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HAL Id: hal-00846989 https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00846989 Submitted on 6 May 2020 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés. Proposition méthodologique pour l’évaluation des projets de développement agricole : l’évaluation systémique d’impact . J. Delarue, Hubert Cochet To cite this version: J. Delarue, Hubert Cochet. Proposition méthodologique pour l’évaluation des projets de développe- ment agricole: l’évaluation systémique d’impact .. Economie Rurale, Société Française d’Économie Rurale, 2011, p. 36-54. hal-00846989

Proposition méthodologique pour l’évaluation des projets

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HAL Id: hal-00846989https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00846989

Submitted on 6 May 2020

HAL is a multi-disciplinary open accessarchive for the deposit and dissemination of sci-entific research documents, whether they are pub-lished or not. The documents may come fromteaching and research institutions in France orabroad, or from public or private research centers.

L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, estdestinée au dépôt et à la diffusion de documentsscientifiques de niveau recherche, publiés ou non,émanant des établissements d’enseignement et derecherche français ou étrangers, des laboratoirespublics ou privés.

Proposition méthodologique pour l’évaluation desprojets de développement agricole : l’évaluation

systémique d’impact .J. Delarue, Hubert Cochet

To cite this version:J. Delarue, Hubert Cochet. Proposition méthodologique pour l’évaluation des projets de développe-ment agricole : l’évaluation systémique d’impact .. Economie Rurale, Société Française d’ÉconomieRurale, 2011, p. 36-54. �hal-00846989�

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36 • ÉCONOMIE RURALE 323/MAI-JUIN 2011

Ce qu’il faut mesurer

L’évaluation de l’impact des projets et/oudes programmes repose sur un principe

simple : mesurer un différentiel entre deuxsituations : celle résultant de la mise enplace du projet d’une part, et celle qui auraitprévalu si le projet n’avait pas été mis enplace d’autre part – comme le rappelle laplupart des ouvrages et manuels consacrésaux méthodes d’évaluation de projet (Bridieret Michailof, 1 980 ; Casley et Lury, 1982 ;Gittinger, 1985 ; Dufumier, 1996 ; Baker,2000).

En effet, l’indicateur d’impact que l’oncherche à mesurer peut varier sous l’effet desrésultats de l’intervention, mais aussi defacteurs exogènes à celle-ci ; facteurs quipeuvent être indépendants ou influencés euxaussi par le projet. Il s’agit donc d’isolerdans l’indicateur d’impact la variation dueau projet ou au programme de celle quiaurait également eu lieu en son absence.

Ainsi, la mise en évidence des effetsdirects et indirects réellement imputables àun projet ne peut être abordée qu’en recons-tituant le différentiel existant entre la situa-tion résultante de la mise en œuvre du pro-jet (sur la « durée de vie fonctionnelle »estimée des investissements réalisés) et cellequi aurait prévalu (sur une durée équiva-lente) si le projet n’avait pas été mis enplace, aussi dénommée « situation contre-factuelle ».

1. L’établissement d’un scénario contrefactuelPour évidente qu’elle soit, l’idée de rendreapparent un différentiel [avec – sans] projet

n’est pourtant pas toujours mise en œuvre,loin de là, notamment parce que la recons-titution du scénario sans projet se heurte àde nombreuses difficultés (voir infra) etrepose trop souvent sur quelques a priori ouchoix subjectifs de l’évaluateur. Commentaurait évolué la situation du groupe cible enl’absence de projet ? Parmi les changementsobservés, quels sont ceux qui sont réellementimputables en tout ou partie, au projet ?Quels sont ceux au contraire qui auraient eulieu de toute façon si le projet n’avait pas étémis en place ? Et sur quoi se baser pouraborder cette question ? Devant de tellesdifficultés, nombreux sont les évaluateursqui se contentent de comparer la situationqu’ils peuvent effectivement observer etmesurer (la situation « avec projet ») avec lasituation de départ, « avant projet », pourpeu que cette dernière ait été convenable-ment analysée.

Or, le différentiel ainsi obtenu [avec –avant] projet, ne permet pas, bien sûr, d’ap-procher le véritable impact d’un projet, pasdavantage que le différentiel [après – avant].Ces deux erreurs conduisent en général à unesurestimation importante de l’impact commel’illustre la figure 1.

L’utilisation de la valeur de l’indicateurd’impact avant projet comme base de calcul,au lieu de reconstituer un scénario « sansprojet », repose en fait sur une hypothèseimplicite lourde de sens, celle de l’immo-bilisme des sociétés rurales et de leur inca-pacité à se transformer et à évoluer horsprojet ou intervention exogène. Bien quelargement infirmé par les faits comme en

Proposition méthodologique pour l’évaluationdes projets de développement agricoleL’évaluation systémique d’impactJocelyne DELARUE • Agence française de développement, AFD, Paris Hubert COCHET • AgroParisTech, UFR Agriculture comparée et Développement agricole

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témoignent les nombreux travaux réalisésdans le monde sur cette question, de nom-breux « développeurs » et « évaluateurs » secontentent encore trop souvent de cette idée,par trop rassurante, que tout serait resté àl’identique, constant, si l’intervention sousforme de projet n’avait pas eu lieu.

Autrement formulée, la construction duscénario « sans projet » permet de ne pasfaire l’erreur d’attribuer au projet les effetsque les événements extérieurs ou les dyna-miques endogènes des systèmes étudiés ontégalement eus sur les individus.

Dans l’idéal, il faudrait donc pouvoirobserver, pour les individus concernés par leprojet, la façon dont leur situation auraitévoluée en l’absence de celui-ci mais unetelle observation est par définition impos-sible. Il est par conséquent nécessaire derechercher dans la population un groupe

d’individus non touchés par le projet et dontl’évolution peut être assimilée à celle qu’au-raient suivie les individus concernés dans lasituation « sans projet ».

En toute rigueur, le différentiel ainsiobtenu résulte non seulement de l’impact duprojet mais également de différences exis-tantes préalablement entre les individus desdeux groupes, créant un « biais de sélec-tion » dans la mesure de l’impact. Il est parconséquent indispensable de s’assurer que lacomparaison est réalisée entre des individusles plus semblables possibles au départ. Ilsera ainsi nécessaire d’identifier et d’appa-rier des agriculteurs dont les systèmes deproduction et les dynamiques étaient lesmêmes avant le projet – chacun de ces sys-tèmes étant alors modélisé (infra) – et deconstruire des scénarios avec et sans projetpour chacun de ces sous-groupes.

ÉCONOMIE RURALE 323/MAI-JUIN 2011 • 37

RECHERCHESJocelyne DELARUE, Hubert COCHET

Figure 1. Illustration de deux erreurs communes des évaluations d’impact

Source : les auteurs

Indicateurd’impact

Tempst0 t1 t2

Avec

Sans

Indicateurd’impact

Tempst0 t1 t2

Avec

Sans

Ce qu’il faut mesurer :

Le différentiel d’indicateur d’impact« avec » - « sans » entre t0 et t2 (représen-té par les deux aires hachurées)

■ Aire de différentiel positif■ Aire de différentiel négatif

Exemple d’erreur à éviter :

Calculer le différentiel « avec » - « avant »et supposer ainsi implicitement que l’in-dicateur choisit serait resté stable « sansprojet ».

Page 4: Proposition méthodologique pour l’évaluation des projets

Cette diversité doit donc être conservéepar l’échantillonnage afin de s’assurer queles différents groupes concernés directe-ment et indirectement par le projet ont bienété identifiés et effectivement enquêtés (voirinfra).

2. Situation avec projet et choix de ou desindicateur(s) d’impactLa définition précise de la situation avecprojet est tout aussi importante et présentenon moins de difficultés que la constructiondu scénario sans projet.

