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7/31/2019 Pour une nouvelle politique industrielle
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POUR UNE NOUVELLE POLITIQUE
INDUSTRIELLE
Stphane IsralMagistrat la Cour des comptes, actuellement en poste dans un grand groupe industriel
Le 22 fvrier 2010
Le dclin de lindustrie franaise, luvre depuis la fin des Trente Glorieuses, prend dsormais des
allures dramatiques. Notre industrie a subi une rosion rapide durant la dcennie 2000 : sa part
dans la population active est passe de 16% moins de 13% ; sa part dans la valeur ajoute a
chut de 22% 16%. Le choc de la Grande Rcession a t dune rare violence, avec une
destruction supplmentaire de 10% de lemploi industriel. Le cas franais fait cho la situation de
toute lEurope, incapable de se doter dune stratgie industrielle, comme le montre lchec duprocessus de Lisbonne. Dans le contexte dune zone euro pnalise par la survaluation de la
monnaie europenne, seule lAllemagne tire son pingle du jeu, avec de remarquables performances
lexport qui lui permettent de consolider la part de son industrie dans le PIB hauteur de 30% ;
mais cest au prix dune politique non cooprative de comptitivit fiscalo-sociale et de pression sur
les salaires, dont la durabilit est sujette caution.
Les consquences conomiques de la dsindustrialisation de la France et de lEurope sont connues :
les pays mergents , longtemps considrs comme les ateliers de lconomie mondiale, en
deviendront les laboratoires, en conqurant des secteurs haute valeur ajoute. Les consquences
sociales aussi : nous nous privons dune partie des emplois qualifis de lconomie high tech qui
merge. Les consquences environnementales, enfin : cest par une nouvelle rvolution industrielle,
celle des green tech et de lco-efficience, que nous pourrons russir le tournant de la transition
cologique.
Au total, dsindustrialise et poids mort de la croissance mondiale, lEurope risque dtre
marginalise face au G2 sino-amricain.
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Pour viter ce scenario, il faut rompre avec trois ides reues qui ont domin les esprits
depuis la fin des Trente Glorieuses.
-Lconomie pourrait se passer de lindustrie. Au contraire, lindustrie joue un rle central dans
lconomie, portant elle-seule 85 % des dpenses de recherche et dveloppement des
entreprises, 80 % des exportations, et reprsentant le principal moteur de la demande de services.
-Lindustrie pourrait se passer de lEtat. Cette antienne est contredite par lhistoire industrielle
franaise : notre industrie sest construite avec le soutien de lEtat. Elle est aussi contredite par
lexprience contemporaine internationale. Partout, dans les pays mergents comme aux Etats-
Unis, linterventionnisme public est actif. Il faut le dire avec force : contrairement un mythe libral,
nulle part il ny a dindustrie dynamique sans politique industrielle volontariste.
-Les Etats pourraient jouer le chacun pour soi en matire de politique industrielle, au sein
dune Europe domine par les seuls impratifs de la monnaie et de la concurrence. Alors que
les finances publiques sont exsangues et que la comptitivit durable de nos entreprises et la
mutation cologique de notre modle productif rclament des investissements massifs, une action
concerte au niveau de lUnion europenne serait nettement plus efficace. Face aux mergents et
aux Etats-Unis, il faut, plus que jamais, raisonner lchelle europenne.
Il nous faut donc construire une nouvelle politique industrielle. Il y a urgence. Mais une
politique adapte aux dfis de lconomie du XXIme sicle, donc renouvele dans sesmthodes et son chelle dintervention.
Dans ce but, plusieurs actions simposent :
- En France mme, priorit doit tre donne linvestissement dans la valeur ajoute, la
comptitivit-qualit et la monte en gamme de nos industries. Lobjectif : franchir la frontire
technologique qui nous spare de lconomie de la connaissance. Les instruments : investir
massivement 1 2 points de PIB par an, soit lquivalent dun Grand Emprunt tous les ans dans
lenseignement suprieur, la recherche, linnovation, la croissance des entreprises industrielles detaille intermdiaire ainsi que dans le dveloppement spcifique des projets industriels de demain
(mobilit durable, technologies vertes, nergies dcarbones,). Cette nouvelle politique
industrielle doit galement reposer sur une gouvernance renouvele : lEtat identifie les priorits
politiques et les secteurs cl mais il met en concurrence, dans le cadre dappels doffre passs par
des organismes de moyens spcialiss, les technologies et les entreprises capables de les mettre
en uvre.
- A lchelle delEurope, la stratgie UE 2020 doit tre loccasion didentifier les investissements
publics et les grands projets qui pourraient tre mis en uvre conjointement et efficacement par les
Etats de lUnion. Laffirmation dune stratgie industrielle europenne viendra de facto pondrer la
priorit donne la monnaie et la concurrence.
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- Sagissant desnouvelles rgulations conomiques internationales, elles devraient chercher
remdier aux distorsions de concurrence cres dune part, par les dsalignements montaires et,dautre part, par les carts de normes environnementales et sociales. LEurope devra peser dans le
cadre du G20 pour obtenir des avances concrtes sur ces deux fronts.
-Enfin, leffort pour un change plus juste ne doit pas sapparenter un repli protectionniste.
Pour lindustrie franaise et europenne, les conomies mergentes constituent un dbouch vital.
Les entreprises doivent partir la conqute de ces marchs, et, pour cela, y nouer les partenariats
industriels et stratgiques ncessaires, Or l encore, laction des Etats viendra soutenir les
initiatives prises par les entreprises.
1 - 2000-2010 : LA DECENNIE NOIRE DE LINDUSTRIE FRANAISE
1.1-VERS UN DESERT INDUSTRIEL FRANAIS ?
