Palais de la découverte, Paris le 13 octobre 2012

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Qu’est-ce qu’un beau cadran solaire?

Esthétique et gnomonique

André E. Bouchard, Ph.D.Président de la Commission des Cadrans solaires du Québec

par

Une communication présentée lors de la 35e rencontre annuelle des membres de la Commission des Cadrans solairesde la Société astronomique de France (SAF)

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Je relisais la préface et la table des Chapitres du célèbre traité de Dom François Bedos de Celles, intitulé :

«LA GNOMONIQUE PRATIQUEOU l’ART DE TRACER LES CADRANS SOLAIRES AVEC LA PLUS GRANDE PRÉCISION, PAR LES MEILLEURES MÉTHODES, MISES À LA PORTÉE DE TOUT LE MONDE . » (M DCC L X), dédié à MM. De l’Académie Royale des (Belles-Lettres,) Sciences (et ARTS) de Bordeaux.

Et je cherchais les sections qui présentent la dimension esthétiquedes cadrans ainsi tracés. «Le but de la Gnomonique est de mener sur toute sorte de surfaces, les lignes qui représentent tous ces cercles, ou plutôt, qui en font les communes sections avec le plan, afin de connoître les instans auxquels le Soleil arrive à tous ces cercles». (PREFACE. xiv-xv ).

Mais je n’y trouvais qu’une référence et allusion explicite! « Les Planches ont été dessinées avec beaucoup de soin. Les Figures en sont assez justes, parmi lesquelles on verra deux modèles de cadrans ornés(Planches 14 et 15), pour donner une idée de décoration.» (xi).

Cela ne signifie pas que l’idée de beauté soit absente, inexistante ou accessoire. La Gnomonique de Dom Bedos me semble peu intéressée par cette idée. Ce qui importe, c’est d’avoir des cadrans bien tracés ! Il lui faudrait donc lui ajouter une section qui deviendrait : comment tracer de beaux cadrans solaires… de manière à obtenir ce que ARTISSIME nous dit au sujet des cadrans du briançonnais:

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« On les plaçait en évidence sur la façade des maisons et des églises et on s’ingéniait à masquer la disgracieuse aridité de leurs lignes divergentespar un encadrement artistique, pour lesquelles on imaginait les combinaisons les plus élégantes et les plus diverses…L’imagination populaire a su trouver les formules les plus heureuses pour transformer le cadran vulgaire en une véritable œuvre d’art et pour exprimer en termes d’une pénétrante sincérité le sens moral du phénomène grandiose dont il donnait la mesure».

( Cadrans solaires, Yves Opizzo, Artissime, ACS, p.15).

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Dessin d’un cadran orné.

Dom Bedos de Celles, (op.cit.), Planche 15, Fig. 47.

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Deux questions et quelques réponses:

1- Que veut-on suggérer quand on dit que le cadran que l’on voit, est un BEAU cadran solaire?

2- Pourquoi devrait-on valoriser la fabrication de beaux et nouveaux cadrans ou insister sur la présentation de beaux cadrans dans l’histoire de la gnomonique?

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Voici en résumé ce que j’ai à vous dire:

-Le BEAU est une notion abstraire, un concept étudié principalement par la discipline philosophique de l’esthétique, mais abordé aussi par d’autres domaines (histoire, sociologie, psychologie, art…)

-Le BEAU est communément défini comme la caractéristique d’une chose qui au travers d’une expérience sensorielle (perception) procure une sensation de plaisir ou un sentiment de satisfaction.

-Et c’est là soudain que se démarque la BEAUTÉ d’un cadran solaire.

-Quand on dit communément que «c’est beau», ou plutôt qu’on ne peut se retenir de le dire, de le crier, car le sensible cadre intégralement avec l’intelligible, l’un recoupe l’autre, et les deux désormais s’alignent..

