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Prise en charge des pancréatites aiguës nécrosantes Page 1 sur 14 Prise en charge des pancréatites aiguës nécrosantes Thomas LESCOT 1 , Julien CAZEJUST 2 , François PAYE 3 1 Unité de Réanimation Chirurgicale Digestive, Département d’Anesthésie-Réanimation. 2 Service de Radiologie. 3 Service de Chirurgie Digestive Hôpital Saint-Antoine, Assistance Publique-Hôpitaux de Paris et Université Pierre et Marie Curie, 184 rue du Faubourg Saint-Antoine, 75012 Paris Introduction La pancréatite aiguë se développe, le plus fréquemment, sous une forme peu sévère : la morbidité est faible et la mortalité quasi nulle. Néanmoins, environ 20% des patients vont présenter une forme grave d’inflammation pancréatique dont l’évolution sera marquée par des défaillances d’organes et la survenue de complications locorégionales secondaires à la nécrose de la glande pancréatique. Dans une récente étude française, cette pathologie représentait 2% des séjours en réanimation supérieurs à 48 heures [1], correspondant, très grossièrement, à une admission mensuelle par unité. L’infection de la nécrose constitue un tournant dans la maladie conduisant, il y encore peu, à une indication chirurgicale formelle et urgente. Le développement récent de nouvelles technologies permet aujourd’hui de proposer, dans ce contexte, des solutions thérapeutiques de première intention moins invasives. L’objet de cette revue est de rappeler les grandes données étiologiques, cliniques et physiopathologiques et de discuter la prise en charge des formes les plus graves au vu des récentes avancées thérapeutiques. 1. Étiologies et donnes physiopathologiques Le pancréas est un organe intra-abdominal rétropéritonéal sus-mésocolique. Glande endocrine et exocrine dont le nom « tout en chair » provient du grec [pan : tout] et [kreas: viande], le pancréas est enchâssé dans le cadre duodénal et occupe une place centrale au sein de la cavité abdominale. Dès le milieu du 19 ème siècle, Claude Bernard suggérait déjà que le reflux biliaire dans le canal pancréatique pouvait causer une pancréatite aiguë. Ce n’est que plus tardivement que l’implication des calculs biliaires dans le déclenchement de la maladie a été suggérée à partir de données autopsiques [2]. Aujourd’hui, la fréquence des pancréatites aiguës est estimée à 11 000 cas/an en France. Les causes sont dominées par la consommation excessive chronique d’alcool (>80 g/jour) et les pathologies biliaires obstructives ; représentant à elles deux environ 80% des causes de pancréatites aiguës. Moins fréquemment, cette pathologie peut-être due à des médicaments ou des toxiques, se rencontrer dans les suites chirurgicales ou de manœuvres endoscopiques biliaires. Plus rarement, une origine infectieuse (virale, bactérienne, parasitaire), une hypercalcémie ou une hypertriglycéridémie est retrouvée. La physiopathologie exacte de la pancréatite aiguë reste mal élucidée. De nombreuses données s’accordent pour penser qu’une activation anormale du trypsinogène en trypsine active dans la cellule acinaire pourrait constituer la première étape du déclenchement de la maladie. Les mécanismes de régulation destinés à limiter l’action in situ de la trypsine (compartimentalisation intracellulaire, synthèse d’inhibiteurs de la trypsine) étant dépassés, les enzymes pancréatiques, normalement actives seulement dans la lumière du tube digestif, sont responsables de l’autodigestion de la glande pancréatique. La réaction induite implique plusieurs médiateurs pro- inflammatoires, notamment de la famille des interleukines, ainsi que l’activation de cellules de l’inflammation. 2. Les formes de pancréatites aiguës Le diagnostic de pancréatite aiguë requiert la présence de deux critères parmi les trois suivants : - Douleur abdominale évocatrice (douleur brutale, prolongée, épigastrique pouvant s’accompagner d’irradiations dorsales),

Prise en charge des pancréatites aiguës nécrosantes · Prise en charge des pancréatites aiguës nécrosantes Page 3 sur 14 -La pancréatite nécrosante représente la forme la

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Prise en charge des pancréatites aiguës nécrosantes

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Prise en charge des pancréatites aiguës nécrosantes

Thomas LESCOT 1, Julien CAZEJUST

2, François PAYE

3

1Unité de Réanimation Chirurgicale Digestive, Département d’Anesthésie-Réanimation.

2Service de

Radiologie. 3Service de Chirurgie Digestive

Hôpital Saint-Antoine, Assistance Publique-Hôpitaux de Paris et Université Pierre et Marie Curie, 184 rue du

Faubourg Saint-Antoine, 75012 Paris

Introduction La pancréatite aiguë se développe, le plus fréquemment, sous une forme peu sévère : la morbidité est faible et la mortalité quasi nulle. Néanmoins, environ 20% des patients vont présenter une forme grave d’inflammation pancréatique dont l’évolution sera marquée par des défaillances d’organes et la survenue de complications locorégionales secondaires à la nécrose de la glande pancréatique.

Dans une récente étude française, cette pathologie représentait 2% des séjours en réanimation supérieurs à 48 heures [1], correspondant, très grossièrement, à une admission mensuelle par unité. L’infection de la nécrose constitue un tournant dans la maladie conduisant, il y encore peu, à une indication chirurgicale formelle et urgente. Le développement récent de nouvelles technologies permet aujourd’hui de proposer, dans ce contexte, des solutions thérapeutiques de première intention moins invasives. L’objet de cette revue est de rappeler les grandes données étiologiques, cliniques et physiopathologiques et de discuter la prise en charge des formes les plus graves au vu des récentes avancées thérapeutiques.

