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Pour un bon départ dans la vie - unesco.org · Pour un bon départ dans la viea été préparé comme contribution ... moral et intellectuel. Robert G. Myers Mexico, juin 1990. Table

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Pour un bon départ dans la vie

POUR

UN BON DEPART

DANS LA VIE

Programmes pour la protection

et le développement des jeunes enfants

dans les pays en développement

Robert G. Myers

Traduction française faite avec le concours de l’UNICEF

Projet "Le Jeune enfant et le milieu familial"1990-95

Robert Myers est coordinateur du Groupe consultatif sur la protec-tion et le développement des jeunes enfants, à New Yo r k .Chercheur et homme de terrain expérimenté, il a travaillé avec laFondation Ford et l’UNICEF. Il est actuellement membre du Groupede conseillers scientifiques pour le Projet de l’UNESCO sur leJeune enfant et le milieu familial.

Dans ces travaux, Robert Myers exhorte à ne pas dissocier la luttepour sauver la vie des enfants et les efforts déployés pour donnerun sens à cette vie. Son livre, The Twelve Who Survive, brosse untableau détaillé des programmes consacrés aux jeunes enfantsdans les pays en développement. Il a été publié chez Routledge(Londres) en 1992.

L’auteur est responsable du choix et de la présentation des faitscontenus dans cet ouvrage ainsi que des opinions exprimées, quine sont pas nécessairement celles de l’UNESCO et n’engagentnullement I ‘Organisation.

Pour obtenir d’autres exemplaires de cet ouvrage, écrire à l’adres-se suivante:

Projet sur le Jeune enfant et le milieu familial, UNESCO, 7 Place de Fontenoy, 75352 ParIs 07 SP, France

Traduction française: Françoise Favre Document No ED-93/WS/23

Préface

Pour un bon départ dans la vie a été préparé comme contributionau Sommet Mondial pour les enfants, organisé par les NationsUnies à New York en septembre 1990. Cette étude a pour objet depromouvoir, au plus haut niveau politique, l’engagement de définirdes objectifs et des stratégies permettant de garantir la survie, laprotection et le développement des enfants, dont l’épanouissementest indissociable du progrès dans les sociétés humaines.

Fort d’une compétence théorique approfondie et de nombreusesannées d’expérience, l’auteur, Robert Myers, explique ce quesignifie, à l’échelle mondiale, le développement des jeunesenfants, au seuil du XXIe siècle. Il nous rappelle que l’enfance estun moment douloureux pour nombre d’enfants et expose claire-ment ce qu’il faudrait faire. De plus, il nous fait comprendre quel’angoisse de ces enfants et de leur familles est d’autant plus tra-gique du fait que bien des problèmes qu’ils rencontrent pourraientêtre atténués si l’application des connaissances et de l’expérienceaccumulées en matière de développement des jeunes enfants segénéralisait.

Il demande donc instamment à la communauté internationale derelever le défi, de s’occuper des enfants du monde entier et, enprévision du siècle prochain, de s’engager rapidement dans desprogrammes complets, intégrés et adéquats pour la survie et ledéveloppement de l’enfant. Le besoin est si manifeste que cetappel à un «bon départ pour tous les enfants» ne peut, en touteconscience, être ignoré plus longtemps.

Robert Myers met en lumière les réussites et les difficultés queconnaissent les parents, les personnes qui s ‘ occupent d ‘ enfants,les communautés et les gouvernements dans différentes régionsdu monde. Il pose pour principe, que la lutte pour sauver la vie desenfants doit aller de pair avec l’effort pour donner un sens à cettevie. Ce postulat devrait donc guider tous ceux qui oeuvrent pour laprotection, le développement et l’éducation des enfants.

En tant qu’organisation parmi de nombreuses autres s’intéressantau développement et à l’éducation des jeunes enfants, l’UNESCOa pleinement conscience de l’importance de cette tâche. Riched’une longue expérience en matière de pédagogie, elle a toujourscontribué à améliorer le sort des jeunes enfants dans les régionsles plus déshéritées du monde.

Dans cette tâche importante qui consiste à éduquer et à soutenirles jeunes enfants, leurs parents et leurs familles, les organismesinternationaux ont de grandes responsabilités à assumer maisaussi des occasions à saisir, comme le précisait le Directeur exé-cutif de l’UNICEF, James P. Grant, dans sa très stimulante allocu-tion devant le Conseil exécutif de l’UNESCO en novembre 1988:

"Une occasion particulièrement exaltante s’offre à nous d’ap -prendre à de plus en plus de gens dans le monde entier, à pro -téger leurs familles, à pourvoir à leurs besoins et, notamment, àbien s’occuper de leurs enfants et de leur éducation."

Le nouveau projet interdisciplinaire et inter-agences de l’UNESCO,auquel participent entre autres l’UNICEF et l’OMS, sur le Jeuneenfant et le milieu familial répond directement à cet appel à l’action.En concentrant ses efforts sur des domaines aussi vitaux que l’ali-mentation, la stimulation des jeunes enfants, les façons d’élever lesenfants dans les situations troublées de notre monde changeant,les handicaps infantiles, l’enseignement préscolaire et en mobili-sant des ressources modernes et traditionnelles pour améliorer lescapacités et le bien-être des enfants, l’UNESCO cherche à contri-buer efficacement et durablement à donner un bon départ dans lavie aux enfants.

Dans sa conférence publique intitulée «Who Cares for Children»,donnée à l’UNESCO en septembre 1989, Urie Bronfenbrenner,grand ami des enfants et pionnier des études qui leur sont consa-crées, déclarait:

«La plus puissante dynamique qui fera aboutir nos efforts est lenouvel espoir donné aux familles et aux nations du mondeentier de voir des enfants, apparemment voués à une vied’échec et de souffrance, s’épanouir en êtres humains compé -tents et attentionnés. »

Cette dynamique ne saurait être le fruit d’efforts isolés. Nous par-tageons une même responsabilité, qui est de faire preuve de volon-té et d’oeuvrer à la réalisation de cet objectif.

Federico MayorDirecteur général de l’UNESCO

Remerciements

Le présent document a pu être rédigé grâce au concours de diversorganismes qui, depuis les six dernières années, participent auGroupe consultatif sur la protection et le développement desjeunes enfants. Ce Groupe constitue un mécanisme interorganisa-tions non officiel qui rassemble, synthétise et diffuse des rensei-gnements sur la protection et le développement des jeunesenfants, notamment sur les programmes qui leur sont consacrésdans les pays en développement. Ces organismes ont financénombre d’articles et d’analyses sur lesquels s’appuient largementles pages qui suivent. Leur soutien m’a aussi donné le loisir de laréflexion et de la rédaction. Les trois principaux participants, etdonateurs, du Groupe consultatif sont la Fondation Ford, l’UNICEFet l’Agence pour le développement international. Ont égalementparticipé l’UNESCO, le Centre de recherches pour le développe-ment international, la Fondation Aga Khan, la CarnegieCorporation, la Banque mondiale, la Fondation Rockefeller, Savethe Children, I’International Child Development Centre, laFondation Bernard van Leer, I’Agence suédoise pour le dévelop-pement international et l’American Health Foundation.

Ni les activités du Groupe consultatif, ni la rédaction du pré-sent document n’auraient été possibles sans le soutien duHigh/Scope Education Research Foundation et surtout de son pré-sident, David Weikart. High/Scope a apporté ses conseils tech-niques au Groupe et fourni des locaux administratifs à l’Unité decoordination. Je tiens aussi à remercier tout particulièrementl’UNESCO et les membres de son Projet sur le Jeune enfants et lemilieu familial, qui n’ont reculé devant aucun effort pour m’aider àdonner le jour à ce document.

Enfin, je remercie ma collègue, Cassie Landers, et lesmembres du comité consultatif du Groupe consultatif de leur appuimoral et intellectuel.

Robert G. MyersMexico, juin 1990

Table des matières

P r e f a c e

R e m e r c i e m e n t s

I Introduction 11

II De quoi s’agit-il et que savons-n o u s ? 1 5

III Pourquoi investir dans le développement des jeunes enfants? 3 3

IV Où en sommes-nous et comment y sommes-nous arrives? 4 9

V Une stratégie de programmation 6 9

VI Que faut-il faire? 9 9

I INTRODUCTION

La protection et le développement social, intellectuel et physiquedes nourrissons et des jeunes enfants, surtout dans les pays endéveloppement1, sont les thèmes décrits à grands traits dans leprésent document. Le problème qui nous préoccupe est le sort desenfants du Népal, du Nigeria, du Nicaragua et d’ailleurs, qui réus-sissent à survivre malgré le dénuement dans lequel ils naissent etmalgré les conditions qui mettent leur vie en péril. Or, ces jeunesenfants sont de plus en plus nombreux à se débattre pour survivre.Ils sont une joie, un espoir pour l’avenir, mais aussi un problèmequotidien pour des familles au seuil de la misère.

Au moins douze enfants sur treize, nés en 1990; verront leurpremier anniversaire. Ces chiffres comparés à ceux de 1960, oùseulement cinq enfants sur six atteignaient un an, témoignent desimportants progrès accomplis en trente ans. La prospective laisseespérer qu’en l’an 2000, dix-neuf enfants sur vingt survivront jus-qu’à l’âge d’un an.

Au cours des dix prochaines années, le seul enfant dont la vierestera en péril sera l’objet de grands soucis et de grandesdépenses. Il est juste qu’il en soit ainsi. Mais qu’arrivera-t-il auxdouze ou aux dix-neuf autres qui survivront? Qui s’occupera d’euxpendant leurs premières années formatrices? Qui regarderaau-delà de cette survie et se demandera ce que leur réserve l’ave-nir?

Malheureusement, la plupart de ces enfants continuentde vivre dans les mêmes conditions de pauvreté et destress qui auparavant mettaient leur vie en danger. A ucours de leurs premiers mois et premières années, cesconditions, et d’autres encore, menacent leur santé phy-sique et mentale ainsi que leur développement social eta ffectif. Faute de soins, des millions d’entre eux sontcondamnés à une existence léthargique et stériles vécuedans un é ta t de dépendance. Pr ivés de la chance de_________________

1 Cet exposé repose sur un ouvrage intitulé «The Twelve WhoSurvive», publié chez Routledge (Londres) en 1992. L ‘ ouvragecomprend une analyse de la documentation scientifique justifiantnombre des assertions qui suivent, mais qui ne figurent pas ici.De même, nous n’analysons ni l’intégration, ni la convergencedes programmes, ni la participation communautaire, ni l’évolu-tion des méthodes d’éducation, ni la généralisation des pro-grammes ou leurs coûts. Nous abordons cependant lesidées-clés et les conclusions sont les mêmes.

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Pour un bon départ dans la vie

développer leurs aptitudes, ils sont souvent incapables de s’adap-ter à un monde qui change rapidement et devient de plus en pluscomplexe. Ils ne peuvent participer à la construction d’un mondemeilleur. Ces enfants méritent un «bon départ» dans la vie, maisne connaissant qu’un «faux départ» ils se trouvent hors course.

Pour aider à voir plus loin que la simple survie et parvenir àdonner un «bon départ» aux enfants, le présent document fournitles éléments suivants:

- une définition élémentaire du «développement de l’enfant», dis-tinct de la survie et de la croissance, mais lié à la notion de pro-tection de l’enfant.

- des raisons pour lesquelles on doit investir dans des programmesde protection et de développement des jeunes enfants.

- une brève description de l’évolution des programmes consacrés àla protection et au développement de l’enfant et un aperçu de l’en-semble des programmes déjà institutionnalisés. Nous insisteronsparticulièrement sur l’évolution des programmes depuis 1979,Année internationale de l’enfant (AIE).

- une structure de programmation en trois volets combinant lesétapes du développement de l’enfant, cinq formules de pro-grammes complémentaires et une série de principes directeursconcernant les programmes.

- une brève description de plusieurs programmes illustrant diversesfaçons de favoriser le développement des jeunes enfants.

- quelques conclusions sur ce qu’il faut faire pour accroître le finan-cement des programmes consacrés à la protection et au déve-loppement de l’enfant et pour passer de la théorie à la pratique.

Même s’il anticipe sur les conclusions, l’aperçu suivant pourraguider le lecteur:

1. Le développement des jeunes enfants n’a rien de mysté-rieux une fois corrigés quelques idées fausses et certains malen-tendus.

2. Depuis quelques années, nos connaissances se sont consi-dérablement élargies et, en fait, nous en savons plus que nous nepensons. Cependant, l’application traîne beaucoup.

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Introduction

3. Il y a de bonnes raisons d’investir dans les programmespour la protection et le développement de l’enfant, quelles soientbiologiques, sociales, économiques ou politiques.

4. Les changements démographiques, sociaux, économiqueset politiques ont accru les besoins et la demande en matière deprogrammes intégrant à la fois la protection des jeunes enfants etleur développement.

5. Dans certains pays, les programmes de protection et d’édu-cation des enfants de la naissance à 6 ans ont pris un essor spec-taculaire. Cependant, malgré ces progrès impressionnants, leurcouverture restent insuffisante, leur implantation est inégale, leurqualité laisse souvent à désirer, ils accordent peu d ‘ importance àI ‘ apprentissage et au développement des enfants de moins de 3ans, et beaucoup de problèmes restent à résoudre.

6. Depuis dix ans, la prolifération des programmes offre touteune gamme de modèles potentiellement efficaces et financière-ment réalisables.

7. Les besoins criants et sans cesse croissants, les connais-sances et l’expérience acquises sont autant de raisons d’agir. Cesont autant d’arguments irréfutables pour investir dans des pro-grammes destinés aux jeunes enfants. Pourtant, la plupart desorganisations internationales et maints gouvernements réagissenttimidement, et leurs investissements sont minimes. L’action inter-nationale est limitée, car axée surtout sur la santé, mais il sembleque, depuis tout récemment, de nouvelles perspectives s’ouvrent.

8. Les gouvernements et les organismes internationaux sonthandicapés par des contraintes politiques, par une inertie et uncloisonnement bureaucratiques, par des attitudes et des idéesfausses qui subsistent encore en matière de développement del’enfant.

9. Des difficultés financières sont souvent invoqués pour expli-quer l’insuffisance des investissements. Cela restera toujours unproblème. Pourtant, il existe suffisamment de solutions peu oné-reuses et très efficaces permettant d’affirmer que le manque d’in-vestissement actuel dans le développement de l’enfant ne tient pasà un manque de ressources. Il s’agit avant tout d’adopter de nou-velles attitudes, de tirer profit des connaissances existantes sur cequ’il faut faire, de trouver des moyens de convaincre ou d’encou-rager les organisations gouvernementales et non gouvernemen-tales à incorporer le développement de l’enfant dans leurs pro-grammes actuels, de mobiliser à cette fin la volonté politique etsociale ainsi que les ressources disponibles.

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Pour un bon départ dans la vie

10. Enfin, comme nous en sommes encore au début, nousavons une certaine latitude pour bien structurer les programmesconsacrés à la protection et au développement du jeune enfant afind’éviter de répéter les erreurs commises dans d’autres domaines.Nous avons l’occasion et l’obligation de travailler avec diligence enfaisant preuve de créativité pour donner aux enfants un «bondépart» dans la vie tandis qu’ils passent du berceau à la salle declasse et du cercle familial à un monde plus vaste.

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II DE QUOI S’AGIT-IL ET QUE SAVONS-NOUS?

Un membre d’une organisation internationale affirmait récemmentque, de toute évidence, un enfant doit survivre avant de se déve-lopper. Selon nous, il s’agit là d’une idée fausse, car la survie, lacroissance et le développement sont des processus simultanés etnon consécutifs. Ce qui favorise la survie ou la croissance facilitele développement. et vice versa.

Une femme enceinte demande, étonnée, à un travailleur socials’il est vrai qu’à la naissance, son bébé pourra la voir. Elle n’ensavait rien. Pourtant, c’est exact. Il pourra aussi entendre, sentir lecontact d’une autre peau sur la sienne. communiquer avec sonentourage, et faire bien d’autres choses encore qui favoriserontson épanouissement tout en aidant la mère à faciliter celui-ci.

La directrice d’une garderie explique avec fierté à un visiteur:«Les enfants sont bien traités dans notre crèche. Ils sont nourris àheures fixes, et, qui plus est. bien nourris. Voyez comme tout estpropre. Les enfants sont au chaud, et un médecin vient les voir unefois par mois.» Voilà qui est fort bien, mais son idée du bien-êtredes enfants ne semble pas tenir compte de leurs besoins sociauxet intellectuels.

Interrogé sur l’aide publique accordée à des programmes dedéveloppement de l’enfant, un haut fonctionnaire demande s’ils’agit bien des centres préscolaires où les enfants jouent beaucoupavec des cubes multicolores. A vrai dire, non. Il y a de nombreusesfaçons de favoriser le développement des enfants, notamment enmettant l’accent sur l’alimentation, la santé et la pédagogie, et entravaillant avec les parents, les membres de la communauté ainsiqu’avec les enfants eux-mêmes, d’où la variété des programmes.

Chacune des remarques ci-dessus illustre une méprise fonda-mentale ou un manque de connaissances sur le développement etle bien-être de l’enfant. Ces malentendus risquent d’avoir deseffets négatifs sur l’attitude des parents, des professionnels, desplanificateurs, des politiciens et des organismes de financement etce, au détriment des enfants. Les notions de survie, de croissance,de développement et de bien-être de l’enfant ne sont pas toujoursperçues clairement et de la même façon par les uns et les autres,d’où une certaine confusion. En outre, quelle que soit l’étendue denos connaissances sur la façon dont un enfant se développe,

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Pour un bon départ dans la vie

celles-ci ne sont pas toujours à la disposition de ceux qui s’occu-pent des enfants ou prennent des décisions en matière de pro-grammes de protection et de développement. Le présent chapitrerépondra à deux questions:

a) De quoi s ‘agit-il ? Nous essaierons de définir les conceptsde survie, de croissance, de développement et de protection del’enfant et d’expliquer leurs corrélations.

b) Que savons-nous? En fait nos connaissances du dévelop-pement et de la protection de l’enfant sont plus avancées que nousne le pensons. A l’aide d’exemples nous montreront que nousavons ce qu’il faut pour commencer à mettre en place nos pro-grammes et que ce n’est pas de connaissances théoriques dontnous manquons, mais bien de mise en pratique.

De quoi s’agit-il?

Survie de l’enfant

Paradoxalement la «survie» se définit généralement par la négati-ve: survivre, c’est ne pas mourir. Il est coutume de distinguer deuxétapes: la survie jusqu’à un an et la survie jusqu’à cinq ans. Enaccord avec cette définition, les programmes voués à la survie desenfants visent avant tout à éviter la mort, ce qui se mesure d’ordi-naire par une baisse du taux de mortalité infantile (TMI) et du tauxde mortalité des enfants de moins de cinq ans (TMM5). Il fautreconnaître que la mort fournit le point de repère le plus évident carc’est un événement dramatique et définitif, une donnée statistiquerelativement exacte, malgré les décès non déclarés. Cependant, ilest rare que la mort survienne brusquement. La plupart des décèssont précédés d’une période de maladie et de déclin qui peut êtrelongue et pénible ou relativement courte. Le terme de la vie, c’estla mort (Mosley et Chen, 1984).

De même, la vie n’est pas uniquement survie, mais égalementbien-être physique, mental et social. Par conséquent, la survie peutse définir en termes plus positifs, au delà de la simple idée d’éviterla mort. L’enfant qui survit franchit des étapes successives: il frôlela mort, il est malade, il guérit. Plus il avance sur la voie de la santé,meilleures sont ses chances de survie à long terme. La survie peutdonc être considérée comme un processus dynamique, écartant lespectre de la maladie et de la mort, et non comme le simple ajour-nement de celle-ci.

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De quoi s’agit-il et que savons-nous?

Pour adopter cette conception positive de la survie de l’enfant,vue comme l’aspiration à une bonne santé dés la naissance et pen-dant les premiers mois et premières années de l’existence, il fautdépasser le stade de l’analyse des causes de mortalité et des pro-grammes qui se bornent à en réduire le taux. Il faut déterminer àquel stade de croissance et de développement sont arrivés lesenfants et à élaborer des programmes qui amélioreront leur santé.Pour ce faire, il importe de définir clairement. et dans un sens posi-tif, ce qui favorise l’accès à une «bonne santé». Cela passe néces-sairement par une protection tant de la santé mentale et socialeque du bien-être physique des jeunes enfants.

Pour définir le concept de survie en termes positifs, au lieu dedire que c’est «ne pas mourir», il faudrait parler de taux de survieinfantile (TSI) plutôt que de taux de mortalité infantile (TMI), etmesurer le succès des programmes par rapport à l’accroissementdes taux de survie et non à la baisse des taux de mortalité. Le TSIest simplement l’inverse du TMI. Par exemple, en 1988, le TMI étaitde 77 décès pour 1000 naissances, c’est-à-dire qu’un enfant surtreize mourrait avant l’âge d’un an (Grant, 1988). Le TSI seraitdonc de 923 pour 1000, c’est-à-dire que douze enfants sur treizeauraient atteint l’âge d’un an. Partant de là, il est légitime de direque le taux de survie est passé de cinq enfants sur six pour lesenfants nés en 1960 à douze enfants sur treize pour ceux nés en1988.

L’adoption du TSI1 en remplacement du TMI est plus qu’unsimple jeu de lettres et de chiffres. Mettre l’accent sur la vie,comme l’illustre le TSI, transforme notre façon de penser. Il devientalors plus frappant que beaucoup d’enfants réussissent malgré toutà survivre, même s’ils sont considérés comme appartenant à unepopulation «à risques». Ce nouveau point de vue nous conduit ànous interroger sur la situation de ceux qui sont en vie et sur lesmesures existant pour favoriser le bien-être du nombre croissantd’enfants pauvres et «à risques» qui survivent.________________1 La publication de l’UNICEF, The State of the World’s Children,

comprend une section spéciale intitulée «Measuring RealDevelopment» (p. 73 à 90), dans laquelle figure un tableau quiregroupe les pays en fonction de leur taux de survie infantile (p.80). Cependant, on continue d’analyser la question en termesde TMM5.

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Pour un bon départ dans la vie

Croissance

Croître, ou grandir, résulte du développement et de la multiplicationdes cellules de l’organisme. La croissance se mesure habituelle-ment par le poids et par la taille, données relativement simplescomparées aux critères nécessaires à l’évaluation du développe-ment social ou psychologique. Des normes ont été établies, poursuivre la croissance des enfants grâce à des tableaux dont lesvariables sont la taille et (ou) le poids par rapport à I ‘âge.

Chez les enfants, on peut considérer la croissance de deuxfaçons: soit par rapport à des normes établies, soit en tant quedéveloppement physique continu. Depuis quelques années, laméthode normative est progressivement abandonnée en faveur del’étude de la croissance en tant qu’évolution. Une croissance régu-lière est un signe positif. Quand un enfant ne grandit pas, s ‘ il neprend pas de poids, il est nécessaire d’intervenir. Le stade indiquésur un tableau de croissance est moins important que la croissan-ce elle-même (à savoir: les progrès ou reculs enregistrés depuisles dernières mensurations). D’ailleurs, le mouvement vers uneconceptualisation de la croissance en tant qu’évolution coïncideavec la tendance, exposée plus haut, vers une nouvelle définitionde la survie et avec la révision des théories sur le développementde l’enfant, que nous aborderons par la suite.

La croissance est bien évidemment fonction de l’alimentationtant en nature qu’en quantité. Les nutritionnistes accordent unegrande importance à cette relation. Toutefois, ils sont portés àoublier que l’alimentation n’est pas seulement une question denutrition. En effet, surtout pendant les premières années, elleconstitue un phénomène social, en raison de la corrélation qu’elleétablit entre la mère et le jeune enfant.

La croissance ne dépend pas non plus uniquement de laquantité et de la qualité des aliments qu’un enfant absorbe, maisaussi de leur bonne assimilation et utilisation par l’organisme. C’estlà que la santé de l’enfant intervient. Un enfant qui souffre de diar-rhée ne profitera certainement pas de sa nourriture. Bien que celan’ait pas toujours été le cas, aujourd’hui, il est généralement admisque la combinaison ration alimentaire - état de santé joue son rôledans la croissance . Cependant, I ‘ épanouissement social et psy-chologique de l’enfant, ainsi que l’absence de stress chez lui etchez la personne qui s’occupe de lui, influent aussi sur sa crois-sance physique et également sur sa survie. La plupart des ana-lyses de la cro issance et de l ’a l imentat ion ne t iennentpas assez compte des aspects psychosociaux de lasanté de l ’enfant et de celle de la personne qui

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De quoi s’agit-il et que savons-nous?

s’occupe de lui. Toute l’incidence que peuvent avoir les interactionsinfluant sur le développement, la nutrition et la santé reste incom-prise et ne fait pas l ‘objet de l ‘attention qu’elle mérite .

Développement de l’enfant

Croissance et développement ne sont pas synonymes, quoique lesdeux phénomènes soient en corrélation et les deux termes souventemployés l’un pour l’autre. Alors que la croissance est définiecomme étant un changement en taille, le développement se carac-térise par l’évolution des aptitudes et des fonctions. L’enfant quiapprend à coordonner regard et mouvement pour saisir un objetfait preuve d’un développement de facultés intellectuelles, indé-pendamment de sa croissance physique. La capacité de saisir desobjets traduit une meilleure maîtrise de l’environnement. Ces chan-gements diffèrent énormément du passage de 70 à 75 cm ou dedix à douze kilogrammes.

Bien qu’il soit difficile d’arriver à un consensus en ce quiconcerne certains aspects du développement de I ‘ enfant, la défi-nition suivante, formulée intentionnellement en termes simples etreprise ensuite article par article permet d’ouvrir le débat et d’orien-ter les décisions:

Le développement de l’enfant est un processus au cours duquelcelui-ci apprend à maîtriser l’utilisation de plus en plus complexe deses facultés motrices, intellectuelles, affectives et sociales.