Les statistiques runies loccasion des Etats gnraux de lindustrie montrent le recul de lindustrie
franaise depuis le dbut de la dcennie 2000, et ce avant mme que les effets de la crise ne se
soient fait sentir. Ainsi :
- la part de lindustrie dans la population active est passe de 16 % en 2000 13 % en 2008, soit une
diminution de 500 000 emplois ;
- la part de lindustrie manufacturire dans la valeur ajoute marchande a recul de 22% en 1998
16% en 2009 ;
- le solde des changes de produits manufacturs est pass de +11 Mds en 1995 - 21 Mds en
2008 ;
- le taux de marge de lindustrie manufacturire, qui est lun des plus faibles en Europe, a recul de
5,4 points entre 2000 et 2007, alors quil a bondi de 9,1% en Allemagne ;
- alors que les dpenses de R&D des entreprises dans le monde ont cru de 6,9% en moyenne et de
8,1 % en Europe en 2008, leur augmentation na t que de 0,7% en France.
Dans ce contexte industriel dprim, la crise conomique a eu des effets ravageurs : 269 000
emplois supprims entre dbut 2008 et fin 2009, soit une baisse de prs de 10% des effectifs,pourtant dj fortement comprims au cours des annes prcdentes. Et encore ce dcompte
ninclut-il pas les suppressions demplois des intrimaires travaillant dans lindustrie. Pire, la tendance
ne faiblit pas : lInsee estime que 90 000 emplois industriels ont t perdus au second semestre 2009
et que 63 000 devraient encore disparatre au premier semestre 2010.
La France nest pas un cas isol en Europe. La zone euro subit le mme dclin, un rythme toutefois
moins rapide. Ainsi, de 2000 2008, la part de lindustrie manufacturire dans la valeur ajoute
marchande a recul de 3 points dans la zone euro, passant de 25,5% 22,4 %.
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Seule exception europenne : lAllemagne voit son industrie maintenir sa part dans le PIB (elle passe
de 29% en 1999 30% en 2008) et marquer des points lexport, le solde de ses changes de
produits manufacturs bondissant 274 Mds en 2008 contre 91 Mds en 1995.
Logiquement, le ratio exportations franaises / exportations allemandes en matire de produits
manufacturs recule : il passe de 56% en 2000 37% en 2008.
1.2-LA DURABILITE DES SUCCES ALLEMANDSEN QUESTION
Indpendamment des atouts de long terme de son industrie1, lAllemagne a mis en oeuvre la suite
de la runification une stratgie fonde sur la rduction des cots de son industrie. Cette stratgie de
comptitivit-cots sest traduite par une contraction de la masse salariale (gel nominal des salaires
pendant sept ans, baisse des charges sociales avec rduction corrlative de lEtat-providence), une
diminution de la pression fiscale sur les entreprises (baisse de limpt sur les socits), lquivalent
dune dvaluation comptitive (transfert de charges sociales sur la TVA, augmente de trois
points), et par des dlocalisations massives lEst, tout en gardant le plus souvent lassemblage final le made in Germany - en Allemagne mme. Soulign par un rcent rapport du conseil danalyse
conomique2, ce dernier point est important : il dope les statistiques allemandes lexport, alors que
la stratgie dimplantation de lunit dassemblage final dans le pays mme de destination, davantage
mis en uvre par les entreprises franaises, a la consquence inverse.
Cette stratgie est certes trs performante lexport, mais, long terme, elle pose des difficults
majeures :
1
Produits haut de gamme, comme dans lautomobile ; marchs de niche sans rel concurrent lexport, comme lesecteur des machines outils ; meilleure reprsentation des entreprises de taille intermdiaire de 500 2000 salaris.2
Performances lexportation de la France et de lAllemagne, CAE, 2008.
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- en Allemagne mme, o, faute du moteur de la consommation, la croissance reste en berne : elle
est de 0,8% en moyenne sur les annes 2000-2009 contre 1,5% pour la France. Lamlioration des
exportations a t gage sur la dgradation de demande interne, avec un effet nul sur la croissanceglobale, et dans une logique trs contestable dappauvrissement des travailleurs allemands. Cette
stratgie rend par ailleurs lAllemagne vulnrable la conjoncture internationale. Quand les
exportations se grippent, lconomie allemande souffre beaucoup plus que la France, qui bnficie
de lamortisseur de la consommation : la rcession y a t de 5% du PIB en 20093 contre 2,2% pour
la France, comme en tmoigne le tableau ci-dessous :
- pour les autres pays de lUnion europenne, qui en font doublement les frais. En limitant sa
demande intrieure, lAllemagne ne joue plus son rle de locomotive de la zone euro ; dans le
mme temps, elle gagne des parts de march lexport, non pas tant face aux pays mergents
dont les niveaux de cots sont inaccessibles, que face aux pays structures de cots comparables,
cest--dire pour lessentiel les autres pays europens, et notamment la France. Au total, la
restauration de la balance commerciale allemande sexplique plus de 50% par la dgradation de
la balance commerciale franaise.
En outre, la monte en gamme des conomies mergentes viendra logiquement limiter lesperformances lexport de lAllemagne, qui ne pourra pas diminuer linfini les cots unitaires de son
industrie par la pression sur les salaires et lexternalisation en amont4.
1.3-EURO FORT,EUROPE FAIBLE.
Le paramtre montaire nest certes pas la seule cause des maux de lindustrie franaise et
europenne hors Allemagne. Pourtant, il est difficile de ne pas rapprocher les dboires de lindustrie
au cours de la dcennie 2000 de la force de leuro.
L encore, les chiffres parlent deux-mmes :
- alors quun euro valait un dollar en janvier 2000, il en valait 1,45 fin 2009, aprs avoir mme atteint
un pic 1,60 dollar au premier trimestre 2008 ;
3Selon les chiffres rendus publics en janvier 2010 par lOffice fdral allemand de la statistique Destatis.
