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1 www.comptoirlitteraire.com André Durand présente une nouvelle de soixante-seize pages de Prosper MÉRIMÉE ’Carmen’’ (1845) pour laquelle on trouve un résumé (page 1) des notes (pages 3-28) puis une analyse comportant l’étude de: - la genèse (pages 29-30) - l’intérêt de l’action (page 30) - l’intérêt littéraire (page 32) - l’intérêt documentaire (page 33) - l’intérêt psychologique (page 35) - l’intérêt philosophique (page 39) - la destinée de l’oeuvre (page 39) Bonne lecture !

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www.comptoirlitteraire.com

André Durand présente

une nouvelle de soixante-seize pages

de

Prosper MÉRIMÉE

‘’Carmen’’

(1845)

pour laquelle on trouve un résumé (page 1) des notes (pages 3-28) puis une analyse comportant l’étude de:

- la genèse (pages 29-30)

- l’intérêt de l’action (page 30)

- l’intérêt littéraire (page 32)

- l’intérêt documentaire (page 33)

- l’intérêt psychologique (page 35)

- l’intérêt philosophique (page 39)

- la destinée de l’oeuvre (page 39)

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Résumé Chapitre 1 : Mérimée relate comment, à l'occasion de recherches menées en Espagne, dans les environs de Cordoue, sur la bataille de Munda, il rencontra un voyageur que son guide reconnut comme le bandit de grand chemin don José Lizarrabengoa, dit José Navarro, dont la tête était mise à prix pour deux cents ducats. Pendant la nuit, le guide alla dénoncer le bandit à la police. Mérimée, qui n'avait pu l'en dissuader, s'estimant lié à don José par des relations d'hospitalité, l'avertit donc, et lui permit ainsi de s'échapper. Chapitre 2 : La semaine suivante, séjournant à Cordoue, Mérimée rencontra une gitane nommée Carmen qui l'emmena chez elle pour lui dire la bonne aventure. Soudain, entra un homme, l'amant de la belle, nul autre que don José qui, à son tour, sauva son ami de cette furie dont il s'aperçut qu’elle lui avait volé sa belle montre en or. Après plusieurs mois d'absence, il revint à Cordoue où, apprenant que don José, arrêté pour meurtre, y était en prison et allait être exécuté le surlendemain, il lui rendit visite et l’écouta lui faire le récit de «ses tristes aventures». Chapitre 3 : Ce Basque avait dû quitter le séminaire à la suite d'une rixe où il avait tué son adversaire. Il s'était engagé dans un régiment de dragons dans le Sud, et était devenu un brigadier fort bien noté. Il était en passe d’être nommé maréchal des logis quand, étant de garde à la manufacture des tabacs de Séville, il vit pour la première fois la gitane Carmen qui y était cigarière. Dès le premier regard de ses yeux de braise, la belle, de noir vêtue, bouquet de cassie sortant de sa chemise, cigarette aux lèvres, lui fit perdre la tête. L’interpellant avec effronterie, elle le scandalisa et l'enflamma, même s’il voyait en elle le diable incarné. Deux heures plus tard, comme elle s'était battue sauvagement et avait tailladé les joues d’une collègue, il dut la conduire en prison. Subjugué par son charme, d’autant plus séduit que, disant être née au pays basque, d'où elle fut emmenée par des bohémiens, elle se fit passer pour sa «payse», il manqua à son devoir, et la laissa s'échapper pendant le trajet. Il fut alors dégradé et condamné à une peine de prison. À sa sortie, alors qu’il montait la garde chez son colonel, il la retrouva qui y dansait avec d'autres bohémiens. Dans la jalousie qui le saisit, il se découvrit amoureux. Estimant qu'elle avait contracté une dette envers lui par son évasion, elle passa avec lui une journée et une nuit ; mais elle les voulut sans lendemain : il était trop dissemblable d'elle. Après ce temps de plaisir, il manqua à l'appel, et fut encore dégradé. Après plusieurs semaines qu'il passa sans la revoir, alors qu’il était, un soir, de garde aux murs de Séville, elle obtint de lui, contre un nouveau rendez-vous, qu'il laisse passer des contrebandiers. Mais elle, qui I'avait tout d'abord aimé, déjà lasse de son amour et de sa jalousie, disparut de nouveau. Quand il la retrouva, elle était avec un lieutenant qu'elle lui préféra. José se battit avec lui et le tua. Il ne lui resta qu'à déserter. Il s'enfuit avec elle et devint contrebandier dans les montagnes. C'était une vie d'audace et de dangers, une vie dure, contraire à son tempérament honnête, et pourtant presque joyeuse, parce qu'il pensait parvenir enfin à posséder complètement la femme aimée, loin des autres hommes. Puis de contrebandier, il devint, toujours pour elle, voleur et brigand. Après quelques-unes de ces aventures, il comprit qu’elle usait de ses charmes pour permettre à la bande de détrousser de riches hommes. Apparut un «rom» (un gitan), le mari de Carmen, Garcia le borgne, qu'elle avait fait évader du bagne. José lui fit une mauvaise querelle, et le tua dans un duel au couteau. Mais Carmen, voulant vivre une vie indépendante, se détacha peu à peu de lui et, un jour, fut amoureuse de Lucas, un picador. José, Elle a, selon la coutume gitane, un époux qui revient du bagne, et José le tue. C'est lui, désormais, le mari de Carmen ; il propose à la jeune femme de fuir ensemble en Amérique, pour y mener enfin une vie honnête. Elle ne veut même pas en entendre parler, parce qu'elle vient de s'éprendre d'un «picador», Lucas. Au cours d'une course de taureaux, José eut la certitude que les deux jeunes gens s'aimaient. Il menaça alors Carmen, exigea qu'elle vienne avec lui en Amérique. Elle refusa, non point parce qu'elle aimait Lucas, mais parce qu’elle voulait recouvrer sa liberté. Elle jeta à terre son alliance. Au

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nom de sa liberté de «Calli», elle préférait cette mort que le marc de café lui avait prédite («Moi d'abord, toi ensuite.»). Après avoir fait dire une messe pour le salut de son âme, il I'emmena à l'écart, la frappa de deux coups de couteau, l'enterra et alla se livrer à la police. Chapitre 4 : C’est une notice sur les bohémiens en Espagne : leurs ressources, leurs caractères physiques, les mœurs de leurs femmes, leur solidarité raciale, leur indifférence religieuse, leurs pratiques magiques, leur orgueil racial, le problème de leurs origines, leur langue et ses dialectes.

Notes (la pagination est celle de l’édition du Livre de poche, ‘’Mérimée, nouvelles complètes, tome 2’’)

Page 77 : L’épigraphe est un texte grec qui signifie : «Toute femme est comme le fiel ; mais elle a deux bonnes heures, une au lit, l’autre à sa mort.» Elle est de Palladas, un des plus féconds auteurs d'épigrammes de I'’’Anthologie grecque’’.

Chapitre 1 - «la bataille de Munda» : En 45 avant J.C., César battit à Munda les derniers Pompéiens regroupés en Espagne. - «Bastuli-Poeni» : Peuple qui vivait au sud de la Bétique. - «Monda» : Commune qui se situe dans la vallée de Guadalhorce dans la province de Málaga en Andalousie. - «deux lieues» : Huit kilomètres. - «Marbella» : Commune de la province de Málaga, à 57 kilomètres à l'ouest de la ville de Málaga ; c’est aujourd’hui une station balnéaire. - «’’Bellum Hispaniense’’» : ‘’Guerre en Espagne’’ ; I'auteur en est sans doute un officier de César. - «Montilla» : petite ville d’Andalousie, à quarante kilomètres de Cordoue, dans la sierra de Cabra. - «l’automne de 1830» : Cette date est celle du premier voyage en Espagne (août-décembre 1830) de Mérimée. - «un mémoire que je publierai prochainement» : Mérimée ne publia jamais de mémoire, mais seulement un article sur «les Inscriptions romaines de Baena» dans la ‘’Revue archéologique’’ de juin 1844. Page 78 - «une petite histoire» : L’aventure de don José et de Carmen est donc présentée comme l’à-côté sans importance d'un voyage archéologique. - «les fils de Pompée» : Ce sont Cneius et Sextus Pompée qui poursuivirent la lutte après la mort de leur père assassiné en 48 en Égypte. Le premier fut tué à Munda, mais le second résista encore pendant dix ans au pouvoir central de Rome. - «sierra» : Nom espagnol des chaînes de montagnes, parce que la ligne de leurs pics évoque les dents d'une scie («sierra» en espagnol). - Mérimée fait la description d’un endroit enchanteur. Son pouvoir d'évocation est fondé sur le contraste entre la sévérité de la montagne et la douceur du «cirque naturel». Par un choix de mots appropriés («parfaitement ombragé», «halte agréable», «sable blanc comme la neige», «rafraîchis par la source», «épais ombrage», «herbe fine», «lit meilleur»), il nous amène à partager le plaisir qu'il prit à cette découverte. Mais, si Mérimée a certainement vu au cours de ses voyages de telles oasis, il a pu aussi se souvenirr de leur description dans maintes pages de ‘’Don Quichotte’’. - «auberge» : Les auberges espagnoles avaient mauvaise réputation : on n'y trouvait, disait-on, que ce qu'on y apportait.

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Page 79 - «un jeune gaillard, de taille moyenne mais d’apparence robuste» : Mateo Falcone était déjà un homme «petit, mais robuste». Et Cervantès décrit ainsi le bandit Roque Guinart (‘’Don Quichotte’’, II, VIII, LX) : «C'était un homme de trente-quatre ans environ, robuste, d'une taille élevée, au teint brun, au regard sérieux et assuré. Il montait un puissant cheval et portait sur sa cotte de mailles quatre pistolets.» - «espingole» : Fusil d'origine espagnole (d'où son nom, par corruption) : son canon gros et court s'achève par une bouche évasée, et il se charge à chevrotines ; c'est le «tromblon» français. - «voleurs» : Voir la troisième ‘’Lettre d"Espagne’’ où se retrouvent la même incrédulité et la même désinvolture. - Au moment de la rencontre, désinvolture et fatalisme s'allient chez Mérimée, obligé de cohabiter un moment avec «le jeune gaillard» : «J’avouerai que d’abord l’espingole et l’air farouche du porteur me surprirent quelque peu ; mais je ne croyais plus aux voleurs, à force d’en entendre parler et de n’en rencontrer jamais. D’ailleurs, j’avais vu tant d’honnêtes fermiers s’armer jusqu’aux dents pour aller au marché, que la vue d’une arme à feu ne m’autorisait pas à mettre en doute la moralité de l’inconnu – Et puis, me disais-je, que fera-t-il de mes chemises et de mes ‘’Commentaires’’ Elzevir?» Pourtant chacun reste sur ses gardes, ce qui donne à la scène un côté piquant qui en fait le charme. - «Elzevir» : Les frères Elzévir sont des éditeurs hollandais du XVIIe siècle qui imprimaient et reliaient des ouvrages d'une facture impeccable et d'un format commode pour le voyage. - «débrider» : Ôter la bride du cheval. Le mot s'emploie absolument pour traduire I'idée de halte (voir : «il a lu pendant deux jours sans débrider»). - «les mauvais soldats de Gédéon» : Allusion à un épisode de I'Ancien Testament (‘’Juges’’,VIl) où les mauvais soldats se mettaient à plat ventre pour boire et retardaient la marche, tandis que les bons puisaient au passage de I'eau dans le creux de leur main. Page 80 - «ne prononçait pas l’s à la manière andalouse» : «Les Andalous aspirent I’s, et le confondent dans la prononciation avec le c doux et le z, que les Espagnols prononcent comme le th anglais.» (note de Mérimée). Cervantès donna ce zézaiement à sa Préciosa (dans ‘’La Gitanilla’’, la petite gitane ; l’une de ses ‘’Nouvelles exemplaires’’) sur le mot «señores» qu’elle prononce «zeñores», mais il présenta cela comme un «artifice de gitane» non comme un trait de nature. Mérimée voulait apparaître comme un bon connaisseur de l’espagnol. On voit au chapitre IV qu’il avait des prétentions de linguiste. - «régalia» : Ces cigares ont 12,5 cm de longueur, alors que les «panetelas», de La Havane également, en ont 15. - «des relations d’hospitalité» : La remarque vient de l'Anglais Borrow (1803-1881), voyageur et linguiste qui, sans être missionnaire, voyagea aux frais et pour le service de l’’’English and foreign Bible society’’ et écrivit deux ouvrages sur l’Espagne : ‘’Les Zincali’’ (publiés en anglais en 1841, en traduction française à Paris en juillet 1845) et ‘’La Bible en Espagne’’ (1843). Page 81 - «partido» : District. - «Interroger si» : Tournure donnée par Furetière pour être au début d'un interrogatoire criminel. - «tuiles à rebords» : Tuiles de type romain antique, renforcées sur les deux bords. - «fameux haras de Cordoue» : Les haras (établissements où I'on élève des chevaux de race) de Cordoue étaient très réputés pour leurs chevaux arabes. - «trente lieues» : La «lieue» est une mesure itinéraire de longueur variable. Si Mérimée songe ici à la lieue commune de France, qui est de 4445 mètres, il s'agit donc d’un trajet d’environ 130 kilomètres. C'est trop pour un cheval, et cela met du mystère autour de l’inconnu. - «la collation impromptue» : Le substantif «impromptu» est employé ici en fonction d'adjectif. Mérimée suivait l’exemple de Voltaire, qui parla (‘’Zadig’’, 4, cité par Littré) de «vers impromptus». - «hôte» : Le mot s'emploie normalement pour désigner quelqu'un qu'on reçoit sous son toit ; il est ici teinté d'humour.

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Page 82 - «positivement» : D’une manière certaine et précise. - «la venta del Cuervo» : La «venta» (mot espagnol) est une auberge de grand-route qui s'élève le plus souvent à un carrefour. Les «ventas» avaient la réputation d'être peu sûres, sales et misérables. On n'y trouvait guère à manger. Dans les gros villages et dans les villes, le voyageur trouvait une meilleure ressource avec les «posadas». «Venta del Cuervo» signifie «Auberge du Corbeau». - «si vous me permettez de vous accompagner» : Mérimée transposa ici une anecdote racontée par Borrow dans sa ‘’Bible en Espagne’’ : il avait eu pour guide un Antonio, homme inquiétant et suspect, qui s'était proposée de lui-même à l'accompagner. - «son inquiétude» : Cette inquiétude de son guide, signe de pusillanimité, Mérimée la transposa de sa ‘’Lettre d'Espagne sur les sorcières espagnoles’’ où son guide, Vicente, était tourmenté par I'inquiétude devant les gitanes de Murviedro. - «mangé et fumé avec moi» : Les lois de I'hospitalité sont très fortes en Espagne. - «doux et apprivoisé» : Le même attrait pour les hors-la-loi va pousser Mérimée à accepter I'invitation de Carmen au début du chapitre 2. - Dans le récit de cet entretien et de ce repas, qui contient en puissance tous les éléments d'une bonne scène de théâtre, sont en présence trois personnages fort différents les uns des autres. Mérimée, pour indiquer plaisamment ce qui le sépare de I'inconnu, oppose les soucis de I'archéologlue à la compétence du cavalier. Quant au guide, il joue le rôle traditionnellement dévolu au valet pleutre des comédies ; on pense au Sganarelle de ‘’Dom Juan’’ ; mais quelle discrétion dans la touche ! - Dans cette scène, Mérimée évite de développer les possibilités qu'il indique : c'est dans cette sobriété que réside le secret de son art. Indiquer des chemins à I'imagination et à la rêverie du lecteur, et s'en tenir là, tel semble être son propos. C'est comrne une alliance de la nonchalance et de la précision. - La curiosité est éveillée car le personnage de I'inconnu est mystérieux, Mérimée en inspire peu à peu le sentiment au lecteur par toute une série de notations. Il avoue son goût pour le brigand qui était un héros à la mode. Depuis sa jeunesse, il éprouvait une attirance extrême pour ces figures de hors-la-loi splendidement libres, soumis aux seules règles de leur clan, et qui bravaient l'ordre social. Il dévora ‘’Les mystères de Paris’’ d'Eugène Sue (1842-43) et ‘’Les vrais mystères de Paris’’ de Vidocq (1844). Page 83 - «José-Maria» : Ce José-Maria avait été décrit par J. Augustin Chaho dans son ‘’Voyage en Navarre pendant I'insurrection des Basques’’ (1830-1835), ouvrage publié à Paris en 1836. Vivement attiré par les brigands, Mérimée, dans sa ‘’Lettre sur les voleurs en Espagne’’ l'évoque comme «le prototype du héros de grand chemin». - «un drôle» : Un mauvais sujet. - «Se rend-il justice» : «Se rendre justice», c'est apprécier exactement ce qu'on vaut : comprenons que l'étranger ne se fait pas d'illusions sur le prestige immoral que donne la condition de brigand. - «cheval bai» : Au pelage d’un brun rouge. - Avec habileté, Mérimée dévoile l’identité de son personnage. Le portrait de José-Maria, emprunté à une affiche imaginaire, réclame du lecteur un effort d'imagination. On peut le comparer à celui de la ‘’Lettre sur les voleurs’’ : «Un grand jeune homme de vingt-cinq à trente ans, bien fait, la physionomie ouverte et riante, des dents blanches comme des perles et des yeux remarquablement expressifs. Il porte ordinairement un costume de ‘’majo’’, d'une très grande richesse. Son linge est toujours éclatant de blancheur, et ses mains feraient honneur à un élégant de Paris ou de Londres.» Dans la nouvelle, on ne trouve plus les banalités, et le style est d'une négligence plus familière. - «une des plus misérables» : Dans une lettre à Sophie Duvaucel (8 octobre 1830), Mérimée décrivit la saleté des «ventas» et notamment de celle où il avait fait étape, entre Algeciras et Grenade. Mais une ironie légère colore le tableau de I'auberge.

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Page 84 - «horribles haillons» : Autre souvenir d’une expérience vécue, comme en atteste la descrition de la sorcière et de sa fille dans la quatrième ‘’Lettre d'Espagne’’. - «Munda Baetica» : Mots latins qui signifient «Munda de la Bétique» : Andalousie est le nom arabe de I'ancienne province romaine de l'Hispanie, la Bétique, la plus méridionale de toutes, bornée au Sud par la Méditerranée, au Nord et à l'Ouest par l'Anas (Guadiana), qui la séparait de la Tarraconaise ; elle était ainsi nommée du Baetis (Guadalquivir) qui la traversait. On y remarquait : au Nord les Turduli, au Sud les Bastuli-Poeni, à l'Est les Bastitani, au Nord-Ouest les Baeturiani, au Sud-Ouest les Turdetani. Les localités principales étaient : Corduba (Cordoue), Italica, Hispalis, Cades (Cadix), Astigis, Barbesula, Carteia, Malaca, Munda, etc. Plusieurs villes de la Bétique étaient des colonies phéniciennes et carthaginoises. C'était un des pays les plus beaux, les plus fertiles et les plus commerçants de l'Hispanie. On constate la plaisante déconvenue du voyageur érudit qui, avec humour, ne trouve pas aux lieux qu'il visite le prestige que leur avaient donné ses lectures de textes antiques. - «seigneur» : C’est le mot espagnol pour «monsieur». - «un vieux coq fricassé avec du riz et force piments, puis des piments à l’huile» : Mets cités par Mérimée dans sa lettre à Sophie Duvaucel du 8 octobre 1830. Ces «piments» sont en réalité des poivrons. - «gaspacho» : Il est étonnant que Mérimée le qualifie d’«espèce de salade de piments» alors que c’est une soupe qu'en général on mange froide, qui a pour base une sauce à I'huile fortement aillée, et dans laquelle on mêle de petits cubes de pain, des piments, des concombres, des tomates. - «mandoline» : Il s'agit en fait de la guitare, instrument à cordes pincées muni d'un manche. La mandoline est son analogue italien, et particulièrement napolitain. L'apparition en Espagne de I'instrument est controversée ; le nom de la guitare à dos bombé, «guitarra morisca», plaide en faveur d'une origine orientale. - «musique nationale» : Avec l’aveu de cette «passion», Mérimée, qui ne se laisse pas oublier, ajoute au portrait qu'il fait de lui-même en voyage la touche du mélomane. Page 85 - «zorzicos» : Danses chantées des provinces basques, sur une mesure de 5/8. - «Les Provinces» : «’’Les provinces privilégiées’’, jouissant de ‘’fueros’’ particuliers, c'est-à-dire l’Alava, la Biscaye, la Guipuzcoa et une partie de la Navarre. Le basque est la langue du pays.» (note de Mérimée). - «air sombre» : Mérimée le remarque, mais ne peut pas encore I'interpréter ; c'est seulement au début du chapitre 3 que don José lui dira qu'il est d'origine basque. Le mal du pays s'allie en lui au regret de son honnête jeunesse. - «le Satan de Milton» : Il est évoqué dans ‘’Le paradis perdu’’, poème épique que l’Anglais Milton fit paraître en 1667. Ce portrait de Satan était bien connu des romantiques français dans la traduction qu'en avait donnée Chateaubriand (‘’Génie du christianisme’’, IIe partie, livre IV, chap. 9) : «Ce n'était rien moins encore qu'un Archange tombé, une gloire un peu obscurcie : comme lorsque le soleil levant, dépouillé de ses rayons, jette un regard horizontal à travers les brouillards du matin ; ou tel que, dans une éclipse, cet astre caché derrière la lune répand sur une moitié des peuples un crépuscule funeste, et tourmente les rois par la frayeur des révolutions. Ainsi paraissait I'Archange obscurci, mais encore brillant, au-dessus des compagnons de sa chute.» Mérimée fit donc alors de don José un héros romantique. - «beau sexe» : L’ironie de Mérimée est nette puisqu’il a décrit la vieille femme et la petite fille comme «toutes deux de couleur de suie et vêtues d’horribles haillons». Page 86 - «enveloppé dans mon manteau» : Mérimée a en effet connu ces gîtes, si sales qu'on y évite de toucher à rien. Il écrivit à Sophie Duvaucel (8 octobre 1830) : «Nous dormons enveloppés dans nos manteaux.»