De même que la survie et la croissance, le développement estmesurable, c’est-à-dire qu’il est possible de déterminer à quelstade en est l’enfant par rapport à son âge, en calculant, parexemple, son quotient intellectuel, ou en vérifiant s’il a acquis ledegré de coordination nécessaire pour marcher. Toutefois, selon ladéfinition, le développement de l’enfant peut être considéré commeune évolution à caractéristiques multiples:

1. Le développement de l’enfant est multidimensionnel: il sup-pose une évolution motrice (capacité de mouvement, coordina-tion), cognitive (capacité dépenser et de raisonner), affective (apti-tude à ressentir) et sociale (aptitude à établir des relations avecautrui). Par conséquent, il ne suffit pas de mesurer les aptitudesd’un enfant à penser ou à marcher pour bien définir son dévelop-pement; il faut en examiner toutes les dimensions. C’est pourquoicet ouvrage s’attachera tout particulièrement à ces dimensionsmentales, sociales et affectives. Nous parlerons donc

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Pour un bon départ dans la vie

fréquemment de développement «psychosocial», terme quiregroupe ces trois dimensions 2 .

2. Le développement de l’enfant est un phénomène global. Il ya corrélation entre les diverses dimensions du développement quidoivent être considérées comme un tout. Des changements dansl’une d’elles influent sur les autres, et vice versa. Par exemple, ledéveloppement affectif agit sur le développement physique etcognitif. Si un enfant est soumis à un stress émotionnel et qu’il n’ar-rive pas à le maîtriser, son développement physique et ses facul-tés d’apprentissage en pâtiront. Cette corrélation entre des dimen-sions distinctes mais cependant liées du point de vue organiquesignifie que l’enfant doit être considéré «en soi comme un tout». Ilfaut élaborer des programmes insistant sur ce «tout», autrement ditsur chacun de ses aspects. Nous ne pouvons donc pas isoler le«développement psychosocial», mais considérer celui-ci commefaisant partie de l’ensemble du développement, qui comprendaussi le développement physique.

3. Le développement de l’enfant est un phénomène continu. Ilcommence avant la naissance et se poursuit pendant toute la vie.En conséquence, le développement de l’enfant, dans le temps et laformes doit être considéré comme une partie du développementhumain, qui s’étend sur toute l’existence. Le présent ouvrage seconsacre au développement de l’enfant à partir de la conceptionjusqu’à l ‘ âge de 5 ou 6 ans, âge où il découvre le monde extérieur.Toutefois, il ne faut pas oublier que le développement de la primeenfance influe sur l’épanouissement, les comportements et les réa-lisations de la vie entière.___________________

2 Les dimensions morale et spirituelle sont parfois ajoutées à ladéfinition du développement. Ainsi, Kohlberg (1976) parle destades du développement moral. Dans certaines cultures l’évo-lution spirituelle, qui se traduit par une satisfaction et une paixintérieures résultant de la maîtrise personnelle des sentimentsde cupidité, de colère ou d ‘ envie, constitue une étape centraledu développement individuel, dès la prime enfance. Même sinous reconnaissons leur importance, nous n’avons pas inclusles dimensions morales et spirituelles dans le présent ouvrage,préférant les considérer comme des objectifs propres à certainescultures où ils guident le développement social, affectif et cogni-tif.

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De quoi s’agit-il et que savons-nous?

Si le développement est un phénomène continu, l’enfant sedéveloppe de façon ininterrompue. Tout ce qui arrive à un momentdonné contribue à préparer ce qui se passera dans l’avenir.Cependant, continuité ne signifie pas que ce qui se réalise à uncertain moment se réalisera toujours, ni que le développement sefait toujours d’une manière positive. Des changements de situationpeuvent consolider l’acquis ou le compromettre. Il ne faut pas croi-re, non plus, qu’un enfant qui connaît des retards et des problèmespendant la première enfance restera nécessairement derrière lesautres toute sa vie. Au contraire, les enfants ont une grande facul-té d’adaptation, surtout quand ils sont très jeunes. Des change-ments sont souvent favorables. Par contre, si leur cadre de viedemeure inchangé, les déficiences risquent de s’aggraver et d’en-traîner des retards. Inversement, des interventions appropriéespeuvent corriger les dommages, comme nous le verrons plus tard.

4. Le développement de l’enfant résulte d’interactions. L’enfantse développe en réagissant à son environnement biophysique etsocial. Il y puise des connaissances et essaie d’influer sur les per-sonnes et les objets qui l’entourent. Il ne suffit donc pas de le sti-muler, il faut aussi répondre à ses initiatives, car il participe à lacréation de son propre cadre de vie. Il est entreprenant et façonneson milieu. Il faut tenir compte de cette réalité pour comprendrecomment le développement psychologique et social d’un enfantagit sur sa santé et son alimentation, et vice versa.

5. Le développement de l’enfant est structuré mais unique.Tous les enfants se développent, selon un cours, un tracé général.Cependant, le rythme, la nature et la qualité du développement dif-fèrent d’un enfant à l’autre. Ces variations individuelles dépendentde la constitution biologique propre à chaque enfant et de l’envi-ronnement particulier dans lequel il lutte pour survivre et se déve-lopper. Ce rythme varie d’une culture à l’autre autant que d’unenfant à l’autre.

Pour comprendre où en est un enfant dans son développe-ment, il y a lieu de distinguer plusieurs «stades». Les théoriesdivergent en ce qui concerne:- la possibilité de définir des caractéristiques précises permettant

de discerner une période, une étape, un stade d’un autre;- les aspects particuliers servant à définir ces stades (physiques,

sociaux, ou sexuels, etc.);- le rapport entre les stades et l’âge chronologique: la brièveté de

chaque stade par rapport à des définitions générales couvrantdes périodes plus longues;

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Pour un bon départ dans la vie

- le caractère universel des stades: sont-ils nécessairement lesmêmes dans toutes les cultures ?

- L’enfant doit-il franchir ces étapes dans un ordre précis ? Unerégression est-elle possible ? Quelles sont les incidences de pro-blèmes survenants à un stade particulier sur un stade ultérieur ?(Thomas, 1985, ch. 2) Malgré ces divergences d’opinions, lanotion de stades peut toujours être utile en théorie et en pratiquesi l’on s’en sert avec prudence.

Existe-t-il donc un dénominateur commun entre les cultures etentre les enfants eux-mêmes et les cultures ? Quelles que soientles circonstances, le développement de l’enfant a pour but princi-pal de l’adapter à son milieu et de l’amener à le maîtriser jusqu’àun certain point. Ce milieu pouvant être très restrictif, certains spé-cialistes incluent, parmi les objectifs du développement, la capaci-té de l’enfant à transformer son milieu. A court terme, l’adaptationet la maîtrise visent surtout des situations immédiates. Alors qu’àlong terme, ces facultés doivent pouvoir servir dans toutes sortesde contextes car la survie et le développement dépendent deconditions très diverses. Le développement peut donc être présen-té comme «un changement durable dans la façon dont une per-sonne perçoit son environnement et y réagit» (Bronfenbrenner,1979).

La maîtrise de l’environnement, l’adaptation à ce dernier et lacapacité à le transformer vont bien au delà de la survie, d’un bonétat de santé, d’un certain degré de coordination ou d’un quotientintellectuel plus élevé. Il faut, en effet, envisager tous les divers élé-ments du développement du jeune enfant et tenir compte des envi-ronnements culturels et écologiques variés qui exercent des pres-sions différentes sur lui.

Protection de l’enfant

La protection de l’enfant n’entre pas tout à fait dans la même caté-gorie que les trois concepts précédents: survie, croissance et déve-loppement. En fait, elle réunit toutes les interventions nécessairesà ceux-ci. Protéger un enfant signifie répondre à des besoins fon-damentaux. Or, pour son développement, ces besoins vont au-delàdu réconfort, de l’alimentation et des soins. Ils comprennent aussil’affection, l’interaction, la stimulation et la sécurité, qu’il faut assu-rer de façon régulière et prévisible, de même que le jeu, clef del’exploration et des découvertes. Ces besoins se manifestentensemble, et un environnement favorable répondra à chacun

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De quoi s’agit-il et que savons-nous?

d’eux. Toutefois, les différentes cultures les conçoivent différem-ment et ne leur accordent pas les mêmes priorités.

Au minimum, les activités liées à la protection sont les sui-vantes: fournir sécurité, abri, vêtements et nourriture, donner lebain et superviser la toilette de l’enfant, prévenir les maladies etsoigner l’enfant lorsqu’il est malade, l’élever et lui donner de l’af-fection, avoir des interactions avec lui et le stimuler, participer à sesjeux et l’éveiller à la culture à laquelle il appartient.

Cette définition de la protection de l’enfant suppose que lesprogrammes de protection et de développement global de l’enfantne fassent qu’un. Dans le présent document, la protection de l’en-fant comprend tous les éléments énumérés ci-dessus, y compris lasanté et autres éléments de soins surveillés, mais elle inclut aussiles soins destinés à assurer son bien-être psychologique, social etaffectif.

Cependant, l’expression «protection de l’enfant» a souvent unsens beaucoup plus restreint. En outre, la signification de «protec-tion» varie selon les personnes. Pour les spécialistes de la santé,la protection se résume essentiellement aux soins définis entermes de prévention des infections et des maladies ou de leur trai-tement. Dans les programmes de santé maternelle et infantile, lessoins dispensés à l’enfant sont, à juste titre, liés à ceux donnés àla mère.

Dans les programmes conçus pour faciliter la «productivité»des femmes, on entend par protection de l’enfant les dispositionsprises pour assurer la surveillance de ce dernier pendant que samère travaille. Souvent, il s’agit de services de «garde», auxquelsl’enfant est temporairement confié. Cela peut être une personne ouun établissement chargé de lui fournir un abri, de veiller à ce qu’ilsoit vêtu, nourri et en bonne santé 3 . Cette coordination avec lessoins surveillés signifie que les programmes de protection de l’en-fant et ceux de développement n’appartiennent habituellement pasà la même catégorie. En fait, les premiers n’accordent générale-ment que peu d’importance aux aspects stimulants et pédago-giques nécessaires au développement mental et social desenfants.______________

3 Par exemple, "protection", terme choisi pour traduire le motanglais "care", restreint la définition du concept, qui comprendl’importance accordée au développement de l’enfant.

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Pour un bon départ dans la vie

Si l’on envisage la protection de l’enfant du point de vue dubien-être social, on l’associe normalement aux soins en établisse-ment et, souvent. à des programmes consacrés à la garde d’en-fants indigents, maltraités ou abandonnés. Toutefois, lorsqu’il estquestion de programmes de protection de l’enfant, il est bon deregarder au-delà des soins fournis dans des centres ou en établis-sement et de faire une place aux soins directs prodigués par lamère et à la délégation de responsabilités à des membres de lafamille, au sens large, ou à d’autres intervenants faisant partie d’unréseau social personnel.

Pour certains, l’analyse des termes à laquelle nous venons denous livrer peut sembler un peu fastidieuse, alors que d’autres l’au-ront peut-être jugée simpliste. Toutefois, les idées fausses et laconfusion générale qui ressortent de nombreuses discussionsnous incitent à tenter de clarifier ces grands concepts, de les pré-senter dans un langage simple et d’expliquer comment les notionsde survie, de croissance, de développement et de protection sontutilisés tout au long du présent document.

Survie, croissance et développement: lien entre la santé, l’ali-mentation et le développement social et psychologique

Les rapports que les gens établissent entre la santé, l’alimentationet le bien-être psychosocial reflètent la façon dont ils conçoivent lasurvie, la croissance et le développement. Dans la majeure partiedu monde, la santé est considérée d’un point de vue global, sansdistinguer les aspects physiques, sociaux et spirituels du bien-être.Par exemple, lorsqu’on leur demande ce que l’on entend par «êtreen bonne santé», les herboristes d’Oaxaca (Mexique) répondent::

«Une personne en bonne santé est sereine, calmer elle aime tra-vailler et manger. Ses yeux brillent. Elle n’a pas de problèmes avecsa famille et ses voisins, ni avec les autorités, et elle est en paixavec Dieu et ses semblables. En général, une personne en bonnesanté est heureuse.»

En revanche, les médecins ont tendance à .scinder la santé enplusieurs éléments et à insister sur la santé physique. Cette incli-nation est. en partie, une conséquence de notre époque de spé-cialisation. En outre, elle est révélatrice de la place importanteoccupée par la maladie de type biologique dans l’évolution de lamédecine. Ce penchant est évident dans la formation des méde-cins du monde entier, dans les programmes publics nationaux etdans ceux des organisations internationales qui s’attachent

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De quoi s’agit-il et que savons-nous?

avant tout à la survie et ensuite au développement, comme siceux-ci étaient consécutifs.

Pour envisager la survie, la croissance, le développement et lelien qui unit en un tout les besoins physiques et psychosociaux desenfants il faut en premier lieu modifier notre perception des rap-ports existant entre la santé, l’alimentation et le bien-être psycho-social. La figure I montre comment la plupart des professionnels etdes planificateurs interprètent ces relations et compare cette visiondes choses à une formulation naissante de la même question.

Figure 1 Conceptions actuelles et nouvelles de l’alimentation, de lasanté et du bien-être psychosocial

Actuelles

Nouvelles

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A(Alimentation)

S(Santé)

PS(Bien-êtrepsy-

chosocial)

A(Alimentation)

S(Santé)

PS(Bien-êtrepsy-

chosocial)

Pour un bon départ dans la vie

La plupart des médecins reconnaissent qu’il existe une interrelationentre la santé et l’alimentation, comme l’illustre la double flèche deA à S et de S à A. La maladie augmente les risques de malnutri-tion, et vice versa.

Toutefois, cette relation entre l’alimentation, ou la santé et le bien-être psychosocial est considérée comme étant à sens unique: de Aà PS ou de S à PS. On admet qu’une mauvaise santé physique nuitau développement social et affectif, mais on se préoccupe beau-coup moins du phénomène contraire, c’est-à-dire des effets nocifsd’un développement psychosocial carencé sur la santé physique.De même, on accepte que l’alimentation influe sur le développe-ment psychosocial, notamment en cas de malnutrition, car celle-cinuit à la croissance et au développement du cerveau ou sapel’énergie de l’enfant. On pense, pertinemment, que les interven-tions dans le domaine nutritionnel influent sur le développementtant social et psychologique que physique de l’enfant. Cependanton ne reconnaît pas que les interventions en matière de dévelop-pement psychosocial puissent avoir une incidence sur son alimen-tation et sa croissance.

Cette formulation peut sembler simpliste en particulier aux lecteurs,qui perçoivent toutes ces composantes comme un tout. Pourtantces relations se reflètent souvent dans les grandes mesures prisesdans la mise en oeuvre des programmes.

Toutefois, une nouvelle façon de voir les rapports entre la santé,l’alimentation et le bien-être psychosocial se fait lentement jour,comme le démontre la deuxième partie de la Figure 1. Y sont illus-trés les effets réciproques entre le bien-être psychosocial et lasanté, le bien-être psychosocial et l’alimentation, et la santé et l’ali-mentation.

Si cette formulation plus récente est acceptée, des interven-tions visant à améliorer le bien-être social et psychologique doiventêtre incluses dans les programmes de santé ou d’alimentation quis’attachent à la «survie». En effet elle affirme que les améliorationsapportées à la condition sociale et à l’état psychologique de l’en-fant comme de la personne qui s’en occupe peuvent favoriser lasurvie et le développement physique. Les preuves en sont de plusen plus nombreuses et substantielles (Zeitlin et Mansour, 1985;Myers, 1992).

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De quoi s’agit-il et que savons-nous?

Ce que nous savons

Par un mélange d’évidence et d’intuition, nous en savons plus longque nous ne le pensons sur le développement de l’enfant et sur legenre de programmes qui peuvent le faciliter et le favoriser. Depuisvingt ans ce domaine a pris un essor rapide. Nous avons acquisdes connaissances et modifié certaines orientations.Parallèlement, notre expérience s’est rapidement accrue. Ledomaine va sans aucun doute continuer à prendre de l’ampleur etnos connaissances s’améliorerons à partir d’expériencesconcrètes. En fait, notre acquis est déjà suffisant pour nous guiderdans nos programmes, bien qu’il nous reste quelques lacunes àcombler.

La base de nos connaissances

Les affirmations suivantes, extraites d’ouvrages sur le développe-ment de l’enfant, peuvent influer considérablement sur le contenudes programmes. Elles éclairent des connaissances scientifiquesutilisables. Certaines sont évidentes, mais valent la peine d’êtrerépétées en raison de leurs applications possibles. Celles qui lesont moins risquent de prêter à contreverse, mais les spécialistesles admettront sans doute à titre d’hypothèses de travail.

1. A la naissance, I ‘ enfant voit et entend . Il a aussi certainesprédispositions qui le préparent à percevoir le monde extérieur, àen tirer des enseignements et à en obtenir ce qu’il désire. Le nour-risson communique par ses pleurs et ses expressions faciales etses mouvements. Ces constations ont leur importance: dès la nais-sance, un bébé entre en interaction avec son environnement et enacquiert des connaissances. Donc, les programmes conçus pourfavoriser le développement peuvent même profiter au nouveau-nédans la mesure où ils aident les parents à être réceptifs et à com-muniquer avec lui.

2. Les nourrissons diffèrent les uns des autres en ce qu’ilssont. entre autres, plus ou moins actifs, irritables et craintifs.Chacun a donc des besoins particuliers et réagit différemment auxinterventions des parents ou de leurs substituts. Cela signifiequ’une même intervention peut produire des effets différents selonl ‘ enfant . C ‘ est pourquoi les parents doivent être attentifs à lafaçon dont leur enfant réagit à son milieu. Ils doivent être réceptifset souples face à chaque enfant, posséder des aptitudes diversespour répondre à son tempérament et ne pas attendre d’un enfantdonné plus qu’il ne peut accomplir.

3. Le développement cognitif et social est lié à la croissance des cel-lules et au développement des circuits neuraux. Par conséquence, une

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Pour un bon départ dans la vie

santé ou une alimentation déficientes qui causent des lésions.même pendant la gestation, alors que l’essentiel de la croissancese produit affecteront le développement. En revanche, si grâce àune bonne stimulation du cerveau par des exercices, les circuitsneuraux. déjà formés s’organiseront, ce qui préparera mieux l’en-fant aux étapes ultérieures de son développement.

4. Les enfants sont d’une résistance extraordinaire, surtoutpendant leurs toutes premières années. En effet, ils semblent alorsdotés d’une série de mécanismes innés qui les aident à se déve-lopper. A cause de problèmes à la naissance ou d’un milieu trèsdéfavorable, le développement de l’enfant risque d’être ralenti,voire perturbé. Cependant, à moins de graves difficultés prolon-gées au début de sa vie, comme une longue période de malnutri-tion aiguë, l’enfant a ce qu’il faut pour se rétablir et se développernormalement. Les parents et leurs substituts doivent donc com-prendre que, même si l’enfant a été en mauvaise santé ou a modé-rément souffert de malnutrition, son développement n’en sera pasnécessairement retardé. Il lui est possible de recouvrer la santé,mais, comme toujours, il vaut mieux prévenir que guérir. C’estpourquoi les programmes de prévention qui commencent par dessoins prénataux offerts à la mère sont préconisés.

5. Aux besoins de nourriture, d ‘ abri, de soins et de protectionviennent s ‘ en ajouter d’autres d’ordre psychologique et social, toutaussi fondamentaux chez les jeunes enfants. En effet, il leur fautamour, affection et interaction (soit les stimuler et réagir à ce qu’ilsfont), et leur environnement immédiat doit être harmonieux et sansinattendu. En outre, ils ont besoin d ‘ explorer et de découvrir. Detoute évidence, les programmes qui s’attachent à l’ensemble dudéveloppement de l’enfant doivent subvenir autant à ces besoinspsychosociaux essentiels qu’aux besoins purement physiques.

6. Même si tous les enfants ont des besoins fondamentauxcommuns, chacun en aura certains qui lui seront particuliers et quitiendront à son caractère génétique, à la situation immédiate de lafamille qui permet de satisfaire (ou non) ces besoins et de la com-munauté et de la société dans lesquelles il vit, ces dernières fixantdes objectifs et lui imposant des l i mites qui influent sur son déve-loppement . Les programmes doivent tenir compte de cesvariables. Une seule formule s’appliquant à tous les enfants et àtoutes les circonstances ne conviendrait donc pas.

7. Il existe une interrelation entre le développement psychosocialde l’enfant, d’une part, et sa santé et son alimentation d’autre part. A i n s i ,

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De quoi s’agit-il et que savons-nous?

un enfant alerte ou un enfant qui pleure obtiendra satisfaction etaura plus de chances d’être nourri qu’un enfant apathique. Parconséquent, les activités qui favorisent le développement social etpsychologique de l’enfant rendront ce dernier plus alerte et, par lefait même, aideront à améliorer son alimentation et sa santé, etdonc ses chances de survie.

8. Il y a même une relation synergique entre les différentesfacettes du développement. Les aspects physiques, sociaux, intel-lectuels et affectifs font partie d’un tout, de sorte que des change-ments dans un domaine en entraînent dans les autres. Parexemple, chez les nourrissons comme chez les adultes, les pro-cessus cognitifs sont liés aux émotions, puisqu’ils dépendent dudéclenchement, de la maîtrise et de la réduction de l’anxiété. C’estpourquoi il faut recourir à des méthodes multidimensionnelles dansl’élaboration des programmes.

9. Le développement cognitif des nourrissons qui vivent dansdes environnements peu variés est généralement plus faible quecelui des nourrissons qui vivent dans des milieux offrant de lavariété. Il faut donc déterminer le degré de diversité souhaitable et,si besoin est. le renforcer ou l’accroître. (La plupart des milieuxsont variés, et il n’est pas nécessaire d’y introduire de nouveauxéléments, humains ou matériels. Il arrive, exceptionnellement, quedes environnements soient trop diversifiés et stimulants, ce quicrée une certaine confusion.)

10. Normalement, l’environnement social dans lequel est plon-gé un enfant influera bien davantage sur ses réalisations futures etson quotient intellectuel et risque d’engendrer des comportementssociaux déviants bien plus que son état de santé à la naissance.En d’autres termes, un environnement bienveillant est essentiel,car il est propice au rétablissement, même dans des situations à«hauts risques» séquelles d’un état de santé déficient à la nais-sance.

11. Tous les enfants se développent, mais certains, plus viteque d’autres, et la qualité du développement diffère d’un individu àl’autre (quels que soient les critères choisis). Les normes de déve-loppement sont utiles pour l’étude d’une population infantile nom-breuse, mais les cas individuels doivent être examinés avec pru-dence.

Leçons de l’expérience

Les onze énoncés ci-dessus sont des exemples desconnaissances dans lesquelles nous pouvons puiser pourconcevoir et mettre en oeuvre des programmes de protec-tion du jeune enfant et de son développement. Cependant,il ne faut pas négliger l’»expérience» ou la «sagesse

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Pour un bon départ dans la vie

populaire». Malheureusement, on ne reconnaît généralement pasles mérites de cette sagesse en matière de puériculture. Jusqu’àtout récemment, il en était de même des coutumes dans le domai-ne de la santé. Cependant, depuis dix ou vingt ans, on leurtémoigne un peu plus de considération.

Plusieurs pratiques ayant des incidences sur la survie, lacroissance et le développement peuvent illustrer ce point. Dans denombreuses cultures, on dicte des normes aux femmes enceintesou qui allaitent. On veille notamment sur leur état psychologique eton leur recommande d’éviter le stress. Cette tradition est louable,à la fois parce qu’elle protège la santé physique de la femme etparce qu’elle aide le foetus ou le nourrisson à survivre, à grandir etse développer.

Dans beaucoup de cultures, on respecte des interdits alimen-taires qui visent à empêcher les bébés de grossir. Même si, théori-quement en médecine, l’insuffisance pondérale à la naissance estconsidérée comme un élément de «risque», il apparaît, en pra-tique, qu’un poids de naissance trop élevé constitue aussi unrisque. En effet, compte tenu de la stature moyenne des femmesdes hauts plateaux ruraux du Guatemala ou du Bangladesh, résul-tat de siècles de sous-alimentation, ou des situations dans les-quelles le rachitisme a toujours affecté la croissance pelvienne, lasagesse populaire est sensée, et il serait erroné d’imposer desnormes prétendument scientifiques (Negussie, 1988).

Dans d’autres cultures, il est traditionnel de masser les nou-veaux-nés et les bébés. Cette pratique s’estompe certes, mais ellefavorise tant la croissance que le développement des jeunesenfants (Landers, 1989).

L’allaitement sur demande est une autre pratique en régres-sion. On l’utilise dans les programmes de survie, mais on parlerarement de son rôle dans le développement social et affectif.

Les milieux médicaux modernes déconseillent de dormir avecson bébé. Pourtant, cette pratique est courante dans beaucoup decultures. Elle apporte chaleur, sécurité et stimulation sensorielle àl’enfant tout en permettant l’allaitement sur demande durant la nuit.

Maintenant que nous accordons à la sagesse populaire laplace qui lui revient, et que nous apprenons à en retenir ce quireste valable, nous pouvons affirmer que nous possédons plus deconnaissances que nous ne pensons.

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De quoi s’agit-il et que savons-nous?

Connaissances et pratique

Il est évident que les connaissances sont en avance sur la pra-tique:

Nous continuerons certainement à perfectionner nos connais-sances. Le développement de l’enfant est encore un domaine rela-tivement nouveau, mais la mise en oeuvre de programmes ne doitpas attendre pour autant. En effet, l’expérience, acquise grâce àdes programmes, nous fournira de nouvelles idées qui nous per-mettront de progresser. Entre-temps, nous pouvons aider des mil-lions d’enfants à se développer de façon saine et normale malgrédes conditions difficiles, simplement en mettant en pratique ce quenous savons déjà.

RéférencesB r o n f e n b r e n n e r, Urie. The Ecology of Human Development.Cambridge, Mass., Harvard University Press, 1979.

Cornia, Andrea, R. Jolly & F. Stewart «Adjustment with a HumanFace» dans Protecting the Vulnerable and Promoting Growth. NewYork, Oxford University Press, 1988, Chapitre 2.

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Connaissances1. Le développement commence

au stade prénatal.

2. Le développement est unprocessus interactif.

3. Il y a synergie entre la santé,l’alimentation et le développementdéveloppement psychosocial.

4. En puériculture, les coutumesindigènes sont souvent positives.

5. Le développement est fonctiontant de la nature de l’individuque de la façon dont il est élevé,ce qui suppose une interaction àplusieurs niveaux avec son milieu.

Pratique1. Les programmes mettent

l’accent sur le développementdes enfants de 3 à 6 ans.