4Comme le souligne le rapport du CAE dj cit, p. 194 : LAllemagne a fortement puis dans la rserve de
comptitivit procure par lapprovisionnement de biens intermdiaires et composants ltranger. La stratgie
allemande a une limite intrinsque : on ne peut pas toujours plus externaliser en amont et la cohrence duprocessus industriel peut finalement tre mise en cause (difficult de contrle de la qualit, sensibilit aux
interruptions de fourniture, etc.).
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Dresser ce constat ne revient pas vouloir tourner le dos aux conomies mergentes, dont les
centaines de millions de nouveaux consommateurs offrent des opportunits de taille aux entreprises
europennes. Mais ces entreprises seront dautant mieux mme de saisir ces opportunits et denouer des partenariats forts au sein du monde mergent si elles bnficient, en Europe mme, dune
politique industrielle favorable leur essor.
2 - CHANGER DE LOGICIEL : LES PRINCIPES ET LE CADRE DE LACTION
Si lon veut enrayer le dclin de lindustrie franaise et conjurer les menaces qui psent long terme
sur lindustrie europenne, il convient, avant mme de dcider dactions concrtes, de changer de
logiciel en procdant une triple rupture.
2.1-RUPTURE DABORD AVEC LE MYTHE DUNE ECONOMIE SANS INDUSTRIE
Cest le premier mythe des trois dcennies qui viennent de scouler. Il a dabord t nourri par la fin
du fordisme et le recul de lemploi industriel en Europe, lis aux gains de productivit et la
relocalisation des activits faible valeur ajoute dans les pays du Sud ; puis par la rvolution des
nouvelles technologies et lide selon laquelle lconomie allait massivement devenir immatrielle.
Chacun sest alors mis clbrer lavnement dune conomie post-industrielle et dentreprises
sans usines, selon lexpression lance en juin 2001 par Serge Tchuruk, alors prsident dAlcatel.
Limage de lindustrie en a souffert aux yeux mmes des jeunes ingnieurs, qui se voyaient dans le
mme temps offrir des rmunrations sans commune mesure dans le domaine des services
financiers.
Pourtant, lconomie allemande, premire conomie de la zone euro, nest-elle pas aussi celle dont
la part de lindustrie manufacturire dans la valeur ajoute marchande est la plus importante et sest
maintenue tout au long de la dcennie 2000 ? Cest bien la preuve quune conomie forte doit
reposer sur une industrie puissante.
En outre, au-del de sa contribution directe la valeur ajoute marchande, lindustrie joue un
rle central dans lconomie. Ainsi, pour sen tenir au cas de la France :
- cest elle qui tire linnovation : 85 % des dpenses de R&D des entreprises franaises sont ralises
dans lindustrie ; sans base industrielle, pas dinnovation,- cest elle qui tire les exportations : lindustrie reprsente 80% des exportations des biens et des
services en 2007 ; sans base industrielle, pas dexportations,
- cest elle qui tire le secteur des services : la majorit des services aux entreprises (16,6 % du PIB)
est mandate par des entreprises industrielles ; sans base industrielle, pas de services valeur
ajoute.
Il convient dailleurs de revenir sur lopposition entre industrie et services, partir de laquelle
certains ont cru pouvoir btir une nouvelle spcialisation du travail : les services au Nord, lindustrie
au Sud. En ralit, cette opposition na pas grand sens.
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Dabord parce que les activits amont de conception-innovation et aval de service peuvent elles
mmes tre dlocalises. Les centres de R&D peuvent tre transfrs dans les pays mergents.
Tout comme les services informatiques et les call-centers.
Ensuite parce que loutsourcing de la production finit par se heurter des limites, comme le montrent,
par exemple, les retards de livraison du Boeing 787 Dreamliner , dont la production est
externalise plus de 90 %. Les dfaillances actuelles de Toyota sexpliquent galement par une
externalisation gnralise de la production au point de ne plus matriser le process et la qualit de
fabrication.
Enfin, parce que les entreprises industrielles aspirent de plus en plus assurer elles-mmes les
services lis la mise en uvre de leurs produits. Le rapport intermdiaire des Etats-Gnraux de
lIndustrie le souligne juste titre : Limbrication des produits et quipements industriels et des
services associs de mise en uvre, dinstallation, dexploitation et de maintenance, font que
dsormais cest souvent une fonction, voire un service, assur dans le temps, qui sont vendus plus
quun objet manufactur.
Dailleurs, qui peut penser que les pays riches le resteront suffisamment pour soffrir des services la
personne sils ne tirent pas leurs revenus dune industrie prospre ? La mcanique de la croissance
amricaine des trente dernires annes le montre a contrario : entre 1980 et 2006, la part de
lindustrie dans le PIB des Etats-Unis est passe de 34% 21% ; or, comme le rappellent Patrick
Artus et Olivier Pastr dans un ouvrage rcent5, cette dsindustrialisation a de fait entran une
stagnation du pouvoir dachat, la disparition des emplois industriels repoussant les salaris dans les
services domestiques o les salaires sont plus faibles ; cette stagnation na pu tre compense quepar un recours lendettement des mnages, lorigine dune spculation financire sans prcdent
via le mcanisme de la titrisation des crdits subprimes. Quand ce dispositif sest effondr, la
richesse des mnages amricains sest avre en partie virtuelle. On peut en tirer une morale et un
enseignement : mieux vaut une conomie de la production donc de lindustrie que de
lendettement donc des services et de la spculation financire.
2.2-LA FIN DUN AUTRE MYTHE : CELUI DUNE INDUSTRIE SANS ETATS
- Derrire lindustriebien souvent les Etats
Les russites industrielles franaises engages dans les annes 1960, tout comme les exemples
actuels des pays qui maintiennent ou dveloppent leur industrie, convergent vers la mme leon :
lindustrie a besoin de lEtat.
Le mythe libral du moins dEtat est particulirement destructeur en matire industrielle. Les
Britanniques y ont perdu leur industrie. Et, pour la France, le risque semble dsormais bien rel.
