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Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition - Vol. XVII - n° 7 - septembre 2013 198 198 Échos des congrès © Tous droits réservés Quatre-vingt-quinze bougies pour l’Endo Expo ! Nicolas Chevalier* San Francisco, ville arc-en-ciel, multiculturelle, a célébré du 15 au 18 juin le 95 e anniversaire de l’Endo Expo, congrès annuel de l’Endocrine Society, comme toujours riche en nouveautés cliniques et scientifiques. Voici quelques morceaux choisis d’un programme aux multiples facettes. U ne fuite de gaz à quelques mètres de notre lieu de travail aura néanmoins perturbé notre concentration durant quelques heures… Évacuation du Moscone Center oblige, sous les toni- truantes sirènes du SWAT et du Bomb Squad améri- cains dévalant à toute allure les célèbres rues de San Francisco… Aux confins de la génétique ? D’après la communication de L.B. Jorde, The Year in Genomics: DNA Sequencing and Disease L’étude de nouveaux gènes ou de nouvelles anomalies géniques dans des pathologies fréquentes ou beau- coup plus rares de notre spécialité va crescendo depuis quelques années, nous permettant le plus souvent de mieux comprendre les mécanismes physiopatho- logiques ou d’ouvrir de nouvelles pistes de réflexion. D. Kelberman, de Londres, a ainsi rapporté que l’absence du facteur de transcription ARNT2 (Aryl-hydrocarbon Receptor Nuclear Translocator 2), liée à une mutation homozygote observée chez 6 enfants issus de la même famille, se traduit cliniquement par un déficit hypophy- saire combiné, corticotrope et thyréotrope, associé à un diabète insipide central, un retard de croissance, une obésité syndromique, une microcéphalie, un retard mental plus ou moins sévère ainsi que des anoma- lies vésicales et rénales. Il est probable qu’ARNT2 soit en fait impliqué dans le développement des noyaux hypothalamiques antérieur, paraventriculaire et supra- optique, car il contrôle les sécrétions de thyréostimuline (TSH) et d’adrénocorticotrophine (ACTH), mais égale- ment d’ocytocine et de somatostatine. Cette observation a été possible grâce aux nouveaux outils de la génétique, comme les études de liaison mais également le séquençage complet de l’exome et l’outil VAAST (Variant Annotation, Analysis and Search Tool), qui est un outil statistique permettant d’identi- fier les zones endommagées du génome en le compa- rant à un génome témoin, mis au point par M. Yandell, de l’université de l’Utah (Yandell M et al., Genome Res 2011;21:1529-42). Cet outil, qui permet d’obtenir des résultats très rapidement, avait été précédemment utilisé pour identifier le gène responsable du syndrome d’Ogden, syndrome de vieillissement prématuré décrit dans une famille de l’Utah (Rope AF et al., Am J Human Genet 2011;89:28-43). Plus récemment, il a permis d’iden- tifier, dans la maladie de Crohn, une mutation faux-sens du gène LRRC70, impliqué dans l’auto-immunité via le système TLR (Toll-Like Receptor). Le recours au séquençage peut également être inté- ressant (et même recommandé dans certains cas par la Food and Drug Administration [FDA]) pour prédire la réponse à certaines thérapeutiques, en particulier antirétrovirales (HLA-B5701 dans le VIH) et anticancé- reuses (thiopurine S-méthyltransférase [TPMT] dans les leucémies aiguës, C-KIT dans les tumeurs gastro- intestinales [GIST], les récepteurs aux estrogènes et à la progestérone dans le cancer du sein, etc.), mais également dans le cadre de l’athérosclérose pour le gène CYP2C19 et la réponse au clopidogrel (Korf BR, Rehm HL. JAMA 2013;309:1511-21). Un autre élément devenu incontournable est l’étude des modifications épigénétiques, c’est-à-dire des modifications physiologiques de la molécule d’ADN, les méthylations des îlots CpG et les acétylations des histones, survenant tout au long de la vie, et en partie transmissibles. Elles sont encore difficiles à mettre en évidence, mais de nombreuses observations ont déjà été rapportées dans les pathologies tumorales ou liées à l’environnement (comme dans le cas de l’exposition au diéthylstilbestrol [DES]). Lors de ce congrès, une équipe * Service d’endocrinologie- diabétologie et médecine de la reproduction, hôpital de l’Archet 2, CHU de Nice et UMR Inserm U1065/ UNS, C3M, Nice.

