111
Quelle posture professionnelle pour l’enseignant d’Éthique et culture religieuse? Mémoire Marjorie Paradis Maîtrise en didactique Maître ès arts (M.A.) Québec, Canada © Marjorie Paradis, 2014

Quelle posture professionnelle pour l'enseignant d'Éthique et … · 2018-04-21 · iii RÉSUMÉ L’enseignant d’Éthique et culture religieuse, depuis la mise en place du programme

  • Upload
    others

  • View
    3

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Quelle posture professionnelle pour l'enseignant d'Éthique et … · 2018-04-21 · iii RÉSUMÉ L’enseignant d’Éthique et culture religieuse, depuis la mise en place du programme

Quelle posture professionnelle pour l’enseignant

d’Éthique et culture religieuse?

Mémoire

Marjorie Paradis

Maîtrise en didactique

Maître ès arts (M.A.)

Québec, Canada

© Marjorie Paradis, 2014

Page 2: Quelle posture professionnelle pour l'enseignant d'Éthique et … · 2018-04-21 · iii RÉSUMÉ L’enseignant d’Éthique et culture religieuse, depuis la mise en place du programme
Page 3: Quelle posture professionnelle pour l'enseignant d'Éthique et … · 2018-04-21 · iii RÉSUMÉ L’enseignant d’Éthique et culture religieuse, depuis la mise en place du programme

iii

RÉSUMÉ

L’enseignant d’Éthique et culture religieuse, depuis la mise en place du programme

en 2008 dans les écoles du Québec, est appelé à relever d’importants défis inhérents à son

rôle professionnel. Si un devoir de neutralité lui incombe officiellement, la posture lui

permettant d’aborder les questions relatives à la différence culturelle n’est pourtant pas

clairement définie.

C’est à la lumière d’orientations ministérielle telles que les finalités du programme

d’ÉCR et via la définition de concepts clés comme la laïcité, le relativisme et

l’universalisme que l’auteure s’emploie à préciser la posture de l’enseignant d’ÉCR. Cette

dernière propose, au terme de sa démarche, la conception de « neutralité mesurée » qui,

basée sur des considérations pratiques, vise à soutenir les enseignants dans leur pratique.

Cette perspective, s’arrimant aux visées de l’État québécois, se place en amont d’une

gestion pluraliste de la diversité et de la mise en application des valeurs communes.

Page 4: Quelle posture professionnelle pour l'enseignant d'Éthique et … · 2018-04-21 · iii RÉSUMÉ L’enseignant d’Éthique et culture religieuse, depuis la mise en place du programme
Page 5: Quelle posture professionnelle pour l'enseignant d'Éthique et … · 2018-04-21 · iii RÉSUMÉ L’enseignant d’Éthique et culture religieuse, depuis la mise en place du programme

v

TABLE DES MATIÈRES

Résumé ................................................................................................................................. iii

Table des matières ................................................................................................................ v

Introduction ........................................................................................................................... 1

1. Indications ministérielles et précisions théoriques ..................................................... 9

1.1 Le programme d’ÉCR : complice d’une laïcité proprement québécoise ............................ 9

A. La laïcité : de concept générique à enjeu identitaire ........................................................... 9

B. Éthique et culture religieuse : la genèse théorique d’un programme ................................ 13

C. Les visées du programme .................................................................................................. 18

1.2 La différence ..................................................................................................................... 20

A. « Quelle » différence? ....................................................................................................... 20

B. La résonnance de la différence selon les milieux .............................................................. 25

C. La conception de l’Autre ................................................................................................... 27

1.3 Le rôle professionnel de l’enseignant................................................................................ 33

A. La dimension culturelle du programme d’ÉCR ................................................................ 35

B. Le dialogue comme vecteur de vivre-ensemble ................................................................ 39

C. Le devoir de neutralité : un silence obligé? ....................................................................... 41

1.4 Les fondements théoriques antinomiques de finalités complémentaires .......................... 45

A. La reconnaissance de l’autre : un relativisme déguisé? .................................................... 48

B. L’essence universaliste de la poursuite du bien commun ................................................. 55

2. L’édification d’une posture séante à l’enseignement de la différence dans le cadre

du cours d’ÉCR ................................................................................................................... 61

2.1 L’élaboration d’un socle de valeurs partagées .................................................................. 62

A. Comment choisir? ............................................................................................................. 64

B. La citoyenneté comme assise normative ........................................................................... 66

2.2 La réflexivité ..................................................................................................................... 69

A. La raison critique .............................................................................................................. 71

B. L’authenticité .................................................................................................................... 72

C. Le défi de l’école ............................................................................................................... 73

2.3 Les finalités du programme d’ÉCR ................................................................................... 74

A. Le pluralisme : société et éducation .................................................................................. 76

Page 6: Quelle posture professionnelle pour l'enseignant d'Éthique et … · 2018-04-21 · iii RÉSUMÉ L’enseignant d’Éthique et culture religieuse, depuis la mise en place du programme

vi

B. L’éducation civique ........................................................................................................... 77

2.4 La laïcité ............................................................................................................................ 80

A. Une laïcité d’intelligence ................................................................................................... 81

B. La charge de l’école au regard d’une laïcité pluraliste ...................................................... 81

2.5 Une neutralité mesurée ...................................................................................................... 82

A. L’État n’est pas neutre ....................................................................................................... 83

B. « S’abstenir n’est pas guérir » ........................................................................................... 85

C. « On est tous quelque part » .............................................................................................. 86

CONCLUSION ................................................................................................................... 89

RÉFÉRENCES ................................................................................................................... 95

ANNEXE ........................................................................................................................... 101

Page 7: Quelle posture professionnelle pour l'enseignant d'Éthique et … · 2018-04-21 · iii RÉSUMÉ L’enseignant d’Éthique et culture religieuse, depuis la mise en place du programme

1

INTRODUCTION

« Agir en tant que professionnelle ou professionnel héritier, critique et interprète

d'objets de savoirs ou de culture dans l'exercice de ses fonctions »1. Ainsi peut-on lire la

première des douze compétences professionnelles que doit développer un enseignant au fil

de sa carrière. Notons d’abord que le premier des qualificatifs, « héritier », concerne

l’héritage relatif à la culture et aux objets de savoir que possède un enseignant et qui

constituent les fondements de son identité. L’enseignant devient donc courroie de

transmission de cet héritage qui marque par ailleurs inévitablement l’exercice de ses

fonctions. Dans un deuxième temps, le libellé de cette compétence professionnelle indique

qu’un enseignant doit développer un sens critique et être en mesure d’en faire un certain

usage dans l’exercice de sa profession. Notons au passage l’imprécision qui voile le sens de

cette compétence. Finalement, il est dit que l’enseignant doit agir à titre d’interprète de ces

objets de savoir et de culture, c’est-à-dire qu’il lui revient de se les approprier et d’en

dégager le caractère fondamental ainsi que la fonction pédagogique.

Ces trois épithètes – héritier, critique et interprète – se collent naturellement à

l’éducation, bien qu’ils trouvent néanmoins une résonnance singulière dans le contexte du

cours d’Éthique et culture religieuse (ÉCR). Légitimes, certes, ils revêtent toutefois l’aspect

insidieux de ce qui octroie une autonomie appréciable, mais qui en revanche ouvre la porte

à de possibles faux pas. En effet, l’enseignant d’ÉCR a entre les mains un programme qui

propose un ensemble de thématiques prescrites, mais très peu d’indications, cependant, sur

la façon de les aborder. Laissé à lui-même, l’enseignant est ainsi appelé à assumer son

triple rôle d’héritier, de critique et d’interprète sans toutefois savoir exactement ce que les

acteurs satellitaires (parents, ministère, société, direction, etc.) attendent de lui en matière

de savoir et de culture. Cela met la table à un examen critique de la position de l’enseignant

d’ÉCR que nous nous proposons d’enclencher par l’évocation de trois situations

rencontrées dans le cadre secondaire. Plus que de banales anecdotes, elles présentent des

1 Québec, Ministère de l’Éducation. La formation à l’enseignement : les orientations et les compétences

professionnelles, Québec : Gouvernement du Québec, 2001, p. 61

Page 8: Quelle posture professionnelle pour l'enseignant d'Éthique et … · 2018-04-21 · iii RÉSUMÉ L’enseignant d’Éthique et culture religieuse, depuis la mise en place du programme

2

problématiques qui cristallisent certaines des impasses ou imprécisions qui seront mises en

lumière dans les prochaines pages de ce mémoire.

Dans un premier temps, jetons un regard sur ce que nous appellerons les « nouveaux

mouvements religieux » au Québec, qui figurent dans la liste des éléments de contenu

regroupés sous la thématique « Les religions au fil du temps ». Notons d’abord le flou qui

masque cet objet de savoir, notamment parce qu’à titre d’exemple susceptible d’orienter

l’enseignant, on ne peut que lire « l’origine, les caractéristiques, etc. ». Il serait en effet

exagéré de penser que ces indications puissent spécifier en quelque façon que ce soit

l’angle d’approche des nouveaux groupements religieux au Québec.

D’emblée, le choix du terme employé par l’enseignant pour aborder ce phénomène

sera largement révélateur de sa posture, autrement dit de sa propre perspective. Ainsi, de

l’emploi du mot « secte » transpire une connotation nettement péjorative, alors que

l’utilisation d’expressions telles que « nouveau mouvement religieux » pourrait, selon

certains, trahir un certain laxisme à l’égard du phénomène. Le contraste que nous désirons

établir en opposant ces deux vocables, davantage qu’un vain caprice lexical, permet de

saisir l’amplitude des potentialités sémantiques. Or, nous désirons démontrer que le simple

choix d’un mot, forcément au détriment d’autres, se veut grandement tributaire d’une

posture idéologique préalable de l’enseignant et est porteur d’un univers symbolique

parfois puissant. Plus encore, un champ lexical est un outil dans la transmission d’un

message et s’avère parfois lourd d’intentions. À ce sujet, en outre, le programme

d’enseignement pourvoit peu de détails concernant l’objectif pédagogique relatif aux

nouveaux groupements religieux au Québec, ce qui octroie une liberté quasi totale à

l’enseignant, d’une part abandonné à lui-même et qui devient garant, d’autre part, de

l’accomplissement de ses propres intentions.

Plus précisément, il a été su qu’un enseignant dépeignait le phénomène des

nouveaux groupements religieux comme n’étant rien de plus qu’un fait social et que, tout à

la fois, son collègue s’accordait la liberté d’aborder le même phénomène sous l’angle des

dangers qui lui sont inhérents. Une posture vaut-elle mieux que l’autre? Est-il acceptable

Page 9: Quelle posture professionnelle pour l'enseignant d'Éthique et … · 2018-04-21 · iii RÉSUMÉ L’enseignant d’Éthique et culture religieuse, depuis la mise en place du programme

3

qu’un même élément de contenu soit porteur de messages et d’intentions aussi éloignés?

Que souhaite l’État à ce propos? Nous sommes à tout le moins d’avis que cette dichotomie

dans les positionnements symboliques des enseignants est nuisible à l’apprentissage des

élèves, au bien-être professionnel des enseignants et à la santé du cours d’ÉCR lui-même.

Certes, le choix du ton et d’un corpus de termes est à notre sens une préoccupation

justifiée et fondamentale en enseignement. Or, lorsqu’une situation d’intimidation, voire de

violence, prend racine dans l’incompréhension et la fermeture d’esprit des élèves, élaborer

une réflexion à l’égard du cours d’ÉCR dépasse la légitimité : l’exercice devient pressant.

En effet, il est du devoir de l’institution scolaire de tout mettre en œuvre afin d’enrayer le

phénomène d’intimidation au sein des écoles, dont les médias font d’ailleurs abondamment

état, et le cours d’ÉCR est susceptible de pallier les formes d’incompréhension et de

jugement qui prennent corps chez les jeunes.

Un nouvel élève – musulman – est accueilli dans une école, précédé par les

stéréotypes et commentaires désobligeants à son égard. Il encaisse les « coups » verbaux

tous plus tonitruants les uns que les autres, bien que loin d’être originaux : « maudit

terroriste », « […] il va nous tuer! », « […] on sait bien, toi dans ton pays! ». Plus encore, il

subit l’affirmation convaincue des autres élèves du lien évident entre sa religion et sa

violence intrinsèque. L’autocontrôle dont fait preuve l’élève durant la première partie de la

journée a néanmoins ses limites : la bagarre éclate en classe à la suite du commentaire qui

était « de trop ». Provocation, d’abord, réactions verbales, puis éruption des coups… Les

coups retentissants et gorgés de haine de celui qui en a assez de l’incompréhension des

autres. En même temps, les coups tout aussi violents du deuxième élève qui se défend avec

hardiesse en se félicitant de sa courageuse affirmation identitaire. Il va de soi que la

violence, quelle qu’en soit la cause, ne connaît aucune justification possible, même pas

celle de la victime d’intimidation qui ressent le besoin de réagir. Or, l’intimidation verbale

née de l’incompréhension de l’Autre, de l’étranger démonisé, apparait clairement comme la

cause de cet évènement regrettable et ayant malheureusement résonnance dans plus d’un

milieu. Cristallisant les préjugés et les craintes des élèves, la situation évoquée apparaît plus

grave encore aux vues de la fermeture subséquente de ces derniers à toute justification ou

Page 10: Quelle posture professionnelle pour l'enseignant d'Éthique et … · 2018-04-21 · iii RÉSUMÉ L’enseignant d’Éthique et culture religieuse, depuis la mise en place du programme

4

explication qui aurait éventuellement permis d’abattre certains stéréotypes. Un évènement

comme celui-ci réaffirme, d’une part, la nécessité de proposer aux élèves du secondaire un

cours à propos du phénomène religieux et de la diversité culturelle. D’autre part, en

revanche, une telle situation pose un problème notoire, celui des difficultés inexorablement

engendrées par l’enseignement de la différence religieuse sur fond préalable – quoique pas

forcément généralisé – d’incompréhension.

Une situation vécue était rapportée pendant un atelier portant sur le dialogue dans le

cadre des Journées provinciales de formation continue en 2012. Il y était question du

discrédit jeté par un enseignant pendant un cours d’ÉCR sur l’animateur d’une émission à

l’horaire d’une radio dite « poubelle ». L’objectif : identifier des entraves au dialogue. Le

moyen utilisé : écouter en classe les propos de l’animateur et en faire l’analyse de façon à

en faire ressortir les procédés qui gênent le dialogue (l’appel au préjugé, la caricature, la

généralisation abusive, etc.). De cette façon, l’exercice a permis de présenter le discours de

l’animateur et les procédés réflexifs qui le sous-tendaient comme un contre-exemple dans la

pratique du dialogue puisque de nombreuses entraves y ont effectivement été décelées. À la

suite de cet exercice réalisé sur les heures de cours, un élève a même ultérieurement appelé

l’animateur pour critiquer, en onde, les lacunes intellectuelles identifiées en classe. Cet

affront, s’il est nécessaire de le préciser, n’a pas manqué de mettre le feu aux poudres de

l’animosité déjà existante de l’animateur envers le cours d’ÉCR. Somme toute, le moyen

utilisé par l’enseignant était-il fondé? Était-il acceptable qu’il personnalise ainsi un élément

de contenu, ou outrepassait-il son rôle? Par ailleurs, s’il sait qu’une opinion est infondée ou

proprement haineuse, l’enseignant est-il toujours tenu à l’impartialité?

Objectifs de recherche

Réclamant d’être abordées non pas simplement en tant qu’anecdotes, ces mises en

situation se veulent à la fois points de départ et vecteurs de légitimation de la réflexion qui

sera approfondie dans le cadre de ce mémoire. En effet, celles-ci donnent relief aux trois

compétences que doit développer l'enseignant et que nous avons évoquées d’entrée de jeu.

Premièrement, le bagage – l’héritage – socioculturel de l’enseignant et de ses élèves est au

centre des questionnements soulevés puisque le positionnement du maître à l’égard de

Page 11: Quelle posture professionnelle pour l'enseignant d'Éthique et … · 2018-04-21 · iii RÉSUMÉ L’enseignant d’Éthique et culture religieuse, depuis la mise en place du programme

5

sujets tels que les nouveaux groupements religieux ou les religions méconnues sera

largement tributaire du milieu duquel il est issu. Dans un second ordre d’idée, ces mises en

situation soulèvent la question de l’esprit critique qui pose celle selon nous plus compliquée

de la mesure dans laquelle l’enseignant est appelé à l’appliquer. Finalement, elles font

appel à la démarche interprétative dans laquelle doit s’engager l’enseignant à propos des

divers faits sociaux et religieux de façon à demeurer à la fois conforme aux orientations

ministérielles et attentes extérieures, puis autonome dans l’application de son jugement

professionnel.

Au demeurant, les attentes à l’égard de l’enseignant d’ÉCR (les compétences qu’il

doit développer) et la réalité de la classe prompte à générer des situations comme celles qui

ont été dépeintes, se recoupent dans la question de la posture professionnelle. Les cas

mentionnés permettent en effet d’entrevoir l’embarras d’un enseignant d’ÉCR face à

certaines questions potentiellement inconfortables ou susceptibles de générer des

incongruités dans la pratique enseignante. Puisque l’enseignant doit d’emblée incarner les

modèles d’héritier, de critique et d’interprète, il devient tout à fait possible, voire inévitable,

que ce dernier se sente démuni quant à la posture – la « bonne » posture, s’il en est une – à

adopter devant différents objets de savoir. Loin de nous, toutefois, l’ambition de poursuivre

des fins de dénonciation, ou encore de revendications. En effet, la présente réflexion n’est

nullement une tentative de rallier quiconque à la cause enseignante, de dépeindre de

manière alarmante l’état de la profession ni de dénoncer des pratiques pédagogiques qui

rencontreraient plus ou moins maladroitement les exigences du programme d’ÉCR. Le réel

dessein de l’exercice réflexif qui s’élaborera au cours des pages à venir s’inscrit davantage

dans une approche déontologique et philosophique de l’éducation et relève principalement

de la volonté de conforter les enseignants d’ÉCR dans leur quête de sens professionnelle.

Cette préoccupation s’ouvre au demeurant sur la problématique suivante : quelle

posture professionnelle préconiser pour l’enseignement de la différence dans le cadre du

cours d’ÉCR? De fait, cette question constituera l’épicentre de nos recherches et le présent

mémoire vise à élaborer à son égard une réponse constructive et originale. Nous souhaitons

qu’en réponse à cette problématique soient présentées, dans une ultime mesure, des pistes

Page 12: Quelle posture professionnelle pour l'enseignant d'Éthique et … · 2018-04-21 · iii RÉSUMÉ L’enseignant d’Éthique et culture religieuse, depuis la mise en place du programme

6

de solutions qui pourront, nous le souhaitons ardemment, enrichir la démarche

professionnelle des enseignants d’ÉCR et ainsi faciliter l’enseignement des faits religieux et

éthiques dans ce qu’il possède de complexe et de singulièrement fécond tout à la fois.

Méthodologie employée

Ainsi proposons-nous de circonscrire une posture favorable à l’enseignement de la

différence sous forme de clés d’action. Pour atteindre cet objectif, les moyens utilisés

seront de quatre ordres. Il nous faudra réaliser une étude du contexte social et identitaire

québécois via le thème de la laïcité, préciser le concept de différence, rendre compte des

orientations ministérielles qui prétendent déjà baliser la posture professionnelle de

l’enseignant d’ÉCR, puis circonscrire les cadres théoriques susceptibles d’être éclairants

pour la mise en œuvre d’une pédagogie en accord avec les exigences du programme.

Dans un premier temps, il nous incombe donc d’aborder le processus d’implantation

du programme d’ÉCR en décrivant le contexte plus large qui l’a vu naître. Le thème de la

laïcité apparaît à ce titre central puisqu’il est un vecteur identitaire fort et qu’il établit les

bases symboliques et normatives du choix québécois vis-à-vis la diversité. L’activation du

concept de laïcité au Québec sera donc abordée en tant que terrain d’implantation du

programme dont le mécanisme sera expliqué et mis en relation causale avec le phénomène

de sécularisation du Québec. Nous nous emploierons ensuite à définir la différence en tant

que concept-clé sur lequel nous entendons principalement baser notre effort d’analyse. Pour

ce faire, il conviendra de préciser l’acception du concept qui sied à nos objectifs de

recherche, représenter son activation selon les milieux sociaux, mesurer l’apport de la

conception de l’Autre à sa compréhension, puis jauger la pertinence de la tolérance comme

schème d’administration de la différence. Dans un troisième ordre d’idées, un exercice de

synthèse des orientations ministérielles à propos de la posture professionnelle de

l’enseignant d’ÉCR sera nécessaire puisqu’il permettra d’identifier un ensemble de données

déjà connues. En effet, il aurait été présomptueux de parler d’un flou déontologique sans

avoir au préalable rendu compte des paramètres déjà établis par les penseurs du

programme. Une analyse exhaustive des indications contenues dans les documents

ministériels sera réalisée à cet effet. Finalement, reconnaître l’existence de différents cadres

Page 13: Quelle posture professionnelle pour l'enseignant d'Éthique et … · 2018-04-21 · iii RÉSUMÉ L’enseignant d’Éthique et culture religieuse, depuis la mise en place du programme

7

théoriques ouvrira la voie à une meilleure compréhension des assises conceptuelles et des

objectifs du programme. Ainsi dresserons-nous les contours des approches universaliste et

relativiste afin de rendre compte des dispositions philosophiques à partir desquelles il est

possible d’accueillir une variété de valeurs, de pratiques et de croyances. Cet exercice basé

sur la compréhension des prémisses qui activent ces approches permettra par ailleurs

d’identifier les potentiels pièges philosophiques qui leur sont inhérents. Cet effort de

définition deviendra à cet effet inévitable afin de rendre compte des perspectives

envisageables pour l’enseignement de la différence, aussi tenterons-nous dans un souci de

concision de les raccorder à la pratique enseignante et d’établir entre eux des liens

dynamiques et significatifs.

Essentiellement, nous nous proposons donc de réaliser une exhaustive et sélective

recension d’écrits à partir des champs de la philosophie, de l’histoire socioreligieuse du

Québec, de l’éducation, de la sociologie, de l’éthique professionnelle et des sciences des

religions. Cet exercice permettra entre autres de mettre en lumière l’abondance de la

littérature qui converge vers le programme d’ÉCR (en effet, bilans du cours, indications sur

sa mise en place, examens de ses fondements et essais pédagogiques foisonnent). La

principale difficulté inhérente à cette profusion est celle de la cohérence du discours : il sera

en effet capital de garder le cap sur les objectifs de recherche émis et de faire un usage

efficace des informations recueillies de façon à alimenter de manière constructive l’aspect

particulier de la posture enseignante en ce qui a trait à l’ÉCR. De fait, un triple effort de

concision, de cohérence et de clairvoyance devra conduire la composition de ce répertoire

littéraire afin que celle-ci tende vers l’élaboration de clés d’action efficientes.

Notons par ailleurs que cet exercice de confrontation conceptuelle ne se veut pas

spécialement une critique du programme d’ÉCR, mais plutôt une tentative de débroussailler

des zones sensibles du rôle de l’enseignant. Nous souhaitons plus précisément que les

résultats de nos recherches permettent d’ériger des balises à son éthique professionnelle.

Nonobstant la teneur théorique de nos considérations inévitablement générée par la nature

littéraire d’une méthodologie propre à la recension d’écrits, nous poursuivrons donc

globalement un objectif de concrétisation, en ce sens que nous verrons à ancrer solidement

Page 14: Quelle posture professionnelle pour l'enseignant d'Éthique et … · 2018-04-21 · iii RÉSUMÉ L’enseignant d’Éthique et culture religieuse, depuis la mise en place du programme

8

le fruit de nos recherches dans la réalité pratique de l’enseignement. C’est donc avec en tête

une idée claire de la différence, à la lumière des orientations ministérielles concernant la

posture professionnelle et dans le confort procuré par l’édification d’un cadre conceptuel

convenant à l’enseignement de la différence que nous serons à même, finalement,

d’élaborer des clés d’action qui, nous l’espérons, contribueront à clarifier le rôle de

l’enseignant d’ÉCR.

Il convient en définitive de noter que l’enseignant sera au cœur de nos

préoccupations bien que l’apprentissage des élèves et l’atteinte de l’objectif du vivre-

ensemble souhaité par le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport (MELS) seront,

dans une ultime mesure, forcément abordés. Il demeure toutefois que globalement, c’est la

posture éthique de l’enseignant qui constituera l’épicentre de nos efforts réflexifs afin

qu’une réponse éclairante soit apportée à la problématique de départ.

Page 15: Quelle posture professionnelle pour l'enseignant d'Éthique et … · 2018-04-21 · iii RÉSUMÉ L’enseignant d’Éthique et culture religieuse, depuis la mise en place du programme

9

1. INDICATIONS MINISTÉRIELLES ET PRÉCISIONS

THÉORIQUES

1.1 LE PROGRAMME D’ÉCR : COMPLICE D’UNE LAÏCITÉ

PROPREMENT QUÉBÉCOISE

Il convient à cette étape de jeter un regard sur le programme en lui-même ainsi que

sur le contexte qui l’a vu naître. Il sera de cette façon plus aisé d’en comprendre les raisons

d’être et les finalités, puis d’entrevoir les enjeux qui lui sont rattachés au vu des résultats

engendrés depuis son implantation en 2008. D’entrée de jeu, nous aborderons la question

de la laïcité pour ensuite expliquer les migrations idéologique et identitaire qui ont mené à

la création d’un programme portant sur l’éthique et l’aspect culturel du fait religieux, tout

en établissant au passage les principaux jalons de la progression du Québec à travers sa

quête éducative.

A. La laïcité : de concept générique à enjeu identitaire

Employons-nous donc dans un premier temps à dresser les contours d’un concept-

clé à la mode, certes, puis parfois même galvaudé au gré d’usages multiples utilitaires et

systématiques : la laïcité. Positive, ouverte, fermée ou restrictive sont autant de qualificatifs

qui contribuent à l’étayer, à la complexifier ou à la préciser. Pourtant, selon Solange

Lefebvre, « […] le besoin même de l’usage d’un qualificatif cherchant à positiver le

concept révèle sa nature problématique2 ». Or, cet enchevêtrement d’acceptions extensibles

de la laïcité n’est pas sans définir également les tâtonnements des Québécois dans leur

propre appropriation du concept. Ainsi le Québec se retrouve-t-il avec, dans les mains, un

mot sacoche qui laisse un arrière-goût, si l’emploi de l’expression nous est accordé, de

« patate chaude ».

2 Lefebvre dans Mireille Estivalèzes et Solange Lefebvre (dir.). Le programme d’éthique et culture

religieuse : de l’exigeante conciliation entre le soi, l’autre et le nous, Québec : Presses de l’Université Laval,

2012, p. 91

Page 16: Quelle posture professionnelle pour l'enseignant d'Éthique et … · 2018-04-21 · iii RÉSUMÉ L’enseignant d’Éthique et culture religieuse, depuis la mise en place du programme

10

Au Québec, en effet, un processus de métamorphose institutionnelle s’accomplit en

synchronisme avec une réflexion de fond portant sur le modèle à adopter pour

l’aménagement, à l’échelle sociale, d’un espace commun qui permettrait l’émergence d’une

culture publique se nourrissant d’un corpus de valeurs partagées3. Le modèle qui s’impose

au vu de cet idéal est la laïcité, prometteuse sur les plans social et identitaire et

représentative des mutations paradigmatiques éducatives en cours. D’une perspective

éthique, la laïcité peut être entendue au sens d’une « position universelle qui enchâsse la

reconnaissance et la cohabitation des différences4 ». Elle signifie également que les

pouvoirs religieux et politique ne sont pas liés dans un rapport d’influence. En

conséquence, l’État ne pourrait ni prescrire une religion, ni appliquer des principes au nom

d’une religion, ni tenir une position antireligieuse.

Il convient de préciser que les paramètres du cadre normatif octroyé par la laïcité

devant déterminer son degré de rigidité sont autant de variables qui établissent une

multiplicité de façons de s’approprier le concept. Comme l’indique Denis Jeffrey à ce sujet,

la laïcité est une réalité plurielle, « à l’image des modernités5 ». Il n’est donc pas suffisant,

pour une société, de s’affirmer laïque, encore faut-il qu’elle détermine le mode

d’application de ce concept polysémique. La laïcité peut en effet être entendue au sens strict

ou de façon plus permissive, selon ce que l’on entend par la prémisse de séparation entre

l’État et la religion. L’acception stricte du concept signifie globalement que la religion doit

être totalement évacuée de toutes les sphères de l’État, relayant du coup la religion à la

sphère privée exclusivement. C’est ce dont parle ironiquement Lefebvre en parlant d’une

« solution magique » qui repose sur un « refoulement du religieux dans les marges de la vie

privée6 » qui a pour résultante une atténuation superficielle des effets néfastes de la

religion. L’acception permissive de la laïcité élimine pour sa part la primauté d’une religion

sur les autres et est empreinte de neutralité et d’ouverture, ce qui déploie un espace croyant

« ouvert » exempt de jugement. Le concept d’égalité, intrinsèque à la laïcité, est entendu

3 Estivalèzes dans Mireille Estivalèzes et Solange Lefebvre (dir.). Le programme d’éthique et culture

religieuse : de l’exigeante conciliation entre le soi, l’autre et le nous, Québec : Presses de l’Université Laval,

2012, p. 1 4 Jeffrey dans Robert Mager (dir.). Religion et modernité au Québec. Québec : Presses de l’université Laval,

p. 254 à 262 5 Ibid.

6 Lefebvre dans Mireille Estivalèzes et Solange Lefebvre (dir.), op. cit., p. 89

Page 17: Quelle posture professionnelle pour l'enseignant d'Éthique et … · 2018-04-21 · iii RÉSUMÉ L’enseignant d’Éthique et culture religieuse, depuis la mise en place du programme

11

différemment selon les deux acceptions. En vertu de la première, l’égalité est effective sur

la base de la fermeture à toute forme de démonstration ou de présence religieuse dans

l’espace public. Selon la seconde, l’égalité ouvre un espace à l’affirmation et à la

manifestation des convictions. La compréhension de cette même valeur fondamentale et

fondatrice des sociétés modernes démocratiques peut donc elle-même être décomposable au

point de donner lieu à des applications tout à fait variées.

Le cas québécois est à ce sujet parlant. À l’issue de la Révolution tranquille, la

société avait tacitement fait le choix d’une laïcité permissive prenant acte de la diversité et

laissant place aux manifestations religieuses multiples. Pour Jeffrey, celle-ci se porte à la

« défense du pluralisme religieux dans l’espace public contre la domination de l’une ou

l’autre des confessions religieuses7 ». Elle contraint par conséquent l’État à la neutralité sur

les affaires religieuses. Cette option n’avait toutefois pas été institutionnellement

officialisée, ce qui signifie que la laïcité n’est à ce jour définie dans aucun document d’État,

charte, texte de loi, etc., pas plus évidemment que les conditions de son application. Le

projet qui a d’abord été proposé sous le libellé de « Charte des valeurs québécoises » par le

Parti québécois en septembre 2013 avait précisément pour objectif d’ajouter une dimension

législative à ce principe. Le projet de loi déposé le 7 novembre et ayant pour titre Charte

affirmant les valeurs de laïcité et de neutralité religieuse de l'État ainsi que d'égalité entre

les femmes et les hommes et encadrant les demandes d'accommodements cristallise la

compréhension qu’a le Parti québécois du principe de laïcité. Une définition correspondant

à l’acception stricte du concept, notamment en vertu de l’intention d’interdire le port de

signes religieux visibles à tous les employés de l’État. Sur la base de la neutralité de l’État,

le Parti québécois souhaite donc niveler les comportements à l’aune d’une prohibition dite

égalitaire, en d’autres mots énoncer les principes d’une bienséance religio-

comportementale. Il est aisé de constater l’écart entre cette vision de la laïcité basée sur la

neutralité des agents de l’État et celle qui infère que l’État, puisque neutre, ne doit pas

s’ingérer dans la chose religieuse. D’une égalité basée sur le libre-exercice de ses

croyances, le Québec glisserait donc vers une négation égalitaire de la religion.

7 Jeffrey dans Robert Mager (dir.), op. cit.

Page 18: Quelle posture professionnelle pour l'enseignant d'Éthique et … · 2018-04-21 · iii RÉSUMÉ L’enseignant d’Éthique et culture religieuse, depuis la mise en place du programme

12

Au Québec s’inscrivent des défenseurs d’une laïcité « ouverte égalitaire formelle »

dans la mouvance de Micheline Milot alors que Yvan Lamonde se fait porte-étendard d’une

frange prônant une laïcité plus restrictive8. Or, c’est dans le rapport Proulx que le modèle

laïc québécois s’était finalement dessiné dans une perspective d’ouverture. La proposition

de ce cadre normatif apparaissait alors comme le terreau pour la mise en œuvre de

l’enseignement culturel du fait religieux souhaité par le Groupe de travail sur la place de la

religion à l’école9. Cette laïcité ouverte, bien que témoin d’un processus de sécularisation

enclenché depuis 1960, n’était pas caractérisée par l’éviction de la religion : elle était celle

de sa multiplication et, parallèlement, de l’individualisation de la quête de sens10

. Parce

qu’elle était basée non pas sur le « refus du religieux ou de la conviction », mais sur

l’« accueil de la différence dans un monde de respect et de droit11

», elle pouvait tout aussi

bien être qualifiée de laïcité positive, de collaboration, de neutralité ou de dialogue.

