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Quelques Constats et Réflexions au Terme de Deux Etudes Longitudinales à 1’Ecole Elémentaire Bianka Zazzo C.N.R.S., Paris, France L‘interrogation qui ouvre les travaux de ce Congrès - réussite ou échec scolaire? - con- cerne très directement la pratique enseignante. Et en conséquence, la question plus générale posée aux psychologues et aux chercheurs qui se retrouvent ici est celle des implications péda- gogiques que leurs travaux suggèrent. Ces questions sans doute anciennes prennent actuelle- ment, sous la pression des exigences sociales que tout le monde connaît, une complexité particulière et un caractère d’urgence. Avant de parler de mes propres recherches, je souhaite poser quelques questions plus directement relatives au thème de notre Symposium qui porte sur le fonctionnement de l’enfant dans sa classe. En complétant à ma façon l’exposé si riche de Michel Brossard que nous venons d’entendre. Première question: les situations scolaires (telles que nous les connaissons) peuvent-elles être traitées et analysées comme des situations d’apprentissage? Elles le sont, en principe, institutionnellement: on va à l’école pour apprendre. Cepen- dant si l’on définit ces situations comme des ((structures participatives», force est de consta- ter que ces structures ne se construisent que partiellement, de façon éphémère, variable d’un élève à l’autre, et d’un maître à l’autre. L‘enfant dans sa classe, c’est-à-dire en groupe est soumis à une diversité de stimulations parmi lesquelles le «discours» du maître, le savoir transmis, n’est privilégié que de façon inter- mittente, parfois machinale, et toujours inégale. Le contexte classe est un ensemble de cho- ses, de personnes et d’évènements qui n’ont pas seulement une fonction d’apprentissage. Les attitudes ou les compétences participatives ne sont ni spontanées, ni «naturelles»; elles s’apprennent, elles s’acquièrent peu à peu par un processus de sélection qui tend à exclure les éléments parasites au profit des éléments pertinents. Et tout l’art d’une pédagogie effi- cace est d’aider l’enfant dans cette acquisition qui n’est pas dans la mature des choses)). ((Apprendre difficilement les choses faciles)), écrivait déjà Alain. Pour le psychologue qui désire comprendre comment l’enfant organise les informations qu’il perçoit, l’obligation lui est faite d i d e r au charbon)), c’est-à-dire dans la classe, pour bien distinguer dans l’ensemble des caractéristiques contextuelles, celles qui agissent, et quel- les réactions elles déclenchent. Deuxième question: les performances scolaires peuvent-elles rendre compte des proces- sus d’apprentissage, c’est-à-dire de la façon dont l’élève dans la classe, au milieu des autres, met en place, ou plutôt met en marche, sa propre activité, et les diverses stratégies qu’il sera capable, ou non, de maîtriser? Probablement oui, mais approximativement seulement. Car ces performances (ou résul- tats scolaires) sont des points d’arrivée que l’on peut atteindre par des cheminements diffé- rents, déterminés (on le sait bien) tant par ce qu’est l’enfant et ce que sont les conditions qui lui sont faites.

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Quelques Constats et Réflexions au Terme de Deux Etudes Longitudinales à 1’Ecole Elémentaire

Bianka Zazzo C.N.R.S., Paris, France

L‘interrogation qui ouvre les travaux de ce Congrès - réussite ou échec scolaire? - con- cerne très directement la pratique enseignante. Et en conséquence, la question plus générale posée aux psychologues et aux chercheurs qui se retrouvent ici est celle des implications péda- gogiques que leurs travaux suggèrent. Ces questions sans doute anciennes prennent actuelle- ment, sous la pression des exigences sociales que tout le monde connaît, une complexité particulière et un caractère d’urgence.

Avant de parler de mes propres recherches, je souhaite poser quelques questions plus directement relatives au thème de notre Symposium qui porte sur le fonctionnement de l’enfant dans sa classe. En complétant à ma façon l’exposé si riche de Michel Brossard que nous venons d’entendre.

Première question: les situations scolaires (telles que nous les connaissons) peuvent-elles être traitées et analysées comme des situations d’apprentissage?

Elles le sont, en principe, institutionnellement: on va à l’école pour apprendre. Cepen- dant si l’on définit ces situations comme des ((structures participatives», force est de consta- ter que ces structures ne se construisent que partiellement, de façon éphémère, variable d’un élève à l’autre, et d’un maître à l’autre.