-En espérant garder du temps pour répondre à vos questions

Mes recherches des trois dernières années m’ont amené à lire des philosophes, à faire un choix de BEAUX cadrans, à les décrire et à les interpréter en empruntant les concepts de certaines théories esthétiques. Parmi les exemples de cadrans qui se suivent dans ces diapositives, je me contenterai de ne présenter brièvement que deux exemples de cadrans (situés sur le territoire de France).La Nef de Tavelet le cadran de Nantes. Mais tous les cadrans analysés, et faisant partie de ma présentation, font partie de textes déjà publiés dans LE GNOMONISTE, journal en ligne, édité par la Commission des Cadrans solaires du Québec.

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Les cadrans: leurs coordonnées et leur auteur

Les éléments d’interprétation retenus

Les philosophes et leur théorie esthétique du Beau

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- Un choix de 12 cadrans (choisis entre 2009-2012) :

-Le cadran aux dauphins à Greenwich (UK)

-Le Mont Saint-Michel en France

-Le cadran analemmatique dans le monde

-La toile « Les Ambassadeurs » de Holbein le jeune à Londres

-Le cadran équatorial du Port de Québec

-La Nef de Tavel en France

-Le double cadran horizontal en Angleterre

-La murale de Ravenne en Italie Mario Arnaldi (19

-Le cadran baroque à Salzbourg (Autriche)

-Le cadran solaire de Nantes en France

-Le cadran verrière de l’Île Bizard au Québec

-Le cadran du Parc Vigeland en Norvège

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-Les théories d’esthétique retenues-David Hume (1711-1776) The Treatise of Human Nature

-Plotin (204-280) Ennéades, le traité du Beau

-Pythagore (580-495 av. J,-C) Πυθαγόρας (grec ancien) — Cicéron,le philosophe, Tusculanes, V, 3, § 8

-John D. North (1934-2008) The Ambassadors’Secret, Holbein et the World of Renaissance

-John Dewey (1859-1952) Art as Experience, Philosophies of Art and Beauty

-Walter Benjamin (1892-1940) Illuminations

-Georg Wilhelm Friedrich Hegel (1770-1831) Esthétique

-Aristote (384-323-322 av. J.C.) Poétique

-Benedetto Croce (1886-1952) Aesthetics(Encyclopedia Britannica)

-Monroe C. Beardsley (1915-1985) Aesthetics, Problems in the Philosophy of Criticism

-Baruch Spinoza (1638-1677) Ethique

-Denis Diderot (1713-1784) Encyclopédie

Arthur C. Danto (1924-…) La transfiguration du banal(1989)

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Les philosophes et l’esthétique

Les beaux cadrans analysés

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51º28`N 00º00`O, Greenwich (UK)

de Christopher J.H. Daniel et Edwin Russel

48º38`N 01º30`O, Mont Saint-Michel (France)

de Magnet et Magnet

«La beauté de ce cadran est donc dans l’oeil de la personne qui le regarde. Plus qu’une simple approche relativiste de l’expérience esthétique, c’est l’énoncé très riche d’une approche où au-delà de la sensation, il faut associer la sensibilité et l’imagi-naire…» selon David Hume

« Dans mon esprit, le cadran du Mont Saint-Michel me permettait de rejoindre la simplicité du regard chez Plotin: celle où la vision devient spirituelle, oùil n’y a plus de distinction entre la lumière inté-rieure et la lumière extérieure. La vision est lumiè-re et la lumière est vision… Ce cadran gigantesque et éphémère est vraiment un beau cadran du réper-toire mondial de la gnomonique ». Selon Plotin

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45º31`N 73º31`O, Montréal (Québec) de Geneviève Massé

51º30`N; 00º07`O , London (UK) de Holbein le Jeune

«Le sentiment de plaisir, du beau et du calme que dégage un cadran solaire analemmatique, procède finalement d’une structure géométrique . Toutefois, je continue de penser que des textes doivent exister en gnomonique sur l’utilisation des symboles découlant des principes et des symboles géométriques de Pythagore (le nombre d’or)».