Or, notons que la récente résolution prise par le Parti québécois de redéfinir les

valeurs partagées au Québec vise précisément à raffiner les contours de ce type de laïcité.

En effet, d’abord présenté sous l’éloquent nom de Charte de la laïcité, ce projet a ensuite

été soumis à la population dans une forme plus globalisante, à savoir en tant que Charte des

valeurs québécoises. Ce document visant à « clarifier le contrat social12

» se divise en deux

volets, le premier portant sur une gestion plus stricte des accommodements religieux, et le

second sur la neutralité de l’État. Définie par l’équipe Marois comme étant un mode

d’organisation de l’État basé sur la séparation des religions et de l’État, la neutralité sur le

plan religieux et l’égalité entre les citoyens, la laïcité serait désormais inscrite dans la

Charte québécoise des droits et libertés13

. La définition émise n’a certes rien de réellement

original, si ce n’est que l’un de ses moteurs d’application serait l’interdiction du port de

signes religieux visibles pour tous les travailleurs de la fonction publique. C’est en effet

8 Lefebvre dans Mireille Estivalèzes et Solange Lefebvre (dir.). op. cit., p. 85

9 Ibid.

10 Estivalèzes dans Mireille Estivalèzes et Solange Lefebvre (dir.). op. cit., p. 2

11 Georges Leroux. Éthique, culture religieuse, dialogue : arguments pour un programme, Saint-Laurent,

Québec : Fides, 2007, p. 14 12

Gouvernement du Québec. Nos valeurs, [En ligne] http://www.nosvaleurs.gouv.qc.ca/fr#neutralite (page

consultée le 12 septembre 2013) 13

Ibid.

Page 19: Quelle posture professionnelle pour l'enseignant d'Éthique et … · 2018-04-21 · iii RÉSUMÉ L’enseignant d’Éthique et culture religieuse, depuis la mise en place du programme

13

cette dernière restriction qui laisse entrevoir le souhait du gouvernement de s’approprier

une acception plus restrictive du principe de laïcité.

Quoiqu’il en soit, c’est au croisement de la sécularisation de la société avec le choix

d’une laïcisation ouverte de l’école publique caractéristique de l’ère pré-Marois que naissait

le programme d’ÉCR en 2008, dont le fondement paradigmatique était le résultat d’une

entière révision du schème éducatif antérieur. Du discours intérieur qui assurait autrefois la

transmission d’un savoir religieux unique, on a migré vers un discours à propos de la chose

religieuse. En effet, c’est face à une propre redéfinition sur le plan de l’identité,

conséquence d’une poussée du pluriel entre autres, que le besoin d’adopter une approche

scientifique permettant d’aborder la réalité de la diversité est apparu. C’est cet impératif

que décrit Mireille Estivalèzes en affirmant que c’est dans « la tension entre le soi, l’autre

et le nous que le programme ÉCR doit être compris […]14

».

B. Éthique et culture religieuse : la genèse théorique d’un programme

Effectuons donc la genèse d’un programme issu de préoccupations portant sur

l’aspect confessionnel des institutions scolaires et de considérations pour le droit

fondamental du respect des libertés de conscience et de religion. Bien que pleinement

conscients de l’apport significatif de la Révolution tranquille et du Rapport Proulx à

l’évolution des structures scolaires québécoises, nous faisons sciemment le choix d’établir

en 199315

le préambule du processus qui donnera lieu à l’implantation du cours d’ÉCR,

alors que le Conseil supérieur de l’éducation présidé par Robert Bisaillon, désireux

d’inscrire l’enseignement dans le contexte du déverrouillage confessionnel, proposait

d’explorer « la piste d’un enseignement, à la fois moral et religieux, de type culturel à ceux

qui le désirent16

». La contribution subséquente de différents groupes de travail sera

nécessaire pour que la démarche enclenchée aboutisse finalement à la création du

programme d’ÉCR, mais il était alors déjà possible d’entrevoir les éléments qui

constitueraient le socle et la substance même du cours tel qu’il est connu et actuellement

14

Estivalèzes dans Mireille Estivalèzes et Solange Lefebvre (dir.). op. cit., p. 6 15

Pour une représentation complète du processus, consulter l’Annexe. 16

Jean-Pierre Béland et Pierre Lebuis. Les défis de la formation à l’éthique et à la culture religieuse, Québec :

Les Presses de l’Université Laval, 2008, p. 8

Page 20: Quelle posture professionnelle pour l'enseignant d'Éthique et … · 2018-04-21 · iii RÉSUMÉ L’enseignant d’Éthique et culture religieuse, depuis la mise en place du programme

14

dispensé. En effet, à la fois les dimensions morale et religieuse sont-elles présentes (elles

subiront par la suite, il va de soi, des mutations sur le plan paradigmatique), en plus d’une

perspective culturelle, réel élément de nouveauté évoquant les changements socioculturels

marquant le Québec moderne. L’appellation « culture religieuse » démontre elle-même une

détermination à s’éloigner d’un enseignement confessionnel de la religion pour se

rapprocher davantage, à l’intérieur d’un « cadre conceptuel emprunté à l’anthropologie et à

l’histoire des religions17

», d’un enseignement de type culturel des religions ou du fait

religieux.

Trois ans après l’enclenchement de cette démarche réflexive marquée par

l’exploration de besoins relatifs à un enseignement culturel du fait religieux, soit en 1996,

la Commission des États généraux sur l’Éducation est mise sur pied. Toujours conduite par

Robert Bisaillon, on y verra se radicaliser la suggestion émise par le Conseil supérieur. Dès

lors, le déverrouillage du système confessionnel doit passer par la laïcisation complète des

institutions scolaires, des établissements et des enseignants18

. La déconfessionnalisation des

commissions scolaires est donc décrétée en 1997 et pavera la voie à celle subséquente de

l’ensemble des structures éducatives gouvernementales et des écoles publiques. On met

également en lumière l’importance d’élaborer des contenus d’apprentissage relatifs au

phénomène religieux, puis d’accomplir une restructuration des curriculums.

C’est dans cette perspective de mutations curriculaires que s’enclenche une

démarche institutionnelle sous la tutelle ministérielle de Pauline Marois munie d’une ferme

résolution de « gérer les attentes religieuses dans la perspective d’une société pluraliste

ouverte, dans le sens d’une démarche progressive et dans le respect de l’histoire et de la

culture québécoises19

». Alors que le choix de la confession étudiée demeure possible, on se

questionne sérieusement sur la pertinence que revêtirait l’intégration dans les écoles d’un

programme unique visant une formation au sujet du phénomène religieux. C’est par la suite

en 1999 que ces considérations seront soumises au Groupe de travail sur la place de la

17

Nancy Bouchard. Éthique et culture religieuse à l’école, Québec : Les Presses de l’Université Laval, 2006,

p. 9 18

Jean-Pierre Béland et Pierre Lebuis op. cit. 19

Ibid.

Page 21: Quelle posture professionnelle pour l'enseignant d'Éthique et … · 2018-04-21 · iii RÉSUMÉ L’enseignant d’Éthique et culture religieuse, depuis la mise en place du programme

15

religion à l’école, présidé par Jean-Pierre Proulx, duquel émergera en 2000 la conclusion

suivante :

La religion peut avoir une place à l’école, comme contribution à l’éducation intégrale

de l’enfant, dans la mesure où son aménagement respecte la norme de l’égalité

fondamentale des citoyens et qu’elle favorise l’atteinte des buts qui sont nécessaires à

la formation des citoyens et à la construction du lien social20

.

Au demeurant, le groupe de travail se prononce en faveur de la laïcisation des institutions

publiques et de la mise sur pied d’un enseignement culturel des religions. C’est finalement

pour donner suite aux recommandations du Groupe de travail sur la place de la religion à

l’école qu’un comité chargé d’examiner la question du phénomène religieux est formé. En

vue de l’instauration d’un programme arrimé aux préoccupations soulevées par celui-ci, le

comité élabore un corpus de principes directeurs permettant d’agir à titre de référents. Selon

le principe dominant, le programme doit s’adresser « à tous les élèves, quelles que soient

leurs options et celles de leurs parents sur le plan religieux21

», prémisse issue du respect de

la liberté de conscience et de religion de chacun et de la reconnaissance de l’égalité de tous

les élèves22

. L’idéal d’égalité est donc omniprésent tout autant, il va de soi, que l’ambition

d’évacuer toute forme de discrimination basée sur la culture ou la religion. La nature même

de ce principe déloge de facto tout enseignement confessionnel visant à entretenir une

idéologie particulière et à encourager quiconque à s’engager singulièrement dans une

confession ou à adhérer à un courant de pensée plutôt qu’à un autre23

. Des principes

secondaires émanent du précepte principal énoncé et portent sur divers aspects ou

dispositions à mettre en place pour une intégration positive de ce dernier. On parle d’abord

d’emprunter et d’appliquer la perspective propre aux sciences humaines, de rendre compte

de la diversité des courants de pensée (religieux ou séculiers), de souligner l’importance de

la tradition chrétienne au sein du programme, de considérer le pluralisme dans la société

québécoise et, enfin, d’accorder une attention au développement cognitif des élèves et à la

diversité possible des intérêts. En concordance avec l’idée de base évoquée précédemment,

ces principes directeurs de second plan véhiculent tout à la fois des indications concernant

20

Ministère de l’Éducation (Micheline Milot et Jean-Pierre Proulx). Les attentes sociales à l’égard de la

religion à l’école publique (Rapport de recherche), Gouvernement du Québec, 1999, p. 200 21

Comité sur l’éducation au phénomène religieux. L’enseignement culturel des religions : principes

directeurs et conditions d’implantation, Gouvernement du Québec, 1999, p. 8 22

Ibid. 23

Ibid.

Page 22: Quelle posture professionnelle pour l'enseignant d'Éthique et … · 2018-04-21 · iii RÉSUMÉ L’enseignant d’Éthique et culture religieuse, depuis la mise en place du programme

16

la finalité du futur programme, les contenus d’apprentissage souhaités et les moyens à

privilégier.

Aussi le Groupe de travail s’approprie-t-il l’ensemble de ces recommandations

émises par le Comité sur l’éducation au phénomène religieux et les intègre à sa démarche.

Ces préoccupations le mènent au final à se prononcer en faveur de l’option qui s’avère

selon lui la plus souhaitable au regard de la mise sur pied d’un nouveau programme

d’enseignement, visant à offrir à tous les élèves un « enseignement de type culturel en lieu

et place des enseignements confessionnels24

». En effet, cette option apparaît aux yeux du

Groupe de travail plus valable que les deux autres propositions envisagées, c’est-à-dire de

préconiser un système d’option entre des enseignements de type confessionnel ou culturel,

ou d’éliminer simplement l’enseignement religieux au profit d’un enseignement moral.

Selon les membres du groupe, c’est celle qui au demeurant présente le plus d’avantages sur

le plan social.

Son rapport achevé, le Groupe de travail transmet ses recommandations au ministre

de l’Éducation pour que celles-ci soient débattues publiquement. On remarque alors un net

consensus en faveur de la déconfessionnalisation du système scolaire global, mais on note

qu’il en est autrement à propos des recommandations concernant la mise sur pied d’un

programme d’enseignement culturel des religions. Le ministre de l’Éducation de l’époque,

François Legault, opte alors pour une « démarche progressive qui respecte l’évolution des

mentalités et des milieux25

». Il convient de préciser que le ministre signale que

concrètement, le primaire et le premier cycle du secondaire ne seront pas immédiatement

touchés par les modifications curriculaires relatives à l’enseignement des religions, mais

qu’un cours obligatoire d’enseignement culturel des religions remplacera le régime

d’option au deuxième cycle du secondaire. Également, des modifications notoires seront

apportées à la Loi sur l’instruction publique (loi 118) et subséquemment aux chartes

québécoise et canadienne en ce qui a trait à l’égalité quant à la liberté de religion et de

conscience.

24

Jean-Pierre Béland et Pierre Lebuis op. cit., p. 12 25

Ministère de l’Éducation. Dans les écoles publiques du Québec : une réponse à la diversité des attentes

morales et religieuses, Gouvernement du Québec, 2000, p. 5

Page 23: Quelle posture professionnelle pour l'enseignant d'Éthique et … · 2018-04-21 · iii RÉSUMÉ L’enseignant d’Éthique et culture religieuse, depuis la mise en place du programme

17

En 2005, le Conseil supérieur de l’éducation promulgue un avis selon lequel il serait

souhaitable que le ministère de l’Éducation rende effectives les recommandations

prononcées précédemment annonçant les modalités d’une réforme de l’enseignement

confessionnel de la religion ainsi que les moyens prévus pour la mettre en œuvre. En

réaction à cette exhortation, le Ministère de l’Éducation réagit rapidement en avisant la

population de la création d’un nouveau programme d’ÉCR qui doit entrer en vigueur à

compter de l’automne 2008 et qui repose sur quatre grands préceptes, soient la continuité

des apprentissages, leur enracinement dans la réalité et la culture des jeunes du Québec, le

respect de la liberté de conscience et de religion et la préoccupation du vivre-ensemble26

.

La stratégie envisagée est d’implanter les apprentissages dans la réalité immédiate de

l’élève de manière à ce qu’il s’approprie des éléments du fait religieux qui le concernent,

pour qu’il soit, dans une ultime mesure, enclin à laisser « élargir ses horizons27

». On

souhaite plus précisément qu’il soit attentif au patrimoine qui est le sien et aux valeurs qui

marquent sa société, autant qu’aux apports de l’implantation de religions issues des

courants d’immigration. À cet effet, des précisions sont apportées à l’intérieur du document

d’information relatif à la mise en place du programme d’ÉCR à propos de la posture qu’un

enseignant doit adopter afin que les préoccupations soulevées soient honorées.

Globalement, celui-ci doit se montrer vigilant quant au respect des valeurs, des croyances et

des convictions familiales que chaque élève transporte inévitablement en classe. Pour ce

faire, dit-on, l’enseignant est appelé à imprégner sa pratique d’objectivité et d’impartialité

professionnelle.

Au regard des principes énoncés, il va de soi en effet que l’enseignant d’ÉCR ne

doit en aucune manière agir lui-même en tant que porteur et diffuseur de croyances ou de

valeurs. Or, si le respect des convictions familiales et l’impartialité de l’enseignant

semblent constituer le socle éthique du programme, comment réagir lorsque les idées

familiales véhiculées par le biais des élèves en classe sont empreintes de violence, de

discrimination ou de racisme? Comment accepter l’inacceptable? Dans quelle mesure des

26

Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport. La mise en place d’un programme d’éthique et de culture

religieuse : une orientation d’avenir pour tous les jeunes du Québec, Gouvernement du Québec, 2005, p. 5 27

Ibid.

Page 24: Quelle posture professionnelle pour l'enseignant d'Éthique et … · 2018-04-21 · iii RÉSUMÉ L’enseignant d’Éthique et culture religieuse, depuis la mise en place du programme

18

convictions basées sur le rejet d’autrui doivent-elles être respectées? Ces questionnements

font le pont entre la problématique qui a été formulée d’entrée de jeu à propos de

l’enseignement de la différence religieuse et les fondements du programme.

C. Les visées du programme

Avant même de penser entrevoir les enjeux relatifs à la mise en place du programme

d’ÉCR, il nous apparaît incontournable de jauger les potentialités qu’il renferme quant au

cheminement de la société québécoise sur le plan identitaire autant que culturel. Passage

obligé, une redéfinition des curriculums scolaires porteuse de visions et d’ambitions

renouvelées était inévitable au regard des mutations sociales marquant le Québec tout

comme l’ensemble des métropoles caractérisées par le phénomène d’hétérogénéisation

culturelle. À ce sujet, Nancy Bouchard propose une esquisse de l’état actuel de la société

québécoise en parlant des tensions et des défis que présente la coexistence désormais

inéluctable des cultures dans une « société pluraliste traversée par les phénomènes de

métissage culturel et de mondialisation28

». Au vu de ce diagnostic, Bouchard soutient que

la connaissance des références religieuses comme agents de structuration des identités

devient essentielle, plus précisément parle-t-elle à cet égard d’une exigence éthique, voire

d’une exigence citoyenne29

. En d’autres mots, connaître les éléments constitutifs de notre

héritage culturel est nécessaire, tout autant que l’est l’ouverture aux éléments qui forgent le

patrimoine culturel à venir. Ainsi la religion dépasse-t-elle l’individualité pour devenir au

demeurant un enjeu collectif, ce qui s’impose en tant que principe-clé en vue de la pleine

compréhension des orientations du programme d’ÉCR. Bouchard aborde cet impératif en

soulignant qu’il nous faut « établir un cadre de pensée favorisant l’intelligence des

convictions et la volonté de coexistence au sein de la Cité30

», revendications qui prennent

corps dans les dispositions activées par l’intégration du cours à la formation des jeunes

Québécois.

Or, les documents officiels relatifs à la mise en place du programme ne manquent

pas de préciser ces orientations ministérielles et de justifier la démarche entamée. Plus

28

Nancy Bouchard op. cit., p. 11 29

Ibid. 30

Ibid.

Page 25: Quelle posture professionnelle pour l'enseignant d'Éthique et … · 2018-04-21 · iii RÉSUMÉ L’enseignant d’Éthique et culture religieuse, depuis la mise en place du programme

19

précisément, la finalité initiale du programme d’ÉCR est l’atteinte du vivre-ensemble, et

c’est vers elle que convergent les autres orientations. « Favoriser le vivre-ensemble », ainsi

se définit donc l’ultime défi du programme, mené par des enseignants qui seront les porte-

étendards de cette ambition qu’ils devront s’approprier pour qu’elle devienne une

préoccupation professionnelle si importante qu’elle agira à titre de principe directeur dans

leur pratique. À cet effet, le Comité sur les affaires religieuses précise que le rôle de

l’enseignant doit en être un de passeur de culture religieuse (et non de religion au sens de

confession)31

de manière à guider ses élèves dans un espace de découverte, de curiosité et

d’intérêt pour la différence. Il doit les amener, en somme, à dépasser l’incompréhension et

le jugement pour qu’ils deviennent, progressivement, en mesure de s’approprier la réalité

sociale qui est la leur et d’évoluer positivement dans le cadre de la pluriethnicité.

Ainsi la réputation du cours est-elle à refaire : dangereux aux yeux de certains

parents et ennuyeux à ceux des élèves, l’image du cours est blessée par le précédent

programme d’enseignement moral et religieux qui assurait, à travers un discours de

l’intérieur, l’évolution de l’enfant dans la foi. Il appert donc capital de refonder l’image du

programme en insistant sur l’angle culturel sous lequel est abordé le fait religieux. Ce

dernier a toutefois mauvaise presse auprès des parents catholiques qui auraient souhaité le

maintien d’un enseignement à la foi et qui entretiennent une peur face à l’effet dit

« kaléidoscope32

» du cours, puis auprès des mouvements laïcs, tenants d’une laïcité ferme,

qui voudraient à l’opposé voir disparaître toute empreinte religieuse du cursus scolaire des

élèves. Ces deux groupements aux visions diamétralement opposées se rallient

paradoxalement au sein d’une coalition qu’Estivalèzes qualifie d’« hétéroclite33

» dont la

revendication serait ironiquement à la fois moins et davantage de religion à l’école.

L’observation primaire de ce phénomène semble mettre en lumière l’existence de deux

modèles scolaires dans le champ des convictions, à savoir l’enseignement confessionnel ou

le silence complet, desquels la délibération démocratique est évacuée34

. Pourtant, pallier

31

Comité sur les affaires religieuses. Le programme d’éthique et culture religieuse : avis à la ministre de

l’Éducation, du Loisir et du Sport, Gouvernement du Québec, 2007, p. 12 32

Estivalèzes dans Mireille Estivalèzes et Solange Lefebvre (dir.) op. cit., p. 17 33

Ibid. 34

Guay et Jutras dans Fernand Ouellet (dir.) Quelle formation pour l’éducation à la religion? Québec : Les

Presses de l’Université Laval, 2005, p. 15

Page 26: Quelle posture professionnelle pour l'enseignant d'Éthique et … · 2018-04-21 · iii RÉSUMÉ L’enseignant d’Éthique et culture religieuse, depuis la mise en place du programme

20

aux problèmes créés par l’enseignement confessionnel par le vide n’apparaît certainement

pas comme la solution, comme l’indique Régis Debray : « […] la relégation du fait

religieux hors des enceintes de la transmission rationnelle […] favorise la pathologie du

terrain au lieu de l’assainir35

». Il serait donc souhaitable que l’approche épistémologique du

fait religieux soit portée à la perception de l’ensemble de la population de façon à ce l’on

soit en mesure de saisir la différence entre croyance et savoir36

, distinction fondamentale

qui schématise le passage entre le révolu cours d’enseignement religieux et le présent

programme d’ÉCR.

1.2 LA DIFFÉRENCE

La problématique formulée dans la partie précédente est articulée autour de la

question de la différence, vocable qui renvoie largement à l’idée de reconnaissance de

l’Autre telle que proposée par les auteurs du programme d’ÉCR et qui est la substance

même des sociétés plurielles. Nous préciserons donc d’abord l’acception de la différence

qui sied à notre problématique de recherche, nous en élaborerons ensuite une définition

congruente, puis nous établirons l’apport du contexte social à la représentation de ce

concept avant de démontrer que la compréhension de la différence est indissociable de la

conception que nous avons de l’Autre. Nous aborderons en dernier lieu l’idée de tolérance

comme étant une épine au pied de l’éducation à la différence.

A. « Quelle » différence?

Il importe d’abord de rendre compte de la nature composite du concept de

différence. En effet, elle n’est pas exclusivement culturelle ou religieuse, bien que l’on

réfère souvent a priori à cette acception, comme le signalait Miguel Simao Andrade dans le

cadre de sa conférence La tolérance : sens, pertinence et limites d’une notion

35

Régis Debray. L’enseignement du fait religieux dans l’école laïque : rapport au ministre de l’Éducation

nationale, Paris : Odile Jacob (Scéren), p. 26 36

Dominique Borne et Jean-Paul Willaime. Enseigner les faits religieux : quels enjeux? Paris : Armand

Collin, 2007, p. 123

Page 27: Quelle posture professionnelle pour l'enseignant d'Éthique et … · 2018-04-21 · iii RÉSUMÉ L’enseignant d’Éthique et culture religieuse, depuis la mise en place du programme

21

problématique37

. Elle s’incarne plutôt de façons variées et apparaît comme une notion aussi

complexe que peut l’être celle de l’identité humaine. Aussi Dominique Leydet établit-elle à

l’intérieur d’une démarche typologique trois catégories de groupes portant le sceau de la

différence et généralement caractérisés par des revendications collectives : les groupes

historiquement désavantagés (gais, femmes, handicapés, etc.), les groupes d’immigrants et

les minorités nationales (communautés historiques)38

. Ces spécificités, ou multiples

« façons d’être humain », agissent certainement comme des particules identitaires

fondatrices ou constitutives. Comme l’indique ironiquement Strauss à ce titre, si la

différence est en chacun, l’ennemi est partout, donc la concurrence, générale39

.

Si les particularités physiques, sociales, culturelles, identitaires ou idéologiques sont

autant de types de différences qui méritent d’être examinées, il convient toutefois, dans le

cadre de notre travail, d’éviter de les traiter de front pour plutôt circonscrire la question de

façon à faciliter l’émergence de considérations éducatives pratiques. Ainsi, dans le but

d’effectuer un exercice réflexif qui se limite au spectre des systèmes de valeurs, nous

entendons traiter essentiellement de la diversité éthique et des spécificités religieuses, axes

qui prennent corps au sein d’une perspective globale de différence culturelle. Nous nous

attarderons donc plus précisément au constat de la différence culturelle dans les sociétés

complexes hétérogènes marquées, comme l’indique Jacqueline Costa-Lascoux, par le

multiculturalisme40

.

La désignation de cet aspect de la différence comme pierre angulaire de nos

recherches est explicable par trois considérations. D’abord, la typologie élaborée par

Leydet nous a menés à rejeter, en tant qu’objet d’étude, la catégorie des groupes

historiquement désavantagés, puisque la reconnaissance des droits de ces groupes de

personnes n’est plus négociable et fait consensus. Les deux autres catégories, les

37 Miguel Simao Andrade. « La tolérance : sens, pertinence et limites d’une notion problématique » dans le

cadre des Journées provinciales de formation continue en éthique et culture religieuse, 2012 38

Leydet dans Daniel M. Weinstock (dir.). Le défi du pluralisme, Montréal : Département de philosophie

(UQAM), 1993, p. 116 39

Michel Meyer. Petite métaphysique de la différence : religion, art et société, Paris : Livre de Poche, 2000,

p. 120 40

Costa-Lacoux dans Marie-Antoinette Hily et Marie-Louise Lefebvre (dir.). Identité collective et altérité :

diversité des espaces / spécificité des pratiques, Paris / Montréal : L’Harmattan, 1999, p. 54-55

Page 28: Quelle posture professionnelle pour l'enseignant d'Éthique et … · 2018-04-21 · iii RÉSUMÉ L’enseignant d’Éthique et culture religieuse, depuis la mise en place du programme

22

immigrants et les minorités nationales, pour leur part indissociables d’univers symboliques

multiples et complexes se superposant à un système de valeur déjà établi, émettent des

revendications qui méritent en contrepartie d’être examinées avec une nuance prometteuse

sur le plan pédagogique. Ensuite, parce que résolument d’actualité, la différence culturelle

est la substance même d’une société plurielle et marque de nombreux débats récents (tels

que celui relatif aux accommodements raisonnables) qui alimentent par ailleurs un vif

phénomène de polarisation de l’opinion publique. Enfin, en raison des passions qu’elle

engendre, la différence culturelle joue un rôle de premier plan dans la cristallisation des

revendications identitaires des peuples qu’elle concerne. En effet, soupeser la différence

culturelle nous mène naturellement sur la piste des normes et des valeurs assumées par les

individus, de leurs mœurs et de leurs coutumes, puis de leur identité. Luc Vigneault

soutient à cet égard que « […] l’univers des convictions constitue le fondement des valeurs

qui orientent l’action41

. » Ces fondements, qu’il qualifie de « convictionnels », rassemblent

les préférences morales et politiques d’un individu et sont souvent tributaires de ses

conceptions religieuses. C’est en somme au contact de ces éléments, réels moteurs

axiologiques, que la différence culturelle devient un objet sensible tant à l’échelle sociale

que dans l’environnement scolaire.

Or, la question de la différence possède, selon la compréhension que nous en avons,

deux applications principales, à savoir la revendication de celle-ci (émise par le groupe ou

l’individu qui la porte) et la réaction qu’elle provoque chez le groupe majoritaire qui la

reçoit (à ce propos, nous aborderons plus loin la typologie établie par Lüsebrink). Cette

double activation de la différence est entre autres susceptible de donner lieu à la plainte

d’une société d’accueil craignant que son intégrité ne soit menacée ou à divers mouvements

mis en place par des groupes culturels réclamant la reconnaissance de leurs droits. Dans les

deux cas, la différence apparaît indissociable d’un mécanisme d’affirmation.

Aussi convient-il de noter, pour être à même de comprendre le rapport de l’un à la

culture de l’Autre, que la construction faite d’une culture et de ses représentants par le

41

Vigneault dans Fernand Ouellet (dir.) Quelle formation pour l’éducation à la religion? Québec : Les

Presses de l’Université Laval, 2005, p. 181

Page 29: Quelle posture professionnelle pour l'enseignant d'Éthique et … · 2018-04-21 · iii RÉSUMÉ L’enseignant d’Éthique et culture religieuse, depuis la mise en place du programme

23

premier est déterminée par une superposition de transferts sur les plans discursif et

symbolique42

. Cela revient à dire que la représentation que l’un construit de la culture de

l’Autre est unilatérale, c’est-à-dire qu’elle est élaborée à partir du point de vue émanant du

soi qui est à la fois basé sur le vécu et des présomptions à propos des objets de culture qu’il

évalue. Pour cette raison, la culture est paradoxalement souvent mobilisée comme un

élément clé de la suppression de toute communication interculturelle43

. Il convient à cet

effet de noter que Michel Oriol propose, afin de délier cette situation cul-de-sac, de recourir

aux valeurs, de réhabiliter l’éthique et d’approfondir la connaissance des faits d’ordre

interculturel afin de protéger la spécificité de la culture, valeur selon lui fondamentale44

. À

cet égard, Fernand Ouellet mentionne le rôle central joué par les mouvements

multiculturels au regard de la légitimation de la diversité, qu’il s’agisse de diversité

ethnoculturelle ou religieuse, ou d’une diversité basée sur les objets de différenciation

cités45

.

Employons-nous maintenant à définir l’épicentre de notre problématique, à savoir la

question de la différence culturelle. La littérature proposant des considérations

philosophiques ou sociales à propos de ce sujet abonde, ce qui pose le piège de la profusion

sémantique, voire de la généralité. L’exercice de définition de la différence nous oriente

d’abord de manière spontanée sur des pistes lexicales comme la diversité, l’altérité, le

particularisme et la spécificité. Pour André Brassard, la notion de diversité s’exprime par

des réalités diverses qui sont en relation les unes avec les autres46

. Cette perspective, bien

qu’incomplète selon nous, présente néanmoins la conception utile selon laquelle il doit y

avoir relation entre plus d’un individu pour qu’il y ait présence de différence. En effet, la

différence ne peut être affirmée comme telle que si l’objet dont il est question se trouve

dans un contexte de rapport ou de comparaison. On peut simplifier cette idée en affirmant

qu’une réalité n’est pas une différence si elle est vécue dans un milieu qui la considère

42

Lüsebrink dans Marie-Antoinette Hily et Marie-Louise Lefebvre (dir.). Identité collective et altérité :

diversité des espaces / spécificité des pratiques, Paris / Montréal : L’Harmattan, 1999, p. 89 43

Oriol dans Marie-Antoinette Hily et Marie-Louise Lefebvre (dir.). Identité collective et altérité : diversité

des espaces / spécificité des pratiques, Paris / Montréal : L’Harmattan, 1999, p. 3 44

Ibid., p. 3-4 45

Fernand Ouellet. Les défis du pluralisme en éducation : essais sur la formation intellectuelle, Québec : Les

Presses de l’Université Laval / Paris : L’Harmattan, 2002, p. 85 46

Brassard dans Marie-Antoinette Hily et Marie-Louise Lefebvre (dir.). Identité collective et altérité :

diversité des espaces / spécificité des pratiques, Paris / Montréal : L’Harmattan, 1999, p. 315

Page 30: Quelle posture professionnelle pour l'enseignant d'Éthique et … · 2018-04-21 · iii RÉSUMÉ L’enseignant d’Éthique et culture religieuse, depuis la mise en place du programme

24

comme une norme. Ainsi peut-on déjà affirmer que la différence est une conception relative

et changeante. Elle ne correspond pas à un caractère absolu ni à un a priori. Au contraire,

elle est corrélative au milieu, ce qui nous pousse à dire qu’il existe autant de différences

que de milieux, d’individus et de perceptions.

En outre, Costa-Lascoux présente la différence comme un synonyme d’altérité ou

en tant qu’expression plus radicale d’un particularisme47

. Cette définition évoque la

relativité de cette notion, mais soulève aussi l’idée que cette dernière, pour être considérée

comme telle, doit être exprimée de façon radicale. Cette perspective suggère toutefois que

la différence jette les bases de l’identité d’un individu ou d’un groupe d’individus. Or, une

particularité physique, une coutume, une façon de s’exprimer, etc. ne caractérisent pas

l’intégralité d’un être, mais n’en définissent qu’une partie. Comme aime l’indiquer Amin

Maalouf à ce propos, l’identité est une construction aux multiples facettes et les facteurs

d’appartenance d’un individu qui la composent sont des réalités mouvantes qui

s’additionnent. En ce sens Maalouf ne s’éloigne-t-il pas de la perspective hégélienne qui

suggère que « penser la différence comme interne à l’identité, c’est en effet penser le

mouvement même de la vie48

», cette dernière n’étant elle-même saisissable qu’à travers la

multiplicité des choses de la nature, selon Héraclite.

Enfin, Oriol définit ainsi la différence : « façon originale d’être humain dont chaque

groupe porte la capacité, modelée par son histoire séculaire49

». Ces références au

« groupe » et à l’« histoire séculaire » renvoient exclusivement à l’aspect culturel de la

différence. Cette définition nous apparaît donc opérante, bien que comme susmentionné,

nous assumions que la différence ne soit pas uniquement culturelle. La formule qu’emploie

l’auteur, cette « façon originale d’être humain », est par ailleurs congruente puisqu’elle

s’écarte d’une acception négative de la différence. Porteuse d’une représentation

résolument positive, elle s’inscrit dans un esprit de recherches éducatives au regard de

l’enseignement de la différence et nous apparaît nettement plus constructive. Elle met

également en relief le paradoxe humain des différences individuelles faisant de chaque

47

Costa-Lascoux dans Marie-Antoinette Hily et Marie-Louise Lefebvre (dir.). op. cit., p. 55 48

Françoise Dastur. Philosophie et différence, Chatou : Les Éditions de la Transparence, 2004, p. 62 49

Oriol dans Marie-Antoinette Hily et Marie-Louise Lefebvre (dir.). op. cit., p. 3

Page 31: Quelle posture professionnelle pour l'enseignant d'Éthique et … · 2018-04-21 · iii RÉSUMÉ L’enseignant d’Éthique et culture religieuse, depuis la mise en place du programme

25

individu un être autonome et singulier bien qu’appartenant à une commune identité

humaine.