Il s’agit en premier lieu de bien cerner lescontours de l’intervention, et de ne pas luiattribuer, par exemple, les effets de projetsplus anciens qui auraient tardé à se maté-rialiser : ceux-ci doivent, en effet, être inclusdans le scénario sans projet.

De plus, le raisonnement sur le scénarioavec projet doit permettre de préciser le pasde temps de la mesure d’impact : il faut eneffet établir un différentiel qui s’étende dudémarrage du projet jusqu’au moment oùles effets de celui-ci s’estompent, les inves-tissements consentis arrivant à bout desouffle, et non pas seulement sur la duréede vie de la « structure projet » le plussouvent beaucoup plus éphémère.L’exemple de la Société guinéenne de pal-miers à huile et d’hévéas (SOGUIPAH,voir infra) illustre l’importance de mesurerles impacts de ce projet sur toute la duréede vie des plantations, soit 40 ans pourl’hévéa : la mesure d’un différentiel uniqueà un temps t donnerait une image erronéede l’impact du projet, dans la mesure où lesrendements des plantations varient au coursdu temps, tout comme l’ensemble des prixrelatifs...

Cela implique en principe de réaliserl’évaluation en ex post mais on perd alors undes avantages de l’évaluation en cours deprojet, celui de pouvoir servir de base pourla réorientation du programme. Il s’avèredonc préférable dans la plupart des cas deréaliser l’évaluation d’impact bien avantcette échéance (in itineri). Le différentiel

d’impact se décompose alors nécessaire-ment entre une mesure des premiers résul-tats obtenus (différentiel d’impact ex post)et une projection de ce différentiel dansl’avenir (ex ante).

Enfin, le choix de l’indicateur d’impact(ou des indicateurs d’impact) doit être soi-gneusement raisonné pour donner uneimage fidèle de l’impact réel du projet. Ilpeut s’avérer peu pertinent de choisir unindicateur correspondant stricto sensu auxobjectifs affichés par le projet, s’il ne per-met pas d’appréhender certains effets inat-tendus. Il est commun, par exemple, dechoisir pour indicateur le revenu moné-taire des familles : or, dans la plupart despays du Sud, l’autoconsommation tientune part importante dans les stratégies desménages, de sorte que la mesure du revenuéconomique, plus délicate car incluant laproduction autoconsommée1, est en géné-ral mieux adaptée. Nous en donnerons unexemple avec la mesure d’impact de laSOGUIPAH (infra).

3. La qualité des informations collectéesL’échantillonnage des individus à enquêteret la construction rigoureuse des scénariosavec et sans projet sont des moyens des’assurer que le différentiel mesuré estbien attribuable au projet, et non à d’autresfacteurs d’évolutions, exogènes ou endo-gènes.

Ces principes méthodologiques ne peu-vent cependant suffire à assurer une mesurevalide de l’impact, car un protocole d’en-quête irréprochable peut livrer des infor-mations erronées. Ainsi, dans la plupartdes contextes agraires des pays en déve-loppement, les informations chiffrées sur lerevenu économique des agriculteurs nesont pas disponibles et il est indispensablede consacrer du temps à des enquêtes dif-ficiles, nécessitant de soigneux recoupe-ments, pour pouvoir obtenir des données dequalité.

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Sociétés rurales : l’impact des projets de développement

1. Celle-ci étant valorisée à son coût d’opportunité.

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Mesurer l’impact des projetsAperçu des méthodes employées

Lorsque les évaluateurs prennent à bras-le-corps le problème du scénario sans projet(ou situation contrefactuelle) et se donnentles moyens de le reconstituer, plusieursméthodes sont couramment employées.

1. Les méthodes quantitatives

Ces méthodes2, du domaine des statistiques,permettent la mesure de l’indicateur d’im-pact sur un grand nombre d’individus appar-tenant aux groupes concerné (ou groupe detraitement) et non concerné (ou groupetémoin) par le programme. La valeur dudifférentiel obtenue est réputée fiable enraison de la grandeur de l’échantillon.

Parmi les méthodes quantitatives, laméthode expérimentale (ou de randomisa-tion) s’efforce de réduire le biais de sélectionentre les deux groupes en réalisant avantl’intervention, et dans une population donnée,un tirage aléatoire des individus qui vontêtre concernés par l’intervention et des indi-vidus qui constitueront le groupe témoin(les individus sont ainsi statistiquement équi-valents) (Duflo et Kremer, 2003).

Cette méthode peut apparaître comme laplus rigoureuse dans la mesure où l’impact duprojet est mesuré par la seule différence derésultat entre le groupe touché et le groupetémoin. Par ailleurs, elle permet une inter-prétation simple et immédiate des données3.

Il semble d’ailleurs que cette méthode aitsurtout été utilisée pour mesurer l’impact deprogrammes sociaux consistant à distribuerun service ou un bien (équipement d’écolier,repas gratuit, médicaments, etc.), ou dessubsides avec conditionnalité (Duflo et Kre-mer, op. cit.). Il est alors concevable decomparer deux échantillons statistiquementreprésentatifs et définis a priori, d’une partde la population ayant bénéficié de la dis-tribution du bien ou service en question, etd’autre part de la population n’ayant pasbénéficié du même avantage, tout en s’as-surant que l’action du projet n’a pas d’effetindirect sur le groupe témoin4.

Pourtant, bien que la simplicité théo-rique de la méthode expérimentale la rendeséduisante, il apparaît difficilement conce-vable d’en envisager l’application dans ledomaine du développement agricole. Lamajorité des projets de développementagricole et rural sont en effet d’une com-plexité beaucoup plus grande que la simpledistribution de cahier d’écolier ou de médi-caments, notamment lorsqu’une phase d’in-vestissement productif a lieu en début deprojet (aménagement parcellaire, systèmed’irrigation, etc.). Par ailleurs, le risquede passage d’un individu du groupe« témoin » au groupe « cible » et récipro-quement ou l’existence d’effets indirects duprogramme sur les non bénéficiaires sonthautement probables et rendent l’utilisationde la randomisation difficile.

2. Les méthodes basées sur les théories del’économie néo-classique Ces méthodes ne mesurent pas l’indica-teur d’impact sur de larges échantillonscomme dans les méthodes quantitatives,mais proposent un calcul du différentiel

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RECHERCHESJocelyne DELARUE, Hubert COCHET

2. Les évaluations dites « quantitatives » sont ainsidénommées en raison des méthodes statistiquesemployées, impliquant un échantillonnage large,et non en référence à la nature intrinsèque des don-nées collectées. Elles ne sont ainsi pas les seulesméthodes à collecter des données quantitatives.3. Quant aux méthodes « quasi expérimentales »,elles s’appliquent à reconstituer, le plus souvent aposteriori, un groupe témoin aussi proche que pos-sible du groupe touché par l’intervention. Lesméthodes quasi expérimentales les plus couram-ment employées (Ezemenari et al., 1999 ; Baker, op.cit.). Osont les méthodes de matching, la diffé-rence double, la régression sur les discontinuités etla méthode des variables instrumentales.

4. En supposant cependant qu’un échantillonnage auhasard soit réellement possible dans les faits, comptetenu du manque de fiabilité des statistiques dans denombreuses régions du monde et de l’impact desrelations de clientélisme qui ne manqueraient pas de« forcer » le hasard au détriment du tirage aléatoire.

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d’impact, à partir de données partielles,au travers d’un modèle reposant sur lesprincipes des théories néo-classiques (équi-libre de Pareto, rationalité économique desagents...)5.

Ces méthodes ont été amplement utili-sées, par exemple dans l’évaluation desimpacts de la recherche agronomique. Ilexiste deux principales méthodes demesures d’impact en ce domaine : laméthode du surplus économique et lesméthodes économétriques utilisant desfonctions de production (Maredia et al.,2000 ; Masters et al., 1996).