L‘enfant dans sa classe, c’est-à-dire en groupe est soumis à une diversité de stimulations parmi lesquelles le «discours» du maître, le savoir transmis, n’est privilégié que de façon inter- mittente, parfois machinale, et toujours inégale. Le contexte classe est un ensemble de cho- ses, de personnes et d’évènements qui n’ont pas seulement une fonction d’apprentissage.

Les attitudes ou les compétences participatives ne sont ni spontanées, ni «naturelles»; elles s’apprennent, elles s’acquièrent peu à peu par un processus de sélection qui tend à exclure les éléments parasites au profit des éléments pertinents. Et tout l’art d’une pédagogie effi- cace est d’aider l’enfant dans cette acquisition qui n’est pas dans la mature des choses)). ((Apprendre difficilement les choses faciles)), écrivait déjà Alain.

Pour le psychologue qui désire comprendre comment l’enfant organise les informations qu’il perçoit, l’obligation lui est faite d i d e r au charbon)), c’est-à-dire dans la classe, pour bien distinguer dans l’ensemble des caractéristiques contextuelles, celles qui agissent, et quel- les réactions elles déclenchent.

Deuxième question: les performances scolaires peuvent-elles rendre compte des proces- sus d’apprentissage, c’est-à-dire de la façon dont l’élève dans la classe, au milieu des autres, met en place, ou plutôt met en marche, sa propre activité, et les diverses stratégies qu’il sera capable, ou non, de maîtriser?

Probablement oui, mais approximativement seulement. Car ces performances (ou résul- tats scolaires) sont des points d’arrivée que l’on peut atteindre par des cheminements diffé- rents, déterminés (on le sait bien) tant par ce qu’est l’enfant et ce que sont les conditions qui lui sont faites.

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Pour comprendre la nature de ces cheminements, il ne suffit pas de connaître leurs effets. Il nous faut a.lors quitter la classe et soumettre les sujets étudiés à des épreuves individuelles appropriées, ii des tâches de type laboratoire. Nous serons en mesure ainsi de confronter les capacités et dispositions de chacun à l’usage qu’il en fait en situation scolaire, c’est-à-dire de mieux expliquer les fluctuations de son rendement scolaire.

Il est bon aussi de quitter et la classe et le laboratoire pour connaître et prendre en compte les expériences extra-scolaires de chacun dont les répercussions sur la vie en classe ne sont pas à négliger.

De telles démarches sont connues et éprouvées, mais elles sont beaucoup plus rarement coordonnées.

Troisième question (qui, en fait, reprend d’une certaine façon les précédentes): les recher- ches en psycb.opédagogie sont parties de l’interrogation: «comment enseignent les maîtres?)) et ont été suivies par celle de ((comment apprennent les enfants?)) La question est alors de savoir de quelle façon s’articulent les deux démarches, et comment ajuster pour le mieux leur complémentarité. Aussi les notions d’interaction maître-élève et de contrat didactique sont de plus en plus souvent avancées.

J’ignore si ces notions, conçues pour les besoins de l’analyse, se sont montrées fécondes pour la pratique enseignante. D’après mes données - qui portent sur de jeunes écoliers - bon nombre d’entre eux échappent à la contrainte ou à la séduction des (contrats didactiques)), et l’interaction maître-élève joue à leur détriment ou tout simplement ... s’évanouit. (Présents dans les classes, ils cherchent surtout à passer inaperçus et, en conséquence, ils sont souvent ignorés).

Mais revenons aux deux moments de l’interrogation. Pour comprendre ((comment apprennent les enfants)), il convient tout à la fois d’étudier

le fonctionnement de chacun et le fonctionnement du groupe-classe. Les deux types de fonc- tionnement ne se définissent et ne s’analysent pas de la même façon, même si le premier s’exerce dans la contrainte du second, et que celui-ci varie selon le maître et les écoliers qui composent le groupe.

Pour comprendre «comment enseignent les maîtres)), on peut évidemment analyser leurs démarches discursives, ou leurs stratégies pédagogiques, leurs valeurs et leurs représentations.

Mais l’on peut aussi - dans une perspective interactive - définir le «comment» des maîtres par le «comment» des élèves. C’est-à-dire, pour être plus précise, différencier et, si j’ose dire «contrôler», les conduites pédagogiques du maître par les conduites de ses élèves. C’est ce que j’ai tenté de faire en caractérisant les diverses situations d’apprentissage en classe au moyen des ((profils comportementaux)), établis par les réactions de tous les élèves.