1. Étiologies et donnes physiopathologiques Le pancréas est un organe intra-abdominal rétropéritonéal sus-mésocolique. Glande endocrine et exocrine dont le nom « tout en chair » provient du grec [pan : tout] et [kreas: viande], le pancréas est enchâssé dans le cadre duodénal et occupe une place centrale au sein de la cavité abdominale. Dès le milieu du 19ème siècle, Claude Bernard suggérait déjà que le reflux biliaire dans le canal pancréatique pouvait causer une pancréatite aiguë. Ce n’est que plus tardivement que l’implication des calculs biliaires dans le déclenchement de la maladie a été suggérée à partir de données autopsiques [2].

Aujourd’hui, la fréquence des pancréatites aiguës est estimée à 11 000 cas/an en France. Les causes sont dominées par la consommation excessive chronique d’alcool (>80 g/jour) et les pathologies biliaires obstructives ; représentant à elles deux environ 80% des causes de pancréatites aiguës. Moins fréquemment, cette pathologie peut-être due à des médicaments ou des toxiques, se rencontrer dans les suites chirurgicales ou de manœuvres endoscopiques biliaires. Plus rarement, une origine infectieuse (virale, bactérienne, parasitaire), une hypercalcémie ou une hypertriglycéridémie est retrouvée.

La physiopathologie exacte de la pancréatite aiguë reste mal élucidée. De nombreuses données s’accordent pour penser qu’une activation anormale du trypsinogène en trypsine active dans la cellule acinaire pourrait constituer la première étape du déclenchement de la maladie. Les mécanismes de régulation destinés à limiter l’action in situ de la trypsine (compartimentalisation intracellulaire, synthèse d’inhibiteurs de la trypsine) étant dépassés, les enzymes pancréatiques, normalement actives seulement dans la lumière du tube digestif, sont responsables de l’autodigestion de la glande pancréatique. La réaction induite implique plusieurs médiateurs pro-inflammatoires, notamment de la famille des interleukines, ainsi que l’activation de cellules de l’inflammation. 2. Les formes de pancréatites aiguës Le diagnostic de pancréatite aiguë requiert la présence de deux critères parmi les trois suivants : - Douleur abdominale évocatrice (douleur brutale, prolongée, épigastrique pouvant

s’accompagner d’irradiations dorsales),

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- Lipase (ou amylase) plasmatique supérieure à 3 fois la limite supérieure de la normale, - Caractéristiques radiologiques évocatrices au scanner avec injection de produit de contraste ou,

plus rarement, en imagerie par résonance magnétique [3].

L’imagerie doit aider au diagnostic étiologique, en recherchant des calculs biliaires, vésiculaires et leurs complications (calcul enclavé, dilatation des voies biliaires). Pour ce faire, l’examen de première intention est l’échographie abdominale qu’il convient de réaliser dans les 24 premières heures de la symptomatologie. En cas d’examen non conclusif, le scanner reste une méthode de substitution efficace pour la recherche de dilatation des voies biliaires, mais les calculs ne sont visibles au scanner que dans 50% des cas. L’IRM est plus sensible et plus spécifique pour la détection des calculs mais son accessibilité reste limitée en urgence.

On différencie deux types de pancréatites aiguës selon leurs présentations scanographiques et leurs évolutions : - La pancréatite œdémateuse interstitielle est la forme la plus fréquente, rencontrée dans

environ 80% des pancréatites aiguës. Son évolution est habituellement rapidement résolutive avec disparition de la symptomatologie clinique au cours de la première semaine : la morbidité est faible et la mortalité quasi nulle. Au scanner, le pancréas, œdémateux, présente un rehaussement homogène après injection de produit de contraste ; les tissus péri-pancréatiques apparaissent flous et s’accompagnent de coulées inflammatoires liquidiennes péri-pancréatiques (Acute Peripancreatic Fluid Collection) [Figure 1A]. Au delà de la quatrième semaine, ces coulées évoluent soit vers la résolution complète, soit vers la formation de pseudokystes (qui peuvent parfois se compliquer d’hémorragies ou d’infections [Figure 1B].

Figure 1 : Aspects scanographiques des pancréatites aiguës

Forme œdémateuse à la phase précoce (A) : coulées inflammatoires liquidiennes péripancréatiques (*) et évolution tardive (B) : pseudokystes (**). Forme nécrosante à la phase aiguë (C) : coulées nécrotiques (flèche) et évolution tardive (D) : nécrose encapsulée (fléche)

C

B

A

D

**

*

A

B

C

D

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- La pancréatite nécrosante représente la forme la plus grave de pancréatite aiguë. Plus rare, elle n’est observée que chez 10 à 20 % des patients. Le diagnostic est scanographique. Des coulées nécrotiques (Acute Necrotizing Collection) sont visibles au scanner [Figure 1C]. La nécrose pancréatique correspond à des altérations de la perfusion, visibles sous la forme de zones du pancréas non rehaussées après injection de produit de contraste. L’évolution est progressive au cours de la première semaine, ce qui explique qu’un scanner trop précocement réalisé peut sous-estimer les atteintes radiologiques, nécessitant la répétition des examens d’imagerie.

Plus rarement, les coulées sont exclusivement péri-pancréatiques. Dans ce cas, le pancréas apparait boursouflé et œdémateux, rehaussé de façon homogène après injection de produit de contraste. La nécrose tissulaire peut évoluer, sous la forme de nécrose encapsulée (Wall-Off

Necrosis), par l’accolement des organes de voisinage et une réaction fibrineuse conduisant à la formation, après la 4ème semaine d’évolution, d’une paroi encapsulant les débris tissulaires nécrotiques en voie de liquéfaction [Figure 1D].