À la lumière de ces considérations, nous nous permettons donc de proposer une

définition de la différence, que nous souhaitons penser en tant que conception relative à la

diversité des manières d’être humain. Cette représentation convient à l’esprit dans lequel

nous souhaitons penser la différence d’entrée de jeu, l’examiner par la suite à travers le

prisme de l’enseignement d’ÉCR et, finalement, être à même de circonscrire un mode sous

lequel l’enseignant peut l’aborder en classe. Reconnaître d’emblée la relativité de la

question de la différence et admettre qu’il existe effectivement une pluralité de façons de

s’inscrire dans l’humanité sont des postures qui, nous le croyons, favorisent la recherche de

solution plutôt que d’alimenter un discours infertile basé en premier lieu sur les

dissimilitudes patentes.

B. La résonnance de la différence selon les milieux

Par ailleurs, il va de soi que parler de la différence ne trouve pas le même écho dans

tous les contextes. En effet, il n’est possible de faire allusion à ce qui est différent qu’en

rapport à un ensemble d’éléments qui, ensemble, constituent le commun ou, pour employer

les termes de Guy Bourgeault et Linda Pietrantonio, un « univers symbolique dominé par le

majoritaire50

». Ainsi aborderons-nous le différent comme étant ce qui ne correspond pas au

majoritaire, ce qui peut de prime abord paraître marginal. Or, de manière à pouvoir user de

termes tels que « majorité » ou « homogénéité », une description du contexte type qui nous

intéresse particulièrement apparaît incontournable pour une pleine compréhension des

considérations à venir. En effet, poser le problème de l’enseignement de la différence

culturelle à Montréal, par exemple, aurait une tout autre résultante que de réaliser l’exercice

aux vues du reste du Québec. À ce propos, le Québec apparaît à Ouellet scindé en deux sur

le plan de la culture : d’une part, la métropole montréalaise marquée par une diversité

ethnoculturelle confirmée, d’autre part, les régions desquelles elle est pratiquement absente.

L’homogénéité culturelle étant dans le premier cas inexistante, l’altérité religieuse le

50

Bourgeault et Pietrantonio dans France Gagnon, Marie McAndrew et Michel Pagé. Pluralisme, citoyenneté

& éducation, Montréal/Paris : L’Harmattan, 1996, p. 239

Page 32: Quelle posture professionnelle pour l'enseignant d'Éthique et … · 2018-04-21 · iii RÉSUMÉ L’enseignant d’Éthique et culture religieuse, depuis la mise en place du programme

26

devient pour ainsi dire tout autant, ou du moins elle en vient à constituer la norme. En

revanche, au sein d’un milieu qui demeure peu – quoique de plus en plus – marqué par

l’immigration et le phénomène de diversification culturelle, la présence de l’Autre apparaît

nettement plus confondante et marginale. C’est donc dire que la différence est une réalité

constituée dans le cadre de rapports sociaux spécifiques51

et qu’elle est aussi immatérielle

que contingente.

Or, spécifions qu’aucune société n’étant réellement imperméable aux mouvements

migratoires, la région de Québec est bien loin d’échapper au phénomène de prolifération

culturelle caractéristique de la grande majorité des métropoles occidentales, ou à ce que

Michel Maffesoli qualifie d’« irrépressible poussée du pluriel dans nos sociétés52

». Non

seulement l’auteur s’exprime-t-il en ces termes pour souligner que l’hétérogénéisation des

sociétés apparaît en soi comme une source de tensions inéluctables contribuant à un

dynamisme culturel, mais également – et surtout – pour démontrer qu’elle agira en tant que

matrice des valeurs sociales à venir et comme source certaine d’enjeux capitaux

prochains53

. Il nous paraît à cet égard essentiel de garder en tête, tout au long de nos

recherches, que le contexte social qui accueille nos réflexions, à savoir le Québec excluant

la région de Montréal, est en évolution constante du point de vue de la diversité ethnique et

que, de ce fait, notre référent n’est pas résolument immuable. En fait, c’est peut-être même

aux vues de mutations annoncées et pressenties qu’aborder un sujet tel que l’enseignement

de la différence sera à même de prendre corps et de devenir d’autant plus significatif.

Notons par ailleurs que le milieu homogène auquel nous renvoyons plus exactement

est celui d’une société marquée dans une très large mesure par la tradition judéo-chrétienne.

En effet, s’il est utile de le rappeler, le Québec est précédé d’un passé colonial grandement

marqué par la présence catholique, et plus tard protestante, ayant contribué à l’édification

de sa société. Longtemps arrimé aux desseins de l’Église, le Québec est donc demeuré

imprégné de l’esprit clérical pendant les décennies suivantes avant de s’en émanciper, si

51

Bourgeault et Pietrantonio dans France Gagnon, Marie McAndrew et Michel Pagé, op. cit. 52

Michel Maffesoli. Le temps des tribus : le déclin de l'individualisme dans les sociétés de masse, Paris : La

Table ronde, 2000, p. 187 53

Ibid., p. 188

Page 33: Quelle posture professionnelle pour l'enseignant d'Éthique et … · 2018-04-21 · iii RÉSUMÉ L’enseignant d’Éthique et culture religieuse, depuis la mise en place du programme

27

l’emploi du terme nous est accordé. Forte de maintes mutations sociales ayant entre autres

choses transfiguré le système d’éducation au Québec, la sphère publique en est venue à se

désunir complètement du domaine spirituel. L’essentiel, en ce qui a trait à ce très court

survol du passé clérical du Québec, est de saisir que l’empreinte judéo-chrétienne constitue

beaucoup plus que des souvenirs et des traditions vaguement honorées. Elle est au cœur de

ce que certains à l’instar de Mathieu Bock-Côté et Joëlle Quérin appellent l’identité

nationale, de ce que d’autres encore évoquent en parlant d’un héritage collectif, d’un

patrimoine sacré.

Au sein d’un contexte ancré dans d’aussi solides bases judéo-chrétiennes, côtoyer

l’étranger, celui qui est issu d’un milieu dissemblable, qui est possiblement précédé d’un

passé dissonant et qui transporte avec lui des mœurs distinctes, peut intriguer, déranger,

voire choquer l’élève qui, de fait, a toujours été entouré d’une conformité somme toute

confortable. Ainsi placer les élèves devant le fait de la nouveauté religieuse par le biais de

l’enseignement, dans ce contexte, devient-il un exercice complexe. Loin de nous

évidemment la volonté de prétendre qu’évoluer dans un milieu marqué de facto par la

pluriethnicité est facilitant pour l’enseignement de la différence. Au contraire, la réalité

scolaire montréalaise est d’emblée indissociable des obstacles et contraintes inhérentes à la

confrontation nécessaire des cultures comme l’exaspération ou l’accumulation de

frustrations liées à une cohabitation obligée. En revanche, ne pas connaître l’expérience de

la diversité culturelle et religieuse au quotidien rend au demeurant improbable – du moins

inhabituelle – l’ouverture spontanée de brèches entre les cultures.

C. La conception de l’Autre

La réception de la différence culturelle par un individu est par ailleurs très

largement tributaire de la représentation qu’il se fait de l’Autre. En effet, comme

l’indiquent Guylaine Bellerose et Marguerite Lavallée, « […] ce que l’on étudie avant tout,

c’est le regard d’un Nous sur l’Autre, cet Autre étant étranger au Nous54

». Ce regard posé

sur autrui est le premier pas du processus via lequel un individu franchit l’expérience de

54

Bellerose et Lavallée dans Marie-Antoinette Hily et Marie-Louise Lefebvre (dir.). Identité collective et

altérité : diversité des espaces / spécificité des pratiques, Paris / Montréal : L’Harmattan, 1999, p. 133

Page 34: Quelle posture professionnelle pour l'enseignant d'Éthique et … · 2018-04-21 · iii RÉSUMÉ L’enseignant d’Éthique et culture religieuse, depuis la mise en place du programme

28

l’altérité, processus qui peut être plus ou moins marqué par le concept proprement freudien

de « l’inquiétante étrangeté » de l’Autre55

. À ce propos, Hans-Jürgen Lüsebrink indique que

la construction d’une conception de l’Autre pose problème puisqu’elle est solidement

ancrée dans le rapport dialectique entre l’identité collective et les formes de perception de

l’altérité56

. Maffesoli utilise pour sa part le terme de « tiers » pour qualifier l’étranger dont

la présence engendre une hétérogénéité comme phénomène social marquant les sociétés

postmodernes.

Or, la représentation de l’Autre peut se construire selon l’un ou l’autre des trois

dispositifs anthropologiques inventoriés par Lüsebrink, à savoir la fascination de l’Autre, la

négation de l’Autre et la connaissance de l’Autre57

. La première posture manque de

profondeur, alors que la seconde est propice à générer des comportements tels que le

racisme, la discrimination et la xénophobie. La disposition menant à connaître l’Autre

apparaît donc assez spontanément comme la posture à favoriser, notamment dans le cadre

du cours d’ÉCR et au regard de l’éducation à la différence, plutôt que l’activation de la

prémisse républicaine d’intégration selon laquelle l’éradication de la différence est la

condition préalable à la cohésion sociale58

.

Ce que la catégorisation établie par Lüsebrink met à tout le moins en lumière, c’est

l’inéluctable croissance de la différence dans la société postmoderne et le besoin naissant

de la gérer adéquatement. Quelles que soient les attitudes qu’elle génère, elle apparaît

comme un état de fait, une réalité au regard de laquelle les sociétés sont amenées à

s’adapter, surtout au vu des divers mouvements migratoires et des processus de

globalisation inhérents à la modernité. De plus, considérant que la « crise de l’identité dans

la matrice culturelle moderne59

» force à redéfinir le rapport des sociétés à la culture et à

l’ethnicité, les formes d’exclusion et de racisme apparaissent comme des problèmes de fond

symptomatiques d’un état de fait. Ces incarnations de l’exclusion, nous le pensons, ne

prennent pas racine dans l’existence de la différence en elle-même, mais dans la crispation

55

Oriol dans Marie-Antoinette Hily et Marie-Louise Lefebvre (dir.) op. cit., p. 6 56

Lüsebrink dans Marie-Antoinette Hily et Marie-Louise Lefebvre (dir.) op. cit., p. 79 57

Ibid., p. 80-81 58

Jocelyn Maclure et Charles Taylor, Laïcité et liberté de conscience, Montréal : Boréal, 2010, p. 44 59

Lüsebrink dans Marie-Antoinette Hily et Marie-Louise Lefebvre (dir.) op. cit., p. 306

Page 35: Quelle posture professionnelle pour l'enseignant d'Éthique et … · 2018-04-21 · iii RÉSUMÉ L’enseignant d’Éthique et culture religieuse, depuis la mise en place du programme

29

identitaire des sociétés d’accueil et dans les stratégies qu’elles déploient – ou non – pour

l’administrer. Comme le mentionne Michel Meyer, « […] les pratiques prouvaient la

différence, et faute de pouvoir la comprendre, les hommes les nations ne purent

l’accepter60

». Oriol, pour sa part, appréhende la violence et l’intolérance comme étant des

effets directs de l’affirmation de sentiments d’appartenance « trop exclusifs et trop

valorisés61

». Il affirme qu’il ne s’agit plus de spécifier scientifiquement les différences

entre groupes humains, mais de comprendre comment « se tracent et s’enchevêtrent les

frontières dessinées par les sujets individuels ou collectifs ». C’est d’ailleurs ce qui pousse

l’auteur à parler d’identités culturelles et non de cultures62

. Maalouf dénonce lui cette

dimension tribale de la posture identitaire qui incite à l’intolérance, à la domination et à la

partialité.

Enfin, l’intolérance, ou ce « manque de respect pour les pratiques et les convictions

d’autrui63

», introduit par corollaire son opposé, c’est-à-dire l’idée de tolérance (dont la

définition est par ailleurs absente des manuels scolaires d’ÉCR64

). La tolérance peut être

entendue comme « la capacité de réserver son jugement sur les convictions d’une personne

afin d’éviter de brimer sa dignité et de briser le lien social65

». Jocelyn Maclure, lors de sa

conférence intitulée Justice et tolérance donnée dans le cadre des Journées provinciales de

formation continue en éthique et culture religieuse, disait que la tolérance est cette aptitude

à « l’autocontrainte face à quelque chose que l’on désapprouve66

». La tolérance se présente

donc comme l’un des modes d’entrée en relation avec l’Autre, toutefois il n’est pas certain

que de penser la différence sous cet angle soit un réflexe réellement utile pour en assurer

une gestion positive. En effet, le sens primaire du terme tolérance, dans sa définition latine

(« tolerare »), renvoie à une représentation foncièrement négative qui engage à supporter

une pratique, un comportement ou un individu qui ne tient pas dans le cadre normatif

accepté. Afin de démontrer le sens péjoratif de cette acception, Miguel Simao Andrade

60

Michel Meyer op. cit., p. 8 61

Oriol dans Marie-Antoinette Hily et Marie-Louise Lefebvre (dir.) op. cit., p. 9 62

Ibid., p. 8 63

La fondation de la tolérance, Intolérance, [En ligne], http://www.fondationtolerance.com/#!3/63/50 64

Miguel Simao Andrade. « La tolérance : sens, pertinence et limites d’une notion problématique » dans le

cadre des Journées provinciales de formation continue en éthique et culture religieuse, 2012 65

Jeffrey dans Robert Mager (dir.), op. cit. 66

Jocelyn Maclure. « Justice et tolérance » dans le cadre des Journées provinciales de formation continue en

éthique et culture religieuse, 22 novembre, Québec

Page 36: Quelle posture professionnelle pour l'enseignant d'Éthique et … · 2018-04-21 · iii RÉSUMÉ L’enseignant d’Éthique et culture religieuse, depuis la mise en place du programme

30

posait ironiquement, lors de sa conférence La tolérance : sens, pertinence et limites d’une

notion problématique67

, la question suivante : « Aimons-nous d’ailleurs être supporté? ».

Au regard de ces considérations sémantiques, on pourrait à juste titre affirmer que le

concept de tolérance est relatif à un rapport inégalitaire de domination basé sur

l’élémentaire concession faite à l’erreur, et non sur une attitude de franc respect de l’Autre,

de sa pratique ou de sa vision du monde68

. En d’autres mots, tolérer la différence serait

synonyme, dans cet esprit, d’accepter d’en subir les effets négatifs. À titre anecdotique,

mentionnons que la Fondation de la tolérance à laquelle Andrade contribue à titre de

chercheur a d’ailleurs dernièrement pris la décision, sur la base d’une réflexion à propos de

la pertinence du mot « tolérance », de renommer l’organisme. Ainsi, l’équipe a fait sienne

l’expression Ensemble pour le respect de la diversité, selon elle davantage représentative

de leur action réelle au sein de la collectivité.

La tolérance de la différence de l’Autre comme moyen d’affirmer une volonté de

s’ouvrir à lui apparaît selon Bourgeault et Pietrantonio comme la manifestation d’une

« étonnante naïveté du majoritaire ». Il s’agirait donc d’une ambition inopérante puisqu’elle

constitue en fait l’activation de deux postures naturellement antagonistes : l’ouverture et

l’enfermement69

. Aussi Costa-Lascoux indique-t-elle que le droit à la différence représente

une fausse reconnaissance de la pluralité culturelle, une forme subtile de rejet de l’Autre, en

d’autres mots, un euphémisme ne permettant pas de s’engager dans une voie positive de

dialogue et de cohabitation70

. Toujours selon Andrade, la tolérance ne constituerait donc

pas un droit fondamental, mais plutôt une place concédée à l’étranger par l’acteur du

majoritaire, qui clame et alimente du coup sa propre supériorité grâce à la mainmise qu’il a

sur l’univers symbolique. De ce fait, la notion ne contribuerait en rien à lutter contre les

inégalités et c’est pourquoi, faisant référence à Georges Leroux, Andrade affirme que la

tolérance est une vertu trop minimale. Elle porterait en elle une vision fondamentalement

négative de la différence, d’autant plus si elle est exprimée par une majorité71

. Le

développement inverse de cette idée est également concevable : la revendication du

67

Miguel Simao Andrade op cit. 68

Ibid. 69

Bourgeault et Pietrantonio dans France Gagnon, Marie McAndrew et Michel Pagé op. cit., p. 246 70

Costa-Lascoux dans Marie-Antoinette Hily et Marie-Louise Lefebvre (dir.) op. cit., p. 58 71

Leydet dans Daniel M. Weinstock (dir.) op. cit., p. 107

Page 37: Quelle posture professionnelle pour l'enseignant d'Éthique et … · 2018-04-21 · iii RÉSUMÉ L’enseignant d’Éthique et culture religieuse, depuis la mise en place du programme

31

« droit » à la différence apparaîtrait comme une antinomie et représenterait, selon

Bourgeault et Pietrantonio, un « acte d’allégeance au référent72

». Or, peut-être gagnerions-

nous à bonifier cette approche basée sur l’indulgence pour s’employer à réellement changer

les rapports interculturels de manière à retirer les bienfaits d’un vivre-ensemble consenti.

Pour cette raison, Goethe affirmait dans ses Maximes et réflexions que « la tolérance ne

devrait être qu’un état transitoire. Elle doit mener au respect. Tolérer, c’est offenser ».

Concrètement, la désapprobation formulée à l’égard du port du voile musulman via

le projet de loi proposé par le Parti québécois découvre les limites du principe de tolérance.

De fait, la pratique était tolérée au Québec. En effet, bien qu’une certaine frange de la

société la désapprouvait en vertu de principes tels que l’égalité entre les sexes ou

l’émancipation religieuse, l’État et les individus s’autocontraignaient, et ce faisant aucune

disposition légale notoire n’avait jusqu’alors été prise pour la restreindre. Or, en exprimant

le souhait de le contingenter, le gouvernement Marois a tendu une perche à la dénonciation

du port du voile et à l’indignation face à ce symbole religieux. Manifestement, la

compréhension de cette pratique demeure partielle, puisque sont souvent omis ses fonctions

identitaires ou spirituelles et le fait qu’elle est constitutive d’une éthique de vie globale. On

tolérait donc ce signe religieux proportionnellement à la compréhension que l’on en avait,

mais la potentialité qu’une forme de marginalisation de cette pratique soit légiférée a

également eu pour effet d’ouvrir un espace à l’expression de sa condamnation.

Un rappel au réalisme s’impose toutefois : comme le souligne Maclure,

l’autocontrainte, déjà, est une disposition estimable. Force est en effet de rendre à la

tolérance l’exploit d’avoir pacifié l’Europe à une époque où l’intolérance religieuse a

déchiré le continent73

. Si elle est une vertu trop minimale, elle vaut tout de même mieux

que la violence. Or, souhaitons-nous amener les jeunes à « tolérer » la culture de l’Autre,

seulement, ou voudrions-nous plutôt les guider dans une pleine reconnaissance de celle-ci?

Ce questionnement dépassant à notre sens largement l’élémentaire tâtonnement lexical nous

apparaît fondamental puisqu’il est susceptible d’orienter l’enseignant dans son

72

Bourgeault et Pietrantonio dans France Gagnon, Marie McAndrew et Michel Pagé op. cit., p. 239 73

Jocelyn Maclure, op cit.

Page 38: Quelle posture professionnelle pour l'enseignant d'Éthique et … · 2018-04-21 · iii RÉSUMÉ L’enseignant d’Éthique et culture religieuse, depuis la mise en place du programme

32

enseignement de la différence à l’école. Le choix de terme à employer constitue, en somme,

un but à atteindre, un objectif à l’égard de la conception de l’Autre. Ainsi, il faudrait

troquer l’emploi du mot « tolérance » qui renvoie à la clémence, voire à la magnanimité,

pour l’usage d’un corpus lexical orienté davantage vers les gains possibles relatifs à la

reconnaissance de l’Autre et reflétant mieux l’esprit pluraliste dont il sera question

ultérieurement.

Pour notre part, l’emploi du vocable « reconnaissance » (faisant référence à l’une

des deux finalités du programme d’ÉCR, la Reconnaissance de l’Autre) nous apparaît

adéquat puisqu’exempt de l’idée de la complaisance, il est au contraire porteur de lucidité

face à la différence et prometteur sur le plan de l’intégration. C’est en reconnaissant sa

valeur que la société acquerra l’audace de surpasser l’accommodement stérile afin de

l’exploiter en tant que richesse identitaire et sociale. Privilégier une « reconnaissance

raisonnable » des différences serait ainsi, selon Maclure et Charles Taylor, garant du

développement d’un sentiment d’appartenance et d’identification dans les sociétés

plurielles74

. Pourtant, il va de soi que dans l’optique de l’atteinte de cette visée, un travail

de fond reste à faire : établir un socle de valeurs communes, favoriser la connaissance

religieuse, dynamiser une affirmation identitaire, actualiser l’accomplissement du jugement

éthique et délier certains préjugés apparaissent comme quelques-unes des tâches, bien que

colossales, indispensables à la reconnaissance de la différence et qui doit passer, nous le

pensons, par une éducation de fond sur les questions religieuses et éthiques. En effet,

comme l’indique Diane L. More, « l’inculture religieuse est souvent un facteur qui

contribue à créer un climat favorable à l’émergence incontrôlée de certaines formes

d’intolérance et de déformation de la réalité75

. » Denise Bombardier soutenait pour sa part,

dans le cadre d’un article paru dans la revue Virage, que « les gens de ces générations sont

devenus des handicapés culturels76

». Notons enfin que Bombardier et More abondent

74

Jocelyn Maclure et Charles Taylor op. cit. 75

More dans Mireille Eztivalèzes et Solange Lefebvre (dir.). Le programme d’éthique et culture religieuse :

de l’exigeante conciliation entre le soi, l’autre et le nous, Québec : Presses de l’Université Laval, 2012, p.

114-115 76

Pascale Sauvé. « Les repères culturels religieux : Un élément important pour la formation des jeunes » dans

Virage : instruire, socialiser, qualifier ensemble, 2004, volume 6, no 5

Page 39: Quelle posture professionnelle pour l'enseignant d'Éthique et … · 2018-04-21 · iii RÉSUMÉ L’enseignant d’Éthique et culture religieuse, depuis la mise en place du programme

33

exactement dans le même sens en reliant d’emblée cette lacune culturelle patente à une

carence quant à la connaissance du religieux.

1.3 LE RÔLE PROFESSIONNEL DE L’ENSEIGNANT

Certes, les ambitions rattachées à la mise en place du cours d’ÉCR sont

prometteuses au regard de la question du vivre-ensemble. En effet, mener les élèves, futurs

citoyens, à complexifier leur rapport à la culture et à ouvrir leurs horizons s’instituent en

visées garantes d’une société empathique à la différence et empreinte de rapports de

réciprocité humaine. Or, il appert que l’intégration du programme ne s’effectue pas à ce

jour de façon entièrement harmonieuse. En effet, une série d’expérimentations et une

importante campagne de promotion ont accompagné son implantation ainsi, il va de soi,

qu’un vent de contestation au sein de la population et des différents intervenants concernés.

Toutefois, il n’était pas question, pour le MELS, de reculer : la reconnaissance de l’autre et

la poursuite du bien commun sont des finalités qu’il ne faut pas quitter des yeux, et tous les

efforts doivent, dorénavant et compte tenu des enjeux sociaux nouveaux, tendre vers la

réalisation de ces idéaux. Aussi le rôle de l’enseignant qui se voit accorder la responsabilité

de guider les élèves à travers ce processus apparaît-il important, voire primordial, au regard

des visées formulées. De ce fait, il s’avère utile d’examiner les paramètres de la prise en

charge de cette responsabilité qui apparaît par ailleurs comme la clé de voûte de la réussite

du programme et de la promesse de sa pérennité. Plus précisément, la posture que doit

adopter l’enseignant d’ÉCR s’impose comme un élément clé de sa viabilité puisque celle-ci

agit à titre de mortier permettant d’unir les contenus de formation, les compétences à

développer ainsi que l’évaluation des apprentissages.

Or, la posture professionnelle a fait l’objet de spéculations et d’interprétations au

sujet des indications pourvues par les auteurs du programme. Ce phénomène

d’appropriation, normal puisque rattaché aux convictions et à l’identité enseignante, est

aussi fondamental puisqu’il constitue un enjeu notoire dans la question de l’éthique

professionnelle des enseignants. Par ailleurs, nous ne pouvons passer sous silence que la

Page 40: Quelle posture professionnelle pour l'enseignant d'Éthique et … · 2018-04-21 · iii RÉSUMÉ L’enseignant d’Éthique et culture religieuse, depuis la mise en place du programme

34

question de la posture professionnelle n’est pas sans apporter de l’eau au moulin des

détracteurs du programme qui, à l’instar de Guy Durand, mettent en lumière le manque de

précision, voire les contradictions, qui masquent le rôle réel de l’enseignant77

. Il nous

apparaît au demeurant essentiel de rendre compte des orientations ministérielles à ce propos

via un examen des indications relatives à la posture enseignante formulées par les auteurs

du programme. Cet exercice permettra de jauger la mesure dans laquelle les enseignants

sont libres d’agir et de s’approprier leur propre rôle.

Notons, dans un premier temps, que les documents fournis par le MELS, à savoir les

programmes d’enseignement primaire et secondaire à proprement parler ainsi que La mise

en place d’un programme d’éthique et de culture religieuse : une orientation d’avenir pour

tous les jeunes du Québec sont fertiles et procurent sur le sujet des indications assez

précises. Le préambule du programme contient à titre d’exemple une partie intitulée

Exigences nouvelles liées à la posture professionnelle dans laquelle sont présentées les

responsabilités de l’enseignant d’ÉCR. À la douzième page du programme, deux parties

sont également consacrées au rôle de l’enseignant et à sa posture professionnelle. L’examen

de ces documents officiels, déjà, permet de cerner les orientations globales du programme.

Ainsi les principales fonctions de l’enseignant émergent-elles, pouvant être rassemblées de

façon à être présentées sous trois désignations génériques que nous jugeons éloquentes.

Dans un premier temps, l’enseignant d’ÉCR est un passeur culturel. Il doit, dans un second

ordre d’idée, agir à titre d’accompagnateur et de vecteur de dialogue. Il est enfin détenteur

d’un devoir de réserve. Ces trois fonctions de l’enseignant seront approfondies dans les

pages qui suivent et seront examinées à la lumière de la perspective de divers penseurs.

Nous verrons, précisons-le, à laisser émerger les discours dissonants qui permettent de

mettre en perspective les principes énoncés dans les documents ministériels officiels.

77

Guy Durand. Le cours d’ECR : au-delà des apparences, Montréal : Guérin, 2009, p. 79

Page 41: Quelle posture professionnelle pour l'enseignant d'Éthique et … · 2018-04-21 · iii RÉSUMÉ L’enseignant d’Éthique et culture religieuse, depuis la mise en place du programme

35

A. La dimension culturelle du programme d’ÉCR

Le premier rôle qui incombe à l’enseignant est amarré à la dimension culturelle du

programme d’ÉCR puisqu’il est en effet appelé à agir à titre d’héritier d’objets de culture78

.

Plus précisément, l’enseignant joue auprès de ses élèves « le rôle de passeur culturel, c’est-

à-dire de celui qui jette des ponts entre le passé, le présent et le futur, notamment en ce qui

a trait à la culture québécoise79

». Mentionnons qu’ici, culture n’est pas entendue au sens

strict d’objets issus de la littérature, du cinéma, des arts de la scène, etc. La culture, à

travers le prisme de l’éducation, possède le sens plus large de culture humaine, que ce soit

relativement aux préoccupations proprement éthiques ou aux manifestations du religieux.

Pour reprendre les mots de Paul Inchauspé, « ce monde auquel il faut les préparer est un

monde culturel80

». Cette culture at large, c’est également celle qui relève des modes de vie

et de l’environnement immédiats, puis de la prise en compte de la diversité possible de ces

derniers. De fait, l’éducation vise donc l’élargissement de la culture. Ainsi l’enseignant

doit-il professer dans le sens de la prolifération culturelle que ce soit dans l’espace qu’offre

le volet éthique du programme qu’en regard de la culture religieuse. Il est voulu que l’élève

dépasse ses préoccupations initiales, l’a priori connu, en développant des outils lui

permettant de s’engager dans une appréhension plus globale des manifestations humaines.

Aussi Mireille Estivalèzes indique-t-elle pour sa part, dans son texte Former à la culture

religieuse : de quelques défis et difficultés, que l’enseignant est « tenu […] d’aider les

élèves à développer de nouveaux rapports à eux-mêmes, à autrui et au monde81

». La

stratégie envisagée est d’implanter les apprentissages dans la réalité immédiate de l’élève

de manière à ce que celui-ci s’approprie des objets de culture qui le concernent, pour qu’il

soit, dans une ultime mesure, enclin à laisser « élargir ses horizons82

».

78

Estivalèzes dans Jacques Cherblanc et Dany Rondeau (dir.). La formation à l’éthique et à la culture

religieuse : un modèle d’implantation de programme, Québec : Les Presses de l’Université Laval, 2010, p.

166 79

Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport. Éthique et culture religieuse : programme du premier cycle

et du deuxième cycle du secondaire, Québec : Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2008, p. 12 80

Paul Inchauspé. Pour l’école : lettres à des enseignants sur les réformes des programmes, Montréal : Liber,

2007, p. 40 81

Mireille Estivalèzes dans Jacques Cherblanc et Dany Rondeau (dir.) op. cit., p.166 82

Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport. La mise en place d’un programme d’éthique et de culture

religieuse : une orientation d’avenir pour tous les jeunes du Québec, op. cit., p. 5

Page 42: Quelle posture professionnelle pour l'enseignant d'Éthique et … · 2018-04-21 · iii RÉSUMÉ L’enseignant d’Éthique et culture religieuse, depuis la mise en place du programme

36

Cette finalité que l’on qualifiera d’ouverture dynamique au monde correspond au

rapport que l’élève sera en mesure d’établir, du moins est-ce espéré, entre les valeurs et la

culture qui lui sont propres, qui forment d’emblée son patrimoine, et celles qui ne sont pas

siennes, mais qui le concernent néanmoins grâce au lien invisible de l’humanité.

L’éducation, dans cette perspective, vise à mener les élèves à enrichir leur culture première

en visant du coup l’émergence d’une seconde. Aussi Fernand Dumont perçoit-il plus

précisément ce lien comme celui qui existe entre culture comme milieu et culture comme

horizon, au regard desquelles une médiation doit s’effectuer par l’édification d’un rapport

dynamique83

. Denis Simard définit ainsi ce rapport culturel : il s’agit de la « prise de

distance à l’égard de la culture première puis [de l’] élaboration d’une culture seconde84

».

Il souligne, dans la perspective d’une approche culturelle de l’enseignement, que la culture

doit être envisagée comme un « processus dynamique à travers lequel l’individu entre en

relation avec lui-même et les autres85

» et non pas simplement comme un ensemble d’objets

constitués. De fait, c’est la prise de conscience de l’existence de ces deux sphères

culturelles qui annonce l’établissement d’un rapport réflexif via lequel la culture devient,

plus qu’un ensemble d’objets, le moteur de l’ouverture dynamique dont parlait Estivalèzes.

Les perspectives d’ouverture aux objets de culture seconde et d’appropriation d’une

culture-horizon, pour réinvestir les schèmes des auteurs cités précédemment, offrent un

cadre théorique opérant à la question de l’enseignement de la différence. En effet, c’est

lorsque confronté à des objets culturels qui ne s’inscrivent pas dans son environnement

immédiat que l’élève fait connaissance avec la différence. Ici, l’emploi du terme

« confronté » est important et délibéré puisque c’est effectivement généralement dans une

disposition spontanée de surprise, de curiosité, voire de choc, que l’élève entre d’abord en

relation avec l’altérité constituée de ces objets issus d’une culture qui ne lui est pas de

prime abord familière et qui peut même être considérée comme une menace. C’est en

s’engageant dans un dialogue à propos de ces derniers par le biais de questionnements,

d’efforts de compréhension, de comparaisons et de divers autres processus intellectuels

83

F. Dumont. (1971) « Le rôle du maître : aujourd’hui et demain ». Action pédagogique, 17, pp. 49-61. 84

D. Simard, E. Falardeau, J. Émery.-B. et H. Côté. « En amont d’une approche culturelle de l’enseignement :

le rapport à la culture ». Dans Revue des sciences de l’éducation (pp. 287 - 304), 2007, volume 33, no 2. 85

Ibid.

Page 43: Quelle posture professionnelle pour l'enseignant d'Éthique et … · 2018-04-21 · iii RÉSUMÉ L’enseignant d’Éthique et culture religieuse, depuis la mise en place du programme

37

qu’il sera à même de se les approprier et de les intégrer à ce qu’il pourra désormais

qualifier de culture actualisée (culture seconde). Il convient en contrepartie de noter que

s’approprier un objet de culture n’implique pas nécessairement d’y adhérer, encore moins

de l’aimer. Il s’agit plutôt d’entrer en relation avec celui-ci en établissant un rapport réflexif

avec lui.