La vraie question ne tient pas au principe de lintervention publique dans lindustrie, dont le rejet est
avant tout idologique, mais sur ses modalits. La politique industrielle franaise a longtemps
5Sorties de crise, Perrin, 2009, p. 174, dans le cadre dun chapitre sur la coopration industrielle .
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repos sur lintervention directe de lEtat, travers un dirigisme planificateur identifiant et
ralisant les grands programmes dinvestissement structurants du pays mis en uvre par des
entreprises nationales. Avec ses succs clatants (Ariane, Airbus, le TGV, le programme lectro-nuclaire, la couverture tlphonique nationale) mais aussi ses checs retentissants (le plan
calcul, le Concorde, le minitel). Pour laronautique et lespace, cette ambition nationale a trs vite
t prolonge, il faut le souligner, par une dimension europenne, qui lui a donn toute lassise
financire et technologique ncessaire son succs.
La politique industrielle amricaine est multiple. Dun ct, la cration dcosystmes publics-
privs favorables lmergence de linnovation schumptrienne (Silicon Valley, Texas). Mais
de lautre, le financement des grands groupes industriels par subventions croises issues des
contrats militaires. Les budgets dinvestissement militaire reprsentent le double de ceux de
lensemble des 27 Etats de lUnion europenne, soit plus de 300 milliards de dollars chaque anne.
Dans le secteur des tlcommunications, lessor de lInternet naurait pas t possible aux Etats-
Unis sans linvestissement initial du Pentagone amricain. Cest en engageant et finanant ds
1966 le projet ARPANET, via lagence DARPA lie au Dpartement de la Dfense, que le
Pentagone a permis non seulement de donner naissance lanctre de lInternet, mais aussi de
doter les Etats-Unis dun avantage stratgique considrable en matire de nouvelles technologies
de linformation. Ces budgets profitent avant tout aux industries amricaines, comme le montrent, a
contrario, les difficults des industries europennes pour prendre pied sur le march militaire
amricain. Aux Etats-Unis toujours, le Prsident peut bloquer toute acquisition dune entreprise par
un acteur tranger au nom de la protection des intrts nationaux.
Dans le monde mergent, le rle des Etats saffirme aussi. A travers une politique dattraction desindustries occidentales. Mais aussi (sur la base des transferts de technologie induits) travers les
grands programmes industriels et de recherche publique quils dcident de lancer et au moyen de
la capacit dinvestissement considrable des fonds souverains. Devenue la deuxime conomie
du monde, la Chine, dont la monnaie nest pas convertible, ne peut pas vraiment tre considre
comme un modle de libralisme conomique. Et que dire des cartels industriels en Russie
troitement lis lEtat ?
Emprunts des contextes diffrents, ces exemples convergent tous vers le mme constat : le
capitalisme du XXIme sicle sera beaucoup plus marqu par le jeu des Etats que ne le
professaient les thories librales en vogue durant les trente dernires annes du sicleprcdent.
- Les conditions dun investissement public lgitime
Faisant cho ce nouveau contexte, la commission du Grand Emprunt a esquiss une thorie de
linvestissement public, qui inscrit en creux les bases dune politique industrielle moderne pour la
France, tant dans ses objectifs que dans sa gouvernance.
Pour la commission, linvestissement public est justifi pour dfendre quatre objectifs :
- Pour des projets sans rentabilit financire directe, mais avec rentabilit socio-conomique
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Certains investissements ne sont pas rentables directement : ils ne seront donc pas ports par le
march. Ils ont pourtant une rentabilit indirecte : ils contribuent accrotre le potentiel decroissance du pays, en crant un environnement favorable.
Cest clairement le cas de lenseignement suprieur et de la recherche fondamentale : ils sont
hors march , ils ne gnrent pas directement de valeur ajoute, mais ce sont les piliers
ncessaires une conomie de la connaissance, ils rendent possibles les innovations gnres
demain par les entreprises.
Cest galement le cas des secteurs industriels mergents, o linvestissement public peut amorcer
la pompe. Llectricit dorigine olienne, par exemple, est aujourdhui trop chre face llectricit
traditionnelle, mais elle sera rentable demain, une fois que les industriels auront progress sur la
courbe dexprience.
Cest aussi le cas de certains investissements industriels, dont la rentabilit financire est
insuffisante mais qui ont un bnfice socio-conomique important. Par exemple, un rcent rapport
de lInspection gnrale des finances souligne que les lignes rentables grande vitesse ont toutes
t ralises : les prochaines lignes construire ont une rentabilit dcroissante ; elles ne sont
sans doute plus rentables. Cest vrai, mais faut-il sinterdire de les construire ? Non, car elles ont
une rentabilit socio-conomique suprieure leur rentabilit financire directe : en dsenclavant
les territoires, elles accroissent la croissance potentielle.
- Pour des projets rentables mais pour lesquels le march est dfaillant
Le march devrait les financer mais il ne le fait pas. Cest le cas des investissements de trs long
terme : le taux dactualisation des marchs financiers est trop lev pour permettre ce type de
projets. Cest aussi le cas des investissements trs grande masse critique : les entreprises
prives refusent de mettre en risque leur survie sur un seul projet, au nom de la diversification des
risques. Lintervention de lEtat permet de couvrir le risque conomique, dissuasif pour le
financement de march, li ces investissements.
Le nuclaire (le dveloppement de la 4me gnration), laronautique civile (avion du futur),
lindustrie arospatiale (lanceurs nouvelle gnration, satellites de tlcommunication etdobservation) entrent dans cette catgorie. Tout comme une bonne part des investissements
ncessaires la transition cologique. Nos industries ne seront pas capables damorcer toutes
seules le tournant technologique de la rvolution verte. Dvelopper de nouvelles sources
dnergies dcarbones, concevoir des moteurs propres, gnraliser des procds industriels non
polluants, rclament des investissements dont les volumes et lhorizon de rentabilit dpassent les
capacits et les attentes des seuls acteurs de march.