En pratique, il est impossible au stade aigu de différencier en imagerie, une coulée inflammatoire liquidienne péri-pancréatique d'une coulée nécrotique extra-pancréatique, en l'absence de nécrose pancréatique. Ceci plaide pour la réalisation d'un contrôle précoce à J7.

3. Évolution et stratification des pancréatites aiguës nécrosantes Dans le cas le plus fréquent (pancréatite œdémateuse), la symptomatologie de la pancréatite aiguë sera rapidement résolutive, accompagnée d’une normalisation progressive des anomalies scanographiques. Le traitement est symptomatique, la morbidité faible et la mortalité quasi nulle. Plus rarement, des complications systémiques et loco-régionales surviennent, principalement en cas de forme nécrosante. Dans ce cas, l’évolution est marquée par deux phases.

Durant la première phase précoce correspondant aux premiers jours, l’extension systémique de l’inflammation pancréatique provoque un syndrome de réponse inflammatoire systémique (SRIS), responsable de défaillances d’organes [4]. Ces atteintes concernent principalement les fonctions respiratoire, cardiovasculaire et rénale, et comptent pour 60 à 80% de la mortalité globale de cette pathologie [5]. La défaillance la plus fréquente concerne l’appareil respiratoire. Elle est présente chez 15% à 55% des patients sous la forme d’épanchements pleuraux, de condensations et atélectasies basales, d’atteinte alvéolaire diffuse, responsables d’une hypoxémie parfois majeure et s’intégrant dans un syndrome de détresse respiratoire aigu (SDRA).

Dans les formes les plus graves nécessitant une admission en réanimation, une ventilation artificielle invasive est nécessaire dans plus de la moitié des cas [1]. Bien que mal élucidée, la physiopathologie de l’atteinte respiratoire au cours de la pancréatite résulte probablement de l’extension systémique de la réaction inflammatoire pancréatique. L’hypothèse que le système lymphatique puisse en être le vecteur a été avancée [6]. La défaillance hémodynamique, parfois sévère, résulte de plusieurs mécanismes intriqués : hypovolémie induite par des vomissements et la constitution d’un troisième secteur, effondrement des résistances vasculaires périphériques et, plus rarement, atteinte myocardique inflammatoire. Il a été suggéré qu’une hypoperfusion tissulaire pancréatique aggraverait les lésions ischémiques, favorisant l’extension de la nécrose. Considérant qu’à la phase aiguë, l’hypovolémie est constante, les référentiels suggèrent qu’une expansion volémique massive et précoce (early agressive fluid ressuscitation) - pouvant atteindre plus de 4000 ml – pourrait limiter l’extension de la nécrose [3].

Deux séries rapportent effectivement une moindre fréquence de syndromes inflammatoires et de dysfonctions d’organes en cas d’expansion volémique précoce (1/3 du volume des premières 72 heures, administré en 24 heures) [7,8]. Ces données sont complétées par une étude « avant-après » rapportant une mortalité plus faible en 2008 qu’en 1998 chez les patients traités pour pancréatite aiguë; les auteurs attribuant cette amélioration du pronostic à une expansion volémique précoce plus importante bien que d’autres facteurs puissent expliquer ce résultat [9]. Néanmoins, deux récents essais prospectifs - l’un randomisé [10] et l’autre observationnel [11] - exposent des résultats

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opposés. En l’absence de données complémentaires, peu d’arguments amènent à penser que l’expansion volémique, nécessaire en cas de dysfonction hémodynamique, nécessite un volume et une précocité différents de ceux habituellement appliqués en réanimation. Le bénéfice théorique d’une hypervolémie précoce sur le contrôle de l’extension de la nécrose pourrait également être contrebalancé par une plus grande fréquence de complications respiratoires et de syndromes du compartiment abdominal. L’insuffisance rénale aiguë rencontrée au cours de l’évolution des pancréatites aiguës est le plus souvent d’origine mixte : fonctionnelle et organique dans ce contexte inflammatoire. La seconde phase de l’évolution des pancréatites aiguës nécrosantes est marquée par l’apparition de complications infectieuses, vasculaires ou digestives.

L’une des préoccupations importantes dans la prise en charge des patients atteints de pancréatite aiguë, est de distinguer précocement les formes bénignes des formes graves, afin de pouvoir orienter les patients dans des unités adaptées à l’évolution prévisible. Pour aider le praticien dans cette délicate démarche de stratification, de très nombreux scores, échelles, critères cliniques, biologiques et scanographiques ont été développés au cours des dernières décennies. Le score clinico-biologique de Ranson a été décrit en 1974 afin de prédire la sévérité des pancréatites aiguës au cours des 48 premières heures. Le score de Glasgow (critères d’Imrie ou score « PANCREAS ») tente également, à partir de critères biologiques, de prévoir la sévérité des formes de pancréatites. Plus récent, le score BISAP (Bedside Index of Severity in Acute Pancreatitis) se propose de corréler la présence de 5 items (confusion mentale, élévation de l’urée sanguine, épanchements pleuraux, syndrome de réponse inflammatoire systémique, âge) avec la mortalité [12].

Plusieurs index de gravité scanographiques sont également proposés. L’index de sévérité scanographique (Computed Tomography Severity Index - CTSI) [13] combine l’évaluation de l’inflammation de la glande pancréatique elle-même (dit score de Balthazar) et du pourcentage de nécrose du parenchyme pancréatique. Le CTSI modifié (MCTSI) [14] comprend 3 items : l’inflammation de la glande pancréatique, le pourcentage de nécrose du parenchyme pancréatique et l’existence de complications extra-pancréatiques [Tableau 1].

