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Pourquoi a-t-on du mal à se mettre aux banques en ligne? vendredi 7 juillet 2017 07:13 1682 mots : SLATE.FR MAGAZINE Lancées depuis plus d’une dizaine d’années, les banques en ligne n’attirent qu’un dixième des Français. À quoi est dû ce chiffre, maigre en apparence? L’affaire a fait la Une des journaux fin janvier aux États-Unis: 20 millions de dollars (18 millions d’euros) provenant d’une escroquerie ont été retrouvés sous un matelas. Il n’y a guère plus que ce genre de situations criminelles pour trouver encore des billets verts sous les literies. En France, 99% de la popula- tion détenait au moins un compte bancaire en 2013 selon la Fédération ban- caire française. Le matelas est donc ringard, mais la banque en ligne trop moderne. La plupart des Français s'accrochent aux 38.000 agences qui parsèment l’Hexagone. De- puis les années 2000 et l’arrivée d’ING Direct, de nombreux acteurs se sont pourtant engagés sur le marché dématérialisé: Boursorama Banque (2005), Monabanq (2006), BforBank (2009), Fortuneo (2009) ou encore Hellobank (2013). Orange Bank, surnommée la «Free de la banque», devait se lancer en juillet mais elle est justement reportée, comme l'a rapporté Stéphane Richard, PDG d'Orange, qui souhaite prolonger la phase de tests. Bizarrement, ces incursions des banques en ligne n’ont pas changé fondamen- talement les mœurs des clients. En 2016, seulement 10% des Français de 18 à 65 ans détenaient au moins un compte dans une banque en ligne, selon une étude du cabinet Simon-Kucher, citée par Le Monde. De quoi faire dire au quo- tidien du soir qu’elles recherchent «un deuxième souffle». Ces banques en ligne ont pourtant des arguments. D'après un classement publié en janvier 2014 par l'UFC-Que-Choisir, les quatre banques les moins chères de France étaient des établissements en ligne. En 2015, un client là-bas réalisait, en moyenne, « plus de 150 euros d’économies par an par rapport à un établissement traditionnel», selon Le Monde. Et seulement 38% des personnes sondées dans l’étude du cabinet Simon-Kucher refusaient d’ouvrir un compte bancaire en ligne en 2015, contre 43% en 2014. Des freins qui subsistent La part de clientèle des banques en ligne ne surprend pas Béatrice Durand-Mé- gret: «On parle beaucoup du numérique en disant qu’il est entré dans les mœurs mais il faut relativiser les choses, nuance cette enseignante-chercheuse, dont les recherches portent sur les nouveaux comportements des consommateurs à l’ère du numérique. Quand on regarde les chiffres de la grande consommation, qui sont de l’ordre de 105 milliards, celui réalisé sur internet, tout domaine confondu, est de 16 milliards. Cela représente donc un gros 10%.» Les banques en ligne peuvent avoir la confiance de leurs adhérents –79% selon 1

Pourquoi a-t-on du mal à se mettre aux banques en ligne? · «Les clients sont, au départ, séduits par leurs tarifs, mais, ensuite, il faut par-venir à les retenir grâce à une

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Pourquoi a-t-on du mal à se mettre aux banques en ligne?

vendredi 7 juillet 2017 07:131682 mots

: SLATE.FR MAGAZINE

Lancées depuis plus d’une dizaine d’années, les banques en ligne n’attirent

qu’un dixième des Français. À quoi est dû ce chiffre, maigre en apparence?

L’affaire a fait la Une des journaux fin janvier aux États-Unis: 20 millions de

dollars (18 millions d’euros) provenant d’une escroquerie ont été retrouvés

sous un matelas. Il n’y a guère plus que ce genre de situations criminelles pour

trouver encore des billets verts sous les literies. En France, 99% de la popula-

tion détenait au moins un compte bancaire en 2013 selon la Fédération ban-

caire française.

Le matelas est donc ringard, mais la banque en ligne trop moderne. La plupart

des Français s'accrochent aux 38.000 agences qui parsèment l’Hexagone. De-

puis les années 2000 et l’arrivée d’ING Direct, de nombreux acteurs se sont

pourtant engagés sur le marché dématérialisé: Boursorama Banque (2005),

Monabanq (2006), BforBank (2009), Fortuneo (2009) ou encore Hellobank

(2013). Orange Bank, surnommée la «Free de la banque», devait se lancer en

juillet mais elle est justement reportée, comme l'a rapporté Stéphane Richard,

PDG d'Orange, qui souhaite prolonger la phase de tests.