- Pour des projets mettant en jeu la souverainet nationale
La souverainet, quelle soit conue lchelle de la Nation ou de lEurope, est certes un concept manier avec prudence, mais elle est une ralit incontournable dans le monde du dbut du XXIme
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sicle. Les industries du nuclaire, de llectronique, de laronautique et de lespace comportent
lvidence des enjeux de souverainet. Mais cest aussi vrai pour les industries et les technologies
de linformation. Le problme se pose par exemple aujourdhui avec le cloud computing. Il sagit desuper-calculateurs, grant les bases de donnes distance en lieu et place des disques durs de
chaque ordinateur, limit au rle de terminal . Google, notamment, a dvelopp ces super-
ordinateurs dans le cadre de son mtier de base et cherche les valoriser dans le cadre du cloud
computing. Mais peut-on accepter que lensemble des donnes de nos ordinateurs soit, terme,
gr sur des serveurs amricains ? Poser la question, cest apporter la rponse !
- Enfin, pour sauvegarder lindustrie et son potentiel conomique en cas de crise
Dans les circonstances exceptionnelles de la crise, lintervention des Etats a t spectaculaire.
Sagissant, par exemple, du soutien lindustrie automobile, les chiffres parlent deux-mmes : 7,8
milliards deuros daides, pour lessentiel sous forme de prts, en France ; 17 milliards de dollars
aux Etats-Unis, auxquels il faut ajouter 25 milliards du dpartement de lnergie dans un
programme visant dvelopper les voitures lectriques.
De telles interventions ne sont pas seulement lgitimes dun point de vue social. Elles le sont aussi
dun point de vue conomique, car il sagit daider un secteur qui a de lavenir traverser la crise
tout en se modernisant. Cest dailleurs au nom de ce raisonnement mais appliqu une entreprise
bien spcifique, Alstom, que lEtat franais a dcid en 2003-2004 de prendre une participation
minoritaire dans son capital. Participation minoritaire et provisoire, puisque lEtat est depuis sorti du
capital dAlstom. Mais participation dont il faut tirer trois leons : un soutien temporaire de lEtat peut
permettre une entreprise dont les fondamentaux sont viables mais qui traverse une mauvaisepasse dchapper la faillite ; pour lEtat, ce soutien sest avr une bonne affaire, celui-ci ayant
ralis une importante plus-value lors de son retrait ; enfin, ce sont les principaux banquiers de la
place qui ont alors souhait lintervention de lEtat, si dcrie par eux-mmes dans son principe.
Cette politique industrielle moderne ncessite une nouvelle gouvernance dans les modes
dinterventions de lEtat.
Certes, linterventionnisme industriel traditionnel a vocation se maintenir dans les secteurs
mettant en jeu la souverainet nationale. Les modes dintervention publique peuvent y tre trs
directs. A travers les subventions projet, comme, par exemple, pour le lanceur Ariane. Mais aussi travers la capitalisation des entreprises : EDF et AREVA sont des entreprises publiques, qui
doivent le rester ; quant EADS, lEtat franais en est un actionnaire de rfrence. Ou encore
comme client : lEtat aide quilibrer le modle conomique des industries de souverainet dans le
cadre de la commande publique, civile et militaire.
Pour les investissements potentiellement rentables mais trop lourds et risqus pour le financement
de march, le mcanisme le plus adapt est celui des avances remboursables. Les cots de
dveloppement ne sont rembourss quen cas de succs commercial ultrieur. Laronautique
civile rentre depuis plusieurs dcennies dans ce cas de figure. LAirbus A320, par exemple, a t
financ par avances remboursables. LA350 lest prsent. La commission Jupp-Rocard atoutefois identifi un chanon manquant dans ces projets : le financement du prototype, avant le
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lancement du dveloppement. Une politique industrielle moderne doit, dans ces domaines, assurer
le financement public des prototypes les dmonstrateurs , dans le jargon industriel.
Pour le reste, le rapport Jupp-Rocard esquisse une gouvernance nouvelle dans la gestion des
investissements industriels publics. La commission na pas jou le rle de guichet de distribution de
largent public : elle na retenu aucun projet individuel pas de star academy des projets
davenir. Elle souligne que ce nest pas non plus lEtat de le faire : il sagit dune logique, qui a
aussi abouti des checs coteux (plan calcul). Elle propose de confier les sommes des
organismes de moyens comptents (si possible dj existants : lANR pour la recherche
fondamentale, Oseo pour les PME innovantes, le CNES pour lespace), chargs de slectionner
les projets sur la base dappels doffre. Il sagit donc dune logique comptitive de bas en haut,
bottom up, et non strictement dirigiste de haut en bas, top down. Par exemple, dans le domaine du
numrique, la commission souligne la ncessit dacclrer le passage de la France au trs haut
dbit, elle propose dy investir 2 Md, mais elle laisse une Agence pour le numrique le soin
dexprimenter puis de slectionner les technologies et projets concurrents (fibre optique, Wimax,
rseau hertzien data ddi).
2.3-RUPTURE, ENFIN, AVEC LA TENTATION DE LA POLITIQUE INDUSTRIELLE DANS UN SEULPAYS DANS LE CADRE D'UNE EUROPE DOMINEE PAR LA MONNAIE ET LA CONCURRENCE
A lchelle europenne prcisment : l est la troisime rupture quil convient daccomplir.
Car clbrer le volontarisme industriel isol des Etats europens face au G2 sino-amricain et aux
gants mergents que sont lInde et le Brsil naurait gure de sens.
Naturellement, les grands Etats de lUnion europenne disposent de marges de manuvre et de
capacits de dcision rapides dont ils peuvent et doivent user lchelle nationale. Cela dautant plus
que les mcanismes de dcision de lEurope largie restent laborieux.