Tableau 1 : Index de sévérité scanographique (Computed Tomography Severity Index - CTSI)

Caractéristiques CTSI [13] MCTSI [14]

Inflammation pancréatique (Balthazar)

Pancréas normal (A) 0 0

Elargissement focal ou diffus du pancréas (B) 1 2

Inflammation péri pancréatique (C) 2 2

1 coulée liquidienne (D) 3 4

> 1 coulée liquidienne ou air intra abdominal (E) 4 4

Nécrose du parenchyme pancréatique

0 0 0

< 30% 2 2

30-50% 4 4

> 50% 6 4

Complications extra pancréatiques (épanchement pleural, ascite, complications vasculaires, tube digestif)

NA 2

Le CTSI [13] combine l’évaluation de l’inflammation de la glande pancréatique elle-même (dit score de

Balthazar) et du pourcentage de nécrose du parenchyme pancréatique. Le CTSI modifié (MCTSI) [14] comprend

3 items : inflammation de la glande pancréatique, pourcentage de nécrose du parenchyme pancréatique et

existence de complications extra-pancréatiques

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Des scores, non spécifiques de la pancréatique aiguë, utilisés dans la gradation des défaillances d’organes, ont également été largement étudiés : SOFA (Sequential Organ Failure Assessment), APACHE (Acute Physiology and Chronic Health Evaluation), SAPS (simplified acute physiology score). Leurs prédictibilités statistiques sont souvent proches des autres méthodes utilisées et différent peu de celles obtenues à partir de dosages de bio-marqueurs. Néanmoins, le réel apport de ces outils n’est en fait que très faible en pratique clinique. Ils sont issus d’approches statistiques qui ne permettent pas de bien considérer une situation médicale complexe et réelle. Pour certains scores, une réévaluation est souvent nécessaire à la 48ème heure, alors que le patient s’est déjà aggravé.

Dès lors, plus qu’un calcul systématique d’un ou plusieurs scores, le clinicien doit s’attacher à extraire des conditions et présentations simples lui permettant d’envisager un risque accru de mauvaise évolution. Il n’est absolument pas démontré que, comparativement au bon sens clinique, ces outils, parfois complexes, permettent d’améliorer la prise en charge des patients. C’est probablement cette même réflexion qui est à l’origine des récentes modifications de la classification d’Atlanta des pancréatite aiguës graves [15]. Cette classification définit de façon pragmatique, trois stades permettant de classer la sévérité à partir de l’existence de défaillances d’organes, leur évolution et le développement de complications locales :

- « pancréatite aiguë bénigne » (mild acute pancreatitis) s’il n’existe ni dysfonction d’organe ni complication locale / systémique,

- « pancréatite aiguë modérément sévère » (moderately severe pancreatitis) lorsqu’il existe, de façon transitoire (<48 heures après l'admission), soit une défaillance d’organe soit une complication locale / systémique

- « pancréatite aiguë sévère » (severe acute pancreatitis) lorsqu’une défaillance d’organe (simple ou multiple) persiste au delà de 48 heures.

Dans cette classification, une défaillance d’organe est définie à partir de la classification de Marshall [16] et correspond, pour chaque appareil, à un score > 2. En pratique, une défaillance respiratoire est définie par un rapport PaO2/FiO2 < 300 mmHg, une défaillance hémodynamique lorsque la pression artérielle systolique est inférieure à 90 mmHg malgré une expansion volémique et une insuffisance rénale aiguë en cas de créatininémie > 170 µmol/l. Cette approche a le mérite d'être rapide, simple, intuitive, reproductible au cours de l’évolution et cliniquement pertinente. De plus, elle permet de stratifier immédiatement les patients en considérant systématiquement une admission en structure de soins aigus pour ceux présentant une forme modérément sévère ou sévère.

4. Complications locorégionales des pancréatites aiguës nécrosantes Les complications locorégionales sont classiquement retardées et apparaissent après quelques semaines d’évolution. Elles expliquent le second pic de mortalité observé après celui dû aux défaillances d’organes précoces. On distingue habituellement 3 grands types de complications locorégionales : les complications d’origines vasculaires, digestives et infectieuses. 4.1. Complications vasculaires

Les complications vasculaires sont hémorragiques ou thrombotiques. Les hémorragies sont le plus souvent d’origine artérielle. Elles font suite à la constitution de faux-anévrysmes ou à l’érosion de vaisseaux digestifs (artère gastroduodénale ou artère splénique principalement), dont la rupture est responsable d’hémorragies digestives, intra-abdominales ou extériorisées par les drains, souvent cataclysmiques. Lorsque cela est possible, un traitement endovasculaire artériel sera envisagé en urgence. Les complications thrombotiques intéressent de façon prédominante le système veineux digestif (veine splénique dans 10 à 40% des cas) et entrainent ou aggravent une hypertension portale segmentaire. Dans ce cas, une anticoagulation doit être discutée.

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4.2. Complications digestives

La nécrose tissulaire intra-abdominale peut léser le tube digestif soit par agression directe, soit par atteinte des vaisseaux de l’intestin et conduire à des nécroses digestives. En cas de perforation digestive, le diagnostic de péritonite reste difficile chez ces patients généralement sédatés et ventilés en réanimation. Une attention particulière doit être apportée à l’augmentation de la pression abdominale consécutive au développement de collections nécrotiques, d’ascite et d’œdème viscéral favorisé par la fuite capillaire précoce et le remplissage vasculaire qu’elle impose pour maintenir la volémie.