La confiance attribuée à la validité decette modélisation des scénarios avec etsans projet repose essentiellement sur l’ad-hésion à une représentation néo-classiquede la réalité. Or, celle-ci implique, parexemple, que le contexte institutionnelreste opaque ou soit, au mieux, intégrécomme une variable quantitative dans lemodèle. L’introduction éventuelle de rela-tions conflictuelles, des difficultés d’ac-cès à l’information ou des aspects relatifsà l’environnement dans le cadre conceptuelnéo-classique conserve cependant « l’hy-pothèse de rationalité substantielle dumodèle de base » (Sourisseau, 2000). Cesmodélisations reposent en outre sur desdonnées issues des statistiques nationales,parfois de faible qualité, et qui ne peuventpas rendre compte de la diversité des situa-tions existantes et de leurs dynamiquesspécifiques dans une région donnée.

L’ensemble de ces limites en font desméthodes à utiliser avec beaucoup de pré-cautions, d’autant que les hypothèses liéesaux modèles sont rarement explicitées endétail.

L’évaluation systémique d’impact1. Des projets aux effets multiples etcomplexesLes projets de développement agricole pro-posent en général des innovations suscep-tibles de se diffuser soit par les canaux for-mels mis en place par le projet, soit endehors de ceux-ci. L’une des hypothèsesles plus couramment formulée dans lesdocuments de projets est que la diffusion deleurs effets devrait progressivements’étendre en « tâche d’huile » aux villagessitués au-delà de leurs zones d’intervention(selon la conception introduite dès 1962 parRodgers). Bien que cette vision des chosessoit pour le moins simpliste, il est indé-niable que les projets de développementagricoles se traduisent souvent par des effetsindirects, tant positifs que négatifs, sur despopulations a priori non concernées par leprojet : la revente des intrants diffusés par leprojet, l’adoption partielle de nouvelles tech-niques diffusées ou la modification des prixdu marché (voir infra) sont quelquesexemples possibles d’effets indirects.

Les méthodes d’évaluation d’impact desprojets de développement agricole doivent,par conséquent, permettre d’identifier fine-ment leurs effets directs et indirects, y com-pris inattendus, à la fois pour la populationciblée et pour la population proche6. L’iden-tification, pour la construction du scénariosans projet, d’individus effectivement« indemnes » de toute influence du projet,est souvent difficile et doit ainsi être parti-culièrement argumentée.

D’autre part (comme souligné plus haut)des agriculteurs, à la tête d’unités de pro-duction différentes à l’origine, évoluent defaçon très dissemblable dans le temps, qu’ilssoient ou non concernés par un projet. L’éla-boration de scénarios avec et sans projetne peut donc pas, dans le domaine du déve-

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Sociétés rurales : l’impact des projets de développement

5. La modélisation palie en quelque sorte le manquede données (Raina, 2003).

6. Cette identification fine des effets directs et indi-rects sur les différentes catégories d’agents est aussià la base de la méthode des effets développée en sontemps par la coopération française.

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loppement agricole, se limiter à comparerdes individus concernés et non concernés,car ces moyennes n’auraient pas grandesignification. La diversité initiale des unitésde production doit, au contraire, être par-faitement identifiée, préalablement à l’échan-tillonnage, pour être reflétée par la mesurede l’impact.

2. Une nécessaire approche systémique…

C’est pourquoi, seule une connaissancefine des facteurs endogènes et exogènesd’évolution et des trajectoires possiblesdes unités de production, dans le prolon-gement des dynamiques antérieures, peutpermettre d’identifier avec certitude desindividus comparables évoluant avec etsans le projet. L’analyse diachronique dusystème agraire (Cochet, 2005) permetd’aboutir à l’identification des systèmesde production7 en présence, et d’en réaliserune typologie évolutive.

Pour cela, l’évaluation d’impact d’unprojet de développement agricole doit êtremenée dans une petite région agricole,homogène du point de vue de ses caracté-ristiques agro-écologiques et de ses dyna-miques agraires, et pour l’ensemble des sys-tèmes de production qui existaient avant leprojet. La mesure de l’impact d’un projet dedéveloppement agricole résultera donc d’unnécessaire va-et-vient répété entre diagnos-tic systémique (à différentes échelles d’ana-lyse) et éléments d’évaluation.

L’objectif est de comprendre le fonc-tionnement de chaque système de productionet d’en constituer un modèle aussi procheque possible de la réalité du fonctionne-ment des exploitations représentées par lemodèle et de leur dynamique. Précisons enoutre que si ces modèles sont avant tout àfinalité économique, en ce qu’ils permet-tent de comparer, pour les différents sys-tèmes de production, les résultats obtenuspar le processus de production agricole8, ilsne reposent cependant pas sur des fonctionsde maximisation d’un indicateur. Si l’onsuppose effectivement que les agriculteurscherchent à maximiser leur revenu écono-mique, compte tenu de leurs contraintes, laconnaissance fine de leur système permetd’intégrer dans le modèle le fait qu’ils peu-vent également privilégier la réduction d’unrisque climatique, ou la sécurisation de leurespace foncier, ce qui ne les conduit peutêtre pas à un optimum en terme de revenu.Il s’agit donc bien de collecter à l’échelle desunités de production enquêtées, des don-nées recueillies a posteriori, pour en réaliserune analyse économique détaillée (Gittinger,op. cit.) permettant de quantifier in fine ledifférentiel d’impact.

3. ... basée sur un échantillonnageraisonnéL’étude approfondie d’un petit nombred’unités de production soigneusement choi-sies de façon à illustrer chacun des sys-tèmes de production préalablement identifiéspeut alors permettre la modélisation dechaque système de production (Cochet etDevienne, op. cit), et de son évolution dansles scénarios avec et sans projet (caractéri-sation technique, résultats économiques,trajectoires avec projet, reconstitution de la

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RECHERCHESJocelyne DELARUE, Hubert COCHET

7. Dans le domaine de l’agriculture, ce concept desystème de production est appliqué à un ensembled’exploitations ayant accès à des ressources com-parables (terre, capital et travail), aux placées dansdes conditions socio-économiques semblables etqui pratiquent une combinaison donnée de produc-tions, bref un ensemble d’exploitations pouvantêtre représentées par un même modèle. Assortid’un ensemble défini de moyens de production et deforce de travail, un système de production se pré-sente donc comme une combinaison spécifique dedifférents systèmes de culture et d’élevage de dif-férents systèmes d’élevage (Cochet et Devienne,2006).

8. Les activités extra-agricoles sont également prisesen compte dans le modèle, comme partie prenanted’un système d’activités qui dépasse parfois très lar-gement la sphère purement agricole. Le processusde production agricole, formant un tout cohérent enlui-même, peut alors être considéré comme un sous-système du système d’activités.

Page 8: Proposition méthodologique pour l’évaluation des projets

trajectoire sans projet). Ce modèle se nour-rit d’une compréhension fine des unités deproduction enquêtées, et en particulier desmodalités de fonctionnement des systèmesde production. Il ne s’agit pas ici de menerdes enquêtes sur un échantillon large, parl’intermédiaire d’enquêteurs recrutés engrand nombre, ni d’obtenir une moyenne deseffets supposés du projet sur les agricul-teurs de la région.