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- «l’amorce de son espingole» : C’est la poudre qui enflamme la charge du fusil : elle doit être bien sèche pour que le coup puisse partir. - «démangeaisons» : Dans la lettre à Sophie Duvaucel (8 octobre 1830), Mérimée signala qu'on dort «quand les punaises ne sont pas trop affamées.». - «enjamber par-dessus» : Ce tour est ancien ; on l'employait couramment au XVIe siècle. Aujourd'hui, «enjamber» s'emploie transitivement. - «dormait du sommeil du juste» : D’un sommeil paisible, que rien ne trouble, comme le sommeil du juste de l’’’Écriture’’ qui a la conscience tranquille. Cette expression toute faite, qui s’emploie souvent de façon plaisante, est ici nettement ironique car elle ne convient guère au brigand dont il est question. Page 87 - «José Navarro» : «Navarrais» est, en Andalousie, le surnom de cet homme du Nord. Plus loin, il est désigné comme «le Navarro». - «insigne» : Fameux. - «À la bonne heure» : «C’est très bien», approbation marquée d’une manière ironique par antiphrase. - «ducats» : Le ducat était une monnaie d'or fin. «Deux cents ducats» correspondent environ à cinq cents euros : une grosse somme pour un pauvre guide espagnol. Le fils de Mateo Falcone avait bien vendu son cousin pour une montre ! - «lanciers» : Cavaliers armés d'une lance ; ils assuraient la police en Espagne. - «ce pauvre homme» : La pitié de Mérimée pour ce dormeur serein I'emporte sur tout autre sentiment. - «ce bon monsieur» : Le mot est piquant, venant après le «pauvre homme» de Mérimée. N'y a-t-il pas un souvenir de Molière dans le rapprochement de ces répliques? Page 88 - «deux cents ducats ne sont pas à perdre» : Et ce n'est pas Mérimée qui pourrait les lui donner : ce docte voyageur était impécunieux ; il le dit à la fin du chapitre. - «piqua des deux» : «Piquer des deux éperons à la fois, et, par conséquent, donner vigoureusement de l'éperon pour accélérer sa marche» (Littré). - Une ironie légère colore I'apparition nocturne d'Antonio. - «sauta en pieds» : Tournure archaïsante ; elle évoque I'expression «sauter en selle» qui s'emploie pour marquer la hâte et la vivacité. On dit plutôt «sauter sur ses pieds». - Le valet traître, Antonio, a de frustes motivations. On remarque les signes de sa terreur. Tout cela achève d’en faire une figure de comédie. - Mérimée se présente comme un homme d'honneur, et ne dit pas à don José que I'avertissement venait de son guide. Page 89 - «Dieu vous rende…» : Subjonctif de souhait. Nous disons encore : «Dieu vous le rende». - «Je ne suis pas tout à fait aussi mauvais que vous me croyez» : C'est ce que dit Don Quichotte (chapitre 40) : «Je suis, de ma nature, compatissant et bien intentionné.» Mais cette confession de José annonce sa confession du chapitre 3. - «la vengeance» : C'est ce qu'a demandé au vrai José-Maria sa voisine de banquet (voir la ‘’Lettre sur les voleurs’’). - «galoper dans la campagne» : Il faut entendre dans cette galopade nocturne, mais sur le sobre registre propre à Mérimée, l'écho des vers par lesquels, dans la pièce de Victor Hugo, Hernani décrit à Doña Sol le sort qui l’attend si elle le suit : «Me suivre dans les bois, dans les monts, sur les grèves, / Chez des hommes pareils aux démons de vos rêves, / Soupçonner tout, les yeux, les voix, le pas, le bruit, / Dormir sur I'herbe, boire au torrent...» (‘’Hernani’’, vers 139-142). C'est la poésie du proscrit et de sa vie aventureuse : le goût romantique en était avide.

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- «du riz à la valencienne» : Il s'agit de la «paella», originaire de Valence, mais devenue plat national en Espagne : du riz cuit dans le bouillon d’un poulet, au milieu de la viande et des légumes. On mange ce plat dès qu'il sort du feu. Page 90 - «un alcade» : Ce magistrat espagnol correspond au juge de paix. Il joue un grand rôle dans la littérature espagnole : Mérimée eut sûrement plaisir à employer ce mot. - «l’état de mes finances pouvait me le permettre» : En effet, Mérimée déclara à Sophie Duvaucel (lettre du 8 octobre 1830) qu'il prélevait le franc que coûtait l’expédition de sa missive sur la somme de neuf francs qui lui restait pour tout potage. - Dans le monologue de Mérimée, on remarque le passage du style indirect au style indirect libre. Il éprouve la tentation de condamner I'attitude qu'il a prise en pensant aux crimes que le brigand pourrait commettre. Il considère d’abord «les devoirs de I'hospitalité» comme un «préjugé de sauvage», mais il ne peut finalement se résoudre à les renier au nom de l’«instinct de conscience qui résiste à tous les raisonnements». Ce débat de conscience entre plusieurs devoirs est cornélien. Mais il ne vient qu'après l’action. - L'enquête du brigadier révèle le manque de sérieux de la justice espagnole et de son attitude devant les brigands.

Chapitre II Page 91 - «l'antique Munda» : En 45 avant J.C., César battit à Munda les derniers Pompéiens regroupés en Espagne. - «Cordoue […] bibliothèque […] couvent» : C’est un souvenir réel des journées de Mérimée en Espagne. Mais, en fait, c'est à Madrid, en 1840, lors de son second voyage, qu’il avait fréquenté les bibliothèques. - Comme au début du chapitre 1, Mérimée tient à son rôle de voyageur érudit et de chercheur consciencieux. - «la préparation des cuirs» : Très réputés, les cuirs de Cordoue (c’est de «cordouan» que vient le mot «cordonnier»), sont décorés de dorures appliquées au fer. - «l’’’angélus’’» : Prière de dévotion mariale qui se dit le matin, à midi, le soir ; son de cloche qui l’annonce. - «il est censé qu’il fait nuit» : Construction de la langue classique. Le sens est le même que dans : «il est censé faire nuit». Page 92 - «Actéon» : Ce héros d'une légende grecque était un chasseur qui, par hasard, vit un jour Diane et ses nymphes se baigner nues dans une souroe. Indignée, la déesse le changea en cerf, et lança contre lui sa propre meute de cinquante chiens qui le déchirèrent. - «les nymphes du Guadalquivir» : Reprise humoristique du mot. - On a ici un véritable document sur la vie cordouane, Mérimée sachant nous en apprendre beaucoup en peu de mots. - De nouveau, c'est au hasard qu’il va devoir cette autre rencontre : cela donne à son récit un caractère imprévu. - «grisette» : «Jeune fille de petite condition, coquette et galante, ainsi nommée parce qu'autrefois les filles de petite condition portaient de la «grisette» (vêtement d'étoffe grise)» (Littré). - «à l’heure où l’on ne voit plus rien» : Mérimée justifie ainsi la rapidité de sa première description de la «grisette». Mme Gérard d’Houville (préface de ‘’Carmen’’ en 1927) commenta : «N’est-ce pas un art délicieux, cet art qui, d’abord, n’a fait qu’esquisser le sombre et puissant petit être? N’est-ce point beau de la faire sortir d’un fleuve, le soir, comme une force fraîche de la nature pour que nous pressentions tout de suite en elle celle qui donne tellement soif et qui peut devenir si perfide?» - «à la francesa» : À la manière française, c'est-à-dire avec des étoffes de couleurs.

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- «l’obscure clarté qui tombe des étoiles» : Citation à demi parodique du ‘’Cid’’ (IV, 3, vers 1273). Mérimée veut faire sentir que I'instant n'est pas sans une certaine solennité, mais il reste plaisant pour le signaler. - «je vis qu’elle était petite, jeune, bien faite, et qu’elle avait de très grands yeux» : Mérimée donne à cette créature imaginaire les traits de la Carmencita qu'il a connue, comme il le relata dans sa quatrième ‘’Lettre d’Espagne’’ ; le charme de cette gitane I'avait incité à négliger les avertissements de son guide, Vicente. Page 93 - «papelitos» : Petits cigares fins et courts. - «neveria» : «Café pourvu d’une glacière, ou plutôt d’un dépôt de neige. En Espagne, il n’est guère de village qui n’ait sa neveria.» (note de Mérimée). - «Je fis sonner ma montre» : La montre joue un rôle dans la troisième ‘’Lettre d’Espagne’’ : assailli par les voleurs, le voyageur «regarde I'heure à sa montre de Bréguet, qu'il croit consulter pour la dernière fois». C'est en lui offrant sa montre que I'adjudant tente le petit Fortunato Falcone : «Le cadran était azuré, [...] la boîte nouvellement fourbie, [...] au soleil, elle paraissait toute de feu.» - Ce récit initial doit beaucoup aux souvenirs réels du voyageur. Cela lui donne un ton sincère et nonchalant, teinté d’humour (I'anecdote du sonneur). - «Anglais sans doute» : «En Espagne, tout voyageur qui ne porte pas avec lui des échantillons de calicot ou de soieries passe pour un Anglais, ‘’Inglesito’’. Il en est de même en Orient. À Chalcis, j’ai eu l’honneur d’être annoncé comme ‘’Milord français’’.» (note de Mérimée). Ce voyage en Grèce et en Turquie eut lieu en 1842. - «votre doux parler» : Mérimée a déjà indiqué la prononciation particulière des Andalous. - «du monde» : Des gens. - «J'avais appris cette métaphore, qui désigne l'Andalousie, de mon ami Francisco Sevilla, picador bien connu» : Mérimée dit sûrement vrai, puisqu'il raconta, dans sa première ‘’Lettre d’Espagne’’, comment il avait vu Sevilla à Madrid en 1840 : «Mes amis me procurèrent le plaisir de dîner avec Sevilla, il mangeait et buvait comme un héros d'Homère, et c'était le plus gai compagnon qui se put rencontrer. Ses façons andalouses, son humeur joviale et son patois rempli de métaphores pittoresques avaient un agrément tout particulier dans ce colosse, qui semblait n'avoir été créé par la nature que pour tout exterminer.» Page 94 - «la baji» : «La bonne aventure» (note de Mérimée). Il écrivit dans une lettre du 31 août 1848 : «Les bohémiennes se servent de la chiromancie, comme vous pouvez le voir dans le ‘’Mariage forcé’’ de feu Molière.» Il faut remarquer I'ironie dont il use à l’égard de l'érudition indiscrète. - «la Carmencita» : C'est le nom même de la gitane que Mérimée rencontra à Murviedo. - «un certain attrait de curiosité» : Mérimée l’avait déjà éprouvé à l’égard de José Navarro. Son monologue confirme ses réflexions d’alors. - «table éclairée par une bougie» : Cette circonstance permet à Mérimée de détailler le portrait qu'il n'avait qu'amorcé auparavant. Comme le nota Mme Gérard d’Houville : «C’est un portrait aux tons hardis, aux lignes brutales, qui semble annoncer avec des mots les contours et les couleurs de I'un de nos peintres actuels.» - «gitana» : «Gitano» (féminin de «gitana») est le nom espagnol des tziganes, d’où le français «gitan». Page 95 - «voyez Brantôme pour le reste» : Au livre second de ses ‘’Vies des dames galantes’’, Brantôme écrit : «L’Espagnol dit que, pour rendre une femme toute parfaite et absolue en beauté, il lui faut trente belles conditions. Trois choses blanches : la peau, les dents et les mains [...] Trois rouges : les lèvres, les joues et les ongles. Trois longues : le corps, les cheveux et les mains. Trois courtes : les dents, les oreilles et les pieds. Trois larges : la poitrine, le front et I'entresourcil. Trois étroites : la bouche, la taille et I'entrée du pied. Trois grosses : le bras, la cuisse et le gros de la jambe [...] Trois

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petites : les tétins, le nez et la tête.» Cette référence à Brantôme, auteur leste, donne à la description un certain ton de polissonnerie ; le personnage de Carmen est bien celui d'une femme légère. - «Ses yeux surtout» : Ce sont eux qui avaient frappé Mérimée dès sa première vision. - «Jardin des Plantes» : Mérimée en était lui-même un familier, puisqu’il allait souvent y voir son amie, Sophie Duvaucel, belle-fille du naturaliste Cuvier, qui y habitait. - «en la [la montre] considérant avec une excessive attention» : Cette attitude de Carmen prépare le vol de la montre. - «Nous passâmes le pont du Guadalquivir» : De l’autre côté, se trouvait le quartier «des gitanos ou d’une ville populace» (Borrow). Page 96 - «la ‘’rommani’’ ou ‘’chipe calli’’» : Ce sont les noms que les gitans donnent à leur langue. - On passe du simple pittoresque touristique («la neveria») à la couleur locale plus violente et teinte de romantisme : I'attirail des sorcières. Mais les indications de décor restent rares et brèves. - «faire la croix dans ma main gauche avec une pièce de monnaie» : Cervantès commence ainsi une scène de sorcellerie (‘’Nouvelles exemplaires’’, ‘’La gitanilla") : «Donnez la paume de la main à la fillette et de quoi faire la croix, et vous verrez quelles choses elle dira.» - «beauté étrange et sauvage […] œil de loup […] pas sorcière à demi» : Mérimée éprouve, devant cette Carmen qu'il compose en bonne part d'un souvenir réel, à la fois de l’attraction et de la répulsion. - «un homme, enveloppé jusqu’aux yeux dans un manteau brun» : À la scène 2 de l’acte I de la pièce de Victor Hugo, Hernani entrait sur la scène en «grand manteau, grand chapeau». Hugo faisait dire à Doña Sol : «Ôtez donc ce manteau», réplique qu’il changea pour les premières représentations, sur les conseils de ses amis. Puis, dans la même scène, Don Carlos «s'enveloppe dans son manteau et rabat son chapeau sur ses yeux.» Mérimée avait été parmi les organisateurs de la première d’’’Hernani’’, le 25 février 1830 ; la hardiiesse insolente des premières scènes I'avait frappé. - «Je n'entendais pas» : Sens classique de «comprendre» (latin «intendere»). Mérimée tire un effet de l’ignorance où il est de la langue qu’on parle. - «Le mot ‘’payllo’’» : Borrow (‘’Bible en Espagne’’) traduisit : «qui n'est pas un Gitano» ; le mot équivaut donc à celui de «barbare» chez les Grecs classiques ou de «roumi» chez les musulmans. Au chapitre 4, Mérimée fera employer par une bohémienne le mot de «Gentils» dans ce sens. - «je syllogisais» : Proprement, «syllogiser» signifie «raisonner par syllogisme», c'est-à-dire par une argumentation à forme fixe composée d'une majeure, d'une mineure et d'une conséquence. Au surplus, le mot est archaïque (Moyen Âge et Renaissance). Cette pédanterie volontairement voyante est bien dans la manière humoristique de Mérimée. - «le pied d’un tabouret […] le jeter à la tête de l’intrus» : Mérimée s’accorda beaucoup de bravoure ! Page 97 - «je regrettai un peu de ne pas l'avoir laissé pendre» : Encore un trait d'humour. - «Ça finira» : Ces mots annoncent déjà le meurtre de Carmen par José. - «Elle s’animait par degrés. Son œil s’injectait de sang et devenait terrible, ses traits se contractaient, elle frappait du pied.» : Carmen se révèle comme une femme d’une violence volcanique - «s’asseyant à la turque» : Les jambes repliées sous soi. - «une orange» : Voilà l’impétueuse Carmen calmée. Page 98 - «le corrégidor» : «En Espagne, le premier officier de justice d’une ville, d’une province» (Littré). - «l’antique capitale des princes musulmans» : De 715 à 1212, Cordoue atteignit jusqu’à huit cent mille habitants, et avait conquis son indépendance par rapport au calife de Damas. - «des ‘’pater’’ et des ‘’ave’’» : Prières dont la répétition réglée constitue le chapelet. Le «pater» est la prière chrétienne adressée à Dieu, qui commence en latin par «Pater noster», c’est-à-dire «Notre père». L’«ave» est la prière chrétienne adressée à la Vierge Marie, qui commence par «Ave Maria», c’est-à-dire «Salut, Marie».

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Page 99 - «Je l’avais égarée» : Mérimée, plein de délicatesse, ment pour ne pas compromettre Carmen. - «sous les verrous» : En prison. - «une piècette» : Mérimée francisa le nom de la «peseta», petite pièce de monnaie espagnole. - «avisez-vous de dire que la justice ne sait pas son métier en Espagne» : La justice espagnole avait la réputation d’être à la fois inféodée au pouvoir et vénale. - «parce que… parce que…» : Mérimée ne parvient pas à exprimer la vraie raison de son refus de «témoigner en justice», qui est l’intérêt qu’il porte à Carmen. - «un hidalgo» : Étymologiquement, «hijo de algo», fils de quelque chose. «Titre des nobles espagnols qui se prétendaient descendus d’ancienne race chrétienne sans mélange de sang juif ou maure.» (Littré). - «garrotté» : Dans le supplice du garrot, le condamné est étranglé par une corde que le bourreau serre au moyen d’un morceau de bois court. Mérimée indiqua en note : «En 1830, la noblesse jouissait encore de ce privilège. Aujourd’hui, sous le régime constitutionnel, les vilains ont conquis le droit au ‘’garrote’’». - «comment en Espagne les coquins sortent de ce monde» : Dans sa seconde ‘’Lettre d’Espagne’’ (sur les exécutions) Mérimée avait longuement décrit les préparatifs et le cérémonial en usage. Mais il n’en garda rien ici. - «Mon dominicain» : Les moines dominicains sont assez maltraités par cet anticlérical qu’était Mérimée : leur langage est parodié, avec son onction et sa religiosité ; leur attitude devant leur rôle atroce d’assistance morale aux condamnés est cruellement mise au jour. - «petit pendement pien choli» : C’est une citation de la pièce de Molière, ‘’Monsieur de Pourceaugnac’’ (acte III, scène 3), où un Suisse invite son maître à assister à ce spectacle en place de Grève. Mérimée utilise cette citation à l’accent barbare pour traduire son dégoût devant l’offre du bon père. Page 100 - «il n’avait pas besoin d’en prendre davantage» : Don José fait preuve d’une lucidité stoïque, d’un courage devant la mort qui est fait de fatalisme. - «une personne qui vous a offensé […] personne, que je sache, ne m’a offensé en ce pays» : Mérimée, en homme d’honneur, tient à préserver Carmen. - «Vittoria» : Sur la grande route de Madrid en France, entre Burgos et San Sebastian. - «Pampelune» : Capitale de la province de Navarre, à quatre-vingt-dix kilomètres de Vittoria ; le détour est d’importance pour un cavalier. - «cette médaille […] une bonne femme» : Don José fait preuve de piété religieuse et de piété filiale. Page 101 - «une bonne femme dont je vous dirai l’adresse. Vous direz que je suis mort, vous ne direz pas comment» : Trois fois de suite le verbe «dire» ; c’est bien nettement une négligence de style ; il aurait fallu supprimer le premier.

Chapitre 3 Page 102 - «Elizondo» : Au pays basque espagnol, à cinquante kilomètres au sud de Bayonne. - «Batzan» : Haute vallée de la Bidassoa. - «Lizzarrabengoa» : Patronyme basque authentique. - «le don» : Particule devant le nom des «hidalgos». - «jouer à la paume» : Sport national basque, appelé aussi la «pelote». - «maquilas» : «Bâtons ferrés des Basques» (note de Mérimée). Carmen, se moquant de l’Anglais, traduit pour lui ce mot basque par «orange» ; aussi veut-il «manger du maquila» ! - «dragons» : Soldats de cavalerie. - «Almanza» : Ville du Sud de l’Espagne, dans la province de Murcie.

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Page 103 - «Vingt-quatre» : «Magistrat chargé de la police et de l’administration municipale» (note de Mérimée). - «leur en content de toutes les couleurs» : Leur disent toutes sortes de choses désagréables. - «mantille» : Écharpe de dentelle dont les Espagnoles se couvrent la tête et les épaules. - «jupes bleues et nattes tombant sur les épaules» : «Costume ordinaire des paysannes de la Navarre et des provinces basques» (note de Mérimée). - «la gitanilla» : La petite gitane. C’est le titre d'une «nouvelle exemplaire» de Cervantès, que Mérimée avait lue. - «un vendredi» : Jour néfaste, puisqu'il est I'anniversaire de la mort du Christ. Julien Sorel remarque aussi cela au moment de sa condamnation à mort (‘’Le rouge et le noir’’, II, 41) : «C'est aujourd’hui vendredi, pensa-t-il.» Page 104 - «cassie» : Acacia farnesiana, à fleurs jaunes et très parfumées. - Le portrait de Carmen rappelle celui que Estebañez Calderon fit de son héroïne, la Gorgoja, dans les ‘’Escenas andaluzas’’ : «Elle passa devant mes yeux, roulant la croupe, les bras en anses de vase et les mains sur les hanches, remuant la tête et regardant de tous côtés.» Outre ce souvenir littéraire, il faut noter la fréquence des comparaisons avec des animaux dans les portraits que Mérimée fit de Carmen : «une pouliche», le «corbeau», le «loup», et le «chat». Dans cette troisième description, sont sensibles le changement de narrateur et le changement de décor, ce nouveau cadre où nous voyons Carmen lui permettant de se conduire d’une façon plus théâtrale. La description suit le regard de José. - «ce costume aurait obligé le monde à se signer» : Les Basques, très croyants et très prudes, auraient, devant Carmen, vue comme une créature diabolique, fait le signe de la croix, pour se préserver de son influence maléfique. José n’est pas sensible au regard de Carmen parce qu’il éprouve une répulsion superstitieuse, mais qui traduit une attirance. Les détails qu'il note soulignent la provocation sensuelle à laquelle elle se livre. Il considère Carmen comme diabolique, mais le lecteur n’a pas le même sentiment. - «faire les yeux en coulisse» : Laisser glisser le regard obliquement, à la dérobée. - «épinglette» : Longue épingle de métal qui servait à déboucher la lumière du fusil. Le soldat devait toujours en avoir une sur lui. - «épingle» : Utilisée dans la dentelle au fuseau. - «aune» : Mesure qui vaut 1, 182 mètre. - «épinglier de mon âme» : L’épinglier est un fabricant ou marchand d’épingles, mais d’épingles pour dentellières, mercier en somme. - Les moqueries de Carmen sont plus provocantes que des œillades. Cette séduction commence oomme un duel : ce n’est pas un bon signe pour la liaison qui s'amorce. - En jetant la fleur de cassie, elle voulut obliger José à réagir. Elle lui fit «l’effet d’une balle», donc d’un affront, sinon d’une blessure. Page 105 - «sottise» : José reconnaît qu’il eut tort de céder à la provocation de Carmen. - «la figure renversée» : Bouleversé. - «les quatre fers en l’air» : Cela se dit d’un cheval, et marque un fort mépris. - «comme un caméléon» : Outre sa capacité à changer de couleurs, ce saurien se distingue par la mobilité de ses gros yeux. - «Triana» : Faubourg ouvrier de Séville, sur la rive droite du Guadalquivir. Une importante colonie de gitans y habite encore de nos jours. - «tu n’as pas assez d’un balai» : Les sorcières sont censées chevaucher un balai. - «elle se sentait véreuse sur l’article» : Elle ne se sentait pas irréprochable sur ce point (coupable au fond, comme le fruit qui cache un ver). L’expression est vulgaire. - «filleule de Satan» : Sorcière.