2. On insiste sur lastimulation unilatérale.

3. Les programmes restent axés sur un seul aspect sans tenircompte de l’ensemble.

4. Les coutumes locales sontnégligées au profit desolutions importées.

5. Le développement est encoreévaluer en terme de degréde maturité de l’individu.

Pour un bon départ dans la vie

Grant, James. The Sate of the World ‘s Children, 1 988. Neu York .UNICEF, 1988. Ibid., 1989.

Kohlberg, L. «Moral Stages and Moralization: The CognitiveDevelopmental Approach,» dans T. Likona (Ed.), Moral Developmentand Behavior: Theorem Research, and Social Issues. New York: Holt,Rinehart and Winston, 1976.

Landers, C. «Biological, Cultural, and Social Determinants of InfantDevelopment in a South Indian Community,» dans K. Nugent~ B.M.Lester, and T.B. Brazleton (Eds.), The Cultural Context of Infancy. NewYork: Ablex Press, 1989.

Mosley, H. & L. Chen. «An Analytical Framework for the Study of ChildSurvival in Developing Countries,» Population and DevelopmentReview, Supplement to Vol 10 (1984), pp. 25-45.

Myers, R. The Twelve Who Survive, London, Routledge, 1992.

Negussie, B. Traditional Wisdorm and Modern Developmerlt, A CaseStudy of Traditional Peri-Natal Knowledge among Elderly Women inSouthern Shewa, Ethiopia. Stockholm, University of Stockholm,Institute of International Education, Studies in Comparative andInternational Education, No. 13, 1988.

Thomas, R. Murray. Comparing Theories of Child Development (2ndEd.), Belmont, Calif., Wadsworth Publishing Company, Inc., 1985.

Zeitlin, M. & Mansour, M. "State-of-the-art Paper on Positive Deviancein Nutrition," Tufts University School of Nutrition, Medford, Mass, 1985.(Document prepare pour UNICEF, New York).

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III POURQUOI INVESTIR DANS LE DEVELOPPENIENT DESJEUNES ENFANTS?

Adeptes et sceptiques

Dans le monde entier, nombreux sont ceux qui voient l’importancede prodiguer soins et attention aux enfants dès leurs premiers moiset premières années. Cette conviction est enracinée dans de nom-breuses cultures. Le jeune enfant est accueilli comme un petit dieurelativement parfait, comme un «papillon du paradis» (Sharif, UNI-CEF, 1985), ou un «petit soleil». Par ailleurs, il est reconnu qu’il fauts’occuper consciencieusement des jeunes enfants car ils consti-tuent la génération suivante, ils représentent la continuité de la tra-dition, et incarnent l’espoir, parfois la crainte de l’avenir. Lesenfants d’aujourd’hui peuvent être à la fois le pôle de l’action socia-le et les bâtisseurs d’un monde meilleur.

Par expérience, on apprend aussi à croire en la valeur de la pro-tection des jeunes enfants et de leur développement. Les parents,les professionnels et ceux qui ne font qu’observer de près com-ment grandissent les enfants de leurs voisins, reconnaissent l’effetbénéfique que soins et attention ont sur les nourrissons et lesjeunes enfants. Ils n’ont pas besoin de raisons compliquées ni defroids arguments scientifiques pour mieux se convaincre qu’en pre-nant des précautions élémentaires en matière de santé, en nour-rissant convenablement un enfant, en lui prodiguant sourires etcaresses, en lui parlant et en jouant avec lui, on favorisera sondéveloppement. Tout ce comportement est non seulement normalet juste, mais il constitue aussi un bon investissement en temps eten argent.

Cependant, si ce point de vue est largement partagé, pourquoi lesprogrammes de protection et de développement des jeunesenfants reçoivent-ils si peu de soutien? Pourquoi les gouverne-ments et autres organismes ne consacrent-ils pas une part plusimportante de leurs budgets aux besoins évidents des douzeenfants sur treize qui, dans le monde, réussissent à survivre jus-qu’à l’âge d’un an, mais dont le développement est en jeu?Pourquoi ne conçoit-on pas davantage de programmes en leurfaveur?

Malheureusement pour ces derniers, quand il s’agit d’investir dansdes programmes destinés à un meilleur développement du jeuneenfant les sceptiques sont nombreux. Or, c’est souvent eux, quitiennent les cordons de la bourse et dont dépendent les pro-grammes. Il leur en faut

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Pour un bon départ dans la vie

plus pour se décider que la simple opinion de quelqu’un qui croitbon d’investir dans des programmes pour la protection et le déve-loppement de l’enfant. Il faut leur démontrer qu’il est plus rentabled’investir dans la petite enfance que dans des routes, des bar-rages, des écoles primaires ou même des bombardiers. Ils veulentla preuve tangible et irréfutable que les programmes proposésseront efficaces. Pour justifier toute action, ils exigent une explica-tion, des raisons convaincantes fondées sur autre chose que desconvictions non corroborées, et étayées par des arguments scien-tifiques et politiques.

Origines de ce scepticisme

Il est important de répondre aux préoccupations des sceptiques.Les origines du scepticisme sont aussi variées (et parfois aussiirrationnelles) que les arguments invoqués pour investir dans ledéveloppement des jeunes enfants. Les sceptiques déclarent ainsi:

«Mais je ne comprends pas!». L’incompréhension est souventcause de scepticisme. Pour le profane, la notion de développementde l’enfant semble parfois trop vague et trop simple, ou trop com-pliquée et mystérieuse, pour faire l’objet de programmes quel-conques. «Comment peut-on programmer les câlins à donner à unenfant?» «Qu’entendez-vous par interaction impropre nuisant à lamaturation des chaînes neuroniques? « L ‘ incompréhension tientaussi au fait que le «développement des jeunes enfants» fait inter-venir plusieurs disciplines et qu’il ne semble pas avoir le mêmesens pour tout le monde, ce qui complique les choses. Commenous l’avons vu au chapitre II, où nous avons essayé de clarifier lesconcepts, ce qu’il faut entendre par développement du jeune enfantn’est pas évident. Comprendre cette notion n’est pas aussi facileque visualiser une route ou un barrage, dont la fonction est connuede tous. Leur construction peut être compliquée, mais les tech-niques sont connues et on n’hésite pas à confier cette tâche à desspécialistes. Les sceptiques voudraient éprouver le même senti-ment à l’égard du développement de l’enfant. Cela est possible sil’on apporte la preuve que les programmes donnent des résultats,si l’on établit des directives claires et pratiques et si l’on cite enexemple différents programmes concluants. Nous verrons lebien-fondé d’investir dans le développement de l’enfant. Le cha-pitre IV propose des lignes directrices et un ensemble dedémarches complémentaires à intégrer aux programmes pourfavoriser le développement physique, intellectuel, social et affectifde l’enfant pendant ses premières années. Nous

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Pourquoi investir dans le développement des jeunes enfants?

présentons également des exemples concrets qui devraient per-mettre une meilleur compréhension.

«On s’en occupe déjà !» Il est ironique de constater que biendes gens qui considèrent d’un oeil sceptique les programmesvoués à la protection et au développement du jeune enfant ontgrandi dans un milieu favorisé, dans un foyer où ils étaient choyés,bien nourris et bien soignés, et où les parents veillaient à leur offrirun environnement propice à la croissance et à I ‘ apprentissage .Se fondant sur leur expérience personnelle, ils estiment que natu-rellement la famille accorde à l’enfant l’attention dont il a besoinpour s’épanouir, et qu’il en est toujours ainsi. Ils conviendront sansdoute que les premières années sont importantes, mais ils nevoient pas la nécessité d’avoir des programmes spéciaux pouraider les enfants et les familles pendant cette période. Ils considè-rent parfois que pour se développer, un enfant a essentiellementbesoin d’amour, et ils soutiennent, à juste titre, que cet amour nepeut pas être mis en programme. En bref, certains sceptiques pen-sent que, dans l’ensemble, les familles élèvent convenablementleurs enfants. Ce en quoi ils ont parfois raison. Alors, pourquoiintervenir? Peut-être que la meilleure façon de les convaincreserait de leur montrer comment se déroule la journée d’une jeunemère célibataire et pauvre qui, dans un milieu urbain indifférent,s’efforce de survivre et de donner à son enfant l’amour, la santé,les soins et l’attention dont elle voudrait l’entourer, alors que, tropsouvent, elle ne le peut pas.

«C’est à la mère de s’en charger. « Dans certains cas, cette idéede la fonction que devraient avoir les familles dérive d’un autre pré-jugé: la conviction que la place de la mère est au foyer. Les pro-grammes concernant la petite enfance, particulièrement s’ils nesont pas dispensés à domicile, sont parfois considérés comme uneatteinte au rôle traditionnel de la mère. Le scepticisme inspiré parcette vision du rôle maternel subsiste toujours, bien que, de touttemps, les mères aient rarement été les seules personnes à s’oc-cuper de leurs jeunes enfants. Ce sentiment persiste, malgré le faitque de nombreuses femmes doivent travailler à l’extérieur et que,d’après plusieurs études, il peut être bon pour la mère et pour l’en-fant que d’autres personnes s’occupent de ce dernier. Cette opi-nion persiste même si les programmes destinés à améliorer lessoins et le développement des jeunes enfants viennent à domicileet respectent le rôle premier des mères et des familles.

«Donnez-nous des preuves». Certains sceptiques admettent quele développement du jeune enfant est important et devrait êtreencouragé,

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Pour un bon départ dans la vie

mais ils veulent la preuve irréfutable que des interventions au coursde la petite enfance garantiront des résultats, notamment à longterme. Quelquefois, ce scepticisme résulte d’un manque d’informa-tion. D’autres fois, les documents existants peuvent révéler que lesprogrammes ne donnent aucun résultat ou que, s’ils en donnent, ilsne sont pas durables. Les sceptiques peuvent, par exemple, citerdes études réalisées au début des années 70 qui, dans leursconclusions, laissaient entendre que les effets des programmesdestinés aux jeunes enfants «disparaissent» quand l’enfant atteintl’âge de sept ou huit ans. Ils ignorent, qu’au cours des dix ou quin-ze dernières années, de nouvelles recherches ont oblitéré cesconclusions.

«Quel est le taux de rendement?» D’autres sceptiques cher-chent en vain, comment justifier, sur le plan économique, lessommes investies dans les programmes de protection de l’enfanceou de la petite enfance. Ils voudraient pouvoir comparer le taux derendement de ces programmes avec celui d’autres investisse-ments, afin de choisir le meilleur. Ils voudraient, au minimum,savoir que les programmes proposés produiront effectivement desrésultats justifiant leur coût. Ils aimeraient pouvoir penser que l’onne gaspille pas d’argent.

Tout argument en faveur d’investissements dans de tels pro-grammes devrait répondre à ces questions et affirmations dessceptiques. Ce qui devrait au moins renforcer la position de ceuxqui, bien que favorables à ces programmes, sont soumis à despressions pour investir ailleurs.

Les arguments

L’exposé ci-dessous invoque huit types d’arguments complémen-taires justifiant un soutien accru pour les programmes de protectiondu jeune enfant et de son développement. Ces arguments sont lessuivants:

1. L’argument des droits de l’homme: l’enfant a le droit de vivreet de s’épanouir pleinement.

2. L’argument moral et social: C’est par l’enfant que se perpé-tuent les valeurs de l’humanité, qui se transmettent dès la nais-sance. Pour sauvegarder les valeurs morales et sociales, il fautcommencer par les transmettre aux enfants.

3. L’argument économique: la société a avantage à investirdans le développement de l’enfant, car elle peut en retirer desbénéfices grâce à l’augmentation de la production et à des écono-mies de coût.

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Pourquoi investir dans le développement des jeunes enfants?

4. L’argument de l’efficacité: les programmes de santé, d’ali-mentation, d’éducation, les programmes pour les femmes gagne-raient en efficacité s ‘ ils étaient combinés à des programmes pourle développement de l’enfant.

5. L’argument de la justice sociale: Donner aux enfants un bondépart dans la vie peut rectifier de pénibles injustices, qu’ellessoient d’ordre socio-économique ou liées au sexe.

6. L’argument politique: les enfants offrent l’occasion de semobiliser autour de mesures sociales et politiques qui font l’unani-mité et renforcent la solidarité.

7. L’argument scientifique: la recherche montre très clairementle rôle essentiel des premières années dans le développement del’intelligence, de la personnalité et du comportement social. Elleprouve également que divers programmes d’intervention précoceont des effets à long terme.

8. L’évolution de la société et de la démographie: Le taux desurvie de plus en plus élevé des enfants «à risques», la transfor-mation des structures familiales, l’exode rural et le travail desfemmes rendent plus nécessaire une attention pour les soins et ledéveloppement des jeunes enfants.

Certains de ces arguments conviendront mieux à une situation qu’àune autre. Différentes personnes seront sensibles à différentsarguments: les uns s ‘ intéresseront aux droits des enfants ou auxavantages économiques, alors que d’autre s’inquiéteront de la jus-tice sociale ou de l’adaptation aux changements intervenant dansla famille et au travail. Examinons brièvement chacun de ces argu-ments.

1. Les enfants ont le droit de s’épanouir pleinement.

Beaucoup de gens voient dans l’obligation de protéger les droitsd’un enfant la raison fondamentale et la plus convaincante d’inves-tir dans des programmes visant à favoriser le développement desjeunes enfants. Parmi les dix principes énoncés dans laDéclaration des droits de l’enfant, adoptée à l’unanimité en 1959par l’Assemblée générale des Nations Unies, citons celui-ci:

" L’enfant doit bénéficier d’une protection spéciale et se voir accorder des pos -sibilités et des facilités par l'effet de la loi et par d’autres moyens, afin d’êtreen mesure de se développer d’une façon saine et normale sur le

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Pour un bon départ dans la vie

plan physique, intellectuel, moral, spirituel et social dans des condi -tions de liberté et de dignité. »

Permettre que des millions de jeunes enfants souffrent chaqueannée de handicaps et d’arrêts du développement, alors qu’onpourrait l’éviter, constitue une violation des droits de l’homme. Lefait que les enfants dépendent d’autrui pour faire respecter leursdroits crée une obligation encore plus grande de les aider et de lesprotéger.

En 1989, soit trente ans après l’adoption de la Déclaration de1959, l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté uneConvention relative aux droits de l’enfant qui invite les signatairesà assurer:

«... dans toute la mesure possible la survie et le développement del’enfant. » (Article 6)

Tout en confiant au premier chef aux parents et aux familles laresponsabilité d’élever un enfant, les Etats:

«...accordent l’aide appropriée aux parents et aux représentantslégaux de l’enfant dans l’exercice de la responsabilité qui leurincombe d’élever l’enfant et assurent la mise en place d’institutions,d’établissements et de services chargés de veiller au bien-être desenfants. » (Article I 8. 9)

et plus loin:

«...assurer aux enfants dont les parents travaillent le droit de béné-ficier des services et établissements de garde d’enfants pour les-quels ils remplissent les conditions requises. » (Article 18.3)

La Déclaration des droits de l’enfant et la Convention relativeà ces droits donnent à penser que l’ensemble de la communautéinternationale reconnaît aux enfants le droit de s’épanouir pleine-ment, ce qui justifie la création de programmes d’aide à la petiteenfance. Toutefois, ces droits restent théoriques, car les enfants,n’ayant pas le pouvoir d’agir, dépendent d’autrui pour les fairevaloir.

2. C’est par l’enfant que se perpétuent les valeurs de l’humanité.

Tout nous rappelle que «les enfants sont notre avenir». La trans-mission des valeurs sociales et morales qui régiront cet avenircommence dans les tout premiers mois et les toutes premièresannées de la vie. Les sociétés conscientes de l’érosion des valeursessentielles ont toutes les raisons de chercher à renforcer cesvaleurs. Les programmes destinés aux jeunes enfants peuvent ycontribuer, en renforçant la résolution des parents et en offrant auxenfants des environnements de jeu et d’apprentissage où une

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Pourquoi investir dans le développement des jeunes enfants?

attention particulière est accordée à ces valeurs. Développer desvaleurs fondamentales chez les enfants doit être l’une des grandespriorités de notre monde où règne la violence mais qui recherchela paix, de notre monde confronté à la dégradation de l’environne-ment mais en quête de coopération et de sages solutions, de notremonde où consumérisme, rivalité et égoïsme semblent remplacerdes valeurs essentielles: altruisme collaboration et solidarité.

Si l’enfant représente l’avenir, il est l’agent du changement etle gardien de la continuité. Pour beaucoup, l’idée est effrayante.Pourtant, les gouvernements révolutionnaires voient dans la petiteenfance une chance à saisir. Ils ont toujours reconnu qu’il étaitimportant d’inculquer des valeurs dans la prime jeunesse. Aprèsles révolutions, l’idée selon laquelle «l’homme nouveau» commen-ce avec «l’enfant nouveau» a suffi à justifier la mise en place d’im-menses programmes pour les enfants. Bien que le centralisme etle prosélytisme dont de nombreux programmes de ce genre sontempreints ne soient pas toujours du goût des observateurs étran-gers (pas plus que le prosélytisme des missionnaires n’est du goûtdes révolutionnaires), I ‘ expansion post-révolutionnaire des garde-ries d’enfants et des maternelles montre clairement que l’investis-sement dans des programmes destinés aux jeunes enfants est fon-damentalement politique.

3. Favoriser le développement des jeunes enfants profite à lasociété qui y gagne en productivité et en économies de coût

Sans qu’il soit besoin d’évoquer la littérature scientifique, le bonsens suggère qu’une personne bien développée sur les plans phy-sique, mental, social et affectif sera plus à même d’aider financiè-rement sa famille, sa communauté et son pays qu’une personnequi ne l’est pas. Or, dans la plupart des pays du monde, cettecontribution économique commence à un très jeune âge.

Augmentation de la productionLes programmes destinés aux jeunes enfants peuvent améliorerles capacités physiques et mentales de ceux-ci. Ils peuventaussi influer sur la scolarisation, se répercuter sur les progrès etles résultats scolaires, ce qui, à son tour, influe considérable-ment sur les aptitudes et attitudes déterminantes pour leur com-portement à l’âge adulte. L’instruction contribue à développerdes qualités telles que l’aptitude à organiser les connaissancesen catégories logiques, à appliquer ces connaissances à diff é-rentes situations et à se montrer plus sélectif dans l’utilisation de

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Pour un bon départ dans la vie

L’information (Rogoff, 1980; Triandis, 1980). L’instruction faciliteaussi l’adaptation aux techniques (Grawe, 1979). Elle a un rapportdirect avec l’accroissement de la productivité agricole (Lockheed.Lau et Jamisom 1980) et de la productivité des marchés parallèles(Colclough, 1980).

La productivité peut également augmenter en raison de la pro-gression des effectifs. Non seulement les programmes de protec-tion de l’enfant et de son développement influent sur la future pro-ductivité de celui-ci, mais ils offrent aussi la possibilité d ‘ intégrerdavantage de femmes à la population active et de libérer des frèreset soeurs plus âgés qui, ainsi, pourront s’instruire et gagner leurvie. Enfin, ils peuvent fournir des emplois à la population locale, quidispensera les soins et fournira les produits et les services néces-saires à l’application des programmes.

EconomiesLes investissements réalisés dans les domaines de la santé, del’alimentation et du développement psycho-social de l’enfantdeviendront rentables dans la mesure où ils permettront de limiterles pertes d’emploi, de diminuer la demande ultérieure des pro-grammes d’aide sociale, d’améliorer les méthodes pédagogiquespour arriver à une réduction du nombre des abandons scolaires etdes redoublements - en introduisant des programmes de rattrapa-ge, par exemple - et de réduire les frais de santé.

En examinant 17 études à long terme consacrées aux effetsdes interventions précoces sur le déroulement des études et surles résultats obtenus dans les écoles primaires (Myers, 1992), ona constaté que 12 d’entre elles en dénombraient les incidences surle redoublement. Huit études sur ces 12 montraient qu’il y avaitmoins de redoublants parmi les élèves ayant participé plus jeunesà des programmes. Sur les 4 études n’ayant révélé aucune diffé-rence, une se rapportait à un système où le passage dans la clas-se supérieure était automatique.

Plus précisément, une évaluation effectuée au Brésil montrequ’un programme global de protection et de développement pourenfants d’âge préscolaire s’est révélé plus que rentable, car il apermis de réduire les frais supplémentaires occasionnés par lesredoublements (Ministerio da Saude, 1983). Un autre exemplesouvent cité, prouvant qu’il est rentable d’investir dans le dévelop-pement des jeunes enfants, nous vient des Etats Unis. Une étudeà long terme des effets d’un programme préscolaire sur desenfants issus de familles à revenus modestes a révélé des gainséquivalents à sept fois le coût original du programme(Berruta-Clement, et coll ., 1984) .

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Pourquoi investir dans le développement des jeunes entants?

Taux de rendementIl est difficile d’établir un rapport entre les coûts et les bienfaits desprogrammes ou de calculer le taux de rendement d’investisse-ments de nature sociale. Cependant, de telles évaluations révèlentque le taux de rendement des sommes investies dans la petiteenfance peut être élevé. Ainsi, Selowsky, se fondant sur des don-nées relatives à 1 ‘ Amérique Latine, conclut que:

«Les sommes investies chaque année par enfant dans des pro-grammes favorisant l’épanouissement des aptitudes dans unemesure équivalente à un écart-type peuvent se justifier si ellesreprésentent entre 0,37 et 0,51 pour cent du salaire annuel d’unouvrier analphabète. « (Seloesky, 1981, p. 342)

L’épanouissement de ce que Selowsky dénomme «aptitudes»sans pour cela augmenter les coûts- cités, est tout à fait du domai-ne du possible. En fait, investir dans des programmes consacrésaux jeunes enfants et à leur développement permet de recueillirdes avantages économiques et ce, pour plusieurs raisons évi-dentes.

4. On peut améliorer d’autres programmes par des investissementscommuns dans des programmes de développement de l’enfant.

Investir dans la protection et le développement des jeunes enfantspeut contribuer à l’efficacité d’autres programmes, mais il ne fau-drait pas pour autant considérer que ces investissements peuventremplacer I ‘ école primaire ou les soins de santé primaires. Il faut,au contraire les considérer comme des éléments d’un tout, procu-rant des avantages accrus à un coût marginal voire nul. La combi-naison de différents programmes produit des effets réciproques surla santé, l’alimentation et la stimulation précoce. En outre, les pro-grammes consacrés à la protection et au développement de l’en-fant peuvent s’avérer utiles pour offrir des soins de santé primaires(Evans, 1985). Ainsi, les programmes d’éducation parentale per-mettent non seulement aux parents d’aider leurs enfants à la mai-son mais aussi favorisent une meilleure utilisation des services desanté.

Si les enfants sont mieux préparés quand ils entrent dans leprimaire, ils peuvent mieux profiter de l’école. Non seulement lenombre des abandons scolaires et des redoublements diminuera,ce qui se répercutera sur les coûts, mais la qualité de l’enseigne-ment augmentera, car l’un des «éléments-clés» du système sco-laire, c’est l’enfant. Quand les enfants sont mieux préparés, lesenseignants sont plus motivés, les installations et le

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Pour un bon départ dans la vie

matériel sont mieux utilisés et les enfants apprennent davantageau contact des autres. Il ressort de huit des douze études à longterme ci-dessus que les enfants ayant bénéficié de programmes d‘ intervention précoce obtiennent des résultats supérieurs. Trois deces études ne relèvent aucune différence marquée entre les deuxgroupes et, dans une, on note seulement les effets en milieu rural(Myers, 1992).

Dans un autre ordre d’idées, les programmes permettant auxfemmes d’exercer une activité rémunératrice, tout en assurant laprotection et le développement des enfants ont plus de chances deréussir. Quand les femmes sont sûres que leurs enfants sont biensoignés, elles se font moins de soucis à leur égard et perdentmoins de temps de travail (Galinsky, 1986). En outre, elles sontplus à même de chercher un emploi plus stable et mieux rémuné-ré.

5. Ces programmes peuvent corriger des inégalités pénibles.

Donner à des enfants de milieux dit «défavorisés» un «bon départdans la vie», investir dans le développement des jeunes enfantspeut contribuer à corriger des inégalités dues à la pauvreté et à ladiscrimination (sociale, religieuse, sexuelle). La pauvreté et la dis-crimination engendrent des tensions et des inégalités de traitementqui risquent d ‘ inhiber le développement normal des jeunesenfants. Il arrive souvent qu’en entrant à l’école, les enfants defamilles pauvres prennent vite, par rapport à leurs camarades plusavantagés, un retard qui s’accentuera et ne se rattrapera jamais.

Les garçons ont toujours été mieux préparés à la scolarisationque les filles et ils ont généralement plus de chances d’entrer àl’école et de poursuivre des études. Les différences commencentavec les inégalités sexuelles flagrantes dans la façon d’élever lestout jeunes enfants et qu’il faudra changer pour éliminer les discri-minations. Ces habitudes sont souvent profondément enracinésdans les cultures, mais il est prouvé que, par une approche pluri-disciplinaire du développement précoce, on peut .modifier la façondont les familles perçoivent les aptitudes et l’avenir des fillettes.

En négligeant de stimuler le développement dans la petiteenfance alors que cela est nécessaire, les gouvernementsacceptent et renforcent tacitement les inégalités. Il est ironiquede constater que l’un des arguments invoqués contre les pro-grammes d’éducation précoce consiste à dire qu’ils sont dis-criminatoires et favorisent les classes supérieures. Cela estcertainement vrai, si rien n’est fait pour aider les pauvres et si

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ces programmes ne sont offerts qu’à la population qui a les moyensde payer. Cependant, tout prouve, au contraire, qu’ils peuvent atté-nuer ces différences sociales. A titre d’exemple, il ressort claire-ment d’une évaluation du gigantesque Service intégré pour ledéveloppement de l’enfant (Integrated Child Development Service)en Inde que ce sont les castes inférieures et les filles qui en retirentle plus grand profit (Lal et Wati, 1986). Plusieurs études effectuéesen Amérique Latine montrent également que ce sont les enfantsdes milieux socio-économiques modestes et (ou) ruraux qui tirentle meilleur parti de tels programmes (par exemple, Filp, et coll.,1983).

6 . Les enfants permettent de mobiliser l’opinion en faveur de mesuressociales et politiques et de renforcer la solidarité.