Bien que les différences objectives entreles unités de production enquêtées semblentlaisser une certaine place à la subjectivité duchercheur dans la constitution de la typolo-gie et dans l’échantillonnage raisonné, ilfaut souligner que la logique de fonction-nement des systèmes de production et l’ana-lyse de leurs trajectoires évolutives per-mettent au contraire de dépasser l’arbitrairerésultant d’une classification sur la base deseuils (par exemple sur les tailles d’exploi-tation, ou sur les revenus). Le passage d’unnombre restreint d’enquêtes au modèle sebase sur la mise en évidence de « lois d’or-ganisation qui sous-tendent la réalité et quicréent des types de structures en nombrelimité. Les individus observés, en nombrefini, permettent de comprendre ces lois d’or-ganisation et de caractériser ces structures,et par conséquent de donner une visiongénérale de l’organisation du réel. » (Coutyet Winter, 1983)

La caractérisation des systèmes de pro-duction peut en outre s’alimenter de tra-vaux d’enquêtes antérieurs, si tant est qu’ilsaient été bien réalisés et qu’ils concernentdes pratiques observées in situ chez les agri-culteurs et non pas seulement les techniquestestées dans les stations de recherche oucelles préconisées par les projets. La qualitédes informations recueillies se base toutefoisin fine sur la compréhension de la logiquedes systèmes et l’enquête directe auprès desagriculteurs. L’implication directe de l’éva-luateur dans la collecte des données estindispensable d’où, encore une fois, lanécessité d’un échantillonnage restreint.

La qualité des données recueillies ainsi

assurée et la construction des scénariosavec et sans argumentée pour les diffé-rents systèmes de production, des enquêtesplus étendues peuvent éventuellement êtreréalisées pour valider la représentativitédes résultats (Ancey, 1983). À cette fin, ilconvient à présent de s’appuyer sur un casprécis tel que celui du projet guinéen depalmier à huile et d’hévéas (Soguipah,République de Guinée).

L’évaluation systémique d’impactà l’épreuve des faits

Cette approche systémique de l’évaluationd’impact a été conduite entre 2003 et 2006en République de Guinée. Elle concernait laSociété guinéenne de palmiers à huile etd’hévéas (Soguipah), créée en 1987 par legouvernement guinéen pour prendre encharge le développement de la productiond’huile de palme et de caoutchouc au niveaunational. La première unité agro-industriellede la SOGUIPAH, la seule existant à cejour, a été implantée dans les sous-préfec-tures de Diécké et de Bignamou (préfec-ture de Yomou), à l’extrême sud de la Gui-née forestière (carte 1).

Soutenue par plusieurs bailleurs de fonds,la Soguipah a rapidement mis en place sonprogramme de plantations industrielles ennégociant avec les agriculteurs la mise àdisposition 22 830 ha : 1 558 ha de pal-miers à huile et 4 574 ha d’hévéas furentplantés entre 1988 et 1993, tandis que lereste de ces surfaces réquisitionnées furentmises en défens en attendant une mise envaleur ultérieure. Par ailleurs, des plantations« sous contrat » avec les villageois (1 552 hade palmiers et 1 396 ha d’hévéas) et l’amé-nagement de 1 093 ha de bas-fonds pour ledéveloppement de la riziculture inondéefurent réalisés entre 1989 et 1998, en plu-sieurs programmes successifs.

C’est l’impact de ce projet complexe dedéveloppement agricole qui a été mesuré àl’aide de la méthode proposée. Après avoirreconstitué avec soin le scénario « sans »

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Sociétés rurales : l’impact des projets de développement

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projet ou contrefactuel, l’analyse du scéna-rio « avec » projet a permis de mettre en évi-dence, pour chaque catégorie de produc-teurs, un différentiel de revenu [avec – sans]projet, pouvant ainsi être considéré commeimputable au projet.

1. Le scénario sans projet

La situation se résume par une réduction dela durée des friches sur les versants, un déve-loppement de la riziculture de bas-fond et uneextension des plantations de café et cola. Ils’agit tout d’abord de reconstituer ce qui seserait passé si les plantations tant « indus-trielles » que « sous contrat » n’avaient pasété installées par la Soguipah.

Quelle aurait été la dynamique du systèmeagraire et comment auraient évolué les sys-tèmes de production et le niveau de vie desagriculteurs ? Ce premier type de question-nement nous renvoie au diagnostic en termes

de système agraire évoqué plus haut et auxquestions soulevées en matière de transfor-mations du mode d’exploitation du milieu.

Or, les effets directs et indirects de laSoguipah sur lesquels nous reviendronsplus loin, ont été si étendus, qu’ils ne lais-sent aucune perspective de trouver dans sazone d’intervention des agriculteurs qui nesoient pas concernés de près ou de loin parle projet.

Pour aborder cette question, une séried’enquêtes et d’entretiens historiques portantsur la situation « avant » projet a été réali-sée pour reconstituer un « point de départ »avec le maximum de fiabilité. Deux vil-lages kpèlè ont été retenus pour lesenquêtes : le village de Kpoo pour illustrerles conséquences de la réquisition d’unepartie du finage villageois pour les planta-tions industrielles et y étudier la dynamiquede plantations « sous contrat » et d’aména-

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RECHERCHESJocelyne DELARUE, Hubert COCHET

Carte 1. Situation de la zone d’étude (région kpèlè, Guinée forestière)

Source : Map N° 4164 Rev.3 UNITED NATIONS, 2004.Department of Peacekeeping Operations. Cartographic section

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gements de bas-fonds, et le village de Gui-lamou, plus excentré et n’ayant pas subi deréquisition foncière, mais ayant été inclusdans le programme de plantations « souscontrat ».

D’autre part, le village de Galaye fut iden-tifié comme « témoin » de la dynamiqueagraire qui aurait été celle de la situationsans projet. Situé à une quarantaine de km aunord-ouest de Kpoo, ce village a en effet étépeu touché par d’éventuels effets indirects duprojet et présente des caractéristiques géo-graphiques, agropédologiques, historiqueset socio-économiques très proches de cellesde la zone d’intervention Soguipah. Lesenquêtes réalisées dans ce village9 ont permisde préciser les modalités et le rythme destransformations en cours depuis 1987 endehors de l’influence de la Soguipah et doncde baliser le scénario « sans projet », scéna-rio qu’il s’agissait ensuite de transposer,moyennant certaines précautions, à la zoned’intervention du projet Soguipah. À partir del’identification et de la modélisation des prin-cipaux systèmes de production repérablespour la situation « to » (« to » du projet Sogui-pah), nous avons repéré des trajectoires-typepermettant de rendre compte de la dyna-mique propre à chaque système de productionet de tenir compte ainsi de la diversité dessituations familiales et des différenciationssocio-économiques.

• Situation de départ

Contexte des villages de Kpoo, de Guilamouet de Galaye avant l’implantation de laSoguipah dans la région

Dans les années 80, la densité de popula-tion de Galaye était semblable à celles dela zone Soguipah avant projet (inférieuresà 30 hab./km2 d’après le recensement de1983). La riziculture pluviale sur abattis-brûlis y était pratiquée avec des tempsde friche de l’ordre de 7 à 10 ans, durée

suffisante pour garantir le renouvellementde la fertilité. Lors de la phase d’abattis-brûlis qui précédait le semi du riz sur lesversants, les palmiers à huile (Elaeis gui-neensis, var. dura) étaient toujours préser-vés, de sorte qu’ils avaient fini par formerprogressivement un véritable parc arboréau-dessus de l’espace soumis à la rizicul-ture sur brûlis. La production d’huile depalme était généralement une activité desjeunes hommes en phase d’installationmais le déficit d’infrastructures routières enlimitait la commercialisation à l’extérieurdu village. Enfin, les bas-fonds n’étaientpas encore cultivés si ce n’est occasion-nellement dans le prolongement de la par-celle de versant cultivée en riz pluvial del’année.