Je passe maintenant, sans transition, à mes recherches dans les écoles. L‘adaptation scolaire n’est pas un état, comme toute adaptation, elle est devenir. Cette

remarque banale me permettra de bien situer les populations scolaires que nous avons étu- diées. Sur la trajectoire scolaire des obstacles d’ordre structurel interviennent qui remettent en question, brutalement, l’équilibre entre l’enfant et son environnement. Je veux parler des changements d’institutions scolaires qui se suivent sans se ressembler, chacune plus ou moins close sur elle-]même: le passage de IVcole maternelle à l’école élémentaire, le passage de l’école élémentaire à l’école secondaire. Transitions sans enchaînement qui sont en fait des ruptures: elles exigent dle l’écolier un ré-ajustement de ses réactions, une ré-adaptation à un environne- ment inconnu et à des exigences nouvelles.

Pour le chercheur, ces «coupes franches» jouent comme un «effet de loupe» pour saisir, à travers Z’ada,utation au changement du milieu, les fragilités adaptatives qui à d’autres moments passent souvent inaperçues.

Pour les deux études, l’approche méthodologique est la même, seules les techniques dif- férent pour s’adapter à l’âge des sujets.

Chaque enfant a été observé directement pendant les activités habituelles de sa classe. Il a été, par ailleurs, examiné par une série d’épreuves psychologiques (particulièrement diver-

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sifiées pour la première étude). Un questionnaire descriptif sur chacun d’eux a été proposé aux enseignants (au début puis à la fin de l’année). La quasi-totalité des parents ont fait l’objet d’un entretien semi-directif relatif au milieu familial, aux antécédents et aux activités extrascolaires de leur enfant. L‘évaluation directe des connaissances a complété les notes sco- laires. Un entretien individuel avec les sujets (et pour les plus âgés un questionnaire écrit) ont complété cet ensemble d’informations.

Cette pluralité des procédures (observation, témoignages, tests, entretiens) s’est montrée rent- able pour répondre à notre objectif qui était de décrire et d’expliquer les processus d’adaptation, même si ces processus ne sauraient être, au plan individuel, «expliqués» de façon exhaustive.

C’est sur la méthode d’observation que j’aimerais m’arrêter brièvement. On l’oppose sou- vent à l’expérimentation en la considérant comme son «parent pauvre», sans doute parce qu’elle échappe, par la nature des choses, aux cadres stricts des modèles théoriques. Je la considère comme une méthode à part entière, et lorsqu’il s’agit du milieu scolaire de préfé- rence, préalable à l’expérimentation. Les recherches dites cognitivistes actuellement en vogue peuvent certes nous faire comprendre les mécanismes du fonctionnement mental, mais moins bien les comportements réels des sujets en situation d’apprentissage, c’est-à-dire la mise en oeuvre de ces mécanismes.

Il y a fort longtemps, Claude Bernard a défini ce qui est commun à ces deux démar- ches, et ce qui les différencie. Je le cite: «L’observation est la constatation d’un fait, alors que l’expérience est le contrôle d’une idée par un fait. Mais la simple constatation des faits ne sert à rien. Pour s’instruire, il faut nécessairement comparer les faits et les juger par rap- port à d’autres faits qui servent de contrôle. Ce jugement par comparaison est le même dans les sciences expérimentales et dans les sciences d’observation».

Dans notre travail, la Comparaison s’est opérée sur plusieurs plans, ayant chacun ses pro- pres impératifs:

observation des mêmes sujets dans différentes situations, avant et après le change- ment d’institution; observation de l’intégralité des élèves au cours de situations homologues proposées à la classe (les conduites de chacun sont alors comparées à celles de tous les autres); observation des conduites pendant l’application individuelle des épreuves (psycholo- giques ou scolaires) afin de les comparer avec les réactions du sujet en groupe, pen- dant les diverses activités d’apprentissage; comparaison, enfin, entre les performances aux épreuves psychologiques et les con- duites et performances en classe.

Notre première étude a consisté à suivre systématiquement une centaine d’enfants, depuis le début de trois Grandes Sections jusqu’à la fin de leur Cours Préparatoire. Dans la seconde étude, ce sont les élèves de quatre CM2 qui ont été suivis jusqu’au terme de leur classe de 6 b e ? Bien évidemment, dans les deux cas, les redoublants et les «nouveaux» élèves ont quel- que peu augmenté nos effectifs de départ.