Mais qui peut penser quils seront capables, pris isolment, de mettre en uvre des impulsions qui
rclament des investissements aussi considrables que la mutation cologique de nos industries et
la promotion de leur comptitivit durable face au monde mergent ?
Or, la dcennie passe reste celle des occasions manques : on la vu avec lchec de la stratgiede Lisbonne et labsence de contenu rel de linitiative du Conseil europen de mars 2005 en matire
de politique industrielle.
Cet chec reflte le manque de volont industrielle commune des Etats europens tout au long de la
dcennie 2000, commencer par les deux acteurs principaux que sont la France et lAllemagne.
Prise dans son lan de patriotisme conomique , la France sest dabord soucie du sort de ses
champions nationaux, en privilgiant pour eux des solutions nationales : cest vrai pour le sauvetage
dAlstom ; cest vrai aussi pour lalliance de GDF avec Suez (mme si cette entreprise est en partie
belge) ; cest vrai encore avec la prise de participation de Dassault dans Thals ; cest vrai toujoursavec la perte de dimension europenne dAreva, depuis le retrait de Siemens.
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constitue par les dpenses de conception technique dun nouveau produit ou service aboutissant
la ralisation dun prototype, incluant le design.
Pour souhaitable quelle soit, la cration dune telle incitation fiscale suppose auparavant que soit
tabli un bilan du crdit impt recherche. Instaur en 1983, le crdit impt recherche a vu son
assiette constamment largie depuis pour devenir lune des dpenses fiscales les plus
dynamiques : son cot a bondi d1,5 Mds en 2008 5,8 Mds en 2009. Or, selon le dernier
rapport du Conseil des prlvements obligatoires, il semble que ce soit les secteurs de lassistance
aux entreprises et des services financiers et de lassurance qui profitent le plus de cette monte en
puissance, et non les entreprises industrielles, alors mme que ce sont elles qui portent lessentiel
de la recherche prive en France. A lvidence, une valuation simpose.
Au-del de telle ou telle incitation fiscale, il est ncessaire de mieux orienter la dpense publique
vers les investissements davenir, au premier rang desquels figurent ceux mobiliser au profit de
lconomie de la connaissance et de linnovation industrielle.
Le Grand Emprunt est un premier pas dans cette prise de conscience. Mais un effort unique sera
insuffisant. La monte en puissance des contraintes de finances publiques ces trente dernires
annes a entran lasphyxie progressive des investissements dEtat. Le budget 2009 de lEtat ne
contient quune dizaine de milliards deuros dinvestissements civils moins de deux milliards
dinvestissements directs ! - sur un total de dpenses de 280 Md. Contrairement une lgende
tenace, les investissements des collectivits locales (rgions principalement) nont que
partiellement pris le relais. Les conomistes Charles Wyplosz et Jacques Delpla ont chiffr 400
Md le retard global dinvestissement accumul par la France.
Le sous-investissement de la France est donc chronique. Le problme conomique prioritaire de
notre pays, cest bien les investissements davenir. La France est marque par un sous-
investissement structurel : il manque 1 2 points de PIB (20 40 Md), non pas sur un coup mais
par an, pour maintenir la France dans le peloton de tte des pays les plus dvelopps. Nous
devons donc dgager dans nos finances publiques lquivalent dun Grand Emprunt par an.
Tous les grands pays se lancent dans des programmes dinvestissement davenir. Ctait dj le
cas des nations les plus comptitives : Etats-Unis, Japon, Core, pays nordiques. Ils sont
dsormais suivis par le Royaume Uni (nouveau concept de political industrialism), lAllemagne(programme massif pour des universits dexcellence), le Canada (lancement dun fonds pour la
recherche dexcellence), les pays ptroliers et les pays mergents. Si nous ninvestissons pas nous
aussi durablement, notre dclin est invitable. Alors, dans un contexte de finances publiques trs
dgrad, tirons-en les consquences et orientons mieux les dpenses vers la prparation de
lavenir.
- Dficit dentreprises de taille intermdiaire (ETI)
La proportion des entreprises de taille intermdiaire entre 250 et 5000 salaris dans lensemble
des entreprises de plus de 50 salaris est sensiblement plus faible en France (18%) quenAllemagne (26%) et au Royaume-Uni. En outre, 83% des exportations manent des entreprises de
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plus de 250 salaris. Cette faiblesse, qui nest pas nouvelle, constitue un profond handicap pour
lconomie franaise, tant en termes de cration demplois que de capacit lexport.
A travers notamment OSEO, leffort public en faveur du financement et de la croissance des PME et
des ETI est dj important. Mme sil peut tre accru, devrait tre examine en priorit la
contribution des banques prives cet effort, dautant plus quelles ont t les premires
bnficiaires des plans de soutien des pouvoirs publics et quelles profitent en ce moment de taux
dintrt directeurs trs faibles pour reconstituer leurs marges.
- La question du cot du travail et de la comptitivit de lindustrie franaise
Le ratio prlvements publics cumuls (impts et cotisations sociales employeur) sur les
entreprises par rapport la valeur ajoute est, en France, lun des plus levs de lUnion
europenne : il tait de 14,5% en 2008 contre 7,8% en Allemagne.
En outre, la France a perdu au long de la dcennie 2000 lavantage comptitif quelle a longtemps
eu vis--vis de lAllemagne en termes de cot du travail. Alors que le cot horaire de la main
duvre en France reprsentait en 2000 90% de celui de lAllemagne, il tait quasi quivalent
(99%) en 2008. Ce renchrissement est dautant plus pnalisant dans le contexte de la hausse de
leuro, qui constitue une sorte de double peine lexport.
Que dduire de ce constat ?
Sans aucun doute le fait que la priorit doit aller la monte en gamme de notre productionindustrielle, en asseyant notre comptitivit sur dautres facteurs que le cot, notamment la
qualit.