En cas d’apparition d’une ou plusieurs défaillances respiratoire, hémodynamique ou rénale, il est nécessaire de mesurer régulièrement la pression intra-abdominale. La méthode recommandée est simple : elle consiste à mesurer à l’aide d’un transducteur de pression, similaire à celui utilisé pour monitorer la pression artérielle, introduit dans la sonde vésicale clampée, la pression résiduelle dans la vessie après injection d’un volume de 25 ml de chlorure de sodium isotonique. Une pression supérieure à 12 mmHg indique une hypertension intra-abdominale. Un syndrome du compartiment abdominal est défini par une pression intra-abdominale supérieure à 20 mmHg associé à l’aggravation ou l’apparition d’une nouvelle défaillance d’organe. Dans ce cas, un traitement doit rapidement être instauré. Il repose sur l’augmentation de la compliance de la paroi abdominale (sédation, curarisation), l’évacuation des contenus digestifs intra-luminaux (aspirations digestives) et le drainage percutané de collections intra-abdominales, avant d’envisager une décompression chirurgicale avec fermeture cutanée exclusive ou laparostomie parfois nécessaire en cas de défaillance multiviscérale.

4.3. Complications infectieuses

Les complications infectieuses sont fréquentes. Classiquement les pneumonies et bactériémies se développent durant la première semaine. Elles constituent un facteur supplémentaire de gravité et sont associées à une mortalité augmentée [17]. Les patients plus sévèrement atteints développent secondairement des infections nosocomiales en rapport avec un séjour prolongé en réanimation.

L’infection de la nécrose concerne près de la moitié des patients :

- Elle complique seulement les formes nécrosantes de pancréatite aiguë et semble d’autant plus fréquente que la nécrose est étendue [17].

- Elle résulte d’une altération de la barrière intestinale expliquant que les germes habituellement retrouvés comprennent des entérobactéries (Escherichia coli, Klebsiella spp), des bactéries de la famille des entérocoques et des staphylocoques, ainsi que des levures dans environ 17% des cas [17,18].

- Elle survient classiquement à partir de la 3ème semaine d’évolution, bien que des formes plus précoces ne soient pas rares [17], et contribue à l’aggravation de la réponse inflammatoire systémique et des défaillances viscérales [19].

- Elle s’accompagne d’une aggravation du pronostic : dans une série récente, la mortalité atteignait 30% en cas d’infection de nécrose contre 5% parmi les patients indemnes d’infection [17].

Une prise en charge en milieu spécialisé est le plus souvent nécessaire. Son diagnostic est difficile car les signes spécifiques de l’infection sont masqués par le syndrome de réponse inflammatoire systémique, quasi constant chez ces patients qui, tous, présentent : fièvre, hyperthermie, hyperleucocytose et polypnée. Le diagnostic doit donc être suspecté devant un syndrome infectieux inexpliqué et l’apparition, la persistance ou l’aggravation d’une défaillance d’organe. Le seul élément scanographique permettant de confirmer le diagnostic positif, est la présence de bulles gazeuses au sein des collections pancréatiques mais dont la sensibilité est faible de 15 à 30%. Dans les tous cas, un examen microbiologique des tissus nécrotiques ponctionnés à aiguille fine sous guidage radiologique (scanner ou échographie) est nécessaire. En cas de persistance d’un syndrome inflammatoire faisant suspecter une infection de nécrose, cette procédure sera répétée de façon hebdomadaire.

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L’utilité d’une antibiothérapie systématique dans la prévention de l’infection de nécrose a longtemps été débattue. La classe pharmacologique a également une importance dans ce débat, sachant que la diffusion des antibiotiques au sein de la nécrose n’a été montrée que pour les carbapénèmes, les quinolones, le métronidazole et les céphalosporines de 3ème génération à fortes posologies. Les essais contrôlés randomisés publiés ces vingt dernières années n’ont pas prouvé le bénéfice d’une antibiothérapie probabiliste. Il n’est néanmoins pas exclu que l’imipenème puisse, dans le sous-groupe des patients les plus graves, limiter la survenue des infections, mais le faible effectif des patients inclus limite la puissance statistique de cette donnée. C’est la raison pour laquelle une antibiothérapie prophylactique systématique de l’infection de nécrose n’est pas indiquée en cas de pancréatite aiguë nécrosante, même en présence de signes clinico-biologiques d’inflammation [20].

5. Prise en charge de l’infection de nécrose pancréatique En cas d’infection de nécrose lors de l’évolution d’une pancréatite aiguë, le traitement associe un drainage des tissus infectés à une antibiothérapie adaptée aux données des examens microbiologiques. Encore récemment exclusivement chirurgical, le drainage des collections infectées peut-être aujourd’hui proposé par voie percutanée sous contrôle radiologique (échographie ou scanner), par voie chirurgicale retro-péritonéale ou par voie endoscopique transgastrique. Le récent développement de ces techniques mini-invasives permet aujourd’hui de disposer de plusieurs thérapeutiques dont les places respectives restent à préciser. 5.1. Nécrosectomie chirurgicale

L’objectif du traitement chirurgical est d’assurer une détersion pérenne des foyers nécrotiques infectés. La technique associant débridement, nécrosectomie, drainage et irrigation-lavage continu intra abdominal est la plus répandue. Il s’agit d’une intervention standardisée [21]. Elle débute par une coeliotomie antérieure le plus souvent bi-sous-costale, permettant de réaliser un débridement intra-abdominal en ouvrant toutes les zones de diffusion des coulées de nécrose pancréatique (gouttières pariéto coliques et espaces pré rénaux, accolement duodéno-pancréatique, racines du mésentère et du mésocôlon transverse). Après ouverture de l’arrière cavité des épiploons, la loge pancréatique est accessible. Les foyers nécrotiques peuvent alors être détergés en totalité et les collections évacuées.