Quatre-vingt-quinze bougies pour l’Endo Expo !2200 0 Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition - Vol. XVII - n 7 - septembre 2013 Échos des congrès 38 03

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Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition - Vol. XVII - n° 7 - septembre 2013198198

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Quatre-vingt-quinze bougies pour l’Endo Expo !Nicolas Chevalier*

San Francisco, ville arc-en-ciel, multiculturelle, a célébré du 15 au 18 juin le 95e anniversaire de l’Endo Expo, congrès annuel de l’Endocrine Society, comme toujours riche en nouveautés cliniques et scientifi ques. Voici quelques morceaux choisis d’un programme aux multiples facettes.

U ne fuite de gaz à quelques mètres de notre lieu de travail aura néanmoins perturbé notre concentration durant quelques heures…

Évacuation du Moscone Center oblige, sous les toni-truantes sirènes du SWAT et du Bomb Squad améri-cains dévalant à toute allure les célèbres rues de San Francisco…

Aux confi ns de la génétique ?D’après la communication de L.B. Jorde, The Year in Genomics: DNA Sequencing and Disease

L’étude de nouveaux gènes ou de nouvelles anomalies géniques dans des pathologies fréquentes ou beau-coup plus rares de notre spécialité va crescendo depuis quelques années, nous permettant le plus souvent de mieux comprendre les mécanismes physiopatho-logiques ou d’ouvrir de nouvelles pistes de réfl exion.D. Kelberman, de Londres, a ainsi rapporté que l’absence du facteur de transcription ARNT2 (Aryl-hydrocarbon Receptor Nuclear Translocator 2), liée à une mutation homozygote observée chez 6 enfants issus de la même famille, se traduit cliniquement par un défi cit hypophy-saire combiné, corticotrope et thyréotrope, associé à un diabète insipide central, un retard de croissance, une obésité syndromique, une microcéphalie, un retard mental plus ou moins sévère ainsi que des anoma-lies vésicales et rénales. Il est probable qu’ARNT2 soit en fait impliqué dans le développement des noyaux hypo thalamiques antérieur, paraventriculaire et supra-optique, car il contrôle les sécrétions de thyréostimuline (TSH) et d’adrénocorticotrophine (ACTH), mais égale-ment d’ocytocine et de somatostatine.Cette observation a été possible grâce aux nouveaux outils de la génétique, comme les études de liaison

mais également le séquençage complet de l’exome et l’outil VAAST (Variant Annotation, Analysis and Search Tool), qui est un outil statistique permettant d’identi-fi er les zones endommagées du génome en le compa-rant à un génome témoin, mis au point par M. Yandell, de l’université de l’Utah (Yandell M et al., Genome Res 2011;21:1529-42). Cet outil, qui permet d’obtenir des résultats très rapidement, avait été précédemment utilisé pour identifi er le gène responsable du syndrome d’Ogden, syndrome de vieillissement prématuré décrit dans une famille de l’Utah (Rope AF et al., Am J Human Genet 2011;89:28-43). Plus récemment, il a permis d’iden-tifi er, dans la maladie de Crohn, une mutation faux-sens du gène LRRC70, impliqué dans l’auto-immunité via le système TLR (Toll-Like Receptor).Le recours au séquençage peut également être inté-ressant (et même recommandé dans certains cas par la Food and Drug Administration [FDA]) pour prédire la réponse à certaines thérapeutiques, en particulier antirétrovirales (HLA-B5701 dans le VIH) et anticancé-reuses (thiopurine S-méthyltransférase [TPMT] dans les leucémies aiguës, C-KIT dans les tumeurs gastro-intestinales [GIST], les récepteurs aux estrogènes et à la progestérone dans le cancer du sein, etc.), mais également dans le cadre de l’athérosclérose pour le gène CYP2C19 et la réponse au clopidogrel (Korf BR, Rehm HL. JAMA 2013;309:1511-21). Un autre élément devenu incontournable est l’étude des modifications épigénétiques, c’est-à-dire des modifi cations physiologiques de la molécule d’ADN, les méthylations des îlots CpG et les acétylations des histones, survenant tout au long de la vie, et en partie transmissibles. Elles sont encore diffi ciles à mettre en évidence, mais de nombreuses observations ont déjà été rapportées dans les pathologies tumorales ou liées à l’environnement (comme dans le cas de l’exposition au diéthylstilbestrol [DES]). Lors de ce congrès, une équipe