«Devant ce tableau de Holbein, je me mets àl’écoute des résonances qui naissent de la cueillette des faits, les réactions des visiteurs, et de l’imagination esthétique, se résumant dans cette composition visuelle de personnages et d’objets».

selon John D. North

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46º49`N; 71º12`O, Québec de J.Serge Dion

44º00`N; 04º42`E, Tavel (France) de D. Savoie, O.Mir et R.Queudot

«La représentation du beau, ou de l’idéal, est la condition essentielle de l’existence de l’esprit. Dans ce texte, j’ai tenté de montrer, grâce au cadran solaire de Tavel, que l’art tient au pouvoir réflexif de l’homme ». selon Hegel

« Selon moi, le cadran de la Pointe-à-Carcy, dans le Port de Québec, est de loin le plus beau cadran solaire du Québec; c’est aussi le plus complet, le plus articulé, le plus sophistiqué, et le mieux intégré dans l’environnement géographique et culturel de Québec. Il intègre et complète la réflexion commencée sur ces autres cadrans àthématique maritime. Et en cela, il répond à l’idée« d’expérience » telle que formulée dans l’esthéti-que de John Dewey…»

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52º36`N; 00º53`E, Norfolk (UK) de Tony Moss

44º25`N; 12º13`E, Ravenne (Italie) de Mario Arnaldi

« Pour ma part, le cadran de Moss se comprend par lamise en place des concepts de l’imitation (mimèsis), del’émotion, du plaisir du spectateur (katharsis), et durôle de cette copie en tant qu’oeuvre d’art. L’enjeu devient exclusivement esthétique. C’est la transforma-tion de l’émotion en pensée. C’est le processus même depurgation de l’émotion qui est un plaisir esthétique ».selon Aristote

« En Europe, le cadran de Ravenne respire l’élégance, la culture et le savoir-vivre. C’est l’intégration du souvenir des mosaïqueslocales, convergeant sur la paroi d’une structure scientifique du Planétarium, un trait d’union entre les savoirs d’antan et la science d’aujourd’hui… » selon Croce

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47º48`N; 13º02`E, Salzbourg (Autriche)

48º51`N; 02º23`E, Paris (France)

« Malgré le plaisir évident que je reconnais avoir à chacu-ne de mes analyses culturelles des cadrans, (regroupées sous cette catégorie d’interprétation symbolique appelée ‘Gnomonique et Esthétique’,) je ne peux que redoubler mon sentiment d’admiration pour les Walter Benjamin etles Monroe C. Beardsley. Ils ont su dans leurs analyses dégager des pistes fécondes de réflexion, et des suggestions d’interprétation qui me font encore rêver, tout en me ramenant les deux pieds sur terre! »

« Le défi du dessin consiste à montrer, à rendre visible sur le papier ou sur la surface à dessiner, non seulement de manière discrète les choses reconnaissables, mais aussi de montrer l’ex-tension de leur substance. Cette activité demande du temps, de l’observation et de la contemplation de l’objet à reproduire.Quand je dessine les cadrans solaires, je me sens plus près des gens et des choses, un peu comme les arbres trouvent leur che-min vers la lumière…». à la manière de Spinoza

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47º13`N; 01º33`O, Nantes (France) de Jean Michel Ansel

45º29`N; 73º53`O, Île Bizard (Qc) de Michèle Lapointe et René Rioux

« Quand je prononce qu’un cadran est beau, si jeconsidère ce cadran solitairement, je n’entends pasautre chose, sinon que j’aperçois entre les parties dont il est composé de l’ordre, de l’arrangement, de la symétrieet des rapports. Le cadran de Nantes illustre bien par les notions d’astronomie, les développements historiques de la gnomonique. Et c’est une autre dimension de la Beautéde ce cadran». selon Diderot

« Jusque dans ses petits détails, la trajectoire ellip-tique des heures du cadran solaire est en même temps alimentée par le décor changeant de l’extérieur de l’édifice,selon les saisons, et par la présence nécessaire du soleil à l’extérieur comme à l’intérieur. Mais les qualités esthétiques de la verrière dépendent aussi de leur identité historique et culturelle, car l’oeuvre est partie prenante d’un lieu de culture, de connaissance et de transfert d’expériences ». selon Danto

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59º54`N; 10º44E , Oslo (Norvège) de Gustav Vigeland

