emmenant plus haut, le diable lui montra en un instant tous les royaumes de l’univers [6] et lui dit : «Je te donnerai tout ce pouvoir et la gloire de ces royaumes, car elle m’a été livrée, et je la donne à qui je veux. [7] Toi donc, si tu te prosternes devant moi, elle t’appartiendra tout entière.» [8] Et Jésus lui dit : «Il est écrit : Tu adoreras le Seigneur ton Dieu, et à lui seul tu rendras un culte.»

[9] Puis il le mena à Jérusalem, le plaça sur le pinacle du Temple et lui dit : «Si tu es Fils de Dieu, jette-toi d’ici en bas ; [10] car il est écrit : Il donnera pour toi des ordres à ses anges, afin qu’ils te gardent.[11] Et encore : Sur leurs mains, ils te porteront, de peur que tu ne heurtes du pied quelque pierre.» [12] Mais Jésus lui répondit : «Il est dit : Tu ne tenteras pas le Seigneur, ton Dieu.»

[13] Ayant ainsi épuisé toute tentation, le diable s’éloigna de lui jusqu’au moment favorable.

«Rempli d’Esprit Saint, (Jésus) revint du Jourdain» : Luc a voulu situer Jésus à la fois dans sa filiation divine (affirmée par la voix du Père au moment du baptême) et sa filiation humaine (d’où l’insertion de sa généalogie en 3,23-38). Mais, par-delà cette insertion, il établit un lien fort entre la scène du baptême (rappelée par la mention du Jourdain) et celle de la tentation : ce n’est que parce que Jésus a été reconnu comme Fils de Dieu possédant la plénitude de l’Esprit qu’il va combattre et vaincre le mal.

«…mené par l’Esprit à travers le désert» : le rôle de l’Esprit est particulièrement souligné par Luc. C’est lui qui préside aux «commencements» du ministère public de Jésus, comme à ceux de l’Égli-se (cf. Actes 2) et qui conduit la mission. Pourquoi mène-t-il Jésus au désert ? On peut penser, certes, à une sorte de temps de préparation spirituelle avant le début de la mission. Mais c’est bien plutôt parce que le désert est un lieu biblique fonda-mental : le creuset où, après la sortie d’Égypte, s’est formé le peuple du Seigneur ; à la fois un lieu de découverte et d’amour de Dieu, que Jérémie compare à un temps de «fiançailles» (2,2), et un lieu d’épreuves où le peuple a expérimenté à la fois la mort et la sollicitude de Dieu (cf. Deutéro-nome 8,15-16). C’est là où le peuple élu, image de l’humanité, a été éprouvé et vaincu que Jésus part, pour revivre les mêmes épreuves et triompher.

«durant 40 jours» : le rapprochement avec l’Exo-de est confirmé par cette durée symbolique du temps de l’épreuve, puisque le peuple avait erré

quarante ans dans le désert (Nombres 14,33-34). Dans l’Écriture, ce nombre est toujours mis en relation avec une période longue, difficile, mais qui permet de se rapprocher de Dieu : par exem-ple le temps de la pluie du déluge (Genèse 7,4), de la marche d’Élie vers l’Horeb (1 Rois 19,8), ou encore le temps passé par Moïse sur la monta-gne, sans boire ni manger, avant de recevoir la Loi (Exode 34,28).

«Le diable lui dit…» : la tentation est racontée sous la forme de trois scènes composées de la même manière : une suggestion du diable et une réponse de Jésus tirée de l’Écriture (trois citations du Deutéronome). L’Adversaire de Dieu, nommé ici, à quatre reprises, «le diable» (étymologique-ment, en grec : l’accusateur), essaie de contrecar-rer le dessein divin de salut : à celui qu’il perçoit comme le messie de Dieu, puisqu’au baptême il a reçu l’onction (le mot «messie», en hébreu, com-me «christ» en grec, signifiant «l’oint»), il propose de réaliser une autre forme de messianisme qui s’appuierait sur des prodiges et des succès im-médiats. Il s’agit aussi pour Luc de préciser ainsi quelle est la vraie mission du Fils de Dieu.

«Jésus lui répondit : ‘Il est écrit’…» : la mission du Fils de Dieu se caractérise d’abord par l’obéis-sance. Celui qui est le Verbe répond en se ser-vant de versets de l’Écriture (cf. Jean 8,28 : «Ce que le Père m’a enseigné, je le dis»). C’est aussi une manière de nous montrer qu’il ne faut pas opposer au diable nos propres raisonnements (ce qui fut le premier tort d’Ève répondant au

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serpent : Genèse 3,2), mais suivre l’Esprit qui a inspiré l’Écriture et met à notre disposition tous les moyens de défense contre les tentations.

«Ce n’est pas de pain seul que vivra l’homme» : la première tentation, celle du pain, est du domaine de l’avoir ; elle vise la satisfaction immédiate du désir matériel. C’est la tentation d’Ève prenant le fruit (Genèse 3,6) ou du peuple voulant stocker la manne (Exode 16,19-20), la tentation humaine de la captation (cf. «la convoitise de la chair», 1 Jean 2,16). La réponse de Jésus, tirée de Deuté-ronome 8,3, oppose au pain la Parole, car la cita-tion complète dit : «L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche du Seigneur». Manière de rappeler qu’il y a d’autres biens plus désirables que les biens matériels.Il est à noter que Jésus ne triche pas avec la condi-tion humaine et refuse de faire des miracles dans son propre intérêt : il éprouve la faim ; mais il sait aussi affirmer : «Ma nourriture, c’est de faire la volonté de celui qui m’a envoyé» (Jean 4,34).

« …la gloire de ces royaumes, car elle m’a été li-vrée» : on retrouve ici une idée familière à l’œuvre johannique : «Le monde entier gît au pouvoir du Mauvais» (1 Jean 5,19), le monde désignant ici la part du créé qui veut se couper de Dieu et de la source de la vie, et reste donc matérielle et péris-sable. C’est un marché de dupes que propose «le Prince de ce monde» (Jean 12,31 ; 14,30 ; 16,11) : le révérer comme un dieu, c’est-à-dire se compromet-tre avec le mal, pour exercer la royauté universelle, une royauté nécessairement fragile et passagère.

«Il est écrit : Tu adoreras le Seigneur ton Dieu, et à lui seul tu rendras un culte» : cette deuxième tentation, celle des royaumes, consiste à renier Dieu pour suivre des idoles assurant la puissance. C’est la tentation du premier homme désobéis-sant à l’ordre de Dieu pour suivre la suggestion du serpent (Genèse 3,6) ou du peuple adorant le veau d’or (Exode 32,4), la tentation du pouvoir (cf. «l’orgueil de la richesse» en 1 Jean 2,16). Jésus répond par une citation de Deutéronome 6,13, montrant que l’homme est fait non pour asser-vir le monde ou s’y asservir sous prétexte de le dominer, mais pour servir Dieu dans la liberté. Le refus des royaumes de la terre ouvre l’entrée dans le vrai Royaume, celui des béatitudes.

«…à Jérusalem» : Jérusalem occupe une place particulière dans l’œuvre de Luc : son évangile

commence et se termine dans le Temple ; et toute la seconde partie à partir de 9,51 est construi-te comme une montée à Jérusalem («car il ne convient pas qu’un prophète périsse hors de Jé-rusalem», 13,33). C’est sans doute la raison pour laquelle il a inversé par rapport à Matthieu, et se-lon toute vraisemblance à leur source commune, l’ordre des deux dernières tentations : Matthieu, plus logiquement, fait se succéder les tentations du pain, des prodiges, des royaumes, c’est-à-dire affectant l’ordre de l’avoir, du paraître et de l’être ; tandis que Luc a voulu placer en dernier la tenta-tion située à Jérusalem, la ville où, pour lui, se joue l’histoire du salut.

«Si tu es Fils de Dieu, jette-toi d’ici en bas ; car il est écrit…» : cette fois-ci, c’est au tour du diable de citer l’Écriture, en l’occurrence le psaume 91 (90). Ce qui ne manque pas d’un certain humour puisque la citation, volontairement tronquée, se poursuit ainsi : «Sur l’aspic et le serpent tu marche-ras…» (Psaume 91,13) ! Le «si» a ici un sens plei-nement causal (et non pas conditionnel, comme dans la tentation précédente) : le diable reconnaît bien Jésus comme Fils de Dieu, mais il lui propose subtilement d’utiliser sa puissance pour… réussir sa mission, les prodiges qu’il opérerait au cœur même de la capitale politique et religieuse ne pou-vant qu’entraîner l’adhésion à sa cause des autori-tés juives. La même tentation reviendra à la croix : «Les chefs se moquaient : ‘Il en a sauvé d’autres, disaient-ils ; qu’il se sauve lui-même, s’il est le Christ de Dieu, l’Élu !’» (Luc 23,35), suggérant à Jésus de faire un miracle pour se faire reconnaî-tre. Mais Jésus refuse cette puissance spirituelle, comme il a refusé précédemment le pouvoir po-litique, indiquant déjà par là qu’il ne répondra pas aux rêves d’un messianisme royal et triomphant qu’entretenait une bonne part du peuple juif.

«Il est dit : Tu ne tenteras pas le Seigneur, ton Dieu» : la troisième tentation, celle des prodiges, consiste à vouloir capter et utiliser la puissance divine à son profit, pour se satisfaire ou pour avoir barre sur les autres en les captivant ou les séduisant. C’est la tentation d’Adam et Ève voulant «être comme des dieux» (Genèse 3,5), ou celle du peuple, à Massa et Meriba, mettant Dieu à l’épreuve en demandant des miracles (Exode 17,7 ; cf. Ps 78,19) ; «la convoi-tise des yeux» en 1 Jean 2,16. La réponse de Jésus, empruntée à Deutéronome 6,16, rappelle l’interdit de la mise à l’épreuve de Dieu ; mais elle indique surtout déjà que lui-même va refuser d’utiliser sa

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Oppose-lui la Parole de vie ◗

Si, après le baptême, tu es attaqué par le persécuteur, le tentateur de la lumière, tu auras matière à victoire. Il t’attaquera certainement, puisqu’il s’en est pris au Verbe, mon Dieu, trompé par l’apparence humaine qui lui dérobait la lumière incréée. Ne redoute pas le combat. Oppose-lui l’eau du baptême, oppose-lui l’Esprit Saint dans lequel s’éteignent

tous les traits enflammés lancés par le Malin...S’il t’expose le besoin qui t’accable – il n’a pas manqué de le faire à Jésus –, s’il te rappelle

que tu as faim, n’aie pas l’air d’ignorer ses propositions. Apprends-lui ce qu’il ne connaît pas, oppose-lui la Parole de vie, ce vrai Pain envoyé du ciel et qui donne la vie au monde.

S’il te tend le piège de la vanité – il en usa contre le Christ, lorsqu’il le fit monter sur le pinacle du Temple et lui dit : «Jette-toi en bas», pour lui faire manifester sa divinité – prends garde de ne pas déchoir pour avoir voulu t’élever. Car s’il l’emporte sur ce point, il ne s’arrê-tera pas pour autant. Il est inépuisable en stratagèmes ; tous les moyens lui sont bons. D’appa-rence honnête, il séduit, mais son but est le mal. Telle est sa tactique.

Mais il a aussi l’expérience des Écritures. C’est de là qu’il tire son fameux : «il est écrit…», au sujet du pain ; «il est écrit...», au sujet des anges. «Il est écrit, dit-il, que les anges ont reçu l’ordre de veiller sur toi et ils te porteront sur leurs mains.» Ô spécialiste du mensonge, pour-quoi as-tu supprimé la suite ? Cette suite, je la comprends fort bien, malgré ton silence : «Je marcherai sur toi comme sur l’aspic et le basilic, je foulerai aux pieds serpents et scorpions», puisque la Trinité est mon rempart.

S’il te tente par l’ambition en te montrant dans une vision instantanée, tous les royaumes de la terre comme soumis à son pouvoir, et s’il exige de toi l’adoration, méprise-le : ce n’est qu’un pauvre frère. Dis-lui, confiant dans le sceau divin : «Je suis, moi aussi, l’image de Dieu ; je n’ai pas encore été, comme toi, précipité du haut de ma gloire à cause de mon orgueil ! Je suis revêtu du Christ ; je suis devenu un autre Christ par mon baptême ; c’est à toi de m’adorer.» Il s’en ira, j’en suis sûr, vaincu et mortifié par ces paroles : venant d’un homme illuminé par le Christ, elles seront ressenties par lui comme si elles émanaient du Christ, la lumière suprême. Voilà les bienfaits qu’apporte l’eau du baptême à ceux qui reconnaissent sa force.

Saint Grégoireévêque de Nazianze au IVe s.

puissance pour donner des signes (Luc 11,29), en préférant susciter la libre adhésion de la foi, et plus encore refuser de demander un miracle pour sau-ver sa vie (22,42 ; 23,35).

«Ayant ainsi épuisé toute tentation…» : ces trois tentations synthétisent les trois registres (avoir, paraître, être) où se déploie l’humanité, ou encore les trois zones de fragilité où s’exercent les trois «esprits», comme les nommaient les Pères du dé-sert, de la gourmandise, de l’orgueil et de la vanité. Ainsi, comme le dit la lettre aux Hébreux, Jésus «a été éprouvé en tout, d’une manière sembla-ble (à nous), à l’exception du péché» (4,15). Alors qu’Adam, dans le premier jardin, et le peuple élu, au désert, avaient succombé, Jésus est sorti vain-queur de cette triple épreuve. Au début du monde, l’affrontement entre l’homme et le tentateur avait

vu la victoire de ce dernier et, en conséquence, l’introduction dans le monde du mal et de la mort (cf. Sagesse 2,24 ; Romains 5,12) ; au début de la mission de Jésus, c’est un monde nouveau qui s’inaugure où le mal et la mort vont être vaincus.

«…jusqu’au moment favorable» : ce «moment fa-vorable», ce «temps marqué», comme on traduit aussi parfois le mot grec «kairos», est celui de l’affrontement final que laissent présager ces pre-mières escarmouches. Là le diable reviendra avec toute sa puissance : ce sera «l’heure des ténèbres» (Luc 22,53). Là la victoire définitive sur le mal sera acquise par le Christ, refusant la puissance et les prodiges, et acceptant de traverser l’humiliation, la souffrance et la mort. Le combat symbolisé ici par l’affrontement au désert se résout définitivement dans le jardin du matin de Pâques.

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Prier

Seigneur, toi le Tout-Puissant, tu es venu habiter la condition de l’homme dans sa fragilité, dans sa vulnérabilité au péché. Revêtu de la force de l’Esprit, tu te laisses pousser au désert de nos pauvretés et de nos manques. À la parole tentatrice, tu opposes la Parole de Vie. Au lieu du pain qui ne rassasie pas la faim du cœur de l’homme, tu te laisses

nourrir par la volonté de ton Père. Au lieu de la gloire des Royaumes, tu reçois la gloire de ta filiation divine. Au lieu du défi et de la révolte, tu nous apprends à mettre notre confiance en Dieu. Béni sois-tu !

Contempler

Cette mosaïque de la chapelle Re-demptoris Mater, due à l’atelier de Marko Ivan Rupnik, présente ensemble, de façon très significative, deux mystères de la vie du Christ : son baptême par Jean Baptiste dans le Jourdain et sa descente aux en-fers après sa mort sur la Croix. Le rap-prochement de ces deux épisodes met en relief de façon saisissante ce que l’on appelle la «kénose» du Christ, le mystère de son abaissement volontaire pour nous sauver. Déjà descendu dans l’obscurité de la grotte (la scène de la Nativité est située juste au-dessus du baptême), il descend plus bas encore dans le fleuve le plus bas du monde, le Jourdain, préfigurant sa des-cente aux enfers, ainsi que les Pères de l’Église l’ont souvent dit. Ainsi Cyrille de Jérusalem : «Le dragon d’après Job se trou-vait dans les eaux et sa gueule engloutissait le Jourdain. Il fallait briser les têtes du dragon,

Jésus descendit donc dans les eaux et il enchaîna le fort afin que nous recevions la puissance de mar-cher sur les serpents et les scorpions (Lc 10)… La vie courut au-devant pour que désormais la mort fût refrénée, pour que nous tous, les sauvés, nous puissions dire : Où est, ô Mort, ton aiguillon ? Où est, ô enfer, ta victoire ? (1 Co 15). Le baptême anéantit l’aiguillon de la mort» (Catéchèses 3,1).

Le baptême du Christ et la descente aux enfers (Mosaïque de Rupnik, chapelle Redemptoris Mater, Le Vatican). Située à l’intérieur du Vatican, la chapelle Redemptoris Mater a été entièrement refaite en 1999 à l’occasion du 50ème anniversaire de l’ordination sacerdotale du Pape Jean-Paul II. Selon le désir du Saint-Père, cette chapelle devait avoir une signification particulière et être embellie de façon à rendre visible la rencontre entre l’Orient et l’Occident. C’est pourquoi sa réalisation a été confiée au père Marko Ivan Rupnik, jésuite, artiste et spécialiste de la signification théologique et missionnaire de l’art qui a travaillé avec des collaborateurs issus des deux traditions chrétiennes orien-tales et occidentales. S’inspirant de l’art de l’icône tout en l’actualisant, ses mosaïques allient tradition et modernité. Il a ainsi conçu 4 parois pour couvrir l’ensemble des 4 côtés : la paroi de l’Incarnation du Verbe, la paroi de l’Ascension et de la Pentecôte, la paroi de la Parousie et la paroi de la Jérusalem Céleste.

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Lire - Luc 5,17-7,50

Le passage lu ce mois-ci semble poursuivre le récit du ministère de Jésus en Galilée, tel qu’il s’était inauguré au chapitre 4 : Jésus développe son enseignement et accomplit des guérisons. Et cependant un tournant s’opère : les actes de Jésus soulevaient au début l’enthousiasme et sa renommée s’en accroissait (cf. 5,15 : «La nouvelle se

répandait de plus en plus et des foules nombreuses s’assemblaient pour l’entendre et se faire guérir de leurs maladies»). À partir de 5,17, de nouveaux protagonistes apparaissent : «les Pharisiens et les docteurs de la Loi», qui entraînent une série d’affrontements. Au long de ces trois cha-pitres, le texte va progresser en trois sections : une série d’actes de Jésus entraînant des controverses ; un discours programmatique aux disciples ; et de nouveau une série d’actes et de paroles visant à mieux faire comprendre qui est Jésus.

En suivant les données de Marc, Luc a donc regroupé, dans la seconde partie du chapi-tre 5 et au début du chapitre 6, une série de polémiques prenant des formes littéraires diver-ses : deux récits de guérison (le paralytique, 5,29-32 ; et l’homme à la main desséchée, 6,6-11), situés l’un au début, l’autre à la fin de la section ; et, au milieu, trois controverses à propos des repas pris avec des pécheurs (le banquet chez Lévi, 5,29-32), du jeûne (5,33-35) et du travail le jour du sabbat (les épis arrachés, 6,1-5), illustrées de petites paraboles (5,36-39). La tension monte, au long de ces péricopes, alors même que, paradoxalement, les actes reprochés à Jésus semblent aller du plus grave – le blasphème (5,21) – au plus ténu – le fait d’opérer une guérison le jour du sabbat (6,7), ce qui était objet de discussions même parmi les docteurs. À tel point que cette opposition croissante aboutit à la décision de le perdre (6,11).

Du point de vue de la communauté pour laquelle écrivait Luc, on voit que ces discussions sont regroupées autour de trois thèmes qui pouvaient poser question : le pardon des péchés, les repas et l’observance du sabbat. Il fallait en effet parvenir à déterminer comment se situer par rapport aux observances de la loi mosaïque et s’interroger sur leur compatibilité avec la loi nouvelle du Christ.

La seconde partie du passage lu en ce mois (6,12-49) s’ouvre par un acte fonda-teur : Jésus a déjà mesuré tant l’admiration que l’hostilité de ceux qui l’écoutent ; parmi ses disciples «il en choisit douze qu’il nomma apôtres» (6,13), c’est-à-dire «envoyés», ceux qui auront à répandre et à faire connaître son enseignement. Enseignement qui est immédiatement pré-cisé dans un long discours, puisant à la même source que le «sermon sur la montagne» de Matthieu 5-7, mais donné, lui, dans «la plaine» (6,17). Car la montagne est, selon Luc, le lieu de la rencontre avec Dieu dans la prière (6,12), d’où il faut redescendre pour aller porter aux hommes sa parole.

La prédication de Jésus comporte un certain nombre de paroles : des bénédictions – les béatitudes (6,20-23) –, suivies ici de ce qu’on appelle improprement des «malédictions», car elles ne sont que des mises en garde (6,24-26) ; puis des règles définissant l’agir chrétien en ce qu’il a de plus spécifique et de plus révolutionnaire : l’amour des ennemis (6,27-35), la bienveillance et la compassion universelles (6,36-38). Ces paroles sont illustrées par de petites paraboles qui appellent à la bonté mais aussi au discernement : les deux aveugles (6,39-40), la paille et la poutre (6,41-42), l’arbre et ses fruits (6,43-45). Il est ainsi indiqué, non seulement aux Douze, mais aussi à tous ceux qui veulent être disciples, comment agir en «fils du Très-Haut» (6,35), en imitant la conduite de Dieu vis-à-vis des pécheurs que nous sommes.

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La troisième partie du texte, correspondant au chapitre 7, rapporte de nouveau des actes de Jésus. Une première lecture pourrait faire penser qu’après la parenthèse du dis-cours, le récit se poursuit linéairement en prolongeant les chapitres 4 et 5. Cependant l’enjeu a changé : il ne s’agit plus pour Jésus de se faire connaître, comme aux débuts de son ministère ; il ne s’agit plus pour ses auditeurs de se situer par rapport à lui comme opposants ou comme disciples. Il s’agit maintenant d’approfondir la connaissance que l’on a de Jésus et de le recon-naître pour ce qu’il est : «un grand prophète» (7,16), le messie annoncé (7,19-23), la Sagesse même de Dieu (7,35).

Ce chapitre 7 s’ouvre par deux miracles encore plus éclatants que les précédents : la gué-rison à distance du serviteur d’un centurion, alors que seuls des émissaires sont venus trouver Jésus (7,1-10) ; et la résurrection – on devrait plutôt dire la réanimation – du fils de la veuve de Naïn (7,11-17). Miracle qui prend, certes, un sens prophétique, mais qui est aussi un des rares à être attribué à la seule compassion de Jésus dont s’émeuvent les «entrailles de miséricorde», selon l’expression de l’Ancien Testament qualifiant l’amour de Dieu pour son peuple (7,13 ; cf. par exemple Osée 11,8-9).

Il ne semble plus possible de tenir Jésus pour un simple thaumaturge et cependant sa façon d’agit, déroutante pour un juif puisqu’il paraît agir avec la puissance de Dieu alors même qu’il ne respecte pas toutes les prescriptions de la Loi de Dieu, suscite plus d’interrogations qu’elle n’entraîne d’adhésions. Deux illustrations en sont données.

L’interrogation vient d’abord de Jean le Baptiste, celui-là même qui l’a, le premier, annon-cé et reconnu (7,18-23). La réponse – indirecte –à ses émissaires est apportée par les signes messianiques accomplis par Jésus : il est bien le messie qu’annonçaient les prophètes ; mais la béatitude finale («Heureux celui qui ne trébuchera pas à cause de moi», 7,23) montre la liberté qu’il entend conserver par rapport à des conceptions messianiques figées, mettant l’accent sur le jugement plus que sur l’œuvre de salut. Le témoignage appuyé que Jésus rend alors à Jean (7,24-30) n’occulte pas le fait que «le plus petit dans le Royaume est plus grand que lui» (7,28), c’est-à-dire que la prédication de Jean est restée au seuil du Royaume.

L’interrogation au sujet de Jésus est ensuite présentée comme étant globalement celle de toute sa génération (7,31-35), mise en scène en une petite parabole sous les traits de «gamins» qui ne savent pas ce qu’ils veulent et, refusant toute attitude qui ne leur semble pas conforme à leur propre sagesse, se mettent dans l’impossibilité de pénétrer la Sagesse de Dieu.

À deux reprises déjà, il a été insinué que les pécheurs, se reconnaissant davantage en manque de salut, se montraient, eux, capables de discerner «le dessein de Dieu» et de reconnaî-tre en Jésus le prophète attendu (7,29.34). La dernière scène, propre à Luc et soigneusement traitée par lui, celle de la pécheresse pardonnée (7,36-50), illustre le partage qui s’opère entre le pécheur qui, dans la foi, voit en Jésus celui qui apporte le pardon et le salut, et le pharisien qui, en raison même de l’accueil fait par Jésus aux pécheurs, refuse de le tenir pour un prophète.

La boucle est bouclée : le passage s’achève comme il avait commencé par la question du pardon des péchés, posée là comme une pierre d’achoppement. En ces trois chapitres, les posi-tions des uns et des autres se sont précisées et durcies ; l’enseignement de Jésus a clairement mis en avant l’amour à la source des valeurs et des conduites, en même temps que son identité mes-sianique a été affirmée. L’approfondissement de cette identité de messie, qui accomplit les oracles prophétiques mais ne se montre pas exactement conforme à ce que l’on attendait de lui, va être au centre des derniers épisodes du ministère en Galilée que nous lirons le mois prochain.

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Méditer - La guérison du paralytique (Luc 5,17-26)

Ce passage est celui que nous vous proposons de creuser plus particulièrement pour cette étape de l’atelier biblique. Les expressions en italique et en couleur sont commentées sous le texte.

Luc a déjà rapporté, aux chapitres 3 et 4, plusieurs scènes de guérison. Mais celle du paralytique, qui est présentée ici, ne ressemble pas aux précédentes : si Jésus affirme à nouveau son pouvoir thaumaturgique, il y fait de la guérison physique le signe d’une guérison spirituelle. Et ceci donne lieu à la première controverse avec les autorités re-

ligieuses qui font ici leur entrée.

5 [17] Et il advint, un jour qu’il était en train d’enseigner, qu’il y avait, assis, des Pharisiens et des docteurs de la Loi venus de tous les villages de Galilée, de Judée, et de Jérusalem ; et la puissance du Seigneur lui fai-sait opérer des guérisons. [18] Et voici des gens portant sur un lit un homme qui était paralysé, et ils cherchaient à l’introduire et à le placer devant lui. [19] Et comme ils ne savaient par où l’introduire à cause de la foule, ils montèrent sur le toit et, à travers les tuiles, ils le descendirent avec sa civière, au milieu, devant Jésus. [20] Voyant leur foi, il dit : «Homme, tes péchés te sont remis.» [21] Les scribes et les Pharisiens se mirent à penser : «Qui est-il celui-là, qui profère des blasphèmes ? Qui peut remet-tre les péchés, sinon Dieu seul ?» [22] Mais, percevant leurs pensées, Jésus prit la parole et leur dit : «Pourquoi ces pensées dans vos cœurs ? [23] Quel est le plus facile, de dire : Tes péchés te sont remis, ou de dire : Lève-toi et marche ? [24] Eh bien ! pour que vous sachiez que le Fils de l’homme a le pouvoir sur la terre de remettre les péchés, je te l’ordonne, dit-il au paralysé, lève-toi et, prenant ta civière, va chez toi.» [25] Et, à l’instant même, se levant devant eux, et prenant ce sur quoi il gisait, il s’en alla chez lui en glorifiant Dieu. [26] Tous furent alors saisis de stupeur et ils glorifiaient Dieu. Ils furent remplis de crainte et ils disaient : «Nous avons vu d’étranges choses aujourd’hui !»

«Et il advint, un jour» : le moins qu’on puisse dire est que cette délimitation de temps et de lieu manque de précision ! Luc suit en ce début du récit de la vie publique de Jésus, les données de Marc et se soucie peu de l’itinéraire de Jésus – contrairement à ce que l’on verra à partir du cha-pitre 9. Ce qui lui importe est de souligner que la mission de Jésus se poursuit sous son double aspect d’enseignement et de guérison.

«… des Pharisiens et des docteurs de la Loi» : les Pharisiens forment, au sein du peuple juif, un

groupe particulièrement religieux, attaché au Temple et à l’observance rigoureuse de la Loi. Contrairement aux Sadducéens, ils n’ont aucune complaisance envers l’occupant romain et, d’une façon générale, refusent toute compromission. Le nom qu’ils se donnent, peroushim, signifie «sépa-ré». Malgré les controverses que rapportent les Évangiles, Jésus, au début de sa prédication, a pu être pris pour l’un d’entre eux. Quant au titre de docteur de la Loi, il renvoie non à un parti, mais à une qualification : il désigne celui qui est versé dans l’étude de l’Écriture et consulté pour son

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interprétation. En hébreu, les docteurs de la Loi sont appelés tannaïm, littéralement «répétiteur», sans que cela ait aucun caractère péjoratif.

«… venus de tous les villages de Galilée, de Judée, et de Jérusalem» : la précision n’est certes pas géo-graphique : ces autorités doctrinales viennent de partout ! Leur présence massive est d’autant plus soulignée que c’est la première fois qu’ils apparais-sent dans cet Évangile (à l’exception des docteurs rencontrés par Jésus, enfant, dans le Temple). Ma-nière pour Luc d’attirer l’attention, par la qualité et la quantité des auditeurs, sur l’importance de l’événement qui va se produire et sur l’opposition radicale qui va se manifester.

«la puissance du Seigneur…» : la puissance de Dieu que Jésus, en son humanité, possède en plénitude.

«… ils ne savaient par où l’introduire à cause de la foule» : derrière l’aspect pittoresque du récit, plusieurs éléments importants sont affirmés : l’en-thousiasme populaire qui a déjà été souligné par Luc (4,14 ; 4,37 ; 4,45 ; 5,1 ; 5,15) ; et la foi dont font preuve ces hommes.

«… et, à travers les tuiles, ils le descendirent avec sa civière» : il est amusant de remarquer que Luc, écrivant pour une communauté pagano-chrétienne, a remplacé la terrasse de torchis propre aux mai-sons de Palestine dont parle Marc 2,4, par un toit de tuiles à la façon des villas gréco-romaines. Mais il faut surtout noter la ténacité de ces hommes qui allient l’ingéniosité à la confiance, la foi et les actes.

«Voyant leur foi…» : Jésus paraît souvent poser la foi comme la cause, ou du moins l’occasion de la guérison : «Va, ta foi t’a sauvé». C’est dire que l’Évan-gile rapporte les miracles non comme des gestes de miséricorde, mais comme des signes qu’en Jésus le Royaume messianique est advenu. Ils ne peuvent donc s’accomplir que si le suppliant, par son mouve-ment de confiance et d’abandon, renonce à comp-ter sur lui-même pour s’en remettre à la parole de Celui en qui il met sa foi, manifestant ainsi qu’il re-connaît la puissance de salut à l’œuvre en Jésus. Il est assez rare (cf. cependant le centurion en Lc 7,9) que ce soit, comme ici, la foi des accompagnateurs et non celle du malade, qui soit soulignée : c’est une belle justification de la prière d’intercession.

«Homme, tes péchés te sont remis.» : surprise ! Le signe donné n’est pas celui auquel on se serait

attendu. La grâce accordée est celle du pardon – guérison spirituelle qui rétablit la relation abîmée entre l’homme et Dieu – et non la guérison phy-sique. On peut remarquer d’ailleurs que les por-teurs n’avaient formulé aucune demande explicite et qu’ils se montrent, par la foi et l’humilité de leur démarche, prêts à accueillir cette grâce.Les caractéristiques de la parole de Dieu, telles que les définit l’Écriture sont ici bien présentes : cette Parole est efficace, mais souvent déroutante pour l’homme. Cf. par exemple Is 55,8-11 : «Car vos pensées ne sont pas mes pensées et vos voies ne sont pas mes voies… Ainsi en est-il de la parole sortie de ma bouche, elle ne revient pas vers moi sans effet, sans avoir accompli ce que j’ai voulu et réalisé l’objet de sa mission.»

«Les scribes et les Pharisiens se mirent à penser : ‘Qui est-il celui-là, qui profère des blasphèmes ?’» : l’affirmation de Jésus suscite la première contro-verse intervenant en Luc. Les critiques des Phari-siens et des docteurs, bien que restant implicites, portent sur deux points : tout d’abord sur le fait que Jésus, en pardonnant lui-même les péchés, s’affranchit du système religieux existant. Dans la liturgie du Temple, en effet, il était prévu des «sa-crifices pour le péché» qui, à certaines conditions, permettaient d’obtenir le pardon de ses fautes (Lévitique 4,1-5,17). Jésus remet donc en cause le rôle du Temple et du sacerdoce. En second lieu, Jésus, en prononçant le pardon des péchés, s’at-tribue une prérogative de Dieu (cf. par exemple Isaïe 1,8) – ce qui est blasphématoire – et se fait donc son égal.

«Quel est le plus facile, de dire…» : la «pensée» des Pharisiens, que Jésus met à jour, consiste évi-demment à affirmer qu’il est plus facile de remet-tre les péchés (puisqu’aucune conséquence visible n’est attendue) que de remettre concrètement debout un paralytique (ce que tout le monde peut constater). Le seul critère qu’ils retiennent est donc celui de la vérification matérielle.

«Eh bien ! pour que vous sachiez que le Fils de l’homme a le pouvoir sur la terre de remettre les péchés, je te l’ordonne, dit-il au paralysé, lève-toi» : curieuse construction de ce verset 24 puis-que le début de la phrase s’adresse aux Pharisiens et la fin au paralytique. Mais il est clair que Jésus fait du relèvement physique du paralytique le signe de sa guérison spirituelle et le garant qu’elle est bien réelle. Par cette guérison de tout l’homme,

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Découvrons le toit des Écritures ◗

Un homme dont les forces intérieures sont affaiblies pour tout bien, ne pouvons-nous pas le prendre comme le paralytique de l’Évangile, en ouvrant le toit de l’Écriture pour le descendre aux pieds du Sauveur ?

Vous le voyez bien, un tel homme est un paralytique spirituel. Et je vois ce toit de l’Écriture, je sais que le Seigneur est caché sous ce toit. Je vais faire donc, autant qu’il me sera possible, ce que le Seigneur a approuvé chez ceux qui découvrirent le toit de la maison et descendirent le para-lytique à ses pieds. Celui-ci lui dit en effet: «Mon fils, prends courage ! Tes péchés te sont remis.» Et Jésus guérit cet homme de la paralysie intérieure: Il lui remit ses péchés et il affermit sa foi.

Mais il y avait là des gens dont les yeux ne pouvaient voir la guérison de la paralysie intérieure. Ils prirent pour un blasphémateur le médecin qui l’avait opérée. «Quel est donc cet homme, disent-ils, qui remet les péchés? Il blasphème. Quel autre que Dieu peut remettre les péchés ?» Mais comme ce Médecin était Dieu, il entendait ces pensées en leur cœur. Ils croyaient que c’était vraiment une œuvre de Dieu, et ils ne voyaient pas Dieu qui était présent devant eux. Alors ce Médecin agit aussi sur le corps du paralytique pour guérir la paralysie intérieure de ceux qui tenaient ce langage. Il opéra une œuvre qu’ils pussent voir et il leur donna la foi.

Courage donc, toi aussi dont le cœur est faible, toi qui es paralysé et languissant jusqu’à être incapable de tout bien face à ce qui se passe dans le monde ! Courage, toi qui es intérieurement perdu ! Découvrons le toit des Écritures pour descendre aux pieds du Seigneur.

Saint Augustinévêque d’Hippone au IVe s.

corps et cœur, il accomplit bien la mission tra-cée par l’oracle d’Isaïe qu’il s’était attribué au dé-but de son ministère : «Il m’a envoyé annoncer aux captifs la délivrance… proclamer une année de grâce du Seigneur» (Isaïe 61,1-2, cité en Luc 4,18-19). La portée christologique de cet épisode est donc grande : Jésus est présenté comme le Messie attendu, qui accomplit les oracles prophé-tiques, mais aussi comme celui qui met en œuvre la puissance de Dieu.

«le Fils de l’homme» : c’est la première fois que ce titre qu’aime utiliser Jésus apparaît en Luc. L’ori-gine de cette appellation est à chercher dans le li-vre de Daniel : «Voici venant sur les nuées comme un Fils d’homme…» (Daniel 7,13-14) : c’est donc d’abord une figure apocalyptique qui renvoie au jugement final. Mais ce titre exprime aussi, comme ici, l’autorité venant de Dieu dont Jésus dispose «sur la terre».

«Et, à l’instant même, se levant devant eux…» : la preuve immédiate de la guérison est le signe de

l’efficacité de la parole de Jésus. Comme «au com-mencement», Dieu crée (ici recrée un homme nouveau) par sa parole (Genèse 1,3.6.9…). Cette recréation est aussi le rétablissement de la rela-tion entre l’homme et Dieu, qui se manifeste par son action de grâce.

«Tous furent alors saisis de stupeur et ils glori-fiaient Dieu. Ils furent remplis de crainte» : la louange et l’action de grâce sont partagées par les spectateurs auxquels Luc prête deux sentiments : la «stupeur», c’est-à-dire la réaction humaine d’étonnement devant un prodige ; et la «crainte» qui n’a rien à voir avec la peur, mais est un senti-ment plus religieux manifestant la reconnaissance de la grandeur de Dieu.

«..aujourd’hui» : cet «aujourd’hui» fait écho à l’«aujourd’hui» de Jésus commentant, dans la syna-gogue de Nazareth, le passage d’Isaïe («Aujourd’hui s’accomplit à vos oreilles ce passage de l’Écriture», Luc 4,21) : tous semblent prendre conscience que ce miracle signifie l’aujourd’hui du salut de Dieu.

