28
Christian Jacomino Que vit-il?

Que vit-il?, de Christian Jacomino

Embed Size (px)

DESCRIPTION

Couloirs peints et des meubles grattés. À quel moment choisit-il de quitter. L’île. Une route sépare la maison de la plage. Il traverse la route et confie la clé au gérant de l’hôtel. Entre les pins qui penchent. Comme volières et houppes à poudrer. Creusent le ciel au plus haut et plus tendre. Avise le ponton où est peint le nom de l’hôtel. Celui d’une famille. La pelouse sous les pins, très verte, jusqu’au bleu de la mer. Bleu d’encre dans le soir. Puis s’en va. Après tant d’autres. Bascule sur le haut de la mer. Disparaît.

Citation preview

Christian Jacomino

Que vit-il?

Table

Énigmajoue, 3Brocéliande, 4Que vit-il?, 5Le monde a du bon, 6Cendrillon, 7Haydn parmi les siens, 8Le jour se lève, 9Habitudes de lecture, 10Baigneurs, 11Leçons, 12 Eleanor Rigby, 14Un monstre, des ailes, 15Philosophe, 16Un cerf au haut du champ, 17Nous sommes tous des passagers clandestins, 19A Soccia, 21Sam Beckett à la plage, 22Haut exemple, 23Double vie, 24Deux prénoms de femmes, 25Le cache-nez de Marcel, 26Tapisserie, 27En rentrant du concert, 28

�2

Énigmajoue

Roi et Princesse projetés par la lampeSautillaient en silence, fâchés peut-être,D’un mur à l’autre de la chambreOù le lit dessinait un château.

Enigmajoue debout, curieuse commeÀ la vue d’un carrosse courant sur le pontDe la rivière où Vois, un jeune homme se noie,Ou d’un tournoi, puis tout soudain absente.

Elle a quitté ses murs et son peuple est inquiet.C’est qu’Enigmajoue dort au fond de la courOù grince la poulie d’un puits,Comme une géante.

�3

Brocéliande

La nuit nuit après nuit forme un terrier,branches et racines aveugles que le froissementdes feuilles déroule dans la forêt d’automne,tendue d’étoiles, de parfums giboyeux accrochésaux cheveux et aux yeux du dormeur qui s’y glisse,

lui emplissent le nez. Il étouffe, puis se rassembleet pousse des deux épaules pour retrouver l’air pur.

La tête seule émerge entre les tiges de fougèresqui frémissent sous la lune où s’entend, frêleet flottant dans l’air, un air de cornemuse

�4

Que vit-il?

Tablette évoque l’Égypte et ses tombeaux.Le fleuve et les roseaux où se posent des ibis.Les journées les plus libres, de ciel clair et vent,n’empêchent qu’il écrive la nuit.

Sable soulevé criblant les salles d’un tombeausans les ibis, ni le parfum de l’eau du fleuve, le boismouillé des barques couvertes de chiures d’oiseaux,les poivriers.

Que vit-il? Il vit. Couché,le visage seul éclairé par l’écran.

Quand on quitte Marseille, les rochers baignentdans une eau transparente dont on devinela teneur excessive en sel. Brûlant le linge étenduqui bat. Les barques. Les ailes du soleil.

�5

Le monde a du bon

Les touristes descendus du carAu fin fond de cette montagne himalayenneSont groupés sur des gradins de boisEn plein air et en plein vent, sous de gros nuagesGris. Ils regardent un terrain boueux où figurentDe petits chevaux caparaçonnésQui marchent sans passion. Mais attendonsLa fin. À l’heure dite, les prévient-on,Un miracle se produit. Les gros nuages crèventAu-dessus de leurs têtes, ils sont arrosésD’une averse plutôt fraiche, dont ils s’abritentComme ils peuvent, curieux du spectacle fourniPar les chevaux soudain qui se mettent à danser.Car la pluie les fait danser. C’est un prodigeQui ne se produit qu’ici, chaque jourÀ la même heure de l’après-midi, et mêmeRire en retroussant leurs lèvres sur leurs dentsDe chevaux, et chanter.