Des plantations de café avaient été ins-tallées chez de nombreux agriculteurs decette région dans les dernières années de lacolonisation et les premières années de l’In-dépendance (1958), à la faveur de prix éle-vés. Mais les impôts exorbitants en vigueursous Sékou Touré dans les années 1960 et1970, dont une bonne part était perçue encafé, avaient conduit la plupart des produc-teurs à délaisser leurs plantations. Sur cesparcelles, les quelques colatiers associés aucafé, plus rustiques, ainsi que les essencesforestières, se sont donc développés. Alorsque ces anciennes plantations constituentaujourd’hui une véritable agro-forêt péri-villageoise à la composition diversifiée et àla biomasse très importante, des plantationsde café plus jeunes sont présentes au delà.Après le changement de régime de 1984 etla libéralisation de l’économie qui l’aaccompagné, les agriculteurs ont en effetréalisé de nouvelles plantations, plus éloi-gnées du village, pour relancer leur pro-duction de café, tout en y conservant leprincipe de l’association des caféiers et descolatiers.

Trois principaux types d’unités de pro-duction ont pu être identifiés pour la période« avant projet » (1987), tant à Kpoo et Gui-lamou qu’à Galaye, chaque type pouvant

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Sociétés rurales : l’impact des projets de développement

9. À Galaye, 50 entretiens approfondis ont étéconduits d’avril à juin 2004 et de mars à juillet2006 par J. Delarue et F. Ravelomandeha.

Page 11: Proposition méthodologique pour l’évaluation des projets

être caractérisé par un système de production(Delarue, 2007).

• Les grands propriétaires fonciers (type 1)Ils forment un premier groupe homogène,disposant à cette époque de vastes sur-faces de versant et de main-d’œuvre suf-fisante pour cultiver 3 à 4 ha de riz pluvialpar an, avec plus de 10 ans de friche. Lesbas-fonds étaient consacrés à la productionde vin de palmier-raphia, indispensablenotamment pour abreuver les groupes dejournaliers agricoles. Les plantationsanciennes dont disposaient ces familless’étendaient sur 2 ha environ, la productionde cola dominant celle de café. La pro-duction d’huile de palme de ces agricul-teurs était forte, notamment chez les plusjeunes. En francs guinéens constant de2005, leur revenu agricole total (autocon-sommation comprise) s’élevait à 2,3 mil-lions GNF (600 000 GNF/actif/an, soitenviron 120 euros/actif/an), dont unebonne part provenait des productions de rizet de vin de raphia.

• Une autre catégorie de producteurs (type 2)Cette catégorie possédait en 1987 de moinsgrandes surfaces que le groupe précédent,du fait des divisions du foncier par héritage,et disposaient d’une main-d’œuvre pluslimitée. Les unités de production de cegroupe ne pouvaient alors cultiver que1,5 ha de riz pluvial par an, avec 7 ans defriche. Ils n’avaient pas de plantations decafé, celles-ci étant restées sous le contrôlede l’aîné de la famille, et n’exploitaientpas régulièrement de raphias, en raison deleur faible force de travail. En complé-ment de leur production rizicole, leur pro-duction d’huile de palme était en partiecommercialisée. Leurs revenus agricolesatteignaient environs 800 000 GNF(250 000 GNF/actif/an, soit seulement50 euros /actif/an). Ceux qui avaient puplanter du café, grâce à une force de travailfamiliale plus grande gagnaient environ400 000 GNF/actif/an (type 2 bis).

• Enfin, les producteurs disposant de sur-faces plus réduites (type 3) Ils devaient emprunter à d’autres des par-celles pour cultiver le riz pluvial chaqueannée, avec un temps de friche inférieur à6 ans, donc de moins bonnes conditions dereproduction de la fertilité... Une surface de1,5 ha en moyenne, parfois davantage,avait été consacrée par leurs parents, sou-vent allochtones, à des plantations de caféet de cola pour en assurer le marquagefoncier et, ce faisant, l’appropriation défi-nitive. Ces producteurs cultivaient déjà àcette époque du riz de bas-fonds, en rota-tion avec une friche de 3 à 4 ans et lesraphias n’étaient donc que peu exploités.Les revenus agricoles de ces agriculteurs,plus élevés que ceux du type 2 grâce auxplantations de café, atteignaient 1,9 millionGNF (500 000 GNF/actif/an, soit100 euros/actif/an).

• Dynamiques agraires régionales et scénariocontrefactuel : quelles trajectoires pour lessystèmes de production « sans » projet ?Ces producteurs aux situations contrastéesont, bien entendu, évolué de façon très dif-férente au cours de la période s’échelon-nant de 1987 à 2005. Les trajectoires dessystèmes de production ont tout d’abordété influencées par des changements impor-tants dans les densités de populations. Laguerre au Libéria et au Sierra Léone entraînel’arrivée à Yomou d’environ 20 000 réfugiésen 1990 et de 27 000 en 1994 (Van Damme,1999). Les premiers s’installent dans lesvillages et sont pour la plupart des Gui-néens revenus au pays. En revanche, lesréfugiés de 1994 n’ont pas de liens en Gui-née : ils restent en majorité dans la zone dela Soguipah pour profiter de son bassind’emploi. L’anthropisation du milieu s’entrouve accélérée.

Ainsi, les essarts rizicoles sont étendusjusqu’aux limites des finages avec une den-sification consécutive de la palmeraie « sub-spontanée ». La durée des périodes de recrûintercalaire entre deux cycles de riziculture

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RECHERCHESJocelyne DELARUE, Hubert COCHET

Page 12: Proposition méthodologique pour l’évaluation des projets

d’abattis-brûlis raccourcit, et modifie leniveau de biomasse et la compositionfloristique des friches. Les itinérairestechniques s’adaptent en conséquence, avecun accroissement des temps de travaux etune substitution partielle du riz par lemanioc.

Ces changements sur les versantsconduisent à une spécialisation des bas-fonds pour la production rizicole avec unerelocalisation des raphias dans des zonesspécifiques, en association avec lescacaoyers. La riziculture inondée se déve-loppe, devient plus intensive en travail,avec abandon des friches, puis adoptiondu labour et du repiquage pour s’opposer àl’enherbement. Les aménagements de bas-fonds, qui avaient jusque-là rencontré unfaible intérêt des producteurs, sont enfincohérents avec les dynamiques agrairesendogènes et sont adoptés par une partiedes agriculteurs.

Le développement des plantations de caféet de cola s’accélère également car chacundésire « laisser ses marques » sur le foncierdu lignage pour ne pas s’en trouver dépos-sédé, tout autant que pour « préparer l’ave-

nir ». Ainsi, l’extension des plantations audétriment des friches de riziculture pluviale,hors auréole agroforestière, témoigne de larégression de la logique lignagère dans lagestion des parcelles10.

Les dynamiques de plantations n’ontcependant pas conduit dans cette région à ladisparition du riz pluvial, loin de là. D’unepart, les prix des cultures pérennes (café,cacao, cola) sont extrêmement fluctuants, aucontraire des prix du riz plus stables aucours de cette période (graphique 1). D’autrepart la sécurité offerte par la productiond’une partie importante de la consommationfamiliale en riz et en manioc joue un rôleimportant dans les stratégies des produc-teurs. Enfin, le fait que la riziculture surabattis-brûlis soit dans les faits associée àla palmeraie sub-spontanée (parc arboré)

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Sociétés rurales : l’impact des projets de développement

10. Au cours du XXe siècle, l’ouverture de la régionsur l’extérieur a progressivement conduit à uneréduction du poids des chefs de lignage et à uneappropriation du foncier et des moyens de produc-tion par les familles nucléaires. Les moins bienpourvus en terres continuent cependant de se tour-ner vers les chefs de lignage pour accéder à des par-celles supplémentaires.

Graphique 1. Évolution des prix relatifs des différents produits de Guinée forestière (1987-2005)

Source : Delarue (2007)

3 500

3 000

2 500

2 000

1 500

1 500

500

0

1987

1989

1991

1993

1995

1997

1999

2001

2003

2005

Prix

/ K

g (

en G

NF

con

stan

t 20

05)

Caoutchou

Huile de palme

Cacao

Cola

Café

Riz paddy

Page 13: Proposition méthodologique pour l’évaluation des projets

renforce l’attrait de ce système de culture parles revenus supplémentaires qui lui sontassociés (production d’huile de palme) 11.