L’étape suivante est la mise en place de drains de bon calibre, dans les zones de nécrosectomie, qui vont permettre d’effectuer, durant la période postopératoire, des lavages continus à grand débit (plusieurs litres/24 heures) au chlorure de sodium isotonique. Les drains et irrigations sont maintenus en postopératoire tant que la nécrose et/ou la surinfection persistent puis seront enlevés progressivement, habituellement après plusieurs semaines. Le but de cette opération est d’obtenir une détersion complète et durable de l’abdomen et d’éviter ainsi les réinterventions pour drainages ou nécrosectomie itératifs. Cette technique a aussi l’avantage de permettre la réalisation d’une cholécystectomie en cas de cause biliaire, d’un drainage biliaire transcystique, et de la confection d’une jéjunostomie pour nutrition postopératoire. Cette large voie d’abord permet également de traiter d’éventuelles complications digestives associées : perforations ou nécroses intestinales parfois passées inaperçues.

Cette procédure chirurgicale de nécrosectomie, drainage et lavage peut parfois être réalisée par une voie d’abord chirurgicale rétropéritonéale (ou lombotomie) uni ou bilatérale si les foyers sont localisés aux espaces rétropéritonéaux. Néanmoins, ce dernier type de nécrosectomie est alors réalisé à l’aveugle et peut être source d’hémorragies ou de plaies digestives. De plus, elle ne permet pas d’associer une cholécystectomie ou jéjunostomie d’alimentation et fait l’impasse sur d’éventuelles lésions digestives associées. D’autres modalités chirurgicales ont été proposées et abandonnées car inefficaces ou trop morbides telle que la résection pancréatique réglée.

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La technique de ventre ouvert (ou laparostomie) nécessite des chirurgies itératives et rapprochées qui sollicitent des moyens et les équipes soignantes de façon répétée [22]. Elle est également associée à une morbidité importante par fistules digestives notamment et est aujourd’hui abandonnée.

Déterminer la meilleure période pour opérer est complexe. Une intervention trop précoce risque de ne pas permettre un débridement efficace, les zones nécrotiques n’étant pas encore bien délimitées par le processus évolutif de la pancréatite aiguë. A l’inverse, une intervention trop tardive augmente le risque de ne pas traiter à temps une complication septique pancréatique ou digestive associée. L’analyse de la littérature est délicate en raison des biais inhérents aux essais de ce type : les patients opérés précocement au cours de l’évolution de la maladie (dans les 2 à 3 premières semaines) et dont la mortalité post-opératoire est la plus élevée (atteignant 40 à 50% dans certaines séries rétrospectives) sont aussi ceux dont la sévérité de la pancréatite aiguë initiale est maximale. Ainsi une étude américaine, portant sur 167 malades, comparant deux groupes selon que la chirurgie était réalisée avant ou après le 28ème jour, a montré un taux de mortalité significativement plus élevé (20%) dans le groupe opéré précocement, contre 5% dans le groupe opéré après le 28ème jour [23].

En pratique, en cas de suspicion d’infection de nécrose (fièvre, hyperleucocytose, absence d’amélioration ou aggravation de défaillance d’organe, bulles gazeuses intra-nécrotiques), une ponction-drainage des collections nécrotiques pourra d’emblée être réalisée accompagnée d’un prélèvement pour examen microbiologique. En cas de prélèvement stérile, le drain sera immédiatement enlevé afin de prévenir le risque d’infection induit par un drainage prolongé. En cas de positivité, une antibiothérapie sera instaurée. Cette procédure permet de limiter le nombre de transports de patients parfois poly-défaillants au scanner. 5.2. Drainage percutané guidé par imagerie

Le drainage percutané des collections nécrosées infectées est réalisé sous contrôle radiologique scanographique ou échographique. Le calibre minimum recommandé des drains est de 12 French. Idéalement, il sera posé un drain par collection indépendante. Les drains pourront être irrigués avec de faibles quantités de chlorure de sodium isotonique plusieurs fois par jour pour s’assurer de leur perméabilité et prévenir leur obstruction. Les deux voies d’abord trans ou rétropéritonéales sont possibles, bien que la voie rétropéritonéale soit la voie préférentielle, afin de minimiser les risques de contamination bactérienne et de fistule digestive. Les premières séries rétrospectives ont montré que le drainage permettait d’éviter ou de différer la chirurgie à une date plus optimale [24] et ce d’autant plus efficacement que le score de Ranson était inférieur à 3 et le délai de drainage supérieur à 18 jours après le début de la maladie [25].

Dans une revue systématique rassemblant 11 études et un collectif de 384 patients, il n’y avait qu’un seul essai randomisé, seules 4 études décrivaient des défaillances viscérales et 70% des patients présentaient une infection de nécrose. Le traitement était réalisé par drainage percutané seul dans 56% des cas et le taux de mortalité globale était de 17 % [26].

Plus récemment, un essai randomisé rapportait qu’une approche mini invasive associant drainage radiologique premier suivi, si nécessaire, d’une nécrosectomie chirurgicale le plus souvent rétropéritonéale, réduisait significativement la fréquence des complications graves, en comparaison avec une nécrosectomie chirurgicale d’emblée (40% versus 69%). Cet essai montrait également que chez plus d’un tiers des patients, le drainage seul suffisait à contrôler l’infection de nécrose, sans nécessité d’une intervention chirurgicale secondaire. [27]. 5.3. Nécrosectomie transgastrique endoscopique

L’objectif du traitement endoscopique est de contrôler le sepsis en débridant les tissus pancréatiques et péripancréatiques, évacuant le matériel purulent, et drainant la collection sans toutefois obtenir d’emblée un débridement total. Ceci peut être associé au traitement endoscopique spécifique d’une sténose ou d’une éventuelle communication avec les canaux pancréatiques, par la mise en place d’une prothèse canalaire au cours d’un cathétérisme rétrograde du canal de Wirsung.