�6

Cendrillon

Le Roi même tout vieux qu’Il était nelaissait pas de la regarder – et la Reinepeinte dans l’image(spectacle)du conte devons-nous imaginer qu’ElleS’en fâche ou au contraire S’en réjouisse

Tandis que tout bas il ajoute qu’ily a longtemps qu’il n’a vuune si belle et si aimable personne

Grand, barbe blonde, la taille priseil se penche pour parler à son oreilletous deux debout figures ensembled’une carte à jouer, ne sont plusle point de mire de la compagnie

à l’instant où l'inconnue pénètreconfuse, souriante, les yeux baissés, fine sueurperlant à la lèvre et la main haut levée tenuedu bout des doigts par la main de leur fils

L’on cessa de danser et les violons ne jouèrent plus

�7

Haydn parmi les siens

Joseph Haydn allait se réfugier pour composerdans les cuisines des princes Esterhazy,parmi les domestiques, dans la vapeur des marmitesqui ronflent, hautes et lourdes de leurs chargesde choux et de viandes bouillies.

J’ai pu rêver. Me rêver lui. Ou le cerf.Le soir tombe, il fait nuit. Derrière les fenêtreshautes, sur une table encombrée d’ustensiles,la plume gratte et tache. Dans le parc, un cerfs’est égaré que la clarté des fenêtres éblouit.

L’œil fendu avise derrière la vitre,parmi la foule hâtive des domestiques,la silhouette voûtée de celui qui écrit.

�8

Le jour se lève

Quand, sortant de la ville, il arrive sur l’autoroute,haut au-dessus de la ville, le ciel traversé de nuagesnoirs comme l’encre, le flot énorme des voituresdessine un monstre où il se trouve pris.

Arrêté. Ses tentacules étirés sous le ciel où le soleilne perce pas, d’une ville à l’autre. Et les hélicoptèresvoletant pour surveiller l’humeur de l’être qui s’étendsans avancer. Dont désormais il fait partie. Absorbé

par lui dans une forêt de rêves. Nuit des contes oùl’ogre s’éveille, le corps formé par les feuillages,les pieds par des racines, et son rire d’oiseaux quis’échappent du nid, un petit frisson d’ailes.

�9

Habitudes de lecture

La lecture est du soir, prolongée de l’enfance.Sur le carreau d’une loge de conciergeclinquant de clarté aux portes de la Nuitglisse la silhouette de l’inspecteur Maigret.

Il s’engouffre dans l’escalier, s’élève versles étages obscurs, grand comme l’ogreou le Roi Carnaval (sa couronne dresséedevant les façades rouges de la place Massena)

et preste et rieur comme le Petit Poucet quand,ayant chaussé les bottes, il se fait messagerpour le compte des dames. La fièvre de la grippe

trempe son lit de sueur. Les odeurs de cuisinepénètrent dans la chambre où une jeune modisteévoque un dé à coudre et le chas d’une aiguille.

�10

Baigneurs

Les baigneurs sont trop loin dans les dunes,écrasés de soleil, silhouettes à peine moinsgraciles que le parasol coiffé de bleuet blanc que le vent menace d’emporter,qui les fait se lever, tourner autour comme dansantune danse de Sioux, si bien que tu hésitesà te prononcer sur l’âge et le sexe de ceuxque tu aperçois, encore que ce soitbien la beauté de leurs corps qui t’émeut,lesquels sont alors, tracés en noir sur blanc,comme le paraphe de leur âme.

Ou ces autres, vus de haut, qui paraissentflotter dans le bleu comme des anges.

Le spectacle des êtres humains aperçus ainsià travers la distance suffit à l’éblouissementd’un esprit lassé, qui n’a point perdu le goûtde ses semblables mais qui souhaiteles saisir au point où l’âme et le corpsse confondent. Ne font qu’un.Comme Dieu lui-même les regarde d’où il est,ou les anges. Ou Alberto Giacometti.

Tel baigneur, comme tel piéton filiforme dansl’œuvre du sculpteur, serait-il moins connud’être aperçu de loin, et qu’entre lui et nouspas un mot ne soit dit?

�11

Leçons

Compris aussitôt que mon séjour se passeraitdans la banlieue. Une voiture m’attendait à la gare.Piotr assis à l’avant,il donnait des ordres au conducteur.Nous parlons en nous regardant dans le rétroviseur.Nous traversons des quartiers anciens,places monumentales que je reconnaispour les avoir vues en photos. Il neige,il se mit à neiger. Les ailes blanches des oiseauxbattaient dans le ciel des boulevards.Des nuages noirs emplissent le ciel commedes ballons qu’on voit pilotés par des êtressévères, parfois rigolards.Échanges de tirs au laser.Plutôt rituels. La nuit vient trop vite.La banlieue, au contraire, apparaît dans un pâlesoleil d’hiver. Ma chambre au premier étageouvre sur une esplanade où s’installe un cirque.Je découvre sous ma fenêtre ses caravanespeintes de couleurs vives. Je respire l’odeurdes fauves, je les entends se plaindredans la nuit, raconter leurs histoires.Occupé la plupart du temps à jouer aux échecsavec des inconnus dans un café où je prendsmes repas. Puis, les cours de linguistiqueque je donne dans une salle des festinséquipée d’un tableau noir. J’écrisavec des craies, mes élèves inclinésvers des liasses de notes qu’ils surchargentsans rien dire. Je ne suis pas sûr

�12

de leur compréhension. La plupart repartenten tramway dans le quartier du portoù ils enseignent à lire à des enfants.

�13

Eleanor Rigby

Elle habite un appartement trop vastedans un ville étouffante l’été oùelle ne voit personne que des visages flousparmi le personnel et les habitués durestaurant où elle se rend chaque jourà l’heure du déjeuner. Et la nuit,les cheveux lâchés, elle en parcourtles pièces à la recherche ici d’unvêtement que sa fille lui réclame,ailleurs d'une photo, un disque qu’elle nepasse pas mais dont elle fredonnela musique (c’est Eleanor Rigby),un livre ou, quelquefois, à l’intérieurd’un livre, un seul mot.

�14

Un monstre, des ailes

Personne ne peut soupçonner la vieille femmequi habite la maison adossée à la forêtd’être le monstre qui attaque des jeunes fillessur le chemin qui mène à la scierie,et les laisse ouvertes comme un livresous les branches frêles et les battementsd’ailes des corbeaux. Elle a un filsqui habite à Paris. Il revient la voirtrois ou quatre fois par an. Le cheminà pied depuis la gare. Le bruit des pas,la buée de son souffle, les lunettes qu’ilretire pour en essuyer les verres. Arrêté,il tourne son regard de myope et écoutele bruit de la scierie et les cris des corbeauxqui montent derrière les arbres.On dit qu’il enseigne la philosophie(sa préférence pour Gaston Bachelard) etpublie des poèmes d’une métrique savante.

�15

Philosophe

Son bureau-bibliothèque ouvrant sur le fleuve.Le bureau-bibliothèque tellement rempli de livreset de liasses de papiers qu’il reste à peineassez de place pour le fauteuil à haut dossieroù il se tient près de la fenêtre à barreauxqui ouvre sur l’eau grise et profonde du fleuve.La fenêtre fermée toujours mais qui laisseentendre (résonner) le bruit sourd nuit et jourdu fleuve dont il serait, avec sa longue barbeblanche, un dieu. L’odeur du fleuvese mêlant à celle des livres, à l’encrede ceux déjà écrits comme des autres un à unqu’il ajoute. Lentement. Au fil des jours.Nuit après nuit. Comme s’il habitaitlui-même dans le fleuve. Comme si le fleuvetraversait sa bibliothèque (sciences,poésie, alchimie) et tous les livres qu’ellecontient comme ceux encore à l’encre bleuede sa main qu’il compose. Traverse sa mémoire.La peigne longuement. Et comme la répliqueà Paris de celui couvert de brume griseprès duquel il fut jeune en Bourgogne.Comme si sa barbe se mêlait déjà aux flotset aux algues du fleuve. Comme un noyé.

�16

Un cerf au haut du champ

L’enfant est assis dans une salle de classeet il écrit, tête inclinée sur son cahieret vu dans la proximité tendrede sa nuque, dans l’air parfuméde l’après-midi, comme un adultese tient debout derrière lui et porteen passant un regard sur le cahier ouvertdans quel silence, à la plume qui crissesous un tableau d’ardoise noireoù sont tracés à la craie blanche les motsdu texte qu’il copie, qui est celui d’une poésieou d’un fragment de conte.

Et des fenêtres ouvrent sur la cour,à peine masquées par des rideaux de toileblanche qui bougent, soulevés par l’air tièdeet parfumé de l’après-midi. Espace barréde grands platanes aux troncs blanchispar la lumière. Un arrosoir. Un rectanglede terre sombre, binée par les enfants oùpoussent des légumes. Puis,sitôt derrière la grille, un champpartagé mi-ombre mi-soleilque closent au plus haut les premiers arbresde la forêt. Leur surveillance. Leur rangobscur comme celui d’une armée.

Des animaux habitent la forêt. Les mêmesqui habitent (se retrouvent à peinemasqués, brouillés de branches et d’ocellures)

�17

dans la poésie ou le fragment de conteque l’enfant recopie. Animaux qu’ilpeinerait à reconnaître sous sa plume. Sil’un parfois. Un cerf. Ne sortait de la forêtpour prendre la gloire du soleil. Arrêté,immobile, posant au haut du champ commepour la photo, et que l’enfant, tournantde son cahier un bref instant la tête,aperçoit. Qu’ils se voient.

�18

Nous sommes tous des passagers clandestins

La maison une fois construite au lieu ditune forêt longuement compliquéed’ajouts, les eucalyptus balaientla rondeur des rochers

le haut toupet des pins écartéssur la baiequi penchent

masques fourbis, totemsà quel moment conclut-il de partir

Couloirs peints et des meubles grattés. À quel moment choisit-il de quitter. L’île. Une route sépare la maison de la plage. Il traverse la route et confie la clé au gérant de l’hôtel. Entre les pins qui penchent. Comme volières et houppes à poudrer. Creusent le ciel au plus haut et plus tendre. Avise le ponton où est peint le nom de l’hôtel. Celui d’une famille. La pelouse sous les pins, très verte, jusqu’au bleu de la mer. Bleu d’encre dans le soir. Puis s’en va. Après tant d’autres. Bascule sur le haut de la mer. Disparaît.

Une barque la nuit que l’on sortpour pêcher, remplacéepar une voie de chemin de fer.

Le faisceau de triage bruyantderrière le mur comme des cris d’oiseaux.

Habite alors au plus haut d’un immeublele vide et l’obscur (le creux) sous ses pieds.

�19

Quand il revient la nuit avecdu vin et du tabac dans un filet,il cherche en tâtant dans le noirl’interrupteur,la clé qui tinte sur le carrelage.Deux inconnus l’attendent à sa porte.

�20

A Soccia

Grâce ouvrière des cerisiers d’avrildans les jardins bordés de granit.

Sur la tapisserie d’herbe bleue oùla licorne s’agenouille,la blancheur des fleurs contrasteavec la dureté métallique des branchestorses dans le ciel transparentet la verticalité du tronc fourbi.

* Une greffe: Comme sur le camp dressé flottent des oriflammes.** Fourbu: Parmi les groupes de convives debout, le regard transperçant du vieil homme malade. À notre arrivée, le village est désert. Seul un chien en parcourt les rues. Légèreté aérienne de son pas. Les moustaches et la barbe. De Merlin. Des feuillages n’ont pas été installés sur tous les arbres. Ornements de fêtes. Tournois.

�21

Sam Beckett à la plage

Habiteriez-vous dans une volière ?

Le maquis est une vague de lave toute bruissante d’oiseaux qui roule vers la mer.

Le vieux Sam Beckett parcourt l’étroite bande de sable inondée de soleil avec un parapluie noir.

Il l’ouvre à l’emplacement choisi et le couche dans le sable où l’ombre portée est à peine suffisante pour abriter son sac informe de vagabond.

Puis il retire ses chaussures et ses chaussettes, retrousse ses pantalons étroits et,le chapeau en équilibre sur la tête, enjambesur des rochers jamais bien hauts,les trous d’eau tapissés d’algues.

Perché, il se plie comme un mètre ou une lampe de bureaupour décrocher, au bout de ses pieds blancs qui s’agrippent,des oursins avec une fourchette.

�22

Haut exemple

Le soleil n’y était pas tenu. Après tant de fois,paraîtrait-il aussi bien que nousle souvenir pâle ou le haillon d’une poupéerestée la nuitofferte (et suppliante) aux étoiles des toits.

Défait, rincé.

Mais au matin, son âme parut intactedans chaque fleur. Son parfum.

« pour que mon cœur, blessé par tant d’éclats, se repose » (J. Genet)crête de vague, filigrane d’arbre veillantdu haut du ciel sur la route.

La couleur (p. ex.) n’était pas nécessaire.Ou, au contraire, aurait suffi.

�23

Double vie

Jean arrive chez sa mère parmi cousins et tantes. Retour du chantier. Montre ses mains abîmées par le burin et le marteau. Sa fierté. Tandis que derrière nous, sa mère prépare une omelette et la glisse dans une baguette de pain ouverte devant la poêle.

Maison de correction puis embarque comme matelot. Fait le tour du monde. Se reclasse ouvrier. Mais les nuits sont vouées au poker, aux bagarres sous les lampadaires des trottoirs déserts où les silhouettes des protagonistes s’allongent. Aux filles. Voitures noires. Fourrures. Ce qu’il leur faut de cigarettes, de maquillages et de bas. En protège (au moins) une. Participe à un braquage. Très vite arrêté, il est incarcéré à la Santé.