Bizarrement, ces incursions des banques en ligne n’ont pas changé fondamen-

talement les mœurs des clients. En 2016, seulement 10% des Français de 18 à

65 ans détenaient au moins un compte dans une banque en ligne, selon une

étude du cabinet Simon-Kucher, citée par Le Monde. De quoi faire dire au quo-

tidien du soir qu’elles recherchent «un deuxième souffle».

Ces banques en ligne ont pourtant des arguments. D'après un classement

publié en janvier 2014 par l'UFC-Que-Choisir, les quatre banques les moins

chères de France étaient des établissements en ligne. En 2015, un client là-bas

réalisait, en moyenne, « plus de 150 euros d’économies par an par rapport à un

établissement traditionnel», selon Le Monde. Et seulement 38% des personnes

sondées dans l’étude du cabinet Simon-Kucher refusaient d’ouvrir un compte

bancaire en ligne en 2015, contre 43% en 2014.

Des freins qui subsistent

La part de clientèle des banques en ligne ne surprend pas Béatrice Durand-Mé-

gret:

«On parle beaucoup du numérique en disant qu’il est entré dans les mœurs

mais il faut relativiser les choses, nuance cette enseignante-chercheuse, dont

les recherches portent sur les nouveaux comportements des consommateurs à

l’ère du numérique. Quand on regarde les chiffres de la grande consommation,

qui sont de l’ordre de 105 milliards, celui réalisé sur internet, tout domaine

confondu, est de 16 milliards. Cela représente donc un gros 10%.»

Les banques en ligne peuvent avoir la confiance de leurs adhérents –79% selon

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une étude Deloitte contre 65% pour l’ensemble des banques–, ils existent tou-

jours des freins pour la chercheuse. Le premier, c’est la sécurité liée aux ac-

tions sur internet:

«Cela semble de moins en moins freiner les consommateurs, tempère Béatrice

Durand-Mégret. Mais on peut imaginer que lorsqu’on parle de la banque, de

son argent et de ses économies, ce frein soit plus important que lorsqu’on veut

acheter une bouteille de vin.»

Une autre entrave est la compétence technologique que certaines personnes

craignent d’avoir. «Ils se disent qu’ils vont vider leur compte d’un simple

clic en se trompant», précise Béatrice Durand-Mégret. La docteure en gestion

pointe également le flou dans l’offre bancaire, comme pour les services factu-

rés chez certains établissements et pas d’autre:

«Tant qu’il n’y aura pas une clarté de l’offre dans l’esprit des consommateurs,

je pense qu’il sera difficile pour eux de se dire: “J'ai tout ce qu’il me faut sur

internet et je sais quelle banque choisir”.»

La proximité géographique, premier critère de choix

De fait, ce ne sont pas les prix qui attirent les chalands. Seulement 7% des

Français choisissent une banque pour «les tarifs et les frais des opérations ban-

caires appliquées» selon l’étude de Deloitte. Et seulement 7% d’entre eux se

fixent selon le coût des crédits. La première raison d’un choix d’une banque

diffère selon l’âge. 17% des sondés ont confié que la proximité géographique

d’une banque pesait le plus dans leur choix. Mais pour ce qui est des clients

âgés de 15 à 34 ans, soit une génération née avec le numérique, c’est avant tout

la banque de leur conjoint ou de leurs parents (26%) qui force la décision.

Fabien rassemble tous ces critères. Ce trentenaire chômeur après plusieurs

passages dans l’audit financier est à la Banque Postale depuis sa jeunesse et

n’a jamais rencontré son conseiller. «Au début, c’était celle où mes parents se

trouvaient. Et dans le Val-d’Oise où j’habitais, c’était la seule à proximité», dé-

clare-t-il au téléphone. Plutôt branché nouvelle technologie, Fabien n’a jamais

opté pour une banque en ligne: «Je ne sais pas vraiment pourquoi. La flemme

sans doute.»

«Historiquement, la banque est quelque chose qui se transmet de parents à en-

fants. Le cycle de vie de l’offre y est en plus très long, car on change rarement

de banques, contrairement à la téléphonie mobile où les consommateurs sont

très volatiles, analyse Béatrice Durand-Mégret.

Même si l’on sait que cette volatilité devient plus prégnante.»

Adeline, l’épouse de Fabien, a par exemple franchi le pas depuis un an. Cette

experte-comptable de 28 ans était à la Caisse d’Épargne (également «par le fait

de ses parents» ) mais les frais bancaires étaient trop élevés: entre 8 et 9 euros.

Elle est désormais chez HelloBank, la filiale de BNP Paribas.

Marine, elle, n’envisage pas de changer. Elle aime «avoir un point physique

pour aller à la banque». Étudiante en journalisme, elle préfère cette situation

même si elle concède ne s’y rendre que trois fois par an en moyenne.

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«Si j’ai un problème, je peux voir un conseiller, avoir accès aux bornes ou

consulter mes comptes même si je le fais sur mon smartphone», indique-t-elle,

tout en avouant qu’elle n’a jamais vu son référent bancaire.

Des banques en ligne pas assez développées?

À l’inverse de l’étudiante, les Français sont de moins en moins nombreux à

vouloir se déplacer en agence, selon l’étude de Deloitte. 27% ont déclaré ne

plus s’y rendre, sauf pour des retraits, contre 22% en 2015. Un paradoxe avec

la proximité demandée par les clients.

«La proximité, c’est quoi?, interroge Béatrice Durand-Mégret. Ce n’est plus

la proximité géographique puisque internet est dans notre salon. Ce que re-

cherchent les consommateurs, c’est ce qu’on appelle le lien social. Ce sont les

grands-mères qui vont trois fois à la poste dans la journée pour discuter. Cette

socialisation est effectivement une motivation à consommer et à aller dans les

points de vente physique.»

Pour la docteure en gestion, les banques en ligne ont donc tout intérêt à capter

les jeunes car «ce sont eux qui numérisent le comportement de leur parent, au

travers des réseaux sociaux». Là où elle juge les banques peu ou pas présentes.

Tout cela implique selon elle une e-socialisation et l’établissement de diffé-

rents aspects comme des communautés de marque ou une personnalisation de

l’interface pour «créer du lien avec le consommateur et lui donner confiance».

La chercheuse estime également que les banques en ligne devraient proposer

des offres à la carte «sur le principe des tarifs de mutuelles» :

«Il faut développer cette construction car le prix ne suffit pas en terme de

banque. C’est trop sérieux pour que le prix suffise.»

Un avis partagé par d’autres professionnels du secteur. Comme Ada Di Marzo,

associée au sein du cabinet de conseil en stratégie Bain & Company, qui parlait

des banques en ligne dans un article du Monde de 2015 :

«Les clients sont, au départ, séduits par leurs tarifs, mais, ensuite, il faut par-

venir à les retenir grâce à une qualité de service irréprochable et une offre dif-

férenciante. C’est le grand défi de ces banques.»

En 2015, l’autorité des marchés financiers (AMF) a sondé la qualité du conseil

dispensé par les banques en ligne. «L’expérience a mis en lumière les faiblesses

des questionnaires proposées aux nouveaux clients», note le Particulier.

L’AMF a également critiqué les mises en garde adressées aux clients qui s’in-

téressaient à des «produits financiers risqués». Elles servaient bien plus à exo-

nérer la banque de toute responsabilité qu’à éclairer le client sur les risques

engendrés.

Des banques traditionnelles adaptées?

De plus, les clients qui n’ont pas besoin de voir leur conseiller et de bénéficier

des avantages «physiques» d’une banque peuvent trouver leur compte sur in-

ternet. Dahlia * consulte les siens essentiellement en ligne par exemple et ad-

met n’avoir jamais «eu une relation très portée sur l’humain avec les banques».

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Cette femme de 28 ans a rejoint le CIC après le baccalauréat «car il donnait de

l’argent aux mentions très bien». Elle a été séduite par l’offre «fil banque» de

l’agence qui lui donnait accès aux comptes en ligne et dématérialisait les rele-

vés.

Fabien trouve également qu’il y a «les mêmes fonctionnalités» entre son

compte à la Banque Postale et celui de sa femme chez HelloBank. Cette der-

nière pointe d’ailleurs un défaut au cours de la conversation. «Il faut les ap-

peler à chaque fois, comme pour mon changement de nom avec notre récent

mariage par exemple, on ne peut pas les contacter par mail», détaille-t-elle.

À l’image de Fabien, Dahlia, Adeline ou Marine, 77% des Français consultaient

leurs comptes par le site internet de leur banque en 2016, selon Deloitte,

et 72% utilisaient le site internet pour réaliser des opérations simples. Mais

seulement 17% vont y réaliser des opérations complexes alors qu’ils sont 47%

à le faire en agence.

Dans l’ensemble, 92% des interrogés sont satisfaits des canaux de contact mis

à disposition par leur banque pour communiquer. Dès lors, pourquoi les clients

iraient ailleurs?

«Il peut y avoir une vampirisation de l’offre développée par les banques elles-

mêmes, qui ont à la fois essayé de faire du pure-player et en même temps nu-

mériser leurs services traditionnels», avance Béatrice Durand-Megret.

Le lancement d'Orange Bank devrait accroître encore la concurrence à la ren-

trée.

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par Christophe-Cécil Garnier

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