Une telle orientation est prfrable celle qui consisterait jouer la carte du dumping fiscalo-social
vis--vis de nos partenaires de la zone euro et de lEurope 27. La soutenabilit dun tel scnario
pour nos finances publiques et son acceptabilit sociale par des salaris rudement prouvs par la
crise ne plaident videmment pas en ce sens.
Cela ne doit pas empcher toutefois de chercher amliorer la fiscalit pesant sur les entreprises,
par exemple en octroyant un taux dIS rduit pour celles qui rinvestissent leurs bnfices.
De mme, il nest pas normal que du fait de la structure des emplois et de lintensit capitalistique
dans lindustrie, les dispositifs dallgements de charges, dont le cot est considrable,
bnficient moins cette dernire qu dautres secteurs, comme ceux des services et de la grande
distribution, pourtant moins exposs la concurrence internationale et au risque de dlocalisation.
Enfin, sagissant du cot du travail, sa matrise long terme ncessite une rflexion sur la rforme
et le financement de la protection sociale, afin quelle repose moins sur le travail. Chre des
experts de sensibilits diffrentes, la fameuse TVA sociale reste ce jour un concept
thorique dont la mise en pratique ne serait pas acceptable si elle devait pnaliser laconsommation populaire. Pour autant, il ne faut pas s'interdire de rflchir de nouveaux modes
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de financement de la protection sociale qui pourraient permettre de desserrer la contrainte de
comptitivit-cot et de redonner ainsi aux entreprises une marge de manuvre pour accrotre les
salaires.
3.2 - AFFIRMER UNE AMBITION INDUSTRIELLE A LECHELLE EUROPEENNE : INVESTIRENSEMBLE DANS LECONOMIE DE LA CONNAISSANCE ET LES SECTEURS DAVENIR
Les mesures proposes lchelle nationale resteront de porte limite sans volont industrielle
lchelle europenne.
Au moment o la Commission europenne et les Etats cherchent mettre en place une stratgie
UE 2020 , deux axes de travail sont prioritaires.
- Dabord lancer lchelle europenne, ou tout le moins de la zone euro, une dmarche
didentification des investissements publics et partenariaux mettre en place de faon
conjointe par les diffrents Etats de lUnion.
Une telle dmarche pourrait sinspirer de celle dveloppe dans le cadre de la commission du
Grand Emprunt. Les pistes ouvertes par la commission, quil sagisse du financement de
lenseignement suprieur, du dveloppement des PME innovantes, ou du renforcement des
secteurs davenir (comme les sciences du vivant, les nergies dcarbonnes, la mobilit cologique
ou la socit numrique), gagneraient ltre dans le contexte plus large de lEurope.
La France, qui, ce stade, a agi de faon isole, pourrait en proposer le principe ses partenaires.
Une commission prside par une grande personnalit europenne aurait pour vocation didentifier
les domaines prioritaires dinvestissement de lconomie et de lindustrie europenne. Cela
permettrait de formuler des propositions concrtes en matire :
- deuropanisation de nos centres dexcellence universitaires et de recherche,
- de constitution de ples de comptitivit europens,
- de lancement de grands projets innovants (notamment dans les domaines du numrique,
de lnergie, des biotechnologies et nanotechnologies, sans oublier des impulsionsnouvelles marquer dans les secteurs de laronautique, de lespace et de la dfense) et
de travaux dinfrastructures au service dune mobilit cologique lchelle de lUnion,
- de constitution de nouveaux champions industriels europens.
Les modalits de financement de ces investissements ne seraient examines que dans un
deuxime temps, une fois que les besoins auront t identifis et quun consensus se serait form
dans les opinions publiques sur leur ncessit.
Naturellement, les difficults sont connues. Les Etats europens sont jaloux des comptences quils
ont acquises dans tel ou tel secteur. La ncessit dun juste retour industriel complique lagouvernance des projets. Les entreprises europennes ont davantage des rflexes de concurrence
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que de coopration. En outre, le principe mme dun emprunt europen est aujourdhui interdit par
les Traits et le budget europen est lui-mme plafonn. Mais lexemple des industries
aronautiques et spatiales montre le chemin : cest en salliant que les Etats europens ont suconqurir des avantages comptitifs qui permettent aujourdhui nos industries de faire jeu gal
avec les entreprises amricaines et de garder mais pour combien de temps ? une vraie
longueur davance vis--vis des mergents.
En outre, lheure o les financements publics sont contraints on la vu dans le cadre du Grand
Emprunt dont lambition a t ramene 35 Mds - et o les capacits dinvestissement de nos
entreprises sont limites, quel sens y a-t-il dupliquer dans les Etats de lUnion des dpenses de
dveloppement technologique, et multiplier les prises de risque industriel associes, alors quune
mutualisation des projets permettrait videmment den accrotre et lefficacit et lambition ? A titre
dexemple, une voiture lectrique europenne ne serait-elle pas dj disponible sur le march si les
Etats avaient incit les constructeurs franais, italiens et allemands sassocier pour la concevoir ?
Dans les annes 80 et 90, les Europens ont su lever les obstacles pourtant considrables sur
le chemin de la monnaie unique. Il ny a aucune raison, si la volont politique est l, quil nen aille
pas de mme pour de grands projets dinnovation et industriels.
- Menant cette dmarche daffirmation dune politique industrielle lchelle europenne, les Etats
europens ouvriraient logiquement un deuxime axe de travail : celui dune meilleure prise en
compte dans le cadre de la politique montaire et de la politique de la concurrence des paramtres
demploi et de croissance, ces grands oublis des politiques europennes depuis la constitution du
march intrieur et lActe unique.