Ce système de prix relatifs (graphique 1)reflète en réalité celui du scénario « avec »projet. En effet, la production industrielled’huile de palme de la Soguipah a concur-rencé directement l’huile de palme villa-geoise. Nous avons pu ainsi établir12 que laproduction de la Soguipah avait entraîné unrelatif repli des prix de l’huile : ils aug-mentent de près de 3 % par an de 1989 à1995, mais de 0,9 %/an seulement dansles années suivantes correspondantes àl’entrée en production des plantations duprojet (en GNF constant). En conséquence,il nous a fallu, pour retracer le scénario« sans projet » tenir compte de meilleursprix pour l’huile de fabrication villageoise.Notre hypothèse est que le taux de crois-sance constaté de 1989 à 1995 se seraitmaintenu au-delà de cette date si les plan-tations du projet Soguipah n’étaient pasentré en production à ce moment-là.

Compte tenu de ces différents aspects,les trajectoires d’évolution des trois sys-tèmes de production identifiés à Galaye,Kpoo et Guilamou, peuvent être clairementénoncés, permettant ainsi de reconstituer lescénario contrefactuel.

• Les producteurs de type 1, au cours decette période, avaient à la fois les res-sources foncières et les ressources en main-d’œuvre suffisantes pour réaliser de nou-velles plantations sans compromettre leursystème de riziculture pluviale. Les enjeuxd’appropriation autour des bas-fonds lesont conduits à aménager ceux-ci, pour ensécuriser la propriété et alléger les tempsde travaux. Leur force de travail leur a

permis d’exploiter une véritable planta-tion de raphias et de produire des volumesimportants d’huile de palme (trajectoireGalaye 1).

• Les producteurs de type 2, qui n’avaientpas de plantations à l’origine, et des sur-faces de versant réduites, ont tout de mêmechoisi de suivre la tendance à planter enréduisant leurs temps de friche sur les ver-sants. Ceux qui disposaient d’un bas-fondde bonne taille en ont aménagé une partie.La priorité donnée au riz et leur défaut demain-d’œuvre ne leur a pas permis d’ex-ploiter des raphias ni de produire desvolumes importants d’huile de palme. Lesplantations de café et de cola, entrées enproduction au début des années 90 leuront par contre assuré un complément derevenu important à partir de cette date(trajectoire Galaye 2).

• Les producteurs de type 3 ont égalementfait évoluer leur système malgré leursfaibles marges de manœuvre. Ils ont inten-sifié la riziculture inondée et aménagé unepetite portion de leurs bas-fonds grâce auxrevenus de leurs plantations. Ils ont réaliséune nouvelle plantation de café et de colade taille réduite, et ont éliminé les planta-tions anciennes, libérant de l’espace pourle riz pluvial. Les producteurs les mieuxpourvus en main-d’œuvre ont égalementplanté des raphias en association avec ducacao, et produisent de grandes quantitésd’huile de palme artisanale (trajectoireGalaye 3).

Il conviendrait enfin ajouter à ces diffé-rentes trajectoires celle des agriculteurs quise sont installés dans les années 1990 au vil-lage. Tandis que les agriculteurs originairesdu village pouvaient cultiver du riz pluvialet du riz inondé tous les ans et ont com-mencé à planter caféiers, colatiers etcacaoyers, les allochtones arrivés récem-ment devaient louer des terres de versantpour y cultiver le riz, et n’avaient pas lapossibilité de réaliser des plantations.

ÉCONOMIE RURALE 323/MAI-JUIN 2011 • 47

RECHERCHESJocelyne DELARUE, Hubert COCHET

11. La densité de palmiers serait en moyenne de84 pieds/ha sur les versants consacrés au riz pluvial,contre 37 pieds/ha dans les systèmes agroforestierspérivillageois (Madelaine, 2005) (graphie diffé-rente en biblio : Madelaine). 12. Entretiens menés auprès des commerçantesd’huile de la région.

Page 14: Proposition méthodologique pour l’évaluation des projets

2. Le scénario avec projetDans ce cadre, il s’agit de l’essor des plan-tations de palmiers à huile et d’hévéas réa-lisées dans le cadre de la Soguipah. Pour lareconstitution du scénario « avec projet » eten ce qui concerne les agriculteurs directe-ment ou indirectement concernés par lesinterventions de la Soguipah, c’est égale-ment en identifiant et en modélisant les prin-cipales trajectoires d’évolution suivies parles producteurs de la zone du projet (depuisle début du projet et sur la base de la typo-logie déjà évoquée pour l’instant « to »)que nous avons pu décrire finement com-ment le projet a été vécu par ces différentsacteurs et comment leur revenu a évoluéen conséquence.

À titre d’exemple, nous traiterons de troiscas :(1) de ceux qui ont intégré le programme deplantations « sous contrat » ;(2) de ceux dont les terres ont été réquisi-tionnées au moment de la réalisation desplantations industrielles ;(3) des producteurs indirectement concernésqui ont entrepris des plantations « privées »(hors contrat) de palmiers à huile et d’hévéa.

• L’impact des plantations sous contratÀ chaque famille intégrée à son programmede plantations, la Soguipah avait l’inten-tion d’attribuer 1 ha de palmiers à huile dela variété Tenera, 2 ha d’hévéas et 0,5 ha debas-fond aménagé. La Soguipah avait éga-lement pour objectif de contribuer à l’aban-don de la riziculture d’abattis-brûlis, accu-sée de dégrader l’environnement. Dans cettelogique, les plantations de palmiers et d’hé-véas devaient remplacer le riz pluvial sur lesversants sans pour autant créer une crisealimentaire : les aménagements de bas-fondsconstituaient l’alternative proposée aux agri-culteurs pour continuer à produire du riz.

Certaines conditions à remplir par lespaysans pour s’inscrire dans ce schématype se sont avérées déterminantes et par-fois limitantes. En premier lieu, il leur fal-lait bien entendu disposer de terres. Or, la

réalisation des premières plantations aconditionné la desserte en pistes qui, àson tour, a figé le schéma de distributionpossible des nouvelles plantations. À uncertain stade, il est donc devenu néces-saire, pour planter, d’avoir les moyensd’acheter les parcelles les mieux placées.En second lieu, lorsque les aménagementsde bas-fonds ont été réalisés par la Sogui-pah, il est devenu impératif d’avoir effec-tivement mis en valeur une parcelle debas-fonds, pour obtenir ensuite des plan-tations. Il fallait donc appartenir auxfamilles propriétaires de bas-fonds, ouparvenir à acheter une parcelle. Enfin, etsans que cela ne fasse partie des conditionsposées par la Soguipah, il fallait disposerd’une force de travail importante, voird’un certain capital, pour s’engager dans leprojet, car le producteur devait assurerlui-même la préparation de la parcelle et laplantation.

C’est pourquoi la plupart des agriculteursne sont pas allés au-delà d’un ou deux hec-tares de plantations. Seuls des fonction-naires, des commerçants, des cadres de laSoguipah ou des Guinéens revenus du Libé-ria avec un petit pécule ont eu les ressourcesfinancières suffisantes, à la fois pour ache-ter des terres bien situées, pour obtenir de laSoguipah de nouvelles plantations et pour enfinancer l’entretien.

C’est ainsi que des agriculteurs de type 1et 3 ont pu installer des plantations souscontrat avec la Soguipah, tandis que les agri-culteurs de type 2 ont manqué de moyens etde main-d’œuvre pour le faire. Voyons cequ’il est advenu des producteurs de type 1 et3 qui se sont lancés dans l’aventure.