Je vais tenter de résumer ensemble les principaux constats de ces deux recherches; ils diffèrent dans leur expression mais non dans leur signification. Cependant au préalable quel- ques mots sur ce qui distingue les deux populations étudieés.

A l’entrée à l’école élémentaire, les populations d’écoliers présentent une relative homo- géneité des âges et d’expérience de la vie scolaire: 6 ans dans l’année civile et 3 ans d’école maternelle pour la plupart d’entre eux. Cinq ans plus tard, à l’entrée au Collège, la disparité des âges est considérable, allant jusqu’à un écart de 3 ans pour les élèves d’une même classe. Cette dispersion des âges a pour cause évidemment les échecs à l’école primaire (et surtout en CP), mais elle a pour effet non seulement une inégalité des savoirs acquis, mais des diffé- rences d’ordre psychobiologique qui sont rarement prises en considération par les enseignants.

Grandes Sections: troisième et dernière classe de 1’Ecole Maternelle. CM2: Cours Majeur 2emc année, cinquième et dernière année de L‘Ecole Elémentaire. 6tme: Première classe du cycle Secondaire.

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Les échecs à l’école primaire sont très inégalement répartis selon le milieu social d’ori- gine. Aussi ont-ils été souvent attribués aux différences d’intelligence qui caractériseraient les classes sociales.

Mais nous savons maintenant que le milieu social d’origine (et les pratiques éducatives qui lui sont associées) différencie beaucoup plus fortement la réussite scolaire qu’il ne diffé- rencie le développement intellectuel.

Et, par iiilleurs, nous savons que dans tous les milieux et à intelligence égale, les filles sont en moyenne, pendant toute la scolarité obligatoire, meilleures élèves que les garçons (aussi bien lorsqu’on considère leur progression que leur classement).

Ces deux remarques sur le facteur milieu et sur le facteur sexe nous conduisent à cet aphorisme: il ne suffit pas d’avoir de l’intelligence, il faut savoir s’en servir. Du moins dans les conditions qui sont celles de nos écoles.

De l’ensemble de nos observations dans les classes (de la Grande Section jusqu’à la 6 9 plusieurs constats se laissent dégager:

1P - Un certain nombre de relations significatives existent entre les modalités de parti- cipation aux activités proposées à la classe et les résultats aux apprentissages.

La participation que nous avons désignée comme active est associée aux résultats satis- faisants. Sous ce terme, on a regroupé tout un ensemble de comportements qui témoignent à la fois d’une vigilance sélective et d’une certaine autonomie dans la conduite de la tâche: l’élève fait quelque chose, prend une certaine initiative dans l’organisation de sa tâche, main- tient son intérêt pendant son déroulement et la poursuit jusqu’à son achèvement, en négli- geant toute iiutre sollicitation.

Une participation aux activités proposées, faite d’écoute et d’attention apparentes (con- duites les plus fréquentes dans nos classes) n’a aucune incidence, ni positive, ni négative, sur les résultats scolaires, ou les savoirs acquis que j’ai directements contrôlés.

Par contre, les comportements d’instabilité et de mobilité, même discrètes, sont associés à des résultats scolaires médiocres. Ces conduites sont sans rapport avec le niveau mental ou les facteurs de milieu, et s’observent surtout chez les garçons (tout en pouvant évidem- ment caractériser certaines filles). Dans ces réactions d’hyperkinésie, deux cas de figures sont à distinguer: une vigilance excessive mais sans discrimination: c’est le cas d’élèves rapides mais peu efficaces. Ou bien alors une sorte de fermeture aux sollicitations extérieures, une agitation soli taire: les enfants paraissent incapables de différer leurs propres impulsions, ils se lèvent, s’assoient, se tournent, bougent bras ou jambes sans but apparent, pendant que les autres travaillent ...

2P - Si la réussite aux apprentissages dépend des modalités de participation, celles-ci dépendent à lleur tour des modalités pédagogiques proposées à la classe: dans le même groupe- -classe, le fréquence des comportements de participation active est d’autant plus élevée que le travail pro’posé à la collectivité est davantage cadré et structuré par l’enseignant: tâches de courte durée, exécutées sur des consignes précises, contrôlées après exécution. La passivité et la «dissipation» s’amenuisent alors nettement.