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Page 106 : - «émoucher» : Chasser les mouches. «La promenade avec deux laquais par-derrière pour l’émoucher» est une allusion à un supplice populaire qu’on infligeait aux femmes de mauvaise vie : elles étaient promenées sur un âne, dans un accoutrement ridicule, et exposées aux injures et aux risées des passants. - «peindre un damier» : Adaptation, indiqua Mérimée, de l’expression espagnole «pintar un javeque», «peindre un chébec» (petit trois-mâts, courant en Méditerranée ; Mérimée ajouta : «Les chébecs espagnols ont, pour la plupart, leur bande peinte à carreaux rouges et blancs», la bande de ris étant une bande de toile appliquée sur une des faces d’une voile pour la fortifier aux points où doivent être percés les trous dans lesquels passent les garcette des ris). - «croix de Saint-André» : Croix en forme d’X. - «Ma sœur» : «Hermana», façon courtoise de saluer une femme dans le peuple espagnol. - «douce comme un mouton» : Ici encore, Carmen est comparée à un animal. - «en semblable rencontre» : En telle occasion. - «la rue du Serpent» : Calle de las Sierpes, rue très animée du centre de Séville. Au 52 de cette rue s'élevait la prison où Cervantès, captif, prépara ‘’Don Quichotte’’: c'est à cette prison que pensa Mérimée en hommage à l'écrivain espagnol. - «laisser tomber sa mantille sur ses épaules, afin de me montrer son minois enjôleur» : Carmen joue ici le même jeu qu'avec Mérimée : pour le séduire, elle «laissa glisser sur ses épaules la mantitlle qui lui couvrait la tête.» Page 107 - «la ’’bar lachi’’ qui vous fera aimer de toutes les femmes» : Le mot est masculin dans ‘’La Bible en Espagne’’ de Borrow : le guide Antonio indique à son client qu'il porte un «bar lachi», une de ces pierres précieuses qui attirent une aiguille», et que le «bar lachi est tout-puissant». - «il n'y a pas de remède» : Pas d’échappatoire. - «baï, jaona» : «Oui, monsieur» (note de Mérimée). Ce sont des mots d’euskadi (langue du pays basque). Dans sa ‘’Dissertation sur la langue basque’’ (1826), F. Lécluse proposa de voir, dans cette expression souvent répétée, l’origine du nom de Bayonne. - «je venais des provinces» : Les trois provinces basques (Guipuzcoa, Biscaye et Ayala) auxquelles on rattache habituellement la Navarre, province à moitié basque, à moitié castillane. - «Laguna ene bihotsarena» : C’est de l’euskadi (la langue basque) exactement traduit par les quatre mots suivants : «camarade de mon cœur». - «Notre langue, monsieur, est si belle» : Les Basques sont très fiers de leur langue : originale et fort peu connue hors de chez eux, elle leur assure le prestige de son mystère. - «Elizondo» : Petite ville située dans la haute vallée de la Bidassoa, à 52 kilomètres d’Irun. Page 108 - «Etchalar […] un pays à quatre heures de chez nous» : À vingt kilomètres au nord-ouest d'Elizondo. - «emmenée par des bohémiens à Séville» : La «gitanilla» de Cervantès avait été, elle aussi, enlevée, puis élevée par une vieille «gitana» qui avait fait d'elle une excellente chanteuse et danseuse, afin de la vendre mieux à la foire de Madrid. - «barratcea» : «Enclos, jardin» (note de Mérimée). C’est un mot basque. - «la montagne blanche» : Les Pyrénées avec leurs sommets enneigés. Séville est bâtie en pays plat. - «jaques» : «Braves, fanfarons» (note de Mérimée). - «une payse» : Dans la langue populaire, on appelle «pays», «payse», une personne originaire du même endroit que soi. Le mot a une valeur affective très marquée par le lien qu'il évoque entre deux êtres. - «Elle mentait, monsieur» : Elle le faisait avec adresse, inspirant à José le désir de la protéger. Mais la nostalgie qu'elle prétend avoir de son pays natal ne convient pas à ce que nous savons déjà de sa personnalité.

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- «estropier le basque» : Le mal parler. Inversement, il est reproché aux Basques de mal parler l’espagnol ; d’où l’expression française : «Parler le français comme un Basque l’espagnol» qui a été déformée en : «Parler le français comme une vache espagnole» ! - Le naïf José, que son récit fait apparaître fruste, est encore un homme d'ordre. Se méfiant d’abord, il en vient à croire sa «payse». Sa rage contre des insulteurs imaginaires traduit admirablement la montée en lui d'une violente passion. - «m’amie» : Forme médiévale de «ma amie», «mon amie», souvent écrite «ma mie». L’expression a survécu dans les chansons, et a donc un parfum populaire de folklore local qui convient bien ici. - «Notre-Dame de Ia Montagne» : La Vierge honorée dans la chapelle la plus connue du pays basque. Page 109 - «coup de poing [...] paire de jambes» : Mérimée puisa peut-être l'idée de cette scène dans Grellmann qui écrivit, dans ‘’Histoire des Bohémiens’’ (l, 3) : «Quand ils sont surpris commettant quelque délit, alors la rapidité de leur course est si grande qu'il n'y a qu'un homme à cheval qui puisse les atteindre.» - «bien tournées» : Jeu sur les deux sens du mot : Carmen tourne vite les jambes pour s'enfuir, et elle a les jambes bien tournées (bien faites). - «ma lance» : «Toute la cavalerie espagnole est armée de lances» (note de Mérimée) - «mais l'atteindre !» : L'exclamation suppose un geste d'impuissance de José. - «et […] et nous indiquaient» : La répétition de «et» est bien dans le style intensif du langage parlé. - «sans un reçu du gouverneur de la prison» : C'est une pensée de soldat : chargé d'une mission, il doit présenter quittance au retour pour en garantir I'exécution. - «une tant petite fille» : Archaïsme : la langue classique employait «tant» devant les adjectifs, alors que le français contemporain emploie «si». L'archaïsme évite ici une répétition. - «louche ou plutôt trop clair» : Deux sens : peu transparent, ce qui fait antithèse avec «trop clair», et aussi : suspect. - «en descendant la garde» : En quittant le service de la garde. - La punition est indiquée avec une grande concision. - «maréchal des logis» : Sous-officier qui était à l’origine chargé du logement des troupes. Page 110 - «Longa, Mina, Chapalangarra» : C’étaient de célèbres chefs de bandes navarrais : leurs noms revenaient sans cesse dans les journaux lors de l'insurrection basque de 1830-1835. Des ouvrages populaires racontaient la vie de Mina. Chapalangarra fut cité par J. Augustin Chaho dans son ‘’Voyage en Navarre pendant l’insurrection des Basques’’ (1836) : «Chapalangarra, leur frère d'armes, qui tomba frappé de six balles dans le Valcarlos.» - «tu […] me […] toi» : Ces changements de personne révèlent le débat qui a lieu dans l'âme de don José au cours de ce monologue où les idées se succèdent, mais sans vraiment s'organiser en raisonnement. Plutôt que des idées, ce sont des images qui tournoient dans ce cerveau quelque peu simplet (il reconnaît plus loin [page 124] : «J’étais assez simple»). Il a subi, par exemple, le prestige des héros de la légende locale : Mérimée introduit par là le pittoresque dans la psychologie même de son personnage. - «la fleur de cassie qu’elle m’avait jetée» : C’est l’image que lui a laissée Carmen, la fleur de cassie jouant le rôle d'un «bar lachi». Cette phrase allait fournir le texte du grand air célèbre dans l’opéra de Bizet : ‘’La fleur que tu m'avais jetée...". - «S'il y a des sorcières, cette fille-là en était une !» : Ce fut I'impression de Mérimée à sa première rencontre avec Carmen. - «un pain d'Alcalà» : «Alcalà de las Panaderos, bourg à deux lieues de Séville, où I'on fait des petits pains délicieux. On prétend que c'est à l'eau d’Alcalà qu'ils doivenl leur qualilé et I'on en apporte tous les jours une grande quantité à Séville.» (note de Mérimée). - «je n’avais pas de cousine à Séville» : C’est ce que le naïf José faillit dire à son geôlier en recevant le pain.

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Page 111 - «En voulant le couper, mon couteau rencontra quelque chose de dur» : Négligence de syntaxe : la proposition participative devrait avoir le même sujet que la principale. - «une petite lime anglaise» : L'acier anglais était, au XIXe siècle, le meilleur du monde. - «deux piastres» : La piastre est une monnaie employée dans plusieurs pays (c’est le nom qu’on donne familièrement au dollar au Québec). La double piastre espagnole en or était une pièce que le brigadier José ne devait pas avoir souvent entre les mains. - «la commère» : Terme d’amitié, sans nuance péjorative. Le mot désignait celle qui avait été la marraine de I'enfant dont on était le parrain. - «le plus gros barreau était scié […] je changeais ma capote» : Ces deux imparfaits équivalent à des irréels au passé : c'est ce qui aurait pu se faire, si José I'avait voulu. - «trente pieds» : Le pied vaut 0,324 mètre : la fenêtre est donc à dix mètres du sol. Cette évasion serait moins spectaculaire que celle de Fabrice del Dongo (dans ‘’La chartreuse de Parme’’ de Stendhal) qui dut descendre un mur de trente-cinq pieds, puis un parapet de cent quatre-vingt pieds. - «on me cornmanda de service» : Expression du langage militaire : le service ici, c'est la garde. - «homme de cœur» : Au sens classique de «courage». - «j’aurais aimé autant à être fusillé. Au moins on marche seul, en avant de son peloton ; on se sent quelque chose ; le monde vous regarde» : L'honneur militaire se combine à I'honneur espagnol pour inspirer ce sentiment. Page 112 - «un tambour de basque» : Petit tambour à grelots. On lit dans ‘’La gitanilla’’ de Cervantès (‘’Nouvelles exemplaires’’) : «Préciosa prit le tambourin, et elles dansèrent toutes avec tant de grâce et de légèreté que les yeux des spectateurs étaient rivés à leurs pas.» - «la ‘’romalis’’» : «A gipsy dance», «une danse de bohémiens», explique Borrow dans ‘’Les Zincali’’ (II, 2). Dans l’opéra de Bizet, Carmen danse une romalis pour Don José qu'elle essaie de retenir auprès d'elle (acte II). - Carmen présente un nouveau visage : celui de la danseuse, qui se produit chez des officiers, avec lesquels elle se conduit très librement, ce dont souffre José, tandis que Mérimée est émoustillé, évoquant, avec une légèreté de touche, sa prestesse au milieu du tourbillon qu'elle crée. - «’’Agur laguna’’» : «Bonjour, camarade» (note de Mérimée). - «à travers la grille» : «La plupart des maisons de Séville ont une cour intérieure entourée de portiques. On s'y tient en été. Cette cour est couverte d’une toile qu’on arrose pendant le jour et qu’on retire le soir. La porte de la rue est presque toujours ouverte et le passage qui conduit à la cour, ‘’zaguan’’, est fermé par une grille en fer très élégamment ouvragée.» (note de Mérimée) - «freluquets» : Hommes légers et frivoles. José, lui, se sent un homme sérieux : il voudrait avec Carmen un engagement durable. Page 113 - «Je me mis à l’aimer pour tout de bon» : Si José connaît le phénomène de la cristallisation amoureuse qui avait été analysé par Stendhal dans ‘’De l’amour’’ (1823), on constate que, dans son cas comme dans beaucoup d’autres, l’amour naît de la jalousie. - «Légère comme un cabri» : Une nouvelle fois, Carmen est comparée à un animal. - «Maure» : Musulman d’Afrique du Nord. - «les bourgeois venaient […] depuis que Carmen» : En effet, la jeune fille est connue à Séville, et elle n'est sûrement pas farouche ; les bourgeois n’ont-ils pas dit : «Voici la gitanilla» quand elle parut devant la manufacture. - «pris ses quartiers» : L’expression «prendre ses quartiers» est du vocabulaire militaire : c'est José qui parle.

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- «Demain il fera jour !» : «’’Mañana sera otro dia’’. Proverbe espagnol» (note de Mérimée). Mot à mot : Demain sera un autre jour. C'est la devise de I'insouciance. Carmen ne vit que dans l’instant, sans se soucier des conséquences. Elle cite beaucoup de proverbes, ce qui est le signe d'une intelligence assez fruste. - «affiler» : «Donner du ‘’fil’’ au tranchant» (Littré). - «l'argent, le voilà.» : Comme le montra son monologue dans la prison, José était blessé dans son honneur d'avoir reçu de I'argent d'une femme sans pouvoir le lui rendre. Page 114 - «chien qui chemine ne meurt pas de famine» : «’’Chuquel sos pirela, Cocal terela.’’ Chien qui marche, os trouve. - Proverbe bohémien.» (note de Mérimée). Mérimée trouva ce proverbe dans Borrow, qui le cita dans ‘’Les Zincali’’. Il évoque bien ces errants qui vivaient souvent de chapardage. - «mangeons tout» : Le mot est pris dans son sens populaire : «dépensons tout». Il manifeste bien l’insouciance, le mépris de I'argent, la gourmandise de Carmen. - «Tu me régales.» : «Régaler», au sens premier, c'est donner un divertissement ou tout autre plaisir. - «manzanilla» : Vin blanc très liquoreux produit dans la région de Séville. - «argent blanc» : C'est-à-dire des pièces d’argent. - «cuartos» : Des «quarts» de peseta, piècettes de menue monnaie en cuivre. - «Elle prit tout ce qu’il y avait de plus beau et de plus cher» : Carmen a un côté puéril : elle lâche la bride à tous ses désirs, se laisse aller à toutes ses impulsions. Dans ‘’Manon Lescaut’’, Prévost prêta à des Grieux ce mot sur Manon : «Elle aimait trop I'abondance et les plaisirs pour me les sacrifier». - «yemas» : «Jaunes d’œufs sucrés» (note de Mérimée). - «turon» : «Espèce de nougat» (note de Mérimée). - «roi don Pedro le Justicier» : «Le roi don Pèdre, que nous nommons le Cruel, et que Ia reine Isabelle la Catholique n’appelait jamais que le Justicier, aimait à se promener le soir dans les rues de Séville, cherchant les aventures comme le calife Haroûn-al-Raschid. Certaine nuit, il se prit de querelle, dans une rue écartée, avec un homme qui donnait une sérénade. On se battit, et le roi tua le cavalier amoureux. Au bruit des épées, une vieille femme mit la tête à la fenêtre, et éclaira la scène avec la petite lampe, ‘’candilejo’’, qu'elle tenait à la main. Il faut savoir que le roi don Pèdre, d’ailleurs leste et vigoureux, avait un défaut de conformation singulier. Quand il marchait, ses rotules craquaient fortement. La vieille, à ce craquement, n’eut pas de peine à le reconnaître. Le lendemain, le Vingt-quatre en charge vint faire son rapport au roi : ‘’Sire, on s’est battu en duel, cette nuit, dans telle rue. Un des combattants est mort. – Avez-vous découvert le meurtrier? – Oui, sire. – Pourquoi n’est-il pas déjà puni? – Sire, j’attends vos ordres. – Exécutez la loi.’’ Or le roi venait de publier un décret portant que tout duelliste serait décapité, et que sa tête demeurerait exposée sur le lieu du combat. Le Vingt-quatre se tira d’affaire en homme d’esprit. Il fit scier la tête d’une statue du roi, et l’exposa dans une niche au milieu de la rue, théâtre du meurtre. Le roi et tous les Sévillans le trouvèrent fort bon. La rue prit son nom de la lampe de la vieille, seul témoin de l’aventure. – Voilà la tradition populaire, Zuniga raconte l’histoire un peu différemment. (voir ‘’Annales de Sevilla’’, t. II, p. 136). Quoi qu’il en soit il existe encore à Séville une rue du Candilejo, et dans cette rue un buste de pierre, qu’on dit être le portrait de don Pèdre. Malheureusement, ce buste est moderne. L’ancien était fort usé au XVIIe siècle, et la municipalité d’alors le fit remplacer par celui qu’on voit aujourd’hui.» (note de Mérimée). Pierre le Cruel, qui régna de 1349 à 1368, transporta sa capitale de Valladolid à Séville. Son règne fut sanglant et criminel. Il avait une gitane pour maîtresse, et c’est ce qui poussa Mérimée à se documenter à cette époque sur les gitans. En 1841, il se mit à préparer une ‘’Histoire’’ de ce roi, qu’iI acheva le 1er juillet 1847 et qui, en décembre, commença à paraître dans la ‘’Revue des deux mondes’’. Page 115 - «’’Rom’’, mari ; ‘’romi’’, femme» (note de Mérimée). - «Calés» : «’’Calo’’ ; féminin, ‘’calli’’ ; pluriel, ‘’calés’’ ; mot à mot : ‘’noir’’, nom que les bohémiens se donnent dans leur langue.» (note de Mérimée).

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- Carmen se soumet à «la loi des Calés», mais dit-elle toute la vérité quand elle affirme : «Je paye mes dettes !» en sautant au cou de José? C’est contredit par la suite du texte. Page 116 - «j'oublie celle de demain» : Ce sera le jour de son exécution. - «quartier» : Ensemble de bâtiments où les troupes sont casernées. - «tu es donc un nègre» : Au sens d'«esclave», comme dans l'expression «faire travailler quelqu’un comme un nègre». - «canari» : Serin jaune des Îles Canaries. - «Tu es un vrai canari, d'habit et de caractère» : «Les dragons espagnols sont habillés de jaune.» (note de Mérimée). Page 117 - «Chien et loup ne font pas longtemps bon ménage.» : Le «loup», c’est le gitan (voir le proverbe que cite Mérimée : «Oeil de bohémien , œil de loup». L’opposition entre le loup et le chien pouvait venir de la fable de La Fontaine, ‘’Le loup et le chien’’. - «Ia loi d'Égypte» : Les gitans, en venant de l’Inde en Europe, passèrent par l’Égypte, d’où leur nom de «gypsies» en anglais. Borrow rapporte (dans ‘’La Bible en Espagne’’) que son guide, Antonio, le détourna d’une enquête par ces mots : «C’est une affaire d’Égypte ; cela ne te regarde pas.» Hugo, dans ‘’Notre-Dame de Paris’’ (1831), appelle sa Esmeralda «fille d’Égypte». Mérimée, pensant que les gitans étaient originaires d’Égypte, demanda à Gobineau un vocabulaire égyptien, mais Ia comparaison qu'il fit avec le rommani fut (et pour cause !) infructueuse (lettre du 20 novembre 1855). Il allait faire état de ces recherches dans la dissertation qui constitue le chapitre 4 de ‘’Carmen’’. - «Tu as rencontré le diable, oui, le diable.» : Différentes notations signalaient déjà, dans les pages précédentes, l’aspect satanique de Carmen ; elles donnent une profondeur terrible à un personnage qui aurait pu n'être que folklorique. Mérimée avait déjà intitulé ‘’Une femme est un diable’’ une pièce de son ‘’Théâtre de Clara Gazul’’ : on peut en conclure que c’était là une de ses convictions profondes. - «Je suis habillée de laine, mais je ne suis pas mouton» : «’’Me dicas vriardâ de jorpoy, bus ne sino braco.’’ - Proverbe bohémien.» (note de Mérimée). - «majari» : «La sainte. La sainte Vierge.» (note de Mérimée). - «épouser une veuve à jambe de bois.» : «La potence qui est veuve du dernier pendu.» (note de Mérimée). «Veuve» est un mot de l’argot employé par la pègre française ; mais Mérimée rapprocha cet argot du rommani après avoir lu Eugène Sue (auteur du roman ‘’Les mystères de Paris’’) et Vidocq (ancien bandit devenu chef de la police, qui fut l’ami de Balzac et son modèle pour Vautrin). - «Laloro, c’est ainsi qu’ils appellent le Portugal» : Borrow donna le nom de «Lalore». Pour «Laloro», Mérimée indiqua en note : «La (terre) rouge». Page 118 - «empêcher les fraudeurs» : L'introduction des marchandises dans une ville était soumise à une taxe qu’on payait aux postes d'octroi installés à toutes les entrées. - «compère» : Vocatif familier. - Dans cette entreprise de corruption d’un fonctionnaire, le dialogue est rapide et animé. - «douro» : Autre nom, purement espagnol, de la piastre. - «c’est la consigne» : José a eu le même mot pour s'excuser d'emmener Carmen à la prison. Page 119 - «je promis de laisser passer toute la bohème» : José commet une nouvelle entorse au réglement, progresse dans le mal. «Bohème», qui désigne habituellement l’ensemble de ceux qui mènent une vie de bohème, qui vivent sans règles, en marge de la société, désigne ici les bohémiens (appelés ainsi parce qu’on considérait qu’ils venaient de Bohème), les gitans. - «la ronde» : la tournée d’inspection faite autour de la ville.