* Service d’endocrinologie- diabétologie et médecine

de la reproduction, hôpital de l’Archet 2, CHU de Nice

et UMR Inserm U1065/UNS, C3M, Nice.

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Quatre-vingt-quinze bougies pour l’Endo Expo !

californienne dirigée par T.R. Stueve a ainsi rapporté qu’une hypométhylation du promoteur du gène de l’aromatase (CYP19A1) était associée à une thélarche plus précoce, en particulier chez les jeunes fi lles en surpoids ou obèses.La génétique semble donc en plein essor. Néanmoins, il ne faut pas oublier que le coût de telles recherches et analyses est loin d’être anodin (il faut ainsi prévoir 3 500 dollars pour séquencer uniquement BRCA1). Par ailleurs, le séquençage non ciblé du génome, tel qu’il est utilisé dans la technique décrite par M. Yandell, débouche régulièrement sur la découverte d’une prédisposition à d’autres pathologies, ce qui pose la problématique de leur prise en charge (Green RC et al. Genet Med 2013;15:565-74).

Diabète gestationnel : encore des recommandations ?D’après le consensus Diabetes and Pregnancy: An Endocrine Society Clinical Practice Guideline

La publication du consensus de l’International Association of the Diabetes and Pregnancy Study Groups (IADPSG) en 2010 (Diabetes Care 2010;33:676-82) aurait pu faire penser qu’il en serait une fois pour toutes fi ni des controverses nourries autour du dépistage du diabète gestationnel depuis plus de 50 ans. Que nenni ! Le doute persiste, tout au moins outre-Atlantique.En effet, l’American College of Obstetricians and Gynecologists (ACOG) a décidé de ne pas suivre ces recommandations, et de maintenir un dépistage en 2 temps tel que l’a initialement décrit J.B. O’Sullivan. En revanche, l’Endocrine Society, comme l’American Diabetes Association (ADA), suggère très largement de suivre les recommandations de l’IADPSG, avec quelques spécifi cités “américaines”, en particulier concernant le caractère systématique du dépistage, car plus de 85 % de la population américaine en âge de procréer présente au moins 1 facteur de risque de diabète ges-tationnel (âge ≥ 35 ans, surpoids ou obésité, antécé-dent familial de diabète de type 2 au premier degré, antécédent personnel de macrosomie ou de diabète gestationnel) :

✓ un dépistage systématique lors de la première visite prénatale, si possible avant la treizième semaine de grossesse, mais avec une méthode qui reste à préciser (la réponse suggérée par les orateurs étant “à l’appré-ciation du clinicien”) ;

✓ un deuxième dépistage entre la vingt-quatrième et la vingt-huitième semaine de grossesse, basé sur une

charge glucidique à 75 g de glucose sur 2 heures, le diagnostic de diabète gestationnel étant posé si 1 des 3 valeurs dépasse les seuils fi xés par le consensus de l’IADPSG (pour mémoire : t0 ≥ 0,92 g/l ou 5,1 mmol/l ; t60 ≥ 1,80 g/l ou 10,0 mmol/l ; t120 ≥ 1,53 g/l ou 8,5 mmol/l).En utilisant ces critères, la prévalence estimée du dia-bète gestationnel s’élève à 17,8 %, ce qui double le nombre de patientes à prendre en charge, même si elles ne seront traitées, pour la majorité d’entre elles, que par des mesures hygiénodiététiques. Néanmoins, la prise en charge de 1 702 patientes permet d’éviter 140 macro-somies, 21 dystocies des épaules et 16 traumatismes obstétricaux (Ryan EA, Diabetologia 2011;54:480-6).Notons que l’Endocrine Society a pris position sur les traitements insuliniques à utiliser au cours de la gros-sesse :