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La première étape consiste à créer un accès transgastrique (le plus souvent à la face postérieure de l’estomac) ou plus rarement transduodénal, à la cavité rétropéritonéale par ponction sous échoendoscopie à l’aiguille de 19 Gauges, suivie d’un élargissement de l’ouverture à l’aide d’un cystotome. Le contrôle échoendoscopique permet de déterminer le site optimal de drainage et de réduire le risque hémorragique en repérant les vaisseaux et en dépistant une éventuelle hypertension portale. Ce geste doit être fait sous insufflation au C02 afin de minimiser le risque d’embolie gazeuse. Après insertion d’un fil guide dans la collection sous guidage fluoroscopique, un drain naso-kystique est mis en place pour le lavage ainsi qu’une ou plusieurs prothèses en queue de cochon voire une prothèse métallique pour assurer le drainage pérenne.

La deuxième étape, réalisée généralement après 48 h en l’absence d’amélioration, consiste à dilater davantage l’orifice par un ballonnet de diamètre variant de 15 à 30 mm puis à introduire un gastroscope dans la cavité, permettant l’irrigation, l’aspiration et un débridement endoscopique de la nécrose à l’aide de divers instruments d’endoscopie interventionnelle non spécifiques à ce geste (anses, paniers, pinces…) [28]. La nécrosectomie complète est généralement obtenue en plusieurs séances (en moyenne 1 à 4) séparées de 2 à 4 jours jusqu’à ce que la majorité des débris nécrotiques ait été évacuée et le sepsis contrôlé. Enfin, le drainage de la cavité résiduelle se fait à l’aide des prothèses en double queue de cochon pendant une durée de 6 à 12 semaines.

Selon les études rétrospectives multicentriques récentes [Table 2], l’efficacité de la procédure varie de 75 à 91 %, avec une morbidité de 14 à 33 % et une mortalité de 6 à 11 % [29-31]. Les principales complications sont la perforation et les hémorragies. La mortalité est liée à des hémorragies massives et des embolies gazeuses (dont l’incidence est diminuée par l’usage d’une insufflation au CO2). A noter que le nombre moyen de séances varie de 3 à 6 et le délai moyen par rapport au début de la pancréatite est de 40 jours.

Table 2 : Etudes rétrospectives multicentriques

Etude GEPARD [29] Etude US [30] Etude JENIPaN [31]

Patients (n) 93 104 57

Nécrose infectée 76% 42% 100%

Douleurs persistantes 88% 61% ND

Nombre moyen de séances

6,2(1-35) 3,7 (1-13) 5,0 (1-20)

Délai par rapport à la PA (jours)

43 (11-158) 46 (6-510) 50 (13-436)

Succès 80% 91% 75%

Complications * 26% 14% 33%

Mortalité 7,5% 5,7% 11,0% Résumés des résultats des principales séries descriptives de la technique de nécrosectomie transgastrique par

voie endoscopique

* PA : pancréatite aiguë - ** Complications : hémorragies mineures ou majeures, perforations péritonéales,

fistules, pneumopétitoine, embolies gazeuses.

6. Indications et stratifications thérapeutiques L’étude néerlandaise randomisée PANTER a mis en évidence le bénéfice des techniques mini invasives par rapport à la chirurgie, en comparant chez 88 patients, une approche graduée (step-up) consistant en un drainage percutané ou transgastrique endoscopique suivi d’un éventuel débridement rétropéritonéal sous cœlioscopie en cas de non-amélioration au bout de 72 heures, à la chirurgie conventionnelle d’emblée [27]. Le critère de jugement principal était la survenue de complications majeures (décès, défaillance multiviscérale, perforation d’organe creux, saignements).

Le risque de survenue de complications majeures et de défaillances viscérales était statistiquement supérieur dans le groupe de chirurgie conventionnelle comparé au groupe d’approche mini-invasive (69 % vs 40 % et 42% vs 12%). Le risque de survenue d’un diabète séquellaire et d’une insuffisance

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pancréatique exocrine était significativement moindre dans le groupe d’approche mini-invasive (16% vs 38%; 7% vs 33%). En revanche, la mortalité globale n’était pas significativement différente (19% pour la chirurgie vs 16% pour l’approche mini-invasive). A noter que 35% des patients dans le groupe step-up ont été traités par drainage percutané seul.

La place de la nécrosectomie endoscopique parmi les techniques mini invasives a été étudiée dans une étude randomisée du même groupe. L’étude PENGUIN a comparé la nécrosectomie par voie transgastrique à la nécrosectomie par voie rétropéritonéale vidéo-assistée ou transpéritonéale chez 20 patients. Le critère de jugement principal était l’évolution du profil inflammatoire en post-procédure (évolution du taux d’interleukine- 6 [IL-6]), les critères secondaires et la survenue de complications majeures (défaillance multiviscérale, saignement intra-abdominal, fistule entérocutanée ou pancréatique et décès) [32]. Le taux d’IL-6, pro-inflammatoire, baissait significativement chez 80% des patients du groupe endoscopie vs 20% du groupe chirurgie. Aucun patient du groupe endoscopie n’a présenté de défaillance multiviscérale en post-procédure contre 50% dans le groupe chirurgie. Le taux de fistule pancréatique post-procédure était significativement diminué dans le groupe endoscopie (10% vs 70%). Enfin le taux de mortalité était de 10% soit quatre fois moindre dans le groupe endoscopie sans cependant atteindre la significativité statistique. De plus, le traitement endoscopique était associé à une fréquence moindre d’insuffisance pancréatique exocrine (30% dans le groupe chirurgical contre 0% dans le groupe endoscopie).