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Prier

Seigneur, nous contemplons ton visage. Tu t’avances au milieu des hommes pour bénir, guérir, nourrir, appeler. Tu es celui qui vient accomplir toutes nos attentes ; pardonne-nous quand nous ne savons pas te reconnaître à l’œuvre dans nos vies. Tu es la Sagesse du Père qui vient donner sens et joie à nos existences ; pardonne-nous quand, malgré

nous, nous te préférons la désespérance et la tristesse. Tu viens nous appeler au bonheur qui, déjà, se réalise en celui qui met sa confiance en toi, béni sois-tu ! Toi le Sauveur du monde en-voyé par le Père par amour pour chacun de ces petits que nous sommes, béni sois-tu !

Contempler

Les chapitres 5 et 6 de l’évangile selon saint Luc offrent un dévoilement progressif du mystère de la personne du Christ et, à mesure que se dévoile le visage étonnant de cet hom-me dont l’autorité dérange, le questionnement, l’inquiétude puis l’exaspération grandissent en face de lui.

Ce beau visage du Christ Sauveur du monde, dû au peintre italien Antonello da Mes-sina, nous invite à nous fondre parmi la foule de ceux qui font face à Jésus, essaient de dé-chiffrer son mystère et, malgré eux peut-être, sont soumis à ce regard d’une puissance éton-nante. Le geste de sa main (que le peintre a repris comme l’attestent les traces d’un dessin antérieur) est autant celui de la bénédiction que celui de l’enseignement. Quelque chose de l’«exousia» – pour dire «autorité», le grec dit : «expression de l’être» – se dégage de cette image. Laissons-nous regarder et sonder.

Le Sauveur du monde(Antonello da Messina, vers 1465, National Gallery, Londres)

Peintre italien du XVe siècle, Antonello da Messina (1430-1479) a pu avoir pour maître le napolitain Antonio Colantonio. Son style, ce-pendant, échappe à la tendance commune du Quattrocento pour se laisser profondément influencer par la peinture flamande : son voyage en Flandre et sa rencontre avec la peinture de Jan van Eyck n’y auront pas été pour rien. Le «Salvator Mundi» partage avec la «Vierge de l’Annoncia-tion» (1475) et d’autres portraits sur fond sombre, une même fixité dans le regard et une même maîtrise de la perspective ici bien visible dans le geste de la main.

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Lire - Luc 8,1-9,50

Le récit du ministère de Jésus en Galilée, lu le mois dernier, permettait, au fil des controverses et des actes de puissance, de révéler peu à peu qui était cet homme allant jusqu’à pardonner les péchés (Luc 5,21 ; 7,49). La fin du ministère galiléen que nous abordons maintenant se foca-lise plutôt sur la figure du disciple. Luc a déjà relaté l’appel des premiers disciples, le choix des

Douze ; en ces chapitres 8 et 9, il montre comment ceux-ci se trouvent concrètement associés à la mission de Jésus.

Le chapitre 8 s’ouvre par un bref «sommaire» (8,1-3), c’est-à-dire un résumé de l’activité de Jésus, qui insiste moins sur cette activité elle-même que sur ceux qui en sont témoins : les Douze, bien évidemment, mais aussi – et cette précision est propre à Luc – des femmes qui se voient ici quasiment mises sur le même plan.

La suite du chapitre va tourner autour de la question de la foi traitée successivement à partir de paraboles et de récits de miracles.

La première partie parabolique met l’accent sur la qualité propre du disciple, qui est l’écoute de la Parole de Dieu. La parabole du semeur (8, 4-8) est reprise de Marc 4, mais, comme l’explication qui suit (8,9-15), ici réservée aux seuls disciples (cf. 8,9) ; elle laisse le personnage du semeur au second plan pour se concentrer sur les différents types d’écoute des uns et des autres : des groupes d’auditeurs divers sont caractérisés, qui accueillent ou non la Bonne Nouvelle, la laissent ou non transformer leur vie. Le dernier groupe dessine le portrait du disciple qui joint à l’écoute la fidélité et la mise en œuvre de la Parole.

Trois petites paraboles (8,16-18) illustrent cette fructification de la Parole dans la vie et les actions du disciple qui a à la divulguer (la lampe sur le lampadaire : 8,16 ; le dévoilement de ce qui est caché : 8,17) et à progresser lui-même sans cesse dans sa compréhension («celui qui a recevra encore» : 8,18). Enfin, l’exemple de la famille de Jésus (8,19-21) – qui n’est pas rapporté ici, contrairement à Marc 3,31-35, de façon polémique – montre que c’est bien l’accueil de la Parole de Jésus qui intègre dans le cercle de ses disciples.

La seconde partie de ce chapitre (8,22-56) pose la question de la foi d’une autre manière, à partir du récit de miracles qui, en une progression bien maîtrisée, sauvent d’abord d’un danger extérieur (la tempête apaisée : 8,22-25), puis des puissances démoniaques (le possédé gérasénien : 8,24-39), de la maladie (la femme hémoroïsse : 8,43-48) et finalement de la mort (la résurrection de la fille de Jaïre : 8,40-42.49-56). Mais, à travers ces récits, il s’agit moins de mettre à l’épreuve la foi des disciples que de l’éduquer et de la former.

La tempête apaisée, telle que la relate Luc (8,22-25) met moins l’accent sur la puissance d’exor-cisme de Jésus (comparer avec Marc 4,39) que sur sa présence efficace et la protection qu’il apporte aux disciples, même lorsqu’il est – ou semble être – endormi. Leçon que Luc destine certainement à sa communauté. Le second miracle, opéré lors d’une incursion en territoire païen (8, 26-39), a pour résultat de détruire le mal, ou plutôt de provoquer son autodestruction puisque les démons vont dans les porcs – animaux impurs – qui s’étouffent dans la mer – lieu traditionnel d’habitation des puissances démoniaques ; il a aussi pour conséquence de former un disciple puisque l’homme guéri est trouvé «as-sis aux pieds» de Jésus, dans la position même du disciple (8,35), et envoyé évangéliser les siens (8,39).

Les deux derniers miracles – dont les récits sont imbriqués (8,40-56) – mettent en scène deux femmes liées par une indication temporelle : l’une est âgée de douze ans et l’autre, malade depuis douze ans (8,42-43). Mais ils montrent aussi comment peu à peu se fonde la foi des disciples : Pierre va être amené à se situer sur un plan autre que matériel (cf. sa réponse en 8,45) et à reconnaître que la force de Dieu habite en Jésus ; il va être, avec Jean et Jacques (8,51), le témoin privilégié de la résurrection de la fillette qui, pour le moment, ne doit être révélée à personne (8,56) – de même que la connaissance des mystères du Royaume est, pour l’heure, réservée aux seuls disciples (8,10).

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Le plan du chapitre 9 n’est pas aisé à saisir car Luc alterne passages où miracles et enseigne-ments s’adressent à «la foule» et scènes d’explication réservées aux seuls disciples. Mais une ligne de force se dégage à travers les trois séquences qu’on peut repérer : ceux-ci sont de plus en plus étroite-ment associés à la prédication de Jésus et donc spécialement formés à cette fin.

Le ton est donné dès la première séquence (9,1-17) où «les Douze» sont envoyés en mission par Jésus (9,1-6). Ils commencent donc là à honorer leur nom d’apôtre – qui signifie «envoyé» (cf. 6,13) – et à avoir part à l’autorité même de Jésus (9,1). Le récit de cette première mission qui n’est pas donné, est remplacé par un excursus concernant «Hérode prince de Galilée» (9,7-9), dont l’intérêt est surtout narratif : montrant l’interrogation que suscite l’identité de Jésus, il prépare la réponse que vont y appor-ter les disciples et, plus lointainement, le face à face qui se produira lors de la Passion (23,8), faisant en quelque sorte d’Hérode la figure du non-disciple.

Le retour de la mission est évoqué au début du passage suivant (9,18) qui illustre bien la tension entre «foule» et «disciple» qui domine tout le chapitre. Jésus en effet part avec les apôtres «à l’écart» (9,10), mais la foule les suit, le contraignant à reprendre son ministère de prédication et de guérison (9,11) et à donner le signe de la multiplication des pains (9,12-17). À vrai dire, il s’agit en ce miracle, relaté en prenant pour mo-dèle littéraire un miracle semblable opéré par le prophète Élisée (2 R 4,38-44), plus que de multiplication, de «fraction» du pain (9,16) : la même succession de verbes – prendre, bénir, rompre, donner – se retrouve dans le récit de la Cène (22,19) et dans celui du repas pris avec les pèlerins d’Emmaüs (24,30). Mais ce qui frappe dans la scène, telle que la rapporte Luc, est le rôle d’intermédiaires qu’à trois reprises Jésus entend faire jouer aux Douze (9,13.14.15) et la précision symbolique des douze paniers emplis de morceaux (9,17).

La seconde séquence (9,18-27), introduite par une précision de temps, se déroule elle aussi d’abord «à l’écart» (9,18), puis devant tous (9,23). Elle tourne autour de la question de l’identité : iden-tité de Jésus qui interroge sur ce point ses disciples (9,18-22) ; identité du disciple qu’il précise ensuite (9,23-27). Les réponses apportées d’abord par les disciples (9,19) ne font que refléter l’attente popu-laire qu’avait bien perçue Hérode (9,8), tandis que celle de Pierre apporte un élément nouveau : «le Messie de Dieu» (9,20) – ou Christ, selon que l’on transpose le terme hébreu ou grec – c’est-à-dire le descendant de David apportant le salut. Luc omet ici les développements que cette confession de Pierre trouvent en Marc, mais en corrige immédiatement la portée par la première annonce de la Passion (9,22) qui infléchit l’image messianique ; puis en tire les conséquences dans la vie du disciple (9,23-27). De tous ceux qui veulent devenir disciples, car l’enseignement s’adresse non plus seulement aux Douze, mais à tous, et indique clairement que ceux qui «marchent à la suite» du Christ suivent effectivement la même voie que lui : celle qui passe par la croix.

La troisième séquence (9,28-50), introduite par une nouvelle précision de temps, (huit jours après : 8,28) fait progresser les disciples – et de façon souvent vigoureuse –dans la compréhension qu’ils acquièrent peu à peu de l’identité et de la destinée de leur Maître. L’épisode de la Transfiguration (9,28-36), dont seuls sont témoins à nouveau Pierre, Jean et Jacques (9,28), manifeste devant eux la gloire de Dieu dont Jésus est revêtu, les préparant ainsi à traverser l’épreuve de la Passion évoquée dans l’entretien avec Moïse et Élie (9,31). «Le lendemain», la guérison de l’enfant épileptique (9,37-43a) est opérée devant «une grande foule» (9,37) ; elle manifeste la maîtrise sur le mal que Jésus possède, mais aussi l’impuissance des disciples livrés à eux-mêmes (9,40), que renforce encore l’interpellation vigoureuse – et rare chez Luc – de Jésus (9,41).

Ils vont faire l’objet d’un dernier enseignement – la seconde annonce de la Passion (9,43b-45) – dont ils «ne saisissent pas le sens» (9,45). Deux exemples illustrent leur incompréhension de leur état de disciple lorsqu’ils discutent pour «savoir qui était le plus grand parmi eux» (9,46-48), ainsi que la manière universelle dont Jésus interprète sa vocation de Messie (9,49-50). Les disciples sont ainsi enseignés sur l’humilité par la parabole de l’enfant (9,47-48) et sur l’ouverture d’esprit et de cœur par la réponse à Jean (9,50).

Ainsi s’achève, sur cette note pédagogique, le ministère de Jésus en Galilée. Dès le verset suivant (9,51), Luc montre Jésus prenant «la route de Jérusalem», terme de sa mission. Nous entrerons le mois prochain dans la deuxième partie de l’Évangile, toute tendue vers la Ville Sainte.

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Méditer - La transfiguration (Luc 9,28-36)

Ce passage est celui que nous vous proposons de creuser plus particulièrement pour cette étape de l’atelier biblique. Les expressions en italique et en couleur sont commentées sous le texte.

En ce chapitre 9, si marqué par la pédagogie de Jésus envers ses disciples, le récit de la Transfigu-ration apparaît comme une réponse : réponse aux questions d’identité posées par Hérode (9,9), puis par Jésus lui-même (9,18) ; réponse aux interrogations suscitées par la première annonce de la Passion (9,22) ; réponse enfin à la prière de Jésus lui-même (9,29).

9 [28] Or il advint, environ huit jours après ces paroles, que, pre-nant avec lui Pierre, Jean et Jacques, il gravit la montagne pour prier. [29] Et il advint, comme il priait, que l’aspect de son visage devint autre, et son vêtement, d’une blancheur fulgurante. [30] Et voici que deux hom-mes s’entretenaient avec lui : c’étaient Moïse et Élie [31] qui, apparus en gloire, parlaient de son départ, qu’il allait accomplir à Jérusalem. [32] Pierre et ses compagnons étaient accablés de sommeil. S’étant bien réveillés, ils virent sa gloire et les deux hommes qui se tenaient avec lui. [33] Et il advint, comme ceux-ci se séparaient de lui, que Pierre dit à Jésus : «Maître, il est heureux que nous soyons ici ; faisons donc trois tentes, une pour toi, une pour Moïse et une pour Élie» : il ne savait ce qu’il disait. [34] Et pendant qu’il disait cela, survint une nuée qui les pre-nait sous son ombre et ils furent saisis de peur en entrant dans la nuée. [35] Et une voix partit de la nuée, qui disait : «Celui-ci est mon Fils, l’Élu, écoutez-le.» [36] Et quand la voix eut retenti, Jésus se trouva seul. Pour eux, ils gardèrent le silence et ne rapportèrent rien à personne, en ces jours-là, de ce qu’ils avaient vu.

«Huit jours après» : l’événement est clairement mis en relation avec le dialogue entre Jésus et ses disciples concernant son identité, la confes-sion de foi de Pierre et l’annonce déroutante de la Passion. Il intervient le huitième jour, c’est-à-dire le jour de l’accomplissement, préfigurant la résurrection qui se situera «le premier jour de la semaine» (24,1), à l’aube donc du huitième jour.

«Pierre, Jean et Jacques» : ces trois apôtres déjà avaient été choisis par Jésus pour l’accompagner dans la maison de Jaïre (8,54) et assister à la ré-surrection de la petite fille. En Marc 14,33, ce sont aussi eux seuls qui, à Gethsémani, verront Jésus défiguré en son agonie, comme ils le voient ici transfiguré. Mais Luc omet cette précision. À noter qu’il inverse l’ordre habituel, en nommant Jean avant Jacques, ce qui prépare le rôle confié à Pierre et Jean ensemble en 22,8 (pour la prépara-

tion de la pâque) et leur association dans tout le début des Actes (3,1.3.11 ; 4,13.19 ; 8,14).

«la montagne» : c’est, dans l’Ancien Testament, le lieu privilégié des grandes apparitions divines (théophanies) ; le lieu où Moïse (Exode 19,316-24 ; 24,12-18) et Élie (1 Rois 19,8-18) ont rencontré Dieu et reçu leur mission.

«pour prier» : cette notation est propre à Luc qui est l’évangéliste insistant le plus sur la prière de Jésus, particulièrement aux moments importants de son ministère (cf. 3,21 ; 6,12 ; 22,41). La for-mule est presque identique à celle de 6,12 où la prière de Jésus dans la montagne précède le choix des Douze.

«comme il priait» : Luc semble présenter la transfi-guration (la méta-morphose, selon le terme grec

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qu’emploient Matthieu et Marc, mais que Luc omet) comme une conséquence de la prière de Jésus. Il se trouve, comme en réponse à sa prière, revêtu de la gloire divine qu’il possède de toute éternité, qui est, pour l’heure, dissimulée sous le voile de la chair, et qu’il recouvrera après la résurrection.

«devint autre» : le visage de Jésus perd aux yeux des apôtres son aspect familier. De même les témoins des apparitions après la résurrection ne le reconnaî-tront pas (cf. 24,16). Manière pour l’évangéliste de suggérer que, si la personne, après la résurrection, reste bien la même, les propriétés de son corps glorieux diffèrent de celles de son corps de chair. Cela évoque aussi la sainteté qui faisait rayonner le visage de Moïse lorsqu’il avait parlé avec le Seigneur (Exode 34,29) et qui peu à peu nous envahit, «nous qui, le visage découvert, réfléchissons comme en un mi-roir la gloire du Seigneur» et sommes «transformés – métamorphosés, dit le grec – en cette même image, allant de gloire en gloire comme de par le Seigneur qui est Esprit» (2 Corinthiens 3,18).

«d’une blancheur fulgurante» : Luc, pour décrire ce phénomène inouï, retrouve le vocabulaire des apo-calypses (cf. la vision de l’Ancien en Daniel 7,9 ; ou le vêtement du «vainqueur» en Apocalypse 3,5, ainsi que ceux des vieillards et des élus dans le ciel en Apocalypse 4,4 et 7,9). À travers ces images, appliquées habituellement à des créatures célestes, l’évangéliste veut faire comprendre que la gloire divine qui habite Jésus devient perceptible et paraît comme irradier, rayonner de son être corporel.

«Moïse et Élie» : la frontière entre terre et ciel pa-raissant abolie, il n’est pas étonnant que deux repré-sentants de la sphère céleste se manifestent. C’était peut-être, à l’origine du récit, deux anges (comme en Luc 24,4 ou Actes 1,10). En suivant Marc, Luc les identifie à Moïse, qui figure la Loi, et Élie, qui représente les prophètes. En outre, leur fin mysté-rieuse semble préfigurer d’une certaine façon la ré-surrection : Moïse est mort seul sur le Mont Nebo, sans que personne n’ait retrouvé sa tombe, enterré, semble suggérer la tradition deutéronomique, par Dieu lui-même (Deutéronome 34,6) ; et Élie a été emporté au ciel par un char de feu (2 Rois 2,11).

«son départ qu’il allait accomplir à Jérusalem» : le dé-part (littéralement : «l’exode») de Jésus est bien ce dont parlent la Loi (Moïse) et les prophètes (Élie) qui annoncent que «le Christ doit souffrir pour entrer dans la gloire», selon l’explication donnée par Jésus

aux disciples d’Emmaüs (24,2-27). Moïse et Élie ne l’apprennent pas à Jésus, qui l’a lui-même déjà an-noncé à ses disciples (9,22), mais l’insistance est mise sur l’accomplissement du plan divin de salut et le rôle que doit y jouer Jérusalem (cf. 13,33 : «Je dois poursuivre ma route car il ne convient pas qu’un prophète meure hors de Jérusalem»).

«accablés de sommeil» : ce «sommeil» surprenant – qui peut être rapproché de la «torpeur» d’Abraham lorsque le Seigneur passe tel «un brandon de feu» (Genèse 15,12-17), ou de celle qui saisit les disciples à Gethsémani (Luc 22,45) – montre que les apôtres ne peuvent totalement percevoir la révélation. Le poids de la gloire (les deux termes ont la même racine en hébreu) de Dieu est si transcendant à la faiblesse humaine que la chair ne peut le soutenir.

«ils virent sa gloire» : l’épiphanie glorieuse de Jé-sus a aussi un aspect pédagogique : elle prépare les apôtres à traverser l’épreuve de la Passion, en leur révélant pleinement la divinité de leur Maî-tre. Mais ils ne semblent pas entendre le dialogue avec Moïse et Élie, ni comprendre le passage par la souffrance (cf. 24,26.44). Il faudra pour cela que le Christ ressuscité leur «ouvre l’esprit à l’intelligence des Écritures» (24,44).

«comme ceux-ci se séparaient de lui» : malgré cette compréhension incomplète de ce qui se joue, la vision paraît si réconfortante aux apôtres que Pierre désire la prolonger et demeurer ainsi dans cette proximité du ciel. Autre manière d’échapper aux événements qui vont suivre, de désirer parve-nir à la résurrection sans le passage par la croix, à la béatitude sans la souffrance.

«trois tentes» : la proposition de Pierre n’est pas si incongrue qu’elle peut le paraître. La tente renvoie en effet à cette «Tente» ou «Demeure» que le Sei-gneur avait demandé à Moïse d’édifier pour qu’il «puisse résider parmi» son peuple (Exode 25,8) et qui était devenue le lieu symbolique de sa Présen-ce. Elle évoque aussi les huttes de branchage qui abritaient les Israélites pendant leur traversée du désert, dont la liturgie gardait le souvenir à travers la fête de Soukkot (fête des Tentes ou des Cabanes, Lévitique 23,23-36.39-43). Cette fête qui commé-more le temps de la vie au désert où Dieu prenait soin de son peuple et où celui-ci apprenait à lui faire confiance dans la pauvreté (cf. Deutéronome 8,2-6) est aussi une fête messianique qui annonce la fin des temps et la joie de la venue du Messie.

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«il ne savait ce qu’il disait» : la chronologie de Luc n’est pas ici assez précise pour pouvoir affirmer que l’épisode de la Transfiguration se situe bien pendant la fête de Soukkot, encore que la préci-sion de 9,28 puisse suggérer qu’on est bien le hui-tième jour de la fête, le jour de la sainte assemblée (Lévitique 23,36). L’intervention de Pierre n’est donc pas si décalée que cela ! Mais son erreur est de vouloir rester dans la béatitude céleste, de se situer déjà à la fin des temps en occultant de nouveau la perspective de la Passion.

«une nuée» : c’est, dans la Première Alliance, le si-gne de la présence de Dieu conduisant son peuple au désert (Exode 13,21-22 ; Nombres 9,15-22), de la gloire de Dieu reposant sur la Tente de la Ren-contre (Exode 40,34-38) et remplissant le Temple de Jérusalem, lors de sa dédicace (1 Rois 8,10). Mais en Luc 1,35, cela renvoie aussi à «la puissance du Très-Haut» qui, en prenant Marie «sous son om-bre», préside à la venue du Verbe.

«saisis de peur» : face à cette manifestation de la présence de Dieu, ce n’est pas une simple émo-tion qui saisit les disciples, mais un sentiment de crainte sacrée. En son aspect négatif, il est peur de

mourir, puisque «l’homme ne peut voir Dieu et vivre» (Exode 33,20) ; en son sens positif, il est don de l’Esprit (Isaïe 11,2) qui conduit à l’adoration.

«une voix» : comme au baptême de Jésus au Jour-dain (3,22), la théophanie est trinitaire : au-dessus de Jésus se tient la nuée qui symbolise l’Esprit, tan-dis que retentit la voix du Père.

«mon Fils, l’Élu» : contrairement à la scène du bap-tême de Jésus où, selon Luc, il semble que seul Jean ait entendu la voix du Père, elle s’adresse ici

aux trois apôtres pour leur révéler que Jésus, selon la promesse de l’ange à Marie, est Fils de Dieu (1,35). Le titre d’Élu est emprunté au premier chant du Serviteur en Isaïe 42,1 et peut aussi évoquer la perspective de la Pas-sion, surtout en référence aux troisième et quatrième chants (Isaïe 50 et 52-53).

«écoutez-le» : Moïse avait annoncé la venue d’un grand prophète qu’il faudrait écouter (Deutéronome 18,15). Désormais c’est Jésus, accomplissement des prophétie, qu’il convient d’écouter. Le second discours de Pierre dans les Actes fera explicitement ce rapproche-ment en citant le passage du Deutéronome (Actes 3,19-24).

«Jésus seul» : la vision trinitaire n’a duré qu’un instant. Jésus de Nazareth doit poursuivre sa mission, jusqu’à la solitude extrême de la Pas-sion : «Je suis venu jeter un feu sur la terre et comme je voudrais qu’il soit déjà allumé. Je dois être baptisé d’un baptême et quelle n’est pas mon angoisse jusqu’à ce qu’il soit consommé !» (Luc 12,49-50).

«ils gardèrent le silence» : l’heure n’est pas ve-nue de parler de la gloire divine qui ne se manifes-tera que par la Résurrection et le don de l’Esprit. Mais l’épisode, outre sa fonction pédagogique, a aussi une portée eschatologique : il prophétise le don, que la Trinité veut faire à l’homme, du par-tage de la glorification de l’Homme-Dieu. La créa-tion, dans cette sorte de pentecôte cosmique, a été rendue capable de réfléchir la lumière divine et d’en rayonner. La «lumière incréée», comme dit l’Orient chrétien, qui a donné leur fulgurance au visage et aux vêtements du Christ, devient grâce déifiante de l’Esprit illuminant l’Église-Épouse, fi-gurée par les disciples, pour la rendre semblable à l’Époux.

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Chantez le Christ sur le Mont Thabor ◗

Sur la montagne ont été préfigurés les symboles du Royaume ; le mystère de la Crucifixion y fut an-noncé par avance, la seconde descente et la venue en gloire du Christ y furent manifestées.

Oui, aujourd’hui, le Seigneur a vraiment été vu sur la montagne ; aujourd’hui, la nature humaine, jadis créée semblable à Dieu, mais obscurcie par les figures informes des idoles, a été transfigurée en l’ancienne beauté de l’homme fait à l’image et à la ressemblance de Dieu.

Aujourd’hui, sur le mont Thabor, est mystérieusement apparue la condition de la vie future et du Royaume de joie. Aujourd’hui, sur la montagne, les hérauts de l’Ancienne et de la Nouvelle Alliance se sont rassemblés de façon extraordinaire autour de Dieu, porteurs d’étonnants mystères.

Aujourd’hui sur le mont Thabor, le mystère de la Croix qui vivifie par la mort a été esquissé : tout comme il a été crucifié entre deux hommes sur le mont du Crâne, ainsi apparut-il divinement entre Moïse et Élie.

Toi, ô Dieu plein d’amour pour les hommes, tu t’es caché dans une forme humaine. Vraiment tu es la Droite du Très-Haut révélée au monde. Tu es le Médiateur de l’Ancienne et de la Nouvelle Alliance, le Dieu antique et l’homme nouveau. Tu t’es entretenu jadis obscurément avec Moïse sur le mont Sinaï, et à présent, tu t’es transfiguré visiblement sur le mont Thabor.

Être céleste et très haut, tu aimes en effet nous illuminer du haut des montagnes éternelles. C’est toi qui, sur le Sinaï, donnais la Loi et que Dieu aujourd’hui sur le Thabor proclame et atteste être son Fils.

Réjouis-toi, ô Créateur de toutes choses, Christ Roi, Fils de Dieu tout resplendissant de lumière, qui as transfiguré à ton image toute la Création et qui l’as recréée d’une façon meilleure.

Et réjouis-toi, ô image du Royaume céleste, mont très saint du Thabor, qui surpasses en beauté toutes les montagnes !

Mont du Golgotha et mont des Oliviers, chantez ensemble une hymne et réjouissez-vous, chan-tez le Christ d’une seule voix sur le mont Thabor, et célébrez-le tous ensemble !

Anastase du Sinaï, au VIIIe siècleHomélie sur la Transfiguration

Prier

Seigneur, Dieu de patience et de miséricorde, tu formes peu à peu le cœur de tes disciples, nous te bénissons. Tu es le Semeur venu en notre monde pour semer le bon grain de ta Parole dans la terre de nos cœurs, nous te bénissons. Tu es le Seigneur de la gloire, maître de la création et vainqueur du mal, qui as voulu prendre notre chair pour la délivrer de ce qui l’aliène et la blesse,

et la transfigurer avec toi. Fais de nous ces disciples attentifs à garder ta Parole, prêts à la porter au monde et, devant tous, à rendre compte de l’espérance qui nous habite. Garde-nous dans la confiance lorsque l’épreuve nous atteint, toi qui par ta croix as porté toutes nos souffrances et, par ta résurrec-tion, veux nous introduire dans la béatitude éternelle. Amen.

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Contempler

Mosaïque de l’église Saint-Apollinaire-in-Classe à Ravenne, VIe siècle

La basilique Saint-Apollinaire-in-Classe, à Ravenne, fut construite sous l’archiépiscopat d’Ursicinus (532-536) et consacrée par l’archevêque Maximien en 549. Située à Classis (en italien : Classe), ancien port antique de Ravenne aujourd’hui ensablé, elle est consacrée à saint Apollinaire, premier évêque de la communauté chré-tienne de Ravenne. Fait rare pour l’époque, son abside est tout entière recouverte d’une mosaïque évoquant l’épisode de la Transfiguration.

Tout est fait pour amener le regard au centre : centre de l’abside, centre du cercle bleu, centre de la croix qu’il contient : c’est le visage du Christ, pourtant petit et peu expressif, vers lequel converge toute la mosaïque de cette abside du VIe siècle, particulièrement majestueuse. Au dessus du cercle, une main, celle du Père – selon la représentation byzantine traditionnelle –,

renforce encore l’effet de convergence. Il faut enfin y ajouter les deux doigts pointés vers le visage de Jésus : celui de Moïse et celui d’Élie, dont les bustes émergent des nuages à gauche et à droite du grand médaillon central.

Le contexte est donc bien celui d’une théophanie – les cieux sont ouverts et 99 étoiles dorées entourent l’apparition en gloire du Fils de l’homme – mais aussi celui d’une scène paradisiaque : tout le bas de l’abside est envahi par une végétation luxuriante évoquant le jardin primitif. Au milieu des arbres, trois agneaux, un à gauche et deux à droite, représentent les trois apôtres, Pierre, Jacques et Jean, brebis fidèles du bon Berger, prêts, comme lui, à donner leur vie pour le reste du troupeau. Leur familiarité avec le Fils de l’homme leur permet, contrairement à ce que dit l’évangile (!), de regarder la scène bien en face, sans rien éprouver de la torpeur mêlée de crainte qui terrassaient les apôtres au mont Thabor.

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Lire - Luc 9,51-11,54

Nous abordons ce mois-ci la seconde grande section de l’évangile selon saint Luc. En effet, alors que la première relatait son ministère en Galilée, cette section est construite comme une longue montée vers Jérusalem. Une montée, à vrai dire, plus symbolique que géogra-phique, car l’itinéraire n’a rien de linéaire et n’intéresse d’ailleurs pas véritablement Luc.

Alors qu’il insiste en revanche, à plusieurs reprises, sur l’importance de la Ville Sainte (9,31 ; 13,33-35 ; 18,31 ;19,41-44) où commence et où s’achève son évangile, dans le Temple même (1,8s ; 24,53).

Cette section, qui s’ouvre par un verset (9,51) théologiquement très dense (allusions à Isaïe 50,7 et Ézéchiel 3,8 ; vocabulaire de l’enlèvement utilisé aussi pour l’Ascension en Actes 1,2.11.22), est aussi celle qui contient le plus d’épisodes propres au troisième évangile. Elle développe le thème du voyage de celui qui «n’a pas où reposer la tête» (9,58), ce qui, dès les débuts de cette section (dans les chapitres 10 et 11 que nous lisons ce mois-ci), implique de préciser qui peut suivre Jésus.

Le voyage commence en effet par un rejet : celui d’un «village samaritain» (9,52) – de même d’ailleurs que Jésus avait été, au début de son ministère public rejeté par les habitants de sa ville de Nazareth (4,28-30). Ce rejet ne fait que mettre en lumière la difficulté qu’il y a à suivre Jésus : Jacques et Jean sont réprimandés pour vouloir agir contre la manière de leur maître (9,55) ; les disciples poten-tiels qui se présentent sont découragés par la pauvreté et le détachement qui leur sont demandés, tant matériels (9,58) qu‘affectifs (9,60) et sociaux (9,62).

Le chapitre 10 s’attache plutôt au versant positif de la suite du Christ, selon deux grands thè-mes : l’envoi en mission et le commandement de l’amour.

Il s’ouvre en effet par l’envoi en mission des 72 disciples (10,1-16) et les réactions à leur retour (10,17-24). Les consignes données aux 72 rappellent celles qu’avaient reçues les Douze (9,3-5) ; mais leur nombre est intéressant car il évoque celui de l’ensemble des peuples de la terre (cf. Genèse 10,2-32) à qui doit donc être portée la Bonne Nouvelle. L’accent est mis d’abord sur la prière (10,2), la pauvreté (10,4), mais surtout sur les conduites à adopter dans les cas de refus ou d’accueil (10,6.8-11) de ce qui n’est pas seulement un message, mais la personne même de Jésus (10,18).

Leur retour, dans la joie, provoque l’action de grâces de Jésus qui se réjouit de ce que l’empire du mal commence à s’écrouler, pour laisser place à son Règne (10,17-20) ; puis associe la Trinité entière à cette action de grâces (10,21-22) – l’Esprit qui le fait «tressaillir de joie» et le Père qui lui «a tout remis» – ; et englobe enfin tous les témoins de ces événements, qui annoncent la fin des temps, dans une même béatitude (10,21-24).

La deuxième séquence de ce chapitre 10 (10,25-42) propose un double portrait du disciple, sous des traits inattendus. Le cœur en est la définition du double commandement de l’amour, l’amour de Dieu et l’amour du prochain (10,25-28). Une parabole et un récit illustrent ces deux formes de l’amour qui ne font qu’un : la parabole du bon Samaritain (10,29-37), exemple de l’amour en acte de celui dont on «se fait proche» (10,36) ; et l’attitude de Marie, sœur de Marthe (10,38-42), qui, «assise aux pieds du Seigneur» (10,34), s’absorbe tout entière en sa contemplation.

Le chapitre 11 poursuit, en sa première partie (11,1-13), cette séquence consacrée aux disciples par un enseignement sur la prière. Luc, seul parmi les évangélistes, insiste en effet sur le fait que c’est la vue de Jésus en prière qui incite les disciples à lui demander : «Seigneur, apprends-nous à prier» (11,1). Ce qui occasionne donc un enseignement composé d’abord de la remise aux disciples de la «prière du Seigneur» (11,2-4), le Notre Père, donné ici dans une recension plus brève que celle de Matthieu (6,9-13) ; puis d’une parabole, celle de l’ami importun (11,5-8) qui, par son insistance, obtient de son ami ce qu’il désire ; suivie, en guise d’explication, d’une instruction sur l’efficacité de la prière (11,9-13) qui compare le Seigneur, non plus à un ami, mais à un père qui ne saurait rebuter son fils, surtout lorsque celui-ci demande le don parfait de l’Esprit Saint (11,13), ce don même qui sera accordé à l’Église naissante (Actes 2,33.38).

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La deuxième partie de ce chapitre (11,14-36), plus disparate, développe plutôt le versant négatif de ce thème de la suite du Christ. Après un exorcisme opéré par Jésus (11,14), les critiques de la foule – qui sont pour la première fois mentionnées – fusent en effet (11,15-16) et vont appeler une réponse en deux temps.

La première critique affirme que les pouvoirs de Jésus lui viennent de «Béelzéboul, le prince des dé-mons» (11,15). Jésus y répond (11,17-26) en montrant l’illogisme de cette accusation puisque la division ne peut conduire qu’à la destruction (11,17-19) ; puis en affirmant, au contraire, que ces exorcismes sont le signe de la présence du Royaume de Dieu déjà à l’œuvre en sa personne (11,20-23). Une mise en garde complète la réponse (11,24-26) : il ne suffit pas d’avoir été exorcisé ; encore faut-il changer de vie et donc, est-il implicitement affirmé (en référence à 11,23), se situer du côté de Jésus.

Un intermède (11,27-28) montre que tous ne sont pas aussi critiques : une femme dit, en une béatitude, son admiration. La réplique de Jésus, sous forme d’une autre béatitude, exalte, non seulement celle qui l’a porté, mais tous «ceux qui écoutent la Parole de Dieu et la gardent» (11,28), manière encore de se prémunir contre le retour de l’esprit mauvais (cf. 11,26) et de devenir un disciple fidèle.

La réponse à la seconde critique peut alors intervenir (11,29-36). Alors qu’on avait demandé à Jésus «un signe venant du ciel» (11,16), il n’accepte de donner que «le signe de Jonas» (1,29). L’histoire de Jonas (cf. le livre qui porte ce nom) n’est pas ici utilisée comme la préfiguration de la résurrection (ainsi que le fait Matthieu 12,60), mais comme un appel à la conversion semblable à celui qu’avait prêché Jonas aux Ninivites (11,32). Ce que renforce un autre exemple : celui de la reine de Saba (11,31 ; cf. 1 Rois 10,1-13). La réponse est complétée par deux petites paraboles (11,33-36) : la prédication de Jésus est comparée à une lampe (11,33) qui éclaire suffisamment pour que l’on n’ait pas besoin d’autres signes ; cette lumière de l’Évangile est donnée à tous, et c’est à chacun de se laisser illuminer par elle (11,24), sans faire en lui place aux ténèbres (11,35).

La troisième et dernière partie de ce chapitre 11,37-54) s’inscrit dans une situation nouvelle : l’invitation à déjeuner d’un Pharisien (11,37) ; mais elle peut aussi être vue comme un exemple de la lutte contre les ténèbres qui empêchent de reconnaître qui est Jésus. L’étonnement réprobateur du Pharisien devant l’attitude de Jésus qui «ne fait pas ses ablutions avant le repas» (11,38) provoque en effet de la part du Maître un ensemble de reproches, d’abord à l’adresse des Pharisiens (11,39-44), puis, après l’intervention de l’un d’entre eux (11,43), à l’encontre des légistes (11,46-52) ; reproches formulés, à plusieurs reprises, sur le mode des lamentations (11,42-44.47.52).

Les reproches faits aux Pharisiens (11,39-44) tournent autour de la question de la pureté – qui est en cause dans l’ablution. Par la distinction intérieur / extérieur, Jésus essaie de les entraîner de la notion de pureté rituelle, qui reste formaliste, à celle d’un comportement moral, plus conforme à l’es-prit de la Loi qu’à sa lettre. De même il est reproché aux légistes (11,45-52) de multiplier les principes secondaires contraignants, au lieu de guider le peuple vers ce qui est le fondement de la Loi : l’amour de Dieu ; et donc de refuser – en allant jusqu’à la violence et au meurtre – l’enseignement des prophètes tentant de les ramener à l’écoute de leur Seigneur.

La conclusion (11,53-54) souligne la réaction négative des scribes et des Pharisiens qui, au lieu d’écouter la Parole et de se convertir, «se mettent à en vouloir terriblement à Jésus» et s’engagent sur la voie de leurs pères, en «lui tendant des pièges» à lui, le grand Prophète.