• Les agriculteurs de type 1L’impact est globalement négatif dans lazone d’intervention du projet. Disposantencore de vastes surfaces de versant enpartie enclavées, ils cultivent encoreaujourd’hui 2 à 3 ha de riz pluvial par an,avec un temps de friche relativement long(6 à 7 ans). Un bas-fond non aménagé est

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Sociétés rurales : l’impact des projets de développement

Page 15: Proposition méthodologique pour l’évaluation des projets

également cultivé ; on y exploite de surcroîtenviron cinq palmiers-raphias chaque annéepour la consommation familiale et l’ap-provisionnement des groupes d’entraide.

Conformément au programme d’inter-vention de la SOGUIPAH, ces agriculteursont reçu en 1992 une parcelle d’environ1 ha de bas-fond aménagé, puis des plantsd’hévéas et de palmiers à huile un à deux ansplus tard. Mais le travail nécessaire à lamise en saignée de la plantation d’hévéa aentraîné chez ces agriculteurs une réduc-tion sensible de la surface de riz pluvial(– 30 %), et un relatif report de la riziculturevers les bas-fonds non encore aménagés.

L’intérêt suscité au début par les planta-tions a conduit ces agriculteurs à augmenter« hors projet » leurs surfaces plantées enhévéas et palmiers, sous forme « privées »(infra) à partir de 2001, bien que l’enclave-ment de leurs parcelles limite l’ampleur deces extensions.

Malgré ces différences très importantesde trajectoire avec les agriculteurs de type1 du scénario contrefactuel (Galaye), ladifférence en termes de résultats écono-miques que nous avons pu mettre en évi-dence reste finalement minime, plutôt enfaveur du scénario « sans projet » : lasomme sur la durée de vie des plantations

(55 ans13) des résultats du groupe de Galaye(« sans projet ») est supérieure de 42 mil-lions GNF constants (2005), soit environ8 000 € (graphique 2). Les plantations« sous contrat » et « privées » ne font doncpas la différence, preuve qu’elles ne suffi-sent pas à augmenter les revenus.

• Les agriculteurs de type 3L’impact est positif pour ces agriculteurscapables d’investir dans de grandes planta-tions « sous contrat ». Ils se sont intégrésprécocement au programme de plantationsous contrat de la Soguipah, dans l’objectifd’obtenir une meilleure valorisation de leursfaibles surfaces. Ils ont réussi à capter de lamain-d’œuvre au moment où l’entretien des

ÉCONOMIE RURALE 323/MAI-JUIN 2011 • 49

RECHERCHESJocelyne DELARUE, Hubert COCHET

13. Le différentiel d’impact est mesuré depuis laréquisition des terres par la Soguipah en 1987 et surtoute la durée de vie des plantations « sous contrat »et des plantations privées réalisées à partir de 93 –94 par les agriculteurs, c’est-à-dire de 1987 à 2041.Les données de 1987 à 2005 ont été obtenues parenquêtes, puis les projections au-delà de 2005 ont étéréalisées sur la base d’hypothèses sur les évolutionsdes systèmes de production (élaborées avec les agri-culteurs), des rendements et des prix relatifs. À cesujet, une vingtaine d’entretiens sur les évolutions dusystème agraire et 33 entretiens approfondis sur lesunités de production ont été réalisés par J. Delarueà Kpoo, Guilamou et Diécké au premier semestre2004 puis en avril-mai 2005 et octobre 2005.

Graphique 2. Évolution du revenu agricole des agriculteurs de type 1, à Galaye (sans projet)et Guilamou (avec projet)

Source : Enquêtes J. Delarue et F. Ravelomandeha (2004-2006)

16 000 000

12 000 000

8 000 000

4 000 000

1987

1990

1993

1996

1999

2002

2005

2008

2011

2014

2017

2020

2023

2026

2029

2032

2038

2041

GN

F co

nst

ant

0

Guilamou 1 Galaye 1

Mesure d’impactex post

Projectionex ante

Page 16: Proposition méthodologique pour l’évaluation des projets

plantations s’avérait particulièrement lourd :main-d’œuvre malinké saisonnière ou main-d’œuvre « réfugiée ». Leurs réseaux de rela-tions personnelles et des capacités finan-cières tirées du commerce ou d’une activitésalariée à la Soguipah, leur ont permis d’ob-tenir davantage de plantations que lamoyenne (2 ha de palmiers et 2,5 ha d’hé-véas). En outre, ces producteurs ont plantédu café sélectionné (0,5 ha).

Par la suite, les revenus des plantationssous contrat ont permis à ces producteurs dereprendre une phase d’investissement enachetant des terres, et en réalisant des plan-tations « privées ». Le riz pluvial a été aban-donné rapidement par ces producteurs quiont consacré la totalité de leurs surfaces deversant aux plantations. Ils cultivent uneparcelle de bas-fonds mais ne parviennentpas à atteindre l’autosuffisance rizicole.

La comparaison avec Galaye est ici trèsen faveur du scénario « avec projet » : lasomme sur 40 ans des résultats économiquesdu groupe de Kpoo (« avec projet ») estsupérieure de 316 millions GNF constant(2005), soit environ 63 000 € (graphique 3).

2. L’impact des expropriations

Afin de mettre en place ses plantations« industrielles » et garantir ainsi l’approvi-sionnement de son usine de transformation,la Soguipah a réquisitionné au total 22 830 ha

de terres dans la zone, dont 2 920 à Kpoo.Les agriculteurs qui étaient propriétaires deces terres ont été indemnisés pour les plan-tations perdues, mais pas pour les surfacesqu’ils consacraient au riz pluvial, ni pourles palmiers raphias qu’ils exploitaient dansleurs bas-fonds. Il ne leur est resté que de trèspetites surfaces enclavées entre les planta-tions industrielles de la Soguipah.

Le vin de raphia a tout de suite pris le relaide leurs activités antérieures et conservetout au long de la période une part trèsimportante dans les revenus de ces produc-teurs. Au début des années 90, ces produc-teurs pouvaient encore emprunter ou louerdes surfaces de versant éloignées des plan-tations industrielles pour continuer à culti-ver du riz pluvial. Ils y ont souvent réaliséde petites plantations de café et de cola,pour s’en assurer définitivement la pro-priété, et tentent aujourd’hui de planter despalmiers « hors projet ».

La production d’huile de palme, relati-vement importante pour ces agriculteurs audébut des années 90, est en réduction à par-tir des années 2000 tout simplement parceque la multiplication des plantations monospécifiques de palmiers à huile et d’hévéasa raréfié les palmiers spontanés.

D’autres activités peu courantes, telles quela pêche ou la production d’œufs, procurent unrevenu non négligeable à ces agriculteurs.

50 • ÉCONOMIE RURALE 323/MAI-JUIN 2011

Sociétés rurales : l’impact des projets de développement

Graphique 3. Évolution du revenu agricole des agriculteurs de type 3, à Galaye (« sans » projet)et à Guilamou (« avec » projet)

Source : Enquêtes J. Delarue et F. Ravelomandeha (2004-2006)

40 000 000

30 000 000

20 000 000

10 000 000

0

- 10 000 000

1987 1997 2007 2017 2027 2037

GN

F co

nst

ant

Mesure d’impactex post

Projectionex ante

Galaye 3 Kpoo 3

Page 17: Proposition méthodologique pour l’évaluation des projets

Au terme de cette évolution, et en pour-suivant les tendances constatées, onremarque que le revenu de ces agriculteursexpropriés par la Soguipah et quasimentdépourvus de foncier aujourd’hui stagnesur toute la période. La comparaison avec cequ’il leur serait advenu « sans projet » estsans appel : ils auraient gagné 55 millionsGNF constants (2005) de plus, soit 11 000 €

environ (graphique 4) : ce chiffre nousdonne le véritable coût d’opportunité deshectares réquisitionnés par la Soguipah pourses plantations industrielles, coût qui n’aété que très faiblement compensé par l’in-demnisation initiale.