Au vu de ces données, en cas de nécrose infectée, une approche multidisciplinaire graduée (step-up) doit être privilégiée. Le premier temps thérapeutique consiste à réaliser un drainage percutané radiologique (ou transgastrique endoscopique) puis secondairement, en cas de persistance du sepsis, un débridement soit par voie endoscopique, soit par voie chirurgicale conventionnelle ou retro-péritonéale. Cette démarche permet de contrôler rapidement les lésions infectieuses nécrotiques sans avoir recours à une intervention chirurgicale précoce (<4 semaines) dont on a rappelé les difficultés et limites. Néanmoins, une indication chirurgicale demeure, en cas de syndrome du compartiment abdominal, de suspicion de nécrose ou perforation digestive, d’absence d’amélioration ou d’aggravation des défaillances d’organes malgré un drainage radiologique efficace, ou encore d’hémorragie intra-abdominale pour laquelle un traitement endovasculaire n’est pas possible (accessibilité, disponibilité). Cette démarche est résumée dans la figure 2 proposant un algorithme de prise en charge qui ne prétend ni être définitif, ni relevant entièrement de la « médecine factuelle» tant les données clés sont encore manquantes pour le traitement de ces patients. Il résulte d’un raisonnement physiopathologique, de l’analyse de la littérature et de l’expertise des auteurs.

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Figure 2. Proposition d’algorithme de prise en charge des pancréatites aiguës nécrosantes

TDM ; tomodensitométrie ; NE, nutrition entérale * en cas d’impossibilité de traitement endovasculaire

PRISE EN CHARGE DES PANCREATITES AIGUES NECROSANTES Algorithme de Saint-Antoine

Discuter NECROSECTOMIE Chirurgicale ou endoscopique

BILAN SYSTEMATIQUE TDM dans les 48 heures

Echographie abdominale dans les 48

ALIMENTATION ET NUTRITION Alimentation orale ou entérale dès J3-J5

25-30 kcal/kg/jour Nutrition parentérale: - Si intolérance à la NE

INDICATIONS CHIRURGICALES Syndrome du compartiment abdominal

Suspicion d’ischémie digestive Suspicion de perforation digestive

Hémorragie digestive*

SUSPISCION D’INFECTION DE NECROSE Hyperleucocytose/fièvre/absence d’amélioration ou aggravation des défaillances d’organes/ bulles gazeuses

intranécrotiques au scanner

SCANNER en urgence et DRAINAGE des collections nécrotiques

pour EXAMEN BACTERIOLOGIQUE

SI DEFAILLANCE D’ORGANES Admission en unité de soins aigus

Monitorage de la pression

Bactério STERILE

Bactério POSITIVE

ABLATION DU DRAIN

ANTIBIOTHERAPIE DRAINAGE

AMELIORATION

STAGNATION AGGRAVATION

AMELIORATION

STAGNATION AGGRAVATION

5-7 jours 5-7 jours

3-4 semaines

TRA

NSF

ERT

EN C

ENTR

E

SPÉC

IALI

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7. Alimentation et nutrition Le syndrome de réponse inflammatoire systémique (SRIS) compliquant l’évolution précoce des formes nécrosantes de pancréatites aiguës s’accompagne d’importantes modifications hormonales aboutissant à la réorientation des priorités métaboliques de l’organisme. L’augmentation de la dépense énergétique [33] combinée à une réduction des apports peut, dans ce contexte, aggraver la dette calorique responsable des complications habituelles liées à la dénutrition (infections, troubles trophiques, défaut de cicatrisation, escarres). De façon similaire, l’hyper catabolisme musculaire, constant en phase d’agression, se traduit par une perte rapide de masse maigre expliquée par une importante destruction protéique. Une alimentation orale peut être débutée à partir du 3ème jour chez les patients les plus stables. Lorsque les ingestas ne permettent pas de couvrir les besoins, une nutrition artificielle est initiée. Les résultats d’une méta-analyse ont récemment confirmé la supériorité de la voie entérale en comparaison avec la voie parentérale (réduction de la mortalité, de la fréquence de défaillances multiviscérales et d’infections) [34].

Les résultats de l’étude PYTHON devraient très prochainement préciser l’intérêt d’une nutrition entérale hyper précoce (initiée dans les 24 heures) en comparaison avec un début (oral ou entéral) plus tardif (72 heures). De façon comparable aux patients agressés, les apports caloriques recommandés sont compris entre 25 et 30 kcal/kg/jour à la phase aiguë [35]. En cas d’intolérance de la voie entérale, ne permettant pas de couvrir la dépense énergétique après 5 à 7 jours, une nutrition parentérale exclusive ou complémentaire pourra être discutée. L’utilisation prophylactique de probiotiques n’est pas indiquée dans ce contexte : dans un essai randomisé, leur administration s’accompagnait d’une augmentation du risque de mortalité [17].

Conclusion Dans sa forme nécrosante, la pancréatite aiguë demeure une pathologie grave dont la mortalité, proche de 20%, s’explique par l’importance des défaillances d’organes à la phase initiale (première semaine) et par la survenue de complications vasculaires, digestives et surtout infectieuses plus tardives. L’infection de la nécrose pancréatique constitue un tournant dans l’évolution de cette affection. L’antibioprophylaxie systématique ne semble pas prévenir sa survenue ; son diagnostic nécessite la ponction guidée par imagerie des tissus nécrotiques ; et son traitement repose sur le drainage et une antibiothérapie adaptée.

Dans ce contexte, les nouvelles techniques mini-invasives permettent dorénavant de retarder voire de limiter le recours à la chirurgie conventionnelle, bien que leur place et association doivent encore être précisées. Comme pour toute situation d’agression, le support nutritionnel est crucial.

Aujourd’hui, la prise en charge des formes sévères de pancréatites aiguës nécrosantes doit être multidisciplinaire, au sein de centres spécialisés, disposant d’équipes d’anesthésie-réanimation, chirurgicales, radiologiques et endoscopiques coordonnées.

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