Or, la Faculté de théologie de l’université de Montréal, dans son mémoire présenté à

la Commission de l’éducation de l’Assemblée nationale, met en relief l’importance de

maintenir, voire d’alimenter, les référents identitaires culturels des québécois pour l’atteinte

d’une implication saine dans un dialogue interculturel probant et positif. Le collectif insiste,

il va de soi, sur le patrimoine catholique agissant comme mortier social, et prône de ce fait

sa protection et le maintien de son statut privilégié. À cet effet, conserver un horizon

religieux propre apparaît pour les auteurs garant d’un positionnement positif dans le

pluralisme symbolique caractérisé par une recomposition culturelle humanitaire globale. Il

est donc essentiel que les jeunes soient dotés d’outil pour gérer leur patrimoine, mais

également les patrimoines divers. Pour Louis Rousseau, l’école joue un rôle fondamental et

« matriciel » dans cette refonte culturelle commune86

. Cette analyse identitaire dépasse

selon nous largement le cadre de ce mémoire, mais elle permet néanmoins de justifier la

prépondérance du contenu relatif à la tradition judéo-chrétienne dans le programme d’ÉCR.

L’enseignant d’ÉCR, au demeurant, apparaît comme un gardien des objets de

savoirs culturels relatifs au fait religieux et à la pensée humaine et est affecté du mandat de

la transmettre aux élèves en la rendant accessible et intelligible. L’école s’institue donc en

lieu de transmission culturelle, comme le souligne Inchauspé, ce qui pose le postulat

d’enseignants passeurs culturels et éveilleurs d’esprits87

. Manifester une compréhension du

religieux et Réfléchir sur des questions éthiques, par leur composante et les attentes de fin

de cycle qui leur sont reliées, constituent des compétences à développer qui promettent

d’agir chez l’élève comme moyens d’établir cette relation au monde culturel pendant son

86

Louis Rousseau dans « Contribuer à la construction d’une culture publique commune qui tient compte de la

diversité » (table ronde) dans le cadre des Journées provinciales de formation continue en éthique et culture

religieuse, 2013 87

Paul Inchauspé, op. cit.

Page 44: Quelle posture professionnelle pour l'enseignant d'Éthique et … · 2018-04-21 · iii RÉSUMÉ L’enseignant d’Éthique et culture religieuse, depuis la mise en place du programme

38

parcours scolaire et, dans une plus large mesure, tout au long de son existence citoyenne.

Or, déployer un rapport significatif entre la culture première de l’élève et une culture

seconde qu’il sera amené à s’approprier au fil de sa formation apparaît comme un vecteur

du vivre-ensemble et va nettement dans le sens des orientations du ministère à propos du

programme d’ÉCR.

Force est toutefois de constater que tous les enseignants ne portent pas le même

regard sur les objets de culture humaine, aussi n’abordent-ils pas les éléments de contenu

en employant le même ton. Un exemple révélateur est celui qui a été soulevé en

introduction à propos de la façon de traiter les nouveaux mouvements religieux au Québec.

Alors qu’un premier enseignant appuyait sa leçon sur le vocable « secte » et s’employait

principalement à lever le voile sur les dangers inhérents à l’action de leaders mal

intentionnés, le second présentait ces groupements religieux comme des faits sociaux qui

marquent la société contemporaine et qui existent avec leur diversité de pratiques, leur

contexte de création et la tendance au prosélytisme qui leur est parfois reprochée. Cette

dichotomie met à tout le moins en lumière le fait que la compétence culturelle est

susceptible de créer un flou pédagogique et peut induire un décalage éducatif parmi les

élèves d’une même école et d’un même niveau. Nous sommes d’avis que cet écart est

symptomatique d’une certaine lacune dans le programme et peut s’avérer nuisible pour

l’intégrité du cours lui-même.

À l’aune de cette situation, il apparaît évident que les connaissances ne suffisent pas

pour l’atteinte des idéaux relatifs à la culture fixés par les penseurs du programme et

qu’elles ne sont pas les seuls éléments constitutifs d’une posture professionnelle. Comme

l’indiquait Marie-Paule Deslauniers lors de la conférence donnée dans le cadre du 5e forum

Éthique et culture religieuse, « C’est l’attitude de l’enseignant qui est la plus

déterminante88

». Il va donc de soi de s’intéresser désormais au rôle d’accompagnateur qui

incombe à l’enseignant.

88

Marie-Paule Deslauniers. « Comment être un passeur culturel tout en évitant le piège du nous… et les

autres » dans le cadre du 5e forum Éthique et culture religieuse, 2009

Page 45: Quelle posture professionnelle pour l'enseignant d'Éthique et … · 2018-04-21 · iii RÉSUMÉ L’enseignant d’Éthique et culture religieuse, depuis la mise en place du programme

39

B. Le dialogue comme vecteur de vivre-ensemble

Si la prise en charge du cours d’ÉCR requiert, de la part des enseignants,

l’édification d’un rapport dynamique à la culture humaine, elle prend aussi ancrage dans

l’attitude du maître qui doit s’instituer en « accompagnateur » vis-à-vis ses élèves. Comme

consignée dans le paragraphe relatif au rôle de l’enseignant d’ÉCR dans le programme de

formation, la première responsabilité de ce dernier est « d’accompagner et de guider ses

élèves dans leur réflexion éthique, dans leur compréhension du phénomène religieux et

dans leur pratique du dialogue89

». Les auteurs du programme s’emploient à préciser cette

perspective d’accompagnement dans la section Rôle professionnel du programme de

formation : « […] dans ce cours, l’enseignant est un guide pour les élèves. Il les aide à

passer de la simple expression d’opinions à la clarification de points de vue et à leur

analyse90

». S’inscrivant franchement dans l’esprit du renouveau pédagogique global au

Québec, cette idée d’enseignant-guide est capitale et marque un virage paradigmatique

notoire quant au champ d’action du pédagogue, surtout vis-à-vis la question religieuse. En

effet, l’enseignant n’est plus une courroie de transmission de connaissances brutes, mais un

accompagnateur dans l’appropriation d’attitudes et de comportements. Aussi ne doit-il pas

avoir le « monopole des réponses91

», du moins est-ce ce qu’avancent les auteurs du

programme de formation. Leroux soutient de son côté que les élèves doivent percevoir que

même leur enseignant ne peut « se reposer sur une vérité définitive92

». Watters simplifie

pour sa part cette idée en affirmant à l’intention des parents : « Bref, il [l’enseignant

d’ÉCR] n’a pas à penser pour eux93

. »

Si l’enseignant entretient des opinions à propos de questions relatives à l’éthique ou

à la culture religieuse, corollaires inévitables de l’exercice d’un sens critique propre, il ne

doit pas, en contrepartie, les exposer. Il lui est plutôt demandé d’accompagner les élèves

dans leur appropriation des éléments de contenu ainsi que dans leur recherche de réponses

quant aux questionnements soulevés en stimulant « le développement d’un sens critique qui

89

Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport. Éthique et culture religieuse : programme du premier cycle

et du deuxième cycle du secondaire, op cit. p. 12 90

Ibid. 91

Ibid. 92

Georges Leroux. « Le rôle de l’enseignant dans le programme ÉCR » dans Vivre le primaire (p. 48), 2008,

volume 21, numéro 4. 93

Denis Watters. Petit guide ECR-101 : [éthique et culture religieuse], Québec : Denis Watters consultants,

2008, p. 26

Page 46: Quelle posture professionnelle pour l'enseignant d'Éthique et … · 2018-04-21 · iii RÉSUMÉ L’enseignant d’Éthique et culture religieuse, depuis la mise en place du programme

40

aide les élèves à comprendre que toutes les opinions n’ont pas la même valeur94

. » Il les

escorte en quelque sorte dans leur développement d’outils intellectuels tels la curiosité,

l’esprit critique et l’ouverture. Or, qu’il nous soit permis de nous questionner, à l’instar de

Jean-François Roussel de la faculté de théologie de l’université de Montréal, sur la

cohérence de ce mécanisme pédagogique : que l’on demande à l’enseignant « d’amener

l’élève à entrer dans un registre de réflexion tout en se l’interdisant lui-même95

» constitue

une position en soi intenable. L’auteur soutient que « Ce que l’on demande aux élèves

devrait être accompli par l’enseignant en premier lieu96

». Nous y reviendrons dans la partie

portant sur la neutralité de l’enseignant.

En plus d’agir à titre de guide pour ses élèves en les soutenant dans leurs

apprentissages, l’enseignant est appelé à aménager un espace de dialogue en classe. En

effet, il est souhaité qu’il « s’efforce de créer un climat propice à un authentique dialogue

entre les membres de la communauté d’apprentissage qu’est la classe97

. » De cette façon,

les élèves seront à même de développer la compétence « dialogue », mortier liant les deux

compétences du programme (Réfléchir sur des questions éthiques et Manifester une

compréhension du phénomène religieux) ainsi que pierre angulaire de l’atteinte du vivre-

ensemble98

. L’objectif : ouvrir les élèves à la diversité des valeurs, des croyances et des

cultures. Les outils : la curiosité, le questionnement et le discernement. L’enseignant doit

donc laisser toute la place aux questions et accueillir les positionnements intellectuels de

ses élèves. Pour Robert Jackson, la condition nécessaire à cette réalisation est ce qu’il

appelle l’« ouverture épistémologique » renvoyant à la sensibilité et à l’ouverture positive à

l’égard de la différence99

. Estivalèzes parle pour sa part d’écoute mutuelle et de respect100

.

94

Denis Watters. Petit guide ECR-101 : [éthique et culture religieuse], op. cit. 95

Roussel dans Solange Lefebvre (dir.). Religion et identités dans l’école québécoise : comment clarifier les

enjeux, Québec : Fides, 2000, p. 76-77 96

Ibid. 97

Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport. Éthique et culture religieuse : programme du premier cycle

et du deuxième cycle du secondaire, op. cit. 98

Réfléchir sur des questions éthiques et Manifester une compréhension du phénomène religieux ont été

établis comme les deux compétences maîtresses du programme d’ÉCR. Le dialogue n’est donc plus considéré

comme une compétence à proprement parler, mais comme un outil pour le développement des volets « culture

religieuse » et « éthique ». 99

Jackson dans Fernand Ouellet. Quelle formation pour l’éducation à la religion?, Québec : Les Presses de

l’Université Laval, 2005, p. 136 100

Estivalèzes dans Jacques Cherblanc et Dany Rondeau (dir.) op. cit., p. 166

Page 47: Quelle posture professionnelle pour l'enseignant d'Éthique et … · 2018-04-21 · iii RÉSUMÉ L’enseignant d’Éthique et culture religieuse, depuis la mise en place du programme

41

Ainsi le pédagogue est-il appelé à établir un espace dans lequel les élèves ne se sentiront ni

jugés, ni malaisés d’articuler un point de vue critique. Or, l’enseignant étant un modèle

pour ses élèves, il est à souhaiter que son attitude d’ouverture et d’écoute apparaisse

manifeste dans la classe et que les élèves eux-mêmes se l’approprient afin de se positionner

à leur tour dans le cadre de dialogues positifs et constructifs.

En somme, il s’avère capital pour l’enseignant d’ÉCR de promouvoir un certain

nombre de valeurs afin de rendre possible un réel dialogue au sein de sa classe. C’est là que

son rôle professionnel d’accompagnateur devient, à notre sens, le plus riche, mais aussi le

plus complexe. Ainsi l’ouverture à la diversité, le respect des convictions, la reconnaissance

de soi et des autres et la recherche du bien commun101

s’imposent-ils comme des valeurs

fondamentales qui doivent faire autorité dans la classe pour, enfin, devenir norme à

l’échelle sociale. Or, l’avènement du respect des convictions et de l’ouverture à la diversité

signifie-t-il que tous les positionnements intellectuels se valent? Le fait que l’enseignant

n’ait pas le monopole des réponses veut-il dire qu’il ne détient pas l’autorité requise pour

accueillir défavorablement une position irrespectueuse qui porterait atteinte à la dignité

humaine? Voilà des préoccupations qui nous orientent vers la question des devoirs de

réserve et de neutralité de l’enseignant d’ÉCR.

C. Le devoir de neutralité : un silence obligé?

Le dernier volet du rôle professionnel de l’enseignant d’ÉCR qu’il nous sera donné

d’aborder, celui du devoir de réserve, est sans doute le plus sensible puisqu’il renvoie à des

questions telles que le jugement professionnel et l’intégrité enseignante. Employons-nous

donc à jauger, de façon à dresser les contours d’une posture professionnelle bienséante à

l’égard de questions relatives à la différence, la force du lien qui devrait unir la neutralité et

le mutisme de l’enseignant à propos de ses convictions.

Il importe de le mentionner au passage, la question de la neutralité est surtout

épineuse au regard des sujets relatifs à la religion. En effet, comme le souligne Leroux, le

101

Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport. Éthique et culture religieuse : programme du premier

cycle et du deuxième cycle du secondaire, op cit. [préambule]

Page 48: Quelle posture professionnelle pour l'enseignant d'Éthique et … · 2018-04-21 · iii RÉSUMÉ L’enseignant d’Éthique et culture religieuse, depuis la mise en place du programme

42

volet culture religieuse du programme requiert un effort d’abstention plus rigoureux que sa

sphère éthique102

. Cet impératif spécifique est pour l’essentiel tributaire du fait que la

religion rassemble, par son caractère expérientiel, un ensemble de questions sensibles et

émotives, autant pour l’enseignant que pour les élèves issus de milieux familiaux

diversifiés103

. En effet, plusieurs auteurs abondent dans le sens de Solange Lefebvre, par

exemple, qui admet d’emblée l’aspect explosif de la question religieuse, ou dans celui de

Corinne Bonafoux qui compte la religion au nombre des questions socialement vives

(QSV). Cette dernière reconnaît son potentiel polémique à ce qu’elle cristallise une tension

entre les approches croyante et savante, relève de l’intime et excite l’affirmation

identitaire104

. À cet effet, Watters indique que le programme d’ÉCR « touche à des valeurs

et à des convictions qui peuvent être chères aux parents105

», ce qui doit inciter l’enseignant

à aborder les éléments de contenu avec précaution et circonspection afin de ne pas heurter

les sensibilités familiales.

D’entrée de jeu, il est spécifié dans le préambule du programme de formation que

l’enseignant d’ÉCR doit agir dans le sens d’un impératif professionnel relatif à la réserve et

au respect. Aussi celui-ci ne doit-il pas « faire valoir ses croyances ni ses points de vue106

».

Dans un souci de simplification, Watters précise que les indications ministérielles

l’astreignent à « ne pas exprimer ce qu’il pense ni ce qu’il croit personnellement107

», et ce

de façon à ne pas faire interférer ses propres valeurs dans le traitement des questions

soulevées en classe. Une lecture intransigeante de cette prescription professionnelle nous

mènerait à la conclusion que l’enseignant d’ÉCR doit s’ignorer et faire fi des valeurs qui

sous-tendent sa pédagogie, son professionnalisme et son adhésion aux principes

démocratiques. Nous sommes néanmoins d’avis qu’une interprétation pondérée du devoir

de réserve serait souhaitable puisqu’elle engagerait l’enseignant sur la voie de la distance

critique et de la retenue mesurée. Il s’agirait pour l’enseignant d’établir un écart réfléchi

102

Georges Leroux op. cit., p. 48 103

Dominique Borne et Jean-Paul Willaime op. cit., p. 45 104

Corinne Bonafoux,« Enseigner le fait religieux et no les religions : analyse d’un débat en pays de laïcité »

dans le cadre du colloque Enseigner les religions : regards et apports de l’histoire, 2012 105

Denis Watters op. cit., p. 25 106

Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport. Éthique et culture religieuse : programme du premier

cycle et du deuxième cycle du secondaire, op cit. [préambule] 107

Denis Watters op. cit., p. 25

Page 49: Quelle posture professionnelle pour l'enseignant d'Éthique et … · 2018-04-21 · iii RÉSUMÉ L’enseignant d’Éthique et culture religieuse, depuis la mise en place du programme

43

entre ses convictions, lesquelles relèvent de son propre système de référence108

, et les

éléments de contenu à l’étude.

Jeffrey pose à cet effet une question fondamentale : « Quel est le véritable sens de la

réserve professionnelle?109

» S’agit-il essentiellement de taire ses propres convictions, ou

convient-il que l’enseignant se montre tout à fait impartial devant toute question épineuse?

Plus qu’un simple tâtonnement rhétorique, cette interrogation est capitale dans la mesure où

son issue est susceptible d’orienter l’enseignant dans l’exercice de sa profession, de teinter

son attitude en classe et d’influencer les attentes extérieures à son égard. Qui plus est, cette

préoccupation est fondamentale puisqu’elle est relative à son intégrité et à la nature de son

rôle. Jeffrey pose encore la question de la limite de ce devoir de réserve110

. Dans quelle

mesure un enseignant est-il contraint à traiter le fait religieux ou éthique dans une

perspective de neutralité? Comment aborder des pratiques telles que l’excision des femmes,

par exemple, ou la lapidation? Y a-t-il des situations où le jugement de l’enseignant devrait

être pris en considération et agir à titre de référent, ou doit-il être en tout temps et à tout

prix ignoré? Une question telle que le port du voile intégral doit-elle être traitée de la même

façon que l’holocauste, par exemple? S’il ne fait aucun doute pour nous que ce dernier doit

absolument être abordé sous l’angle du viol des droits individuels et en tant que drame

humain, il n’en est pas de même pour le premier objet d’étude. Pourtant, le port du voile

intégral pourrait être présenté comme le symbole d’une inégalité entre les hommes femmes

et en tant qu’outil de soumission. Or, il serait très malaisé, pour un enseignant, de se

positionner clairement sur cette question, alors que demeurer neutre sur la question de

l’holocauste serait, à l’opposé, résolument inapproprié. Comment, donc, évaluer le degré de

consensus moral inhérent à chaque question soulevée en classe? Cette imprécision sera

déliée dans les parties ultérieures et nous nous emploierons à établir un processus réflexif

que nous espérons fonctionnel et aidant.

108

Estivalèzes dans Jacques Cherblanc et Dany Rondeau (dir.) op. cit., p. 167 109

Jeffrey dans M’hammed Mellouki (dir.) Promesses et ratés de la réforme de l’Éducation au Québec,

Québec : Les Presses de l’Université Laval, 2010, p. 246 110

Ibid.

Page 50: Quelle posture professionnelle pour l'enseignant d'Éthique et … · 2018-04-21 · iii RÉSUMÉ L’enseignant d’Éthique et culture religieuse, depuis la mise en place du programme

44

Le principe de jugement professionnel s’avère pour le moment éclairant. Tel qu’il

nous est en effet donné de le lire dans les pages du programme de formation, l’enseignant

est appelé à faire preuve d’un « jugement professionnel empreint d’objectivité et

d’impartialité111

». Dans le sens de cet impératif, Luc Bégin met en lumière, dans le cadre

du cinquième forum Éthique et culture religieuse, l’influence naturelle qu’exerce

l’enseignant, à titre de personne référence, sur ses élèves. Aussi précise-t-il que celui-ci

« interfère inévitablement dans le processus d’élaboration du point de vue des jeunes112

».

Ce pouvoir intellectuel que possède l’enseignant, renforcé par la nature sensible des

questions relatives à l’éthique et à la culture religieuse, nous place inévitablement devant le

péril de l’endoctrinement. En effet, si le programme indique à l’enseignant, nous l’avons

vu, de s’abstenir de promouvoir son opinion, il signale qu’il est parallèlement appelé à

entrer en dialogue avec ses élèves. Or, Leroux énonce que le dialogue, outil fondamental

dans l’éducation à l’éthique et à la culture religieuse, ne doit pas devenir un instrument de

propagande113

. Pour Reboul, encore, c’est dans l’accompagnement relativement au

développement de la pensée et du pouvoir d’examiner, de comprendre et de juger que

réside la distinction essentielle entre l’enseignement et l’endoctrinement114

. Aussi les

valeurs, repères et croyances doivent-ils être abordés en classe en tant qu’« objets de savoir

et de culture » et non pas comme des « prétextes pour guider la conscience des élèves »115

.

C’est sur cette délicate et sensible ligne qui existe entre dialogue et endoctrinement que se

tient, dans une position d’équilibre possiblement précaire, l’enseignant d’ÉCR. Si celui-ci

est effectivement appelé à être neutre dans l’exercice de son enseignement, on peut se

demander si cela doit nécessairement se traduire en mutisme de sa part.

Plus qu’une question théorique, cette tension est celle qui existe entre neutralité et

engagement116

et qui est vécue par l’enseignant d’ÉCR qui aborde avec ses élèves des

éléments de contenu parfois sensibles. « Et vous, qu’en pensez-vous? »; « Et vous, y

croyez-vous? » : Les élèves alimentent en général une grande curiosité à l’égard des

111

Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport. Éthique et culture religieuse : programme du premier

cycle et du deuxième cycle du secondaire, op cit. p. 12 112

Bégin dans A. MacKay. « 6e forum Éthique et culture religieuse : conclure pour mieux continuer » dans

Virage : instruire, socialiser, qualifier ensemble, 2009, volume 11, no 4 113

Georges Leroux op. cit., p. 47 114

Olivier Reboul. L’endoctrinement, Paris : Presses universitaires de France, 1977, p. 110 115

Jean-Pierre Béland et Pierre Lebuis op. cit., p. 135 116

Georges Leroux op. cit., p. 49

Page 51: Quelle posture professionnelle pour l'enseignant d'Éthique et … · 2018-04-21 · iii RÉSUMÉ L’enseignant d’Éthique et culture religieuse, depuis la mise en place du programme

45

convictions de leur enseignant, déchiré entre son devoir de neutralité et un potentiel devoir

de s’engager sur la voie du dialogue. En d’autres mots, l’enseignant a-t-il le droit de

s’impliquer dans le dialogue auquel est accordé tant de valeur? Or, comme le suggère

Leroux, si l’enseignant s’emploie résolument à cacher ses convictions, n’y a-t-il pas un

danger que cela soit perçu comme une carence sur le plan de la prise de position117

? Son

authenticité ne se trouve-t-elle pas dans un tel cas compromise? Pour l’auteur, neutralité ne

doit donc pas être confondue avec inexistence de conviction. Il ajoute avec grande lucidité

que « cet équilibre est le plus délicat de tous, et la majorité des enseignants le

compromettent d’instinct118

». En ce sens, André Lacroix, lors du cinquième forum Éthique

et culture religieuse, secoue l’idée de la neutralité en soutenant que l’« on doit assumer

notre opinion, sans l’imposer; on ne doit pas s’effacer ». L’attitude à préconiser, pour

Leroux, émergerait finalement de l’alliage entre une franchise rigoureuse et un respect

absolu de la croyance en contexte119

. Cela permettrait à l’enseignant d’être à même de tenir

une position authentique qui respecte par ailleurs les impératifs du programme.

À l’aune de ces considérations et tentatives d’éclaircissement en ce qui a trait à la

posture de l’enseignant d’ÉCR, force nous est d’admettre le manque de clarté que certains

auteurs, à l’instar de Jeffrey, dépeignent. D’autres encore, et nous citerons Guy Durand à

cet effet, mettent carrément en lumière les dangers qui émergent du flou épistémologique

qui voile le programme d’ÉCR.

1.4 LES FONDEMENTS THÉORIQUES ANTINOMIQUES DE FINALITÉS

COMPLÉMENTAIRES

La question de l’impartialité ne se pose pas uniquement au regard de la pratique

enseignante, mais possède également une dimension plus large : l’École. L’éducation porte

en effet des finalités propres et la façon de l’actualiser reflète les préoccupations de la

société qui la voit naître. Les savoirs transmis, le choix des éléments de contenu, les modes

117

Georges Leroux op. cit., p. 48 118

Ibid. 119

Ibid.

Page 52: Quelle posture professionnelle pour l'enseignant d'Éthique et … · 2018-04-21 · iii RÉSUMÉ L’enseignant d’Éthique et culture religieuse, depuis la mise en place du programme

46

de transmission et le type d’organisation scolaire sont autant d’indicateurs sur les

orientations de l’École. Ainsi, il est légitime de percevoir l’implantation du programme

d’ÉCR comme un acte réactif à une suite de mutations sociales et d’affirmer que celui-ci

constituait une innovation éducationnelle porteuse d’ambitions avouées en matière de

gestion de la diversité. De même, l’organisation des objets de savoir n’était pas impartiale,

pas plus que le choix de proclamer le dialogue compétence reine de la formation des élèves

en ÉCR. Le but confessé relatif à la mise sur pied de ce programme et à ces choix

pédagogiques tient en deux finalités formulées, omniprésentes et maintes fois répétées : la

reconnaissance de l’Autre et la poursuite du bien commun. Ces dernières incarnent les

ambitions philosophiques relatives à la mise en place du programme et sont porteuses d’une

promesse d’architecture sociale qui sied à la réalité identitaire québécoise moderne. On

peut en effet se permettre d’imaginer que ces deux visées puissent établir les bases d’une

société civique en dotant les futurs citoyens de comportements propices à bâtir un vivre-

ensemble à partir des ingrédients qui composent le Québec contemporain. Qui plus est, les

auteurs du programme recommandent que ces finalités soient utilisées comme des balises et

des cadres de référence pour les enseignants d’ÉCR. L’ensemble des entreprises

pédagogiques de ces derniers doit en effet converger vers ces deux résolutions, aussi

doivent-ils agir en tant que porte-étendard de cette ambition bipartite. Il est manifeste, donc,

que ces finalités sont le mortier du programme d’ÉCR et contribuent à en ériger une

compréhension sensible ainsi qu’à le mettre en œuvre.

Or, il apparaît que l’adéquation de la reconnaissance de l’autre et de la poursuite du

bien commun présente, sur le plan philosophique, une certaine dichotomie que Leroux

laisse entrevoir alors qu’il souligne « […] la connaissance de la particularité, qui fonde la

diversité, et la recherche de l’harmonie commune qui se trouve à la base de la

démocratie120

». Il serait toutefois malhonnête d’attribuer à Leroux une critique du

programme à cet égard, aussi parle-t-il plutôt en termes d’« intime réciprocité » et

d’« équilibre » entre ces deux principes, présentant plutôt le défi absolu que présente le

programme d’ÉCR. Nous récupérons tout de même cette adéquation, à laquelle nous

120

Leroux dans Mireille Estivalèzes et Solange Lefebvre (dir.). Le programme d’éthique et culture

religieuse : de l’exigeante conciliation entre le soi, l’autre et le nous, Québec : Presses de l’Université Laval,

2012, p. 134

Page 53: Quelle posture professionnelle pour l'enseignant d'Éthique et … · 2018-04-21 · iii RÉSUMÉ L’enseignant d’Éthique et culture religieuse, depuis la mise en place du programme

47

reconnaissons, à l’instar de Bruce Maxwell lors de sa conférence La « reconnaissance de

l’autre » et la « poursuite du bien commun » dans le cadre d’une journée provinciale de

formation continue pour l’AQÉCR, une antinomie symbolique. Les fondements

philosophiques du programme renfermeraient une bipolarité préliminaire, contradiction que

relevait Sivane Hirsch lors des Journées provinciales de formation continue en affirmant

juxtaposant deux rôles de l’école, à savoir celle d’aménager une place significative à la

différence tout en misant sur une intégration des nouveaux arrivants et leur participation à

une culture commune121

. Plus précisément, de la reconnaissance de l’autre émane une

apologie de la différence alors que, parallèlement, la poursuite du bien commun sous-tend

la recherche d’un dénominateur civique commun propice à générer une harmonie sociale.

Sur le plan sémantique, la première, qui met l’emphase sur la connaissance de la diversité,

renvoie à la pensée relativiste, alors que la seconde, orientée vers la construction d’un socle

de valeurs partagées, relève davantage d’une posture universaliste. Dans le but de rendre

compte des moteurs philosophiques qui sous-tendent le programme d’ÉCR, nous nous

emploierons au cours des pages à venir à circonscrire ces deux positionnements. Il est

inutile de nier que cet exercice de définition se veut hautement théorique, mais il demeure

nécessaire à la compréhension des impulsions philosophiques qui ont actionné l’élaboration

du programme d’ÉCR.

Nous aborderons donc de façon juxtaposée le relativisme et l’universalisme,

auxquels nous accorderons d’abord une définition générique, pour ensuite en examiner les

fondements théoriques. Nous tenterons finalement d’explorer, grâce à une recherche par

mots-clés dans le programme d’ÉCR, la teneur philosophique du cours. Pour ce faire, nous

nous emploierons à jauger la force du lien qui unit chacune des deux finalités du

programme, la reconnaissance de l’autre et la poursuite du bien commun, aux cadres

théoriques nommés.

121

Sivane Hirsch dans « Contribuer à la construction d’une culture publique commune qui tient compte de la

diversité » dans le cadre des Journées provinciales de formation continue en éthique et culture religieuse,

2013

Page 54: Quelle posture professionnelle pour l'enseignant d'Éthique et … · 2018-04-21 · iii RÉSUMÉ L’enseignant d’Éthique et culture religieuse, depuis la mise en place du programme

48

A. La reconnaissance de l’autre : un relativisme déguisé?

Réalisons d’entrée de jeu un effort de définition en établissant le relativisme en tant

qu’approche selon laquelle les valeurs, croyances et comportements humains ne

connaissent aucune référence qui soit absolue et transcendante. Il y a d’une part le

relativisme culturel, qui soutient l’acceptabilité de toutes les pratiques culturelles associées

au contexte social dans lequel elles prennent place. D’autre part, il y a le relativisme moral

selon lequel aucun critère foncier ne permet d’établir une hiérarchisation immuable des

valeurs. Pour s’affranchir du poids que constitue cette relativité en apparence handicapante,

il est impératif que la formation d’un sens critique et le développement d’une pensée

structurée soient d’épicentre des efforts pédagogiques en ÉCR.

Ces deux acceptions du relativisme supposent-elles que tout produit de l’esprit

humain (pratique, croyance ou positionnement éthique) doit être jugé acceptable? Les

tenants de l’approche relativiste répondraient qu’il incombe à toute société d’imposer ses

propres limites et de jauger le degré d’acceptabilité d’un comportement humain selon les

référents éthiques qui lui sont spécifiques122

. En effet, le concept-clé sur lequel reposent les

arguments soutenus par les relativistes est celui de la diversité morale qui établit par

ailleurs la recevabilité d’une multiplicité de codes moraux et de modes de vie

raisonnablement envisageables123

. Par ailleurs, si les termes désignant les valeurs sont

partout les mêmes, il convient de noter que leur sens et l’importance qui leur est accordée

sont loin d’être identiques toujours et partout124

. À cet égard, Kekes soutient que « The

implication of relativism is that there cannot be a uniquely reasonable system of values125

».

Le relativisme en tant qu’approche morale n’est pas sans soulever les critiques,

parmi lesquelles la plus significative porte sur l’impasse axiologique qui lui est inhérente.

Celle-ci est explicitée dans The Morality of Pluralism alors que l’auteur soutient que si

toutes les valeurs étaient relatives, la hiérarchisation de celles-ci serait intenable et, donc, la

122

John Kekes. The Morality of Pluralism, Princeton : Princeton University Press, 1993, p. 14 123

Stoljar dans Daniel M. Weinstock (dir.). Le défi du pluralisme, Montréal : Département de philosophie

(UQAM), 1993, p. 128 124

Olivier Reboul. Les valeurs de l’éducation, Paris, Presses universitaires de France, 1992, p. 69 125

John Kekes op. cit., p. 8

Page 55: Quelle posture professionnelle pour l'enseignant d'Éthique et … · 2018-04-21 · iii RÉSUMÉ L’enseignant d’Éthique et culture religieuse, depuis la mise en place du programme

49

résolution de conflits impossible126

. Plus précisément, comme les valeurs seraient

équivalentes en termes d’acceptabilité, aucune n’aurait en conséquence préséance sur les

autres. Aucune valeur ne remplirait donc de fonctions d’autorité ou de référent moral à

partir duquel le jugement des comportements humains ou de la recevabilité des valeurs

pourrait s’opérer. Si les référents moraux fondamentaux sont inexistants, la résolution de

conflits devient pour ainsi dire impossible. Mentionnons néanmoins que du point de vue

relativiste, il n’est pas exclu que les sociétés soient en mesure de se doter, de façon

indépendante, de codes moraux permettant d’appréhender, de structurer et de jauger les

valeurs. Ce flou symbolique contribue toutefois à alimenter la thèse de la désintégration

morale dépeinte dans The Morality of Pluralism de Kekes. En effet, ce dernier parle de la

« disintegration of morality » pour qualifier la déstructuration graduelle du monisme (idée

de l’existence d’absolus) causée par la pensée relativiste127

.

À ce sujet, le pape Benoît XVI dénonçait aussi en 2005 la « dictature du relativisme

qui ne reconnaît rien comme définitif et qui donne comme mesure ultime uniquement son

propre ego et ses désirs128

». Ce que le chef de l’Église catholique critiquait alors, au-delà

du fait que l’intégrité des valeurs traditionnelles chrétiennes était selon lui menacée, c’est la

désintégration d’un filet moral engendré par la domination d’un mode de pensée relativiste

au détriment d’une approche universaliste qui valoriserait un corpus de valeurs partagées.