« Il n’est pas facile de dégager la vie étrange que l’œuvreporte en elle-même. Il me semble que la beauté du cadran dépende de la contemplation muette du spectateur à partir d’une description positive et d’une explication quasi métaphysique. Cette beauté immanente du cadran m’apparaît fondée sur ses rapports créés par la vie elle-même définie par trois composantes. La clarté du message; l’intégrité de celui-ci en tant que mesure du temps, et la consonance entre les deux ».

selon Walter Benjamin

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Article pour le prochain numéro Le

Gnomoniste (XIX-4), de décembre 2012:

(à venir)

« Un beau cadran diptyque de Charles

Bloud (1653)»

Cadran azimutal en ivoire de Dieppe, avec ses symboles marins, politiques et culturels.

L’ornementation est magnifique!

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- Même si les théories esthétiques varient à travers les âges, et que l’interprétation de la beauté des cadrans solaires peut aussi changer selon les réflexions des philosophes. Voici un résumé des effets que produit l’esthétisme en gnomonique:

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10- Les valeurs inhérentes de l’esthétique * de ces cadrans

1.L’expérience esthétique enlèverait les tensions et adoucirait les instincts destructeurs des pulsions.

2.L’expérience esthétique résoudrait moins les conflits de l’en soi, mais aiderait plutôt à la création de l’intégration ou de l’harmonie.

3.L’expérience esthétique raffinerait la perception et diminuerait la discrimination.

4.L’expérience esthétique développerait l’imagination et l’empathie (l’habileté à se mettre à la place des autres).

5.L’expérience esthétique serait un soutien à la santé mentale.

6.L’expérience esthétique encouragerait la sympathie réciproque et la compréhension mutuelle.

7.L’expérience esthétique présenterait un idéal pour l’expérience humaine.

(*)2 Beardsley, Monroe C. Beardsley (1981) Aesthetics, Problems in the Philosophy of Criticism, Hackett Publishing Company, inc. , pages 574-575.

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-David Hume (1711-1776)The Treatise of Human Nature(1739), a critical edition, Oxford, Clarendon Press, 2007, 2 v.

-Plotin (204-280) Ennéades, le traité du Beau, ed. Librairie Hachette, 1857, Premier, Livre VI.

-Pythagore (580-495 av. J,-C) Πυθαγόρας (grec ancien) — Cicéron,le philosophe, Tusculanes, V, 3, §8, Le rôle du pythagorisme dans l’évolution des idées, Léon Brunschwicg, Paris, Hermann, 1937.

-John D. North (1934-2008)The Ambassadors’Secret, Holbein and the World of Renaissance, Paperback, Phoenix, 2004, 416 pages.

-John Dewey (1859-1952) Art as Experience, Philosophies of Art and Beauty, L’art comme expérience, Farago, Publications de l’université de Pau, 2005, 417 pages.

-Walter Benjamin (1892-1940) Illuminations, Essays and Reflections,Schocken Books, New York, 1969, 278 pages.

-Georg Wilhelm Friedrich Hegel (1770-1831) Esthétique, L’esthétique de Hegel, Caroline Guibet Lafaye, Paris, L.Harmattan, 2003, 274 pages.

-Aristote (384-323-322 av. J.C.) Poétique, Livre de poche, Paris, 1990, 216 pages.

-Benedetto Croce (1886-1952)Aesthetics(Encyclopedia Britannica), L’esthétique de Benedetto Croce, Jean Lamaane, 1936, Paris,Vrin, 305 pages.

-Monroe C. Beardsley (1915-1985)Aesthetics, Problems in the Philosophy of Criticism, Hackett publishing, Inc., Cambridge, 1981, 614 pages.

-Baruch Spinoza (1638-1677)Ethique, Édition de l’éclat, Paris, 2005, 630 pages.

-Denis Diderot (1713-1784) Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, 1752,ATILF (Analyse et Traitement Informatique de Langue Française, 2001, Université de Chicago).

-Arthur C. Danto (1924-…) La transfiguration du banal(1989), Éditions du Seuil, Paris, 327 pages.

BIBLIOGRAPHIE