3. L’impact des plantations « privées »(hors contrat)Il s’agit ici d’un effet indirect et de samesure. Le plus intéressant du projet Sogui-pah est le développement progressif, depuisquelques années, des plantations « privées »de palmiers à huile et d’hévéas, c’est-à-direinstallées à l’initiative des agriculteurs eux-mêmes et sans aucun appui de la part de laSoguipah.

Le cas de la diffusion des plantations depalmiers à huile « hors projet » est particu-lièrement intéressant à analyser14. Les agri-culteurs se procurent eux-mêmes les plan-

tules de palmiers dans les plantations duprojet, confectionnent leurs propres pépi-nières avant de transplanter leurs palmiers.Ce mouvement pourrait être interprétécomme un formidable processus de déve-loppement endogène, et comme l’appro-priation réussie d’un matériel végétal nou-veau par les agriculteurs, processus dontles résultats seraient au moins en partieimputables au projet Soguipah, au titre deseffets indirects. Les résultats escomptés nesont malheureusement pas au rendez-vouscar les plantules récupérées au pied des pal-miers hybrides tenera sont des individusde deuxième génération (F2) dont la pro-duction en huile pourrait être ainsi infé-rieure de 61,25 % à la production des pal-miers hybrides (Cochard et al, 2001)15.

Les producteurs de Kpoo et de Guila-mou du type 2 « avant projet », et quin’avaient pas pu prendre part au projet fautede main-d’œuvre et de moyens suffisants,sont parmi ceux qui investissent aujour-d’hui aussi rapidement que possible dans cesplantations « privées » de palmiers et d’hé-véas. Néanmoins leur force de travail limi-tée continue de les handicaper, d’autant plus

ÉCONOMIE RURALE 323/MAI-JUIN 2011 • 51

RECHERCHESJocelyne DELARUE, Hubert COCHET

14. Celui de la diffusion hors projet des plantationspaysannes d’hévéa est beaucoup moins fréquent et nesera pas analysé dans le cadre de cet article.

15. Il en va de même pour les plantations d’hévéas« privées » réalisées par les paysans à base de seed-lings, c’est-à-dire des plantules issues de la germi-nation des graines d’hévéas. Leur potentiel pro-ductif atteindrait au plus 25 % de celui des clones(Penot, 2001).

Graphique 4. Évolution du revenu agricole des agriculteurs de type 1, à Galaye (« sans » projet) et Kpoo (expro-priation dans le cadre du projet)

Source : Enquêtes J. Delarue et F. Ravelomandeha (2004-2006)

16 000 000

12 000 000

8 000 000

4 000 000

0

GN

F co

nst

ant

Mesure d’impactex post

Projectionex ante

1987

1990

1993

1996

1999

2002

2005

2008

2011

2014

2017

2020

2023

2026

2029

2032

2038

2041

Kpoo 1 avec réquisition Galaye 1

Page 18: Proposition méthodologique pour l’évaluation des projets

qu’ils occupent souvent un poste de sai-gneur à temps plein à la Soguipah (dont lesalaire est inclus dans les résultats écono-miques ci-dessous). Ainsi, les nouvellesplantations réalisées par ces producteurssont souvent peu entretenues les premièresannées, ce qui entraîne d’importantes des-tructions par les ravageurs (agoutis), et lanécessité de reprendre plusieurs fois la plan-tation d’une même parcelle. Leurs planta-tions de café et de cola sont également trèspeu désherbées.

Pendant les premières années de ces plan-tations, leurs revenus a reposé essentielle-ment sur la culture de riz pluvial, associé auxnouvelles plantations de café et de cola. Àpartir de 1999, leur activité extérieure de sai-gneur a assuré un complément de revenu. Enoutre, ils prennent en location des parcellesde bas-fonds aménagés dont l’exploitationest compatible en termes de calendrier avecla culture de riz pluvial et exploitent unpetit nombre de raphias.

Lorsque les plantations privées entrentenfin en production (à partir de 2006, pourles palmiers), le revenu de ces agriculteursconnaît une progression significative. Leursrésultats sont supérieurs à ceux du scénario« sans projet », à hauteur de 178 millionsGNF constants (2005), soit 36 000 € envi-ron. Malgré la faible qualité du matérielvégétal employé, il semble donc que pources agriculteurs les plantations privées repré-

sentent malgré tout un avantage certain(graphique 5).

Il est hautement probable que la diffusionspontanée des plantations privées de pal-miers à huile n’aurait pas eu lieu sans l’ins-tallation du projet et peut donc être inter-prétée comme un effet indirect du projet. Ils’agit d’un volet original et novateur de ladynamique actuelle de développement desplantations pérennes car on a là un exemplefrappant de diffusion spontanée (non prévueau départ) de matériel végétal nouveau (etde techniques parfois inconnues aupara-vant) bien au-delà du périmètre initial duprojet et touchant une population non com-prise dans les « groupes cibles » identifiésau départ.

Conclusion

En replaçant la démarche systémique aucentre de la démarche d’évaluation des pro-jets de développement agricole, la méthoded’évaluation systémique d’impact propo-sée dans cet article permet la constructiondes scénarios « avec » et « sans » projetpour les différents types de producteurs enprésence et permet de mesurer, en termes dedifférentiel et dans la durée, le ou les indi-cateurs d’impact choisis. Les interventionspubliques en matière de développementagricole s’inscrivent toujours dans unedynamique agraire qui les dépasse très lar-

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Sociétés rurales : l’impact des projets de développement

Graphique 5. Évolution du revenu agricole des agriculteurs de type 2, à Galaye (situation sans projet)et Kpoo (situation avec projet)

Source : Enquêtes J. Delarue et F. Ravelomandeha (2004-2006)

16 000 000

12 000 000

8 000 000

4 000 000

0

GN

F co

nst

ant

Mesure d’impactex post

Projectionex ante

1987

1990

1993

1996

1999

2002

2005

2008

2011

2014

2017

2020

2023

2026

2029

2032

2038

2041

Galaye 2 Kpoo 2

Page 19: Proposition méthodologique pour l’évaluation des projets

gement et qui n’est que partiellementinfluencée, modifiée, ralentie ou au contraireaccélérée par ces interventions. C’est doncbien cette dynamique qu’il faut percevoirpréalablement pour pouvoir formuler lesbonnes questions en matière d’impact desprojets de développement. La justesse desconclusions avancées dépendra en grandepartie de la compréhension des transfor-mations anciennes et récentes du systèmeagraire et, par là, des trajectoires d’évolu-tion identifiées pour chaque catégorie deproducteurs.

Une telle démarche permet non seule-ment de mesurer l’impact réel d’un projet,au travers d’un ou plusieurs critères d’éva-luation, mais livre également un grandnombre d’informations qualitatives fiables,

susceptibles d’orienter favorablement lesdécideurs dans le sens d’une réorientation duprojet, ou permettant la formulation de nou-velles interventions. Dans le cas du projetpalmiers à huile mis en place par la Sogui-pah et analysé dans le cadre de cet article, unexemple est fourni par la filière semencièrequ’il faudrait mettre en place pour accroîtrel’impact positif de l’effet indirect des plan-tations « privées » de palmiers à huile.

Peu coûteuse en termes de protocole derecueil de données ou de processus expéri-mental, cette méthode d’évaluation d’impactse révèle cependant exigeante quant auxqualifications des experts retenus (analyse entermes de systèmes et approches agro-éco-nomiques) et leur « implication » person-nelle dans le travail de terrain nécessaire. ■

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