Marie McAndrew met pour sa part en relief le questionnement soutenu par Alain Touraine

quant à la légitimité du relativisme culturel au regard des fondements de la société

démocratique qui est basée sur « l’articulation complexe des droits de la personne129

».

Conformément à cette critique, la posture relativiste serait intenable au sein d’une société

de droits singulièrement marquée par la mondialisation et de massifs mouvements

d’immigration qui nécessitent l’accueil d’étrangers porteurs de cadres symboliques propres.

Exempte de référents moraux, cette perspective ne permettrait donc pas une saine gestion

126

John Kekes op. cit., p. 47 127

Ibid., p. 8 128

Le Saint-Siège. Homélie du cardinal Joseph Ratzinger lundi le 18 avril 2005, [En ligne]

http://www.vatican.va/gpii/documents/homily-pro-eligendo-pontifice_20050418_fr.html 129

McAndrew dans Marie-Antoinette Hily et Marie-Louise Lefebvre (dir.). Identité collective et altérité :

diversité des espaces / spécificité des pratiques, Paris / Montréal : L’Harmattan, 1999, p. 287

Page 56: Quelle posture professionnelle pour l'enseignant d'Éthique et … · 2018-04-21 · iii RÉSUMÉ L’enseignant d’Éthique et culture religieuse, depuis la mise en place du programme

50

des droits des citoyens et des conflits de normativités « multiples et exclusives130

»

inhérentes à leur inéluctable confrontation.

À l’aune de ces critiques, McAndrew met en doute la capacité de l’éducation

relativiste à jouer un rôle probant dans la fonction de transmission des savoirs. Elle

s’interroge plus précisément sur la « possibilité de reconstruire un savoir critique commun

prenant en compte une multiplicité de perspectives » et met en surbrillance le risque de la

dévalorisation d’une définition exclusive des curriculums131

. Ce que McAndrew décrie,

c’est en quelque sorte l’explosion de l’univers des possibles dans le champ pédagogique.

Elle craint que la consistance des savoirs transmis à l’école ne soit compromise par l’idée

partagée qu’une multiplicité de croyances, puisque relatives, est par le fait même

admissible. Cette appréhension pose de fait le problème de la transmission des savoirs et de

la raison puis soulève plus largement la question des valeurs de l’École. Cette dernière doit-

elle présenter le savoir comme un absolu, ou encore doit-elle l’exposer en tant qu’objet de

découverte changeant et variable? Les disciplines issues des sciences de la nature sont

constituées de savoirs dont l’immuabilité est tributaire du processus épistémologique dont

ils sont issus (la méthode scientifique, par exemple). À l’inverse, nous verrons

ultérieurement que l’ÉCR, résolument inscrite dans un créneau culturel et exempt

d’indicatifs clairs et directifs, permet difficilement de présenter un corpus de savoirs

fondamentaux.

À cet effet, Richard Dawkins illustre de façon imagée et virulente l’impasse

engendrée par la pensée relativiste en matière de savoirs : « Montrez-moi un relativiste

culturel dans un avion à 10 000 mètres et je vous montrerai un hypocrite. Les avions sont

construits selon des principes scientifiques et ils fonctionnent132

». Un questionnement

soulevé lors du Forum ouvert sur le dialogue en ÉCR présentait le sujet de la création du

monde comme une « patate chaude » qui relève d’emblée l’opposition d’une pensée

130

François Galichet. L’éducation à la citoyenneté, Paris : Anthopos (Diffusion Economica), 1998, p. 142-

143 131

McAndrew dans Marie-Antoinette Hily et Marie-Louise Lefebvre (dir.) op. cit., p. 288 132

Traduction de la citation de Richard Dawkins "Show me a cultural relativist at thirty thousand feet and I’ll

show you a hypocrite. Airplanes are built according to scientific principals and they work" tirée de Wikipédia:

l’encyclopédie libre. Le relativisme, [En ligne] http://fr.wikipedia.org/wiki/Relativisme#cite_note-7

Page 57: Quelle posture professionnelle pour l'enseignant d'Éthique et … · 2018-04-21 · iii RÉSUMÉ L’enseignant d’Éthique et culture religieuse, depuis la mise en place du programme

51

scientifique à une pensée croyante. Serait-il approprié que l’enseignant d’ÉCR concède un

avantage à l’hypothèse du Big Bang par rapport au schème créationniste, ou doit-il les

présenter comme équivalents? Peut-être serait-il inconfortable, en vertu de son devoir

d’impartialité, alors que l’enseignant de sciences, lui, n’aurait aucune réticence à présenter

la théorie scientifique de l’origine du monde comme étant une hypothèse faisant

pratiquement consensus. Nous verrons, en seconde partie de parcours, comment

l’enseignant d’ÉCR peut trouver une posture qui lui permette d’aborder une question

comme celle-ci avec assurance et confiance.

Or, étant donné que la qualité de l’apprentissage réalisé par un individu est

largement tributaire du sens qu’il lui octroie et de la valeur qu’il lui accorde, la question de

la relativité des savoirs apparaît centrale. Là réside en fait l’une des données que l’on doit

considérer dans l’équation du rapport au savoir puisque celui-ci représente une relation de

sens, et donc de valeur, entre un individu (ou un groupe) et les processus ou produits du

savoir133

. Cette relation de sens est centrale en ÉCR et doit être continuellement redéfinie.

Par exemple, il faut constamment déconstruire l’idée selon laquelle il suffit d’avoir une

opinion pour obtenir des points, sentiment qui est largement renforcé par des formulations

usuelles telles que « selon toi » ou « que penses-tu de?». Nous verrons en effet qu’il n’est

pas suffisant pas de formuler un point de vue pour démontrer la maîtrise d’une compétence

en ÉCR.

Notre postulat était que la première des deux finalités du programme d’ÉCR, à

savoir la reconnaissance de l’autre, est assortie à la représentation philosophique relativiste.

Afin de soutenir cette idée, il importe de voir comment se définit la finalité dans les termes

du programme. Il y est d’abord annoncé que « toutes les personnes sont égales en valeur et

en dignité134

» et que, le cas échéant, les visions du monde, attitudes et actions de ces

dernières doivent être reconnues. Il y est également signalé que cette reconnaissance doit

133

Bernard Charlot, Élisabeth Beautier et Jean-Yves Rochex. École et savoirs dans les banlieues… et ailleurs,

Paris, Éditions Bordas, 2000, p. 29 134

Québec, Ministère de l’éducation, du loisir et du sport. Programme de formation de l’école

québécoise (programme du premier cycle et du deuxième cycle du secondaire) : Éthique et culture religieuse,

op. cit., p. 2

Page 58: Quelle posture professionnelle pour l'enseignant d'Éthique et … · 2018-04-21 · iii RÉSUMÉ L’enseignant d’Éthique et culture religieuse, depuis la mise en place du programme

52

pouvoir rendre possible « l’expression de valeurs et de convictions personnelles135

». Ainsi

l’idée de diversité morale est-elle intrinsèque à cette finalité du programme et sous-entend

par ailleurs la recevabilité d’une multiplicité de modes de vie. L’importance accordée à

cette prise en compte de la diversité symbolique est une réaction à l’observation du

pluralisme grandissant caractéristique des sociétés modernes également vécu par le Québec.

Les auteurs du programme ne manquent pas de souligner cet état de fait et précisent que

cette multiplication sociale provoque l’introduction d’une diversité de croyances et de

valeurs qui, complexifiant globalement l’univers symbolique québécois, introduisent le

besoin de doter les futurs citoyens d’outils permettant d’évoluer au sein de cette profusion

normative.

Les instruments de l’accomplissement de cette finalité relative à la gestion de la

diversité sont les attitudes que les élèves sont appelés à développer via le cours d’ÉCR.

Parmi celles-ci, notons la tolérance, l’ouverture, le respect et la curiosité à l’égard de la

différence136

. Ainsi l’élève est-il amené à évoluer dans un esprit d’« ouverture à la diversité

des valeurs, des croyances et des cultures137

». On souhaite à cet effet qu’il déploie des

dispositions intellectuelles d’accueil face à la différence et qu’il soit en mesure

d’appréhender la diversité avec une ouverture propice à lui permettre de reconnaître l’Autre

dans sa globalité symbolique, et d’ainsi outrepasser sa culture immédiate pour s’acclimater

à une culture plus complexe. Ce déverrouillage doit notamment s’effectuer au regard de la

culture religieuse, qui vise la prise en compte de représentations tant religieuses que

séculières et « l’exploration des univers socioculturels dans lesquels celles-ci s’enracinent

et évoluent138

».

L’organisation thématique des objets de contenu du programme d’ÉCR alimente

aussi cette impression de relativité des savoirs, par opposition à une étude comparative ou

différenciée des différentes traditions religieuses et perspectives éthiques. Le choix de cette

135

Québec, Ministère de l’éducation, du loisir et du sport. Programme de formation de l’école

québécoise (programme du premier cycle et du deuxième cycle du secondaire) : Éthique et culture religieuse,

op. cit. 136

Ibid. 137

Ibid., p. 13 138

Ibid., p. 1

Page 59: Quelle posture professionnelle pour l'enseignant d'Éthique et … · 2018-04-21 · iii RÉSUMÉ L’enseignant d’Éthique et culture religieuse, depuis la mise en place du programme

53

classification n’est selon nous pas fortuite, ou du moins elle traduit les ambitions du

programme et constitue un dispositif de support à la reconnaissance de l’Autre. En effet,

l’approche thématique permet d’aborder des faits religieux ou éthiques en présentant les

diverses représentations qui en émanent. Il s’agit donc d’une approche intégrative en ce

sens qu’elle mobilise une série d’éléments de contenu issus de différentes traditions

religieuses qui alimentent la compréhension du fait à l’étude. Par exemple, l’élève est

amené à explorer les multiples façons d’envisager le divin, parmi lesquelles le dieu chrétien

figure au même titre que les diverses formes de déités propres aux autres religions. Cette

perspective thématique n’est pourtant pas sans éveiller les soupçons des détracteurs du

programme qui avancent que cette dernière présente une vision réductrice du phénomène

religieux puisque n’octroyant que des connaissances partielles, elle ne permettrait pas de

saisir la cohérence interne de chaque tradition religieuse. Guy Durand, l’un des principaux

adversaires du programme d’ÉCR, abonde dans ce sens et entrevoit les dangers reliés à ses

fondements relativistes. Il nomme à tout le moins trois principaux enjeux philosophiques

relatifs à la place du cours d’ÉCR dans le cheminement scolaire des élèves québécois, à

savoir le risque de polythéisme, la mise en œuvre d’une orientation relativiste et l’adoption

d’une vision étriquée de l’éthique139

.

En ce qui a trait d’abord au premier enjeu philosophique, Durand craint qu’adopter

une posture impartiale face au fait religieux contraigne les enseignants à présenter, voire à

mettre en valeur, une vision polythéiste de la déité au détriment de la représentation du

divin caractérisée par l’unicité à laquelle une majorité d’élèves catholiques sont

accoutumés. Plus précisément, l’auteur appréhende le fait qu’incorporé à un assortiment

spirituel polythéisé, le dieu catholique soit dévalorisé puisque soumis à un mécanisme de

généralisation et d’intégration à un ensemble d’éléments communs comparés. En

conséquence, il y aurait un risque qu’au contact de la diversité quant aux représentations

possibles du divin, l’élève se détache du dieu qui était traditionnellement sien, ce qui aurait

pour conséquence d’altérer la sphère spirituelle chez ce dernier. Cette critique pose de fait

la question plus globale du changement de cap majeur accompli sur le plan paradigmatique

dont il a été question en introduction : du discours croyant sur lequel était basé l’ancien

139

Guy Durand op. cit., p. 10

Page 60: Quelle posture professionnelle pour l'enseignant d'Éthique et … · 2018-04-21 · iii RÉSUMÉ L’enseignant d’Éthique et culture religieuse, depuis la mise en place du programme

54

programme d’enseignement moral et religieux confessionnel (EMRC), nous avons migré

vers une approche socioculturelle à l’aune de laquelle la religion apparaît désormais comme

un objet d’étude scientifique. Comme l’indique Estivalèzes, la quête de sens qui était l’un

des objectifs du cours EMRC n’est plus désormais visée par le cours ÉCR. Il n’est donc

plus question que l’élève découvre ou consolide sa foi, pas plus que ce dernier n’est appelé

à développer les comportements propres à la communauté religieuse (ex. : gestes ou

prières). De ce fait, le cours d’ÉCR s’inscrit résolument dans le champ non confessionnel

en proposant une perspective extérieure plutôt qu’intérieure vis-à-vis la chose religieuse. La

dimension spirituelle est de fait évacuée et relayée aux structures d’intervention spirituelle

et communautaire mises sur pied dans la plupart des écoles primaires et secondaires du

Québec.

À la crainte formulée par Durand quant à la mise en opération de cette perspective

dite polythéiste, il appert nécessaire de rappeler qu’en pratique, le patrimoine chrétien

occupe encore un espace privilégié dans le corpus des thèmes abordés du primaire au

secondaire dans les écoles. Il est en effet prescrit de traiter des sujets relatifs au

protestantisme, au christianisme orthodoxe et au catholicisme dans une plus large

proportion que les autres traditions religieuses (le judaïsme, l’islam, les spiritualités

autochtones et les traditions religieuses orientales, par exemple). En somme, on peut

affirmer que l’on n’observe pas de dichotomie réelle entre les programmes EMRC et ÉCR

quant à la place des traditions chrétiennes dans les apprentissages des élèves, sauf sur le

plan de l’initiation à la foi. Durand appréhende ensuite le triomphe de la pensée relativiste

qui est selon lui intrinsèque au programme quant à ses structures et à ses conséquences

(quoique non pas dans ses visées avouées)140

. Il croit que le programme favorise d’emblée

le relativisme et que cette posture porte en son sein le risque que l’élève « comprenne que

tous les interlocuteurs ont raison, que toutes les religions et croyances sont légitimes141

».

L’éducation faite dans une perspective anthropologique basée sur la connaissance et la

compréhension des cultures, dans laquelle s’inscrit à juste titre le cours d’ÉCR, implique

selon Marie McAndrew le rejet des jugements de valeur et la glorification de la différence.

140

Guy Durand op. cit., p. 15 141

Ibid., p. 10

Page 61: Quelle posture professionnelle pour l'enseignant d'Éthique et … · 2018-04-21 · iii RÉSUMÉ L’enseignant d’Éthique et culture religieuse, depuis la mise en place du programme

55

Ce type d’éducation serait exactement basé, donc, sur le relativisme culturel142

. C’est aussi

cette idée que soutient Durand en parlant d’une vision étriquée de l’éthique. Reliée à la

relativité des valeurs, l’adoption de cette posture serait lourde de sens et de conséquences

puisque le cours d’ÉCR est largement articulé autour du questionnement éthique. En effet,

penser le questionnement dans la perspective de la relativité des valeurs apparait comme

une solution inféconde puisqu’à partir du moment où l’on accepte que l’incarnation de

toutes les valeurs est acceptable, le questionnement n’a plus lieu d’exister.

Employons-nous maintenant à reconnaître l’essence universaliste de la poursuite du

bien commun, seconde finalité officielle du programme d’ÉCR.

B. L’essence universaliste de la poursuite du bien commun

Les tenants de l’approche universaliste soutiennent de prime abord que nous

partageons une manière fondamentalement commune d’être humain, ce qui signifie que

certains traits seraient intrinsèques à notre appartenance à l’humanité. Pour John Kekes, il

s’agit de composantes universelles, invariables et constantes143

. Or, parler de

l’universalisme n’a pas de sens réel si l’on ne s’applique pas d’abord à définir le concept-

clé d’humanité et à le présenter telle qu’il est entendu par les partisans de cette perspective.

Olivier Reboul, philosophe s’étant particulièrement intéressé à la question des valeurs en

enseignement, le définit ainsi: l’« humanité signifie non pas tant la somme des hommes que

ce qu’ils ont de commun et qui en fait des hommes, une certaine identité d’essence144

».

Pour Alain Finkielkraut, l’humanité « doit se décliner au pluriel : elle n’est rien d’autre que

la somme des particularismes qui peuplent la terre145

. » Il est évident que ceux que Reboul

appelle les « culturalistes », ceux qui s’intéressent en premier lieu aux variations

culturelles, diront que cette idée est abstraite et inopérante puisque les spécificités

culturelles sont si nombreuses et importantes qu’elles suffisent pour douter de l’existence

d’un caractère humain transcendant. Aux défenseurs de cette conception, Reboul rétorque

pourtant que « la différence essentielle n’est pas entre cette culture et cette autre, qu’elle est

142

McAndrew dans Marie-Antoinette Hily et Marie-Louise Lefebvre (dir.) op. cit., p. 286 143

John Kekes op. cit., p. 39 144

Olivier Reboul. op. cit., p. 89 145

Alain Finkielkraut. La défaite de la pensée, Paris : Gallimard, 1987, p. 29

Page 62: Quelle posture professionnelle pour l'enseignant d'Éthique et … · 2018-04-21 · iii RÉSUMÉ L’enseignant d’Éthique et culture religieuse, depuis la mise en place du programme

56

le "fossé entre l’homme et la bête146

"». De facto, les hommes seraient donc marqués par le

sceau de l’humanité, empreinte admettant un corpus d’actions qui s’inscrivent dans le

spectre de l’acceptabilité, mais condamnant par ailleurs des comportements irrecevables

(ou bestiaux, pour réinvestir l’image de Reboul). En contrepartie de la rigidité de l’image

évoquée, il faut souligner que pour le philosophe, l’universalité humaine n’est pas un fait,

mais constitue plutôt une valeur en soi147

. En d’autres termes, il importe d’après lui de

croire que tout homme partage avec le reste des individus un dénominateur moral commun,

de reconnaître en chacun l’humanité qui le relie au reste du monde.

Cette façon d’entrevoir l’espèce humaine laisse croire à la primauté d’un corpus de

valeurs transcendantes telles que l’égalité, le respect, la liberté ou la responsabilité. Kekes

parle à cet effet d’un système de valeurs dont la mise en œuvre mènerait ni plus ni moins à

the good human life148

– une vie bonne –, idée émanant de la philosophie métaphysique de

l’unicité des choses. Est-il possible que la réalisation d’un certain nombre de principes, une

fois articulés, ouvre effectivement la porte à l’accomplissement d’une vie bonne pour tous,

sans frontières? Joseph Ho-Jou Tchao, du moins, le suggère dans Philosophie et pluralisme

via l’idée de la totalité qu’il y présente. Empruntée à plusieurs philosophies (dont la

philosophie-weltanschauung), cette prémisse traduit l’aspiration transcendante de l’Homme

à l’Absolu149

.

Ce discours sur le partage d’absolus introduit donc l’idée d’une présumée présence

d’universaux qui restreint du coup le champ de la responsabilité humaine. Ce n’est pas que

le rôle joué par l’individu dans sa propre existence soit d’emblée amoindri: il est plutôt

suggéré que l’homme possède une propension naturelle à agir instinctivement selon les

principes moraux universaux. À cet égard, Reboul souligne que les valeurs peuvent être

considérées comme universelles. Tchao fait pour sa part référence à l’idée de l’« homme-

dans-un-monde-humain-au-sein-de-l’univers150

» pour qualifier le rapport absolu entre

146

Olivier Reboul. op. cit. 147

Ibid., p. 77 148

John Kekes op. cit., p. 14 149

Tchao dans Yvon Lafrance et J. King-Farlow (dir.). Philosophie et pluralisme, collection « L’univers de la

philosophie », Montréal : Bellarmin / Paris : Desclée, 1977, p. 76 150

Ibid.

Page 63: Quelle posture professionnelle pour l'enseignant d'Éthique et … · 2018-04-21 · iii RÉSUMÉ L’enseignant d’Éthique et culture religieuse, depuis la mise en place du programme

57

l’Homme et le monde, ce qui est en fait une référence explicite à l’approche proprement

nietzschéenne de la mort de Dieu. Ces perspectives prennent racine dans une philosophie

humaniste résolument caractéristique de l’Europe des Lumières et exacerbent de fait les

potentialités proprement humaines. L’approche universaliste est donc, d’une part,

largement orientée vers la nature humaine en elle-même, en d’autres termes vers une

propension naturelle à adopter les réflexes moraux propres à l’appartenance à l’humanité.

L’approche universaliste peut d’autre part être appréhendée sous l’angle des

possibilités d’actions qui relèvent, elles, du devoir de l’individu à l’égard de lui-même151

.

« Agis seulement d'après la maxime grâce à laquelle tu peux vouloir en même temps qu'elle

devienne une loi universelle152

». Ainsi l’impératif catégorique pensé par Emmanuel Kant

est-il édicté en principe fondamental propice à guider l’homme dans son jugement face aux

actions posées. La fonction universalisante de cette maxime est patente : l’acteur en

présence, soit l’individu se trouvant dans une position de décision, est lui-même indivisible

du reste de l’humanité, qui est pour sa part considérée comme une entité indivisible appelée

à devenir, plus qu’un moteur axiologique, la cible de nos actions en soi. L’impératif

catégorique dicte d’agir en fonction des lois universelles de l’humanité, de laquelle

l’individu est un élément constitutif. Ainsi l’humanité devient-elle une motivation

intrinsèque à proprement parler en ce sens qu’elle pousse l’individu à agir dans une logique

de réciprocité intégrative.

Certes, la maxime kantienne apparaît de prime abord enthousiasmante puisqu’elle

est aisément intelligible et applicable. De fait, tout individu est capable de la concevoir et

de la mettre en œuvre. Le cas échéant, toutefois, tout individu peut vouloir que sa maxime

soit universalisable. C’est d’ailleurs le problème que soulève Michel Meyer à propos de la

morale universalisable. Plus précisément, l’auteur mentionne qu’il est facilement

imaginable que le principe que l’un croit bon pour tous ne soit que l’activation de sa propre

perspective modelée par son origine, sa culture, sa religion, sa classe sociale, son histoire,

etc. Or, tous ne partagent pas le même avis sur l’universalité des codes de normativité. À ce

151

Michel Meyer op. cit., p.13 152

Emmanuel Kant, Fondements de la métaphysique des mœurs, Paris : Livre de poche, 1993 (1785), p. 18

Page 64: Quelle posture professionnelle pour l'enseignant d'Éthique et … · 2018-04-21 · iii RÉSUMÉ L’enseignant d’Éthique et culture religieuse, depuis la mise en place du programme

58

chapitre, les colonisateurs européens des 15ème

et 16ème

siècles n’avaient-ils pas la profonde

conviction que leurs principes étaient universalisables à un point tel qu’ils ont cru que

l’action à poser était de les imposer par la force aux populations soumises? Or, ceux-ci

accomplissaient précisément leur mission dans le sens de l’impératif catégorique : agis

selon une maxime que tu souhaites universelle. Peut-on dire néanmoins que les réalisations

des grands empires coloniaux étaient fondamentalement acceptables? Ce que l’on retient

pourtant de cette ère de domination coloniale est bien davantage l’assimilation morale à

laquelle étaient soumis les peuples colonisés, ce qui pose de fait le problème du

totalitarisme relié à l’approche universaliste. D’ailleurs faut-il, pour Meyer « tempérer

l’universalisme dans ce qu’il a de totalitaire153

» et rendre compte du rapport intrinsèque

entre l’universalité inconditionnelle et la haine de la différence154

. À ce sujet, les

détracteurs de l’universalisme critiquent la tendance à la domination morale et culturelle

qui est, selon eux, inhérente à une telle approche. Plus précisément, il apparaît légitime de

mettre en doute une telle posture dans la mesure où l’essence humaine dont il a été question

doit nécessairement s’articuler autour d’un socle de référents moraux, de valeurs ou

d’idéaux qui, dits « universaux », sont néanmoins arbitraires et rattachés à l’univers

symbolique de ceux qui en clament l’universalité. En d’autres mots, il serait légitime de se

questionner sur la façon de savoir ce qui est universel quand le regard que l’on porte sur le

monde est toujours relatif au contexte duquel on est issu.

L’approche de Reboul s’avère à ce sujet éclairante. Il soutient que ce qui est

considéré universel ne peut l’être que dans la mesure où ceux qui l’admettent comme tel

savent qu’il ne pourrait en être autrement155

. De fait, pour l’auteur, « une valeur, comme

toute vérité scientifique, peut être universelle sans faire pour autant l’accord unanime des

hommes156

». Cela reviendrait à dire que les peuples qui n’adhèrent pas à des valeurs

proclamées universelles se trouvent simplement dans une situation de déni ou d’ignorance.

Comment, alors, affirmer qu’une valeur est foncièrement bonne? Comment convaincre les

« ignorants »? Cette question pose par corollaire celle de la différence, qui représenterait

153

Michel Meyer op. cit., p. 8 154

Ibid., p. 14 155

Olivier Reboul op. cit., p. 77 156

Ibid.

Page 65: Quelle posture professionnelle pour l'enseignant d'Éthique et … · 2018-04-21 · iii RÉSUMÉ L’enseignant d’Éthique et culture religieuse, depuis la mise en place du programme

59

dans ce contexte l’exception à une universalité définie ou comme anomalie face à une

humanité uniforme. Beaubérot indique à ce sujet que la stigmatisation est un effet de

l’universalisme abstrait républicain en ce qu’il tend à ethniciser l’autre157

. Pour reprendre

les mots de Meyer, il faudrait que soit paradoxalement érigée la différence en tant que droit

universel158

.

Dans la partie précédente, nous nous sommes employés à démontrer que la pensée

relativiste était identifiable dans les fondements du programme d’ÉCR, notamment dans les

assises initiales de la reconnaissance de l’Autre comme finalité ainsi qu’au regard de

certaines attitudes que doivent développer les élèves au cours de leur parcours scolaire.

Jaugeons maintenant l’essence universaliste du programme, plus particulièrement en ce qui

a trait à la seconde finalité établie par les penseurs du programme : la poursuite du bien

commun. Celle-ci peut être comprise comme la recherche du mieux-être d’un plus grand

nombre et est largement articulée autour de l’idée de collectivité159

. Les dispositifs

imaginés en vue de la réalisation de cet idéal sont la recherche de valeurs communes, la

valorisation de projets qui favorisent le vivre-ensemble et la promotion de principes

démocratiques160. Ces actions doivent aussi tendre vers la résolution des défis qui vont de

pair avec la vie en société. Il est aisé de percevoir que ces aspirations dépassent largement

les intérêts individuels et tendent vers un bien-être citoyen transcendant établi sur la base

des règles qui régissent la vie en société et des principes qui fondent les chartes de droits161

.

C’est la santé de la société qui est visée, et c’est par la mise en œuvre des dispositions

philosophiques et morales spécifiques communes que l’accomplissement du projet est

envisageable. Le programme de formation mentionne aussi que l’avènement du vivre-

ensemble n’est possible que dans la mesure où « des personnes d’horizons

divers [s’entendent] de façon responsable », ce qui infère le dépassement des particularités

157

Beaubérot dans Laurence Loeffel. École, morale laïque et citoyenneté aujourd’hui, Villeneuve d’ASCQ :

Presses universitaires du Septentrion, 2009, p.43 158

Michel Meyer op. cit., p. 16 159

Québec, Ministère de l’éducation, du loisir et du sport. Programme de formation de l’école

québécoise (programme du premier cycle et du deuxième cycle du secondaire) : Éthique et culture

religieuse, op. cit., p. 2 160

Ibid. 161

Ibid., p. 6

Page 66: Quelle posture professionnelle pour l'enseignant d'Éthique et … · 2018-04-21 · iii RÉSUMÉ L’enseignant d’Éthique et culture religieuse, depuis la mise en place du programme

60

et la mise à profit de l’intuition humaine prompte à générer des comportements tels que

l’ouverture, la reconnaissance et l’empathie.

Cette finalité renvoie plus largement à la propension des sociétés à se doter d’un

code moral propre tout en insistant sur l’importance de construire un socle de valeurs

démocratiques communes. Pourtant, le programme d’ÉCR n’est pas axé sur l’éducation à

ces valeurs et comme nous le verrons dans la partie qui suit, le MELS ne fournit pas

d’indications précises à propos du cadre normatif que la société démocratique québécoise

pourrait souhaiter transcendant. L’enseignant d’ÉCR peut-il présenter la différence

culturelle sous la lentille d’un corpus de valeurs qu’il croit ou qu’il souhaiterait

universalisable? Le cas échéant, comment peut-il le faire dans un esprit professionnel de

cohésion s’il n’est pas investi d’un mandat clair à cet effet?

Page 67: Quelle posture professionnelle pour l'enseignant d'Éthique et … · 2018-04-21 · iii RÉSUMÉ L’enseignant d’Éthique et culture religieuse, depuis la mise en place du programme

61

2. L’ÉDIFICATION D’UNE POSTURE SÉANTE À

L’ENSEIGNEMENT DE LA DIFFÉRENCE DANS LE

CADRE DU COURS D’ÉCR

La mise en parallèle d’indications ministérielles et de données théoriques

concernant les questions de la laïcité, de la différence, du rôle professionnel de l’enseignant

et des finalités du programme d’ÉCR mène à l’élaboration d’une réponse assez claire à la

problématique soulevée d’entrée de jeu. Rappelons qu’il était question de circonscrire une

posture professionnelle favorable à l’enseignement de la différence dans le cours d’ÉCR, à

quoi nous répondons que la clé réside dans une posture de neutralité « mesurée ». En effet,

il nous est apparu manifeste que bien que le devoir de neutralité qui incombe à l’enseignant

doive guider toutes ses interventions pédagogiques, il n’est toutefois pas attendu de lui qu’il

soit démuni d’une autorité morale directive. Comment alors pondérer cette neutralité afin

d’honorer un impératif d’impartialité sans toutefois envoyer le message que tout est

acceptable? Comment l’enseignant d’ÉCR peut-il octroyer à ses élèves l’aptitude à gérer de

façon raisonnable une multitude de référents symboliques sans lui-même démontrer qu’il

est en mesure de réaliser le même exercice? Ces interrogations démontrent l’importance

d’établir la mesure de la neutralité et lèvent le voile sur le besoin de définir davantage ce

devoir qui incombe à l’enseignant.

Or, pondérer l’application d’une neutralité doit être l’aboutissement d’un processus

jalonné par une succession d’impératifs, que nous nous proposons d’énumérer. D’abord,

nous postulons que l’édification d’un corpus de valeurs partagées constitue la phase initiale

de tout le mécanisme de mesure de la neutralité. Elle est la base de la réflexivité,

disposition cognitive qui est le second jalon du cheminement vers celle-ci. Nous entendons

la réflexivité comme le processus de filtrage de toute réflexion ancré dans une prise de

distance critique face à sa pensée. Or, cette dernière est nécessaire à la mise en œuvre d’une

éducation pluraliste qui est fondée sur un exact équilibre entre la reconnaissance de l’autre

et la poursuite du bien commun et qui nous apparaît comme un dispositif fondamental de

l’établissement d’une société laïque souhaité pour le Québec. Cette laïcité est le pari

Page 68: Quelle posture professionnelle pour l'enseignant d'Éthique et … · 2018-04-21 · iii RÉSUMÉ L’enseignant d’Éthique et culture religieuse, depuis la mise en place du programme

62

d’architecture sociale dont l’enseignant doit aussi être porteur. À cet effet, il est souhaité

que ce dernier prenne conscience qu’à l’instar de l’État, il n’est pas foncièrement neutre. Là

réside selon nous le véritable sens d’une neutralité mesurée : porter le projet social et

promouvoir les valeurs communes tout en laissant émerger les différences.

2.1 L’ÉLABORATION D’UN SOCLE DE VALEURS PARTAGÉES

Établir les fondements d’une société démocratique constitue un exercice préalable,

d’une part, à la clarification d’un commun projet basé sur le vivre-ensemble et, d’autre part,

au développement de l’autonomie morale des élèves. La solidification d’un socle moral

serait donc garante de la réalisation d’idéaux humains et du projet d’architecture sociale

souhaité pour le Québec moderne. En effet, une laïcité d’ouverture qui établit la

recevabilité d’une multitude de visions du monde, la liberté des individus à se positionner

face à celles-ci et l’égalité des citoyens d’une même société doit d’abord énoncer les

principes qui permettraient d’encadrer les comportements humains. Cela revient en quelque

sorte à fixer les règles du jeu pour que chacun puisse y participer en respectant les mêmes

contraintes et en jouissant des mêmes possibilités. Sans règlements, aucun jeu équitable

n’est possible.