Lorsque l’intérêt des élèves est principalement (et parfois longuement) sollicité par le discours du maître, la participation à l’activité commune est surtout passive et la dissipation est à son maximum.

Nous avons pu le constater dès la Maternelle, puis dans les C.P. en comparant, pour le même enseignant et les mêmes enfants l’initiation à l’écriture et l’initiation à la lecture: le taux de participation est plus élevé pour l’écriture où non seulement la guidance est assu- rée pendant l’exécution, mais où les erreurs sont immédiatement signalés et corrigés. Par contre, l’initiation collective à la lecture, de durée généralement plus longue et plus faiblement gui- dée, donne lieu à un taux beaucoup plus élevé d’inattention et de dissipation.

En ces débuts des apprentissages, l’activité qui induit la plus faible participation est la sit- uation «langage» ou dkéveiln qui produit le maximum de dissipation, le maximum de «décro- chage», le minimum de participation, exception faite de quelques enfants, toujours les mêmes.

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Les mêmes constats ont été faits, dans les CM2 (classes terminales de l’école élémen- taire), en comparant pour le même enseignant trois situations pédagogiques, différenciées précisément par le degré de struturation des activités.

Nous l’avons également observé au collège, en confrontant les conduites des mêmes élè- ves produites pendant les leçons de mathématiques, fréquemment entrecoupées et structu- rées par de brefs exercices, et les conduites observées pendant les cours de français où le temps de parole de l’enseignant était, dans certaines classes 3 à 4 fois plus important que celui de l’ensemble de ses élèves.

De surcroît, et c’est un fait à retenir, les situations pédagogiques bien structurées par des objectifs à court terme favorisent la participation des élèves les plus faibles et des éco- liers d’origine modeste. Une pédagogie frontale se montre donc fortement élitiste et ceci dès le début de la scolarité.

3P - Le changement d’institution scolaire constitue une épreuve difficile d’adaptation non pour une minorité mais pour une forte proportion d’écoliers.

Je prendrai comme exemple ici les données relatives au passage de la Maternelle à l’école élémentaire car en cette période les échecs scolaires n’ont pas encore affecté le besoin de pro- gresser et la confiance en soi des enfants: l’horizon est largement ouvert et l’entrée à la Grande Ecole est valorisée par tous. La situation est tout autre pour le second passage quand le bilan positif ou négatif de l’école de base intervient forcément lors de la promotion qui sera, selon le cas, plus ou moins redoutée. Même si les premiers mois sont pour les uns comme pour les autres source de dépaysement et de déséquilibre.

Maternelle/Cl? donc, et trois constats pour illustrer ce qui se passe alors:

1P - La comparaison entre les activités d’initiation à la lecture dans ces deux classes qui se succèdent montre qu’il y a détérioration de la participation à l’activité de classe pour 50% de nos sujets, soit pour un enfant sur deux.

2P - La comparaison entre deux série de résultats en lecture (évaluée par nous, indivi- duellement, avec les mêmes épreuves, à la fin de Maternelle et au terme du premier trimestre du C.P.) montre que par rapport à la Maternelle, la performance en lecture des gayons se détériore, et ceci quel que soit leur milieu et leur niveau mental. A la fin de l’année, les résultats des garçons sont moins bons que ceux des filles, mais les performances se différencient alors surtout en fonction du milieu familial, et plus exactement en fonction de ses pratiques édu- catives, quel que soit le niveau socio-économique de la famille.

3P - Lorsqu’on confronte le niveau mental de nos sujets, évalué à la fin de la Mater- nelle et la réussite en lecture, non plus au début, mais ù lu fin du Cl?, on constate certes une relation positive entre ces deux variables, mais pour 48% d’enfants il n’y u pus de con- cordance: certains réussissent mieux, et d’autres moins bien que ce que laissaient prévoir leurs capacités intellectuelles. Le «mieux» ou le «moins bien» dépend d’une part du sexe de l’enfant (les garçons apprennent, en moyenne, moins bien que les filles) mais d’autre part, de la classe à laquelle le sujet est affecté, c’est-à-dire de l’enseignant.