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- «Après nous être disputés pendant une heure, je sortis» : Autre négligence de syntaxe : la proposition participative devrait avoir le même sujet que la principale. - «comme un fou […] je pleurai à chaudes larmes» : Mérimée introduisit, avec une extrême discrétion, le thème du destin tragique. - «Larmes de dragon, j’en veux faire un philtre» : «Dragon» joue sur les deux sens du mot (le terrible monstre des légendes et le soldat). La sorcière se manifeste encore en Carmen. Page 120 - «je ne sais ce que j’ai» : Carmen apparaît bien encore ici dominée par sa sensualité. - «l’humeur comme est le temps chez nous» : Le climat est très changeant au pays basque. Cette idée pourrait être une réminiscence de Diderot qui écrivit dans une lettre à Sophie Volland du 10 août 1759 : «Les habitants de ce pays ont beaucoup d’esprit, trop de vivacité, une inconstance de girouettes. Cela vient, je crois, des incertitudes de leur atmosphère qui passe en vingt-quatre heures du froid au chaud, du calme à l’orage, du serein au pluvieux… La tête d’un Langrois est sur ses épaules comme un coq d’église en haut d’un clocher.» Cette correspondance avait été publiée en 1829. - «elle était allée à Laloro pour les affaires d’Égypte» : Mérimée emploie ici le langage rommani en style indirect libre. - «Dorothée […] anisette» : Mérimée reprit ici la figure de l’antique entremetteuse sordide et souvent ivrognesse, qui se trouve déjà chez Plaute. - «lieutenant dans notre régiment» : Ce lieutenant fournit à l’opéra de Meilhac et Halévy un rôle beaucoup plus développé, celui de Zuñiga. - «perclus» : Privé complètement ou partiellement de la faculté de de mouvoir. - «je n’avais même pas ôté mon bonnet de police» : Le bonnet de police est un nom qui désigne le calot des militaires. Ils doivent se découvrir devant un supérieur. - «je dégainai» : Le texte de la ‘’Revue des deux mondes’’ était plus développé : «Il tira son sabre et me donna du plat d’abord. Alors je perdis la tête, et je dégainai.» - «il s’enferra» : Au sens premier, «s’enferrer», c’est «se percer de l’épée de son adversaire» (Littré). - La rapidité de la succession des verbes est à l’image de la rapidité de l’action. - Face au lieutenant, José est d’abord craintif, puis soudain se rebelle. Il ne le tue donc pas par pure jalousie, mais aussi par fierté. Et la situation constitue une circonstance atténuante. Il a vécu ces instants comme en un rêve, ce ton étant nouveau dans son récit. - «dans sa langue» : En rommani. Presque chaque fois qu’il donna la parole à Carmen, Mérimée précisa avec soin dans quelle langue elle s’exprime. - À cette scène conviendrait bien le titre que Pierre Louys donna à son roman : ‘’La femme et le pantin’’ (1898). Page 121 - «tu ne sais faire que des bêtises» : Carmen reproche à José son impulsivité. - «je te l’ai dit que je te porterais malheur» : Elle lui avait prédit que, s’il la suivait, il finirait fusillé. Le fatalisme joue un grand rôle dans son amour. - «il y a remède à tout» : Carmen montre son sang-froid, se révèle une femme de tête, est digne d’être l’homme de ce couple. - «une Flamande de Rome» : «’’Flamenca de Roma’’. Terme d’argot qui désigne la bohémienne. «Roma» ne désigne pas ici la ville éternelle, mais la nation des Romi ou des ‘’gens mariés’’, nom que se donnent les bohémiens. Les premiers qu’on vit en Espagne venaient probablement des Pays-Bas, d’où est venu leur nom de ‘’Flamands’’». (note de Mérimée). Borrow écrivit, dans ‘’Les Zincali’’ : «’’Roma’’, s. pl., les époux, nom générique de la nation.» En tout cas, c’est ce nom de «Flamands», donné aux gitans, qui sert à désigner leur musique, le «flamenco». - «chufas» : «Racine bulbeuse dont on fait une boisson assez agréable». (note de Mérimée). - «me pansèrent» : Le thème romanesque du jeune homme blessé et soigné par des femmes est traditionnel : ainsi Fabrice del Dongo, après la bataille de Waterloo (‘’La chartreuse de Parme’’, chapitre 5).

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Page 122 - «chipe calli» : Langue des gitans. - «riz […] merluche» : «Nourriture ordinaire du soldat espagnol» (note de Mérimée). Ce manque de nourriture est la raison matérielle qui contraint José à se faire contrebandier. - «voler ‘’a pastesas’’» : «’’Ustilar a pastesas’’, voler avec adresse, dérober sans violence.» (note de Mérimée). - «à la côte» : Il s’agit de la côte sud-est de l’Espagne, rocheuse et peu accessible. La proximité de Gibraltar y avait fait se développer un trafic de contrebande particulièrement important : il y subsiste encore les tours rondes d’où les douaniers surveillaient la mer. - «les miñons» : «Espèce de corps franc» (note de Mérimée). - José, pensant par images, se fait un tableau idyllique de sa vie de contrebandier, qui contrasterait avec la vie austère du soldat. - «elle riait à se tenir les côtés» : On dit plus habituellement, pour signifier «rire très fort» : «se tenir les côtes». Page 123 - «bivouac» : Terme employé ici avec quelque impropriété puisque bivouaquer, c’est passer une nuit en plein air, alors que les contrebandiers ont des tentes. - «Si je te tiens jamais dans la montagne» : «Si je te retiens dans la montagne». - «je ne t’ai jamais demandé d’argent» : Carmen y voit la preuve de son amour. C’est qu’elle est uniquement sensuelle, et ne comprend pas la nature de l’amour que lui porte José - «envie de l’étrangler» : Ces premières impulsions meurtrières causées par la jalousie annoncent le dénouement. - «Pour le faire court» : Tour archaïsant employé par le paysan Pierrot dans ‘’Dom Juan’’ de Molière (II, 1). - «Jerez» : Ville au nord-ouest de Cadix (s’écrit aussi Xérès). - «le Dancaïre» : C’est-à-dire «celui qui prend son plaisir avec l’argent des autres.» - «Gaucin» : Dans la sierra, au-dessus de Malaga. - «de meilleur» : «De meilleur espion». - «Estepona» : Port voisin de Malaga. - «Ronda» : Dans la sierra, au nord-ouest de Malaga. C’est la capitale de la tauromachie. - «Gale avec plaisir ne démange pas» : «Sarapia sat pesquital ne punzana.» (note de Mérimée). La gale est une maladie cutanée contagieuse, très prugineuse. Mais, selon le proverbe, on oublie ce petit désagrément quand on ressent un grand plaisir. Page 124 - «amitié» : Le mot ne peut signifier ici qu’amour. - «J’étais assez simple» : «Simple» signifie «qui se laisse facilement tromper, niais.» (Littré). Mérimée a donc créé un personnage incapable de comprendre le destin qui l’entraîne. Cette naïveté donne à son récit un caractère tragique. - «chaudronnier […] maquignon» : Ces métiers sont encore ceux des tziganes dans les pays sous-développés. - «marchand de mercerie» : Trait d’ironie de Mérimée : qu’on se souvienne de la scène de l’épinglette. - «ma mauvaise affaire de Séville» : Le meurtre du lieutenant. La police d’une grande ville, mieux renseignée, aurait tôt fait de repérer José et de l’arrêter. - «Véger» : Vejer de la Frontera, ville d’Andalousie, à mi-chemin entre Cadix et Algeciras, pittoresquement située sur une colline à huit kilomètres du cap Trafalgar. - «presidio» : Bagne. - «Tarifa» : Port voisin d’Algeciras, à l’ouest. Page 125

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- «Comment ! son mari ! elle est donc mariée?» : Mérimée ménagea un fort contraste entre le bonheur niais de José et cette première révélation soudaine et accablante. - «embobeliné» : Le mot «embobeliner», qui est familier, signifie «séduire par des paroles flatteuses, enjôler» (Littré). On pense à la façon dont Carmen avait obtenu de José qu’il la fasse s’évader. - «il paraît» : Au sens classique : il apparaît à l’évidence. - «le moyen de s’entendre» : On devine jusqu’où Carmen est allée. C’est donc là un nouveau coup pour José, au moment même où il vient déjà d’apprendre l’existence d’un mari. - «le plus vilain monstre que la Bohême ait nourri» : Hyperbole. Cette phrase est de Mérimée qui fait lui-même, à la place de José, le portrait de Garcia. - «une douzaine de cavaliers étaient à nos trousses» : Pour susciter un suspense, Mérimée interrompit le cours logique du récit pour substituer au crime de jalousie le récit d’un accrochage avec la police. - «Ecija» : Ville d’aspect pittoresque et d’origine très ancienne, sur la grand-route de Séville à Cordoue, à mi-chemin entre les deux villes. - «le Remendado» : «Le tacheté» (comme un tigre ou un léopard) ou «le rapiécé» (comme un brigand de grand chemin). Page 126 - «canardait» : «Canarder» signifie «faire feu sur quelqu’un depuis un lieu abrité». - «Quand on est en vue d’une femme, il n’y a pas de mérite à se moquer de la mort» : José exprime la fierté du mâle espagnol qui, pour ne pas déchoir aux yeux d’une femme, est prêt à affronter la mort. - «le prendre» : Le pronom est maladroit : il désigne le Remendado. - «les bas de coton» : C’était une marchandise de contrebande anglaise, l’Espagne ne produisant pas de coton. - «lui lâcha son espingole» : Lui tira des balles de son espingole. - «Bien habile qui le reconnaîtrait maintenant» : Cette réflexion odieuse de Garcia, qui a défiguré son compagnon, s’explique par le souci qu’il a de ne pas laisser d’indices aux gendarmes. - «hallier» : «Réunion de buissons fort épais» (Littré). - «épuisés de fatigue, n’ayant rien à manger et ruinés par la perte de nos mulets» : Mérimée fait un tableau de ces hommes traqués qui ne doit plus rien au romantisme d’’’Hernani’’. - «Tu es le diable» : Mérimée se moque encore de José à qui il fallut bien du temps pour s’apercevoir que Carmen avait raison de lui dire qu’il avait «rencontré le diable». Déjà Orso disait à sa sœur : «Tu es… le diable» (‘’Colomba’’, chapitre 16). Page 127 - «saint Nicolas» : C’est le saint que bien des légendes présentent comme celui qui apporte les cadeaux aux enfants : Garcia peut donc bien l’évoquer ici - «quatre mules» : Deux mules sont pour Garcia plus intéressantes de que deux femmes. Derrière l’utilitarisme et l’à-propos du mot, Mérimée ne veut-il pas faire penser à un certain antiféminisme grossier qui pourrait n’être pas pour lui déplaire tout à fait. - «les lillipendi qui me prennent pour une erañi» : «Les imbéciles qui me prennent pour une femme comme il faut.» (note de Mérimée). Une vieille, dont il refusait d’épouser la petite fille, lança à Borrow : «Vous êtes un vrai lilipendi» ; il traduisit «lili» par «fool» (ignorant, stupide) et «erañi» par «lady», «señora». - «quelque argent […] deux milords anglais […]» : Carmen déploie encore un autre talent : celui d’une organisatrice. Page 128 - «guinées» : Pièces anglaises. - «les chemises dont nous avions grand besoin» : Mérimée utilisa ici, en I'abrégeant, une anecdote qu'il avait contée dans sa ‘’Lettre sur les voleurs’’ : «Excepté quelques cas fort rares, les brigands espagnols ne maltraitent jamais les voyageurs. Souvent ils se contentent de leur enlever I'argent qu'ils ont sur eux, sans ouvrir leurs malles, ou même sans les fouiller. Pourtant il ne faut pas s'y fier. Un

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jeune élégant de Madrid se rendait à Cadix avec deux douzaines de belles chemises qu'il avait fait venir de Londres. Les brigands I'arrêtent au pied de la Carolina, et, après lui avoir pris toutes les onces qu'il avait dans sa bourse, sans compter les bagues, chaînes, souvenirs amoureux qu'un homme aussi répandu ne pouvait manquer d'avoir, le chef des voleurs lui fit remarquer poliment que le linge de sa bande, obligée qu'elle était d'éviter les endroits habités, avait grand besoin de blanchissage. Les chemises sont déployées, admirées, et le capitaine disant, comme Hali du ‘’Sicilien’ : ‘’Entre cavaliers, telle liberté est permise’’, en mit quelques-unes dans son bissac, puis ôta les noires guenilles qu'il portait depuis six semaines au moins, et se couvrit avec joie de la plus belle batiste de son prisonnier. Chaque voleur en fit autant; en sorte que I'infortuné voyageur se trouva en un instant dépouillé de sa garde-robe et en possession d'un tas de chiffons qu'il n'aurait pas osé toucher du bout de sa canne. Encore lui fallait-il endurer les plaisanteries des brigands. Le capitaine, avec ce sérieux goguenard que les Andalous affectent si bien, lui dit, en le congédiant, qu'il n'oublierait jamais le service qu'il venait de recevoir, qu'il s'empresserait de lui rendre les chemises qu'il avait bien voulu lui prêter, et qu'il reprendrait les siennes aussitôt qu'il aurait I'honneur de Ie revoir. ‘’Surtout, ajouta-t-il, n'oubliez pas de faire blanchir les chemises de ces messieurs. Nous les reprendrons à votre retour à Madrid.’’ Le jeune homme qui me racontait ce vol, dont il avait été la victime, m'avouait qu'il avait plutôt pardonné aux voleurs I'enlèvement de ses chemises que leurs méchantes plaisanteries.» - «on devient coquin sans y penser […] on devient voleur avant d'avoir réfléchi» : Mérimée répète la même idée. Elle aussi résume un paragraphe de la ‘’Lettre sur les voleurs’’ : «Un voleur commence en général par être contrebandier. Son commerce est troublé par les employés de la douane. C'est une injustice criante pour les neuf dixièmes de la population, que l'on tourmente un galant homme qui vend, à bon compte, de meilleurs cigares que ceux du roi, qui rapporte aux femmes des soieries, des marchandises anglaises et tout le commérage de dix lieues à la ronde. Qu'un douanier vienne à tuer ou à prendre son cheval, voilà le contrebandier ruiné ; il a d'ailleurs une vengeance à exercer : il se fait voleur.» On voit José entraîné par une fatalité tragique, son attitude pouvant être rapprochée de celle d’Oreste : «Je me livre en aveugle au destin qui m’entraîne». (‘’Andromaque’’ de Racine). - «la Sierra de Ronda» : Splendide région, sauvage et colorée, dont Mérimée garda longtemps le souvenir : «Comment ! Vous avez voyagé dans la sierra de Ronda ! Je vais chercher dans mon capharnaüm de croquis pour retrouver une vue du Tajo de Ronda, que vous vous rappelez sans doute. Il y a quelque vingt-neuf ans que j'entrai dans Ronda sur un cheval efflanqué qui me déposa mollement sur les cailloux qui pavent le pont qui traverse le ravin. Mais je n'en ai gardé nulle rancune.» (lettre à Mme de la Rochejacquelein, 9 août 1859). - José-Maria et sa maîtresse : Il avait une conduite sexuelle très libre, mais pouvait se montrer jaloux, d’où le coup de couteau à sa maîtresse, qui lui en était d’autant plus soumise. Une comparaison s’impose entre ce couple et celui formé par Carmen et José, où les rôles sont inversés. Page 129 - «Écrevisses» : «Nom que le peuple en Espagne donne aux Anglais à cause de la couleur de leur uniforme.» (note de Mérimée). - «Saint-Roc» : San Roque, entre Algeciras et Gibraltar, sur la baie. - «finibus terrae» : Le mot «finibusterre» est dans une des ‘’Nouvelles exemplaires’’ de Cervantès, ‘’Rinconete et Cortadillo’’. Les dictionnaires espagnols le donnent pour désigner la potence : terme de la vie pour le condamné, elle est donc pour lui le «bout du monde». Mérimée ignorait ce sens, et employa ici l’expression dans son sens propre en latin : le bout du monde. - «en effet» : Sens classique : en réalité. - «des gens d’Égypte» : Des gitans. Page 130 - «un officier en rouge, épaulettes d’or, cheveux frisés, tournure d’un gros mylord» : Sous la rapide désinvolture de la syntaxe, on peut apprécier la vivacité évocatrice de ce croquis qui donne au personnage une présence hallucinante. - «elle était habillée superbement» : José fut ébloui devant la tenue de Carmen.

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- «bonne pièce» : Expression archaïque pour désigner un individu, qu’on trouve chez Montaigne et qui se dit encore en français régional. - «poudré» : Autrefois, les hommes de la haute société, comme leurs domestiques, se poudraient le visage et même les cheveux. - «quelle drôle de langue» : Cette réflexion, quoiqu’elle soit une ruse de guerre, ne peut qu’indisposer José, fier, en bon Navarrais, de sa langue. D’où sa réaction instinctive d’humeur et de défense : «dans ma langue». - «un chat surpris dans un garde-manger» : José est vu par Carmen d’une façon très saisissante. - «envie de te balafrer la figure» : Ainsi, l’ancien soldat est prêt à adopter les manières de Carmen qui, pour avoir marqué au visage sa compagne de la manufacture, avait été arrêtée. Page 131 - «je le ménerai d’où il ne sortira jamais» : C’est-à-dire à la mort. Cet assassinat est contraire à la coutume des voleurs, mais Carmen veut apaiser José par l’espoir d’une sanglante vengeance. - «je ferai si bien que tu ne recommenceras plus» : On voit à la réponse de José que sa jalousie ne cède pas si facilement ; et c’est encore une annonce du dénouement. - «mon minchorrô» : «Mon amant, ou plutôt mon caprice» (note de Mérimée). Borrow, qui cita le mot dans ‘’Les Zincali’’, le traduisit par «le bien-aimé, ou le souteneur d’une fille publique». - «quand cette fille-là riait, il n’y avait pas moyen de parler raison. Tout le monde riait avec elle.» : Le rire de Carmen pourrait être un moyen de séduction ou un procédé utilisé pour tromper. Mais il y a surtout chez elle une gaieté naturelle qui est sa marque propre. Ce souvenir lumineux des rires de la femme aimée rend émouvant José qui l’évoque. Il a été ensorcelé par cette gaieté. Mais cette émotion n’est pas perceptible à lecture rapide, Mérimée ayant choisi de ne pas la mettre plus sensiblement en valeur. Page 132 - «l’Anglais […] offrit son bras à Carmen, comme si elle ne pouvait pas marcher seule» : Cette remarque signale au passage le peu de cérémonie qui présidait aux rapports entre les amants. Elle dénonce aussi la mauvaise humeur de José, qui a bien des raisons d’en vouloir à l’Anglais quand il revit cette scène par l’imagination. - «la parade» : La parade militaire qui accompagnait le changement de la garde : alors l’Anglais aura pris son service du matin. - «ma natte d’oranges» : C’est un couffin fait de nattes disposées en spirale et cousues bord à bord. - «Sa jalousie était entrouverte» : La jalousie est un volet mobile composé de lames orientables, placé sur une fenêtre, permettant de voir sans être vu. - «Son grand œil noir» : Image d’exotisme espagnol dans le goût romantique, mais ce n’est qu’une rapide évocation qui tire sa force de sa sobriété. Meilhac et Halévy allaient au contraire l’exploiter dans l’opéra ; Carmen déclare à Escamillo : «En combattant, songe qu'un oeil noir te regarde et que l'amour, l'amour, l'amour t'attend !» - «un de ses éclats de rire de crocodile» : Locution étonnante mais imitée des «larmes de crocodile», qui sont des larmes d’hypocrite destinées à tromper. Une telle expression condense la rancœur que José a gardée contre les enjôlements de Carmen. - «Je ne l’avais jamais vue si belle. Parée comme une madone, parfumée… des meubles de soie, des rideaux brodés…» (page 132) : José manifeste de nouveau son éblouissement devant la tenue de Carmen (qui a quelque chose de sacrilège puisque une «madone» est une représentation de la Vierge, généralement avec Jésus enfant), comme devant le luxe de la chambre. - «moi fait comme un voleur que j’étais» : José exprime elliptiquement son sentiment d’infériorité. Page 133 - «falbalas» : Ornements excessifs sur une toilette. - «nouveaux éclats de rire» : À cause de ce mensonge nouveau, avec son parfum de sacrilège («J’ai une sœur religieuse»).