Pour prendre lexemple de la politique de la concurrence, la Commission a t condamne par trois
fois pour des dcisions ayant empch l'association d'entreprises au prtexte de concentration
incompatible avec le march commun. La direction gnrale de la concurrence agit en ralit sur
ces sujets avec une prsomption de culpabilit l'encontre des entreprises. Elle part
manifestement du principe qu'une position dominante - d'ailleurs envisage en fonction d'un march
europen plutt que mondial - entranera ncessairement un abus de cette position. Cette approche
dogmatique empche la constitution de nouvelles entreprises de taille mondiale et tranche
singulirement avec le pragmatisme des Etats-Unis en ce domaine. De mme, lencadrement des
aides dEtat semble beaucoup plus fort en Europe que dans les autres grandes conomies de laplante.
Quant au Pacte de stabilit et de croissance, il bloque durablement une part de cette croissance en
considrant tout investissement significatif ddi la prparation de l'avenir (recherche et
enseignement suprieur par exemple) comme une simple dpense publique et donc soumise aux
critres.
Enfin, s'agissant de la politique montaire de lUnion europenne, au moment o le Banque
centrale europenne va changer de Prsident, il serait normal que le Conseil de lUnion
europenne ou le Parlement europen i. e les instances politiques - mandatent des experts pourvaluer l'impact de la politique montaire de la BCE sur la croissance et l'emploi, donc sur
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lindustrie europenne, depuis l'introduction de l'euro. Dix annes d'euro fort mritent que lon
sattarde quelque peu sur leurs consquences avant de confirmer cette orientation pour une
nouvelle dcennie !
Si la stratgie UE 2020 de lUnion europenne en cours de dfinition parvient poser des
objectifs prcis en matire dconomie de la connaissance et de consolidation dune base
industrielle europenne, comme cela est souhaitable, ces objectifs devront simposer lensemble
des institutions europennes afin dviter que des choix de politique montaire ou des dcisions en
matire danti-trust ne viennent les contredire ou les compromettre.
3.3 - PRENDRE EN COMPTE LES PARAMETRES MONETAIRES, SOCIAUX ET ECOLOGIQUES
DANS LECHANGE INTERNATIONAL ET LA NOUVELLE REGULATION DU CAPITALISME, TOUTEN SE TOURNANT DAVANTAGE VERS LES ECONOMIES EMERGENTES
Les runions du G20 ont tent de dessiner depuis un an une nouvelle rgulation mondiale du
capitalisme. Pourtant, en se focalisant sur des enjeux mdiatiques comme les rmunrations des
traders, elles ont laiss de ct deux paramtres qui faussent la loyaut des changes
internationaux :
- le paramtre montaire dabord. Il nest pas normal quaucune instance ne puisse rguler limpact
des dsalignements montaires sur le commerce international. Lchange serait plus juste si les
trois principales zones de lconomie mondiale leuro, le dollar et le yuan avaient des parits
moins volatiles et refltant davantage les fondamentaux de leurs conomies respectives, alors
quaujourdhui la monnaie chinoise est dlibrment sous-value afin damplifier la pntration de
ses produits sur les marchs europens : cest une distorsion de concurrence majeure. Elle
mriterait dtre sanctionne. Au-del, lEurope devrait batailler afin dobtenir ltablissement dune
nouvelle rgulation montaire mondiale dans le cadre du G20. Pourquoi, possibles hier, des
accords de Bretton-Woods, ne le seraient pas pour lavenir ?
- de mme, des cluses sociales et cologiques devraient permettre de taxer aux frontires de
lUnion europenne limportation de produits qui ne respecteraient pas des standards minimaux en
la matire. LEurope ne peut pas imposer ses propres entreprises des standards cologiques et
sociaux, auxquels chapperaient totalement les produits imports du reste du monde.
Cette dmarche en faveur dun change international plus juste ne doit nullement
sapparenter une nouvelle forme de protectionnisme. Des rgles sont ncessaires et elles
nexistent pas suffisamment aujourdhui. Mais, paralllement laffirmation de ces rgles, lindustrie
franaise et europenne doit se tourner de faon volontariste vers les conomies mergentes. Trop
souvent, ces conomies ne sont vues que comme des rservoirs de main duvre bas cots, avec
les craintes lgitimes quinspirent aux salaris europens les dlocalisations. Pourtant, demain, la
Chine, lInde et le Brsil auront des capacits technologiques qui rivaliseront avec les ntres. Elles
forment dj et formeront toujours davantage des ingnieurs, qui ne seront pas moins innovants que
ceux du Nord. Elles vont drainer des centaines de millions de nouveaux consommateurs, quiprendront le relais du consommateur amricain comme nouveau moteur de la croissance mondiale.
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A titre dexemple, alors que les classes moyennes ne reprsentaient que 42 % de la population
mondiale en lan 2000, elles en reprsentaient 57 % en 2006. Les perspectives de croissance post-
crise de lconomie mondiale illustrent ce basculement vers le Sud :
Source : FMI / Janvier 2010
Mieux intgrer les attentes des consommateurs des pays mergents dans nos productions
industrielles en Europe mme sera ncessaire. Nouer des partenariats industriels et stratgiques sur
place sera indispensable. Ce que Renault a fait avec Nissan il y a dix ans, nos grands groupes
devront le faire demain avec des champions brsiliens, chinois ou indiens. Et autant prendre
linitiative quand le rapport de force et lavance technologique nous sont encore favorables. Pour
russir ces alliances, il faudra une imbrication troite entre une volont politique, qui interviendra en
support, et une excellence industrielle, qui en sera le moteur.
En retour, les grandes entreprises franaises et europennes devront garder un lien fort avec leurs
territoires dorigine, les salaris qui sy trouvent et la chane de sous-traitance qui sy dploie. Elles
ont une responsabilit leur gard. Car, de mme quil nexiste pas dconomie sans industrie, il ny
pas dentreprise qui nait, dune faon ou dune autre, une nationalit et des racines. Et ce dautant
plus que leur succs aura t encourag et amplifi par une nouvelle ambition industrielle, en France
et en Europe, pour la France et pour lEurope.