Le Mozambique, le Pérou, le Sri Lanka, le Salvador. I’Ethiopie,I’Iran et quantité d’autres pays, secoués par la violence, place leproblème de la coexistence pacifique en tête des urgencessociales. Dans bien des endroits, il est très difficile, en raison detensions politiques et sociales, moins fortes cependant, de mobili-ser les populations autour de mesures qui leur profiteront. En pareilcas, il s’est avéré que mettre «les enfants d’abord» peut constituerune stratégie efficace sur le plan politique.

Les cas les plus frappants, mais éphémères, de mobilisationautour de programmes en faveur des jeunes enfants sont ceux oùun cessez-le-feu a été obtenu afin de procéder à des campagnesnationales de vaccination. Grâce aux enfants, une paix provisoirea pu être instaurée.

Les nombreux programmes communautaires dans lesquelsles enfants sont le pôle d’intérêt commun, et donnent une raisond’agir conjointement sont moins spectaculaires. Le bien-être desenfants a une connotation moins politique que la majorité desautres problèmes. De plus, les améliorations apportées localementdans les domaines de la santé, de l’hygiène et de l’alimentationdes enfants profitent généralement à la communauté tout entière.Il existe d’innombrables exemples de ce genre d’améliorations.Voir par exemple l’évaluation du programme PROMESA e nColombie (CINDE, 1990).

7 . Il est scientifiquement prouvé que des effets durables résultentd’une attention précoce accordée au développement de l’enfant.

Des données de plus en plus nombreuses en matière de physiologie, d’ali-mentation et de psychologie montrent que les premières années sont d’uneimportance cruciale pour le développement de l’intelligence, de la

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Pour un bon départ dans la vie

personnalité et du comportement social. Ces preuves sont appa-rues avec la découverte, déjà ancienne, que les cellules du cer-veau se forment au cours des deux premières années de la vie.Cependant, des recherches récentes confirment qu’il faut s’inté-resser très tôt au développement de l’enfant. Ces recherchesdémontrent que les stimulations sensorielles exercées par le milieumodifient la structure et l’organisation des chaînes neuroniquesdans le cerveau au cours de la période de formation (Dobbing,1987). Ainsi donc, les expériences perceptivomotrices complexessurvenant pendant la petite enfance ont, par la suite, des consé-quences heureuses sur différentes capacités d’apprentissage etelles peuvent compenser, du moins en partie, le déficit associé à lamalnutrition chez le jeune enfant. Par ailleurs, la recherchedémontre également que les enfants dont les mères prennent soind’une façon régulière seront mieux nourris et moins susceptiblesd’être malades que ceux dont on s’occupe de façon moins suivie(Zeitlin, Ghasseni et Mansour, 1990).

Dans les années 70, après avoir étudié plusieurs programmesaméricains d’intervention précoce, il avait été constaté que leurseffets sur le quotient intel lectuel des enfants semblaient dispa-raître quand ces enfants arrivaient en deuxième ou troisièmeannée d’école primaire. Plus récemment, les données fournies pardes études à long terme montrent clairement que ces programmesdonnent d’importants effets à long terme. Ainsi, on relève une assi-duité accrue, de meilleurs résultats scolaires, une augmentation dunombre d’adolescents trouvant un emploi, une diminution de ladélinquance chez ces mêmes adolescents et une baisse dunombre des grossesses chez les adolescentes (Berruta-Clement,et coll., 1984).

8. L’évolution des conditions sociales et économiques exigedes solutions nouvelles.

La récession mondiale de la dernière décennie a des répercus-sions de plus en plus graves sur les familles et sur les gouverne-ments qui cherchent à adapter leurs comportements et leurs pro-grammes aux nouvelles réalités (Cornia, et coll., 1987).Cependant, même avant la récession et parfois indépendammentde celle-ci, de grands bouleversements sociaux se sont produitsdans certains domaines, il a donc fallu trouver de nouveauxmoyens pour protéger le développement des jeunes enfants.

a) Le nombre croissant des femmes dans la population active.Les femmes, de plus en plus poussées à exercer des activitéssalariées et devant remplacer aux champs les hommes partis tra-vailler en ville ou

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Pourquoi investir dans le développement des jeunes enfants?

dans les mines, n’ont plus autant de temps à consacrer à leursenfants et il est devenu nécessaire de trouver de nouvelles solu-tions pour les faire garder. Cette présence des femmes dans lapopulation active est antérieure à la récession des années 80, maiscelle-ci l’a renforcée. Il est vraisemblable qu’elle perdure et s’ac-croisse même au cours des années à venir.

Dans ces situations ou dans d’autres, la mère qui travaille pourfaire vivre sa famille aime son enfant et estime qu’elle devrait luiconsacrer son temps et son énergie, mais elle ne le peut pas. Ellea donc besoin d’aide.

b) La modification des structures familiales traditionnelles. Denos jours, les familles au sens large sont devenues rares. Par suitedes migrations et de l’urbanisation progressive, les membres de lafamille disponibles à proximité pour s’occuper des enfants sontmoins nombreux. On ne peut plus faire appel aussi facilement auxgrands-mères, soit parce qu’elles sont restées dans des régionsrurales soit parce qu’elles aussi ont des emplois salariés. Lenombre des foyers où la mère est chef de famille a augmenté.Dans certains pays en développement, leur pourcentage est élevé:plus de 40 pour 100 en zone rurale au Kenya, au Botswana, auGhana, en Sierra Leone et au Lesotho (Youssef et Hertler, 1984).Comme, dans ces foyers, les femmes doivent travailler, il devientnécessaire de créer des garderies. L’argent gagné par ces femmessert alors plus souvent à améliorer le bien-être des enfants de lamaisonnée.

Ces changements dans la structure familiale s’accompagnentd’une augmentation du nombre des enfants maltraités ou vivantdans la rue. Ces problèmes ne sont souvent abordés que trop tard,au lieu de chercher des solutions beaucoup plus tôt en aidant lesfamilles dans le dénuement qui ont de très jeunes enfants.

c) L’augmentation de la scolarisation. De plus en plus de frèreset soeurs aînés fréquentant l’école primaire, ils ne peuvent doncplus aider les parents à prendre soin des cadets. Ils se voient sou-vent forcer à d’abandonner l’école pour s’occuper de ces derniers.C’est un argument de plus pour organiser des garderies, grâceauxquelles les aînés pourront poursuivre leurs études de façon àsavoir au moins lire et écrire.

d) L’évolution des taux de mortalité et des taux de sur-vie. Au cours des trente dernières années, le taux de mor-talité infanti le a diminué de plus de la moitié. Davantaged’enfants survivent parmi ceux qui, par le passé, auraientconnu une mort précoce. Le nombre des enfants qui

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atteignent l’âge d’un an étant passé de 5 sur 6 en 1960, à 14 sur15 en 1992, il devient impératif de créer des programmes pour eux.

Résumé

L’argumentation exposée ici regroupe plusieurs raisons justifiantque l’on investisse dans le développement des jeunes enfants.Chaque argument vaut par lui-même mais, pris ensemble, toussont particulièrement convaincants. Quelles que soient les préfé-rences de chacun et les situations locales, il est clair que ce fais-ceau d’arguments constitue une base solide pour amener à inves-tir davantage dans les programmes de protection et de développe-ment des jeunes enfants, qu’ils soient organisés par des individus,des familles et des communautés ou par des gouvernements, desorganismes non gouvernementaux ou des bailleurs de fonds inter-nationaux.

Quand la petite enfance devient une priorité, les capitauxnécessaires se trouvent, même dans des régions relativementpauvres. Le problème n’est pas tant de financer des programmespour la petite enfance, mais de faire reconnaître la valeur de cesprogrammes et de réussir à mobiliser la volonté individuelle et poli-tique nécessaires pour trouver les ressources essentielles pour lesmettre en oeuvre.

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Pourquoi investir dans le développement des jeunes enfants?

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Pour un bon depart dans la vie

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IV OU EN SOMMES-NOUS ET COMMENT Y SOMMES-NOUSARRIVES?

Ni le développement ni la protection de I ‘ enfant ne sont nouveaux. Cependant, tout comme les sociétés et les situations, les formesde protection et le développement évoluent avec le temps. Ainsi, lenombre de ces programmes augmente. Depuis l’origine de cesprogrammes, combien les choses ont changé, mais aussi combiende temps il nous a fallu pour nous adapter dans certains cas, alorsque, dans d’autres, nous avons adopté trop précipitamment denouvelles méthodes.

A conjonctures nouvelles, besoins nouveaux

Dans le monde occidental, les programmes pour la protection et ledéveloppement de l’enfant tels que nous les connaissons aujour-d’hui découlent notamment des changements qui ont accompagnéla révolution industrielle au XVIIIe siècle. Dans la société à prédo-minance rurale et agricole qui a précédé l’industrialisation, lesenfants grandissaient normalement au sein d’une famille élargie.Dans les campagnes, ils s’épanouissaient dans un monde assezlimité et immuable où les valeurs communautaires étaient généra-lement incontestées. Le cadre rural offrait un espace à explorer etun environnement stimulant. Le soin des enfants incombait évi-demment aux femmes, qui trouvaient d’ordinaire malgré leurs tra-vaux le temps d’allaiter les petits et de s’en occuper directementdurant les premières années. Les familles étaient souvent nom-breuses et les aînés devaient aider à veiller sur les plus jeunes. Enfait, les enfants entraient tôt dans un monde adulte et, en un sens,ils ne passaient par l’enfance telle que nous la connaissons aujour-d’hui (Aries, 1962).

Pourtant, il ne faudrait pas idéaliser les conditions de la vierurale aux XVIIIe et XIXe siècles. Elles étaient pénibles et la mala-die, voire la disette menaçaient continuellement la survie.Néanmoins, pour les enfants qui franchissaient le cap des premiersmois, le développement était moins problématique que pournombre de leurs pairs qui naissaient dans les nouveaux milieuxurbains. Les soins apportés aux enfants évoluaient au fil des anspour correspondre aux besoins de l’intégration dans la sociétérurale, mais ils étaient inadaptés en ville.

Avec l’industrialisation et l’exode rural, les valeurs, les condi-tions de vie, les cellules familiales et les schémas de travail chan-gèrent. Le problème s’est alors posé de trouver des substituts auxmères qui travaillaient et des stimulations satisfaisantes pour lesenfants, grandissant

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dans un univers physique restreint. Il fallait développer de nou-velles compétences parentales et la socialisation devait pendre untour nouveau. Les vieilles méthodes de protection et de dévelop-pement de 1‘ enfant devenaient inadéquates.

Face aux mutations sociales, deux types de programmes sesont peu à peu définis. Un premier visait essentiellement à aiderles enfants trouvés ou nécessiteux. Les institutions chargéesd’exécuter ces programmes sociaux, souvent sous l’égide dedames de l’aristocratie, assuraient la protection et la garde de cesenfants, les nourrissaient et les logeaient, mais n’offraient guèreplus.

Un deuxième type de programmes s’est également dévelop-pé, cette fois à l’intention de la classe moyenne urbaine grandis-sante, mais leurs objectifs étaient davantage de former et de sti-muler que de protéger et s’assurer des soins surveillés. Ces pro-grammes offerts dans des centres, visaient, en un sens, à comblerle vide laissé par l’absence des possibilités offertes dans le monderural. On introduisit jouets et jeux dans les salles de classe afin dedonner aux enfants la stimulation et les exercices dont leurs petitscamarades des campagnes bénéficiaient tout naturellement. Anotre époque, ces modèles centralisés sont exportés des capitalesoccidentales vers les zones rurales des pays en développement. Ilimporte donc de se rappeler leurs origines pour éviter d’introduiredes éléments étrangers superflus.

Il existe un parallèle entre les changements de valeurs, demodes de vie, de structures familiales et de travail associés avecla révolution industrielle et les mutations qui bouleversent aujour-d’hui la vie des pays en développement qui s’urbanisent rapide-ment et tentent de s’industrialiser. Face à ces mutations, beaucoupde pays ont eux aussi choisi un modèle à deux vitesses, offrant auxpauvres une aide sociale et assurant au mieux une protection, etaux classes moyennes une possibilité d’enrichissement, plus axéesur le développement.

Au XXe siècle, surtout depuis 1945, d’autres changements,presque inexistants lors de la révolution industrielle, sont interve-nus. La révolution des communications a contribué à créer le «vil-lage planétaire» ou, comme dirait I ‘ historien africain Ki-Zerbo, un« supermarché mondial» (Ki-Zerbo, et coll., 1990). Maintenant, lesradios émettent pratiquement aux quatre coins du monde et la télé-vision se capte dans des régions rurales hors d’atteinte il y avingt-cinq ans.

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Où en sommes-nous et comment y sommes-nous arrivés?

Une autre révolution a transformé l’éducation, ou plus préci-sément la scolarisation au XXe siècle. L’accent est mis sur l’alpha-bétisation dont les taux ont spectaculairement grimpé, presqueautant que ceux de la scolarisation dans le cycle primaire.Aujourd’hui, on insiste bien davantage sur l’acquisition d’aptitudescognitives liées au raisonnement abstrait. L’arrivée, pour ne pasdire l’intrusion, d’écoles dans les zones rurales a créé une concur-rence avec les formes d’éducation indigènes. Avec elle est appa-rue une nouvelle sorte de certification de plus en plus exigée desenfants des campagnes comme des villes.

Les transports et les structures ont également été révolution-nés. Les autocars n’aident pas seulement les populations rurales àse rendre dans les villes et à y migrer, ils permettent aussi un retourpériodique ou définitif dans les villages, où se répandent de nou-velles idées et de nouveaux comportements. Grâce aux révolu-tions survenues dans les modes de communication et de transport,le commerce et les gouvernements ont pu étendre leur portée, etleur présence n’est plus inhabituelle dans les villages. Les com-merçants, les fonctionnaires y vantent leurs produits commerciauxou sociaux, tandis qu’une myriade de citadins créent de nouveauxproduits et cherchent de nouveaux débouchés.

On assiste ainsi non seulement à une migration vers les villesavec les changements que cela entraîne, mais aussi à une infiltra-tion des villes dans les régions rurales. Les premières ont apportéaux secondes les biberons, le Coca-Cola, les blue-jeans et le plas-tique. Elles ont aussi semé le doute sur les vieilles valeurs et lesméthodes traditionnelles, y compris dans l’éducation des enfants.«Communauté» ne signifie plus la même chose et on ne sait plusà qui ou à quoi rester fidèle. Résultat: même les enfants des zonesrurales grandissent de plus en plus dans des environnements mul-tiples, voire conflictuels. Touchés par des cultures nationales etinternationales, ils n’en restent pas moins enracinés dans une cul-ture locale qui tremble parfois sur ses bases et ne sait plus quelleorientation prendre.

En général, les idées relatives au développement du jeuneenfant sont lentes à évoluer et ce, malgré un accès accru auxinformations qui devraient contribuer à accélérer le mouvement.Il en va ainsi pour les habitants des régions rurales à qui l’ondemande d’assimiler de nouvelles méthodes mais qui résistentà des changements qui peuvent s’avérer indispensables pourque leurs enfants fonctionnent dans ce monde en mutation, oumultiple, qui les entoure. Il en va de même pour les familles quimigrent vers les villes et doivent s’adapter à un nouvel

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Pour un bon départ dans la vie

environnement. Il en va de même aussi pour les professionnels etles bureaucrates qui vivent en ville et qui sont chargés de formulerdes programmes destinés aux zones rurales. Pour avoir grandi etavoir été formé selon une tradition occidentale et probablementurbaine, les citadins s ‘ accrochent à des formes et à des notionsinfluencées par l’Occident. Aussi, lorsqu’ils s’aventurent en milieurural, ils ne reconnaissent ni la culture locale, pourtant riches ni lespratiques ancestrales qui ont fait leurs preuves, et ils ne s’en inspi-rent pas.

Si les personnes sont lentes à s’adapter, les cultures le sontplus encore. Prenez, par exemple, une autre révolution en marche:L’émancipation des femmes et les changements qu’elle entrainedans les structures familiales (Tilly et Scott, 1978). Cette révolutionn’a pas encore fait le tour de la terre, mais cela ne saurait tarder.Là encore, il est nécessaire d’envisager sous un jour nouveau laprotection et le développement de l’enfant, car cette révolution aaussi des répercussions sur celui-ci. Cependant, nous sommeslents à réagir. Or, paradoxalement, une fois décidés, nous risquonsd’aller trop vite ou trop loin et d’oublier de prendre en considérationla nécessité et le désir de conserver des valeurs fondamentalesaffermies par le processus de socialisation antérieur.

Pour comprendre plus en détail les changements qui influentsur nos façons d’envisager la protection et le développement dujeune enfants il faudrait aussi parler des conséquences de ceux-ci:abondance croissante; répartitions différentes de la richesse; fluc-tuations économiques exigeant de difficiles ajustements; boulever-sements géopolitiques dans les années 50 et 60, qui ont entraînél’indépendance de nombreux pays; et croissance des organisa-tions internationales, qui décident de tendances et ont le pouvoird’accorder des prêts. Il n’est pas question ici de se lancer dans uneanalyse historique approfondie des mutations sociales et écono-miques dans leurs répercussions sur l’enfance (voir Wall, 1975 etLevine et White, 1986). Il s’agit seulement de suggérer qu’en rai-son des bouleversements survenus et parce que tant d’enfantssont en danger car entre deux mondes, il est indispensable derefondre les modèles et revoir en profondeur les façons d’envisa-ger le développement du jeune enfant. Le problème sera alorsaussi de respecter patrimoines et valeurs culturels tout en appor-tant les modifications nécessaires. Examinons maintenant le passérécent pour voir comment nous nous adaptons. En proclamant1979 Année internationale de l’enfant (AIE), les Nations Unies don-nèrent l’occasion de présenter des idées novatrices en matière deprotection et de développement de l’enfant. Qu’en a-t-il résulté?

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Où en sommes-nous et comment y sommes-nous arrivés?

L’Année internationale de l’enfant: Tournant historique?

L’AIE a sans nul doute suscité un regain d’enthousiasme et d’inté-rêt pour l’enfant. Nombre de travaux descriptifs et analytiques ontété entrepris aux niveaux nationaux, afin d’identifier des besoins,de sensibiliser et de mobiliser des gens autour de l’idée suivante:s’occuper de l’enfant en tant que fin en soi. Une pléthore de projetspilotes restreints lancés à cette occasion ont marqué une ouvertu-re importante vers des programmes «informels» s’inscrivant dansle contexte du développement communautaire. Des programmesd’éducation parentale ont également été instaurés, ainsi qued’autres destinés aux frères et soeurs aînés chargés de veiller surles plus jeunes. Parallèlement, une somme considérable d’énergieétait consacrée à la promotion et à l’expansion des écoles mater-nelles classiques.

Quels ont été les résultats de l’AIE? Une rétrospective conclutqu’en «dix ans, on est devenu cent fois plus conscient des droits etdes besoins des enfants» (Smyke, 1989, p. 53). Ce qui s’est traduitpar la Convention des droits de l’enfant, ratifiée par les NationsUnies en 1989 et actuellement ratifiée par plus de 150 pays.

Qu’est-il advenu des politiques et programmes depuis 1979?Dans l’ensemble, il est évident que cette sensibilisation accrue apermis de faire adopter de nouvelles lois et de nouvelles politiquesnationales. Beaucoup plus de programmes sont destinés à amé-liorer les chances de survie des enfants. Des progrès, plusmodestes, ont été accomplis en ce qui concerne leur protection etleur développement. Divers organismes créés durant l’AIE sontencore actifs.

Malheureusement, il est difficile de donner plus de détails surles effets de l’AIE parce qu’aucune entité n’a été chargée de suivresystématiquement la plupart des efforts commencés en 1979 et,notamment, les projets et programmes s’intéressant au dévelop-pement de l’enfant, et non à sa survie en tant que telle.

E n t r e-temps, il est manifeste que, malgré le bel enthou-siasme et les nombreuses activités suscités par l’AIE,l’élan pris en 1979 pour créer des programmes de protec-tion et de développement de I ‘ enfant s ‘ est essouf f l é .Souvent, les gouvernements nationaux et les organisationsinternationales n’ont que rarement fourni des fonds spé-ciaux aux nouvelles initiatives. On s’est beaucoup agité,mais il n’y a pas eu de campagne concertée pour renforcerle développement de l’enfant. Au niveau international, lesenfants n’ont pas eu droit à une décennie, comme

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Pour un bon départ dans la vie

les femmes ou l’eau. Aucun organe particulier des Nations Uniesn’a été chargé d’assurer le suivi de l’AIE, ni n’a cherché à le faire.Faute de direction et de continuité, les exercices d’information ainsique les projets pilotes consacrés au développement de l’enfant ontvite été absorbés dans un courant international plus puissant axésur les soins de santé primaires. Ce mouvement avait commencéà prendre de l’ampleur dès 1978, à la Conférence d’Alma Ata sur«la santé pour tous».

Au seuil des années 80, les recommandations d’Alma Ata fai-sant leur chemin, on a insisté davantage sur les soins de santé pri-maires et sur la survie du nourrisson et de l’enfant. De concert avecl’Organisation mondiale de la santé, I’UNICEF a lancé uneRévolution pour la survie et le développement de I ‘ enfant (RSDE)qui, malgré le mot «développement» contenu dans son titre, visaitessentiellement la survie. Cette révolution s’est d’abord manifestéesous le sigle: GOBI-FFF -(surveillance de la croissance, réhydra-tation orale, allaitement et immunisation, avec en prime complé-ment alimentaire, espace familial et éducation des femmes).Cependant, la croisade avançant. l’accent a de plus en plus étémis sur l’immunisation et la réhydratation orale , qui sont devenules «deux moteurs» de la RSDE. Ce n’est que maintenant que l’onaccorde. une plus grande attention à d’autres éléments, toujoursdans l’optique de la survie et de ta croissance. Plusieurs organisa-tions internationales et bilatérales ont participé à cette croisademondiale pour la survie. Les gouvernements ont répondu à l’appel,conscients des taux de mortalité infantiles élevés dans leurs payset du climat international propice à les aider.

En même temps, assaillis de problèmes économiques crois-sants, la plupart des pays en développe ment n ‘avaient guère lesmoyens de renforcer des programmes dans les années 80. Engénéral, les ajustements économiques devenus nécessaires sesont faits au détriment des secteurs sociaux comme la santé et del’éducation. En outre, en mettant l’accent sur des programmes àcaractère sanitaire axés sur la survie, les programmes insistant surle développement psychologique du jeune enfant, ou comprenantun volet à cet effet, n’ont pas bénéficié du soutien massif escomp-té, si les recommandations et mesures prônées lors de l’AIEavaient été suivies.

Malgré ces handicaps, les programmes de protection de l’en-fant et le secteur préscolaire ont augmenté dans certains pays. Onne sait pas très bien si l’AIE a insufflé à des personnes déjàdévouées de nouvelles forces pour continuer contre vents etmarées ou si les efforts se sont multipliés

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Où en sommes-nous et comment y sommes-nous arrivés?

indépendamment de l’AIE à cause de circonstances locales quiobligeaient à intervenir. Toujours est-il que la situation était nette-ment meilleure en 1989 qu’en 1979. De plus, parce que le déve-loppement de l’enfant est un phénomène multidimensionnel etinteractif, les programmes de survie infantile ont aussi agi sur ledéveloppement. Mais où en sommes-nous?

La protection et le développement de l’enfant en 1989: unaperçu

Le tableau général qui ressort d’une description des programmesconsacrés à la protection et au développement des jeunes enfantsen 1989 est pour le moins un peu flou et relève des contradictionsapparentes. D’une part, on semble avoir avancé à pas de géantsau cours des vingt dernières années, plus particulièrement pendantla dernière décennie. Evidemment, dans certains pays, les progrèsont été extraordinaires et les exemples de programmes novateurs,parfois répandus, sont innombrables. D’autre part, l’impressiongénérale est que la situation est loin d’être satisfaisante. D’aprèsles témoignages rassemblés, il semble que:

1. Dans la plupart des pays, les programmes existants cou-vrent encore assez peu de secteurs. C’est notamment le cas dansles pays subsahariens.

2. Beaucoup de programmes se résument encore à des acti-vités pilotes ou à des essais novateurs, efficaces, que l’on peutrépéter ailleurs, mais dont l’application n’est guère répandue.

3. Même s’il y a un progrès, les programmes, notamment lesplus officiels, restent souvent centrés sur les villes et ne bénéficientpas encore aux enfants les plus «à risques».

4. Atteindre des enfants avant l’âge de trois ans, et notammentla tranche des un à trois ans, demeure un problème. Les garderiesoù l’on tient compte à la fois des besoins des enfants et de ceux deleurs mères qui travaillent restent trop peu nombreuses ou de qua-lité très insuffisante.

5. Les programmes de soutien et d’éducation offerts auxparents se sont multipliés dans certains pays, mais restent prati-quement inexistants dans d’autres, notamment pour ce qui est deséléments psychosociaux du développement des tout petits. Deplus, ces programmes tendent à imposer plutôt qu’à mettre à jouret à élargir les connaissances.

6. Dans beaucoup de programmes bénévoles, l’enthousiasme initialest retombé et l ‘esprit volontaire si essentiel au lancement de programmes

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Pour un bon départ dans la vie

s’essouffle. Or, n’étant pas encore jugés dignes de fonds publics.ces programmes sont menacés de disparition à terme.

7. Souvent, les programmes sont de piètre qualité. Leurs effetssur les enfants sont donc minimes. La combinaison des élémentsdans les programmes pluridisciplinaires continue de poser des pro-blèmes, malgré quelques succès et malgré une vigilance accrue.

Cela contribue sans doute à expliquer que l’on conclue que.malgré une expansion considérable, le domaine reste très fragile etdemande davantage d’attention, tant pour préserver les acquis quepour combler des lacunes importantes.

Tâche impossible?

A l’heure actuelle, il est impossible de donner une description com-plète et détaillée de ce qui se fait dans les pays en développementen matière de protection et de développement de l’enfant. Celapour au moins deux raisons . Premièrement, beaucoup d ‘ activitésde puériculture ont un caractère si peu officiel qu’il n’en est ques-tion dans aucune statistique. Non seulement, elles échappent àl’attention des organisations nationales et internationales s’occu-pant de protection et de développement de l’enfant, mais en plus,elles n’apparaissent pas parmi les activités productives figurantdans les comptabilités nationales.