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- «pillé rasibus» : «À ras», «complètement». L’expression est populaire : Carmen se laisse aller à sa nature vulgaire. - «à la façon de mon pays» : Dans un combat à la loyale, à la «maquila». - «franc Navarrais, comme dit le proverbe» : «Navarro fino» (note de Mérimée). - «tu es comme le nain qui se croit grand quand il a pu cracher loin» : «’’Or esorjlé de or narsichislé, sin chismar lachinguel’’. Proverbe bohémien. La promesse d’un nain, c’est de cracher loin.» (note de Mérimée). Page 134 - «jouer aux cartes» : José sait que Garcia est passionné par les cartes : il l’a vu y jouer une nuit de fuite où la bande était traquée. - «je lui dis qu’il trichait ; il se mit à rire» : Ce rire signifie-t-il qu’il trichait vraiment mais sans y accorder d’importance, ou bien que, ne trichant pas, il s’amuse de voir la colère de son partenaire? Mérimée ne le précisa pas. - «je lui dis : ‘’On dit’’» : La répétition est malencontreuse. - «jaque de Malaga» : Un «jaque» est un mauvais garçon. C’est par ces mots, «un jaque de Malaga», que Mérimée désigna son héros dans la lettre (16 mai 1845) par laquelle il apprit à Mme de Montijo qu’il venait de faire une nouvelle de l’histoire qu’elle lui avait racontée. Malaga est une grande et belle ville d’Andalousie, située sur la Méditerranée. - «franc jeu» : «Franc» a le sens de «libre», comme dans l’expression «laisser les coudées franches». - «C’est leur garde andalouse» : La garde est la position de défense en vue d’éviter un coup. Le possessif résume toute la rancœur de José contre ce pays où il est finalement si malheureux. - «Je me sentais plus fort qu’un géant» : José était exalté par le combat. - «je l’atteignis à la gorge, et le couteau entra si avant, que ma main était sous son menton.» : Malgré l’atrocité, Mérimée conserva son insensibilité. À sa première lecture, Sainte-Beuve commenta : «Ce fameux coup de couteau par lequel son bandit tue le borgne. On reçoit cela... Vlan ! On n'a pas le temps de voir si c'est beau.» (‘’Portraits contemporains’’, 1844). Mais Auguste Dupouy, dans sa préface de ‘’Carmen’’, justifia l’auteur ainsi : «Dans ce récit très précis mais sobre, du duel avec Garcia, Mérimée s’en tient strictement à des détails pour ainsi dire techniques : pas de sentiment. C’est un bandit qui parle, un spécialiste de la navaja et de l’espingole […] Une bonne part de l’art de Mérimée est dans la réticence.» - Cette page, qui décrit le meurtre de Garcia, doit sa couleur tragique à la mort qui menace Mérimée plus qu’à la mort qui s’abat sur des comparses. Page 135 - «Le Dancaïre me tendit la main» : Il marque ainsi sa soumission au nouveau chef. - «Il te l’aurait vendue pour une piastre» : On imagine la déconvenue de José à cette appréciation faite de sa maîtresse. - «placer notre camp deux cents pas plus loin» : Il s’agit de s’éloigner de la tombe, les bohémiens éprouvant de l’aversion pour les cimetières. Mérimée dit plus loin avoir «remarqué chez les bohémiens espagnols une horreur singulière pour le contact d’un cadavre.» - «L’Anglais avait du cœur» : Du courage. - «Si Carmen ne lui eût poussé le bras, il me tuait» : Par une ellipse saisissante, la mort de l’Anglais n’est pas racontée, car elle est devenue tout à fait accessoire. - José tue ces deux hommes parce qu’il est amoureux de Carmen, manquant ainsi à l’honneur. Le Dancaïre n’a pas compris quelle passion le dévore, mais ses propos éclairent ce qu’il y a d’aveugle dans cette passion. L’accueil réservé par Carmen confirme ces propos. - «il en a mis à l’ombre» : «Il en a tué» (alors que, habituellement, l’expression «mettre à l’ombre» signifie «mettre en prison»). - «C’est que son temps était venu. Le tien viendra.» : Le destin est fixé. Ce fatalisme est un trait essentiel de Carmen. Au surplus, le mot annonce le dénouement, en faisant sentir au lecteur qu’il sera inévitablement tragique.

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- «dans du marc de café» : Ce procédé de divination n’avait pas encore été cité : il était pourtant fort répandu ! - «arrive qui plante !» : Locution triviale marquant la désinvolture : qui que ce soit qui «plante», qu’il «arrive» (au subjonctif dans l’expression) ce qui arrivera. - «quand elle voulait chasser quelque idée importune» : Si Carmen est insouciante de l’avenir, sa lucidité fataliste ne lui est donc pas objet de délectation. Page 136 - «Tous ces détails-là vous ennuient sans doute» : Mérimée ne pense pas vraiment qu’il nous ennuie, et que ce serait par un excès de détails qu’il nous ennuierait, lui qui en donne un minimum ! - «j’ai bientôt fini» : Cette remarque, en annonçant l’imminence du dénouement, donne au récit la tension tragique due au temps qui presse. C’est un procédé dont Racine usait couramment. Mais Mérimée le dit comme s’il s’excusait lui-même, ce qui est bien dans sa manière. - «nous arrêtions sur la grande route» : «Arrêtions» est pris au sens absolu : «nous arrêtions des voyageurs». - «mais à la dernière extrémité, et lorsque nous ne pouvions faire autrement » : On voit que cette activité paraît plus coupable à José que celle de la contrebande. - «Je ne veux pas être tourmentée ni surtout commandée. Ce que je veux, c’est être libre et faire ce qui me plaît.» : L’héroïne de ‘’La gitanilla’’, Préciosa, manifestait déjà ce désir d’indépendance ; elle disait à Andrès, son amant : «Sachez qu’avec moi, il faut une liberté sans entraves, une liberté qui ne soit pas troublée par les ombres de la jalousie.» Page 137 - «nous n’étions plus comme auparavant» : Cette transformation dans les rapports entre Carmen et José est due au meurtre qui a été commis. Carmen a changé : elle a perdu sa gaieté. José aussi a changé, ne peut plus s’adapter plus étroitement à Carmen ; cela tient à sa niaiserie, au sentiment de l’honneur qui lui reste encore, et à cette jalousie physique que Carmen ne ressent pas elle-même, et ne comprend pas chez son amant. Leur liaison étant devenu «légale», elle n’y trouve plus les mêmes plaisirs, ce qui nous éclaire rétrospectivement sur son caprice pour José. - «je fus grièvement blessé […] elle me soigna» : On retrouve le thème romanesque du jeune homme blessé et soigné par une femme. - «corrégidor qui me cherchait» : Ainsi, dans ‘’La gitanilla’’ de Cervantès, les gitans tombent chez le corrégidor de Murcie. - «des réflexions sur mon lit de douleur» : Elles l’ont amené à vouloir devenir un mari, à jouer son rôle d’homme dans le ménage, prenant exemple sur ce José-Maria qu’il avait observé dans la sierra. Page 138 - «courses de taureaux» : Spectacles où des taureaux élevés spécialement sont combattus, à pied ou à cheval, par des hommes (les toreros ou toréadors). Dans sa ‘’Lettre d’Espagne’’ sur les courses de taureaux, Mérimée avoua qu’«aucune tragédie au monde ne m’a intéressé à ce point». - «un picador» : Dans la même lettre, Mérimée définit ainsi les picadors : «Il y a deux sortes de toreros : les picadors, qui combattent à cheval, armés d’une lance ; et les chulos, à pied, qui harcèlent le taureau en agitant des draperies de couleurs brillantes . […] Tous portent le costume andalou […] mais, au lieu de culottes et de bas de soie, les picadors ont des pantalons de cuir épais, garnis de bois et de fer, afin de protéger leurs jambes et leurs cuisses des coups de corne […] Le picador, tenant son cheval bien rassemblé, s’est placé, la lance sous le bras, précisément en face du taureau ; il saisit le moment où il baisse la tête, prêt à le frapper de ses cornes, pour lui porter un coup de lance sur la nuque, et non ailleurs. Si tous ces mouvements sont bien exécutés, si le picador est robuste et son cheval maniable, le taureau, emporté par sa propre impétuosité, le dépasse sans le toucher.» - «sa veste brodée» : Elle fait partie de ce qu’on appelle l’«habit de lumière» des toreros . - «Zacatin» : Le mot, qui signifie «petite place», désignait sans doute à cette époque un quartier particulièrement commerçant.

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- «Rivière qui fait du bruit a de l’eau ou des cailloux» : «Len sos sonsi abela Pani o reblendani terela’’ (Proverbe bohémien)» (note de Mérimée). - «réaux» : Le réal est une «monnaie d’argent d’Espagne qui vaut un quart de franc» (Littré) ; la somme gagnée par Lucas équivaudrait donc environ à cent cinquante euros. - «il faut avoir cet argent» : Carmen est attirée dès le début par Lucas, le picador. Mais est-elle amoureuse et veut-elle seulement le dépouiler, comme l’Anglais de Gibraltar? Mérimée n’indique pas quels sont ses vrais sentiments. - «Je te défends de lui parler.» : José est maladroit. - «lorsqu’on me défie de faire une chose, elle est bientôt faite» : La maladresse de José va amener Carmen à s’éloigner de lui pour trouver refuge auprès de Lucas. Page 139 - «Nous eûmes une violente dispute, et je la frappai.» : On a reproché cette brutalité à José, mais n’est-il pas à bout? Et cette vie de meurtres et de dangers ne conduit-elle pas nécessairement à la brutalité? - «Je la laissai partir» : José reste finalement lâche devant Carmen, mais il est amené à faire cette concession après son geste brutal et la réconciliation. - «la place» : Mérimée francisa le mot : «Il y a des cirques («plazas») dans presque toutes les grandes villes d’Espagne. Ces édifices sont très simplement, pour ne pas dire très grossièrement construits. Ce ne sont en général que de grandes baraques en planches, et on cite comme une merveille l’amphithéâtre de Ronda, parce qu’il est entièrement bâti en pierre.» (première ‘’Lettre d’Espagne’’). - «la barrière» : On lit dans la même ‘’Lettre’’ : «L'arène est entourée d'une forte palissade, haute d'environ cinq pieds et demi. À deux pieds de terre règne tout alentour et des deux côtés de la palissade, une saillie en bois, une espèce de marchepied ou d'étrier qui sert au toréador poursuivi à passer plus facilement par-dessus la barrière. Un corridor étroit la sépare des gradins des spectateurs, aussi élevés que ia barrière, et garantis en outre par une double corde retenue par de forts piquets. C’est une précaution qui ne date que de quelques années. Un taureau avait non seulement sauté la barrière, ce qui arrive fréquemment, mais encore s'était élancé jusque sur les gradins, où il avait tué ou estropié nombre de curieux. La corde tendue est censée suffisante pour prévenir le retour d'un semblable accident.» - «fit le joli cœur» : L’expression «faire le joli cœur» signifie «avoir des manières prétentieuses et efféminées pour séduire». - «la cocarde» : C’est «’’la divisa’’, nœud de rubans dont la couleur indique les pâturages d’où viennent les taureaux. Ce nœud est fixé dans la peau du taureau au moyen d’un crochet, et c’est le comble de la galanterie que de l’arracher à l’animal vivant, pour l’offrir à une femme.» (note de Mérimée). - «le taureau par-dessus tous les deux» : Mérimée, dans son souci de mener rapidement le récit, n'insiste pas sur le pittoresque de la corrida, qu’il avait montré dans sa ‘’Lettre d’Espagne’’,. Page 140 - «elle n’était déjà plus à sa place» : E. Magrien, dans ses ‘’Excursions en Espagne’’ (1836), avait publié un récit intitulé ‘’Le picador et I'alcade’’ : on y voyait la femme de I'alcade soigner le picador, blessé au combat, et qu'elle aimait. Son mari la noyait dans le Guadalquivir, puis se pendait. - «je m’y tins coi» : Toujours dans son souci de mener rapidement le récit, Mérimée ne fit pas dire .par José les sentiments qui I'agitaient durant la soirée où il attendit Carmen. - «Eh bien ! dit-elle, partons !» : Carmen fait preuve d’une docilité qui est fondée sur son fatalisme, sa croyance dans les présages. Mais on va vite en voir les limites. - «Je suis las de tuer tous tes amants» : Cette raison est sincère, mais n’est pas suffisante pour expliquer la nouvelle détermination de José. - «je venais de rencontrer un prêtre […] Un lièvre a traversé le chemin entre les pieds de ton cheval.» : Le prêtre qu'on rencontre est un présage traditionnel de malheur. Le lièvre est plus original.

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Page 141 : - «cent vingt onces» : L’once était une monnaie espagnole. Ce trésor vaudrait à peu près six mille euros. - «Moi d’abord, toi ensuite» : «Je mourrai d’abord, toi ensuite.» - «prier pour quelqu’un qui est en grand péril» : José manifeste sa foi chrétienne. - «les affligés» : Ceux qui sont durement frappés, accablés, d’un mal, d’un malheur. Page 142 : - «J’espérais que Carmen se serait enfuie» : Cela prouve que José ne comprend pas Carmen. Cette incompréhension profonde le conduit au crime. - «retirer le plomb» : Ce sont les petites balles de plomb qui, cousues dans l’ourlet, alourdissent le bas de la robe et lui permettent de tomber droit. - «Marie Padilla» : Borrow rapporta dans ‘’Les Zincali’’ la légende de Marie Padilla. «On a accusé Marie Padilla d’avoir ensorcelé le roi don Pèdre. Une tradition populaire rapporte qu’elle avait fait présent à la reine Blanche de Bourbon d’une ceinture d’or, qui parut aux yeux fascinés du roi comme un serpent vivant. De là la répugnance qu’il montra toujours pour la malheureuse princesse.» (note de Mérimée). - «occupée de sa magie» : Selon Mérimée, les gitanes lisaient l’avenir dans du plomb fondu jeté dans l’eau. Carmen va se montrer docile, non pas à José, mais au destin fatal qui lui ainsi été indiqué. - «une gorge solitaire» : Ainsi, le décor du dénouement est le même que celui de la scène où Mérimée rencontre José pour la première fois. - «immobile un poing sur la hanche, me regardant fixement» : Le consentement de Carmen n’a rien de doux. Page 143 : - «je ne veux plus m’en donner la peine» : Il y a un romantisme discret dans cette lassitude, ce désenchantement de Carmen. - «Comme mon rom, tu as le droit de tuer ta romi» : Carmen se dit fidèle à la loi bohémienne, mais, en fait, c’est un alibi qu’elle se donne à elle-même. Dans sa ‘’Gitanilla’’, Cervantès fait dire par un bohémien : «Nous sommes nous-mêmes juges et exécuteurs de nos femmes et maîtresses. Nous ne faisons pas plus de façons pour les tuer et les enterrer dans les montagnes et les déserts que si c’était de la vermine.» - «La fureur me possédait» : La détermination de José est trop faible puisqu’il agit dans un mouvement de fureur. - «Cette femme était un démon» : Dans l’ultime portrait de Carmen apparaissent encore son indépendance, son inconstance, sa fidélité à la loi bohémienne, son irascibilité, sa détermination, son courage, sa grandeur farouche. Mais José considère tout ceci comme diabolique. - «Elle tira de son doigt une bague que je lui avais donnée» : La bague, pour une primitive comme Carmen, est le lien même du mariage. En la jetant, elle veut marquer à José qu’elle ne se considère plus comme sa femme. Page 144 : - «C’était le couteau du Borgne» : José accorde superstitieusement une valeur à l’arme du crime. - «Je crois encore voir son grand œil noir» : Cet œil mourant, à demi-éteint, à la fois fixe et vague, indique bien que la nouvelle s’achève sur le mystère qui subsiste après la mort de Carmen : quelle était-elle ? que voulait-elle? Serait-elle aussi attirante si Mérimée nous avait permis de la définir clairement? - «je l’y déposai» : Ainsi, dans ‘’Manon Lescaut’’, des Grieux enterre Manon : «Je rompis mon épée pour m’en servir à creuser […] J’ouvris une large fosse.» Et, dans ‘’Atala’’, Chactas raconte : «Il eût fallu voir un jeune sauvage et un vieil ermite, à genoux l’un vis-à-vis de l’autre dans un désert, creusant avec leurs mains un tombeau pour une pauvre fille dont le corps était entendu près de là, dans la ravine desséchée d’un torrent. Quand notre ouvrage fut achevé, nous transportâmes la

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beauté dans son lit d’argile.» Mais Mérimée évita mise en scène somptueuse, gesticulations et lyrisme. - «Peut-être ai-je eu tort?» : Son acte même reste opaque à José. - «Ce sont les ‘’Callé’’ qui sont coupables pour l’avoir élevée ainsi.» : Cela prouve encore que José ne comprend pas Carmen. - José a tué Carmen parce qu’il ne peut vivre sans elle, mais il n’a pas le courage de se tuer lui-même, comme le lui avait indiqué Carmen : «Moi d’abord, toi ensuite» .

Chapitre IV Page 145 - «Bohémiens, Gitanos, Gypsies, Zigeuner» : Grellman, dans son ‘’Histoire des Bohémiens’’, et, à sa suite, Borrow, dans ‘’Les Zincali’’, consacrent leur premier chapitre à énumérer et à étudier tous ces noms. - «disent la bonne aventure» : Carmen faisait donc ce que font les femmes de sa race. - «Les caractères physiques des bohémiens» : Ce sujet est développé dans ‘’Les Zincali’’ de Borrow. Page 146 - «le nom de ‘’Calé’’, les noirs, par lequel ils se désignet souvent» : «Il m’a semblé que les Bohémiens allemands, bien qu’ils comprennent parfaitement le mot ‘’Calé’’, n’aimaient point à être appelés de la sorte. Ils s’appellent entre eux ’’Romané tchavé’’» (note de Mérimée). - «leur regard […] celui d’une bête fauve» : D’où le dicton espagnol que Mérimée citait lors de sa première rencontre avec Carmen : «Œil de bohémien, œil de loup». - «craignant ‘’naturellement les coups’’ comme Panurge» : Ce sont donc de bons vivants, comme Panurge. Mérimée avait déjà employé, dans ‘’La vision de Charles IX’’, cette citation dont l’humour l’amusait. - «la beauté est fort rare parmi les Gitanas d’Espagne» : Carmen est donc une exception, bien qu’elle ne soit pas douée de toutes les perfections. - «les crins les plus rudes, les plus gras, les plus poudreux» : C’est là une observation personnelle de Mérimée : «Le mal, c’est que les gitanes sont trop brunes et qu’elles ont les cheveux comme du crin.» (lettre à Mrs Senior). - «des danses qui ressemblent fort à celles que l’’on interdit dans nos bals publics du carnaval» : C’est la «romalis» par exemple, que Carmen danse chez le jeune colonel. L’interdiction des danses s’explique par la pruderie qui régnait en France sous Charles X. Page 147 - «Casta quam nemo rogavit» : «’’Elle est chaste celle que jamais personne ne sollicita’’ (Ovide, ‘’Amours’’, I, VIII, 43)» (note de Mérimée qui écrivit à Mme de Montijo (16 mai 1845) : «La plupart de ces femmes sont horriblement laides, c’est une raison pour qu’elles soient chastes, et des meilleures.» - «Il n’y a pas de danger ni de misères qu’elles ne bravent pour les secourir en leurs nécessités.» : Ainsi fait Carmen. - «dans les associations mystérieuses et en dehors des lois, on observe quelque chose de semblable» : Cette remarque très juste reflète l’intérêt que portait Mérimée à ces sociétés de hors-la-loi dont les bohémiens lui fournissaient un exemple pittoresque. Il avait lu les ‘’Mémoires’’ de Vidocq où il s’était initié aux lois des voleurs français. - «J’ai visité, il y a quelques mois, une horde de Bohémiens établis dans les Vosges.» : Mérimée était à Metz en septembre 1846. Sa visite aux bohémiens date nécessairement de ce voyage ; il n’a en effet rédigé ce chapitre qu’après coup, et ne l’a ajouté au texte de sa nouvelle que dans l’édition de 1847. Page 148

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- «Il avait un bon lit de paille et de mousse avec des draps assez blancs» : Chez Mérimée, l’ironie ne perd jamais ses droits, mais il ne semble pas qu’elle empêche la sympathie. Dans ses voyages lointains, il connut le plaisir de ces hospitalités frustes, mais réconfortantes. - «leur indifférence en matière de religion» : Cette indifférence fut exposée par Borrow, orfèvre en la matière puisqu’il s’employait à répandre la Bible. Elle ne pouvait que plaire à Mérimée, qui n’était pas baptisé, et qui se faisait une gloire d’être «un tel mécréant». - «j’ai remarqué» : Une telle expression, rarement employée dans ce chapitre, signale une constatation que Mérimée estimait originale. - «des philtres» : Carmen voulait même recueillir les larmes du dragon José pour «en faire un philtre» ! - «elles tiennent des pattes de crapauds» : Au sens commercial, «tenir» des marchandises c’est en avoir un assortiment pour en vendre au public. Le mot ainsi complété est plaisant. - «pierre d’aimant» : C’est la «bar lachi» dont Carmen promet un morceau à José s’il la laisse s’échapper. Page 149 - «se faire aimer des insensibles» : La langue classique employait substantivement cet adjectif au sens particulier d’«insensible à l’amour». - «des conjurations» : «Paroles de sortilèges» (Littré). - «L’année dernière, une Espagnole me racontait» : Ce chapitre date donc bien de 1846, puisque Mérimée avait fait en 1845 son troisième voyage en Espagne. - «la rue d’Alcala» : La Calle de Alcala, une des rues les plus fréquentées de Madrid, qui va de la Puerta del Sol au Prado. - «C’était la vérité» : Faut-il voir dans la justesse de cette indication la preuve que la bohémienne était vraiment prophétesse? Mérimée exerça plutôt, une fois encore, son ironie. - «impossible de procéder à des opérations magiques dans la rue» : C’est exactement pour la même raison que Mérimée s’était rendu chez Carmen, plutôt que de rester dans la «neveria». - «un mouchoir, une écharpe, une mantille qu’il vous ait donné» : Le singulier du participe passé est justifié car il suffit d’un seul de ces objets. - «cramoisie» : D’un rouge foncé qui est la couleur du diable. - «doublon» : Ancienne monnaie d’or espagnole. - «Campo-Santo» : «Le champ sacré», le cimetière. La gitane compte sur l’horreur qu’il inspire pour faire reculer sa victime. - «diablerie» : Cérémonie de sorcellerie où l’on invoque les démons. - «son infidèle» : Il s’agit de l’amant qui l’a trahie. - «vains» : Vaniteux, fiers. Page 150 - «Les Gentils» : Traduction libre du mot «payllo». Mais ce mot de «gentils» est heureux, puisque juifs et chrétiens des premiers âges l’employaient pour désigner les polythéistes, ceux qui n’étaient pas de leur secte. - «dans l’est de l’Europe, vers le commencement du XVe siècle» : C’est ce qu’avance Grellmann dans son ‘’Histoire des bohémiens’’ : ils seraient venus de l’Inde après l’invasion de ce pays par le Tartare Timour Lengh, appelé aussi Tamerlan, en 1409. - «sanscrit» : Langue indo-européenne, sœur du latin et du grec ancien. Morte aujourd’hui, cette langue reste la langue sacrée des hindous. Page 151 - «mots grecs» : Mérimée avait un peu étudié le grec moderne, dont il s’agit ici, avant son voyage de 1841 en Orient. C’est Borrow qui lui fournit les trois mots qu’il cite ; mais il confondit «petali» (fer de cheval) avec «petalli», qui désigne une «posada». - «pani […] manro […] mâs […] lon» : Ces mots encore furent cités par Borrow (dans ‘’Les Zincali’’) avec leurs correspondants hindous. Mais ces rapprochements seraient abusifs.

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Page 152 - «Oudin dans son curieux dictionnaire» : C’est ‘’Curiosités françaises, pour suppléments aux dictionnaires, ou recueil de plusieurs belles propriétés, avec une infinité de proverbes et de quolibets pour l’explication de toutes sortes de livres’’ (1640). - «La combinaison ‘’firlamui’’» : Étymologie de pure fantaisie.