�24

Deux prénoms de femmes

Au premier étage de l’hôtelfenêtre grande ouverte.

Les feuilles d’un bananierfrôlent la rambarde.

Une femme de ménagebras tendus et le drap blanc qui flottepour ne plus se poser.

La pluie est proche.

Ce que l’on peut noter de plus insaisissable et qui suppose la plus grande vitesse. Nous rejoint le matin dans la salle à manger de l’hôtel. Personne ne se préoccupe alors de se forger ni d’émettre aucune opinion sur le monde. Encore moins de connaître celles des autres. Recoud en souriant quelques bribes de généalogie. Les mains jointes devant soi comme pour un tricot disparu de ses mains. Escamoté. Comme un chat. Une colombe immobile. Tiens-toi tranquille. Envole-toi. Décapitation d’un bandit sur la place du village où tout le monde accourt. Énumère les prénoms des fratries compliquées d’enfants adultérins. Les fuites vers le continent, puis les retours sur l’île. Tardifs (lorsque l’on n’est plus soi). Un jour il le rencontre dans la rue et croit se voir lui-même. Son propre portrait qui le dévisage à travers le temps nié de l’exil. Elle raconte avec le même accent que ta grand-mère (l’autre prénom) et le fin sourire. Dire que je n’ai pas eu souci de déclencher l’enregistreur, ni de faire une photo.

�25

Le cache-nez de Marcel

Assis seul devant le soleil rouge quidescendoù assis sur un banctransparaît (dans le rouge)la troupe des jeunes fillesà bicyclette.

Sur le verre des lunettes.

Lentement elles pédalent.

La tête dressée estune pomme qu’on dessineà la pointe affutée d’un crayon,sans oublier le pédoncule et les deux petitesfeuilles qui s’y trouvent attachées.

Aveugle (enfin) comme la chance,celui qui glisse debout sur les vagues.

Si jamais il atteint le sable du rivageou si l’une seulement des cyclistess’arrête pour mieux voir.

�26

Tapisserie

Lorsque j’étais le cerf que l’on chasse, mes bois heurtaient les branches les plus basses des arbres, mon cœur battait si fort,

Pas de rivière où enfin l’on s’arrête, où l’on se mire, où l’on boit, seulement les aboiements des chiens qui approchent, que j’entends sans les voir à cause des feuillages des taillis épais,

Une rivière soudain qui m’arrêtait et je restais sur la berge à haleter, à écouter le son du cor, les aboiements des chiens qui bavent,

Qui franchissent en courant l’obstacle d’un arbre couché, viennent à leur suite les cavaliers vêtus de rouge et qui sonnent du cor,

Linceul de sueur sur tout mon corps qui haletait et je restais derrière les arbres,

Un rayon de soleil oblique perce les feuillages,

Mon regard s’embuait, je grelottais du froid qui montait de la rivière, mes yeux fendus baignés de larmes.

�27

En rentrant du concert

Quand on lit un roman, notre attention est requise par l’histoire, on veut en connaître la fin. Mais quand la lecture est faite, que du temps est passé, le souvenir qu’il reste se réduit à des images.

On aime le roman, dans le souvenir au moins, pour ce qu’on y voit, et qui se voit comme dans l’encadrement de fenêtres:

celles du train de La Bête humaine, dont l’une laisse entrevoir, à l’intérieur d’un compartiment éclairé dans la nuit, une scène de crime,

dans tous les cas, images floues, aux contours imprécis, auxquelles nous aurions du mal à ajouter un titre, à l’intérieur desquelles les personnages ne sont pas arrêtés mais se déplacent, glissent en silence, mues par quelque mécanisme.

Surprenant l’intérieur d’un appartement, un soir d’automne, comme nous passions sous ses fenêtres en rentrant du concert et qu’il commençait à pleuvoir.

Soir humide d’octobre, quand la saison des concerts a commencé et qu’on est un dimanche.

Soudain leurs deux silhouettes derrière les voilages blancs de la fenêtre.

J’aurais pu faire comme si je ne les voyais pas, je fus tenté de forcer le pas, de Détourner simplement ma tête souveraine pour ne rien en savoir, mais non, je m’arrêtai sous l’arbre chétif dont le feuillage dégoulinant de pluie me mouillait le cou, et je ne puis plus douter.

4 novembre 2015

�28