Les notations dramatiques commencent donc à se multiplier, depuis le rejet initial jusqu’à cette animosité marquée à la fin, dans cette marche vers Jérusalem où chacun est invité, de plus en plus clai-rement, à se prononcer face à Jésus, à choisir en somme son camp. Car «qui n’est pas avec moi est contre moi» (11,23).

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Méditer - La parabole du Bon Samaritain (Luc 10,25-37)

Ce passage est celui que nous vous proposons de creuser plus particulièrement pour cette étape de l’atelier biblique. Les expressions en italique et en couleur sont commentées sous le texte.

La question du légiste à laquelle Jésus répond par la parabole dite du Bon Samaritain, permet de comprendre l’usage qu’il fait de ce genre littéraire très particulier. La parabole dérive du mashal hébraïque par sa mise en scène – mise en images, pourrait-on dire – des idées que l’on veut exprimer ; mais elle sert surtout, par l’effet de surprise qu’elle introduit, à permettre de ne pas

rester fixé à des opinions toutes faites, à accepter de laisse déplacer ses interrogations. Ici, c’est la no-tion de «prochain» qui, d’objective qu’elle était, devient subjective, en ce sens qu’elle dépend du sujet.

10 [25] Et voici qu’un légiste se leva, et lui dit pour l’éprouver : «Maître, que dois-je faire pour avoir en héritage la vie éternelle ?» [26] Il lui dit : «Dans la Loi, qu’y-a-t-il d’écrit ? Comment lis-tu ?» [27] Celui-ci répondit : «Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force et de tout ton esprit ; et ton prochain comme toi-même.» - [28] «Tu as bien répondu, lui dit Jésus ; fais cela et tu vivras.» [29] Mais lui, voulant se justifier, dit à Jésus : «Et qui est mon prochain ?» [30] Jésus reprit : «Un homme descendait de Jérusalem à Jéricho, et il tomba au milieu de brigands qui, après l’avoir dépouillé et roué de coups, s’en allèrent, le laissant à demi mort. [31] Un prêtre vint à descendre par ce chemin-là ; il le vit et passa outre. [32] Pareillement un lévite, survenant en ce lieu, le vit et passa outre. [33] Mais un Sa-maritain, qui était en voyage, arriva près de lui, le vit et fut pris de pitié. [34] Il s’approcha, banda ses plaies, y versant de l’huile et du vin, puis le chargea sur sa propre monture, le mena à l’hôtellerie et prit soin de lui. [35] Le lendemain, il tira deux deniers et les donna à l’hôtelier, en disant : Prends soin de lui, et ce que tu auras dépensé en plus, je te le rembourserai, moi, à mon retour. [36] Lequel de ces trois, à ton avis, s’est montré le prochain de l’homme tombé aux mains des brigands ?» [37] Il dit : «Celui-là qui a exercé la miséricorde envers lui.» Et Jésus lui dit : «Va, et toi aussi, fais de même.»

«Un légiste» : les légistes ou docteurs de la Loi sont caractérisés non par leur appartenance à un cou-rant religieux, comme les Pharisiens, ou à une clas-se sociale, comme les prêtres, mais par leur savoir : ils ont longuement étudié la Loi et reçu de leurs maîtres la Tradition, l’interprétation orale de la Loi, qu’ils retransmettent eux-mêmes à des disciples. Ils sont ainsi formés pour interpréter la législation religieuse et l’adapter aux cas concrets. Ils en ac-quièrent donc un certain pouvoir du fait des déci-sions de justice qu’ils sont amenés à prendre.

«pour l’éprouver» : il ne s’agit pas ici, comme dans d’autres cas (cf. 11,54 ; 20,20) de mettre Jésus à l’épreuve pour tenter de le perdre ; mais seu-lement de tester ses connaissances concernant la Loi. Le ton est à la joute intellectuelle plus qu’au complot, comme d’ailleurs dans le passage parallèle de Marc 12,28s). Tandis qu’en Matthieu, dans un contexte d’affrontement avec les grands prêtres et les scribes (21,23), puis les Pharisiens (22,15) et les Sadducéens (22,23), la question est posée «pour l’embarrasser» (22,34).

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«avoir en héritage la vie éternelle» : on est bien là dans un débat d’école, comme il était fréquent d’en tenir dans le judaïsme – ce que renforce l’at-titude du légiste qui «se lève» pour poser sa ques-tion et appelle Jésus «maître» – , comme l’était aussi la question du «plus grand commandement» posée dans le passage parallèle de Marc 12,28s. Il s’agit d’interroger Jésus sur ce qui, pour lui, est le plus important dans la Loi de Dieu. La même question est posée plus loin dans l’évangile par celui que Luc appelle «un notable» (18,18), Marc simplement «un homme» (10,17) et dont Matthieu a fait «le jeune homme riche» (19,22).

«Comment lis-tu ?» : Jésus accepte de se situer sur le plan du débat et, là encore à la manière juive, répond à la question par une autre question. Les deux débatteurs ont à se pencher ensemble sur la Loi pour expliquer «comment» ils l’interprètent et confronter leurs interprétations.

«Tu aimeras le Seigneur…» : le légiste répond en citant Deutéronome 6,4, le passage de l’Écriture à la base de la prière la plus importante pour la foi d’Israël, celle qui est récitée soir et matin («Shema Israël, Écoute Israël…»). À noter qu’en Marc 12,29, c’est Jésus lui-même qui répond en citant le Shema Israël qui affirme l’unicité de Dieu et le comman-dement de l’amour total en réponse à l’amour d’élection que Dieu manifeste à son peuple.

«et ton prochain comme toi-même» : au commande-ment de l’amour de Dieu est joint celui du l’amour du prochain, emprunté cette fois à Lévitique 19,18. Le rapprochement était certes possible dans le ju-daïsme qui valorise et encourage l’amour du frère et la miséricorde. Mais la mise sur le même plan de ces deux commandements est audacieuse, et elle paraît plus vraisemblable dans la bouche de Jésus, en suivant la recension de Marc 12,30-31. Cela rejoint de toutes les façons l’enseignement de son discours inaugural (cf. Luc 6,27-38 : «Aimez vos ennemis… Montrez-vous compatissant comme votre Père est compatissant…»).

«fais cela» : Jésus ne peut qu’approuver la répon-se du légiste (cf. aussi son approbation en Marc 12,34), mais en reprenant le verbe «faire» – en inclusion dans les versets 25 et 28 –, il invite le lé-giste à ne pas en rester au débat intellectuel, fût-il théologique, mais à réellement mettre en pratique les commandements, ce qui appelle déjà la para-bole qui va suivre.

«se justifier» : le légiste est sans doute frustré par l’absence de discussion ou peut-être agacé par l’invitation de Jésus à faire passer sa réponse théo-rique sur un plan existentiel et moral. Il pose donc une nouvelle question pour «justifier» la pertinen-ce de la première et faire rebondir le débat.

«Jésus reprit» : Jésus ne répond pas plus directement à cette question qu’à la première, car entrer dans un travail de définition du «prochain» serait se compor-ter comme ces légistes et ces Pharisiens auxquels il reproche précisément leurs interminables discus-sions casuistiques qui leur permettent d’échapper à leurs devoirs (cf. 11,39-42) C’est pourquoi il va répondre à nouveau par une autre question (verset 36), après le détour d’une parabole.

«Un homme» : la parabole met en scène non des per-sonnes, mais des types, des figures définies par leur rôle social (aubergiste, brigands) ou religieux (prê-tre, lévite). La silhouette du protagoniste central de l’histoire est encore plus anonyme que les autres : «un homme» sans qualification aucune, en qui les Pè-res ont voulu voir la figure de l’humanité blessée par le péché. Pour Jésus, il s’agit, par cet anonymat de l’homme, de commencer à déplacer la question du légiste. Car sa question implicite était : jusqu’où dois-je aller pour considérer que l’autre est mon prochain ? quelle est la frontière entre celui qui est mon prochain et l’étranger qui ne l’est plus ?

«brigands» : on peut donner aux éléments de cet-te phrase un sens purement narratif : pour que l’histoire soit significative, Jésus est bien obligé d’introduire des personnages et une action. Mais l’exégèse allégorique des Pères donne un sens théologique et spirituel à chacun de ces éléments : les brigands deviennent ainsi la figure des démons qui ont trompé et blessé l’humanité en la coupant de Dieu et en la laissant soumise au pouvoir de la mort ; ils l’ont dépouillée de la tunique de l’im-mortalité qu’elle portait (cf. a contrario en Genèse 3,21 les tuniques de peau – des animaux morts – dont Dieu revêt l’homme après le péché).

«Un prêtre» : la réaction du prêtre, pour choquante qu’elle puisse paraître, s’explique sans doute moins par son indifférence à autrui et son insensibilité, que par un respect trop légaliste des prescriptions de la Loi. Il craint en effet que l’homme qui gît au bord du chemin soit mort. Or le livre des Nombres sti-pule que «celui qui touche un cadavre sera impur sept jours» (Nombres 19,11). Il ne pourrait donc pas,

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pendant ce temps, remplir les devoirs de sa charge sacerdotale. D’autant que l’interdiction est encore plus radicale pour les prêtres, concernant même leur famille : «Aucun d’eux ne se rendra impur auprès du cadavre de l’un des siens» (Lévitique 21,1).

«un lévite» : la même règle de pureté rituelle s’ap-plique aux lévites, c’est-à-dire aux membres de la tribu de Lévi, l’un des douze fils de Jacob – la tribu de Moïse et d’Aaron, son frère, dont descendent les prêtres. Les lévites sont voués au service de l’arche d’alliance puis du Temple (cf. par exemple 1 Chroniques 23s). À noter que les trois versets 31, 32 et 33 sont composés comme trois petites say-nètes figurant de façon pittoresque les attitudes des trois types de personnages.

«un Samaritain» : le troisième personnage est bien différent des notables religieux précédents. Ce n’est pas seulement un habitant de la Samarie, la province séparant la Judée au sud de la Galilée au nord, alors que les deux précédents sont judéens. Il est consi-déré par ceux-ci comme étranger et hérétique. Les Samaritains étaient en effet tenus pour les descen-dants de peuples païens établis sur ces terres par le roi d’Assyrie après la chute du royaume d’Israël et la déportation de sa population au VIIIe siècle AC (cf. 2 Rois 17,24). Convertis à la foi monothéiste, ils ne re-connaissaient cependant que la Torah (la Loi) écrite et refusaient la Tradition orale (spécialité du légiste !) ; ils avaient bâti un temple rival de celui de Jérusalem, sur le mont Garizim (cf. le dialogue entre Jésus et la Samaritaine, Jean 4,9.20). La parabole oppose donc à l’attitude des religieux, supposés pratiquer les œu-vres de miséricorde, celle d’un mécréant.

«pris de pitié» : Luc a déjà utilisé ce verbe très par-ticulier – qui signifie littéralement être pris aux entrailles – en 7,13 pour décrire la compassion «viscérale» de Jésus devant la veuve de Naïn. C’est en grec la transposition du mot hébreu qu’utili-saient déjà les prophètes pour définir l’amour in-conditionnel, semblable à celui d’une mère, que ressent le Seigneur pour son peuple (cf. Jérémie 31,20 ; Osée 11,8, etc.). Cet hérétique aime donc de l’amour même de Dieu !

«de l’huile et du vin» : la charité efficace du Samaritain est décrite en cinq verbes (s’approcher, bander, char-ger, mener, prendre soin) qui montrent son engage-ment au service de son prochain. L’huile et le vin qu’il emportait sans doute comme provisions de voyage, pouvaient aussi être utilisés dans le traitement des

plaies pour désinfecter et calmer. Mais l’exégèse pa-tristique y a surtout vu une préfiguration des sacre-ments : c’est par l’huile de l’onction du baptême et le vin de l’eucharistie que l’humanité est guérie. Si l’on va jusqu’au bout de l’interprétation allégorique, cela suppose que cet homme mal considéré, «en voyage», est le Christ lui-même, ayant quitté le Père pour ve-nir dans le monde guérir et sauver l’humanité, et non reconnu par les siens (cf. Jean 1,10-11).

«Prends soin de lui» : l’expression revient deux fois (v. 34 et 35). Le Samaritain qui n’est pas prison-nier des règles de pureté, comme le prêtre ou le lévite, n’est pas non plus dépendant de son argent qu’il accepte de dépenser pour cet homme qu’il ne connaît pas. Il est centré sur le «soin» qu’il faut prendre de l’homme, sur l’amour authentique et agi. Mais il poursuit son chemin et reste aussi libre par rapport à celui qu’il a secouru (en le laissant, du même coup, libre lui aussi).

«s’est montré le prochain» : toute cette histoire n’avait comme finalité que d’amener cette nou-velle question de Jésus qui déplace tout à fait la question initiale du légiste (v. 29). Celui-ci se pla-çait au centre et définissait les autres à partir de lui, comme des objets entrant dans telle ou telle catégorie. Pour Jésus, le prochain est celui qui s’approche de l’autre : non plus celui qui doit bé-néficier (ou non) de la miséricorde, mais celui qui met en œuvre la miséricorde. La catégorie de pro-chain n’est plus fixe, elle s’élargit aux dimensions de mon cœur lorsqu’il aime d’un amour compara-ble à celui du Seigneur même.

«celui qui a exercé la miséricorde» : le légiste a bien compris la leçon : il ne désigne plus l’homme par son origine (un Samaritain), mais par l’action mi-séricordieuse qu’il a posée.

«fais de même» : la conclusion de Jésus est une nou-velle invitation à agir en mettant en pratique les commandements (comme au v. 28). Invitation qui ne manque pas d’ironie puisque ce spécialiste de la Loi est convié à imiter, non les ministres du culte qui n’ont pas su allier amour de Dieu et amour du prochain, mais un hérétique qui méconnaît précisé-ment la tradition orale explicitant la Loi et qui ce-pendant agit précisément selon la volonté de Dieu ! Luc aime tout particulièrement montrer l’attache-ment de Jésus aux plus faibles et aux plus rejetés, et la foi dont ceux-ci sont capables (ce qui culminera à la croix avec la figure du bon larron, 23,39-43).

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La loi de l’amour fraternel ◗

À tous les pauvres il faut ouvrir notre cœur, et à tous les malheureux, quelles que soient leurs souffrances. C’est le sens du commandement qui nous demande de nous réjouir avec ceux qui sont dans la joie et de pleurer avec ceux qui pleurent (cf. Rm 12,15). Étant nous aussi des hommes, ne convient-il pas que nous soyons bienveillants à l’égard des hommes ?

Veillons à la santé de notre prochain avec autant de soin qu’à la nôtre, qu’il soit bien-portant ou épuisé par la maladie. Car «nous sommes tous un dans le Seigneur» (Rm 12,5) : riches ou pauvres, esclaves ou hommes libres, bien-portants ou malades. Pour nous, il n’y a qu’une seule tête, principe de tout : le Christ. Ce que sont les membres du corps les uns pour les autres, chacun de nous l’est pour chacun de ses frères, et tous le sont pour nous. Il ne faut donc ni négliger ni abandonner ceux qui sont tombés avant nous dans un état de faiblesse qui nous guette tous. Plutôt que de nous réjouir d’être en bonne santé, mieux vaut compatir aux malheurs de nos frères. Ils sont à l’image de Dieu comme nous et, malgré leur apparente déchéance, ils ont gardé mieux que nous la fidélité de cette image. En eux, l’homme intérieur a revêtu le même Christ et ils ont reçu les mêmes «arrhes de l’Esprit» (2 Co 5,5). Ils ont les mêmes lois, les mêmes commandements, les mêmes alliances, les mêmes assemblées, les mêmes mystères, les mêmes espérances. Le Christ est mort pour eux également, lui qui «enlève le péché du monde» (Jn 1,19). Ils ont part à l’héritage de la vie céleste, eux qui furent privés de beaucoup de biens ici-bas. Ils sont les compagnons de souffrances du Christ, ils le seront de sa gloire.

La nature humaine nous fait une loi d’avoir pitié les uns des autres. En nous enseignant la solida-rité dans la faiblesse, elle nous inculque le respect et l’amour des hommes.

Saint Grégoire de Nazianze, au IVe siècleDe l’amour des pauvres 4…15

Prier

Seigneur, alors que tu prends résolument la route de Jérusalem pour y vivre ta Passion rédemp-trice, nous voulons te redire notre désir de te suivre partout où tu iras. Ne laisse pas nos cœurs s’obscurcir dans les ténèbres, mais donne-nous de marcher avec toi, dans la lumière de ta vérité, et d’apprendre de toi à aimer le Père, que tu nous as révélé, et les frères que tu nous as confiés,

de l’amour même dont tu les aimes. Sois béni de nous avoir appris à prier et d’avoir mis sur nos lèvres, dans la force de l’Esprit, des mots de fils pour nous tourner ensemble vers notre Père. Sois béni de nous guider dans la traversée de cette vie, vers la Jérusalem du ciel où tu nous as préparé une place, toi le Dieu bon et ami des hommes qui veux que tous soient sauvés. Amen.

Contempler

Le vitrail du Bon Samaritain, cathédrale de Chartres, XIIIe siècle

Notre-Dame de Chartres est la cathédrale qui conserve le plus grand nombre de vitraux anciens (2600 m2 de verrières du Moyen Age). La verrière du Bon Samaritain date de premier tiers du XIIIe siècle. Elle fait partie des verrières offertes par des groupes de métiers : ici il s’agit des cordonniers et savetiers.

La verrière dite «du Bon Samaritain» met en lien deux épisodes bibliques très distincts : juste au-dessus de la représentation de la parabole (Luc 10) se trouve le récit de la chute d’Adam et Ève (Genèse 3). Les Pères ont vu dans ce rapprochement un sens théologique très profond : «L’homme qui descendait est Adam. Jérusalem est le paradis et Jéricho est le monde. Les brigands sont des pouvoirs

hostiles. Le sacrificateur représente la loi, le Lévite, les prophètes et le Samaritain, le Christ. Les blessures sont la désobéissance, la monture est le corps du Seigneur, l’auberge qui accepte tous ceux qui désirent y entrer, représente l’Église… L’hôte de l’auberge est le chef de l’Église, à qui le soin du blessé a été confié. Et le fait que le Samaritain promet de revenir représente la seconde venue du Sauveur» (Origène, Homélie sur Luc 34,3).

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1. Jésus converse avec deux hommes dont le docteur de la Loi (reconnaissable à son bonnet typique). Il lève la main, signe qu’il va don-ner un enseignement. Il porte déjà l’auréole crucifère.

2. Un homme, bâton à la main, quitte la ville par une porte rouge. Les Pères de l’Église ont vu dans cet homme Adam qui quitte le paradis pour aller dans le monde représenté par Jéricho, la ville de tous les vices. La descente symbolise le parcours de l’homme pécheur.

3. Deux brigands sont en embuscade derrière un arbre. L’un est déjà en train de dégainer son épée pour attaquer le voyageur.

4. Les brigands, maintenant au nombre de trois, dépouillent et frappent le voyageur. Celui-ci prend la position typique de la victime, tel l’agneau mené à l’abattoir auquel Jésus s’offrant librement sera comparé. Renvoi d’autant plus évident que l’arbre situé juste derrière la scène a la forme d’une croix.

5. L’homme gît non pas au bord du chemin mais en plein centre, ce qui rend d’autant plus inex-cusable l’attitude des deux voyageurs qui passent sans s’arrêter, au nom même de la Loi qui leur interdit de se rendre impur au contact d’un homme qui pourrait bien n’être plus qu’un cadavre.

6. Le Samaritain s’arrête pour soigner le blessé. Les Pères ont vu en lui la figure de Jésus qui, des-cendant lui aussi de la Jérusalem glorieuse jusqu’à la Jéricho de notre condition de faiblesse, va jusqu’au bout du chemin pour en ramener l’homme blessé et le guérir définitivement de la blessure du péché.

7. Le Samaritain, dont le visage ressemble à celui du Christ que l’on voit habituellement sur les vitraux de cette époque, prend l’homme blessé (qu’il a rhabillé en le revêtant, peut-être de sa propre tunique ?) sur sa monture et l’emmène à l’auberge. Il tient déjà à la main les deux pièces de monnaie avec lesquelles il entend payer l’aubergiste.

8. L’hôtelier accueille les voyageurs en ouvrant grand sa porte, signifiant par là l’ouverture de l’Église à tout pécheur ramené par le Christ. Les 4 chevaux bien alignés (sous le bras de l’aubergiste) re-présentent sans doute l’évangile quadriforme que l’Église doit répandre pour guérir l’humanité blessée.

9. Jésus (le bon Samaritain) se penche sur l’homme (l’humanité) blessée. (Cette saynète n’est pas sur l’image dont nous disposons.)

Le récit de la chute La parabole du bon Samaritain Les donateurs

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Lire - Luc 12,1 – 13,21

Le mois dernier, nous avions commencé à lire la grande section de la montée vers Jérusalem dont les premiers chapitres étaient surtout narratifs. Comme une pause dans cette marche, s’inscrit aux chapitres 12-13, que nous abordons à présent, un long discours de Jésus qui a comme par-ticularité d’être adressé tantôt à la foule qui s’assemble autour de lui (12,1.13.54), tantôt aux

seuls disciples (12,1.22). Ce discours (12,1-13,9) entrelace plusieurs thèmes, traités de façon différente selon les interlocuteurs, et poursuit, en de longs apartés, la formation des disciples.

Le chapitre 11 s’était achevé sur une âpre discussion entre Jésus et les Pharisiens qui «se mi-rent à lui en vouloir terriblement» (11,53). Cette situation conflictuelle provoque, au chapitre 12, dans la première partie du discours, une double mise en garde de Jésus à l’adresse de ses disciples : contre l’hypocrisie (12,1-3) et contre la persécution qui ne saurait tarder à éclater (12,4-12) ; mise en garde exprimée par deux injonctions apparemment contradictoires : «méfiez-vous» (12,1), «ne craignez pas» (12,6). S’il faut se «méfier» de l’hypocrisie, c’est que, facile à dénoncer dans l’attitude des Pharisiens, elle peut aussi, telle «le levain» (12,1), se cacher dans toute communauté – y compris celle que forment les disciples – et impose donc de s’obliger à un comportement transparent (12,2-3). S’il convient en revan-che de «ne pas craindre», c’est que, dans la persécution, le disciple devenu «ami» (12,4) peut s’appuyer sur la fidélité de Dieu. Ainsi est amorcé le thème de l’inquiétude et de la confiance qui court, sous des formes différentes, à travers tout le discours.

La perspective de la persécution (12,4-7) implique d’abord de reconnaître les vraies valeurs : d’un côté, la souffrance passagère et la mort physique infligée par les hommes ; de l’autre, la possibilité d’une souffrance éternelle, à redouter bien davantage, mais surtout l’affirmation de la bonté et de la puissance de vie de Dieu. La perspective de la persécution fait ressortir ensuite clairement le caractère décisif de la foi en Jésus (12,8-9). Mais elle se trouve comme adoucie par la promesse de l’action de l’Esprit Saint (12,10-12) : autant le refuser consciemment coupe définitivement de Dieu, autant il vient en aide aux croyants dans l’épreuve, fussent-ils faibles ou hésitants.

Le thème de l’inquiétude est mis, dans la deuxième partie du discours, en relation non plus avec la persécution, mais avec l’argent (12,13-34). La corrélation est forte puisqu’il s’agit toujours d’opposer la vie matérielle, importante mais seconde, et la vie véritable, et, pour Jésus, d’appeler à une attitude de confiance filiale plus vive que toute crainte. Ses exhortations s’adressent d’abord à la foule (12,13-21) et s’appuient sur une parabole pour définir le bon usage des biens ; puis aux disciples (12,22-32) invités, eux, à s’abandonner totalement à la Providence. Tandis que la conclusion commune (12,33-34) ouvre sur une interrogation : où chacun place-t-il l’essentiel dans sa vie ?

La troisième partie du discours aborde, toujours à l’intention des disciples, le thème de la vigi-lance (12,35-48), à l’aide de plusieurs petites paraboles : les serviteurs sont invités à veiller dans l’attente du retour de leur maître (12,35-38) – c’est la situation que connaissent les disciples après l’Ascen-sion – ; tandis que, corrélativement, la parabole du maître de maison qui ne sait pas quand le voleur va venir (12,39-40) rappelle qu’il faut se tenir prêt pour l’heure du jugement. Une troisième parabole (12,41-43), en réponse à une question de Pierre, concerne particulièrement ceux qui ont une responsa-bilité pastorale, à qui sont demandées fidélité et générosité dans l’exercice de leurs fonctions. Le terme «heureux» scande ces quelques versets (12,37.38.43), rappelant, sous forme de béatitudes, à quelle vie de communion avec Dieu sont conviés ses serviteurs.

Le thème de la persécution ressurgit alors (12,49-53), appelé par cette perspective eschatologi-que – car il faut que Jésus mène à son terme sa mission en traversant sa Passion (12,49-50). Suivre ce maître, si éloigné de la figure du Messie attendu, ne peut qu’occasionner pour les disciples oppositions et divisions (12,51-53). La «contradiction» prophétisée par Syméon dans le Temple (2,34) annonce pour les disciples des temps difficiles où les communautés connaîtront hostilité et conflits.

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La dernière partie du discours s’adresse de nouveau à la foule (12,54-59) qu’on a vu, pour le moment, rester engluée dans des questions matérielles, bien loin de saisir le véritable enjeu de la prédication de Jésus. Aussi fait-elle l’objet d’une sévère exhortation, l’incitant à exercer un véritable discernement pour reconnaître qu’avec la venue de Jésus, la fin des temps est déjà arrivée (12,54-56) ; une parabole – la structure du passage est donc exactement la même qu’en 12,13-21 – invite alors à en tirer les conséquences en se réconciliant au plus vite avec ses adversaires, devenus des frères, et en convertissant sa conduite.

Au début du chapitre 13, l’intervention de nouveaux venus, racontant un massacre commis par Hérode, n’interrompt pas le discours de Jésus, mais relance ce thème de l’urgence de la conversion, trai-té à l’aide d’une exhortation (13,2-5) suivie d’une parabole (13,6-9) – cette structure apparaissant donc pour la troisième fois et étant utilisée de façon systématique dans les parties du discours destinées à la foule. L’exhortation s’appuie sur un double exemple de mal, le premier commis par la méchanceté d’un homme (le massacre de Galiléens), le second subi à cause de déterminismes naturels (la chute de la tour de Siloé). Jésus ne cherche pas, à partir de ces deux exemples, à développer une théorie explicative du mal, mais il les utilise en premier lieu pour dénoncer le lien, fréquemment posé par ses contempo-rains, entre péché et malheur – les victimes «n’étaient pas plus coupables» que les autres (13,2.4) – ; et pour affirmer, en second lieu, la nécessité d’un changement de vie – puisque ceux qui ne sont pas at-teints par le malheur n’en sont pas innocents pour autant (13,3.5). La parabole du figuier (13,6-9) vient adoucir cette sévérité en rappelant la patience infinie de Dieu qui diffère le jugement et attend que nous portions du fruit. C’est là une autre figuration, temporelle et non plus spatiale, du «chemin» qui restait aux plaideurs pour se réconcilier (12,58).

Ce grand discours achevé, la suite du chapitre 13 paraît plus chaotique : elle alterne un récit de guérison (13,10-17) et deux petites paraboles (13,18-21).

Le début du récit de guérison semble replacer soudain dans le cadre du début du ministère en Galilée : là aussi Jésus enseignait dans les synagogues (4,15 et 13,10), et parfois le jour du sabbat (4,31 ; 6,6 et 13,10) ; là aussi il guérissait des malades (cf. en particulier le parallèle entre 6,6-11 et 13,10-17). Il ne s’agit cependant pas d’un retour en arrière : on reste dans le climat de la montée vers Jérusalem, avec l’opposition des autorités religieuses et l’accusation d’«hypocrisie» lancée par Jésus (13,15) ; avec surtout l’idée que «le Seigneur» (13,15) vient «délier» (13,16) l’humanité, symbolisée par cette femme courbée, aliénée par le mal ; avec enfin la colère déplacée du «chef de la synagogue» qui fait partie de ceux, «hypocrites» encore, qui ont été fustigés pour ne savoir discerner les signes des temps (12,56).

De même le thème des deux petites paraboles (13,18-21), deux fois précisé en introduction (13,18.20), est celui du Royaume de Dieu, qui courait déjà au fil du discours du chapitre 12. Deux com-paraisons assez démesurées, puisque la petite graine devient un grand arbre (13,19) et que la femme pétrit une énorme quantité de farine (13,21), évoquant ainsi la vocation du Royaume à rassembler tous les hommes et, plus concrètement, l’expansion rapide de l’Évangile décrite dans les Actes.

Le verset 22 reprenant le thème du cheminement (comme en 9,51) ouvre une nouvelle étape dans la marche vers Jérusalem, que nous lirons le mois prochain.

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Méditer - Sur l’argent et l’abandon à la Providence (Luc 12,13-34)

Ce passage est celui que nous vous proposons de creuser plus particulièrement pour cette étape de l’atelier biblique. Les expressions en italique et en couleur sont commentées sous le texte.

Une question anonyme sur un héritage fournit à Jésus l’occasion d’un double enseignement : il interroge la foule, à l’aide d’une parabole, sur la valeur et l’usage de l’argent ; et à ses disci-ples, il dévoile la cause profonde de l’attachement aux biens : l’inquiétude, qui provient d’un manque de confiance dans le Dieu Père.

12 [13] Quelqu’un de la foule lui dit : «Maître, dis à mon frère de partager avec moi notre héritage.» [14] Il lui dit : «Homme, qui m’a établi pour être vo-tre juge ou régler vos partages ?» [15] Puis il leur dit : «Attention ! gardez-vous de toute cupidité, car, au sein même de l’abondance, la vie d’un homme n’est pas assurée par ses biens.»

[16] Il leur dit alors une parabole : «Il y avait un homme riche dont les terres avaient beaucoup rapporté. [17] Et il se demandait en lui-même : ‘Que vais-je faire ? Car je n’ai pas où recueillir ma récolte.’ [18] Puis il se dit : ‘Voici ce que je vais faire : j’abattrai mes greniers, j’en construirai de plus grands, j’y recueillerai tout mon blé et mes biens, [19] et je dirai à mon âme : Mon âme, tu as quantité de biens en réserve pour de nombreuses années ; repose-toi, mange, bois, fais la fête.’ [20] Mais Dieu lui dit : ‘Insensé, cette nuit même, on va te redemander ton âme. Et ce que tu as amassé, qui l’aura ?’ (21) Ainsi en est-il de celui qui thésaurise pour lui-même, au lieu de s’enrichir en vue de Dieu.»

[22] Puis il dit à ses disciples : «Voilà pourquoi je vous dis : Ne vous inquié-tez pas pour votre vie de ce que vous mangerez, ni pour votre corps de quoi vous le vêtirez. [23] Car la vie est plus que la nourriture, et le corps plus que le vêtement. [24] Considérez les corbeaux : ils ne sèment ni ne moissonnent, ils n’ont ni cellier ni grenier, et Dieu les nourrit. Combien plus valez-vous que les oiseaux ! [25] Qui d’entre vous d’ailleurs peut, en s’en inquiétant, ajouter une coudée à la longueur de sa vie ? [26] Si donc la plus petite chose même passe votre pouvoir, pourquoi vous inquiéter des autres ? [27] Considérez les lys, comme ils ne filent ni ne tissent. Or, je vous le dis, Salomon lui-même, dans toute sa gloire, n’a pas été vêtu comme l’un d’eux. [28] Que si, dans les champs, Dieu habille de la sorte l’herbe qui est aujourd’hui, et demain sera jetée au four, combien plus le fera-t-il pour vous, gens de peu de foi ! [29] Vous non plus, ne cherchez pas ce que vous mangerez et ce que vous boirez ; ne vous tourmentez pas. [30] Car ce sont là toutes choses dont les païens de ce monde sont en quête ; mais votre Père sait que vous en avez besoin. [31] Aussi bien, cherchez son Royaume, et cela vous sera donné par surcroît.

[32] «Sois sans crainte, petit troupeau, car votre Père s’est complu à vous donner le Royaume.

[33] «Vendez vos biens, et donnez-les en aumône. Faites-vous des bour-ses qui ne s’usent pas, un trésor inépuisable dans les cieux, où ni voleur n’ap-proche ni mite ne détruit. [34] Car où est votre trésor, là aussi sera votre cœur.

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«Quelqu’un de la foule» : la foule est assemblée «par milliers» (Luc 12,1) autour de Jésus, preuve qu’elle ne partage pas l’animosité des Pharisiens et veut profiter de la présence de ce jeune rabbi si talen-tueux pour poser ses questions ou plutôt régler ses comptes.

«Maître» : l’appellation est respectueuse, mais assez courante. On tient Jésus pour un homme sage et connaissant la Loi qui, comme le font les docteurs, peut donc aider à régler les litiges en interprétant les prescriptions de la loi de Moïse.

«qui m’a établi pour être votre juge ?» : la réponse est une fin de non-recevoir qui ne manque pas d’ironie. Jésus n’est pas venu pour être juge des affaires de ce monde, mais il a été envoyé pour «annoncer la Bonne Nouvelle du Royaume de Dieu» (4,43). Ce qui ne signifie évidement pas qu’il cau-tionne les injustices du monde présent ! Il a ce-pendant été «établi juge» par le Père pour exercer le jugement «au Jour du Fils de l’homme» (Luc 17,36s ; 21,34-36). Bien que Luc, contrairement à Matthieu 25,31-40, n’utilise guère cette métapho-re dans son évangile, l’affirmation est en revanche claire dans les Actes : «Il est, lui, le juge établi par Dieu pour les vivants et les morts» (10,42).

«gardez-vous de toute cupidité» : refusant de se si-tuer sur le plan de la justice humaine, Jésus qui est venu appeler à la conversion, cherche plutôt à éclairer la véritable origine du différend entre les frères. La «cupidité», c’est la pleonexia, l’âpreté au gain, le désir de posséder au-delà du nécessaire, dont Jésus va par la suite dévoiler à ses disciples les racines. En cela son enseignement s’inscrit bien dans le prolongement de la loi mosaïque qui inter-dit toute «convoitise» (Exode 20,17).

«la vie d’un homme n’est pas assurée par ses biens» : la sévère mise en garde contre le désir d’avoir s’appuie sur une sentence de sagesse, formulée à la manière de celles de l’Ancien Testament. Si souvent, dans les livres de sagesse, la richesse est associée à la bénédiction divine et assure donc une certaine sécurité (cf. Proverbes 10,15 : «La fortune du riche, voilà sa place forte»), on y trouve aussi déjà l’idée que rien ne tient devant la mort (cf. Ecclésiaste ou Qohélet 3,9-22 ou 6,12 : «Et qui sait ce qui convient à l’homme pendant sa vie, tout au long des jours de sa vie de vanité, qu’il passe comme une ombre ?» ; ou le psaume 49 : «L’homme dans son luxe ne comprend pas, il ressemble au bétail qu’on

abat… Ne crains pas quand l’homme s’enrichit, à sa mort il n’en peut rien emporter.»)

«une parabole» : la parabole vient illustrer la parole du Seigneur ; mais elle se présente aussi comme une reprise de la situation initiale : «un homme» qui s’interroge à cause de richesses, et, en grossissant le trait, elle rend plus pressante la mise en garde.

«Que vais-je faire ?» : le discours que l’homme se tient à lui-même impressionne par le nombre de «je» qu’il contient. Ce repli sur soi entraîne une double faute : il ne songe pas à bénir Dieu pour cette récolte abondante et n’envisage, en un cer-tain sens, que l’embarras immédiat qu’elle lui pro-cure ; il ne songe pas non plus que le partage de cette richesse nouvelle pourrait aussi résoudre son problème de place !

«Voici ce que je vais faire» : centré sur son pro-jet égoïste, formulé au futur, l’homme raisonne comme si le temps aussi lui appartenait. Malgré les avertissements des livres de sagesse : «Ne te féli-cite pas du lendemain, car tu ignores ce qu’aujourd’hui enfantera», rappelle par exemple Proverbes 17,1. Cf. aussi Ecclésiastique (ou Siracide) 11,18-19.

«Mon âme» : le mot grec est psychè (qui a donné en français : psychisme) – ce qui définit l’être vivant et personnel. On peut remarquer que l’avarice, ou plutôt l’avidité, de l’homme lui fait différer même le plaisir. Il ne connaît que la peine d’amasser sans jouir de son fruit.

«Insensé» : ce terme est composé en grec à partir du verbe qui signifie : penser. Ce qui est déploré n’est pas l’absence de réflexion – au contraire l’homme a trop calculé, supputé –, mais le fait d’échafauder des raisonnements faussés (cf. le même emploi en 1 Co 15,36, à propos de la résurrection).

«On va te redemander ton âme» : le verbe est en grec à la voie passive, ce qui est, dans la Bible, la façon habituelle d’évoquer l’action de Dieu, en évitant de le nommer (afin d’obéir au précepte d’Exode 20,7). Dieu est maître de la vie qu’il a donné et qu’il peut reprendre. Cf. Ps 104,29-30 : «Tu retires ton souffle, ils expirent, à la poussière ils retournent. Tu envoies ton souffle, ils sont créés, tu re-nouvelles la face de la terre.»

«thésauriser pour lui-même» : la parabole ne débou-che pas seulement sur une nouvelle maxime de

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sagesse. Sinon elle n’irait guère plus loin que le pessimisme (ou réalisme) de Qohélet : «Je déteste le travail pour lequel j’ai pris de la peine sous le soleil et que je laisse à mon successeur : qui sait s’il sera sage ou fou ?» (2,18-19). Jésus, lui, oppose deux sortes de richesses différentes dans leur nature, mais surtout dans leur finalité («pour soi-même» / «en vue de Dieu») ; la leçon sera explicitée dans le conclusion du passage, au verset 33.