Analyse

Genèse de l’œuvre L'Espagne attirait les romantiques parce que, moins connue, plus différente que l’Italie, elle paraissait à ceux qui y pénétraient ou qui en entendaient parler comme le pays Ie moins banal et le moins bourgeois, le plus moyenâgeux et chevaleresque, le plus pittoresque, le plus poétique en somme ; s’il était arriéré, moins civilisé que d'autres, c'était tant mieux pour Ia couleur locale. Les écrivains français, Gautier, Hugo, Dumas, y voyageaient. Mérimée, avant même d'y être allé, en rêvait : il y avait, dès 1825, situé son ‘’Théâtre de Clara Gazul’’, et la qualité de la supercherie suppose bien des lectures, un instinct déjà très affirmé. Puis il passa la seconde moitié de 1830 à sillonner le pays jusqu’en Andalousie, y retourna en 1840. Lors de son premier voyage, il se Iia avec le comte de Montijo et sa famille. Dans les années 1840, le ‘’Théâtre italien’’ reçut une troupe espagnole, les ‘’Variétés’’ accueillirent des danseurs andalous. Cette mode gagna même la province : Flaubert I'attesta dans ‘’Madame Bovary’’, où Léon invite Emma à aller voir «une troupe de danseurs espagnols, que l'on attendait bientôt sur le théâtre de Rouen.» Dès 1830, Mérimée écrivit des ‘’Lettres d’Espagne’’ où, dans celle consacrée aux sorcières, il parla d’une petite gitane des environs de Murviedro nommée Carmencita, «une très jolie fille, point trop basanée», qui peut avoir été à l’origine de ‘’Carmen’’. Mais il mit quinze ans avant de se décider à écrire sa nouvelle, la mûrissant ces années durant. Il le fit en manière de réplique aux espagnolades romantiques, et, en particulier, à ‘’Hernani’’, pour donner une oeuvre où se refléterait, dans sa vérité, l'âme espagnole. Pendant son voyage en Espagne, des personnages opposés à ceux de Victor Hugo se dessinèrent à son esprit dans leurs lignes respectives.! Son Hernani à lui sera aussi un bandit noble, contrebandier, voleur de grand chemin et assassin. Sa doña Sol sera Carmen, bohémienne satanique, son Ruy Gomez, Garcia le Borgne, «noir de peau et plus noir d’âme». Cette arrière-pensée maligne était tout à fait dans les façons de l'écrivain. Il révéla lui-même la source de la nouvelle : dans une lettre à Mme de Montijo du 16 mai 1845, il lui confia : «Je viens de passer huit jours enfermé à écrire, non point les faits et gestes de feu don Pèdro, mais une histoire que vous m’avez racontée il y a quinze ans et que je crains d’avoir gâtée. Il s’agissait d’un ‘’jaque’’ [mauvais garçon] de Malaga qui avait tué sa maîtresse, laquelle se consacrait exclusivement au public. Après ’’Arsène Guillot’’, je n’ai rien trouvé de plus moral à offrir à nos belles dames. Comme j’étudie les Bohémiens depuis quelque temps avec beaucoup de soin, j’ai fait mon héroïne Bohémienne.» On sent tout le prix de ce témoignage irrécusable, divulgué en 1894, dont l'essentiel est que l'idée de l'anecdote lui vint de Mme de Montijo. Mais pourquoi, parmi toutes les histoires qu'il a pu entendre, retint-il justement celle-là? Et pourquoi est-ce la femme qui fournit son titre à ce qu'il présente pourtant comme l'histoire d’un «jaque»? Cependant, en 1907, Rafael Mitjana prétendit que c’est l’illustre écrivain Estebañez Calderon qui raconta en 1840 à son ami «don Prospero» la «tragique anecdote» d’où ‘’Carmen’’ serait sortie. Il faut plutôt croire Mérimée, et n’accorder seulement à Mijana que la couleur locale de ‘’Carmen’’ doit beaucoup à Calderon dont Mérimée lut les ‘’Escenas andaluzas’’ (1837) ; en compagnie duquel il connut les ruelles de Séville et les bohémiens d'Andalousie ; à qui, d’ailleurs, il offrit un exemplaire de sa nouvelle orné de cette dédicace : «À mon maître en chipe-calli» (la langue des gitans). Dans son indication à Mme de Montijo : «Comme j’étudie les Bohémiens depuis quelque temps avec beaucoup de soin, j’ai fait mon héroïne Bohémienne.» on doit comprendre qu'il ne les a étudiés avec tant de soin que pour écrire ‘’Carmen’’. En effet, il étala une connaissance des mœurs et de la langue gitanes assez fraîchement acquise dans :

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- les deux gros ouvrages de ce bizarre personnage qu'était l'Anglais Borrow (1803-1881), voyageur et linguiste qui, sans être missionnaire (Mérimée le donna pour «missionnaire ou espion», disant que dans ses livres «il ment effroyablement, mais parfois dit des choses excellentes»), voyagea aux frais et pour le service de l’’’English and foreign Bible society’’: ‘’Les Zincali’’ (publiés en anglais en 1841, en traduction française à Paris en juillet 1845) et ‘’La Bible en Espagne’’ (1843) ; - un ouvrage allemand dont une lettre de lui témoigne qu'il le Iut dès 1845 : ‘’Die Zigeuner in Europa und Asien’’ (1844-1845), par A. F. Pott ; - ‘’Histoire des bohémiens ou tableau des moeurs, usages et coutumes de ce peuple nomade ; suivie de recherches historiques sur Ieur origine, Ieur langage et leur première apparition en Europe’’, par Grellmann (publié en traduction française en 1810) ; - Cervantès, dont Ie chapitre LX de ‘’Don Quichotte’’ montre le bandit Roque Guinart, qui ne peut plus revenir en arrière pour mener une existence honnête ; dont une «nouvelle exemplaire», ‘’La gitanilla’’, raconte l'histoire d'une jeune fille enlevée par les gitans, et qui inspire à un hidalgo un tel amour qu'il devient pour elle bohémien et criminel. Même si toutes ces lectures ont laissé leurs traces dans ‘’Carmen’’, on ne peut se satisfaire de telles références littéraires pour en éclairer la genèse. On risque de se dissimuler l'originaIité de l'ouvrage, si l'on y voit surtout un travail d'érudition ; il ne faut pas négliger l'ironie avec laquelle Mérimée usa de cette érudition. Par sa page liminaire sur la bataille de Munda et son dernier chapitre sur les mœurs des gitans, il semble avoir voulu dire : n’attachez pas plus d’importance que moi à ce banal fait divers des amours d’une méchante fille et d’un pauvre diable. C’était une façon de mystifier les lecteurs. En fait, la froideur et l'ironie du style dissimuleraient volontairement la plus brûlante des confessions, sa correspondance portant les traces d'un grand chagrin d'amour (vraisemblablement causé par Mélanie Double, pour laquelle il se jugeait un trop médiocre parti) qu'il aurait eu au moment de son départ pour l'Espagne, en juillet 1830. Elle nous suggère qu’il était hanté par l'image et le regret de celle qu'il aimait encore, cependant qu'il se plongeait dans l’étrangeté du monde espagnol. Il incarna en Carmen toute la séduction dont jadis il souffrit. La nouvelle exprimerait son désir mort, son regret, son mépris pour la femme décevante et insaisissable. Don José était ce qu’il n'était pas devenu, parce qu’il était (même jeune) un homme raisonnable, et que la bien-aimée I'avait probablement prié de ne plus la revoir. Non par un symbolisme intellectuel, mais par un transfert magique, il la chargea de tout ce dont il avait souffert et, non encore délivré pour l'avoir mise dans un livre, il la tua avec un sombre plaisir.

Intérêt de l’action Le travail de contamination des sources donna à ‘’Carmen’’, nouvelle en quatre chapitres numérotés et non titrés, cette structure complexe de récit dans le récit, où l’épisode essentiel se trouve enclavé entre un préambule et une digression finale, où se mêlent les voix narratives. Le premier chapitre, qui s’étend sur dix-sept pages, est un récit de voyage de Mérimée plein d'une fraîcheur délicieuse, nourri de son expérience vécue et de ses lectures, où il se donna le rôle d’un savant historien doté d’un certain ridicule et qui mène avec sérieux une enquête topographique. Ce fut pour masquer la pure fiction qu’il commença en parlant de lui-même, en évoquant ses recherches savantes et ses enquêtes de terrain. Puis, la fiction succédant à l'autobiographie, il fait la rencontre d’un brigand dont il s’imagine qu’il est le «fameux bandit nommé José-Maria, dont les exploits étaient dans toutes les bouches» (page 83), alors que ce n’est que José Navarro, avec lequel il entre en relation, qu’il protège même, lui permettant de s’échapper. Ce chapitre a l'aspect d'une pièce de théâtre en puissance, l'humour faisant le charme de ces pages, qui semblent destinées à être dites dans un salon de bonne compagnie. Le chapitre 2, qui n’a que dix pages, montre la rencontre, par Mérimée, de la dangereuse gitane Carmen et de son amant qui est nul autre que don José qui, à son tour, le sauve de cette furie. Ainsi,

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le lien est fait entre don José et Carmen, lien qui doit être la cause de ce que Mérimée découvre quelques mois plus tard : l’emprisonnement et l’exécution prochaine du jeune homme. Après ces longs préambules, dans les quarante-deux pages du chapitre 3, est contée par José, promu narrateur, l’histoire tendue, dramatique, cruelle, mystérieuse parfois, implacable toujours, sans pitié, sans tendresse, si dure que le lecteur en éprouve une tristesse profonde, des amours tumultueuses de ce garçon bon et faible victime de sa passion fatale pour Carmen. La nouvelle traite alors de ces thèmes éternels : la déchéance par I'amour («C'est toi qui m'as perdu ; c'est pour toi que je suis devenu un voleur et un meurtrier.»), l'amour qui conduit à la mort, Carmen et José tournoyant ensemble dans le sombre tourbillon qui les mène au gouffre. Au-delà du heurt de deux caractères et de I'intrigue amoureuse, ‘’Carmen’’, qui est toujours imprégnée d'une sombre et dramatique angoisse, est avant tout une tragédie, une tragédie classique même, Mérimée ayant, en pleine éclosion romantique, repris la vieille tradition française. Il a en effet conçu sa nouvelle comme Racine concevait ses pièces, puisque l’action est chargée de peu de matière, que les événements sont rapides, qu’on n’a que deux ou trois personnages qui agissent au lieu de parler. Surtout, l’inexorable fatalité est bien annoncée, différentes notations signalant l’aspect satanique de Carmen (elle prévient José : «Tu as rencontré le diable, oui, le diable.» [page 117]), et donnant une profondeur terrible à un personnage qui aurait pu n'être que folklorique, mais puise aux sources profondes de l'angoisse et du mystère, a même quelque chose de fantastique. José, envoûté par la bohémienne qui est une sorcière, peut être rapproché d’Oreste qui, dans ‘’Andromaque’’ de Racine, se plaint : «Je me livre en aveugle au destin qui m’entraîne». Les deux perssonnages sont dominés par la certitude que la mort est nécessaire, en tant qu'unique force capable de briser ce nœud de passion inextricable, en arrivent à la résignation aveugle et sans rachat possible à cette destinée. Le dénouement est d’une sobriété saisissante dans son paroxysme. Pour peindre cet acte sanglant, la passion brûlante de don José, l’inflexible résolution de Carmen, Mérimée s’est refusé tous les effetrs pathétiques faciles. Il nous révèle de la sorte la fatalité à l’état pur, et donne à une scène qui pouvait être mélodramatique la dignité et le dépouillement de la tragédie. La vulgarité du monde social auquel appartiennent ces deux hors-la-loi, la violence inéluctable de leurs conduites, sont les ombres d'un tableau qui atteint parfois la puissance d'expression dramatique de la peinture de Goya. La véracité supposée du récit est renforcée par un art consommé de la mise en scène, visant le rythme et l'effet dramatiques. Le déroulement est très rapide ; on n’y trouve pas une omission, pas une surcharge ; le trait fin, sobre, fuit le pittoresque facile et les morceaux de bravoure, ménage les clairs et les ombres, gradue avec une incomparable sûreté de main la valeur relative de chaque figure et de chaque objet. Sainte-Beuve l’a noté : «Quand Mérimée atteint son effet, c'est par un coup si brusque, si court, que cela a toujours l'air d'une attrape. C'est comme cette garde navarraise et ce fameux coup de couteau par lequel son bandit tue le borgne. On reçoit cela... Vlan ! On n'a pas le temps de voir si c'est beau». Dans sa préface de ‘’Carmen’’, en 1927, Valery Larbaud confirma : «L'effet ne commence qu'une fois la lecture achevée. Mérimée a dessiné sèchement, presque pauvrement, les attitudes de ses personnages, raconté très vite ce qu'ils ont fait, et puis il les a escamotés, la plupart du temps tués, supprimés. [...]. Mais c'est alors qu'ils commencent à vivre. Notre imagination se met à reconstituer la nouvelle, moment par moment, action par action, si bien qu'il nous arrive de collaborer avec I'auteur, d'inventer çà et là un détail. Mais en le relisant (et Mérimée se relit), nous voyons que ce détail était indiqué, inclus dans un membre de phrase, dans un mot.» Le chapitre 4 est une dissertation de huit pages dont le plan est celui d'une étude ethnographique rigoureusement conduite : sur I'histoire, les moeurs, le caractère et la langue des bohémiens, Mérimée montrant sa sympathie pour eux, et s’employant à justifier ou expliquer des attitudes ou des actions de Carmen. Mais il voulut surtout marquer le détachement qu’il entretenait à l'égard de son sujet, et manifester aussi son goût de la mystification : les deux anecdotes plaisantes qui animent ce chapitre, les deux bohémiennes qui en sont les héroïnes, satisfaisaient son penchant pour l’immoralité. Enfin, le dernier paragraphe est plein de désinvolture : plastronne-t-il réellement ou joue-

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t-il à plastronner? Sa désinvolture se manifeste surtout dans le choix du dernier proverbe : «En close bouche, n’entre point mouche», qui convenait particulièrement pour terminer un tel chapitre. Mais, si intéressant soit-il en lui-même, ill apparaît comme un épilogue bizarre, comme un supplément qui n'était pas indispensable, car le dénouement tragique du chapitre 3 avait pleinement satisfait le lecteur ; il s'étonne de devoir tourner la page, et peut-être s'irrite de ne pouvoir rêver à sa guise. Ainsi, le texte, qui est à la fois un reportage brillant et romancé sur les mœurs des gitans d’Espagne et la dramatique histoire d’un homme victime d’une passion fatale, montre un net déséquilibre entre ses parties. Par contre, de la variation des narrateurs naît un effet stéréoscopique dans la présentation des personnages : à la vision externe du narrateur, qui voit en Carmen «une beauté étrange et sauvage» (chapitre 2), répond le regard de don José, qui, saisissant «cette diable de fille» de I'intérieur, y décèle «un démon» (chapitre 3), tandis que le chapitre 4 permet de comprendre ce qui, chez I'héroïne, ressortit à ses origines ; de même don José, dont «les exploits sont sur toutes les bouches», et que le narrateur compare à un «Satan de Milton» (chapitre 1), s'attire-t-il les méprisants propos de Carmen : «Va, tu as un coeur de poulet» (chapitre 3). L'impression produite sur le lecteur peut donc être très différente, selon qu'on ressent plus vivement la froideur affectée par le narrateur, ou au contraire le bouillonnement souterrain des passions. On peut regretter l'absence d'une certaine chaleur. La sécheresse est la griffe personnelle de Mérimée et, s'agissant d'un tel sujet, le moyen de concilier en peu de pages des traditions littéraires qu'on considère trop souvent comme contradictoires :

Intérêt littéraire ‘’Carmen’’, nouvelle très alerte et très sobre, est un modèle de style dépouillé. Impossible, pour conter cette aventure de passion qui nous tient en haleine, de prendre un ton moins passionné, ce détachement mettant la violence en valeur. Mérimée sut feindre dans sa richesse un air de pauvreté et d'insignifiance. Le récit paraît vif et vrai, proche du fait divers brillamment relaté. Mais le plaisir qu’il prenait à employer des termes et des tournures inédits fut ce qui l’a d'abord orienté vers la Corse, puis vers l'Espagne et vers les bohémiens. Il usa de la couleur locale avec beaucoup de mesure. Il introduisit quelques mots espagnols ou gitans, utilisa sa connaissance de ces langues juste assez pour créer une impression de vérité et d'authenticité. Les sonorités mêmes de ces vocables étrangers, tantôt rudes, tantôt poétiques, accentuent et nuancent l'atmosphère. L’habileté du conteur se manifeste en particulier dans certains passages : - «Elle mit sa mantille devant son nez, et nous voilà dans la rue, sans savoir où j’allais» : Cette petite phrase est d’un mouvement merveilleux, suggéré par une ellipse, un changement de temps, de nombre, de personne, qui dénote un grand art. - «Il tira son épée, et je dégainai. La vieille me saisit le bras, le lieutenant me donna un coup au front, dont je porte encore la marque. Je reculai, et d’un coup de coude je jetai Dorothée à la renverse ; puis, comme le lieutenant me poursuivait, je mis la pointe au corps, et il s’enferra. Carmen alors éteignit la lampe, et dit dans sa langue à Dorothée de s’enfuir. Moi-même je me sauvai dans la rue, et me mis à courir sans savoir où.» (page 120) : La rapidité de la succession des verbes est à l’image de la rapidité de l’action. - «un officier en rouge, épaulettes d’or, cheveux frisés, tournure d’un gros mylord» (page 130) : Sous la rapide désinvolture de la syntaxe, on peut apprécier la vivacité évocatrice de ce croquis qui donne au personnage une présence hallucinante. - «Parée comme une madone, parfumée…, des meubles de soie, des rideaux brodés… ah !... et moi fait comme un voleur que j’étais» (page 132). Onze répliques seulement entre don José et Carmen avant le meurtre. Les images sont significatives : - La fleur de cassie jetée par Carmen à José lui «fit l’effet d’une balle qui m’arrivait» (page 105), la vieille image des traits de l’amour étant transposée dans la réalité.

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- Il faut noter la fréquence des comparaisons avec des animaux dans les portraits que Mérimée fit de ses personnages. De Carmen, il est dit : «Ses cheveux, peut-être un peu gros, étaient noirs, à reflets bleus comme l'aile d'un corbeau» (page 95), «œil de loup» (page 95), «comme une pouliche du haras de Cordoue» (page 104), «suivant l’usage des femmes et des chats» (page 104), «légère comme un cabri» (page 113) ; Mérimée est allé jusqu’à lui attribuer «un de ces rires de crocodile» (page 132). Les animaux qui désignent don José (poulet, canari [page 116], mouton...), ne sont que proies faciles pour la «bête fauve» qu'est Carmen ; et celle-ci peut d'ailleurs prédire : «Chien et loup ne font pas longtemps bon ménage.» (page 117) ; don José se voit lui-même, alors qu’il est blessé, sur le point de «crever dans les broussailles comme un lièvre qui a reçu des plombs» (page 137). - On remarque que, les répliques de Carmen étant envahies d’images, elles donnent au dialogue un ton vif, et au personnage une couleur populaire. Voilà qui atténue la froideur qui caractérise l’art de Mérimée.