Au chapitre des valeurs fondamentales, nous nous sommes inspirés de la pensée

universaliste qui supposait l’existence de principes transcendants et partagés par tous les

êtres humains. Nous réinvestissons cette perspective du « dénominateur commun » afin de

l’appliquer à l’échelle de la société québécoise, avec cependant la nuance pluraliste qui

commande non pas de trouver l’élément qui relie chaque humain, mais plutôt de trancher

sur les principes dont les Québécois gagneraient à se doter afin d’établir les bases de

l’égalité entre les citoyens. L’idéal d’égalité, point d’ancrage de la démocratie, est une idée

en effet inopérante s’il n’existe pas d’accord préalable sur sa signification. L’égalité ne veut

rien dire si le principe appliqué est inconnu ou contingent. Tout pour tous ou rien pour

tous : les deux éventualités définissent une condition égalitaire qui ont par contre une

résultante diamétralement opposée. C’est le problème que pose d’ailleurs la mesure

Page 69: Quelle posture professionnelle pour l'enseignant d'Éthique et … · 2018-04-21 · iii RÉSUMÉ L’enseignant d’Éthique et culture religieuse, depuis la mise en place du programme

63

proposée par le gouvernement Marois concernant le port de signes religieux ostentatoires :

sur la base de l’égalité entre tous, on souhaite retirer le droit d’afficher une allégeance

religieuse dans la sphère publique. Convenons que le contraire, c’est-à-dire d’accorder à

tous ce droit, s’inscrirait tout autant dans le giron de l’égalité ou de la neutralité envers les

individus. La problématique que révèle cette situation est celle de la pondération des droits

puisqu’en effet, accorder une plus grande importance à l’égalité entre les sexes minerait

l’égalité entre les individus et l’égalité des chances professionnelles. L’examen de cette

situation doit être empreint de circonspection et tenir compte de différentes données comme

la complexité de la fonction du voile chez la femme musulmane, ce qui permettrait par

exemple de nuancer la réflexion quant à la pertinence d’accoler le qualificatif inégalitaire à

la pratique.

Par ailleurs, conformément à la forme ouverte qui caractérisait depuis la Révolution

tranquille la laïcité québécoise, l’égalité fonde l’acceptabilité d’une multiplicité de visions

du monde et de la démonstration d’une variété de convictions religieuses. Ce leitmotiv

suggère toutefois l’importance de l’édification d’un corpus de valeurs reconnues et

partagées par l’ensemble des citoyens, et ce de façon à établir les limites de la liberté.

Comme l’indique Reboul, il est en effet essentiel que cette dernière ne génère pas une

acceptation absolue de tout comportement humain. La neutralité de l’État ne doit pas, à ce

titre, se traduire par un laxisme vis-à-vis les comportements de ses citoyens. L’école,

microcosme de l’État, doit de la même façon éviter de fermer les yeux sur l’expression de

convictions qui déborderaient du cadre de l’acceptabilité des choses. Bien que l’éducation

soit un véhicule de l’accomplissement du vivre-ensemble tel que réfléchi dans un cadre laïc

pluraliste, force est de constater que la teneur de ce cadre normatif commun est inconnu ou,

du moins, non-proclamé. On peut certes avoir une idée assez précise des principes que l’on

voudrait voir apparaître sur une liste de valeurs communes. Personne ne pourrait à ce titre

nier l’importance d’idéaux tels que la liberté ou la dignité humaine. Toutefois, aucune

mesure (hormis les chartes) ne permet de conforter qui que ce soit dans l’énonciation de

choix normatifs opérants. L’enseignant d’ÉCR, qui se voit pour sa part attribué la

responsabilité d’examiner avec ses élèves une multitude de points de vue éthiques et

d’expressions religieuses, doit cheminer à tâtons dans un univers symbolique complexe.

Page 70: Quelle posture professionnelle pour l'enseignant d'Éthique et … · 2018-04-21 · iii RÉSUMÉ L’enseignant d’Éthique et culture religieuse, depuis la mise en place du programme

64

Comme l’indiquent Stéphanie Gravel et Solange Lefebvre à cet effet, le MELS « […] ne

fournit pas de liste officielle de valeurs, de principes et d’idéaux de la société démocratique

québécoise162

». Ils sont, pour l’heure, la pièce manquante du puzzle. Le puzzle de

l’éducation pluraliste. Comment l’enseignant peut-il prétendre orienter ses élèves vers le

vivre-ensemble et l’accomplissement d’une société démocratique si les bases de ces projets

ne sont pas même édictées? Les valeurs sont la matière première de la réalisation d’un tel

dessein : on peut les nommer, les expliquer et y recourir pour justifier tel ou tel

positionnement. Il est donc fondamental que ces valeurs que l’on souhaite communes au

Québec soient édictées afin qu’elles puissent remplir leur fonction directive et référentielle.

C’est pourquoi nous postulons que l’énonciation des valeurs fondatrices de notre

démocratie de droit et du lien social constituerait l’une des clés de la posture enseignante et

par corollaire de l’enseignement de la différence dans le cadre du cours d’ÉCR. Elles ne

sont rien de moins que la substance de l’objectivité qui incombe aux enseignants et de la

mesure de leur neutralité. Elles devraient en ce sens acquérir, nous le croyons, une

prépondérance leur permettant d’être consacrées comme objets de savoir en soi et d’être

ainsi affranchies de leur nature relative. Le projet de Charte des valeurs soumis par le Parti

québécois en septembre dernier aurait pu à certains égards remplir cette fonction

d’institutionnalisation axiologique, bien que sa viabilité juridique pose selon nous problème

tout autant que la légitimité de son contenu, à savoir ces valeurs choisies qui « définissent

la société québécoise et en constituent le contrat d’adhésion163

».

A. Comment choisir?

Il se dégage une piste de solution pour guider l’élaboration d’un corpus de valeurs

partagées : les limites à la liberté. Plus clairement, il faut inciter les jeunes à se positionner

afin de condamner ce qui n’est pas a priori acceptable (ce principe fait référence aux limites

de la tolérance) et à reconnaître d’emblée sa propre liberté autant que celle d’autrui.

D’ailleurs, Reboul fait de la reconnaissance de la liberté le critère fondamental de toute

éducation. Soulignons ici l’emploi du terme « reconnaissance » avant celui de « liberté »,

162

Gravel et Lefebvre dans Mireille Estivalèzes et Solange Lefebvre (dir.). Le programme d’éthique et culture

religieuse : de l’exigeante conciliation entre le soi, l’autre et le nous, Québec : Presses de l’Université Laval,

2012, p. 205 163

Gouvernement du Québec. Nos valeurs, op. cit.

Page 71: Quelle posture professionnelle pour l'enseignant d'Éthique et … · 2018-04-21 · iii RÉSUMÉ L’enseignant d’Éthique et culture religieuse, depuis la mise en place du programme

65

comme quoi la liberté individuelle n’est pas valable si elle n’est pas d’abord accompagnée

de la prise en compte du caractère fondamentalement libre d’autrui.

Le défi des sociétés contemporaines à cet égard est d’accepter la légitimité d’un

certain nombre de principes de base issus de diverses perspectives propres164

. Selon

Rawls165

, il faut alors que le consensus normatif s’effectue par recoupement de façon à faire

émerger les valeurs publiques qui constitueront la base de la société pluraliste. L’essentiel,

pour Maclure et Taylor, est que « les citoyens se rejoignent, à partir de leur propre

perspective, sur un ensemble de principes communs capables d’assurer la coopération

sociale166

». C’est l’idée du dénominateur commun que nous avons soulevée à quelques

reprises auparavant. Dans un langage plus savant emprunté à Leslie Green, cela revoie à

une « perspective épistémique partagée167

» et c’est ce que proposent Bourgeault et

Pietrantonio via la prise en compte du cadre établi par la majorité168

.

Déjà, des principes fondamentaux sont susceptibles de s’imposer et de constituer

une position initiale. Par exemple, l’égalité, la liberté et le respect apparaissent comme des

valeurs reines des sociétés démocratiques modernes et qui sont inviolables puisque, de

surcroît, elles sont constitutives d’un patrimoine moral collectif. Or, selon Maclure et

Taylor, c’est dans un exercice de pondération des droits concurrents que peut émerger une

seconde dimension à la définition d’un cadre normatif. Par exemple, la mesure de la liberté

d’expression est un droit individuel que nul ne saurait nier. Toutefois, si la conséquence de

sa mise en application est la violation de la dignité d’autrui, on est en droit d’affirmer que

l’exercice de ce droit est illégitime. Maclure et Taylor simplifient ce principe en affirmant

que l’on peut « légitimement restreindre l’exercice d’un droit afin de protéger les droits

d’autrui ou de permettre au pouvoir public de légiférer en fonction de l’intérêt général169

».

Le traitement des convictions et des positionnements moraux doit donc être compatible

avec les exigences de la vie en société. C’est aussi ce qu’ils nomment « les limites

164

Jocelyn Maclure et Charles Taylor op. cit., p. 20 165

John Rawls, Libéralisme politique, Paris : Presses universitaires de France, 1995, p. 171-172 166

Jocelyn Maclure et Charles Taylor op. cit., p. 24 167

Green dans Daniel M. Weinstock (dir.). Le défi du pluralisme, Montréal : Département de philosophie

(UQAM), 1993, 202 pages. p. 90 168

Bourgeault et Pietrantonio dans France Gagnon, Marie McAndrew et Michel Pagé (dir.) op. cit., p. 247 169

Jocelyn Maclure et Charles Taylor op. cit., p. 133

Page 72: Quelle posture professionnelle pour l'enseignant d'Éthique et … · 2018-04-21 · iii RÉSUMÉ L’enseignant d’Éthique et culture religieuse, depuis la mise en place du programme

66

raisonnables à la liberté de conscience170

». Or, Maclure affirmait lors des dernières

Journées provinciales de formation en éthique et culture religieuse que l’espace normatif

octroyé par les chartes et codes actuels permet de façon satisfaisante de réaliser les intérêts

de la majorité. En effet, les dispositions légales actuelles rendent réalisables le calibrage et

la pondération des droits concurrents171

.

Au chapitre de la définition d’un corpus de valeurs communes, il serait donc

superflu de faire table rase du patrimoine moral et constitutionnel constitué au fil du

développement des sociétés démocratiques modernes. Il apparaît donc justifié d’examiner

l’apport des chartes et codes de lois qui constituent la base de nos sociétés et de considérer

l’espace de protection qu’elles offrent aux citoyens ainsi que la préservation du lien social

qu’elles garantissent. À ce titre, Bourgeault et Pietrantonio affirment que tout le corpus des

droits de la personne doit être considéré comme inviolable. Devant un pluralisme de fait

marqué par les différences, la culture des droits de la personne apparaît donc comme une

valeur non négociable puisqu’elle balise l’intervention des institutions publiques. Aussi les

valeurs démocratiques et grands principes citoyens sont-ils souvent considérés comme des

fins, des objectifs de l’éducation. Nous les considérons plutôt comme des moyens, des

outils utilisés par les enseignants d’une part pour consolider leur posture professionnelle,

puis dans une optique d’appropriation par les élèves.

B. La citoyenneté comme assise normative

Sur le plan de la définition d’un socle de valeurs partagées, nous proposons la

constitution d’un schème normatif basé sur la dignité humaine et le civisme, qui se

rejoignent dans la valeur de réciprocité (que l’on pourrait aussi appeler le respect

réciproque). À l’instar d’Audigier, nous sommes d’avis que la citoyenneté devrait agir

comme moteur de l’édification d’un corpus de valeurs, de normes et de principes

170

Jocelyn Maclure et Charles Taylor op. cit., p. 127 171

Jocelyn Maclure dans « Contribuer à la construction d’une culture publique commune qui tient compte de

la diversité » dans le cadre des Journées provinciales de formation continue en éthique et culture religieuse,

2013

Page 73: Quelle posture professionnelle pour l'enseignant d'Éthique et … · 2018-04-21 · iii RÉSUMÉ L’enseignant d’Éthique et culture religieuse, depuis la mise en place du programme

67

fondamentaux puisqu’elle est créatrice du lien social172. Ces valeurs partagées permettraient

aussi à chacun de prendre part à la vie démocratique de l’État et de développer une

dimension identitaire proprement citoyenne lui intimant d’« intervenir sur le commun de la

société, sur la culture publique commune173

».

En ce qui a trait d’abord à la valeur de la dignité humaine, elle renvoie globalement

à l’idée de reconnaissance et de préservation de l’intégrité physique et psychologique de

tous les individus. Pour Kant, la dignité humaine est une valeur absolue et non relative174

.

Le choix de la proclamer valeur clé repose sur le fait qu’elle est apte à restreindre les

comportements qui sont susceptibles de porter atteinte à autrui. Les chartes et codes de lois

recèlent déjà d’une série de dispositions visant à assurer la dignité humaine, aussi Maalouf

affirme-t-il qu’aucun des droits fondamentaux « ne peut être dénié à nos semblables, sous

prétexte de préserver une croyance, une pratique ancestrale ou une tradition175

». L’auteur

soutient également, et il pourrait s’agir là d’un principe extrêmement facilitant dans le

contexte de l’éducation au pluralisme, que « les traditions ne méritent d’être respectées que

dans la mesure où elles sont respectables, c’est-à-dire dans l’exacte mesure où elles

respectent les droits fondamentaux des hommes et des femmes176

». Ainsi, il deviendrait

aisé pour l’enseignant d’ÉCR de condamner des pratiques comme l’excision ou le mariage

forcé, par exemple, sans avoir à jongler avec le respect de la diversité et la loyauté envers

les valeurs démocratiques de sa société. Maclure soutient à ce propos que les droits, bien

que fondamentaux, ne sont pas pour autant absolus. Ainsi, il est possible, raisonnable et

souhaitable que les droits d’un individu ou d’un groupe d’individus soient restreints si le

respect des droits d’autrui est menacé ou encore si le bien commun est compromis. Les

droits fondamentaux constituant un système en soi et n’étant pas des absolus, c’est un

172

François Audigier. (2001). « Les contenus d’enseignement plus que jamais en question ». Dans C. Gohier

et S. Laurin (dir.), Entre culture, compétence et contenu : la formation fondamentale, un espace à redéfinir

(pp. 141-192), 2001 173

Leroux dans Mireille Estivalèzes et Solange Lefebvre (dir.) op. cit., p. 138 174

Emmanuel Kant op. cit., p. 45 175

Amin Maalouf. Les identités meurtrières, Paris : Éditions Grasset, 1998, p. 124-125 176

Ibid., p. 124

Page 74: Quelle posture professionnelle pour l'enseignant d'Éthique et … · 2018-04-21 · iii RÉSUMÉ L’enseignant d’Éthique et culture religieuse, depuis la mise en place du programme

68

exercice d’équilibrage et de pondération qui doit s’effectuer, et non une hiérarchisation des

droits à proprement parler177

.

La seconde valeur que nous croyons opérante et fondamentale pour la société

démocratique québécoise est le civisme. Cette dernière, pour Milot, renvoie à la distance

réflexive et à la modération dans l’expression publique de ses convictions178

. En d’autres

mots, elle charge chaque citoyen d’être ouvert aux convictions adverses sans pour autant

abandonner les siennes. Le civisme est donc basé sur l’idée que les convictions ne sont pas

a priori des barrières. Pour Milot et Daniel Weinstock, c’est ce principe qui permettrait aux

élèves de dialoguer entre eux malgré leurs différentes affiliations. Il constituerait de surcroît

le socle de réalisation de l’idéal dialogique souhaité pour la société québécoise et promu

dans le cours d’ÉCR. Pour Jeffrey, le civisme (qu’il appelle « civilité ») est un élément clé

des « postures ou des stratégies individuelles qui facilitent les rapports à autrui179 ». Pour

l’auteur, cette aptitude à la modération et à la préservation de l’espace de dialogue renvoie à

la tolérance et relève de la capacité d’un individu à « réserver son jugement sur les

convictions d’une personne afin d’éviter de brimer sa dignité et de briser le lien social180

».

Dans une classe, faire appel au civisme pourrait ainsi s’avérer extrêmement fertile et

devenir, même, un outil pédagogique utile pour un enseignant qui se retrouve devant des

élèves qui alimentent des croyances ou des opinions basées sur des préjugés et qui

brandissent la liberté d’expression comme prétexte à l’énonciation de tout jugement, aussi

intenable soit-il. D’ailleurs, nous invitons les enseignants d’ÉCR à être particulièrement

vigilants lors du traitement de la liberté d’expression. Elle est une liberté fondamentale et

un droit acquis, mais elle ne suffit pas à légitimer toute prise de position. Ainsi, en classe, il

est primordial que cette notion constitutionnelle soit nuancée et que l’affirmation de sa

primauté soit faite avec circonspection.

177

Jocelyn Maclure dans « Contribuer à la construction d’une culture publique commune qui tient compte de

la diversité », op. cit. 178

Milot dans Fernand Ouellet (dir.) Quelle formation pour l’éducation à la religion? Québec : Les Presses

de l’Université Laval, 2005, p. 97 179

Jeffrey dans Robert Mager (dir.) op. cit. 180

Ibid.

Page 75: Quelle posture professionnelle pour l'enseignant d'Éthique et … · 2018-04-21 · iii RÉSUMÉ L’enseignant d’Éthique et culture religieuse, depuis la mise en place du programme

69

Les deux valeurs nommées, la dignité et le civisme, se recoupent dans celle plus

transcendante de la réciprocité, que l’on pourrait aussi appeler l’égalité de respect et qui est

assise sur la confiance mutuelle. Nous sommes d’avis que la réciprocité est apte à générer

des échanges empreints de respect et à tisser un lien social durable. Dans la classe, la mise

en application de cette valeur est susceptible d’engager les élèves et l’enseignant dans un

espace propice au dialogue. Spécifiquement dans le cadre du cours d’ÉCR, la mise en

application du principe de réciprocité promet de préparer le terrain pour le traitement des

différences éthiques et religieuses en classe avec aplomb et assurance. Luc Guay et France

Jutras affirment eux aussi l’importance de ces valeurs, dans Quelle formation pour

l’éducation à la religion?, en les citant même comme des finalités souhaitables de

l’éducation scolaire. Ainsi parlent-ils du principe de réciprocité : il s’agit « d’accorder à

autrui ce qu’il [l’enfant] désire se voir accorder à lui-même181

». Ils soulignent finalement

qu’aucune disposition constitutionnelle ou contrainte normative visant la reconnaissance de

l’identité d’autrui ou de la réciprocité n’est actuellement instituée.

2.2 LA RÉFLEXIVITÉ

La seconde clé pour l’enseignement de la différence est l’usage et la mise en valeur

de la capacité réflexive de l’humain. Établissons d’abord la réflexivité comme étant une

disposition cognitive permettant une affirmation identitaire éclairée. Elle est à la fois la

cible d’une éducation pluraliste et un moyen de son accomplissement. Quel meilleur

endroit que l’école pour aider l’individu à apprivoiser cette facette de sa propre personne,

pour l’initier une faculté intellectuelle et morale qui est prometteuse sur le plan de

l’affirmation de soi? Aider le jeune à objectiver son identité par la réflexion intérieure, c’est

le respecter dans sa capacité à s’approprier son identité citoyenne. La réflexivité, en

somme, est une condition de l’éducation civique : elle est le fait d’initier les élèves à leur

aptitude au jugement, à les responsabiliser face à leur place dans la collectivité et à les

orienter vers la découverte de principes éthiques fondamentaux. Aussi faut-il souligner que

s’exercer à la réflexivité ne doit pas systématiquement occasionner un déracinement face à

181

Guay et Jutras dans Fernand Ouellet (dir.) op. cit., p. 16

Page 76: Quelle posture professionnelle pour l'enseignant d'Éthique et … · 2018-04-21 · iii RÉSUMÉ L’enseignant d’Éthique et culture religieuse, depuis la mise en place du programme

70

ses affiliations éthiques et religieuses initiales : il s’agit plutôt d’un apprentissage visant

l’appropriation d’une disposition intellectuelle propre à engendrer un positionnement

éclairé. Vigneault indique simplement à cet effet que « la distance par rapport à ses propres

convictions ne signifie pas le déni de celles-ci182

». L’enseignant doit donc favoriser chez

l’élève l’émergence d’une lucidité au sujet de ses propres opinions et le courage de les

affirmer.

Toutefois, l’un des pièges qui guettent l’enseignant d’ÉCR à cet égard est celui de la

gestion du point de vue de ses élèves. La liberté d’expression, comme nous l’avons

mentionné précédemment, apporte de l’eau au moulin de ceux qui considèrent que

l’affirmation de leur opinion est un droit sine qua non. Ce qui est effectivement le cas, sauf

si tel positionnement entrave le dialogue (cela fait référence au principe de réciprocité

évoqué précédemment). L’opinion des élèves, qu’il s’agisse de leur perspective éthique ou

de leur allégeance religieuse, n’importe pas réellement et n’a pas de poids pédagogique. Ce

qui est capital, c’est que nonobstant son affiliation, chaque élève soit en mesure de prendre

connaissance d’une diversité de repères afin d’édifier un positionnement réfléchi et justifié.

C’est cette posture d’ouverture intellectuelle que nous avons précédemment nommée

« civisme » et qui est la substance du processus cognitif global que nous définissons ici par

la réflexivité. Or, la circonspection intellectuelle souhaitée peut avoir une variété de

résultantes : elle peut s’ouvrir sur une modification du point de vue, sur un renforcement de

la position initiale ou encore sur la nuance de cette dernière. Cela n’a au final pas d’impact

réel. Ainsi, des formules telles que « Selon toi… » ou « Que penses-tu de… » réclament

selon nous d’être utilisées avec vigilance puisque si leur caractère pédagogique ne nous

apparaît pas garanti, elles peuvent même mener les enseignants à se projeter dans une

situation pénible de laquelle ils peineront à s’extraire. De la même façon, l’exécution d’un

débat en classe doit être faite avec prudence. S’il est entendu que le but de l’exercice est

d’amener les élèves à découvrir et présenter une multitude de points de vue à propos d’un

questionnement éthique, le débat peut être un instrument didactique approprié. Si les élèves

sont appelés à convaincre leurs interlocuteurs de la pertinence de leur point de vue initial,

toutefois, la cible pédagogique est ratée.

182

Vigneault dans Fernand Ouellet (dir.) op. cit., p. 183

Page 77: Quelle posture professionnelle pour l'enseignant d'Éthique et … · 2018-04-21 · iii RÉSUMÉ L’enseignant d’Éthique et culture religieuse, depuis la mise en place du programme

71

A. La raison critique

L’activation de la disposition réflexive chez l’humain n’est pas possible sans la mise

en œuvre de sa raison critique. Cette dernière agit en effet comme moteur de la réflexivité

et revêt une fonction de justification symbolique en filtrant les idées reçues. Valeur reine de

la société occidentale contemporaine, elle est également la matière du projet humain dont

parlent François Audigier, Bernard Jolibert et Fernand Dumont, c’est-à-dire la suprématie

de la raison critique. Dumont parle à cet effet d’une tâche à accomplir (via l’éducation) et

voit l’hégémonie de la raison comme un horizon d’avenir183

. Audigier souligne que cette

finalité est en réalité composée d’embûches, de défis à relever et de problèmes à résoudre

qui ont pour quête d’assujettir le subjectivisme moral propre à la société moderne puis,

dans un second ordre d’idée, de combattre l’intolérance184

.

Un enjeu s’impose en somme : rendre universelle et permanente la raison critique.

C’est elle qui, nonobstant les différences culturelles, linguistiques et individuelles,

permettrait de « percevoir la cohérence d’une pensée commune185

», de mettre sur pied une

compétence morale partagée. En d’autres termes, comme le soutient Jolibert, « ce qui vaut

rationnellement vaut pour tous186

» et la capacité réflexive serait en fait le véritable ticket

d’appartenance à l’humanité. Maalouf parle lui aussi de cet idéal lorsqu’il affirme que nous

devons respecter la spécificité de chaque civilisation, mais « sans jamais se départir de sa

lucidité187

». Lucidité ou cohérence interne, deux termes qui évoquent la même capacité

réflexive et qui dans une ultime mesure se rapportent à la raison critique en tant qu’idéal

humain glorifié depuis les balbutiements philosophiques de l’humanité. Après tout, déjà

saint Augustin exaltait la conscience réflexive de l’Homme! Souhaiter la suprématie de la

réflexivité et de la raison critique, c’est aussi donner aux individus les clés de leur

autonomie morale et le moyen de l’accomplissement de leur nature citoyenne. Dans un État

183

Fernand Dumont (1971). « Le rôle du maître : aujourd’hui et demain » op. cit. 184

François Audigier (2001). « Les contenus d’enseignement plus que jamais en question » op. cit. 185

Bernard Jolibert. Raison et éducation : l’idée de raison dans l’histoire de la pensée éducative, Paris :

Klinskieck, 1987, p. 115-133 186

Ibid. 187

Amin Maalouf op. cit., p. 125

Page 78: Quelle posture professionnelle pour l'enseignant d'Éthique et … · 2018-04-21 · iii RÉSUMÉ L’enseignant d’Éthique et culture religieuse, depuis la mise en place du programme

72

laïc, en effet, le citoyen jouit de la liberté de mener sa vie selon ses propres choix de

conscience188

. C’est en quelque sorte le contrat tacite partagé par l’ensemble des individus

avec l’État. Or, dans une perspective de vivre-ensemble, il est souhaitable que chaque

individu se prévale de ce droit tout en étant conscient qu’il est responsable de ses choix et

qu’il ne peut empiéter sur ceux d’autrui. C’est l’application d’une raison critique qui, sur ce

plan, promet de modérer les impulsions individuelles.

B. L’authenticité

Penser de façon extensive à la suprématie de la raison critique et surtout de

l’autonomie morale conduit à la question de l’authenticité. Celle-ci constitue d’ailleurs l’un

des concepts clés de l’éducation pluraliste décrite entre autres par le philosophe Taylor. Ici,

il faut percevoir l’authenticité comme étant la voie à suivre pour sa propre réalisation en

tant qu’être humain, ou comme la lucidité d’agir en étant pleinement conscient de ses

propres référents moraux. Dans les termes de Taylor, cela signifie qu’il existe « une

certaine façon d’être humain qui est la mienne189

», ce qui représente non pas seulement un

idéal, mais plus largement un impératif moral. C’est d’ailleurs en réalisant ses potentialités

que chaque individu développe son originalité et, ainsi, opère son caractère profondément

humain. L’auteur croit fermement « qu’au-delà de leurs différences il existe des propriétés,

communes ou complémentaires [aux humains], qui sont valables190

». C’est donc dire que

pour agir d’une façon qui soit authentique, chacun doit faire des choix qui sont en accord

avec les valeurs qui lui sont chères, il est tenu de faire preuve d’intégrité à l’égard de ce qui

lui semble valable et incontestable sur le plan moral, cela relevant de sa nature proprement

humaine.

C’est donc dire que l’authenticité est une conception qui vise à compenser les

risques de glissements inhérents à l’exacerbation de l’indépendance morale des individus.

Taylor est d’ailleurs lui-même conscient du danger de dépasser les standards de la raison au

profit d’une recherche individuelle de moralité. Si l’on admet que l’être humain est en effet

188

Jocelyn Maclure et Charles Taylor op. cit., p. 31 189

Charles Taylor. Le malaise de la modernité, Paris : Éditions du Cerf, 1994, p. 37-36 190

Ibid., p. 70-71

Page 79: Quelle posture professionnelle pour l'enseignant d'Éthique et … · 2018-04-21 · iii RÉSUMÉ L’enseignant d’Éthique et culture religieuse, depuis la mise en place du programme

73

détenteur d’une liberté morale intrinsèque, on est alors en droit de craindre que chaque

individu se prévale de ce droit pour assouvir son « désir immoral de faire ce qui plaît sans

interférence191

». Taylor appréhende que cette domination du subjectivisme moral dans

notre culture et la valorisation de l’épanouissement de soi puissent tendre, dans une ultime

mesure, vers l’éloignement de la raison ou de la nature des choses au profit de l’adoption de

motifs purement subjectifs et instrumentaux. Il apparaît à ce titre légitime d’imaginer que

les jeunes, par exemple, se « moquent carrément des causes qui transcendent le moi192

» et

agissent selon des intentions individuelles qui ne concordent pas avec les préceptes du

« dénominateur moral commun » établi dans une société. Cette situation est susceptible de

générer une confusion chez certains individus qui d’un côté entendent qu’ils doivent être

souverains quant à leurs choix éthiques, mais qu’ils doivent d’un autre côté agir selon des

principes démocratiques indéniables.

L’idéal d’authenticité contribue en somme à combler ce flou puisqu’il agit comme

un impératif moral à proprement parler. Il revient au rapport de réciprocité entre

l’affirmation de sa foi en l’humain et l’action loyale vis-à-vis les autres individus : elle nous

apparaît à cet égard comme le garde-fou des produits de la réflexivité.

C. Le défi de l’école

L’apport de la réflexivité à l’identité citoyenne nous mène à affirmer que favoriser

le développement de l’autonomie morale chez l’élève est une stratégie promettant de paver

la voie à un enseignement équilibré de la différence dans le cours d’ÉCR, autant que

l’initier et l’exercer à l’authenticité. C’est entre autres en provoquant des situations de

rencontre avec une pluralité de visions du monde193

que l’on peut espérer mener l’élève à

considérer une multitude de possibilités philosophiques et religieuses et à apprendre à les

recevoir avec assurance et sens critique. Devant ce défi de l’école, l’enseignant est appelé à

agir comme un accompagnateur de l’élève en stimulant sa curiosité et en l’escortant,

comme il a été dit dans la partie portant sur le rôle de l’enseignant, dans son appropriation

191

Charles Taylor op. cit., p.35 192

Ibid., p.32 193

Jocelyn Maclure et Charles Taylor op. cit., p. 25

Page 80: Quelle posture professionnelle pour l'enseignant d'Éthique et … · 2018-04-21 · iii RÉSUMÉ L’enseignant d’Éthique et culture religieuse, depuis la mise en place du programme

74

de cette disposition cognitive qu’est la réflexivité. Aussi Bourgeault et Pietrantonio parlent-

ils de cette intention relative au développement d’une indépendance morale194

via

l’autoconstruction de l’élève devant la différence. Ce dernier est appelé à s’engager dans

une relation dialogique de différenciation dont le moteur doit être la raison critique et la

réflexivité. Or, amener l’élève dans le registre de la pensée réflexive apparaît comme l’une

des visées du cours d’ÉCR, mais qu’en est-il de l’enseignant? Comment prétendre qu’il soit

apte à accompagner l’élève dans son appropriation de cette disposition cognitive s’il se

l’interdit (c’est-à-dire s’il n’exerce pas lui-même sa pensée critique lors du traitement

d’objets de savoir en classe)? Une stricte neutralité de sa part serait à cet égard intenable,

incohérente.

Il faut finalement mettre en lumière un écueil qui guette l’enseignant d’ÉCR, à

savoir celui de la confusion possible entre réflexivité et quête de sens. Cette dernière n’est

pas l’objectif du programme. En effet, l’entreprise pédagogique du cours d’ÉCR ne doit pas

être orientée vers le souhait que l’élève découvre sa foi ou trouve une série d’opinions au fil

de son parcours scolaire. Il est plutôt désiré qu’il développe un ensemble d’instruments

intellectuels (articulés autour de la réflexivité) désignés pour composer son autonomie

morale afin qu’il soit préparé, en vue de sa vie citoyenne, à organiser et régir une série de

données éthiques, religieuses, culturelles, philosophiques, identitaires, etc. qui lui seront

continuellement exposées. Il est impératif à ce titre, comme l’indique Estivalèzes en

renvoyant à Paul Ricœur, de « préparer les enfants à être de bons discutants; il faut les

initier à la problématique pluraliste des sociétés contemporaines195

». Il s’agit en somme

qu’ils déploient une disposition cognitive, et non des allégeances. Cette mise en garde

constitue du même coup une réponse aux détracteurs du programme qui craignent que le

cours d’ÉCR ne soit le terrain d’un prosélytisme religieux (ou antireligieux).

2.3 LES FINALITÉS DU PROGRAMME D’ÉCR

194

Bourgeault et Pietrantonio dans France Gagnon, Marie McAndrew et Michel Pagé (dir.) op. cit., p. 234 195

Estivalèzes dans Laurence Loeffel (dir.). École, morale laïque et citoyenneté aujourd’hui, Villeneuve

d’ASCQ : Presses universitaires du Septentrion, 2009, p. 88

Page 81: Quelle posture professionnelle pour l'enseignant d'Éthique et … · 2018-04-21 · iii RÉSUMÉ L’enseignant d’Éthique et culture religieuse, depuis la mise en place du programme

75

La troisième clé de l’enseignement de la différence dans le cours d’ÉCR est

l’intégrale compréhension de l’interrelation fondamentale entre les deux finalités du

programme, à savoir la reconnaissance de l’autre et la poursuite du bien commun. Elles ne

sont pas des principes indépendants, mais des vases communicants. Il importe donc que la

référence à ces finalités se fasse continuellement de front, et non pas en alternance selon la

situation ou l’élément de contenu traité. Or, nous avançons qu’ils sont des libellés

« parcourus des yeux » plutôt que réellement assimilés et mis en application. Ils constituent

des données théoriques qui ne demeurent pour l’heure que partiellement comprises, comme

le soulignait Maxwell qui, dans sa conférence intitulée La « reconnaissance de l’autre » et

la « poursuite du bien commun », présentait les finalités du programme comme « bien

connues mais peu comprises196

». Nous postulons donc que les finalités du programme

d’ÉCR sont susceptibles d’être vraiment pertinentes pour l’édification d’une posture

professionnelle pour l’enseignement de la différence dans la seule mesure où la puissance

du lien qui les unit serait consentie.