4P - Une autre analyse (sur laquelle je n’aurai guère le temps de m’arrêter) nous mon- tre, pour les mêmes enfants suivis trois années de suite, que le Cours Préparatoire se distin- gue des classes qui l’encadrent par un rendement scolaire relativement faible. Le rendement en question n’est pas considéré de façon absolue mais par rapport aux possibilités intellec- tuelles de l’enfant, bonnes ou médiocres, évaluées par un ensemble diversifié d’épreuves. Cette confrontation intelligence/adaptation nous apporte les résultats suivants:

en Maternelle, on constate une assez bonne concordance entre les deux séries de varia- bles, et lorsqu’il y a discordance, l’adaptation est supérieure aux possibilités intellec- tuelles des enfants; . en Cours élémentaire, la concordance intelligence/adaptation est beaucoup plus marquée; par contre, au Cours Préparatoire, l’adaptation se montre inférimre aux capacités des en- fants, et c’est le cas surtout des enfants de milieu privilégié, garçons et filles. Ce décalage peut être attribué, sans conteste, aux effets perturbateurs du changement d’institution.

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Deuxième passage: Une enquête nationale (beaucoup plus vaste évidemment que mes propres recherches) qui a porté sur l’évaluation des connaissances, a mis en évidence un net fléchissement des réussites entre la fin de l’élémentaire et le début du secondaire. La baisse est générale et systématique aussi bien pour le français que pour les mathématiques et elle ne peut pas être attribuée au seul «oubli temporaire)) l . Ce sont les écoliers «à l’heure)) (pas de redoublements à l’école primaire) qui pâtissent le plus de la situation de ((passage)).

Allons plus loin et écoutons les récents colloques et séminaires qui se préoccupent de l’articulation lycéehniversité. A propos de ces élèves déjà fortement sélectionnées scolaire- ment et socialement, un cri d’alarme alerte l’opinion: le changement de cycle est jugé trop radical, il est urgent d’aménager des structures de transition; entrés à l’université, nos bache- liers ne savent pas travailler!

Ainsi trouvons-nous, à l’autre bout de la chaîne, le fameux ((apprendre à apprendre)) qui est l’objectif connu de notre école maternelle. Et parmi les solutions-miracles qui sont avancées, nous retrouvons, inévitablement, le fameux respect des différences et le respect des rythmes individuels d’apprentissage. Solutions que nous avons d’ailleurs bien connues avec nos filières et classes hiérarchisées.

Des diffkrences individuelles existent, bien entendu, et égalité des chances ne signifie pas égalité de réussite. Mais les différences qui relèvent des inégalités culturelles sont sociales et non individuelles. Et l’école peut les compenser; elle le fait d’ailleurs, même si c’est de façon imparfaite, précisément en ne laissant pas chacun à son rythme., mais en l’améliorant si besoin est, et le plus tôt possible.

Ainsi la généralisation et la prolongation de la préscolarité a comme conséquence une baisse significative des échecs à l’école primaire, et ceci prioritairement quand il s’agit d’enfants d’origine modeste. Ainsi également, l’amélioration du cursus scolaire des enfants d’agricul- teurs qui furent pendant si longtemps les «sacrifiés» de l’école et qui, depuis une vingtaine d’années ont rejoint, parfois dépassé, la moyenne nationale z.

Je reviens à mon sujet. Ce que j’ai pu constater dans les classes est conforté par les données de la démographie scolaire: le bon déroulement de la scolarité élémentaire, et parti- culièrement de sa première année, est fortement prédictif de la réussite ultérieure. Ce bon déroulement est fonction des acquisitions de base mais davantage encore de la façon dont les enfants quels qu’ils soient - des «lièvres» ou des «tortues» - prennent part à ces acqui- sitions.

Une étude récente (dont j’ai parlé ailleurs) a porté sur l’enfant qui exécute des exercices de lecture sur ordinateur. Elle a confirmé ce que j’ai pu observer dans les classes: la bonne performance aux tâches dépend en tout premier lieu de la mobilisation active et de l’atten- tion sélective du sujet. Mais cette étude a montré également que ces conduites de travail sont éducables, modifiables par l’entraînement que la machine contrôle: même aux plus faibles des élèves, l’ordinateur suggère ((comment faire pour bien fairen.

Un tel entraînement, un tel enseignement est-il possible en classe, en collectivité? C’est toute la question qui se pose à nos enseignants et qu’ils sont en droit de poser aux chercheurs.

Pour ma part, avec l’optimisme ((républicain)) que j’ai acquis en regardant les enfants progresser, ma réponse est affirmative. Mais il reste beaucoup à faire de part et d’autre.

’ Education et Formation, SIGES, 1983.

Educatiim et Formation, Sprese, 1986.