Même dans les programmes les plus organisés, la diversitéest telle qu’aucune catégorie de statistiques ne suffirait. Pour cou-vrir le domaine correctement, il faudrait inclure non seulement desdonnées sur les centres en activité, mais aussi sur les visites àdomicile, les programmes d’éducation parentale, les garderiesd’enfants offertes dans le cadre de projets visant à donner auxfemmes des emplois générateurs de revenu, les programmes desoins et de développement s ‘ inscrivant dans des entreprises com-munautaires plus vastes, et les programmes pour handicapésouverts aux jeunes enfants. En outre, d’un point de vue global, ilfaudrait tenir compte de tous les programmes portant sur la santé,l’alimentation, l’éducation et les soins aux jeunes enfants. Du faitque différents organismes, publics et privés, travaillant aux niveauxcommunautaire, régional et national, mettent l’accent sur diversaspects du développement, la tâche devient écrasante.

Plus modestement, nous nous intéresserons aux programmesorganisés de protection et de développement de l’enfant, et nouslaisserons de côté les programmes axés uniquement sur la santé et

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Où en sommes-nous et comment y sommes-nous arrivés ‘

L’alimentation, malgré le rôle capital de ces deux éléments. Nousnous concentrerons sur des programmes étiquetés comme pro-grammes de protection de l’enfant, programmes pour le dévelop-pement de l’enfant ou programmes préscolaires, ou intégrant un deces éléments comme volet important. Ce choix traduit notre volon-té d’insister sur l’aspect psychologique du développement de l’en-fant. Cependant, même ainsi. la tâche est ardue, car il est rare detrouver dans un même endroit des données sur les différents pro-grammes.

Pour illustrer toute la difficulté qu’il y a à décrire les pro-grammes consacrés aux jeunes enfants, prenons le cas de SaoPaulo. Dans leur étude approfondie, réalisée en 1988, Campos etRosemberg ont découvert que, dans cette grande métropole brési-lienne, quatre importants programmes étaient gérés par des orga-nismes fédéraux (nationaux); six autres, par des organismes del’Etat de Sao Paulo; et trois, par des organismes municipaux. Cestreize organismes publics fonctionnaient suivant diff é r e n t smodèles. Les principales variantes étaient une «crèche offrant desservices complets» (pour les enfants de la naissance à six ans),une «école maternelle offrant des services complets» (de deux àsix ans). des classes maternelles (pour les enfants de cinq et sixans), des écoles maternelles pour «situation d’urgence» (versionsmoins formelles d’une école maternelle offrant des services com-plets, également pour les enfants de deux à six ans), et descrèches pour «situation d’urgence» (de la naissance à six ans).Dans la plupart des statistiques, ces programmes dits d’urgencen’étaient pas pris en considération. Outre ces modèles, il existaitaussi des «parcs pour enfants» (survivance des années 30, rece-vant des enfants de trois à douze ans) et des garderies organiséespar le secteur privé (de la naissance à six ans). Il existait aussi ungrand nombre de programmes privés, représentant environ 38pour 100 du réseau préscolaire.

Autre exemple, à l’occasion de l’Année internationale de l’enfant,I’Inde a lancé une étude colossale aux termes de laquelle le ministère desA ffaires sociales devait dresser le profil statistique de l’enfant indien. Publiéfinalement en 1985, cette étude de 1500 pages présentait toute unesomme d’informations sur les programmes alimentaires, y compris ceuxpour nourrissons, sur les «services d’aide à l’enfance» et sur le «bien-ê t r edes handicapés, de la naissance à six ans». Entre autres servicessociaux, citons les projets des services intégrés pour le développement del’enfant (SIDE) financés par la fédération et les différents Etats de I ‘ Inde,les foyers pour enfants pauvres ouverts par la fédération et les diff é r e n t sEtats, les services de placement familial de la fédération et des Etats, les

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Pour un bon départ dans la vie

crèches gérées par la fédération, les Etats ou les municipalités lesorganismes du secteur privé et les services offerts par des organi-sations aussi inattendues que le «Conseil du thé et du café», entreautres. Quand le rapport a été publié, les informations qu’il renfer-mait étaient déjà dépassées à bien des égards. Les SIDE avaientpris une rapide expansion entre 1980 et 1985 et le jeune Indienétait en meilleure santé et mieux alimenté. Néanmoins, ces don-nées constituaient un excellent point de référence pour assurer unsuivi des programmes afin d’améliorer la situation des enfants.

Statistiques et impressions

Bien qu’aucune source n’offre de tableau complet, on peut, à par-tir de plusieurs d’entre elles, se faire une idée générale de la situa-tion actuelle sur les programmes consacrés à la protection et audéveloppement de I ‘ enfant. Nous examinerons des chiffres pré-sentés par l’UNESCO et l’UNICEF, les deux principales agencesdes Nations Unies s’occupant des jeunes enfants.

UNESCO

1. Statistiques pédagogiques. Dans les statistiques pédagogiquesqu’elle publie périodiquement, l’UNESCO fournit des données surl’éducation préscolaire. L’édition de 1988 (Tableau 3.3) indique lenombre d’inscriptions pour la plupart des pays pour la périodeallant de 1980 à 1985 (ou 1986, dans certains cas). Ces chiffresconcernent les «écoles maternelles, les prématernelles et lesclasses maternelles rattachées aux écoles accueillant des enfantsplus âgés. Les centres de garderie, etc., ont été exclus dans lamesure du possible». Bien que couvrant divers types de pro-grammes, les chiffres fournis par l’UNESCO ne tiennent pas tou-jours compte de programmes non officiels, et la plupart se rappor-tent à des programmes complets pour des enfants de trois à sixans. En conséquence, ces chiffres donnent une base, une idéeminimale de la couverture des programmes pour jeunes enfants.Parce que les programmes pris en compte dans les statistiques del’UNESCO diffèrent énormément d’un pays à l’autre (ex: mater-nelles coraniques au Maroc, écoles communautaires au Kenya,écoles maternelles classiques élitistes au Niger), il est impossiblede tirer de réelles conclusions de comparaisons entre pays.Cependant, il est possible d’étudier le développement de ces pro-grammes pour jeunes enfants dans chaque pays sur les cinq ou sixans qui ont suivi l’AIE. Ce type d’analyse donne les résultats sui-vants:

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Où en sommes-nous et comment y sommes-nous arrivés?

A de rares exceptions près et malgré les difficultés écono-miques. La couverture s’est améliorée au cours de cette période.Les quelques pays dans lesquels cela n’a pas été le cas étaientl’Angola le Mozambique. I’Iran et le Liban, tous déchirés par laguerre. Dans un cinquième pays. Cuba, la couverture a légèrementrégressé. Dans le reste du tiers-monde (soit la centaine d’autrespays pour lesquels des données étaient présentées), on a noté unelégère expansion.

Dans certains cas, l’expansion a été spectaculaire, mais on ypartait de chiffres minimes, comme au Burkina Faso, où les ins-criptions ont quintuplé (soit de seulement 732 enfants inscrits en1980 à 3 751, en 1986); à Oman, où elles se sont multipliées parsix (de 396 à ‘ 54’), et en République dominicaine, partie de plushaut, où elles ont quintuplé (de 27 278 à 125 780).

Dans certains pays où beaucoup d’enfants participaient déjàaux programmes, la croissance a quand même été rapide, commeau Brésil, où les inscriptions ont doublé entre 1980 et 1986 (de 1335 000 à 2 699 000). En Thaïlande, elles ont presque triplé (de367 313 à l 009 131) dans le même laps de temps. En Indonésie,les inscriptions sont passées de 1 005 226 en 1980 à 1 258 468 en1985. Aucun chiffre n’était fourni pour le Bangladesh, le Pakistan etle Nigéria.

Parmi les plus grands pays, la Chine est passée de quelque11 507 000 inscriptions en 1980 à 16 289 800 en 1986 (ce quireprésente encore un pourcentage de couverture assez faible).L’Inde a fait un bond de 918 238 inscriptions en 1980 à 1 033 315inscriptions en 1984. Il est évident, au vu de ces derniers chiffres,que les enfants fréquentant des centres préscolaires non officielsdes tentaculaires SIDE ne sont pas pris en compte. On estimait à3 000 000 le nombre des enfants accueillis dans les garderies descentres préscolaires de ce programme en 1985 (UNICEF, 1988).

Les statistiques de l’UNESCO précisent également le pour-centage des fillettes inscrites. Sauf dans trois pays (le Maroc,Oman et le Népal), le pourcentage de filles au niveau préscolaireest au minimum de 45 pour 100. Ce qui donne à penser que lesprogrammes d’enseignement préscolaire ont un effet égalitaire.

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Pour un bon départ dans la vie

Sans connaître les effectifs du groupe d’âge correspondant. ilest difficile, avec les seuls chiffres cités dans le document del’UNESCO. de se faire une idée du pourcentage de la populationinfantile bénéficiant des programmes. Sachant, par exemple, quela République dominicaine compte 6,4 millions d’habitants, lechiffre de 126 000 enfants inscrits paraît légèrement meilleur quecelui de 16 000 000 d’inscrits en Chine qui en compte 1,2 milliards.

2. inscriptions préscolaires en Amérique latine. Les statis-tiques compilées par le bureau régional de l’UNESCO pourl’Amérique latine (Calvo, 1988) donnent une meilleure idée dupourcentage d’enfants de moins de six ans accueillis dans le sys-tème préscolaire. Le Tableau I (voir page suivante) présente le«pourcentage d’inscriptions» en 1981 et 1985 dans des pays don-nés1. Ces chiffres laissent entendre:

- qu’un pourcentage relativement élevé d’enfants de quatre à sixans étaient inscrits dans un système d’enseignement présco-laire ou un autre.

- qu’un assez faible pourcentage d’enfants de moins de quatre ans bénéficiaient de programmes préscolaires.

- qu’une tendance générale à l’expansion, en pourcentage, a marqué ces quatre années. (Nota: dans ces statistiques, Cuba est en progression, alors que dans les précédentes, il était en légère régression.)

Pour l’Amérique latine entière, l’UNESCO estime qu’entre 1980 et1986, on est passé dans l’enseignement initial «pré-primaire» (soit dela naissance à cinq ans), de 7,9 pour 100 de couverture en 1980 à 15pour 100 en 1986, ce qui représente un taux de croissance annuel de19 pour 100 pendant cette période (Tedesco, 1989, p. 11 ) .

______________________

1 Source: UNESCO-OREALC (1987), cité par Gilberto Calvo dans«El proceso de transicion entre los programas de atención a la niezy los de educacion primaria en América Latina», document de tra-vail pour un atelier sur l’articulation du système préscolaire et pri-maire, - organisé par l’UNICEF (Bogota) et l’UNESCO-OREALC(Santiago) du 14 au 18 mars 1988. Par «taux de scolarisation», onentend le pourcentage d’enfants d’un groupe d’âge inscrits dansdes programmes préscolaires.

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Où en sommes-nous et comment y sommes-nous arrivés?

Tableau 1 Taux de scolarisation au niveau préscolaire dansdes pays latinoaméricains entre 1981 et 1985

Pays Tranche d’âge Scolarisation (%)1981 1984

Bolivie 4-5 ans 31.5 34.1Brésil 0-6 ans 9.8 13.9Chili (1982/4) 0-5 ans 11.9 13.9

0-3 ans 2.4 2.34-5 ans 32.2 38.3

Colombie 0-4 ans 10.5 14.35 ans 31.9 36.0

Cuba (1980/4) 4-5 ans 36.9 43.8Equateur 5 ans 19.7 29.6El Salvador 4-6 ans 15.0 20.1Honduras 4-6 ans 9.5 11.2République dominicaine 6 ans 29.2

3. Enquête mondiale. En 1988, I’UNESCO a réalisé auprès deses Etats membres une enquête spéciale sur la protection desjeunes enfants et sur leur éducation (Fisher, 1990). On demandaitaux pays de tenir compte dans leurs réponses de tous les types deprogrammes officiels et non officiels dans ces domaines.Malheureusement, seuls 54 pour 100 des Etats membres ontrépondu aux questionnaires, et certains des pays les plus peuplés,comme le Brésil, le Pakistan, le Bangladesh et le Nigéria, n’y ontpas répondu. De plus, les résultats étaient fortement faussés parles réponses des pays industrialisés et des Etats arabes. En outre,le degré de précision variait considérablement, tout comme lestypes de programmes pris en compte. Bien que l’enquête fournis-se quelques descriptions nationales intéressantes, il est difficiled’en utiliser les données pour peindre un tableau d’ensemble.

Cette enquête confirme la croissance générale, et parfoisspectaculaire, des institutions entre 1980 et 1988, et le taux decouverture encore assez bas dans la plupart des pays en dévelop-pement. Il confirme aussi que, dans un nombre important de pays,on privilégie les zones urbaines. En outre, il semble que plus de lamoitié des programmes sont payants.

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Pour un bon départ dans la vie

UNICEF

On devrait aussi pouvoir trouver dans les rapports annuels del’UNICEF et, pour beaucoup de pays où cet organisme travaille.dans les analyses de situation portant sur la condition des femmeset des enfants. une vue d’ensemble de la situation en matière deprogrammes de protection des jeunes enfants et de leur dévelop-pement.

Pour en avoir le coeur net, nous avons examiné tous les rap-ports annuels de l’UNICEF pour l’année 1988 et 46 analyses desituation réalisées entre 1986 et 1988. Notre première et principa-le conclusion est le manque d’unité et de méthode dans les statis-tiques. En fait. on ne demande pas aux bureaux extérieurs del’UNICEF de fournir des renseignements sur les programmesconsacrés à la protection ou au développement de l’enfant. Parconséquent, nous avons tiré de notre examen des bribes d’infor-mation intéressantes qui nous ont aidé à nous faire une idée, maisqui, additionnées, ne forment pas un tout cohérent. Ainsi, pourl’Afrique et l’Asie, nous avons glané les éléments suivants:

Asie

La Chine préscolarise 16,3 millions d’enfants, soit 24 pour 100 deses 3 à 6 ans. En trois ans, de 1986 à 1988, on est passé du quasinéant dans un programme d’éducation parentale à 130 000 écolespour parents. En 1989, on en dénombrait, semble-t-il, 200 000.

Au Sri Lanka, les divers types de programmes consacrés à laprotection et au développement des jeunes enfants couvrent 15pour 100 des enfants de la naissance à cinq ans.

Aux Philippines, on estimait qu’à la fin de 1988, 24 pour 100des 11,5 millions d’enfants d’âge préscolaire (soit de la naissanceà cinq ans) bénéficieraient des programmes.

Au Vietnam, 30 pour 100 des enfants de moins de trois ans et35 pour 100 des trois à six ans sont inscrits dans des centres degarderie officiels .

En Inde, les SIDE couvrent environ 35 pour 100 des 5 144secteurs de développement.

Au Laos, 4 pour 100 des enfants de quatre à six ans sontaccueillis dans des centres préscolaires.

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Où en sommes-nous et comment y sommes-nous arrivés’

Afrique

Au Kenya, les programmes couvrent 11 pour 100 des enfantsâgés de trois à cinq ans, ce qui semble sous-évalué, puisqued’après une autre source (Riak, et coll., 1989), la couverturedépassait 20 pour 100 en 1987.

Au Bénin, 1 pour 100 seulement des enfants d’âge préscolai-re étaient suivis dans le cadre de programmes complets de garde-rie ou de développement de l’enfant

Au Botswana, 2,6 pour 100 des enfants âgés de deux ans etdemi à six ans sont inscrits dans des établissements préscolaires.

Dans ses rapports, I ‘ UNICEF donnent des informations fortintéressantes sur les programmes particuliers auxquels il collabo-re. Cependant, on y trouve rarement le type de renseignements quipermettraient de brosser un tableau méthodique des programmesen vigueur dans un pays donné. On n’y comprend pas très biendans quelle mesure divers acteurs (gouvernements, organismesnon gouvernementaux, organisations internationales, etc.) contri-buent à organiser et soutenir des efforts d’aide à l’enfance et à sondéveloppement. Très peu de données sont fournies sur les pro-grammes d’éducation des parents ou des adultes. Il arrive que l’ondécrive un programme communautaire de développement ou unprogramme intégré pour la survie et le développement qui com-prend un volet sur la protection et le développement des enfants. Ilest fait mention de programmes de formation auxquels participel’UNICEF, mais sans grande précision. On parle des campagnesen faveur de l’enfance mais dans de très rares cas s’attarde-t-on àdonner des détails sur le volet de ces programmes consacré audéveloppement de l’enfant.

Quelques conclusions générales

Les documents et de l’UNESCO et de l’UNICEF confirment ce quenous avançions, à savoir que le domaine connaît une croissanceimportante depuis 1979, même si la réalité est sous-évaluée.

Les statistiques illustrent également l’inégalité de cette crois-sance. Fait guère surprenant, elles confirment que l’Amérique lati-ne et les pays asiatiques progressent beaucoup plus en matière deprogrammes complets que les pays africains.

Une autre conclusion se dégage aussi de l’examen des infor-mations disponibles: un pays n’a pas besoin d’être riche ou deconnaître une

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Pour un bon départ dans la vie

expansion économique pour accorder à la protection et au déve-loppement des jeunes enfants suffisamment de priorité pour mon-ter un programme ou un ensemble de programmes importants.L’Inde et le Kenya sont de très bons exemples de pays à assezfaible revenu par habitant, mais dont les programmes consacrésaux enfants d’âge préscolaire sont plutôt développés. En Amériquelatine, malgré un net déclin général du niveau de vie dans lesannées 80, «I’éducation initiale» a continué son expansion. AuMexique, dont la dette extérieure est parmi les plus lourdes dumonde, la couverture préscolaire a augmenté en moyenne de 9pour 100 par an entre 1982 et 1988.

Au-delà des estimations

Nous avons tiré quelques conclusions très générales de l’examendes rapports de l’UNICEF et de l’UNESCO, mais faute d’informa-tions suffisantes, il faut éviter les interprétations. Suivre plusméthodiquement l’évolution des programmes consacrés à la pro-tection et au développement des jeunes enfants est une nécessitéévidente. De même, il faudrait trouver un moyen de prendre notede la couverture et de la qualité de différentes sortes d’initiativesqui, réunies, témoignent bien de l’effort déployé de façon organiséepour apporter des soins aux jeunes enfants et favoriser leur déve-loppement.

Dans un premier temps, il faudrait définir un ensemble decatégories qui couvrirait la totalité des programmes destinés à lapetite enfance, servant différents groupes d’âge et mis en oeuvrepar différents organismes gouvernementaux et non gouvernemen-taux. Il faudrait y inclure les programmes sans caractère officiel,comme ceux de garderie à domicile et d’éducation interparentalequi fonctionnent sur le mode du bénévolat, hors de toute bureau-cratie officielle. Il faudrait définir les différentes catégories locale-ment, de manière à refléter le profil organisationnel particulier àchaque pays. Les exemples brésilien (Sao Paulo) et indien expo-sés dans les pages précédentes présentent des façons de procé-der. Les programmes d’éducation parentales devraient aussi êtreinclus mais traités séparément.

En outre, il est nécessaire de savoir plus systématiquementqui les principaux acteurs sont sur le terrain. On peut facilementpasser à côté de programmes d’organismes non gouvernemen-taux, alors même que le travail des groupes paroissiaux, parexemple, peut s’avérer extrêmement important dans un contexteparticulier.

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Où en sommes-nous et comment y sommes-nous arrivés?

Une fois que l’on a une description générale des programmes,de ce qu’ils couvrent et de leurs acteurs, on peut commencer à lesexaminer plus méthodiquement d’un point de vue qualitatif. On pro-cédera sur la base d’un échantillonnage, en se fondant sur des cri-tères de contenu définis localement, qu’ils soient institutionnels ouparticuliers aux programmes. Dans son enquête mondiale,L’UNESCO pose des questions sur le personnel et les spécialistes,sur la formation pédagogique, sur les objectifs de ces programmespour la petite enfance, sur le contenu et sur le matériel et leslocaux.

Outre ces descriptions, on a besoin de pouvoir mesurer leseffets des programmes. Dans d’autres domaines, il est possiblenon seulement de dresser un panorama des organismes et desprogrammes, mais aussi de suivre les résultats sur le terrain, parexemple par rapport à la baisse du taux de mortalité infantile ou dela malnutrition aiguë. En matière de développement de l’enfant, untel «étalonnage» n’est pas encore reconnu.

Dans ce domaine, il existe littéralement des centaines d’ins-truments et de mesures, qui correspondent à différents âges, à dif-férents aspects du développement et qui visent différents objectifs(soit l’examen sélectif, soit le contrôle ou l’évaluation de pro-grammes). La plupart de ces instruments, de conception américai-ne ou européenne, sont assez complexes et leur utilisation pré-suppose une formation poussée. Peu d’entre eux sont adaptés ounormalisés pour un emploi dans des contextes particuliers et enco-re moins créés, normalisés et validés dans les pays en développe-ment.

Sur le modèle des indicateurs retenus pour la nutrition et lasanté, mais avec quelques différences, on devrait pouvoir créer un«profil du développement de l’enfant» s’appliquant aux groupesdes cinq et six ans, c’est-à-dire juste avant l’entrée à l’école pri-maire. On pourrait retenir au moins cinq indicateurs: la nutrition, lamorbidité, les aptitudes à apprendre à lire, écrire et compter, lerespect de soi et les attentes parentales à l’égard de l’enfant. Cescinq indicateurs, qui reflètent les multiples facettes du développe-ment, constituent des indices connus du développement du jeuneenfant, mais aussi de ses progrès et de ses résultats ultérieurs àl’école et dans la vie. Ce profil ne servirait pas à classer les enfantsmais constituerait, en fait, un moyen de voir comment une popula-tion donnée évolue par rapport à différents aspects du profil,notamment suite à des interventions censées favoriser le dévelop-pement.

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Pour un bon départ dans la vie

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V UNE STRATEGIE DE PROGRAMMATION

Les chapitres précédents nous permettent d’élargir l’horizon desprogrammes de développement de l’enfant au-delà de l’écolematernelle. modèle préscolaire, qui s’occupe directement despetits à partir de trois ou quatre ans. Ce que nous allons essayerde faire méthodiquement en réunissant trois types de considéra-tions à prendre en compte pour planifier et mettre en oeuvre desprogrammes de protection et de développement de l’enfant. Ceguide, présomptueusement appelé «schéma détaillé de program-mation», est présenté à la Figure 9 ci-dessous:

Figure 2Programmation pour le développement des jeunes enfants:Schéma détaillé

______________

1 Le présent chapitre utilise largement le volume 5 des Directivesde l’ UNCEF en matière de programmes, en particulier les cha-pitres 1 et 4, manuel préparé par Robert Myers et CassieLanders pour l’UNICEF.

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Pour un bon départ dans la vie

Trop de gens, à l’idée d’un projet ou d’un programme pour le déve-loppement de l’enfant imaginent immédiatement vingt-cinq à trentebambins de trois à cinq ans jouant avec des cubes ou plaçant destriangles et des carrés sur des puzzles aux couleurs vives, sous lasurveillance d’un enseignant professionnel dans une classe«maternelle». Or, il est regrettable d’associer le développement del’enfant avec ce modèle «préscolaire». En effet, cela revient à leréduire au seul développement mental, à mettre l’accent sur unaspect assez onéreux et plutôt tardif dans la vie de l’enfant. Deplus, cela suppose une démarche institutionnelle directe, dépen-dant de la création de centres qui compensent des lacunes dans 1‘ environnement familial et communautaire, tout en tenant trop sou-vent parents et communautés à l’écart. Cette image est rarementle meilleur guide pour l’élaboration de programmes consacrés à laprotection et au développement de l’enfant dans les pays en déve-loppement.

Le schéma est tridimensionnel.

1. Différents stades du développement de l’enfant. La premiè-re dimension est définie par l’évolution des besoins de l’enfant aucours de ses premières années de sa vie. En effet, ces besoinsvarieront selon la période considérée: stade prénatal, nourrisson,bambin ou jeune enfant allant à l’école maternelle, enfant quittantl’environnement limité de son foyer pour entrer à l’école et, au-delà,dans le monde en général.

2. Complémentarité des programmes. La deuxième dimensiondistingue cinq approches complémentaires, chacune visant unensemble particulier de, facteurs environnementaux influant sur ledéveloppement de l’enfant, comme nous l’avons expliqué dans leschapitres précédents. Outre les programmes appliqués dans descentres où l’on s’occupe directement de l’enfant, il existe des pro-grammes complémentaires axés respectivement sur la famille, lacommunauté, les organismes et la culture.

3. Caractéristiques des programmes et directives. La troisièmedimension découle d’un ensemble de lignes directrices énonçantles traits incontournables des programmes. Outre atteindre lesenfants à risques, les programmes devraient être globaux et inté-grés, participatifs et avoir une assise communautaire. Ils devraientaussi être flexibles, s’inspirer de méthodes locales sans s’y confi-ner, être financièrement réalisables et rentables, et bénéficier auplus grand nombre possible d’enfants.

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Une stratégie de programmation

Il est souhaitable de définir un schéma global pour mieuxdépasser la mentalité étroite et la vision graduelle qui dominent tel-lement en matière de développement du jeune enfant. Il est rare,sinon impossible, qu’un programme couvre toutes les catégoriescitées dans le schéma. Cependant, une vue d’ensemble permet dedéterminer en quoi certaines initiatives échouent et de voir, aumoment de la planification et de la programmation, quelles piècesmanquent.

Examinons maintenant chacune des trois dimensions.

Stades du développement

Nous avons vu dans les deux chapitres précédents que le déve-loppement du jeune enfant est un processus continu au coursduquel l’enfant change constamment. Ce processus commenceavant la naissance et se poursuit pendant tout le temps de la peti-te enfance. Il faudra, bien entendu, agir quelque peu différemmentaux différentes étapes de cette croissance. L’enfant qui est encoredans le ventre de sa mère n’est manifestement pas le même quecelui qui commence à marcher ou à parler. Pour qu’une stratégiesoit globale, il faut qu’elle s’adapte tout du long à l’évolution desbesoins de l’enfant. Des programmes qui ne s’intéressent à l’enfantqu’à partir de trois ans sont insuffisants. Tout comme l’est l’idée depenser seulement à améliorer les conditions déterminantes pourque I ‘ enfant naisse en bonne santé et bien développé.

Parce que l’épanouissement de l’enfant suit un scénario géné-ral, comportant des variantes individuelles et culturelles, il est pos-sible de définir des activités convenant aux grands stades de sondéveloppement. Ces stades correspondent à peu près aux diffé-rents âges, mais on les visualise mieux en pensant à des étapesprécises du développement qui se succèdent à mesure que l’en-fant grandit. En bref, il faut que les programmes conviennent auxstades suivants:

- le foetus ou période prénatale;

- le nourrisson jusqu’à dix-huit mois environ, période qui comprendle sevrage, l’apprentissage de la marche et les débuts de l’acqui-sition du langage;

- le bambin et le jeune enfant d’environ dix-huit mois à quatre ans,période de l’apprentissage de la coordination et du langage, de lapensée et de la vie en société, le tout à pas de géant;

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Pour un bon départ dans la vie

- la période préscolaire entre quatre et cinq ans environ, momentoù la coordination est assez bien acquise et où l ‘éveil de l’intel-lect et des aptitudes à apprendre à lire et écrire se font rapide-ment, en même temps que l’enfant prête davantage attention auxrelations avec ses pairs: et

- l’entrée à l’école et dans le monde en général entre six et huit ansenviron.

Au niveau national, la responsabilité des programmes relatifsau développement des jeunes enfants tend à varier au fil duditdéveloppement et avec l’âge des enfants. Avant deux ou trois ans,c’est souvent au secteur de la santé et aux organismes chargés dela protection de la famille qu’elle incombe. A trois ans, le relais estpris par l’éducation et les écoles maternelles. Cette division estlogique dans la mesure où la survie et les premiers mois du déve-loppement dépendent étroitement de l’état et de la maturation bio-physique de l’enfant, ce qui, dans la plupart des cas, se passe ausein de la famille. Plus tard, pendant la période préscolaire, lasocialisation et la préparation à la scolarisation deviennent plusimportantes et le cercle des personnes qui s’occupent de l’enfants’élargit. Toutefois, la division cache la nécessité d’une attentioncontinue et coordonnée. Elle renforce la malheureuse tendance àoublier les éléments psychosociaux avant l’âge de trois ans et àconcevoir les programmes pour le développement de l’enfantessentiellement comme des programmes pédagogiques s’appli-quant à partir de trois ans.

Pour éviter de limiter les programmes à une certaine tranched’âge (préscolaire, par exemple, comme mentionné au début duprésent chapitre) et pour souligner le caractère simultané de la sur-vie, de la croissance et, du développement, il doit être bien clair,dans tout schéma détaillé, que les programmes consacrés audéveloppement de 1 ‘ enfant doivent couvrir les différents stadesen tenant compte de son évolution.

Approches complémentaires

Le chapitre 1 décrit le développement du jeune enfant commeun processus continu d’interaction entre l’enfant, soumis àdes maturations biophysiques, et les personnes et objetsdans son monde en mutation constante. Ce monde (milieu) enmutation a plusieurs dimensions, qui influent sur le dévelop-pement de l’enfant. Il y a le milieu familial immédiat (ou foyer)et la communauté (ou réseaux sociaux proches), un environ-nement social, politique et économique plus vaste (avec les

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Une stratégie de programmation

institutions, lois, politiques et normes qui l’accompagnent) et uneculture (qui fournit valeurs, rituels et croyances).

Bien que les interactions avec le foyer, la communauté, lesinstitutions et les valeurs culturelles se produise à des niveaux dif-férents, elles influent chaque fois sur le processus du développe-ment de l’enfant, soit directement, soit au travers des actions etcroyances de ceux qui veillent sur lui et avec qui il est en contact.Donc, dans ce domaine. il est évident que toute stratégie de pro-grammation globale, pour viser des améliorations réelles etdurables au plan de la survie, de la croissance et du développe-ment, doit être conçue de façon à agir à ces divers niveaux. Il fautfaire plus qu’apporter directement des soins à l’enfant, il faut adap-ter les divers environnements dans lesquels il évolue. Ce quiamène à prendre en considération cinq approches complémen-taires:

1. S’occuper des enfants fréquentant des centres. L’objectifpremier de cette approche directe, centrée sur l’enfant, est de favo-riser son épanouissement en pourvoyant à ses besoins immédiatsdans des centres mis en place en dehors du foyer. Il s’agit, enquelque sorte, de constituer un second foyer.

2. Soutenir et former les parents et leurs substituts. Cetteapproche, axée sur les membres de la famille, vise à éduquer lesparents et autres proches afin qu’ils sachent comment donner demeilleurs soins à l’enfant, comment améliorer leur interaction aveclui et comment rendre plus enrichissant son environnement immé-diat sans cependant le remplacer.

3. Favoriser le développement de la communauté. Il s’agit, enl’occurrence, de s’efforcer de changer une situation qui, dans lacommunauté, risque de nuire au développement de l ‘enfant.L’initiative communautaire, I ‘ organisation et la participation de lacommunauté à diverses activités étroitement liées, pour améliorerl’environnement physique, les connaissances de ses membres etleurs habitudes, ainsi que les organismes existant,. permet uneaction commune et donne une meilleure base pour des négocia-tions politiques et sociales.

4. Accroître les ressources et les capacités institutionnelles.De nombreux organismes entrent en jeu dans la mise en oeuvre deces trois approches citées ci-dessus. Pour travailler correctement,il faut des ressources financières, matérielles et humaines ainsique la possibilité de planifier, d’organiser, d’appliquer et d’évaluerdes programmes.

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Pour un bon départ dans la vie

Consolider des organismes, former du personnel, fournir du maté-riel. ou essayer des techniques et des modèles novateurs pouraméliorer la technologie disponible peut faire partie des pro-grammes d’appui aux organismes qui, pour bien fonctionner, ontpeut-être aussi besoin de bases juridiques.

5. Encourager la demande et sensibiliser l’opinion. Le but iciest d’élaborer des connaissances et les diffuser afin de sensibiliserl’opinion et de créer une demande. Cela peut se faire au niveaudes décideurs et des planificateurs, ou viser, dans l’ensemble, àchanger l’ambiance culturelle qui perturbe le développement del’enfant.

Bien qu’il s’agisse, dans les cinq cas, de favoriser le développe-ment des jeunes enfants, chaque démarche a différents objectifsimmédiats et vise au départ un auditoire ou un groupe de partici-pants différents. La Figure 3 (ci-contre) expose les principauxobjectifs et auditoires (participants-bénéficiaires) pour les cinqapproches. Il énumère différents modèles utilisable pour essayerd’atteindre ces objectifs. Plus loin dans le chapitre, nous donneronsdes exemples des deux premières approches que nous analyse-rons en plus grand détail, en présentant les avantages et inconvé-nients de chacune.

Bien que tout plan global destiné à favoriser le développement del’enfant doive tenir compte de ces cinq approches, l’importanceaccordée à chacune dans la stratégie globale devra, bien sûr,varier considérablement suivant les conditions particulières à larégion pour laquelle le programme est élaboré.

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Une stratégie de programmation

Figure 3 Approches complémentaires pour l’élaboration deprogrammes consacrés à la protection et au développementdu jeune enfant

Démarche Participantsdu programme Bénéficiaires Objectifs Modèles_____________________________________________________________________

Fournir un service L’enfant • Survie • Garderies

• stade prénatal • Développement • Centres pour le

• 0-2 ans global développement intégré

de l’enfant

• 3-6 ans • Socialisation • Centres

complémentaires

• 0-6 ans • Réadaptation • Lieu de travail

• Amélioration des • Maternelles

soins à l’enfant classiques ou non

Eduquer ceux qui • Parent. famille • Sensibiliser • Visites à domiciles’occupent des • Frères & soeurs • Changer les attitudes • Education parentaleenfants • Public •Améliorer / changer • Programmes l’Entant

les habitudes pour l’Enfant• Mass médias

Favoriser le Communauté • Sensibiliser • Mobilisation technique

développement • Dirigeants • Mobiliser les gens • Mobilisation sociale

communautaire • Animateurs • Modifier les conditions

• Membres

Augmenter les Personnel des • Sensibiliser • Formation

ressourcés et les programmes • Améliorer les • Projets pilotes

capacités nationales • Professionnels compétences • Renforcement des

• Para- • Accroître le material• infrastructures

professionnels • Amélioration des lois

Plaider en faveur • Décideurs • Sensibiliser • Marketing social

de programmes • Public • Créer la volonté • Ethos création

pour l’enfance • Professionnels politique • Diffusion des

•Accroître la demande connaissances

• Changer les attitudes

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Pour un bon départ dans la vie

Directives pour les programmes

Pour planifier et appliquer des programmes pour le développementde l’enfant, il est bon de garder à l’esprit plusieurs principes etdirectives définissant les caractéristiques souhaitables.

1. La priorité doit être donnée aux familles et aux communau-tés au sein desquelles le développement d’enfants risque d’êtreretardé ou déficient. Si le souci de justice sociale est réel, l’effortdoit d’abord porter sur ceux qui ont le plus besoin d’aide. Pour choi-sir les enfants les plus exposés, il sera nécessaire de réunir desinformations sur:

- la situation des enfants (poids à la naissance, taux de mortalitéinfantile, nutrition et état de santé);

- la situation des femmes (niveaux d’instruction, état de santé etnutrition, âge de la première grossesse, conditions de travail etsalaire):

- les familles et leurs soutiens (effectif et composition, emplois etrevenus, existence de garde d’enfants convenable en dehors dela famille);

- les croyances et coutumes concernant la façon d’élever lesenfants (alimentation, habitudes sanitaires, éducation, communi-cation); et

- la situation socio-économique plus générale (salaires et réparti-tion des revenus, taux d’alphabétisation, existence d’eau potable,accès à des services de santé et autres).

Cette directive est plus facile à énoncer qu’à suivre, quels quesoient les indicateurs retenus pour définir les enfants et familles àrisques. La mise en pratique se heurte à des réalités politiques etdes inégalités économiques et sociales. Cependant, la volontépolitique, la conscience sociale et les compétences techniquessont assez répandues, pour la rendre applicable. En outre, le sortdes enfants étant un sujet moins politisé que beaucoup d’autres, ilpeut devenir un atout dans les efforts visant à réduire les inégali-tés.

2. Les programmes doivent s’inscrire dans une stratégie glo-bale à multiples facettes. Toute stratégie commence par une défi-nition d’objectifs. Pour justifier l’élaboration de programmes pour ledéveloppement de l’enfant, on fait souvent valoir le droit de toutenfant à s’épanouir pleinement. Ce qu’il faut entendre par pleinépanouissement varie d’une culture à l’autre, si bien que les objec-tifs diffèrent suivant les sociétés. C’est pourquoi nous avons choisicomme principal objectif du développement de l’enfant et, parconséquent des programmes s’y rapportant, la capacité de l’enfantà s’adapter à son milieu, à y tenir une

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Une stratégie de programmation

place et à le transformer. Certaines cultures insistent sur l’indépen-dance alors que d’autres sur la solidarité de groupe. Parfois, lacoordination physique est essentielle, parfois ce sera le raisonne-ment abstrait. Dans tous les cas, cependant, le développementrevêtira des aspects physiques. intellectuels et sociaux.

Nous avons souligné que les besoins de l’enfant forment untout. Nous avons également insisté sur le fait que, lorsque cesbesoins sont satisfaits ensemble, il se produit une interaction quinon seulement s’ajoute au développement de l’enfant mais le favo-rise. A voir cette image unitaire, interactive, il est évident que lesprogrammes doivent combiner de multiples aspects. Pourtant,nous avons remarqué une nette tendance à ne choisir qu’un aspectdu développement. Ainsi, certains programmes se concentrent surla santé ou l’alimentation sans s’occuper de la stimulation et de l’in-teraction entre l’enfant et le parent ou son substitut, qui favoriserontle développement psychosocial ou vice versa.

Essayer de suivre cette directive ne signifie pas que tous leséléments doivent figurer dans tous les programmes de toutes lesorganisations. Néanmoins, dans toute stratégie globale, à la foisdétaillée et pluridisciplinaire, on devrait retrouver tous les aspectsdu développement de l’enfant. Il faudrait rechercher toutes les pos-sibilités d’unir les services, d’encourager une collaboration multi-sectorielle et d’introduire opportunément de nouveaux élémentsdans des programmes existants.

Cette directive s’applique-t-elle à chacune des cinq approchescomplémentaires exposées plus haut? Prenons celle reposant surles centres. Beaucoup de centres pour le développement de 1 ‘enfant ne disposent pas d’installations médicales ou de cantines,et n’inculquent peut-être pas toujours aux jeunes enfants debonnes habitudes sanitaires et alimentaires. Un centre de garderie,même s ‘ il dispense des soins et nourrit les enfants, ne s’attachepeut-être pas à la stimulation précoce et à l’organisation de jeux etd’activités pédagogiques. Cependant, il est possible de réunir cesdifférents aspects du développement de l’enfant dans un service,ou de les confier à des administrations distinctes desservant néan-moins une communauté (centre de garderie communautaire, écolematernelle, lieu de travail, dispensaire, cantine communautaire,centre d’alimentation complémentaire, etc.).

La deuxième approche, qui vise l’éducation des parentsou de leurs substituts, met souvent l’accent sur un seulaspect du développement, la santé par exemple, alors quel’on pourrait en traiter plusieurs à la fois, par exemple:santé, alimentation et instruction. Cela arrive parfois bien

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Pour un bon départ dans la vie

qu’il soit plus facile d’intégrer le contenu de programmes éducatifsque de réunir des services. Parfois, les programmes de dévelop-pement communautaire portent essentiellement sur un domaine -eau et hygiène, par exemple -, au lieu de s’intéresser à plusieurs.Même si les répercussions possibles sur le développement de l’en-fant justifient que l’on en tienne compte, on oublie souvent dans lesprogrammes de développement communautaire de prêter uneattention particulière aux besoins psychologiques de l’enfant. Celaparce que l’on croit à tort que. si l’on modifie la situation matérielled’une communauté, le développement mental et social de l’enfantira de soi.

On conçoit souvent le renforcement des institutions sur unmode fermé et non intégré. Ainsi, l’amélioration de l’enseignementpréscolaire se bornera à former les maîtres aux méthodes dePiaget essentiellement tournées vers le développement intellec-tuel. On forme les pédiatres à mieux diagnostiquer les maladies dela petite enfance, mais sans leur enseigner le processus du déve-loppement du jeune enfant. On s’écarte plus rarement des sentiersbattus pour introduire, par exemple, un élément sur le développe-ment psychosocial dans la formation du personnel soignant oudans la routine des établissements de santé.

Enfin, pour ce qui est de créer de nouvelles valeurs culturellesou spirituelles, les efforts peuvent soit être concentrés étroitementsur la rééducation des gens en ce qui concerne la survie et lesmaladies soit chercher à renforcer la tendance naturelle de la plu-part des parents ou substituts à considérer l’enfant comme un tout.

3. Les programmes doivent être participatifs et reposer sur lacommunauté. On encourage parfois les communautés à participerpour leur propre bien, afin de développer la solidarité et de donnerà chacun plus de maîtrise sur sa propre vie. Plus souvent, toute-fois, la participation est considérée comme un moyen de rendre lesprogrammes plus efficaces grâce à l’intégration active d’éventuelsbénéficiaires, ce qui permet une plus grande diffusion et derépondre convenablement aux besoins locaux. L’ e x p é r i e n c emontre de plus en plus que la participation communautaire est unfacteur d’efficacité accrue pour la plupart des programmes. Ellepermet également d’étendre les services au-delà de ce que per-mettraient les seuls budgets et ressources publiques.

La participation à un programme peut prendre bien desformes. Il y a participation dans la mesure où l’on utilise lescentres. Cette utilisation ne signifie pas obligatoirement contribu-tion quant au contenu, au financement ou à la gestion des pro-grammes. Elle peut se borner à utiliser

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Une stratégie de programmation

des services disponibles, mais cette participation passive n’est pasl’intention de cette directive. D’habitude, on pense au don de maté-riel et de main-d’oeuvre nécessaires à la construction d’installa-tions, idée qui reste très limitée, notamment dans le temps. Cegenre de participation ne conduit pas à l’acquisition de nouvellesconnaissances et compétences, car elle ne comprend pas l’ingré-dient de continuité nécessaire à la survie de la plupart des pro-grammes.

Pour être plus complète, la participation communautaire à unprogramme doit comprendre la mobilisation et la participationdirecte de la communauté à toutes les phases des programmes, àleur conception. à leur mise en oeuvre et à leur évaluation. Celasuppose qu’il existe des mécanismes d’organisation, qui prennentde l ‘ ampleur et permettent la participation. Et cela signifie quetoute la communauté, et non quelques individus choisis, participeaux débats et aux actions de façon continue.

Malgré tout, la plupart de ceux qui préparent les programmesrelatifs à la survie, la croissance et au développement de l’enfants’opposent à la participation d’un grand nombre d’»usagers» surune longue période de temps et à diverses phases de la formula-tion, de la mise en oeuvre et de l’évaluation des programmes. Celaest particulièrement vrai de la plupart des programmes appliquésdans des centres s’occupant directement des enfants. En effet, ilssont souvent conçus, financés et organisés de l’extérieur. C’estplus souvent le cas des programmes publics centralisés ou ayantun souci d’expansion. Cependant, il est possible de créer et degérer avec une participation locale des garderies s ‘ occupant aussidu développement de l’enfant, même si le financement est exté-rieur et si les directives générales sont fixées au niveau national.

L’éducation des parents et de leurs substituts peut égalementsuivre une démarche extrêmement participative fondée sur l’expé-rience et les compétences particulières de groupes de parents quis’instruisent et se soutiennent mutuellement dans des groupes dediscussion. Cela peut inclure également des programmes où lesparents ne reçoivent que des informations jugées pertinentes selonleur situation, sans ajustement par rapport à la situation locale etsans discussion du contenu. Les enseignants peuvent être desétrangers ou des personnes de la région qui ont elles-mêmes réus-si dans leur tâche de parents ou de substituts.

La différence entre participation et non-participationdans des programmes d’éducation de parents et de leurssubstituts se résume dans l’opposition entre «transmettredes messages sur le développement de l’enfant» et «dis-cuter de thèmes se rapportant au développement de

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Pour un bon départ dans la vie

l’enfant». De même, les programmes de développement commu-nautaire et le renforcement des institutions peuvent être très parti-cipatifs et être gérés localement ou bien être imposés sans que lapopulation locale ait pratiquement voix au chapitre pour ce qui estde la planification. du financement ou de la mise en oeuvre.

Enfin, la sensibilisation du grand public, des dirigeants poli-tiques, des professionnels ou de ceux qui façonnent l’opinion peutaussi être abordée de manière plus ou moins participative. Làencore. on peut dicter aux gens valeurs et croyances, ou les aiderà les découvrir par la participation.

Les deux directives ci-dessous découlent directement del’analyse ci-dessus, qui insiste sur le besoin de faire participer lescommunautés aux programmes et d’appuyer ceux-ci sur celles-là.

4. Les programmes doivent être flexibles et adaptés aux diffé -rents contextes socio-c u l t u r e l s . Les besoins particuliers desenfants diffèrent grandement d’un pays, d’une communauté etd’une culture à l’autre. A moins de savoir reconnaître les besoinsvariés de communautés diverses et de pouvoir les satisfaire enconséquence, les programmes risquent de se révéler inadéquatsface à la situation et aux besoins dominants. De plus, il sera diffici-le d’obtenir une réelle participation. Arriver avec une panoplie desolutions standard pour des problèmes préconçus n’est pas faitpour attirer des participants et n’est certes pas une garantie deréussite. Toutefois, si la participation implique de consulter la com-munauté à toutes les étapes, il faut que les programmes soientassez souples pour intégrer les résultats de telles consultations.Néanmoins, les concepteurs des programmes ont une tendancenaturelle à rechercher des solutions passe-partout (voir aussiDirective 7).

5. Les programmes doivent étayer les méthodes mises aupoint localement pour résoudre efficacement les problèmes poséspar la protection et le développement de l’enfant et s’en inspirer.Les programmes ont de meilleures chances de donner des résul-tats s ‘ ils commencent par des remèdes conçus et essayés auniveau local plutôt que par des solutions imposées de l’extérieur.Une grande importance est accordée aux méthodes et mesuresnovatrices nées de la nécessité. Ce qui va à l’opposé de l’opinionselon laquelle le savoir se trouve dans les têtes d’experts étran-gers, sans toutefois nier le rôle qu’ils peuvent jouer pour aider lescommunautés à découvrir et essayer de nouvelles façons de favo-riser le développement des jeunes enfants. Respecter les cultures

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Une stratégie de programmation

locales et s’inspirer de méthodes locales peut être qualifié deconstructif. plutôt que de compensatoire, c’est l’idée même de laparticipation.

6. Les programmes doivent être financièrement réalisables etrentables. Il est évident qu’il doit être possible de mettre en oeuvredes programmes en fonction de contraintes connues, et que cesprogrammes doivent être économiquement viables au-delà d’unepériode initiale pendant laquelle les coûts peuvent être couvertspar une source extérieure. Toutefois, la viabilité d’un programmen’est pas uniquement une question financière. C’est aussi un pro-blème de priorités et de répartition des fonds. Lorsqu’un program-me devient prioritaire. son financement et sa viabilité se font audépens de priorités secondaires.

Les coûts peuvent varier considérablement selon l’option choi-sie. Il est sensé de s’efforcer de ne pas importer des techniques,du matériel ou du personnel onéreux quand ils ne sont pas néces-saires. On obtiendra souvent des résultats équivalents à moindresfrais avec des ressources locales.

Le lecteur remarquera sans doute que l’on ne parle pas icid’aller au moins coûteux, car réduire les coûts peut aussi réduirel’efficacité. Un projet peu coûteux sans effets ou presque est bienplus un gaspillage qu’un programme plus cher mais efficace.

Pour chacune des cinq approches, il existe des options plusou moins onéreuses. Un programme de garderie accueillant quin-ze enfants chez une femme du voisinage, formée comme parapro-fessionnelle, aidée à tour de rôle par les mères de ces enfants etsoutenue par un réseau de dispensaires communautaires coûteraprobablement beaucoup moins cher par enfant qu’une garderiepour soixante enfants installée dans un bâtiment spécial, meubléeà neuf, employant un directeur. un enseignant spécialisé dans lesclasses maternelles, plusieurs assistant(e)s, un cuisinier et unconcierge. Des messages diffusés par les médias et visant à édu-quer les parents et leurs substituts auraient une audience trèsvaste à un très faible coût par personne, comparé à celui d’un pro-gramme de groupes de discussion, demandant plus de personnelet entraînant plus de frais mais avec plus de chances d’efficacité.

Un programme plus coûteux peut, en effet, se révélerbien plus efficace qu’un autre. Cependant, si les coûts sonttellement prohibitifs au point de profiter qu’à quelques privi-légiés, une application à grande échelle sera impossible, ilfaudra alors renoncer au programme, malgré son eff i c a c i t é .Par conséquence, pour utiliser au mieux les ressources, il

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est essentiel de chercher des options relativement abordablesquoique très efficaces. L’observation selon laquelle plus le coût estfaible, plus il sera possible d’étendre l’application du programmepour les mêmes ressources nous amène à notre dernière directive.

7. Les programmes doivent viser le plus grand nombre pos -sible d’enfants «à risques». Compte-tenu des énormes besoinsdans les pays en développement, les concepteurs de programmesdoivent donner la priorité aux programmes avec le plus de chancesd’apporter au plus grand nombre d’enfants «à risques» une solu-tion efficace. Cela signifie qu’il faut voir plus loin que des projetspilotes et penser à des applications à grande échelle.

On peut représenter chaque approche sur une «échelle»assez simpliste allant d’une très faible couverture à une couvertu-re de 100 pour 100. Ce qui est moins simple, c’est de décider ceque l’on prendra en compte pour calculer ces pourcentages.D’abord, il faut décider quelle population cibler, ce qui ne repré-sente pas forcément l’entière population d’enfants âgés de moinsde six ans, ou des femmes enceintes ou allaitant. En effet, lenombre d’enfants à aider diffère suivant l’objet de I ‘ intervention.Ainsi, il est sans doute souhaitable et nécessaire qu’un programmed’immunisation touche tous les enfants, alors que beaucoupd’entre eux n’auront pas nullement besoin d’un programme de sti-mulation précoce parce qu’ils ne souffrent pas de déficiences de cecôté.

De plus, on peut arriver à une «grande échelle» de plusieursmanières; par exemple, en élargissant le champ d’action d’unmodèle ou d’un programme de façon à atteindre toute la populationvoulue. On peut aussi additionner les résultats de diverses inter-ventions reposant chacune sur un modèle et concernant chacuneun segment particulier de la population. Agir par «association» ou«addition» accroît une couverture déjà importante en encoura-geant une série de petits programmes tout en lançant des mesuresnationales uniformes. Adopter cette démarche est crucial si l’onveut concilier le désir de participation des communautés et celuid’atteindre de grands nombres d’enfants.

: :Ensemble, ces sept directives permettent de jauger les pro-

grammes, quelles que soient les approches complémentaires sui-vies, et ce, à chaque étape du développement.

Ce guide général de travail, une fois défini, examinons àquelques exemples de types de programmes que l’on peut organi-ser grâce aux deux premières approches complémentaires.

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Une stratégie de programmation

S’occuper des enfants dans des centres

S’occuper d’enfants réunis dans un centre présente plusieursavantages.

- S’occuper directement de l’enfant permet de savoir s’il bénéficieeffectivement des soins offerts.

- En regroupant les enfants, il est plus facile de les protéger deveiller sur leur santé et leur alimentation.

- Les centres offrent aux enfants de trois à six ans une interactionsociale qui leur est nécessaire, mais que n’apporte pas le foyer.

- Les centres constituent des vitrines utiles du point de vue poli-tique, pour la poursuite des programmes comme pour leur finan-cement. Ils peuvent aussi servir de point de ralliement pour lesparents et la communauté.

Il faut cependant rester prudent:

- Des conflits peuvent éclater entre les parents et le centres auniveau personnel ou parce que l’on y préconise d’autres valeurs.Si un enfant retrouve un foyer très différent du centre, les «pro-grès» accomplis au centre risquent d’en pâtir.

- Les familles renoncent parfois à leurs responsabilités, laissant lecentre les assumer à leur place.

- Regrouper les enfants les expose davantage aux maladies conta-gieuses, quoique, en théorie, il soit alors plus facile de les préve-nir ou de les traiter.

Exemples

Les cinq exemples suivants illustrent plusieurs façons de s’occuperdes enfants dans des centres. Il n’est pas question ici de program-me d’écoles maternelles classiques, mais de solutions de rempla-cement à ce système. Dans le cas de l’Inde et du Pérou, il s’agit deprogrammes non formels, reposant sur la communauté; le premier,sans grande participation de celle-ci; le second, s’appuyant plussur ses membres. La Colombie fournit l’exemple de garderies fami-liales sur une assez grande échelle. Au Népalil s’agit d’un programme coopératif rattaché à un programme deprêts réservés aux femmes. Enfin, l’exemple du Brésil montre com-ment un programme intégré peut fonctionner en milieu urbain ets’autofinancer.

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Pour un bon départ dans la vie

Inde: Services intégrés pour le développement de l ‘enfant (SIDE)

Lancés en 1975 avec 33 projets expérimentaux, les Services inté-grés pour le développement de l’enfant (SIDE) comptaient presque2000 projets en 1989 et bénéficiaient à 11,2 millions d’enfants demoins de six ans (Hong, 1989). Leurs objectifs généraux sont d’of-frir aux enfants, aux femmes enceintes, à celles qui allaitent et auxautres femmes de quinze à quarante-cinq ans un ensemble com-plet de services essentiels; de créer, au niveau des villages, un dis-positif grâce auquel les services seront offerts en donnant la priori-té aux groupes à faibles revenus, parmi lesquels des tribus déshé-ritées et certaines castes. Les SIDE cherchent plus précisément à:

- jeter les bases pour le développement psychologique, physique etsocial de l’enfant;

- garantir une meilleure alimentation et une meilleure santé auxenfants, de la naissance à six ans;

- réduire la mortalité, la morbidité, la malnutrition et le nombre desabandons scolaires;

- rendre les mères plus aptes à satisfaire aux besoins de leurenfant; et

- arriver à une coordination efficace entre les organismes et minis-tères compétents.

Les SIDE offrent l’ensemble de leurs services via un réseau decentres «anganwadi» (littéralement, la cour), chaque centre étantdirigé par un assistant «anganwadi» (AA) et une personne lesecondant, choisis d’habitude parmi les habitants du village. L’AAreçoit une formation de trois mois dans l’un des trois cents centresde formation dirigés par des organismes bénévoles ou publics. Ilest chargé, entre autres, de donner une instruction préscolaire, unsupplément alimentaire et une éducation sanitaire et alimentaire,d’éduquer les parents, chez qui il se rend, d’obtenir le soutien de lacommunauté et sa participation, et d’orienter mères et enfants versdes services de soins primaires L’AA bénéficie de l’appui d’un ins-pecteur (1 pour 20 AA) et d’un agent des programmes pour ledéveloppement de l’enfant (I pour 5 inspecteurs), directement char-gé de la mise en oeuvre et de la gestion de chaque pro jet SIDE.

Ces derniers uti l isent les services existants dans diversministères et organismes bénévoles. L’ a d m i n i s t r a t i o ngénérale incombe au département chargé des femmes etdu développement de l’enfant au sein du ministère

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Une stratégie de programmation

du Développement des ressources humaines. Le coût unitaireannuel par enfant était estimé à 151 roupies (environ 10 dollarsaméricains).

Bien que fonctionnant souvent à un degré de qualité minimal,le programme a néanmoins des effets importants sur la populationdes enfants de moins de six ans . Ainsi, une trentaine d ‘ études surles conséquences nutritionnelles font quasi unanimement état.preuves à l’appui, de résultats positifs. Une étude comparative réa-lisée en 19841986, dans des régions bénéficiant des SIDE et dansd’autres n’en bénéficiant pas, révèle les taux de mortalité infantilesuivants: 67 pour 1000 contre 86 pour 1000 dans les zones ruraleset 80 pour 1000 contre 87 pour 1000 dans les zones urbaines.Dans une autre étude comparative sur les répercussions sur lascolarisation, un chercheur conclut que les enfants suivis par lesSIDE sont plus souvent inscrits dans les écoles primaires (89 pour100 contre 78 pour 100), sont plus assidus, réussissent mieuxdans le primaire, et obtiennent de bien meilleurs résultats à un testpsychologique (Raven Colour Matrices) que les autres. L’écartentre les taux d’inscription tient aussi à des différences chez lesfilles. Dans une autre étude encore, on explique que le pourcenta-ge d’abandons scolaires est bien moindre chez les enfants suivispar les SIDE dans les castes inférieures et moyennes (19 pour 100contre 35 pour 100 pour les castes inférieures et 5 pour 100 contre25 pour 100 pour les castes moyennes).

Les SIDE, qui constituent le plus grand programme du genre,illustrent ce que la volonté politique peut accomplir pour que desprogrammes intégrés de soins pour les enfants de la naissance àsix ans aient des répercussions importantes sur la santé et l’édu-cation, et soient d’un coût raisonnable par enfant et profitent auplus grand nombre possible.

Pérou: Programme non officiel d’»éducation initiale» (PRONOEI)

En 1967, un programme d’éducation alimentaire pour les mèresétait amorcé au Pérou dans plusieurs villages des hauts plateauxdu département de Puno, où le taux de mortalité infantile dépas-sait 150 pour 1 000 et où la malnutrition était généralisée. Le pro-jet, lancé par des bénévoles d’une université régionale, s’esttransformé en programme communautaire dans le cadre duquel,en milieu de matinée, on servait une collation chaude aux enfantsde trois à cinq ans rassemblés pour plusieurs heures tous lesmatins en semaine. De ce programme de cantine est aussi né uneécole maternelle non classique, qui aidait les jeunes élèves à

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s’épanouir mentalement et socialement. tout en les préparant àl’entrée à l’école primaire (Myers, et.al, 1985).

Cinq ans plus tard, dans le cadre d’une grande réforme dusystème éducatif, le gouvernement a étendu à tout le départementde Puno ce modèle réduit reposant sur les communautés pour enfaire un ambitieux programme pour la protection et le développe-ment de l’enfant. Depuis lors, celui-ci a été repris dans l’ensembledu pays et offre une alternative aux maternelles classiques.

La participation communautaire prend plusieurs formes. Lacommunauté fournit un emplacement et souvent s’occupe de laconstruction de la «Maison des enfants». Elle choisit un animateur,qui perçoit une gratification mais, pour 1 ‘ essentiel, sert bénévole-ment la communauté. Enfin, elle gère le centre par le biais d’uncomité de parents. Dans certains cas, on a intégré au programmedes projets générateurs de revenu et, dans la plupart, les repasservis dans le cadre des programmes officiels le sont grâce à descontributions locales.

Une étude approfondie du PRONOEI réalisée en 1985 montreque les enfants accueillis dans ses centres sont socialement etintellectuellement mieux préparés à l’école primaire qu’un groupetémoin qui ne l’est pas. La différence était sensible malgré la qua-lité minimale de nombreux centres du PRONOEI. En revanche,cette différence ne semblait pas persister durant l’école primaire,sans doute à cause de la piètre qualité du système primaire.

Le coût par élève des programmes (par rapport au nombred’inscriptions et sans tenir compte des contributions de la commu-nauté locale en main d’oeuvre et en matériel) s’élevait à quelque28 dollars américains par an, soit moins de la moitié de celui desprogrammes publics correspondants. L’expérience donne à penserqu’un programme préscolaire non officiel appliqué assez largementpeut être efficace dans le temps, à faibles coûts, mais qu’il estnécessaire de considérer les programmes préscolaires et scolairesconjointement afin de maximiser leur efficacité respective.

Colombie: les maisons du bien-être

Le programme colombien des «Maisons du bien-être» apporte, surune grande échelle, une réponse aux problèmes de malnutrition etde retard de développement qui frappent nombre des cinq millionsd’enfants de moins de sept ans du pays. Dans ce programme,appliqué au niveau communautaire, les enfants âgés de un an àsept ans sont accueillis par

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Une stratégie de programmation

groupes d’une quinzaine dans des maisons situées dans leurpropre voisinage. Tout en apportant à ces enfants les soins qu’ilsréclament et en veillant sur leur développement, le programmecherche aussi à améliorer la base économique de la communautéen rétribuant des nourrices locales, en libérant d’autres femmespour qu’elles puissent chercher un emploi ou en trouver unmeilleur, et en dirigeant des fonds vers des commerces locaux pourdes activités économiques liées aux garderies (travaux dans lesmaisons, fourniture d’aliments, etc.).

Le programme est en plein essor. Lancé en 1986, il couvraitdéjà quelque 800 000 enfants en 1989.

C’est un programme qui s’appuie sur les communautés. Lesmembres de celles-ci prennent part à une analyse initiale desbesoins en services des communautés, compte tenu de l’âge desenfants, des revenus familiaux, des emplois et des variables maté-rielles et environnementales. Si des services manquent au pro-gramme, contact est pris avec les organisations compétentes.C’est aussi la communauté qui détermine le nombre de «Maisonsdu bien-être» nécessaire pour satisfaire aux besoins des enfants etqui choisit dans ses rangs les «nourrices» qui remplaceront lesmères. La gestion locale est confiée à un conseil constitué deparents qui sont chargés, par les mères, d’effectuer achats et paie-ments. C’est l’Institut colombien du bien-être familial (ICBF) quiassume la majeure partie du financement et veille à la coordinationdu programme. D’autres responsabilités sont partagées avec leMinistère de la Santé publique, le Service national de l’apprentis-sage, l’Institut du crédit territorial qui octroie des prêts de moderni-sation, et d’autres organisations gouvernementales et privées. Lesenfants perçoivent des «bourses» qui servent à payer les nour-rices.

Les nourrices reçoivent une formation dans les domaines sui-vants: soins aux enfants, développement de l’enfant, relationsfamiliales et communautaires, alimentation et santé. Une fois for-mées, elles s’occupent chacune d’une quinzaine d’enfants âgésd’un à sept ans, chez elles, huit heures par jour environ. Tous lesjours, à tour de rôle, une des mères l’aide. Leur tâche consiste àdonner aux enfants les conditions nécessaires à une bonne santéet au bon développement physique, psychologique et social.

Une évaluation approfondie du programme faite en 1991(ICBF 1992) suggère qu’il répond aux besoins parentaux et ce, àfaibles coûts et permet une amélioration du développement de l’en-fant.

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Pour un bon départ dans la vie

Népal: Projet «Point d’accès»

Le projet «Point d’accès» est original en ceci qu’il entend à la foisapporter aux enfants de femmes qui travaillent les soins qu’ilsréclament et satisfaire à leurs besoins développementaux (Arnold,1990). Il est appliqué dans les campagnes népalaises, où l’on esti-me que plus de 4’ pour 100 de la population vit en-dessous du seuilde pauvreté et où le taux de mortalité infantile dépasse la moyen-ne nationale de 119 pour 1000. Les femmes jouent un rôle écono-mique important dans les exploitations familiales qui, en moyenne,produisent quelque 80 pour 100 des revenus annuels des familles.Elles mènent aussi de front plusieurs activités rémunératrices offi-cieuses.

Conscient de ce rôle économique des femmes et de leursbesoins de crédits, le gouvernement a mis en place un programmede crédits à la production pour les agricultrices, dont l’objectif estde financer des activités qui, simultanément, généreront un revenuet amélioreront la situation de la communauté, notamment enmatière de santé, d’alimentation et d’alphabétisation. Le projet pre-nant forme, il est devenu évident que les femmes qui travaillent doi-vent pouvoir confier leur enfant à quelqu’un, puisque, au regard dela société, il leur incombe toujours de les élever. «Point d’accès»est donc né, à la fois pour libérer les femmes pour des activitéséconomiques et pour améliorer le bien-être de leurs enfants.

Pour accorder des crédits et en garantir le remboursement, leprogramme imposait aux femmes de se regrouper par cinq ou six.Ces petits groupes sont devenus l’unité d’organisation des garde-ries. A l’intérieur du groupe, les femmes conviennent de se parta-ger la responsabilité des enfants d’un à trois ans, c’est-à-dire des’en occuper chez elles, à tour de rôle, à raison d’une journée parsemaine. En 1989, on comptait quelque cinquante-quatre groupesde mères répartis sur onze districts, et environ 1700 enfants béné-ficiaient de ce système de garderie.

Toutes les femmes du groupe suivent, dans leur village, uneformation intensive de quatre jours. Chaque groupe reçoit unedocumentation de base, dans laquelle les différentes activités sontreprésentées par des dessins, car la majorité des femmes sontanalphabètes. Le cours et les documents sont fournis par uneONG népalaise novatrice.

A en juger par la demande croissante de cours, à laquelle il estencore impossible de faire face, le projet est une réussite. De plus,

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Une stratégie de programmation

d’autres personnes veulent lancer des programmes similaires.Entre autres facteurs de succès, citons la force du soutien du grou-pe, un processus de planification décentralisé, comprenant la défi-nition des besoins par les communautés, et une formation surplace qui respecte les coutumes tout en introduisant de nouvellesidées. Le programme est une réussite malgré les difficultés tenantà la géographie du Népal, malgré la nécessité d’un suivi de la for-mation initiale et malgré quelques conflits opposant les traditiona-listes aux partisans d’une éducation centrée sur I ‘ enfant.

Les enfants étant gardés par rotation par des femmes du vil-lage, le coût d’exploitation de ce projet est très faible pour. le gou-vernement. De plus, le système est à l’avantage des femmes etdes enfants.

Brésil: Programme d’alimentation préscolaire (PROAPE)

S’occuper en même temps des besoins des enfants en matièred’éducation de santé et d’alimentation peut être rentable. Au Brésil.un programme novateur à l’intention des familles urbaines vivantdans des conditions économiques marginales, s’est autofinancé enréduisant considérablement le nombre des redoublements dans lespetites classes du primaire.

Le PROAPE, financé à partir d’un prêt alimentaire de laBanque mondiale au gouvernement brésilien. a démarré en 1977dans l’Etat de Pernambuco, à titre de projet pilote; avant d’êtreétendu en 1981 à dix autres Etats du Nord et du Nord-Est du pays,avec plusieurs adaptations. Il fonctionne de la façon suivante: ensemaine et le matin, les enfants de quatre à six ans sont réunis pargroupes d’une centaine dans des centres où on leur sert une col-lation et où ils pratiquent des activités psychomotrices dirigées. Unvolet sanitaire assure bilans de santé, vaccinations, traitementsdentaires, hygiène et examens oculaires.

Les enfants sont suivis par un personnel qualifié et par desmembres des familles. Au début, un professionnel diplômé étaitaidé par six membres de la communauté. Dans l’Etat d’Alagoas.les centres étaient tenus par trois paraprofessionnels formés appe-lés «estagiarias», aidés par les parents. Ces estagiarias perçe-vaient 70 pour 100 du salaire minimum pour ce travail matinal(MS/INAN, 1983).

D’après une évaluation du PROAPE, le pourcentage com-biné des redoublements et abandons scolaires est. en premiè-re année de primaire, de 39 pour 100 pour les enfants bénéfi-ciant du programme contre 52 pour 100 pour ceux qui n’enbénéficient pas; et, en deuxième année, de 27 pour 100 contre44 pour 100. On estime que le coût total de la scolarisation (y

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compris les services préscolaires offerts dans le cadre du PROA-PE) par élève réussissant sa deuxième année de primaire est infé-rieur de 11 pour 100 pour les enfants qui ont bénéficié du PROA-PE. Le programme est donc rentable.

Dans l’Etat d’Alagoas, les données d’évaluation révèlent unrésultat similaire, puisque 73 pour 100 des enfants suivis dans lecadre du PROAPE ont franchi le cap de la première année en 1982contre seulement 53 pour 100 des enfants sans préscolarisation.Et ce. malgré le fait que les premiers cités n’aient fréquenté lescentres du PROAPE que pendant soixante-dix-huit jours. Dans cecas, le coût combiné de la préscolarisation et de la scolarisationpar enfant du PROAPE admis en deuxième année de primaire estinférieur de 17 pour 100 au même coût combiné par enfant sanspréscolarisation.

Eduquer et aider les parents

Cette démarche particulière mérite qu’on s’y attarde. Quels en sontles avantages ?

- elle profite aux parents et à leurs substituts et aux enfants.

- elle permet de renforcer de la responsabilité familiale.

- elle favorise une meilleure utilisation des programmes existants.

- les progrès acquis ont plus de chances d’être durables.

- favoriser une démarche «combinée» est assez facile, car on peutcombiner le contenu sans avoir à combiner les administrations.

- elle permet une grande couverture à un coût relativement bas.

Comme cela est prévisible, plusieurs points doivent être gar-dés à l’esprit dans l’élaboration de tels programmes:

- pour être efficace, l’éducation parentale doit être dispensée aubon moment.

- l’éducation doit être pertinente du point de vue culturel et doit ren-forcer les connaissances positives tout en les complétant.

- pour être efficace, le transfert des connaissances doit permettreun échange interpersonnel et un soutien mutuel.

- l’éducation parentale n’est pas une panacée, mais une stratégiecomplémentaire parmi d’autres.

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Une stratégie de programmation

Les exemples suivants illustrent diverses formes d’éducationet d’aides offertes aux parents. L’exemple indonésien repose surun programme de visites à domicile. Les Chinois ont mis sur piedun programme d’éducation parentale en somme plus officiel, sanc-tionnée par un diplôme. La Jamaïque donne l’exemple d’unedémarche où l’on s’intéresse aux enfants qui s’occupent de leurscadets. Les exemples indonésien et thaï montrent comment onpeut inclure l’éducation parentale dans un programme alimentaire.Enfin, le Chili fournit l’illustration d’une éducation parentale entrantdans une stratégie générale de développement des communautésfaisant appel aux médias locaux.

Indonésie: deux initiatives

Au cours des quinze dernières années, l’Indonésie s’est dotée d’unvaste réseau de programmes communautaires s’intéressant à lapopulation, la santé et la nutrition. Ces programmes et leurs struc-tures organiques servent de point de départ pour introduire desprogrammes pour le développement des jeunes enfants de moinsde cinq ans afin de favoriser leur épanouissement mental et social.

En 1982, parallèlement à la pesée périodique des jeunesenfants et à la distribution de nourriture, on a entrepris, dans lecadre du projet Bina Keuargaet Galita (BKG) lancé par le secréta-riat au Rôle de la femme, de sensibiliser davantage les mères etautres membres de la famille et afin d’étayer leurs compétencespour donner à leurs jeunes enfants un milieu plus approprié à leurdéveloppement. Des assistantes sociales, choisies au sein descommunautés, ont reçu une formation dans le domaine du déve-loppement de l’enfant et se sont familiarisées aux méthodes de tra-vail avec les adultes. Habituellement, ces femmes, appelées«kaders», étaient choisies parce qu’elles avaient su favoriser l’épa-nouissement de leurs propres enfants, en dépit de conditions défa-vorables risquant de retarder ou de compromettre leur développe-ment. Elles ont organisé des ateliers dans les centres d’alimenta-tion où les mères prenaient part à des discussions de groupe, par-tageaient leurs expériences, fabriquaient des jouets et en emprun-taient à une ludothèque, et s’entendaient sur des activités particu-lières qu’elles mèneraient chez elles (par exemple: sur l’utilisationdes jouets fabriqués, sur le fait de parler aux enfants en les bai-gnant).

En 1968, une étude indonésienne portant surl ’éducat ion des enfants a mis en évidence plusieurshabi tudes nu isant à la santé ou au développement deces derniers ainsi que quelques coutumes posi t ives

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qu’il fallait encourager. Cette recherche a donné naissance au pro-jet PANDAI, en complément du programme BKG. PANDAI est à lafois l’acronyme indonésien pour «développement de l’enfant etsoins maternels» et un mot signifiant «adroit» ou «intelligent». Ceprojet comporte la visite à domicile de kaders bénévoles qui tra-vaillent avec les parents et leurs substituts pour améliorer les soinsdispensés aux entants et les interactions avec l’enfant en général.Pendant ces visites. on parle de santé, d’alimentation et d’épa-nouissement social à partir d’un cours en bandes dessinées suffi-samment clair pour qu’il ne soit pas nécessaire de savoir lire(Satoto et Coletta, 1989).

Ces projets illustrent une approche de la santé, de l’alimenta-tion et du développement de l’enfant fondée sur des pratiqueslocales, faisant appel au savoir-faire de mères «accomplies» etrassemblant plusieurs éléments agissant simultanément sur la sur-vie et sur le développement.

Chine: Ecoles parentalesEn 1989, on estimait à 200 000 le nombre des «écoles pourparents» mises sur pied en République populaire de Chine depuisle lancement d’un programme d’éducation parentale en 1985(Chinese Parents, 1987). Cette croissance rapide tient, du moinsen partie, au fait que les parents s’interrogent sur la façon d’éleverles enfants uniques. L’objectif du programme est de les aider.

Le contenu pédagogique varie d’un endroit à l’autre, selon lesbesoins et les ressources locales. Les sujets traités dépendent desconclusions auxquelles arrivent le groupe multisectoriel (santé, ali-mentation, développement de 1 ‘ enfant, éducation, etc . ) consti-tué localement pour analyser les recherches existantes, évaluerles ressources disponibles et définir les besoins des parents et desenfants. C’est là une initiative de la Fédération des Chinoises,organisation à cinq niveaux, dont un communautaire. Des spécia-listes ou des membres d’organismes locaux organisent jusqu’à huitsessions parentales par trimestre. Pour étayer ces cours. laFédération des Chinoises fournit une documentation générale surle développement de l’enfant.

La plupart des écoles pour parents sont rattachées à desécoles maternelles, à des écoles primaires ou intermédiairesou encore à des hôpitaux. En outre, certaines communautésproposent des programmes pour jeunes mariés ou futursparents. Dans certains cas, des bibliothèques sont installéesdans une pièce de la cellule de base à I ‘ intention des parents,qui peuvent venir y lire et étudier entre les réunions. Ceux qui

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Une stratégie de programmation

assistent à toutes les réunions ou presque reçoivent un certificatd’éducation parentale.

Les coûts d’organisation de ce programme se calculent essen-tiellement en temps et non en argent. Il s’agit du temps donné parles membres de la Fédération des Chinoises, par des spécialisteslocaux pour dresser le bilan de la situation et pour faire des expo-sés, et par les parents qui suivent les cours. La participation detous est bénévole. Les coûts se limitent à l’élaboration de docu-ments et à leur distribution. Brefs pour lé gouvernement s’est unprojet très peu coûteux.

Jamaïque: D’Enfant à Enfant

Les programmes d ‘ Enfant à Enfant sont conçus pour des enfantsgénéralement âgés de huit à quinze ans qui. souvent. en mêmetemps, s’occupent de leurs jeunes cadets, sont de futurs parents,transmettent ces informations à leurs parents ou à leurs substituts,et des membres de la communauté capables d’améliorer desconditions affectant la santé et le développement. Le programmejamaïcain vise tout spécialement à améliorer les connaissancesdes élèves du primaire âgés de neuf â douze ans, à leur apprendreà mieux s’occuper de leurs cadets, et par ce biais, à transmettre lesconnaissances aux parents ou aux tuteurs.

Commencé en 1979, à titre expérimental, dans une seuleécole par l’unité de recherche sur le métabolisme tropical(University of the West Indies), le programme a ensuite été étenduà quatorze écoles, où il a été si bien reçu qu’il a été étendu à toutesles écoles primaires du pays (Knight et Grantham-McGregor,1985).

Ce programme fournit des informations sur la santé, l’alimen-tation, le développement psychologique et les soins dentaires. Onapprend aux enfants à fabriquer des jouets à partir de rebuts etcomment les utiliser de manière à favoriser le développement desplus jeunes. On leur explique le but de l’immunisation, quellesmaladies peuvent être évitées et à quels moments la vaccinationest préférable. Ce système dynamique comprend des jeux de rôle,des discussions de groupe, des démonstrations, des ateliers dejouets, des pièces de théâtre et des chansons. L’essentiel de ceque l’on transmet dans ce type de programme entre déjà dans leprogramme des écoles primaires. Cependant, insister un peu plus,faire le lien entre connaissances et activités et présenter des maté-riaux sous un angle nouveau, intéressant et participatif peut serévéler très positif.

Une évaluat ion du programme pi lote montre queles enfants ont cons idé rab lement amél io ré leursconna issances dans tous les domaines , ce

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qui est aussi le cas pour les parents et les tuteurs qui, en outre.encouragent et soutiennent davantage les jeux avec les cadets.Les enseignants ont également accru leurs connaissances enmatière de santé et de développement et ils se sont initiés à denouvelles méthodes pédagogiques.

Une fois estimés tous les coûts du projet destiné aux enfantsde quatorze écoles (c’est-à-dire les salaires des enseignants pourle temps partiel consacré au programme, les frais de formation, lasupervision, le matériel, la préparation des cours et d’un program-me, et l’évaluation), on arrive à un coût d’environ quinze dollarsaméricains par enfant et par an. Comme les coûts initiaux se répar-tiront entre bien plus d’enfants à mesure que le programme segénéralisera, le coût par enfant diminuera quelque peu. Ce coûtunitaire ne tient pas compte du fait que le programme profite aussiaux parents et aux enseignants, ce qui fera encore baisser le coûtpar personne.

Thaïlande: Projet intégré d’alimentation et de développement com -munautaire

Il ressort d’analyses réalisées par le ministère de la Santé thaïlan-dais que trois obstacles importants s’opposent à une réductionsignificative de la malnutrition due à une carence en protéines(MCP) chez les nourrissons et les enfants d’âge préscolaire:

1) la couverture insuffisante du système de santé,

2) la communauté n’a pas conscience du problème,

3) l’apport multisectoriel au programme alimentaire est inadéquat.

Des études ont également montré qu’en eux-mêmes, des pro-jets générateurs de revenus n’ont pas forcément d’incidence sur leproblème. En conséquence, en 1979, le gouvernement a mis surpied un programme de soins de santé primaires appliqué au niveaucommunautaire, ainsi qu’un programme de surveillance de la crois-sance, accompagné d’un programme d’alimentation complémen-taire et d’éducation alimentaire, le tout s’inscrivant dans un plannational de lutte contre la pauvreté.

Dans ce cadre général, I ‘ Institut de la nutrition de l’UniversitéMahidol a mis en oeuvre un projet d’éducation alimentaire à l’in-tention de familles dont les nourrissons et les enfants d’âge pré-scolaire étaient les plus vulnérables. Un élément psychosocial por-tant sur les interactions entre les parents ou leurs substituts et l’en-fant et sur les améliorations à

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Une stratégie de programmation

apporter à l’environnement matériel et social de l’enfant occupaitune part importante dans cette éducation alimentaire(Kotenabhakdi, 1988).