Dans les documents ministériels officiels, comme nous l’avons souligné plus tôt, il

est dit que la reconnaissance de l’autre et la poursuite du bien commun doivent agir comme

des balises, des référents pédagogiques. Toutefois, nous sommes d’avis que chacune de ces

finalités, isolées, n’a pas de poids réel. Pour être véritablement utiles, elles doivent être

comprises comme les substances d’un rapport dynamique. Ce que nous proposons ici, c’est

donc d’expliciter le lien qui unit la poursuite du bien commun et la reconnaissance de

l’autre pour présenter une conceptualisation claire de ce rapport à travers la pensée

pluraliste. Plus tôt, nous avons postulé que chacune des deux finalités renvoyait à des

cadres théoriques dichotomiques (respectivement le relativisme qui sous-tend la

reconnaissance de la différence et l’universalisme qui commande la fidélité à des valeurs

que nous souhaitons inviolables). Or, concéder le rapport intrinsèque entre ces deux visées

permet d’orienter la prise en compte de la différence dans le cadre du cours d’ÉCR et

revient à admettre leur apport à un projet commun plus grand.

196

Bruce Maxwell. « La « reconnaissance de l’autre » et la « poursuite du bien commun » » dans le cadre des

Journées provinciales de formation continue en éthique et culture religieuse, 2012

Page 82: Quelle posture professionnelle pour l'enseignant d'Éthique et … · 2018-04-21 · iii RÉSUMÉ L’enseignant d’Éthique et culture religieuse, depuis la mise en place du programme

76

A. Le pluralisme : société et éducation

Cet impératif de compréhension des finalités du programme comme les deux

facettes d’un même projet, Jacques Beauchemin le pose en parlant de la reconfiguration

nécessaire de la communauté politique. Cette dernière doit selon lui être apte à « réconcilier

le projet d’un vivre-ensemble commun avec la promotion des différences197 ». Il croit à cet

égard que miser sur l’éducation au pluralisme permettrait d’unir dans un rapport de sens

l’appartenance à une nation (citoyenneté) et la diversité. Estivalèzes soutient encore que

reconnaître que la reconnaissance de la diversité n’est pas « un obstacle à une culture

commune rassembleuse et ouverte sur l’universel198

». La pensée pluraliste reconnaît en

effet une multiplicité de départ, mais ne postule pas, toutefois, que celle-ci soit

irréductible199

. Cette perspective permet donc la pleine reconnaissance d’identités

multiples, mais convient que celles-ci ne gênent pas pour autant le projet d’édification

d’une identité commune via la primauté de valeurs partagées situant les bornes de la

tolérance200

. Le pluralisme, cette « forme déterminée de rapport social à la diversité » dont

l’objectif principal est de déterminer les limites de l’ouverture à la diversité sans

compromettre la vie publique201

, est donc un mode de pensée qui sied parfaitement à notre

problématique de départ et qui alimente considérablement la question de la neutralité de

l’enseignant d’ÉCR. Plus qu’un état de fait, le pluralisme est donc une valeur en soi202

.

Jeffrey entrevoit ce rapport à la diversité sous l’angle des deux obligations civiques que

devrait revêtir la participation à la vie citoyenne, c’est-à-dire le « respect des principes de la

démocratie qui, en soutenant la laïcité, reconnaît de fait la diversité des convictions » et la

« cohabitation pacifique avec les autres, quelles que soient leurs convictions et malgré leurs

différences203».

Leroux, penseur du pluralisme au Québec, pose pour sa part la question suivante :

« Est-il utopique de penser que l’école peut et doit contribuer à l’émergence de cette culture

commune, à la fois respectueuse des individus et porteuse d’un humanisme ouvert sur

197

Leroux dans Mireille Estivalèzes et Solange Lefebvre (dir.) op. cit.. p. 132 198

Estivalèzes dans Mireille Estivalèzes et Solange Lefebvre (dir.) op. cit., p. 29 199

Leroux dans Mireille Estivalèzes et Solange Lefebvre (dir.) op. cit., p. 136 200

William E. Connolly. Pluralism, Durham / Londres : Duke University Press, 2005, p. 42 201

Guay et Jutras dans Fernand Ouellet (dir.) op. cit., p. 13 202

Sivane Hirsch op. cit. 203

Jeffrey dans Robert Mager (dir.) op. cit.

Page 83: Quelle posture professionnelle pour l'enseignant d'Éthique et … · 2018-04-21 · iii RÉSUMÉ L’enseignant d’Éthique et culture religieuse, depuis la mise en place du programme

77

l’universel?204

» Ce questionnement contient toute la substance du projet relatif à

l’implantation du programme d’ÉCR et contient l’essence du pluralisme, c’est-à-dire du

rapport significatif qui lie la reconnaissance de l’autre et la poursuite du bien commun.

Maclure et Taylor assurent à ce chapitre que « bien vivre ensemble dans une société

diversifiée exige que l’on apprenne à trouver normal un éventail de différences

identitaires205

». Différences identitaires dont Reinaldo Matias Fleuri parle pour sa part en

termes de « légitimités contradictoires et concurrentes206

», et qui concernent une multitude

de conceptions du bien. Ainsi la pensée pluraliste infère-t-elle que l’on doit viser une

compréhension mutuelle prenant acte de la diversité culturelle, religieuse, axiologique,

idéologique, etc. Elle dépasse largement la simple tolérance : elle implique une

connaissance dynamique, un accueil intéressé. Leroux soutient à cet effet que le pluralisme

moral, donc la diversité quant aux diverses visions du monde, est la « situation naturelle de

la condition humaine207

». L’école, comme le prétend Estivalèzes, s’impose comme le lieu

par excellence de l’apprentissage de ce respect mutuel qui est la disposition intellectuelle et

philosophique caractérisée par l’ouverture calculée.

B. L’éducation civique

Cet horizon de reconnaissance mutuelle prend ancrage dans l’idéal du respect

réciproque qui est la clé de voûte de la « recherche de l’harmonie commune qui se trouve à

la base de la démocratie208

». Rechercher l’harmonie, c’est considérer l’universalité non

seulement sous l’angle de ce que les Hommes partagent, mais surtout dans la perspective

du « projet humain » auquel Jolibert fait référence comme un devoir être, un idéal et une

réflexion à accomplir sur les choix moraux que l’on souhaite établir en tant que

communauté209

. Leroux affirme en ce sens que la diversité au sein d’une société ne

constitue en rien un obstacle à l’édification d’une culture partagée. Elle représenterait au

204

Leroux dans Mireille Estivalèzes et Solange Lefebvre (dir.) op. cit., p. 134 205

Jocelyn Maclure et Charles Taylor op. cit., p. 61 206

Fleuri dans Fernand Ouellet (dir.) Quelle formation pour l’éducation à la religion? Québec : Les Presses

de l’Université Laval, 2005, p. 165 207

Leroux dans Mireille Estivalèzes et Solange Lefebvre (dir.) op. cit., p. 147 208

Leroux dans Mireille Estivalèzes et Solange Lefebvre (dir.) op. cit., p. 133-134 209

Bernard Jolibert, op. cit.

Page 84: Quelle posture professionnelle pour l'enseignant d'Éthique et … · 2018-04-21 · iii RÉSUMÉ L’enseignant d’Éthique et culture religieuse, depuis la mise en place du programme

78

contraire un « réservoir de différences susceptibles d’enrichir les valeurs communes210

» via

un processus délibératif. Là se dessine le rapport dynamique entre les deux finalités du

programme d’ÉCR : la reconnaissance de l’autre alimente la constitution d’un vivre-

ensemble qui, basé sur l’édification d’un cadre moral partagé, permet à son tour une

reconnaissance de l’autre comme valeur initiale.

Il est entendu que la poursuite du bien commun va également de pair avec la

réalisation d’un idéal démocratique. L’éducation civique est à cet effet l’un des principaux

domaines d’application des deux finalités du programme. En d’autres mots, la culture

citoyenne est un aspect capital de l’éducation pluraliste, puisque l’on admet d’emblée que

tout individu vivant au Québec jouit du principe d’égalité qui lui donne le ticket de

participation à la vie citoyenne, et ce avec ses particularités symboliques (croyances,

pratiques, etc.). Il doit toutefois faire siennes les valeurs qui sont reconnues comme la base

de la société civique. Ainsi, la création d’un lien civique basé sur la promotion de valeurs

citoyennes est l’une des finalités sous-entendues du programme d’ÉCR, bien que la frange

« Éducation à la citoyenneté » ait été recoupée du cursus pour être intégrée au programme

d’histoire. Nous sommes d’avis que les enseignants auraient à gagner de miser sur cet idéal

en classe de façon à mettre la table à une éducation civique prometteuse pour l’architecture

sociale à refaire. Or, le projet citoyen qui est souhaitable dans un cadre pluraliste n’est pas

de type « classique » qui, dépeint par François Jacquet-Francillon, s’appuie sur un contrat

social largement articulé autour de l’idée d’essence nationale et faisant abstraction des

identités particulières211

. La représentation d’une citoyenneté qui sied à un Québec

pluraliste en est une, évidemment, de solidarité, d’humanité et de reconnaissance des

particularités où chacun, dans un cadre normatif accepté de tous, a sa place dans la

délibération sociale. Pour Leroux, respecter la liberté de conscience de chacun est à cet

effet le premier pas de la délibération démocratique212

.

210

Leroux dans Mireille Estivalèzes et Solange Lefebvre (dir.) op. cit., p. 140 211

Jacquet-Francillon dans Laurence Loeffel (dir.). École, morale laïque et citoyenneté aujourd’hui,

Villeneuve d’ASCQ : Presses universitaires du Septentrion, 2009, p. 120 212

Leroux dans Mireille Estivalèzes et Solange Lefebvre (dir.) op. cit., p. 149

Page 85: Quelle posture professionnelle pour l'enseignant d'Éthique et … · 2018-04-21 · iii RÉSUMÉ L’enseignant d’Éthique et culture religieuse, depuis la mise en place du programme

79

Il est par ailleurs intéressant d’établir un parallèle entre ce mode de délibération à

l’échelle citoyenne et l’aptitude au dialogue que l’on souhaite voir développer chez les

élèves pendant leur parcours scolaire. Tous deux sont fondés sur ce que Taylor appelle la

« nature fondamentalement dialogique de l’être humain », moteur de formation identitaire

et d’interprétation du monde. Dialoguer, c’est entrer en contact avec l’Autre tout en

développant des stratégies pour le faire de manière appropriée. Avouons que c’est ce que

requiert la participation citoyenne, tout autant que ce que les élèves sont appelés à déployer

en classe lors de situations de dialogue. C’est également au croisement de la reconnaissance

de l’autre et de la poursuite du bien commun que le dialogue devient possible et fertile. Il

apparaît donc avantageux d’utiliser le dialogue en classe en visant l’acquisition par l’élève

d’une série de comportements. Parmi ceux-ci, nous souhaitons qu’il s’exerce à élaborer un

argumentaire fondé, à évacuer de son discours ce qui pourrait entraver l’échange avec

autrui et à se montrer ouvert au point de vue de son interlocuteur. Qui plus est, et cela nous

mène à la question de l’identité, la nature dialogique de l’être humain présente l’idée que

c’est à la rencontre de l’Autre que l’individu se construit, se définit puis appréhende le

monde dans lequel il vit. Là émerge la double fonction du dialogue, c’est-à-dire la

définition de soi ainsi que l’apprentissage d’une participation profitable à l’échange

citoyen.

Page 86: Quelle posture professionnelle pour l'enseignant d'Éthique et … · 2018-04-21 · iii RÉSUMÉ L’enseignant d’Éthique et culture religieuse, depuis la mise en place du programme

80

2.4 LA LAÏCITÉ

Nous avons vu en début de parcours que différentes acceptions de la laïcité sont

recevables. D’une part, une définition stricte du concept infère l’évacuation totale de la

religion de la sphère publique et la négation de toute démonstration des convictions

religieuses. Dans cette perspective, les individus sont égaux sur la base de la sécularité. Une

définition permissive de la laïcité pose d’autre part le postulat qu’aucune religion ne prime

sur les autres. Cette définition déverrouille donc à l’opposé un espace croyant sur la base de

l’égalité. De surcroît, il a été mentionné en introduction que le Québec, devant un

phénomène de diversification culturelle provoqué par diverses vagues d’immigration et un

repositionnement commun par rapport à l’Église catholique, avait tacitement fait le choix

d’adopter une position d’ouverture face au phénomène religieux. En effet, son code

génétique n’était plus désormais marqué exclusivement par un héritage judéo-chrétien

monolithique, mais plutôt multiple et surtout changeant La multiplication des convictions

et, parallèlement, de l’individualisation de la quête de sens était donc le nouvel état de fait

avec lequel le Québec devait désormais composer. C’est dans le Rapport Proulx que les

contours d’une laïcité de neutralité et de dialogue, donc pluraliste, ont été tracés. Cette

perspective colle à la définition qu’en donne Jean-Paul Delahaye, à savoir celle d’une

disposition étatique qui vise à enrichir la culture générale sans porter atteinte à la liberté de

conscience, présupposant de fait la « neutralité concernant la pluralité des options

spirituelles213

». Aussi ce type de laïcité s’inscrit-il dans la perspective selon laquelle les

états démocratiques et libéraux sont appelés à « accorder un respect égal à des individus

ayant des visions du monde et des schèmes de valeurs différents214

» et à garantir à tous les

individus le choix de leurs convictions215

. Ce faisant, la laïcité ne doit en aucun cas être

perçue comme le choix en faveur ou en défaveur de la religion : elle doit être comprise

comme « la condition de la coexistence des individus » et la « manifestation tangible du

vivre-ensemble »216

.

213

Delahaye dans Laurence Loeffel. École, morale laïque et citoyenneté aujourd’hui, Villeneuve d’ASCQ :

Presses universitaires du Septentrion, 2009, p. 83 214

Jocelyn Maclure et Charles Taylor op. cit., p. 29 215

Jeffrey dans Robert Mager (dir.) op. cit. 216

Ibid.

Page 87: Quelle posture professionnelle pour l'enseignant d'Éthique et … · 2018-04-21 · iii RÉSUMÉ L’enseignant d’Éthique et culture religieuse, depuis la mise en place du programme

81

A. Une laïcité d’intelligence

Considérant qu’un modèle de société basé sur l’ouverture à la diversité suppose que

le rôle de l’État n’est pas d’imposer une unique vision du monde et du bien, il apparaît

fondamental, dans l’optique du vivre-ensemble, que les citoyens soient dotés d’une

autonomie morale leur permettant de se positionner de façon réfléchie devant à une

multiplicité de visions du monde217

. C’est peut-être ce qui s’ouvrirait, pour réinvestir

l’expression de Régis Debray, sur une « laïcité d’intelligence218

». En effet, souhaiter que

tout individu demeure souverain dans ses choix va de pair avec une foi en son

indépendance réflexive. Nous avons à ce titre abordé la multiplicité des conceptions du bien

et des systèmes de valeurs qui sont parfois incompatibles, notamment via

l’approfondissement de la pensée relativiste, et avons postulé que l’Homme peut être libre

quant à ses choix, mais dans une limite « raisonnable ». C’est la base d’une vision pluraliste

qui établit la double nature de l’être humain : libre et limitée. Si le propre d’une laïcité

qualifiée d’ouverte est d’accueillir une multiplicité de convictions religieuses et de visions

du monde, l’État ne peut faire fi de l’importance de promouvoir des principes

démocratiques fondamentaux219

. En effet, ce dernier doit encourager l’allégeance à un

éventail de valeurs constitutives des régimes démocratiques capables d’agir comme des

balises et d’orienter la société vers des finalités communes. Établir les bases d’une société

démocratique et ouverte ne peut au demeurant s’effectuer sans un travail de fond portant

sur l’élaboration d’un socle de valeurs que nous souhaiterions communes.

B. La charge de l’école au regard d’une laïcité pluraliste

Affirmer que l’école est un appendice de l’appareil étatique, c’est dire qu’elle doit

être porteuse des mêmes ambitions et faire la promotion des valeurs sous-jacentes à une

laïcité de neutralité. Dans cet ordre d’idées, Loeffel affirme que la laïcité est applicable au

cadre scolaire et deviendrait le socle du contrat social220

. Tel serait pour Leroux le sens de

217

Jocelyn Maclure et Charles Taylor op. cit., p. 19 218

Régis Debray op. cit., p. 43 219

Jocelyn Maclure et Charles Taylor op. cit., p 19 220

Loeffel dans Laurence Loeffel. École, morale laïque et citoyenneté aujourd’hui, Villeneuve d’ASCQ :

Presses universitaires du Septentrion, 2009, p. 100

Page 88: Quelle posture professionnelle pour l'enseignant d'Éthique et … · 2018-04-21 · iii RÉSUMÉ L’enseignant d’Éthique et culture religieuse, depuis la mise en place du programme

82

la laïcité scolaire, c’est-à-dire complémentaire à celle de l’État221

. L’école contiendrait donc

la promesse de la réalisation de ce projet d’architecture sociale et en serait le moteur, ce qui

suppose par ailleurs que les enseignants, représentants de l’État, seraient appelés à agir en

tant que porte-étendards du modèle laïc établi. Cela signifie qu’il est attendu des

enseignants qu’ils fassent la promotion de l’ouverture à la diversité symbolique et du

principe d’égalité de façon à diffuser le modèle laïc pour lequel nous avons fait le pari à

l’époque du Rapport Proulx. Lorraine Derocher, lors de sa conférence intitulée Enseigner à

des élèves croyants ou comment préserver sa neutralité, soulignait que le rôle de

l’enseignant est à ce titre de représenter la société devant l’enfant222

. Celui-ci est donc

appelé à être porteur de valeurs et d’un projet. Considérant que l’État n’est pas neutre et

que l’enseignant est représentant de l’État, l’enseignant n’est donc pas absolument neutre :

il est à la fois le porte-étendard et l’artisan du projet d’architecture sociale.

Affirmer que l’État n’est pas neutre, qu’il est « prescripteur du bien commun223

»,

c’est dire que l’éducation, en somme, ne l’est pas non plus. Elle poursuit une fin, elle est un

projet en soi, le premier espace démocratique où chacun « va à la rencontre de sa liberté en

même temps qu’il fait l’épreuve des droits des autres224

». L’enseignant d’ÉCR, parce qu’il

est appelé à traiter les questions relatives aux valeurs communes et à la diversité, doit donc

à notre sens épouser ce projet et agir en tant que modèle d’application d’une laïcité

pluraliste qui laisse émerger les produits de la liberté de conscience tout en faisant la

promotion de valeurs fondamentales.

2.5 UNE NEUTRALITÉ MESURÉE

La définition d’une neutralité mesurée est le point d’arrivée d’un parcours, un

cheminement dont le coup d’envoi était l’édification d’un cadre normatif commun

établissant les valeurs que nous souhaitons inviolables. Ces dernières devaient être investies

221

Georges Leroux op. cit., p. 14 222

Lorraine Derocher. « Enseigner à des élèves croyants ou comment préserver sa neutralité » dans le cadre

des Journées provinciale de formation continue pour l’AQÉCR, 2012 223

Loeffel dans Laurence Loeffel op. cit., p. 103 224

Georges Leroux op. cit.

Page 89: Quelle posture professionnelle pour l'enseignant d'Éthique et … · 2018-04-21 · iii RÉSUMÉ L’enseignant d’Éthique et culture religieuse, depuis la mise en place du programme

83

comme la substance d’une réflexivité dont nous entrevoyons une double application : son

appropriation par les élèves, puis son activation systématique par l’enseignant d’ÉCR. Faire

usage de cette disposition cognitive permettrait en effet à l’enseignant d’accéder à une

pleine compréhension du rapport intrinsèque qui unit la reconnaissance de l’autre et la

poursuite du bien commun, et d’amarrer le traitement qu’il fait de la différence à ce lien

dynamique prenant corps dans une éducation pluraliste. Le pluralisme, soit le mécanisme

d’épanouissement de la diversité dans un cadre qui permet l’actualisation du plus grand

nombre légitimait pour sa part les bases théoriques de la laïcité d’ouverture dont le Québec

a fait le choix. Admettre à tous une liberté d’opinion, de croyance et d’expression, tant

qu’elle n’entre pas en contradiction avec les droits d’autrui ou ne bafoue pas les valeurs

fondamentales établies, voilà le pari du Québec moderne que doit aussi endosser, par

ailleurs, l’enseignant d’ÉCR. Comprendre cette chaîne théorique, c’est donc admettre au

final que l’essence de la neutralité de l’enseignant d’ÉCR est calquée sur celle de l’État :

une neutralité, donc, mesurée, pondérée, calculée. Il s’agit d’une neutralité que l’on pourrait

qualifier, paradoxalement admettons-le, d’intéressée, puisque mue par une intention propre.

A. L’État n’est pas neutre

Convenons donc que l’éducation n’est neutre que dans l’exacte mesure où l’est

aussi l’État. Si nous admettons que l’État québécois est pluraliste, qu’il mise sur une laïcité

d’ouverture et qu’il est responsable de promouvoir un corpus de valeurs communes, il doit

en être de même pour l’éducation. En effet, l’école est l’un des appendices de l’État. Il en

est le miroir et un vecteur de réalisation de ses ambitions. Diane L. Moore affirme aussi en

ce sens que « le projet éducatif n’est jamais neutre225

». Or, un État laïc prône le principe de

neutralité, mais en même temps arbore un ensemble d’intentions précises qui en font,

comme l’indique Loeffel, le « prescripteur de bien commun226

». Ce qui doit être marqué

par le sceau de l’impartialité, c’est en fait le rapport entre l’État démocratique et la

religion : celui-là ne doit pas, effectivement, favoriser l’un ou l’autre des religions ou

225

More dans Mireille Estivalèzes et Solange Lefebvre (dir.) op. cit., p. 121 226

Loeffel dans Laurence Loeffel (dir.). École, morale laïque et citoyenneté aujourd’hui, Villeneuve

d’ASCQ : Presses universitaires du Septentrion, 2009, p. 103

Page 90: Quelle posture professionnelle pour l'enseignant d'Éthique et … · 2018-04-21 · iii RÉSUMÉ L’enseignant d’Éthique et culture religieuse, depuis la mise en place du programme

84

univers symboliques227

. Par contre, l’un de ses devoirs est de s’assurer que les convictions

religieuses et éthiques puissent être vécues à l’intérieur d’un cadre qui garantit à chaque

citoyen une liberté de conscience. Il importe donc que l’enseignant d’ÉCR, tout comme

l’État, demeure neutre face aux différentes conceptions du monde et visions séculières. Il

s’agit pour Debray de « pondérer une proximité compréhensive228

» et d’établir une

distance critique entre les faits religieux ou les référents éthiques traités en classe. Or, cette

proximité compréhensive revient à la neutralité pédagogique, qui est pour Leroux une

exigence éthique fondée sur la « primauté du respect de chaque jeune comme porteur

d’identités complexes229

».

Nous nous permettons à ce titre d’affirmer, puisqu’il est entendu que l’enseignant

est le représentant de l’État, qu’il doit en être de même en classe. En effet, un certain

nombre de principes moraux doivent être établis à l’école, puisque la transmission d’un

corpus de valeurs communes va de pair avec l’idée d’État éducateur230

. Il ne s’agit donc pas

pour l’enseignant d’adopter une position de neutralité à tout prix et en toute circonstance,

comme le mentionnent Gravel et Lefebvre. Il est plutôt appelé à revêtir l’habit d’un arbitre

impartial, certes, mais faisant néanmoins la promotion d’un cadre commun de principes

fondamentaux231

. De fait, l’enseignant d’ÉCR n’est donc pas tenu au mutisme et au

laxisme : on attend plutôt de lui qu’il exclue le favoritisme pour aménager en classe un

espace d’apprentissage du respect de la différence. L’adoption d’une posture de neutralité

mesurée doit en somme passer, pour Gravel et Lefebvre, par l’intégration d’une attitude

scientifique232

. Les auteures édictent, dans Le programme d’éthique et culture religieuse :

de l’exigeante conciliation entre le soi, l’autre et le nous, une série d’impératifs

susceptibles de pouvoir guider l’enseignant dans sa quête d’une neutralité justifiée. Parmi

ceux-ci, notons le détachement de ses intérêts personnels, l’absence d’octroi de privilèges,

l’adoption d’une posture d’observateur désintéressé, la considération pour des valeurs

227

Jocelyn Maclure et Charles Taylor op. cit., p. 17 228

Régis Debray op. cit., p. 29 229

Leroux dans Mireille Estivalèzes et Solange Lefebvre (dir.) op. cit., p. 155 230

Loeffel dans Laurence Loeffel (dir.) op. cit., 231

Gravel et Lefebvre dans Mireille Estivalèzes et Solange Lefebvre (dir.) op. cit., p. 208 232

Ibid., p. 195

Page 91: Quelle posture professionnelle pour l'enseignant d'Éthique et … · 2018-04-21 · iii RÉSUMÉ L’enseignant d’Éthique et culture religieuse, depuis la mise en place du programme

85

généralement acceptées par tous et l’absence volontaire d’influence233

. Leroux, à son tour,

prescrit pour sa part trois principes qui visent à préciser le concept de neutralité. Il parle du

refus de toute discrimination, du respect absolu de la liberté de conscience et de la priorité

du bien commun234

. Ces prescriptions mettent en lumière deux principaux axes de la

neutralité enseignante : l’accueil d’une diversité de visions du monde et la promotion de

valeurs inviolables.

B. « S’abstenir n’est pas guérir »

Pour Leroux, les grandes finalités démocratiques que sont l’égalité et la liberté

doivent prévaloir en tout temps, et si l’expression d’une conviction entravait l’un ou l’autre

de ces principes, l’enseignant aurait la responsabilité de dire qu’elle n’est pas acceptable.

D’illustres philosophes, déjà, ont pensé cette limite. Locke avisait qu’il faut tout tolérer

sauf l’intolérance, alors que Kant affirmait qu’on doit tout respecter, sauf ce qui ne respecte

pas les droits universels de la personne. Des propos discriminatoires seraient par exemple

irrecevables en classe et un enseignant aurait le devoir d’intervenir à la suite de leur

formulation. S’abstenir, comme le souligne Debray, n’est pas guérir. Il ne faut pas tolérer

l’inacceptable, mais convenons que ce leitmotiv est largement plus aisé à réciter qu’à

appliquer en classe, et cela constitue une autre difficulté qui guette l’enseignant d’ÉCR.

Celui-ci doit prendre réellement conscience que sa neutralité n’implique en aucun cas qu’il

doive se taire devant un jugement haineux. Il est impératif qu’il abandonne les formules qui

laisseraient planer un doute sur la valeur accordée à des propos discriminatoires (ex. :

« c’est ton opinion »). Il doit réagir avec aplomb et avoir l’assurance de rejeter avec fermeté

des propos racistes, par exemple, ou homophobes. Ce contexte d’intervention comporte

cependant le risque de l’incompréhension des élèves. En effet, il est très malheureusement

envisageable qu’un élève ne tienne compte que du rejet de son intervention en classe et

rapporte l’application de l’autorité de son enseignant comme une violation de sa liberté

d’expression. Le fait est que les objectifs et moyens pédagogiques rattachés au programme

d’ÉCR demeurent souvent incompris d’une large frange de la population, et que l’idée

d’avoir à justifier ses interventions peut s’avérer très lourde pour l’enseignant d’ÉCR. Or, il

233

Gravel et Lefebvre dans Mireille Estivalèzes et Solange Lefebvre (dir.) op. cit., p. 196 234

Leroux dans Mireille Estivalèzes et Solange Lefebvre (dir.) op. cit., p. 154

Page 92: Quelle posture professionnelle pour l'enseignant d'Éthique et … · 2018-04-21 · iii RÉSUMÉ L’enseignant d’Éthique et culture religieuse, depuis la mise en place du programme

86

suffit de nous rappeler que cet écueil qui guette les enseignants est évitable grâce à la mise

en application du cadre de valeurs communes établi, à l’usage d’une raison critique par

l’enseignant puis à une référence continue aux deux finalités du programme d’ÉCR.

C. « On est tous quelque part »

Une dernière indication permet de considérer l’impératif de neutralité d’une façon

renouvelée ou, du moins, peu orthodoxe. Cette compréhension est celle, paradoxale, de

l’aveu de l’irréalité de la neutralité. Certains sourcilleront face aux propos d’Alain

Bouchard qui, lors de sa présentation intitulée Posture professionnelle en ÉCR et laïcité

québécoise : même défi?, postulait que « la neutralité, ça n’existe pas235

». Peut-être

devrions-nous plutôt comprendre de cette affirmation que la neutralité véritable n’existe

pas, puisque tout individu est porteur de croyances, de convictions et d’une culture, bagage

dont n’est pas dépourvu l’enseignant d’ÉCR. Il importe d’abdiquer devant l’évidence que

les individus, élèves comme enseignants, sont empreints d’une subjectivité de facto

marquée par un héritage propre. En d’autres mots, ceux de Bouchard citant Gérard Fourez,

on est tous quelque part. Ce qui importe, ce n’est donc pas de feindre que l’on est démuni

d’allégeances, mais bien d’être conscient de celles-ci. Il faut « savoir où l’on est236

». Si

l’enseignant d’ÉCR ne peut être neutre, il se doit en contrepartie d’agir avec neutralité ou

de traiter les questions abordées en classe de la façon la plus impartiale possible, c’est-à-

dire sans parti pris et s’abstenant évidemment de tout prosélytisme.

Cette perspective soulève par ailleurs l’épineuse question des signes ostentatoires

dans la fonction publique. Une femme portant le voile pourrait-elle enseigner l’ÉCR tout en

demeurant neutre? Voilà une question embarrassante à laquelle Bouchard répond par

l’affirmative. La définition de la neutralité, ou plutôt l’aveu de l’impossibilité d’être

strictement neutre, donne justement à penser qu’un individu démontrant son allégeance

religieuse serait en mesure d’exercer ses fonctions en respectant les normes relatives à sa

profession. Le cas échéant, son rôle est d’être impartial dans le traitement des questions en

235

Alain Bouchard. « Posture professionnelle en ÉCR et laïcité québécoise : même défi? » dans le cadre des

Journées provinciales de formation continue en éthique et culture religieuse, 2013 236

Ibid.

Page 93: Quelle posture professionnelle pour l'enseignant d'Éthique et … · 2018-04-21 · iii RÉSUMÉ L’enseignant d’Éthique et culture religieuse, depuis la mise en place du programme

87

classe. S’il n’était pas capable de faire preuve de professionnalisme et que son jugement

s’avérait biaisé, on dirait simplement de lui qu’il est incompétent, avec ou sans signe

religieux. Du coup, un enseignant honorant parfaitement la définition péquiste en matière

de neutralité religieuse, mais étant défaillant sur le plan de son impartialité à l’égard des

questions traitées en classe serait nettement plus nocif qu’une enseignante voilée

remplissant l’ensemble des devoirs qui lui incombent. Il s’agit là d’une question de

confiance envers le personnel à l’emploi de l’état, et cela ne devrait pas relever de la

question religieuse. Il serait selon nous souhaitable que l’employeur porte un regard attentif

sur la façon dont l’enseignant accomplit ses tâches professionnelles, c’est-à-dire sur sa

compétence brute, nonobstant l’image qu’il renvoie.

Le principal avantage de penser la neutralité enseignante de cette façon est celui du

modèle positif constitué. En effet, on demande aux élèves de développer une raison critique

et un ensemble d’autres outils intellectuels permettant de porter un regard sur le monde qui

contribue au vivre-ensemble, et ce malgré leur point de vue initial ou les idées véhiculées

au sein du noyau familial. Si celui qui les accompagne dans cette quête est un individu lui-

même dépourvu de couleurs et qu’il n’est positionné nulle part, comment peut-il prétendre

être un modèle véritable? En contrepartie, nous pensons qu’un enseignant conscient de ses

convictions et honnête envers lui-même et ses élèves, mais apte à en faire abstraction pour

appréhender les faits religieux ou éthiques avec circonspection et jugement représenterait

un modèle positif à l’égard de la démarche attendue. Humaniser la neutralité et les

processus cognitifs propres à l’ÉCR, ainsi pourrait-on comprendre cette détermination à se

défaire d’une image stérile du rôle enseignant.

La contrepartie de cet avantage, il est essentiel de le mentionner, est celui des

risques de glissement. En effet, la définition de la neutralité proposée nous semble

foncièrement féconde mais nous sommes conscients qu’elle sied à un contexte idéal où la

formation des enseignants d’ÉCR serait sans faille et continue, puis dans la mesure où le

programme de formation serait suffisamment encadrant. Ainsi admettons-nous que certains

risques d’erreurs sont inhérents à cette façon ouverte d’entrevoir le devoir de neutralité de

l’enseignant d’ÉCR. Ce risque est celui de l’influence naturelle de l’enseignant sur l’élève.

Page 94: Quelle posture professionnelle pour l'enseignant d'Éthique et … · 2018-04-21 · iii RÉSUMÉ L’enseignant d’Éthique et culture religieuse, depuis la mise en place du programme

88

Il serait souhaitable, il va de soi, que cette inévitable influence soit celle de la raison

critique, du jugement, de la curiosité et de l’ouverture, et non pas celle évidemment des

convictions en tant que telles.