✓ en cas de recours à une insuline basale, la détémir est privilégiée, car cet analogue induit moins d’hypo-glycémies que l'isophane (NPH) et n’a pas d’eff ets téra-togènes connus ;

✓ en cas de recours à une insuline prandiale, l’utilisa-tion d’analogues rapides (asparte ou lispro) garantit un meilleur équilibre glycémique jugé sur l’HbA1c, en contrôlant mieux les excursions glycémiques post-prandiales, tout en assurant aux patientes un meilleur confort et une meilleure qualité de vie par rapport aux insulines humaines ordinaires.Il est intéressant de noter que ces recommandations de traitement n’incluent ni la glargine (alors qu’il existe des données plutôt rassurantes au cours de la grossesse), ni la glulisine, puisque leur utilisation chez la femme enceinte n’est pas autorisée par la FDA.

Vous avez dit “perturbateurs” ?

Sans conteste, ce congrès a laissé une large place aux perturbateurs endocriniens (ces substances chimiques capables de mimer le rôle des hormones) et aux patho-logies liées à l’environnement, marquant l’intérêt de l’En-docrine Society, et plus généralement des Américains, pour cette problématique.De nombreuses communications orales et affichées ont en particulier rapporté les effets délétères du bisphénol A à de faibles doses (10–9 mol/l, ce qui correspond à l’exposition humaine quotidienne), parmi lesquels : l’altération de la sécrétion pulsatile de gonado libérine (GnRH) ; la diminution du nombre de neurones à GnRH et à kisspeptine en cas d’exposition durant la vie fœtale ; la stimulation de la prolifération des cellules séminomateuses via un récepteur mem-

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Juillet-Août-Septembre 201303

Nouvelle formule

Association françaisepour le développementde l’éducation thérapeutiqueAssociation régie selon la loi de 1901 (J.O. :15.07.87 N°28)

CPPAP et ISSN : en coursTrimestriel

Prochain numéro à paraître en septembre 2013…

* Abonnez-vous au 01 46 67 62 74 / 87Publication trimestrielle

EDIMARK éditeur de la nouvelle publication de l’AFDET

Former, informer !Éducation thérapeutique :

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branaire aux estrogènes (GPR30 [G-Protein-coupled Receptor 30]) ; le développement d’une insulinorésis-tance en agissant directement au niveau des îlots β de Langerhans et indirectement au niveau hépatique en diminuant la synthèse des IGF-BP (Insulin-like Growth factor-Binding Protein) ; mais également des anomalies cardiovasculaires (arythmies par entrée massive de calcium dans le réticulum endoplasmique). G. Prins, de Chicago, a également rapporté les résultats de son équipe sur le rôle du bisphénol A dans le cancer de la prostate : en permettant le maintien de cellules souches via l’hyperméthylation de gènes contrôlant le cycle cellulaire, le bisphénol A est notamment capable d’induire l’hyperplasie des cellules prostatiques puis le développement d’une néoplasie intraépithéliale.Le cas du bisphénol A est loin d’être isolé :

✓ l’exposition prénatale aux polychlorobiphényles (PCB) est associée avec un niveau de QI plus bas parce qu’elle interfère avec les hormones thyroïdiennes durant

le développement cérébral fœtal, mais également parce qu’elle induit des gènes cibles au niveau placentaire via l’enzyme CYP1A1 ;

✓ l’équipe de J. Toppari, en Finlande, a rapporté, chez des enfants cryptorchides, des concentrations plus élevées (dans le tissu adipeux) de dioxine, PCB et retar-dateurs de fl amme, directement corrélées à la durée de l’allaitement maternel ;

✓ l’exposition prénatale à un retardateur de fl amme (le Firemaster 550) induit un état d’insulinorésistance et est capable d’accélérer la puberté ;

✓ l’atrazine (pesticide) est capable de stimuler l’axe corticotrope de manière identique à un stress chronique.Les arguments s’accumulent donc quant à l’implication des perturbateurs endocriniens environnementaux dans un certain nombre de pathologies endocriniennes et métaboliques dont la liste risque malheureusement de s’allonger au cours des prochaines années. ■

L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts.