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••• n°152 janvier 2012 leNSEIGNANT 15 DOSSIER C’est à partir de cette question fondamentale que des internautes ont interpellé notre grand témoin Claude Lelièvre. Comment prendre en compte chaque élève, penser la formation des enseignants, organiser une orientation positive, rêver une École du XXI e siècle qui réponde à de nouveaux défis ? Les questions ont été nombreuses et les réponses de Claude Lelièvre précises et exigeantes. QUELLE ÉCOLE POUR LA RÉUSSITE DE CHACUN On pourrait peut-être commencer par la recon- naissance de chacun tel qu’il est et non tel que l’École voudrait qu’il soit ? Ostiane Mathon – PE Claude Lelièvre : Il est impossible d’arriver à une réussite pour tous effective si on ne tient pas compte des différences entre élèves. L’indifférence aux différences a pour effet des différences consi- dérables. Néanmoins, il faut en partir mais ne pas y rester : c’est tout le problème de l’École «d’élever» à un bien commun, de faire que chaque «élève» maîtrise ce bien commun. Cela pose le problème d’un cadre national, adapté de façon locale, donc de toute la dialectique entre des définitions précises de ce que l’on doit attendre de chaque élève à la fin de la scolarité obligatoire, et des synergies différentes entre acteurs éducatifs au niveau local. On doit avoir des compétences différentes pour que la société fonctionne, mais en même temps il faut qu’il y ait un fond commun, c’est le socle commun de connais- sances et de compétences. Il doit être acquis par tous, pas seulement par les mauvais élèves comme on le croit, par tous ! 1/4

Quelle école pour la réussite de chacun

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DOSSIER C’estàpartirdecettequestion fondamentalequedesinternautes ontinterpellénotregrandtémoin ClaudeLelièvre.Commentprendre encomptechaqueélève,penser laformationdesenseignants, organiseruneorientationpositive,rêver uneÉcoleduXXI e sièclequiréponde àdenouveauxdéfis?Lesquestions ontéténombreusesetlesréponses deClaudeLelièvreprécisesetexigeantes. 1/4 On pourrait peut-être commencerparlarecon- naissancedechacuntel qu’ilestetnontelquel’École voudraitqu’ilsoit?

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n°152 • janvier 2012 • l’eNSEIGNANT 15

DOSS

IERC’est à partir de cette question

fondamentale que des internautesont interpellé notre grand témoin

Claude Lelièvre. Comment prendreen compte chaque élève, penser

la formation des enseignants,organiser une orientation positive, rêver

une École du XXIe siècle qui répondeà de nouveaux défis ? Les questionsont été nombreuses et les réponses

de Claude Lelièvre précises et exigeantes.

QUELLEÉCOLE

POUR LARÉUSSITEDECHACUN

On pourrait peut-êtrecommencer par la recon-naissance de chacun tel

qu’il est et non tel que l’Écolevoudrait qu’il soit ?

OstianeMathon–PE

Claude Lelièvre : Il est impossibled’arriver à une réussite pour touseffective si onne tientpas comptedes différences entre élèves.L’indifférence aux différences apour effet des différences consi-dérables. Néanmoins, il faut enpartir mais ne pas y rester : c’esttout le problème de l’École«d’élever» à un bien commun, defaire que chaque «élève»maîtrisece bien commun.Celapose leproblèmed’uncadrenational, adapté de façon locale,doncde toute la dialectique entredes définitions précises de cequel’ondoit attendrede chaqueélèveà la fin de la scolarité obligatoire,et des synergies différentes entreacteurs éducatifs au niveau local.On doit avoir des compétencesdifférentes pour que la sociétéfonctionne,mais enmême tempsil faut qu’il y ait un fond commun,c’est le socle commundeconnais-sances et de compétences. Il doitêtre acquis par tous, passeulement par lesmauvais élèvescomme on le croit, par tous !

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Leblocagede l’évolutionde la formepédagogiquene repose-t-elle pas surnotre conception de l’orientation

scolaire (notation, compétition, individua-lisme,paradoxede faire réussir tout lemondeet de sélectionner) ?

BernardDesclaux – directeur de CIO

C. L. : Le collèged’enseignement secondairede 1963 avait pour fonction principale derepérer tous les bons élèves et de lesmettredans la voie lameilleure pour accéder à uneélite élargie. On comprend que la notation«classante» de type zéro à vingt règne alorssans partage : le problèmen’est pas d’abordde savoir où les élèves en sont dans leursprogressions respectives,mais de les évaluerles uns par rapport aux autres. En 1975, il y aeu la tentative demettre en place un collègeunique et nous y sommes toujours !Notre collège est encore dominé par l’idée

qu’il est une gare de triage. Il ya une contradiction entre laformeducollège initialequi estde sélectionner les meilleurspour un accès limité au lycéegénéral -c’est ce qu’on

••• appelle l’orientation- à laquelle participentactivement les enseignants ; et un autre rôlequi est de faire réussir tous les élèves.Pour moi, la question de l’orientation nedevrait pas être dans les mains des ensei-gnants de la scolarité obligatoire, mais sesituer après. C’est difficile parce qu’il fautalors renoncer à la croyance (élitiste) trèsrépandueque l’onpeut compter enquelquesorte sur la «hausseduplafond»pour «éleverle plancher»...

N’est-il pas urgent de repenser lesarticulations du système scolaireautour de deux grandes périodes :

l’éducation fondamentale commune à tousavec l’obligationde résultats sur les élémentsque tous doivent acquérir ; et une périodede formation différenciée avec une articu-lationmieux pensée du lycée à l’université ?

Luc Bentz - PEC. L. : Si l’on veut refonder une grande Écolerépublicaine, je crois aussi qu’il faut vraimentdistinguer deux grandes périodes.Une première période, le primaire et lecollège, pour traiter le fond communqui doit

Claude Lelièvreest chercheuret historiende l’Éducation,sa réflexion s’appuie à la foissur les aspects historiquesde notre profession et surune vision résolumentmoderne des défis que notreÉcole doit relever pour formerles citoyens du XXIe siècle.Vous retrouverez

la vidéo intégralede cette interview sur

notre blog ainsi que toutesles contributions des inter-nautes pour sa préparation :http://ecolededemain.wordpress.com/N’hésitez pas à venircommenter et débattre...

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être acquis et maîtrisé par tous et où il n’y apas de spécialisation. Et une deuxièmepériode, celle du lycée et des trois premièresannées du Supérieur, où l’on doit être dansune logique de spécialisation progressive.L’orientation se faisant à partir d’une secondepour l’essentiel indifférenciée, avec ensuiteun processus de différenciation, y comprispour la filière S qui doit avoir sa spécificité etne plus être un super bac !

Si vous deveniez ministre del’Éducation nationale, quel seraitvotre premier chantier ?

Stéphanie de Vanssay - PEC. L. : Si je devenais ministre de l’Éducationnationale, je commencerais sans hésiter parun dossier particulièrement difficile : laquestionde la formationprofessionnelle desenseignants ; pédagogique, didactique,pratique. C’est pourmoi essentiel parce quesi on veut faire réussir tous les élèves, il fauttenir comptede leurs différences, de cequ’ilssont et savoir comment les aborder de façonsdifférentes selon leurs spécificités.C’est une question très difficile à résoudre,qui demande une forte formation profes-sionnelle. Si on est dans une perspective, et

je pense qu’on peut l’être, de refondationd’une École d’avenir républicaine, ça veutdire qu’il faut faire aussi non seulement uneformation initiale qui «donne le La» sur ceque l’on pense du rôle de l’enseignant,maisaussi une formation continue pourl’ensemble des enseignants déjà en poste.C’est inouï que ce soit au sein du ministèrede l’Éducation nationale, qu’il y ait le moinsde formation continue.Il faut que ça change !

L’École dont je rêve est avant tout unlieu de vie d’échanges, de partage,au cœur de la Cité, qui lui soit

ouverte. Une École qui soit un projet archi-tectural, pédagogique et citoyen.

Mila Saint Anne –prof en collège

C. L. : Il faut rêver à un dépassement del’Écoledite sanctuaire, qui n’a d’ailleurs jamaisvraiment existé, on devrait aller vers uneÉcole beaucoup plus ouverte dans sesfonctions, dans ses liens avec l’environ-nement local ; rêver àune synergiebeaucoupplus grande entre parents et enseignants,et de façon plus générale entre enseignantset autres acteurs éducatifs.L’École devrait être au cœur de la cité, ellen’est pas à protéger de toute influence.Certains s’imaginent que c’est un endroitextrêmement spécial qui n’est pas pour eux,en particulier un certain nombre d’enfantsou de jeunes. Il faudrait arriver à ce que cesoit un lieu pour tous.

Propos recueillis par Anthony Lozac’het Stéphanie de Vanssay

Questions préalablesà l’interview :

EstellePour la formationonpourrait

envisageruncompa-gnonnage :unenseignant confirmédéchargédeclassedanschaquecirconscriptionpouraccompagner4nouveauxenseignants.Cespostesvaloriseraientles enseignants confirmésendeuxièmemoitiédecarrière.

Olivier Quinetprof en collègeIl faut supprimer

lamoyenne,onneparlequed’ellemais jamaisvraimentdeceque saitfaire l’élève.