Intérêt documentaire Avec ‘’Carmen’’, Mérimée voulut donner un tableau de l’Espagne, dépaysant son lecteur, l'étourdissant de couleurs vives et de fortes odeurs. Ç’aurait en manière de réplique à “Hernani”, la pièce de Victor Hugo, qu’il aurait voulu écrire une oeuvre où se refléterait, dans sa vérité, l'âme espagnole. Pendant son voyage en Espagne, des personnages, qui étaient opposés à ceux de Victor Hugo, se sont dessinés à son esprit dans leurs lignes respectives. Assez d'espagnolades romantiques ! Son Hernani, à lui, serait aussi un bandit noble : il s'appellerait don José Lizzarabengoa et serait assassin, contrebandier et voleur de grand chemin. Sa dona Sol sera Carmen, bohémienne satanique, son Ruy Gomez, Garcia le Borgne. Dans un article sur Gogol, il avait avoué : «Je suis de ceux qui goûtent fort les bandits, non que j'aime à les rencontrer sur mon chemin; mais, malgré moi, l'énergie de ces hommes en lutte contre la Société tout entière m'arrache une admiration dont j'ai honte.» Venant à la suite de ses ‘’Lettres d'Espagne’’, publiées de 1831 à 1833, et que Mérimée réutilisa, qui fournirent la pittoresque toile de fond (notamment des courses de taureaux, une exécution publique, des histoires de brigands et de sorcières), “Carmen” est aussi une sorte de reportage brillant et romancé sur le pays, des sierras jusqu’aux bouges, et, spécialement sur les mœurs des gitans. La nouvelle est bien la traduction littéraire de l'éblouissement devant le pays qui fut celui du voyageur curieux et fervent qu’était Mérimée, et qui aima toujours l'exotisme pour lui-même. Observateur habile, doué d'une mémoire fidèle et d’une imagination qui grandissait les souvenirs sans les dénaturer, il put faire une intense description du réel. Cinq ans avant “Carmen”, “Colomba” avait déjà montré son talent à restituer une atmosphère. Pour le cadre espagnol, il eut le souci de restituer une couleur locale véridique, les moeurs des véritables bohémiens ; mais le pittoresque demeure discret. Cependant, comme les notes qui précèdent l’ont bien indiqué, il ne se contenta pas de ses observations personnelles. Lui, qui s'était donné une spécialité, l'histoire, et surtout l'archéologie, qui se présenta même dans sa nouvelle comme un archéologue, avant de rédiger son oeuvre, demanda la contribution à maint ouvrage récent. Son souci d’une précision scientifique de la documentation fit que tout un appareil d'érudition se mêle au récit et l'embarrasse, se répand dans les notes qu’on lit ou ne lit pas, se déploie même dans un chapitre supplémentaire où il s’attacha à «l'étude des bohémiens avec beaucoup de soin». Pour adroitement ménager l’amour-propre national de ses amis espagnols, Mérimée choisit deux personnages excentrés. Du «jaque de Malaga» (page 134) dont lui avait parlé Mme de Montijo, il fit un Basque, qui vient des «provinces», les trois provinces basques (Guipuzcoa, Biscaye et Ayala) auxquelles on rattache habituellement la Navarre, province à moitié basque, à moitié castillane. Il est né à Elizondo, petite ville située dans la haute vallée de la Bidassoa. Le particularisme basque est si fort qu’il considère l’Andalousie comme un «pays étranger». Quant à Carmen, on peut se demander si elle est une vraie gitane : elle est née elle aussi dans la haute vallée de la Bidassoa, et a été «emmenée par des bohémiens à Séville» (page 108). Mais, en

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faisant d’elle une «gitana», obéissant à la seule «loi d'Égypte», qui exige la soumission absolue à l'intérêt de la tribu, il était fidèle à une tradition car les personnages de gitans, et surtout de gitanes, se rencontrent souvent dans la littérature espagnole. «On ne peut comparer leur regard qu’à celui d’une bête fauve» (page 146). Le tableau montre encore : - La géographie de l’Espagne : Sont évoqués le pays basque qui est au pied de «la montagne blanche» (page 108), les Pyrénées avec leurs sommets enneigés ; puis, en allant vers le sud, Pampelune (page 100), Vittoria (page 100), Madrid (et «la rue d’Alcala», page 149), Montilla (page 77), Cordoue (page 91, «l’antique renommée du pays» étant due à «la préparation des cuirs» [page 91] comme à son «fameux haras» [page 81], Mérimée goûtant la scène typique de la vie cordouane qu’offrent «les nymphes du Guadalquivir» [page 92] tout en fréquentant «la bibliothèque des Domicains» [page 91]), Ecija (page 125), Séville (sa «manufacture de tabacs» [page 102], sa rue du Serpent [page 106], son pont du Guadalquivir [page 95], son faubourg de Triana [page 105]), Jérez (page 123), Grenade (page 128), Estepona (page 123), Ronda (page 123) et la sierra de Ronda (page 128), Véger (page 124), Tarifa (page 124), San Roque (page 129), Gibraltar (page 128). Le Portugal voisin est appelé Laloro par les gitans (page 117). - Le passé du pays qui apparaît dans des références archéologiques précises : le temps de la Bétique des Romains (la bataille de Munda [page 77]), la «Munda Baetica» [page 84]) ; celui des Musulmans ; celui du «roi don Pedro le Justicier » (page 114) et de sa maîtresse, Marie Padilla (page 142). - Les couches sociales : «hidalgos» (page 99) qui ont droit à la particule «don» (page 102), bourgeois (page 113), magistrats (les alcades [page 90], les corrégidors [pages 98, 137], le Vingt-quatre [page 103]), ouvrières (les cigarières de la manufacture de tabacs de Séville [page 103] qui se mettent à l’aise quand il fait chaud : «Figurez-vous, monsieur, qu’entré dans la salle, je trouve d’abord trois cents femmes en chemises, ou peu s’en faut.» [page 105]), militaires (ceux qui montent la garde devant la manufacture [page 103], ceux qui font la «parade» [page 132]), brigands (José-Maria [page 83] et don José Lizarrabengoa, dit José Navarro [Mérimée aurait pu éviter la confusion possible entre les deux José], Longa, Mina, Chapalangarra [page 110], le Dancaïre [page 123], Garcia le Borgne, «le plus vilain monstre que la Bohême ait nourri, noir de peau et plus noir d'âme» [page 125], le Remendado [page 125]). Mérimée se singularisa par rapport aux écrivains contemporains dont les hors-la-loi étaient romanesgues et romantiques : les siens sont toujours farouches et indépendants, mais ce sont des gens du peuple, frustes et incultes ; ils vivent de la vie quotidienne des proscrits, traqués, inquiets, souvent misérables ; le lyrisme ne magnifie pas leur misère, ne dissimule ni leurs tares ni leurs difficultés. Il choisit la vérité de la peinture pour se délivrer de l'empire qu’ils exerçaient sur son cœur, de la sympathie lucide et virile qu'il leur manifesta. - Des ethnies :

- les Basques (leur langue, leur jeu de «paume» [page 102], leurs «maquilas» (page 102) qui leur servent d’armes) ;

- les gitans, appelés encore «Calés» (pages 115, 144, 146), «Bohémiens, Gitanos, Gypsies, Zigeuner» (page 145) : «leur regard […] celui d’une bête fauve» (page 146), la rareté de «la beauté […] parmi les Gitanas d’Espagne» (page 146) ; leur langue («rommani» (page 96) ou «chipe calli» (pages 96, 122) ; leurs métiers : «chaudronnier […] maquignon» (page 124), diseuses de bonne aventure (page 145), sinon sorcières, qui concoctent «des philtres» avec «des pattes de crapauds» ou la «pierre d’aimant» (page 148), procèdent à des «conjurations» (page 149) avec un «bar lachi» (page 107), pratiquent la divination par le marc de café (page 136) ou le plomb fondu (page 142) ; leurs mœurs : aversion pour les cimetières (page 135), soumission totale de la «romi», la femme mariée, à son «rom» (page 143), leurs «danses qui ressemblent fort à celles que l’’on interdit dans nos bals publics du carnaval» (page 146), «leur indifférence en matière de religion» (page 148).

- les Andalous : leur «doux parler» (page 93), l’indication : «Les Andalous aspirent I’s, et le confondent dans la prononciation avec le c doux et le z, que les Espagnols prononcent comme le th anglais.» (page 80) ; leur garde quand ils se battent au couteau (page 134).

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- Des touristes : les «milords anglais» (page 127), qui sont appelés «écrevisses» (page 129) et ont de «bonnes guinées» (page 128). - Des moyens de transport : chevaux (page 83) et mules (page 127) - Les auberges : les «ventas» (pages 82, 83), leur saleté et leurs punaises (page 86) - Des armes : espingoles (pages 79, 86, 126), lances des cavaliers (pages 87, 109). - La prison (page 99) et le «presidio» (page 124) - La monnaie : «douro» (page 118), piastre (page 111, 135), doublon (page 149), «cuarto» (page 114), ducat (page 87), réal (page 138), once (page 141) - Des vêtements : mantille (pages 103, 106, 149) - «jupes bleues et nattes tombant sur les épaules» des Basques (page 103). - Des cigares : «régalias» (page 80), «papelitos» (page 93). - Des mets : «un vieux coq fricassé avec du riz et force piments, puis des piments à l’huile» (page 84), «gaspacho» (page 84), «riz à la valencienne» (89), «yemas» (114), «riz […] merluche» (page 122). - Des boissons : «manzanilla» (page 114), «chufas» (page 121). - Des instruments de musique : mandoline (page 84), tambour de basque (page 112) - Des danses : «zorzicos» (page 85), «romalis» (page 112) - Les courses de taureaux (page 138), les «plazas» (page 139), la barrière (page 139), la cocarde (page 139), le picador (page 138). - La religion : les prières (pages 91, 98), la dévotion à la «majari» (page 149) et à saint Nicolas (page 127), les Dominicains (pages 91, 99). De toute la littérature française ayant trait à l’Espagne, ‘’Carmen’’ est la seule œuvre qui, avec ‘’Gil Blas’’, sente véritablement le «terroir». Pour Miguel de Unamuno : «De tous les écrivains français qui sont venus chercher en Espagne leur inspiration, nul mieux que Mérimée n’a su parfois atteindre le tréfonds de l’âme espagnole.»

Intérêt psychologique Sous une forme classique et un peu dure, ‘’Carmen’’ condense toute la conception romantique de l'exotisme psychologique et de la passion. Mais, en même temps, en montrant le conflit entre ses deux personnages, Mérimée se livra à leur égard, avec beaucoup de réalisme, à de pénétrantes études de psychologie, cherchant surtout à voir comment l'amour naît, se comporte et se brise, ou persiste malgré tout, dans des natures fortes et dures, dans des âmes sauvages qui sont soumises à la fatalité et au jeu des passions. Si José a été vu d’abord, par le voyageur qu’est Mérimée, comme un héros romantique, avec sa pose, l'éclairage et l'évocation du Satan de Milton (page 85), il perd vite cette aura, et apparaît, à travers son propre témoignage, comme une victime à la fois pathétique et méprisable. En effet, de nombreux commentateurs analysent durement les motivations de ses attitudes et de ses actes, et le jugent sommairement comme un être faible, et de ce fait condamné. D’ailleurs, Mérimée le rencontre alors qu’il est déjà dépouillé de tout son prestige, et nous le montre ensuite toujours traqué ou emprisonné, ce qu’il est au plus vrai de son âme. Il est sûr qu’il ne nous donne pas ce qu'il promettait au début. C'est un des bandits les moins convaincants de cette époque féconde en hors-la-lois héroïques. Dans ce procès qu’on peut lui faire, on peut toutefois relever quelques éléments pour sa défense. Don José Lizzarabengoa est un homme du Nord dépaysé dans le Sud, un jeune Basque doux, sérieux et naïf que l’Andalousie et surtout les Andalouses effraient (page 103), ce qui fait qu’il s’isole dans sa nostalgie, sa fierté, sa droiture foncière, ses bons sentiments. Il n’y a aucune lâcheté en lui, et, parfois, des bouffées de fierté virile. Ce dragon dégradé est fasciné par la liberté : «La vie de contrebandier me plaisait mieux que la vie de soldat.» (page 123), et cela le contraint à une errance au bout de laquelle il trouve le lieu le plus clos de I'ordre social : Ia prison. Homme sérieux égaré dans le monde de la passion, il est de ceux qui n'aiment qu'une seule femme. Il voudrait avec Carmen un

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engagement durable. Et, au fur et à mesure qu'il s'enlise dans le mal, il s'élève dans un amour qui l’exalte, une adoration qui l’aveugle. Il donne tout pour elle, accepte qu’elle soit sa destinée. Mais, regrettera-t-on, il a beau être pétri de principes, il succombe dès qu'il voit la cigarière dont une seule chiquenaude suffit à le faire crouler de toute la hauteur de son orgueil et de ses pâles ambitions. N'est-il pas méprisable, aux yeux mêmes de celle qui le détourne de ses devoirs, de se laisser détourner? Honnête officier, il ne sut pas le demeurer, puisque, alors qu'il a reçu l'ordre de l'arrêter, il hésite, et, subjugué, trahit son devoir de soldat, la suit et est ainsi victime d'une passion fatale. Il se montre fort sot quand il se croit tous les droits sur Carmen, parce qu'il a trahi pour elle ses notions d'honneur et de devoir. Que ne les avait-il gardées? Il reconnaît : «J’étais assez simple» (page 124), et cette naïveté donne au récit un caractère tragique. Ensorcelé, envoûté par la gitane, il fait ce bilan : «Monsieur, on devient coquin sans y penser. Une jolie fille vous fait perdre la tête, on se bat pour elle, un malheur arrive, il faut vivre à la Ia montagne ; et de contrebandier on devient voleur avant d'avoir réfléchi.» (page 128). Il est donc incapable de comprendre le destin qui l’entraîne. Il se laisse porter par la succession des événements, et ne les choisit jamais. Il manque de hardiesse, de larges vues : son cœur et son esprit n'ont pas de liberté, et, finalement, il se renferme dans sa solitude, exigeant et terrible. Ses révoltes mêmes, dans son balancement de l’amour à Ia haine qui épuise son coeur captif, prouvent qu’il est tributaire de la volonté, du regard de Carmen. Car, quand il l’apostrophe : «Tu as l’air d’une effrontée coquine, et j’ai bien envie de te balafrer la figure devant ton galant» (page 130), l’ancien soldat se montre prêt à adopter les manières de celle qui avait été arrêtée pour avoir marqué au visage sa compagne de la manufacture. Mais, s’il confie : «Je me trouvais si en colère contre cette traîtresse que j’avais résolu de partir de Gibraltar sans la revoir», il doit aussitôt avouer : «au premier roulement de tambour, tout mon courage m’abandonna» (page 132). Il supporte les pires humiliations. Alors qu’il n’avait jamais vu Carmen «si belle», il constate : «moi fait comme un voleur que j’étais» (page 132), exprimant ainsi son sentiment d’infériorité. Lui, qui ne fut pas un bon soldat, n’est pas non plus un bon bandit. Encore une fois : quels sentiments Carmen peut-elle porter à ce triste héros? peut-elle aimer véritablement cet homme faible, qu'elle ne respecte ni n'admire, cet homme sensible qui souffre par elle? Après avoir tué le Borgne, il constate : «Nous n’étions plus comme auparavant» (page 137). Il a changé, ne peut plus s’adapter plus étroitement à Carmen ; cela tient à sa niaiserie, au sentiment de l’honneur qui lui reste encore, et à sa jalousie physique. S’il indique : «J’avais fait bien des réflexions sur mon lit de douleur» (page 137) qui l’ont amené à vouloir devenir un mari, à jouer son rôle d’homme dans le ménage, prenant exemple sur ce José-Maria qu’il avait observé dans la sierra, la fin surtout prouve sa faiblesse, quand, ayant échoué à conserver son amour, ne pouvant vivre sans elle, étant affolé et déchu, il supplie en vain et, dans sa rage, ne trouve nulle autre solution que de poignarder le tyran qu’il ne cesse pas d’aimer, et de se rendre à la justice. Ce sont crime et repentir de faible, qui ne brise ses liens que pour en chercher d'autres, sous l'alibi de l'expiation. Il ne peut vivre sans Carmen, mais ne trouve même pas le courage de se tuer lui-même. À tant faire que de se perdre, il aurait dû se perdre complètement, sans se lamenter sur sa déchéance, sans demeurer indécis. Avec une absence complète de compassion, une sévérité tranquille, Mérimée s'acharne sur cette victime de l'amour, ce velléitaire de l'idéal, ce pantin qui est le type ridicule et romanesque du mâle asservi. Pourtant, ne peut-on peut voir en José une image de lui-même? Il aurait fait entrer des souvenirs et des sentiments personnels jusque dans certains détails apparemment gratuits. Sainte-Beuve remarqua qu’il fit du mari de la bohémienne un bandit borgne, prêtant donc à ce personnage odieux la même infirmité que celle dont souffrait le mari de la comtesse de Montijo, l'homme dont il était jaloux et qu’il détestait. La figure de Carmen, la gitane étrange et fière, rieuse et tragique, est bien plus puissante et intrigante, même si Montherlant (dans sa préface à la nouvelle, en 1927), amateur de jugements paradoxaux, estima que Mérimée «n'a mis aucune psychologie dans le personnage de Carmen. Nous pensions qu'on allait commencer à nous expliquer Carmen, quand don José la tue ; il la tue en dix lignes, et le livre est fini avant d'avoir débuté.»

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Elle fut suggérée à Mérimée par les «gitanas» bien réelles qu’il rencontra, toutes ces ténébreuses et vénéneuses beautés aperçues au détour d'un regard, et qu’il concentra en un seul personnage, qui se confondent dans cette sorte de diablesse qui séduit et qui tue, véritable fantasme sexuel. Et, même si elle a existé, s’il l’a croisée, elle ne prit vraiment vie que dans son imagination. Il la décrivit ainsi : «Sa peau, d’ailleurs parfaitement unie, approchait fort de la teinte du cuivre. Ses yeux étaient obliques, mais admirablement fendus ; ses lèvres un peu fortes, mais bien dessinées et laissant voir des dents plus blanches que des amandes sous leur peau. Ses cheveux peut-être un peu gros étaient noirs, à reflets bleus comme l’aile du corbeau, longs et luisants. […] Ses yeux […] avaient une expression à la fois voluptueuse et farouche que je n’ai trouvée depuis à aucun regard humain.» (page 95). José se méfie d’abord de son «minois enjôleur» (page 106), tandis qu’en proie à la jalousie il se sent guetté par «son grand œil noir» (page 132), image d’exotisme espagnol dans le goût romantique, qui n’est chez Mérimée qu’une rapide évocation qu’au contraire Meilhac et Halévy allaient l’exploiter dans l’opéra, Carmen chantant à Escamillo : «En combattant, songe qu'un oeil noir te regarde et que l'amour, l'amour, l'amour t'attend !» On peut expliquer facilement le personnage en voyant en elle une gitane dont la moralité est fondée sur l'unique loi du clan, pour qui qui n'est pas de son clan est son ennemi, un ennemi qu'elle dépouille, tue ou fait tuer, avec le sentiment d'accomplir une chose normale. On comprend que, pour le raide miltaire basque, la rencontre de la bohémienne correspond à une plongée dans l'inconnu. Tous ses actes sortent de l'ordinaire : elle chante, danse, lit les lignes de la main, sait guérir les blessures, se livre à la contrebande et au vol. C’est que cette fille pauvre, cette sauvageonne qui cite beaucoup de proverbes, signe d'une intelligence assez fruste, qui est vulgaire comme le prouve son «pillé rasibus» (page 133), pour échapper à la misère, prête son corps un instant, prépare des traquenards en bonne organisatrice («quelque argent […] deux milords anglais […] belles et bonnes guinées» [page 127]). Elle veut de l’argent, mais pour le dépenser aussitôt, Et la preuve de l’amour qu’elle porte à José est qu’elle ne lui a «jamais demandé d’argent» (page 123). Aussi cette femme de tête est-elle digne d’être l’homme du couple. Mais elle a aussi un côté puéril qui fait que sa vie est faite d'instants successifs qui se détruisent au hasard de leur enchaînement et n'ont pour fondement que sa fantaisie, qu’elle ne se soucie pas des conséquences, qu’elle se révèle asociale. Elle lâche la bride à tous ses désirs, se laisse aller à toutes ses impulsions, ne connaît d'autre loi que son caprice (comme elle le satisfait chez le confiseur, José se plaint : «Elle prit tout ce qu’il y avait de plus beau et de plus cher» [page 114]), mais ne s'y plie que pour s'en évader aussitôt. Se montrant également à l'aise dans le luxe et dans la misère, elle est de passage partout, le monde n'étant que ce vaste bazar où il lui faut voler le plus possible, non pour posséder, mais pour dépenser sans compter, accumuler les folies, multiplier les plaisirs. Parmi ces plaisirs, il y a celui de la provocation sensuelle qu’en impudente et hardie tentatrice, elle dispense sans vergogne, car sa jeunesse attire, sa beauté éblouit, son charme enflamme le sang de ses victimes, son animalité (Mérimée la compara d’ailleurs souvent à des animaux, traduisant ainsi une vérité profonde de son être) suscitant un désir qu'elle ne saurait rassasier. Elle devient ainsi l’image de la séductrice qui traque sa proie sans desserrer jamais les liens dont elle l'enveloppe ; mais aussi l'image de la femme qui n’a que des sincérités éphémères auxquelles elle participe de tout son être I'espace d'un moment, qui ne peut que décevoir. Aussi l’amour qu’elle porte à José est-il ambigu : elle est avec lui tour à tour douce et cruelle, perverse et innocente, fidèle et débauchée. Mais est-ce vraiment de l’amour ou n’est-ce pas plutôt un attrait sensuel que cette faunesse gracieuse, allègre et fuyante, manifeste avec une sincérité outrageuse, lorsque, «se balançant sur ses hanches comme une pouliche» (page 104), elle l’aborde, pour des moqueries plus provocantes que des œillades, cette séduction commençant donc comme un duel, ce qui n’est pas un bon signe pour la liaison qui s'amorce. Et elle lui lance, «juste entre les deux yeux» (page 104), cette fleur de cassie, qui remplace la flèche ou le philtre de l'amour, qui le foudroie. Elle avoue : «Tu es un joli garçon, et tu m’as plu» (page 117), et se voit d’ailleurs dépassée par ce qui lui arrive : «Je ne sais ce que j’ai» (page 120). Si elle Iui accorde ses faveurs par gratitude aussi, n’est-ce pas parce qu’elle est uniquement sensuelle, qu’elle est animée de cette gaieté naturelle qui a ensorcelé José («Quand cette fille-là riait, il n’y avait pas moyen de parler raison. Tout le monde riait avec elle.» [page 131]), qu’elle ne comprend pas la nature du vrai amour que lui porte José, et qui

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induit sa jalousie. Mais elle n'est plus éprise de lui, et ne s'en cache point, bien que, si elle s’éloigne de lui, il est le seul dont elle ne se débarrasse pas. Même si elle s'est jouée du naïf, si elle se moque de lui et l'humilie, si elle a déjà séduit un autre garçon, le picador Lucas, son attachement à José est en fait plus fort. Mais, au-dessus de l'amour, elle place la liberté, qu'elle défend coûte que coûte. Cette nature sauvage et indomptée est inconstante et même traîtresse, n’a que des sincérités éphémères auxquelles elle participe de tout son être l'espace d'un moment. Elle exprime bien son désir d’une fantasque indépendance : «Je ne veux pas être tourmentée ni surtout commandée. Ce que je veux, c’est être libre et faire ce qui me plaît.» (page 136). Cette liberté est celle des nomades, et Mérimée constate : «Pour les gens de sa race, la liberté est tout, et ils mettraient le feu à une ville pour s'épargner un jour de prison.» On peut voir en elle une figure de la transgression, parce que sa nature insituable et mêlée ébranle les frontières entre humanité et animalité et rend caduques les lois sociales. Elle céderait devant un homme fort, qui saurait finalement briser sa volonté pour lui imposer la sienne. Si elle se résigne auprès de José, c’est parce qu'elle a rencontré une force sombre, plus puissante que la sienne. En effet, au-dessus encore de sa liberté est le destin : superstitieuse, elle croit que tout est écrit d'avance, qu’on ne peut lutter ni contre l'amour, ni contre la mort. C’est que, si Mérimée l’a appelée Carmen, ce n’est pas par hasard même si c’est un nom très commun en Espagne : en latiniste avisé, il sait qu’il signifie, en latin, à la fois poésie, magie et musique ; et il a entouré cet être quelque peu fantastique, qui arrive d'un monde inconnu, d'un passé reculé, qui est une figure païenne du mensonge et de la luxure, une sibylle, une bacchante, l’incarnation vulgaire du génie dionysiaque, d’un mystère qui rend secrètes les vraies raisons de son comportement déroutant et imprévisible. Cette bohémienne, n’est-elle pas une sorcière, qui a conclu un pacte avec le diable, se livre à la magie, a ses philtres d'amour et de mort, envoûte José, le soigne et le sauve? Cette femme fatale qui fascine et qui perd n’est-elle pas dotée d'une inquiétante puissance maléfique? Sûre de son pouvoir, elle s’est bien annoncée comme telle : «Tu as rencontré le diable, oui, le diable» (page 117), indique-t-elle à don José, ajoutant aussitôt : «il n'est pas toujours noir, et il ne t'a pas tordu le cou.», pour cependant renchérir : «Je te l’ai dit que je te porterais malheur» (page 121), lui prédire que, s’il la suivait, il finirait fusillé. Quand il lui fait part de la mort de Garcia, elle affirme «que son temps était venu. Le tien viendra aussi.» (page 135), que le destin est fixé. Comme, si le meurtre de son mari rend sa liaison avec José «légale», elle n’y trouve plus les mêmes plaisirs, qu’elle a perdu sa gaieté, elle estime avec sang-froid que son temps à elle aussi est venu. Par une connaissance propre à sa race, elle eut d’ailleurs, dès le début, le pressentiment de propre destin. Ce malheur qu’elle annonce à José, elle l’accepte pour elle-même, a le courage de plier devant ses exigences, ne cédant que devant l'inéluctable avec un fatalisme qui est un trait essentiel chez elle, qui la rend pleinement tragique. Elle sent la résolution de José, et le défie ; mais elle le craint, puis se résigne parce qu'elle a rencontré une force sombre, plus puissante que la sienne. Elle fait preuve alors d’une docilité qui est fondée sur sa croyance dans les présages : «Eh bien ! dit-elle, partons !» (page 140). Elle a lu qu'au bout de leur course commune il lui apporterait la mort, et elle veut, provocante aussi en ce domaine, aller avec entêtement jusqu'au point où il est écrit que se clôt leur destin, accepter la mort avec résignation et noblesse. Même si elle a un cœur vigoureux, capable des plus grandes actions, même si elle est une âme forte empreinte d’un sombre romantisme, il n'y a, en cette fille sans foi ni loi, en cette femme cruelle et perfide, rien qui excite une bien vive sympathie. On ne peut manquer de la comparer à Colomba : chez celle-ci, le désir de la vengeance est noble, et elle est plus respectable que Ia «gitanilla» qui est animée par la sensualité, sinon la malignité. Mais elles sont deux dompteuses d'âmes qui ne reculent ni devant le déshonneur, ni devant le mensonge pour atteindre leur but, qui se jouent de I'homme, prenant possession de son libre arbitre et le manipulant sans scrupule. Ainsi se confirma cette constance chez Mérimée : la figure féminine reste celle d'une dévastatrice. On l’a comparée aussi à Manon Lescaut. Mais elle lui demeure très inférieure, car I'atmosphère bohémienne, le tempérament particulier de I'héroïne enlèvent tout caractère universel à son histoire. Pourtant, tout en ne possédant pas la passion sincère et la vaste signification de cette dernière

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oeuvre, ‘’Carmen’’ demeure une des histoires d'amour et de mort les plus typiques et les plus suggestives.

Intérêt philosophique Faut-il chercher des significations profondes à “Carmen”? Mérimée aurait probablement répondu, s'il avait été interrogé là-dessus, qu’il n'avait voulu découvrir dans ses personnages que la fatalité et le jeu des passions humaines, la vérité du cœur humain, et que sa description du réel est si intense qu'elle atteint à l'universalité et au mystère de toutes choses. Cette histoire d'une illusion et de son échec est, d'une certaine façon, la condamnation d'un romantisme qui se plaisait à exalter la rupture de l’ordre et la marginalité. Cette œuvre, déjà réaliste, montre le déterminisme auquel sont soumis les personnages, qui sont définis d’abord par leur origine, José pouvant déclarer pour clore son histoire : «Pauvre enfant ! Ce sont les ‘’Calés’’ qui sont coupables pour I'avoir élevée ainsi.» (page 144). Du fait des empreintes reçues s’exerce une tension entre deux univers mentaux, celui de la loi auquel est soumise la vie sociale, et celui de la liberté criminelle qu’impose le clan. Le couple que forment Carmen et José souligne, thème qui était cher à Mérimée, l’opposition entre la femme énigmatique et manipulatrice, et l'homme, lourd nigaud qui est son jouet ; entre l’attrait purement sensuel de l’une et le sentiment qui anime l’autre ; d’où une conception très pessimiste de I'amour, une misogynie de Mérimée qui n’avait cessé de se manifester dans son œuvre depuis sa pièce intitulée ‘’Une femme est un diable’’ (1825). Mais c’est la présence du tragique dans le monde moderne qui donne son sens profond à ‘’Carmen’’, car l’histoire, forte et dure, de cette héroïne amorale, qui n’a ni le désir ni le regret de la vertu, qui ne ressent pas de remords, et qui n’inspire pas de pitié non plus en dépit de l’issue fatale, se situe au-delà du bien et du mal. On pourrait lui appliquer la formule que Barbey d’Aurevilly allait illustrer dans “Les diaboliques” : «Toute peinture est toujours assez morale quand elle est tragique et qu’elle donne l’horreur des choses qu’elle retrace.»

Destinée de l’œuvre

La nouvelle, que Mérimée ne s’est pas hâté de publier, parut dans ‘’La revue des deux mondes’’, le 1er octobre 1845. Sous cette première forme, elle s'achevait, avec l'actuel chapitre 3, c'est-à-dire avec la mort de l'héroïne et la reddition de José. Toujours soucieux d'afficher son détachement vis-à-vis de son oeuvre et de la renommée, Mérimée avait écrit le 21 septembre 1845 à Ludovic Vitet : «Vous lirez dans quelque temps une petite drôlerie de votre serviteur, qui serait restée inédite si l'auteur n'eût pas eu besoin de s'acheter des pantalons.» De fait, une autre lettre, antérieure de huit jours à celle-là, confirme que les soucis financiers jouèrent leur rôle dans cette publication : «La misère, suite inévitable d'un long voyage, m'a fait consentir à donner ‘’Carmen’’ à Buloz [le directeur de ‘’La revue des deux mondes’’]» ((lettre à Requien, 12 septembre 1845). Il revenait d'un long voyage dans le Midi de la France. Mais pourquoi cet écrivain, déjà publié à plusieurs reprises dans la même revue attendit-il d'être sans le sou pour lui donner ‘’Carmen’’? Sans doute le jeune académicien avait-il Ie sentiment fort net du nouveau scandale qu'il allait provoquer : «J'ai fait l'autre jour une nouvelle immorale dans la Revue.», écrivit-il à un ami. Et en effet l'oeuvre fut très mal accueillie, fit scandale. Les lecteurs furent déconcertés par le sujet, et certains jugèrent même inadmissible une pareille publication du fait de son immoralité gratuite. Et on trouva que Mérimée renouait avec l'irrationnel de ses jeunes années. Sainte-Beuve fut proprement estomaqué : il compara le talent «exquis et dur» de Mérimée «à cette garde navarraise et au fameux coup de couteau par lequel son bandit tue le borgne. On reçoit cela... Vlan ! On n'a pas le ternps de voir si c'est beau.» (‘’Portraits contemporains’’, 1844). ll vit en Carmen, comparaison flatteuse, «une Manon Lescaut plus poivrée et à l'espagnole». Mais, pour la plupart des critiques, qui y perdaient leurs repères, l’oeuvre semblait inclassable et trop exotique ; et ils gardèrent le silence.

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Dans la première quinzaine de février 1847, Calmann-Lévy édita un volume qui regroupait ‘’Arsène Guillot’’ et ‘’L’abbé Aubain’’ avec ‘’Carmen’’ qui fut alors augmentée de son chapitre 4. Mérimée l’ajouta parce que, pouvant être appelé devant les tribunaux pour avoir publié un ouvrage immoral et impie, il prépara les arguments qui serviraient à plaider sa cause. Comment pourrait-on lui reprocher d'être un auteur licencieux et hérétique? Historien et archéologue de profession, il n'avait fait qu'étudier les moeurs de I'antique race des gitans, venue d'Égypte, d'Iran ou d'Inde, et dont un essaim subsistait, dans toute sa vivacité, en Andalousie. Sainte-Beuve y vit de I'ironie, et c’est par elle qu'il expliqua cette addition : «Le roman finit par un petit chapitre où I'antiquaire reparaît encore et où le philologue se joue au sujet de la langue des Bohémiens. Cela revient à dire en présence des salons, et avec ce sourire que vous savez : Ne soyez dupes de mon brigand et de ma Bohémienne qu'autant que vous le voudrez.» En fait, on peut se demander si, plus subtilement, Mérimée ne cherchait pas à détourner le lecteur de l'idée d'une confession en l'orientant vers l'ethnologie. L’œuvre reçut encore un accueil embarrassé, comme on le constate dans l’article que, le 1er mai, Armand de Pontmartin publia dans la ‘’Revue des deux mondes’’. Il fallut attendre la réédition de 1852 pour que ‘’Carmen’’ s'imposât. Théophile Gautier fut alors sensible à la poésie de l’histoire contée par son ami. Avec un instinct quasi-divinatoire, il s'empara du personnage pour en célébrer la force mythique :

‘’Carmen’’

«Carmen est maigre, - un trait de bistre Cerne son oeil de gitana. Ses cheveux sont d'un noir sinistre ; Sa peau, le diable Ia tanna.

Les femmes disent qu'elle est laide, Mais tous les hommes en sont fous : Et l'archevêque de Tolède Chante la messe à ses genoux ;

Car sur sa nuque d'ambre fauve Se tord un énorme chignon Qui, dénoué, fait dans l'alcôve Une rnante à son corps mignon ; Et, parmi sa pâleur, éclate Une bouche aux rires vainqueurs, Piment rouge, fleur écarlate, Qui prend sa pourpre au sang des coeurs.

Ainsi faite, Ia moricaude Bat les plus altières beautés, Et de ses yeux la lueur chaude Rend la flamme aux satiétés ;

ElIe a, dans sa laideur piquante, Un grain de sel de cette mer D'où jaillit, nue et provocante, L'âcre Vénus du gouffre amer.»

(‘’Émaux et camées’’, 1852),

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L'opéra-comique recherchant les histoires d'amour et de malheur, l'Espagne et les brigands faisant florès à la ville comme à la scène, la nouvelle comptant peu de personnages et se rassemblant en quelques scènes, elle intéressa vite les librettistes et les compositeurs. En 1864, Victor Massé et Victorien Sardou étudièrent la possibilité de transformer ‘’Carmen’’ en drame lyrique. Mais leur projet n'aboutit pas. Les librettistes Meilhac et Halévy s'emparèrent donc du sujet. Les héritiers de Mérimée leur concédèrent la liberté totale d’adaptation du texte. Ils plièrent l'œuvre au goût de leur public habituel ; mais Bizet, le compositeur, les empêcha d'en dénaturer tout à fait la sauvagerie, car il avait ressenti la violence explosive de la nouvelle, et se passionna pour le travail d'illustration. C’est ainsi que fut créé le 3 mars 1875 :

L'opéra de Bizet

Acte I : Décor : Devant la manufacture des tabacs, avec le corps de garde à gauche et Ie pont du Guadalquivir pour former le fond de scène. Figuration : La garde montante qui prend la relève ; la foule des badauds ; Ies cigarières. La jeune Micaëla, orpheline élevée par la mère de José, vient le voir. Elle a une lettre à lui donner : la mère de José lui conseille d'épouser Micaëla. Confuse, elle le quitte. Le brigadier José est un sage jeune homme qui ne regardait pas les cigarières jusqu'à ce jour, selon ce qu'il dit au lieutenant Zuñiga. Mais Carmen lui fait des oeillades, se moque de lui et lui jette une fleur de cassie entre les yeux. Quand il doit la conduire à la prison, il accepte de la laisser s'évader. Acte II : Décor : La taverne de Lillas Pastia à Séville. Figuration : Officiers, bohémiennes, l’équipe du «torero» Escamillo. Deux mois plus tard, Carmen attend José qui doit sortir de prison ce jour-là. Mais Escamillo, venu fêter une victoire, la séduit : elle lui promet de le revoir. Le Dancaïre et le Remendado viennent demander son aide à Carmen pour introduire dans la nuit des marchandises de contrebande. Elle ne peut accepter ce soir : elle attend José. Quand celui-ci arrive, il lui avoue son amour. Mais le lieutenant Zuñiga entre et, jaloux, menace José. Les contrebandiers s'interposent pour éviter un duel ; José n'en doit pas moins déserter et est réduit à se joindre à eux. Acte III : Décor : Une gorge de momtagne, en pleine nuit. Figuration : Les bohémiens-contrebandiers. Quelques mois plus tard, José menace Carmen qui, d’après les cartes, prédit leur mort à tous les deux. Escamillo rejoint le campement pour retrouver Carmen : il avoue I'aimer à José, et ils se battent à la «navaja». Carmen retient le bras de José, prêt à frapper son adversaire tombé à terre. Paraît Micaëla : elle vient chercher José, dont la mère est en train de mourir. Il hésite, mais part avec elle, cependant que Carmen écoute Escamillo chanter dans le lointain. Acte IV : Décor : La place devant les arènes à Séville. Figuration : Les marchands de plein air, la «cuadrilla» d’Escamillo, la foule des spectateurs. Quelques mois plus tard, Zuñiga se renseigne sur Carmen, et apprend qu'elle vit maintenant avec Escamillo, et que José est traqué. Cependant, on I'a vu à Séville ce jour-là. Une fois la foule entrée dans I'arène, il apparaît en effet devant Carmen : il fera ce qu'elle voudra si elle veut encore de lui. Mais elle le repousse, tout en rappelant que leur destin est de mourir I'un par I'autre.

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On entend, dans I'arène, acclamer Escamillo. Carmen veut s'y précipiter, repousse encore José. Il la tue avec sa «navaja», et, abattu sur le corps devant la foule qui sort de I'arène, crie qu'on peut I'arrêter maintenant. Si on compare la nouvelle de Mérimée et l’opéra, on constate que : - Le personnage du narrateur a disparu, ainsi que les épisodes où il apparaissait (chapitres 1 et 2 de la nouvelle) : tout cela ne convenait pas à la condensation qu'exige la scène. - Garcia le Borgne a été également supprimé. - Des rôles ont été développés ou même créés :

- le lieutenant Zuñiga tient une place importante au premier acte, sans trouver pour autant une personnalité ;

- le Dancaïre et le Remendado tendent vers le comique ; - Escamillo (le Lucas du roman) est un fade galant. La cour qu'il fait à Carmen est de pure

convention. - Micaëla tient le rôle de la pudeur virginale, du devoir sacrifié à la passion ; mais ce

personnage qu'on a introduit dans le but d'atténuer et de contrebalancer la violence sincère du caractère de Carmen, demeure en fait absolument inutile, du point de vue dramatique, bien qu'il donna à Bizet le prétexte d'écrire quelques-unes de ses plus belles pages de musique (le duo entre elle et don José au premier acte ; I'air ‘’Je dis que rien ne m'épouvante...’’ du deuxième acte) ; il tend à rendre I'intrigue sottement moralisatrice. - Carmen et José ont été transformés : la première n'use plus de se s charmes avec tous les officiers ou étrangers de rencontre. Elle n'est plus mariée, et n'a donc plus lieu de trahir son mari. Elle fait de la contrebande, mais ne vole plus. Quant à José, on lui évite les meurtres du lieutenant, de Garcia, de I'Anglais. En revanche, il est plus brutal, très vite, avec Carmen, après avoir été d'une niaiserie caricaturale avec Micaëla. Édulcoré, mais plus sommaire : tel il apparaît ici par rapport au José de la nouvelle. - La couleur locale a été très accusée, grâce à des décors violemment «espagnols», et à I'intervention de nombreux figurants. À la discrétion de Mérimée succédèrent les outrances d'un exotisme à grand spectacle. Cependant, si I'opéra de Bizet fut le porte-drapeau de l'école «vériste», le livret n'en écarta pas moins soigneusement un certain nombre d'éléments de caractère nettement réaliste : ainsi, la mort de Carmen n'a pas lieu dans le cadre joyeux et coloré, brillant, de la corrida, mais dans I'atmosphère désolée d'un paysage stérile et désert. L'opéra perd donc par rapport à la nouvelle un peu de ce ton dramatique truculent et tellement espagnol, que Mérimée avait parfaitement compris et traduit, en le remplaçant par un goût parfois plus superficiel. Ni I'atmosphère ni le paysage de l'opéra ne sont très fidèles à ceux de la nouvelle ; au contraire, ils en atténuent le caractère réaliste trop cru. Bizet s'inspira de la musique espagnole, mais eut la subtilité d'emprunter des thèmes tour à tour gitans, basques et andalous, de manière à respecter la couleur des personnages. Il ne recula pas devant la vulgarité au second acte, dans la taverne, ou au quatrième, pour la «corrida». Il sut exalter toute la ferveur anticonformiste de l’héroïne. Il rendit I'angoisse tragique dont Mérimée avait baigné sa nouvelle, par le retour du thème de Carmen ou de la fatalité, écrit sur un rythme «flamenco». Et, surtout, il modula avec une féroce violence les grands cris de la passion heureuse, de la passion jalouse, de la passion meurtrière. Tout ce qui, chez Mérimée, ne pouvait toucher que les lettrés à travers le détachement glacé du maître de jeu, éclate avec clarté dans cette vigoureuse et belle partition. Cependant, la première de ‘’Carmen’’ à l’Opéra-Comique, le 3 mars 1875, ne fut pas un succès : décontenancé par la nouveauté de l'orchestration et par les fréquents changements de tonalité, souvent choqué par le réalisme et par l’amoralité des personnages, déçu enfin par une exécution qui fut sans brio, le public resta froid, incertain, indécis. Mais, peu à peu, mieux servi par des musiciens et des choristes plus entraînés à sa nouveauté, l’oeuvre s’imposa et imposa la figure de son héroïne. Nietzsche écrivit dans ‘’Le crépuscule des idoles’’ (1888) : «C'est enfin […] l’amour dans ce qu’il a d’implacable, de fatal, de cynique, de candide, de cruel, et c’est en cela qu’il participe de la nature ! L’amour dont Ia guerre est le moyen, qui est basé sur la haine mortelle des sexes ! Je ne connais

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aucun cas où l’esprit tragique qui est l’essence de l’amour s'exprime avec une semblable âpreté, revête une forme aussi terribte que dans ce cri de don José qui termine l’oeuvre :

«Oui, c’est moi qui t’ai tuée, Carmen, ma Carmen adorée.»

Il y vit aussi «une épigramme sur la passion, ce qu’on a écrit de plus fort à ce sujet depuis Stendhal». Le succès de l’opéra, qui constitue une des expressions les plus parfaites et les plus accomplies du théâtre musical français du XIXe siècle, qui est la plus populaire des oeuvres lyriques françaises, ne s’est plus démenti jusqu'à nos jours. On a pu remplir des salles avec des opérettes parodiques, telles que ‘’La revanche de don José’’ (1904) ou ‘’Mam’zelle Carmen’’ (1916). En 1915, Cecil B. De Mille fit une adaptation cinématographique. En 1916, Chaplin donna la parodie qu’est “Charlot joue Carmen’’. En 1918, Lubitsch fit tourner Pola Negri. La nouvelle ne connut ses vrais succès de librairie qu'à partir de 1927, quand Mérimée tomba dans le domaine public. Mais, à cette date, l'opéra de Bizet avait popularisé les personnages et leur aventure ; on peut penser que c'est à lui que l'œuvre dut son tardif succès. En 1943, aux États-Unis, Oscar Hammerstein II composa une comédie musicale, ‘’Carmen Jones’’, où tous les rôles étaient tenus par des Noirs ; Carmen, pendant la Seconde Guerre mondiale, sur une base de l'armée américaine, travaille dans une usine d'armement. Joe manque à ses devoirs par amour pour elle, ce qui le conduit en prison. Ensuite, elle rencontre Husky Miller, champion de boxe poids lourds et «craque» pour lui. La musique était pour l'essentiel celle de l'opéra de Georges Bizet, avec une ré-orchestration jazz. Ce fut un des grands succès de Broadway. La même année, Christian-Jaque fit une autre adaptation cinématographique. En 1948, ce fut le tour de King Vidor. En 1949, Roland Petit renouvela l’intérêt en composant un ballet sur la musique remaniée. En 1954, “Carmen Jones” fut adaptée au cinéma par Otto Preminger qui transposa l’action dans un quartier noir de New York. Le film fit fureur aux Etats-Unis, mais fut interdit en France jusqu’en 1981, du fait de l’opposition des héritiers de Bizet. En 1982, Peter Brook, d'après sa mise en scène théâtrale, réalisa ‘’La tragédie de Carmen’’, qui se compose de trois films autonomes, avec une distribution chaque fois différente. En 1983, Carlos Saura fit sa propre adaptation : “Carmen story”. La même année, Jean-Luc Godard transposa le sujet dans “Prénom Carmen”. En 1984, Francesco Rosi revint à l’opéra de Bizet. En 2005, le film ‘’Carmen de Khayelitsha’’ de Mark Domford-May fut tourné avec les chanteurs de la troupe Dimpho di Kopane, l’action se situant dans un township d’Afrique du Sud, la musique étant, hormis quelques ajustements, fidèlement retranscrite ainsi que le livret traduit en xhosa, l’œuvre connaissant ainsi un formidable dépoussiérage, un second souffle moderne. ‘’Carmen’’ est la nouvelle de Mérimée à juste titre la plus célèbre. Sur le sujet de l'homme faible ensorcelé par une vulgaire fille des rues, on peut signaler :

- “La femme et le pantin” de Pierre Louÿs ; - “Un amour” de Dino Buzzati (1964) où l'amant d'une prostituée s'écrie : «C'est une malédiction

qui vous fond dessus et il est impossible d'y résister» ; - “Amour noir” (1997) de Dominique Noguez.

André Durand

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‘’Carmen’’, frappe par la modernité de la composition, par la froideur du ton qui contraste, en de surprenants effets, avec la violence du propos. C'est, avec Manon Lescaut et Les Hauts de Hurlevent, une des histoires d'amour les plus cruelles de l'histoire de la littérature.