Page 95: Quelle posture professionnelle pour l'enseignant d'Éthique et … · 2018-04-21 · iii RÉSUMÉ L’enseignant d’Éthique et culture religieuse, depuis la mise en place du programme

89

CONCLUSION

À l’aune de ces considérations théoriques et pratiques, effectuons un retour sur la

problématique soulevée d’entrée de jeu. Nous souhaitions circonscrire une posture éthique

qui permettrait d’aborder la différence avec assurance et aplomb dans le cours d’ÉCR de

façon à conforter l’enseignant dans son rôle professionnel. Afin d’échafauder un cadre de

compréhension complémentaire aux indications brutes pourvues par les auteurs des

documents ministériels, quatre grands axes ont été explorés. Le processus d’adoption d’un

modèle laïc a été légitimé à la lumière des jalons chronologiques ayant rythmé l’évolution

du Québec dans son rapport avec le corps clérical, entre autres en ce qui a trait à la place

accordée à la religion dans l’éducation, processus ayant culminé avec l’implantation du

programme d’ÉCR en 2008. Le concept de différence a, dans un second ordre d’idée, lui-

même été défini comme étant la conception relative définissant la diversité des façons

d’être humain. Nous avons précisé que la différence culturelle, substance des sociétés

plurielles, relevait largement des perspectives éthiques et des affiliations religieuses, réels

moteurs identitaires des sociétés. La tolérance a également été abordée comme une attitude

curieusement insuffisante pour stimuler les relations interculturelles puisqu’elle infère un

rapport de supériorité qui ferme la porte à une réelle reconnaissance de la différence.

Troisièmement, un examen exhaustif des indications pourvues par les auteurs du

programme ministériel à propos du rôle professionnel de l’enseignant d’ÉCR a été réalisé.

Cet exercice a permis d’établir qu’à l’enseignant d’ÉCR incombe un triple rôle de passeur

culturel, d’accompagnateur dans la pratique du dialogue et de détenteur d’un devoir de

réserve. Ces trois fonctions de l’enseignant, déjà, mettaient en lumière le fait que

l’éducation à l’éthique et à la culture religieuse est porteuse d’une intention propre et que

pour cette raison le devoir de neutralité de l’enseignant ne devait pas être interprété comme

l’obligation à un mutisme. Finalement, les deux finalités officielles du programme ont été

approfondies sous l’angle de leur teneur philosophique respective a priori dichotomique.

Cet examen plutôt théorique a permis d’établir que la reconnaissance de la diversité n’entre

pas en conflit avec la poursuite du bien commun et que, se rencontrant dans la perspective

pluraliste, elles sont au contraire complémentaires.

Page 96: Quelle posture professionnelle pour l'enseignant d'Éthique et … · 2018-04-21 · iii RÉSUMÉ L’enseignant d’Éthique et culture religieuse, depuis la mise en place du programme

90

L’examen de ces éléments théoriques nous a, dans la seconde partie de parcours,

permis d’élaborer un corpus de considérations pratiques visant à circonscrire une posture

favorable à l’enseignement de la différence dans le cours d’ÉCR. Nous avons ainsi tenté de

nommer au passage des clés d’action et des pièges à éviter avec en tête l’objectif de

proposer des pistes claires pour les enseignants d’ÉCR. Pour ce faire, nous avons tissé un

enchaînement de dépendances théoriques dont le premier maillon est l’édification d’un

socle de valeurs communes. C’est en effet grâce à un constant recours à des référents

normatifs collectifs que les membres d’une société peuvent s’accomplir en jouissant d’une

liberté consentie. À cet égard, la citoyenneté est apparue comme une assise normative

franchement féconde et permettant de proposer le schème tripartite dignité-civisme-

réciprocité comme cadre suffisamment restreignant, mais propice à laisser néanmoins

fleurir la liberté individuelle. Nous avons ensuite établi que ce cadre axiologique devait

constituer la base de la disposition cognitive réflexive dont la raison critique et

l’authenticité sont les moteurs. Aussi ce socle de valeurs partagées et l’appropriation d’une

réflexivité mue par ce dernier nous sont-ils apparus en soi comme des objets de savoir à

transmettre aux élèves en tant qu’héritage citoyen partagé, mais aussi comme des

instruments de la pratique enseignante, entre autres au regard de l’idéal dialogique vers

lequel doivent converger les efforts pédagogiques de l’enseignant. Cette disposition

réflexive a ensuite été dressée comme la clé de la compréhension du rapport initial entre la

reconnaissance de l’autre et la poursuite du bien commun, deux finalités du programme

d’ÉCR opposées à première vue, mais en réalité fondamentalement amarrées par le lien

pluraliste. Le pluralisme constituerait pour cette raison le modèle permettant de soutenir

l’épanouissement de la différence dans un espace qui garantit le respect de l’intégrité de

tout individu, et serait à ce titre garant de la réalisation de l’idéal démocratique et de

l’accomplissement de la résolution laïque énoncée par la société québécoise moderne.

Celle-ci constitue le quatrième, soit l’avant-dernier élément constitutif de cette chaîne

causale. Ainsi avons-nous décrit le modèle laïc ouvert (ou pluraliste) comme étant la clé

permettant de déverrouiller un espace basé sur le principe d’égalité dans lequel la définition

identitaire individuelle peut croître sans bafouer les droits d’autrui, ce qui a dressé les

contours d’une nature humaine bipartite, c’est-à-dire libre et limitée à la fois (ce qui établit

le lien avec les finalités du programme qui concernent la reconnaissance individuelle autant

Page 97: Quelle posture professionnelle pour l'enseignant d'Éthique et … · 2018-04-21 · iii RÉSUMÉ L’enseignant d’Éthique et culture religieuse, depuis la mise en place du programme

91

que la primauté du bien commun). Il a été convenu que l’école a une responsabilité vis-à-

vis ce projet laïque, ce qui nous a finalement menés vers une définition de la neutralité

enseignante. En effet, nous avons établi que l’option laïque constituait un projet porté par

l’État, et donc que ses appendices devaient aussi la promouvoir. Or, l’éducation, et

largement le cours d’ÉCR, est un espace indiqué pour jeter les bases de ce projet pluraliste.

Cela revient cependant à dire que l’enseignant qui porte cette charge n’est pas totalement

neutre dans la mesure où il est attendu de lui qu’il revête les mêmes ambitions que l’État

dont il est un émissaire. Sa neutralité doit donc être balisée ou pondérée par les principes

qui ont été édictés précédemment de façon à valoriser une société pluraliste tout en

demeurant prudent de ne pas admettre les glissements.

Ainsi avons-nous avons fait le choix du qualificatif mesuré afin de nuancer le devoir

de neutralité qui incombe à l’enseignant d’ÉCR. Une neutralité enseignante mesurée, voilà

donc le point d’arrivée de cet enchaînement qui constitue par ailleurs la réponse à la

problématique de départ. Bien que conscients que cette contribution peut paraître

négligeable vis-à-vis la vaste question de la posture enseignante, nous sommes d’avis que

c’est par le biais d’une nuance comme celle-ci que l’enseignant d’ÉCR peut réussir à

s’accomplir dans un état de confiance et cesser, enfin, d’agir à tâtons au regard de la

différence. Il n’est pas suffisant de consigner simplement dans les pages de documents

ministériels le devoir de neutralité qui lui incombe ou d’énumérer froidement les

paramètres de son rôle professionnel. Il est en effet fondamental que l’enseignant d’ÉCR

s’approprie une posture assurée lui permettant de développer un sentiment

d’accomplissement et de légitimité, d’offrir aux élèves à un enseignement qui réalise les

potentialités du programme et d’œuvrer en fonction de la survie même du cours.

Or, si l’engrenage théorique explicité apparaît cohérent, admettons toutefois que son

maillon principal devant agir comme moteur, c’est-à-dire l’édification d’un socle de valeurs

communes, est défaillant. En effet, il est toujours pour l’heure objet de moult

questionnements et substance des tergiversations identitaires du peuple québécois. Force est

à ce titre d’admettre le rôle fondamental de l’enseignant d’ÉCR qui doit s’accomplir de

Page 98: Quelle posture professionnelle pour l'enseignant d'Éthique et … · 2018-04-21 · iii RÉSUMÉ L’enseignant d’Éthique et culture religieuse, depuis la mise en place du programme

92

façon à honorer le projet pluraliste et le schème d’une laïcité ouverte basée sur un ensemble

de valeurs fondamentales portant sur l’ambition d’une citoyenneté partagée.

Au-delà des pistes de réponse proposées siège en effet la nécessaire prise de

conscience par l’enseignant d’ÉCR de la portée de son action pédagogique et de la

promesse d’architecture sociale qu’elle porte. Il doit, conformément à l’objectif de

l’éducation au pluralisme, avoir conscience qu’il est un artisan du projet d’émergence d’une

culture du respect visant la liberté pour chaque individu d’affirmer son identité et de

prendre part à la vie citoyenne. Leroux soutient que l’école, et plus particulièrement le

cours d’ÉCR, offre un cadre d’autocompréhension parmi un ensemble de structures

d’appartenance complexes permettant à l’élève de devenir un citoyen autonome capable

d’outrepasser une attitude « purement hétéronome ». Il est en effet souhaité que l’élève

acquière l’aptitude à réfléchir à propos de la coprésence des identités, matière première de

la société pluraliste. Il doit être à même d’évoluer dans cet univers de convictions et de

valeurs en tant que « membre de la communauté humaine237

» détenteur d’un devoir

citoyen. Cela revient, comme l’indique Fleuri, à ébranler la « suffisance identitaire238

» en

amenant l’élève futur citoyen à revêtir une distance critique face à ses propres convictions

initiales, sans les renier toutefois, puis devant la diversité des référents éthiques et religieux

qui l’entourent. Il s’agit là de la fin proprement culturelle du programme d’ÉCR. C’est par

la réflexivité et par rapport à un cadre de valeurs partagées que l’élève sera à même de

gérer les informations symboliques présentées dans le cadre du cours et que les portes

d’une assurance cognitive vis-à-vis celles-ci lui seront ouvertes. Cette confiance

intellectuelle sera appelée à contribuer à l’édification d’une identité propre, mais

dynamique face au monde. Une identité franche prenant acte de l’Autre. Pour reprendre les

mots de Leroux, il est souhaité que l’élève soit amené à « déduire que la pluralité n’est pas

un obstacle à surmonter, mais une richesse à connaître et à intégrer dans sa vision du

monde239

». L’usage de la différence comme levier pour l’édification d’une culture

complexe, florissante et sans cesse changeante, voilà en somme la substance du rapport

dynamique dans lequel on souhaite voir s’investir les citoyens en devenir.

237

Vigneault dans Fernand Ouellet (dir.) op. cit., p. 180 238

Fleuri dans Fernand Ouellet (dir.) op. cit., p. 166 239

Georges Leroux. Éthique, culture religieuse, dialogue : arguments pour un programme, op. cit., p. 14

Page 99: Quelle posture professionnelle pour l'enseignant d'Éthique et … · 2018-04-21 · iii RÉSUMÉ L’enseignant d’Éthique et culture religieuse, depuis la mise en place du programme

93

Avec un lyrisme consenti, Reboul appréhende finalement la portée morale de

l’éducation en signifiant qu’elle est de former l’Homme. Le cours d’ÉCR, nous le pensons,

a été réfléchi, échafaudé, expérimenté puis instauré à cette fin relative à la formation de

citoyens aptes à la délibération et capables de s’autodéfinir dans un univers symbolique

complexe. Il importe, compte-tenu du calibre titanesque de cette tâche, que l’enseignant

d’ÉCR soit en mesure d’entrevoir la portée de son action, l’impact irrémédiable de ses

intentions et, surtout, l’inestimable valeur des résultats espérés.

Page 100: Quelle posture professionnelle pour l'enseignant d'Éthique et … · 2018-04-21 · iii RÉSUMÉ L’enseignant d’Éthique et culture religieuse, depuis la mise en place du programme
Page 101: Quelle posture professionnelle pour l'enseignant d'Éthique et … · 2018-04-21 · iii RÉSUMÉ L’enseignant d’Éthique et culture religieuse, depuis la mise en place du programme

95

RÉFÉRENCES

Ouvrages spécialisés

BÉLAND, Jean-Pierre et Pierre LEBUIS. Les défis de la formation à l’éthique et à la

culture religieuse, Québec : Les Presses de l’Université Laval, 2008, 185 pages.

BORNE, Dominique et Jean-Paul WILLAIME. Enseigner les faits religieux : quels

enjeux?, Paris : Armand Collin, 2007, 223 pages.

BOUCHARD, Nancy. Éthique et culture religieuse à l’école, Québec : Les Presses de

l’Université Laval, 2006, 87 pages.

CHARLOT, Bernard, Élisabeth BEAUTIER et Jean-Yves ROCHEX. École et savoirs dans

les banlieues… et ailleurs, Paris : Éditions Bordas, 2000, 253 pages.

CHERBLANC, Jacques et Dany RONDEAU (dir.). La formation à l’éthique et à la culture

religieuse : un modèle d’implantation de programme, Québec : Les Presses de

l’Université Laval, 2010, 242 pages.

CONNOLLY, William E. Pluralism, Durham / Londres : Duke University Press, 2005, 169

pages.

DASTUR, Françoise. Philosophie et différence, Chatou : Les Éditions de la Transparence,

2004, 115 pages.

DEBRAY, Régis. L’enseignement du fait religieux dans l’école laïque : rapport au

ministre de l’éducation nationale, Paris : Odile Jacob (Scéren), 2002, 59 pages

DURAND, Guy. Le cours d’ÉCR au-delà des apparences, Montréal : Guérin, 2009, 136

pages.

ESTIVALÈZES, Mireille et Solange LEFEBVRE (dir.). Le programme d’éthique et culture

religieuse : de l’exigeante conciliation entre le soi, l’autre et le nous, Québec :

Presses de l’Université Laval, 2012, 213 pages.

FINKIELKRAUT, Alain. La défaite de la pensée, Paris : Gallimard, 1987, 185 pages.

GAGNON, France, Marie McANDREW et Michel PAGÉ (dir.). Pluralisme, citoyenneté &

éducation, Montréal/Paris : L’Harmattan, 1996, 348 pages.

GALICHET, François. L’éducation à la citoyenneté, Paris : Anthopos (Diffusion

Economica), 1998 202 pages.

Page 102: Quelle posture professionnelle pour l'enseignant d'Éthique et … · 2018-04-21 · iii RÉSUMÉ L’enseignant d’Éthique et culture religieuse, depuis la mise en place du programme

96

HILY, Marie-Antoinette et Marie-Louise LEFEBVRE (dir.). Identité collective et altérité :

diversité des espaces / spécificité des pratiques, Paris / Montréal : L’Harmattan,

1999, 386 pages.

INCHAUSPÉ, Paul. Pour l’école : lettre à un enseignant sur la réforme des programmes,

Montréal : Liber, 2007, 180 pages.

JOLIBERT, Bernard. Raison et éducation : l’idée de raison dans l’histoire de la pensée

éducative, Paris : Klinskieck, 1987, 142 pages.

KANT, Emmanuel. Fondements de la métaphysique des mœurs, Paris : Livre de poche,

1993 (1785), 252 pages.

KEKES, John. The Morality of Pluralism, Princeton : Princeton University Press, 1993,

217 pages.

LAFRANCE, Yvon et J. KING-FARLOW (dir.). Philosophie et pluralisme, collection

« L’univers de la philosophie », Montréal : Bellarmin / Paris : Desclée, 1977, 244

pages.

LEFEBVRE, Solange (dir.). Religion et identités dans l’école québécoise : comment

clarifier les enjeux, Québec : Fides, 2000, 189 pages.

LEROUX, Georges. Éthique, culture religieuse, dialogue : arguments pour un programme,

Saint-Laurent, Québec : Fides, 2007, 117 pages.

LOEFFEL, Laurence (dir.). École, morale laïque et citoyenneté aujourd’hui, Villeneuve

d’ASCQ : Presses universitaires du Septentrion, 2009, 136 pages.

MAALOUF, Amin. Les identités meurtrières, Paris, Éditions Grasset, 1998, 189 pages.

MACLURE, Jocelyn et Charles TAYLOR, Laïcité et liberté de conscience, Montréal :

Boréal, 2010, 164 pages.

MAFFESOLI, Michel. Le temps des tribus : le déclin de l'individualisme dans les sociétés

de masse, Paris : La Table ronde, 2000, 330 pages.

MAGER, Robert et Serge CANTIN (dir.). Religion et modernité au Québec : Où en

sommes-nous? Québec : Les Presses de l’Université Laval, 432 pages.

MELLOUKI, M’hammed (dir.) Promesses et ratés de la réforme de l’Éducation au

Québec, Québec : Les Presses de l’Université Laval, 2010, 332 pages.

MEYER, Michel. Petite métaphysique de la différence : religion, art et société, Paris :

Livre de Poche, 2000, 152 pages.

Page 103: Quelle posture professionnelle pour l'enseignant d'Éthique et … · 2018-04-21 · iii RÉSUMÉ L’enseignant d’Éthique et culture religieuse, depuis la mise en place du programme

97

OUELLET, Fernand. Les défis du pluralisme en éducation : essais sur la formation

intellectuelle, Québec : Les Presses de l’Université Laval / Paris : L’Harmattan, 2002,

162 pages.

OUELLET, Fernand (dir.). Quelle formation pour l’éducation à la citoyenneté? Québec :

Les Presses de l’Université Laval, 2004, 246 pages.

RAWLS, John, Libéralisme politique, Paris : Presses universitaires de France, 1995, 450

pages.

REBOUL, Olivier. L’endoctrinement, Paris : Presses universitaires de France, 1977, 197

pages.

REBOUL, Olivier. Les valeurs de l’éducation, Paris : Presses universitaires de France,

1992, 244 pages.

TAYLOR, Charles. Le malaise de la modernité, Paris : Éditions du Cerf, 1994, 126 pages.

WATTERS, Denis. Petit guideECR-101 : [éthique et culture religieuse], Québec : Denis

Watters consultants, 2008, 28 pages.

WEINSTOCK, Daniel M. (dir.). Le défi du pluralisme, Montréal : Département de

philosophie (UQAM), 1993, 202 pages.

Articles de périodiques

AUDIGIER, F. « Les contenus d’enseignement plus que jamais en question » dans C.

Gohier et S. Laurin (dir.), Entre culture, compétence et contenu : la formation

fondamentale, un espace à redéfinir (pp. 141-192), 2001.

DUMONT, F. « Le rôle du maître : aujourd’hui et demain » dans Action pédagogique (pp.

49-61), 1971.

LEROUX, G. « Le rôle de l’enseignant dans le programme ÉCR » dans Vivre le primaire

(p. 48), 2008, volume 21, numéro 4.

MACKAY, A. « 6e forum Éthique et culture religieuse : conclure pour mieux continuer »

dans Virage : instruire, socialiser, qualifier ensemble, 2009, volume 11, no 4.

SAUVÉ, P. « Les repères culturels religieux : Un élément important pour la formation des

jeunes » dans Virage : instruire, socialiser, qualifier ensemble, 2004, volume 6, no 5

SIMARD, D., E. FALARDEAU, J. ÉMERY.-B., H. CÔTÉ. « En amont d’une approche

culturelle de l’enseignement : le rapport à la culture » dans Revue des sciences de

l’éducation (pp. 287 - 304), 2007, volume 33, no 2.

Documents ministériels

Page 104: Quelle posture professionnelle pour l'enseignant d'Éthique et … · 2018-04-21 · iii RÉSUMÉ L’enseignant d’Éthique et culture religieuse, depuis la mise en place du programme

98

COMITÉ SUR LES AFFAIRES RELIGIEUSES. Le programme d’éthique et culture

religieuse : avis à la ministre de l’Éducation, du Loisir et du Sport, Québec :

Gouvernement du Québec, 2007, 20 pages.

COMITÉ SUR L’ÉDUCATION AU PHÉNOMÈNE RELIGIEUX. L’enseignement

culturel des religions : principes directeurs et conditions d’implantation, Québec :

Gouvernement du Québec, 1999, 84 pages.

QUÉBEC, MINISTÈRE DE L’ÉDUCATION, DU LOISIR ET DU SPORT. La mise en

place d’un programme d’éthique et de culture religieuse : une orientation d’avenir pour

tous les jeunes du Québec, Québec : Gouvernement du Québec, 2005, 12 pages.

QUÉBEC, MINISTÈRE DE L’ÉDUCATION, DU LOISIR ET DU SPORT. Programme

de formation de l’école québécoise (programme du premier cycle et du deuxième cycle

du secondaire) : Éthique et culture religieuse, Québec : Gouvernement du Québec,

2008, 79 pages.

QUÉBEC, MINISTÈRE DE L’ÉDUCATION. La formation à l’enseignement : les

orientations et les compétences professionnelles, Québec : Gouvernement du Québec,

2001, 253 pages.

QUÉBEC, MINISTÈRE DE L’ÉDUCATION. Dans les écoles publiques du Québec : une

réponse à la diversité des attentes morales et religieuses, Québec : Gouvernement du

Québec, 2000, 18 pages.

QUÉBEC, MINISTÈRE DE L’ÉDUCATION (MICHELINE MILOT ET JEAN-PIERRE

PROULX). Les attentes sociales à l’égard de la religion à l’école publique (Rapport de

recherche), Québec : Gouvernement du Québec, 1999, 125 pages.

Sites web

La fondation de la tolérance, Intolérance, [En ligne]

http://www.fondationtolerance.com/#!3/63/50 (page consultée le 15 novembre 2012)

Le saint siège. Homélie du cardinal Joseph Ratzinger lundi le 18 avril 2005, [En ligne]

http://www.vatican.va/gpii/documents/homily-pro-eligendo-pontifice_20050418_fr.html

(page consultée le 11 février 2013)

Wikipédia: l’encyclopédie libre. Le relativisme, [En ligne]

http://fr.wikipedia.org/wiki/Relativisme#cite_note-7 (page consultée le 11 février 2013)

Gouvernement du Québec. Nos valeurs, [En ligne]

http://www.nosvaleurs.gouv.qc.ca/fr#neutralite (page consultée le 12 septembre 2013)

Conférences

Page 105: Quelle posture professionnelle pour l'enseignant d'Éthique et … · 2018-04-21 · iii RÉSUMÉ L’enseignant d’Éthique et culture religieuse, depuis la mise en place du programme

99

ANDRADE, Miguel Simao. « La tolérance : sens, pertinence et limites d’une notion

problématique » dans le cadre des Journées provinciales de formation continue en

éthique et culture religieuse, 2012

BONAFOUX, Corinne. « Enseigner le fait religieux et no les religions : analyse d’un débat

en pays de laïcité » dans le cadre du colloque Enseigner les religions : regards et apports

de l’histoire, 2012

BOUCHARD, Bouchard. « Posture professionnelle en ÉCR et laïcité québécoise : même

défi? » dans le cadre des Journées provinciales de formation continue en éthique et

culture religieuse, 2013

DESLAUNIERS, Marie-Paule. « Comment être un passeur culturel tout en évitant le piège

du nous… et les autres » dans le cadre du 5e forum Éthique et culture religieuse, 2009

DEROCHER, Lorraine. « Enseigner à des élèves croyants ou comment préserver sa

neutralité » dans le cadre des Journées provinciales de formation continue en éthique et

culture religieuse, 2012

MACLURE, Jocelyn. « Justice et tolérance » dans le cadre des Journées provinciales de

formation continue en éthique et culture religieuse, 2013

MAXWELL, Bruce. « Les finalités du programme » dans le cadre des Journées

provinciales de formation continue en éthique et culture religieuse, 2012

HIRSCH, Sivane, Jocelyn MACLURE et Louis ROUSSEAU. « Contribuer à la

construction d’une culture publique commune qui tient compte de la diversité » (table

ronde) dans le cadre des Journées provinciales de formation continue en éthique et

culture religieuse, 2013

Page 106: Quelle posture professionnelle pour l'enseignant d'Éthique et … · 2018-04-21 · iii RÉSUMÉ L’enseignant d’Éthique et culture religieuse, depuis la mise en place du programme
Page 107: Quelle posture professionnelle pour l'enseignant d'Éthique et … · 2018-04-21 · iii RÉSUMÉ L’enseignant d’Éthique et culture religieuse, depuis la mise en place du programme

101

ANNEXE

L’ÉVOLUTION DE LA PLACE DE LA RELIGION DANS L’ÉCOLE QUÉBÉCOISE

Date Évènement Conséquences sur le plan social

1841

1867

Première loi scolaire du nouveau gouvernement

de l’Union et amendement.

Instauration de la fonction de Surintendant à

l’Éducation.

La protestation des catholiques

conduit au droit à la dissidence.

Une autorité est instaurée en matière

d’éducation.

1867 Adoption de la Constitution canadienne faisant de

l’éducation une compétence de juridiction

provinciale.

Création du Ministère de l’Instruction publique.

Les droits des catholiques et des

protestants quant aux écoles

confessionnelles sont protégés par

l’article 93.

1869 Division structurale du système en deux secteurs

confessionnels : catholique et protestant.

1875 Abolition du Ministère de l’Instruction publique

et rétablissement de la surintendance.

L'éducation est alors confiée à

l'autorité du département de

l'Instruction publique (DIP), formé

d'un comité catholique et d'un comité

protestant.

Renforcement de l’autorité

ecclésiastique sur le champ de

l’Instruction publique.

1960 Publication de l’ouvrage Les insolences du Frère

Untel.

Cette publication est considérée

comme l’un des événements fondateurs

de la Révolution tranquille.

1961 Adoption de la Grande Charte de l’éducation. Ensemble de projets de lois visant à

inscrire l’éducation dans la

modernisation du Québec.

Page 108: Quelle posture professionnelle pour l'enseignant d'Éthique et … · 2018-04-21 · iii RÉSUMÉ L’enseignant d’Éthique et culture religieuse, depuis la mise en place du programme

102

1963-

1964

Publication, sous le gouvernement Lesage, du

Rapport Parent (Rapport de la Commission royale

d’enquête sur l’enseignement dans la province de

Québec) faisant état de la situation de l’éducation

au Québec dans les années 60 et formulant les

recommandations suivantes :

1. Unification de la structure administrative

en matière d’éducation;

2. Création du Ministère de l’éducation;

3. Création des CÉGEP en remplacement

des collèges de l'époque dirigés par des

religieux;

4. Formation poussée des enseignants;

5. Opération 55 (unification des

commissions scolaires);

6. Création du Conseil supérieur de

l’éducation.

La tenue de la Commission Parent et

ses conclusions s’inscrivent dans le

contexte social propre à la Révolution

tranquille et répondent à deux

aspirations du Québec :

Entrée dans la modernité;

Démocratisation de

l’éducation.

1977 Implantation du programme d’enseignement

religieux de type culturel au Québec.

Ce programme reçoit un accueil

mitigé et son implantation est marquée

par la méfiance et la réticence.

1981 Enquête du Conseil supérieur de l’éducation sur

le vécu de la confessionnalité scolaire dans les

écoles.

On constate que les enseignants du

niveau primaire ne sont plus en

mesure d’assurer le caractère

catholique de l’école, ce qui reflète le

pluralisme de la société québécoise

ainsi que son ignorance en matière de

culture religieuse.

Le Conseil recommande « que le droit

à la liberté de religion et le principe de

non-discrimination soient respectés

comme une exigence du système

d’éducation québécois et orientent, en

conséquence, toutes les modifications

scolaires ».

Page 109: Quelle posture professionnelle pour l'enseignant d'Éthique et … · 2018-04-21 · iii RÉSUMÉ L’enseignant d’Éthique et culture religieuse, depuis la mise en place du programme

103

240

Jean-Pierre Béland et Pierre Lebuis. Les défis de la formation à l’éthique et à la culture religieuse, p. 8 241

Ibid., p. 9

1982 Publication du Livre blanc sur la réforme de

l’éducation.

1984 Suppression du programme d’enseignement

religieux de type culturel par le Comité

catholique.

Mise en place du régime d’option.

Avènement de l’enseignement moral en

tant qu’alternative à l’enseignement

religieux catholique.

1993 Publication des propositions du Conseil supérieur

de l’éducation :

Déverrouillage confessionnel;

Exploration de « la piste d’un

enseignement, à la fois moral et religieux,

de type culturel à ceux qui le désirent240

»

Le cadre conceptuel à travers lequel

est entrevu l’enseignement religieux

est en mutation : on parle maintenant

d’enseignement des religions ou du fait

religieux.

Le débat sur la mise en place des

commissions scolaires linguistiques se

poursuit.

1995 Proposition de la déconfessionnalisation scolaire

par les membres des États généraux de

l’éducation.

On assiste à une radicalisation de la

proposition et à la conceptualisation

d’une laïcisation complète du système

scolaire.

1997 Coup d’envoi d’une démarche institutionnelle

sous la tutelle ministérielle de Pauline Marois

pour « gérer les attentes religieuses dans la

perspective d’une société pluraliste ouverte, dans

le sens d’une démarche progressive et dans le

respect de l’histoire et de la culture

québécoises241

».

Création du Groupe de travail sur la religion à

l’école.

La poursuite du système en vigueur

(régime d’options) est annoncée.

1998 Modification de l’Article 93 de la constitution

canadienne.

Les privilèges constitutionnels liés à la

confessionnalité sont éliminés.

Page 110: Quelle posture professionnelle pour l'enseignant d'Éthique et … · 2018-04-21 · iii RÉSUMÉ L’enseignant d’Éthique et culture religieuse, depuis la mise en place du programme

104

242

Ministère de l’Éducation (Micheline Milot et Jean-Pierre Proulx). Les attentes sociales à l’égard de la

religion à l’école publique (Rapport de recherche), Gouvernement du Québec, 1999, p. 200 243

Ministère de l’Éducation. Dans les écoles publiques du Québec : une réponse à la diversité des attentes

morales et religieuses, Gouvernement du Québec, 2000, p. 5

1999 Création de la coalition pour la

déconfessionnalisation scolaire.

Publication du Rapport Proulx (Laïcité et

religions) par le Groupe de travail sur la religion

à l’école, qui recommande le remplacement de

l’enseignement religieux confessionnel par un

enseignement culturel des religions obligatoire

pour tous.

Transmission des recommandations du Groupe de

travail sur la religion à l’école au ministre de

l’Éducation pour qu’elles soient débattues

publiquement.

On assiste à un consensus quant à la

déconfessionnalisation des structures

supérieures de l’enseignement mais

pas à la forme que doit prendre

l’enseignement de la religion.

Émergence de la conclusion suivante :

« La religion peut avoir une place à l’école,

comme contribution à l’éducation intégrale de

l’enfant, dans la mesure où son aménagement

respecte la norme de l’égalité fondamentale des

citoyens et qu’elle favorise l’atteinte des buts

qui sont nécessaires à la formation des citoyens

et à la construction du lien social242

».

2000 Publication des orientations du Ministère de

l’éducation :

Volonté d’enclencher une « démarche

progressive respectant l’évolution des

mentalités et des milieux243

»;

Changement de perspective vis-à-vis

l’enseignement culturel de la religion.

Modifications apportées à la Loi sur l’instruction

publique (loi 118) et aux chartes québécoise et

canadienne en ce qui a trait à l’égalité face à la

liberté de religion et de conscience.

Adoption de dispositions dérogatoires pour

catholiques et protestants assurant le maintien de

leurs droits et libertés.

Le primaire et le premier cycle du

secondaire ne seront pas touchés par

les modifications curriculaires

relatives à l’enseignement des

religions (bien qu’une possibilité de

dérogation demeure), mais un cours

obligatoire d’éthique et

d’enseignement culturel des religions

remplacera le régime d’option au

deuxième cycle du secondaire.

2004 Appui du Comité sur les affaires religieuses au

programme commun d’éthique et d’éducation à la

religion.

Page 111: Quelle posture professionnelle pour l'enseignant d'Éthique et … · 2018-04-21 · iii RÉSUMÉ L’enseignant d’Éthique et culture religieuse, depuis la mise en place du programme

105

244

Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport. La mise en place d’un programme d’éthique et de culture

religieuse : une orientation d’avenir pour tous les jeunes du Québec, Gouvernement du Québec, 2005, p. 5

2005 Échéance des clauses dérogatoires.

Création d’un nouveau programme d’Éthique et

culture religieuse par le Ministère de

l’Éducation, qui doit être effectif à compter de

l’automne 2008 et repose sur quatre grands

préceptes244

:

1. Continuité des apprentissages;

2. Enracinement des apprentissages dans la

réalité et la culture des jeunes du Québec;

3. Respect de la liberté de conscience et de

religion;

4. Préoccupation que ces apprentissages

favorisent le vivre-ensemble.

Modification à la Loi sur l’instruction publique

(loi 95) pour mettre le gouvernement à l’abri des

poursuites judiciaires.

Abolition officielle de l’enseignement

confessionnel (effective en 2008).

2006 Publication de l’avis La laïcité scolaire au

Québec : un nécessaire changement de culture

institutionnelle par le Comité sur les affaires

religieuses.

2005-

2008

Élaboration du programme d’Éthique et culture

religieuse (tests, promotion, etc.).

Contestations populaires.

2008 Implantation officielle du cours d’ÉCR.

Affaire Lavallée-Jutras pour le droit à

l’exemption portée devant la Cour suprême

(jugement à venir).