Prosopee – proffrançais en LPLapédagogie

dedemain reposera-t-elle surunevéritabledémarchepsychologiqueet surdes fondementsthéoriques solidesautresqueceuxduconstructi-visme?

AlphonseBrunstein–profdemathencollège

Commentpeut-onréellement jugerdel’adéquationentrel’orientationet lesaptitudes (etnonseulement les résultatsnotés) de l’élève ?

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Les Francas sont à la foisunmouvement d’éducationet une fédération de centresde loisirs éducatifs quiimpliquent près de 50 000bénévoles et concernentprès de 1 200 000 enfantset adolescents, en France,en Europe et à l’international.Nous avons posé troisquestions à Didier Jacquemain,délégué général adjointde la Fédération nationaledes Francas.

trente ans. Puisqu’il est acquis aujourd’hui qu’il faut prendreen compte la globalité de l’Éducation, il faut le faireégalement sur tous les temps éducatifs.Qui a conscience qu’un enfant et un adolescent, dès qu’ilsvontêtre scolarisés, vontpasserentre40het 50hpar semainedans diverses institutions éducatives ? Se préoccuper deseulement réorganiser le temps scolaire ne suffit pas !

3En quoi les projets éducatifs locaux sont-ils un outilpertinent pour l’Éducation ?Il convient demain de construire une mobilisation la

plus large possible pour réfléchir en cohérence et encomplémentarité les diverses interventions de ces tempséducatifs.Le Projet local d’éducation est dans cette perspective, unepolitique, une démarche, unoutil pour construire, au planlocal, le Service public d’éducation dont les enfants et lesadolescents de notre pays ont besoin.L’expérience des dix dernières années, acquise par lesassociations éducatives complémentairesde l’enseignementpublic, et notamment par les Francas, est une ressourcecertaine pour relever ce défi.

1Quelest lesensdel’actiondesFrancas?Notre conceptionde l’Éducation, bien illustréepar leproverbeWolof «Il faut tout un village pour élever

un enfant», inscrit la nécessité d’une largemobilisationdes acteurs éducatifs. C’est dans ce sens que nousagissons dans l’action éducative locale.

2Est-il nécessaire de repenser les rythmesscolaires ? Sous quelle forme ?Nous travaillons depuis de nombreuses années

sur la problématique des temps de vie des enfants, desadolescents et de leur famille. Restreindre aujourd’huila problématique des temps à la seule approche desrythmes scolaires serait une erreur qui nous entraîneraitdans les mêmes impasses que celles connues depuis

Ils se bougent pour 2012...

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NOS12 LEVIERS POUR2012

L’ÉDUCATION NATIONALE N’EST PAS ORGANISÉE pourassurer la réussite du plus grand nombred’élèvesmais pour sélectionnerlesmeilleurs et renforcer leur excellence.Le SE-Unsa propose 4 leviers pourque ça bouge enfin :

11 assurer la continuité éducative entre les différents niveaux ; 22 construire réellement un socle pour des acquis communs ; 33 se donner les moyens d’une école inclusive ;44 bâtir des parcours de réussite du lycée au Supérieur.

C’est ce que défend Claude Lelièvre. Tenircompte des différences entre élèves pour les conduire vers des acquis communs, c’est construire, au delà de la question duhandicap, l’École inclusive que nous appelons de nos voeux. Le socle commun est au coeur de la refondation de l’École républicaine. Sa mise en œuvre passe par une transformationdes représentations et des pratiques pédagogiques. La formation initiale et continue des enseignants devra être l’outil majeur de cette transformation.

Claire Krepper, secrétaire nationale du SE-Unsa

RÉACTIONS À LA VIDÉO

La classe doit exploser (compétencesmulti-âges), la formation continue desenseignants est stratégique, l’École doits’ouvrir.

François Meroth - parent

Ne pas ranger les enfants dans des boîtes, «comme si le plus importantétait leur date de fabrication» est une évidence ! À appliquer d’urgence !

Mila Saint Anne - prof en collège

Oui, il appartient au système d’offrir un cadre propice pour que chacun s’y retrouve et se sente appartenir aucollectif car l’École, doit «faire société».

Stéphanie Valmaggia

La refondation de l’École, je rêveraisque ce soit évident pour tout le monde !C’est long, de faire comprendre que l’avenir n’est pas dans le repli et le conservatisme...

Karine Esperanto

Rappel historique salutaire sur la création du collège en 1963 par «Mon Général» comme machine à trierles «bons» élèves. Dommage qu’on en soit encore là 48 ans après...

Thierry Patinaux

LE MOIS PROCHAIN«Des moyens oui ! Mais pour quoi faire ?»avec François Dubet

Pour participer�Notre blog : http://ecolededemain.com�Twitter : @ecolededemain #bouge2012� Facebook : École de demain

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