«à ses disciples» : à la foule vient d’être donnée une leçon sur le bon usage des biens. Devant ses seuls disciples, Jésus approfondit davantage sa réflexion sur la véritable raison de l’attachement à l’argent. Sans doute le fait-il dans un souci pédagogique, car, comme il l’a dit plus haut : «À vous il est donné de connaître les mystères du Royaume ; mais pour les autres, c’est en paraboles» (8,10). Mais aussi parce que cet approfondissement de la révélation entraî-ne un surcroît d’exigence : à la foule il était seule-ment demandé de partager les richesse ; aux disci-ples il est conseillé de s’en remettre totalement à la Providence, c’est-à-dire concrètement de renoncer aux richesses (comparer avec Luc 18,18-23).

«Ne vous inquiétez pas» : voilà débusquée la racine de l’attachement aux biens : les accumuler est une manière, illusoire plus que réelle, de se prémunir contre l’angoisse du lendemain. On peut remarquer que c’est plus cette «inquiétude» qui est blâmée par Jésus que le simple usage de la richesse ; de même, par exemple, que dans le reproche fait à Marthe, ce qui est pointé est non son activité – nécessaire aux devoirs de l’hospitalité –, mais son «agitation» (10,41). L’inquiétude, comme l’agitation, fait fuir la paix intérieure et gêne la relation à Dieu.

«la vie» : la traduction peut tromper. Il ne s’agit pas ici de la vie au sens physique, matériel (comme c’était le cas au verset 15 où est utilisé le mot grec zoè) ; mais de la vie psychique, personnelle (c’est le mot psychè qui est employé, comme au verset 19 où il est traduit par «âme»). La pensée biblique n’est cependant pas dualiste et n’oppose pas radicalement corps et âme. L’idée est ici que Dieu nous a fait le plus grand des dons en nous donnant la vie, c’est-à-dire en nous créant avec un corps animé d’un esprit ; a fortiori il est donc capable de donner aussi ce qui est moins essentiel, et désireux de le faire.

«les corbeaux» : cet exemple, pris dans la nature (cf. aussi les lys, au verset 28), attire l’attention

sur la bonté du Dieu créateur qui a fait tous les êtres vivants en leur donnant aussi leur nourri-ture (cf. Genèse 1,29-30 : «Je vous donne toutes les herbes portant semence qui sont sur toute la surface de la terre, et tous les arbres qui ont des fruits portant semence : ce sera votre nourriture.»). On peut y voir aussi un rappel ironique de la parabole qui vient d’être proposée : les oiseaux, eux, «n’ont ni cellier ni grenier», contrairement à l’homme embarrassé par l’abondance de ses récoltes !

«pourquoi vous inquiéter» : l’inquiétude est encore dénoncée à deux reprises (versets 25 et 26) : non seulement elle détruit en nous la confiance, mais elle est aussi tout à fait inefficace et ne change rien à la réalité. Il ne faudrait pas entendre cela comme un éloge de la passivité ou de l’irrespon-sabilité ! Le travail est bien sûr requis pour les choses de ce monde. Mais sans perdre de vue que tout est don de Dieu : notre vie, nos talents et nos qualités, et donc en conséquence les biens même que nous produisons.

«Salomon» : ce fils et successeur de David, qui porte en son nom la paix (shalom) reste, dans la mémoire d’Israël, la figure même du grand roi ri-che et sage, témoin de la période la plus glorieuse du royaume (avant sa division entre les royaumes d’Israël et de Juda, qui se produira sous le règne de son fils Roboam). Il reçut de Dieu la sagesse (cf. 1 Rois 3,5-15) et une richesse telle que la reine de Saba en eut «le souffle coupé» (1 Rois 10,5).

«l’herbe» : on ne peut trouver, pour ce second exemple, d’opposition plus forte qu’entre Salo-mon, le roi glorieux, et les lys, qui deviennent ici

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simplement de «l’herbe». «Le roi Salomon surpassa en richesse et en sagesse tous les rois de la terre» (1 Rois 10,23) ; tandis que «l’herbe des champs» est prise, dans le psaume 90,4, pour symbole de ce qui est fragile, éphémère et finalement sans va-leur : «Le matin, elle pousse, elle fleurit ; le soir, elle sèche et se flétrit». La comparaison, par son aspect outrancier, insiste sur la sollicitude que Dieu ma-nifeste pour toutes ses créatures, y compris les plus faibles et les plus insignifiantes, a fortiori pour l’homme créé à son image.

«gens de peu de foi» : voilà donc les disciples – et à travers eux tous les hommes – traités d’oligopistoi, de «mini-croyants» ! Le même reproche se retrou-ve, en Matthieu 8,26, dans l’épisode de la tempête apaisée, où c’est aussi la confiance des disciples qui est en cause. Car l’inquiétude trahit au finale le manque de confiance en Dieu, le doute quant à sa bonté ou sa toute-puissance. L’éducation à la confiance était déjà l’un des enjeux de la marche au désert de l’exode où le peuple a pris conscience de sa propre fragilité et de la sollicitude paternelle de Dieu (cf. par exemple Deutéronome 8,2-5). Après l’installation en Terre Promise, l’instaura-tion de l’année sabbatique – où l’on laisse la terre se reposer la septième année (Lévitique 25,2-7) – demeure comme un rappel de ce temps où l’on attendait tout de Dieu, et montre bien comment sont liés les thèmes du partage des richesse et de la foi en la Providence. Elle suppose un acte de foi renouvelé régulièrement : «Pour le cas où vous diriez : ‘Que mangerons-nous en cette septième année si nous n’ensemençons pas et ne récoltons pas nos produits’, j’ai prescrit à ma bénédiction de vous être acquise la sixième année en sorte qu’elle assure des produits pour trois ans» (Lévitique 25 20-21).

«votre Père sait» : telle est la conséquence des exem-ples précédents. La foi en un Dieu Père implique qu’il connaît nos besoins et y pourvoit. Encore une fois, ce n’est pas un appel à l’irresponsabilité, mais à la remise de sa vie au Père qui nous aime.

«cherchez son Royaume» : la formule est à mettre en relation avec la prière que Jésus a apprise à ses disciples : ce sont ceux qui disent à Dieu : «Père» et qui travaillent d’abord à la venue de son Règne qui peuvent aussi en vérité demander «le pain quo-tidien» (cf. Luc 11,2-3). Ou, dit autrement, si l’on donne tout à Dieu – et l’on est bien ici dans le ca-dre d’un discours qui ne s’adresse qu’aux disciples et non à la foule –, il nous donne ce qui est essen-

tiel à notre vie (cf. 11,13 : «Si vous qui êtes mauvais, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus le Père du ciel donnera-t-il l’Esprit Saint à ceux qui l’en prient !»)

«petit troupeau» : l’interpellation familière et ten-dre montre que Jésus ne mésestime pas la faibles-se des disciples ni leurs besoins, et qu’il s’engage implicitement à demeurer leur berger, encore que ce thème ne soit guère exploité chez Luc (sauf dans la parabole de 15,4-7).

«vous donner le Royaume» : alors que Jésus vient d’exhorter à «chercher le Royaume» – condition pour que le reste soit donné –, qu’il vient donc d’insister sur la quête, le travail spirituel que l’homme doit fournir, voilà que le Royaume est présenté aussi comme un don gracieux du Père : il lui suffit, dans sa bonté, que l’homme se mette en route, et lui fait tout le reste du chemin (cf. le père de l’enfant prodigue en 15,20). C’est en même temps la ferme promesse faite aux disciples qu’ils auront part aux biens éternels.

«Vendez vos biens» : la conclusion, à l’image du dis-cours, est double. Les disciples sont invités à un renoncement radical aux biens, comme l’est aussi «le notable» en 18,23 : «Tout ce que tu as, vends-le et distribue-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans les cieux ; puis viens, suis-moi». La première communau-té de Jérusalem, décrite par les Actes des Apôtres, mettra en pratique ce que la tradition appelle un «conseil évangélique» et pratiquera la mise en com-mun de tous les biens (cf. Ac 2,44-45 ; 4,34-37).

«un trésor inépuisable» : la sentence un peu énigmati-que du verset 21 trouve ici sa pleine explication, en même temps que sont fermement liés les deux thè-mes du passage : celui de l’argent – qui implique le partage des richesses – et celui du Royaume – qui est la seule vraie richesse à rechercher. La parabole de l’intendant infidèle aboutit à la même leçon : «Fai-tes-vous des amis avec le malhonnête argent, afin qu’au jour où il viendra à manquer, ceux-ci vous accueillent dans les tentes éternelles» (16,9). Cette seconde par-tie de la conclusion est donc davantage destinée à la foule à qui est conseillée une redistribution des biens prenant la forme de l’aumône.

«votre trésor» : la conclusion reste cependant ouver-te. Elle invite chacun à s’interroger : quelle est pour lui la valeur première ? où et en vue de quoi est-il prêt à donner son cœur ?

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Où est ton trésor, là est ton cœur ◗

Il y a une richesse qui sème la mort partout où elle domine : libérez-vous en et vous êtes sauvé ! Pu-rifiez votre âme, rendez-la pauvre pour pouvoir entendre l’appel du Sauveur : «Viens et suis-moi !» Il est la Voie où marche celui qui a le cœur pur : la grâce de Dieu ne se glisse pas dans une âme encombrée et déchirée par une multitude de désirs.

Celui qui considère sa fortune, son or et son argent, ses maisons comme des dons de Dieu, celui-là témoigne à Dieu sa reconnaissance en venant en aide aux pauvres de ses propres fonds ; il sait qu’il possède ses biens plus pour ses frères que pour lui-même ; bien loin de devenir l’esclave de ses richesses, il reste plus fort qu’elles ; il ne les enferme pas en son âme, pas plus qu’il n’enserre sa vie en elles, mais il poursuit sans se lasser une œuvre toute divine. Et si un jour sa fortune vient à disparaître, il accepte sa ruine d’un cœur généreux. Cet homme-là, Dieu le déclare bienheureux, il l’appelle «pauvre en esprit», héritier assuré du Royaume des cieux.

Il y a, à l’opposé, celui qui blottit sa richesse en son cœur, au lieu du Saint Esprit ; celui-là garde en lui son or ou ses terres, il arrondit sans fin sa fortune et ne s’inquiète que d’amasser toujours davan-tage ; il ne lève jamais les yeux vers le ciel ; il s’embarrasse dans le temporel, car il n’est que terre et il retournera à la terre. Comment peut-il éprouver le désir du Royaume celui qui, au lieu du cœur, porte un champ ou une mine, lui que la mort surprendra fatalement au milieu de ses passions ? «Où est ton trésor, là aussi sera ton cœur.»

Clément d’Alexandrie, au IIIe siècleHomélie «Quel riche peut être sauvé ?»

Prier

Seigneur Jésus, comme tu instruisais tes disciples sur la route de Jérusalem, tu continues aujourd’hui à nous instruire sur le chemin de notre vie. Donne-nous d’être attentifs à ta Parole et de rester vigilants dans l’attente et la prière, comme les serviteurs que tu veux combler de ton amour. Sois notre force et notre paix dans les difficultés et les contradictions ; mets sur nos lèvres, dans la

grâce de l’Esprit, un langage de vérité et de charité pour dire au monde l’espérance du salut et la joie de vivre en ta présence au long des jours. Ne permets pas que les soucis matériels alourdissent notre vie et entravent notre marche vers le bonheur d’éternité que tu promets. Et sois béni, Père, pour ta ten-dresse et ta sollicitude qui viennent au secours de notre faiblesse, toi qui as tout créé dans l’harmonie et ne cesse de renouveler la face de la terre. Amen.

Contempler

Catacombes de Saint-Sébastien, RomeLe nom de «catacombes» évoque aujourd’hui indistinctement l’ensemble des cimetières chrétiens souter-

rains antiques établis dans la proche banlieue de Rome. Originellement, c’était le nom propre de l’un d’entre eux, situé au lieu dit ad catacumbas, littéralement «près de la combe ou dépression de terrain», sur la voie appienne, à deux kilomètres de l’enceinte qui protégeait alors la ville de Rome ; aujourd’hui, c’est le cimetière de Saint-Sébastien. Leur origine remonte à la moitié du IIe siècle. On cessa de pratiquer les sépultures en profondeur dans la première moitié du Ve siècle. Jusqu’au VIIIe siècle, les catacombes étaient un pèlerinage très fréquenté, avec des églises construites au-dessus, des abris pour les pèlerins aux alentours et aussi des aménagements intérieurs. Éclairées par des lucernaires, les cryptes furent reliées à la surface par des escaliers. Les pillages des Lombards vidèrent les faubourgs de la ville. Les papes n’eurent plus la possibilité matérielle d’entretenir les édifices. À l’exemple de l’Orient, ils transportèrent les corps des martyrs dans les églises de Rome. Ce fut la décadence des catacombes. Les églises qui les recouvraient tombèrent en ruine, et les entrées conduisant aux souterrains disparurent sous les éboulements. On en viendra jusqu’à ignorer leur existence. Seul Saint-Sébastien

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demeura ouvert et donna son nom propre comme nom générique à tout ce qui fut redécouvert par la suite et qui devint nos catacombes.

Les catacombes de Saint-Sébastien se trouvent sur la même via Appia Antica, au n°134. Leur nom est devenu le nom générique des catacombes. Les anciens documents l’appelaient «Mémoires des apôtres Pierre et Paul» : leur culte a laissé des traces indubitables remontant à la seconde moitié du IIIe siècle, ce qui explique la présence successive de tant d’importants monuments, mis au jour par les fouilles entreprises depuis 1915. Un graffiti gravé sur la chaux fraîche dans la chambre inférieure est composé avec les lettres grecques du mot Ichtus, qui signifie poisson, mais forme en même temps l’acrostiche bien connu : Iesous Christos Theou Uios Soter, c’est-à-dire «Jésus Christ Fils de Dieu Sauveur». Une croix en forme de T, symbole de la Rédemption, est intercalée entre les deux premières lettres. Ce document chrétien est d’une exceptionnelle importance, car l’on trouve justement un poisson gravé sur plusieurs tombes modestes de l’arénaire voisin qui remonte au IIe siècle.

Vers la moitié du IIIe siècle, la nécropole fut enterrée et un portique fut édifié au-dessus, donnant sur une vaste cour pavée. Le mur du portique est couvert de graffitis en l’honneur des apôtres Pierre et Paul. De nom-breux sarcophages conservés au musée portent leur effigie. Une grandiose basilique entourée d’une couronne de mausolées fut construite en leur honneur au temps de Constantin, au-dessus du lieu où se tenaient les triclia, les banquets funéraires. La catacombe s’est développée au IVe siècle autour de la crypte du martyr Sébastien, victime de la persécution de Dioclétien.

Le Christ Sauveur - Voûte de la tombe de Claudius Hermès (125-140)L’image que nous vous proposons de

contempler pour cette sixième étape de notre compagnonnage avec l’évangile selon saint Luc couvre la voûte de la tombe de Claudius Her-mès située dans les catacombes de Saint-Sébas-tien. Il s’agit du «Christ Sauveur» mais ce Christ présente deux particularités qui nous permettent de prolonger notre lecture des chapitres 12 et 13 de l’évangile : il enseigne et il est totalement disproportionné par rapport à son auditoire (les disciples ou, plus largement, tout homme disposé à écouter sa parole).

Le Christ Sauveur n’est pas seulement celui qui meurt et ressuscite : il est aussi celui qui sauve en parlant à l’homme, en se révélant à lui comme

celui qui dépasse toute connaissance et pourtant se fait proche. Sa taille, immense, dit sa divinité autant que la grandeur de son mystère devant lequel l’homme ne peut que se reconnaître faible et ignorant. Et pourtant, ce Dieu nous parle et, plus encore, nous attire à lui pour nous faire entrer en pleine commu-nion d’amour et d’intelligence avec lui. Elle nous dit aussi sa puissance : notre Dieu est celui qui protège, jusque dans la persécution que devaient souffrir les chrétiens des premiers siècles à qui s’adressait avant nous l’évangile. Nous pouvons donc avoir toute confiance...

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Lire - Luc 13,22-17,10

Poursuivant la montée vers Jérusalem, nous nous trouvons ce mois-ci, devant une longue étape. Une question court tout du long : va-t-on accepter ou refuser le Royaume qu’apporte Jésus ?

L’expression («faire route vers Jérusalem») montrant que s’amorce une nouvelle partie du voyage à peine formulée (13,22), l’interrogation sous-jacente à tous les éléments de ce passage, à première vue un peu disparate, est posée : qui peut être sauvé ? (13,23) En même temps que l’orientation des réponses que va apporter Jésus est indiquée : il ne se laissera pas entraîner dans des discussions d’école, mais il renverra chacun à l’usage de sa liberté : et toi, que fais-tu pour être sauvé ? Ou plutôt : es-tu disposé à te laisser sauver ? Paraboles et récits vont alterner pour présenter tous les aspects de cette problématique.

La fin du chapitre 13 propose de fait une parabole et un récit : la première (13,24-30) met en scène le rejet de ceux qui se croient dépositaires du salut – «vous», accuse Jésus (13,25) – et, par contraste, l’appel des païens. C’est bien la connaissance de Jésus (cf. 13,25.27), c’est-à-dire le fait d’ac-cepter de s’engager dans une relation personnelle avec lui et donc de vivre de son message, qui se révèle être le critère de participation au banquet du Royaume.

La démarche de quelques Pharisiens bienveillants prévenant Jésus du danger que représente pour lui Hérode, vient aider à préciser ce critère christologique (13,31-35) : Jésus est bien en route vers sa mort, et cette mort adviendra dans et par Jérusalem. Si le sacrifice du Christ participe à la réalisation du plan de Dieu (cf. les expressions : «je dois… il convient…» en 13,33), l’oracle prophétique sur Jérusalem déplore qu’elle n’ait pas compris ou pas voulu entrer dans ce plan divin (cf. 13,34 : «…et vous n’avez pas voulu !»).

La 1e partie du chapitre 14 (14,1-24) – qui est plus particulièrement méditée en cet atelier – tisse, à l’occasion de l’invitation d’un Pharisien, un miracle (14,2-6) et trois paraboles (14,7-11 ; 12-14 ; 15-24) qui, développant la symbolique du repas, montrent, d’une part, que c’est Dieu qui invite au ban-quet eschatologique – c’est lui qui sauve – et d’autre part, qu’il faut, par sa conduite, comme le montrent les leçons sur le choix des places ou celui des invités, se mettre dans les dispositions nécessaires pour savoir, le jour venu, répondre à son invitation.

Alors que le voyage reprend après cette pause chez le Pharisien, la deuxième partie du chapitre (14,25-35) peut alors présenter une sorte de portrait du disciple qui a accepté l’invitation, mais doit en conséquence se soumettre à ses exigences. Deux paroles (14,26-27) précisent les conditions pour suivre Jésus : renoncer à tout et accepter de porter sa croix. Elle sont illustrées par deux paraboles (14,28-33) dont les images fortes (une tour à construire, une guerre à mener) indiquent le sérieux et l’engagement requis du disciple, que la dernière parabole (14,34) compare à du sel : ce qui évoque la vigueur puisqu’il relève, la fidélité puisqu’il conserve, et même, dans la tradition cultuelle juive, les sacrifices au Seigneur : «Tu saleras toute oblation que tu offriras et tu ne manqueras pas de mettre sur ton oblation le sel de l’alliance de ton Dieu ; à toute offrande tu joindras une offrande de sel à ton Dieu» (Lévitique 2,13).

Le chapitre 15, qui met en scène à nouveau Pharisiens et scribes, est peut-être le plus caracté-ristique de Luc, si attentif à souligner la compassion de Dieu ; le plus connu en tout cas, puisqu’il rassem-ble ce qu’il est convenu d’appeler les trois «paraboles de la miséricorde» : la brebis perdue et retrouvée (15,3-7), la drachme égarée et retrouvée (15,8-10) et le fils, lui aussi perdu et retrouvé – encore que cette longue parabole, considérée dans son ensemble (15,11-32), mette plutôt au centre l’attitude du père et décrive non seulement la prodigalité du fils cadet, mais aussi la dureté du fils aîné. L’allusion là encore est transparente, aux façons différentes d’accueillir la miséricorde universelle de Dieu qu’ont les pécheurs – qui se laissent toucher – et ceux qui se croient dans leur bon droit et qui demeurent fermés. Peu importe finalement ce qu’a fait le pécheur : la brebis s’est égarée toute seule, mais la drachme a été perdue… Ce qui est mis au premier plan est la recherche inlassable, obstinée, coûteuse du berger et de la femme, ainsi que l’attente anxieuse et pleine d’amour du père, ainsi que la joie (15,7.10), la fête (15,24) que provoque le retour du pécheur, présenté comme un retour à la vie (15,24.32).

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Le chapitre 16 paraît revenir sur une problématique déjà abordée au chapitre 12 : celle du rap-port à l’argent et aux biens matériels ; mais l’accent est mis ici davantage, comme le veut la dynamique de tout ce passage, sur la perspective eschatologique.

À l’attention des disciples tout d’abord (16,1-13), Jésus propose une parabole suivie de quelques paroles explicatives, tant celle-ci peut déconcerter. La parabole dite de l’intendant malhonnête (16,1-8) ne le présente certes pas comme un modèle dont la conduite serait à imiter. Mais, par analogie, elle invite les «fils de la lumière» (16,8, 1 Thessaloniciens 5,5) à faire preuve de la même habileté dans leur poursuite d’une tout autre fin : l’entrée dans le Royaume. Si le disciple doit être fidèle (16,10-11) et détaché de l’argent (16,13), il peut utiliser celui-ci comme un moyen, en particulier par le partage et l’aumône (16,9), dans la perspective du jour où les relations d’argent auront disparu pour être rempla-cées par les seuls liens de l’amour.

À l’attention des Pharisiens ensuite (16,14-31), sont dites, dans l’ordre inverse, d’abord des pa-roles puis une parabole si limpide qu’elle se passe d’explications. Face aux critiques de ceux qui sont présentés comme «amis de l’argent» (16,14), Jésus répond en dénonçant leur fausse justice (16,15), puis en mettant en question leur façon de considérer la Loi dont ils se pensent les dépositaires (16,16-18) : après Jean Baptiste en effet, c’est-à-dire avec Jésus, la position de chacun par rapport au Royaume se trouve radicalement transformée (16,16) ; il ne s’agit pas de négliger désormais les préceptes de la Loi (16,17), mais de les réinterpréter avec une exigence nouvelle (16,18). Cette ferme exhortation est sui-vie sans transition de la parabole du riche et du pauvre Lazare (16,19-31) qui conclut sur la question de l’usage des richesses : mauvais usage bien évidemment de la part de cet homme qui festoie sans même voir le pauvre qui meurt à sa porte. Leur mort, à l’un et l’autre, provoque le renversement déjà plusieurs fois évoqué (14,11.24) : Lazare reçoit le bonheur et le riche, la torture. Bien qu’il soit enfant d’Abraham, son éloignement est irrémédiable car il n’a pas écouté, non seulement Jésus, mais la Loi et les prophètes (16,29) qu’il disait vénérer et qui enseignaient eux aussi déjà la charité envers l’indigent – petit rappel de l’affirmation de la pérennité de la Loi, posée en 16,17. Le signe que demande l’ancien riche – la résurrection de Lazare – n’entraînerait pas non plus la conversion de ceux qui n’écoutent pas la Parole de Dieu. Ainsi l’enseignement de la parabole du début du chapitre, à l’attention des disciples, et de celle de la fin de ce même chapitre, à l’attention des contradicteurs, est finalement identique : le partage sur terre des biens est le meilleur garant du partage dans l’au-delà de la joie de Dieu.

Le début du chapitre 17 revient aux disciples pour traiter, non plus de l’argent, mais de la vie fraternelle (17,1-4) et de la foi (17,5-10). La communauté peut connaître «le scandale» (étymologique-ment : ce qui fait tomber sur le chemin), c’est-à-dire s’écarter radicalement du Christ (17,1-2). Pour éviter d’en arriver à cette extrémité, elle doit être fondée sur le pardon mutuel inlassablement redonné (17,3-4).

Ces vues paraissent si hautes qu’elles inquiètent «les apôtres» (c’est-à-dire les Douze, eux qui ont précisément la responsabilité de la communauté) qui demandent à Jésus de leur donner, pour y parvenir un surcroît de foi (17,5). La double réponse de Jésus, sous la forme d’une question énigmatique (17,6), puis d’une parabole (17,7-10), remet les choses en perspective face à la transcendance de Dieu. Il a fait à ceux qu’il a choisis le don de la foi, qui est suffisamment efficace pour qu’ils accomplissent leur mission, et ils demeurent des serviteurs qui ont simplement à s’acquitter de leur tâche avec conscience (17,10). L’étape s’achève – on retrouve en 17,12 le même refrain qu’en 9,51 et 13,22 – ; elle s’achève comme elle avait commencé sur la perspective du banquet du Royaume.

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Méditer - Le repas chez le pharisien (Luc 14,1-24)

Ce passage est celui que nous vous proposons de creuser plus particulièrement pour cette étape de l’atelier biblique. Les expressions en italique et en couleur sont commentées sous le texte.

L’invitation à un repas chez un pharisien (14,1-6) est l’occasion, à travers une guérison, puis deux remarques de Jésus aux invités et au maître de maison (14,7-15), et enfin une parabole (14,15-24), d’évoquer le banquet céleste auquel le Père convie tous les hommes.

14 [1] Et il advint, comme il était venu un sabbat chez l’un des chefs des Phari-siens pour prendre un repas, qu’eux étaient à l’observer. [2] Et voici qu’un hydropique se trouvait devant lui. [3] Prenant la parole, Jésus dit aux légistes et aux Pharisiens : «Est-il permis, le sabbat, de guérir, ou non ?» [4] Et eux se tinrent cois. Prenant alors le malade, il le guérit et le renvoya. [5] Puis il leur dit : «Lequel d’entre vous, si son fils ou son bœuf vient à tomber dans un puits, ne l’en tirera aussitôt, le jour du sabbat ?» [6] Et ils ne purent rien répondre à cela.

[7] Il disait ensuite une parabole à l’adresse des invités, remarquant comment ils choisissaient les premiers divans ; il leur disait : [8] «Lorsque quelqu’un t’invite à un repas de noces, ne va pas t’étendre sur le premier divan, de peur qu’un plus digne que toi n’ait été invité par ton hôte, [9] et que celui qui vous a invités, toi et lui, ne vienne te dire : ‘Cède-lui la place’. Et alors tu devrais, plein de confusion, aller occuper la dernière place. [10] Au contraire, lorsque tu es invité, va te met-tre à la dernière place, de façon qu’à son arrivée celui qui t’a invité te dise : ‘Mon ami, monte plus haut’. Alors il y aura pour toi de l’honneur devant tous les autres convives. [11] Car quiconque s’élève sera abaissé, et celui qui s’abaisse sera élevé.»

[12] Puis il disait à celui qui l’avait invité : «Lorsque tu donnes un déjeuner ou un dîner, ne convie ni tes amis, ni tes frères, ni tes parents, ni de riches voisins, de peur qu’eux aussi ne t’invitent à leur tour et qu’on ne te rende la pareille. [13] Mais lorsque tu donnes un festin, invite des pauvres, des estropiés, des boiteux, des aveugles ; [14] heureux seras-tu alors de ce qu’ils n’ont pas de quoi te le rendre ! Car cela te sera rendu lors de la résurrection des justes.»

[15] À ces mots, l’un des convives lui dit : «Heureux celui qui prendra son repas dans le Royaume de Dieu !» [16] Il lui dit : «Un homme faisait un grand dîner, auquel il invite beaucoup de monde. [17] À l’heure du dîner, il envoya son serviteur dire aux invités : ‘Venez ; maintenant tout est prêt’. [18] Et tous, comme de concert, se mirent à s’excuser. Le premier lui dit : ‘J’ai acheté un champ et il me faut aller le voir ; je t’en prie, tiens-moi pour excusé’. [19] Un autre dit : ‘J’ai acheté cinq paires de bœufs et je pars les essayer ; je t’en prie, tiens-moi pour excusé’. [20] Un autre dit : ‘Je viens de me ma-rier, et c’est pourquoi je ne puis venir’.

[21] «À son retour, le serviteur rapporta cela à son maître. Alors, pris de co-lère, le maître de maison dit à son serviteur : ‘Va-t-en vite par les places et les rues de la ville, et introduis ici les pauvres, les estropiés, les aveugles et les boiteux’. - [22] ‘Maître, dit le serviteur, tes ordres sont exécutés, et il y a encore de la place.’ [23] Et le maître dit au serviteur : ‘Va-t-en par les chemins et le long des clôtures, et fais entrer les gens de force, afin que ma maison se remplisse. [24] Car, je vous le dis, aucun de ces hommes qui avaient été invités ne goûtera de mon dîner’.»

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«un sabbat» : dans la tradition biblique la journée commence le soir (cf. Genèse 1,5 : «Il y eut un soir, il y eut un matin, premier jour»). La scène se passe donc, le vendredi soir, pendant le repas d’ouver-ture du sabbat, qui est l’occasion d’invitations et de discussions religieuses et théologiques.

«un chef des Pharisiens» : Luc a déjà mentionné des invitations faites à Jésus par des Pharisiens : Simon, chez qui s’invite une pécheresse de la ville (7,36s) ; un Pharisien qui s’étonne qu’il ne fasse pas ses ablutions (11,37-38). Il s’agit ici d’un «chef» – les Pharisiens étant organisés en confré-ries –, preuve que Jésus, bien que fréquentant les prostituées et les publicains, est considéré com-me digne d’être invité (en état de pureté rituel-le) ; preuve aussi qu’il éveille toujours la curiosité autant que le soupçon.

«l’observer» : Luc vient d’évoquer une démarche bienveillante de la part de Pharisiens qui conseillent à Jésus de se mettre à l’abri de la colère d’Hérode (13,31). Son propos n’est donc pas systématique-ment anti-pharisien. Mais le repas précédent s’est fort mal terminé par des «malédictions» de Jésus et par la décision des Pharisiens de «lui tendre des pièges» (11,54). On peut donc supposer que l’observation (le grec emploie le verbe paratèreô) n’est pas dénuée d’arrière-pensée accusatrice.

«un hydropique» : ce malade ne semble pas faire partie des invités puisqu’il part après sa guéri-son (14,4). Il est sans doute l’un des nombreux malheureux qui, attirés par la réputation thauma-turgique de Jésus, le suivaient dans l’espoir d’une amélioration de leur sort. Peut-être aussi les Pha-risiens l’ont-ils laissé entrer à dessein, pour «ob-server» les réactions de Jésus.

«…dit aux légistes» : Luc a déjà rapporté plusieurs controverses au sujet du sabbat, la dernière ayant d’ailleurs éclaté à l’occasion d’une guérison (la fem-me courbée, 13,10-17). Aussi Jésus commence-t-il par interroger les Pharisiens (comme en 6,9, lors de la guérison de l’homme à la main desséchée). Le procédé est habile, car il les invite à se prononcer sur un cas d’école, avant tout acte éventuellement répréhensible, et il se situe bien dans le cadre des discussions habituelles lors des repas.

«Est-il permis…» : la question a en fait déjà été soulevée, après la guérison de la femme cour-bée, par l’indignation du chef de la synagogue,

assimilant explicitement la guérison à un travail prohibé : «Il y a six jours pendant lesquels on doit travailler ; venez ces jours-là vous faire guérir, et non le jour du sabbat» (13,14). Mais la réponse de Jésus dissociait, au contraire, la notion de travail de ce qui s’apparente à une nécessité vitale (cf. 13,15). Il y a donc là occasion d’une belle discussion.

«…se tinrent cois» : le silence que gardent les Pha-risiens, à la place des arguments attendus, montre qu’ils connaissent et, en fait, admettent, l’interpré-tation de Jésus (qui était partagée par certains maîtres). Leur silence vaut donc approbation, quoique contrainte et restant implicite.

«Lequel d’entre vous…» : la question rappelle celle de 13,15, à cause de l’allusion au bœuf ; mais en 13,15, il était question de le mener boire, ici de le tirer d’un puits. On est en fait plus proche de la question de 6,9 : «Est-il permis le sabbat… de sauver une vie plutôt que de la perdre ?» C’est bien la question de la vie qui est en cause ; mais Jésus n’interroge plus les Pharisiens sur ce qui «est per-mis», mais sur leur propre pratique.

«…rien répondre» : la question de Jésus qui inter-roge les Pharisiens sur leur réaction face à une nécessité vitale concernant leur fils ou leur bœuf, évoque la prescription du Deutéronome : «Si tu vois tomber en chemin l’âne ou le bœuf de ton frère, tu ne te déroberas pas, mais tu aideras ton frère à le relever» (22,4). Pris dans un conflit de devoirs, mais surtout désireux de ne pas cautionner la guérison opérée par Jésus, ils sont mis ici dans l’impossibilité d’argumenter.

«une parabole» : il s’agit moins, dans les versets qui vont suivre, d’une parabole à proprement parler que d’un conseil de sagesse, mis en scène en une petite saynète. Mais l’usage du terme «parabole» peut alerter : il ne sera certainement pas question seulement des règles du savoir-vivre !

«remarquant» : Jésus ayant fait taire les critiques peut alors reprendre l’avantage et, à son tour, fai-re deux remarques sur des comportements qui lui semblent inadéquats, ici à tous les invités, puis au maître de maison, à partir du v. 12.

«le premier divan» : dans ces repas festifs où l’on mangeait allongé, les premiers divans étaient les plus proches du maître du repas et réservés aux invités de marque. La même attitude avait déjà

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été stigmatisée par Jésus à propos des Pharisiens qui «aiment les premiers sièges dans les synagogues» (11,43). Déjà le livre des Proverbes conseillait : «Ne te mets pas à la place des grands ; car mieux vaut qu’on te dise : ‘Monte ici’ que d’être abaissé en présence du prince» (25,6-7).

«plein de confusion» : la petite histoire peut sem-bler relever de la simple politesse, qui suppose une certaine réserve, ou d’un intérêt bien compris puisqu’il est certes plus honorable d’être invité à s’avancer à une meilleure place que d’être obligé de quitter celle qu’on avait prise. Mais elle indique déjà aussi qu’on ne s’attribue pas à soi-même sa place : on la reçoit.

«quiconque s’élève…» : la conclusion de l’histoire montre bien que Jésus ne cherche pas seulement à donner des leçons de savoir-vivre. C’est une sentence formulée par deux verbes au passif, ce qui, dans le langage biblique, indique que Dieu est le véritable sujet de l’action – le respect du troi-sième commandement : «Tu ne prononceras pas le nom de ton Dieu à faux» (Exode 20,7), conduisant à éviter le plus possible de dire le nom de Dieu. Par opposition à «l’honneur» (v. 10) qui vient des hom-mes, c’est Dieu seul qui peut donner la véritable gloire. De plus, la symétrie des deux membres de la phrase indique un renversement des situations, mouvement déjà évoqué par Luc dans le cantique de Marie (cf. 1,51-53 : «Il renverse les puissants de leur trône, il élève les humbles…») et dans l’énoncé des béatitudes (6,20-26). Ce renversement ne s’opérant réellement qu’à la fin des temps, on comprend que l’attitude d’humilité demandée par Jésus relève moins du respect des bonnes règles des repas que de la disposition foncière nécessaire pour être convié au banquet du Royaume de Dieu. À noter que la même sentence est reprise plus loin, en conclusion de la parabole du Pharisien et du publicain (Luc 18,14).

«à celui qui l’avait invité» : l’interlocuteur change, mais la structure de la sentence demeure semblable : il s’agit ici aussi d’un conseil de sagesse – même si la sagesse paraît plus paradoxale – portant sur le choix des invités, mais qui déborde de beaucoup l’intérêt immédiat, pour viser la fin des temps.

« ne convie pas tes amis » : l’injonction peut paraître choquante, surtout dans une culture qui privilégie les relations de famille et de clan. C’est bien ainsi que se comportent les Pharisiens qui forment une

élite sociale et religieuse fermée (on a vu plus haut, au verset 4, que l’hydropique guéri avait été renvoyé, et non invité à partager le repas). Mais la formule veut surtout insister sur le fait de ne pas calculer, sous des apparences de générosité, et de ne pas chercher de réciprocité. Ce qui était déjà préconisé en 6,34-35 (juste après l’énoncé des béatitudes) : «Si vous prêtez à ceux dont vous espérez recevoir, quel gré vous en saura-t-on ? Même des pécheurs prêtent à des pécheurs afin de recevoir l’équivalent. Au contraire, aimez vos ennemis, faites du bien et prêtez sans rien attendre en retour.»

«des pauvres, des estropiés, des boiteux, des aveu-gles» : ces quatre catégories de personnes souf-frent, d’une manière ou d’une autre, d’un manque qui provoque leur exclusion. Les pauvres sont mis à l’écart de la société, par manque d’argent ; les infirmes, à cause de leurs déficiences physiques, sont mis à l’écart même du culte. Le Lévitique les écarte d’office du sacerdoce : «Nul des descendants d’Aaron ne s’approchera pour offrir l’aliment de son Dieu s’il a une infirmité. Car aucun homme ne doit s’approcher s’il a une infirmité, que ce soit un aveugle ou un boiteux, un homme défiguré ou déformé…» (21,17s). Et un passage, à vrai dire fort obscur, du 2e livre de Samuel semble même les exclure de toute action cultuelle : «C’est pourquoi on dit : Aveu-gles et boiteux n’entreront pas au Temple» (2 S 5,8).

«heureux seras-tu» : la première partie de la conclusion a la forme et le tour paradoxal d’une béatitude. Sont déclarés «heureux» ceux qui ap-paremment sur le plan social et humain sont en échec : les pauvres (6,20), les affamés (6,21), ceux qui pleurent (6,22), ceux qui sont haïs (6,23), et ici ceux qui connaissent le désagrément de ne rien recevoir en échange de leur don. Mais ce sont eux aussi qui goûtent à la joie de la gratuité.

«… sera rendu» : la deuxième partie de la conclu-sion introduite par un «car» (oti) explicatif, comme dans les béatitudes, est au futur. C’est Dieu lui-même (le verbe est de nouveau un passif divin, comme dans la conclusion de la première sen-tence, au verset 11), qui remboursera la dette ! La rétribution est repoussée à la fin des temps, mais elle sera incommensurable.

«la résurrection» : Jésus parle à des Pharisiens qui ont foi en la résurrection, contrairement à d’autres grou-pes du judaïsme de son temps, tels les Sadducéens (cf. la question sur la femme aux sept maris, en 20,27s).

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«Heureux celui qui… » : les convives acquiescent, semble-t-il, à cet horizon eschatologique que leur ouvre Jésus. Et l’un d’entre eux renchérit par une autre sentence qui a, elle aussi, la forme d’une béa-titude, mais n’inclut, par contre, aucun paradoxe. À la suite des prophètes (cf. Isaïe 25,6 ; 55,1-2…) et des psaumes (cf. Psaume 22,27 ; 23,5…), les Pharisiens figuraient la joie de l’ère messianique par un grand banquet. Jésus lui-même y fait allu-sion (par exemple en 13,28-29). Quoi de plus logi-que que de lier le bonheur au fait de prendre son repas (littéralement : «manger son pain») dans le Royaume de Dieu !

«Un homme faisait un grand dîner» : Jésus répond cette fois par une véritable parabole (bien que le mot ne soit pas utilisé) qui, reprenant l’image du repas, semble développer la béatitude pro-noncée par le convive. Mais, comme toujours, une question indirecte est posée à travers la parabole : quel choix est-on prêt à faire face à l’invitation de Dieu ? Est-il si évident qu’on l’ac-ceptera ? À noter que la première partie de la parabole en Matthieu (22,1-20) est très proche de la recension donnée ici par Luc, mais qu’elle en explicite davantage le caractère eschatolo-gique : «Il en va du Royaume des cieux comme d’un roi qui fit un festin de noces pour son fils…» (22,2).

«beaucoup de monde» : rien d’élitiste chez Luc. Le salut concerne – on le sait depuis le message des anges lors de la naissance de Jésus – tout homme de bonne volonté (2,14). Et la dernière consigne laissée aux apôtres est de «proclamer à toutes les nations» la Bonne Nouvelle (24,47).

«maintenant» : l’invitation, faite de toute éternité, est répétée «maintenant». Ce «maintenant» fait écho à l’«aujourd’hui» qui marque l’avènement du salut en Jésus-Christ (cf. 4,21, tout au début du mi-nistère public : «Aujourd’hui s’accomplit à vos oreilles ce passage de l’Écriture»). C’est aussi, pour chaque homme, l’aujourd’hui de sa conversion.

«comme de concert» : l’invitation était universelle et voilà que le refus est unanime. La Parole de Dieu semble toujours occultée par les préoccu-pations humaines.

«acheté un champ» : les raisons alléguées par les deux premiers invités (achat d’un champ ou d’un bœuf) montrent que, pour eux, les valeurs

économiques passent au premier plan. Jésus qui avait déjà insisté sur le bon usage de l’argent (cf. 12,33-36, dans le passage médité dans l’atelier n°6 du 10 mai) pose, dans le chapitre suivant, de ma-nière plus tranchée un antagonisme entre Dieu et l’argent, à partir du moment où on les place au même niveau, comme si c’était des valeurs équi-valentes : «Nul ne peut servir deux maîtres… Vous ne pouvez servir Dieu et l’Argent» (16,13).

«me marier» : la troisième excuse paraît plus solide. Elle a du moins pour elle la tradition. Le Deutéro-nome, en tout cas, l’admet : «Si un homme vient de prendre femme, il n’ira pas à l’armée et on ne viendra pas chez lui l’importuner, il restera un an chez lui, quitte de toute affaire, pour la joie de la femme qu’il a prise» (24,5). Mais, avec Jésus, sont arrivés des temps où l’on quitte tout pour le suivre (cf. 5,11). L’urgence évangélique passe avant toute relation (cf. 14,6 : «Si quelqu’un vient à moi sans haïr son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères, ses sœurs, et jusqu’à sa propre vie, il ne peut être mon disciple»).

«pris de colère» : cette «colère» (il ne faut pas être dupe de l’anthropomorphisme, ni prendre la para-bole pour une allégorie dont chaque détail serait significatif) du maître montre, non un rejet des premiers invités (ce sont eux qui ont refusé !), mais la volonté que le plan de salut se réalise de toute façon et pour le plus grand nombre.

«Va-t’en vite par les places…» : ceux qui sont conviés alors sont les exclus du temps de Jésus et de la bonne société pharisienne. On retrouve là les mêmes catégories, énumérées dans le même ordre, qu’au verset 13 : «pauvres, estropiés…». Ce qui permet d’ailleurs de comprendre que l’injonc-tion faite à l’hôte (v.12-14) revenait à lui deman-der d’imiter (cf. 6,36), chaque jour, la conduite de Dieu, c’est-à-dire sa miséricorde, au dernier jour : «De la mesure dont vous mesurez, on mesurera pour vous en retour» (6,38).

«encore de la place» : on peut lire la parabole com-me une sorte d’illustration de l’histoire du salut, offert d’abord au peuple élu – qui le rejette en la personne de Jésus – ; puis aux pauvres et aux exclus du peuple – ceux pour qui, selon Luc, Jé-sus montre une tendresse particulière (pécheurs et prostituées, malades et enfants ) – ; et enfin aux païens auxquels les apôtres auront mission de porter l’Évangile.

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L’invitation du Roi ◗

Le Roi envoya ses serviteurs pour inviter ses amis aux noces de son Fils. Il les a envoyés une première et une deuxième fois parce qu’il a d’abord envoyé les prophètes, puis les apôtres, pour annoncer l’incarnation du Seigneur. Il a donc envoyé par deux fois ses serviteurs porter son invitation puisque, par les prophètes, il a annoncé comme future l’incarnation de son Fils unique

et que, par les apôtres, il l’a prêchée une fois accomplie.

Le texte poursuit : «Mais ils n’en tinrent aucun compte et s’en allèrent l’un à son champ, l’autre à son commerce.» Aller à son champ, c’est s’adonner immodérément au travail d’ici-bas ; aller à son commerce, c’est rechercher avidement son profit dans les affaires du monde. Et parce que l’un, attaché à ses occupations terrestres, et l’autre, occupé du soin des affaires du monde, négligent de penser au mystère de l’incarnation du Seigneur et d’y conformer leur vie, ils ressemblent à celui qui refuse d’aller aux noces du Roi pour se rendre à son champ ou à son commerce. Toutefois celui qui voit mépriser son invitation ne laissera pas de places vides au festin de noces de son Fils. Il envoie quérir d’autres convives, car la Parole de Dieu, encore qu’elle soit méconnue de certains, trouvera bien un jour où reposer.

Mais vous, mes frères, qui, par la grâce de Dieu êtes déjà entrés dans la salle du festin, c’est-à-dire dans la sainte Église, examinez-vous attentivement de peur qu’à son entrée, le Roi ne trouve quelque chose à reprendre dans le vêtement de votre âme.

Saint Grégoire le Grand, pape au VIe siècle38e homélie sur l’Évangile 3,56-59

Prier

Seigneur, alors que tu poursuis ta route vers Jérusalem où tu vas vivre pour nous le sacrifice du plus grand amour, tu tournes nos regards vers la maison du Père et le festin de joie qui s’y ap-prête. Aide-nous par le don de la foi et de la charité que tu renouvelles sans cesse en nous par ton Esprit, à imiter, au long des jours, ta miséricorde et à vivre le pardon et le partage, de façon

à ce qu’à notre dernier jour, nous soyons ces invités joyeux qui se hâtent vers les noces éternelles. Sois béni pour ta bonté qui veut que tous les hommes soient sauvés et pour ta sagesse qui ne cesse d’appe-ler à ta suite sur tous les chemins et les routes du monde, sans jamais faire acception des personnes, toi qui aimes tous tes fils, aînés et cadets, et veux les rassembler en ta joie éternelle. Amen.

«Va-t’en par les chemins…» : le serviteur est bien, dans un dernier temps, envoyé hors de la ville, à ceux donc qui ne font pas partie de la Première Alliance. C’est bien ainsi que, selon le récit des Ac-tes, procèderont les apôtres, et particulièrement Paul, en prêchant d’abord dans les synagogues, puis aux païens (cf. Actes 13,46).

«de force» : l’expression a pu être historiquement mal comprise et prise au pied de la lettre pour malheureusement justifier l’utilisation de la vio-lence ! La force de Dieu est en fait sa grâce, qui peut parfois terrasser de manière inattendue (Luc raconte, par exemple, la chute et le retournement de Paul sur le chemin de Damas, Actes 9,4s), mais toujours pour la vie.

«aucun de ces hommes…» : la conclusion de la pa-rabole est une illustration concrète de la sentence déjà énoncée au verset 11. Dans ce repas où Jésus a été invité, elle résonne comme une mise en garde : les hommes religieux que sont les Pharisiens se croient de droit invités au festin du Royaume, alors qu’ils pourraient bien s’en trouver à leur tour ex-clus ; et elle indique la voie pour ne pas risquer cette exclusion : agir comme Dieu, en imitant sa générosité et en se rendant attentif précisément aux plus mal considérés (c’est là un point d’insis-tance fréquent chez Luc). Mais le contexte des re-lations tendues avec les Pharisiens invite aussi à y voir une pointe christologique : refuser Jésus et le message qu’il apporte, c’est refuser l’invitation de Dieu et se priver soi-même du Royaume.

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Contempler

Pieter Bruegel l’ancien, Les jeux d’enfants (1560)

Cette huile sur bois est une peinture tardive de Bruegel l’Ancien qui devait mourir quelque 9 ans plus tard seulement (en 1569). Elle est actuellement conservée au Kunsthistorishes Museum de Vienne.

Pieter Bruegel est connu pour son regard acéré sur la société de son temps. Il choisit dans cette œuvre de relativement petite taille (118 par 161) de la représenter à travers l’enfance, insouciante (elle ne fait que s’amuser !) et parfois cruelle...

Sur une place publique, devant un hôtel de ville, les enfants ont pris le pouvoir et jouent seuls ou en groupes. La composition du tableau allie les lignes horizontales et verticales. La barrière rouge sur l’axe central, la corniche à consoles du bâtiment gothique permet-tent à la vue de s’étendre vers la gauche et de découvrir un pré verdoyant tra-versé par un ruisseau où des enfants se baignent. Le point de fuite est à droite, très haut, au bord d’une rue rectiligne qui semble interminable : la perspective s’ouvre à l’infini, derrière le clocher, par la ligne blanche de l’horizon. Cette rue, que la longueur rend irréelle, est aussi un terrain de jeu pour les enfants.

Mais Bruegel a l’art de montrer le tout par des parties isolées et si l’on veut «lire» le tableau, il faut s’en approcher. Des critiques du XXe siècle ont dénombré ces jeux et personnages : 84 divertissements sont évoqués, pratiqués par 250 enfants. Le cerceau, la toupie, saute mouton, tout y passe : ils marchent sur les mains, nagent ou s’amusent avec des vessies de cochons gonflées, des poupées et autres jouets. En haut à gauche, par la fenêtre d’une maison sombre on voit un enfant affublé d’un masque d’homme grimaçant. C’est une des clés du tableau : les jeux d’enfants singent le monde des adultes. Dans la partie inférieure gauche, deux enfants sont revêtus de la cape bleue symbole de l’adultère. Aux alentours des jeux de cerceau, dans la partie inférieure droite, on trouve un ensemble de jeux d’équilibre circulaire : le tonneau balançoire, où il faut rester sans tomber ; la chaise à porteur, le cheval jupon. Plus à droite, on remarquera les jeux de force, le pont, les combattants, le saute mouton... Les jeux de souplesse se pro-longent dans le lointain par le cheval d’arçon et les échasses. Les jeux de chance se trouvent regroupés dans l’angle gauche inférieur du tableau. Enfin, sur le sol, à droite, on note un détail curieux : quatre bérets dont personne ne semble s’occuper sont disposés de telle façon qu’ils forment une figure humaine à la fois simpliste et grotesque. Clin d’œil possible du peintre : Bruegel est parmi les enfants et s’amuse à nous surprendre, mais aussi ultime grimace tant les facéties de l’homme (ces «enfants» au visage sans âge sont une image de l’humanité) cherchant inlassblement à se distraire sont vaines...

L’évangile que nous méditons pour cette 7e étape de notre atelier met en scène un repas. Il n’en est pas question sur le tableau de Bruegel. Peut-être le repas se déroule-t-il derrière l’une des fenêtres que l’on aperçoit. Aucun n’a voulu y participer. Tous, enfants capricieux à l’âme boiteuse et pauvres d’amour, ils courent en tous sens croyant tromper leur vacuité à force de s’agiter... Et la voix du Maître du repas résonne : «Va-t-en vite par les places et les rues de la ville, et introduis ici les pauvres, les estropiés, les aveugles et les boiteux (...) fais entrer les gens de force, afin que ma maison se remplisse». Et nous, allons-nous accepter ou refuser le Royaume ?

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Lire - Luc 17,11-19,27

Une nouvelle mention de la marche vers Jérusalem (17,11) ouvre la dernière étape du périple de Jésus vers la Ville sainte, étape marquée par l’urgence de la Passion qui se profile et des derniers temps qui s’annoncent.

Comme le début du ministère en Galilée, marqué par des miracles destinés à montrer la puissan-ce de Jésus, cette étape finale s’ouvre par un miracle (17,11-19) qui, de même qu’en 5,12-16, concerne un, ou plutôt des lépreux. Il ne s’agit plus ici de présenter Jésus, que les lecteurs de l’Évangile ont appris à connaître, mais plutôt de définir la juste attitude face à lui : les dix lépreux font également preuve de foi en partant «se montrer aux prêtres» (17,14) avant même d’être guéris ; mais un seul, sur les dix, «un Samaritain» – on retrouve là l’universalisme de Luc et son amour pour les moins considérés –, un seul revient «glorifier Dieu» (17,15). Lui seul est déclaré, non seulement guéri, mais «sauvé» (17,19).

La question est donc bien de se tenir non seulement dans une attitude de foi, mais dans une re-lation vivante avec la personne même de Jésus. D’autant que le temps se fait court. La fin du chapitre 17 est en effet une sorte d’apocalypse, ou une partie du discours eschatologique dont Luc distribue les matériaux à deux moments différents (le second interviendra au chapitre 21), alors que Matthieu et Marc les ramassent en un seul discours final, juste avant la Passion. Ce premier discours (17,20-37) comporte deux parties de longueur très inégale. La première partie est un dialogue avec les Pharisiens (17,20-21) portant sur la date et le lieu de l’avènement du Royaume. Comme il l’avait déjà fait en 11,30, Jésus s’ef-force de déplacer la question pour leur faire comprendre que, par sa présence, le Royaume de Dieu est déjà advenu, comme le signe messianique des lépreux purifiés vient, une fois de plus, de le montrer.

La seconde partie du discours (17,22-37) s’adresse aux disciples et concerne la venue du Fils de l’homme – titre emprunté à Daniel 7,13 –, car si Jésus est déjà venu dans la chair, il est encore à venir dans la gloire. Malgré les emprunts au vocabulaire des apocalypses, le propos disqualifie précisément les spéculations sur la fin des temps : une seule chose compte – et sont convoqués pour le montrer les exemples de Noé avant le déluge (Genèse 6,3-7,7 et Luc 17,26-27) et de Lot, le neveu d’Abraham, avant la destruction de Sodome (Genèse 19,12-19 et Luc 17,28-29) – une seule chose compte : vivre en disci-ple de manière à se trouver prêt lors de la manifestation glorieuse du Fils de l’homme. «Aux jours du Fils de l’homme» (17,26), comme au «Jour du Seigneur» qu’annonçaient les prophètes, s’exercera un jugement entre les justes et les injustes, selon le critère déjà énoncé en 9,24 : être capable de donner sa vie, pour la laisser être sauvée par Dieu (17,33). Ceci justifie l’attitude concrète à adopter : ne rien emporter, ne pas se retourner (17,31), ainsi que la discrimination entre des personnes proches (17,32-35).

Il est donc logique que cette mise en garde et cet appel à se trouver prêt à tout moment soient suivis de conseils quant à la façon de vivre le temps présent pour demeurer dans l’attitude intérieure adéquate à ce moment décisif. C’est le propos du chapitre 18 qui, à travers deux paraboles sur la prière (18,1-8 et 9-14) et deux rencontres de Jésus avec des enfants (18,15-18) puis avec un riche notable (18,18-38), énumère les qualités attendues du disciple.

Les paraboles sur la prière, étudiées plus en détail dans la partie «Méditer», mettent au premier plan la persévérance qui caractérise la veuve (18,5-6) et l’humilité qui définit la prière du publicain (18,14). Elles permettent surtout de mieux comprendre ce que Dieu aime trouver en ses enfants. La caractéristique des enfants, précisément, est soulignée dans la première rencontre de Jésus (18,15-17) : s’ils sont donnés en modèle – ce qui est tout à fait incongru pour l’époque qui ne voit en eux que des êtres encore dénués de raison –, c’est à cause de leur confiance simple qui leur ouvre le Royaume. Tandis que la seconde rencontre avec celui que Luc appelle «un notable» (18,18-23) présente plutôt un contre-exemple : on retrouve ici, d’une autre façon, l’opposition entre le publicain qui sait qu’il n’est rien et attend tout de Dieu, et le Pharisien sûr de ses mérites. Le notable n’a peut-être pas la même morgue que le Pharisien ; mais il est – en vérité d’ailleurs – conscient de tout ce qu’il a déjà accompli. Il voudrait «faire» (18,18) davantage, alors qu’il lui est demandé au contraire de laisser, de quitter, de donner et, alors dénué de tout sauf de l’amour de Jésus, de le suivre.

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Les conséquences de cette attitude nécessaire au disciple – que refuse le notable qui, du coup hé-rite la tristesse (17,23), et non la joie du Royaume – sont tirées en deux séries de paroles. La première qui semble adressée à tous (18,24-27), revient sur le thème des richesses si important chez Luc (nous l’avons déjà rencontré aux chapitres 12 et 16), mais vu dans la perspective des derniers temps, propre à ce dernier épisode de la marche vers Jérusalem : s’il est «difficile à un riche d’entrer dans le Royaume de Dieu» (18,24), le salut dépend, en dernier recours, de Dieu à qui «tout est possible» (18,27 ; cf. Genèse 18,14 et Luc 1,37). Le dernier mot est donc à l’espérance pour tous.

La seconde parole, à l’intention des Douze (18,28-30), dévoile la récompense promise à ceux qui ont tout quitté : ayant choisi la pauvreté, non seulement matérielle, mais aussi affective et sociale, ils reçoivent «la vie éternelle» (18,30) – cela même que le notable désirait (18,18) – mais aussi une nouvelle famille formée par la communauté des disciples.

Une sorte de conclusion est alors posée (18,31-34), qui éclaire – pour les Douze seulement – non plus l’avenir eschatologique, mais l’avenir proche : une troisième annonce de la Passion, plus précise que les précédentes, qui clôt cette étape en parlant de «monter à Jérusalem» (18,31) (jusqu’alors il avait été question de «marcher vers Jérusalem»). Jésus désigne clairement la Ville sainte comme lieu de sa mort, annoncée solennellement et mise en relation avec les prophéties, mais aussi de sa résurrection (annonce qui n’apparaît pas en 9,44 ni en 17,25, mais seulement en 9,22, juste avant la Transfiguration).

La fluidité du récit et de l’enchaînement des séquences peut faire négliger un point important ; c’est au milieu de ce chapitre, à partir de 18,15 (la rencontre avec les enfants) que Luc, qui, depuis le début de la marche vers Jérusalem (9,51), utilisait les sources qui lui sont propres, retrouve la trame du récit de Marc qu’il va suivre désormais jusqu’à la fin de l’évangile.

En 18,35, une nouvelle indication géographique ouvre l’étape finale avant l’arrivée à Jérusalem : c’est en effet à Jéricho, l’oasis proche de la mer Morte, juste avant la grande montée vers Jérusalem, que se situent, à la fin du chapitre 18 et au chapitre 19, les trois péricopes suivantes : un miracle (18,35-43), une conversion (19,1-10) et une parabole (19,11-27).

On ne distingue le miracle de la conversion que par commodité, car il s’agit bien dans les deux cas de rencontres avec Jésus qui transforment l’existence de celui qui le rencontre, ou plutôt qui se laisse rencontrer. Pour le mendiant aveugle comme pour le riche Zachée, les circonstances sont sembla-bles : la foule qui entoure Jésus et fait obstacle, la parole libératrice et le salut que Jésus déclare apporter (18,42 et 19,9). L’aveugle qui se tient au bord du chemin, n’hésite pas à crier vers Jésus en lui donnant le titre messianique de «fils de David» (18,38) et, à cause de sa foi, reçoit non seulement la guérison, mais le salut. Salut contagieux puisque «tout le peuple» (et non plus «la foule») se joint à son action de grâce (18,43). Quant à Zachée, qui n’est pas infirme mais pécheur, son acte de foi est plus discret (il veut seulement «voir» qui est Jésus, 19,3), et sa profession, comme sa richesse, semblent représenter des obstacles. Mais son geste, digne d’un enfant, de grimper dans un arbre (19,6) montre sa simplicité et lui vaut de recevoir Jésus chez lui. L’éclat de sa conversion est à la mesure de son péché (19,8a) ; elle lui vaut sa pleine réintégration dans le peuple de Dieu (19,8b). Dans l’un et l’autre cas, la leçon est claire : le salut en Jésus est advenu pour tous (19,10).

Une longue parabole (19,11-27), dite par Jésus «parce qu’il était près de Jérusalem et qu’on pensait que le Royaume de Dieu allait apparaître à l’instant même» (19,11), vient donc clore, comme l’indiquent les deux raisons invoquées, à la fois le récit du voyage et la problématique des derniers temps. Cette parabole dite «des mines» ressemble fort à la parabole des talents rapportée par Matthieu (25,14-30). Mais elle a cependant une structure plus complexe puisque deux histoires en fait s’imbriquent : celle d’un homme qui part «pour recevoir la dignité royale» et, à son retour, règle ses comptes avec ses ennemis (19,12-14 et 27) ; et celle des serviteurs à qui de l’argent a été confié pour qu’ils le fassent fructifier et qui sont jugés au retour de leur maître (19,15-26), le thème du retour-jugement servant à les unir. L’in-terprétation en est complexe et peut se faire à plusieurs niveaux : la première histoire a un fondement historique – une situation semblable s’était produite lors de l’intronisation du fils d’Hérode le Grand – ;

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mais l’ensemble peut être considéré, dans certains de ses éléments du moins, comme une métaphore du trajet du Christ repartant vers son Père, après sa Passion, pour être intronisé au ciel, et laissant à ses serviteurs-apôtres le soin de gouverner les villes-Églises. Et ce, dès lors qu’ils l’auront reconnu comme un maître bon et libéral – contrairement au dernier serviteur, jugé à partir de l’image qu’il se fait d’un Dieu sévère et menaçant (19,21-22).

Par-delà l’interprétation plus fine qu’il faudrait en donner, la parabole, placée en ce lieu de l’évan-gile (et non, comme en Matthieu 25, à la fin du ministère de Jésus à Jérusalem), veut surtout prévenir contre l’attente d’une manifestation glorieuse immédiate du Royaume – en ce sens elle introduit la scène, qui va suivre, de l’entrée messianique de Jésus à Jérusalem – ; elle annonce le temps de l’Église, c’est-à-dire de l’absence visible de Jésus, et renvoie à la fin des temps le jugement où «à tout homme qui a l’on (Dieu) donnera encore» (19,26), c’est-à-dire où le don de Dieu sera total pour tous ceux qui auront fait fructifier sa Parole. Les événements tragiques et glorieux qui vont se dérouler à Jérusalem, où arrive Jésus, sont ainsi déjà mis en perspective.

Méditer - Les paraboles sur la prière (Luc 18,1-14)

Ce passage est celui que nous vous proposons de creuser plus particulièrement pour cette étape de l’atelier biblique. Les expressions en italique et en couleur sont commentées sous le texte.

À travers deux petites paraboles qui opposent des personnages antagonistes, la veuve et le juge (181-8), le pharisien et le publicain (18,9-14), Jésus donne un enseignement sur la prière et les caractères qu’elle doit revêtir. Thème fondamental dans son évangile qui est le seul à montrer fréquemment Jésus en prière (6,12 ; 9,28-219 ; 11,1…).

18 [1] Et il leur disait une parabole sur ce qu’il leur fallait prier sans cesse et ne pas se décourager. [2] «Il y avait dans une ville un juge qui ne craignait pas Dieu et n’avait de considération pour personne. [3] Il y avait aussi dans cette ville une veuve qui venait le trouver, en disant : Rends-moi justice contre mon adversaire ! [4] Il s’y refusa longtemps. Après quoi il se dit : ‘J’ai beau ne pas craindre Dieu et n’avoir de considération pour personne, [5] néanmoins, comme cette veuve m’importune, je vais lui rendre justice, pour qu’elle ne vienne pas sans fin me rom-pre la tête’.» [6] Et le Seigneur dit : «Écoutez ce que dit ce juge inique. [7] Et Dieu ne ferait pas justice à ses élus qui crient vers lui jour et nuit, tandis qu’il patiente à leur sujet ! [8] Je vous dis qu’il leur fera prompte justice. Mais le Fils de l’homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre ?»

[9] Il dit encore, à l’adresse de certains qui se flattaient d’être des justes et n’avaient que mépris pour les autres, la parabole que voici : [10] «Deux hommes montèrent au Temple pour prier ; l’un était Pharisien et l’autre publicain. [11] Le Pharisien, debout, priait ainsi en lui-même : ‘Mon Dieu, je te rends grâces de ce que je ne suis pas comme le reste des hommes, qui sont rapaces, injustes, adultères, ou bien encore comme ce publicain ; [12] je jeûne deux fois la semaine, je donne la dîme de tout ce que j’acquiers.’ [13] Le publicain, se tenant à distance, n’osait même pas lever les yeux au ciel, mais il se frappait la poitrine, en disant : ‘Mon Dieu, aie pitié du pécheur que je suis !’ [14] Je vous le dis : ce dernier descendit chez lui justifié, l’autre non. Car tout homme qui s’élève sera abaissé, mais celui qui s’abaisse sera élevé.»

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«une parabole» : le terme est appliqué par Luc à toute histoire racontée par Jésus pour illustrer ses propos. Mais on en voit ici un usage différent de ce qu’il était, par exemple, en 10,29-32 (le bon Samaritain) où l’histoire menait à déplacer les ter-mes de la question et à faire progresser l’interlo-cuteur (cf. l’atelier biblique n°5 du 10 avril) ; ou en 8,5-8 où il s’agissait de réserver aux disciples la connaissance des «mystères du Royaume». Ici, l’his-toire vient illustrer le conseil donné dès le pre-mier verset. Autre différence : cette parabole ne peut pas être interprétée comme une allégorie où chaque détail renverrait à une signification précise (comme, par exemple, en 8,11-15, l’explication de la parabole du semeur) ; elle doit être com-prise dans sa globalité, par analogie (c’est-à-dire par comparaison entre deux types de situations semblables, mais situées à des plans différents), comme l’était déjà la parabole de l’intendant in-fidèle (10,1-8).

«prier sans cesse» : la première qualité de la prière que souligne Jésus est la fidélité. Luc retrouve ici la même vocabulaire que celui utilisé par Paul dans sa 1e lettre aux Thessaloniciens : «Priez sans cesse» (5,17). Dans le contexte de l’épître qui parle du jour du Seigneur (5,13), comme dans celui de Luc qui vient de traiter de la venue du Royaume de Dieu et du Jour du Seigneur (17,20-37), ce conseil prend une forte tonalité eschatologique. Cette qualité tend à se confondre avec la vigilance qui sera préconisée dans le dernier discours : «Veillez donc et priez en tout temps, afin d’avoir la force d’échapper à tout ce qui doit arriver et de vous tenir debout devant le Fils de l’homme» (Luc 21,36). Ce conseil d’assiduité à la prière va exercer une gran-de influence sur la spiritualité chrétienne (cf. aussi Éphésiens 6,18 ; Philippiens 4,6 ; Colossiens 4,2 ; 1 Thessaloniciens 5,5…) et particulièrement sur le développement du mouvement monastique.

«ne pas se décourager» : deuxième note de la prière : à la constance doit se joindre la persévérance. C’est donc que les épreuves – extérieures ou intérieures – sont en quelque sorte inhérentes à la prière.

«un juge» : aux premiers temps d’Israël, le juge est le personnage central d’une tribu ou d’un clan, qui exerce un pouvoir, non seulement juridique, mais aussi militaire et politique. Il en est ainsi depuis l’entrée en Terre Promise (cf. le livre des Juges) jusqu’à Samuel dont il est encore dit qu’il «jugea Israël pendant toute sa vie» (1 Samuel 7,15), c’est-

à-dire jusqu’à l’instauration de la monarchie. Les juges n’ont plus dès lors qu’un pouvoir juridique qu’ils n’exercent pas toujours avec rectitude (cf. l’histoire de Suzanne, en Daniel 13). Même si leurs prérogatives, au temps de Jésus, n’avaient plus rien à voir avec celles de leurs devanciers, ils représen-taient toujours pour le petit peuple un symbole de puissance, en raison des conséquences que leurs décisions pouvaient avoir. Pour croquer en une phrase le portrait de ce juge, Luc fait montre, une fois de plus, de la vivacité de sa plume.

«une veuve» : le second personnage de la parabole est le symbole, tout aussi clair, de la faiblesse. Les livres de la Loi citent toujours les veuves, avec les étrangers et les orphelins, parmi les catégories sans défense dont on doit se préoccuper. Avec la mort de son mari, la veuve a en effet aussi perdu son statut social et sa suffisance économique. C’est pourquoi la Loi lui offre une certaine protection, en appelant à ne pas la maltraiter (Exode 22,23) et à respecter ses droits (Deutéronome 24,17 ; 27,19), en imitant ainsi l’attitude de Dieu lui-même (Deutéronome 10,18 ; Psaume 146,9…). La veuve a, comme tous les pauvres, le droit de glaner dans les champs (cf. Lévitique 19,9-10, et l’histoire de Ruth la Moabite, en particulier Ruth 2,2). C’est à la vue d’une veuve que Luc décrit Jésus comme «saisi de pitié» (littéralement : «pris aux entrailles», 6,13) ; et c’est une veuve qu’il montre à ses disci-ples comme exemple de confiance totale en Dieu, son seul recours (21,2-4).

«mon adversaire» : on ne saura pas qui a lésé cette veuve ni de quelle façon il l’a fait. La parabole est réduite à une épure et ne donne que les éléments de l’histoire qui peuvent servir à l’analogie : ici la persévérance de la veuve qui est bien la figure va-lorisée à imiter.

«il se dit» : la parabole fait davantage entendre le raisonnement intérieur du juge ; d’une certaine fa-çon, elle se place à son point de vue. La veuve se définit par la constance de sa conduite ; tandis que le juge, au contraire, évolue et, face à cette persé-vérance, va changer de comportement.

«pour qu’elle ne vienne pas sans fin…» : le motif de l’évolution du juge est purement égoïste. Il n’éprouve ni crainte de Dieu ni souci du prochain, et ne vise que son confort et sa tranquillité. De la même manière, les motivations du fils reve-nant vers son père étaient purement intéressées :

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«Moi je suis ici à mourir de faim. Je veux partir…» (15,17-18). Mais ici on ne dit pas que l’action du juge, rendant enfin la justice, devienne l’occasion de sa conversion. La pointe du récit n’est pas là.

«Écoutez» : l’apostrophe est solennelle ; l’interpréta-tion de la parabole, donnée par «le Seigneur» – titre qui manifeste l’autorité de Jésus – insiste sur le fait que la persévérance de la veuve a bien été la cause efficiente de la justice qui lui est finalement rendue.

«Et Dieu ne ferait pas justice…» : si un juge inique en vient à céder aux supplications instantes d’une pauvre femme, à bien plus forte raison Dieu, qui est le juste Juge, exaucera-t-il la prière des siens. Le raisonnement est a fortiori, comme en 11,11-13, passage qui traitait déjà de la prière : «Si donc vous qui êtes mauvais, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus le Père du ciel...»

«ses élus» : l’argument est encore renforcé par le contraste entre une femme pauvre et inconnue, et les «élus», choisis et personnellement connus par Dieu. La notion d’élection est constante dans l’Écriture et toujours liée à l’amour, depuis Deu-téronome 7,7-11 : «Si le Seigneur s’est attaché à vous et vous a choisis…, c’est par amour pour vous...», jusqu’à Jean 15,16 : «Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, c’est moi qui vous ai choisis et établis pour que vous alliez et portiez du fruit».

«il patiente» : bel exemple d’utilisation et de réin-terprétation d’un verset de l’Écriture ! La phrase semble en effet s’inspirer de Siracide 35,17-19 qui affirme que «la prière de l’humble perce les nuées» : «Il n’a de cesse que le Très Haut n’ait jeté les yeux sur lui, qu’il n’ait fait droit aux justes et rétabli l’égalité. Et le Seigneur ne tardera pas, il n’aura pas de patience à leur égard.» Là où Ben Sirac voulait montrer que Dieu ne tarderait pas à exaucer les pauvres (ce qui est aussi affirmé en Luc 18,8a) et qu’il ne patien-terait pas devant les injustices, Luc semble dire ici que le Seigneur «patiente» c’est-à-dire qu’il diffère son jugement. C’est que, dans la lignée du chapitre 17, on se situe clairement dans une perspective eschatologique : les justes crient vers Dieu pour que son retour – le «Jour de Dieu» – vienne met-tre définitivement fin à l’injustice de ce monde. La patience de Dieu se justifie alors par son désir que tous se convertissent et soient sauvés.Dans le contexte de la communauté pour laquelle écrit Luc, qui connaissait les premières oppositions et persécutions, il s’agit d’expliquer le retard appa-

rent de la Parousie que la première génération de chrétiens avait cru imminente (cf. aussi 2 P 3,9 : «Le Seigneur ne retarde pas l’accomplissement de ce qu’il a promis, comme certains l’accusent de retard, mais il use de patience envers vous, voulant que personne ne périsse, mais que tous arrivent au repentir.»)

«Je vous le dis…» : cette formule solennelle (que Luc, écrivant pour des chrétiens venus du paga-nisme, ne débute pas, contrairement à Matthieu, par le Amen hébraïque redoublé), semblable à un oracle prophétique, met Jésus dans la position du «Seigneur» (v. 6) qui a autorité pour affirmer la rapidité et l’efficacité de la justice de Dieu.

«Mais» : alors qu’on s’attendait à une conclusion sur la prière, la deuxième partie du verset 8, in-troduite par cet adversatif, change apparemment de thème. En fait le thème de la prière est lié à celui de la foi par la fidélité requise par l’une et l’autre : la prière doit être incessante pour nourrir la foi, la relation vivante à Jésus. Cette conclusion rappelle aussi indirectement la patience que Dieu manifeste jusqu’à ce que tous se convertissent, c’est-à-dire accèdent véritablement à la foi.

«le Fils de l’homme» : ce titre emprunté au livre de Daniel (Daniel 7,13) que Jésus est le seul, en Luc, à s’appliquer à lui-même, renvoie principalement à une figure apocalyptique qui reviendra «dans la gloire» (7,26) et exercera le jugement (21,36). Ici ce titre est mis en inclusion avec 17,23. Le «jour du Fils de l’homme» prend ainsi un aspect dramatique : tout au long de l’histoire, chaque génération de chrétiens, et chaque chrétien lui-même, doit s’in-terroger sur sa foi et sur son désir de hâter par sa

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prière persévérante le retour du Fils de l’homme, c’est-à-dire la fin de ce monde, mais surtout l’ac-cès à la vision de Dieu.

«à l’adresse» : comme c’était déjà le cas dans la première parabole, le verset d’introduction de la seconde donne la clé d’interprétation de l’histoire et annonce sa signification morale.

«certains qui se flattaient d’être des justes» : la premiè-re parabole s’adressait aux disciples pour leur indi-quer comment prier ; la seconde est destinée à des hommes qui ne sont pas nommés, mais désignés seulement par leur attitude intérieure. L’attitude qui était précisément reprochée aux Pharisiens en 14,15 : «Vous êtes, vous, ceux qui se donnent pour jus-tes devant les hommes…» ; et qui, dans la parabole, va bien être attribuée à un Pharisien. On peut sup-poser que ce verset introductif ne les nomme pas dans le but d’élargir la portée de la parabole : toute communauté de croyants, en effet – et sans doute en premier lieu celle de Luc –, peut facilement se laisser gagner par cet état d’esprit.

«Deux hommes» : nouvelle opposition entre deux figures très contrastées ; mais, contrairement à la précédente qui, par analogie, permettait de com-prendre l’efficacité de la prière de l’homme sur le cœur de Dieu, ce sont ici deux types d’hom-mes antagonistes qui sont dépeints, l’un servant de modèle, et l’autre de contre-exemple. Ils vont être décrits en deux tableaux symétriques : par leur comportement et leur attitude corporelle

d’abord (v. 11a et 13a), puis par le contenu de leur prière (v.11b-12 et 13b).

«Pharisien» : les Pharisiens (comme on l’a vu dans l’atelier n°3, le 10 février 2010) forment, au sein du peuple juif, un groupe particulièrement reli-gieux, attaché au Temple et à l’observance rigou-reuse de la Loi.

«publicain» : les publicains, au temps de Jésus, sont des juifs bénéficiaires de contrats publics avec les Romains, pour fournir l’armée ou gérer la collecte des taxes et impôts, soit directement (comme le riche Zachée, 19,2), soit comme employés de celui qui a passé le contrat de fermage (comme Lévi, assis à son bureau de douane, 5,27). Ils sont doublement honnis : en tant que collecteurs d’impôts, risquant de s’enrichir frauduleusement ; et en tant que ser-viteurs de l’occupant romain, maniant l’argent païen (cf. 20,22-25). Cette réputation de voleurs et de collaborateurs en fait des pécheurs publics, coupa-bles sur les plans éthique, politique et religieux.

«priait ainsi» : la prière du Pharisien est beaucoup plus développée que celle du publicain ; elle prend la forme d’une action de grâce – ce qui en soi n’est certes pas mauvais – ; mais d’une action de grâce qui porte moins sur les bienfaits de Dieu, pour l’en remercier, que sur ses propres qualités, pour s’en féliciter.

«je ne suis pas comme le reste des hommes» : à la suffisance – qui fait que finalement la prière du Pharisien est entièrement centrée sur lui-même et ses propres mérites – se joint l’absence de cha-rité. Pour mieux louer ses vertus, il accable les autres de tous les vices. Même s’il le fait en termes proches de ceux de certains psaumes (cf. Psaume 26, par exemple), c’est bien là le «mépris pour les autres» que stigmatisait Jésus au verset 9.

«je jeûne» : à ses qualités – définies plutôt comme l’absence des défauts habituels chez les autres hommes –, il ajoute l’accomplissement parfait des prescriptions. Si la pratique du jeûne était cou-rante chez les Pharisiens (cf. 5,33), seuls les plus religieux jeûnaient deux fois par semaine.

«je donne la dîme» : encore une prescription louable puisque tirée de la Loi (Nombres 18,21 ; Deutéro-nome 14,22…), mais contre laquelle Jésus met en garde parce qu’elle peut être transformée en ab-solu et détourner à bon marché de la vraie charité :

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«Malheur à vous, les Pharisiens, qui acquittez la dîme de la menthe, de la rue et de toute plante potagère, et qui délaissez la justice et l’amour de Dieu !» (Luc 11,42).

«n’osait même pas…» : à la suffisance du Pharisien, s’oppose l’humilité du publicain. Alors que le premier, trop occupé à comptabiliser ses mérites, n’avait aucu-ne demande à présenter à Dieu, le second, conscient de son péché, confesse par toute son attitude, non seulement sa faute, mais surtout la grandeur de Dieu.

«aie pitié» : à la différence du premier, ce second priant n’est pas centré sur lui-même, pas même sur ses péchés. Il les reconnaît, sans chercher à les excuser, mais ne s’y attarde pas. Sa prière, beau-coup plus simple et brève que la précédente, est tout entière tendue vers Dieu, comme un cri d’ap-pel à sa miséricorde et d’espérance en sa bonté. Le premier avait tout et ne pouvait donc rien re-cevoir, fût-ce le don de Dieu ; le second reconnaît qu’il n’a aucun mérite, mais est tout entier ouvert au pardon et à la grâce de Dieu.

«Je vous le dis» : même affirmation solennelle que dans la première parabole ; leurs structures sont bien tout à fait symétriques. L’autorité de Jésus est d’autant plus engagée ici que la conclusion qu’il tire est inattendue et choquante pour ses auditeurs. Il évalue la situation des deux hommes du point de vue de Dieu, et non selon le regard humain.

«descendit» : entre la montée au Temple (v. 10) et la descente chez soi, ce n’est pas seulement le mou-vement qui s’est inversé, mais aussi les positions de chacun – et cela, finalement, sans que les deux priants en soient conscients : à la fin de leur prière, le premier est toujours convaincu de ses mérites, et l’autre de son indignité. Comme dans la première parabole, Jésus ici, avant de donner un enseignement moral, s’attache à révéler le jugement de Dieu.

«justifié» : il faut bien prendre le terme en son sens précis : «rendu juste». Paradoxalement le publicain est pardonné sans avoir avoué ses torts (cf. aussi le fils prodigue en 15,21-22) et encore moins les avoir réparés : il n’est toujours pas «un juste». Mais par son humilité, l’aveu de sa misère a rencontré la miséricorde de Dieu, et c’est la justice de Dieu qui l’a recouvert et supplée à la sienne. La «justifi-cation» est un thème central chez Saul le Pharisien, devenu l’apôtre Paul, en particulier dans l’Épître aux Romains. Cf. aussi Philippiens 3,9 : «être trouvé en lui (le Christ), n’ayant plus ma justice à moi, celle

qui vient de la Loi, mais la justice par la foi au Christ, celle qui vient de Dieu et s’appuie sur la foi».

«l’autre, non» : le Pharisien va continuer à agir selon la Loi, il reste «un juste», mais de sa justice à lui, toujours fragile et insuffisante face à celle de Dieu ; dans la mesure où il se croit et se dit déjà juste, la justice de Dieu – c’est-à-dire sa miséricorde – res-te sur lui sans effet. Comme dans la parabole du fils prodigue, il ne faudrait pas voir ici une sorte de ca-price de la part du Seigneur qui préférerait les re-belles ou les pécheurs aux sages (cf. les reproches du fils aîné en 15,29-30). Dieu préfère certes ceux qui se reconnaissent pécheurs (cf. 15,1), mais parce qu’ils reconnaissent la vérité de ce qu’ils sont et que, n’ayant plus d’autre recours, ils se tournent de tout leur être vers lui pour implorer leur pardon. Tandis que, pour rependre les formules imagées de Péguy, «les honnêtes gens» ne demandant rien, la grâce coule sur eux comme sur les plumes d’un canard, sans les pénétrer : «Les honnêtes gens ne mouillent pas à la grâce» (Note conjointe sur M. Des-cartes et la philosophie cartésienne).

«tout homme qui s’élève…» : la première parabole débouchait sur une question ; la seconde sur une sentence déjà citée en 14,11 (à propos du choix des places, cf. l’atelier n°7 du 10 juin). Mais, de même que la question du v. 8 liait la prière au thè-me de la foi dans une perspective eschatologique, de même ici la formulation passive (qui, on le rap-pelle, désigne toujours Dieu comme véritable su-jet de l’action), ainsi que le renversement total des situations, caractérisent la fin des temps (cf. déjà 1,52-23 : «Il a renversé les potentats de leur trône et élevé les humbles…» et 6,20-26 : «Heureux les pau-vres car le Royaume de Dieu est à eux…»). On ne peut donc faire trop vite une interprétation uni-quement morale de cet aphorisme en assimilant le publicain à celui qui s’abaisse (il a juste reconnu la vérité !) et en considérant qu’il faut s’identifier à lui ! C’est une attitude d’humilité authentique qui est requise, dans la prière, tant face à soi-même – nécessairement pécheur – que face à Dieu dont «les pensées ne sont pas nos pensées» (Isaïe 55,8).«Représente-toi par la pensée deux chars : attelle à l’un la vertu et l’orgueil ; à l’autre le péché et l’humilité, et tu verras le char traîné par le péché, devancer celui de la vertu, non certes par sa force propre mais par celle de l’humilité qui y est jointe, de même que l’autre sera vaincu, non à cause de la faiblesse de la vertu, mais à cause de la masse pesante de l’orgueil» (S. Jean Chrysostome, De l’incompréhensibilité de Dieu).

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Ton désir, c’est ta prière ◗

“Le gémissement de mon cœur me faisait rugir.» Il y a un gémissement caché que l’on n’en-tend pas ; cependant, si le cœur est obsédé par un désir si fort que la blessure de l’homme intérieur s’exprime par un cri qui la découvre, on en cherche la cause, et l’on se dit en soi-même : peut-être est-ce là ce qui le fait gémir, et peut-être qu’on lui a fait telle chose ?

Qui peut comprendre, sinon celui dont les yeux et les oreilles sont atteints par ce gémissement ? Le psalmiste dit : «Le gémissement de mon cœur me faisait rugir», parce que, lorsque les hommes enten-dent gémir, c’est généralement le gémissement de la chair qu’ils entendent ; ils n’entendent pas celui qui gémit dans son cœur. Et qui connaissait la cause de son rugissement ? Il ajoute : «Tout mon désir est devant toi». Non pas devant les hommes, qui ne peuvent pas voir le cœur, tandis que si tout ton désir est devant le Père, lui qui voit l’invisible te le revaudra.

Car ton désir, c’est ta prière ; si le désir est continuel, la prière est continuelle. Ce n’est pas pour rien que l’Apôtre a dit: «Priez sans relâche». Peut-il le dire parce que, sans relâche, nous fléchissons le genou, nous prosternons notre corps, ou nous élevons les mains ? Si nous disons que c’est là notre prière, je ne crois pas que nous puissions le faire sans relâche.

Il y a une autre prière, intérieure, qui est sans relâche : c’est le désir. Que tu te livres à n’importe quelle autre occupation, si tu désires ce loisir du sabbat de Dieu, tu ne cesses de prier. Si tu ne veux pas cesser de prier, ne cesse pas de désirer. Ton désir est continuel ? Alors ton cri est continuel. Tu ne te tai-ras que si tu cesses d’aimer. La chanté qui se refroidit, c’est le cœur qui se tait ; la charité qui brûle, c’est le cœur qui crie. Si la charité dure toujours, tu cries toujours ; si tu cries toujours, tu désires toujours ; si tu désires, c’est au repos que tu penses.

«Tout mon désir est devant toi.» Que se passe-t-il si ton désir est devant lui, mais non pas le gémissement ? D’où cela peut-il venir, quand le désir lui-même s’exprime par le gémissement ? C’est pourquoi le psaume continue : «Et mon gémissement ne t’échappe pas». Il ne t’échappe pas, alors qu’il échappe à la plupart des hommes. S’il y a désir, il y a gémissement ; il ne parvient pas toujours aux oreilles des hommes, mais il ne cesse jamais de frapper les oreilles de Dieu.

Saint Augustin, évêque d’Hippone au Ve siècleEnnarationes in psalmos 37 ; CCL 38, 391-392

Prier

Seigneur, au moment où ta route s’achève aux portes de Jérusalem, ta Ville sainte, tu tournes nos regards vers ces deniers temps où tu reviendras vers nous dans la gloire. Sois béni pour ce Royaume que tu es toi-même et qui croît au milieu de nous, en nous, malgré nos retards et nos hésitations. Sois béni de former en nous un cœur de disciple qui sache te prier dans la constance

et dans l’humilité, un cœur d’enfant simple et confiant, prêt à tout perdre pour te gagner, toi, Seigneur, l’amour et le but de notre vie. Donne-nous de nous tenir prêts à t’accueillir en fidèles serviteurs et à te reconnaître quand tu viendras exercer le jugement de ta miséricorde, toi qui veux nous combler de la joie surabondante du salut. Amen.

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Contempler

L’Orante (Sarcophage de Marcia Romana Celsa - IVe siècle)

Musée de l’Arles antique

Exhumé des faubourgs de Trinquetaille, en bordure d’Arles en Provence, lors de travaux menés en 1974, le sarcophage de Marcia Romana Celsa, jeune femme de la haute société romaine décédée à l’âge de 38 ans vers le milieu du IVe siècle, met en scène de nom-breux récits bibliques sur sa pa-roi frontale, au centre de laquelle trône la défunte, représentée en orante : les bras étendus en signe de prière. Elle sera pour nous, ce mois-ci, la figure qui nous aidera à méditer sur la parabole de la veuve importune.

Au centre de la paroi du sarcophage, l’orante, mains levées au ciel, est entourée de plusieurs épi-sodes néotestamentaires principalement reliés à la figure de saint Pierre : à gauche, l’annonce du renie-ment, l’arrestation de Pierre et, enfin, une scène étonnante qui mêle au récit du baptême du centurion Corneille au Livre des Actes, celui de Moïse frappant le rocher pour en faire jaillir l’eau. Du côté droit, ce sont trois miracles du Christ : la multiplication des pains, la guérison de l’aveugle et la résurrection de Lazare.

L’attitude de l’orant(e), debout, les bras levés, est la manière dont les plus anciennes représentations chrétiennes montrent ceux qui prient. Les icônes ont gardé cette tradition pour représenter la Vierge en prière. La Vierge que nous présentons ci-contre – Grande Panaghia de Yaroslavl, XIIe s. – est une Vierge dite «du signe» car elle porte l’enfant dans son ventre et, déjà, elle le présente au monde. L’enfant imite déjà sa mère en adoptant lui aussi la position de l’orant.

Source : Jean-Maurice Rouquette, Trois nouveaux sarcophages chrétiens de Trinquetaille (Arles). In : Comptes-rendus des séances de l’année... - Académie des inscriptions et belles-lettres, 118e année, N. 2, 1974. pp. 254-277.

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Lire - Luc 19,28-21,38

Cette dernière section traitant du ministère de Jésus se situe tout entière à Jérusalem. La montée vers la ville sainte, commencée au verset 9,51, et occupant donc pas moins de 10 chapitres sur 24, s’achève par un verset qui forme inclusion avec le premier (19,28), enserrant ainsi toute la

partie centrale de l’évangile et manifestant tout le dynamisme de la construction lucanienne.

L’introduction à cette section est formée par le récit de l’arrivée de Jésus à Jérusalem (19,29-44), avec, comme symbolisant les deux faces de la ville sainte et pécheresse, son entrée messianique sous les acclamations (19,29-40) et sa lamentation sur la ville qui n’a pas «reconnu le temps où elle fut visitée» (19,41-44). C’est ce passage qui est plus particulièrement médité dans l’atelier de ce mois.

Cette séquence à Jérusalem, marquée par sa grande unité de lieu autour du Temple, peut se diviser en deux parties : d’une part, les enseignements de Jésus et les controverses qu’il suscite (19,45-21,4) ; et, d’autre part, son discours sur la ruine de Jérusalem et la fin des temps qui, en Luc, est adressé à tous (21,5-38).

La première partie (19,45-21,4) commence directement dans le Temple et va être logique-ment initiée par sa purification (19,45-46), ainsi que par un sommaire de ce qui va suivre : «il était journellement à enseigner dans le Temple» (19, 47-48). Luc, suivant en cela Marc, place donc au début du ministère à Jérusalem, peu avant la Passion, l’épisode des vendeurs chassés du Temple – contrairement à Jean qui le situe tout au début de la vie publique (2,13-22) - ; il le traite rapidement, en lui donnant le sens d’une purification par Jésus du lieu où il va désormais enseigner.

Cette première partie, où «le peuple» est présenté comme favorable à Jésus et «suspendu à ses lèvres» (19,48), est scandée par les questions malveillantes des grands prêtres, des scribes et des anciens (20,1), de leurs «espions» (20,20) et de «quelques Sadducéens» (20,27), questions auxquelles Jésus répond directement – quoique souvent à la façon rabbinique, en posant une nouvelle question – ou par une parabole.

La première controverse (20,1-8) porte sur l’origine de l’autorité de Jésus – question d’autant plus brûlante que c’est précisément cette autorité personnelle, manifestée par Jésus dans ses enseigne-ments et ses miracles, qui heurte prêtres et docteurs de la Loi. La question qu’en guise de réponse, leur retourne Jésus à propos de l’autorité de Jean Baptiste (20,3), les renvoie à leurs contradictions et, plus fondamentalement, à leur incompétence pour juger des envoyés de Dieu (20,7).

Jésus cependant prolonge sa réponse par une parabole (20,9-19), adressée au peuple (20,9), mais que prêtres et scribes prennent pour eux (20,19). Cette parabole dite «des vignerons homicides» conte, sur le mode allégorique, l’histoire du salut incessamment offert par Dieu, jusqu’à l’envoi de son «fils bien-aimé» (20,13). En même temps qu’est dénoncée l’indignité des chefs du peuple, la mort du Fils est prophétisée – et, plus discrètement, son relèvement, par la citation du psaume 118 (20,17) –, ainsi que la disparition dramatique de l’organisation religieuse et politique traditionnelle d’Israël (20,16.18).

La deuxième controverse (20,20-26), moins frontale, cherche à partir d’une question sur l’impôt, à attirer Jésus dans une querelle non plus religieuse mais politique. Les «espions» commencent par le flatter (20,21) pour mieux l’enfermer dans un dilemme : être infidèle à la loi de Dieu ou rebelle à l’auto-rité de l’empereur (20,22). Mais Jésus répond en dissociant clairement les deux domaines religieux et politique (20,25), tout en affirmant la prééminence de Dieu : à l’empereur on ne donne que de l’argent frappé à son image (20,24) ; à Dieu, c’est nous-même, créés à son image, que nous devons offrir.

La troisième controverse (20,27-40), après l’échec des deux tentatives précédentes, fait interve-nir des Sadducéens, un groupe religieux très conservateur qui ne reconnaît que les cinq premiers livres de la Bible (la Torah) et, en conséquence, estime peu fondée la croyance en la résurrection des morts apparue plus tardivement. À partir d’un cas d’école parfaitement invraisemblable et se fondant sur une interprétation littérale de la loi du lévirat (Deutéronome 25,5-6), ils cherchent, par leur question faussement ingénue, à mettre en lumière l’absurdité de l’enseignement de Jésus sur le Royaume des

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cieux (20,28-33). Réponse leur est apportée en deux temps : Jésus rectifie d’abord leur conception trop matérialiste de la résurrection, en précisant qu’il s’agit d’une vie et d’un état nouveaux où l’on devient «pareil aux anges» (20,34-36) ; puis, à l’aide d’une citation, empruntée précisément à la Torah, il montre que la fidélité même de Dieu à l’alliance suppose que la relation nouée avec les membres de son peuple ne soit pas rompue par la mort (20,37-38).

Tous ses opposants ayant été réduits au silence, c’est Jésus lui-même qui prend l’initiative de la quatrième controverse (20,41-44), ramenée à vrai dire à un monologue. Sa question, formulée à partir du psaume 110, l’un des grands psaumes messianiques, revient à interroger sur l’identité du Messie, appelé «Seigneur» par David (considéré traditionnellement comme l’auteur des psaumes), mais aussi désigné comme «fils de David». Aucune réponse n’est apportée, ni par les scribes, ni par Jésus qui ne peut encore révéler qui il est : pour le comprendre, il faut que le mystère pascal ait été traversé.

Cette première partie, dans le Temple, se termine par un double tableau contrasté, comme Luc aime les brosser. D’un côté, Jésus fait remarquer à ses disciples l’attitude des scribes (20,45-47) ; de l’autre, il attire leur attention sur l’offrande d’une pauvre veuve (21,1-4). Les scribes sont critiqués (comme cela avait déjà été le cas par exemple en 11,37-53) pour le caractère ostentatoire de leur piété : grands châles de prière, places au premier rang, longues prières publiques (20,46). À l’opposé, la veuve dépose furtivement son obole, sans être remarquée de personne (21,2). Mais plus encore que leur vanité, Jésus déplore la cupidité des scribes – Luc aborde ainsi pour la dernière fois le thème de l’argent, si important pour lui –, cupidité qui les conduit à «dévorer les biens des veuves» (20,47) ; et cette notation servant d’accroche au tableau suivant, il admire la générosité de la veuve capable de donner à Dieu «tout ce qu’elle a pour vivre» (21,4).

La seconde partie de cette séquence à Jérusalem (21,5-38) consiste en un discours de Jésus qui prend prétexte, comme en Marc et Matthieu, d’une remarque sur la beauté du Temple ; mais, fidèle à son plan d’ensemble, Luc n’indique pas qu’il se déroule hors de Temple ou de la ville (21,5-5). Ce discours dit «eschatologique», c’est-à-dire concernant la fin des temps, mêle des remarques sur la destruction de Jérusalem – qui ont été interprétées par les premières communautés comme prophétisant la prise de la ville par Titus en 70, où le Temple effectivement a été détruit – et des indications sur les étapes de la fin de l’histoire. Luc a redistribué les éléments reçus de Marc en deux ensembles : à la fin du voyage vers Jérusalem, un premier discours traitait du «Jour du Fils de l’homme» (17,22-37), c’est-à-dire du jugement final ; ce second discours, plus développé et plus complexe, s’attache donc plutôt à présenter le déroule-ment des événements qui précéderont ce jour, moins d’ailleurs pour les décrire concrètement que pour raviver l’espérance des disciples et leur indiquer l’attitude spirituelle à garder : «Veillez et priez» (21,36). Il peut être divisé en deux grands ensembles : le récit, au demeurant peu circonstancié, des événements de l’histoire (21,8-28), et le commentaire qu’en donne Jésus à l’aide d’une parabole (21,29-36).

Le discours proprement dit commence par une mise en garde (21,8-9) contre de faux prophè-tes annonçant l’imminence de la parousie. Le chemin sera long jusqu’à la fin des temps et Jésus en précise les étapes dramatiques (21,10-27) : guerres et catastrophes naturelles (21,10-11), persécutions (21,12-19), chute de Jérusalem (21,20-24), catastrophes cosmiques (21,25-26).

Ces événements ne sont cependant pas simplement des épreuves à supporter. «Il faut que cela arrive» (21,9) : l’expression, empruntée à Daniel 2,28, indique qu’ils entrent dans le dessein de Dieu et tournent donc au bénéfice du croyant. «Les guerres et les désordres» (21,10-11) qui ponctuent l’histoire sont dus à des causalités humaines et naturelles qui n’ont pas à être interprétées. Mais, dans les persécu-tions (21,12-19), qui vont commencer de façon immédiate («avant tout cela», 21,12) et se prolonger au long des temps, les croyants se verront soutenus par le Christ leur donnant «langage et sagesse» (21,15) et protégés par Dieu (21,18). Quant à la ruine de Jérusalem (21,20-24), dont le siège et la chute sont dé-crits à l’aide d’expressions tirées des écrits prophétiques, elle prend sens dans la perspective biblique du châtiment des péchés permettant un relèvement, mystère préfiguré par «le temps des païens» (21,24). (Tout ce passage développe des thèmes déjà présents dans la lamentation de Jésus sur Jérusalem, en 19,41-44, qui est plus particulièrement étudiée dans cet atelier.) Enfin, comme cela est aussi tradition-

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nel dans l’Écriture, la fin des temps est précédée de signes cosmiques (21,25-26), comme si la création retournait au chaos initial, avant la venue du Fils de l’homme (21,27). La brièveté de cette mention, l’absence d’explications sur cette fin, montrent bien que la visée du discours ne se situe en fait pas là.

Dans le commentaire du discours (21,29-36), Jésus va préciser cette visée à l’aide d’une parabole (21,28-32), mais le verset conclusif a déjà donné la clé : «Redressez-vous, car votre rédemption approche» (21,28). De même que les bourgeons du figuier annoncent le printemps (21,30), de même tous les événements évoqués précédemment annoncent que «le Royaume de Dieu est proche» (21,31). Toutes les générations sont donc concernées (cf. 21,32) : la venue du Christ en gloire n’a pas à être renvoyée à la fin du monde, elle intervient dans chaque existence.

Il convient donc d’en tirer les conséquences spirituelles : les derniers versets (21,34-36) sont une exhortation à la vigilance et à la prière : le disciple, confronté aux difficultés et à la longueur du temps, est invité à ne pas désespérer devant ce que les premières communautés considéraient comme un retard de la parousie, et à ne pas relâcher sa ferveur.

La séquence à Jérusalem se clôt par deux versets (21,37-38), en inclusion avec 19,47-48, qui ré-sument le ministère de Jésus situé exclusivement dans le Temple : c’est un ministère d’enseignement (il n’est plus fait mention de miracles à Jérusalem) qui lui attire les faveurs du peuple. Son arrestation toute proche va en paraître d’autant plus soudaine et brutale.

Méditer - L’entrée de Jésus à Jérusalem (Luc 19,28-44)

Ce passage est celui que nous vous proposons de creuser plus particulièrement pour cette étape de l’atelier biblique. Les expressions en italique et en couleur sont commentées sous le texte.

C oncluant le voyage vers Jérusalem et ouvrant sur le ministère de Jésus dans la ville, terme de sa mission, le récit de son entrée solennelle dans la cité sainte, bien connu par la liturgie du dimanche des Rameaux, est un passage complexe, empli d’allusions à des textes de la Pre-mière Alliance, qui exprime le malentendu persistant sur la messianité de Jésus et prophétise

sa Passion et son exaltation.

19 [28] Ayant dit cela, il partait en tête, montant à Jérusalem. [29] Et il advint qu’en approchant de Bethphagé et de Béthanie, près du mont dit des Oliviers, il envoya deux des disciples, en disant : [30] «Allez au village qui est en face et, en y pénétrant, vous trouverez, à l’attache, un ânon que personne au monde n’a jamais monté ; détachez-le et amenez-le. [31] Et si quelqu’un vous demande : Pourquoi le détachez-vous ? Vous direz ceci : C’est que le Seigneur en a besoin.» [32] Étant donc partis, les envoyés trouvèrent les choses comme il leur avait dit. [33] Et tandis qu’ils détachaient l’ânon, ses maîtres leur dirent : «Pourquoi détachez-vous cet ânon ?» [34] Ils dirent : «C’est que le Seigneur en a besoin.»

[35] Ils l’amenèrent donc à Jésus et, jetant leurs manteaux sur l’ânon, ils firent monter Jésus. [36] Et, tandis qu’il avançait, les gens étendaient leurs man-teaux sur le chemin. [37] Déjà il approchait de la descente du mont des Oliviers quand, dans sa joie, toute la multitude des disciples se mit à louer Dieu d’une voix forte pour tous les miracles qu’ils avaient vus. [38] Ils disaient : «Béni soit celui qui vient, le Roi, au nom du Seigneur ! Paix dans le ciel et gloire au plus haut des cieux !»

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«partait en tête» : on retrouve la même attitude qu’au début de la marche vers Jérusalem. C’est tout ce verset 28 d’ailleurs, qui forme une inclu-sion avec 9,51, concluant ainsi la longue section de la montée vers Jérusalem qui occupe 10 chapitres sur les 24 que compte l’évangile selon Luc.

«à Jérusalem» : ce verset de transition conclut la marche, mais ouvre aussi la séquence suivante re-latant le ministère de Jésus à Jérusalem. On sait l’importance de la Ville sainte pour Luc (cf. atelier n°2 du 10 janvier) qui la présente comme le but de l’activité missionnaire de Jésus, depuis sa pre-mière entrée dans le Temple pour sa présentation (cf. 2,38 ; et aussi 13,33). Mais il vient d’être pré-cisé aux Douze que Jérusalem va devenir tout à la fois lieu de Passion et de Résurrection (18,31-33 ; cf. déjà 9,33 où, lors de la Transfiguration, Jésus parle de «son exode qu’il devait accomplir à Jérusa-lem», et 13,33-35).

«Béthanie» : si la bourgade de Bethphagé n’est in-diquée que pour baliser de façon précise l’itiné-raire suivi par Jésus, le nom de Béthanie renvoie à plusieurs mentions dans les Évangiles. On sait par Jean 11,1 que c’est «le village de Marie et de sa sœur Marthe». Luc a déjà parlé de ces deux femmes, recevant Jésus dans leur maison, dans un épisode qu’il est d’ailleurs seul à relater (10,38-42) ; mais s’il y cite bien les noms des deux protagonistes, il omet celui de leur village, car, selon la construc-tion de son évangile, on est encore au début de la marche et donc bien loin de Jérusalem. Preuve, s’il en fallait, que cette «montée vers Jérusalem» autour de laquelle Luc a organisé toute la partie centrale de son récit, a un sens théologique et non histori-que ou géographique.

«mont dit des Oliviers» : cette indication est d’abord géographique et montre que le voyage est bien terminé : le mont des Oliviers, en effet, est tout proche de Jérusalem puisque Luc précise, au début des Actes des Apôtres, que la distance qui sépare cette colline de la ville n’excède pas ce qu’il est permis de parcourir le jour du sabbat où tout déplacement, on le sait, est interdit (Actes 1,12). Mais le mont des Oliviers est surtout, plus encore que la Ville elle-même, lieu de souffrance et de gloire. Le roi David y a fui lors de la révolte de son fils Absalom : «David gravissait en pleurant la montée des Oliviers, la tête voilée et les pieds nus» (2 Samuel 15,30), vêtu donc comme pour un deuil. Mais c’est aussi là que, selon le prophète Zacharie, se livrera le combat eschatologique, conclu par la victoire définitive du Seigneur et l’affirmation de sa royauté universelle : «En ce jour-là, les pieds du Seigneur se poseront sur le mont des Oliviers qui fait face à Jérusalem vers l’Orient. Et le mont des Oliviers se fendra par le milieu, d’est en ouest, en une im-mense vallée... Et le Seigneur mon Dieu viendra, tous les saints avec lui» (Zacharie 14,4-5). Jésus, nou-veau David, va y vivre son agonie (Luc 22,39-44) et son ascension dans la gloire (Luc 24,50-51 ; Actes 1,9-12).

«envoya deux des disciples» : parallélisme frappant entre le récit des préparatifs de l’entrée à Jérusa-lem, et ceux du repas pascal relatés en 22,7-13 : même envoi de deux disciples ; même précision des consignes («Vous trouverez à l’attache un ânon... Vous rencontrerez un homme...» ; même référence à l’autorité de Jésus («Le Seigneur en a besoin... Le Maître te fait dire...»). C’est dire qu’ici aussi va se jouer quelque chose de fondamental où l’identité même de Jésus est en jeu.

[39] Quelques Pharisiens de la foule lui dirent : «Maître, réprimande tes disciples.» [40] Mais il répondit : «Je vous le dis, si eux se taisent, les pierres crieront.»

[41] Quand il fut proche, à la vue de la ville, il pleura sur elle, [42] en di-sant : «Ah ! si en ce jour tu avais compris, toi aussi, le message de paix ! Mais non, il est demeuré caché à tes yeux. [43] Oui, des jours viendront sur toi, où tes en-nemis t’environneront de retranchements, t’investiront, te presseront de toute part. [44] Ils t’écraseront sur le sol, toi et tes enfants au milieu de toi, et ils ne laisseront pas en toi pierre sur pierre, parce que tu n’as pas reconnu le temps où tu fus visitée !»

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«un ânon» : contrairement aux parallèles en Mat-thieu 21,5 et Jean 12,15, Luc ne cite pas l’oracle du prophète Zacharie qui annonce la venue d’un roi humble et victorieux tout à la fois : «Exulte avec force, fille de Sion ! Crie de joie, fille de Jérusalem ! Voici que ton roi vient à toi : il est juste et victorieux, humble, monté sur un âne, sur un ânon, le petit d’une ânesse» (Zacharie 9,9). Peut-être parce qu’il suit Marc qui ne cite pas non plus l’oracle. Sans doute parce qu’à la différence de la communauté judéo-chrétienne de Matthieu – pour laquelle celui-ci multiplie les «oracles d’accomplissement», dans le but de bien montrer que Jésus est le Messie an-noncé par les Écritures –, la communauté de Luc était d’origine païenne et donc moins familière des écrits prophétiques et moins sensible à ce type de démonstration. Il faut cependant noter que, si l’hu-milité du roi annoncé par Zacharie se manifeste dans le fait qu’il choisisse un petit âne, l’âne – et surtout l’ânesse – n’en était pas moins, aux débuts d’Israël, la monture des prophètes (cf. Balaam et son ânesse, Nombres 2,21s), des princes et des juges (Genèse 49,11 ; Juges 5,10 ; 10,4 ; 12,14), et même des premiers rois (1 Rois 1,38).

«que personne au monde n’a jamais monté» : rappel de l’épisode du livre de Samuel où l’arche d’alliance est transportée sur «un chariot neuf» tiré par deux vaches «qui n’ont pas porté le joug» (1 Samuel 6,7). L’usage est en effet de prendre pour le culte des objets neufs et des animaux qui n’ont encore été utilisés pour servir l’homme (cf. Nombres 19,2 ; Deutéronome 21,3 ; 2 Rois 2,20...) Ici Jésus n’est donc pas seulement comparé aux premiers rois – avant qu’ils n’imitent les rois païens, en ayant eux aussi chars et chevaux – ; il est identifié à la Pré-sence de Dieu au milieu de son peuple qui était figurée par l’arche d’alliance (cf. Exode 40,1-35 ; 1 Rois 8,1-12).

«Le Seigneur» : il ne s’agit pas de la simple formule de politesse ou de respect qu’utilisent certains in-terlocuteurs de Jésus, mais bien du titre qui affirme sa royauté messianique. Paul en explicite le carac-tère plénier dans l’hymne de l’épître aux Philippiens 2,9-11 : «Aussi Dieu l’a-t-il exalté et lui a donné le Nom qui est au-dessus de tout Nom pour que (...) toute langue proclame de Jésus-Christ qu’il est Seigneur, à la gloire de Dieu le Père» (2,9-11). En Luc, ce titre n’est appliqué à Jésus par lui-même que dans ce seul verset.

«...les choses comme il leur avait dit» : l’insistance de Luc qui répète, mot à mot, au style direct du récit

(v. 31-32) ce qui a été dit au style indirect de l’or-dre (v. 30-31), montre la prescience de Jésus qui, non seulement donne un signe, mais en détaille les conditions d’accomplissement. La répétition du dialogue entre les disciples et les propriétaires de l’ânon n’est pas un doublon, mais vise à en souli-gner l’aspect prophétique.

«jetant leurs manteaux» : c’est un cortège triom-phal qui entre à Jérusalem, beaucoup de détails des versets 35-38 étant empruntés aux rites d’in-tronisation des rois.

«...étendaient leurs manteaux» : c’est ce que font les compagnons de Jéhu (2 Rois 9,13), après qu’il a été oint par le prophète Élisée «comme roi sur le peuple d’Israël», à la place d’Achab. L’image évoque donc quelqu’un qui, non seulement a reçu une onction toute particulière, mais encore qui a reçu mission, de la part du Seigneur, de remplacer un roi impie et sanguinaire et de fonder une nouvelle dynastie.

«joie» : la joie est de façon générale un signe de la venue du Messie. Ici elle renvoie, ainsi que plu-sieurs autres allusions, au récit de l’intronisation de Salomon, comme successeur du roi David : «Ils mirent Salomon sur la mule du roi David et ils le me-nèrent à Gihôn. (...) On sonna du cor et tout le peuple cria : ‘Vive le roi Salomon !’ Puis tout le monde monta à sa suite et le peuple manifestait une grande joie, avec des clameurs à fendre la terre» (1 Rois 1,38-40). Plus que Jéhu, roi d’Israël qui va se montrer aussi impie que ses prédécesseurs, c’est donc la figure idéale de Salomon, le roi de paix (son nom est formé sur la même racine que shalom, la paix),

G. D

oré

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qu’évoque ce passage, par l’ânesse royale, la des-cente à la source qui se trouve en bas du mont des Oliviers, les cris et les manifestations de joie du peuple...

«la multitude des disciples» : il n’y a pas chez Luc, comme dans les passages parallèles des autres évangiles, «des gens en très grand nombre» (Mat-thieu 21,8-9) ou «une foule nombreuse» venue à sa rencontre avec des branches de palmiers (Jean 12,12-13). Il souligne ainsi, une fois de plus, l’attitu-de de refus de la Ville sainte dont personne ne sort (contrairement à Jean 12,13) pour acclamer Jésus. Seuls les disciples escortent leur roi. Ce sont eux qui réalisent immédiatement l’oracle de 13,35 : «Oui, je vous le dis, vous ne me verrez plus jusqu’à ce qu’arrive le jour où vous direz : ‘Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur !’» ; contrairement à Jérusalem (on peut rapprocher l’apostrophe : «Jérusalem, Jéru-salem, toi qui tues les prophètes...» de 13,34-35 de la lamentation sur la ville, qui va suivre en 19,42-44), ils reconnaissent en Jésus l’envoyé de Dieu et sont dans la louange (comme les bergers, en 2,20, à la première manifestation du Messie, sa naissance à Bethléem) : ils sont donc bien une «multitude» puisqu’ils représentent tous les croyants.

«Béni soit...» : les quatre évangiles, dans les récits parallèles (Matthieu 21,9 ; Marc 11,9 ; Jean 12,13), citent, en guise d’acclamation, un verset du psau-me 118, le psaume qui accompagnait la procession vers le Temple, lors de la liturgie de la fête des Tentes (cf. Lévitique 23,33-36.39-43). Mais Luc se distingue en omettant la demande du verset 25 du psaume, citée en hébreu par les autres évan-gélistes : «Hosanna !» («Donne le salut»), pour ne garder que la bénédiction du verset 26.

«le Roi» : encore une addition originale de Luc, au milieu de la bénédiction, alors que Matthieu 21,9 a : «Fils de David» ; Marc 11,10, plus développé : «Béni soit le Royaume qui vient, de notre père Da-vid» ; et Jean 12,13 : «le roi d’Israël». Cette sobriété du titre, bien présent cependant, est à mettre en relation avec la péricope précédente qui clôt la séquence du voyage vers Jérusalem : en 19,11, Luc note qu’à l’approche de Jérusalem, «on pensait que le Royaume de Dieu allait apparaître à l’instant même» ; contre cet espoir de l’avènement im-médiat du royaume messianique et contre l’idée même d’un messianisme royal triomphant, Jésus a mis en garde en racontant la parabole des mines où il est question d’«un homme de haute naissan-

ce» qui «se rend dans un pays lointain pour recevoir la dignité royale et revenir ensuite» (19,12). C’est dire que l’investiture royale lui sera conférée ailleurs et autrement : non par les disciples ou la foule, pour ce monde-ci ; mais par Dieu lui-même qui, de ce même mont des Oliviers, l’emportera dans la gloire (24,50-51). L’intronisation royale de Jésus arrivant à Jérusalem n’est qu’une préfiguration de la véritable intronisation du Christ ressuscité dans la Jérusalem céleste.

«Paix dans le ciel» : la paix, comme la joie, est un attribut de l’ère messianique (cf. Isaïe 9,5 : «on lui a donné ce nom : (...) Prince de la paix» ; Michée 5,4 : «Celui-ci sera paix»). Mais, de plus, Luc reprend ici l’acclamation qu’il avait prêtée aux anges dans la nuit de Bethléem (2,14) : ce Roi exerce vraiment une royauté universelle, sur la terre et dans le ciel. Mais, pour le moment, alors que l’arrivée à Jéru-salem indique que la Passion est proche, la paix n’existe encore que «dans le ciel» (à comparer à 2,14b : «sur la terre, paix aux hommes objets de sa complaisance»).

«Pharisiens» : c’est, en Luc, la dernière intervention de ce groupe d’hommes religieux, choqués par l’identification de Jésus au roi messie, descendant de David. Seuls seront mentionnés désormais, pendant les enseignements de Jésus à Jérusalem et la Passion, «les grands prêtres, les scribes et les anciens» et, une seule fois, les Sadducéens (20,27).

«réprimande» : fidèles à l’image qu’en donne Luc, les Pharisiens adoptent un ton d’indignation ver-tueuse et méprisante. Le même verbe est utilisé par ceux qui veulent faire taire l’aveugle de Jéricho, alors qu’il donne, lui aussi, à Jésus un titre mes-sianique : «Ils le réprimandaient pour le faire taire, mais lui criait de plus belle : ‘Fils de David, aie pitié de moi !’» (18,39).

«les pierres crieront» : le refus de Jésus est expri-mé de façon élégante, mais surtout théologique (comme le montre l’incise solennelle : «je vous le dis») : si les hommes ne peuvent dire la vérité sur lui, c’est la création tout entière qui l’affirmera. La formule est à rapprocher de la prédication de Jean Baptiste : «Je vous dis que Dieu peut, des pierres que voici, faire surgir des enfants à Abraham» (3,8), qui montre la même docilité de la création à la voix de son Créateur. L’origine en semble être l’oracle du prophète Habaquq : «Car des murailles même, la pierre crie» (2,11).

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«pleura» : c’est la seule occurrence dans les évan-giles synoptiques mentionnant cette attitude de Jésus (tandis que Jean 11,35 note les pleurs de Jésus devant le tombeau de Lazare). Le contraste est ici frappant avec la joie que manifestent ceux qui l’entourent ; mais la cause de ces larmes claire-ment identifiée : «à la vue de la ville». Alors que les disciples sont encore dans la joie d’avoir reconnu le Messie de Dieu, Jésus pleure déjà le rejet par Jé-rusalem de son enseignement et de sa personne, jusqu’à la Passion. Par-delà l’émotion humaine, il s’agit d’un geste prophétique, comparable à celui de Jérémie, présenté d’ailleurs comme un oracle : «Tu leur diras cette parole : Que mes yeux versent des larmes, jour et nuit sans tarir, car d’une grande bles-sure est blessée la vierge, fille de mon peuple, d’une plaie très grave» (Jérémie 14,17).

«si tu avais compris» : l’oracle sur Jérusalem de ces trois versets est très proche de celui de 13,34 : Jésus y exprime la même tendresse pour la ville, la même tristesse devant son rejet. Face à la bonne nouvelle du salut, la liberté de Jérusalem – c’est-à-dire de tout homme – reste entière (cf. les paro-les du roi, dans la parabole des mines, qui donne décidément beaucoup de clés pour comprendre tout ce passage : «Je te juge sur tes propres paroles», 19,22).

«le message de paix» : c’est l’annonce des anges, dans la nuit de Bethléem (2,14) ; et c’est sans dou-te, selon Luc, ce que Jérusalem n’a pas accepté : que le messie soit un roi pacifique pour tous les hommes, comme l’explicite Pierre dans son dis-cours au païen Corneille : «Il a envoyé sa parole aux Israélites, leur annonçant la bonne nouvelle de la paix par Jésus Christ : c’est lui le Seigneur de tous». La for-mulation cependant reprend celles des prophètes (cf. Isaïe 52,7 ; Nahum 2,1) ; Paul en déploiera tout le sens théologique : «C’est lui qui est notre paix, lui qui des deux peuples (les juifs et les païens) n’en a fait qu’un, (...) pour créer en sa personne les deux en un seul homme nouveau, faire la paix, et les réconcilier avec Dieu, tous deux en un seul Corps, par la croix» (Éphésiens 2,14-16).

«demeuré caché» : la formulation passive, qui indi-que l’action de Dieu, montre que l’aveuglement de Jérusalem, s’il est d’abord le fait de sa déci-sion libre, entre aussi dans le dessein divin (cf. de même 8,10, citant Is 6,9). Mais, loin de nier la li-berté de l’homme ou de l’enfermer dans quelque fatalité, ceci, dans la perspective biblique, donne

sens aux échecs humains ou aux catastrophes historiques : le Seigneur permet en effet le châti-ment, en raison des fautes commises, mais toute l’histoire d’Israël montre qu’il pardonne et vient ensuite en aide à son peuple dans la détresse. Pa-radoxalement, c’est donc affirmer que la rupture n’est pas définitive et que l’espérance demeure (pour la compréhension théologique de l’attitude d’Israël par rapport à la révélation, cf. l’épître aux Romains, en particulier le chapitre 11 : «Je ne veux pas vous laisser ignorer ce mystère : une partie d’Is-raël s’est endurcie jusqu’à ce que soit entrée la tota-lité des païens...»).

«des jours viendront» : formulation traditionnelle chez les prophètes pour annoncer le châtiment imminent. Luc énonce les conséquences du refus de Jérusalem sous la forme d’un oracle (v. 43-44) entièrement composé de citations et d’allusions bibliques (Isaïe 29,3 ; Jérémie 52,4-5 ; Ezéchiel 4,1-3 ; 21,27 ; Osée 10,14 ; 14,1 ; Nahum 3,10 ; Psaume 79,1...). Ces textes concernaient à l’ori-gine la ruine de Jérusalem par les soldats de Na-buchodonosor en 587 av. JC ; il n’est donc pas nécessaire d’y voir une prophétie (encore moins une description) de la destruction de Jérusalem par les armées de Titus, en 70.

«pierre sur pierre» : voilà les pierres qui «crieront» (cf. 19,40) : celles de la ville qui n’a pas su lire «les signes des temps» (12,56) et reconnaître le Messie de Dieu.

«visitée» : encore un mot repris des écrits de la Première Alliance. La «visite» – terme emprunté au vocabulaire des institutions publiques –, la vi-site de Dieu signifie son intervention dans la vie d’un homme ou du peuple, pour apporter la vie (Psaume 65,10), la fécondité (Genèse 21,1), la li-bération (Genèse 50,54 ; Jérémie 29,10), le salut (Exode 3,16 ; Psaume 80,15), mais aussi le juge-ment (Sagesse 10,7.13) et le châtiment (Sagesse 14,11 ; Jérémie 6,15 ; 23,34). En Luc, le terme ouvre le cantique de Zacharie, bénissant le Seigneur qui «a visité et délivré son peuple» (1,68). Et, repris dans les deux versets, il exprime la différence d’attitude entre ceux qui, à la vue de la résurrection du fils de la veuve de Naïn, ont glorifié Dieu «en disant : ‘Un grand prophète s’est levé parmi nous et Dieu a visité son peuple’» (7,16), et Jérusalem qui a refusé de croire lorsque Jésus y a enseigné, et n’a pas voulu reconnaître que «le temps», annoncé par les Écritures, de la visite de Dieu était arrivé.

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Allons à la rencontre du Christ ◗

Venez, gravissons ensemble le mont des Oliviers ; allons à la rencontre du Christ. Il revient aujourd’hui de Béthanie et il s’avance de son plein gré vers sa sainte et bienheureuse passion, afin de mener à son terme le mystère de notre salut.

Il vient donc, en faisant route vers Jérusalem, lui qui est venu du ciel pour nous, alors que nous étions gisants au plus bas, afin de nous élever avec lui, comme l’explique l’Écriture, au-dessus de toutes les puissances et de tous les êtres qui nous dominent, quel que soit leur nom. Mais il vient sans osten-tation et sans faste. Car, dit le prophète, il ne protestera pas, il ne criera pas, on n’entendra pas sa voix. Il sera doux et humble, il fera modestement son entrée.

Alors, courons avec lui qui se hâte vers sa passion ; imitons ceux qui allèrent au-devant de lui. Non pas pour étendre sur son chemin, comme ils l’ont fait, des rameaux d’olivier, des vêtements ou des palmes. C’est nous-mêmes qu’il faut abaisser devant lui, autant que nous le pouvons, par l’humilité du cœur et la droiture de l’esprit, afin d’accueillir le Verbe qui vient, afin que Dieu trouve place en nous, lui que rien ne peut contenir.

C’est ainsi que nous préparerons le chemin au Christ : nous n’étendrons pas des vêtements ou des rameaux inanimés, des branches d’arbres qui vont bientôt se faner et qui ne réjouissent le regard que peu de temps. Notre vêtement, c’est sa grâce, ou plutôt c’est lui tout entier que nous avons revêtu : Vous tous que le baptême a unis au Christ, vous avez revêtu le Christ. C’est nous-mêmes que nous devons, en guise de vêtements, déployer sous ses pas. Au lieu de branches de palmier ; il nous faut donc apporter les trophées de la victoire à celui qui a triomphé de la mort. Nous aussi, en ce jour, disons avec les enfants, en agitant les rameaux qui symbolisent notre vie : Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur, le roi d’Israël !

Saint André de Crète, archevêque de Cortyne en Crète, au VIIIe siècleSermon pour les Rameaux, PG 97, 1002-1003

Prier

Seigneur Jésus, tu entres dans Jérusalem, toi le Roi doux et humble, toi le Maître qui enseignes avec autorité et bienveillance, toi le Seigneur qui viens te faire le serviteur de tous. Tu vois nos cœurs faibles et partagés, à l’image de la Ville sainte, qui t’accueillent avec joie et souvent te re-jettent. Viens en aide à notre manque de foi et sois notre force, toi qui es Sauveur. Fais de nous

ces enfants heureux qui courent à ta rencontre et reconnaissent en toi celui qui vient accomplir les promesses et nous conduire en la Jérusalem céleste, là où le Père nous prépare, par-delà les divisions et les épreuves, «une masse éternelle de gloire», toi qui règnes avec lui dans les siècles. Amen.

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Contempler

L’icône de l’entrée du Seigneur à Jérusalem

Icône traditionnelle écrite par une sœur des Fraternités de Jérusalem

Bien que de facture mo-derne, l’icône obéit à des canons préétablis dont le but est non pas de brider la créativité mais de pré-server la signification théologique de l’œuvre. Avant d’être une œu-vre d’art, – ce qu’elle est souvent aussi ! – une icône est une parole sur le mystère de Dieu, parole qu’il faut savoir lire et interpréter en fonction des critères propres à la tradition dont elle provient. Tout a un sens dans une icône : la taille et la position des personnages, la couleur de leurs vêtements, le style de l’arrière-plan, l’orientation des visages... C’est pourquoi il ne faut pas craindre de prendre du temps pour en déchiffrer pleinement le message.

Le cadreSelon des proportions

des 2/3 1/3, l’icône est approxi-mativement coupée en deux. D’un côté la montagne – sans doute le mont des Oliviers, dont on remarque la perspective in-versée qui accentue encore l’ef-fet d’opposition des deux espa-ces –, de l’autre une ville ceinte de murailles et aux toits colorés, Jérusalem, au milieu de laquelle pointe le dôme du Saint-Sépulcre. Cet anachronisme ne doit pas nous choquer, l’icône portant avant tout un message théologique et symboli-que : c’est bien pour mourir que Jésus se dirige vers Jérusalem. Entre ces deux espaces – comme pour préfigurer celui sur lequel Jésus sera élevé, l’arbre de la croix –, un arbre se dresse, aux branches duquel sont agrippés quelques enfants. Ils rappellent Zachée, monté dans son arbre pour apercevoir Jésus, et ressemblent à leurs compagnons du bas de l’icône.

Les personnagesOn retrouve la même opposition entre deux groupes : à gauche, le groupe des disciples qui

suivent Jésus d’un air décidé, tendant la main en direction de la ville. Jésus les regarde ostensiblement, tourné vers l’arrière et non vers la ville ou encore vers cet autre groupe venu l’accueillir, palmes à la main. Les deux groupes se font face, comme pour signifier l’affrontement inévitable qui découlera de la rencontre. Seuls les enfants, dont le vêtement blanc rappelle l’innocence et préfigure la victoire de celui qui s’avance pourtant vers sa mort, échappent à la tension qui marque la scène. Joie et tristesse y sont inextricablement mêlées : au milieu des chants et des danses, Jésus s’avance vers sa Passion en tenant d’une main le rouleau des Écritures et en bénissant de l’autre.

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Lire - Luc 22-23

Les chapitres 22 et 23, que nous lisons ce mois-ci, sont entièrement occupés par le récit de la Passion, du complot fomenté contre Jésus (22,1-2) à son ensevelissement (23,50-56). Les récits de la Passion, que les exégètes pensent avoir été les premiers mis par écrit, sont très développés

dans les quatre évangiles, et Luc ne manque pas de travailler particulièrement le sien, à partir de la re-cension de Marc – qui reste sa première source, mais dont il s’écarte souvent, en déplaçant, omettant ou développant tel ou tel trait –, mais aussi d’une autre source connue également par Jean avec qui il a en commun quelques passages. Son récit est tout entier tourné vers Jésus – il se préoccupe peu, en revanche, d’établir les responsabilités des uns et des autres – et il souligne particulièrement deux traits : l’innocence de Jésus, présenté comme «un juste» (23,47), et sa sérénité devant ces événements auxquels il a choisi de «se livrer» pour que le dessein de salut de Dieu s’accomplisse.

Le chapitre 22 peut se diviser en deux grandes parties, distinguées par le changement de lieu («Il sortit…» : 22,39). La première (22,1-38) est centrée tout entière sur la pâque : la pâque juive – son contexte est rappelé dès le premier verset – et la pâque nouvelle qu’institue Jésus, suivie de quelques éléments d’un discours d’adieu. Dans la seconde partie (22,39-71), les événements commencent à se succéder à un rythme rapide avec l’arrestation de Jésus et son procès devant les autorités religieuses.

La pâque s’annonce donc (22,1), alors que le complot contre Jésus (déjà ourdi en 20,19) peut en-fin se nouer grâce à la trahison de Judas, que Luc (22,2), comme Jean (13,17), attribue à l’action de Satan. Les préparatifs du repas pascal (22,7-13) sont effectués par deux disciples, Pierre et Jean, à la demande de Jésus, en un dialogue proche de celui de l’entrée à Jérusalem (cf. 19,30-34).

C’est donc un souper pascal que célèbrent Jésus et ses disciples (22,14-18), repas traditionnel qui fait revivre chaque année la joie du salut apporté par la libération d’Égypte. Mais c’est aussi un repas réinterprété par Jésus (22,19-20) qui en fait le mémorial du salut apporté par sa mort et de sa présence constante parmi les siens. Luc, beaucoup plus que Marc et Matthieu, suit l’ordre du repas traditionnel (par exemple en mentionnant la première coupe avant la bénédiction du pain) ; mais il omet le mets essentiel : l’agneau pascal – qui devait être consommé entre le pain azyme (souvenir du «pain de misère» de l’Égypte : Deutéronome 16,3) et la coupe de bénédiction, car le véritable agneau pascal est désor-mais le Christ lui-même, donné à tous dans le pain et le vin eucharistiques.

Le discours d’adieu qui suit le repas (22,21-38) est moins long et organisé qu’en Jean (13,12-16,33), mais il a en commun avec lui quelques éléments : l’annonce de la trahison de Judas (22,21-23) ; l’appel à l’humilité du service, exprimé non par le geste du lavement des pieds, mais par le déplacement ici d’une querelle de préséance entre les disciples (22,24-27) ; la promesse d’une récompense pour les apôtres appelés à «juger» (22,28-30), c’est-à-dire effectivement à exercer leur autorité sur les pre-mières communautés ; enfin l’annonce du reniement de Pierre (22,31-34), ici assortie de la promesse que la prière de Jésus ne lui fera pas défaut et affermira sa foi. Le discours s’achève par des consignes (22,35-38), qui contrastent avec celles des premières missions (9,3-4 ; 10,4-8) : les disciples sont invités à présent à se munir d’argent, de besace et même d’armes ; cette annonce voilée des persécutions qu’à la suite de leur Maître, les disciples vont subir, n’est évidemment pas comprise par ceux-ci qui l’inter-prètent comme un projet de résistance violente à ceux qui en veulent à Jésus (22,38).

Dans la seconde partie du chapitre, les scènes vont se succéder en différents lieux et d’abord, pour les deux premières, au Mont des Oliviers (22,39) où, en total contraste avec l’arrivée triomphale à cet endroit quelque temps plus tôt (20,37), Jésus vit son agonie (22,40-46) et est arrêté (22,47-53). Les deux scènes comportent de nombreux éléments propres à Luc : l’absence du nom de Gethsémani et la présence de tous les disciples (et non seulement de Pierre, Jacques et Jean) ; la prière pour que se fasse la volonté du Père, dans les termes appris aux disciples en Matthieu 6,10, mais qui manquent dans la re-cension du Notre Père donné par Luc (11,2-4) ; la sueur de sang et le réconfort apporté par un ange ; le miracle de guérison dont bénéficie le serviteur du grand prêtre à qui l’on a tranché l’oreille ; l’omission enfin de la fuite des disciples, Luc se montrant toujours attentif à ne pas souligner leurs faiblesses.

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Les trois scènes suivantes se déroulent dans la maison du grand prêtre : le reniement de Pierre qui se chauffe à un feu allumé dans la cour (22,54-62) ; les premiers outrages de la part des gardes (22,63-65) et, au lever du jour, la comparution devant le Sanhédrin (22,66-71). Luc ajoute ou met en valeur certains éléments : le regard de Jésus sur Pierre qui provoque son repentir ; l’attribution des outrages à de simples gardes désœuvrés pendant l’attente de la nuit (alors qu’en Marc 14,25, ils sont le fait de membres du Sanhédrin après la comparution de Jésus) ; la sobriété de l’interrogatoire, sans intervention du grand prêtre ni de témoins, qui porte uniquement sur l’identité de Jésus (Christ ? Fils de Dieu ?) et ne débouche sur aucune sentence.

Un nouveau déplacement de lieu introduit le chapitre 23 qui peut lui aussi se diviser en deux grands blocs : le procès devant les autorités civiles (23,2-25) et la montée au Calvaire et la crucifixion (23,26-56).

Le procès se déroule en trois temps : comparution devant Ponce Pilate (23,2-7) qui le renvoie de-vant Hérode (23,8-12) qui le défère à nouveau devant Pilate (23,13-24). Luc s’efforce surtout, dans tout ce passage, de montrer, à l’intention de ses lecteurs romains, que Jésus est innocent des crimes contre l’Empire dont on l’accuse (23,2) et qui n’ont d’ailleurs pas été évoqués devant le Sanhédrin. Pour ce faire, il mobilise comme témoins de cette innocence, Pilate, convaincu par une seule réponse : «Tu le dis» (23,3) ; Hérode à qui Jésus ne répond rien (23,9) ; et de nouveau Pilate qui, par trois fois, affirme qu’il n’a «trouvé en lui aucun motif de condamnation» (23,14.20.22). La condamnation de Jésus est donc présentée comme le résultat des manœuvres maladroites de politiques mus par la lâcheté et la peur, et des mensonges de religieux qui finissent par se déjuger complètement en demandant la libération d’un assassin (23,18).

On note aussi que les scènes d’outrages sont très discrètes (23,11.25), parfois même détournées (ainsi Hérode revêt Jésus «d’un habit splendide» : 23,11, sans doute par moquerie, mais à l’effet affaibli cepen-dant par rapport à la «chlamyde éclatante» de Matthieu 27,28 et à la «pourpre» dérisoire de Marc 15,20).

La séquence finale de la crucifixion est composée comme un diptyque : elle s’ouvre par la montée au Calvaire (23,26-32) à laquelle fait pendant, à la fin, la scène de l’ensevelissement (23,50-56) ; la mort de Jésus, au centre du passage (23,44-45), est précédée des moqueries des soldats et d’un malfaiteur crucifié avec lui, ainsi que du dialogue avec le second (23,35-43), et suivie des réactions des foules et de ses amis (23,47-49).

Sur le chemin du Calvaire, Luc multiplie les rencontres : avec Simon de Cyrène (23,26), type même du disciple portant la croix à la suite du Maître ; avec des femmes (23,27-31), ce qui donne occa-sion d’une nouvelle lamentation sur Jérusalem dans la tonalité du discours eschatologique (21,20s). Au moment du crucifiement (23,33-34), décrit lui aussi avec une grande sobriété, il met sur les lèvres de Jé-sus une dernière prière d’intercession (23,34) : «Père, pardonne-leur…», que reprend Étienne, le premier martyr (Actes 7,60), et les disciples à sa suite. Ainsi certains des thèmes favoris de Luc : l’importance de Jérusalem, la prière, la suite du Christ, sont orchestrés en ce moment ultime.

Le passage plus particulièrement étudié ce mois-ci (cf. la rubrique «Méditer») contemple Jésus en croix, moqué par les chefs juifs, les soldats romains et un brigand (23,35-39), selon le schéma des tenta-tions au désert (4,1-13), et exauçant la prière du «bon larron» (23,40-43) ; puis sa mort «à la sixième heu-re» (23,44-46), et les réactions consécutives de l’officier romain, des foules et des disciples (23,47-49).

Le récit de l’ensevelissement qui clôt le chapitre (23,50-56) ne mentionne pas explicitement l’absence des disciples, mais fait intervenir un nouveau personnage, Joseph d’Arimathie, membre du Sanhédrin, mais «juste» (23,50), comme l’était le premier Joseph (Matthieu 1,19), qui ose aller «réclamer le corps de Jésus» (23,53). La proximité du sabbat est soulignée (23,54) pour justifier l’ensevelissement hâtif, sans rite ni onction (contrairement à Jean 19,40). La conclusion rend hommage à la fidélité des femmes qui ont suivi Jésus depuis la Galilée (23,55, et déjà 23,49) et sont encore là, témoins de sa mort et de sa sépulture ; elles continuent à «l’assister» (cf. 8,3) en préparant les aromates pour l’onction (23,56), et seront, au matin de Pâques, les premières à se rendre au tombeau.

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Méditer - Le bon larron et la mort de Jésus (23,35-49)

Ce passage est celui que nous vous proposons de creuser plus particulièrement pour cette étape de l’atelier biblique. Les expressions en italique et en couleur sont commentées sous le texte.

Le récit de la Passion en Luc comporte plusieurs traits originaux, en particulier le dialogue avec le bon larron, sommet de l’Évangile de celui que Dante appelait «le scribe de la mansuétude de Dieu».

23 [35] Le peuple se tenait là, à regarder. Les chefs, eux, se moquaient : «Il en a sauvé d’autres, disaient-ils ; qu’il se sauve lui-même, s’il est le Christ de Dieu, l’Élu !» [36] Les soldats aussi se gaussèrent de lui : s’approchant pour lui présenter du vinaigre, [37] ils disaient : «Si tu es le roi des Juifs, sauve-toi toi-même !» [38] Il y avait aussi une inscription au-dessus de lui : «Celui-ci est le roi des Juifs.»

[39] L’un des malfaiteurs suspendus à la croix l’injuriait : «N’es-tu pas le Christ ? Sauve-toi toi même, et nous aussi.» [40] Mais l’autre, le reprenant, déclara : «Tu n’as même pas crainte de Dieu, alors que tu subis la même peine ! [41] Pour nous, c’est justice, nous payons nos actes ; mais lui n’a rien fait de mal.» [42] Et il disait : «Jésus, souviens-toi de moi, lorsque tu viendras avec ton royaume.» [43] Et il lui dit : «En vérité, je te le dis, aujourd’hui tu seras avec moi dans le Paradis.»

[44] C’était déjà environ la sixième heure quand, le soleil s’éclipsant, l’obscurité se fit sur la terre entière, jusqu’à la neuvième heure. [45] Le voile du Sanctuaire se déchira par le milieu, [46] et, jetant un grand cri, Jésus dit : «Père, en tes mains je remets mon esprit.» Ayant dit cela, il expira.

[47] Voyant ce qui était arrivé, le centenier glorifiait Dieu, en disant : «Sûrement, cet homme était un juste !» [48] Et toutes les foules qui s’étaient rassemblées pour ce spectacle, voyant ce qui était arrivé, s’en retournaient en se frappant la poitrine.

[49] Tous ses amis se tenaient à distance, ainsi que les femmes qui l’ac-compagnaient depuis la Galilée, et qui regardaient cela.

«regarder» : cette notation ouvre et ferme (v. 49) le récit de la crucifixion. Sans doute est-ce d’abord une réminiscence du Ps 22,8 : «tous ceux qui me voient me bafouent, ils ricanent et hochent la tête». Mais ce rapprochement est beaucoup plus évident en Mt 27,39, car Matthieu, écrivant pour sa com-munauté judéo-chrétienne, est soucieux de mon-trer dans la Passion l’accomplissement des Écritu-res, en particulier des psaumes, et multiplie pour cela les citations explicites ou implicites. Cette préoccupation paraît beaucoup moins flagrante

chez Luc qui écrit pour des chrétiens venus du pa-ganisme. En revanche son insistance sur le regard indique de façon saisissante que, devant Jésus en croix, se produit une sorte de sidération : devant l’impensable, aucune réaction ni parole. Seulement des regards d’étonnement ou de pitié de la part du «peuple» (v. 35), et des regards de souffrance et de compassion de la part des femmes (v. 49). À noter la dissociation claire que Luc opère entre «le peuple» qui s’interroge et, après la mort de Jésus, se repent (v. 48), et «les chefs».

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«se moquaient» : c’est la suite de la citation du Ps 22,8, ; mais, de plus, les «chefs» juifs (comme les «soldats» romains au v. 37) parlent comme le Ten-tateur en Luc 4,3. Avant le début de la vie publique de Jésus, le démon l’avait tenté en lui suggérant de se servir de sa qualité de Fils de Dieu soit pour sa propre satisfaction (changer des pierres en pains : 4,3), soit pour se faire reconnaître comme mes-sie (se jeter du haut du Temple : 4,9). Et il l’avait quitté «jusqu’au temps marqué» (4,13). Ce temps est arrivé et les mêmes tentations sont exprimées par la bouche des soldats (se sauver) et des chefs juifs (montrer qu’il est le Messie de Dieu). Sur les tentations, cf. l’atelier n°2 du 10 janvier.

«s’il est le Christ…» : la première tentation, mise dans la bouche des chefs juifs, est d’ordre reli-gieux : si Jésus accomplit ce miracle de descendre de la croix, sa messianité, son caractère d’envoyé de Dieu, deviendra manifeste aux yeux de tous. Non seulement il sauverait sa vie, mais il assure-rait aussi la réussite de sa mission.

«l’Élu» : c’est le titre même donné par la voix du Père «sortie de la nuée» à la Transfiguration, pour demander aux hommes d’«écouter» son Fils (9,35). Et Jésus, comme il l’a fait remarquer, lors de plu-sieurs guérisons, est bien envoyé par le Père pour «sauver» (6,9 ; 7,3 ; 19,10). La tentation est propre-ment démoniaque puisqu’elle travestit la vérité.

«du vinaigre» : contrairement à Jean 19-28-29 qui présente le geste de donner une boisson vinaigrée comme la réponse à une demande de Jésus «pour que l’Écriture soit parfaitement accomplie», Luc ne fait qu’une allusion à cet épisode, comme s’il s’agissait d’une procédure habituelle pour les condamnés, sans le référer explicitement au Ps 69,22 : «Pour nourriture ils m’ont donné du poison, dans ma soif ils m’abreuvaient de vinaigre».

«le roi des Juifs» : cette seconde tentation, par la voix des soldats, est d’ordre politique et non plus religieux. Telle était d’ailleurs la première question de Pilate : «Es-tu le roi des Juifs ?» (23,3). Mais, pour les juifs comme pour les païens, c’est la question du salut qui est ici engagée et donc celle de la vé-ritable nature de Jésus. Comme au désert, celui-ci se refuse à user de son pouvoir pour son propre bénéfice, de même qu’il a refusé, pendant sa vie publique, d’utiliser sa puissance pour donner des signes (cf. 11,29), en préférant susciter la libre ad-hésion de la foi. Il ne répond que par le silence

sans céder aux rêves d’un messianisme royal et triomphant. Certes il est venu apporter le salut, mais ce salut passe, comme il l’a plusieurs fois an-noncé par la Passion et la croix. Cf. 9,22 : «Il faut (l’expression montre que c’est bien là le dessein de Dieu) que le Fils de l’homme souffre beaucoup, qu’il soit rejeté par les anciens, les grands prêtres et les scribes, tué et, le troisième jour, qu’il ressuscite».

«une inscription» : comme pour la notation de la boisson vinaigrée, les synoptiques évoquent seule-ment l’épisode, contrairement à Jean 19,19-22.

«malfaiteurs» : leur présence avait été annoncée par Jésus à la fin du repas pascal : «Il faut que s’ac-complisse de moi ceci qui est écrit : ‘Il a été compté parmi les scélérats’» (22,37 citant Isaïe 53,17). Jésus s’assimile ainsi explicitement au Serviteur souf-frant décrit par Isaïe.

«le Christ» : les deux titres, religieux et politique, donnés par les chefs juifs (v. 35) et les soldats ro-mains (v. 37), se retrouvent sur les lèvres des deux condamnés. Le premier utilise ici le titre religieux de Christ (oint ou messie) ; le second parle de Jé-sus comme d’un roi (v. 42). C’était déjà l’enjeu du double procès intenté à Jésus au Sanhédrin («Si tu es le Christ…» : 22,66) et chez Pilate («Tu es le roi des Juifs ?» : 23,3).

«et nous aussi» : voici l’expression de la troisième tentation, qui est aussi la plus difficile à repous-ser. D’abord parce qu’elle provient d’un homme condamné, dépouillé de tout et qui va mourir : quels que soient les crimes qu’il ait pu commet-tre, il est le type même de ces pauvres et de ces pécheurs pour qui le Jésus lucanien nourrit une tendresse particulière. Ensuite, parce que la ten-tation porte sur ce qui est le cœur même de la mission de Jésus venu apporter le salut à tous les hommes. Le discours eschatologique cependant a déjà expliqué qu’avant qu’advienne le «Jour du Fils de l’homme» – qui se définit alors comme jour de salut –, «il faut d’abord qu’il souffre et qu’il soit rejeté par cette génération» (17,24). Finalement le cri du larron est moins un sarcasme qu’une prophétie !

«l’autre» : Luc est le seul évangéliste à mentionner l’attitude différente de celui que la tradition appelle «le bon larron» et à qui elle a même donné le nom de Dimas. Les trois autres évangiles mentionnent seulement la présence de deux brigands crucifiés avec Jésus (Mt 27,38 ; Mc 15,27 ; Jn 19,32).

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«c’est justice» : le malfaiteur exprime sa conversion d’abord en reprenant son compagnon au nom de «la crainte de Dieu» – qui, selon Isaïe 11,2, est un don de l’Esprit –, puis en reconnaissant ses fau-tes. Double démarche explicite de repentir envers Dieu et envers les hommes.

«lui n’a rien fait» : sa confession se termine par l’af-firmation de l’innocence de Jésus. Luc s’attache particulièrement dans son récit de la Passion à re-lever ce trait de non-culpabilité affirmé à plusieurs reprises par Pilate (23,4.14.22) et Hérode (12,15). Après le gouverneur romain et le tétrarque de Galilée, le brigand est donc le troisième témoin.

«avec ton royaume» : à la confession succède la prière. Le larron ajoute foi à ce que dit l’inscrip-tion au-dessus de la croix et reconnaît Jésus com-me roi. Mais il semble repousser l’avènement de ce Royaume à la fin des temps.

«en vérité» : cette formule solennelle (amen), utili-sée habituellement pour les oracles prophétiques, est reprise fréquemment par Matthieu, moins sou-vent par Luc qui l’utilise cependant à cinq reprises (cf. 4,22 ; 12,37 ; 18,17.29 ; 21.32). Jésus reçoit ainsi et exauce la prière qui vient de lui être adressée. Seul en est modifié le moment : l’«aujourd’hui» de l’accomplissement (cf. 4,21 : «Aujourd’hui s’accom-plit à vos oreilles ce passage de l’Écriture» ; et aussi 2,11 ; 3,22, 19,5.19…) indique que c’est à la mort même de Jésus qu’est inauguré le salut messiani-que dont le larron va se trouver être le premier bénéficiaire.

«dans le paradis» : référence au premier «jardin» (terme traduit dans le grec de la Septante par pa-radeisos) où le Créateur avait établi l’homme (Ge-nèse 2,8) et où se trouvait l’arbre de vie. Le retour en paradis signifie donc à la fois la communion ré-tablie avec Dieu, puisque c’est le lieu où l’homme vivait en familiarité avec lui (cf. Genèse 3,8), et l’ac-cès retrouvé à l’arbre de vie (Genèse 3,22). «Au vainqueur, promet l’Apocalypse, je ferai manger de l’arbre de vie placé dans le paradis de Dieu» (Apoca-lypse 2,7) : grâce au larron, nous savons que nous sommes vainqueurs, non à cause de nos mérites, mais par grâce.Ainsi Jésus a bien, selon sa mission, «sauvé» l’hom-me qui l’implorait (cf. v. 39) ; mais il l’a sauvé non de la mort en croix, mais de la mort véritable, en lui donnant part à la vie éternelle. On comprend pourquoi la tradition orientale a fait de la prière

de ce saint larron, type selon Jean Chrysostome de «l’homme de la onzième heure» (cf. Matthieu 20,6), l’une de ses fréquentes invocations.

«la sixième heure» : selon le comput de l’Antiquité, la sixième heure correspond à midi : c’est l’apogée du jour, l’heure de l’accomplissement (cf. Jean 4,6 qui situe à la sixième heure les révélations de Jé-sus à la Samaritaine).

«l’obscurité» : il ne s’agit évidemment pas d’une sim-ple éclipse (impossible d’ailleurs à la pleine lune de la pâque) ! Le langage prophétique décrit le «Jour du Seigneur» en référence à des phénomènes cosmiques aussi prodigieux qu’effrayants (cf. par exemple Amos 8,9 : «Il adviendra en ce jour-là – ora-cle du Seigneur – que je ferai coucher le soleil en plein midi et que j’obscurcirai la terre en un jour de lumiè-re» ; rapprochement d’autant plus saisissant que le verset se termine : «…j’en ferai comme le deuil d’un fils unique»). Matthieu 27,45.51b-52 évoque paral-lèlement d’autres signes mentionnés par les pro-phètes, tels les tremblements de terre. Il est donc remarquable que le Jour du Seigneur soit devenu, pour les évangélistes, «le Jour du Fils de l’homme» (glissement qu’opéraient déjà les discours escha-tologiques : Luc 17,22s et 21,25s), mais surtout que ce jour de victoire soit identifié à celui de la mort de Jésus, (explicitement présenté en Jean comme la glorification du Fils : 12,28 ; 17,1-2.5).

«le voile du Sanctuaire» : il s’agit du voile qui sépare du Saint (l’espace de prière du Temple) le Saint des Saints (le cœur le plus sacré du Temple où seul le grand prêtre a le droit de pénétrer une fois l’an, le jour du grand pardon, Yom Kippour).Après le signe de l’obscurité, un second signe est donné : la déchirure du voile. Luc l’explicite peu, contrairement à Matthieu qui, toujours attentif à la symbolique juive, précise qu’il se déchire «de haut en bas» (27,51), c’est-à-dire par une action divine. Ce que l’auteur de la lettre aux Hébreux interprè-te comme la fin de l’ancien culte et l’accès ouvert par le Christ «une fois pour toutes» au véritable sanctuaire eschatologique (He 9,20 ; cf. aussi 10,20 : «cette voie qu’il a inaugurée pour nous, récente et vivante, à travers le voile, c’est-à-dire en sa chair»). Luc cependant donne en même temps les deux signes (l’obscurité au v. 44, le voile déchiré au v. 45) et les place avant la mort de Jésus (contrairement à Mat-thieu 27,50-51 chez qui la déchirure du voile suit immédiatement la mort). Il semble donc que ce soit plutôt, pour Luc, des signes de la lutte contre

G. D

oré

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les ténèbres qui, avant la mort de Jésus, atteint son paroxysme (cf. 22,53, au moment de l’arrestation : «c’est votre heure et le pouvoir des Ténèbres»).

«Père, en tes mains…» : chez les trois synoptiques, la dernière parole de Jésus est adressée au Père et elle reprend un verset de psaume. Mais alors que Matthieu 27,46 et Marc 15,34 citent le début du psaume 22 : «Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ?», Luc le remplace par le verset 6 du psaume 31, tiré d’une «prière dans l’épreuve», mais qui dit plus directement la confiance et la re-mise de soi à Dieu. C’est que les lecteurs juifs de Matthieu entendent dans ce 1er verset du psaume 22, non seulement, le cri d’angoisse, mais toute la suite du psaume qui se termine en chant de louange (22,23) et d’espérance en la justice de Dieu (22,30). Par la citation du Ps 31, les chrétiens d’origine païenne, moins familiers de l’Écriture, peuvent éviter les contresens (ou du moins éviter de s’arrêter au sens premier qui ne verrait dans la dernière parole de Jésus qu’angoisse et solitude) et comprendre que le Fils de l’homme qui a été «li-vré aux mains des hommes» (9,44), remet lui-même son esprit, c’est-à-dire sa vie, à Dieu. Étienne, le premier martyr, prie de même, le disciple imitant son Maître dans sa mort comme dans sa vie ; mais sa prière s’adresse maintenant à Jésus lui-même, «Seigneur» qui règne avec le Père (cf. Actes 7,59 : «Seigneur Jésus, reçois mon esprit»).

«Voyant…» : les ténèbres se sont dissipées car le combat contre les forces du mal est achevé. C’est à présent l’heure de regarder et de contempler.