A la base de ce projet, les attitudes et habitudes en matièred’éducation des enfants ont été étudiées. On a découvert plusieursinterdits alimentaires et sociaux nuisibles à l’enfant. Ainsi, c’est àcause d’une opinion erronée au sujet du colostrum et de la tétéeprécoce que l’allaitement au sein dès la naissance était évité. Enoutre, on s’est aperçu que peu de mères savaient jauger les capa-cités visuelles ou auditives du nouveau-né. Les mères n’avaientguère conscience de leur propre capacité à influer sur le dévelop-pement de leur enfant en utilisant des ressources existantes pourcréer un environnement plus propice.

Pour pallier à ces lacunes, l’équipe universitaire a préparé unesérie de cinq films vidéos interactifs, dont l’un exclusivementconsacré au développement de l’enfant, destiné à montrer l’enfantà sa mère en tant qu’individu doué d’une capacité perceptive pré-coce et à lui faire reconnaître l’importance du jeu et de l’interactionmère-enfant dans ce jeu et dans le supplément alimentaire. Undeuxième film vidéo comparait deux garçonnets de quinze mois,l’un souffrant de malnutrition, l’autre normal, et soulignait les diffé-rences dans leurs comportements et dans leur alimentation. Lespersonnes chargées dans chaque village de parler de la santé,ainsi que de distribuer des suppléments alimentaires, sont forméesà utiliser les films vidéo, projetés plusieurs fois aux villageois.

Se fondant sur des entretiens avec des mères d’enfants demoins de deux ans et sur des observations faites dans les foyers,les évaluateurs du projet sont arrivés à la conclusion suivante: lesmères en savaient davantage sur les capacités visuelles des nour-rissons et en tenaient mieux compte après avoir vu les films vidéo.Pendant les visites à domicile, on a trouvé plus de berceaux à cielouvert. On allaitait plus souvent dès la naissance. Les résultatsdonnent à penser qu’en faisant suivre les projections de débats oùl’on discute des messages contenus dans les films, on arrive àchanger de façon notable les croyances et les habitudes éduca-tives.

Ce projet montre comment on peut intégrer des aspects ali-mentaires et psychopédagogiques dans un programme national desurveillance de la croissance et de suppléments alimentairesvisant une population particulière et obtenir de bons résultats sansque les personnes visées aient à savoir lire et écrire, mais entenant compte des coutumes locales.

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Pour un bon départ dans la vie

Chili: Programme parents et enfants (PPH)

Les objectifs généraux, mais étroitement liés, du PPH sont de favo-riser le développement de l’enfant, l’épanouissement personneldes adultes et une meilleure organisation des communautés. Acette fin, on tient des réunions hebdomadaires dans les commu-nautés rurales participantes de la région d’Orsono (Sud du Chili).De cinquante au départ, elles sont maintenant quelque deux cents.Ces réunions coïncident avec la diffusion sur une station de radiolocale de pièces de théâtre et d’autres types d’émission servant àposer un problème et à stimuler les débats.

Au début, les débats portaient essentiellement sur différentsaspects de 1 ‘ éducation des enfants . Ainsi, on se demandait com-ment aider les enfants à apprendre à parler, à lire et à compter; ondiscutait des relations humaines dans la famille, de l’alimentation,du meilleur emploi des denrées et de la conservation des aliments;mais aussi de l’alcoolisme. Le champ des discussions s’est élargiet on s’interroge maintenant sur les façons de gagner de quoi vivre.Des documents viennent étayer chaque thème. Les discussions,dirigées par un animateur local désigné par la communauté,débouchent sur des suggestions et des plans d’action communau-taire dans divers domaines.

Dans le programme chilien, on favorise également le dévelop-pement de l’enfant par le biais d’exercices préscolaires présentéssous forme de fiches. Ces dernières sont conçues pour stimuler laperception, la réflexion, l’utilisation de symboles, la créativité, lacuriosité et pour inciter à apprendre. Les parents étudient ces exer-cices au cours de leurs réunions, puis les rapportant à la maison,pour que les enfants les fassent, parfois avec l’aide des adultes.Les exercices terminés sont rapportés à la réunion suivante.

Des membres du personnel du CIDE (Centro de Investigaciony Desarrollo de la Educacion), organisation non gouvernementale,ont contribué à l’élaboration du PPH et aident à le mettre enoeuvre, en relation étroite avec la station de radio locale.

Il ressort d’une évaluation que le programme a des eff e t spositifs sur les enfants, sur leurs parents et sur la communautéen général (Richards, 1985). Les enfants qui participent au PPHobtiennent de meilleurs résultats aux tests d’aptitude et dansleur scolarité que ceux qui n’y participent pas. Cette même éva-luation a révélé une nette évolution dans les attitudes et les per-ceptions des parents. Ceci se manifeste dans leur façon dedécrire le projet lui-même, de parler des changements, dans leur

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Une stratégie de programmation

facilité à se mettre d’accord et dans leur aptitude à donner suite àdes conclusions. Le changement fondamental était le suivant: plusles participants prenaient confiance en eux-mêmes. plus ils mon-traient d’enthousiasme à participer à des activités constructives.

Le coût mensuel du programme par enfant est estimé à 6.38 dol-lars américains . Une très bonne école maternel le coûtait six foisplus et une garderie de médiocre qualité, deux fois. A titre de com-paraison, le salaire mensuel minimum avoisinait alors trente-cinqdollars. Si l’on calcule le coût par personne plutôt que par enfant,on arrive à 1,69 dollar par mois, sans tenir compte du temps donnépar la communauté. Autrement dit. la participation communautaires’est révélée bénéfique et elle a permis d’abaisser les coûts.

Références

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Hong, Sawon. «Integrated Child Development Services. EarlyChildhood Development: India case study», a paper prepared forthe Global Seminar on Early Childhood Development, Florence,International Child Development Centre, New Delhi: UNICEF, June1989.

Instituto Colombiano de Bienestar Familiar (ICBF). «Evaluaci6n delos Hogares Comunitarios de Bienestar. Informe Técnico Final.»Bogota, Colombia, Septiembre de 1999

Knight, J. & S. Grantham-M c G r e g o r. «Using Primary SchoolChildren to Improve Child-rearing Practices in Rural Jamaica»,Child. Care, Health and Development, No 11, 1985, pp 81-90.

Kotchabhakdi, N.. «A Case Study: The Integration of PsychosocialComponents of Early Childhood Development into a NutritionEducation Programme of Northeast Thailand.», a paper preparedfor the Third Inter-Agency Mecting of The Consultative Group onEarly Childhood Care and Development, Washington, D.C.,January 1988.

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Pour un bon depart dans la vie

Ministerio de Saude (MS) e Instituto Nacional de Alimentaçao eNutriçao (INAN). «Analiçâo de PROAPE/Alagoas corn Enfoque naArea Economica», Brasilia, MS/INAN, 1983.

Myers, R. & C. Landers. «Early Childhood Development: UNICEFProgramme Guidelines, Volume 5,» New York, UNICEF. 1989.

Myers, R. et.al. «Pre-School as a Catalyst for CommunityDevelopment», an evaluation prepared for USAID/Peru, Lima,January 1985. Mimeo.

Richards, H.. The Evaluation of Cultural Action: An EvaluativeStudy of the Parents and Children Programme (PPH), London:Macmillan, 1985.

Satoto & N. Coletta. «A Low Cost Home-Base Intervention Using aCartoon Curriculum. The Indonesian PANDAI Project.», a paperpresented at the International Conference on Childhood in the ‘ 1 stCentury, Hong Kong, July 31-August 4 1989. Indonesia, TheMedical School, UNDIP, Semarang, 1989. Mimeo.

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VI QUE FAUT-IL FAIRE?

Au vu des pages précédentes, on ne peut guère douter de lanécessité d ‘ investir davantage dans les programmes pour le pro-tection et le développement des jeunes enfants, et de la rentabilitéde ces programmes qui aident les enfants à «bien démarrer» dansla vie.

Il devrait maintenant être clair que la plupart des enfants, y comprisceux présentant une insuffisance pondérale à la naissance! vien-nent au monde avec des aptitudes extraordinaires - avec des sens,un cerveau qui fonctionne, le désir d’interactions, une motivationinterne - tous éléments qui permettent de communiquer et d’ap-prendre. On peut laisser ces aptitudes s’étioler, avec tous lesaspects négatifs que cela suppose sur les plans personnel et socialou, au contraire, les encourager et les développer. Il doit aussi êtreévident qu’en investissant dans les programmes de protection etde développement des jeunes enfants. on peut contribuer à rédui-re les inégalités sociales, augmenter la productivité et réaliser deséconomies importantes, rendre d’autres programmes plus effi-caces et focaliser l’attention de la classe politique sur des mesuresbénéfiques pour tous, des mesures allant bien au-delà du profitimmédiat qu’en retirent les enfants. Nous pouvons saisir cetteoccasion d’obtenir ces avantages en aidant les enfants et leursfamilles. ou la laisser échapper avec les conséquences que celacomporte. Il est devenu d’autant plus pressant d ‘ agir que lesbesoins et les demandes augmentent avec l’évolution des condi-tions démographiques, sociales et économiques.

Nous avons affirmé posséder déjà les connaissances et l’ex-périence nécessaires pour commencer à agir. En outre, il existeune abondance de programmes qui peuvent servir de points dedépart à I ‘ action . Nous n’avons pas besoin d’attendre de larecherche des solutions magiques. D’autres réponses sont en pré-paration. mais les attendre reviendrait à priver des millions d’en-fants du bon départ dans la vie auquel ils ont droit.

Que doit-on faire pour ne pas laisser échapper l’occasion quinous est donnée? Si l’on va de l’avant, y a-t-il des défis particuliersà relever? A quoi faut-il accorder la priorité si nous portons notreattention sur l’amélioration de la protection et du développement del’enfant de la naissance à sept ou huit ans, c’est-à-dire jusqu’à l’en-trée à l’école?

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Pour un bon départ dans la vie

Changer d’attitudes

Pour entreprendre un tel effort, il sera essentiel de surmonter denombreuses idées fausses et de susciter de nouvelles attitudes. Acette fin:

- nous devons reconnaître que la survie et le développementde l’enfant ne se suivent pas mais sont simultanés, et élaborer desprogrammes en conséquence.

- nous devons reconnaître qu’il y a synergie entre le bien-êtrepsychosocial, la santé et I ‘ alimentation . Il faut vaincre I ‘ idéeselon laquelle la santé et l’alimentation affectent le développementmental et social, mais que l’inverse n’est pas vrai; il faut cesser depenser qu’investir dans la protection des jeunes enfants et dansl’éducation rend inutile d’investir dans des programmes de santé,dans les écoles primaires ou dans les programmes destinés auxfemmes. Il faut reconnaître que ceux-là rendent ceux-ci plus effi-caces.

- nous devons admettre qu’en fait, les mères n’ont jamais étéles seules personnes à s ‘ occuper des enfants et qu’appuyer d ‘autres arrangements pour les faire garder, c’est aussi se montrerplus sensible aux multiples rôles et besoins des femmes.

- nous devons reconnaître que les enfants participent active-ment à leur propre développement et qu’ils ne sont pas de simplescréatures passives qu’il faut stimuler. Cela revient à reconnaîtrequ’en général, l’apprentissage est un processus actif.

- il faut reconnaître que c’est dans les années précédant lascolarisation que l’enfant acquiert les connaissances les plus élé-mentaires et ce, sous de nombreuses formes. Il ne commence pasà apprendre en entrant à l’école et les enseignants ne sont pas lesseuls à lui transmettre des connaissances. Les parents sont lespremiers et plus importants éducateurs de l’enfant.

- nous devons cesser de penser que seuls les spécialistes onttoutes les réponses et nous tourner vers la sagesse traditionnelled’une part, et vers les paraprofessionnels, les parents et lesmembres de la communauté d’autre part, pour favoriser le déve-loppement de l’enfant.

En corrigeant ces idées fausses et en adoptant de nouvellesattitudes, nous contribuerons beaucoup à édifier la volonté poli-tique et populaire nécessaire pour agir.

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Que faut-il faire?

Caractéristiques d’un programme pour le développement desjeunes enfants

Quelles pourraient bien être les caractéristiques d’une oeuvred’une telle ampleur? On a vu dans les pages précédentes, et enparticulier au chapitre V, quels en sont les principaux éléments.Reprenons-les ici.

1. Le chapitre V présente cinq démarches complémentaires.On commencera par porter l’attention directement sur l’enfant. puison travaillera avec les parents, les communautés et les institutionssociales et, enfin, on modifiera l’attitude du public à l’égard desenfants et de leur développement. Dans chaque démarche, plu-sieurs modèles sont possibles. Selon l’endroit et en fonction descirconstances, il faudra combiner les programmes de différentesfaçons.

2. Au cours de la préparation et de l’application des pro-grammes. il faudra:

- s’assurer qu’ils sont axés sur les enfants et les familles dontles conditions de vie risquent le plus de retarder ou de compro-mettre le développement de l’enfant.

- envisager le développement de l’enfant de plusieurs façons,en cherchant à intégrer ou à faire converger les programmes, afinde profiter des synergies entre la santé, l’alimentation et un ensei-gnement précoce. Il faudra donc combattre le cloisonnementbureaucratique et scolaire qui a tendance à considérer l’enfant quise développe comme des particules indépendantes.

- travailler en collaboration avec les familles et les commu-nautés, en recherchant de leur part une participation qui ailleau-delà des relations superficielles ou des dons uniques, en lesimpliquant réellement dans la planification, la gestion et l’évalua-tion des programmes.

- faire preuve d’assez de souplesse pour respecter les diffé-rents contextes socioculturels et s’y adapter: renforcer lesméthodes locales pour régler les problèmes relatifs à la protectionet au développement de l’enfant tout en proposant de nouvellesidées.

- envisager des démarches et des modèles financièrementréalisables, en profitant des techniques qui se sont révélées effi-caces.

- essayer d’atteindre le plus grand nombre possible d’enfantsà risques.

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Pour un bon départ dans la vie

3. Les programmes devront tenir compte de l’évolution desbesoins au fil du développement; c’est-à-dire de la période préna-tale au début de la scolarité: la petite enfance, l’apprentissage dela marche et les périodes préscolaires.

Les défis

Pour appliquer ces idées, on devra relever plusieurs défis.

Penser d’une façon globale, combiner différentes mesures.L’un des plus grands défis est de revenir à une réflexion global etintégrée alors que la spécialisation et le cloisonement règnent.

Pour aborder le développement de l’enfant, une vision large et inté-grative est essentielle. Il faut se souvenir que

«...l’enfant naît libre. Ses besoins forment un tout. C’est nous quidécidons de les compartimenter en «santé», ‘’alimentation’’ ou«éducation». Et pourtant, l’enfant ne distingue pas son besoin denourriture de son besoin d’affection ou de connaissances» (Ahva,1986).

Adopter cette attitude global, respecter l’unité intégrale de l’en-fant peut se heurter aux structures bureaucratiques qui répondentchacune à un but précis, comme dispenser des soins ou desconnaissances. En fait, on soulignera que les programmes desoins, d’alimentation ou d’enseignement existants visent lesenfants qui en ont le plus besoin. En utilisant des dispositifs orga-nisationnels, en confiant la coordination à des organismes exté-rieurs spécialisés, par exemple, ou en mettant en place des activi-tés inter-organisationnelles, on assurera cette intégration. En der-nière analyse, cependant, l’intégration sera réalisée par lesmembres de la famille et autres personnes chargées de veiller surl’enfant. Ainsi, les programmes d’éducation parentale ayant uncontenu intégré sont prometteurs pour ce qui est d’influer sur ledéveloppement des jeunes enfants. Il est possible de faciliter ceprocessus intégratif en faisant de la planification une collaborationne tenant pas compte des divisions bureaucratiques, et en faisantappel à des organismes populaires à vocation unitaire.

Faire preuve de souplesse, éviter les solutions passe-partoutou magiques. Il faut surmonter le désir naturel de trouver et d’ap-pliquer une seule solution ou une seule technique à tous lesenfants. On ne peut pas édifier un programme visant à améliorer ledéveloppement mental, social et affectif des jeunes enfants enespérant découvrir un vaccin qui règle tous les problèmes du déve-loppement de l’enfant. Il y a différents enfants,

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Que faut-il faire?

d i fférents contextes. Mais heureusement, il existe toute unegamme de techniques auxquelles on peut faire appel, certainesconvenant mieux que d’autres dans un contexte donné. Il est évi-dent que, pour relever ce défi. l’organisme décentralisé conviendramieux. Il est également évident que. plus chaque famille et chaquecommunauté participe à la création et à l’application des pro-grammes destinés à faciliter le développement intégré de l’enfant,mieux ces programmes seront adaptés aux réalités locales.

Concilier le désir de travailler sur une grande échelle avec lebesoin de souplesse et l’importance de la participation de la popu -lation locale. Parler de souplesse ne signifie pas que les pro-grammes doivent être restreints quant à leur conception ou aunombre de leurs participants. Cela signifie au contraire que desmesures aussi centralisées et d’une aussi grande envergure queles campagnes d ‘ information doivent cependant comporter desmoyens d’en adapter le contenu à la situation locale. On ne peutpas considérer la diffusion d’informations sur une grande échellecomme équivalant à une inoculation. Il faudra assurer un suivi quirevêtira des formes différentes selon les circonstances.

On a tendance à assimiler échelle et programmation centrali-sée et échelle et différentes façons d’aborder un problème, alorsque ce n’est pas forcément la même chose. Par contraste avec unecampagne centralisée de vaccination ou d’alphabétisation demasse, «l’échelle» est plutôt le total d’une multitude de pro-grammes locaux ou régionaux, tous différents mais axés sur unmême but: aider l’enfant à survivre et faciliter son développement.Si l’on adopte cette idée «d’échelle par association», on peutconcevoir que les programmes touchent beaucoup de monde touten étant souples et en permettant une participation locale. Avec detels programmes, le rôle des gouvernements ou d ‘ autres orga-nismes centralisés consisterait à fournir des directives générales. àmotiver les populations, à offrir des ressources supplémentaires lecas échéant, à proposer des idées et à participer au suivi et à l’éva-luation. Cette notion d’échelle permet de développer les pro-grammes locaux sur une certaine période et dans des districts etrégions donnés, mais elle n’oblige pas à étendre un programme àtout un pays pour le juger bénéfique une fois terminée la phase dedémonstration ou la période d’essai.

Quelques priorités

Compte tenu des considérations et suggestions ci-dessus, à quoidoit-on faire particulièrement attention dans l’élaboration des pro-grammes de protection et de développement des jeunes enfants ?

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Pour un bon départ dans la vie

1. Le plus tôt sera le mieux. Parmi les différents groupes d’âgeplus ou moins distincts, au cours du développement d ‘ un enfantentre le moment de la conception et la huitième année, il faudraitaccorder la priorité à la période précédant à peu près son deuxiè-me anniversaire. Au cours de cette période, le développement et 1‘ apprentissage sont extraordinairement rapides et les acquis for-ment la base de ce que l’enfant apprendra par la suite.

En ce qui concerne le développement intellectuel, social etaffectif de l’enfant, cette première période de la vie a été négligée.Toutefois. du fait que le développement est si étroitement lié à lasanté et à l’alimentation pendant ces premiers mois et premièresannées, et du fait que ces considérations retiennent une attentionconsidérable, de multiples possibilités permettent d’ajouter unedimension psychosociale aux programmes de soins et de nutritionde l’enfant.

2. Soutenir et éduquer les parents et les autres membres de lafamille. Puisque c’est dans le milieu familial, sous ses différentesformes, que l’enfant se développe dans ses premières années, lesprogrammes devraient insister, pour commencer, sur l’aide àapporter aux familles. Au chapitre IV, on a énuméré les avantageset les précautions à prendre concernant cette démarche et on amontré, par plusieurs exemples, différentes façons de dispenser cesoutien et cette éducation. On peut citer, notamment, les pro-grammes de visites à domicile et les programmes combinant l’édu-cation de l’enfant et celle des adultes (par exemple, apprentissagede l’hygiène et de l’alimentation), ou encore le travail effectué avecde futurs parents par le biais de programmes destinés aux ainéss’occupant de leurs cadets.

3. La transition entre la maison et l’école. La différence entrel’école et la maison est souvent considérable non seulement àcause du cadre et des gens avec lesquels l’enfant est en rapport,mais aussi parce que les activités, les attentes, les règles deconduite et les modes d’apprentissage sont différentes. Il existe demême des différences entre les organismes et services respon-sables des enfants et ceux qui travaillent avec l’enfant et la familleà domicile et dans la communauté au cours des années précédantl’entrée à l’école. Cette distinction artificielle renforce les diffé-rences. plutôt qu’elle ne les réduit, et entraîne un manque de coor-dination entre les programmes, ce qui n’est pas dans l’intérêt del’enfant sur le point d’être scolarisé ni dans celui des différentesinstitutions concernées.

Même dans le secteur de l’éducation, le «préscolaire» estséparé du «scolaire», alors qu’il serait plus logique de les traiterensemble (au moins

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Que faut-il faire?

pendant les premières années de l’école primaire). Cet arrange-ment structurel doit être repensé. Il faudrait au minimum créer. ausein du ministère de l’Education, une unité semi-autonome quiserait chargée des programmes destinés aux enfants de trois à huitans (voire d’un an à huit ans). Il pourrait s’agir d’une unité multidis-ciplinaire comprenant des personnes compétentes dans lesdomaines de la santé, de l’alimentation de l’enseignement auxadultes et du développement communautaire. Le personnel nonpédagogique pourrait être détaché, à condition qu’il assure la liai-son avec ses organismes d’origine. Ce groupe pourrait être placésous la supervision d’un comité interministériel.

On a tendance à penser qu’il faut adapter l’enfant à l’école oùil doit entrer. Mais les écoles devraient avoir une obligation aumoins égale de s’adapter aux enfants qu’elles accueillent. Ainsi, ondevrait considérer le passage de la maison à l’école comme unéchange mutuel, entre un enfant prêt à entrer à l’école et une écoleprête à le recevoir. L’unité décrite ci-dessus pourrait contribuer àfaciliter cet échange en travaillant avec les deux parties. Elle pour-rait également s’intéresser à des sujets comme:

- les programmes d’éducation parentale en liaison avec lesétablissements préscolaires et les écoles primaires.

- l’inclusion, dans les programmes d’alphabétisation et depost alphabétisation, d’un cours sur la façon d’élever les enfants etd’assurer leur développement.

- l’installation des centres préscolaires à proximité des écolesprimaires, afin que les enfants des classes supérieures puissentamener leurs frères et soeurs à l’établissement préscolaire et lesen reprendre en fin de la journée. De cette façon, on pourrait aug-menter le nombre des inscriptions à l’école primaire (en particuliercelles des filles). Cela offrirait aussi la possibilité d’introduire dansle programme d’études de ces classes supérieures un élémentinteractif qui permettrait aux élèves de l’école primaire d’aider ceuxdu centre préscolaire.

- la création, à titre expérimental, d’une «Année zéro» pourfaciliter le passage à l’école primaire en combinant des activitésludiques à une introduction à l’alphabétisation et au calcul.

- I ‘ introduction, pendant les premières années, d ‘ un pro-gramme progressif d’études bilingues donné dans la langue mater-nelle.

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Pour un bon départ dans la vie

- l’organisation de groupes de travail mixtes réunissant desenseignants des écoles maternelles et primaires, ou des parents etdes enseignants des écoles primaires.

4. Les programmes pour la protection et le développement desenfants dont les mères-célibataires ont de faibles revenus. Ildevient de plus en plus important d’accorder une attention particu-lière aux enfants se trouvant dans ces situations. Ici encore, il fau-drait réunir des programmes séparés par les structures adminis-tratives: programmes susceptibles d’améliorer le revenu desfemmes et facilitant le développement des jeunes enfants dans lescentres préscolaires et dans les garderies.

Agissons!

Cette dernière décennie du XXe siècle nous laisse en bien meilleu-re position que nous ne l’étions en 1979 - L’année internationale del’enfant pour faire progresser nos programmes pour la protection etle développement des jeunes enfants. Notre expérience et nosconnaissances, nos techniques se sont accrues et sont plus sûres.Les taux de survie s’améliorant, on a le sentiment croissant qu’ilfaut regarder au-delà de la survie. Ce sentiment de responsabilitéest manifeste dans de nombreuses communautés et dans de nom-breux pays. Il suffit de voir l’extension qu’ils donnent aux pro-grammes destinés à la petite enfance, même en période de com-pression des dépenses et d’aménagements structurels. Mais lesinvestissements de la plupart des organismes internationaux enfaveur de ces programmes reste, tout au plus, tiède. Cet appels’adresse donc à la communauté internationale pour qu’elle selance d’ici la fin du siècle dans de nouvelles et louables entrepriseset adopte de toute urgence un programme éclairé en matière desurvie et de développement de l’enfant, afin que nous puissionstous en récolter les bienfaits dans les années 2000.

La préparation d’un programme de survie, de protection et dedéveloppement de l’enfant nous pose un défi à la fois immédiat età long terme. Au cours des dernières années de ce siècle, de nom-breux ouvrages sur la façon de se préparer au XXIe siècle serontpubliés. Beaucoup de prévisions s’accompagneront de l’espoird’un avenir meilleur. Or, il ne faut pas oublier que les enfants quisortiront des écoles primaires en l’an 2000 sont déjà nés et qu’onles prépare actuellement à leur vie future. Les nourrissons et lesélèves des classes maternelles d’aujourd’hui seront les rêveurs,les bâtisseurs et les dirigeants du XXIe siècle. Ils auront pour tâchede rechercher la justice sociale et économique, d’arrêter la

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Que faut-il faire?

destruction de notre environnement et d’édifier un monde danslequel voisins et nations pourront vivre en paix.

Ce qui semble si éloigné dépend d’aujourd’hui. C’est mainte-nant qu’il faut agir, pour contribuer à développer les citoyens dedemain en leur donnant une vision d’un monde plus juste, plushumain, plus productif et plus pacifique. C’est pourquoi il devienturgent d’agir.

Références

Alva, Margaret, «Keynote Address to the Conference of the SouthAsian Association for Regional Cooperation on South AsianChildren» dans Children First, New Delhi, India, UNICEF, 1986.

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