«glorifiait Dieu» : on peut voir là une inclusion avec l’attitude des bergers, tout au début de l’Évangile. De même qu’à la naissance de Jésus, les bergers – profession mal considérée et tenue pour peu re-commandable –, sont allés «voir ce qui état arrivé» (2,15) et repartis «glorifiant et louant Dieu» (2,20), de même, à sa mort, l’ officier romain – un païen, à la profession tout aussi mal considérée –, lui aussi «voyant ce qui était arrivé... glorifie Dieu». Comme toujours chez Luc, ce sont les plus éloignés appa-remment, les plus inattendus, qui se laissent da-vantage toucher par la grâce.

«un juste» : la confession est moins aboutie que celle du centurion en Marc 15,39. C’est que le projet des deux évangélistes est différent : Luc développe une apologétique destinée à des païens ; Marc, lui, se sert des titres annoncés en Mc 1,1 pour structurer

son évangile (Christ, en 8,29, clôt la première partie ; et Fils de Dieu, en 15,39, conclut la seconde).

«les foules» : il ne s’agit plus du «peuple» (dissocié de ses chefs au v. 35) ; ce terme, plus péjoratif, désigne des gens rassemblés par hasard, non or-ganisés et prêts à basculer à tout moment dans un sens ou dans l’autre. Ces foules sont celles qui ont réclamé à Pilate la mort de Jésus (23,18.21.23 ; cf. le discours de Pierre en Actes 3,14-15, les ac-cusant : «Vous avez chargé le Saint et le Juste ; vous avez réclamé la grâce d’un assassin, tandis que vous faisiez mourir le prince de la vie»). Mais la contem-plation de sa mort fait naître en elles le remords.

«se frappant la poitrine» : geste de contrition (qu’ac-complissait, par exemple, dans le Temple, le publi-cain qui «descendit chez lui justifié» : 18,13) et geste de deuil (cf. les pleureuses : 23,27). La prophétie impressionnante de Zacharie commence à se réali-ser : «Je répandrai sur la maison de David et sur l’habi-tant de Jérusalem un esprit de grâce et de supplication, et ils regarderont vers moi. Celui qu’ils ont transpercé, ils se lamenteront sur lui comme on se lamente sur un fils unique...» (Zacharie 12,10). Le repentir des fou-les s’accomplira en conversion après la Pentecôte et les discours de Pierre au Cénacle (2,14s) et au Temple (3,12s) : «Frères, je sais que c’est par igno-rance que vous avez agi, ainsi d’ailleurs que vos chefs... Repentez-vous donc et convertissez-vous, afin que vos péchés soient effacés» (3,17).

«à distance» : comme Pierre avait suivi Jésus «de loin» (22,54), ses «amis» – terme vague qui englobe tous les disciples, proches ou lointains – restent à distan-ce. Sans doute parce qu’on ne peut suivre Jésus en sa Passion : c’est lui seul qui «porte le péché du mon-de». Plus précisément dans la pensée de Luc, parce que l’Esprit qui seul peut donner la force de perdre sa vie pour le Christ, n’a pas encore été répandu (cf. 24,49 : «Vous donc demeurez dans la ville jusqu’à ce que vous soyez revêtus de la force d’en haut»).

«les femmes» : le rôle de ces femmes qui accom-pagnaient Jésus et les disciples «et les assistaient de leurs biens» (8,2-3) est particulièrement souligné par Luc qui est le seul évangéliste à les mentionner aussi explicitement et à préciser leurs noms. Ici el-les jouent un rôle nouveau et capital : ce sont elles qui «regardent» (cf. aussi 23,55) et qui, comme elles avaient été témoins des paroles et des actes de Jé-sus «depuis la Galilée» (23,49.55 et aussi 24,18), de-viennent témoins de sa mort et de sa résurrection.

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Souviens-toi de ton compagnon de voyage ◗

«Seigneur, souviens-toi de moi, s’écriait un des brigands crucifiés avec Jésus, souviens-toi de moi ! C’est à toi que je parle maintenant ; ne fais pas attention à celui qui t’insulte, ses yeux sont aveuglés ; mais souviens-toi de moi. Souviens-toi de ton compagnon de route vers la

mort ; souviens-toi de ton compagnon de voyage, non pas maintenant, mais quand tu vas arriver dans ton Royaume !»

Quelle puissance t’a donc illuminé, ô bon larron ? Qui t’a donc appris à adorer ainsi Celui qui est méprisé, crucifié avec toi. Ô Lumière éternelle faite homme, tu illumines les enténébrés !

«Prends courage, s’entend répondre le larron, en vérité je te le dis, aujourd’hui même tu seras avec moi dans le paradis, puisqu’aujourd’hui tu as entendu ma voix et tu n’as pas endurci ton cœur. J’ai été prompt à condamner Adam ; je le suis pour te sauver. Pour toi qui, aujourd’hui, as obéi à la foi, aujourd’hui le salut est ton lot. Pour Adam, le bois avait été une occasion de doute ; toi, le bois va te faire entrer dans le paradis. Aie confiance ! Tu ne seras pas rejeté à cause de tes fautes. Ne crains pas le serpent : il est tombé des cieux !»

Ô grâce immense et inexprimable ! Abraham, le fidèle, n’était pas encore entré ; et lui, le larron, il est introduit ! Paul en est frappé d’étonnement, qui dit : «Là où le péché a abondé, la grâce a surabon-dé.» Ceux qui avaient peiné tout le jour n’étaient pas encore entrés dans le Royaume, et lui, l’homme de la onzième heure, il est admis sans retard ! Que personne ne murmure ! «Ami, dit silencieusement le Crucifié, je ne fais de tort à personne : le larron veut être juste, je me contente de sa foi. Moi, le Berger, j’ai trouvé la brebis perdue ; je la prends sur mes épaules et l’introduis, aujourd’hui même, dans mon Royaume.»

Saint Cyrille, évêque de Jérusalem, au IVe siècleCatéchèses baptismales 13

Prier

Seigneur Jésus, nous contemplons le double signe du plus grand amour que tu nous as donné : ton corps et ton sang partagés pour devenir, pour chacun de nous, une nourriture de vie qui, au long des jours, nous configure à toi ; ton corps sur la croix dressée hors de Jérusalem, que tu livres à la mort afin que, par ta victoire, nous soyons rendus à la vie. Avec le larron, nous te supplions

de nous prendre avec toi, dans ton chemin vers le Père, et de nous donner part à ton pardon et à ta joie. Avec le centurion, nous reconnaissons en toi l’Innocent donnant sa vie pour tous, le Fils bien-aimé du Père nous redonnant notre vraie nature de fils. Avec les saintes femmes, nous devenons les témoins vigilants de ta mort, pour mieux annoncer au matin ta résurrection. Garde-nous dans la louange devant les merveilles de ton amour, toi notre grand Dieu qui as voulu connaître une mort d’esclave pour qu’à jamais nous soyons libres et vivants en ta présence. Amen.

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Contempler

Le Christ patient

Crucifix médiéval d’une église du centre de la France

Le climat de persécution qui entoure l’Église des premiers siècles a singulièrement ralenti et confidentialisé le développement de l’art chrétien. C’est à partir du IIe siècle qu’apparaissent les pre-miers signes de reconnaissance : il ne s’agit pas de la croix – signe à la fois trop choquant et trop re-connaissable – mais de symboles encore exclusivement destinés à la compréhension des initiés : le pois-son, l’agneau, animal du sacrifice pour les juifs adopté par les pre-miers chrétiens comme symbole du sacrifice du Christ sur la croix, la colombe, les deux premières lettres du mot grec Christos – X P – ou la figure du bon pasteur. Représenter la figure de Jésus n’allait pas de soi pour les chrétiens des premiers siè-cles encore marqués par l’interdit biblique de représenter Dieu – et même l’homme ! – par une image. Ce n’est qu’au IVe siècle, après le concile de Nicée et la reconnais-sance du christianisme comme religion officielle de l’empire, que l’art chrétien devient résolument figuratif et que l’on commence à représenter la crucifixion.

Le Christ que l’on contemple ici est un «Christ patient» selon la terminologie traditionnelle – par opposition au «Christ souffrant» ou au «Christ triomphant». Il se tient relativement droit sur la croix et ne renvoie pas à celui qui le contemple l’impression d’une souffrance insupportable. Il n’est pas non plus le roi triomphant qu’on a pu voir dans les très anciennes représentations de la croix où le Christ est montré comme un véritable empereur – en même temps que prêtre – siégeant sur la croix comme sur un trône. Ici c’est la simplicité qui prévaut. Une certaine douceur, une certaine pudeur : le Christ est comme déposé sur le bois, dans l’attente de la mort qui viendra et le conduira vers la résurrection.

«Dans la douceur de son amour,mon bien aimé s’est endormi,celui que mon cœur aime.N’éveillez pas mon bien-aimé, blotti dans le creux du rocher,jusqu’au matin de Pâques !»

(Liturgie chorale du peuple de Dieu)

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Lire - Luc 24

Le chapitre 24 est tout entier consacré à la Résurrection et aux apparitions du Ressuscité. Com-me dans les autres évangiles, la Résurrection n’est pas décrite mais évoquée seulement par ses conséquences et l’expérience de foi que celles-ci suscitent : la découverte du tombeau vide et les

apparitions. La continuité cependant est fortement marquée, en Luc, par le rôle des femmes qui, à la fin du chapitre 33, «regardent le tombeau, puis s’en retournent pour préparer aromates et parfums» (23,55-56) et au début du chapitre 24, «se rendent au sépulcre portant les aromates qu’elles avaient préparés» (24,1). C’est bien le même tombeau : c’est bien le crucifié qui est ressuscité !

Une des originalités de Luc, on l’a déjà dit à plusieurs reprises, réside dans la place particulière qu’il accorde à Jérusalem. La structure de son évangile le reflète : de même qu’il avait commencé à Jé-rusalem (par l’apparition de l’ange à Zacharie, dans le Temple : 1,8s), de même il se conclut à Jérusalem. D’où l’aspect très synthétique de ce dernier chapitre : tous les événements se déroulent en une seule journée : «de grand matin» (24,1), «le même jour» (24,13), «comme ils parlaient encore…» (24,36)…, et se situent dans la ville sainte ou ses proches environs. L’insistance est d’autant plus remarquable que les autres évangiles placent la plupart des apparitions en Galilée (cf. le rendez-vous fixé par l’ange en Marc 16,7). À cette unité de temps et de lieu, s’ajoute l’unité d’action puisque de fortes transitions lient les épisodes les uns aux autres.

L’expérience pascale est relatée en trois séquences : la constatation du tombeau vide par les femmes, puis Pierre (24,1-12) ; l’apparition sur la route aux «disciples d’Emmaüs» (24,13-35) ; l’apparition aux apôtres (24,36-53).

- L’épisode du tombeau vide (24,1-12), situé, comme dans les autres évangiles, au matin du «pre-mier jour de la semaine», le lendemain du sabbat, a pour principaux protagonistes les femmes, mention-nées lors de l’ensevelissement (23,58-59), dont certaines sont nommées (24,10). Luc insiste sur leurs constatations (la pierre roulée, le corps absent : 24,1-2) et sur leur incompréhension de la situation (24,4a). Il faut une intervention angélique – on reconnaît que ces «hommes» (24,4b) sont des anges à leur «vêtement éblouissant», comme lors de la Transfiguration, en 9,30, et à la réaction de «crainte» des femmes, semblable à celle de Zacharie en 1,12-13 – ; il faut leur intervention pour interpréter l’événe-ment à la lumière de la prophétie formulée par Jésus lui-même en 9,22 : «Il faut que le Fils de l’homme souffre beaucoup, qu’il soit rejeté par les anciens, les grands prêtres et les scribes, qu’il soit tué et, le troisième jour, qu’il ressuscite». Et il faut, de la part du croyant, un véritable travail de mémoire : «Alors elles se rap-pelèrent ses paroles» (24,8).

Faute de ces deux éléments, les apôtres ne peuvent, eux, accéder à l’expérience pascale (24,9-12) : les femmes leur «rapportent tout» (24,9), sans qu’ils puissent interpréter, et donc saisir réellement, le sens de leurs paroles. Même Pierre, dont le rôle particulier est cependant souligné puisque, seul, il «court au tombeau» (24,12), reste simplement «étonné» (le même qualificatif qu’après la tempête apai-sée, en 8,25), sans parvenir encore à la foi.

- La deuxième séquence, celle des disciples d’Emmaüs (24,13-53), qui est particulièrement mé-ditée ce mois-ci, est structurée de façon semblable : la conversation qu’ils mènent sur la route avec un inconnu (24,13-27) montre que, s’ils ont un savoir sur les événements qui viennent de se dérouler, ils sont incapables de les comprendre réellement tant que leur compagnon ne leur a pas «interprété, dans toutes les Écritures, ce qui le concernait» (24,27) ; puis le repas partagé avec Jésus (24,28-32) éveille leur mémoire et les conduit à la foi que, comme les femmes, ils se hâtent de retourner partager aux apôtres (24,33-35).

- En troisième tableau, l’apparition aux apôtres, qui conclut non seulement le chapitre, mais tout l’évangile, se déroule en deux temps : la reconnaissance de Jésus (24,36-43), puis son discours d’envoi (24,44-53). La reconnaissance de Jésus est laborieuse puisque, ressuscité, il leur apparaît différent – au point qu’ils croient voir «un esprit» (24,37) –, bien qu’il se laisse identifier en leur «montrant ses mains et

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ses pieds» (24,40). Mais, comme dans les apparitions précédentes, il faut la parole interprétative de Jésus pour que s’éveille leur mémoire et leur «intelligence des Écritures» (24,45). Son discours commence donc par une catéchèse conduisant les apôtres à la foi (24,44-45), pour déboucher sur leur envoi en mission et la promesse du don de l’Esprit, bien que celui-ci ne soit pas ici expressément nommé (24,46-49). Jé-rusalem, évoquée une dernière fois, point d’aboutissement de l’évangile, devient ainsi le point de départ de l’extension de son message «à toutes les nations» (24,47).

Les derniers versets (24,50-53) forment alors moins une fin que la transition avec la deuxième partie de l’œuvre de Luc : les Actes des Apôtres. La «séparation» de Jésus (24,51) d’avec les apôtres est brièvement évoquée et ceux-ci, enfin advenus à la joie de la foi (24,52), retournent au Temple, où s’était ouvert l’évangile (1,8 ; 24,53) : là avait commencé l’histoire de Jésus ; là s’inaugure l’histoire de l’Église.

Méditer - Les disciples d’Emmaüs (24,13-35)

Ce passage est celui que nous vous proposons de creuser plus particulièrement pour cette étape de l’atelier biblique. Les expressions en italique et en couleur sont commentées sous le texte.

Ce récit d’apparition est propre à Luc – même si la finale de Marc, plus tardive, y fait allusion (16,12). Ne l’a-t-il pas ainsi développé pour que tout chrétien puisse s’identifier à ces disciples et accomplir, pour sa part, la même expérience ? C’est en vivant, en Église, le partage de la Parole

et du Pain que l’on reconnaît aujourd’hui la présence du Christ ressuscité.

24 [13] Et voici que, ce même jour, deux d’entre eux faisaient route vers un village du nom d’Emmaüs, distant de Jérusalem de 60 stades, [14] et ils conversaient entre eux de tout ce qui était arrivé. [15] Et il advint, comme ils conversaient et discutaient ensemble, que Jésus en personne s’approcha, et il faisait route avec eux ; [16] mais leurs yeux étaient empêchés de le recon-naître. [17] Il Leur dit : «Quels sont donc ces propos que vous échangez en marchant ?» Et ils s’arrêtèrent, le visage sombre. [18] Prenant la parole, l’un d’eux, nommé Cléophas, lui dit : «Tu es bien le seul habitant de Jérusalem à ignorer ce qui y est arrivé ces jours-ci» – [19] «Quoi donc ?», leur dit-il. Ils lui dirent : «Ce qui concerne Jésus le Nazarénien, qui s’est montré un prophète puissant en œuvres et en paroles devant Dieu et devant tout le peuple, [20] comment nos grands prêtres et nos chefs l’ont livré pour être condamné à mort et l’ont crucifié. [21] Nous espérions, nous, que c’était lui qui allait dé-livrer Israël ; mais avec tout cela, voilà le troisième jour depuis que ces choses sont arrivées ! [22] Quelques femmes qui sont des nôtres nous ont, il est vrai, stupéfiés. S’étant rendues de grand matin au tombeau [23] et n’ayant pas trouvé son corps, elles sont revenues nous dire qu’elles ont même eu la vision d’anges qui le disent vivant. [24] Quelques-uns des nôtres sont allés au tombeau et ont trouvé les choses tout comme les femmes avaient dit ; mais lui, ils ne l’ont pas vu !»

[25] Alors il leur dit : «Ô cœurs sans intelligence, lents à croire à tout ce qu’ont annoncé les Prophètes ! [26] Ne fallait-il pas que le Christ endurât ces souffrances pour entrer dans sa gloire ?» [27] Et, commençant par Moïse et parcourant tous les Prophètes, il leur interpréta dans toutes les Écritures ce qui le concernait.

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[28] Quand ils furent près du village où ils se rendaient, il fit semblant d’aller plus loin. [29] Mais ils le pressèrent en disant : «Reste avec nous, car le soir tombe et le jour déjà touche à son terme.» Il entra donc pour rester avec eux. [30] Et il advint, comme il était à table avec eux, qu’il prit le pain, dit la bénédiction, puis le rompit et le leur donna. [31] Leurs yeux s’ouvrirent et ils le reconnurent... mais il avait disparu de devant eux. [32] Et ils se dirent l’un à l’autre : «Notre cœur n’était-il pas tout brûlant au-dedans de nous, quand il nous parlait en chemin, quand il nous expliquait les Écritures ?».

«ce même jour» : en Luc, la résurrection et les ap-paritions qui la suivent jusqu’à l’Ascension sont condensées en un seul jour. Manière de dire que tout découle du seul événement pascal qui en-globe la mort-résurrection de Jésus et son retour dans la gloire. Manière symbolique aussi de mon-trer que ce jour, «le premier de la semaine» (24,1), le jour après le sabbat, devient «le huitième jour» qui fait entrer dans une temporalité nouvelle par-ce que toute chose est renouvelée et que, depuis la résurrection du Christ, nous vivons déjà, pour toute une part, dans l’éternité.

«deux d’entre eux» : proches de Jésus ayant suivi sa prédication, assisté de loin à sa passion, les «disci-ples» ne font pas partie du groupe des Douze. Luc est l’évangéliste qui leur fait jouer le rôle le plus im-portant ; le seul, par exemple, qui, après le premier envoi des Douze en mission (9,1-6), mentionne un second envoi : celui des 72 disciples (10,1-16). Ce chiffre renvoie symboliquement à l’ensemble des nations de la terre (cf. Genèse 10,2-31) et indique ainsi que le message évangélique est destiné à tous et qu’il appartient à tout chrétien – et pas seule-ment aux apôtres patentés – de le faire connaître.

«Emmaüs» : leur village, situé à une douzaine de ki-lomètres de Jérusalem et dont l’archéologie pro-pose plusieurs localisations. Ce qui est souligné ici est que leur déception les a conduits à quitter le groupe des disciples et qu’ils rentrent tout bonne-ment chez eux. Pour eux, tout est vraiment fini !

«faisait route…» : belle image de la présence constante (car le verbe est à l’imparfait, temps qui manifeste la continuité de l’action) du Ressuscité à ses amis. Lui qui est «la Route» (Jean 14,6) fait route avec les disciples, même quand ceux-ci ne reconnaissent pas sa présence.

«étaient empêchés…» : on reconnaît là ce que nous avons déjà plusieurs fois rencontré : un «passif

divin», c’est-à-dire une manière de dire, sans le nommer, qu’il s’agit d’une action de Dieu. En effet l’inintelligence ou l’aveuglement des deux disciples ne sont pas la seule cause de leur méconnaissance de l’identité de ce compagnon qui s’est joint à eux. De même qu’à la Transfiguration, Jésus avait revêtu un «aspect… autre» (9,21), laissant transparaître sa «gloire» (9,32), de même le Ressuscité vit une condition radicalement «autre» dans la gloire divine et ne peut donc être reconnu par des yeux de chair. Tous les bénéficiaires des apparitions témoignent de la même expérience (cf. Jean 20,24 ; 21,4…).

«en marchant» : l’image de Jésus instruisant ses disciples en chemin et les interrogeant sur leurs propres discussions est familière à Luc (8,1, par exemple), bien qu’il adoucisse parfois ce que Marc dit plus crûment : «Il leur demandait : ’De quoi discu-tiez-vous en chemin ?’ Eux se taisaient car en chemin ils avaient discuté entre eux qui était le plus grand» (Marc 9,33-34). La question de Jésus est la même, et la honte des disciples dans le premier cas, leur tristesse ici, ont finalement une origine commune : la méconnaissance de la véritable nature du Messie envoyé par Dieu et des valeurs dont il est porteur.

«l’un d’eux» : ce Cléophas n’est guère connu (une seule autre mention en Jean 19,25, et encore s’agit-il de Marie, sa femme…) ; et il ne semble pas avoir joué un rôle de premier plan dans la première commu-nauté chrétienne. Les commentateurs posent des hypothèses diverses sur l’identité du second disci-ple, resté anonyme. La plus vraisemblable est que Luc a voulu permettre à tout lecteur de s’identifier à lui : chaque croyant, en tout temps, fait de la même manière l’expérience de la présence du Ressuscité qui lui ouvre sa Parole et lui partage son Pain.

«le seul… à ignorer» : le caractère public de la condamnation et de l’exécution de Jésus, à une période de l’année où tous affluaient vers Jérusa-lem pour fêter la Pâque, est plusieurs fois souligné

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dans la prédication apostolique telle que la rap-portent les Actes. Cf. par exemple, la plaidoirie de Paul devant le roi Agrippa : «Ce n’est pas dans un coin perdu que cela s’est passé…» (Actes 26,26).

«ce qui est arrivé…» : le disciple donne, en ces ver-sets, un résumé de la prédication et de la condam-nation de Jésus assez précis et comparable à ceux que donneront les apôtres dans les discours rap-portés par les Actes (2,27s ; 3,12s…). La conti-nuité de ces discours dans l’œuvre de Luc veut montrer que la prédication apostolique découle directement de la résurrection de Jésus. Mais ici le discours prend un tour doublement ironique : d’abord parce que le disciple informe Jésus de ce qui le concerne au premier chef ; ensuite, parce que son discours pourrait être une catéchèse par-faite : il ne lui manque que la foi !

«un prophète» : le terme paraît insuffisant pour dé-finir Jésus et pourrait sembler montrer que ces disciples n’ont pas réellement compris le mystère du Christ. Cependant Jésus s’applique aussi ce terme à lui-même (Luc 4,24 ; 13,33) ; et, dans ses premiers discours Pierre s’exprime de façon très semblable (cf. Actes 2,22 : «Jésus le Nazôréen, cet homme que Dieu a accrédité auprès de vous par les miracles, prodiges et signes qu’il a opérés par lui au milieu de vous…» ; 3,22-23 qui cite Deutéronome 18,15 : «Moïse a dit : Le Seigneur Dieu vous suscitera d’entre vos frères un prophète semblable à moi ; vous l’écouterez en tout ce qu’il vous dira.» ; 10,38…).

«nos grands prêtres et nos chefs» : l’expression est ambiguë. D’une part, toute la responsabilité sem-ble être rejetée sur les notables juifs, en occultant le rôle de l’occupant romain. Mais, d’autre part, le possessif «nos grands prêtres…» montre que les deux disciples ne s’en désolidarisent pas, contrai-rement à Pierre qui, dans ses discours, utilise le «vous» : «vous avez fait mourir…» (Actes 2,25 ; 3,15…). Sans doute ont-ils été ébranlés par le ju-gement des plus hautes autorités religieuses jui-ves, affirmant que Jésus était un faux prophète.

«délivrer Israël» : la déception des disciples est à la hauteur de leur attente : ils avaient cru voir advenir en Jésus le Messie libérateur qu’ils atten-daient, celui qui restaurerait la royauté davidique. Cette espérance cependant n’est pas condamnée par Luc : les saints personnages qu’il présente, au début de son évangile, attendent eux aussi la dé-livrance d’Israël (Zacharie, en 1,68 ; Anne la pro-

phétesse, en 2,38). Et le début des Actes montre que les apôtres partageaient encore cette opinion après la résurrection : «Est-ce maintenant le temps où tu vas rétablir la royauté en Israël ?» (1,6) ; la réponse de Jésus ne récuse pas le rétablissement de la royauté (d’une manière certes tout autre que ce qu’imaginaient les apôtres), mais «l’heure» proche qu’ils veulent fixer. Ce qui est reproché aux deux disciples sur la route n’est donc pas de n’avoir pas encore compris quel messianisme Jé-sus incarnait, mais de parler de leur espérance au passé. Ils refusent en somme le passage par l’hu-milité et l’abaissement de la croix, nécessaire pour entrer dans la gloire du Royaume.

«le troisième jour» : c’est peut-être ici l’écho de la croyance populaire qui affirmait que l’âme restait près du corps du défont pendant trois jours avant de s’en aller définitivement (cf. Jean 11,17.38 où Lazare est dit avec insistance mort depuis quatre jours, pour bien attester la réalité de sa mort et la grandeur du miracle de sa résurrection). C’est pourquoi Jésus étant bien mort, les disciples s’en re-tournent chez eux. – Mais, plus fondamentalement, la durée de trois jours correspond dans l’Écriture à un temps d’épreuve, souvent heureusement conclu par une délivrance (par exemple les trois jours de marche d’Abraham vers le mont Moriyya où il doit sacrifier son fils en Genèse 22,4 ; ou les trois jours passés par Jonas dans les entrailles du poisson, en Jonas 2,1…). En ce sens, la prophétie d’Osée : «Après deux jours, il nous fera revivre, le troisième jour il nous relèvera» (6,2) a pu être appliquée à la résurrection du Christ et explique que les apôtres parlent de la résurrection «le troisième jour selon les Écritures» (1 Corinthiens 15,4 ; cf. aussi Luc 24,46).

«stupéfiés» : les deux disciples résument dans ces trois versets 22-24, de façon exacte et très complè-te, les événements racontés dans la première par-tie du chapitre 24 : les femmes au tombeau et leur constatation de la disparition du corps ; la confirma-tion de la nouvelle par des disciples (conformément à Jean 20,3-10, alors qu’en Luc 24,12, seul Pierre court au tombeau) ; et même l’annonce angélique de la résurrection. Mais ce qui pourrait être une bel-le profession de foi pascale ne devient en fait qu’une contestation du témoignage des femmes !

«sans intelligence» : ce reproche est fréquemment fait par Jésus à ses disciples, encore que Luc ha-bituellement l’atténue. Le langage de Marc est beaucoup plus direct : «Vous ne saisissez pas cette

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parabole ?...».(4,13) ; «N’avez-vous pas encore de foi ?» (4,40, au moment de la tempête apaisée) ; «Vous ne comprenez pas et vous ne saisissez pas ? Avez-vous l’esprit bouché ?» (8,17-21, à propos des pains) ; «Engeance incrédule… jusqu’à quand vous supporterai-je ?» 9,19). Il ne s’agit pas d’avoir l’es-prit plus délié, mais de changer de registre : passer du voir au croire, ici du «ils ne l’ont pas vu» (v. 24) au «croire ce qu’ont annoncé les Prophètes» (v. 25).

«Ne fallait-il pas…» : voilà la vraie question qui pointe le manque de foi des disciples : il ne s’agit pas de voir Jésus ressuscité, mais de comprendre le plan divin de salut et d‘y consentir, c’est-à-dire de laisser trans-former l’image qu’ils se faisaient du messie. C’est en des termes semblables que Jésus, à trois reprises, a annoncé sa passion et sa résurrection (9,33.44 ; 18,33) ; l’incompréhension des disciples avait alors déjà été soulignée (9,45 ; 18,34 : «Mais eux ne saisi-rent rien de tout cela ; cette parole leur demeurait ca-chée et ils ne comprenaient pas ce qu’il disait»).

«…entrer dans sa gloire» : par rapport aux trois an-nonces de la passion (9,33.44 ; 18,33), cette formu-lation présente deux nouveautés : l’expression «le Fils de l’homme», que Jésus s’applique à lui-même pendant son ministère public, est remplacée par le nom de Christ (ou Messie), sa véritable iden-tité, maintenant révélée ; et il n’est plus dit qu’il «ressuscitera», mais qu’il est «entré dans sa gloire», c’est-à-dire qu’il est en pleine possession de ses prérogatives divines.

«Moïse» : l’expression désigne par métonymie les cinq premiers livres de la Bible (en grec, le Pen-tateuque), dont on considérait traditionnellement que Moïse était l’auteur. Ces cinq livres (Genèse, Exode, Lévitique, Nombres et Deutéronome) sont aussi appelés «la Loi», en hébreu Torah (cf. Luc 24,44).

«…leur interpréta» : Jésus donne aux disciples un véritable cours d’exégèse, pour montrer comment toute l’Écriture l’annonce, à la fois de façon figura-tive (à travers des personnages ou des événements qui le symbolisent) et de façon prophétique (à tra-vers l’application à sa personne de versets des psau-mes ou d’oracles des prophètes). C’est ce même type de catéchèse que développent les discours des apôtres dans les Actes (cf. les discours de Pier-re en 2,22-36 et 3,17-24, et de Paul en 13,32-41), en se référant de façon privilégiée au psaume 16 (Actes 2,25s ; 13,35) et aux psaumes messianiques,

le 2 et le 110 (Actes 2,34 ; 13,33-34) : «Tous les pro-phètes qui ont parlé depuis Samuel et ses successeurs ont pareillement annoncé ces jours-ci» (Actes 3,34).

«…fit semblant» : Jésus a éclairé l’intelligence des disciples en leur faisant comprendre que l’Écriture tout entière parle de lui ; il reste à ouvrir leur cœur pour qu’ils accèdent à la foi. En s’effaçant, il leur laisse l’initiative – n’est-ce pas d’ailleurs ainsi que Dieu agit toujours avec sa création ?

«Reste avec nous» : déjà touchés par le discours de cet inconnu qui semble pourtant si familier (cf. v. 32), les disciples l’invitent à demeure avec eux : désir de l’entendre continuer à leur parler ? respect de la loi de l’hospitalité qui ne supporte pas que l’étranger reste dehors ? Toujours est-il que bien souvent, dans le domaine de la foi, les choses se déroulent ainsi : on agit avant d’avoir pleinement compris ; on exerce la charité et celle-ci à son tour éclaire la foi.

«comme il était à table» : de façon surprenante, l’in-vité prend soudain la place du maître de maison. Cette expérience de partage d’un repas présidé par Jésus, qu’ils ont déjà vécu bien des fois, après son discours interprétatif, est le second élément permettant sa reconnaissance.

«il prit le pain» : le repas qui réunit Jésus et les disciples est décrit par Luc comme une liturgie, à l’aide de la succession des quatre verbes qu’il avait déjà employés pour raconter la multiplication des pains (9,16) et le dernier repas pascal (22,19). La communion fraternelle retrouvée est déjà une communion sacramentelle.

«le rompit» : la «fraction du pain» (cf. aussi 24,35) devient, pour Luc, un terme technique servant à désigner l’eucharistie (Actes 2,42 ; 20,7.11). Le re-pas, tel qu’il le décrit, ressemble à une eucharistie : il ne rappelle pas seulement aux disciples les repas pris avec Jésus, pendant sa vie terrestre, où ils l’ont vu maintes fois accomplir ces mêmes gestes ; il leur rappelle et leur fait comprendre son sacrifice, en même temps qu’il leur donne de réellement communier à sa présence.

«leurs yeux s’ouvrirent» : ce verset est l’antithèse du v.16 : alors Jésus était présent et visible, mais «leurs yeux étaient empêchés de le reconnaître» ; ici, c’est au moment où ils le reconnaissent qu’il n’est plus visible. Ils ont achevé leur passage du voir («lui, ils

G. D

oré

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ne l’ont pas vu» : 24,24) au croire, en même temps que Jésus leur fait expérimenter déjà son nouveau mode de présence auprès des croyants. En ce sens, ce repas de communion, s’il rappelle les repas par-tagés par Jésus avec ses disciples avant sa résur-rection, anticipe surtout les repas des premières communautés chrétiennes où, dans le souvenir du dernier repas de la pâque où un sens nouveau a été donné au pain rompu, devenu «corps donné pour vous» (22,19), les croyants refont les mêmes gestes «en mémoire» de Jésus qui est invisible mais, aux yeux de la foi, présent au milieu d’eux.

«notre cœur» : il a fallu que leur intelligence s’ouvre au mystère des Écritures, mais aussi que leur cœur s’ouvre à la foi, pour que leurs yeux puissent s’ouvrir à la nouvelle forme de présence de Jésus. De même dans les Actes, le discours de Pierre,

après la Pentecôte, touche au cœur ceux qui déci-dent alors de se faire baptiser (Actes 2,37-38).

«brûlant en nous» : les disciples opèrent une relec-ture de ce qui leur est arrivé. L’action du Seigneur, qui s’est manifestée par l’ouverture de leur intel-ligence et de leur cœur, a provoqué en eux une transformation, comparable à une conversion, qu’ils doivent mettre en mots pour qu’elle devienne vrai-ment pour eux vie nouvelle. C’est ainsi que cha-cun de nous peut relire l’histoire sainte de sa vie, pour y revenir aux moments d’obscurcissement et en rendre grâce. Un des signes de l’authenticité de l’expérience de foi est alors qu’elle se trouve immédiatement transmise à d’autres (les disciples repartent à Jérusalem annoncer la nouvelle aux apôtres : 24,33). La foi, née de la Parole et du Pain du Ressuscité, est d’emblée missionnaire.

Deux disciples faisaient route ensemble ◗

Deux disciples faisaient route ensemble. Ils ne croyaient pas dans le Seigneur, mais ils parlaient de lui quand, soudain, ils le rencontrèrent sous un aspect qu’ils ne purent reconnaître. Le Seigneur rendit sensible à leurs yeux de chair la contradiction qui frappait intérieurement les yeux de

leur cœur. Les disciples étaient partagés en effet entre l’amour et le doute ; le Seigneur paraît auprès d’eux, mais ne se laisse pas reconnaître. Ils parlaient de lui : il vient à leur rencontre. Ils doutaient de lui : il leur cache ses véritables traits. Il leur parle et leur reproche l’endurcissement de leur cœur, puis leur dévoile dans l’Écriture les mystères qui le concernaient. Mais, comme il n’était qu’un étranger à leur cœur sans foi, il feignit alors de poursuivre sa route… Louons les disciples d’avoir su alors donner leur amitié à ce pèlerin, eux qui ne pouvaient encore en lui aimer Dieu.

Les disciples apprêtent donc la table, ils lui donnent à manger, et ce Dieu qu’ils n’ont pas reconnu dans la méditation des saints livres, voici qu’ils le découvrent dans la fraction du pain. Ils ne furent pas éclairés en écoutant les commandements de Dieu, ils le furent en les accomplissant : «Ce ne sont pas les auditeurs de la loi qui sont justes aux yeux de Dieu, mais ceux qui la pratiquent qui sont justifiés.» Voulez-vous com-prendre les paroles que vous avez écoutées ? Hâtez-vous de mettre en pratique ce que vous avez pu déjà en comprendre. Le Seigneur ne s’est pas laissé connaître en parlant, il s’est découvert en mangeant.

Saint Grégoire le Grand, pape au VIe siècleHomélie 22,1 sur les Évangiles

Prier

Seigneur Christ ressuscité, en ce temps où s’achève notre lecture de ton Évangile, nous nous trouvons comme au matin de la Résurrection, en ce premier jour d’une vie nouvelle, car désor-mais notre vie baptismale nous place dans ce «huitième jour» qui déjà anticipe l’éternité qu’avec toi nous goûterons. Avec les saintes femmes, rends-nous attentifs à la voix de ton ange qui nous

rappelle que tu es le Vivant, mort par amour et ressuscité dans la gloire. Comme pour les disciples d’Em-maüs, ouvre les yeux de notre cœur pour que nous te reconnaissions dans le partage de ta Parole et de ton Pain et que nous sachions que tu es là, toujours présent au milieu de nous. Avec les apôtres, garde-nous dans la prière et la communion fraternelle, dans l’attente du don toujours renouvelé de ton Esprit, toi qui vis à jamais, uni au Père dans l’Esprit, et nous ouvre ton Royaume de bonheur éternel. Amen.

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Contempler

Les pèlerins d’Emmaüs

Arcabas (Bergame, Chapelle de la Résurrection)

Né en 1926, Arcabas est à la fois peintre, sculpteur et verrier. Il habite depuis quinze ans à Saint-Pierre-de-Chartreuse, dans l’Isère (France). Ce qui frappe chez Ar-cabas, c’est sans nul doute la fraî-cheur de ses couleurs, la vivacité de ses personnages. Les scènes évan-géliques s’animent, au point que celui qui les contemple en devient comme contemporain.

C’est la première d’une série de sept toiles peintes par Arcabas entre novembre 1993 et avril 1994 et consacrées au récit évangélique des pèlerins d’Emmaüs, que nous contem-plons pour cette dernière étape de notre atelier biblique en ligne. Il s’agit du début de l’histoire : trois hommes marchent ensem-ble : le serpentin qui file sous leurs pas raconte le long chemin déjà parcouru. La conversation bat son plein avec un homme à la fois de nuit et de lumière. À la méditerranéenne, on parle avec les mains. Et il faut bien tant l’homme ne comprend pas ce dont il s’agit... Le cadre ici n’a pas d’importance : il sufit que l’on s’aperçoive de la rencontre – et qu’on est en chemin. Hanche contre hanche, l’homme de lumière marche avec les deux disciples sur une route donc on ne connaît pas encore le terme.

Pour découvrir l’ensemble des sept toiles et leur commentaire par Arcabas et le théologien François Boepsflug, rendez-vous sur le portail.